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Travers and +the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + +[Note au lecteur de ce fichier digital: + +Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été +corrigées. Les différentes orthographes n'ont pas été standardisées, +de même pour les noms propres et les noms de villes.] + + + + +LES ROIS + +FRÈRES DE NAPOLÉON Ier + + +DOCUMENTS INÉDITS + +RELATIFS AU PREMIER EMPIRE + + +PUBLIÉS PAR + +LE BARON DU CASSE + + + + +PARIS + +LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE et Cie + +108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN + +Au coin de la rue Hautefeuille + + +1883 + +_Tous droits réservés._ + + + + +OUVRAGES DU MÊME AUTEUR: + + +_Mémoires du roi Joseph_, 10 vol. in-8º avec album de 20 batailles +gravées. Perrotin, éditeur. + +_Histoire des négociations relatives aux traités de Mortefontaine, +de Lunéville et d'Amiens_, 3 vol. in-8º. Dentu. + +_Mémoires du prince Eugène_, 10 vol. in-8º. Michel Lévy. + +_Vandamme et sa correspondance_, 2 vol. in-8º. + +_Arrighi de Casa Nova, duc de Padoue_, 2 vol. in-8º. + +_Précis des opérations de l'armée de Lyon en 1814_, 1 vol. in-8º. + +_Précis des opérations de la guerre d'Orient en 1854_, 1 vol. in-8º. + +_Opérations en Silésie, 1806 et 1807_, 2 vol. in-8º avec atlas. + +_Mémoires pour l'histoire de la campagne de 1812_, 1 vol. in-8º. + +_Histoire anecdotique du coup d'État_, 1 vol. in-8º. + +_Souvenirs d'un officier du 2e zouaves_ (attribué à tort au général +Cler), 1 vol. in-12. + +_Le duc de Raguse devant l'histoire_, 1 vol. in-8º. + +_Les erreurs militaires de M. de Lamartine_, 1 vol. in-8º. + +_Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon Ier _, 1 vol. in-12. + +_Histoire anecdotique de l'ancien théâtre_, 2 vol. in-8º. + + +ROMANS: + + +_Rambures_, 1 vol. in-8º. + +_Du soir au matin_, 1 vol. in-8º. + +_Quatorze de dames_, 1 vol. in-12. + +_Les suites d'une partie d'écarté_, 1 vol. in-12. + +_Le conscrit de l'an VIII_, 1 vol. in-12. + +_Le marquis de Porzaval_, 1 vol. in-12. + +_M. Putau_, 1 vol. in-12. + +_Les variétés militaires_, 1 vol. in-18. + +_Les origines_, 1 vol. in-18.--Etc., etc., etc. + +Sous presse: _Le Panthéon fléchois._ + + + + +PRÉFACE + + +Dans les premières années du second empire, commença à paraître à la +librairie Perrotin un ouvrage en dix volumes qui fit sensation dans +le monde littéraire et politique, les _Mémoires du roi Joseph_, qui +donnaient sur l'empereur Napoléon Ier, sur son règne et sur +l'histoire de cette grande époque des aperçus entièrement nouveaux. +Des documents importants et irrécusables corroborant les faits se +trouvaient en grand nombre dans ces dix volumes, et, malgré le +succès de l'_Histoire du Consulat et de l'Empire_ de M. Thiers, les +_Mémoires du roi Joseph_ furent accueillis avec une haute faveur +dans les régions élevées et savantes. + +Peu de temps après l'entière publication de cet ouvrage, en parut un +autre du même auteur et du même genre, _Mémoires et correspondance +du prince Eugène_, également en dix volumes. + +Ces deux publications historiques capitales, faites avec +impartialité, donnèrent la pensée au gouvernement impérial de réunir +en un magnifique ouvrage toutes les lettres écrites ou dictées par +Napoléon Ier, et de livrer à la publicité un admirable monument +d'histoire moderne. Malheureusement, le nombre considérable des +lettres et des documents collectionnés dans les archives du +gouvernement et dans les archives des particuliers fit rejeter +l'idée de joindre à ces lettres de l'empereur les réponses et des +notes explicatives. + +Immédiatement après la mort du dernier des frères de Napoléon Ier, +en 1860, parut également un ouvrage en sept volumes intitulé: +_Mémoires du roi Jérôme._ + +On serait en droit de penser que la collection de ces quatre grandes +publications est de nature à donner l'idée la plus complète de tous +les faits historiques qui s'accomplirent sous le premier empire, et +qu'ils mettent entièrement à jour la politique du grand empereur. Il +n'en est cependant pas réellement ainsi. + +Il faut du temps pour débarrasser l'histoire de ses langes. + +Tel document publiable à une époque éloignée aurait eu des +inconvénients à être publié à une époque plus rapprochée. Mais ce +qui ne pouvait voir le jour il y a quelques années peut paraître +aujourd'hui. + +Tout n'a donc pas été inséré dans les quatre ouvrages publiés sous +le deuxième empire. Nous pouvons affirmer néanmoins que rien n'a été +changé dans les documents qui se trouvent aux Mémoires _Joseph_ et +_Eugène_, et que l'auteur s'est borné à supprimer quelques phrases +et à les remplacer par des points; qu'un certain nombre des lettres +de Napoléon Ier a été supprimé dans la correspondance de l'empereur, +principalement celles écrites au roi Louis, père de Napoléon III. +Quant aux _Mémoires du roi Jérôme_ publiés sous la direction de son +fils, le prince Napoléon, et sans nom d'auteur, nous croyons savoir +que cet ouvrage est loin d'avoir la moindre prétention à la vérité +historique. + +Récemment, un volume intitulé: _Napoléon et le roi Louis_ a paru. Il +renferme la collection presque complète des lettres de l'empereur au +troisième de ses frères. + +Ces ouvrages, qui ont une grande valeur historique, ne font pour +ainsi dire qu'effleurer plusieurs des grands faits du premier +empire. Ainsi, dans l'histoire du règne du roi Louis, les démarches +faites pour changer en royauté la république batave, les +négociations entreprises pour mener à bien la mission de M. de +Labouchère à Londres, sont à peine indiquées. Cela vient de ce que +l'empereur traçait ses intentions à ses agents, à ses ministres, à +ses frères à grands traits, laissant souvent à ces derniers le soin +des moyens à prendre pour l'exécution de sa volonté. + +Nous avons eu la pensée de recourir à la correspondance diplomatique +de cette époque pour compléter, autant que possible, l'histoire des +frères de Napoléon Ier qui est aussi l'histoire de la plupart des +États de l'Europe. En outre, nous joindrons à ces documents un grand +nombre des lettres ou portions de lettres omises à dessein dans les +ouvrages publiés sous le second empire, puis des pièces curieuses +relatives à ces souverains et complètement inconnues. + +Cet ouvrage, sorte de complément de ceux qui déjà ont paru, et +intitulé: _Les rois frères de Napoléon_, comprend un grand nombre de +documents inédits relatifs au premier empire. + + + + +LES FRÈRES + +DE NAPOLÉON Ier + + + + +I. + +LE ROI JOSEPH + +(1797-1808). + + +Jusqu'au jour où la politique et la raison d'État vinrent se mettre +en travers de ses affections naturelles, l'empereur Napoléon Ier se +montra un frère dévoué, principalement avec Joseph son aîné, qui, à +la mort de leur père, Charles Bonaparte, était devenu le chef de la +famille. Né en janvier 1768, Joseph avait dix-huit mois de plus que +son second frère Napoléon, né lui-même en août 1769. Lors de la +perte qu'ils firent de leur père, l'un avait donc 17 ans, l'autre 15 +ans et demi. + +Jeté de bonne heure au milieu des affaires publiques, devenu un +personnage politique important, à l'âge où l'on sort à peine de +l'adolescence, un général renommé à l'âge où l'on ceint à peine une +épée, Napoléon, de fait le chef de sa famille, voulut associer ses +frères à sa grandeur. Une fois à la tête du gouvernement, il les +porta aux premières charges de l'État; empereur, il voulut pour eux +des trônes, et, pour les y asseoir, prononça la déchéance des +anciennes familles royales de l'Europe. Mais si l'ambition dominait +tout chez ce grand capitaine, chez ce puissant génie, ses frères +n'avaient pas le même amour des grandeurs. Deux d'entre eux, Joseph +et Louis, esprits modérés et éclairés, n'acceptèrent des couronnes +qu'après beaucoup d'hésitation, bien plus pour céder aux exigences +de leur frère, devenu le maître du monde, que pour obéir à leurs +propres instincts. L'un d'eux, Lucien, se montra toujours rebelle à +cet égard aux volontés de Napoléon. Il entendait vivre à sa guise, +sans se plier aux vues de l'empereur. Enfin, le quatrième, Jérôme, +léger de caractère, ami du plaisir, acceptait volontiers la tutelle +fraternelle, à la condition de pouvoir puiser sans cesse dans le +trésor impérial. + +Nous allons exposer les relations de Napoléon avec ses frères à +différentes époques de leur carrière, en rétablissant certaines +parties de leur correspondance omises à dessein dans les ouvrages +publiés jusqu'à ce jour. + +Commençons par Joseph, l'aîné des Bonaparte, successivement roi de +Naples et d'Espagne. + +Nous croyons inutile de parler des premières années de Joseph +Bonaparte. Nous allons le prendre au moment où il commença à entrer +dans la vie politique et à jouer un rôle dans la diplomatie. + +À la suite de sa brillante campagne de 1796 en Italie, le général +Bonaparte, déjà tout-puissant, fit nommer Joseph ambassadeur dans +les États romains. Celui-ci se rendit à Rome à la fin de 1797. +Conformément aux instructions de son frère et du Directoire, il fit +tous ses efforts pour maintenir l'harmonie entre le gouvernement +pontifical et la France. Il n'y put réussir. Les relations entre les +deux États s'envenimèrent par la nomination d'un général autrichien +(Provera), trois fois prisonnier de l'armée de Bonaparte, comme +commandant de la troupe pontificale. Les justes plaintes de Joseph à +cette occasion enhardirent d'une autre part les révolutionnaires +romains, qui se figurèrent que nous ne pouvions faire autrement que +de les soutenir dans leurs tentatives pour renverser le gouvernement +pontifical. Cet état de choses amena l'échauffourée du 7 décembre, +qui coûta la vie au jeune et brillant général Duphot, et nécessita +le départ de Rome du ministre de la légation de France. Joseph, +pendant son séjour dans la ville éternelle, échangea avec son frère +une correspondance intéressante; nous connaissons les lettres de +Napoléon par le recueil officiel publié sous le second empire; les +dépêches de Joseph, au contraire, n'ont été imprimées ni dans les +_Mémoires du roi Joseph_ ni ailleurs; nous choisissons les plus +curieuses pour les donner ici. + + +I. + + Rome, 24 fructidor an V (10 septembre 1797). + + JOSEPH AU GÉNÉRAL EN CHEF BONAPARTE. + + J'ai reçu, citoyen général, la lettre à laquelle étaient jointes + plusieurs pièces relatives à l'arrestation de MM. Angeloni, + Bouchard, Oscarelli[1], Vivaldi, etc. Les informations que j'ai + prises sur eux, depuis que je suis à Rome, sont conformes à l'idée + qu'on en donne dans les lettres qui vous ont été envoyées par le + citoyen Monge; ils ont manifesté le désir et le projet de changer le + gouvernement romain. S'ils ont senti et pensé comme les Brutus et + les grands hommes de l'antiquité, ils ont parlé comme des femmes et + agi comme des enfants; le gouvernement les a fait arrêter. Comme ils + n'avaient point de plan déterminé, on n'a rien trouvé chez eux qui + pût les accuser; mais on en avait trouvé cinquante réunis à la villa + Médicis; mais la ville entière connaissait les projets dont ils se + vantaient sans avoir aucun moyen de les mettre à exécution. + + [Note 1: Trois conspirateurs que le général Bonaparte voulait + que l'on surveillât, tout en empêchant le gouvernement du + pape de les molester.] + + Quelques-uns d'entre eux, et précisément ceux qui, par leurs + talents, paraissent être les chefs, étaient munis de certificats + honorables de la commission des Arts[2]; mais ces certificats et la + liaison qu'ils ont eue avec les commissaires français, loin d'être + cause de leur arrestation, l'ont suspendue durant quelques instants, + et l'on n'a procédé contre eux qu'après que le citoyen Cacault eut + déclaré que les certificats des commissaires prouvaient pour le + passé et non pour l'avenir; qu'ils ne pouvaient d'aucune manière + être regardés comme des actes de garantie pour des faits ignorés et + absolument étrangers aux commissaires et à tout autre individu + français. + + [Note 2: Il y avait à Rome une commission des arts présidée + par Monge et qui, à l'exception de son président, se montrait + un peu encline à favoriser les projets des ennemis du + gouvernement pontifical.] + + Depuis cet événement, on est convaincu dans Rome que les Français + n'ont aucun rapport avec ce qui s'est passé, et aucun d'eux n'a + éprouvé le moindre désagrément qui puisse le faire croire. + + Cependant, j'ai voulu pressentir quelles étaient les intentions du + gouvernement sur les individus arrêtés, et surtout sur ceux auxquels + vous croyez devoir prendre un certain intérêt: le secrétaire + d'État[3] m'a assuré que Corroux et son frère n'ont point été + arrêtés; que le juif Ascarelli venait d'être mis en liberté; qu'il + croyait que Vivaldi allait l'être bientôt; que, quant à Angeloni et + Bouchard, qui sont les plus compromis, avant la sentence définitive + je serais informé de l'état du procès, et que le gouvernement se + prêterait à ce que les Français paraîtront désirer. + + [Note 3: C'était alors le cardinal Doria, hostile à la + France.] + + Je ne pense pas que le système de sang ou d'extrême rigueur qui a + prévalu dans quelques États voisins prenne ici; il y a bien quelques + prêtres influents du caractère des persécuteurs des Albigeois, mais + ils n'osent pas encore se livrer à l'ardeur de la persécution. Le + secrétaire d'État, homme doux et honnête, les surveille. Tant qu'il + pourra quelque chose, je ne crains pas les scènes de sang; mais il + n'a pas, je pense, tout le crédit qu'il mérite. + + Il est inutile que j'entre dans plus de détails: il suffit que je + vous assure que je ne perdrai pas de vue le sort des personnes + arrêtées. + + +II. + + Rome, 3 vendémiaire an VI (24 septembre 1797). + + JOSEPH BONAPARTE, AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE, AU GÉNÉRAL EN CHEF + BONAPARTE. + + Hier au soir, le pape[4] a été indisposé; on espérait cependant + qu'il serait en état d'aller aujourd'hui, jour de dimanche, à + Saint-Pierre; mais la fièvre l'a saisi avec des attaques + d'apoplexie; il a reçu le viatique à trois heures après midi. Il est + dans ce moment dans un état presque désespéré, et l'on craint qu'il + ne résiste pas au redoublement de demain. + + [Note 4: Pie VI.] + + Cet événement peut en faire naître plusieurs d'une nature bien + différente, selon les impulsions que l'on donnera à l'opinion et aux + affaires de cette ville. + + Vous connaissez, citoyen général, les instructions qui m'ont été + données par le Directoire; mais sa situation, celle de la France et + de l'Italie ne sont plus les mêmes. + + Si les républicains qui existent à Rome, et dont quelques-uns sont + encore arrêtés, s'ébranlent pour tenter un mouvement qui les + conduise à la liberté, il est à craindre que Naples ne profite d'un + instant d'oscillation pour faire enfin un mouvement réel et pousser + ses troupes jusqu'à Rome. Dans ce cas, nul doute que le succès ne + fût pour les partisans de la coalition dans Rome. + + Naples ne tentera jamais ce mouvement s'il craint d'être prévenu par + les troupes françaises. Il serait donc à désirer que vous puissiez + faire filer des forces du côté d'Ancône. Dans toutes les + hypothèses, leur présence dans un point avoisiné de Rome aura une + influence morale ou absolue. + + Les cardinaux dont on parle le plus pour les porter au pontificat + sont: Albani, Gerdil, piémontais, et Caprara[5]. Le premier paraît + avoir le plus d'influence, il est le centre de la faction impériale; + Provera, qui, lui, est envoyé ici par le nonce Albani, est un de ses + moyens, et il les emploie tous. C'est un homme d'un extérieur + séduisant: du tact, de l'usage, point d'instruction, point de talent + transcendant, c'est le doyen des cardinaux. + + [Note 5: Albani, neveu du pape Clément XI;--Gerdil, cardinal, + et l'un des membres les plus savants et les plus illustres du + Sacré Collège;--Caprara, cardinal, archevêque de Milan qui, + en 1805, le 28 mai, sacra Napoléon roi d'Italie dans la + cathédrale de Milan.] + + Le cardinal Gerdil passe pour un saint homme, et un théologien + consommé. C'est le choix des prêtres non titrés et des dévotes. + + Caprara a des talents. Ennemi du pape actuel, il réunit autour de + lui les suffrages d'une partie des mécontents du gouvernement + d'aujourd'hui. L'Espagne paraît le porter. On croit en général qu'il + réunit aussi le voeu de la France. + + Il est impossible qu'avant la réception de votre lettre, je demande + officiellement la liberté des prisonniers et l'éloignement du + général Provera; cette mesure me sera dictée par les circonstances, + si je les juge de nature à l'exiger. + + Placé plus au centre des grands intérêts, vous serez plus à même de + me faire connaître quelles doivent être les intentions du + gouvernement et quels moyens il peut mettre en usage pour les + remplir. + + Si le pape prolonge son existence, votre lettre me sera extrêmement + utile: dans l'hypothèse contraire, je vous enverrai un exprès en + poste. Je vous prie de me faire renvoyer sur-le-champ le courrier + porteur de la présente. + + Il serait peut-être à propos que, pour tous les événements, vous + m'envoyassiez quelques officiers. + + +III. + + Rome, 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797). + + JOSEPH, AMBASSADEUR, ETC., AU GÉNÉRAL EN CHEF BONAPARTE. + + J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 8 vendémiaire par mon + courrier de retour. + + Vous êtes déjà instruit du rétablissement de la santé du pape. + + Le général Provera, que l'on attendait ici depuis longtemps, est + encore à Trieste, d'où le consul romain annonce au secrétaire d'État + son prochain départ. + + J'ai eu une longue conférence avec le cardinal Doria; je lui ai + annoncé la volonté précise du gouvernement français de ne pas + souffrir au commandement des troupes du pape un général autrichien. + Aujourd'hui, il a dû lui écrire pour lui donner l'ordre de suspendre + sa marche. Ma déclaration verbale a été un coup de foudre pour lui; + je l'ai accompagnée de tous les raisonnements qui en font sentir la + justice, et me suis plaint de plusieurs faits qui décèlent la + malveillance tacite des meneurs secrets de la cour de Rome. Vous + remarquerez que, depuis le ministère du cardinal Rusca, rien n'a + changé que lui-même, son esprit y est resté; il dirige tous les + travailleurs, commis et autres employés. Le cardinal Doria ne tient + point essentiellement à la faction ennemie de la France; c'est un + homme dont les manières françaises et la bonne foi ne peuvent plaire + ni aux cardinaux ni à ses coopérateurs dans le ministère. Son + élévation à ce poste est une preuve qu'il reste encore à Rome une + partie de l'ancienne politique ténébreuse de cette cour: elle met en + avant un homme honnête et loyal, incapable de soupçonner les + intentions perfides de ceux qui gouvernent sous son nom, en le + faisant agir dans leur sens, et, lorsqu'ils ne peuvent pas y + réussir, en lui faisant forcer la main par le pape, qui déteste son + secrétaire d'État. + + Les meneurs réels de la cour de Rome sont un monsignor Barberi, + procureur fiscal, l'intime des cardinaux Rusca, Albani; Zelada, + secrétaire d'État lors du massacre de Basseville; Sparziani, premier + commis du secrétaire d'État Rusca, resté dans la même place sous le + cardinal Doria; c'est le rédacteur de la correspondance au nonce + Albani, que vous fîtes intercepter avant la dernière campagne contre + Rome; c'est à cet homme qu'étaient adressées les lettres du comte + Gorri-Rossi de Milan, dont vous m'avez envoyé les copies. + + Je n'ai point encore réclamé officiellement les Romains détenus + depuis deux mois; j'ai épuisé tous les moyens de douceur auprès du + secrétaire d'État. Vous concevez, citoyen général, d'après ce que je + vous ai dit ci-dessus de la puissance réelle de ce ministre, que je + n'ai dû rien obtenir: ce n'est que par des démarches fortes et + officielles que l'on peut faire rentrer dans le devoir, amener à des + principes de modération les meneurs et les travailleurs subalternes; + c'est ce que je n'ai point encore cru devoir faire, d'après votre + silence et celui du ministre des relations extérieures[6], que j'ai + consulté sur cet article. + + [Note 6: Talleyrand.] + + +IV. + + Rome, 5 frimaire an VI (25 novembre 1797). + + JOSEPH BONAPARTE, ETC., AU GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE D'ITALIE. + + J'ai reçu votre lettre du 24 brumaire. Le général Provera est parti + le lendemain du jour de la réception de votre dépêche, sans que + j'aie eu besoin de faire pour cet effet de nouvelles démarches + auprès du gouvernement de Rome; il s'est retiré à Naples. + + Les détenus pour opinion politique ont été presque tous mis en + liberté. Je vous ai déjà écrit à ce sujet. + + Le cardinal secrétaire d'État sort à l'instant de chez moi; il se + plaint de la municipalité d'Ancône, qui a publié l'espèce de + manifeste dont vous trouverez ci-joint une copie. Le pape a été très + alarmé de sa lecture, et il a ordonné à son ministre de vous + dépêcher un courrier et un autre à Paris pour réclamer la + restitution d'Ancône; il serait possible que la dépêche dont ce + courrier sera porteur vous parvienne avant la présente. + + L'officier cisalpin chargé des dépêches du ministre des relations + extérieures n'a éprouvé aucune difficulté pour la reconnaissance de + la nouvelle République. + + Le secrétaire d'État vient de me donner lecture de la lettre qu'il a + écrite à ce sujet au ministre des relations extérieures de la + République cisalpine, et, à dire le vrai, Sa Sainteté lui en avait + donné l'ordre le premier de ce mois, d'après les instances du + cardinal et ce que je lui en avais dit moi-même dans la dernière + audience. + + Vous saurez sans doute que le duc de Parme s'est enfin décidé à + consentir au projet d'échange auquel l'Espagne paraît tenir + beaucoup: c'est M. le comte de Valde Pariso, ministre d'Espagne près + l'infant, qui le mande à M. le chevalier Azara. Il est à désirer que + la détermination de ce prince ne soit pas trop tardive, et que l'on + soit à temps pour traiter avec le roi de Sardaigne. + + Je ne vous envoie pas encore votre courrier, n'ayant rien de très + pressant à vous marquer. + + +Après son retour à Paris en décembre 1797, à la suite du meurtre du +général Duphot, Joseph reçut du Directoire l'offre de l'ambassade de +Berlin qu'il refusa pour entrer au conseil des Cinq-Cents dont il +venait d'être nommé membre par le collège du département du Liamone +(Corse). Napoléon étant parti pour l'expédition d'Égypte, les deux +frères entrèrent de nouveau en correspondance. + +Le 25 juillet 1798, Napoléon, étant au Caire, eut connaissance par +des lettres de Paris des bruits qui couraient sur Joséphine. Il en +éprouva un violent chagrin et écrivit à son frère Joseph la lettre +ci-dessous qui n'a pas été insérée dans la correspondance de +l'empereur et ne l'a été qu'en partie dans les _Mémoires du roi +Joseph_. La voici tout entière: + + + Tu verras dans les papiers publics le résultat des batailles et la + conquête de l'Égypte qui a été assez disputée pour ajouter une + feuille à la gloire militaire de cette armée. L'Égypte est le pays + le plus riche en blé, riz, légumes, viande, qui existe sur la terre; + la barbarie y est à son comble. Il n'y a point d'argent, pas même + pour solder les troupes. Je puis être en France dans deux mois.--Je + te recommande mes intérêts.--J'ai beaucoup de chagrin domestique, + car le voile est entièrement levé. Toi seul me restes sur la terre, + ton amitié m'est bien chère, il ne me reste plus pour devenir + misanthrope qu'à la perdre et te voir me trahir... C'est une triste + position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même + personne dans un seul coeur... Tu m'entends. + + Fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit près de + Paris ou en Bourgogne; je compte y passer l'hiver et m'y enfermer, + je suis ennuyé de la nature humaine! J'ai besoin de solitude et + d'isolement, les grandeurs m'ennuient, le sentiment est desséché. La + gloire est fade. À 29 ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus + qu'à devenir bien vraiment égoïste! Je compte garder ma maison, + jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n'ai plus que de quoi + vivre! Adieu, mon unique ami; je n'ai jamais été injuste envers toi! + Tu me dois cette justice malgré le désir de mon coeur de l'être... + Tu m'entends! Embrasse ta femme, Jérôme. + + +Au mois d'octobre 1802, Napoléon, qui déjà songeait à faire +participer avec lui ses frères aux affaires de l'État, écrivit à +Joseph une courte lettre dans laquelle se reflètent ses pensées sur +son frère aîné. La voici; elle n'a pas encore été publiée. + + + J'estime qu'il est utile à l'État et à moi que vous acceptiez la + place de chancelier, si le Sénat vous y présente. Je jugerai le cas + que je dois faire de votre attachement et de vous, par la conduite + que vous tiendrez. + + +Dans le premier volume des _Mémoires du roi Joseph_, on trouve un +fragment historique que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait écrit +pendant son séjour en Amérique. Il comprend la période qui s'écoule +de la naissance de Joseph à son arrivée à Naples (1806). À la page +97, il est question de la mort du duc d'Enghien. On a supprimé de ce +fragment les lignes suivantes que nous rétablissons: + + + Ma mère était tout en larmes, et adressait les plus vifs reproches + au premier consul qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que + c'était une action atroce dont il ne pourrait jamais se laver, qu'il + avait cédé aux conseils perfides de ses propres ennemis, enchantés + de pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page si horrible. Le + premier consul se retira dans son cabinet, et peu d'instants après + arriva Caulaincourt qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné de la + douleur de ma mère qui se hâta de lui en apprendre le sujet. À cette + fatale nouvelle, Caulaincourt se frappa le front et s'arracha les + cheveux en s'écriant: «Ah! pourquoi faut-il que j'aie été mêlé dans + cette funeste expédition!» + + Vingt ans se sont écoulés depuis cet événement et je me souviens + très bien que plusieurs des personnes qui cherchent aujourd'hui à se + laver d'y avoir pris part, s'en vantaient alors comme d'une fort + belle chose, et approuvaient hautement cet acte. Pour moi, j'en fus + très peiné à cause du respect et de l'attachement que je portais au + premier consul; il me parut que sa gloire en était flétrie. + + Quelques jours après, ma mère me dit qu'elle avait été assez + heureuse pour faire parvenir à une dame que le prince affectionnait, + son chien et quelques effets qui lui avaient appartenu. + + J'arrive maintenant au grand et important événement qui plaça la + couronne impériale sur la tête du premier consul; il s'écoula + plusieurs mois entre son élection et le couronnement. Pendant ce + temps, l'empereur, voulant entourer le trône de toute la dignité et + de tout le respect nécessaire au pouvoir monarchique, rétablit + l'ancienne étiquette et la fit observer avec soin. Dès ce moment je + cessai d'avoir des relations aussi intimes avec lui, et pendant + quelque temps je me trouvai par mon grade et par mes fonctions + relégué dans le salon d'attente le plus éloigné de ses appartements. + + Je n'en murmurai point et je concevais parfaitement que cela dût + être ainsi. Mais il ne manqua pas de gens, courtisans ou autres, + qui, sous le masque de l'intérêt, blâmèrent cette manière d'être de + Napoléon à mon égard. + + +En 1805, pendant que l'empereur Napoléon combattait les empereurs +d'Autriche et de Russie en Allemagne, Joseph, resté à Paris avec +pleins pouvoirs de son frère, écrivit le 19 novembre à ce dernier la +lettre ci-dessous, omise dans la _Correspondance_ et les _Mémoires_: + + + Jérôme est parti hier. J'avais dû lui donner lors de son premier + départ, il y a vingt jours, quarante mille francs. J'ai dû lui en + procurer soixante mille avant-hier, pour qu'il pût partir. Il lui + aurait été impossible sans cette somme de quitter Paris. Si Votre + Majesté veut faire donner l'ordre de me rembourser cette somme de + cent mille francs, elle me fera plaisir, parce que je ne suis pas + dans le cas d'en faire longtemps l'avance à Jérôme. Je suis honteux + d'entretenir Votre Majesté d'un si petit détail. + + +Napoléon trouva fort mauvais ce qu'avait fait Joseph et lui répondit +de Schoenbrunn, le 13 décembre 1805, la lettre suivante, également +omise: + + + Mon frère, j'ai lieu d'être surpris que vous ayez tiré des mandats + sur un préposé de ma liste civile. Je ne veux rien donner à Jérôme + au-delà de sa pension; elle lui est plus que suffisante et plus + considérable que celle d'aucun prince de l'Europe. Mon intention + bien positive est de le laisser emprisonner pour dettes, si cette + pension ne lui suffit pas. Qu'ai-je besoin des folies qu'on fait + pour lui à Brest? C'est de la gloire qu'il lui faut et non des + honneurs. Il est inconcevable ce que me coûte ce jeune homme pour ne + me donner que des désagréments et n'être bon à rien à mon système. + Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. + + Votre très-affectionné frère. + + +Joseph, voyant que son frère s'était mépris en partie sur ce qui +avait été fait à l'égard de Jérôme, écrivit de Paris le 22 décembre +1805: + + + Sire, j'ai reçu la lettre de Votre Majesté du 22 frimaire, + relativement à Jérôme. V. M. a été induite en erreur, je ne me suis + pas permis de tirer des mandats sur aucun des préposés de sa liste + civile, seulement j'ai demandé à M. Lemaître, préposé du trésorier, + s'il trouvait des inconvénients à avancer à Jérôme quatre mois de sa + pension; sur son hésitation, je lui ai dit que si M. Estève le + trouvait mal, je ferais remettre cette somme dans sa caisse + sur-le-champ. Voilà le fait. V. M. est trop juste pour ne pas voir + que je n'ai rien pris sur moi qui pût lui déplaire. Jérôme ne + pouvait partir sans argent et mon intendant n'avait pas un sol que + je puisse lui donner dans ce moment, au-delà des quarante mille + francs que je lui ai donnés précédemment. + + Je me suis plaint tout le premier au ministre de la police du + journaliste qui avait parlé des honneurs qu'on lui rendait. Sur mon + ordre, le ministre a fait défense aux autres journalistes de copier + cet article qui effectivement n'a pas été répété depuis. + + J'ai fait la même plainte au ministre de la marine qui m'a dit qu'il + avait une lettre de Jérôme qui démentait les assertions du + journaliste et qu'il était très satisfait de lui[7]. + + [Note 7: Jérôme, en effet, avait été reçu à Brest avec + beaucoup d'éclat. Il était difficile qu'il en fût autrement. + N'était-il pas le frère de l'empereur? Peut-être ce dernier + aurait-il été fort mécontent si son frère n'avait pas été + reçu avec les honneurs dus à son rang.] + + Je suis, etc. + + +Jusqu'alors aucun différend un peu sérieux ne s'était élevé entre +les deux frères. Napoléon écrivait avec quelque rudesse à son aîné, +mais toujours en lui montrant une grande affection. Ce fut quelque +temps après la création de l'empire et les succès de la campagne de +1805, lorsque la politique fut en jeu, que survint la première +mésintelligence sérieuse. + +Napoléon, une fois sur le trône, voulut mettre une couronne sur la tête +de Joseph et songea à fonder le royaume de Lombardie. L'aîné des +Bonaparte, peu ambitieux de sa nature, refusa obstinément, donnant pour +prétexte que son frère n'ayant pas d'enfant de son mariage avec +Joséphine, il ne voulait pas aliéner ses droits sur la couronne de son +propre pays. En vain l'empereur essaya-t-il de le faire revenir sur +cette résolution, Joseph s'obstina, et le royaume d'Italie ayant été +fondé, le beau-fils de Napoléon, le prince Eugène de Beauharnais, en fut +nommé vice-roi par l'empereur. Toutefois, ce n'était qu'une étape dans +les vastes projets du conquérant. Immédiatement après la bataille +d'Austerlitz et le traité de Presbourg, dès qu'il eut lancé de son camp +impérial de Schoenbrunn (27 décembre 1805) le manifeste par lequel il +déclarait à la face de l'Europe que les Bourbons de Naples avaient cessé +de régner sur cette partie de l'Italie, Napoléon nomma Joseph son +lieutenant-général dans le sud de la Péninsule, mit sous ses ordres +l'armée française destinée à faire la conquête de ce royaume, bien +décidé, une fois que son frère serait à Naples, à mettre la couronne des +Deux-Siciles sur sa tête. Il laissa donc d'abord Joseph faire la +conquête et entrer à Naples; puis, ce prince ayant demandé à avoir +auprès de lui pour les attacher à son service deux personnes qui lui +inspiraient une grande confiance, une véritable amitié, les conseillers +d'État Miot de Mélito et Roederer, l'empereur les lui envoya. Avant +d'expédier le premier, il le fit venir dans son cabinet et lui dit: + + + Vous allez partir pour rejoindre mon frère. Vous lui direz que je le + ferai roi de Naples, qu'il restera Grand Électeur et que je ne + changerai rien à ses rapports avec la France; mais dites-lui bien + aussi qu'il ne faut ni hésitation ni incertitude. J'ai dans le + secret de mon sein un autre tout nommé pour le remplacer, s'il + refuse. Je l'appellerai Napoléon. Il sera mon fils. C'est la + conduite de Joseph à Saint-Cloud, son refus d'accepter la couronne + de Lombardie, qui m'a fait nommer Eugène mon fils. Je suis résolu à + en faire un autre s'il m'y force encore. _Tous les sentiments + d'affection cèdent maintenant à la raison d'État. Je ne connais pour + parents que ceux qui me servent._ Ce n'est point au nom de Bonaparte + qu'est attachée ma famille, c'est au nom de Napoléon. Je n'ai pas + besoin d'une femme pour avoir un héritier. C'est avec ma plume que + je fais des enfants[8]. Je ne puis aimer aujourd'hui que ceux que + j'estime. Tous ces liens, tous ces rapports d'enfance, il faut que + Joseph les oublie; qu'il se fasse estimer; qu'il acquière de la + gloire; qu'il se fasse casser une jambe; qu'il ne redoute plus la + fatigue; ce n'est qu'en la méprisant qu'on devient quelque chose. + Voyez, moi, la campagne que je viens de faire, l'agitation, le + mouvement m'ont engraissé. Je crois que si tous les rois de l'Europe + se coalisaient contre moi, je gagnerais une panse ridicule. + + [Note 8: Nous adoucissons l'expression de l'empereur. Celle + dont il se servit en parlant au futur ministre de Naples ne + saurait être écrite. Cette conversation, recueillie par Miot + de Mélito au sortir de son audience de départ, se trouve + telle quelle dans le manuscrit de cet homme d'État.] + + Je donne à mon frère une bonne occasion. Qu'il gouverne sagement et + avec fermeté ses nouveaux États; qu'il se montre digne du trône que + je lui donne. Mais, ce n'est rien d'être à Naples où vous le + trouverez sans doute arrivé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de + résistance; il faut conquérir la Sicile. Qu'il pousse cette guerre + avec vigueur; qu'il paraisse souvent à la tête de ses troupes; qu'il + soit ferme, c'est le seul moyen de s'en faire aimer. Je lui + laisserai 14 régiments d'infanterie, 5 brigades de cavalerie, à peu + près 40,000 hommes. Qu'il m'entretienne cette partie de mon armée, + c'est la seule contribution que je lui demande. Surtout, qu'il + empêche X..... de voler. Je veux que ce qu'il fera payer aux peuples + du royaume de Naples tourne au profit de mes troupes et ne vienne + pas engraisser des fripons. Ce qui a été fait dans les États + vénitiens est épouvantable. Ce n'est point une affaire terminée. + Qu'il le renvoie donc à la première preuve qu'il aura de + malversation. + + Quant à Roederer, je n'ai pas voulu le refuser à mon frère. C'est un + homme d'esprit qui pourra lui être utile. Il est déjà assez riche. + Que mon frère ne laisse pas déshonorer son caractère. + + Vous avez entendu, je ne puis plus avoir de parents dans + l'obscurité. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seront plus de + ma famille. _J'en fais une famille de rois qui se rattacheront à mon + système fédératif._ + + +Ce discours familier tenu par Napoléon à l'ami, à l'un des futurs +ministres de Joseph, nous paraît résumer la pensée intime de +l'empereur et la ligne de conduite qu'il était décidé, dès ce jour, +à suivre avec ses frères. Nous allons voir du reste qu'il ne s'en +écarta plus. + +Les recommandations relatives à X....., l'empereur les adressa à son +frère à plusieurs reprises, notamment dans une lettre datée du 2 +mars 1806. Dans cette dépêche, un passage supprimé dans les +_Mémoires du roi Joseph_ a été rétabli dans la _Correspondance de +l'empereur_ (page 146, 12e volume). Le voici: «Soyez inflexible pour +les voleurs. X..... est haï de toute l'armée; vous devez bien vous +convaincre aujourd'hui que cet homme n'a pas l'élévation nécessaire +pour commander des Français.» + +L'empereur, dans une autre lettre à Joseph, exigea que ce dernier +fit rendre les millions pris dans les États vénitiens. Cette lettre, +en date du 12 mars, contient le passage suivant: + + + «X..... et Solignac ont détourné six millions quatre cent mille + francs, il faut qu'ils rendent jusqu'au dernier sou.» En la + recevant, Joseph, très-lié avec X....., le fit venir et lui demanda + de restituer de bonne grâce les millions qu'il avait détournés. + X..... ne paraissait pas disposé à ce sacrifice. «Écoute, lui dit le + roi de Naples, prends garde; tu connais mon frère, il te fera + fusiller. Si donc tu ne veux pas rendre l'argent, embarque-le avec + toi sur le navire américain en ce moment dans le port de Naples et + file dans le Nouveau-Monde. Si tu veux rendre, je te promets de te + faire donner par l'empereur une partie de ce que tu restitueras.» + X..... consentit enfin. Quelque temps après eut lieu la prise de + Gaëte. Reynier était fort embarrassé dans les Calabres. Joseph + demanda à X..... de s'y porter avec 30 mille hommes. X..... commença + par refuser si on ne lui laissait pas la faculté d'agir dans ce pays + comme bon lui semblait. En vain Joseph lui promit de lui faire + donner par l'empereur lui-même une grosse somme, il voulut rester + libre de faire ce qui lui conviendrait. + + +Cela n'empêchait pas Napoléon de rendre justice au mérite de X.....; +aussi écrivait-il au prince Eugène, le 30 avril 1809, après la +bataille de Sacile: «X..... a des talents militaires devant lesquels +il faut se prosterner. Il faut oublier ses défauts, car tous les +hommes en ont, etc.» Mais revenons à Joseph. + +Pendant presque tout le règne à Naples du frère aîné de l'empereur, +les relations entre les deux souverains furent affectueuses, surtout +pendant l'année 1806. De temps à autre, néanmoins, Napoléon lançait +dans ses lettres quelques mots de blâme à Joseph. Ainsi, le 24 juin +1806, il lui écrit de Saint-Cloud la lettre ci-dessous, omise dans +la _Correspondance_ et aux _Mémoires_: + + + J'ai reçu votre lettre du 15 juin. Je vous prie de bien croire que + toutes les fois que je critique ce que vous faites, je n'en apprécie + pas moins tout ce que vous avez fait[9]. + + [Note 9: C'était en quelque sorte un exorde à la lettre fort + dure que l'empereur devait écrire à son frère en date du 12 + novembre 1807, relative à la Sicile.] + + Je vois avec un grand plaisir la confiance que vous avez inspirée à + toute la saine partie de la nation. + + Je ne sais s'il y a beaucoup de poudre à Ancône et à Civita-Vecchia, + mais j'ai ordonné que, s'il y en avait, on vous en envoyât + sur-le-champ. + + Le roi de Hollande est arrivé à La Haye, il a été reçu avec grand + enthousiasme. + + Je vous ai déjà écrit pour l'expédition de Sicile qu'il fallait + débarquer la première fois en force. + + Je vous prie de mettre l'heure de départ de vos lettres, afin que je + voie si l'estafette fait son devoir, etc. + + +La reine Julie n'avait pu encore rejoindre son mari avec ses +enfants; le roi l'attendait avec impatience, et l'empereur désirait +son départ. Joseph lui écrivit la lettre suivante: + + + Ma chère Julie, j'ai reçu ta lettre du 11; je sais que ta santé + n'est pas bonne, pourquoi t'obstines-tu à aller le dimanche et le + lundi aux Tuileries? tu dois rester chez toi et ne t'occuper que du + rétablissement de ta santé; tu sais que rien ne lui est plus + nuisible que les veilles et la contrariété; reste donc chez toi avec + tes filles et ta soeur et tes nièces, amuse-toi avec elles, fais des + contes à Zénaïde, à Lolotte et à Oscar[10] et pense que c'est tout + ce que tu peux faire de mieux pour elles, pour toi et pour moi, + puisque tu rattrapes par là ta santé. + + [Note 10: Depuis roi de Suède.] + + Tout va bien ici, la ville est tranquille, je m'occupe beaucoup des + affaires et je vois avec plaisir que ce n'est pas sans succès; je + ferai l'expédition de Sicile dès que j'en aurai les moyens, mais tu + ne dois avoir aucune inquiétude pour moi. Cela fait, s'il entrait + dans les arrangements de l'empereur de marier Zénaïde ou Charlotte + avec Napoléon[11] au lieu d'un étranger, je m'estimerai heureux si, + par l'adoption de notre neveu, l'empereur réunissait sur lui seul + toutes ses affections, sans que mon honneur en fût blessé; je + demanderai d'être, moi, l'organe de sa volonté au Sénat; par ce + moyen je reviendrai vivre avec toi à Mortefontaine, et je + m'arracherai, avec plaisir, à cette vie que je ne mène que pour + obéir à l'empereur, soit qu'il me voulût à la tête d'une armée, soit + que s'y mettant lui-même, il me laissât le soin d'être l'organe de + sa volonté à Paris comme il l'a déjà fait une fois. Je crois que + l'intérêt de toute la famille, de l'empereur surtout, qui reste seul + exposé aux complots ennemis, toutes ces affections de mon coeur se + trouveraient réunies dans ce projet. + + [Note 11: Fils aîné du roi Louis.] + + Il est plus que probable que nous n'aurons pas de garçons; d'après + cela, qu'y a-t-il de plus glorieux pour moi que de centraliser avec + l'empereur toutes nos affections sur le même enfant qui devient + aussi le mien? Je crois que tu pourrais en dire deux mots à + l'empereur, s'il t'en offre l'occasion. + + Je le répète, il ne doit pas rester seul à Paris, la Providence m'a + fait exprès pour lui servir de sauvegarde, aimant le repos, pouvant + supporter l'activité, méprisant les grandeurs et pouvant porter leur + fardeau avec succès; quelles que soient les brouilleries qui ont + existé entre l'empereur et moi, il est vrai de dire, ma chère amie, + que c'est encore l'homme du monde que j'aime le mieux. Je ne sais + pas si un climat, des rivages en tout semblables à ceux que j'ai + habités avec lui m'ont rendu toute ma première âme pour l'ami de mon + enfance, mais il est vrai de dire que je me surprends pleurant mes + affections de 20 ans comme celles de quelques mois; si tu ne peux + pas venir tout de suite, envoie-moi Zénaïde; je donnerais tous les + empires du monde pour une caresse de ma grande Zénaïde et une + caresse de ma petite Lolotte; quant à toi, tu sais bien que je + t'aime comme leur mère et comme j'aime ma femme; si je puis réunir + une famille dispersée et vivre dans le sein de la mienne, je serai + content et je m'adonne à remplir toutes les missions que l'empereur + me donnera, comme général, gouverneur, pourvu qu'elles soient + temporaires, et que je conserve l'espoir de mourir dans un pays où + j'ai toujours voulu vivre. + + Je ne sais pas pourquoi je n'écris pas ceci à l'empereur, mais ce + sera la même chose si tu lui donnes cette lettre à lire, et je ne + vois pas pourquoi je ne lui donnerais pas mon âme à voir tout comme + à toi-même. + + +Le 28 juillet 1806, Napoléon, dans une autre lettre, reproche au roi +Joseph sa trop grande douceur et termine par cette phrase: «Ce +serait vous affliger inutilement que de vous dire tout ce que je +pense.» Et un _post-scriptum_: «Au milieu de tout cela, portez-vous +bien, c'est le principal.» + +Le 9 août, Napoléon dit à son frère, au milieu d'une longue lettre: +«Votre correspondance est régulière mais insignifiante.» Le 12 +novembre 1806, ayant appris que Joseph montrait quelquefois ses +lettres à ses amis, il termine celle qu'il lui écrit ce jour-là de +la manière suivante: «Peut-être ai-je tort de vous dire cela, mais +si vous montrez mes lettres pour des choses indifférentes, j'espère +que celle-ci sera oubliée par vous, immédiatement après que vous +l'aurez lue.» + +L'idée favorite de Napoléon était d'imposer à l'Europe un système +fédératif de rois pris dans sa famille. Il avait placé successivement +Joseph sur le trône de Naples, Louis sur le trône de Hollande, Jérôme +sur celui de Westphalie. Roi d'Italie, il avait fait son beau-fils, +Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un seul de ses frères, Lucien, +persistait à se montrer rebelle à l'attrait du pouvoir suprême, +préférant au sceptre une vie de famille douce et paisible. Depuis 1803, +il vivait à Rome dans une sorte d'exil, marié à une femme qui lui +convenait, mais que Napoléon ne voulait pas reconnaître pour sa +belle-soeur. Un mot sur l'existence de Lucien jusqu'à son entrevue avec +l'empereur à Mantoue, en 1807. + +Lucien était né à Ajaccio le 21 mars 1775. Obligé de se réfugier en +France par suite de la proscription que Paoli avait fait prononcer +contre la famille Bonaparte, Lucien, dont la mère était complètement +ruinée, sollicita et obtint un emploi dans l'administration des +subsistances de l'armée des Alpes-Maritimes, et, peu de temps après, +la place de garde-magasin des subsistances militaires de +Saint-Maximin, dans le département du Var. Reçu membre et bientôt +élu président de la Société populaire de cette ville, Lucien épousa +Mlle Christine Boyer, qui appartenait à une famille peu aisée mais +très honorable du pays. Nommé à la fin de 1795 commissaire des +guerres, il fut envoyé deux ans et demi après, par le département de +Liamone, au Conseil des Cinq-Cents en qualité de député de la Corse. + +Lucien n'avait alors que vingt-trois ans: l'âge légal exigé par la +Constitution était vingt-cinq ans; mais la commission chargée de la +vérification des pouvoirs, soit par sympathie pour le nouveau +membre, soit par considération pour le général Bonaparte qui venait +de conquérir l'Italie, passa sur l'illégalité de sa nomination. + +Lucien était né orateur: quelques jours lui suffirent pour faire +apprécier la puissance de sa parole. Il combattit avec force et +succès le Directoire, et ne cessa de signaler à la France les +conséquences inévitables des violations journalières faites à la +Constitution. Ce fut lui qui fit accorder des secours aux veuves et +aux enfants des soldats morts sur le champ de bataille, qui fit +repousser l'impôt que le gouvernement voulait établir sur le sel et +sur les denrées de première nécessité, et qui décida le Conseil, le +22 septembre 1798, à renouveler son serment de fidélité à la +Constitution de l'an III. Convaincu qu'il sauvait la République en +arrachant le pouvoir aux hommes du Directoire, Lucien, qui venait +d'être porté à la présidence des Cinq-Cents, seconda de toutes ses +forces le projet de son frère Napoléon. Ce fut lui qui décida, par +l'énergie de son caractère et la puissance de sa parole, le succès +des journées du 18 et du 19 brumaire. Nommé membre du Tribunat, +institué par la constitution consulaire, et peu de temps après +ministre de l'intérieur en remplacement de Laplace, Lucien déploya +dans cette nouvelle position toutes les ressources de son esprit, et +marqua son ministère par plusieurs actes importants. Ce fut sous son +administration que les préfectures furent définitivement organisées +et que les arts et les sciences, négligés par le gouvernement +directorial, attirèrent de nouveau l'attention et la sollicitude du +pouvoir. Envoyé en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire +de la République, il décida Charles IV à s'allier étroitement à la +France, força le Portugal à signer, le 29 novembre 1801, le traité +de Badajoz, conclut avec les deux pays plusieurs conventions très +avantageuses à la France, et prit enfin une part importante à la +création du royaume d'Étrurie et à la cession faite à la France des +duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla. + +Rentré en France au commencement de 1802, Lucien fut chargé par son +frère de présenter le Concordat à la sanction du Tribunat; il +prononça, à cette occasion, un discours remarquable, dont la sagesse +et la modération furent louées par tout le monde. Le 18 mai suivant, +il fit adopter le projet d'institution de la Légion d'honneur; son +discours, plein de vues supérieures, obtint les applaudissements de +toute l'assemblée. Lucien fut nommé grand officier et membre du +grand conseil d'administration de l'ordre et enfin membre du Sénat. +Peu de temps après, l'Institut national, réorganisé sous ses +auspices par décret du 3 février 1803, l'élisait membre de la +classe des langues et de la littérature. + +Lucien aimait réellement la République; il y voyait le salut de la +France et le seul gouvernement compatible avec les circonstances. +Ses vues différaient de celles du premier consul, et plus d'une fois +cette différence avait provoqué de violentes discussions entre les +deux frères. Également tenaces, également convaincus de la +supériorité de leurs idées, Napoléon et Lucien défendirent leurs +opinions politiques avec la même force; et, comme on devait le +prévoir, n'ayant pu se convaincre mutuellement, ils se brouillèrent. +Une affaire de famille acheva de séparer les deux frères. Lucien +avait perdu sa femme, à peine âgée de vingt-six ans. Il voulait +épouser Mme Alexandrine de Bleschamp, alors une des femmes les plus +belles et les plus spirituelles de Paris, veuve de M. Jouberthon, +mort à Saint-Domingue où il avait suivi l'expédition du général +Leclerc. Le premier consul, soit qu'il prévît les grandes destinées +réservées à ses frères et soeurs, soit qu'il eût des vues secrètes +pour Lucien, voulut s'opposer au mariage de son puîné; mais Lucien +épousa malgré lui la femme qu'il avait choisie. La rupture fut alors +complète entre les deux frères. Lucien quitta la France au mois +d'avril 1804, et alla se fixer à Rome, où il fut accueilli avec la +plus haute bienveillance par le vénérable Pie VII. + +L'empereur cependant n'avait pas renoncé à faire rentrer dans son +système le seul de ses frères qui s'obstinât à ne pas s'y associer. +Il fit faire officieusement par Joseph des avances à Lucien, +lorsqu'à la fin de 1807, il se rendit lui-même à Milan pour ceindre +la couronne de fer. Joseph, ayant vu Lucien à Modène, écrivit de +cette ville à l'empereur, le 11 décembre 1807: + + + J'ai rencontré Lucien à Modène; il était fort empressé de se rendre + auprès de vous, surtout d'après les dispositions de bonté dans + lesquelles je lui ai dit que vous étiez pour lui et pour celle de + ses enfants en âge d'être établie. Il vient vous en remercier et il + est décidé à l'envoyer à Paris dès que vous le jugerez nécessaire. + + Il persiste dans les assurances qu'il m'avait déjà données à mon + passage à Rome que, content de son état, il ne désirait en sortir + qu'autant que cela pourrait être utile aux vues de Votre Majesté sur + sa dynastie et compatible avec le devoir qu'il s'est imposé de ne + point abandonner une femme qu'il ne dépend plus de lui aujourd'hui + de ne pas avoir, qui lui a donné quatre enfants et dont il n'a qu'à + se louer infiniment depuis qu'il vit avec elle. + + Quelles que soient les observations que je lui aie faites; quelque + fortes que m'aient semblé les raisons que je lui ai données, je n'ai + pu en tirer autre chose sinon qu'il avait mis son honneur à ne + désavouer ni sa femme, ni ses enfants, et qu'il lui était impossible + de se déshonorer, ne fût-ce qu'à ses propres yeux. Du reste, prêt à + saisir tous les moyens qu'il vous plairait de lui offrir pour sortir + de l'état de nullité dans lequel il est. Il trouve juste que vous ne + lui donniez aucun droit à l'hérédité en France, puisque vous ne + reconnaissez pas les enfants nés de son mariage; mais qu'il lui + semblait que dans un établissement étranger, les considérations + politiques n'étaient pas les mêmes et que votre indulgence pourrait + bien laisser partager cet établissement, quel qu'il fût, à sa femme + et à ses enfants. + + Sur ce qu'il m'a dit qu'ils étaient sur le point de se mettre en + route pour aller se jeter à vos pieds, je l'en ai dissuadé et l'ai + engagé à envoyer un courrier qui suspendît leur départ. + + Je suis fâché de n'avoir pas autre chose à vous apprendre; mais Dieu + est grand et miséricordieux et je reconnais tous les jours davantage + qu'avec autant de bonté que moi, vous avez tant de ressources dans + l'esprit que tout ce dont vous vous mêlez doit réussir. Je fais bien + des voeux pour cela. + + +À la réception de cette lettre, Napoléon fit dire à Lucien de se +rendre à Mantoue où lui-même irait le trouver. + +Les deux frères se revirent après quatre ans de séparation. +Napoléon, nous l'avons dit, regrettait l'éloignement de Lucien et +par raison politique et par esprit de famille. Il n'avait pas +renoncé à obtenir de lui une modification dans sa ligne de conduite, +en s'adressant de nouveau à son ambition. Mais il voulait d'abord le +détacher de sa femme comme il l'avait fait pour Jérôme, époux de +l'Américaine Patterson. + +Les deux frères arrivèrent à Mantoue le 13 décembre 1807, presque au +même moment. À peine arrivé, Lucien se rendit au palais et monta à +l'appartement de l'empereur, qui vint au-devant de lui en lui +tendant la main avec émotion. Lucien la baisa, puis les deux frères +s'embrassèrent. Restés seuls, Napoléon aborda franchement la +conversation et fit connaître ses projets sans le moindre détour. Le +royaume d'Italie fut offert à Lucien; mais celui-ci, sans dire qu'il +accepterait dans aucun cas, fit observer à son frère que, roi de ce +pays, il exigerait immédiatement l'évacuation des troupes françaises +et suivrait la politique qui lui semblerait la plus profitable à la +nation italienne. C'était suffisamment dire qu'il régnerait pour lui +et non suivant les vues de Napoléon; cela ne pouvait convenir à +l'empereur. Celui-ci lui offrit alors le grand-duché de Toscane. +Sans se prononcer sur cette proposition, Lucien répondit que, s'il +devenait duc de Toscane, il marcherait sur les traces de Léopold, +dont la mémoire était restée si chère aux Toscans. En d'autres +termes, il déclarait cette fois encore qu'il ne gouvernerait que +dans l'intérêt de ses sujets. Du reste, dans la pensée de Napoléon, +l'offre de la Toscane, comme celle de la couronne d'Italie, était +subordonnée à la condition que Lucien divorcerait avec Mme +Alexandrine de Bleschamp. Lucien repoussa cette demande avec +indignation. Napoléon s'emporta; dans sa colère, il brisa une montre +en disant qu'il saurait briser de même les volontés qui +s'opposeraient à la sienne; il alla même jusqu'à menacer Lucien de +le faire arrêter; Lucien répondit avec dignité à cette menace: «Je +vous défie de commettre un crime.» Peu d'instants après, les deux +frères se séparèrent, Lucien pour retourner à Rome, Napoléon pour se +rendre à Milan. + +À la suite de cette entrevue et de cette scène violente, Napoléon +écrivit à Joseph: + + + Mon frère, j'ai vu Lucien à Mantoue, j'ai causé avec lui pendant + plusieurs heures; il vous aura sans doute mandé la disposition dans + laquelle il est parti. Ses pensées et sa langue sont si loin de la + mienne que j'ai eu peine à saisir ce qu'il voulait; il me semble + qu'il m'a dit qu'il voulait envoyer sa fille aînée à Paris près de + sa grand'mère. S'il est toujours dans ces dispositions, je désire en + être sur-le-champ instruit, et il faut que cette jeune personne soit + dans le courant de janvier à Paris, soit que Lucien l'accompagne, + soit qu'il charge une gouvernante de la conduire à Madame. Lucien + m'a paru être combattu par différents sentiments et n'avoir pas + assez de force de caractère pour prendre un parti. Toutefois, je + dois vous dire que je suis prêt à lui rendre son droit de prince + français, à reconnaître toutes ses filles comme mes nièces, + toutefois qu'il commencerait par annuler son mariage avec Mme + Jouberthon, soit par divorce, soit de toute autre manière. Dans cet + état de choses, tous ses enfants se trouveraient établis. S'il est + vrai que Mme Jouberthon soit aujourd'hui grosse, et qu'il en naisse + une fille, je ne vois pas d'inconvénient à l'adopter, si c'est un + garçon, à le considérer comme fils de Lucien, mais non d'un mariage + avoué par moi, et celui-là je consens à le rendre capable d'hériter + d'une souveraineté que je placerais sur la tête de son père, + indépendamment du rang où celui-ci pourra être appelé par la + politique générale de l'État, mais sans que ce fils puisse prétendre + à succéder à son père dans son véritable rang, ni être appelé à la + succession de l'Empire français. Vous voyez que j'ai épuisé tous + les moyens qui sont en mon pouvoir de ramener Lucien (qui est + encore dans sa première jeunesse), à l'emploi de ses talens pour moi + et la patrie, je ne vois point ce qu'il pourrait actuellement + alléguer contre ce système. Les intérêts de ses enfants sont à + couvert, ainsi donc j'ai pourvu à tout. Le divorce une fois fait + avec Mme Jouberthon et Lucien établi en pays étranger, Mme + Jouberthon ayant un grand titre à Naples ou ailleurs, si Lucien veut + l'appeler près de lui, pourvu que ce ne soit pas jamais en France + qu'il veuille vivre avec elle, non comme avec une princesse sa + femme, et dans telle intimité qu'il lui plaira, je n'y mettrai point + d'obstacle, car c'est la politique seule qui m'intéresse; après cela + je ne veux point contrarier ses goûts ni ses passions. Voilà mes + propositions. S'il veut m'envoyer sa fille, il faut qu'elle parte + sans délai, et qu'en réponse il m'envoie une déclaration que sa + fille part pour Paris et qu'il la met entièrement à ma disposition, + car il n'y a pas un moment à perdre; les événements se pressent, et + il faut que mes destinées s'accomplissent. S'il a changé d'avis, que + j'en sois également instruit sur-le-champ, car j'y pourvoirai d'une + autre manière, quelque pénible que cela fût pour moi, car pourquoi + méconnaîtrais-je ces deux jeunes nièces qui n'ont rien à faire avec + le jeu des passions dont elles ne peuvent être les victimes? Dites à + Lucien que sa douleur et la partie des sentiments qu'il m'a + témoignées m'ont touché, et que je regrette davantage qu'il ne + veuille pas être raisonnable et aider à son repos et au mien. Je + compte que vous aurez cette lettre le 22. Mes dernières nouvelles de + Lisbonne sont du 28 novembre. Le prince-régent s'était embarqué pour + se rendre au Brésil; il était encore en rade de Lisbonne; mes + troupes n'étaient qu'à peu de lieues des forts qui ferment l'entrée + de la rade. Je n'ai point d'autre nouvelle d'Espagne que la lettre + que vous avez lue. J'attends avec impatience une réponse claire et + nette surtout pour ce qui concerne Lolotte. + + Votre affectionné frère. + + _P.-S._--Mes troupes sont entrées le 30 novembre à Lisbonne, le + prince royal est parti sur un vaisseau de guerre, j'en ai pris cinq + et six frégates. Le 2 décembre, tout allait bien à Lisbonne. Le 6 + décembre, l'Angleterre a déclaré la guerre à la Russie. Faites + passer cette nouvelle à Corfou. La reine de Toscane est ici. Elle + veut s'en aller à Madrid. + + Milan, 20 décembre à minuit 1807. + + +À l'époque où cette lettre fut écrite, l'empereur commençait à se +préoccuper des affaires d'Espagne. L'héritier présomptif du trône, +Ferdinand, fils de Charles IV, lui avait fait faire des ouvertures +pour obtenir la main d'une Bonaparte. Napoléon avait eu l'idée de +donner à ce prince, prêt à se jeter dans ses bras, la fille de +Lucien. C'est ce qui explique la lettre ci-dessus. + +Au reçu de cette lettre, Joseph écrivit à Lucien qui lui répondit et +dont il envoya la lettre à l'empereur le 31 décembre avec celle-ci: + + + Sire, + + Je vous envoye la réponse que j'ai reçue de Lucien, il veut mener sa + fille lui-même jusqu'à Pescara où il la remettra à la personne que + vous aurez chargée de la conduire à Milan. J'ai fait inutilement + l'impossible pour obtenir davantage de lui, pour son propre bien, + pour celui de sa famille, et pour répondre aux vues paternelles de + Votre Majesté. + + Sa femme n'est pas décidément enceinte, ce que l'on avait dit n'est + pas vrai. + + +Bientôt, en vertu des ordres de l'empereur, eut lieu l'expédition de +Rome et la prise de possession de la ville éternelle par les troupes +du général Miollis, le Saint-Père s'étant refusé à observer le +blocus continental. Lucien se trouvait encore à Rome. Il écrivit à +Joseph pour le prier de demander à l'empereur l'autorisation de se +retirer près de Naples. Joseph manda à l'empereur le 4 février 1808: + + + Je reçois vos lettres du 26. Nos troupes sont entrées à Rome. Lucien + me demande à se retirer dans une campagne aux environs de Naples + avec sa famille; il me dit qu'il n'est pas en sûreté à Rome, que la + populace croit qu'il a été décidé par Votre Majesté, lors de son + entretien avec elle à Mantoue, que les États du Pape lui seraient + donnés. Je lui réponds qu'il ne m'est pas possible d'y voir sa + femme, que je l'y verrai avec mes nièces si cela est utile à sa + santé, que je croyais devoir vous en écrire, que les troupes + françaises étant à Rome, je ne voyais pas ce qu'il avait à craindre + s'il voulait y rester. + + +Le 11 mars, l'empereur répondit de Saint-Cloud à Joseph: + + + Mon frère, Lucien se conduit mal à Rome, jusqu'à insulter les + officiers romains qui prennent parti pour moi, et se montrer plus + romain que le pape. Je désire que vous lui écriviez de quitter Rome + et de se retirer à Florence ou à Pise. Je ne veux point qu'il + continue à rester à Rome, et s'il se refuse à ce parti je n'attends + que votre réponse pour le faire enlever. Sa conduite a été + scandaleuse, il se déclare mon ennemi et celui de la France; s'il + persiste dans ces sentimens, il n'y a de refuge pour lui qu'en + Amérique. Je lui croyais de l'esprit, mais je vois que ce n'est + qu'un sot. Comment à l'arrivée des troupes françaises pouvait-il + rester à Rome? Ne devait-il pas se retirer à la campagne? Bien plus, + il s'y met en opposition avec moi. Cela n'a pas de nom. Je ne + souffrirai pas qu'un Français et un de mes frères soit le premier à + conspirer et à agir contre moi avec la prêtraille. + + Votre affectionné frère. + + +L'empereur exigea que son frère Lucien quittât Rome pour aller +s'établir avec les siens à Florence, et Joseph fut chargé de veiller +à ce changement de résidence qui eut lieu à la fin d'avril 1808. + +Lucien, fatigué des tracas que lui suscitait Napoléon, fut sur le +point de se rendre en Amérique avec les siens. Il fit part de ce +projet à l'empereur et à Joseph. Ce dernier lui répondit le 15 mai +1808: + + + J'ai reçu ta lettre, mon cher Lucien, j'espère que la réponse que tu + auras attendue de l'empereur te fera changer de résolution et que tu + pourras rester en Europe. Je fais des voeux pour que cela soit ainsi + et que tu sois plus heureux dans tes relations directes que tu ne + l'as été par mon intermédiaire. + + S'il en était autrement et que tu partisses réellement, ce qui me + paraît un événement déplorable, tu ne dois pas douter que je ne + remplisse tes vues. Je t'embrasse bien tendrement avec ta famille et + j'espère que l'immensité des mers ne m'ôtera pas la possibilité de + t'embrasser en réalité bientôt. + + +Ce projet, abandonné alors, fut repris par Lucien en août 1810. Le +10 de ce mois, il s'embarqua pour l'Amérique avec sa famille à bord +du trois-mâts l'_Hercule_, frété par lui pour le voyage. Le bâtiment +avait à peine dépassé la Sardaigne que, rencontré par les croisières +anglaises, il fut capturé. Lucien et les membres de sa famille, +déclarés prisonniers de guerre, furent conduits à Malte où ils +arrivèrent le 24 août, puis transférés en Angleterre où ils +débarquèrent le 28 décembre. Ils furent relégués à Ludlow +(principauté de Galles). + +Pendant son règne à Naples, Joseph eut encore à supporter, à +plusieurs reprises, des rebuffades de son frère; ainsi le 12 +novembre 1807, à propos de l'expédition de Sicile, Napoléon lui +écrivit de Fontainebleau: + + + Mon frère, je vois par votre lettre du 3 que vous avez 74,000 hommes + soit Français, soit Napolitains, soit Suisses; et cependant, avec + ces forces, vous n'êtes pas maître de Reggio et de Scylla; cela est + par trop honteux. Je vous réitère de prendre Reggio et Scylla; si + vous ne le faites pas, j'enverrai un général pour commander mon + armée, ou je retirerai mon armée du royaume de Naples. Quant aux + polissons que vous avez autour de vous, qui n'entendent rien à la + guerre et qui donnent des avis de l'espèce que je vois dans les + mémoires qu'on me met sous les yeux, vous devriez m'écouter de + préférence[12]. Quand votre général est venu me trouver à Warsovie, + je lui ai déjà dit alors: comment souffrez-vous que les Anglais + s'établissent à Reggio et à Scylla? Vous n'avez à combattre que + quelques brigands; et les Anglais communiquent avec eux et occupent + les points les plus importants du continent d'Italie. Cela me + révolte. Cette occupation d'ailleurs tranquillise les Anglais sur la + Sicile; ils n'ont rien à craindre tant qu'ils ont ces deux points, + et dès lors leurs troupes de Sicile peuvent entreprendre impunément + tout ce qu'elles veulent. Mais il paraît, vous et vos généraux, que + vous vous estimez heureux que les Anglais veuillent bien vous + laisser tranquilles dans votre capitale. Ils ont 8,000 hommes et + vous en avez 74,000. Depuis quand les Français sont-ils si moutons + et si inertes? Ne répondez à cette lettre qu'en m'apprenant que vous + avez fait marcher des troupes et que Reggio et Scylla + m'appartiennent. Avec l'armée que vous avez, je voudrais non + seulement défendre le royaume de Naples et prendre Reggio et Scylla, + mais encore garder les États du Pape et avoir les trois quarts de + mes troupes sur l'Adige. Du reste, vous n'avez des brigands dans le + royaume de Naples que parce que vous gouvernez mollement. Songez que + la première réputation d'un prince est d'être sévère, surtout avec + les peuples d'Italie. Il faut aussi en chercher la cause dans le + tort qu'on a eu de ne point captiver les prêtres, en ce que l'on a + fait trop tôt des changemens; mais enfin, cela n'autorise pas mes + généraux à souffrir qu'en présence d'une armée aussi puissante les + Anglais me bravent. Je ne me donne pas la peine de vous dire comment + il faut disposer vos troupes; cela est si évident. Parce que le + général Reynier a eu un événement à Meida[13], ils croient qu'on ne + peut aller à Reggio qu'avec 100,000 hommes. Il est permis de n'être + pas un grand général, mais il n'est pas permis d'être insensible à + un tel déshonneur. Je préférerais apprendre la mort de la moitié de + mes soldats et la perte de tout le royaume de Naples, plutôt que de + souffrir cette ignominie. Pourquoi faut-il que je sois obligé de + vous dire si fortement une chose si simple?--Quand vous enverrez + 10,000 hommes à Reggio et à Scylla, et que vous en conserverez 6,000 + à Cassano et à Cosenzia, que diable craignez-vous de toutes les + armées possibles de l'Angleterre? Quant à Naples, la moitié de vos + gardes suffit pour mettre la police dans cette ville, et pour la + défendre contre qui que ce soit. Je suppose que vous n'aurez pas + laissé Corfou sans le 14e, et que vous avez fait exécuter + ponctuellement les ordres que je vous ai donnés. Vous avez une + singulière manière de faire. Vous tenez vos troupes dans les lieux + où elles sont inutiles, et vous laissez les points les plus + importants sans défense.--Votre femme est venue me voir hier. Je + l'ai trouvée si bien portante que j'ai été scandalisé qu'elle ne + partît point, et je le lui ai dit, car je suis accoutumé à voir les + femmes désirer d'être avec leurs maris. + + [Note 12: Joseph avait envoyé à son frère plusieurs mémoires + dans lesquels était traitée la question de l'expédition de + Sicile, et où étaient exposées les difficultés qu'elle + présentait.] + + [Note 13: Le général avait été repoussé et avait subi un + petit échec sans importance.] + + Votre affectionné frère. + + _P. S._--Ne me répondez pas à cette lettre que Reggio et Scylla ne + soient à vous. + + +Ces reproches, peu mérités par Joseph et que son frère lui adressait +pour l'exciter à terminer la conquête de la Sicile, n'empêchaient +pas Napoléon de lui écrire quelques jours plus tard, le 22 du même +mois, pour lui annoncer son arrivée à Milan et lui faire connaître +son désir de le voir. Dès l'année précédente, l'empereur, voyant +combien ses lettres, souvent acerbes, produisaient d'effet sur son +frère et lui faisaient de peine, lui avait écrit la lettre du 24 +juin 1806 que nous avons donnée plus haut. + +Le 17 février 1808, Napoléon adressa de Paris à Joseph la lettre +suivante[14]: + + [Note 14: Inutile de dire que ces lettres ne se trouvent ni + dans la _Correspondance_ de l'empereur ni dans les _Mémoires_ + de Joseph.] + + + Mon frère, je reçois votre lettre du 11. Je ne conçois pas que vous + n'ayez pas voulu recevoir les cardinaux et que vous ayez eu l'air + d'aller contre ma direction. Je ne vois pas de difficulté que le + cardinal Ruffo de Scylla, archevêque de Naples, soit envoyé à + Bologne; que le cardinal qui commandait les Calabrais soit envoyé à + Paris et que ceux que vous ne voudrez pas garder soient envoyés à + Bologne. Mais il faut d'abord envoyer quelqu'un à Gaëte pour y + recevoir leur serment, et ensuite les faire conduire en Italie. + + _P.-S._--Je suis surpris que les prêtres à Naples osent bouger. + + +Le blâme contenu dans cette dépêche devint beaucoup plus vif +quelques jours après, lorsque Napoléon apprit par un rapport du +général Miollis, commandant les troupes françaises à Rome, que +Salicetti, le ministre de la police de Naples, avait osé contrevenir +à ses ordres. Aussi, le 25 mars, envoya-t-il, par courrier +extraordinaire, à son frère Joseph, la lettre suivante, où son +mécontentement est exprimé de la façon la plus rude: + + + Je ne puis qu'être indigné de cette lettre de Salicetti[15]. Je + trouve fort étrange qu'on répande qu'on mettra en liberté à + Terracine des hommes que j'ai ordonné qu'on conduise à Naples. Il + faut avouer qu'on est à Naples bien bête ou bien malveillant. Ces + contre-ordres et cette ridicule opposition font sourire la cour de + Rome et sont plus nuisibles à Naples qu'ailleurs. J'ai envoyé les + cardinaux napolitains à Naples pour y prêter le serment à leur + souverain légitime. Cette formalité est nécessaire pour que je les + reconnaisse pour cardinaux. Si vous redoutiez leur présence à + Naples, il fallait les envoyer à Gaëte et préposer quelqu'un pour + recevoir leurs serments. Après cela, vous pouviez en faire ce que + vous vouliez. Je ne voyais pas d'inconvénient à les laisser à + Naples. Tant de faiblesse et d'ineptie, je ne suis pas accoutumé à + les voir où je commande; mais enfin s'il y avait de l'inconvénient à + recevoir leur serment à Naples, il n'y en a point à Gaëte. Si vous + avez voulu montrer à l'Europe votre indépendance, vous avez choisi + là une sotte occasion. Ces prêtres sont des gens contre lesquels je + me fâche pour vous. Vous pouvez bien être roi de Naples, mais j'ai + droit de commander un peu où j'ai 40,000 hommes. Attendez que vous + n'ayez plus de troupes françaises dans votre royaume pour donner des + ordres contradictoires aux miens, et je ne vous conseille pas de le + faire souvent. Rien, je vous le répète, ne pouvait m'être plus + désagréable que de voir contredire ouvertement les mesures que je + prends pour mettre Rome à la raison. Si c'est Roederer ou Miot qui + vous a donné ces conseils, je ne m'en étonne pas, ce sont des + imbéciles. Mais si c'est Salicetti, c'est un grand scélérat, car il + a trop d'esprit pour ne pas sentir combien cela est délicat. Le + _mezzo termine_ de retenir les cardinaux dans une place frontière + était si simple. + + [Note 15: Lettre du ministre Salicetti au général Miollis, + datée de Naples le 13 mars 1808.] + + +Cette lettre de Napoléon, datée du 25 mars, fut une des dernières +que l'empereur écrivit à son frère Joseph à Naples. Au commencement +de mai l'empereur demanda à son frère Louis de renoncer à la +couronne de Hollande pour prendre celle d'Espagne. Louis ayant +rejeté cette proposition, Napoléon résolut de placer Joseph sur le +trône de Charles IV et de donner celui de Naples à Murat, son +beau-frère. Il écrivit à Joseph de se rendre à Bayonne, ce que +celui-ci fit dans les premiers jours de juin, tout en regrettant +d'abandonner le royaume de Naples et le beau ciel d'Italie. + + +(1808-1814). + +Jusqu'au jour où, contraint par son frère, Joseph consentit à +échanger le royaume de Naples contre celui de Madrid, les différends +entre Napoléon et lui eurent peu d'importance. Napoléon avait pour +son aîné la plus réelle affection; Joseph aimait et admirait +Napoléon. Néanmoins, si le premier prétendait faire servir à ses +vastes projets toutes les forces vives des États dont il avait doté +son frère, ce dernier, pas plus que Louis, et même parfois Jérôme, +ne voulait consentir à abandonner entièrement les intérêts de son +peuple pour épouser complètement ceux de la France. Le blocus +continental tuait le commerce de la nation hollandaise qui ne vivait +que par le commerce; les levées, en Espagne, et l'entretien +dispendieux d'une armée nationale ou d'une nombreuse armée +française, n'allaient pas tarder à épuiser la Péninsule déjà ruinée +par son ancien gouvernement. Pour faire sortir de l'abîme ces deux +pays, il fallait de l'argent. Or, Napoléon n'en voulait pas donner +aux rois ses frères, et entendait au contraire que la majeure partie +de leurs contributions vint augmenter le trésor français. Il les +mettait donc dans la position la plus précaire. Ils étaient obligés +de résister aux exigences du souverain de la France, non seulement +par amour-propre royal, non seulement pour conserver un peu de +l'affection de leurs sujets, mais encore parce qu'ils ne pouvaient +pas faire autrement, les sources de la prospérité étant taries. + +Nous allons voir Joseph aux prises avec des difficultés +insurmontables et réduit aux plus dures extrémités, désirant, dès la +première année de son séjour à Madrid, quitter l'Espagne, regrettant +Naples où il avait fait un peu de bien, s'était acquis de grandes +sympathies et n'osant, comme le fit Louis, abdiquer, pour ne pas +paraître abandonner un frère qui, enivré de ses victoires, +commençait à soulever contre lui l'Europe, dont il voulait, en +quelque sorte, faire la vassale de la France. + +La junte assemblée à Bayonne et ouverte le 15 juin 1808, sous la +présidence de M. Azanza, ayant adopté pour l'Espagne la constitution +qui lui avait été présentée, ses membres, à la suite de cette mise +en scène, persuadèrent facilement à Joseph que la nation tout +entière accueillerait avec enthousiasme le nouveau souverain, frère +du plus grand génie, du plus puissant monarque du monde. Le nouveau +roi franchit la frontière et entra en Espagne par Saint-Sébastien +dans les premiers jours de juillet 1801[16], plein de confiance et +d'espérance. Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'on l'avait induit en +erreur et que les sentiments de la nation étaient loin d'être tels +que les lui avaient décrits à Bayonne des gens intéressés à le +tromper, ou à se tromper. Cela ressort de différents passages des +lettres de Joseph à l'empereur, passages omis dans les _Mémoires_ de +ce prince. Ainsi, dans une lettre en date de Miranda, 14 juillet +1808, il écrit à Napoléon: «_Il y a des assassins sur la route._» +Dans une autre de Burgos, 18 juillet, on lit: + + [Note 16: Dans leur dernière entrevue à Bayonne, et au moment + de se séparer de Joseph, Napoléon détacha de sa poitrine une + petite croix d'officier de la Légion d'honneur qu'il portait + sur son uniforme des chasseurs de sa garde, et qu'il avait + pendant les campagnes de 1805, de 1806, de 1807, à + Austerlitz, à Iéna, à Friedland. Il la donna à son frère qui + la porta toujours et, à sa mort, la donna à son exécuteur + testamentaire, M. Louis Maillard, auquel il ordonna de la + prendre immédiatement après son décès; ce qui fut fait.] + + + On n'a pu trouver un guide en offrant de l'or à pleines mains. Il y + a peu de jours, un orfèvre de Madrid a poignardé de sa propre main + trois Français dans un seul jour; à Miranda, avant-hier, un seul + homme a arrêté une voiture dans laquelle se trouvaient un Espagnol + et trois Français. Ces trois derniers ont été poignardés et n'ont + point été dépouillés. Ce dernier fait s'est passé sur la grande + route. + + +Le 21 juillet, le lendemain de son arrivée à Madrid et de la prise +de possession du palais de l'Escurial, Joseph mandait à l'empereur: +«Vous vous persuaderez que les dispositions de la nation sont +unanimes _contre tout ce qui a été fait à Bayonne_[17].» Il entre +ensuite dans les détails caractéristiques suivants: + + [Note 17: À propos de ce qui avait été convenu à Bayonne, + nous ne devons pas oublier de mentionner ici un article + secret, le XIe, du traité de renonciation de Charles IV à la + couronne d'Espagne; le voici: + + S. M. le roi Charles IV disposera _comme bon lui semblera_ + des diamants de la couronne d'Espagne qui étaient à son usage + et à celui de la reine.] + + + Il y avait 2000 hommes employés dans les écuries royales. _Tous_, à + la même heure, ont tenu le même langage et se sont retirés. Je n'ai + pas trouvé un seul postillon dans toutes les écuries, à compter + d'hier matin à 9 heures. Les paysans brûlent les roues de leurs + voitures, afin de n'être pas obligés aux transports. Les domestiques + mêmes, des gens qui étaient soupçonnés de vouloir me suivre, les ont + abandonnés, etc., etc..... + + +Bientôt l'empereur comprit qu'il devait se rendre lui-même en +Espagne et y prendre le commandement de ses armées, s'il voulait +pacifier ce malheureux pays soulevé de toutes parts contre les +Français et où l'Angleterre allait faire débarquer des troupes. +Partout on assassinait les Français, et des généraux, profitant du +pillage auquel se livrait souvent le soldat, exigeaient des +indemnités, prélevaient des impôts à leur profit. + +Ainsi on lit dans une lettre de Joseph à son frère, en date du 28 +janvier 1809: + + + J'envoie au maréchal Bessières, pour être employé dans un + commandement où il puisse vivre comme un autre officier, le général + La R..... qui exigeait 10,000 francs par mois en sus de ses + appointements, pour vivre à Madrid, et qui a eu la sottise de + frapper à toutes les portes pour cela. Voici la lettre qu'il a + écrite au corrégidor. Je l'ai remplacé par le général Blondeau qui + sera plus modeste. + + +Joseph crut devoir quitter Madrid pour se rapprocher de la France +dont il attendait des renforts. Napoléon entra dans la Péninsule, +prit la direction des affaires militaires. Le roi le rejoignit avec +sa garde, mais l'empereur ne voulut pas avoir son frère près de lui +à l'armée et le relégua sur les derrières, puis à Burgos. Cette +façon d'agir choqua Joseph et ses ministres. Il s'en plaignit dans +une lettre pleine de noblesse écrite à son frère le 10 novembre, de +Miranda[18]. Il ne put rien obtenir et fut sur le point de revenir +en France abandonnant le trône des Espagnes. Il se résigna à +attendre pour ne pas être le premier à jeter la pierre à Napoléon. +Ce dernier entra à Madrid le 4 décembre 1808, et changeant de +nouveau de politique à l'égard de son frère et de l'Espagne, dans la +pensée secrète de s'emparer de ce royaume et d'en annexer les +provinces du Nord, il proposa à Joseph de lui donner la couronne +d'Italie. Ce dernier, fatigué de ces changements perpétuels, refusa, +eut plusieurs conférences avec l'empereur et revint dans sa capitale +où il fit une entrée solennelle le 22 janvier 1809. + + [Note 18: _Mémoires du roi Joseph_, vol. V, p. 265.] + +Dès son retour à Paris, Napoléon montra de nouveau de la défiance à +son frère Joseph, recommença à lui reprocher sa façon de gouverner, +mais sans vouloir le mettre à même, en lui en donnant les moyens, de +sortir de l'impasse dans laquelle il le tenait. Le 9 février 1809, +Joseph lui écrivit: + + + Vous écoutez sur les affaires de Madrid ceux qui sont intéressés à + vous tromper, vous n'avez pas en moi une entière confiance. Et plus + loin: Je serai roi comme doit l'être le frère et l'ami de Votre + Majesté, ou bien je retournerai à Mortefontaine[19] où je ne + demanderai rien que de vivre sans humiliation et de mourir avec la + tranquillité de ma conscience, etc. + + [Note 19: Le château et le ravissant parc de Mortefontaine, + près Senlis, dans l'Oise, appartenaient alors à Joseph + Bonaparte qui en aimait beaucoup le séjour. C'est là + qu'habitait habituellement la reine Julie, sa femme.] + + +Les choses restèrent dans cet état en Espagne jusqu'au milieu de +1809; mais alors elles prirent, pour le roi, une tournure des plus +fâcheuses, ainsi que cela résulte des lettres de Joseph à sa femme, +la reine Julie. Nous donnerons plus loin ces intéressantes lettres; +mais, avant, un mot encore sur les exactions de quelques généraux +français en Espagne et sur quelques affaires de l'époque, relatives +à Joseph. Le 24 février 1810, il écrit de Xérès au prince de +Neufchâtel: + + + La lettre de Votre Altesse me fait croire que l'empereur me croit + instruit d'une contribution de quinze cent mille francs levée par le + général Loison, j'aurais désiré savoir en son temps si l'empereur + l'a ordonnée et je prie S. M. de réprimer un pareil abus de pouvoir, + si elle ne l'a pas autorisée. Tous mes efforts échoueront contre des + vexations semblables que se permettraient des généraux particuliers; + le général Kellermann est aussi dans ce cas; l'ordre est impossible + si des généraux de division font ce que je ne me permettrais pas de + faire et S. M. I. et R. est trop juste pour le vouloir. + + Tout est ici au mieux; les provinces de l'Andalousie sont pacifiées, + parce que la justice y règne et que je n'ai qu'à me louer des + généraux qui y sont. + + Je prie Votre Altesse d'agréer mon sincère attachement. + + Les ordres ont été donnés au général Loison pour les 100,000 francs. + + +Le 2 mars il prévient l'empereur qu'il fait venir près de lui sa +femme et ses enfants et ajoute: + + + Kellermann, Ney, Thiébaud sont des gens qui ruineront le pays qu'ils + doivent administrer, etc. + + +Tout en signalant les officiers qui se permettaient des exactions, +Joseph aimait à rendre justice aux gens honnêtes. Ainsi le 21 avril +1810, il écrit de Madrid au général Reynier: + + + Je reçois la lettre et le rapport que vous avez bien voulu + m'adresser le 13. J'ai donné l'ordre de vous renvoyer tous vos + détachements, ils sont en marche. Je suis très reconnaissant de tous + les soins que vous vous donnez pour le meilleur service public et + reconnais bien, dans vous, les principes d'un _honnête homme_ et + l'intérêt d'un ami. + + +Le lendemain 24, dans une longue lettre à l'empereur, Joseph signale +encore les autres généraux pillards. Il dit: «Il n'y a pas de +doublons exportés par Ney ou par Kellermann qui ne coûte une tête +française.» De son côté dans une lettre à Berthier, datée du 17 +septembre 1810 et qui se trouve à la _Correspondance_, Napoléon +signale Kellermann et Ney. Enfin, le 27 octobre, il ordonne à +Berthier de demander au ministre d'Espagne des notes précises sur +les abus reprochés à Kellermann. + +Lors du mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise, le +roi d'Espagne écrivit et fit porter par son chambellan les deux +lettres suivantes: + + + Monsieur mon frère, + + Connaissant la bienveillance dont Votre M. I. et R. a honoré M. + Azanza, duc de Santa-Fé, je l'ai nommé mon ambassadeur + extraordinaire pour porter à V. M. mes félicitations à l'occasion du + mariage de V. M. I. et R. et de S. A. I. et R. Mme l'archiduchesse + Marie-Louise. + + V. M. me connaît trop intimement pour ne pas deviner à l'avance tous + les mouvements de mon coeur, je suis toutefois bien aise de saisir + cette circonstance solennelle pour assurer V. M. I. de la joie que + j'ai éprouvée par l'heureux lien qu'elle contracte dans la vue de + perpétuer le bonheur de tant de nations. V. M. trouvera ainsi le + bonheur que la nature accorde au commun des hommes. + + Je supplie V. M. I. et R. d'agréer ces voeux et de les regarder dès + aujourd'hui comme des présages qui ne la tromperont pas, ce sont + ceux de son premier ami à qui le coeur de V. M. I. est plus connu + qu'elle ne pense. + + Je prie V. M. d'agréer l'hommage de ma tendre amitié. + + De V. M. I. et R., + Le bon et affectionné frère. + + + JOSEPH À MARIE-LOUISE. + + Grenade, le 28 mars 1810. + + Madame ma soeur, je prie Votre Majesté impériale d'agréer mes + félicitations les plus sincères, à l'occasion de son mariage avec S. + M. l'empereur des Français, roi d'Italie. Je fais des voeux bien + vifs pour le bonheur d'une union d'où dépend le bonheur de tant de + nations. + + Ne pouvant jouir, par moi-même, de l'avantage de présenter à V. M. + I. et R. l'expression de mes sentiments, je supplie V. M. d'agréer + tout ce que lui dira de ma part M. le duc de Santa-Fé que j'ai + chargé de cette honorable mission. Veuillez, Madame ma soeur, + etc.[20]. + + [Note 20: Joseph, ainsi que Louis, avait vu avec peine le + divorce de Joséphine. L'un et l'autre, néanmoins, n'avaient + pas cru pouvoir se dispenser d'écrire aux nouveaux époux des + lettres de congratulation.] + + +Le 2 mai, Joseph écrivit de Séville au duc de Feltre, ministre de la +guerre de Napoléon: + + + Monsieur le duc, j'ai reçu la lettre par laquelle vous me proposez, + de la part de S. M. I. et R., de faire entrer en Espagne le régiment + espagnol formé à Avignon. Je juge cette opération fort utile; elle + détruira la croyance, généralement répandue, que les régiments + espagnols sont destinés à servir au delà des Pyrénées, et cette + croyance rend difficile la formation de tout nouveau corps. Je vous + prie, Monsieur le duc, de remercier S. M. I. et R. et de vouloir + bien hâter l'envoi en Espagne de ce régiment[21]. + + [Note 21: Le roi avait appris que le ministre de la guerre de + Napoléon, cédant à ses désirs motivés, lui renvoyait un des + régiments espagnols que l'on avait fait venir en France. Il + attachait avec raison un grand prix à cette mesure.] + + Nos affaires devant Cadix vont bien; la tranquillité se rétablit + dans ces provinces. Le 4e corps est entré à Murcie. Le 2e corps a + battu l'ennemi qu'il avait devant lui entre Merida et Badajoz. + + Vous connaissez, Monsieur le duc, l'ancien et sincère attachement + que je vous ai voué. + + Votre affectionné. + + +Le 8 février 1810, pendant son voyage en Andalousie, Joseph, croyant +être très agréable à Napoléon, lui écrivit de Séville: + + + Sire, je m'empresse de vous annoncer que je viens de recevoir, des + mains de l'évêque et du chapitre de cette ville, les aigles perdues + à Baylen. Je les envoie à V. M. par un officier. + + +L'empereur se borna à faire répondre à son frère par le +major-général, auquel il adressa, le 26 avril 1810, la lettre +ci-dessous: + + + Mon cousin, écrivez au roi d'Espagne que je suis instruit qu'il veut + envoyer les aigles retrouvées à Baylen, par le général Dessolles; + que cela ne m'est pas agréable, qu'il doit charger de cette mission + un simple officier, un capitaine ou un lieutenant-colonel, mais non + un officier du grade du général Dessolles qui est nécessaire en + Espagne. + + Si le général Dessolles était déjà parti, prévenez le général + Belliard, pour qu'il le retienne et l'empêche de passer Madrid en + lui faisant connaître mes motifs. + + +Au commencement de l'année 1810, la situation, en Espagne, +s'améliorait, grâce aux efforts du roi. Joseph pacifiait +l'Andalousie, mais, tandis qu'il entrait en vainqueur dans les +riches cités de cette belle province, l'empereur, sous prétexte que +le royaume de son frère lui coûtait trop cher et qu'il fallait en +finir, en faisant administrer les provinces pour le compte de la +France, rendit le 8 février un décret en vertu duquel le pays fut +partagé en grands gouvernements administrés par des généraux +français. Il retira donc le commandement des troupes à Joseph qui +devint par le fait un roi sans armée, sans finances, sans autorité. +Macdonald prit le commandement des troupes en Catalogne, Kellermann +en Aragon, Masséna en Portugal, Soult en Andalousie; Joseph resta à +la tête de l'armée du Centre (19,000 hommes à peine). Il fut donc +réduit à ce faible corps, à sa garde et au gouvernement de la +province de Madrid, n'ayant plus le droit de s'immiscer dans les +affaires des autres gouvernements de son propre royaume. À partir de +ce moment, le règne de ce malheureux prince ne fut plus qu'un long +martyr dont ses lettres à la reine Julie pourront donner une idée. + +Des abus criants et sans nombre suivirent de près cette organisation +nouvelle ou plutôt cette désorganisation complète de l'Espagne, +ainsi qu'on devait s'y attendre. Les commandants d'armées ne +voulurent pas se porter secours entre eux et prétendirent agir +seuls. Tous ne s'inquiétèrent plus que de leur seul intérêt, levant +des contributions, pillant comme Kellermann ou refusant toute +obéissance au roi, comme le fit le duc de Dalmatie, ainsi que nous +le prouverons un peu plus loin. + +Nous allons faire connaître maintenant quelques lettres inédites de +Joseph à sa femme. + + + Madrid, le 21 janvier 1809. + + Ma chère amie, je reçois ta lettre du 16. J'ai fait écrire au père + de Mme de Fréville que je le ferai employer ici, il peut amener sa + fille avec lui si cela lui convient, il ne me convient pas qu'elle + t'accompagne, elle ne pourrait pas être ici une de tes dames, sa + qualité d'espagnole serait loin de lui être favorable, ce n'est pas + dans ses rapports avec ce pays. + + Toutes les femmes de militaires qui te sont attachées seront bien + ici avec toi; si tu peux faire à moins de mener Mme de Magnitot, tu + feras bien de ne pas la conduire avec toi; M. Franzemberg, ton + secrétaire, ne sera pas ici officier de la maison pas plus qu'il ne + l'était à Naples; quoique Ferri et Des Landes le soient devenus, + ils étaient dans les affaires depuis longtemps. + + Si tu pars bientôt tu ne verras pas le mariage de.......[22]. Mme + Bernadotte y veillera. + + [Note 22: Les mots manquants dans cette lettre et les + suivantes ont été entièrement effacés par le temps et surtout + par l'humidité, lorsqu'en 1814 les papiers du roi Joseph + furent enterrés dans le parc de Prangins.] + + N'amène que les petites Clary et les personnes dont tu as besoin + avec toi, tu trouveras ici trois mille familles de Français que je + ne puis pas employer et qui sont très malheureux et regrettent les + positions dont elles étaient pourvues à Naples. + + Fais en sorte que Laulaine, Bernardin de St-Pierre, Andrieux, + Chardon, Lécui, pour ce qui lui est personnel, n'éprouvent aucun + retard dans le payement de leur pension, le reste suivra le cours de + mes affaires financières qui me forcent à payer de préférence les + choses les plus pressées. + + Tout ce que je t'écris de ces dames, c'est pour qu'ici tu n'aies pas + de sujets de dégoût en arrivant, pas plus qu'elles. Je t'embrasse + avec mes enfants. + + Pour M. Franzemberg, il faut que chacun sache à quoi s'en tenir. Il + est des opinions du pays que je ne veux pas heurter pour quelques + individus. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrilejos, le 3 juillet 1809. + + Ma chère amie, les affaires allaient ici très bien, mais la + mésintelligence qui s'est mise entre Soult et Ney, au fond de la + Galice, me fait prévoir des malheurs. + + Le maréchal Jourdan est dégoûté et demande à se retirer. Je ne le + remplacerai pas, quel que soit le successeur que l'empereur lui + donne. + + Je t'embrasse, ma chère amie, avec Zénaïde et Charlotte; je me porte + bien. + + + JOSEPH À JULIE. + + Waldemoro, le 6 août 1809. + + Ma chère amie, j'ai reçu votre lettre du 26, je me porte bien. Les + 40,000 hommes qui sont devant moi ont repassé le Tage dont ils ont + brûlé les ponts. Le 1er corps poursuit les Anglais, Soult avec + 50,000 hommes marche à eux, je ne doute pas aujourd'hui qu'il ne + soit arrivé sur le Tiétar où je l'espérais le 28. Je l'ai débarrassé + à Talaveyra de dix mille Anglais, il n'en aura pas plus de vingt + mille, à compter d'aujourd'hui, et il aura pour cela ses 50,000 + Français et 20,000 que lui amène le maréchal Victor qui suit le + mouvement de l'ennemi. + + + JOSEPH À JULIE. + + Malaga, le 5 mars 1810. + + Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14 février dont était porteur + (_nom illisible_). Elle me confirme dans mon opinion que tu dois me + rejoindre le plus tôt possible avec mes enfants et avant le + commencement des chaleurs, donc le plus tôt que tu pourras. Dans le + cas où, malgré ta bonne santé, tu ne pourrais pas partir aussitôt + que je le désire et qu'il convient, j'espère que tu ne souffriras + pas que personne prenne ta place, le contre-coup en serait trop + sensible et préjudiciable ici. Cette nation, qui aujourd'hui + m'accueille avec un enthousiasme que tu ne conçois pas, est + tellement fière qu'elle serait humiliée si nous ne restions pas à + notre place, sois plutôt malade et évite toute occasion; mais + mieux.............. que toute cette scène d'étiquette commence. + + Porte avec toi tout ce que nous possédons à Paris réalisé en effets + sur l'étranger; tout papier sûr est bon pour nous, qu'il soit à + quelle échéance qu'il soit, n'importe sur quelle place de l'Europe, + pourvu qu'il soit bon. Renvoie-moi le courrier et dis-moi les + personnes que tu préfères que je t'envoie à ta rencontre. Tu + arrangeras l'affaire des papiers, il faut des papiers au porteur, + les échéances comme les papiers des banques de Paris, Londres, + Vienne, ou actions réalisables et qu'on peut garder à volonté. + + Dispose de toute autre chose dont je ne parle pas, comme tu + l'entendras le mieux; rapporte-moi les papiers que Lance t'apporta; + au moins ceux que tu jugeras plus nécessaires, prends des + précautions pour que tu puisses demander et ravoir les autres, donne + à Fesch tout ce que tu voudras. + + Je suis arrivé ici hier, à travers des chemins jugés impraticables; + la manière dont j'ai été reçu ici surpasse toute idée; si on me + laissait agir librement, ce pays serait bientôt heureux et + tranquille. Amène Roederer, il me serait bien utile et même + nécessaire, il s'en retournerait bientôt à Paris. M. Lapommeraye + peut venir........... coûte .............. qu'il connaît bien. + + + JOSEPH À JULIE. + + Andujar, le 6 avril 1810. + + Ma chère amie, M. le duc de Santa-Fé[23] part dans l'instant, il est + instruit de tout ce qui me regarde, même des affaires particulières + qui nous intéressent, crois tout ce qu'il te dira, je désire que + tout ce que nous possédons en France puisse être réalisé en effets + sans échéances fixes sur l'étranger, Nicolas (Clary) pourrait nous + servir dans ce cas. Je serai à Madrid avant toi, si je suis instruit + à temps de ton départ à Paris. Je t'embrasse avec mes enfants. + + [Note 23: Le duc de Santa-Fé, grand d'Espagne, dévoué à + Joseph.] + + Tu verras quels sont les présents que je compte faire pour le + mariage et tu m'en parleras. + + + JOSEPH À JULIE. + + Cordoue, le 10 avril 1810. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 19 et 21. Gaspard et M. + (nom illisible) sont arrivés depuis. Je n'ai rien à dire sur des + mesures qui te sont ordonnées par des médecins; mais M. Deslandes te + dira quelles sont mes idées sur tout ce que je possède en France. Tu + fais bien d'établir ta nièce avec le fils de M. Clément, puisqu'il + te convient et qu'il la demande. Tu feras bien de donner à Tascher, + Marcelle[24], ils se conviennent ainsi qu'à leurs parents. Mme + Salligny m'écrit; je t'ai écrit deux fois que je pensais qu'elle ne + devait pas te suivre à Madrid où elle ne serait pas convenablement, + nulles raisons véritables l'y appellent; elle est veuve, elle a une + fortune indépendante, elle a sa mère, je ne sais pas comment elle + pourrait se plaire à Madrid où ses relations la placeraient toujours + dans une fausse position. Je ne dois pas donc te dissimuler que ce + sont des dispositions inébranlables, ma position est déjà assez + difficile sans y ajouter d'autres embarras de tous les instants, + ainsi que ceux qui me viendraient d'elle[25]. + + [Note 24: Marcelle Clary, nièce de la reine Julie. Tascher + épousa la princesse de la Ligne.] + + [Note 25: Joseph ne voulait pas que la reine Julie menât de + France des dames d'honneur, surcroît de dépenses, et ayant à + lui en donner à Madrid.] + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 16 mai 1810. + + Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis + le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu + feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour + qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui + donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut + achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour + moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en + charge. + + Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas pourquoi + tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta nièce et que + ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune homme à tous + autres n'importe la fortune, etc. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 16 juillet 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa + cousine[26] m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se + marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me + disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de + rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne + faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que + le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles + fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends + donc que Mlle Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien. Je + m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer de + parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi + d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris. + + [Note 26: L'impératrice Joséphine.] + + Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les + affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une + vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots + illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse + avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir + ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je + suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. _Si on veut + que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne + doit pas espérer cela de moi._ J'ai des devoirs de coeur et de + besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais + jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader + pour le bien de ma famille. + + J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai + jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour + vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne. + _Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon + coeur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins aux + remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long. Tu + me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je suis + toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de Deslandes, + renvoies-le moi_ (Deux lignes effacées). _Je suis obligé de venir au + secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien et où la + misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des généraux + français administrent mes provinces, renvoyent mes employés et que + Madrid est le rendez-vous où tous les malheureux aboutissent et où + s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état de choses me + serait encore plus pénible toi et mes enfants étant ici, et que je + n'aurai plus la ressource d'errer avec un quartier-général. Tout + cela peut être réparé d'un mot de l'empereur, qu'il trouve bon que + je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende l'administration de mes + provinces et qu'il croye plus à ma probité qu'à celle de Ney ou de + Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il faut que je m'établisse + d'une façon définitive_ à Madrid, il faut que je sache comment je + pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le sais pas; l'Andalousie est + absorbée par l'armée, les pays épuisés par les insurgés, l'empereur + ne sait rien, il faut qu'il connaisse ma position, qu'elle change sa + justice ou que je la fasse changer par ma retraite des affaires; tu + dois donc venir en Espagne avec la connaissance de ce que veut + l'empereur avec le projet d'y rester ou résolue à la quitter pour la + vie privée. Il n'y a personne à Paris à qui je puisse écrire. + L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais chargé de mes affaires. + Quand tu en seras partie, il n'y aura plus aucun moyen de + communication. Il est donc bon que tu saches bien avant de partir ce + qu'il nous importe de savoir et que nous ne pourrons plus savoir + après. + + Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin[27], quelque déplorable + que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à + la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des + habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La + guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me + laisser faire. + + [Note 27: Lucien était alors prisonnier des Anglais.] + + +(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont +illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les +mémoires de Joseph.) + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 29 août 1810. + + Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras + reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu + sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort + avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il + faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du + trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et + comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le + nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les + provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre ainsi plus + longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir. + + Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai + besoin. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 1er septembre 1810. + + Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu + M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de + nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu + ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires, + lorsque cette lettre arrivera dans tes mains. + + Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait + aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône + d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais + que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs + principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme + et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions + que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste + ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux, + parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant + me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix + intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la + nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette + grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait + qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance + entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de + ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera + un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle + province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en + vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir, + si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais + pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je + voudrais une retraite absolue. + + Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple, + cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de + cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans + ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler + d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me + faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même + au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce + que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour + en sortir; mon âme se trouve dégradée et je préfère la mort à cet + état. + + +À cette lettre, qui n'est pas aux mémoires de Joseph, se trouvait +jointe la lettre du roi d'Espagne à l'empereur en date du 31 août +1810 (_Mémoires de Joseph._ Vol. VII, p. 325). + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 9 septembre 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20, j'attends toujours le + résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'empereur, depuis + le départ d'Almenara. D'une manière ou d'une autre ces choses + doivent être changées, elles ne peuvent pas rester longtemps dans + l'état où elles se trouvent, je fais ici une triste figure et j'en + mériterais la honte si je permettais qu'elles se prolongent plus + longtemps qu'il ne faut pour connaître la volonté de l'empereur. + + 1º Roi d'Espagne, je ne puis l'être que tel que la constitution du + pays m'a proclamé. + + 2º Retiré de toutes affaires publiques en France ou dans un autre + pays, il me convient de connaître même sur cet article la volonté de + l'empereur. + + 3º Retourner en France conservant quelque prérogative publique, il + faut que je sache quels sont mes devoirs et mes droits avant de + prendre un parti; je ne veux me décider qu'en pleine connaissance de + tout cela, je n'ai ni crainte, ni ambition, ni ressentiment, je sais + que la politique fait tout, ainsi je pardonne tout; mais si en + m'enlevant le trône d'Espagne, on m'offre un état politique en + France, je veux le connaître. + + 4º Je ne veux aucun trône étranger. Je me réserve à me déterminer + pour une retraite absolue si ce qu'on me propose en France ne me + paraît pas convenable; ce à quoi je suis bien déterminé aujourd'hui; + c'est: 1º de ne pas rester ici sur le pied où je suis, 2º de ne pas + accepter un trône étranger, 3º de rendre mon existence en France + compatible avec mon honneur et la volonté de l'empereur et l'intérêt + de la nation, si mon existence semi-politique peut encore lui être + utile, sans cependant vouloir jamais me mêler d'administration + d'aucun genre et vouloir jamais paraître à la cour. Si ce qu'on me + propose ne me convient pas, retraite obscure et absolue; mais les + demi-jours, les fausses positions ne sont pas dignes ni de mon nom + ni de mon âme, ni supportables avec mon esprit. + + Je t'embrasse avec mes enfants et t'engage à être aussi contente que + je le suis moi, au milieu des contrariétés qui m'assiègent, et + j'éprouve bien aujourd'hui que ce lait nourricier d'une bonne et + vraie philosophie n'est pas aussi stérile qu'on veut bien le dire, + car, content de moi, je le suis de tout, et regarde en pitié + _toutes_ les passions étrangères qui s'agitent, sans me blesser, + autour de moi. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 7 octobre 1810. + + Ma chère amie, je reçois ta lettre du 17. Je me porte bien, + j'attends tes nouvelles et celles de Colette; mes affaires me + paraissent aller bien mal à Paris où on ne sait pas le mal que l'on + se fait à soi-même. L'avenir prouvera si j'ai raison. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 3 novembre 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 9, 10, 12 octobre, + renvoie-moi Gaspard avec des nouvelles sur les bruits qui courent + ici et qui font présager de nouveaux changements pour moi; dis-moi + ce qu'il en est, tu sais tout ce que je t'ai écrit. Si la retraite + est possible, je la préfère à un nouveau trône; si cela est + impossible, je préfère retourner à Naples plutôt que de faire une + nouvelle royauté quelle qu'elle soit. + + La position des affaires ici est horrible et bientôt elle sera + irrémédiable. L'empereur n'a rien répondu à tout ce que je lui ai + écrit sur un sujet aussi important pour la gloire et le bonheur de + deux grandes nations. + + Je t'embrasse avec mes enfants, je me porte bien. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 6 novembre 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 12 et 14, je t'ai déjà + écrit que c'est toi plus que moi qui peut décider s'il convient que + tu viennes ici, ce voyage doit être entrepris ou différé selon que + les affaires d'Espagne à Paris s'arrangent ou se brouillent, elles + ne peuvent pas rester longtemps telles qu'elles sont, cette crise ne + peut pas durer, il faut avancer ou reculer. Si je dois retourner en + France, il est inutile que tu viennes en Espagne, si je dois rester + en Espagne, il faut y venir. Mais, pour que je puisse y rester, il + faut que l'empereur fasse ce que je lui ai écrit par la lettre dont + était porteur M. d'Almenara, à laquelle il n'a pas répondu. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 16 novembre 1810. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres des 22, 23 et 24, ma position + est toujours la même, je suis ici bientôt un être parfaitement + inutile; tous les généraux correspondent avec le major-général, + prince de Neufchâtel. Les habitants s'exaspèrent tous les jours + davantage, le peu de succès que j'avais obtenu est effacé tous les + jours. L'empereur ne me répond pas, il ne me reste donc qu'à me + retirer des affaires. Ma santé d'ailleurs toujours inaltérable + commence à se ressentir de ma position équivoque, ridicule et + bientôt déshonorante, si je la supportais plus longtemps. + + Occupes-toi donc de me trouver à louer une grande terre à cent + lieues ou soixante lieues de Paris; je suis décidé à m'y rendre et + de tout quitter, puisque je ne puis pas faire le bien ici et que + tout ce que j'ai dit et fait jusqu'ici devient inutile. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 20 novembre 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 28 octobre, ma position est + toujours la même. J'attends Azanza pour prendre un parti décisif et + finir le rôle honteux qu'on me fait jouer ici depuis mon retour de + la conquête de l'Andalousie. + + Je t'embrasse avec mes enfants. + + Lucien a été mené prisonnier à Malte. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 24 novembre 1810. + + Ma chère amie, point d'estafette depuis deux jours. Je n'ai pas de + nouvelles directes de Masséna et je ne suis pas sans inquiétude sur + son armée. Je me porte bien, j'attends des nouvelles décisives de + Paris. Je désire que tu charges James ou mieux encore Nicolas, de + savoir s'il serait possible d'acquérir la terre de Montjeu à une + lieue d'Autun, après s'être assuré que le château est encore + habitable, à moins que tu ne préfères une terre en Provence, je + désire un bois de chasse et de l'eau, c'est ce que je trouve à + Montjeu; si tu préfères le midi, je te laisse le choix. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 28 novembre 1810. + + Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 4, je me porte bien, les + affaires sont ici dans le même état. Je suis toujours sans réponse à + tout ce que j'ai écrit. Je ne pense pas pouvoir prolonger cet état + humiliant au delà de cette année. Je te prie de remettre à M. + Bouchard[28] l'incluse; engage-le à partir sur-le-champ et de me + répondre de dessus les lieux. Il faut finir ceci d'une manière ou + d'une autre; quoique je te dise que je me porte bien et que cela + soit ainsi, cependant ma constitution n'est plus ce qu'elle était et + je sens qu'elle ne résisterait pas à cet état de choses qui n'est + pas fait pour un homme tel que moi, toute la puissance de l'empereur + ne peut pas faire que je reste ici dans la position du dernier des + polissons. Tu peux voir par la lettre ci-jointe comment un général + français traite mes ministres. Un voleur effréné que j'ai renvoyé + d'ici, il y a trois mois, y revient triomphant. Ce misérable a causé + le massacre de plus de cent Français, victimes de l'exaspération des + habitants de la province de Guadalaxara et Cuença où il commandait + une colonne et où il ravageait tout. J'entre dans ces détails pour + que tu saches bien qu'on me force au parti que je prends et que je + n'en ai pas d'autre à prendre. + + [Note 28: Un des secrétaires du roi, chargé de ses affaires + d'intérêt et alors en France.] + + Marius Clary doit être arrivé, j'attendrai la réponse à la lettre + que je t'ai écrite par lui avant de partir. + + +La fin de l'année 1810 et le commencement de 1811 ne furent pas plus +favorables à Joseph; aussi voit-on ses lettres à la reine contenir +sans cesse les mêmes plaintes, justifiées par la conduite de +l'empereur à l'égard de l'Espagne. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 8 janvier 1811. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres du 14 et 16, je suis peiné de + la perte de Mlle Antoinette qui t'était attachée depuis si + longtemps; cette pauvre fille avait eu un grand malheur à mes yeux, + celui d'avoir occasionné cet accident qui a eu tant d'influence sur + notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni + de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois + ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi + lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec + mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de + mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment + m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu + partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux + pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en + désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton + absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous + dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810[29] ont anéanti + tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans l'esprit + d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même situation où + je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois ans. J'ai + depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me suis vu + sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres + affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de + bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma + vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je + désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me + sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans + une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je + paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans + laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit, + attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me + paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin. + + [Note 29: Ce décret créait les grands gouvernements à la tête + desquels Napoléon mettait ses généraux et humiliait + complètement le roi.] + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 6 février 1811. + + Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que + celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai + adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir + accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits + les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un + dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les + nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on + m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu + ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus + rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que + j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est + assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis + hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à + des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la + fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu + dois penser si je désire que tout cela finisse. + + +Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi, +après l'exposé fidèle de sa situation, dit: + + + Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel + ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le + prolongeais volontairement. + + +Et plus loin: + + + Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je + pouvais faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me conseillent ne + connaissent ma position ici, et nécessairement _elle finirait par un + événement tragique si elle ne finit pas par mon départ volontaire_. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 24 mars 1811. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai + écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même + état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le + permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me + rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans + quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour + cela. + + Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à + Mortefontaine pour ne plus vous quitter. + + +L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort +justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne. +Sa belle-soeur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le comte +de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il n'entrait pas +encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser la Péninsule +sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que tout autre. La +guerre devenait imminente avec le Nord, il lui paraissait utile +d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait son caractère +loyal, affectueux et son dévouement personnel pour lui. Il fit donc +écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier répondit à son +oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7me volume des +_Mémoires de Joseph_ et dont on a retranché cette phrase: + + + Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai + craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez, + après un rhume et une inflammation de poitrine. + + +En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même +jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à +quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi: + + + Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous + importuner des sentiments que vous partagez ou _repoussez + peut-être_. + + +Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde +lettre: + + + Madrid, 24 mars 1811. + + Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra + cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un moment. Je + vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir. Je suis + inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas accusé la + réception. La première, du 14 février, portée par M. le chef + d'escadron Clouet, la 2me du 19 mars et la 4me du 24. + + Le général Blaniac[30] ne voudrait pas que sa femme vînt le + rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que + ce n'est pas le moment. + + [Note 30: Un des aides de camp de Joseph, très dévoué à ce + prince. Joseph redoutait la venue en Espagne de toutes les + femmes des personnes attachées à sa maison, comprenant + combien sa position était précaire.] + + +Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement +possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se +mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la +lettre ci-dessous: + + + Madrid, le 16 avril 1811. + + Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie, + par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre + et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet + qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne + ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait + que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques, + sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe + pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et + l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au + prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la _Toison + d'or_ au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait + agréée. C'était l'usage autrefois. + + Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel. + + +L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait +se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se +hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le +prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du _roi de +Rome_. + +Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et +dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux _Mémoires_, +le passage suivant: + + + Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux + mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes + qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin + bien vif par l'état presque désespéré dans lequel se trouve le fils + de Roederer, par une blessure mortelle qu'il a reçue hier soir, dans + une affaire particulière. Je trouvais quelque plaisir à mener ce + jeune homme à son père. Le destin en décide autrement. + + + JOSEPH À JULIE. + + Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai + écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très + longues lettres; celle du 19 mars[31] t'annonçait ma détermination + de me mettre en route pour la France; j'étais alors assez malade, je + n'ai pas été bien depuis, je suis mieux depuis mon départ de Madrid. + Je reçois aujourd'hui une lettre du prince de Neufchâtel qui + m'apprend que l'empereur a consenti à me faire un prêt de 500,000 + francs par mois. J'écris à ce sujet à l'empereur la lettre que tu + lui remettras ou lui feras remettre, j'arriverai peu de jours après + cette lettre. + + [Note 31: Cette lettre du 19 mars avait été perdue.] + + Je t'ai écrit il y a quelques jours par M. Jappi que tu dois m'avoir + renvoyé avec tes lettres. + + +Le même jour qu'il écrivait à la reine Julie les lettres ci-dessus, +Joseph adressait à son frère celle qu'on va lire, laquelle a été un +peu tronquée dans les _Mémoires_. La voici intégralement: + + + Santa Maria de la Nieva, le 25 avril 1811. + + Sire, + + Je suis parti de Madrid le 23 sans avoir reçu aucune réponse aux + lettres que j'ai écrites depuis 3 mois à Votre Majesté, à la reine + et au prince de Neufchâtel. J'ai retardé tant que j'ai pu mon + voyage, mais la nécessité m'a enfin décidé et ce ne sera pas sans + peine que les services se soutiendront à Madrid pendant 40 jours, + quoique le trésor se trouve déchargé en grande partie de la dépense + de ma maison. J'ai dû craindre que Votre Majesté ne se rappelât plus + de moi et je n'ai vu de refuge que dans la retraite la plus obscure; + aujourd'hui je reçois une lettre du prince de Neufchâtel du 8, qui + m'annonce quelque secours; cette lettre me prouve que ma position + véritable commence à être connue et il n'est pas douteux que je + n'aurai rien à désirer de vous dès que je connaîtrai votre volonté, + puisque la mienne sera de m'y conformer autant que cela me sera + possible. + + Je retournerai en Espagne si vous jugez ce retour utile, mais je ne + puis y retourner qu'après vous avoir vu et après vous avoir éclairé + sur les hommes et les choses qui ont rendu mon existence d'abord + difficile, puis humiliante et enfin impossible et m'ont mis dans la + position où je suis aujourd'hui. + + Je suis prêt aussi à déposer entre les mains de Votre Majesté les + droits qu'elle m'a donnés à la couronne d'Espagne, si mon + éloignement des affaires entre dans ses vues, et il ne dépendra que + de vous de disposer du reste de ma vie, dès que vous aurez assez vu, + pour avoir la conviction que vous connaissez l'état de mon âme et + celui des affaires de ce pays où je ne pourrai retourner avec succès + que nanti de votre confiance et de votre amitié, sans lesquelles le + seul parti qui me reste à prendre est celui de la retraite la plus + absolue; dans tous les cas, dans tous les événements je mériterai + votre estime. Ne doutez jamais de mon dévouement et de ma tendre + amitié. + + + JOSEPH À JULIE. + + Burgos, 1er mai 1811. + + Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 20 et 22; je t'ai écrit + le 16 avril et le 26 d'Almeida. Le voyage est utile à ma santé, je + séjournerai ici aujourd'hui pour ôter toute inquiétude que l'on + aurait eue en regardant ce voyage comme un départ définitif. J'ai + dissipé toutes ces craintes à Valladolid et sur toute la route et + j'ai dit que je retournerai dans le mois de juin avec ma famille. + Ainsi si les affaires prennent cette tournure à Paris, prépare-toi à + venir bientôt en Espagne et le plus tôt est le mieux. Dans ce cas, + mon absence ne saurait être trop courte, le bien réel et celui de + l'opinion qu'opérerait mon retour, dissiperait bientôt la légère + inquiétude occasionnée par mon départ et le bien serait décuple du + mal. Il y a beaucoup de choses à faire et plus encore à éviter pour + terminer les affaires d'Espagne d'une manière avantageuse aux deux + nations; il ne dépendra pas de moi que tout cela ne réussisse. Je + serai dans neuf jours à Bayonne, je pourrai peu de jours après + recevoir ta réponse à cette lettre. Je désire descendre à + Mortefontaine, j'ai avec moi 8 ou 10 personnes et 20 domestiques. + + +Dans cette lettre on voit le roi Joseph renaître à l'espérance; cela +provenait de ce que ce malheureux souverain, pendant son voyage, +venait de recevoir de Berthier la nouvelle que l'empereur +consentirait à lui faire un prêt de 500,000 francs par mois, comme +il l'annonce à sa femme. + +Joseph resta à Paris près de son frère et de sa femme, pendant le +mois de mai et une partie de celui de juin 1811. L'empereur lui fit +beaucoup de promesses, ce qui le détermina à retourner en Espagne. +Dans une circonstance assez secondaire, Napoléon lui fit témoigner +d'une façon fort dure son mécontentement. Le 11 juin 1811, +l'empereur écrivit à Berthier: + + + Saint-Cloud, le 11 juin 1811. + + Mon cousin, je vous prie d'aller voir le roi d'Espagne pour lui + parler de la dernière audience diplomatique et de l'indécence avec + laquelle s'y sont comportés plusieurs Français portant la cocarde + espagnole. Ils sont entrés en forçant la consigne et sachant bien + que je ne reçois pas les Français qui sont à _un service étranger_. + Heureusement je ne les ai pas vus, je les aurais fait chasser. Vous + direz que j'avais entendu, par recevoir les Espagnols, recevoir les + trois ministres et quelques chambellans espagnols que le roi a + amenés, mais que c'est sur la liste destinée pour le _Moniteur_ que + j'ai vu le nom de plusieurs Français, entre autres celui du sieur + Tascher qui n'a pas même la permission de porter la cocarde + espagnole, et qu'à cette occasion, je ne comprends pas comment on + puisse porter une cocarde étrangère sans en avoir l'autorisation; + que ce que je désire, c'est que Clary, Miot, Expert et les autres + Français portés sur la liste, partent demain et se mettent en route + pour Bayonne; que je ne m'oppose pas à ce que le roi en fasse ce + qu'il veut en Espagne, mais que je ne puis m'accoutumer à voir des + Français venir faire de l'embarras à Paris sous un costume étranger. + Le remède à tout, c'est qu'ils partent aujourd'hui ou demain, + quoique je ne vois pas quelle nécessité il y avait à ce que le roi + mène ce tas de gens avec lui; vous direz également au roi que je ne + vois pas d'objection à ce qu'il parte, que quant à mes dispositions, + je persiste dans celles dont vous lui avez fait part, que votre + lettre doit donc lui servir de règle, que le temps prouvera par la + conduite qu'il tiendra si le voyage de Paris lui a été utile et s'il + a acquis la prudence nécessaire pour manier ces matières; que, quant + à l'argent, je fais donner au roi ces sommes sur les sommes + mensuelles que je lui ai promises, mais que c'est bien mal employer + son argent que celui destiné à payer les voyages d'un tas de gens + inutiles comme Miot, les Expert, etc..... + + +Joseph reçut la visite de Berthier au moment où il partait pour +l'Espagne. Malgré cette dure leçon, il quitta Paris plein +d'espérance, croyant avoir la certitude que son frère, selon ses +promesses, viendrait à son secours, avancerait les fonds nécessaires +à l'entretien et au salut de la Péninsule. Il ne tarda pas à être +désabusé, ainsi qu'on va le voir par ses lettres à la reine, +laquelle ne l'avait pas suivi, attendant pour se rendre à Madrid +avec ses enfants que les choses eussent pris une meilleure tournure. + +Joseph lui écrivit le 23 septembre 1811: + + + Ma chère amie, je reçois ta lettre du 10. Tu connaîtras ma + situation, elle est peu agréable; tu sais que je devais recevoir un + secours d'un million par mois, je reçois à peine la moitié, je ne + pourrai pas tenir longtemps si cet état de choses dure. Si ta santé + te permet de venir, tâche d'obtenir de l'empereur ce qui m'est dû + depuis juillet, à raison d'un million par mois, et même une avance + de quelques mois, afin que je ne sois pas dans l'inquiétude comme + aujourd'hui, lorsque vous serez arrivées. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 1er octobre 1811. + + Ma chère amie, je n'ai pas eu de tes lettres par le dernier + courrier, les enfants m'ont écrit que tu étais à Compiègne; il m'est + dû près de trois millions de francs sur le prêt que l'empereur m'a + promis d'un million par mois à dater du 1er juillet, aussi suis-je + dans les plus grands embarras; écris-moi si tu comptes partir, ne te + mets pas en route sans être précédée ou accompagnée par six millions + au moins, afin que je puisse avoir l'esprit en repos pour quelque + temps, faute de quoi il vaut mieux rester à Paris, car, sans argent, + sans troupes, sans commandement véritable, il est impossible que ma + position se prolonge longtemps; je me porte bien. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 1er novembre 1811. + + Ma chère amie, je n'ai pas reçu de tes lettres par la dernière + estafette, j'attends avec impatience de savoir que tu te portes bien + et que l'empereur m'envoie effectivement l'argent que je lui ai + demandé, sans lequel je ne puis rien faire de bon ici, le million + qu'il m'a promis comme avance à dater du 1er juillet et un autre + million en remplacement du quart des autres arrondissements. + + Marius Clary a été très malade, mais il est mieux, tu m'as parlé de + deux partis pour sa soeur, je ne connais pas le personnel du + _civil_, mais, s'il est bon, je le préfère au _militaire_, dont tu + me parles. + + +Le roi Joseph avait beaucoup d'affection pour le général Hugo, +employé à Madrid. Le général vivait en mauvaise intelligence avec sa +femme, il lui écrivit le 30 janvier 1812: + + + J'ai lu avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous m'avez écrit, ainsi + que Mme Hugo. + + Mon désir le plus constant est que vous vous arrangiez de manière à + être heureux, je n'ai rien négligé pour cela, l'attachement que je + vous porte m'en a fait un devoir; mais, si mes voeux ne se réalisent + pas, je ne dois pas vous cacher que ma volonté est que vous ne + donniez pas ici un exemple scandaleux en ne vivant point avec Mme + Hugo comme le public a droit de l'attendre d'un homme qui, par sa + place, est tenu à donner le bon exemple. + + Quel que soit le regret que j'aurais de vous voir éloigné de moi, je + ne dois pas vous cacher que je préfère ce parti au spectacle + qu'offre votre famille depuis trois mois. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 1er février 1812. + + Ma chère amie, je n'ai rien de bon à t'écrire après la prise de + Valence; la récolte a été mauvaise et le blé est très cher, il y a + beaucoup de misère ici; je reçois à peine la moitié de ce qui + m'avait été promis à Paris, et je serais impardonnable d'être + reparti si j'avais pu prévoir l'avenir qui m'attendait dans ce pays. + Les avantages que je pouvais tirer de la reddition de Valence par le + grand nombre de soldats qui abandonnent l'insurrection, vont bientôt + être perdus par le dénûment où je me trouve et d'argent et de moyens + de m'en procurer; quelle sera la fin de tout ceci, je l'ignore et ne + veux pas la prévoir: 1º l'unité dans le commandement et dans + l'administration; 2º un but fixe et certain offert à toutes les + provinces, pourraient encore sauver nos affaires et il faudrait que + l'empereur fit encore beaucoup de sacrifices d'argent, sans cela + tout ira mal et va déjà si mal que, ne pouvant rien, je dois désirer + que cela finisse pour moi le plus tôt possible. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, le 21 février 1812. + + J'ai reçu ta lettre du 28 janvier et 1er février. Je suis fâché + d'apprendre que ta santé n'est pas bonne, je n'ai aucune réponse + directe aux lettres que j'ai écrites, il est fâcheux que cela soit + ainsi; mais il serait encore plus fâcheux pour moi que je crusse + mériter d'être traité comme je le suis, je désire que tout ce qui se + passe finisse bien, je le désire sincèrement plus que je ne + l'espère. + + Ma santé n'est pas très bonne, cependant je serais heureux de penser + que la tienne fût de même. + + + JOSEPH À JULIE. + + Madrid, 7 mars 1812. + + Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14; je n'ai aucune nouvelle de + Paris, tu ne me dis rien des événements qui sont arrivés ou dont + nous sommes menacés, ma position ici est impitoyable; que je sauve + l'honneur, je regrette peu le reste. + + Adieu, ma chère amie, écris-moi la vérité et embrasse nos enfants. + + +Vers cette époque une mesure prise bien tard sans doute, mais enfin +prise par l'empereur, prêt à partir pour le Nord, rendit un peu de +courage à Joseph et lui donna quelque espérance. Il apprit que son +frère plaçait sous son commandement unique toutes les troupes en +Espagne et lui donnait pour major-général le maréchal Jourdan. Le +roi se mit immédiatement à la tête de ses armées, mais il s'aperçut +bientôt de la difficulté qu'il aurait à se faire obéir des +commandants des divers corps, accoutumés à être indépendants. + +Dès qu'il fut entré en campagne, Joseph écrivit à la reine un grand +nombre de lettres fort importantes. Il lui manda de Valence le 9 +septembre 1812: + + + Ma chère amie, tu pourras concevoir par la copie ci-jointe + l'enchaînement des événements qui m'ont forcé à quitter Madrid, la + résistance qu'a éprouvée l'exécution de mes ordres au Nord et au + Midi, la précipitation qu'a mis l'armée de Portugal retirée derrière + le Duero à attaquer l'armée anglaise avant l'arrivée des secours qui + lui étaient annoncés du Nord et du Centre. Masséna arrive; s'il + amène des troupes, si on envoie de l'argent, si les généraux qui ne + veulent pas obéir et qui s'isolent dans leurs provinces sont + rappelés, les affaires se rétabliront bientôt. + + Je me porte très bien, je t'embrasse avec mes enfants, je désire que + vous vous portiez aussi bien que moi et vous revoir bientôt, car la + vie se passe. + + Si l'empereur ne rappelle pas les généraux du Nord et du Midi, il + n'y a rien de bon à espérer dans un état de choses où il faut un + commandement prompt, absolu, et où l'impunité encourage à la + désobéissance et perpétuera les malheurs jusqu'à la perte totale de + ce pays. + + +À cette lettre était jointe la copie de la lettre de Joseph à +Berthier, en date du 4 septembre, qui ne se trouve pas aux Mémoires +et que voici. Elle est relative à la bataille de Salamanque. + + + Valence, le 4 septembre 1812. + + J'apprends par une voie indirecte que le conseil des ministres ayant + eu connaissance des résultats de l'action qui a eu lieu le 21 + juillet dernier aux environs de Salamanque entre l'armée de Portugal + et l'armée anglaise, avait donné des ordres pour faire passer en + Espagne des renforts et remis à M. le prince d'Essling le + commandement de l'armée de Portugal. + + En adressant à V. A. S. mes remerciements de l'empressement qu'elle + et le conseil des ministres ont mis à prendre cette mesure, je crois + devoir lui communiquer directement un sommaire des événements et de + la situation des affaires militaires avant et après cette époque, ma + correspondance avec le ministre de la guerre en contient les détails + en quelque sorte jour par jour, mais dans la crainte qu'elle ne lui + soit pas parvenue, il me paraît utile d'en rassembler ici les + principaux faits. + + Le maréchal duc de Raguse ne s'étant pas cru en mesure d'attaquer + les Anglais, après qu'ils eurent passé l'Agueda le 12 juin, se + retira successivement entre la Tormès et le Duero et finalement + passa sur la rive droite de ce fleuve. + + L'armée de Portugal resta dans cette position en rappelant à elle + toutes ses divisions. + + L'armée anglaise demeura en observation sur la rive gauche du Duero, + et ne fit aucune tentative pour le passer. + + Il était aisé de prévoir que le sort de l'Espagne pourrait dépendre + d'une affaire qui paraissait inévitable et qu'il était de la plus + haute importance de mettre le duc de Raguse en état de combattre + avec les plus grandes probabilités de succès. + + Je pressai des secours de toutes parts, mais mes ordres ne furent + pas exécutés, le général en chef de l'armée du Midi[32] se refusa + aux dispositions que j'avais prescrites, et ce ne fut qu'après + beaucoup d'hésitations que celui de l'armée du Nord se détermina à + faire partir sa cavalerie et son artillerie que je lui avais ordonné + d'envoyer au duc de Raguse. + + [Note 32: Soult.] + + Réduit par conséquent à mes propres forces, je pris le parti + d'évacuer toutes les provinces du Centre; je ne laissai de garnisons + qu'à Madrid et à Tolède et je formai un corps de 14,000 hommes avec + lequel je partis de Madrid le 21 pour me porter sur le Duero et + effectuer ma jonction avec l'armée du Portugal. + + J'appris en route que M. le maréchal duc de Raguse avait déjà passé + ce fleuve, le 18, à Tordesillas, que l'armée anglaise s'était + repliée sur Salamanque; je continuai à marcher avec la confiance + d'opérer très promptement ma jonction sur la rive gauche du Duero. + + Mais au moment où cette jonction allait avoir lieu, je reçus le 25 + juillet, à Blasca-Sancho, des lettres de M. le maréchal Marmont et + de M. le général Clausel qui m'annonçaient qu'il y avait eu le 22 + une affaire générale; comme ces lettres fixent d'une manière précise + les _événements de cette journée où M. le maréchal duc de Raguse, à + la veille de recevoir des renforts qu'il attendait depuis un mois, + a engagé volontairement une action dont les résultats ont été si + graves_, j'en adresse une copie à Votre A. S.[33] + + [Note 33: Marmont s'était empressé de livrer bataille avant + l'arrivée de Joseph, ne voulant pas se trouver sous les + ordres du roi et se croyant assez fort pour battre seul + l'ennemi.] + + L'armée du Portugal faisait sa retraite en toute hâte et sans + chercher à s'appuyer des forces que j'avais avec moi, je ne pouvais + plus que me retirer et tout ce qui me restait à faire était de + tenter de ralentir la poursuite de l'ennemi par ma présence en + attirant son attention sur moi. + + Je partis donc le même jour, 25, dans l'intention de me replier à + petites journées sur Madrid. + + Le 27 je fus rejoint par un aide de camp (M. Fabier) de M. le + maréchal duc de Raguse qui m'apportait des dépêches de lui et du + général Clausel. L'un et l'autre me mandait que la poursuite de + l'ennemi était ralentie et me témoignaient le désir de se réunir à + moi, si je voulais m'approcher d'eux. + + Quoique je sentisse tout le danger de ce mouvement, je ne m'y + refusai pas et je me dirigeai sur Ségovie, où je restai quatre jours + pour donner le temps à l'armée du Portugal de se porter sur moi; + mais elle ne changea pas sa première direction, soit que l'ennemi + l'en ait empêchée, soit qu'elle n'ait jamais eu le dessein réel de + s'éloigner du Nord. Elle continua sa retraite sur le Duero qu'elle + passa et se détacha ainsi totalement de moi. + + En revenant à Madrid, le 3 août, avec le petit corps de troupes que + je ramenais, j'avais l'espérance d'être joint par dix mille hommes + de l'armée du Midi que, depuis le 9 juillet, j'avais donné l'ordre + au duc de Dalmatie d'envoyer à Tolède. Je me flattais aussi que le + corps du comte d'Erlon, de la même armée, qui était en Estramadure, + aurait fait un mouvement pour se rapprocher du Tage, suivant mes + instructions; avec ces ressources j'aurais pu défendre et couvrir la + capitale contre un détachement que l'armée anglaise eût fait sur + moi, après avoir rejeté l'armée du Portugal sur l'Ebre; mais toutes + ces espérances s'évanouirent à la réception d'une lettre du duc de + Dalmatie qui refusait positivement d'obéir. + + D'un autre côté, j'apprenais que _l'armée du Portugal s'éloignait de + plus en plus du Duero et se retirait sur Burgos_; en même temps tous + les rapports annonçaient que lord Wellington se préparait à marcher + sur la capitale; toute la population y était en mouvement. + + En effet, l'ennemi ayant passé les montagnes le 8 et le 9, plus de + 2000 voitures partaient de Madrid le 10, en se dirigeant vers le + Tage. + + Je me portai le même jour de ma personne sur le point où leurs + divisions, après s'être retirées des débouchés des montagnes, + s'étaient repliées et je fis reconnaître l'ennemi qui les suivait; + cette reconnaissance engagea un combat très opiniâtre de cavalerie + et dont les résultats furent à notre avantage. L'ennemi perdit trois + pièces de canon, beaucoup de morts, de blessés et un assez grand + nombre de prisonniers, dont les rapports ne me laissèrent au surplus + aucun doute sur le parti que j'avais à prendre. + + Je n'avais avec moi que huit mille hommes de disponibles, le reste + escortait le convoi. Je passai le Tage le 12 août au soir. + + Comme j'avais écrit, dès que j'eus la nouvelle de l'affaire du 22 + juillet, de Ségovie au duc de Dalmatie d'évacuer l'Andalousie et de + venir me rejoindre avec toute son armée, mon premier dessein avait + été de marcher au devant de cette armée et de me réunir à elle aux + débouchés de la Sierra-Morena, mais des nouvelles lettres que je + reçus de M. le maréchal duc de Dalmatie (à 5 lieues d'Ocana), ne me + laissant rien à espérer du moins pour le moment, je me décidai à me + retirer sur Valence. + + En prenant cette résolution j'ai eu en vue deux objets principaux, + l'un de mettre en sûreté l'immense population qui m'a suivi, l'autre + de protéger et de défendre le royaume de Valence, menacé par un + débarquement à Alicante de 13,000 Anglais, Siciliens et Majorcains, + qui, réunis aux forces de Freyre et d'O'Donnel, auraient formé un + corps de 25 à 30,000 hommes, capable d'inquiéter sérieusement + l'armée d'Aragon. + + J'ai été assez heureux pour atteindre ce double but, le convoi est + arrivé à Valence et la présence inopinée des troupes que j'amenais + avec moi a forcé l'ennemi à se retirer sous Alicante et peut-être à + s'embarquer. + + J'ai trouvé ici des nouvelles de France, dont j'étais privé depuis + trois mois. + + L'armée se repose d'une route extrêmement fatigante, je fais filer + sur les derrières tout ce qui a jusqu'ici embarrassé ma marche et je + laisse partir pour la France les familles françaises qui désirent y + rentrer. + + S'il arrive des secours de France pour réparer les pertes du 22 + juillet et contre-balancer les renforts que l'ennemi reçoit de la + Méditerranée et de l'Océan, si l'on m'envoie 15 à 20 millions en sus + des versements habituels du trésor impérial, si, enfin, instruits + par ce qui vient de se passer, les généraux commandant les divers + corps de l'armée exécutent mes ordres, au lieu de les discuter, ce + qui arrivera lorsque l'empereur leur témoignera son mécontentement + et en aura rappelé quelques-uns, je ne doute pas que les affaires + d'Espagne se rétablissent. + + Agréez, etc. + + _P. S._ Valence, le 8 septembre 1812. Au moment où je fais partir ce + duplicata, je reçois les papiers publics de Paris jusques au 21 + août; je ne puis cacher à V. A. S. ma surprise sur la manière dont + on y rend compte de l'affaire du 22 juillet. Comment M. Fabier, qui + a porté la nouvelle de cette action à Paris et qui m'a accompagné à + Ségovie _où je suis resté quatre jours_, protégeant la retraite de + l'armée du Portugal, a-t-il pu laisser ignorer mon mouvement et le + dévouement personnel que j'ai mis à rester seul en présence de + l'ennemi, tandis que les débris de l'armée du Portugal passaient de + l'autre côté du Duero, ainsi que V. A. S. le voit par les détails + contenus dans cette lettre? _Je ne voulais pas m'appesantir sur + cette mauvaise foi et cette perfidie. La bataille du 22 a été perdue + parce que le maréchal duc de Raguse n'a pas voulu m'attendre, ni + attendre les secours qui lui venaient du Nord; ces secours et ceux + que je lui amenais étaient en mesure de le joindre le lendemain ou + le surlendemain de l'affaire; mais il paraît que, trompé par une + ruse de lord Wellington_ qui a fait tomber entre ses mains une + lettre au général Castanos, dans laquelle il lui mandait que sa + position n'était plus tenable et qu'il était obligé de se retirer, + M. le duc de Raguse a cru marcher à une victoire assurée, et une + soif désordonnée de gloire ne lui a pas permis d'attendre _un chef_. + + +Une fois encore la reine Julie et ses enfants durent se mettre en route +pour venir rejoindre le roi Joseph à Madrid, mais ce projet dut être +abandonné pour l'instant. Le roi fut obligé de quitter sa capitale pour +chercher à se réunir aux armées de Suchet et de Soult. Tandis que ce +dernier s'obstinait à rester en Andalousie et que Marmont avec l'armée +du Portugal se hâtait de livrer inconsidérément, près de Salamanque, la +bataille des Arapiles, qu'il perdait pour n'avoir pas voulu attendre les +renforts en marche pour le rejoindre, Joseph ralliait Suchet à Valence, +apprenait par le plus singulier des hasards les infâmes accusations du +duc de Dalmatie[34], portait son quartier-général à Valladolid, selon +les instructions de l'empereur, et écrivait de cette ville, le 3 mai +1813, à la reine Julie: + + [Note 34: On trouvera un peu plus loin le récit relatif à + l'accusation portée par Soult sur Joseph.] + + + Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 8 avril par des courriers qui + portent des lettres de Paris à la date du 16. Je n'ai pas reçu de + lettre des enfants, je me persuade toutefois que vous vous portez + bien toutes les trois. M. de la Forest[35] part pour les eaux, je + pense que tu le verras à Paris, son langage est bon, mais il n'est + pas secondé par quelques chefs qui en tiennent un différent. Les + troubles du Nord de l'Espagne ne peuvent être attribués qu'à + l'erreur dans laquelle on laisse les habitants sur leur sort futur; + l'opinion a causé tout le mal et l'opinion continue à être trompée + et à causer cette résistance nationale qui occupe une grande partie + de nos forces. Du reste, l'opinion générale de toutes les provinces + et de toutes les classes est uniforme: la paix..... qui conserve la + paix avec la France et qui garantit l'intégrité et l'indépendance de + la monarchie. + + [Note 35: Ambassadeur de France à Madrid.] + + Les opérations ne sont pas encore commencées. + + +Le roi Joseph obtint enfin au commencement de 1813 le rappel du +maréchal Soult. Il fut informé de cette disposition par une lettre +du duc de Feltre, auquel l'empereur, qui n'écrivait plus directement +à son frère, avait envoyé la dépêche suivante, datée de Paris, 3 +janvier: + + + Monsieur le duc de Feltre, le roi d'Espagne demandant qu'on rappelle + à Paris le duc de Dalmatie, et ce maréchal le demandant aussi, ou au + moins à revenir par congé, envoyez au duc de Dalmatie, par estafette + extraordinaire, un congé pour revenir à Paris; le général Gazan + prendra le commandement de son corps ou le maréchal Jourdan. Il faut + expédier ces ordres par duplicata et triplicata. + + Faites connaître au roi, en lui écrivant en chiffres, que, dans les + circonstances actuelles, je pense qu'il doit placer son quartier + général à Valladolid, que le 29me bulletin lui aura fait connaître + la situation des affaires du Nord qui exigent tous nos soins et nos + efforts, qu'il peut bien faire occuper Madrid par une des extrémités + de la ligne, mais que mon intention est que son quartier général + soit à Valladolid; et que je désire qu'il s'applique à profiter de + l'inaction des Anglais pour pacifier la Navarre, la Biscaye et la + province de Santander. + + +Nous allons placer ici l'affaire relative au duc de Dalmatie. + +Le maréchal était l'homme qui avait le plus contribué au mauvais +succès des affaires d'Espagne. Depuis qu'il était en Andalousie, se +trouvant maître des ressources de cette riche province, il ne +voulait pas quitter Séville et refusait d'obéir aux ordres du roi, +lequel avait hâte de concentrer ses forces. Dans le but de pallier +la faute qu'il commettait en n'obéissant pas aux ordres du roi, son +chef militaire, puisque Joseph commandait toutes les armées dans la +Péninsule; dans le but d'échapper aux conséquences de son refus de +joindre ses troupes à celles des autres corps opérant en Espagne, le +duc de Dalmatie imagina le plus singulier moyen. Il osa accuser le +roi Joseph de trahir la France et l'empereur et déclarer qu'il était +de son devoir de ne pas obéir au roi. Il osa envoyer à Napoléon +lui-même une dépêche dans ce sens. + +Voici à cet égard une note copiée au journal du général Desprez, +colonel, aide de camp de Joseph en 1812, envoyé au duc de Dalmatie +pour lui porter les ordres du roi, envoyé ensuite à l'empereur, à +Moscou, pour lui remettre les dépêches de Soult, si singulièrement +tombées aux mains de Joseph à Valence, ainsi qu'on va le voir. + +Le colonel Desprez avait été envoyé à Séville par le roi, porter +l'ordre au maréchal de partir avec l'armée du Midi pour le joindre. + + + À peine avais-je quitté l'Andalousie pour revenir près de Joseph, + écrit-il, que le duc de Dalmatie s'était occupé de concilier sa + propre sûreté avec une désobéissance formelle. Le moyen dont il + s'était avisé peut servir à peindre son caractère. Les généraux de + division de son corps furent réunis en conseil secret et là, d'une + voix émue, il avait annoncé qu'il allait leur faire des révélations + aussi pénibles qu'importantes: «J'ai, leur avait-il dit, de fortes + raisons de croire que le roi trahit les intérêts de la France. Je + sais d'une manière positive qu'il entretient des relations avec la + régence espagnole. Son beau-frère, le roi de Suède, lui sert + d'intermédiaire. Celui-ci est devenu l'allié des insurgés et déjà + 300 Espagnols destinés à former sa garde se sont embarqués à Cadix. + Sujet de l'empereur et général français, je dois veiller, avant + tout, aux intérêts de mon souverain et à l'honneur de nos armes. Je + puis recevoir des ordres qui les compromettront, alors la + désobéissance deviendrait un devoir. Dans des circonstances aussi + graves, je compte sur votre dévouement à l'empereur et sur votre + confiance dans le chef qu'il vous a donné.» Cette démarche avait été + habilement conçue dans le cas où le maréchal aurait voulu prendre un + parti violent et se trouvait justifiée aux yeux de l'armée. + D'ailleurs, il connaissait trop bien le caractère de Napoléon pour + craindre que jamais cette excessive défiance lui parût un crime + impardonnable. Pour se mettre entièrement à couvert, il avait songé + à prévenir le gouvernement français des inquiétudes qu'il avait + conçues et des précautions que son dévouement lui avait dictées. Les + communications par terre étant interrompues, il fit partir de Malaga + un _aviso_ chargé de ses dépêches. À peine le bâtiment était-il + sorti du port qu'une corvette anglaise lui avait donné la chasse. + Pour échapper à cette poursuite, il était venu se jeter à la côte de + Valence. Le capitaine s'étant présenté au duc d'Albuféra, celui-ci + prit ses dépêches et les porta au roi; elles furent ouvertes + sur-le-champ et on y trouva une longue lettre au ministre de la + guerre, où Soult dénonçait formellement celui dont il se disait + l'ami le plus dévoué. Je vis cette lettre et il est impossible de + concevoir que l'hypocrisie aille plus loin. Après une longue + énumération de faits, le maréchal faisait une vive peinture de la + douleur qu'il avait éprouvée. Il aurait voulu se dissimuler la + vérité, épargner à l'empereur des révélations pénibles, mais le + devoir avait parlé plus haut que toute autre considération. + + Cette perfidie consterna Joseph. La haute opinion que le maréchal + semblait avoir conçue de son esprit, les protestations de tendresse + qu'il en recevait, avaient séduit un homme que l'amour-propre + rendait excessivement crédule, mais de ce moment toute illusion fut + détruite. + + +Cette note, copiée sur le journal du général Desprez, fut +communiquée à M. de Presle, le jour même où l'aide de camp du roi +Joseph, devenu un des généraux les plus distingués de l'armée +française, partit, en 1830, pour l'expédition d'Alger. + +L'empereur ne témoigna aucun mécontentement au duc de Dalmatie, ne +répondit pas à son frère relativement à cette grosse affaire et se +borna à autoriser le retour en France du maréchal Soult, comme on +l'a vu, par sa lettre du 3 janvier 1813, au duc de Feltre. Puis, dès +qu'il connut le résultat de la bataille de Vittoria (24 juin 1813), +la retraite des armées d'Espagne sur les Pyrénées, l'empereur envoya +le même duc de Dalmatie prendre le commandement de ses armées +d'Espagne, commandement que Joseph se hâta de lui remettre. + +Ainsi, le malheureux roi d'Espagne, comme l'avait été deux années +auparavant le roi de Hollande, n'était en quelque sorte qu'un +souverain nominatif, sans cesse désavoué par l'empereur, désobéi par +les généraux mis sous ses ordres, et dont les provinces étaient +dévastées, pillées par plusieurs de ces mêmes généraux. Napoléon lui +promettait des subsides et trouvait toujours moyen d'éluder une +partie de ce qu'il s'était engagé à lui fournir; ne répondait ni à +ses lettres, ni à ses justes réclamations; ne le défendait même pas +des injurieuses et sottes accusations que portait contre lui un de +ses propres maréchaux! Bien plus, il semblait admettre que ces +accusations pouvaient être fondées, car il plaçait ce même maréchal +à la tête de ses troupes. + +En arrivant à Saint-Jean de Luz, le 1er juillet 1813, Joseph écrivit +à la reine: + + + Ma chère amie, M. Melito, que j'ai chargé d'une lettre pour + l'Empereur, te fera connaître exactement ma position; je ne pense + pas que les affaires d'Espagne puissent se rétablir autrement que + par la paix générale, je suis resté ici parce que la frontière est + menacée, mais dès que cette première frayeur sera dissipée et que la + défensive sera bien assurée, ma présence étant inutile, je désire me + retirer soit à Mortefontaine, soit dans le Midi; je suppose que l'on + formera ici deux armées, qui devront avoir deux chefs différents, je + ne crois pas que j'aie ici rien à faire, dès que la première + impression sera passée, et que l'empereur aura pris ses mesures. Je + ne dois pas te cacher non plus qu'aujourd'hui même je me sens + incapable de monter à cheval par mes anciennes douleurs qui m'ont + pris cette nuit, soit à la suite des longues pluies que nous avons + essuyées, soit à cause du changement de climat et je n'hésite pas à + te dire que sous tous les rapports je dois désirer de me retirer. + D'un autre côté je suis ici avec une maison qui me coûte encore + trois cent mille francs par mois et je n'ai pas un sol pour la + payer. Elle vit, depuis la funeste journée du 21, sur le peu + d'argent que chacun de mes officiers ou de mes domestiques avait + dans sa poche, et pour te donner une plus parfaite idée de ma + position, je t'envoie la lettre que je reçois à l'instant même[36]. + + [Note 36: Lettre d'un de ses serviteurs dévoués qui lui + demandait un peu d'argent pour subvenir à ses besoins.] + + En me retirant à Mortefontaine, je pourrai y vivre avec mon + traitement de France que l'on t'a continué, et si l'empereur veut + faire mettre à ma disposition une somme de quelques centaines de + mille francs, je pourrai renvoyer tout mon monde avec une légère + gratification. + + Si l'empereur n'y pense pas, je compte sur Nicolas Clary. En + ajoutant aux cent mille francs que je t'ai prié de lui dire de + verser à M. James, encore quatre cent mille francs, je pourrai + m'acquitter autant que les circonstances le permettent; je suppose + que je serai rendu à Mortefontaine avant la fin du mois. La garde, + les troupes espagnoles, les militaires des deux nations qui me + suivent pourront être habilement employés par l'empereur, et je ne + doute pas qu'ils ne servent bien; il me reste le souci de quelques + employés français, mais le nombre en est très restreint. Les + réfugiés espagnols sont en plus grand nombre, mais j'ai écrit à + l'empereur et fait écrire au ministère et je ne doute pas que l'on + n'adopte, en leur faveur, les mêmes mesures qui furent prises dans + d'autres temps pour les Bataves, les Belges et les Cisalpins. J'ai + perdu quelques-uns des diamants qui restaient, mais j'en ai aussi + conservé assez pour couvrir Nicolas des avances qu'il serait dans le + cas de me faire encore. Au reste j'espère que je n'aurai pas besoin + de recourir à lui pour peu que l'empereur connaisse ma position. Le + traitement de prince français sera bien suffisant pour la vie que je + dois mener après tant de traverses. + + Je diminuerai la quotité des pensions que je faisais et les + répartirai sur les plus malheureux des hommes respectables que j'ai + aujourd'hui le malheur de voir partir à pied pour Toulouse, Cahors, + Tarbes, sans pouvoir leur donner un sou. Je suis resté avec un + napoléon dans ma poche après le massacre de Thibaut[37], je n'ai pu + faire vendre à Bayonne de l'argenterie qui y avait été transportée + avec des effets usuels, successivement de Madrid pour le palais de + Valladolid et de Valladolid pour celui de Vittoria, d'où M. Thibaut, + qui était extrêmement soigneux, économe pour mon service, les avait + fait transporter. Tout cela se dirigera sur Paris, il y aura de + l'argenterie pour cinquante mille écus que M. James peut faire + vendre. J'ai fait voeu d'employer cette somme ainsi que toutes + celles qui proviendront du peu que j'ai emporté d'Espagne, en faveur + des malheureux patients espagnols qui me suivent ou qui m'ont + précédé en France. + + [Note 37: Trésorier du roi, tué dans la retraite de + Vittoria.] + + J'espère que tu ne désapprouveras rien de tout cela. + + Après tant d'orages, ma chère amie, l'idée du calme me donne quelque + soulagement et je ne pense pas sans plaisir que je pourrai m'occuper + de mes enfants pendant le peu de temps qui me reste à les voir avant + leur établissement. + + L'empereur me trouvera toujours s'il a besoin de moi et, dans tous + les cas, s'il est vrai qu'il ne lui reste plus rien de fraternel + dans l'âme pour moi, je le forcerai à ne pas rougir d'un frère qui + se sera montré impassible dans la bonne comme dans la mauvaise + fortune. + + Il me reste à désirer que tu ne te laisses pas affecter par tout + ceci, que tu ramènes des eaux une meilleure santé et que tu croyes + bien, quelque chose que tu m'aies dite souvent, que je n'ai d'autre + ambition que de remplir ce que je crois mes devoirs; cela fait, je + préfère et j'ai toujours véritablement préféré la vie privée aux + grandeurs et aux agitations publiques, le présent et l'avenir te + prouveront ceci. + + Melito est parti avec le peu d'argent qu'il avait dans ses poches; + je te prie de lui faire remettre 8000 francs, afin qu'il puisse + faire convenablement sa route et revenir m'apporter la réponse de + l'empereur le plus tôt possible. Si tu te crois en mesure de lui + écrire pour la lui recommander, tu me feras plaisir. C'est le seul + homme des anciens amis qui me soit resté attaché jusqu'à la fin. Je + voudrais que l'empereur trouvât bon qu'il continuât de porter le + titre de comte de Melito que je lui donnai à Naples, où tu te + rappelles qu'il servait bien comme ministre de l'intérieur. + + Adieu, etc. + + + JOSEPH À LA REINE JULIE. + + Bayonne, le 13 juillet 1813. + + Ma chère amie, M. Roederer te donnera de mes nouvelles ou t'écrira; + je compte aller prendre les eaux de Bagnères où j'attendrai de tes + nouvelles; je viendrai te rejoindre à Mortefontaine ou, si cela + contrarie l'empereur, tu viendrais ou tu me donnerais rendez-vous + dans une terre que tu aurais fait choisir dans le Midi de la France, + tu amènerais nos enfants; je me porte assez bien. + + Les pertes de l'armée se réduisent à des canons, l'ennemi avoue + avoir perdu beaucoup plus de chevaux et d'hommes que nous. + + Je laisse l'armée plus forte du double que celle que j'avais à + Vittoria. + + Si tu dois venir me rejoindre, il serait bon que Nicolas y vînt avec + toi; si je dois venir à Paris, je le verrai à Paris. + + +(1814-1841.) + +Joseph n'était pas encore arrivé au port où il espérait se reposer +des tracas de la vie publique. Le sort lui réservait une autre +période de tourments. + +Revenu des eaux de Bagnères, où sa santé l'avait obligé à un court +séjour, en août 1813, et installé à Mortefontaine près Paris, le +frère aîné de l'empereur apprit, dans un entretien qu'il eut avec +Napoléon, que ce dernier était sur le point de replacer Ferdinand +VII sur le trône d'Espagne. Après une longue discussion avec +l'Empereur, il crut devoir lui écrire le 30 novembre 1813: + + + Sire, + + La réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le + rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes + conséquences et pour l'Espagne et pour la France. Le prince + Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien en faveur de la + France; il pourra tout contre elle, son apparition excitera d'abord + quelques troubles, mais les Anglais s'en empareront bientôt et dès + qu'ils lui auront fait tourner les armes contre la France, il aura + avec lui, et les partisans des Anglais et les partisans de la France + que nous aurons abandonnés et ceux qui tiennent au système de voir + leur pays gouverné par une branche de la maison de France, système + si heureusement professé à Bayonne et qui, depuis un siècle, a fait + la tranquillité de l'Espagne. Tout homme de bien et de sens qui + connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des + hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces + vérités. Je prie V. M. de faire consulter quelques Espagnols + éclairés qui sont en France, entr'autres MM. Aranza, O'Farell, qui + étaient ministres, nommés par le prince Ferdinand. + + Quant à moi, Sire, que V. M. daigne un moment se supposer à ma + place. Elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé + il y a dix ans au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples + avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu de traverses de tous + les genres, et malgré cela ayant su me concilier l'estime de la + nation, persuadé comme je le suis que tant que la dynastie de V. M. + régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou + par un prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même les + seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience sans + reproches et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc que + présenter ces réflexions à V. M. I. et R., et, dérobant au grand + jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille les + coups dont il plaira au destin de frapper encore et l'Espagne et + moi, et les bienfaits qu'il nous est permis d'espérer de la + puissance de votre génie et de la grandeur du peuple français. + + +L'empereur ne répondit pas à cette lettre. Un mois plus tard, le 29 +décembre 1813, Joseph, voyant le territoire suisse violé et la +France prête à être envahie, écrivit de nouveau à son frère pour se +mettre à sa disposition. Napoléon lui répondit durement, tout en +acceptant sa participation à la défense de l'État[38]. À son départ +pour l'armée, il le nomma son lieutenant-général à Paris. + + [Note 38: Lettre de Napoléon à Joseph, en date du 2 janvier + 1814 (_Mémoires du roi Joseph_, vol. 10e, p. 3). On a + supprimé dans cette lettre la phrase suivante: «Vous n'êtes + plus roi d'Espagne, je n'ai pas besoin de votre renonciation, + puisque je ne veux pas de l'Espagne.»] + +L'ex-roi de Naples et d'Espagne eut avec son frère, tandis que ce +dernier était à l'armée, une correspondance longue, suivie, des plus +importantes, publiée d'abord dans les _Mémoires du roi Joseph_, +reproduite plus tard dans le grand ouvrage de la correspondance de +Napoléon 1er (du moins quant aux lettres écrites par l'Empereur à +son frère). + +On a omis cependant dans ces deux ouvrages quelques fragments de +lettres; nous les ferons connaître au fur et à mesure, à leur date. + +Joseph, ayant appris que, suivant son exemple et oubliant les +différends qu'il avait eus avec l'Empereur, Louis venait de se +mettre à la disposition de Napoléon, écrivit à l'ex-roi de Hollande +la lettre ci-dessous, datée de Mortefontaine le 2 janvier 1814: + + + Mon cher frère, tu sais comment je suis ici depuis dix mois. Quinze + jours seulement après mon arrivée, l'Empereur me dit qu'il voulait + rétablir les Bourbons en Espagne. Il me demanda mon avis réfléchi. + Il est contenu dans la pièce nº 1 que je lui ai adressée deux jours + après notre entrevue. Il y a huit jours, maman m'a dit que + l'Empereur désirait me voir. J'étais alors retenu dans ma chambre + par le rhume violent qui m'y retient encore. J'appris en même temps + que l'Empereur avait dit aux sénateurs qu'il avait reconnu Ferdinand + et accrédité auprès de lui l'ambassadeur Laforest qui était + accrédité auprès de moi. J'écrivis alors à l'Empereur la lettre dont + ci-joint la copie sous le nº 2[39]. + + [Note 39: Voyez la lettre à l'Empereur du 30 novembre 1813.] + + Ma femme la lui remit et il lui dit: _Je suis forcé à ceci._ Les + événements me paraissant de plus en plus graves, je lui ai écrit de + nouveau hier[40]. Le porteur a reçu la même réponse. Le fait est que + je puis tout sacrifier à l'Empereur, à la France et à l'Europe, + tout, hormis l'honneur. L'honneur ne me permet pas de me montrer + autrement que comme roi d'Espagne, tant que je n'aurai pas abdiqué, + ce que je ne puis et ce que je ne veux faire que pour la paix + générale et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols par un + traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne + d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne M. le duc de + Cadore. + + [Note 40: Cette lettre est aux _Mémoires de Joseph_, à sa + date (29 décembre 1813).] + + Qu'on me traite en roi, ou qu'on me laisse dans l'obscurité. + + Maman qui ne sait rien de tout cela, n'est mue que par un sentiment, + celui de la réunion. Je suis très peiné, mon cher Louis, que ces + circonstances retardent le plaisir que j'aurai à t'embrasser après + tant de désastres. + + +Le roi Joseph était rentré en grâce près de Napoléon, soit que +l'Empereur le préférât à ses autres frères, soit qu'il eût en lui +plus de confiance qu'en Louis et en Jérôme. L'empereur continua à +traiter ces derniers avec rigueur, ne voulant les voir ni l'un ni +l'autre et écrivant même le 2 février 1814 à l'Impératrice pour lui +défendre de recevoir le roi et la reine de Westphalie. Ce fait +résulte de la lettre suivante: + + + MARIE-LOUISE À JOSEPH. + + Paris, 3 février 1814. + + Je reçois à l'instant une lettre de l'Empereur du 2 février qui me + défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte + le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito. + + Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les + regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la + sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère, + + Votre affectionnée soeur. + + LOUISE. + + +À la fin de février 1814, seulement, Napoléon voulut bien se +rapprocher de ses frères Louis et Jérôme. Il écrivit à Joseph, de +Nogent-sur-Seine, le 21 février, cette curieuse lettre[41]: + + [Note 41: Cette lettre, fort écourtée aux _Mémoires de + Joseph_, volume 10e, page 139, a été complètement supprimée à + la correspondance de l'Empereur.] + + + Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie: je + l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation + que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au + roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme + hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison + westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester + en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou + quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, + tous Français, et pour la reine, deux ou trois dames françaises pour + l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa + dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des + lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. + Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen + et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et + la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autorise le roi à + habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui + appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine + continueront à porter le titre de roi et reine de Westphalie, mais + ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se + rendra à mon quartier-général d'où mon intention est de l'envoyer à + Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de + l'armée; si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux + avant-postes, de n'avoir aucun train royal, de n'avoir aucun luxe, + pas plus de 15 chevaux, de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne + tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé. J'écris + au Ministre de la Guerre et je lui ferai donner des ordres. Il + pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa + maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de + cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de + selle, un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou + trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il + faut qu'il fasse de bons choix d'aides de camp, que ce soit des + officiers qui aient fait la guerre, qui puissent commander des + troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verdrun, les + Brongnard et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait + tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le Ministre de la + Guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major. + + Votre affectionné frère. + + +Dans une autre lettre à Joseph du 7 février, on lit: + + + Faites donc cesser ces prières de 40 heures et ces _Miserere_; si + l'on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la + mort. Il y a longtemps que l'on dit que les prêtres et les médecins + rendent la mort douloureuse. + + +L'Empereur termine celle du 9 février par ces mots: + + + Priez la _Madona_ des armées qu'elle soit pour nous, Louis qui est + un saint, peut s'engager à lui donner un cierge allumé. + + +Ces deux passages ont été supprimés dans les _Mémoires_ et à la +correspondance. + +La veille, le 8 février, Napoléon avait envoyé à son frère aîné une +très longue lettre, des plus importantes, qui explique, avec une +autre du 15 mars, et justifie pleinement la conduite de Joseph au 31 +mars. Plusieurs passages de la lettre du 8 février, relatifs au roi +Louis, ont été supprimés dans les ouvrages qui ont paru; nous +croyons devoir rétablir cette lettre _in-extenso_: + + + Nogent, le 8 février 1814, 4 heures du matin. + + Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à 11 heures du soir; elle + m'étonne beaucoup, j'ai lu la lettre du roi Louis qui n'est qu'une + rapsodie; cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la + question. + + Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez + plus en question la fin, qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand + cela arrivera je ne serai plus; par conséquent ce n'est pas pour moi + que je parle. Je vous ai dit pour l'Impératrice et le roi de Rome et + notre famille ce que les circonstances indiquent et vous n'avez pas + compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que si le cas arrivait, + ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement, je suis persuadé + qu'elle-même a ce pressentiment[42]. + + [Note 42: Que Marie-Louise pensait que Napoléon se ferait + tuer.] + + Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à + propos. Du reste je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais + m'être expliqué avec vous, mais vous ne vous souvenez jamais des + choses et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui + vous reflète cette opinion. + + Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de + mon vivant, j'ai droit à être cru par ceux qui m'entendent. + + Après cela, si, par des circonstances que je ne puis prévoir, je me + portais sur la Loire, je ne laisserai pas l'Impératrice et mon fils + loin de moi, parce que, dans tous les cas, il arriverait que l'un et + l'autre seraient enlevés et conduits à Vienne, que cela arriverait + bien davantage si je n'existais plus. Je ne comprends pas comment, + pendant ces menées auprès de votre personne, vous couvrez d'éloges + si imprudents la proposition de traîtres si dignes de ne conseiller + rien d'honorable; ne les employez jamais dans un cas, même le plus + favorable[43]. C'est la première fois depuis que le monde existe, + que j'entends dire qu'en France une population de (_illisible_) âmes + assiégée ne pouvait pas vivre trois mois. D'ailleurs nul n'est tenu + à l'impossible, je ne peux plus payer aucun officier et je n'ai plus + rien. + + [Note 43: Il voulait parler de Talleyrand, Fouché et autres.] + + J'avoue que votre lettre du 7 (février) à quatre heures du soir m'a + fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que + vous vous laissez aller aux bavardages d'un tas de personnes qui ne + réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement: si Talleyrand + est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à + Paris dans le cas où l'ennemi se rapprocherait, c'est trahir; je + vous le répète, méfiez-vous de cet homme; je le pratique depuis + seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui, mais c'est sûrement + le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a + abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai + donnés, j'en sais plus que ces gens-là. + + S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez + instruit avant ma maison: _faites partir l'Impératrice et le roi de + Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au Conseil d'État et à + toutes les troupes de se réunir sur la Loire_. Laissez à Paris un + préfet et une commission impériale, ou des maires.--Je vous ai fait + connaître que je pensais que Madame et la reine de Westphalie + pourraient bien rester à Paris logées chez Madame. Si le vice-roi + est revenu à Paris, vous pourrez aussi l'y laisser, _mais ne laissez + jamais tomber l'Impératrice et le roi de Rome entre les mains de + l'ennemi_. Soyez certain que dès ce moment l'Autriche, étant + désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage, et sous le + prétexte de voir l'Impératrice heureuse on ferait adopter aux + Français tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient + leur suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit. + + Au lieu que, dans le cas opposé, l'esprit national du grand nombre + d'intéressés à la révolte rendrait tout résultat incalculable. + + Au reste, il est possible que l'ennemi, s'approchant de Paris, je le + battrai, et cela n'aura pas lieu. Il est possible aussi que je + fasse la paix sous peu de jours: mais il en résulte toujours par + cette lettre du 7 à 4 heures du soir que vous n'avez pas de moyens + de défense..... Pour comprendre ces choses je trouve toujours votre + jugement faux; c'est enfin une fausse doctrine. L'intérêt même de + Paris est que l'Impératrice et le roi de Rome n'y restent pas, parce + que l'intérêt ne peut pas être séparé de leur personne et que depuis + que le monde est monde je n'ai jamais vu qu'un souverain se laissât + prendre dans des villes ouvertes. Ce serait la première fois. + + Ce malheureux roi de Saxe arrive en France, il perd ses belles + illusions! (_Deux lignes indéchiffrables._) Dans les circonstances + bien difficiles de la crise des événements, on fait ce qu'on doit et + on laisse aller le reste. Or, si je vis on doit m'obéir, et je ne + doute pas qu'on s'y conforme. Si je meurs, mon fils régnant et + l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas + se laisser prendre et se retirer au dernier village..... + + Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on + en effet de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils + et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux de tout finir en les + conduisant prisonniers à Vienne. _Je suis surpris que vous ne + conceviez pas cela!_ Je vois que la peur fait tourner les têtes à + Paris. + + L'Impératrice et le roi de Rome à Vienne ou entre les mains des + ennemis, vous et ceux qui voudraient se défendre seraient + rebelles!... + + _Quant à mon opinion, je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt + que de le voir jamais élevé à Vienne comme un prince autrichien_, et + j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être aussi persuadé + qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent en + être. + + Je n'ai jamais vu représenter _Andromaque_ que je n'aie plaint le + sort d'Astyanax survivant à sa maison et que je n'aie regardé comme + un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père. + + Vous ne connaissez pas la nation française. Le résultat de ce qui se + passerait dans ces grands événements est incalculable. + + Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre (sa dernière lettre + me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et vous ferait + beaucoup de mal). + + +Voici maintenant la lettre du roi Joseph, en date du 7 février 1814 +(11 heures du soir), à laquelle répond la lettre précédente. Elle a +été supprimée aux _Mémoires_. + + + Paris, le 7 février 1814, à 11 heures du soir. + + Sire, + + J'ai reçu les deux lettres de V. M. d'hier. J'ai vu et écrit au duc + de Valmy. Il part ce soir pour Meaux. Il m'a communiqué une lettre + du duc de Tarente datée du 6. Il était encore à Épernay et n'avait + aucune nouvelle de V. M. depuis 4 jours. Il avait abandonné Châlons + après s'y être défendu quelque temps. L'artillerie avait été dirigée + sur Meaux. L'ennemi était entré à Sézanne. L'intendant et les + caisses avaient échappé à l'ennemi. + + Voici l'itinéraire exact de la 9e division d'infanterie de l'armée + d'Espagne[44]. + + [Note 44: Pièce annexée.] + + J'ai envoyé un aide de camp sur la route de Châlons par Vitry. J'ai + chargé le Ministre de la Guerre d'en envoyer un autre sur la route + de (_illisible_). + + Le Ministre de la Guerre me mande qu'il avait fait envoyer ce matin + 2,000 fusils à Montereau. + + Je lui ai écrit de (_deux mots illisibles_) ce soir. + + J'ai parlé à Louis du projet de le laisser ici. Il me répond par une + longue lettre que je prends le parti d'envoyer à V. M. Il me semble + que V. M. m'a dit que les princesses devaient suivre l'Impératrice; + s'il en était autrement, il faudrait qu'elle l'écrive d'une manière + positive. Je fais des voeux pour que le départ de l'Impératrice + puisse n'avoir pas lieu. Nous ne pouvons nous dissimuler que la + consternation et le désespoir du peuple pourront avoir de terribles + et funestes résultats. Je pense avec toutes les personnes qui + peuvent apprécier l'opinion, qu'il faudrait supporter bien des + sacrifices avant d'en venir à cette extrémité. Les hommes attachés + au gouvernement de V. M. craignent que le départ de l'Impératrice ne + livre le peuple, de la capitale au désespoir et ne donne une + capitale et un empire aux Bourbons. Tout en manifestant ces craintes + que je vois sur tous les visages, V. M. peut être assurée que ses + ordres seront exécutés pour ma part très fidèlement, dès qu'ils me + seront arrivés. + + J'ai parlé au général Caffarelli[45] pour Fontainebleau, ainsi qu'à + M. La Bouillerie[46] pour le million de la guerre et les autres + objets. + + [Note 45: Général employé à Paris.] + + [Note 46: Intendant de la liste civile.] + + Je ne sais pas jusqu'à quel point ce que j'ai cru remarquer peut + paraître convenable à V. M.; mais je puis l'assurer qu'il importe de + faire payer un mois d'appointements aux grands dignitaires, + ministres, conseillers d'État, sénateurs. On m'en a cité plusieurs + dans un véritable besoin et plusieurs seront bien embarrassés pour + partir, si le cas se présente, et l'on prévoit qu'ils resteront à + Paris. + + J'ai eu la visite de M. le maréchal Brune que je n'ai pu voir; je ne + doute pas qu'il ne soit venu offrir ses services, je serais bien + aise de connaître les intentions de V. M. + + Jérôme est contrarié que V. M. ne se soit pas encore expliquée sur + la demande que j'ai faite pour lui dans deux de mes précédentes + lettres. + + On m'assure que M. de Lafayette a été un des premiers grenadiers de + la garde nationale qui ait été en faction à l'Hôtel-de-Ville. + + Les barrières seront entièrement fortifiées demain et l'on + commencera à y transporter de l'artillerie. Le général Caffarelli a + répondu au duc de Conegliano qu'il n'avait pas encore l'autorisation + du Maréchal du Palais à qui il avait écrit (_mots illisibles_) la + garde impériale fournit un poste de 25 hommes. + + P. S.--Je reçois la lettre de V. M. en date d'aujourd'hui de Nogent. + Les dispositions qu'elle prescrit ont déjà été ordonnées et je + tiendrai V. M. au courant, à mesure de leur exécution. + + +Après la chute de l'Empire, quelques auteurs de mémoires, des +historiens mêmes, comme M. de Norvins, ont reproché au roi Joseph +son départ de Paris et celui de l'Impératrice; ces écrivains ne +connaissaient pas évidemment la lettre de l'Empereur, du 8 février, +et ses ordres formels. Joseph, pendant son exil, crut devoir réfuter +ces assertions. Voici une note à cet égard, écrite tout entière de +sa main: + + + Il est faux que nul autre que Joseph eût la copie de la lettre de + l'Empereur qui prescrivait le départ (celle du 16 mars 1814). Joseph + resta à Paris d'après la proposition qu'il en fit au Conseil, ainsi + que les Ministres de la Guerre, de la Marine, le premier inspecteur + du génie, afin d'atténuer le mauvais effet que devait produire le + départ de l'Impératrice, et pour reconnaître, par eux-mêmes, les + forces ennemies qui marchaient sur Paris et ne quitter la ville, + pour rejoindre la régente sur la Loire, qu'après s'être assurés de + l'incontestable supériorité de l'ennemi. Il est faux que Joseph se + soit établi aux Tuileries comme lieutenant de l'Empereur, il se + rendit avec les Ministres qui étaient restés avec lui en + reconnaissance sur la route de Meaux, passa la nuit au Luxembourg, + et le lendemain s'établit hors des barrières de Paris pour être à + portée de recevoir les rapports des officiers qui étaient en + reconnaissance et prévenir l'exaltation qui pouvait être excitée + parmi le peuple par l'arrivée des courriers qui se succédaient à + chaque moment. Lorsqu'il fut bien reconnu et _bien évident pour + tous_ que l'empereur de Russie, le roi de Prusse et le prince de + Schwartzemberg étaient à quelques milles de la ville; que le + maréchal de Marmont commandant en chef eut déclaré qu'il ne pouvait + pas tenir davantage contre des forces sans nulle proportion avec + celles qu'il commandait; que si la nuit arrivait sans qu'on eût pris + un parti, il ne répondait pas de pouvoir empêcher les ennemis de + s'introduire dans la ville, le roi Joseph, de l'avis des ministres + qui se trouvaient avec lui, et pour sauver la capitale des désastres + qui la menaçaient de la part de l'ennemi, approuva la proposition de + capitulation qui lui était faite par le maréchal Marmont et ne + partit que lorsqu'il vit les forces ennemies dans Saint-Denis, et + ses partis prêts à s'emparer des ponts sur la Seine, qu'ils + occupèrent effectivement peu de temps après son passage et celui des + membres du Conseil qui, ayant satisfait à leur mandat, allaient + rejoindre la régente sur la Loire où elle devait se rendre en + exécution des ordres de l'Empereur. + + +En 1814 se termine le rôle politique de Joseph. Retiré à Prangins, +en Suisse, sur les bords du lac de Genève, pendant le séjour de +Napoléon à l'île d'Elbe, il fut assez heureux pour pouvoir le faire +prévenir que deux misérables avaient juré de l'assassiner. L'un de +ces hommes fut arrêté, en effet, à son débarquement dans l'île. + +Lorsque l'Empereur revint en France, en mars 1815, son frère, +prévenu, accourut et put le rejoindre à Paris. Après Waterloo, il +l'accompagna à Rochefort, essaya vainement d'obtenir de lui de +prendre sa place à l'île d'Aix pendant que lui-même, Napoléon, +passerait en Amérique. L'Empereur refusa et voulut se confier aux +Anglais, les considérant comme de nobles et loyaux ennemis. Joseph, +plus sage et plus heureux, put gagner New-York et se fixa, l'hiver à +Philadelphie, l'été sur les bords de la Delaware dans une belle +propriété nommée Pointe-Breeze qu'il acheta. + +On a vu quelles étaient les intentions de Joseph en quittant +l'Espagne (lettre du 1er juillet 1813 à la reine Julie) relativement +à l'argenterie et aux quelques valeurs que son trésorier, M. +Thibault, avait pu sauver, et qui étaient parvenues à Bayonne. +Cependant, par la suite, des ministres espagnols ne craignirent pas +d'accuser le Roi d'avoir détourné à son profit les diamants de la +couronne. + +Voici la vérité sur ce fait: + +Joseph avait, comme roi d'Espagne, une liste civile d'un million par +mois. Il devait toucher 500,000 fr. de l'Empereur et 500,000 fr. du +trésor espagnol. La plupart du temps, Napoléon ne payait pas son +frère; en outre, le trésor d'Espagne étant obéré n'avait pas +d'argent pour payer les 500,000 fr. mensuels. Dans ce cas, le +ministre des Finances faisait estimer, par des experts du pays, des +diamants pour la dite somme, et les remettait aux mains de Joseph. +Ces diamants lui appartenaient donc bien légitimement, et l'on a vu +par sa correspondance avec sa femme dans quel état de dénuement le +malheureux prince était revenu en France. On a vu qu'il n'avait pas +hésité à emprunter à son beau-frère, Marius Clary, pour pouvoir +donner de l'argent aux serviteurs qui l'avaient accompagné sur la +terre de France et leur permettre de se rapatrier; on a vu même +qu'il n'avait pas voulu détourner, à son profit, une obole de +l'argent provenant de la vente de l'argenterie de la couronne, ce +qu'il eût pu faire au lieu d'emprunter pour les Espagnols qui +l'avaient suivi. L'accusation portée contre lui tombe donc +d'elle-même. D'ailleurs une partie de ces diamants, en vertu de +l'article XI du traité de Bayonne, avait été emportée par Ferdinand, +ainsi que nous l'avons dit plus haut. + +L'Empereur Napoléon Ier, pendant les années prospères de son règne, +alors qu'il était l'arbitre des destinées de l'Europe, avait reçu +des souverains des lettres auxquelles il attachait une grande +importance. Il fit faire, dans son cabinet, deux copies de ces 250 à +300 documents précieux et déposa les originaux aux mains du duc de +Bassano, secrétaire d'État au département des Affaires étrangères. + +En 1815, après Waterloo, avant de quitter l'Élysée pour se rendre à +la Malmaison, il dit à son frère Joseph, lequel demeurait alors rue +du Faubourg-Saint-Honoré, 33 (aujourd'hui ambassade d'Angleterre), +qu'il venait d'envoyer à son hôtel une copie authentique des lettres +que les divers souverains lui avaient adressées pendant le temps de +sa prospérité, qu'il le priait de la conserver précieusement. Joseph +lui ayant fait observer qu'il aimerait mieux avoir les originaux: +«Non, répondit Napoléon, cela ne vous regarde pas, c'est l'affaire +de Maret (duc de Bassano), c'est son droit, il sait ce qu'il doit en +faire.» + +De retour à son hôtel, le roi Joseph trouva en effet les copies dans +son cabinet. Le Prince, se rendant à la Malmaison pour faire ses +adieux à son frère, chargea son secrétaire, M. de Presle, de diviser +ses propres papiers, de les mettre avec ces copies de lettres des +souverains dans des malles au milieu d'effets, et de les envoyer +chez des personnes où ces documents seraient en sûreté et pourraient +échapper aux recherches de la police. + +Joseph se rendit à Cherbourg, vit son frère à l'île d'Aix, partit pour +New-York, se fixa sur les bords de la Delaware, et ne s'occupa plus de +ces papiers. En 1818, Napoléon lui fit dire de Sainte-Hélène, par le +docteur O'Méara, de publier sa correspondance avec les souverains, comme +étant la meilleure réponse aux calomnies que l'on répandait sur lui et +le meilleur moyen d'établir, à l'aide de documents historiques +incontestables, le parallèle entre sa conduite et celle des souverains +alliés. + +Joseph écrivit à son secrétaire, M. de Presle, alors en Europe, de +lui expédier les dix caisses dans lesquelles ses papiers avaient été +placés. Les caisses arrivèrent en Amérique, mais le Roi y chercha +vainement la copie des lettres des souverains. M. de Presle déclara +qu'il n'avait plus retrouvé ces copies dans la boîte où il les avait +cachées, bien que la clef ne l'eût pas quitté. Joseph écrivit en +Europe, fit démarches sur démarches, aucune n'aboutit. + +Maintenant, essayons de suivre la route qu'ont prise les originaux +et les copies de ces lettres des souverains: + +1º _Les originaux_, laissés aux mains du duc de Bassano. + +Le duc de Bassano partant pour l'exil, en 1815, fit enfermer ces +papiers (a-t-il déclaré) dans des caisses en fer-blanc qu'il fit +cacher dans un château vendu depuis. De retour de l'exil, le duc ne +retrouva plus l'endroit où les boîtes avaient été enfouies par son +jardinier. Ce jardinier lui-même était mort. + +Il n'en est pas moins positif que ces documents furent en tout ou en +partie vendus en Angleterre en 1822, à Londres, chez le libraire +Murray. Les lettres de l'empereur de Russie furent cédées à +l'ambassadeur, M. de Liéven, pour la somme de 250,000 fr. Ces +lettres avaient été offertes d'abord au gouvernement anglais qui +avait refusé d'en faire l'acquisition. On trouvera jointes ici +plusieurs lettres et notes relatives à ces originaux. + +2º Celle des deux copies qui fut emportée par l'empereur Napoléon +Ier lui fut volée à Cherbourg avec une caisse d'argenterie, sans que +l'on ait jamais pu découvrir l'auteur du vol. + +3º La seconde copie, celle qui fut envoyée au roi Joseph, placée au +milieu de hardes et effets, dans une des dix caisses où M. de Presle +avait caché les papiers du roi, subit le sort suivant: + +Les dix caisses furent envoyées d'abord de l'hôtel Joseph, les unes +chez le nommé Legendre, valet de chambre dévoué, alors à +Villiers-sur-Marne; d'autres, chez M. Madaud, buraliste de loterie, +rue Saint-André-des-Arts, et beau-frère de M. Bouchard, un des +secrétaires du roi Joseph; d'autres encore chez différentes +personnes, parmi lesquelles la comtesse de Magnitaut. Les +dépositaires de ces papiers ne tardèrent pas, craignant de se +compromettre, à demander qu'on les leur retirât; on les fît porter à +l'hôtel de la reine de Suède, rue d'Anjou-Saint-Honoré, 28. C'est de +là que M. de Presle les expédia à Joseph, en Amérique. + +Les caisses des papiers du roi, parmi lesquelles se trouvait celle +renfermant la copie des lettres des souverains, ont donc été +transportées de l'hôtel Joseph chez divers, de chez ces diverses +personnes à l'hôtel de la reine de Suède. C'est évidemment dans l'un +de ces deux transbordements que ces copies précieuses pour +l'histoire auront été soustraites. + +On avait perdu en quelque sorte le souvenir de cette affaire qui +avait fait un certain bruit dans le principe, lorsqu'en 1855, un des +principaux libraires-éditeurs de Paris proposa à un auteur qui +s'occupait de l'histoire du premier Empire de demander au +gouvernement de Napoléon III d'acquérir, moyennant une somme assez +forte, la copie authentique de 150 lettres écrites par des +souverains à Napoléon Ier. + +L'éditeur dit à la personne qu'il avait choisie comme intermédiaire +dans cette affaire qu'il ne connaissait pas le possesseur de ces +lettres, qu'on en voulait 500,000 francs, qu'elles étaient cachées +en France. La personne à qui l'éditeur s'adressa, craignant qu'on +crût qu'elle avait un intérêt dans cette spéculation, ne voulut +faire aucune démarche. + +Toutefois on peut conclure de ce qui précède: + +1º Que les originaux ont été vendus et probablement détruits par les +intéressés. + +2º Que des deux copies volées, l'une existe encore. + +Après avoir reçu la lettre par laquelle O'Méara lui faisait +connaître le désir de l'Empereur qu'on publiât les lettres des +souverains, le roi Joseph répondit au docteur: + + + Philadelphie, le 1er mai 1820. + + Monsieur, + + J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 1er mars. + Je vous prie de vouloir bien faire vos efforts pour faire parvenir + les deux incluses, dont l'une pour l'Empereur, et l'autre pour + madame de Montholon, je suis bien fâché des retards qu'elle éprouve + à être payée, je lui écris à ce sujet ainsi qu'à l'Empereur. + + Je n'ai pas reçu à Rochefort les lettres dont vous me parlez et dont + le comte de Las Cases a aussi parlé à ma femme, j'écris à ce sujet + pour savoir à qui ces lettres ont été remises et par qui, + malheureusement, je ne les ai pas reçues, je regretterais vivement + leur perte. L'ouvrage que vous avez publié a ici un succès + prodigieux. J'ai perdu aussi, par l'incendie de ma maison, arrivé le + 4 janvier, beaucoup de papiers. Les lettres dont vous me parlez + eussent aussi été perdues, mais heureusement elles ne m'avaient pas + été remises, j'ai fait, dans cette circonstance, d'autres pertes + bien sensibles qui me forcent à me rappeler que j'en ai faites de + plus grandes pour n'en avoir pas trop de regrets. + + Veuillez agréer, Monsieur, mon sincère attachement et ma + reconnaissance. + + Votre affectionné, + + JOSEPH DE SURVILLIERS. + + P. S.--N'ayant aucun rapport personnel avec la reine d'Angleterre, + une lettre de moi me paraîtrait moins convenable que de la part de + mon frère Lucien ou de la reine de Naples qui ont eu occasion de la + connaître personnellement. + + +Voici maintenant quelques documents relatifs aux lettres des +souverains, et d'abord une note tout entière de la main du roi +Joseph envoyée à M. Francis Lieber, littérateur et professeur à +Boston: + + + Pointe-Breeze, le 28 mai 1822. + + Je reçois votre lettre du 24 mai. Je la trouve ici à mon retour d'un + petit voyage. Je n'ai pas le temps de retrouver ces lettres qui + constatent les dates précises, mais vous pouvez être certain du + souvenir que ma mémoire me fournit, encore très présent. + + En 1815, avant son départ de Paris, Napoléon avait annoncé à son + frère Joseph que, parmi quelques papiers, renfermés dans une caisse + qu'il lui enverrait, se trouverait une copie des lettres qui lui + avaient été adressées par les divers souverains. Il avait fait faire + cette copie par précaution, l'original restant aux archives. + Quelques années après, le docteur O'Méara, de retour de + Sainte-Hélène, lui fit dire que le désir de l'Empereur était que + cette correspondance fût publiée, comme étant la meilleure réponse à + toutes les calomnies dont il était l'objet. Mais elle ne fut trouvée + dans aucune des dix caisses arrivées aux États-Unis, dans lesquelles + on avait réparti les papiers contenus dans la première caisse, en + les cachant parmi des livres et des hardes, afin de les soustraire + aux investigations de la police de Paris. À la même époque, la + maison de Joseph, aux États-Unis, fut la proie des flammes. + L'original de la correspondance fut vendu pour trente mille livres + sterling à Londres. Elle avait été déposée chez un libraire de cette + ville, M. Murray. + + Ceux qui ont dit que Napoléon avait remis cette correspondance à + Joseph, à Rochefort, sont dans l'erreur. Joseph n'a rien reçu de + Napoléon à Rochefort, ni à l'île d'Aix où il fut le trouver. + + Il ne reste d'espérance que dans la double infidélité de ceux qui, + ayant livré l'original à des gens intéressés à les détruire, + auraient pu en garder copie, ou bien dans la découverte de la copie + annoncée par Napoléon à Joseph avant son départ de Paris, en 1815. + S'il en arrive autrement, ce sera une perte de plus que les + écrivains consciencieux auront à déplorer. + + +Voici maintenant une autre note extraite du Journal du roi Joseph: + +Extrait des notes d'un Américain sur le _Commentaire de Napoléon_, +par M. le comte de Bonacosci, qu'il avait adressées à celui-ci +lorsque cet ouvrage parut, et qu'il a depuis adressées à M. le major +Lee, auteur de l'histoire de Napoléon (en décembre 1834): + + + L'auteur, Bonacosci, est dans la même erreur que M. de Norvins. Les + originaux autographes des lettres des souverains à Napoléon n'ont + pas été remis au roi Joseph. L'empereur Napoléon dit au prince peu + de jours avant son départ: «Par précaution, j'ai fait faire une + copie des lettres des souverains de l'Europe, qui seules peuvent + répondre à toutes les calomnies dont ils se servent aujourd'hui + contre moi. Maret conserve les originaux, et c'est son droit, + conservez ces copies à tout événement.» C'est à Paris et non à + Rochefort que cette conversation et la remise de ces titres ont eu + lieu. Joseph, en recevant en Amérique la caisse dans laquelle devait + se trouver cette copie, l'a cherchée inutilement. Napoléon lui a + fait dire par O'Méara, au retour de celui-ci en Europe, de faire + publier ces lettres, comme seule et unique réponse à ce débordement + d'injures dont on assiégeait alors le captif de Sainte-Hélène. + Toutes les recherches ont été infructueuses; les lettres ont-elles + été dérobées par les dépositaires ou les détenteurs momentanés de la + caisse où elles étaient? Je l'ignore, mais toujours est-il constant + que ce ne sont pas celles qui ont été vendues à Londres, puisque ce + n'étaient que des copies et que l'on assure que ce furent les + lettres autographes qui furent vendues à Londres trente mille livres + sterling; elles ont été offertes, par un inconnu venant de Suisse, à + M. Murray, imprimeur des plus célèbres de Londres, demeurant + _Albermale Street_, pour trente mille livres sterling. Le + gouvernement anglais n'en voulut pas. Ce fut le ministre de Russie + qui acheta celles qui pouvaient intéresser la Russie. + + Joseph, en quittant son frère à l'île d'Aix pour aller attendre à + Royan la nouvelle du passage sans obstacle de Napoléon à travers + l'armée anglaise, avant de s'embarquer pour les États-Unis, où ils + devaient se retrouver, ne reçut ni lettres, ni paquets d'aucune + sorte; des quatre personnes qui l'accompagnaient dans la chaloupe + dans laquelle il fit le trajet jusqu'à Rochefort, trois vivent + encore et leur mémoire est d'accord avec celle de Joseph sur cette + circonstance importante. Si Napoléon a eu l'intention de confier à + son frère Joseph des objets dont d'autres se seraient emparés au + moment de son départ de l'île d'Aix, Joseph ne peut ni l'assurer, ni + le nier, mais ce qui est bien certain, c'est que malheureusement les + originaux en question ne lui furent pas remis, pas plus que nulle + autre chose, dans cette circonstance. + + +En 1837, le roi Joseph se trouvant en Angleterre, à Londres, et +ayant eu connaissance par le docteur O'Méara de la vente à la Russie +d'une partie de la correspondance des souverains, par le libraire +Murray, fit des démarches pour s'assurer du fait. Il écrivit à un M. +Charles Philipps très lié avec l'éditeur Ridgway. L'éditeur vit M. +Murray et répondit la lettre ci-dessous à M. Philipps. + + + Piccadilly, 4 mars 1837. + + Mon cher Monsieur, + + D'après votre désir j'ai été voir M. Murray, l'éminent éditeur, dans + _Albermale Street_, relativement à la correspondance originale de + plusieurs souverains d'Europe avec l'empereur Napoléon pendant son + règne. Il me dit que vers l'année 1822, les lettres originales des + différents souverains de l'Europe adressées à Napoléon pendant + l'empire lui furent offertes pour vendre; il refusa l'offre parce + que quelques-uns de ses conseillers et amis doutaient de leur + authenticité (le duc de Wellington fut un de ceux qui mettaient en + question leur originalité), doutes qui à présent ne paraissent pas + avoir de fondation, et M. Murray regrette amèrement son refus fondé + sur ces doutes. + + M. Murray dit encore que les lettres lui furent présentées comme + ayant été gardées par les soins d'un maréchal de France, mais dont + il avait oublié le nom, et en lui nommant le duc de Bassano, il dit: + «c'est cela!» + + Les lettres écrites par l'empereur de Russie ont été, à la + suggestion de M. Murray, offertes pour vendre au prince de Lieven + qui a payé dix mille livres sterling pour cette portion de la + correspondance. + + À vous bien sincèrement, + + Signé: J. L. RIDGWAY. + + +M. Philipps écrivit alors à un serviteur dévoué du roi Joseph, Louis +Maillard: + + + 49, Clanvery Lane, Samedi. + + Mon cher Monsieur, + + J'ai été si occupé durant cette semaine depuis mon retour, que je + n'ai pas eu le temps de faire mes respects à M. le Comte[47] comme + je le désirais beaucoup. M. Ridgway, comme vous le verrez par + l'incluse, a fait quelque chose pour nous pendant mon absence. M. + Murray est un homme impraticable, il a refusé de donner par écrit ce + que cependant, heureusement pour nous, il avait dit verbalement + avant que ne s'élèvent ses scrupules. + + [Note 47: Joseph, comte de Survilliers.] + + M. Ridgway est un homme fort respectable, il est prêt à tout moment + d'avouer ce que M. Murray lui a dit et ce que je vous envoie écrit + de sa main. M. Ridgway se trouve donc dans cette affaire dans la + même position qu'aurait été notre pauvre O'Méara s'il vivait encore. + + Je tâcherai par le moyen d'un ami de savoir ce que le duc de + Wellington sait sur ce sujet, et je ne doute pas que s'il peut + donner des informations, je puisse les obtenir. + + Il paraît assez clair que le comte avait raison dans ses conjectures + et que le maréchal Maret était la personne qui autorisait la vente + de la correspondance. + + Avec mes compliments respectueux à M. le Comte. + + À vous sincèrement. + + C. PHILLIPS. + + +Enfin, en 1850, M. Louis Maillard, l'exécuteur testamentaire de +Joseph, consulté par M. Ingerstoll, ami du roi, sur la question de +la correspondance des souverains, lui répondit le 29 avril, de +Doylestown (Amérique), où il se trouvait encore pour la liquidation +de la succession de l'ancien roi. + + + J'ai votre lettre du 25, je ne puis mieux y répondre qu'en vous + récitant ce que j'ai entendu dire à M. le comte de Survilliers + (Joseph) lui-même à diverses fois. + + En 1815, la veille de quitter le palais de l'Élysée pour aller à la + Malmaison, l'Empereur me dit qu'il avait envoyé chez moi, rue du + Faubourg-Saint-Honoré, où je demeurais alors, les copies des lettres + des souverains alliés pour que je les conserve de mon mieux; que les + originaux seraient gardés et soignés par le secrétaire d'État, duc + de Bassano; je trouvai effectivement ces copies dans mon cabinet de + travail et les y laissai avec mes papiers; quelques jours après, + lorsque je fus forcé de quitter Paris pour suivre l'Empereur à + Rochefort, je recommandai à ma femme et à mon secrétaire, M. de + Presle, de ramasser tous mes papiers, de les fermer dans des malles + et de les envoyer chez diverses personnes sûres, de connaissance, + afin de les sauver des mains de nos ennemis qui allaient entrer dans + Paris; mes ordres furent exécutés; mais, peu de temps après mon + départ, les amis chez lesquels étaient déposées les malles, + craignant les recherches chez eux par la police des Bourbons, + prièrent ma femme de faire reprendre ces malles; elles furent + portées alors à l'hôtel de la Princesse royale de Suède où elles + étaient plus en sûreté. Plus tard, lorsque mon frère, l'Empereur, + irrité du cruel traitement qu'il éprouvait à Sainte-Hélène, me fit + écrire de publier les lettres des souverains, j'écrivis à M. de + Presle, à Paris, de m'envoyer, aux États-Unis, par diverses voies, + les malles d'effets et papiers m'appartenant, ce qu'il fit de son + mieux, mais je ne trouvai point dans les malles envoyées les copies + que je désirais! Depuis je fis faire des recherches, toutes furent + inutiles, on m'a dit que l'Empereur avait confié à une autre + personne une seconde copie des lettres, mais je ne puis l'affirmer; + quant aux lettres originales, si ce que j'ai appris à Londres est + vrai, elles ont été vendues; la Russie aurait payé les siennes dix + mille livres sterling par son ambassadeur Lieven, et c'est M. le + libraire Murray d'Albermale Street qui était chargé de cette + négociation dont il a parlé à diverses personnes qui me l'ont + rapporté fidèlement. + + Voici, Monsieur, ce que je puis vous dire de plus positif sur cette + affaire. M. Menneval se trompe, car M. de Presle, que j'ai vu + souvent à Londres, Paris et Florence, m'a toujours dit qu'il n'avait + trouvé ni envoyé les copies des lettres des souverains, que + plusieurs malles avaient été ouvertes, ainsi qu'il croyait, etc. + + +Pour terminer cette notice relative aux lettres des souverains +étrangers, nous dirons en deux mots que l'éditeur chargé de faire +vendre la copie dont il est ici question, étant parvenu à en faire +parler à Napoléon III, ce dernier voulut le recevoir ainsi qu'un +membre de la commission de l'ouvrage intitulé _La correspondance de +Napoléon Ier _. Néanmoins ce souverain ne put causer avec ces deux +personnes qui, venues à trois reprises différentes, furent +éconduites chaque fois sans être admises, tant l'Empereur était tenu +en chartre privée par son entourage. Il y a plus, Sa Majesté ayant +prescrit que le membre de la commission fût prévenu qu'il était +libre de s'arranger comme bon lui semblerait pour l'acquisition des +lettres, jamais cette autorisation de Napoléon III ne lui fut connue +et il ne sut à quoi s'en tenir qu'après la mise en vente de +l'ouvrage: _La Correspondance_, lorsqu'il vit l'Empereur à cette +occasion. + +Il ne nous reste plus qu'à faire connaître encore quelques lettres +du roi Joseph se rattachant à divers sujets. + +Nous avons dit que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait été assez +heureux, à la suite des événements de 1815, pour trouver un refuge +en Amérique. Les autres frères de Napoléon Ier étaient exilés hors +de France, dans les États de l'Europe, poursuivis partout par la +haine des souverains alliés. Jérôme, rejeté tantôt dans les États +autrichiens, tantôt en Italie, resta plusieurs années sans donner +signe de vie à l'aîné de ses frères. En 1818, Joseph lui écrivit des +États-Unis d'Amérique, le 10 juillet: + + + Mon cher Jérôme, je n'ai jamais eu de tes lettres depuis notre + séparation, j'ai fini par penser que tu avais vu dans ma conduite + quelque chose qui avait dû te déplaire. Je l'ai mandé à Julie qui + m'assure du contraire. Peut-être as-tu été gêné dans ta + correspondance avec moi. Quelles que soient les raisons de ton + silence, je t'écris pour t'engager à le rompre, bien convaincu, + comme je le suis, que tu ne peux pas douter de la tendresse de mon + amitié pour toi. Je n'ai pas vu ici ton ancienne amie et son fils, + je n'ai pas cru devoir aller à leur rencontre dans la position + étrange où je me suis trouvé. J'ai pensé que, dans l'adversité, il + vaut mieux manquer par trop de susceptibilité que par trop + d'abandon. Mande-moi ce que tu aurais désiré que j'eusse fait, ce + que tu désires que je fasse. Je pense que l'arrivée de Zénaïde + changera ma position si dans l'abandon où Julie va se trouver après + le départ de sa fille aînée, elle suit le conseil que je lui donne + de se rapprocher de Vienne, je te la recommande, mon cher frère, + ainsi qu'à ta femme, dont elle ne cesse de m'écrire tout le bien que + l'on en dit. Les lettres à son père ont été répétées dans tous les + journaux. Elles sont dans la mémoire de toutes les mères et de + toutes les épouses. Je te prie de lui dire combien, en mon + particulier, je serais heureux d'apprendre qu'elle trouve quelque + bonheur dans l'approbation d'elle-même. Mille caresses à ton enfant, + ne doutez jamais de ma tendre amitié. + + +En 1822, le 2 mars, 10 mars et 24 avril, Joseph écrivit à la reine +Julie, de Pointe-Breeze, sa résidence d'été: + + + Ma chère Julie, je t'ai écrit il y a quelques jours en te témoignant + mes inquiétudes sur le silence de Lucien[48] et le vôtre au sujet du + mariage de Zénaïde. + + [Note 48: Lucien avait plusieurs enfants. L'aîné, Charles, + prince de Canino, devait épouser Zénaïde, fille du roi + Joseph. Le mariage eut lieu en effet. Il eut un fils, le + prince Joseph de Musignano, mort sous le second empire et de + qui l'auteur des _Mémoires du roi Joseph_ tient les documents + à l'aide desquels il a fait son ouvrage. Le prince de Canino + rendit la princesse Zénaïde sa femme fort malheureuse. C'est + lui qui a joué un triste rôle sous la Constituante romaine, + lors de l'assassinat du comte Rossi. Il est mort en 1857.] + + Écris à Désirée[49] qu'elle se déshonore à jamais si elle reste plus + longtemps à Paris, sa place est auprès de son mari; a-t-elle oublié + qu'elle est reine de Suède? C'est aussi ton devoir de lui écrire ce + qui est. C'est dur, mais c'est la vérité. + + [Note 49: Désirée, femme de Bernadotte, était la soeur de la + reine Julie.] + + Ma chère Julie, l'occasion étant retardée, j'ai le temps de t'écrire + encore deux mots: j'ai reçu une lettre du cardinal du 29 octobre. Il + me dit que lui et Maman pensent que le mariage du fils de Louis + serait possible si nous voulions que celle de nos filles qui + l'épouserait reste avec mon frère Louis. + + 1º Si Zénaïde épouse Charles, il faut marier Lolotte avec le fils de + Louis, par procuration, si on ne peut autrement. Dans ce cas je vous + attends bientôt. + + 2º Si le mariage de Charles manque, il faut que Zénaïde épouse le + fils de Louis[50] et que, si cela est indispensable, elle reste avec + eux quelque temps; dans ce cas, Lolotte épouserait celui des deux + fils de Murat que tu choisirais pour son caractère. + + [Note 50: Le frère aîné de Napoléon III, mort dans + l'insurrection des Romagnes, en 1831.] + + Ma chère amie, le général Lallemand te remettra cette lettre. Je te + le recommande. Il a passé ici quelques jours avec le fils de + Jérôme[51]. Pauline n'a pas conservé les mêmes dispositions + bienveillantes pour lui. Maman me le recommande et compte faire + quelque chose pour lui. Je compte toujours sur le mariage du fils de + Louis pour Charlotte et sur celui du fils de Lucien pour Zénaïde. + + [Note 51: M. Paterson, qui vint en France, sous le second + Empire, avec son fils, aujourd'hui officier dans l'armée + française.] + + +Le prince Charles de Canino et sa femme vinrent, après leur mariage, +voir le roi Joseph en Amérique et restèrent quelque temps auprès de +lui. La santé délicate de la reine Julie ne lui permit pas de suivre +ses enfants. En 1826, des démarches furent faites auprès du roi de +France pour le retour en Europe de Joseph, par le général Belliard, +auquel le baron de Damas écrivit le 11 août: + + + Le baron de Damas a l'honneur de prévenir M. le comte Belliard que, + d'après la demande qu'il lui a adressée dans sa lettre du 3 de ce + mois, il vient, après avoir pris les ordres du roi, d'autoriser le + Ministre de Sa Majesté à Washington à comprendre M. et Mme Charles + de Canino sur le passeport de M. le comte de Survilliers, qui pourra + débarquer à Anvers ou à Ostende. + + Le baron de Damas saisit avec empressement cette occasion de faire + agréer à M. le comte Belliard les assurances de sa haute + considération. + + +En apprenant en Amérique que le gouvernement des Bourbons ne mettait +pas d'obstacle à son retour en Europe, Joseph écrivit le 29 +septembre 1826 à Madame de Villeneuve[52]: + + [Note 52: Une demoiselle Clary.] + + + Ma chère belle-soeur, + + Je reçois votre lettre du 5 août; je n'ai jamais eu l'intention + d'aller à Bruxelles; si l'on m'avait accordé de bonne grâce le + séjour de la Toscane, j'aurais été volontiers y faire une visite à + ma mère, avec l'espoir de ramener ma femme en Amérique où je suis + trop bien pour ne pas désirer d'en faire partager le séjour à Julie. + + Je suis toujours bien reconnaissant, ma chère belle-soeur, des + preuves sans cesse renaissantes de votre tendre amitié; Désirée et + son mari sont aussi très excellents pour moi; les bons consolent + ainsi des indifférents. + + +Pendant son exil en Amérique, le roi Joseph avait pris l'habitude de +mettre en note, dans une sorte de journal quotidien, tout ce qui se +passait autour de lui, et lui était personnel. Nous trouvons dans ce +journal quelques mots relatifs à un homme, M. de Persigny, qui, +ministre et créé duc par Napoléon III, a marqué sous le second +Empire. Voici les notes de Joseph, que M. Fialin de Persigny était +venu trouver à Londres, en avril 1835, pour le déterminer à entrer +dans une sorte de complot bonapartiste: + + + M. le vicomte de Persigny, rue d'Artois, nº 48, à Paris, et à + Londres à Grillion, hôtel _Albermale Street_, arrive avec un billet + de M. Presle à M. Maillard; il est l'auteur du nº 1 de l'_Occident + français_, il est âgé de 26 ans et paraît plus jeune encore; il + montra un excessif enthousiasme pour la mémoire de l'Empereur et + même pour le nom de sa famille, dans l'entretien d'une demi-heure + que j'ai eu avec lui avant le dîner. Je me retirai de bonne heure; + il causa jusqu'à deux heures du matin avec MM. Sari, Thibaud, etc. + + _5 Avril dimanche._ Je descends à déjeuner, j'ai un long entretien + avec M. de Persigny, il paraît plein d'ardeur, il est partisan le + plus absolu du caractère et des desseins de l'Empereur, il a pleuré + comme un enfant en voyant son écriture; il s'exprime facilement et + avec talent, cependant il ne m'est adressé par personne que je + connaisse, il se dit de Roanne sur la Loire, sa famille tient aux + Bourbons dont il a entièrement abandonné la cause. + + _6 Avril._ Je vais à Londres, j'y mène M. de Persigny, je descends + avec Maillard chez le docteur O'Méara. + + _19 Avril_, jour de Pâques. M. le vicomte de Persigny me parle + encore de ses projets, je lui en fais sentir l'inopportunité + actuelle; il me remet un écrit que je ne lis qu'à ma rentrée dans ma + chambre. Je promène avec lui, Sari et Maillard. + + 20. Je fais prendre copie de l'écrit sans signature, je rends + l'original à M. de Persigny en lui répétant les mêmes choses, je + conviens de l'avantage national du but, mais je ne partage pas ses + opinions sur l'efficacité des moyens, ainsi je l'engage à ne pas se + compromettre sans espérance raisonnable; ses projets ne m'en + présentent aucune. + + 28. M. le vicomte de Persigny est à la maison, je refuse de recevoir + l'ami qui lui est arrivé de Paris, je lui déclare que je n'entends + pas me prêter à l'exécution de ses projets, à laquelle je répugne + invinciblement; tout pour le devoir, rien pour mon ambition, je n'en + ai pas d'autre que celle de contribuer au bonheur de la France, si + elle m'offre une chance de la servir, mais jamais rien par une + minorité factieuse; il dîne et couche à la maison. + + 29. M. de Persigny part après déjeuner, je lui répète longuement les + mêmes choses. + + +Joseph était encore à Londres, en 1833, lorsque son neveu +Louis-Napoléon, le futur empereur Napoléon III, lui envoya un petit +ouvrage qu'il venait de faire paraître; l'ex-roi lui écrivit à ce +sujet, le 20 septembre: + + + Mon cher neveu, j'ai reçu avec ta lettre tes _Considérations sur la + Suisse_. Je les ai lues avec un double intérêt. Je regrette que tu + ne puisses pas honorablement employer tes talents et ton application + à l'étude, au service de la patrie. Charlotte est beaucoup mieux + depuis notre séjour à la campagne. Je me trouve par accident en + ville aujourd'hui. + + Je te prie de me rappeler au bon souvenir de ta maman et de me + croire bien tendrement + + Ton affectionné oncle, + + JOSEPH. + + +Enfin, dans les premiers mois de 1841, Joseph put quitter Londres +pour habiter la Toscane. Il écrivit à ce sujet au général duc de +Padoue, son cousin, le 8 mars: + + + Mon cher Cousin, + + Je vous confirme ma lettre du 3 de ce mois. Je pense que vous avez + vu la duchesse de Crès, à laquelle j'écris aussi dans le même sens. + Le jeune Maillard vous dira de ma part que ma demande se borne à ce + que l'on ne mette pas d'obstacle à mon séjour en Toscane ou en + Sardaigne et qu'on légalise le passeport autrichien que vous avez + obtenu pour moi l'année passée, avec lequel je pourrai me rendre en + Italie par le Rhin et la Suisse. + + Renvoyez-moi donc Adolphe[53] avec le passeport en règle aussitôt + que vous le pourrez, il vous donnera des nouvelles plus en détail. + + [Note 53: Fils de Louis Maillard.] + + Agréez ma vieille et constante amitié. + + Votre affectionné cousin. + + +M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, auquel la nièce +du roi Joseph par sa femme, la maréchale Suchet, duchesse +d'Albuféra, s'était adressée pour que le roi Louis-Philippe fût +sollicité afin de permettre au comte de Survilliers (Joseph) de se +rendre en Italie, écrivit le 9 avril 1841: + + + Madame la Maréchale, + + Le Roi ne fait pas la moindre objection à ce que M. le comte de + Survilliers vienne vivre à Gênes ou à Florence; vous en êtes + probablement déjà informée, mais je me donne le plaisir de vous le + dire moi-même. + + +À cette lettre était jointe la note ci-dessous: + + + Note: + + Le gouvernement non-seulement donne son adhésion à ce que M. le + comte de Survilliers vienne s'établir à Gênes, mais encore il + exprime le désir que toute facilité lui soit donnée dans cette + circonstance. C'est dans ce sens qu'il a répondu à M. l'ambassadeur + de Sardaigne et qu'il a expédié, il y a trois jours, ses + instructions à son propre ambassadeur près de Sa Majesté sarde. + + En octobre dernier, le gouvernement français a fait exprimer au + gouvernement du grand-duc de Toscane les mêmes dispositions de sa + part à l'égard du comte de Survilliers, qui demandait à résider à + Florence; ces dispositions, il les maintient et les renouvellera + même au besoin si le gouvernement toscan l'exigeait. Il est vrai que + le gouvernement napolitain, s'appuyant sur des dispositions des + traités de 1815, prétend que lorsqu'il s'agit de la famille + Bonaparte, il faut le concours simultané des quatre puissances; + qu'aucune d'elles ne peut agir isolément; mais la France se regarde, + depuis 1830, affranchie de l'obligation de cet accord commun; elle + croit pouvoir agir seule, librement et comme il lui plaît, et elle + l'a constamment fait depuis cette époque. + + On croit que M. le comte de Survilliers, établi à Gênes, pourra + facilement négocier pour venir ensuite à Florence; que l'Autriche + prêtera aisément son intervention pour aplanir les difficultés que + Naples oppose encore. + + +Nous terminons ici ce qui a trait au frère aîné de l'Empereur, dont +la vie politique avait cessé depuis 1816. L'ex-roi mourut à +Florence, en 1843, après avoir fait hommage à la France, pour être +placés sur le tombeau de Napoléon Ier, des insignes et des armes du +grand homme qui lui étaient échus en partage. Il avait nommé pour un +de ses exécuteurs testamentaires M. Maillard (Louis) qui méritait +toute sa confiance et qui ne l'avait pas quitté depuis 1808. + +Le roi Joseph avait 76 ans lorsqu'il s'éteignit, entouré de sa +famille et de quelques serviteurs fidèles et dévoués. + +Deux années avant sa mort, le roi Joseph éprouva un vif chagrin. Il +avait pour son neveu, le prince Louis Napoléon, fils de l'ex-roi de +Hollande, une grande affection. Lorsqu'il apprit à Florence que ce +jeune homme avait fait la tentative de Strasbourg, il le désapprouva +hautement. Son père agit de même. La première chose que fit le futur +empereur Napoléon III, en arrivant en Amérique, fut d'écrire une +longue lettre à son oncle Joseph pour lequel il avait une grande +vénération. Cette lettre étant venue aux mains de l'auteur des +_Mémoires du roi Joseph_, avec les autres papiers, cet auteur se +trouva assez embarrassé, ne sachant s'il devait ou non publier cette +pièce importante pour l'histoire. On était alors en 1855, Louis +Napoléon était sur le trône. Il se décida à la montrer à l'Empereur, +mais à lui seul. Reçu un matin dans le cabinet de S. M., aux +Tuileries, il la lui donna. L'Empereur, après en avoir pris +connaissance pendant un quart d'heure, la lui rendit en disant: «Je +ne puis pas la nier, elle est toute de ma main. Je la trouve bien +cette lettre.--Moi également, Sire, se hâta de dire l'auteur des +_Mémoires_, mais ne sachant pas s'il pouvait convenir à l'Empereur +sur le trône que le public eût connaissance d'une lettre écrite par +le proscrit de New-York, j'ai cru devoir la soumettre à Votre +Majesté.--Bah, reprit en riant l'Empereur, rien n'empêchera que je +n'aie fait la tentative de Strasbourg et de Boulogne, ce qui est +histoire est histoire, je ne m'oppose pas à ce que vous l'insériez +dans votre curieux ouvrage.» Elle se trouve au 10e volume des +_Mémoires du roi Joseph_, page 370. + + + + +II. + +LE ROI LOUIS. + + +I. + +1778-1806. + +Louis Bonaparte, troisième des frères de Napoléon Bonaparte, naquit +à Ajaccio (Corse) le 2 septembre 1778, sous le règne de Louis XVI. +Bien que la famille Bonaparte soit d'origine italienne, l'île de +Corse ayant été cédée sous Louis XV à la France, Louis et ses frères +naquirent Français et non Italiens, comme quelques auteurs l'ont +écrit. + +La longue carrière de Louis Bonaparte peut se diviser en trois +parties bien distinctes: + +1º Celle qui s'étend du jour de sa naissance (1778) au moment où il +monta sur le trône de Hollande (1806), période pendant laquelle on +le voit vivre auprès de son frère Napoléon et se montrer entièrement +dévoué à ses projets. + +2º Celle qui comprend les quatre années de son règne en Hollande, +son abdication, son exil volontaire, la chute de l'empire (de 1806 à +1815). + +3º Enfin, la partie qui embrasse l'exil forcé des membres de la +famille de l'empereur après Waterloo, jusqu'à la mort de Louis, à +Florence, le 25 juillet 1846. + +Nous parlerons peu des premières années de Louis. Lorsque Paoli livra +l'île de Corse aux Anglais, la famille Bonaparte vint s'établir près de +Toulon, à Lavalette, puis bientôt après à Marseille. Louis, âgé de 14 +ans, se trouvait au milieu des siens. Il n'avait pu faire, dans ces +temps de troubles, que de médiocres études, mais son caractère, empreint +déjà d'une teinte philosophique, s'était développé par les malheurs +mêmes qui avaient, depuis sa naissance, accablé ses parents. Élevé par +Joseph, l'aîné de ses frères, devenu le chef de la famille à la mort de +leur père Charles Bonaparte (23 septembre 1785), soutenu par Napoléon, +officier d'artillerie, il entra en 1793 dans la vie active, à peine au +sortir de l'enfance. Napoléon commandait l'artillerie au siège de +Toulon, il venait souvent à Marseille, soit pour hâter les préparatifs +du siège, soit pour y voir sa famille. Dans un de ses voyages, il +déclara que Louis était d'âge à se faire une carrière honorable, et +qu'il ne voulait pas le voir plus longtemps inactif. Il obtint de leur +mère que le jeune homme se rendrait à l'école de Châlons pour subir +l'examen nécessaire à son admission dans le corps de l'artillerie. Louis +partit avec des passeports visés par les représentants du peuple, mais +en passant à Lyon, alors sous la terreur qu'inspiraient d'horribles +massacres, il courut de véritables dangers. Il ne put sortir de cette +malheureuse ville qu'avec peine et à la faveur de ses passeports. Il +continua sa route, se dirigeant vers Châlons-sur-Marne. À +Chalon-sur-Saône, on lui apprit la dissolution de l'école d'artillerie. +Effrayé de ce qu'il avait vu, de son isolement (Louis avait alors 15 +ans), le jeune homme revint dans sa famille. Après la prise de Toulon, +Napoléon Bonaparte, créé général de brigade, vint à Marseille, prit avec +lui son frère Louis et se rendit à l'armée des Alpes-Maritimes où il +venait d'être nommé commandant en chef de l'artillerie. Louis fut +adjoint à son état-major avec le grade de sous-lieutenant. Le soir de la +prise de Toulon, Napoléon, pour qui, depuis longtemps déjà, tout était +objet d'étude sérieuse, avait fait visiter à son frère les attaques de +la ville. Il lui avait indiqué, sur le terrain même, les fautes +commises, puis, lui montrant l'endroit où la terre était jonchée de +cadavres, il s'écria: + +«Si j'avais commandé ici, tous ces braves gens vivraient encore. +Jeune homme, apprenez par cet exemple combien l'instruction est +nécessaire et obligatoire pour ceux qui aspirent à commander les +autres.» + +Louis Bonaparte fit sa première campagne à l'armée des +Alpes-Maritimes. Il assista à la prise d'Oneille (7 avril 1794), à +celle de Saorgio (29 avril), au combat de Cairo (21 septembre), et +fut nommé lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires en +garnison à Saint-Tropez. Une loi nouvelle exigeait que les officiers +d'état-major rentrassent dans les régiments. Il resta quelques mois +dans la petite ville de Saint-Tropez, puis il fut envoyé à l'école +d'artillerie de Châlons-sur-Marne pour y subir ses examens. + +Après la journée du 13 vendémiaire (4 octobre 1795), Bonaparte, +devenu général en chef de l'armée de l'intérieur, donna l'ordre à +son frère de se rendre à son état-major auquel il l'avait attaché. +Louis refusa d'abord de quitter Châlons, désireux de se faire +recevoir avant tout dans l'artillerie, mais il dut obéir à l'ordre +formel qui lui fut envoyé, et il se rendit à Paris en décembre 1795. +Pendant la campagne de 1794 en Italie, les représentants du peuple, +très désireux de faire quelque chose d'agréable au général +Bonaparte, avaient voulu conférer à Louis le grade de capitaine; +Napoléon s'y était opposé, à cause de l'âge de son frère (16 ans à +peine). Cependant, il se plaisait à rendre justice à cet enfant +devenu bien vite un jeune homme plein de bravoure et de sang-froid. +Il racontait avec bonheur que le jour où Louis fut au feu pour la +première fois, loin de montrer de la crainte ou même de +l'étonnement, il avait voulu lui servir de rempart. Une autre fois, +Napoléon et Louis se trouvaient à une batterie en barbette sur +laquelle l'ennemi faisait le feu le plus vif. Les défenseurs +baissaient souvent la tête pour éviter les boulets. Napoléon +remarqua avec joie que son jeune frère, imitant son exemple, restait +droit et immobile. Il lui en demanda la raison: + +«Je vous ai entendu dire, repartit Louis, qu'un officier +d'artillerie ne doit pas craindre le canon; c'est notre arme!» + +Lorsque Napoléon reçut le commandement en chef de l'armée d'Italie, +en 1796, il résolut de mener avec lui son frère Louis qui arrivait +de l'école de Châlons. La guerre, pendant laquelle il s'était montré +d'une grande bravoure personnelle, n'allait ni à ses instincts +humanitaires, ni à ses goûts philosophiques, ni à ses idées dénuées +de toute ambition. Ce fut pendant le peu de temps qui s'écoula entre +le retour de Louis de l'école de Châlons et son départ pour Nice, +qu'il connut à Paris Madame de Beauharnais, Hortense et Eugène. + +Louis avait 18 ans quand il commença sa seconde campagne. Il la fit, +non plus seulement comme attaché à l'état-major du général en chef, +mais en qualité de l'un de ses aides de camp. Il était encore +lieutenant. Bien qu'à un âge où tout ce qui est nouveau attire, où +tout ce qui est bruit, ambition, renommée, charme, Louis Bonaparte +sentait un vide dans son coeur. La carrière des armes lui paraissait +sans attrait. Il soupirait déjà après l'étude, la retraite, la vie +paisible. Ces biens il ne devait pas les connaître pendant toute sa +longue existence. Son caractère encore rempli de contrastes était à +la fois grave et romanesque, vif et flegmatique. «Louis a de +l'esprit, fait-on dire à Napoléon à Sainte-Hélène, il n'est point +méchant, mais avec ces qualités un homme peut faire bien des +sottises et causer bien du mal. L'esprit de Louis est naturellement +porté à la bizarrerie et a été gâté encore par la lecture de +Jean-Jacques. Courant après une réputation de sensibilité et de +bienfaisance, incapable par lui-même de grandes vues, susceptibles +tout au plus de détails locaux, Louis ne s'est montré qu'un _roi +préfet_[54].» + + [Note 54: Lorsque le _Mémorial de Sainte-Hélène_, dans lequel + se trouve le portrait du roi Louis, parut, la famille + Bonaparte et ses partisans furent loin d'approuver le livre + de M. de Lascases. Le bruit se répandit et s'accrédita que le + roi Louis XVIII n'était pas étranger à cet ouvrage, qui lui + avait été soumis par son auteur. + + À cette époque, la reine de Westphalie, Catherine de + Wurtemberg, écrivit de Rome à une de ses amies, le 25 juin + 1823, une longue lettre dans laquelle on lit: + + «Le jugement que vous portez sur l'ouvrage de M. de Lascases + m'enchante. Il est à espérer que tous les gens sensés et + dénués de toute partialité seront de cet avis. Plus je le + lis, plus je le médite, et moins je me rends raison du motif + qui l'a engagé à le publier. Que de gens compromis! que de + passions réveillées! que d'ennemis suscités! et à quelle fin + tout cela? Ce qui me paraît encore plus maladroit de sa part, + c'est la bonhomie avec laquelle il assure que les seuls + points sur lesquels il a pu se satisfaire à son aise, ont été + des retranchements; aussi sont-ils fort nombreux et de plus + d'une espèce. C'est sur ce qui touche les personnes surtout + qu'il a élagué avec profusion. Puisqu'il affirme une pareille + chose, pourquoi ne s'est-il pas cru autorisé à taire (si + toutefois l'empereur lui a fait de pareilles confidences) + tout ce qui pouvait faire du tort à la mémoire de l'empereur + et à sa dynastie? Mon mari me prie de vous envoyer la copie + de sa lettre à M. de Lascases, en vous priant toutefois de ne + la publier avant que M. de Lascases lui répondît s'il est + dans l'intention de se rétracter. Cependant vous êtes libre + de la faire connaître à vos amis intimes.» Il est à remarquer + que le jugement porté sur Louis par Mme de Rémusat, qui se + fait l'écho des rancunes de la reine Hortense, s'accorde + assez bien avec le jugement du _Mémorial_.] + +Il est permis de douter que Napoléon ait porté un tel jugement sur +son frère. Louis était fort peu désireux d'une réputation +quelconque, et ses malheurs, depuis son avènement au trône de +Hollande, vinrent précisément, ainsi qu'on le verra plus loin, de +n'avoir pas voulu être un _roi préfet_. Louis, pendant la campagne +de 1796, fit preuve de bravoure en plusieurs circonstances, mais +(comme il le dit lui-même dans l'ouvrage qu'il publia en 1820) il le +fit par boutade et sans s'occuper d'acquérir une réputation +militaire. Il montra du zèle, du sang-froid, nul désir d'avancer, +nulle idée d'ambition. Il avait surtout une répugnance invincible +pour les excès de toute nature. Il cherchait à remplir ses devoirs, +ne se ménageant pas, mais sans tirer vanité de ses actions, sans +chercher à se faire valoir. Au passage du Pô (7 mai) il franchit le +fleuve un des premiers, avec le colonel Lannes; à la prise de +Pizzighettone (9 mai) il entra dans la place par la brèche avec le +général d'artillerie Dommartin; à l'attaque de Pavie, ayant reçu +l'ordre de suivre l'opération, d'examiner la position de l'ennemi et +d'en venir rendre compte à son frère, il resta seul, à cheval, +exposé plus que tout autre au feu terrible des défenseurs de la +ville. Pavie fut en partie pillée, elle avait mérité ce juste +châtiment, cependant ce spectacle révolta Louis, et à partir de ce +moment et pendant le reste de la campagne il fut triste, taciturne. +Il prit part à la bataille de Valeggio (12 août), au passage de vive +force du Mincio, à l'investissement de Mantoue. À la tête de deux +bataillons, il fut chargé de s'emparer du pont de San-Marco sur le +Chiese, au moment où Bonaparte, après quelques mouvements aussi +habilement conçus que rapidement exécutés, se préparait à livrer le +combat de Lonato (13 août) et la bataille de Castiglione. La veille +de ces belles journées, Louis fut expédié par son frère au +Directoire pour rendre compte de l'état des choses, et du retour +offensif des Autrichiens de Wurmser. «Maintenant, «dit-il à son +jeune aide de camp, tout est réparé: demain je livrerai la bataille; +le succès sera des plus complets, puisque le plus difficile est +fait, on doit être entièrement rassuré, je n'ai pas le temps de +faire de longues dépêches, dites tout ce que vous avez vu.» Louis +témoignait son regret de quitter l'armée dans un moment pareil. «Il +le faut, ajouta Napoléon, il n'y a que mon frère que je puisse +charger de cette mauvaise commission; mais avant de revenir, vous +présenterez les drapeaux que nous conquerrons demain.» Peut-être +Napoléon qui, quoi qu'on en ait dit, était bon, sensible surtout +pour ses frères et pour ses soeurs, avait-il voulu éloigner ce jeune +homme des champs de bataille dans lesquels il savait bien qu'il +devait, avec une poignée d'hommes, remporter la plus éclatante +victoire ou périr lui et sa petite armée? Louis partit donc, remplit +sa mission, reçut du Directoire le grade de capitaine et présenta, +quelques jours après, ainsi que le lui avait promis son frère, les +drapeaux enlevés par nos soldats à Castiglione, drapeaux que +Bonaparte avait envoyés par l'aide de camp Du Taillis. Louis se hâta +ensuite de rejoindre son général et il put assister au troisième +acte du grand drame qui se jouait alors du Pô à la Brenta. Il prit +part à la bataille de ce nom, et une part des plus glorieuses aux +trois journées d'Arcole (15, 16, 17 novembre). À la première +journée, Louis fut celui des aides de camp de son frère qui +contribua le plus à le sauver, lorsque le général tomba dans le +marécage au bas de la chaussée, après les tentatives faites +inutilement pour déboucher de cette chaussée étroite, sur le village +d'Arcole. Voyant Napoléon prêt à disparaître dans les eaux +bourbeuses, il risqua sa vie avec Marmont pour le tirer de ce +mauvais pas; puis il tenta de nouveau, mais en vain, d'enlever le +pont[55]. Pendant la seconde journée d'Arcole, Louis non seulement +combattit vaillamment près de son frère, mais il fut chargé de la +mission difficile et dangereuse de porter des ordres de la plus +haute importance au général Robert. Il n'y avait pas d'autre chemin +pour remplir son périlleux devoir que de suivre une chaussée balayée +par le feu des Autrichiens. En revenant auprès du général en chef +par la même route, il courut les mêmes dangers, dont cependant il +fut assez heureux pour se tirer sans blessures: «Je te croyais mort, +lui dit son frère avec joie en l'embrassant.» + + [Note 55: Marmont, dans ses Mémoires, parle des efforts de + Louis pour retirer son frère du marécage, mais il omet la + tentative du jeune officier pour s'emparer du pont.] + +En effet, on était venu annoncer que Louis avait été tué. Peu de +temps après, lorsque Napoléon marcha sur Rivoli, au secours de +Joubert, Louis fut encore chargé d'une mission épineuse à Peschiera. +Il rendit à cette occasion un grand service à l'armée, en ralliant +une colonne de fuyards et en arrêtant l'ennemi qui s'avançait sur +ses derrières. Lorsqu'il revint auprès du général en chef, Napoléon +lui témoigna publiquement la satisfaction que lui faisait éprouver +sa conduite pendant cette affaire de Rivoli (14 janvier 1797). + +Jusqu'en 1796, Louis, d'une forte constitution, avait joui d'une +bonne santé; mais s'étant trop peu ménagé pendant cette longue +campagne, ayant d'ailleurs été soumis trop jeune à de trop rudes +fatigues, ayant éprouvé plusieurs accidents, fait plusieurs chutes +de cheval, il commença à ressentir les effets d'une existence +au-dessus de ses forces physiques. À Nice, après le siège de Toulon, +il était tombé de cheval par la faute de Junot, qui avait effrayé à +dessein sa monture pour voir s'il était bon cavalier. Il s'était +fait à l'oeil gauche une blessure grave dont il conserva toujours la +cicatrice. Après la paix de Campo-Formio, lors de son retour à +Paris, ses chevaux s'étaient emportés dans la descente de la +montagne de Saint-André, en Savoie; il s'était démis le genou. + +Tout cela, joint aux fatigues de la campagne d'Italie, lui fit +désirer de prendre, pendant quelque temps, les eaux de Barèges +qu'on lui avait conseillées, mais il ne put exécuter son projet. +Napoléon s'apprêtait à s'embarquer pour l'Égypte, il avait décidé +d'emmener son frère, que d'ailleurs, pour une raison secrète, il ne +voulait pas laisser à Paris. + +Pendant son dernier séjour en France, Louis avait été visiter à la +célèbre pension de madame Campan, à Saint-Germain, sa soeur +Caroline, et s'était épris d'une amie de cette soeur, fort jolie +personne, dont le père avait émigré. Il confia son penchant à +Casabianca, ami de son frère Napoléon, ancien officier supérieur de +la marine, qui fut effrayé pour Louis des conséquences de cette +passion naissante. «Savez-vous, lui dit-il, que ce mariage ferait le +plus grand tort à votre frère, et le rendrait suspect au +gouvernement?» Le lendemain Napoléon fit appeler Louis et lui donna +l'ordre de partir immédiatement avec ses trois autres aides de camp +pour Toulon où ils devaient l'attendre et passer avec lui en +Égypte[56]. Louis attendit quelque temps, à Lyon, son frère que le +Directoire avait retenu dans la crainte de voir la guerre se +rallumer avec l'Autriche, à la suite d'une imprudence de Bernadotte, +ambassadeur à Vienne. + + [Note 56: Après qu'il eut abdiqué la couronne de Hollande et + pendant son séjour à Gratz, Louis retoucha une seconde + édition d'un roman en trois volumes que déjà il avait publié + en 1800, à Paris, sous le titre de Marie ou les peines de + l'amour. C'est un souvenir mélancolique de ce premier + sentiment contrarié par Napoléon.] + +Il suivit la division Kléber jusqu'au Caire; mais Napoléon, au +moment où il partit pour la Syrie, résolut d'expédier en France un +homme sur lequel il pût compter pour faire connaître exactement au +Directoire l'état des affaires en Orient et pour lui faire envoyer +des secours. Il choisit son frère Louis. Il savait que ce retour en +France était sans inconvénient pour son coeur, puisque, après son +départ de Paris, la jeune personne qu'il aimait avait été forcée de +se marier. Louis partit donc avec les drapeaux pris sur l'ennemi. Il +s'embarqua sur la plus petite, la plus vieille, la plus délabrée des +chaloupes canonnières. La flotte avait été détruite à Aboukir. +Pendant deux mois, il eut à lutter contre la tempête, à éviter les +vaisseaux turcs, russes, anglais, portugais croisant dans la +Méditerranée entre la France et l'Égypte. Il fut retenu pendant 27 +jours en quarantaine à Tarente; de nouvelles tempêtes l'assaillirent +quand il reprit sa route. Une seule et mauvaise pompe soutenait son +fragile navire qui faisait eau à chaque instant. La situation fut +un instant si désespérée qu'il donna l'ordre au capitaine de son +bâtiment d'entrer à Messine, bien qu'on fût en guerre avec Naples. +La force du vent ayant poussé le bateau hors du détroit, une frégate +anglaise lui donna la chasse et il se décida à jeter à la mer les +drapeaux qu'il devait présenter au Directoire. Toutefois, après +avoir fait escale à Porto-Vecchio en Corse, il parvint à débarquer +en France. Aussitôt il fit toutes les démarches en son pouvoir pour +avoir des secours, mais il ne put obtenir d'abord que l'envoi de +quelques avisos montés par des officiers porteurs de dépêches. Le +gouvernement refusa d'expédier des troupes. Louis ne trouva d'aide, +au ministère de la guerre, que dans le général Dupont. Enfin, quand +on eut quelques détails sur l'expédition de Syrie et sur la seconde +bataille d'Aboukir, le Directoire se décida à envoyer des secours et +des troupes. Louis s'occupait des préparatifs du départ, qu'il +hâtait de tout son pouvoir, lorsque l'on apprit le débarquement à +Fréjus du général Bonaparte. Louis partit aussitôt pour aller avec +Joseph et le général Leclerc au devant de Napoléon. Il tomba malade +à Autun et ne put rejoindre son frère qu'à Paris. Il reprit +immédiatement, près de sa personne, son poste d'aide de camp, et fut +promu chef d'escadron au 5e de dragons. + +Après le coup d'État du 18 brumaire, Louis fut immédiatement promu au +grade de colonel commandant le 5e régiment de dragons. Ce régiment +tenait alors garnison à Verneuil, étant chargé d'aider à la pacification +de la Normandie. Louis fut obligé, fort à contre-coeur, de le rejoindre +dans cette ville. Le jeune colonel était désolé d'être employé à une +mission de ce genre, à l'intérieur. Il fit tout son possible pour éviter +cette tâche désagréable, mais il ne put rien obtenir à cet égard du +premier consul. À son grand désespoir, la ville de Verneuil ne tarda pas +à être le théâtre d'un horrible événement, si commun dans les guerres +civiles. Quatre malheureux prisonniers amenés par des soldats dans la +ville furent jugés par un conseil de guerre et condamnés à être passés +par les armes. Louis, pressé de présider le conseil de guerre, refusa +avec indignation, repoussant prières, ordres, menaces. Il écrivit à son +frère pour obtenir la grâce des condamnés. Il était trop tard, on +procéda à leur exécution malgré toutes ses tentatives pour les sauver. +Cette tragédie l'émut au point de lui faire prendre en horreur le métier +des armes. Il resta dans son logement, comme pour un jour de deuil, +ordonna à ses officiers d'en faire autant, et accueillit avec joie +l'ordre, arrivé quelques jours plus tard, de se rendre en garnison à +Versailles et ensuite à Paris. Deux escadrons du 5e de dragons furent +alors organisés sur le pied de guerre et prêts à faire partie de l'armée +de réserve qui se rassemblait à Dijon. Louis croyait en prendre le +commandement, mais ils furent mis sous son lieutenant-colonel et +lui-même resta à Paris. Ce fut à cette époque que son frère commença à +lui parler de mariage et à le presser d'épouser la fille de Joséphine. +Louis, soit qu'il ne voulût faire qu'un mariage d'inclination, soit +qu'il crût à une incompatibilité d'humeur et de caractère entre lui et +Hortense, refusa. Peut-être aimait-il encore au fond du coeur l'amie de +pension de sa soeur. Au retour de sa brillante campagne de Marengo, le +premier consul revint à ses idées d'union entre son frère et sa fille +d'adoption. Pour éviter toute contrainte à cet égard, Louis demanda et +obtint de faire un long voyage sous le prétexte d'assister aux +manoeuvres de Postdam. Il devait même ensuite compléter ce voyage dans +le Nord, en visitant la Saxe, la Pologne, la Russie, la Suède et le +Danemark. Lorsque Louis arriva à Berlin, les manoeuvres étaient +terminées, mais il fut reçu avec tant de bonne grâce par le roi et la +reine Louise, qu'il séjourna un mois entier dans la capitale de la +Prusse. Il quitta cette ville pour se rendre à Dantzick et de là à +Saint-Pétersbourg. À Dantzick, il tomba malade, et comme, pendant les +trois semaines qu'il y fut retenu, la guerre éclata de nouveau entre la +France et l'Autriche, il se décida à revenir à Paris. Après quelques +jours passés à Brunswick où le duc régnant le reçut à merveille, il +revint près de son frère. Le premier consul renouvela alors ses +instances pour lui faire épouser Hortense. Louis ne pouvait se décidera +s'enchaîner aussi jeune (il n'avait que 23 ans). Pour ne pas céder aux +sollicitations de Bonaparte et de sa belle-soeur, il fit comprendre son +régiment de dragons dans le corps dirigé sur le Portugal. Toutefois, +ayant été prendre congé de son frère à la Malmaison, il y fut retenu par +lui et par Joséphine pendant près de trois semaines. Un beau jour, il +partit brusquement pour Bordeaux et Mont-de-Marsan. Dans cette dernière +ville, on le reçut avec de grandes démonstrations, et on lui rendit +même, à cause de sa parenté avec le premier consul, de tels honneurs +que, fort modeste et très simple de goûts et de manières, il fut choqué +de toute la mise en scène dont il se trouvait être l'objet. Le préfet +vint le complimenter à la tête des autorités du département et le +président du tribunal, vieillard vénérable, commença d'un ton solennel +un discours dont les premiers mots étaient: «Jeune et vaillant +héros...» Louis ne put en entendre davantage; il sauta en riant sur le +discours, l'arracha d'une manière vive mais familière des mains du +pauvre président auquel il répondit tout haut: «Je vois que ce discours +s'adresse à mon frère, je m'empresserai de lui faire connaître les bons +sentiments que vous avez pour lui. Je puis vous assurer qu'il y sera +très sensible.» + +Louis entra en Espagne à la tête de son régiment (1801), il passa +quelques semaines à Salamanque, vint à Ciudad Rodrigo, puis il se +rendit avec Leclerc, général en chef de l'armée française, au grand +quartier général de l'armée espagnole alliée de la nôtre. Joseph, +l'aîné des Bonaparte, négociait alors la paix générale. Il y eut un +armistice, le jeune colonel conduisit son régiment à Zamora. Il +obtint ensuite un congé pour prendre les eaux de Barèges, que sa +jambe malade et un rhumatisme à la main droite rendaient nécessaires +à sa santé. Il resta aux eaux les trois mois de juillet, août et +septembre 1801, et revint à Paris en octobre, au moment de la +signature des préliminaires de paix avec l'Angleterre (traité +d'Amiens). + +Ni Bonaparte ni Joséphine n'avaient abandonné leurs projets de +mariage pour Louis et Hortense. Louis plaisantait parfois de ce +projet dont il regardait l'exécution comme impossible, cependant la +persistance de son frère et de sa belle-soeur finit par l'emporter. +Un soir, pendant un bal à la Malmaison, il donna son consentement et +le jour de la cérémonie nuptiale fut fixé au 4 janvier 1802. Le +contrat, le mariage civil, le mariage religieux furent hâtés. Tout +s'accomplit, mais sous les plus tristes auspices, tant était grand +et réel le pressentiment secret des deux époux des malheurs qui +devaient découler pour eux d'une union presque forcée et mal +assortie. Louis avait 24 ans; sa constitution formée de bonne heure +et déjà maladive était en avance sur son esprit, sur son caractère +encore plein de naïveté et de bonne foi. C'est de ce moment que date +pour lui une sorte de tristesse, de découragement moral qui +contribuèrent à empoisonner son existence. Du reste, nous ne pouvons +mieux faire pour donner une idée exacte de cette union que de +renvoyer le lecteur à ce que le roi Louis, au commencement de son +ouvrage sur la Hollande, en dit lui-même. + +De 1802 à 1804, Louis resta presque constamment soit à son régiment, +soit aux eaux thermales. En 1804, son frère le nomma général de +brigade en lui laissant le commandement du 5e de dragons. + +Après la proclamation de l'empire (1804), Louis fut promu au grade +de général de division et entra en même temps au conseil d'État, à +la section de la législation. Le 2 décembre 1804 eurent lieu le +sacre et le couronnement, puis le nouveau souverain pressa de tout +son pouvoir les préparatifs d'une descente en Angleterre. Louis, +devenu prince français, reçut le commandement de la réserve de +l'armée composée de deux régiments de cavalerie et de deux divisions +d'infanterie. L'empereur le fit colonel général des carabiniers. Il +s'établit avec ses troupes près de Lille, et comme il se trouvait à +portée des eaux de Saint-Amand, il en profita pour en faire usage, +car sa santé devenait de plus en plus mauvaise. Il était presque +paralysé des doigts de la main droite, et les eaux de Plombières où +il avait été l'année précédente, loin de le soulager, avaient empiré +sa situation. Celles de Saint-Amand ne lui réussirent pas mieux. + +Quand le projet de descente fut abandonné et la campagne d'Allemagne +entreprise (1805), Louis croyait devoir commander le corps de +réserve en Allemagne. L'empereur préféra lui confier, en son +absence, le commandement de Paris et donner la réserve à Murat +devenu maréchal. Pendant toute cette glorieuse campagne et jusqu'à +la fin de 1805, Louis resta chargé des importantes fonctions qu'il +devait à la confiance de son frère. En même temps son frère Joseph +gouvernait la France au nom de l'empereur. + +Louis n'avait dans ses attributions que les affaires militaires. +Avec peu de troupes, il maintint l'ordre, malgré les embarras +financiers, les intrigues et l'agitation de tous les partis. Sous +prétexte de la pénurie des finances, du discrédit de la banque, dans +l'attente des événements et peut-être aussi poussés par quelques +factieux, des rassemblements considérables se montraient chaque nuit +sur divers points de la capitale. Le successeur de Murat au +commandement de cette grande ville, non seulement parvint à conjurer +les dangers qui pouvaient résulter de ces attroupements, mais il +veilla aussi sur les côtes de l'Ouest, sur Brest, sur Anvers et sur +la Hollande. Il assistait au conseil des ministres et correspondait +journellement avec Napoléon. Bientôt une nouvelle occasion se +présenta pour le jeune prince de déployer son activité. Les +Anglo-Suédois et même les Prussiens menacèrent assez sérieusement +les côtes de la Hollande et le nord de la France pour que, de la +Moravie où il était allé combattre les armées austro-russes, +Napoléon envoyât l'ordre à Louis de former le plus rapidement +possible une armée du Nord destinée à couvrir les chantiers +d'Anvers et la Hollande. Le conseil des ministres trouvait de +grandes difficultés à l'exécution des volontés impériales, Louis les +leva toutes. Il agit avec tant de zèle et d'intelligence, qu'un +mois, jour pour jour, après le décret de Napoléon, il put écrire de +Nimègue au vainqueur d'Austerlitz que l'armée du Nord, complètement +organisée sous son commandement, était prête à tout. Cette armée se +composait des deux divisions Laval et Lorge à Juliers (sur le Rhin) +et de deux autres divisions, en position à Nimègue. Toutes ces +troupes étaient sur les frontières de la Hollande et de la +Westphalie, elles couvraient le Rhin, la Hollande, Anvers et +pouvaient faire face sur tous les points à l'ennemi, de quelque côté +qu'il voulût se présenter. En moins d'un mois, les places du Brabant +furent mises en état de défense, les Hollandais reprirent courage, +et la Prusse qui, peu de jours avant, ne voyait pas un homme pour +lui disputer les frontières de la France, montra une extrême +surprise. La rapide formation de l'armée du Nord ne laissa pas que +d'avoir une certaine influence sur les négociations avec la Prusse. +Napoléon apprit avec joie que l'armée française du Nord avait +effrayé cette puissance au point que M. de Haugwitz, ministre du +cabinet de Berlin, commença par demander que l'ordre fût donné aux +troupes de Louis, alors sur les frontières du duché de Berg, de +s'arrêter. L'empereur témoigna à son frère sa satisfaction, non +seulement dans ses lettres particulières, mais encore dans un des +bulletins de la grande armée. À la nouvelle de la victoire +d'Austerlitz et de la paix, Louis renvoya à Paris les troupes tirées +de cette ville, car l'empereur avait paru mécontent de ce qu'une +partie de ces troupes avait été renforcer les divisions en Hollande. +Le prince se rendit ensuite de sa personne à Strasbourg, au-devant +de son frère qui le reçut froidement. Louis comprit plus tard d'où +venait cette froideur. Napoléon, après l'avoir blâmé de ce qu'il +avait distrait des troupes de Paris pour les envoyer dans le Nord, +le blâma d'avoir trop vite renvoyé ces troupes en France. Enfin, il +lui sut mauvais gré de son prompt départ de la Hollande. Quelques +mots échappés à l'empereur, sur ses projets futurs relativement à ce +pays, commencèrent à l'éclairer. + + + «Pourquoi l'avez-vous quitté? dit-il à Louis; on vous y voyait avec + plaisir, il fallait y rester.--La paix une fois conclue, répondit + celui-ci, j'ai tâché de réparer la faute que vous m'aviez reprochée + dans vos lettres, en renvoyant à leur poste les troupes que j'en + avais fait sortir pour l'armée du Nord. Quant à moi, à qui vous avez + laissé le commandement militaire de la capitale en votre absence, + mon devoir était de m'y trouver à votre retour, si je n'avais pas + cru mieux faire en venant à votre rencontre. Je conviens, + ajouta-t-il, que les bruits qui circulaient en Hollande sur moi et + sur le changement du gouvernement dans ce pays ont hâté mon départ. + Ces bruits ne sont pas agréables à cette nation libre et estimable, + et ne me plaisent pas davantage.» + + +L'empereur fit comprendre alors, par sa réponse, quelque vague +qu'elle fût, combien ces bruits étaient fondés. Mais Louis s'en +inquiétait peu; il était persuadé qu'il trouverait aisément moyen de +refuser le haut rang qu'on lui destinait, rang qu'il n'ambitionnait +pas et qui faisait l'objet des voeux les plus ardents de plusieurs +autres membres de sa famille. + +Après le traité de paix, l'empereur se rendit de Strasbourg à Paris; +Louis l'y accompagna. On touchait au moment où Napoléon allait +mettre une couronne sur le front de ce jeune homme dénué de toute +ambition, d'un caractère déjà naturellement porté à la tristesse, et +que son union mal assortie rendait plus taciturne encore. Aux tracas +intérieurs, allaient se joindre pour lui les soucis d'une royauté +dont il ne sut pas mieux se défendre que de son mariage. + +Nous devons dire ici quelques mots des négociations relatives à +l'érection de la Hollande en royaume en faveur de Louis Bonaparte. + +Après Austerlitz et la signature du traité de Presbourg, Napoléon, +voulant assurer son système du blocus continental, songea à ériger en +royaume la république batave. Des négociations sérieuses furent entamées +entre le gouvernement impérial, représenté à La Haye par le général +comte Dupont-Chaumont et le grand-pensionnaire Schimmelpenninck. Lorsque +Napoléon crut les négociations assez avancées, et eut la certitude que +le chef de la république batave était dans ses intérêts, il le fit +engager (lettre du commencement de janvier 1806) à envoyer à Paris une +députation chargée de s'entendre avec le gouvernement français sur les +moyens à prendre pour _introduire plus de stabilité_ dans les affaires +de Hollande. Le 11 février 1806, Schimmelpenninck écrivit à M. de +Talleyrand, notre ministre des relations extérieures, pour l'assurer de +sa volonté de se prêter à toutes les vues de l'empereur, relativement à +l'affermissement de l'union de la France et de la Hollande. Quelques +jours plus tard, le 27 du mois de février, et lorsqu'il crut l'effet de +sa lettre du 11 produit, le grand-pensionnaire demanda par une note +confidentielle un accroissement de territoire pour la Hollande, du côté +de la Prusse, accroissement promis, disait-il, et toujours ajourné. La +Hollande désirait le pays situé entre l'Ems et le Wéser (l'Ost-Frise, la +principauté de Jever, le bas évêché de Munster, le comté d'Oldenbourg, +le comté de Bentheim, Steinvord, le haut évêché de Munster, etc.), pour +reculer les frontières bataves jusqu'à l'embouchure du Wéser. Dans cette +note toute confidentielle et adressée à M. de Talleyrand, il est fait +appel à la générosité de l'empereur, pour lequel le dévouement du pays +sera inaltérable.--Le 29 mars, le gouvernement français fut prévenu que +l'amiral Verhuell, de retour à La Haye de sa mission à Paris, avait eu +des conférences avec le grand-pensionnaire, à la suite desquelles la +convocation des États avait été décidée pour le 1er avril. Le 31 mars, +Verhuell écrivit à Talleyrand que l'impression produite sur le +grand-pensionnaire, relativement aux intentions de l'empereur, avait été +vive; qu'il ne pouvait résoudre seul la question déclarée _invariable_ +par Napoléon; que le prince Louis et sa femme seraient bien reçus en +Hollande, et que les notables n'hésiteraient pas à se ranger autour +d'eux. Bientôt, les intentions de l'empereur sur la Hollande commençant +à être devinées, des brochures contre la domination de l'étranger furent +publiées dans ce pays. Napoléon devint furieux[57]. Le 15 avril, le +général Dupont prévint que les États allaient envoyer à Paris une +commission en tête de laquelle seraient Verhuell, Goguel, Van Styrum, +Six et Porentzel. En effet, la députation arriva à Paris le 25 avril. +Verhuell se hâta de voir Talleyrand avant la réception de la députation. +L'empereur apprit alors qu'une assez violente opposition au gouvernement +monarchique se laissait entrevoir à La Haye; qu'une adresse se signait à +Harlem, demandant, au nom des précédents du pays et de l'honneur +national, le maintien de la république. Cela n'empêcha pas la commission +de rédiger deux adresses à Napoléon pour lui demander d'accorder à la +Hollande son frère Louis comme _chef suprême de la république batave_, +roi de Hollande. Un traité fut alors conclu (le 24 mai à Paris, et +ratifié le 28 à La Haye) pour l'adoption du gouvernement monarchique. Le +grand-pensionnaire refusa de ratifier le traité, mais il promit de +rester simple particulier à La Haye et d'y vivre tranquille. Il est +juste d'ajouter que l'avènement du roi Louis et de la reine Hortense au +trône de Hollande fut assez bien accueilli dans tout le pays. Un seul +cas d'opposition se présenta. M. Serrurier, ministre français, qui avait +remplacé momentanément à La Haye le général Dupont en congé, rendit +compte de ce fait, dans une lettre du 14 août, à Talleyrand. Une +tentative de révolte eut lieu parmi les matelots de l'un des bâtiments +de la flotte, à l'occasion de la prestation de serment au roi. Le marin +qui portait la parole au nom de ses camarades fut tué sur place, d'un +coup de pistolet, par l'amiral De Winter. Tout rentra à l'instant dans +l'ordre, et le serment fut prêté sans résistance. + + [Note 57: L'une de ces brochures était intitulée: _Appel au + peuple._ Elle fut répandue à profusion en Hollande. Napoléon + en fit rechercher l'auteur. C'était une femme nommée Marie + Hulshorft, qui n'était, de fait, qu'un prête-nom.] + +La royauté fut établie en Hollande, et fondée sur des lois +constitutionnelles. Le prince Louis ne fut pas consulté. Il apprit +par des rumeurs sans authenticité qu'il était fortement question de +lui pour cette nouvelle couronne. Les membres de la députation +vinrent enfin le trouver (le 5 juin, après la déclaration faite par +l'empereur au Sénat), ils l'informèrent de tout, en l'assurant que +la nation serait heureuse de le voir à sa tête. Louis, fort peu +désireux de s'expatrier, dépourvu d'ambition, refusa, donnant pour +prétexte les droits de l'ancien Stathouder. La députation revint +bientôt à la charge, en lui annonçant la mort du Stathouder. «Le +prince héréditaire, lui dit-elle, a reçu Fulde en indemnité; vous +n'avez donc plus d'objection raisonnable; nous venons, appuyés du +suffrage des neuf dixièmes de la nation, vous prier de lier votre +sort au nôtre, et de nous empêcher de tomber en d'autres mains.» +Napoléon fut plus explicite, il fit entendre à son frère qu'il avait +accepté pour lui et que s'il ne l'avait pas consulté, c'est qu'un +sujet ne pouvait refuser d'obéir. Le prince réfléchit alors que s'il +persévérait dans son refus, il lui arriverait sans doute ce qui +était arrivé à Joseph qui, après avoir rejeté l'offre de l'Italie, +se trouvait à Naples. Il résolut toutefois de faire une nouvelle +tentative et il écrivit à Napoléon que s'il était nécessaire que ses +frères s'éloignassent de la France, il lui demandait le gouvernement +de Gênes ou du Piémont. Napoléon refusa. Quelques jours après, le +prince de Talleyrand, ministre des relations extérieures, vint lire, +à Saint-Cloud, à Louis et à Hortense, le traité avec la Hollande et +la constitution de ce pays. Le prince eut beau dire qu'il ne pouvait +juger sur une simple lecture un projet de cette importance, +qu'étranger aux discussions et au travail qui avaient eu lieu, il +ignorait si on ne lui faisait pas promettre plus qu'il ne lui serait +possible de tenir, il fallut accepter. Louis avait été nommé +grand-connétable de France, l'empereur décida que cette dignité lui +serait conservée. Louis voulut tirer prétexte de sa santé, du climat +de la Hollande, Napoléon répondit qu'il valait mieux mourir sur un +trône que vivre prince français. Il n'y avait plus qu'à obéir, c'est +ce qu'il fit en assurant qu'il se dévouerait à son nouveau pays avec +zèle et qu'il chercherait à justifier, dans l'esprit de la nation, +la bonne opinion que l'empereur avait sans doute donnée de lui. Le 5 +juin avait été fixé pour la proclamation du nouveau roi. Après un +discours de l'amiral Verhuell et une réplique de Napoléon, ce +dernier, s'adressant à son frère, lui dit: «Vous, prince, régnez sur +ces peuples.... Qu'ils vous doivent des rois qui protègent ses +libertés, ses lois, sa religion; mais ne cessez jamais d'être +Français. La dignité de connétable de l'empire sera conservée par +vous et vos descendants; elle vous retracera les devoirs que vous +avez à remplir envers moi, et l'importance que j'attache à la garde +des places fortes qui garnissent le nord de mes états et que je vous +confie.» Louis répliqua, et dans son discours on put remarquer cette +phrase: «Je faisais consister mon bonheur à admirer de plus près +toutes les qualités qui vous rendent si cher à ceux qui, comme moi, +ont été si souvent témoins de la puissance et du génie de Votre +Majesté. Elle permettra donc que j'éprouve des regrets en +m'éloignant d'elle, mais ma vie et ma volonté lui appartiennent. +J'irai régner en Hollande, puisque ces peuples le désirent et que +Votre Majesté l'ordonne.» Dans son message au sénat, à propos du +royaume de Hollande, Napoléon termine en disant: «Le prince Louis, +n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve +de l'amour qu'il a pour nous, et de son estime pour les peuples de +la Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes +obligations.» + +On voit par ce qui précède que le nouveau souverain avait fait pour +refuser la couronne tout ce qu'il était humainement possible; que +loin de désirer la haute position qui lui était offerte, il la +redoutait; qu'en un mot, il sacrifiait à la politique de son frère +sa liberté, son indépendance, ce qui lui restait de bonheur sur la +terre. Toutefois, dès qu'il eut accepté, son intention bien arrêtée +fut de se consacrer entièrement à sa nouvelle patrie, et de régner +_pour la Hollande seule_; de là vinrent les tiraillements, puis +bientôt après les discussions et enfin les rapports quasi-hostiles +qui ne tardèrent pas à s'établir entre les deux frères, entre les +deux souverains, et qui aboutirent finalement à l'abdication de +Louis et à la réunion de la Hollande à la France. + +En plaçant sur la tête de Louis la couronne de Hollande, Napoléon +entendait faire de lui un _roi-préfet_; en acceptant cette couronne, +Louis voulait être un _roi-souverain_. La politique de l'empereur +jeta toujours du froid entre lui et ceux des membres de sa famille +qu'il mit sur les trônes. Cela ne pouvait être autrement. Selon +qu'on se place à un point de vue différent, on voit les mêmes choses +sous un aspect qui n'est pas le même. Napoléon partait de ce +principe, que tout souverain par sa grâce à lui, l'empereur des +Français, devenait par le fait même, non seulement son obligé comme +homme, comme roi, mais encore qu'il devait contraindre les peuples +dont il lui donnait le gouvernement à tout sacrifier à la politique +française, même les intérêts les plus chers. C'était partir d'un +principe injuste et inapplicable dans la pratique. En supposant +qu'un roi sur le trône consente à n'être qu'un préfet couronné, ses +peuples n'ayant pas les mêmes motifs pour suivre le sillon tracé par +un état voisin, pourront vouloir s'en écarter. De là doit résulter +forcément des levains de discorde, soit entre le souverain +protecteur et le souverain protégé, soit entre le souverain protégé +et les sujets. Voilà pourquoi, à partir du jour où il se mit à +fabriquer des rois de famille, Napoléon fut toujours en discussion +avec les siens. Un seul des princes qu'il éleva près de lui suivit +aveuglément sa politique, le prince Eugène; pourquoi? La raison en +est bien simple, c'est qu'Eugène n'était que _vice-roi_ et non roi +d'Italie. Le jour où il eût gouverné en son nom, Eugène, malgré son +affection profonde, son respect sans bornes pour son père adoptif, +n'eût probablement pas consenti à tout ce que voulait l'empereur. +Eugène, en restant vice-roi d'un état dont la couronne était sur la +tête de Napoléon, remplissait son devoir, sans éprouver aucune +répugnance à agir comme il le faisait. Murat à Naples, Joseph en +Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, n'étaient pas dans +la même position. _Rois-préfets_, ils perdaient leur prestige aux +yeux de leurs sujets; _rois-souverains_, prenant les intérêts de +leurs peuples, ils contrariaient souvent les vues de celui qui les +avait mis sur le trône, ils excitaient son ressentiment, se +faisaient accuser par lui d'ingratitude; puis, comme malgré son +affection pour les siens Napoléon n'était pas homme à abandonner, +pour quelque considération que ce pût être, ses gigantesques +projets, il cherchait bientôt à briser ceux qu'il avait élevés. De +là ces lettres acerbes entre lui et ses frères, ces reproches +continuels, ces refus de sa part d'accéder à leurs demandes, +quelquefois fort justes, et de remplir même les engagements qu'il +avait contractés à leur égard. Joseph, en Espagne, avait beau être +roi par la grâce de son frère, pouvait-il abandonner les intérêts de +l'État dont on lui confiait les rênes, jusqu'à accueillir, comme le +voulait l'empereur, la ruine financière d'abord, le démembrement de +ses États ensuite? Louis, roi malgré lui de la Hollande, pouvait-il +voir sans chagrin le dépérissement du pays dont il avait juré de +maintenir les droits, parce qu'il entrait dans le système de la +France de sacrifier tous les intérêts commerciaux pour réduire +l'Angleterre? + +Avec son accession au trône de Hollande, se termine la première +partie de l'existence de Louis Bonaparte, période heureuse si on la +compare à celles qui la suivirent. + + +II. + +Juin 1806-1808. + +Le roi et la reine quittèrent Paris dans les premiers jours de juin +1806, et arrivèrent dans leurs États le 18. Ils descendirent d'abord +à la maison royale, dite _du Bois_, à une lieue de La Haye, où ils +reçurent les députations et les accueillirent avec la plus extrême +affabilité. Le 23 juin eut lieu l'entrée solennelle des deux +souverains à La Haye. Le roi crut devoir ne s'environner que de +troupes nationales; il congédia, après l'avoir très bien traité, un +corps français mis à sa disposition par l'empereur. Ce dernier en +fut choqué, mais les Hollandais surent beaucoup de gré à Louis de sa +conduite à cette occasion. Bientôt, malgré tout ce que purent faire +le roi et la reine, une certaine jalousie se fit sentir à leur +nouvelle cour entre les Français et les Hollandais admis auprès +d'eux. La nation, de son côté, tout en reconnaissant la supériorité +de l'administration française que l'on commençait à introduire en +Hollande, se prit à regretter ses vieilles pratiques. Il y eut des +bals, des concerts, des fêtes que la reine Hortense, femme des plus +aimables et des plus gracieuses, embellissait par la bienveillance +avec laquelle elle recevait indistinctement tout le monde. Le roi, +qui ne pouvait pas se dissimuler la division existant déjà entre les +Hollandais et les Français, semblait accueillir les premiers plus +volontiers que les seconds; les seconds au contraire paraissaient +plus agréables à la reine. En montant sur le trône, Louis prit très +au sérieux ses nouveaux devoirs envers la Hollande, mais il ne tarda +pas à comprendre combien il lui serait difficile de concilier les +intérêts de la nation avec ce que l'empereur attendait de lui. Ce +fut sans doute parce qu'il était résolu à tout sacrifier à sa +nouvelle patrie qu'il avait désiré renoncer au titre de connétable. +Napoléon, qui le devina, l'avait contraint, comme on l'a vu, à +conserver cette haute dignité militaire. Pour juger les actes du roi +Louis, il ne faut pas oublier cette position mixte et fausse dans +laquelle il se trouva pendant tout le temps de son règne. On a vu +Louis refusant la couronne, on l'a vu l'acceptant malgré lui, on va +le voir maintenant désireux d'user d'un pouvoir indépendant, +résister à Napoléon et essayer un instant de lutter. Il voulait +franchement le bien de ses sujets, cette pensée l'occupait +constamment, mais ce qu'il voulait faire pour atteindre ce but +n'entrait nullement dans les desseins de l'empereur et presque +toutes les mesures du roi étaient précisément une sorte +d'opposition, de protestation contre le système continental, par +lequel Napoléon voulait contraindre l'Angleterre de céder à ses +volontés. + +Louis s'entoura d'hommes de mérite et qu'il prit exclusivement parmi +les Hollandais. Il commença par faire subir quelques changements à +divers points secondaires de la constitution qu'il avait adoptée, +puis il se mit à étudier la situation des affaires. Cette étude lui +révéla le déplorable état du trésor et de l'administration des +digues, l'incohérence des lois judiciaires, la faiblesse de l'armée. +Seule, la marine était dans d'assez bonnes conditions. Elle avait +deux flottilles, l'une pour la garde des côtes et des ports, l'autre +en station à Boulogne-sur-Mer. Le Helder, Amsterdam, Rotterdam +possédaient de beaux vaisseaux et de bons officiers pour les +commander. L'exercice des cultes était libre, mais l'État salariait +les ministres de la religion dominante (la religion réformée) et +laissait l'église catholique dans le plus profond dénuement. Ceux +qui la professaient n'étaient admis dans aucun emploi public; les +juifs étaient rebutés, méprisés. Le commerce languissait, les +manufactures ne marchaient pas. Les universités étaient dans un état +assez satisfaisant. Tel était l'état moral et matériel de la +Hollande à cette époque. Le nouveau souverain ne perdit pas un +instant pour porter remède au mal, autant que cela était en son +pouvoir. Afin d'alléger les finances, il sollicita de l'empereur le +renvoi des troupes françaises et la diminution des armements +maritimes, écrivant qu'il abdiquerait si la France ne s'acquittait +pas vis-à-vis de la Hollande, et si les troupes de Napoléon +restaient plus longtemps à la solde de son royaume. L'empereur +mécontent accéda néanmoins aux voeux de son frère, moins peut-être +pour lui être agréable que pour augmenter ses forces en Allemagne. +On touchait à la guerre avec la Prusse. Louis sentit la nécessité +d'organiser son armée pour pouvoir, à toute éventualité, se suffire +à lui-même. Bientôt la guerre étant déclarée à la cour de Berlin, il +forma deux corps de 15,000 hommes, le premier dont il se réserva le +commandement et qu'il dirigea sur Wesel (fin de septembre 1806), le +second aux ordres du général Michaud et qui fut placé au camp de +Zeist. Il reçut alors de l'empereur, par M. de Turenne, des dépêches +dans lesquelles son frère mettait à découvert ses vastes conceptions +pour la campagne contre la Prusse. Napoléon lui disait entre autres +choses: + + + «Vous ferez une diversion utile à Wesel, où je vous prie de réunir + votre armée grossie de troupes françaises. Cette armée portera le + nom d'armée du Nord. Vous ferez en sorte qu'on la croie beaucoup + plus forte qu'elle ne l'est. Si les Prussiens se jettent vers la + Hollande et prennent le change, ils sont perdus; s'ils ne le font + pas, ils le sont encore. Tandis qu'ils croient que j'établis ma + ligne d'opération parallèlement à eux et au Rhin, j'ai déjà calculé + que peu d'heures après la déclaration, ils ne peuvent m'empêcher de + déborder leur gauche et de porter sur elle plus de forces qu'ils ne + pourront en opposer, et qu'il n'est nécessaire pour sa destruction. + La ligne rompue, tous les efforts qu'ils feront pour secourir leur + gauche tourneront contre eux; séparés, coupés dans leur marche, ils + tomberont successivement dans mes lignes. Les résultats sont + incalculables. Peut-être serai-je à Berlin avant six semaines. Mon + armée est plus forte que celle des Prussiens, et quand même ils me + battraient d'abord, aussitôt après ils me trouveront sur leur centre + avec 100,000 hommes de troupes fraîches poursuivant mon plan, etc., + etc.» + + +Tout en admirant l'habile stratégie du grand capitaine, Louis reçut +avec désespoir l'ordre d'amalgamer l'armée hollandaise avec l'armée +française. Chaque régiment dut être embrigadé avec un régiment +français, sous les ordres d'un général français; l'artillerie +hollandaise, quoique agissant en dehors de l'artillerie française, +reçut un commandant français; enfin Mortier, à la tête du 8e corps +stationné à Mayence, fut chargé d'une expédition contre l'électeur +de Cassel, avec lequel Louis vivait en très bonne intelligence, et +le maréchal eut, pour le soutenir, des troupes de Hollande à portée +de ses principales forces. Quoi qu'il en soit, le roi fit encore ce +que désirait Napoléon; il opéra l'amalgame, laissa au camp de Zeist +le général Dumonceau, nommé commandant des troupes stationnées dans +le pays, et lui-même, avec le général Michaud, rejoignit l'armée +française à la tête du corps directement sous ses ordres. Ce corps +hollandais prit position à Wesel. Le 15 octobre, le roi se porta en +Westphalie avec 20,000 hommes, 3,000 chevaux et 40 pièces attelées. +Son armée avait pris le nom d'armée du Nord. Elle occupa Munster, +Osnabruck, Paderborn, tandis que la division Daendels envahissait +l'Ost-Frise. Au moment où les Hollandais allaient attaquer Hammeln +et Nienbourg, le maréchal Mortier leur demanda de le soutenir. Le +roi marcha en personne sur la Hesse, ajournant ses opérations contre +les deux places fortes citées plus haut. Le 1er novembre, il était +près de Cassel, lorsqu'il fut joint par un écuyer de l'électeur que +le roi Louis aimait et dont il envahissait à regret le territoire. +Le roi fit donner à l'électeur le conseil de rester neutre, mais +Mortier était déjà à Cassel et l'électeur n'eut d'autre parti à +adopter que la fuite. Louis vit le maréchal et fut stupéfait +d'apprendre de sa bouche qu'il avait ordre de mettre sous son +commandement tous les corps hollandais. Choqué, il revint +immédiatement avec ses troupes en Hollande, envoyant un aide de camp +à Berlin, à son frère, pour se plaindre et lui dire que tout allant +bien, et les Hollandais n'étant plus nécessaires, il les ramenait +dans leur pays. À la suite de plusieurs longues conversations qu'il +eut avec le général Dupont-Chaumont, ministre de France auprès du +gouvernement hollandais, il comprit que l'empereur ne considérait +pas les affaires de ce pays comme terminées, et que pour lui il +devait se considérer à l'armée comme un prince français. + +À dater de ce moment, le système de l'empereur relativement à la +Hollande commença à ne plus être un mystère pour Louis. Du moins le +roi crut entrevoir que l'intention de son frère était d'amener, à +force de rigueurs, ce malheureux pays à regarder comme un bienfait +sa réunion à la France. Dès qu'il crut reconnaître chez Napoléon ce +projet funeste à son royaume, il prit la résolution de ne plus agir +qu'en souverain et dans toute la plénitude des devoirs que lui +imposait ce titre. + +«Ne pouvant ni _ne voulant_, disait-il, tenir tête à la France, à +force ouverte, il faut au moins que le public connaisse la vérité, +qu'il soit convaincu que si j'ai pu être trompé, rien ne pourra me +détacher d'un pays devenu le mien, auquel me lient les devoirs et +les serments les plus sacrés.» + +On conçoit que de pareilles paroles rapportées à Napoléon ne +pouvaient adoucir le tout-puissant empereur à l'égard de son frère +et de la Hollande. Se croyant, à tort ou à raison, éclairé sur les +projets ultérieurs de son frère, se montant peut-être aussi la tête, +et attribuant à l'empereur des desseins non encore bien arrêtés dans +la pensée de Napoléon, desseins sur lesquels il est possible qu'une +sorte de soumission l'eût fait revenir, Louis, de retour à La Haye, +ne voulant pas envoyer ses troupes en Prusse et voulant les occuper +près de ses États, fit bloquer les places de Hammeln et de Nienbourg +sans les faire attaquer. Le général Daendels occupa Rinteln sur le +Weser, entre Hammeln et Nienbourg. Le roi apprit alors que Blücher +avait été battu à Lubeck. Ne pouvant se faire à l'idée d'être +considéré à la grande armée comme un simple officier général, il +renvoya à Mortier toutes les troupes françaises qui se trouvaient +amalgamées avec les troupes hollandaises, puis il fit venir le +général Dumonceau, auquel il confia le commandement général, le +chargea du blocus et écrivit à son frère qu'il était obligé de +retourner lui-même en Hollande et ne pouvait se rendre ni en +Hanovre, ni à Hambourg comme l'empereur le voulait. Peu de jours +après, les places de Hammeln et Nienbourg se rendirent. Les +Hollandais furent heureux de revoir leur souverain. D'abord ils +aimaient déjà réellement ce prince, ensuite ce que redoutait avant +tout la population de ce pays, c'était un gouvernement militaire et +un roi aimant à faire la guerre. + +La Hollande respirait à peine, qu'un nouveau malheur vint la +frapper, on apprit le fameux décret de Berlin et les mesures prises +par Napoléon pour le blocus continental. C'était non seulement la +mort d'un pays qui ne vivait que par le commerce, mais ce devait +être encore une cause de perpétuelle dissension entre ce royaume et +l'empire français. Louis en fut atterré. Il comprit que ce système +poussé à l'extrême ruinerait peut-être par la suite l'Angleterre, +mais qu'à coup sûr il ruinerait auparavant la Hollande et les États +commerçants. Il chercha à éluder les dispositions les plus rigides +du décret. Malgré ses efforts et sa prudence, il ne put réussir à +donner le change à l'empereur. Ce dernier était trop bien instruit +par ses agents de ce qui se passait chez ses voisins pour ignorer la +vérité. Furieux, il éleva la voix plus despotiquement. Le roi dut se +résigner à faire paraître le 15 décembre 1806 un décret réglant dans +ses États le blocus continental. L'empereur néanmoins ne se montra +pas satisfait. Il avait une méfiance telle à l'égard de la Hollande +qu'il fut sur le point d'ordonner des visites domiciliaires dans ce +pays. Ses agents lui persuadaient que des relations commerciales +existaient toujours entre l'Angleterre et la Hollande, et de fait +ces rapports, peut-être exagérés, étaient cependant basés sur un +fonds de vérité. + +Malgré tous les ennuis qui accablaient son âme, Louis ne perdait pas +de vue les institutions pouvant être utiles à son nouveau pays. Il +fit rédiger un code civil et un code criminel, il compléta le +système des contributions, système établissant une égalité parfaite +entre tous les habitants. Il fit paraître de sages réformes sur les +corporations et sur les maîtrises. Il voulut ensuite instituer comme +en France de grands officiers du royaume, des maréchaux, des +colonels généraux, et enfin il proposa au corps législatif une loi +portant création de deux ordres de chevalerie, l'ordre de l'_Union_ +et celui du _Mérite_. L'institution des grands officiers déplut à +l'empereur. + +Au mois de janvier 1807 une triste circonstance permit à Louis de +montrer ses sentiments d'humanité. Leyde éprouva un épouvantable +désastre. Un bateau chargé de poudre fit explosion au milieu de la +ville. Il s'y rendit aussitôt, prodigua les secours, les +consolations, dispensa les habitants de toute contribution pendant +dix ans, fit la remise aux débiteurs des arrérages des impôts non +acquittés. En un mot, sa conduite lui gagna tous les cours, à tel +point que la Société philanthropique de Paris lui adressa +l'expression de sa vive admiration pour sa bienfaisance, et le pria +de permettre que la Société offrit à la ville de Leyde les secours +dont elle pouvait disposer[58]. La France avait exigé beaucoup de +sacrifices de la Hollande, de telle sorte que bien malgré lui le roi +fut obligé d'avoir recours à de nouveaux impôts. L'esprit national +fut froissé, car pour établir les impôts, il fallait nécessairement +contrarier d'anciens usages, et la nation hollandaise est une de +celles qui tient le plus aux coutumes, aux moeurs, aux habitudes qui +lui ont été transmises par ses pères. Louis fut très peiné d'être +forcé d'agir ainsi, mais les circonstances étaient trop impérieuses +pour qu'il lui fût permis de tergiverser. Il fit ensuite établir un +nouveau cadastre et créa une direction des beaux-arts, à la tête de +laquelle fut placé le savant Halmon. Les mesures vexatoires et +blessantes pour l'amour-propre du roi, prises à son égard par +Napoléon pendant la campagne de Prusse; les effets désastreux pour +la Hollande du blocus continental, les lettres acerbes de l'empereur +aigrirent à tel point les relations entre les deux souverains, que +Louis en vint à être convaincu que même avant de mettre la couronne +de Hollande sur sa tête, son frère avait eu le projet de démembrer +ce pays et de le réunir à la France. Louis le répète à chaque page +dans l'ouvrage qu'il publia plus tard sur la Hollande, ouvrage qui +choqua Napoléon à Sainte-Hélène. Il est permis de douter que cette +pensée ait réellement existé dès 1806 dans l'esprit de Napoléon, +mais ce qu'il y a de positif, c'est que le roi Louis le crut et ne +mit plus de bornes à sa résistance aux volontés du gouvernement +impérial. Avec un homme aussi absolu que l'empereur, c'était une +lutte dangereuse. La Hollande envoya néanmoins une députation au +château de Finkenstein. Napoléon l'accueillit assez bien, mais se +plaignit de son frère, et le prince de Talleyrand, en recevant les +députés à Berlin, leur dit: «Votre roi veut donc favoriser +absolument les Anglais?» + + [Note 58: Dans un voyage qu'il fit l'année suivante, Louis + ayant dit à la population de la petite ville d'Edam, réunie + autour de lui, qu'il espérait que les Hollandais oublieraient + un jour qu'il n'était pas né en Hollande, un vieillard lui + répondit: «Nous l'avons bien oublié depuis Leyde.»] + +Tant que Louis fut à l'armée, la reine Hortense resta auprès de +l'impératrice, sa mère, à Mayence; elle revint au commencement de +1807 avec ses deux enfants auprès de son mari. On fut heureux de la +revoir, car son affabilité lui avait gagné tous les coeurs. Elle ne +tarda pas à éprouver un malheur qui lui causa ainsi qu'au roi le +plus violent chagrin. Après un voyage fait par ce dernier dans ses +États, ils perdirent leur fils, le prince royal, qui leur fut enlevé +en quelques jours par le croup, le 5 de mai. La douleur de Louis et +d'Hortense fut affreuse et tellement profonde que l'empereur les en +blâma. La reine, ne pouvant supporter la vue de ce qui lui rappelait +son enfant, partit pour les Pyrénées. Le roi se hâla de pourvoir aux +affaires les plus importantes, telles que le complètement de +l'armée, la préparation des projets de lois à présenter à la session +législative, et surtout les besoins du trésor; puis il rejoignit sa +femme. Louis, en fuyant les lieux qui lui retraçaient l'image +toujours présente à ses yeux de son fils, avait en outre deux motifs +pour s'éloigner momentanément de la Hollande: rétablir sa santé que +le climat empirait visiblement; se soustraire au spectacle de la +détresse causée dans le pays par le blocus continental. Ne pouvant +empêcher les souffrances de son peuple, il voulait n'en pas être le +témoin. Le 30 mai 1807, il se rendit dans les Pyrénées en passant +par Paris. Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et le +besoin qu'il pouvait avoir de prendre les eaux, s'étonnèrent de le +voir s'éloigner de ses États dans un moment aussi critique. En +effet, ce fut précisément pendant son absence que fut signé le +traité de Tilsitt, après la victoire de Friedland, et à la suite +d'une campagne dans laquelle les troupes hollandaises s'étaient fort +distinguées. + +Après Tilsitt, Napoléon revint en France, Louis en fut informé aux +eaux, il se hâta de quitter les Pyrénées. À son passage à Paris, il +vit l'empereur qui lui dit en riant qu'il ne devait pas être étonné +si on lui rendait compte de l'entrée sur le territoire de Hollande +de douaniers et de gendarmes français chargés de punir les +contrebandiers. «Au reste, ajouta-t-il, cela sera fait à cette +heure.» + +Le roi n'en entendit pas davantage, et prenant vivement à coeur ce +dont il venait d'être instruit, il partit pour ses États et voyagea +sans s'arrêter jusqu'à Anvers. Là il eut des détails sur ce qui +avait été fait. Des gendarmes déguisés s'étaient introduits dans les +places de Berg-op-Zoom, de Breda, de Bois-le-Duc, et y avaient fait +des arrestations. L'indignation de Louis fut à son comble, il +destitua le général Paravicini de Capeln, gouverneur de +Berg-op-Zoom, le président de Breda, et sollicita, mais en vain, +l'élargissement des prisonniers conduits en France. + +Le 23 septembre 1807, il revint à La Haye[59]. La reine ne l'y +accompagna pas. Soit qu'il ne pût lui-même habiter une ville où il +avait perdu son fils, soit pour un tout autre motif, cette ancienne +résidence des stathouders lui déplut, il transporta le siège du +gouvernement à Utrecht. Il s'y rendit au mois d'octobre et s'y +installa fort mal, lui et sa cour, malgré tous les travaux qu'il fit +faire. Louis semblait poursuivi par le malheur, il portait partout +un visage triste que ne pouvaient parvenir à égayer ni les acteurs +français venus de Paris, ni les bals et les réunions qui se +succédaient autour de lui. + + [Note 59: On a souvent dit que le prince Louis-Napoléon, + devenu l'empereur Napoléon III, n'était pas le fils du roi + Louis, mais de l'amiral Verhuell ou de tout autre. Voici des + faits positifs et des dates précises qui prouvent la fausseté + de ces assertions: + + Le 4 mai, le roi de Hollande perdit son fils, le prince + royal. Hortense, au désespoir, quitta le royaume et se rendit + dans les Pyrénées, à Bagnères-de-Luchon, où son mari, aussi + désolé qu'elle, la rejoignit le 30 du même mois. Le roi et la + reine vécurent deux mois ensemble à Luchon. Le 20 avril 1808, + c'est-à-dire neuf mois après le séjour des deux souverains + dans les Pyrénées, naquit le prince Louis-Napoléon.] + +D'ailleurs, l'absence de la reine frappait toutes les fêtes d'une +sorte de langueur. On se souvenait combien à La Haye sa spirituelle +vivacité savait animer les cercles où elle brillait par le charme de +sa jeunesse et de sa bonté. Le 11 novembre Louis obtint, après +beaucoup d'instances, un traité entre la France et la Hollande; mais +ce traité, signé à Fontainebleau et en vertu duquel la Hollande +cédait Flessingue, parut tellement onéreux au roi, qu'il eut de la +peine à se décider à le ratifier. Il ne le fit que dans l'espérance +de conjurer de plus grands malheurs et d'éviter de plus grands +sacrifices. L'année 1807 s'acheva péniblement et tristement pour ce +malheureux prince, qui cherchait en vain dans les beaux-arts une +distraction à ses chagrins. Des modifications eurent lieu dans son +ministère. L'amiral Verhuell, qui portait le titre de maréchal, +quitta le portefeuille de la marine pour l'ambassade de +Saint-Pétersbourg. Le roi le trouvait trop dévoué aux intérêts de la +France et pas assez à ceux de la Hollande. Le ministre de la guerre +Hogendorp fut envoyé à Vienne, et M. Van-Maanen, procureur du roi à +La Haye, prit le ministère de la police. L'amiral Verhuell n'alla +pas en Russie, l'empereur le réclama comme ambassadeur en France. Le +gouvernement français envoya comme ambassadeur en Hollande M. de la +Rochefoucauld qui, au dire du roi Louis, avait la mission de +préparer la réunion de la Hollande à l'empire. + +La paix de Tilsitt fut loin d'apporter quelques adoucissements aux +rigueurs du blocus continental. Le système gigantesque de Napoléon +pour abattre l'Angleterre et l'amener à merci prit un développement +plus considérable encore. Jusqu'alors la France et les États qui +dépendaient en quelque sorte de cette puissance étaient seuls +contraints à observer les mesures rigoureuses du blocus. Après +Tilsitt, l'Europe entière dut s'y soumettre. La Prusse y fut +contrainte et remplit ses engagements avec la plus grande énergie. +Le Danemark l'adopta avec joie, espérant venger le bombardement de +Copenhague. La Hollande exécuta aussi par force les mesures +ordonnées, mais de mauvaise grâce, parce que cela ruinait son +commerce et que son commerce c'était son existence. L'empereur ne +pouvait pardonner au roi et au pays leur répulsion pour son vaste +plan rendu plus rigoureux encore par le décret daté de Milan le 17 +décembre. La conduite récente des Anglais envers le Danemark, les +instances de la France avaient aussi déterminé la Russie à se +déclarer, en sorte que le tableau de l'Europe à cette époque était +des plus singuliers. Les puissances continentales d'un côté, +l'Angleterre de l'autre, s'acharnaient à porter la ruine et la +désolation dans le monde entier. + +Au commencement de 1808, l'empereur Napoléon en était venu au point de +déclarer coupable de _haute trahison_ tout fonctionnaire qui +favoriserait les contraventions au décret du blocus. Les 18 et 23 +janvier, Louis, cédant aux injonctions de son frère, prit encore de +nouvelles dispositions plus rigides. Peu de temps après l'arrivée en +Hollande de M. de Larochefoucauld, qui vint remplacer Dupont-Chaumont, +le bruit se répandit de la cession du Brabant et de la Zélande en +échange des villes anséatiques. Offensé de cette nouvelle, que la +diplomatie française semblait prendre plaisir à accréditer dans l'ombre, +le roi s'en expliqua nettement avec Napoléon, qui répondit d'une manière +ironique et évasive, terminant sa courte lettre par cette phrase: +«Encore une fois, puisque cet arrangement ne vous convient pas, c'est +une affaire finie. Il était inutile même de m'en parler, puisque le +sieur de la Rochefoucauld n'a eu l'ordre que de sonder le terrain.» + +Louis fût peut-être parvenu à assurer la prospérité de son royaume +s'il n'eût été contrecarré dans ses projets par les vastes desseins +de son frère, ou s'il eût voulu suivre aveuglément la politique du +grand homme, car les mesures qu'il avait prises l'année précédente, +surtout les mesures financières, avaient eu un succès inespéré. +Utrecht ne devait pas être longtemps la résidence du roi. Ce prince, +soit qu'il se fût vite dégoûté de ce séjour, soit qu'il pensât +qu'Amsterdam, grand centre de population, remplît mieux les +conditions d'une capitale, y transporta le siège du gouvernement. À +cette même époque, les affaires d'Espagne avaient pris un nouvel +aspect. Napoléon songeait à placer un membre de sa famille sur le +trône de ce pays. Soit qu'il fût ennuyé de la lutte du roi de +Hollande avec lui, soit qu'il eût l'espoir que Louis suivrait mieux +la politique française à Madrid, soit qu'il fût bien aise d'avoir un +prétexte pour annexer la Hollande à ses États, peut-être aussi dans +le but d'arracher son frère à un climat contraire à sa santé, +l'empereur lui proposa la couronne d'Espagne. Le 27 mars 1808 il lui +écrivit: + + + «Mon frère, le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix + a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à + Madrid. Dans cette circonstance, mes troupes étaient éloignées de 40 + lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec + 40,000 hommes. Jusqu'à cette heure le peuple m'appelle à grands + cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre qu'en + donnant un grand mouvement au continent, j'ai résolu de mettre un + prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande ne + vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de ses + ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou non, il + n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette situation + des choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous serez + souverain d'une nation généreuse, de 11 millions d'hommes et de + colonies importantes. Avec de l'économie et de l'activité, l'Espagne + peut avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux dans ses + ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre opinion sur ce + projet. Vous sentez que ceci n'est encore qu'un projet, et que, + quoique j'aie 100,000 hommes en Espagne, il est possible, par les + circonstances qui peuvent survenir, ou que je marche directement et + que tout soit fait dans quinze jours, ou que je marche plus + lentement et que cela soit le secret de plusieurs mois d'opérations. + Répondez-moi catégoriquement: Si je vous nomme roi d'Espagne, + l'agréez-vous? puis-je compter sur vous? Comme il serait possible + que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et qu'alors il + faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances que l'on ne + peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots: J'ai reçu votre + lettre de tel jour, je réponds oui, et alors je compterai que vous + ferez ce que je voudrai; ou bien non, ce qui voudra dire que vous + n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre + où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous voulez, et + vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme à Paris. Si j'y + suis, elle me la remettra, sinon elle vous la renverra. + + «Ne mettez personne dans votre confidence et ne parlez, je vous + prie, à qui que ce soit de l'objet de cette lettre; car il faut + qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc., + etc.[60]» + + [Note 60: Cette lettre, si importante pour l'histoire, ne se + trouve pas à la correspondance de l'empereur.] + + +Le roi refusa, indigné de ce qu'il considérait comme une spoliation +envers le malheureux Charles IV. «Je ne suis pas un gouverneur de +province, disait-il à ce sujet, il n'y a d'autre promotion pour un +roi que celle du ciel, ils sont tous égaux. De quel droit +pourrais-je aller demander un serment de fidélité à un autre peuple, +si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en +montant sur le trône?» + +L'empereur, mécontent de ce refus, donna la couronne d'Espagne à +Joseph; il continua à se plaindre de la Hollande, «nation _souple_ +et _fallacieuse_, dit-il dans un moment d'humeur, et chez laquelle +se fabriquent toutes les nouvelles qui peuvent être défavorables à +la France.» Ses agents de police secrète, et ils étaient nombreux, +même à la cour du roi Louis, lui affirmaient que les Hollandais +faisaient avec l'Angleterre des affaires importantes par la +contrebande. Il en était bien quelque chose, et le contraire eût été +difficile. En vain les principaux organes de la presse criaient à la +calomnie, en déclarant faux tout ce qu'on rapportait à Napoléon. Ce +dernier savait très bien à quoi s'en tenir et répétait à qui voulait +l'entendre «que tout le pays de Hollande était entaché d'anglomanie +et que le roi en était le premier _smogleur_.» Tous les rapports +affectueux entre les deux frères avaient cessé, l'horizon politique +entre les deux pays s'obscurcissait, il était impossible que la +Hollande ne reconnût pas qu'elle courait à une crise dangereuse pour +elle. Louis, pressé par une puissance formidable à laquelle il ne +pouvait opposer qu'une bien faible résistance, fut obligé de se +résigner. Une circonstance se présenta de prouver à l'empereur qu'il +n'était pas aussi dévoué à l'Angleterre que Napoléon voulait bien le +dire, il la saisit avec empressement. + +Le roi était allé à Aix-la-Chapelle pour y voir Madame mère; là il +apprit que les Anglais occupaient l'île de Walcheren et qu'ils +cherchaient à s'emparer de la flotte française en station sur +l'Escaut. Il n'hésita pas un instant et expédia sur-le-champ l'ordre +à ses généraux de se rapprocher avec leurs forces de la ville +d'Anvers, pour protéger la flotte contre les entreprises des +Anglais; toutes les tentatives des Anglais eussent été vaines, si le +général Bruce, officier hollandais qui commandait le fort de Batz, +n'eût trahi ses devoirs en secondant les vues de l'ennemi et en +laissant sans défense ce fort où il pouvait longtemps se maintenir. +Les troupes hollandaises, furieuses d'une trahison à laquelle elles +n'avaient eu aucune part, reprirent le fort. Le général Bruce fut +destitué et jeté en prison. + +D'Aix-la-Chapelle, en passant par Amsterdam, le roi rejoignit ses +généraux dans les environs d'Anvers, où il forma un corps d'armée. +Des troupes françaises se réunirent aux hollandaises, et quoiqu'il +s'y refusât de bonne foi vis-à-vis des généraux français, le roi fut +obligé de prendre le commandement des troupes rassemblées sur ce +point. Il se rendit à la déférence qu'on lui marquait, mais avec la +crainte qu'elle ne fût point approuvée par l'empereur. Il ne s'était +point trompé, le prince de Ponte-Corvo vint bientôt prendre ce même +commandement au nom de Napoléon. Louis quitta aussitôt Anvers, +emmenant sa garde et laissant le commandement de ses propres troupes +au général Dumonceau. Cette conduite de l'empereur était mortifiante +pour le roi. Il pensa qu'on se méfiait de lui, et ses conjectures +sur des événements qu'il pressentait depuis longtemps ne tardèrent +pas à prendre de la consistance par la quantité de troupes +françaises que l'on rassemblait dans le Brabant. + +La ville de Flessingue, bien défendue, pouvait opposer une longue +résistance et peut-être même en faire abandonner le siège; mais +après une défense très faible, le général Monnet, avec 4,000 hommes +de garnison, se rendit aux Anglais. Il fut mis en jugement. + +Comme l'occupation de la Zélande par les Anglais n'avait pas altéré +l'amour des Hollandais pour leur souverain, on célébra la fête du +roi Louis à Amsterdam et dans toute la Hollande avec les +démonstrations de la joie, jamais la cour n'avait été plus brillante +que pendant ces trois jours de fêtes. + +À l'anniversaire de la fête de Sa Majesté, on joignit la fête de +l'ordre de l'_Union_, le roi y distribua des décorations. Parmi les +nouveaux chevaliers figuraient de braves officiers blessés à la +reprise du fort de Batz. + +Cependant les Anglais, dès qu'ils eurent inondé la Zélande de leurs +marchandises, l'évacuèrent. On les vit s'éloigner avec peine, parce +qu'ils avaient ravivé le commerce dans cette partie de la Hollande. +Les produits de fabrique anglaise refluaient jusque dans le palais +du roi, où tout le monde, depuis le grand dignitaire jusqu'au plus +simple serviteur, voulait en avoir et s'en parer: on en trouvait +partout et partout on en désirait, en dépit du décret du roi qui les +prohibait. Ainsi se trouvaient justifiés en partie les rapports des +agents de l'empereur et le jugement que Napoléon portait sur les +tendances des Hollandais. + +Peu de temps après la conclusion de la paix avec la Prusse et la +Russie, une partie de l'armée hollandaise dut franchir les Pyrénées +pour aller combattre en Espagne. Les régiments bataves déployèrent +beaucoup de bravoure et montrèrent une discipline remarquable. Le +roi, qui n'entrevoyait même plus pour la suite une amélioration à la +fausse position de ses États vis-à-vis de la France, n'en continuait +pas moins de travailler aux réformes intérieures, ainsi qu'on le +verra par le récit des événements en 1809. + + +III. + +1809--Mai 1810. + +En 1809, tandis que Napoléon battait l'Autriche sur les bords du +Danube, que le prince Eugène faisait en Italie et en Hongrie les +brillantes campagnes qui illustrèrent son nom, que le roi Joseph +luttait contre les Anglo-Espagnols, souvent avec succès, le roi +Louis s'efforçait de vaincre les répugnances d'une nation +stationnaire et de lui procurer les bienfaits d'une administration +analogue à celle de la France, et cependant en rapport avec les +moeurs et les coutumes des habitants. Le 13 janvier, il proposa au +Corps législatif un projet de loi relatif à l'introduction d'un +système uniforme de poids et mesures, basé sur celui de l'Empire +français; il fit adopter un nouveau code criminel qui devait avoir +force de loi à dater de février 1810. Apprenant qu'une inondation +terrible ravageait la Hollande, il se rendit sur les lieux pour +s'assurer de la situation des choses, s'exposant à de véritables +dangers pour porter des secours et juger des mesures à prendre. À +Gorcum, à Nimègue, il paya de sa personne, étudiant avec soin le +système d'endiguement qui fait la sauvegarde du pays; il visita, non +seulement les villes, mais encore les plus pauvres villages de cette +partie de la Hollande; il distribua des décorations et des +récompenses à plusieurs ministres de la religion, qui tous étaient à +leur poste; il fit surseoir à la perception de tous les impôts dans +les districts inondés, forma un comité central du Watterstadt, +comité qu'il composa des plus habiles ingénieurs pour conférer avec +eux sur les moyens de dresser un plan général d'amélioration pour +préserver les pays les plus exposés. Louis visita ensuite les digues +du Leek, et ne rentra à Amsterdam qu'après avoir pris connaissance +de tous les travaux à effectuer. Il s'occupa aussi d'un travail +important sur les cultes[61]. + + [Note 61: Voici un trait qui peint la bonté et l'esprit + philosophique du roi Louis. Un jeune prêtre s'était permis + contre un de ses actes une sortie des plus violentes, des + plus ridicules et des plus injustes. Tout le monde demandait + une punition exemplaire. Le roi le fit venir, exigea qu'il + lui répétât les propos qu'il avait tenus, puis il le fit + asseoir et lui exposa les motifs de la conduite de son + gouvernement. Le jeune prêtre le quitta confus et persuadé. + «Il m'importait plus de le convaincre que de le punir», dit + le roi à ceux qui demandaient son châtiment.] + +Au commencement de mars, le roi fit un voyage dans le département de +l'Over-Yssel. Son but était d'inspecter le pays pour un grand projet +du Watterstadt (l'agrandissement du lit de l'Yssel), d'examiner +l'état des finances communales et d'aplanir certaines difficultés +entre les catholiques et les protestants, pour la possession des +églises. Pendant cette tournée dans ses états, il reçut à +l'improviste de l'empereur le décret qui disposait du grand-duché de +Berg en faveur du prince royal de Hollande, Napoléon-Louis. Ce +décret se terminait ainsi: «Nous nous réservons le gouvernement et +l'administration du grand-duché de Berg et de Clèves, jusqu'au +moment où le prince Napoléon-Louis aura atteint sa majorité; nous +nous chargeons dès à présent de la garde et de l'éducation dudit +prince mineur, conformément aux dispositions du titre 3 du 1er +statut de notre maison impériale..» Le roi fut content de cette +donation, parce qu'il crut y voir l'intention secrète de son frère +d'en faire jouir la Hollande; cependant il ne put s'empêcher d'être +blessé de n'avoir pas été prévenu et d'avoir appris la cession par +une simple lettre d'avis; mais ce qui lui fit un chagrin profond, +c'est de voir que sans son consentement, on séparait à jamais son +fils de lui, privant ainsi un père de ses droits de tutelle et de +surveillance. Il ne témoigna à l'empereur que sa gratitude, espérant +voir luire des jours plus heureux pour lui et pour son peuple. Lors +de son retour à Amsterdam, il réunit le Corps législatif en session +extraordinaire, et l'on s'occupa d'un projet de loi relatif à la +noblesse, projet de loi qui fut adopté. Il différait des lois +françaises en ce que toute l'ancienne noblesse du pays fut reconnue, +en ce que la nouvelle n'eut pas de majorat, et enfin en ce que le +roi faisait ériger un certain nombre de terres en comtés ou +baronnies, et qu'il se réservait le droit de les donner aux +personnes qui mériteraient ces récompenses, à condition que ces +domaines rentreraient à la couronne dans le cas où la succession +directe viendrait à manquer. C'est cette dernière disposition que le +roi regardait comme la seule et véritable base constitutionnelle de +la noblesse, dans un gouvernement monarchique, mais libre. Il +voulait même qu'à la mort d'un homme ayant bien mérité de la patrie, +et qui avait obtenu un comté, une baronnie, ce comté, cette baronnie +fissent retour à la couronne, ne pouvant passer en la possession du +fils sans une nouvelle donation du roi, faite à la majorité de ce +fils, s'il en paraissait digne. «La noblesse n'est honorable et +réelle, disait le roi Louis, que lorsqu'elle s'unit au mérite +personnel. Le fils du gentilhomme doit être préféré à tout autre +pour succéder à son père, à mérite égal, jamais sans mérite et sans +autre titre que celui de la naissance. Seule la famille régnante +doit être exceptée, parce qu'elle n'est pas établie pour l'intérêt +et l'avantage des membres de cette famille, mais pour l'utilité de +la société; c'est donc, dans ce cas, une espèce de magistrature.» +Telles étaient les idées de Louis sur la noblesse, et nous les +trouvons bonnes et rationnelles. «La noblesse, prétendait +plaisamment le roi, ressemble à l'empreinte des monnaies, qui est +réelle si le métal qu'elle couvre a une valeur intrinsèque, mais qui +est nulle et sans prix si le métal est faux.» + +Le 10 avril, après la session extraordinaire du Corps législatif, le +roi partit d'Amsterdam pour visiter le Brabant et la Zélande. Dans +un des villages où il se rendit, régnait une maladie contagieuse qui +répandait la désolation. 140 maisons sur 180 étaient atteintes du +fléau. Louis entra dans toutes les demeures infectées par la +contagion, adressant des paroles d'encouragement aux malheureux +habitants, distribuant lui-même des secours; puis il ordonna de +faire venir à la hâte tous les médicaments nécessaires, et il quitta +ce malheureux village en disant au curé: «Disposez sans ménagement +de tout ce qui est en ma puissance, quelque chose qu'exige la +maladie.» Pendant tout son long voyage, comme dans ceux qui +l'avaient précédé, le roi fit un bien immense aux pays qu'il visita, +et se fit adorer de tous les habitants, qui ne pensèrent jamais à +lui attribuer les malheurs résultant pour eux du système impérial. +Il revint à Amsterdam par Berg-op-Zoom, le 20 mai. Cependant, ainsi +qu'on l'a vu plus haut, la France et l'Autriche étaient de nouveau +en guerre. Tandis que la grande armée de Napoléon s'emparait de +Vienne (mai 1809), les Hollandais poursuivaient dans le nord de +l'Allemagne le partisan prussien Schill et le duc de Brunswick-Oels, +qui avait formé un corps d'armée en Bohême, d'où il s'était jeté en +Westphalie où régnait, depuis Tilsitt, Jérôme, le plus jeune des +frères de Napoléon. Les troupes hollandaises se mirent à la +poursuite de Schill qui, après plusieurs marches et combats, se +réfugia dans Stralsund. La ville fut enlevée et le partisan prussien +y trouva la mort et la fin de ses aventures singulières. Après cette +expédition, une partie de l'armée hollandaise quitta Stralsund pour +se joindre aux troupes du roi Jérôme et combattre le duc de +Brunswick. Les Hollandais formèrent l'avant-garde de l'armée de +Westphalie et montrèrent dans ces deux courtes campagnes le plus +brillant courage. Pendant que la Hollande envoyait ses enfants +combattre pour la cause française, des articles violents et injustes +étaient insérés contre elle dans les journaux de France. Louis s'en +plaignit à l'empereur, qui lui répondit, le 17 juillet, de +Schoenbrunn: + + + Mon frère, je reçois votre lettre du 1er juillet. Vous vous plaignez + d'un article du journal.... c'est la France qui a sujet de se + plaindre du mauvais esprit qui règne chez vous. Si vous voulez que + je vous cite toutes les maisons hollandaises qui sont les trompettes + de l'Angleterre, ce sera fort aisé. Vos règlements de douane sont si + mal exécutés, que toute la correspondance de l'Angleterre avec le + continent se fait par la Hollande. Cela est si vrai que M. de + Staremberg, envoyé d'Autriche, a passé par ce pays pour se rendre à + Londres.... La Hollande est une province anglaise. + + +Il y avait du vrai dans ces reproches de l'empereur, mais les +reproches de Napoléon auraient dû s'adresser moins à son frère qu'à +la nation hollandaise, dont les intérêts étaient trop en souffrance +pour qu'elle ne cherchât pas à éluder les dispositions des décrets +impériaux qui ruinaient son commerce. + +L'Autriche, battue à Raab en Hongrie, à Wagram près de Vienne, +traita de la paix, qui fut conclue le 15 octobre. L'empereur revint +à Paris, et y convoqua les souverains alliés de la France. Le but +ostensible de cette réunion était le couronnement solennel des rois +créés par le traité de Presbourg. Louis résolut de ne pas s'y +rendre, craignant qu'une fois en France on ne le laissât plus +revenir dans ses états. + +Tout à coup, l'amiral Werhuell arriva à Amsterdam, disant n'avoir +d'autre mission que de parler à son souverain de la position +particulière du pays, et cela de son propre mouvement; mais bientôt +il chercha à décider le roi à se rendre à Paris, et laissa percer +ainsi le véritable motif de son voyage. Les rois alors dans la +capitale de la France étaient ceux de Saxe, de Bavière, de +Wurtemberg, de Westphalie, de Naples et le vice-roi d'Italie. Louis +refusa, prétextant qu'on ne l'avait pas engagé. Quelques jours +après, il reçut une invitation formelle de l'empereur. Le moment +était critique; il était dangereux de rien refuser à Napoléon, il +paraissait dangereux à Louis de quitter la Hollande, car les troupes +françaises s'avançaient de plus en plus de la Zélande sur le +Brabant, s'établissant dans le pays. Il fallait donc, ou lever le +masque et préparer la défense du territoire contre un ennemi qui +faisait trembler l'Europe entière, ou essayer de prolonger une +existence pénible, en se pliant à la nécessité. Le roi consulta ses +ministres; un seul, celui de la guerre, fut d'avis d'opposer une +légitime défense. L'armée semblait disposée à ce parti violent. Pour +combattre avec quelque chance de n'être pas écrasée, la Hollande +devait forcément s'allier avec l'Angleterre, et jouer en désespérée +son existence politique. Le roi était fort embarrassé; ses ministres +le pressèrent, le conjurèrent de céder, de partir pour la France. Il +céda, leur déclarant que c'était contre son opinion. + +Avant de se rendre à leurs voeux, il convoqua le Corps législatif, qu'il +laissa assemblé pendant son absence, afin que la nation fût prête à tout +événement. Dans son message, il développa la situation du pays, et +annonça son départ. Il se mit en route le 27 novembre, emmenant son +ministre des affaires étrangères, son grand maréchal, un de ses aides de +camp, deux écuyers et un chambellan. En passant à Bréda, il donna +l'ordre _écrit_ aux gouverneurs de cette place, de Berg-op-Zoom et de +Bois-le-Duc, de n'obéir qu'à un _ordre signé par lui-même_ et de +n'admettre aucune troupe étrangère. On a vu que l'année précédente, +l'empereur avait proposé la cession par la Hollande du Brabant et de la +Zélande, contre de grands dédommagements en Allemagne, et qu'ensuite, +sur le refus du roi Louis, Napoléon avait paru abandonner ce projet. Il +n'en était rien, ainsi que la suite le prouva. Dès les premiers jours de +1810, l'annexion de la Hollande était résolue, et le ministre de la +guerre recevait l'ordre de former l'armée du nord. Plein d'une défiance +fort bien justifiée contre le gouvernement français, le roi convint +secrètement, avec ses ministres, que tout acte, toute pièce qui ne se +terminerait pas par quelques mots hollandais ou par la devise de l'ordre +de l'Union, serait regardée comme nulle. Louis arriva à Paris, le 1er +décembre 1809. Sa première entrevue avec son frère fut orageuse. Il +était descendu chez sa mère, au faubourg Saint-Germain. Il semblait en +disgrâce, très peu de personnes eurent le courage de le venir voir. La +session du Corps législatif allait être ouverte par l'empereur. Le roi +ne fut pas engagé à y paraître avec les autres princes de la famille +impériale. Le lendemain, il connut le passage du discours relatif à la +Hollande. «La Hollande, avait dit Napoléon, placée entre la France et +l'Angleterre, en est également froissée; elle est le débouché des +principales artères de mon empire. Des changements deviendront +nécessaires, la sûreté de mes frontières et l'intérêt bien entendu des +deux pays l'exigent impérieusement.» Le ministre de l'intérieur fut +plus explicite, il s'exprima ainsi devant le même Corps législatif: «La +Hollande n'est réellement qu'une portion de la France... la nullité de +ses douanes, les dispositions de ses agents, et l'esprit de ses +habitants qui tend sans cesse à un commerce frauduleux avec +l'Angleterre, tout fait un devoir de lui interdire le commerce du Rhin +et du Weser... Il est temps que tout cela rentre dans l'ordre naturel.» +En lisant ces passages, le roi comprit que son voyage était une faute. +Il voulut cependant profiter de son séjour à Paris pour obtenir, de +concert avec la reine Hortense, une séparation de corps. Le conseil de +famille refusa. On demanda au roi son consentement à la dissolution du +mariage de Napoléon avec Joséphine; il voulut refuser, puis il céda; il +eut même la faiblesse de paraître à la cérémonie du mariage de Napoléon +avec Marie-Thérèse, ainsi qu'à la fête d'adieu donnée par la ville de +Paris. Il se trouva aussi à la cérémonie du 1er janvier 1810, mais à +partir de ce jour, il ne parut plus en public pendant les cinq mois +qu'il resta à Paris. Alors commença pour le malheureux roi de Hollande +un véritable esclavage. Il fut emprisonné dans la capitale de la France. +En vain, il chercha à s'échapper pour retourner en Hollande, en vain il +essaya quelques courses à sa terre de Saint-Leu; il était bien et dûment +prisonnier, gardé à vue, sous la surveillance d'une police qui faisait +chaque jour son rapport sur lui. Avant de quitter la Hollande pour se +rendre à Paris, Louis, agité de funestes pressentiments, craignant, une +fois aux mains de son frère, d'être privé de son libre arbitre, ainsi +que cela arriva en effet, avait remis au ministre de la marine, Van der +Heim, président du conseil, l'ordre formel ci-dessous: + + + M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, je m'absente + pour quelques jours et juge convenable de vous laisser la présidence + du corps des ministres. La manière dont les affaires doivent se + traiter est réglée par les deux décrets de ces jours; mais il reste + un objet qui a besoin d'un ordre secret et confidentiel, et c'est le + but de cette lettre. + + Je rends les ministres et vous et celui de la guerre + particulièrement, responsables si des troupes françaises entrent + dans Amsterdam, ou si ma garde et le 5e régiment d'infanterie, + destinés à la garde de ce poste important, n'y restent pas + constamment employés. Le ministre de la guerre commandera pendant + l'absence des généraux _Tarrayre_ et _Travers_, toutes les forces + militaires d'Amsterdam. Le général _Verdooren_ sera sous ses ordres; + ne pouvant jamais donner un ordre que d'autres troupes que des + troupes hollandaises occupent ma capitale et le palais, je vous + ordonne de n'obéir à aucune sommation que l'on pourrait vous faire + pour occuper _Amsterdam_ et ses lignes, Naarden y comprises, et de + donner au ministre de la guerre l'ordre de l'empêcher par tous les + moyens qui sont en son pouvoir, et de signifier à ceux qui + pourraient tenter d'y vouloir pénétrer par force qu'ils sont + responsables des conséquences, et vous leur ferez connaître que _je + ne le veux point_; qu'on ait la certitude des ordres _que j'ai_ + donnés à cet égard. Si de même on veut occuper une autre partie + quelconque du territoire, je vous ordonne de n'y consentir que sur + un ordre écrit de ma main en entier, signé en hollandais finissant + par un ou deux mots: _doc Wel en Zic nict om_. Faites connaître aux + ministres que chacun est responsable pour sa partie, pour tout ce + qui ne pourrait pas avoir été prévu avant mon départ, et qu'on doit + regarder tout _acte_ de ma part comme nul, s'il n'est signé en + hollandais et finissant par la devise: _doc Wel en Zic nict om_. + + +Cet ordre n'était pas resté longtemps un secret pour l'empereur, car +la division française du général Maison s'étant présentée pour +entrer à Berg-op-Zoom, l'entrée lui avait été refusée. (_Lettre du +duc de Feltre au roi Louis_, 20 janvier 1800.) + +Indigné de la conduite qu'on tenait à son égard à Paris, Louis fit +porter par un de ses écuyers, M. de Bilandt, l'ordre formel et +réitéré de défendre le pays au moyen des inondations, et surtout +d'empêcher l'occupation d'Amsterdam. Napoléon en fut informé, manda +son frère et eut avec lui une altercation violente. Le roi +maintenant les ordres qu'il avait envoyés, l'empereur changea de +ton, et lui dit froidement: «Eh bien! choisissez: ou contremandez la +défense d'Amsterdam, destituez Krayenhoff et Mollerus (ministres de +la guerre et des affaires étrangères), ou voici le décret de réunion +que je fais partir à l'instant même, et vous ne retournerez plus en +Hollande; il m'est indifférent que l'on me taxe d'injustice et de +cruauté, pourvu que mon système avance: vous êtes dans mes mains.» À +ces mots, à la vue du décret, Louis sentit qu'il ne pouvait se tirer +de ce mauvais pas qu'en gagnant du temps. Il réfléchit un instant, +et prit la résolution de céder, puis de s'évader pendant la nuit; +mais à peine rentré dans l'hôtel de Madame mère, il vit arriver +jusque chez lui des gendarmes d'élite, chargés de ne pas le perdre +de vue. Toutes les mesures pour l'empêcher de retourner en Hollande +étaient prises. Le ministre de la guerre, alors duc de Feltre, vint +à son tour se plaindre de ce que les commandants des places fortes +en avaient refusé l'entrée aux troupes françaises, et sur le refus +du roi de donner des explications, il se retira en disant: «Ainsi +votre Majesté déclare la guerre à la France et à l'empereur.--Pas de +mauvaise plaisanterie, a répondit Louis, un prisonnier ne déclare +pas de guerre. Que l'empereur me laisse en liberté et alors il fera +ce qu'il voudra.» Ce même jour, 18 janvier 1810, le ministre écrivit +au roi une lettre par laquelle il le prévenait que l'empereur avait +donné ordre que les pays entre l'Escaut et la Meuse fussent occupés +militairement par le duc de Reggio, et qu'on fît passer par les +armes quiconque y apporterait la moindre opposition. Forcé dans ses +retranchements, le roi permit aux troupes françaises de cantonner +provisoirement dans les places, mais il ordonna de protester contre +toute usurpation de pouvoir ou d'autorité. Bientôt on commença à +annoncer la réunion du Brabant et de la Zélande à la France, ensuite +on en prit possession militairement. Le 24 janvier, Bréda et +Berg-op-Zoom furent occupées par deux brigades françaises. Les +autorités hollandaises protestèrent vainement; quelques jours après, +les autres places furent également occupées et on exigea le serment +de fidélité à l'empereur. Les Hollandais le refusèrent partout, +bravant les menaces et les mauvais traitements. Les journaux +français ne tarissaient pas en invectives contre la Hollande, en +reproches adressés au roi. Ce dernier fit un message au Corps +législatif de Hollande, pour lui exprimer son chagrin et sa +position. Voici ce document, daté de Paris, 1e février 1810. + + + Le roi de Hollande, au Corps législatif. + + Messieurs, j'ai été trompé dans mon attente de revenir avant le 1er + janvier; par les pièces ci-jointes du _Moniteur_ d'hier (c'est celui + du 31 janvier, et les pièces se trouvent dans la _Gazette royale_ + des 5 et 6 février, nº 31-32), vous verrez que l'issue des affaires + est subordonnée à la conduite que tiendra le gouvernement anglais. + + Le chagrin que j'ai ressenti a été bien augmenté par la fausse + accusation que l'on nous a faite, d'avoir trahi la cause commune, + c'est-à-dire de n'avoir pas fidèlement rempli nos engagements; et je + vous écris ceci pour diminuer l'impression qu'une accusation si + injuste et si criante fera naître dans vos coeurs et dans ceux de + tous les véritables Hollandais. + + Tandis que pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis le + commencement de mon règne, la nation entière, et vous surtout, + appelés à veiller à ses intérêts, avez supporté avec peine et + patience l'augmentation des impositions, le redoublement de la dette + publique tout aussi bien que les préparatifs de guerre beaucoup trop + grands en proportion de la population et de la situation du royaume, + nous pensions peu qu'on nous accuserait d'avoir trahi nos devoirs et + de n'avoir pas assez fait; et cela dans un moment où la situation + des affaires sur mer nous opprimait plus que tous les autres pays + ensemble, et que pour surcroît de malheur, nous avions encore à + endurer un blocus du continent. C'est le sentiment intérieur de ceci + qui doit, Messieurs, nous animer à la docilité, jusqu'au moment où + la justice de S. M. l'empereur, mon frère, nous délivrera d'une + accusation que nous sommes si loin de mériter. + + Je ne puis encore calculer combien de temps je serai empêché de voir + s'accomplir le premier et le plus ardent de mes souhaits: celui de + retourner dans ma capitale et de me trouver au milieu de vous dans + ces moments critiques. Quelque éloigné que soit ce moment, soyez + assurés que rien ne sera en état de changer mon attachement pour la + nation, mon zèle à travailler pour son intérêt, ni mon estime et ma + confiance en vous. + + LOUIS. + + +Vers la même époque, le gouvernement français essaya par la Hollande +de faire une tentative auprès de l'Angleterre pour l'ouverture d'une +négociation. Le ministre de France, M. de Champagny, duc de Cadore, +après avoir assuré le roi Louis que l'empereur n'avait nulle envie +de réunir la Hollande à l'empire, qu'il ne voulait pas même prendre +le Brabant et la Zélande; que, loin de là, il augmenterait son +royaume du grand-duché de Berg, ajoutant que s'il voulait faire +preuve d'une obéissance aveugle aux volontés de Napoléon, tout +changerait; que Napoléon, mécontent de la conduite de son frère, +demandait pour première preuve que ce dernier était décidé à suivre +désormais la politique de la France, de se prêter à un stratagème +qui consistait à envoyer quelqu'un en Angleterre pour voir si +l'appréhension de la réunion de la Hollande ne déterminerait pas +cette puissance à entrer en pourparlers pour la paix. Alors M. de +Champagny mit sous les yeux du roi le modèle d'une lettre que Louis +devait écrire à un de ses ministres. Louis rejeta d'abord avec +indignation cette rédaction, parce qu'on lui faisait dire qu'il +était convaincu de la nécessité de la réunion, puis sur les +instances qu'on fit auprès de lui, sur l'assurance qu'on lui donna +que tout cela n'avait d'autre but que de faire bien comprendre aux +Anglais l'imminence d'une réunion, il se décida à rédiger dans ce +sens une lettre à ses ministres. + +Nous allons donner toutes les pièces, tous les documents relatifs à +cette haute comédie politique imaginée par Napoléon et dans laquelle +le roi Louis, alors sous l'entière dépendance de l'empereur à Paris, +fui contraint, bien malgré lui, de prendre un rôle. Comme nous +venons de le dire, le tout-puissant souverain de la France, à +l'apogée de son pouvoir et désireux de la paix maritime, crut, au +moyen d'une mise en scène habile, en faisant craindre au +gouvernement britannique une réunion prochaine de la Hollande à son +vaste empire, arriver à l'ouverture de négociations pour la +cessation de la guerre. Louis rédigea un projet de lettre destiné à +ses ministres en Hollande, lesquels devaient se réunir pour élaborer +une sorte de procès-verbal à expédier au président du conseil en +Angleterre, sir Arthur Wellesley, afin de prévenir le gouvernement +du danger qui menaçait les Îles britanniques si l'empereur Napoléon +donnait suite au projet qu'il semblait prêt à exécuter, de réunir la +Hollande à ses états et d'en faire un département français. En +effet, cela doublait la puissance maritime de l'empire. Or, rien ne +pouvait empêcher cette réunion si Napoléon l'ordonnait. +L'indépendance de la Hollande ne pouvait être indifférente pour +l'Angleterre, et dans ces conditions une paix maritime pouvait être +avantageuse pour la France, pour la Hollande, et pour l'Angleterre +elle-même. Telle était l'opinion de l'empereur. + +Le 9 janvier, le roi Louis écrivit donc de Paris la lettre +ci-dessous. + + + Louis à ses ministres. + + Messieurs, + + Depuis six semaines que je suis auprès de l'empereur, mon frère, je + me suis constamment occupé des affaires du royaume. Si j'ai pu + effacer quelques impressions défavorables ou du moins les modifier, + je dois avouer que je n'ai pu réussir à concilier dans son esprit + l'existence et l'indépendance du royaume avec la réussite et le + succès du système continental, et en particulier de la France contre + l'Angleterre. Je me suis assuré que la France est fermement décidée + à réunir la Hollande malgré toutes les considérations, et qu'elle + est convaincue que son indépendance ne peut plus se prolonger si la + guerre maritime continue. Dans cette cruelle certitude, il ne nous + reste qu'un espoir, c'est celui que la paix maritime se négocie; + cela seul peut détourner le péril imminent qui nous menace. On + propose la cession du Brabant et de la Zélande, de fournir 14 + vaisseaux et 25,000 hommes, et j'ai la certitude que même après cela + le reste de la Hollande serait bientôt demandé. Ainsi l'intention + claire et formelle de la France est de tout sacrifier pour acquérir + la Hollande et augmenter par là, quelque chose qui doive lui en + coûter, les moyens maritimes à opposer à l'Angleterre. Je suis + obligé de convenir que l'Angleterre aurait tout à craindre d'une + pareille augmentation de côtes et de marine pour la France. Il est + donc possible que leur intérêt porte les Anglais à éviter un coup + qui peut leur être aussi funeste. Faites donc en sorte, de + vous-mêmes, sans que j'y sois nullement mentionné, que le ministère + anglais soit prévenu du danger imminent de votre pays. Mais il n'y a + pas de temps à perdre. Envoyez de suite quelqu'un du commerce, sur + et discret, en Angleterre, et envoyez-le-moi de suite dès qu'il sera + de retour. Faites-moi savoir l'époque à laquelle il pourra l'être, + car nous n'avons pas de temps à perdre, il ne nous reste plus que + peu de jours. Deux corps de la grande armée marchent sur le royaume. + Le maréchal Oudinot vient de partir pour en prendre le commandement. + Faites-moi savoir ce que vous aurez fait en conséquence de cette + lettre et quel jour je pourrai avoir la réponse de l'Angleterre. + + Sur ce, Messieurs, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde. + + +Projet de lettre jointe à celle du roi, et devant être adressée au +marquis de Wellesley: + + + Quelque étrange que puisse paraître la démarche d'une nation qui, + pour se sauver d'un péril imminent qui la menace, croit ne trouver + d'autre moyen de salut qu'en s'adressant à la puissance même avec + laquelle cette même nation se trouve en état de guerre ouverte, tel + est cependant le résultat des circonstances qui ont amené l'état + actuel des choses sur le continent, que cette démarche + extraordinaire est devenue indispensable pour ceux qui, pendant + l'absence de leur souverain, composent le gouvernement de Hollande. + + Si d'une part ce n'est pas sans peine (pourquoi le + déguiserions-nous?) que nous nous voyons réduits à une démarche à + laquelle aucune autre considération que celle de la perte de notre + existence politique n'aurait été capable de nous engager; d'un autre + côté, ce n'est que dans la conviction la plus intime d'agir + conformément au plus sacré des devoirs politiques que nous devons + croire pouvoir nous y déterminer et passer sur toutes les raisons + qui ont pu nous arrêter un instant, au risque même de voir notre + conduite désavouée, pour ne pas dire davantage, par le monarque même + dont la conservation en fait un des principaux motifs, mais dont + l'urgence du danger ne nous a point permis de demander + l'approbation. + + En effet, M. le marquis, il ne s'agit dans ce moment de rien moins + que la Hollande soit rayée de la liste des nations et d'en faire une + province de la France. + + Depuis longtemps, un orage nous menaçait, et le roi, convaincu que + le seul moyen de l'écarter était une entrevue avec son auguste + frère, n'a pas hésité un seul instant de se rendre auprès de lui, + lorsqu'il voyait toute autre tentative inutile. Mais quelqu'aient + été les efforts qu'il a employés, les sacrifices auxquels il a voulu + se résigner, rien n'a été capable de concilier dans l'esprit de + l'empereur Napoléon l'existence et l'indépendance de la Hollande + avec la réussite du système continental. + + Les nouvelles informations officielles qui nous sont transmises de + Paris nous assurent que la France est fermement décidée à réunir la + Hollande, et que l'époque de ce grand événement n'est éloignée que + de quelques jours. Déjà, le maréchal destiné à l'exécution de ce + plan, vient de partir. Déjà l'armée sous ses ordres paraît + s'approcher de nos frontières, sans qu'aucune instance de notre part + soit capable d'en arrêter les progrès. Dans cette cruelle certitude, + un seul espoir nous reste, c'est celui d'une prompte négociation de + paix entre la France et l'Angleterre. Cela seul peut détourner le + péril qui nous menace, et sans la réussite de ces négociations, c'en + est fait de l'existence politique de la Hollande, qui, une fois + perdue, ne saurait lui être rendue sans un bouleversement total de + l'ordre actuel des choses sur le continent, circonstance à laquelle + il nous paraît aussi difficile de croire qu'impolitique de la + désirer. Il est possible que nous nous faisions illusion, mais + l'expérience du passé nous engage à croire que toutes les + puissances, surtout l'Angleterre, sont intéressées à la conservation + de notre existence politique et à ne négliger aucun moyen convenable + pour parer le coup qui nous menace. La Hollande, puissance + indépendante, ne pourra jamais porter le moindre ombrage à la grande + force à laquelle l'Angleterre a su s'élever; réunie au contraire à + la France, et les grandes forces qu'elle possède encore mises à la + disposition du monarque qui gouverne ce vaste empire, et dont Votre + Excellence est trop juste elle-même pour ne pas reconnaître le génie + transcendant, la Hollande pourra donner indubitablement à la France + les moyens de prolonger encore bien longtemps une lutte qui a déjà + trop duré pour le malheur des nations. + + Ce n'est pas tout: l'indépendance même de l'Angleterrre dans ses + relations directes avec le continent nous paraît menacée pour + toujours du moment que la Hollande sera irrévocablement réunie à la + France, et l'Angleterre par conséquent réduite à l'alternative de ne + cultiver ses relations que par des voies longues et détournées ou de + se soumettre à tous les inconvénients que pourra éprouver son + commerce, en prenant par les états de la puissance la plus + prépondérante du continent. + + Pardonnez, M. le marquis, notre zèle nous emporte trop loin, mais + nous croyons qu'il est d'un intérêt si majeur pour l'Angleterre de + ne point voir la Hollande devenir province française, que nous osons + demander en considération sérieuse à Votre Excellence de contribuer, + pour tout ce qui dépend d'elle, à prévenir ce désastre par une + prompte ouverture de négociations de paix. Nous sentons qu'une + pareille démarche peut paraître au premier abord contraire à la + juste fierté du gouvernement anglais, mais lorsque nous considérons + que la première base sur laquelle reposeront ces ouvertures serait + d'exiger formellement que tout restât relativement à la Hollande sur + le pied actuel, nous pensons, au contraire, que bien loin de + blesser la fierté de votre gouvernement, des ouvertures de paix de + sa part ne sauraient que lui être glorieuses. + + Voilà ce que le désir de notre conservation nous a suggéré de + soumettre immédiatement à Votre Excellence. Nous aurions pu sans + doute nous étendre davantage, si nous n'eussions craint de faire + tort à sa pénétration, en entrant dans des développements + ultérieurs. + + Au cas où Votre Excellence penserait que ce que nous avons dit + mérite quelque attention du gouvernement anglais, qu'elle veuille + bien se persuader qu'il n'y a pas de temps à perdre, chaque instant + est infiniment précieux. + + Nous terminerons cette lettre par l'expression de l'espoir que nous + aurons pour opérer auprès de Votre Excellence la même conviction qui + réside auprès de nous à l'égard du contenu. + + Cela étant, nous aimons à nous flatter du plus heureux succès, la + sagesse connue de Votre Excellence nous est le sûr garant qu'elle + saura trouver les moyens de conduire l'important ouvrage dont il + s'agit à une fin heureuse. Et après une gloire militaire acquise à + si juste titre, quelle ne serait pas la satisfaction pour Votre + Excellence elle-même de voir pendant son ministère actuel luire le + jour heureux à l'humanité souffrante, dont la justice ne saurait + manquer de reconnaître en elle un des grands hommes d'état auxquels + il était réservé de réaliser l'espoir des nations. + + +L'empereur, peu satisfait de ce projet de lettre, écrivit à ce sujet +le lendemain, 17 janvier, au duc de Cadore: + + + Monsieur le duc de Cadore, vous trouverez ci-joint une lettre du roi + de Hollande avec un projet de dépêches au ministre des affaires + étrangères d'Angleterre. Vous ferez connaître au roi que je + n'approuve point ce projet de dépêche, et que je n'approuve point + non plus qu'il retourne en Hollande. Cela serait contraire aux + circonstances actuelles. Mes troupes ont déjà reçu l'ordre de se + diriger sur Dusseldorf et d'entrer en Hollande. Je vous envoie + ci-joint trois pièces: 1º un projet de note que vous remettrez à M. + de Roëll, le ministre des affaires étrangères de Hollande; 2º un + projet de procès-verbal d'une séance du conseil de Hollande; 3º un + projet de lettre du président de ce conseil au président du conseil + d'Angleterre. + + +L'empereur attachait une telle importance à cette affaire, que +lui-même fît écrire, sous sa dictée, la note ci-dessous: + + + Note dictée par l'empereur et sans date. + + Je pense qu'il est convenable que quinze ou vingt des plus notables + de la nation hollandaise se rendent à Paris. Là, on leur fera + connaître la situation des choses et la volonté où je suis de réunir + leur pays, en leur disant tout ce que j'ai fait pour leur bien-être. + + Si la guerre maritime dure encore, l'indépendance de leur pays est + impossible, mais que l'empereur demande que cette démarche soit + faite, pour faire connaître la position de la Hollande au + gouvernement anglais. Enfin, si on veut faire la paix ou plus tôt ou + plus tard, la paix se fera. En la faisant aujourd'hui, la Hollande + conservera son indépendance. + + Cette démarche aussi peut frapper Londres, et mettre dans l'embarras + les ministres anglais. + + Que le Corps législatif fasse faire des démarches en Angleterre pour + faire connaître que la paix peut conserver l'indépendance de la + Hollande. + + Il faut pour cela que le discours soit fait de façon à prouver que + la Hollande sent l'impossibilité de conserver son indépendance si la + guerre dure. La réunion du Brabant est indifférente à l'Angleterre. + + Causer de cela avec le ministre des affaires étrangères et + l'ambassadeur, et voir le parti à prendre. + + Que la Hollande se donnera franchement à la France si on ne fait + rien avec l'Angleterre. + + +Alors le duc de Cadore fît rédiger un second projet, qui, revu avec +beaucoup de soin et corrigé de la main de l'empereur, fut envoyé de +Paris à MM. Van der Heim, Mollerus et autres ministres de Hollande. + +Voici ce document: + + + Projet de procès-verbal. + + Que si l'Angleterre connaissait le sort qui menace la Hollande, ce + pourrait être pour la Grande-Bretagne une occasion de se relâcher de + ses mesures et d'ouvrir au moins une négociation provisoire par + laquelle la France serait engagée à renoncer aux décrets de Berlin + et de Milan, et l'Angleterre à ses ordres du conseil et à ses + prétentions relatives aux droits de blocus; et que ce simple + arrangement rendant à la guerre le caractère qu'elle avait il y a + trois ans, la Hollande pourrait en conséquence exister comme elle + existait alors, en commerçant avec les neutres, sans nuire aux + intérêts du continent: que les Anglais jugeraient peut-être que le + moment est favorable pour entamer les négociations d'une paix qui + serait utile à l'Angleterre, Sa Majesté assurant l'indépendance + d'une nation dont le voisinage lui est si avantageux, et qui est la + plus directe et la plus courte communication avec le continent; que + dans ces circonstances il est évident que des négociations de paix + ou du moins des arrangements provisoires peuvent seuls conserver à + la Hollande son existence politique, et qu'en conséquence il sera + envoyé le plus promptement possible auprès du gouvernement anglais + un agent secret chargé de lui faire connaître la situation de la + Hollande, et de lui communiquer la note du ministre des relations + étrangères de France et le présent procès-verbal. Que si + l'Angleterre ne consentait pas à profiter de cette circonstance pour + faire des ouvertures de paix, elle pourrait, du moins, rétablir les + choses telles qu'elles étaient avant les ordres du conseil et + s'entendre pour une négociation relative à l'échange des prisonniers + de guerre; et que par là elle rendrait à la guerre actuelle le + caractère d'une guerre ordinaire, et éviterait les malheurs qui + menacent la Hollande. Que si, au contraire, l'Angleterre est + inaccessible à ces considérations, la nation hollandaise n'aura pas + d'autre parti que de se soumettre avec dévouement au grand homme qui + veut la réunir à son empire, en lui laissant son organisation + intérieure et en ouvrant à son commerce tout le continent européen. + + Quelques députés au Corps législatif et autres personnes notables + pourront être convoqués à ce conseil et signer ce procès-verbal. + + +Le roi Louis, qui avait voulu d'abord décliner toute participation +dans ce projet et refuser un rôle dans cette haute comédie +politique, circonvenu, avait fini par se rendre, comme on l'aura vu, +et était devenu l'âme de l'affaire. Il fit passer en Hollande le +projet de lettre ci-dessous, à joindre avec les dépêches à expédier +en Angleterre. + +Projet de lettre que le président du conseil des ministres de +Hollande devra écrire au président du conseil d'Angleterre: + + + J'ai l'honneur de vous envoyer une note du ministre des affaires + étrangères de France, ainsi que le procès-verbal d'une séance du + conseil tenu en conséquence. Votre Excellence reconnaîtra trop bien + par le but de ma démarche, pour que j'aie besoin de lui dire à quel + point l'indépendance de la Hollande est menacée; et elle sait + combien la réunion de la Hollande à la France serait funeste pour + l'Angleterre. Les résolutions de l'empereur ne peuvent être + détournées que par un traité de paix, où l'on mettrait pour + condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la + Hollande; où, par une négociation provisoire relative à l'échange + des prisonniers de guerre, et à la suppression des décrets de Berlin + et de Milan, et des ordres du conseil d'Angleterre, l'on mettrait + également pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à + l'égard de la Hollande. Si les deux puissances ne voulaient pas + s'entendre pour rendre la paix et le bonheur à l'humanité, elles + pourraient, du moins, par un arrangement, établir des principes sur + le commerce des neutres et l'échange des prisonniers, ce qui ôterait + à la guerre ce caractère farouche et désespéré qu'elle a pris + depuis quelques années: arrangement d'autant plus avantageux pour + l'Angleterre qu'il sauverait l'indépendance de la nation + hollandaise. Mais si tant de considérations d'humanité et de + politique ne peuvent rien sur le gouvernement britannique, il ne + nous restera qu'à nous rallier de bonne foi au grand empereur qui + veut nous admettre dans son empire, et reconnaître que les actes + qu'il fait contre notre indépendance ne sont point le résultat du + caprice et de l'ambition, mais celui de l'inflexible nécessité. + + Il me reste à vous prier de ne donner aucune communication de cette + lettre, afin qu'elle ne parvienne pas aux oreilles de notre + souverain. J'espère, lorsque j'aurai reçu la réponse de Votre + Excellence, lui faire agréer la démarche que je fais dans ce moment. + Sa Majesté reconnaîtra la pureté de mes motifs, mais encore est-il + convenable qu'elle ne l'apprenne pas par d'autre que moi-même. + + +Enfin, le 24 janvier 1810, un troisième projet de note fut remis au +baron de Roëll. L'empereur avait revu avec soin cette note, dont +l'original porte des corrections de sa main. Voici ce dernier projet +qui fut confié à un Hollandais, M. Labouchère, et porté par lui à +Londres: + + + 24 janvier 1810. + + Le soussigné, ministre des relations extérieures de France, est + chargé de faire connaître à Son Excellence M. le baron de Roëll, + ministre des affaires étrangères de Hollande, la détermination à + laquelle la situation actuelle de l'Europe oblige Sa Majesté + impériale. Si cette détermination est de nature à contrarier les + voeux d'une partie de la nation hollandaise, si elle afflige le + coeur de son roi, l'empereur en est fâché sans doute, et ne le prend + qu'avec regret, mais l'impitoyable destinée qui préside aux affaires + de ce monde et qui veut que les hommes soient entraînés par les + événements, oblige Sa Majesté de suivre d'un pas ferme les mesures + dont la nécessité lui est démontrée, sans se laisser détourner par + des considérations secondaires. + + Sa Majesté impériale, en plaçant un de ses frères sur le trône de + Hollande, n'avait pas prévu que l'Angleterre oserait proclamer + ouvertement le principe d'une guerre perpétuelle, et que, pour la + soutenir, elle adopterait pour base de sa législation les monstrueux + principes qui ont dicté ses ordres du conseil de novembre 1807. + Jusqu'alors son droit maritime était sans doute combattu par la + France et repoussé par les neutres; mais enfin il n'excluait pas + toute navigation et laissait encore une sorte d'indépendance aux + nations maritimes. Il y avait peu d'inconvénient pour la cause + commune à ce que la Hollande commerçât avec l'Angleterre, soit par + l'entremise des neutres, soit en employant leur pavillon. Marseille, + Bordeaux et Anvers jouissaient du même avantage. L'Angleterre avait + encore à ménager les Américains, les Russes, les Prussiens, les + Suédois, les Danois, et ces nations formaient une sorte de lien + entre les puissances belligérantes. + + La quatrième coalition a détruit cet état de chose. L'Angleterre, + parvenue à réunir contre la France la Russie, la Prusse et la Suède, + ne s'est plus vue obligée à tant de ménagements; c'est alors + qu'abusant et des mots et des choses, elle a élevé la prétention de + faire taire et disparaître tous les droits des neutres devant un + simple décret de blocus. L'empereur s'est vu forcé d'user de + représailles, et, à son arrivée à Berlin, il a répondu au blocus de + la France par la déclaration du blocus des Îles britanniques. Les + neutres et surtout les Américains demandèrent des explications sur + cette mesure. Il leur fut répondu que, quoique l'absurde système de + bloquer un état tout entier fut une usurpation intolérable, + l'empereur se bornerait à arrêter sur le continent le commerce des + Anglais; que le pavillon neutre serait respecté sur mer; que ses + bâtiments de guerre et ses corsaires ne troubleraient point la + navigation des neutres, le décret ne devant avoir d'exécution que + sur terre. Mais cette exécution même, qui obligeait de fermer les + ports de la Hollande au commerce anglais, blessait les intérêts + mercantiles du peuple hollandais et contrariait ses anciennes + habitudes. Première source de l'opposition secrète qui commença + d'exister entre la France d'un côté, et de l'autre le roi et la + nation hollandaise. Dès lors Sa Majesté entrevit avec peine que le + moyen qu'elle avait choisi entre des partis extrêmes, pour concilier + l'indépendance de la Hollande avec les intérêts de la France, ne + remédierait à rien et qu'il faudrait un jour étendre les lois + françaises aux débouchés de la Hollande et réunir ce royaume à + l'empire. La paix de Tilsitt eut lieu. L'empereur de Russie, + provoqué par les outrages que l'Angleterre avait faits à son + pavillon pendant qu'il combattait pour elle, et indigné de + l'horrible attentat de Copenhague, fit cause commune avec la France. + + La France espéra alors que l'Angleterre verrait désormais + l'inutilité d'une plus longue lutte et qu'elle entendrait à des + paroles d'accommodement; mais ces espérances s'évanouirent bientôt. + En même temps qu'elles s'évanouissaient, l'Angleterre, comme si + l'expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur et eût brisé + tous les freins, mettait ses projets à découvert et publiait ses + ordres du conseil de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire + qui a indigné l'Europe. Par cet acte, l'Angleterre réglait ce que + pourraient transporter les bâtiments des nations étrangères, leur + imposait l'obligation de relâcher dans ses ports, avant de se rendre + à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt. + Ainsi, elle se rendait maîtresse de la navigation universelle, ne + reconnaissait plus aucune nation maritime comme indépendante, + rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait à ses + lois, ne leur permettait de commercer que pour son profit, fondait + ses revenus sur l'industrie des nations et sur les produits de leur + territoire, et se déclarait la souveraine de l'Océan, dont elle + disposait comme chaque gouvernement dispose des rivières qui sont + sous sa domination. + + À l'aspect de cette législation, qui n'était autre chose que la + proclamation de la souveraineté universelle, et qui étendait sur + tout le globe la juridiction du Parlement britannique, l'empereur + sentit qu'il était obligé de prendre un parti extrême et qu'il + fallait tout employer plutôt que de laisser le monde se courber sous + le joug qui lui était imposé. Il rendit son décret de Milan, qui + déclare dénationalisés les bâtiments qui ont payé le tribut à + l'Angleterre qui était imposé. Les Américains, menacés de nouveau de + se trouver soumis au joug de l'Angleterre, et de perdre leur + indépendance si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur + tous leurs bâtiments et renoncèrent à toute navigation et à tout + commerce, sacrifiant ainsi l'intérêt du moment à l'intérêt de tous + les temps, la conservation de leur indépendance. + + Le succès des vues de l'empereur dépendait surtout de l'exécution + universelle et sans exception de ses décrets. La Hollande a été un + obstacle à cette exécution. Elle ne s'est soumise qu'en apparence à + ces décrets. Elle a continué de faire le commerce interlope avec + l'Angleterre. De fréquentes représentations ont été faites au + gouvernement hollandais; elles ont été suivies de mesures de rigueur + qui attestaient le mécontentement de l'empereur. Deux fois les + douanes françaises ont élevé une barrière entre la France et la + Hollande. L'empereur voulait tout tenter avant de se résoudre à + détruire l'indépendance d'une nation qu'il avait protégée et + favorisée, en lui donnant pour souverain un prince de son sang. Il a + cherché à épuiser tous les moyens de conciliation, afin de pouvoir + se rendre ce témoignage qu'il ne cédait qu'à l'impérieuse nécessité. + + Le moment est venu de prendre un parti. Déjà l'empereur a fait + connaître à la nation française, à l'Europe, la nécessité d'apporter + quelques changements à la situation de la Hollande, puisque la + nation hollandaise, loin d'avoir le patriotisme dont les Américains + ont fait preuve, ne paraît guidée que par une politique purement + mercantile et l'intérêt du moment présent. C'est de la part de + l'empereur une résolution inébranlable que de n'ouvrir jamais ses + barrières au commerce de la Hollande; il croirait les ouvrir au + commerce anglais. La Hollande peut-elle donc exister dans cet état + d'isolement, séparée du continent et cependant en guerre avec + l'Angleterre? + + D'un autre côté, l'empereur la voit sans moyens de guerre et presque + sans ressources pour sa propre défense. Elle est sans marine, les + seize vaisseaux qu'elle devait fournir ont été désarmés. Elle est + sans armée de terre. Lors de la dernière expédition des Anglais, + l'île de Walcheren, Bath et le Sud-Beveland n'ont opposé aucune + résistance. Sans armée, sans douane, on pourrait presque dire sans + amis et sans alliés, la nation hollandaise peut-elle exister? Une + réunion de commerçants, uniquement animée par l'intérêt de leur + commerce, peut former une utile et respectable compagnie, mais non + une nation. L'empereur est donc forcé de réunir la Hollande à la + France, et de placer ses douanes à l'embouchure de ses rivières. + Laisser les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut à la + Hollande, n'est-ce pas les livrer au commerce anglais, et ces grands + fleuves ne sont-ils pas les artères de la France, comme la Hollande + est une alluvion de son territoire? + + Sans les ordres du conseil de novembre 1809, la France se serait plu + à maintenir l'indépendance de la Hollande, parce qu'elle était + compatible avec la sienne; mais depuis lors, rien de ce qui favorise + le commerce anglais n'est compatible avec la souveraineté et + l'indépendance des puissances du continent. + + Sa Majesté désire la paix avec l'Angleterre. Elle a fait à Tilsitt + des démarches pour y parvenir, elles ont été sans résultat. Celles + qu'il avait concertées avec son allié à Erfurth, l'empereur de + Russie, n'ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc longue, + puisque toutes les démarches tentées pour arriver à la paix ont été + inutiles. La proposition même d'envoyer des commissaires à Morlaix + pour traiter de l'échange des prisonniers, quoique provoquée par + l'Angleterre, est restée sans effet, lorsqu'on a craint qu'elle pût + amener un rapprochement. + + L'Angleterre, en s'arrogeant par ses ordres du conseil de 1807 la + souveraineté universelle, et en adoptant le principe d'une guerre + perpétuelle, a tout brisé et a rendu légitimes tous les moyens de + repousser ses prétentions. Par sa réunion avec la France, la + Hollande s'ouvrira le commerce du continent, et ce commerce utile à + la cause commune deviendra une source de richesses pour ses + industrieux habitants. + + Deux voies se présentent pour opérer cette réunion: la négociation + ou la guerre. L'empereur désire s'entendre avec la nation + hollandaise, lui conserver ses privilèges et tout ce qui, dans son + mode d'existence, serait compatible avec les principes qu'il a + constamment soutenus, et ne pas être _réduit à fonder son droit sur + les plus légitimes de tous: la nécessité et la conquête_. + + +En exécution des ordres du roi Louis, les ministres du gouvernement +hollandais envoyèrent M. Labouchère à Londres, avec mission de faire +connaître au ministère britannique l'état des choses, de lui faire +envisager combien il serait avantageux à l'Angleterre que la +Hollande ne fût pas réunie à la France, enfin de l'engager à entrer +en négociation pour une paix générale. + +M. Labouchère, riche et honorable commerçant très connu et très +estimé à Londres, devait envoyer le récit détaillé de ses démarches, +des réponses qui lui seraient faites, et revenir en Hollande avant +de se rendre à Paris près du roi. Les instructions données à M. +Labouchère sont libellées en date du 1er février. Le 12 du même +mois, sir Arthur Wellesley répondit: que l'Angleterre compatissait +aux maux de la Hollande, que la mission de M. Labouchère n'était pas +de nature à donner lieu à aucune observation sur une paix générale; +que la France n'avait encore manifesté aucun symptôme, ou d'une +disposition à la paix ou d'une tendance à se départir de ses +prétentions, prétentions qui jusqu'alors avaient rendu nulle la +volonté si bonne du gouvernement de la Grande-Bretagne pour mettre +fin à la guerre. + +En recevant cette réponse à Londres, M. Labouchère s'empressa de +rendre compte au gouvernement hollandais de l'inutilité de ses +démarches et de la persuasion où il était que toute tentative +échouerait. + +Ainsi se termina ce singulier épisode politique. On voulut essayer +de le reprendre, et le 20 mars l'empereur écrivit à son frère de +renvoyer à Londres M. Labouchère, non plus au nom du ministère +hollandais, mais en son nom, avec une note non signée et non d'une +écriture connue. Cette note, jointe à la lettre de l'empereur, se +trouve à la page 319 du 20e volume de la correspondance de Napoléon +Ier. Vers cette époque on répandit en Hollande le bruit de la mort +du roi et de la régence de la reine. Ce bruit venait de ce que +Louis, dont la santé était fort délabrée déjà, n'avait pu subir +toutes les vexations auxquelles il avait été soumis sans tomber +sérieusement malade. Il fut retenu assez longtemps au lit par une +fièvre nerveuse. Tous les souverains et les princes alors à Paris +s'empressèrent de le venir voir. Napoléon seul s'en abstint quelque +temps. Il parut enfin un beau matin, brusquement, en se rendant à la +chasse. La conversation des deux frères fut assez amicale. Ni l'un +ni l'autre n'aborda la question des grands intérêts politiques. +Pendant la maladie du roi, les troupes françaises continuaient à +s'approcher d'Amsterdam. Louis trouva moyen d'envoyer encore des +ordres formels pour qu'on mît cette capitale dans le plus imposant +état de défense[62]. Une fois à peu près rétabli, il voulut +s'assurer par lui-même s'il était encore prisonnier en France. Il +se rendit à son château de Saint-Leu. Le doute ne lui fut pas +permis. On n'avait pas encore arraché à ce malheureux prince toutes +les concessions que l'on désirait. On ne tarda pas à lui faire à cet +égard des ouvertures qu'il commença par repousser, comme d'habitude, +et puis qu'il finit par écouter, attendu qu'il ne pouvait faire +autrement sans mettre dans le plus grand péril l'indépendance de la +Hollande. Or, Louis espérait toujours que de la force du mal +naîtrait le bien, que les mesures du blocus poussées à l'extrême +amèneraient une paix maritime, que lors de cette paix la Hollande +pourrait sortir de ses ruines. Il voulait donc gagner du temps pour +atteindre à cette paix. La question la plus importante, à ses yeux, +c'était de faire vivre de la vie politique, et à l'état de nation, +un royaume à qui la France enlevait chaque jour un lambeau. Pour +maintenir les Hollandais sur le tableau des puissances européennes, +le roi consentit à tout ce qu'on voulut, à l'exception de la +conscription, coutume qui répugnait par trop à son peuple, et de +l'imposition sur la rente, mesure qu'il considérait comme +équivalente à une banqueroute. Interdiction de tout commerce et de +toute communication avec l'Angleterre, mise sur pied, entretien +d'une flotte considérable, d'une armée de terre de 25,000 soldats, +suppression de la dignité du maréchalat, destruction de tous les +privilèges de la noblesse contraires à la constitution donnée par +l'empereur, tout fut accordé. + + [Note 62: L'empereur fut bientôt informé des projets du roi.] + +Le 24 février 1810, avait paru au _Journal officiel_ un article +virulent contre la Hollande. Le roi en fut très affecté et chargea +Werhuell d'en parler au duc de Cadore, et de prier ce dernier de +demander à l'empereur de faire connaître ses intentions pour que le +gouvernement hollandais accédât à ses désirs, si la chose était +possible. Werhuell écrivit dans ce sens au duc de Cadore, et dès le +lendemain le roi Louis reçut de son frère un projet de traité. + +En marge de ce traité le roi Louis écrivit: «_Je consentirai à tous +les sacrifices que l'empereur exigera, pourvu que je puisse tenir +les engagements que je contracterai; pourvu encore que le reste de +la Hollande puisse exister, et surtout si ces sacrifices ôtent tout +sujet de mécontentement de la part de mon frère et me donnent la +possibilité de regagner son amitié et sa bienveillance; et c'est par +cette raison que je désirerais qu'on omît des considérants ces mots: +différents survenus entre eux._ Je n'ai pas d'autre différent que la +peine de voir l'empereur et mon frère fâché contre moi.» + +Ce traité se composait de 15 articles, pour quelques-uns desquels le +roi demanda des modifications. Il proposa ensuite neuf articles +additionnels. L'empereur consentit à quelques-unes des modifications +proposées par son frère et rejeta les autres. + +Daté du 16 mars, ce traité contenait en outre les quatre articles +secrets suivants: + + + 1º Le roi ne s'oppose pas à ce que le corps de 18,000 hommes du + deuxième article soit commandé par un général nommé par l'empereur. + + 2º Il consent à ce que les bâtiments chargés de contrebande qui + arriveraient dans les rades de Hollande y soient arrêtés et déclarés + de bonne prise, et toutes les marchandises anglaises et coloniales + confisquées, sans égard à aucune déclaration. + + 3º Qu'il est dans le projet du roi d'éloigner de sa personne les + ministres qui ont eu l'intention de défendre Amsterdam, et n'ont pas + craint de provoquer la colère de la France. Sa Majesté veillera à ce + que dans aucun discours ou publication quelconque il n'y ait rien + qui tende à favoriser les sentiments haineux de la faction anglaise + contre la France. + + 4º Sa Majesté s'engage à cesser insensiblement d'entretenir des + ministres en Russie et en Autriche, de manière à ce que cette mesure + ne soit pas un sujet de remarque et que les cours ne puissent s'en + formaliser. + + +Après être tombé d'accord sur le traité avec son frère, le roi Louis +envoya à ses ministres en Hollande la lettre ci-dessous, qui fut lue +en séance du Conseil d'état, en présence de tous les membres du +cabinet, par le vice-président du Conseil. + + + Paris, 21 février 1810. + + Le roi au Conseil d'état. + + Quoique le troisième mois après mon départ tire déjà à sa fin, il + n'y a encore rien de décidé au sujet de l'état de nos affaires. Je + ne puis cependant mieux employer le premier moment de ma guérison + qu'en vous renouvelant l'assurance que j'emploierai continuellement + tous les moyens possibles pour conserver l'existence de ce royaume. + Il ne faut pas le feindre, ceci nous coûtera des sacrifices grands + et pénibles; mais s'il y a seulement une lueur de possibilité qui + nous assure la continuation de l'existence de la Hollande après tout + ce qu'on exige d'elle, je n'hésiterai pas un moment de me reposer + sur la magnanimité de l'empereur mon frère, dans l'espoir que les + raisons de mécontentement une fois remédiées, nous obtiendrons le + dédommagement que nous pouvons prétendre à si bon droit et dont nous + aurons besoin plus que jamais. + + Mon intention, en me conformant à tout ce que l'empereur, mon frère, + exigera de nous, est de lui montrer que nous avons beaucoup + d'ennemis, que nous sommes la victime du vice, de viles passions et + d'intérêts; mais que nous n'avons cessé de continuer toujours + d'admirer l'empereur et de nous comporter comme des amis et des + alliés fidèles de la France, et éprouvés par mille sacrifices. Si, + comme j'ai raison de me flatter, je puis réussir dans mes intentions + réelles, le reste suivra de soi-même, tandis que ce doit être + l'intérêt et le désir de la France de protéger et d'agrandir la + puissance de ses amis, au lieu d'y apporter atteinte. Je vous invite + ainsi de réunir tous vos efforts pour prévenir les émigrations dans + les pays étrangers ou autres démarches désespérées et d'animer la + nation à attendre, avec la modération qui fait le fond de son + caractère, et convient à sa juste cause, le décret que l'empereur + donnera pour notre sort. Il ne m'est pas inconnu tout ce que chacun + souffre. J'ai fait pour plaider notre cause tout ce qui était en mon + pouvoir; ni la perte de mon temps, ni la mauvaise réussite de mes + peines n'ont pu me décourager, aussi ai-je tout _espoir d'espérer_ + que si nous pouvons faire un arrangement qui n'exclue pas + entièrement la possibilité de notre existence, la Hollande pourra + encore échapper à cette tempête, surtout si après tout cela il ne + reste, non seulement aucun sujet de mécontentement, mais aucun + prétexte de mésentendu ou de mécontentement, et c'est à quoi je + tâche de faire aboutir tous mes efforts. + + Votre roi, + + LOUIS. + + +Cet acte, connu du maréchal Oudinot, fut envoyé par lui au major +général, le 3 mars, de Bois-le-Duc, avec la lettre suivante: + + + Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence copie de + deux lettres[63] du roi de Hollande, au Corps législatif et au + Conseil d'état de son royaume. En lisant ces lettres, Votre + Excellence ne sera point surprise des obstacles que l'on m'oppose et + des espérances des Hollandais. Il n'est pas douteux qu'outre ces + lettres, le roi n'envoie des ordres secrets pour qu'il soit pris des + mesures qui reculent le moment de notre entrée en Hollande, et pour + que les magistrats se refusent à tout ce qui aura l'air de prise de + possession. + + [Note 63: Lettres datées de Paris, 1er et 21 février 1810.] + + La tranquillité continue de régner dans le Brabant, mais le pays + n'est pas riche; il a souffert par les inondations dans les années + précédentes, et l'armée ne pourra guère y vivre qu'au jour le jour. + + J'attends toujours une décision relativement au séquestre des + caisses publiques et aux hussards hollandais qui sont à Bréda et + dont le corps est en Espagne. + + _P.-S._--Je reçois à l'instant un rapport de M. le général Dessaix, + qui m'annonce que quelques troupes hollandaises sont sur la rive + droite du Wahal et ont ordre de ne laisser passer aucun militaire + étranger. + + Leurs hussards bordent la rive droite et paraissent destinés à + observer nos mouvements, et à en donner la nouvelle. + + J'ai ordonné que l'on mît en état le pont volant qui est à Nimègue; + il peut porter 300 hommes à la fois. + + Les eaux de la Meuse ont considérablement augmenté cette nuit et + l'on ne peut communiquer que très difficilement avec Bommel et + Gorcum. + + +Lorsque Napoléon eut obtenu tout ce qu'il désirait pour l'instant, +la surveillance qui pesait sur le roi cessa par son ordre, et +lui-même chercha à rétablir entre eux des rapports d'amitié. +L'empereur lui témoigna même le désir qu'il fût jusqu'à Soissons +au-devant de l'archiduchesse Marie-Louise, pour l'accompagner au +château de Compiègne. Louis, dont la santé s'était un peu améliorée, +se livra à quelques distractions et assista à une partie des fêtes +qui eurent lieu à l'occasion du mariage de Napoléon, bien qu'il fût +loin d'approuver le divorce, car il aimait beaucoup l'impératrice +Joséphine. Arrivé à Compiègne le 24 mars, dans la matinée, le roi +apprit bientôt que ses appartements étaient contigus à ceux de la +reine Hortense. On semblait vouloir exiger un rapprochement qui +n'était pas dans ses idées. Pour éviter toute discussion à cet +égard, le 30 mars, deux jours après que l'empereur et l'impératrice +furent au château, il donna ordre de préparer ses équipages pour son +départ la nuit même. Un incendie, qui eut lieu au moment où il +allait s'éloigner, le retint encore quelques jours. Enfin, le 8 +avril, après une dernière entrevue avec son frère, entrevue dans +laquelle Napoléon annonça à Louis que la reine le suivrait dans ses +états avec le prince royal, le roi de Hollande put quitter la +France. Il se dirigea sur Amsterdam par Aix-la-Chapelle, tandis que +Hortense prit la route ordinaire. Le retour du roi causa la plus +vive sensation dans tout le pays, surtout lorsqu'on sut que la reine +allait arriver également. On adorait cette princesse et l'on +espérait que la bonne intelligence ne serait plus troublée entre les +deux époux. Hortense arriva en effet avec le prince royal; mais, par +ordre de Louis, toutes les communications entre les appartements de +cette princesse et les siens furent murées, la séparation de corps +fut rendue ostensible, le roi même sembla prendre à tâche de prouver +son éloignement pour la reine, en sorte que les courtisans ne +savaient plus s'ils avaient tort ou raison, dans leur intérêt, +d'aller rendre leurs hommages à Hortense. Cette contrainte ne dura +pas longtemps, Hortense résolut de quitter la Hollande, mais son +mari ne lui en laissa pas d'abord la possibilité. Il fit pour elle +ce que l'empereur avait fait pour lui, tout récemment, à Paris. Ce +ne fut que quelque temps après, en employant la ruse, après un court +séjour au château de Lao, en laissant son fils qu'elle adorait, que +la reine put s'échapper. On crut que le roi serait furieux en +apprenant son départ ou plutôt sa fuite; il n'en fut rien. Il se +montra très calme, ne parla pas d'Hortense, et ne quitta plus le +jeune prince royal. En vertu du traité du 16 mars 1810 entre la +France et la Hollande, traité imposé au roi, signé par Werhuell, et +ratifié conditionnellement par Louis, qui avait ajouté de sa main: +_autant que possible_, les troupes françaises, vers la fin d'avril, +occupèrent Leyde et La Haye. D'autres troupes furent dirigées sur la +Frise, et le duc de Reggio, commandant en chef, établit son quartier +général à Utrecht. Il était clair qu'on voulait s'emparer du pays, +mais qu'opposer aux volontés de Napoléon? la raison du plus fort +n'est-elle pas toujours la meilleure? Le roi, indigné des +usurpations d'autorité qui se renouvelaient sans cesse, se plaignit +au maréchal. Ce dernier répondait en montrant les ordres de +l'empereur[64]. + + [Note 64: Le maréchal duc de Reggio, comme le duc de + Plaisance plus tard, montra dans sa difficile mission un + tact, une convenance, dont le roi et les Hollandais lui + furent toujours reconnaissants.] + +Le 29 avril, Napoléon et la nouvelle impératrice se rendirent à +Bruxelles, pour gagner de là les frontières enlevées à la Hollande +et nouvellement annexées à la France. Louis quitta Amsterdam le 4 +mai pour être le 5 à Anvers et les y recevoir. Sa visite faite, il +repartit. Chacun voyait bien que sa couronne chancelait sur sa tête. +Il n'était plus qu'un semblant de roi. Le maréchal exerçait, au nom +de l'empereur, une puissance absolue. Napoléon écrivit à cette +époque (20 mai)[65] une lettre tellement forte à son frère, que +l'idée d'abdiquer ou de se défendre dans la capitale de ses états +commença à germer en son âme. Un événement presque ridicule +précipita la crise devenue imminente. Un cocher de l'ambassadeur de +France eut une dispute suivie d'une rixe dans la rue près du palais +de l'ambassade. M. de la Rochefoucauld jeta feu et flammes, demanda +une réparation ostensible; l'empereur prétendit qu'on avait insulté +son ambassadeur en insultant sa livrée, et prétexta de là pour +écrire au roi une nouvelle et dernière lettre plus dure encore que +la précédente, et qui se trouve également à la page 276 de l'ouvrage +de M. Rocquain. + + [Note 65: Cette lettre n'est pas dans les lettres publiées + sous le second empire, mais elle se trouve à la page 273 du + livre de M. Rocquain (_Napoléon Ier et le roi Louis_).] + +Le roi venait à peine de recevoir cette lettre, lorsqu'il apprit à +son pavillon de Haarlem, où il se trouvait alors, que le duc de +Reggio demandait l'occupation de la capitale et l'établissement de +son quartier général à Amsterdam[66]. À cette foudroyante nouvelle, +Louis, frémissant d'indignation, résolut de défendre sa capitale +jusqu'à la dernière extrémité. Il comptait sur le peuple et sur +l'armée, mais pour exécuter un semblable projet, il fallait d'abord +inonder le pays, exposer les habitants à toutes les horreurs, et +sans espoir de ne pas succomber un jour. Les ministres, les généraux +furent d'un avis opposé au sien; lui-même, naturellement d'un +caractère doux et bon, lorsqu'il envisagea froidement les +conséquences de sa résolution extrême, sentit son coeur touché de +compassion pour ses peuples. Il crut donc faire mieux en abdiquant +en faveur de ses enfants, sous la régence de la reine, assistée d'un +conseil de régence. + + [Note 66: Le bruit de cette nouvelle exigence du gouvernement + français s'était répandu déjà depuis quelque temps. Le roi + avait demandé une explication catégorique à M. Serrurier, + chargé d'affaires de France. M. Serrurier avait répondu le 16 + juin, à M. Roëll, ministre des affaires étrangères de + Hollande, qu'il était chargé par l'empereur de désavouer le + dessein de mettre une garnison française à Amsterdam, mais + que toute attitude hostile serait considérée comme une + déclaration de guerre. Dans cette même lettre, le chargé + d'affaires revenait sur la demande de réparation de l'outrage + fait au cocher de l'ambassadeur.] + + + Je vais mettre, dit-il, l'empereur au pied du mur, et le forcer de + prouver à la face de l'Europe et de la France le secret de sa + politique envers la Hollande et envers moi, depuis cinq années. Je + mets mon fils à ma place. Si toutes les querelles faites à moi et à + mon gouvernement sont véritables, il reconnaîtra mon fils, qui lui + laissera tous les moyens de faire tout ce qu'il veut relativement au + commerce et à l'Angleterre, puisque, par la constitution du royaume, + à mon défaut, la régence lui appartient de droit. + + Si, au contraire, il profite de mon abdication pour s'emparer de la + Hollande, il sera prouvé incontestablement aux yeux de tous les + Français que toutes les accusations étaient des querelles + d'Allemand, que c'était là où l'on en voulait venir; et du moins ni + le droit de conquête, ni une cession, ni une soumission quelconque, + ne donneront la moindre ombre de légalité à cette usurpation de la + Hollande; je ne craindrai plus que l'on se serve de mon nom pour + s'en emparer avec quelque apparence de droit. + + +Le roi rédigea ensuite de sa main un message au Corps législatif. Ce +message était violent: c'était l'histoire des griefs de la Hollande +contre la France. Il était de nature à exaspérer l'empereur, à nuire +au pays, à la régence de son fils; toutes ces considérations +l'engagèrent à en rédiger un autre. Il écrivit aussi son acte +d'abdication et une proclamation au peuple. Dans son message à +l'Assemblée législative, il laissa deviner qu'il abdiquait parce +qu'il n'avait pu se défendre; dans son acte d'abdication, il eut la +générosité de se laisser envisager comme le seul obstacle au bonheur +de la Hollande; dans sa proclamation au peuple, il annonça l'entrée +des Français à Amsterdam, en recommandant de voir en eux des amis. +Pour éviter qu'on ne cherchât à s'emparer de sa personne, le roi +voulut que tous ces actes, datés de Haarlem le 1er juillet 1810, ne +fussent publiés qu'après son départ. + +Il mit ensuite ordre à ses affaires d'intérêt, puis à minuit, après +avoir inondé son fils de ses larmes, il sortit de son pavillon à +pied, par le jardin, pour gagner sa voiture. Il fit une chute dans +le fossé, chute qui faillit l'empêcher de partir. Enfin, ce bon et +malheureux prince quitta la Hollande, regretté de tout le monde. Il +informa l'empereur de sa résolution extrême. Napoléon, sans +précisément regretter l'abdication de son frère, fut péniblement +affecté de son départ, qui n'était nullement dans sa politique. Les +troupes françaises entrèrent à Amsterdam, et le 11 juillet la +Hollande fut réunie à la France. + +Lorsque Louis Bonaparte était monté sur le trône de Hollande, de par +la volonté de Napoléon, le pays avait une population de 2,100,000 +habitants. Après le traité du 16 mars 1810, ayant perdu le Brabant +hollandais, la Zélande, y compris l'île de Schouwen, la Gueldre +située sur la rive gauche de la Meuse, elle avait été réduite à +1,667,000 habitants, et son territoire s'était trouvé diminué de +1322 lieues carrées. + +Voilà quel avait été, en définitif, l'avantage que ce pays avait +retiré du protectorat de la France. On comprend que, dans d'aussi +tristes conditions, le roi Louis ait cru devoir faire le sacrifice +d'une couronne qu'il avait acceptée parce qu'il ne pouvait faire +autrement, et avec l'intention formelle d'être utile à sa nouvelle +patrie. + + +IV. + +Juillet 1810-1846 + +En apprenant l'abdication et le départ du roi Louis, l'empereur +envoya prendre par un de ses aides de camp (le général de Lauriston) +le jeune prince royal. Il le remit aux mains de sa mère à son +arrivée à Paris, et lui dit: + + + Venez, mon fils, je serai votre père, et vous n'y perdrez rien. La + conduite de votre père afflige mon coeur; sa maladie seule peut + l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la + vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma + politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont + envers moi, vos seconds envers la France. Tous vos devoirs, même + ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent + qu'après. + + +Ici se termine la seconde partie de l'histoire du roi Louis de +Hollande. Nous avons exposé longuement les différentes phases de son +règne si court et pourtant si plein de péripéties, nous avons montré +les causes qui rendirent ce règne malheureux pour le roi. Nous +n'avons pas à nous prononcer sur le plus ou moins de loyauté de la +conduite de Napoléon à l'égard de Louis, sur le plus ou moins de +raisons qu'avait Louis pour résister à la grande politique de +Napoléon. D'un côté, si la politique excuse bien des choses, d'un +autre côté, un roi ne comprend pas ses devoirs de la même façon +qu'un simple particulier. Quoi qu'il en soit, le règne du roi Louis +ne fut pas inutile pour la Hollande et stérile pour le pays. + +En quittant la Hollande, le roi Louis fit connaître, par une +circulaire adressée aux diverses cours de l'Europe, les motifs et +les conditions de son abdication. En outre, un conseiller d'état fut +expédié à la reine Hortense, alors à Plombières. On a vu que +Napoléon avait rendu inutiles toutes ces précautions pour assurer la +couronne au prince royal et, à son défaut, au second des enfants de +Louis. Avant de partir, le roi avait vendu la petite terre +d'Ameliswerd, située près d'Utrecht, et avait laissé ses revenus du +mois de juin à son fils, n'emportant que dix mille florins en or et +ses décorations en brillants. Il se dirigea sur Toeplitz où il +arriva le 9 juillet, prenant des précautions pour n'être pas arrêté +en route par ordre de l'empereur. Il avait choisi le titre de comte +de Saint-Leu, voulant retourner plus tard en France, dans la terre +de ce nom, si on reconnaissait son fils; mais lorsqu'il eut appris +ce qu'avait fait Napoléon, le doute n'étant plus permis, il se +décida à habiter un pays neutre. Il hésita entre l'Amérique, la +Suisse ou l'Autriche. Jusqu'à ce qu'il pût vivre à Rome, dont le +climat était nécessaire à sa santé, il choisit les états +autrichiens. Il écrivit donc à l'empereur François II, déclarant +qu'il désirait rester indépendant de Napoléon, mais non son ennemi. + +Il traversa Dresde et se rendit ensuite aux eaux de Toeplitz. Le 11 +juillet 1810, il écrivit de cette dernière ville à M. de Bourgoing, +ambassadeur de France: + + + Monsieur de Bourgoin, je suis passé avant-hier à Dresde; mais, comme + je désire vivement rester inconnu, je ne vous ai point fait avertir. + Je suis aux bains de Toeplitz, où je compte rester, s'il m'est + possible, toute cette saison; je n'ai pas voulu que l'ambassadeur de + l'empereur fût instruit par d'autres que par moi de mon arrivée dans + ce pays, du but de mon voyage et de mon projet. Vous serez peut-être + instruit, à l'heure qu'il est, que j'ai abdiqué en faveur de mon + fils aîné. Je ne devais pas faire autrement, les choses étant venues + au point qu'il m'aurait fallu me déshonorer, et ravaler entièrement + l'autorité royale en mettant ma capitale sous les ordres d'un + officier, ainsi que tout le pays, simulacre inutile et peut-être + plus. Je ne pouvais souffrir cette dernière humiliation, surtout + après avoir mis toute la résignation possible en acceptant le traité + commandé par mon frère, sans écouter aucun sentiment d'orgueil, + d'amour propre ou d'intérêts personnels. La politique de mon frère + ou de la France commandant l'anéantissement de mon gouvernement, + ainsi qu'il était impossible de me le celer, j'ai dû, ou sacrifier + mon rang et descendre du trône, ou résister, c'est-à-dire succomber + en défendant la juste cause d'un pays malheureux et injustement + maltraité; mais si j'avais pu oublier que la Hollande serait devenue + le théâtre de toutes les horreurs de la guerre, seul fléau que j'ai + pu parvenir à écarter de son sol durant mon règne, je ne pouvais + oublier que c'est à cette terrible extrémité que les ennemis de la + Hollande et les miens, et ceux de l'empereur, auraient voulu réduire + le pays; mais j'ai tout fait pour éviter un si grand malheur, et mon + frère, s'il est bien informé, doit être bien convaincu que, seul, + j'ai empêché l'explosion du mécontentement et du désespoir même d'un + peuple maltraité et vexé chaque jour davantage d'une manière aussi + peu politique qu'elle était injuste et contraire, non seulement au + droit des gens et aux égards qu'on doit à un pays paisible, mais + encore entièrement contraire aux stipulations précises du traité du + 16 mars de cette année. Si j'avais pu me dissimuler que, loin d'être + sauvé par la résistance, mon royaume aurait été ruiné de fond en + comble, comment aurais-je pu oublier que j'étais né Français, que + mes enfants le sont comme moi, que je suis connétable et prince + français, et qu'enfin, malgré tant de peine et de calomnies, j'étais + parvenu à concilier à la France les habitants malheureux et ruinés + de la Hollande, gémissant sous le poids des barrières du commerce et + de la navigation? Je ne pouvais pas faire perdre à la Hollande le + fruit de tant de sollicitudes, et j'ai été persuadé comme je le + suis, et le serai toujours, que je n'avais pas d'autre parti à + prendre que celui de l'abdication. Par là, la régence qui gouvernera + au nom de mon fils fera entièrement la volonté de S. M. l'empereur + et de ses ministres, ce que je ne pouvais faire qu'autant que + j'étais convaincu que cela n'était pas contraire à mon devoir. Si + mon fils était majeur, j'eusse renoncé pour lui aussi; mais comme il + ne l'est pas, j'espère qu'avant sa majorité la paix maritime sera + arrivée et le pillage des douaniers et des corsaires fini. D'ici là, + mon frère s'apercevra qu'il m'a accusé injustement, que je ne lui ai + rien dit que de vrai sur la Hollande, et mon fils sera plus heureux + et plus tranquille que son pauvre père. D'après ce petit exposé, + vous voyez que je ne pouvais rester en Hollande, ne régnant plus. + Forcé à un parti qui m'a profondément affligé, j'ai dû songer à + obtenir une retraite entière où je sois inconnu, et c'est ce qui m'a + fait choisir ce lieu jusqu'à la fin de la belle saison. + + J'ai rendu compte à mon frère de mon abdication; j'ai tout lieu de + penser qu'il l'approuvera, puisque j'ai assuré plusieurs fois, par + écrit, verbalement et par des actes officiels faits au général + français en Hollande, écrit à la légation française à Amsterdam, et + à celle de Hollande à Paris, que si l'on ordonnait toujours un + traité si dur par lui-même, comme on a commencé d'abord à le faire, + surtout si l'on faisait occuper la capitale par les troupes + françaises, je regarderais cela comme la dissolution de mon + gouvernement, et que, quand même je pourrais être assez aveugle pour + ne pas le sentir davantage, cela arriverait de fait, le commandant + des troupes françaises, des miennes, comme celui de ma capitale + n'étant plus sous mes ordres. Je vous prie, M. de Bourgoing, de + vouloir rendre compte à S. M. l'empereur de mon arrivée ici, de mon + vif désir de rester dans les environs pour y soigner tranquillement + ma santé, et que je le prie de me permettre ensuite de résider tout + à fait dans les environs de Dresde, d'où je pourrais venir aux eaux + chaque année et m'y préparer durant l'hiver par le régime et la + retraite. Cela n'est sujet à aucun inconvénient. J'ai pris le nom de + Saint-Leu; je suis fermement résolu à passer le reste de ma vie dans + la plus profonde retraite, quelque chagrin que je puisse en + éprouver. Je vous prie surtout de plaider ma cause: le plus grand + malheur de ma position, c'est de ne pouvoir pas rentrer en France, + où je devrais paraître dans mon rang et avec des fonctions + quelconques, ce qui est impossible et le sera toujours; je n'ai + qu'un voeu, rester simple particulier le reste de ma vie. J'ai + choisi Dresde sous le rapport de la salubrité de l'air et des eaux; + cependant, si l'empereur voulait que je sois ailleurs, je m'y + rendrai avec soumission. Je vous prie de ne me connaître et de ne me + parler, si je vous vois, que sous le nom de M. de Saint-Leu; vous me + feriez beaucoup de peine en faisant autrement. + + Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de ma considération. + + +M. de Bourgoing se hâta de transmettre au duc de Cadore la lettre du +roi. Le ministre des relations extérieures de France lui écrivit le +27 juillet: + + + Votre lettre nº 319, à laquelle vous aviez joint votre réponse au + roi de Hollande, m'est parvenue promptement. Elle m'a été remise par + M. de Langenau. J'ai attendu ensuite avec une impatience que + l'empereur a partagée, la lettre précédente qui devait renfermer les + premières nouvelles du roi de Hollande dont nous ignorions encore la + retraite. Elle n'est arrivée que trois jours après. Vous n'aviez + envoyé votre courrier qu'à Francfort. Là, la lettre a été mise à la + poste, je ne sais par qui, et elle n'est arrivée au ministère que + deux jours après les lettres que j'ai présumé être parties de + Francfort à la même époque. Le prince d'Eckmul a été instruit par le + général Compans de l'arrivée de votre courrier à Francfort et des + nouvelles qu'il apportait deux jours avant celui où j'ai reçu votre + lettre. + + Je n'entre dans ce détail, Monsieur, que pour vous faire sentir la + nécessité d'envoyer directement vos courriers à Paris, surtout + lorsqu'ils doivent annoncer des événements importants dont je vous + suppose jaloux de donner les premières nouvelles. C'est par M. de + Langenau que l'on a appris à Paris que le roi de Hollande était à + Toeplitz; jusque-là nous ignorions où il était. + + Vous vous êtes renfermé en lui répondant dans les bornes + convenables. Vous ferez bien, si l'occasion s'en présente à vous + d'une manière naturelle, de représenter à ce prince que sa place + n'est pas en pays étranger, que sa dignité, les titres auxquels il + n'a pas renoncé et sa qualité de Français et de prince français le + rappellent en France, que son retour lui est prescrit par ses + devoirs envers l'empereur, chef de sa famille et son souverain, + envers sa famille et son pays. Vous lui direz les choses comme de + vous-même et avec toutes les formes de respect propres à faire + excuser la liberté que vous oserez prendre. Vous pourrez même lui + dire:--Je ne sais ce que l'empereur a pu écrire à Votre Majesté, + mais si mon respect et mon dévouement pour l'empereur, que j'ai + l'honneur de servir, et mon attachement à votre personne pouvaient + m'autoriser à m'expliquer avec franchise, j'oserais dire à V. M., + etc., etc. Je vous invite d'ailleurs à transmettre avec exactitude + les détails qui vous parviendront sur le séjour du roi à Toeplitz et + à prendre des mesures pour en bien connaître toutes les + circonstances. L'empereur prend trop d'intérêt au sort de son frère, + quels que puissent être ses torts envers lui, pour ne pas désirer + d'être fidèlement instruit de tout ce qui le concerne, et si vous + parveniez à déterminer le roi à rentrer en France, l'empereur vous + saurait gré de cette preuve de votre zèle à le servir. + + +En vain, notre ministre à Dresde fit auprès de Louis toutes les +démarches pour l'engager à se rendre en France, le roi de Hollande +refusa, et M. de Bourgoing ayant fait connaître ces refus réitérés, +M. de Cadore lui écrivit: + + + De Paris, le 30 août 1810. + + Monsieur, j'ai reçu votre lettre du 18 août dans laquelle vous me + rendez compte des efforts que vous avez faits pour vous rapprocher + du roi de Hollande et lui faire la communication que je vous avais + indiquée dans ma lettre du 27 juillet. Cette lettre, Monsieur, ne + vous prescrivait pas de n'entretenir le prince que verbalement; elle + ne vous défendait pas de vous adresser à lui par écrit. Vous y avez + trouvé cette expression: «_dire ces choses comme de vous-même_,» + etc. Mais le mot _dire_, dans un sens figuré, s'applique aussi à ce + que l'on écrit. On dit par écrit comme verbalement. Ce que je vous + recommandais surtout était de chercher une occasion naturelle de + faire ces représentations. Un rendez-vous aux frontières, que vous + aviez sollicité du roi, n'était pas une occasion naturelle; on en + aurait beaucoup parlé. L'occasion naturelle était une réponse que + vous auriez pu faire à une lettre du roi. Il est fort heureux que le + roi ait refusé l'entrevue que vous lui avez fait demander. Il n'est + pas probable que vous puissiez trouver maintenant une occasion très + naturelle de donner au prince les conseils indiqués dans ma lettre, + et l'empereur désire que vous ne preniez plus aucune part à cette + affaire. S. M. veut que, si vous êtes consulté encore par le comte + de Saint-Leu, vous vous absteniez de lui répondre, que vous lui + laissiez faire ce qu'il désire et que vous ne vous mettiez plus en + peine de ce qui le regarde, ce qui ne doit pas empêcher de faire + connaître ce que vous apprendrez de lui. + + +Louis était tellement las des grandeurs et excédé de tout ce qu'il +avait souffert sur le trône, qu'il souhaitait avant toute chose le +repos; aussi le 20 juillet écrivit-il à son oncle, le cardinal +Fesch, la curieuse lettre suivante: + + + Mon cher oncle, je suis aux eaux de Toeplitz depuis dix jours; j'en + éprouve beaucoup de bien. J'ai écrit à maman et à Pauline, mais je + suis si loin que je crains, avec raison, que mes lettres ne leur + parviennent pas. Vous êtes à présent peut-être le seul de la famille + auprès de l'empereur. Dites-moi, je vous prie, si vous croyez qu'il + me permette enfin de vivre tranquille et obscur. C'est là tout mon + désir. Après les malheurs que j'ai éprouvés, je ne puis plus rien + être, et si l'empereur le veut, je vous prierai de me vendre vos + biens en Corse et j'irai m'y établir; mais comme je suis résigné à + tout plutôt qu'à être quelque chose, après n'avoir pu rester sur le + trône de Hollande, je crains qu'il n'y consente pas. Si je pouvais + obtenir de m'y retirer avec le plus jeune de mes enfants, je me + trouverais bien heureux, puisque je serais à jamais tranquille. + Veuillez, mon cher oncle, vous en informer directement chez mon + frère et me dire sa réponse et votre opinion. J'attends votre + réponse avec impatience. + + +Ce malheureux prince commençait en effet à goûter un repos +salutaire, après tant de péripéties. Lorsqu'il apprit la réunion de +la Hollande à la France, désespéré de voir les droits de ses enfants +méconnus, il ne put qu'adresser à toutes les cours une protestation +dans laquelle il établissait qu'ayant accepté le trône sans +conditions, ayant exécuté toutes ses conventions avec la France, +n'ayant abdiqué qu'à la dernière extrémité, après avoir été +contraint par la force à signer le traité du 16 mars 1810, Napoléon, +son frère, n'avait pas le droit de réunir la Hollande à l'empire et +de frustrer de la couronne le prince son fils. + +Le roi ne tarda pas à éprouver quelques chagrins d'une autre nature +et qui, pour être d'un ordre moins élevé que les chagrins de la +politique, n'en jetèrent pas moins dans son coeur une affliction +réelle et un profond dégoût de la nature humaine. Il ne s'était fait +accompagner dans son exil volontaire que par deux hommes, le général +Travers et le contre-amiral Bloys, qui lui devaient tout et qu'il +avait choisis parmi une foule de personnes loyales et sûres; ces +deux hommes le quittèrent au bout de quelque temps, le laissant +seul, sans famille, presque sans relation d'aucune espèce, sur une +terre étrangère. Tout à coup il vit paraître près de lui le +chevalier (plus tard duc) Decazes, son ancien secrétaire de cabinet, +jadis secrétaire des commandements de Madame mère, alors conseiller +à la cour de justice de Paris. M. Decazes venait l'engager à rentrer +en France. Louis fut inébranlable dans sa résolution de ne pas +revenir dans sa patrie, et comme les climats tempérés lui étaient +favorables, il quitta Toeplitz pour se rendre à Gratz en Styrie, +partie la plus méridionale des états autrichiens. Il eût préféré +Rome ou Naples, mais Rome n'était plus indépendante, et Naples était +sous l'influence de Napoléon. M. Decazes l'accompagna à Gratz, +renouvelant sans succès les tentatives qu'on l'avait chargé de faire +pour persuader au prince de rentrer en France. + +Pendant ce court voyage, il fut rejoint par M. Lablanche, secrétaire +de l'ambassadeur français à Vienne, qui lui apportait une sommation +de se rendre à Paris. + + + Sire, disait M. Otto[67] dans cette lettre du 12 octobre, l'empereur + m'ordonne d'écrire à Votre Majesté dans les termes suivants: Le + devoir de tout prince français et de tout membre de la famille + impériale est de résider en France, et il ne peut s'absenter qu'avec + la permission de l'empereur. Après la réunion de la Hollande à + l'empire, l'empereur a toléré que le roi résidât à Toeplitz, sa + santé paraissait lui rendre les eaux nécessaires; mais aujourd'hui + l'empereur entend que le prince Louis, comme prince français et + grand dignitaire de l'empire, y soit rendu au plus tard au 1er + décembre prochain, sous peine d'être considéré comme désobéissant + aux constitutions de l'empire et au chef de sa famille, et traité + comme tel. + + [Note 67: Ambassadeur de France à Vienne.] + + Je remplis, Sire, mot pour mot, la mission qui m'est confiée, et + j'envoie le premier secrétaire d'ambassade pour être assuré que + cette lettre aura été remise exactement. + + Je prie Votre Majesté d'agréer l'hommage de mon profond respect. + + +Louis resta sourd à cette sommation, comme il était resté sourd aux +prières; il espérait être enfin délivré de cette persécution d'un +nouveau genre, il n'en était rien. Son ancien secrétaire, M. +Decazes, lui fut envoyé de nouveau et ne réussit pas mieux qu'à son +premier voyage. Il y avait à peine deux mois que l'ex-roi de +Hollande habitait Gratz, lorsqu'il connut tout à coup, par le +_Moniteur_ du 15 décembre, le sénatus-consulte du 10 du même +mois[68]. Indigné, il envoya le 30 au sénat la protestation +suivante: + + [Note 68: Ce sénatus-consulte lui donnait un apanage autour + de sa terre de Saint-Leu en dédommagement de la Hollande.] + + + Sénateurs, le _Moniteur_ du 15 arrive; j'étais loin de m'attendre au + coup mortel, à l'atteinte ineffaçable que me porterait le + sénatus-consulte du 10 décembre. + + Je dois au nom de l'empereur, qui est aussi le mien, à mes enfants + et au peuple à qui j'appartiens depuis le 5 juin 1806, de déclarer + publiquement, comme je déclare en ce moment: + + Que, lié à jamais, ainsi que mes enfants, au sort de la Hollande, je + refuse pour moi, comme pour eux, l'apanage dont il est fait mention + dans ledit sénatus-consulte. J'ordonne, par le présent acte que je + porte à sa connaissance, à la reine, de refuser pour elle, comme + pour ses enfants, la moindre partie d'un tel don, et de se contenter + de ses propriétés particulières jointes aux miennes. + + J'ordonne, par le présent acte, au sieur Tivent, intendant général + de la couronne, à qui j'ai confié l'administration de ces + propriétés, comme chargé de mes affaires particulières, de mettre la + reine en possession de tout ce qui m'appartient individuellement, + consistant dans toutes les acquisitions qui, depuis le 5 juin 1806, + n'ont pas été réunies au domaine de la couronne par l'acte d'achat. + + Je déclare, en outre, que je désavoue toutes les accusations, + lettres et écrits quelconques, lesquels tendraient à faire croire + que j'ai trahi mon pays, mon peuple, moi-même, ou manqué à ce que je + devais et aimerai toujours à devoir à la France, ma première patrie, + que j'ai servie, depuis mon enfance, de coeur et d'âme. Placé sur le + trône de la Hollande, _malgré moi_, mais lié à ses destinées par mes + affections, mes serments et les devoirs les plus sacrés, je ne veux + et ne peux vouloir que rester Hollandais toute ma vie. En + conséquence, je déclare le don dudit apanage nul et de nul effet + pour moi, comme pour mes enfants, et pour leur mère, annulant + d'avance tout consentement ou acceptation donnés, soit directement, + soit indirectement. + + En foi de quoi j'ai rédigé le présent acte écrit et signé de ma + main. Je prie le Sénat de le recevoir et de faire agréer mon refus à + l'empereur. + + +Le même jour, il écrivit à la reine: + + + Ma douleur et mon malheur seraient à son comble si je pouvais + accepter l'apanage honteux que me destine, ainsi qu'à mes enfants, + le sénatus-consulte que je vois dans le _Moniteur_ du 15 de ce mois. + Je vous ordonne de refuser jusqu'à la moindre partie de ce don vil + et douloureux. J'annule d'avance toutes les acceptations ou + consentements que vous pourriez donner, soit pour vous, soit pour + mes enfants. Toutes mes propriétés particulières sont à votre usage + et à celui de mes enfants. Je vous autorise, par l'écrit ci-joint, à + vous en mettre en possession; cela, joint à vos propres biens, vous + suffira pour vivre en simple particulière. Reine, épouse, mère, sous + tous les rapports, tout autre don vous offenserait, et je vous + désavouerais en tout temps comme en tout lieu. + + +Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles le roi goûta enfin +quelque tranquillité; il en profita pour se livrer à son goût +dominant, l'étude des arts et de la littérature. + +La campagne de Russie amena le désastre des armées françaises dans +le Nord, comme l'injuste guerre d'Espagne avait amené les désastres +de l'armée française dans le Midi. La fortune se lassait de suivre +Napoléon. Profondément affligé des malheurs de sa patrie, Louis, +resté toujours bon Français, écrivit le 1er janvier 1813 à +l'empereur la lettre ci-dessous: + + + Sire, profondément affligé des souffrances et des pertes de la + Grande-Armée, après des succès qui ont porté les armes françaises + jusqu'au pôle; pouvant aisément juger combien vous êtes pressé, + combien il est urgent de réunir tous les moyens de défense + possibles, au moment enfin où une lutte terrible va continuer et se + prépare encore plus furieuse; convaincu qu'il n'y eut jamais pour la + France, pour votre nom, pour vous, de moment plus critique, je + croirais manquer à tous mes devoirs à la fois, si je ne cédais à la + vive impulsion de mon coeur. Je viens donc, Sire, offrir au pays + dans lequel je suis né, à vous, à mon nom, le peu de santé qui me + reste et tous les services dont je suis capable, pour peu que je + puisse le faire avec honneur. Je suis, de Votre Majesté, le + respectueux et tout dévoué frère. + + +Cette lettre fut envoyée par l'ambassadeur de France à Vienne et +placée dans une autre lettre écrite à Madame mère. L'empereur y +répondit, le 16 janvier 1813, qu'il voyait avec plaisir les +sentiments qui animaient Louis, mais qu'il lui avait fait connaître +déjà que ses devoirs envers l'empereur, sa patrie et ses enfants, +exigeaient son retour en France; qu'il le recevrait comme un père +reçoit son fils, qu'il avait des idées fausses sur la situation des +affaires, que lui, Napoléon, avait un million d'hommes sur pied, +deux cents millions dans ses caisses, que la Hollande était +française à jamais, etc. Cette lettre, d'un style plus modéré que +les précédentes, contenait cependant encore quelques expressions +personnelles blessantes pour le roi. C'était, du reste, la première +que Louis recevait de Napoléon depuis celle de mai 1810, finissant +par ces mots: «c'est la dernière lettre de ma vie que je vous +écris». Le roi, dont les propositions n'avaient pas été acceptées, +fit un voyage au mois de juin 1813 aux bains de Neuhans, près de +Gratz, pour sa santé. Il en revint au mois de juillet, et le 8 il se +décida à faire des démarches auprès du congrès dont on annonçait +l'ouverture à Prague, sous la médiation de l'Autriche. Des +protestations, des notes envoyées à tous les souverains, n'eurent +aucun résultat. Voyant la guerre prête à éclater entre l'Autriche et +la France, Louis ne voulut pas rester plus longtemps dans les états +de l'empereur François II, malgré les bienveillantes instances de ce +souverain pour l'y retenir. Il crut donc devoir se rapprocher de sa +patrie, et le 10 août il partit pour la Suisse[69]. + + [Note 69: Dans un petit volume de poésies publié par Louis, à + Lausanne, on trouve les adieux suivants au séjour de Gratz: + + Adieu florissante contrée + Où nul ne comprit tous mes maux, + Mais où, l'âme triste, éplorée, + J'ai souvent rêvé le repos... + Mais rien n'est pour un long usage + Dans ce monde trop incertain; + Le temps est un bac de passage + Où nos pas s'attachent en vain. + Confidents d'un coeur solitaire, + Jeunes arbres, mes seuls amis, + Puisse votre ombre hospitalière + Mieux abriter d'autres proscrits.] + +En arrivant à Ischl, il écrivit à Napoléon: + + + Sire, + + Les approches de la guerre avec la France m'avaient fait songer, + depuis plusieurs mois, à quitter ce pays; voulant être sûr de ne + point me trouver enfermé dans un pays ennemi, je suis parti le 10 + août. Je vous écris des frontières de la Bavière. + + Le duc d'Otrante, que j'ai vu à son passage par Leybach, m'a + beaucoup parlé; je lui ai caché mon dessein, parce que je voulais + que vous l'apprissiez par moi seul. + + Sire, j'avais le projet de me rendre dans une retraite sûre et + définitive dont j'ai plus besoin que jamais. La Bosnie m'était + ouverte; comme un pays tranquille, amie naturelle de la France, elle + me convenait sous tous les rapports, même sous celui du climat; + mais, Sire, quand j'étais au moment de partir, j'ai appris les + malheurs d'Espagne, j'ai appris que les ennemis étaient de ce côté + sur les frontières, j'ai vu que la guerre était imminente, que vous + alliez avoir un million d'hommes armés contre vous... Je ne me suis + pas cru le maître de me soustraire à la crise imminente et terrible + qui se prépare. Je suis peu de chose, mais ce que je suis je le dois + à la Hollande, et après à la France et à vous. Je vais donc en + Suisse pour pouvoir en être appelé par vous, quand vous croirez + pouvoir le faire sans m'ôter l'espoir de rentrer en Hollande à la + paix générale, ni d'une manière contraire au serment que je lui ai + prêté, car, comme il est cependant impossible que vous ayez voulu + faire de moi et de mes enfants des êtres provisoires, il est + impossible que Votre Majesté ne veuille pas leur rétablissement et + le rétablissement de la Hollande, quand toutes les affaires + relatives au commerce et à la navigation seront terminées. Enfin, + Sire, si je puis jamais être utile et à la France et à V. M., elle + saura mieux que moi la manière dont cela convient à celui de ses + frères qui est devenu roi de Hollande... Si cela n'est jamais le + cas, je serai dans un pays qui, du moins, ne cessera jamais d'être + ami de la France; quand je suis venu en Autriche, j'étais persuadé + que le pays de l'impératrice de France ne serait de longtemps en + guerre avec elle, et à coup sûr de mon vivant. + + Je vous prie de faire attention, Sire, que je viens à vous pour + souffrir; que je le désire plus vivement à mesure que le péril + augmente; que, dans la malheureuse position où m'ont placé les + événements, j'ai dû ne plus partager la prospérité de ma maison, + mais non me soustraire à ses dangers. Puissent, Sire, ceux qui la + menacent, n'être pas aussi réels que je le crains! Mais les + armements sont immenses, et dans un tout autre ordre et esprit que + précédemment. Tout le monde gémit et réclame la guerre contre la + France. Sire, je fais mon devoir, et envers la Hollande, et envers + la France, et envers vous, en me rapprochant de tous trois, en me + mettant plus à votre portée. Jamais je n'aurai à me reprocher de les + avoir privés par ma faute de mes faibles efforts, quels qu'ils + puissent être, et cette conviction me consolera, quelque chose qui + arrive. + + +Cette lettre resta sans réponse. Louis fit quelques courses pour +visiter la Suisse, puis il attendit à Saint-Gall les suites des +événements qui grossissaient de toutes parts. Après la malheureuse +bataille de Leipsick, Murat, ayant quitté l'armée française pour +revenir à Naples, passa par la Suisse; il vit le roi son beau-frère +et lui conseilla de rentrer en Hollande par le secours des +alliés[70]. Louis répondit qu'il ne le ferait pas, attendu qu'on +n'admettrait jamais la neutralité de la Hollande et qu'il ne +voudrait, pour aucun trône du monde, faire la guerre à son pays. +Toutefois, voulant profiter des circonstances pour une nouvelle +tentative faite bien moins dans son intérêt que dans celui de ses +enfants, il envoya un des officiers de son ancienne garde attendre +Napoléon à son passage à Mayence, avec mission de lui remettre une +lettre. + + [Note 70: C'est le roi Louis lui-même qui, dans son ouvrage + sur la Hollande, t. III, page 324, nous fait connaître ce + fait.] + +Louis demandait qu'on le laissât retourner en Hollande et qu'on lui +permit de traverser la France pour se rendre à Amsterdam. Persuadé +qu'au point où en étaient les affaires, l'empereur serait ravi de +lui céder de nouveau un pays qui allait tomber aux mains des alliés, +et qu'il croyait être seul à même de sauver et de soustraire à la +coalition, l'ex-roi de Hollande vint jusqu'à Pont-sur-Seine, après +avoir écrit à l'impératrice régente et au prince Cambacérès; mais, à +son grand étonnement, il apprit qu'on refusait de le recevoir à +Paris. Il rentra donc en Suisse, et là fut rejoint par l'officier +envoyé à Napoléon. Cet officier, et bientôt après les lettres de +Berthier et du duc de Vicence, lui firent connaître la réponse de +l'empereur. + +«J'aime mieux que la Hollande retourne sous le pouvoir de la maison +d'Orange, avait dit Napoléon, que sous celui de mon frère.» + +Malgré tous les échecs, malgré tous les déboires, Louis crut encore +devoir faire une tentative en octobre 1813, lorsqu'il connut les +événements qui venaient d'avoir lieu en Hollande, l'insurrection de +ce pays contre la France, son abandon par les troupes de l'empereur +et l'établissement d'une espèce de gouvernement provisoire exercé +par les magistrats d'Amsterdam. En conséquence, il adressa, le 29 +novembre, de Soleure, à ce gouvernement provisoire, une longue +lettre dans laquelle, passant en revue toutes les phases de son +règne, il relatait ses droits et ceux de ses enfants. Il n'avait ni +désiré, ni recherché la couronne, il ne s'était décidé à l'accepter +que sur l'instance de la députation batave, et dans l'espoir +d'assurer à son pays d'adoption la protection puissante de la +France; il avait fait tout ce qui était humainement possible pour +maintenir l'intégrité du territoire, l'indépendance de la nation; il +avait cherché à faire jouir les peuples des bienfaits de lois +équitables, il n'avait abdiqué qu'en faveur de son fils, tout +récemment il avait voulu se rendre à Amsterdam pour mettre la nation +hollandaise à même de se prononcer librement pour lui ou pour la +maison d'Orange. + +Louis commençait ce long, intéressant et véridique plaidoyer en +disant que les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouvait +la Hollande l'obligeaient à sortir de sa retraite, que ces +circonstances devaient ou compléter les obligations qui +l'attachaient au pays depuis huit ans, ou l'en dégager entièrement. +Il terminait en promettant d'achever ce qui n'avait été qu'esquissé +par l'acte d'union d'Utrecht, en assurant une constitution plus +étendue, et en affirmant qu'il ferait tous ses efforts pour +maintenir l'état de paix et de neutralité. Quelques personnes lui +proposèrent de se rendre en Hollande pour y décider le peuple en sa +faveur, il refusa. «Je ne puis y rentrer, répondit-il, que rappelé +par la nation; il ne convient ni à mon caractère ni au bien de la +Hollande que j'y rentre par la guerre ou par les troubles! Je dois +me borner à faire savoir aux Hollandais que mon dévouement au pays +est toujours le même, le reste les regarde.» + +Sa démarche auprès des magistrats d'Amsterdam n'obtint aucun succès, +la maison d'Orange fut rétablie sur le trône. Dès lors, Louis se +considéra comme entièrement dégagé de toute obligation envers la +nation hollandaise, et il résolut de rentrer chez lui, à Saint-Leu, +espérant qu'on l'y laisserait jouir de la tranquillité qui semblait +le fuir en tous lieux. Le prince de Talleyrand lui ayant fait +connaître l'entrée des alliés en Suisse, l'ex-roi de Hollande hâta +son départ, et le 22 décembre 1813, après avoir fait une déclaration +conforme à sa lettre du 29 novembre, il se rendit à Lyon et de là à +Paris, où il arriva le 1er janvier 1814. Il descendit chez Madame +mère, mais il ne put voir l'empereur. On lui insinua même l'ordre de +s'éloigner à quarante lieues de la capitale de la France. Il refusa +d'obéir, «personne, dit-il, n'ayant le droit de m'empêcher de +demeurer chez moi.» Enfin le 10 janvier, il put être admis auprès de +l'empereur, grâce à la médiation de l'impératrice. L'entrevue fut +froide, les deux frères ne s'embrassèrent pas. Louis pria Napoléon +d'écarter toujours, dans leurs conversations, ce qui pouvait +concerner la Hollande. Quelques jours auparavant, le roi avait reçu +de l'empereur la lettre autographe ci-dessous: + + + Mon frère, j'ai reçu vos deux lettres et j'ai appris avec peine que + vous soyez arrivé à Paris sans ma permission. Vous n'êtes plus roi + de Hollande depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à + la France. Vous ne devez plus y songer. Le territoire de l'empire + est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous + venir comme prince français, comme connétable de l'empire, vous + ranger auprès du trône? Je vous recevrai, vous serez mon sujet; en + cette qualité, vous y jouirez de mon amitié et ferez ce que vous + pourrez pour le bien des affaires. Il faut alors que vous ayez pour + moi, pour le roi de Rome, pour l'impératrice, ce que vous devez + avoir. Si, au contraire, vous persistez dans vos idées de roi et de + Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris... Je ne veux + pas de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi + une lettre que je puisse faire imprimer. + + +Le roi désirait ardemment être employé, être utile à la France dans +ce moment de crise, sans recevoir ni rang, ni apanage, ni titres, +lesquels eussent été en opposition avec sa déclaration de Lausanne, +lesquels l'eussent empêché de s'éloigner de France dans le cas où la +victoire eût rendu la Hollande à celle-ci, et qui, dans ce cas, +eussent été un assentiment tacite à la réunion, mais il éprouva avec +une cruelle amertume combien, dans l'exil et le climat froid de la +Styrie, trois années d'isolement et de chagrin avaient délabré sa +santé. Il essaya vainement de se tenir à cheval, il ne pouvait même +rester debout quelque temps. + +Il vit une seconde fois son frère, la veille du départ de Napoléon +pour l'armée, le 23 janvier 1814. L'empereur semblait décidé à faire +la paix après la première victoire, mais il se laissa entraîner +ensuite dans un système opposé. Louis, d'accord avec Joseph, lui +adressa presque journellement des lettres dans lesquelles il le +suppliait de traiter le plus vite possible avec les alliés. Le 16 +mars, il lui écrivit: «Si Votre Majesté ne signe pas la paix, +qu'elle soit bien convaincue que son gouvernement n'a guère plus de +trois semaines d'existence. Il ne faut que du sang-froid et un peu +de bon sens pour juger l'état des choses en ce moment[71].» + + [Note 71: C'est à cette lettre, transmise par Joseph, que + Napoléon répond en écrivant que Louis a l'esprit faux, etc. + (Voir Joseph en 1814).] + +Ces mots étaient prophétiques. + +Louis demeura à Paris les mois de janvier, février et mars, jusqu'au +30 de ce dernier mois, qu'il suivit l'impératrice à Blois. Il +insista pour que celle-ci n'abandonnât pas la capitale malgré +l'entrée des alliés, mais elle ne l'osa pas. + +L'empereur, dans ses instructions, déclarait traîtres tous ceux qui +resteraient à Paris dans le cas où cette ville serait occupée par +l'ennemi, et même tous ceux qui conseilleraient à l'impératrice de +le faire..... Louis arriva à Blois avec Marie-Louise, qu'il avait +rejointe à Rambouillet, étant parti après elle. Il séjourna à Blois +jusqu'au 9 avril, époque à laquelle le retour des Bourbons fut +connu. Des officiers de l'armée alliée étant venus chercher +l'impératrice, l'ex-roi de Hollande prit congé d'elle et revint en +Suisse. Il parvint le 15 avril à Lausanne. On lui avait fait dire +avant son départ de Blois qu'il pouvait habiter la France; il pensa +que son devoir s'y opposait, et qu'il devait partager la mauvaise +fortune de sa famille. Peu de temps après la rentrée de Louis à +Lausanne, le gouvernement des Bourbons érigea la terre de Saint-Leu +en duché, sans même l'en prévenir. À cette nouvelle et à celle du +traité de Fontainebleau, le prince fit une protestation, déclarant +qu'il renonçait à tous les avantages qui lui étaient faits par la +convention du 11 avril, qu'il y renonçait également pour ses +enfants; que, simple particulier depuis son abdication, vivant comme +tel, étranger à toute autre position, ayant refusé toutes les +offres, ayant rejeté l'apanage qu'on lui voulait donner par le +sénatus-consulte du 10 décembre 1810, il n'entendait conserver +d'autres dépendances à sa propriété de Saint-Leu que celles qui y +étaient en 1809, et qui, seules, lui appartenaient. Louis resta en +Suisse jusqu'au mois de septembre, prolongeant son séjour dans ce +pays, par l'espoir d'obtenir de sa mère qu'on lui remît son fils +aîné. Toutes ses démarches ayant été inutiles, il se retira à Rome, +où le Saint-Père le reçut avec joie. Le chef de l'église n'avait +point oublié la conduite du roi Louis à son égard, les offres de +service qu'il lui avait faites, les témoignages d'affection et de +fidélité qu'il lui avait fait donner par le prélat Ciamberlani, +supérieur des missions en Hollande, et cela dès le commencement des +différends du pontife avec l'empereur Napoléon. Le prince arriva à +Rome le 24 septembre 1814, et il s'empressa de réclamer hautement +l'aîné de ses fils. Il recourut même aux tribunaux qui, le 7 mars +1815, lui donnèrent gain de cause; mais le 20 du même mois, Napoléon +était remonté sur le trône, tous les statuts de famille furent remis +en vigueur, en sorte que ce qui concernait les Bonaparte dépendit +encore uniquement de la volonté de l'empereur qui s'opposa au désir +de son frère. Enfin, après la seconde abdication, le malheureux roi +Louis obtint de la reine Hortense son fils aîné qui, dès lors, +demeura avec lui. Pendant les cent-jours, Louis, dont la santé était +gravement altérée, qui avait un impérieux besoin de repos, de +tranquillité et de soins, qui n'avait plus de devoirs à remplir, +résista aux pressantes sollicitations de se rendre auprès de sa +soeur à Naples, ou bien à Paris. Il pensait d'ailleurs que le +premier devoir social, que le caractère distinctif des gens de bien, +la maxime la plus essentielle à la conservation, à l'ordre et au +repos de la société, consiste dans le respect le plus profond envers +les gouvernements établis. + +C'est vraisemblablement en vertu de ce principe qu'il professait +hautement, que le roi Louis blâma les tentatives de son fils à +Strasbourg et à Boulogne, ainsi qu'on le verra plus loin. + +Le roi Louis, philosophe par nature, supporta la chute de sa +famille et la sienne avec résignation, dignité et grandeur d'âme. +Méprisant le luxe, n'aimant pas la puissance du rang suprême, dans +laquelle il ne voyait qu'obligations et devoirs, il se livra sans +partage à l'étude des belles-lettres. Si des idées tristes +interrompaient souvent la sérénité habituelle, la douceur normale de +son âme, c'est que sa tendresse paternelle s'inquiétait pour +l'avenir de ses enfants. Il quitta Rome pour le beau climat de la +Toscane et le ciel pur de Florence. En 1831, il éprouva une immense +douleur, il perdit l'aîné de ses deux enfants, le prince +Napoléon-Louis, mort dans l'insurrection des Romagnes. Lorsque +l'ancien roi de Naples et d'Espagne, Joseph, vint des États-Unis à +Londres, pour essayer, après 1830, de soutenir les droits du fils de +Napoléon au trône de France, Louis eut avec son frère aîné de +fréquentes correspondances. + +Avant la fin de sa longue et pénible carrière, l'ex-roi de Hollande +devait éprouver encore deux profonds chagrins, qui hâtèrent ses +derniers instants. Le premier fut la tentative de Strasbourg, faite +par le dernier de ses enfants, le prince Louis-Napoléon, suivie +bientôt après de la tentative de Boulogne; le second fut le refus +des gouvernements de France et d'Angleterre de permettre à ce fils +de venir lui fermer les yeux. + +Lorsque l'ex-roi de Hollande connut les tentatives de son fils, il +était malade à Florence. Il n'avait cessé d'être en relation suivie +avec le duc de Padoue, son parent. Il lui écrivit le 15 novembre +1836: + + + Mon cher cousin, + + Je m'adresse à vous avec confiance dans le nouveau malheur que + j'éprouve et qui tombe sur moi comme un coup de foudre. Malgré le + malheur que j'ai eu il y a six ans de perdre mon fils aîné, par + suite d'une intrigue et d'une séduction infernale, son frère, qui + fut compromis aussi alors, s'est laissé de nouveau entraîner dans + une action aussi folle que grave. Vous savez mon état de santé, vous + savez qu'il m'est impossible d'agir par moi-même. Veuillez donc, je + vous prie, faire des démarches en mon nom auprès du gouvernement et + des personnes que j'ai connues autrefois, telles que le duc de + Cazes, s'il est à Paris, le comte Molé et tous ceux que vous croirez + être plus accessibles à mes prières, pour les engager à obtenir du + gouvernement que mon fils soit renvoyé en Angleterre avec sa mère. + On peut oublier son incartade en considération de la folie et je + dirai presque du ridicule d'une telle tentative et de ce qu'elle n'a + coûté la vie à personne. + + Il est inutile que je vous parle de la reconnaissance que je vous + aurai d'un tel service, la gravité de la chose parle assez + d'elle-même. + + Je me persuade que vous ne me refuserez pas un service aussi + important; en tout cas, veuillez me faire parvenir votre réponse le + plus promptement possible. + + Adieu, mon cher cousin, recevez l'assurance de mon sincère + attachement. + + +À la même époque, le 21 novembre 1836, la reine Hortense écrivait +d'Arenenberg à M. de Padoue: + + + Monsieur le duc, en revenant chez moi, on m'a remis votre lettre. + Elle eût été d'une grande consolation pour moi, et peut-être + n'aurais-je pas entrepris un voyage aussi pénible, si j'avais su à + temps que la vie de mon fils n'était pas en danger, mais cette + incertitude était affreuse, et j'en allais appeler à vous tous, à + vos anciens sentiments, pour m'aider à obtenir une vie qui m'était + si chère, lorsque j'ai appris qu'il n'y avait rien à craindre pour + elle. Je ne me suis pas montrée, je n'ai pas même été jusqu'à Paris; + je ne voulais troubler personne, sans cela j'aurais été charmée de + vous revoir ainsi que votre fille[72]. Vous devez penser qu'elle + m'est toujours chère, que son bonheur m'intéresse et que je serai + toujours heureuse de vous assurer tous deux de mes sentiments. + + [Note 72: Madame Thayer.] + + +Le prince Louis-Napoléon, étant parvenu à s'échapper du château de +Ham avant la mort de son père, espéra pouvoir passer en Italie et +arriver assez à temps pour le voir une dernière fois. L'Angleterre +ne le permit pas, les passeports nécessaires lui furent refusés. Le +malheureux père mourut à Florence le 25 juillet 1846, à la suite +d'une congestion cérébrale, sans avoir pu recevoir les embrassements +d'un enfant adoré. Il avait 68 ans, était toujours en exil et séparé +de tous les siens. Ses restes furent déposés d'abord dans l'église +de Santa-Croce à Florence. En 1848, un des premiers actes de son +fils, dès que les portes de la France s'ouvrirent devant lui, fut de +remplir les intentions testamentaires du roi son père en faisant +placer son corps dans l'église de Saint-Leu, près de celui de +Charles Bonaparte. En 1835, à propos des bruits accrédités par +quelques journaux du mariage du prince Louis-Napoléon avec la jeune +reine de Portugal, Dona Maria, le fils du roi Louis trouva occasion +de faire connaître l'impression profonde que la belle conduite de +son père avait laissée dans son coeur. Il écrivit au rédacteur d'un +de ces journaux la lettre suivante: + + + Arenenberg, le 14 décembre 1835. + + Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont accueilli la nouvelle + de mon départ pour le Portugal comme prétendant à la main de la + reine Dona Maria. Quelque flatteuse que soit pour moi la supposition + d'une union avec une jeune reine, belle et vertueuse, veuve d'un + cousin qui m'était cher, il est de mon devoir de réfuter un tel + bruit, puisqu'aucune démarche qui me soit connue n'a pu y donner + lieu. + + Je dois même ajouter que, malgré le vif intérêt qui s'attache aux + destinées d'un peuple qui vient d'acquérir sa liberté, je refuserais + l'honneur de partager le trône de Portugal, si le hasard voulait que + quelques personnes jetassent les yeux sur moi. + + La belle conduite de mon père, qui abdiqua en 1810 parce qu'il ne + pouvait allier les intérêts de la France avec ceux de la Hollande, + n'est pas sortie de mon esprit. Mon père m'a prouvé, par un grand + exemple, combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je + sens en effet qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays + par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français, + persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre + d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle + quinze années de gloire; j'attends avec calme dans un pays + hospitalier et libre que le peuple rappelle dans son sein ceux + qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir, de + servir un jour en France comme citoyen et comme soldat, fortifie mon + âme et vaut, à mes yeux, tous les trônes du monde. + + +Le roi Louis publia plusieurs ouvrages d'un mérite réel, en voici la +liste: + +1º En 1800, un roman en 3 volumes, intitulé _Marie ou les peines de +l'amour_. Nous avons déjà dit un mot de ce roman, dont il fit +paraître une 2e édition en 1814, sous le titre de _Marie ou les +Hollandaises_. + +2º En 1813, un livre de poésies, intitulé _Odes_, qui fut édité à +Vienne. C'est une de ces odes dont nous avons cité quelques jolis +vers, les adieux à Gratz. + +3º En 1814, un mémoire sur la versification, en réponse à une +question proposée par la deuxième classe de l'Institut. Ce mémoire +imprimé à Rome en 2 volumes, en 1825, sous le titre d'_Essai sur la +versification_, remporta le prix de la question mise au concours. +Dans cet ouvrage, l'auteur demande la suppression de la rime dans +les vers, la conservation de la césure et l'ancien nombre de +syllabes. Il complète leur rhythme par une distribution régulière +des accents, ce qui les fait essentiellement différer des vers +blancs. Il note pour cette accentuation la pénultième des mots +finissant par des e muets et la finale de tous les autres. Il +appliqua lui-même ce système, dont il est l'inventeur, en faisant +une tragédie, une comédie, un opéra, une ode, et en s'excusant de +n'avoir pas poussé jusqu'à l'épopée. + +4º En 1820, trois volumes, intitulés _Documents historiques sur le +gouvernement de la Hollande_[73]. + + [Note 73: Nous avons eu plusieurs fois recours à ce curieux + et intéressant ouvrage pour la rédaction de notre travail.] + +5º L'_Histoire du Parlement anglais_, depuis son origine en 1234, +jusqu'à l'an VII de la République française, suivi de la grande +charte avec des notes autographes de Napoléon. Ce livre, un volume, +parut en 1820, à Paris. + +6º En 1828, une réponse à sir Walter Scott sur son histoire de +Napoléon, brochure de 160 pages. + +7º En 1834, une brochure d'une cinquantaine de pages, intitulée +_Observations sur l'histoire de Napoléon par M. de Norvins_. C'est +une réfutation sans réplique d'un assez grand nombre de faits +avancés inconsidérément par cet historien trop officieux de +l'empereur. + +Nous terminerons ce travail sur le roi Louis par une lettre qui lui +fut écrite de Londres par son frère Joseph, le 1er août 1834, et qui +nous paraît de nature à faire connaître le caractère de ces deux +princes. + + + Mon cher frère, je n'ai pas répondu plus tôt à ta lettre du 3 + juillet, je suis encore convalescent d'une douloureuse esquinancie + qui m'a tenu plus de quinze jours au lit et dont les suites me + tiennent encore à la maison, à cause du temps humide et nébuleux qui + règne depuis ma convalescence. + + Personne n'est moins dogmatique que moi, et si tu es d'humeur à + régayer le tableau que tu fais si sombre de la vie par de nouveaux + rapports qui puissent embellir le déclin de ta vie, personne n'en + sera plus heureux que moi, chacun a le sentiment et la mesure de ce + qu'il peut et doit pour son propre bonheur, et on fait légitimement + de tenter un sort meilleur lorsqu'on en espère du bonheur. + + Je ne m'appesantirai pas davantage sur la thèse du mal ou du bien de + cette vie, je crois la vérité dans le mélange de quelques plaisirs + et de plus de douleurs; mais on multiplie, on aggrave les douleurs + en s'étudiant à voir tout en mal et on ne remédie à rien par de la + mauvaise humeur; sans doute et le bonheur et la vertu sont en + minorité sur la terre, j'en conviens, et il faut s'y soumettre, + c'est notre lot, celui qui se soumet à ce qu'il ne peut empêcher est + le moins malheureux et le plus sage. Faire de nécessité vertu, + considérer plus bas que nous pour se trouver moins malheureux, se + consoler dans la bonne conscience, si on croit à une autre vie, ne + voir que le vrai bonheur: tu sais tout cela mieux que moi, mais je + répète les appuis sur lesquels je me suis appuyé dans ma longue vie. + + J'ai eu une bonne femme et je n'ai pas vécu avec elle depuis trente + ans; j'ai sans cesse combattu sans ambition les brigands, les + ennemis de mon pays, des exigences que je n'approuvai pas; l'homme + le plus aimant de la terre a passé sa vie sans sa famille, dans un + autre monde; depuis 1830, j'ai dépensé pour la cause de mon neveu + plus d'un million de francs, c'était la moitié de ce qui me restait + de disponible après l'incendie de ma maison en Amérique, en 1820. Je + crois être assuré que c'est la politique qui a mis le feu à ma + maison pour y détruire les lettres que Napoléon m'avait confiées. + Revenu en Europe sur l'invitation de Julie et la tienne, j'ai comme + toi voulu aider Caroline et Jérôme; j'ai cru que toute querelle + domestique se dissiperait à ma voix fraternelle et je puis dire + paternelle. Qu'ai-je recueilli de mes soins, de ma bonne volonté? + Caroline, par ses soupçons, par son abnégation de toute fierté, les + autres, par leur peu de sympathie et l'appui qu'ils paraissent avoir + donné à ses calomnies contre mon oncle le cardinal, contre moi-même, + m'ont fait sentir qu'il était encore de plus grands maux que ceux + que nous devons à la persécution des rois conjurés contre nous; ton + fils mort était aussi mon fils; celui qui a épousé mon aînée je l'ai + vu, comme Caroline, aux pieds de nos ennemis... Ce qui m'empêche + d'aller en Italie, c'est qu'on sait que je possède des secrets que + vous ignorez. Je lutte contre la mauvaise fortune et je n'en suis + pas abattu; ma santé faiblit, il est vrai, mais j'ai 71 ans: combien + sont plus infirmes que moi! Julie, mes filles, toi, m'avez conservé + votre coeur dans toute sa pureté; ton fils, ma soeur, Charles, mes + neveux, que de sujets de douleurs! Notre oncle m'eût resté ami, sa + soeur lui a laissé les portraits de famille sous toutes les formes, + sous toutes les reliures; l'homme qui m'a dit de la part de notre + mère, sous le plus inviolable secret, qu'il était chargé de vendre + le collier qu'elle destinait au roi de Rome pour 200,000 francs, + prix qu'elle n'avait pas trouvé à Rome, me dit aussi qu'elle avait + disposé du médaillon contenant le portrait de l'empereur, valant + plus de 60,000 francs, il a été trouvé: le collier a été vendu par + l'ordre de Madame, elle a disposé du prix, elle l'a voulu et + personne n'a rien à y voir: le cardinal n'y est pour rien, le + cardinal n'a pas voulu risquer des funérailles dignes de la mère de + Napoléon et de nous tous pour la même raison que moi-même en + Amérique je n'ai pas dû affronter les préventions et les âmes + toutes puissantes de la Sainte-Alliance, par la même raison que tu + n'as pas dû ni pu rendre à notre fils les honneurs funéraires qui + lui étaient dus; mais notre oncle m'a souvent entretenu du monument + somptueux qu'il a l'intention de consacrer à sa soeur, mais où? + quand? et ne lui faut-il pas l'assentiment de nous tous? Je lui ai + écrit qu'en sus de ce qu'il ferait, j'y contribuerais aussi pour ma + part. Je ne doute pas que tu ne fasses comme moi, mais où? Faut-il + suivre l'exemple que tu as donné à Florence, où est mort ton fils? + Faut-il suivre celui qu'a donné ta femme à l'occasion de ton autre + fils et demander en grâce que notre mère soit enterrée où nous ne + pouvons ni vivre ni mourir? Le cardinal a pensé à Ajaccio, mais cela + est-il convenable? Notre oncle n'est pas un génie de premier ordre, + mais on le calomnie lorsqu'on lui refuse les qualités du coeur et + des talents et des connaissances dont s'honoreraient bien des + ecclésiastiques considérés dans ce monde. + + Si tu crois à mes paroles, à ma probité, à mon honneur, crois que tu + t'es trompé sur notre oncle le cardinal Fesch; je désire te + convertir à ma croyance, parce que je suis sûr de ce que je dis, que + j'ai connu notre oncle lorsque vous ne pouviez pas l'apprécier dans + votre enfance, lorsque nous étions tous orphelins de notre père, et + notre mère a toujours disposé de ce qui appartenait à son frère pour + le bien de la famille à son grand contentement, lorsque la mort + prématurée de notre père nous laissa dans les embarras occasionnés + par les dépenses au-dessus de sa fortune qu'il avait été obligé de + faire dans ses missions de Paris et à Versailles[74]. + + [Note 74: Sur ces derniers faits, voy. le 1er vol. de Jung, + _Bonaparte et son temps_.] + + Je suis fatigué, la tête me tourne, je t'embrasse de tout mon coeur, + mon cher Louis. + + + + +III. + +LE ROI JÉRÔME. + + +De 1784 à 1808. + +Jérôme Bonaparte, le dernier des fils de Charles Bonaparte et le +plus jeune des frères de l'empereur Napoléon Ier, a parcouru une +longue carrière et assisté aux plus grands événements. + +Non seulement il fut témoin, mais souvent acteur dans le grand drame +de 1800 à 1815. Le rôle important qu'il y a joué ne s'est pas +terminé avec le premier empire, car son nom se rattache également à +la seconde élévation de sa famille. Il est peu de vies où les +alternatives de grandeur et de mauvaise fortune se soient aussi +brusquement succédé. + +À neuf ans, il est rejeté de la Corse, sa patrie, sur la terre de +France, fuyant exilé avec sa famille. Un de ses frères s'élève par +son génie aux premiers rangs de la hiérarchie militaire et lui fait +donner une éducation brillante; mais ce frère veut que Jérôme, dont +les premières années ont été consacrées à l'étude, devienne vite un +homme et un homme utile à la France. Il en fait un marin, bientôt +après un général, puis un prince, puis un roi. À vingt-trois ans le +jeune homme ceint son front d'une couronne royale. Six ans plus +tard, à l'âge où l'on n'est pas encore sorti de la jeunesse, ce +souverain par les conquêtes des Français est contraint d'abandonner +un trône qui s'écroule, entraîné dans les désastres de la France. +Jusqu'alors il s'est élevé, il redescend. Il se souvient de son +premier métier, laisse tomber le sceptre du roi pour ressaisir +l'épée du soldat. Le dernier sur le champ de bataille de Waterloo, +il y verse son sang et rallie les débris de la grande armée, prêt à +les mener à de nouveaux combats, si telle est la volonté du génie +devant lequel il s'est toujours incliné. + +De 1784, époque de sa naissance, à 1813, époque de la chute du +royaume de Westphalie, Jérôme monte les degrés, s'élevant sans +cesse. De 1813 à 1847, il les descend. Proscrit par la politique de +l'Europe coalisée contre le plus grand génie des temps modernes, +brutalement repoussé par la famille de sa femme, les princes de +Wurtemberg, dépouillé par des gens qui le flattaient au temps de sa +prospérité et qui lui devaient tout, traqué par les gouvernements de +l'Autriche, de l'Allemagne et de l'Italie, ne sachant où reposer sa +tête, il voit enfin dans sa patrie éclater une révolution qui lui +donne l'espoir d'y rentrer bientôt. Illusion trompeuse, le temps +n'est pas venu. Proscrit depuis quinze ans, la fortune ne lui a pas +fait assez expier les faveurs qu'elle lui a accordées pendant la +première partie de sa vie. + +Dix-sept ans encore les portes de la France lui sont fermées ainsi +qu'aux siens. Ses enfants n'ont connu jusqu'alors que l'exil. Sa +vertueuse femme ne doit plus revoir sa seconde patrie. Enfin des +démarches incessantes, une lutte courageuse triomphent de tous les +obstacles, il peut venir s'asseoir au foyer qui lui rappelle de si +grands souvenirs. + +Jérôme commence à remonter les degrés qu'il a descendus depuis 1813. + +Quelques mois après son retour en France, une révolution plus +radicale que celle de 1830 éclate de nouveau. Un membre de la +famille Bonaparte, son neveu, par la magie de son nom, est élevé au +premier rang. Jérôme va reprendre une grande position dans l'État. +Le grade conquis par son épée et par ses services militaires lui est +rendu, il devient le gardien des cendres du grand homme et le +gouverneur de l'hôtel consacré aux soldats mutilés. Il se retrouve +avec les vieux compagnons d'armes dont plusieurs ont suivi ses pas +sur les champs de bataille du premier empire. Il est mis ensuite à +la tête du premier corps de l'État. Enfin, le second empire le place +sur les degrés mêmes du trône. Jérôme a donc remonté un à un tous +les degrés de l'échelle sociale lorsque la mort vient terminer sa +carrière. + +Telles sont, à grands traits, les principales phases de cette +existence que l'on peut dire tout exceptionnelle et qui embrasse +dans son ensemble le consulat, l'empire, les cent-jours, les deux +restaurations, le gouvernement de juillet, la république de 1848 et +les huit premières années du second empire. + +Depuis sa naissance jusqu'au moment où il entra dans la marine, nous +avons peu de choses à dire sur Jérôme Bonaparte. + +Il naquit à Ajaccio, le 15 novembre 1784, de Charles Bonaparte et de +Lætitia Ramolino. Son enfance se passa comme celle de tous les +enfants qui naissent les derniers dans une famille nombreuse. Il +fut en quelque sorte le Benjamin, non seulement de sa mère (son père +mourut avant qu'il le pût connaître), mais de son oncle, plus tard +cardinal Fesch, et de ses autres frères. Napoléon surtout avait pour +Jérôme un faible qui perça toujours. Cette prédilection ne se +démentit dans aucune des circonstances de sa vie militaire et +politique. + +À l'âge de neuf ans, comme nous l'avons dit, Jérôme dut abandonner +la maison paternelle pour un premier exil dont il comprit déjà les +douleurs. Sa famille, bannie de l'île de Corse, se retira en France, +et il fut placé au collège de Juilly pour y faire ses études. On +était en 1793. La révolution menaçait de s'étendre sur l'Europe +entière liguée contre elle. Personne ne se doutait alors que dans +les rangs des défenseurs de la République combattait l'homme +prodigieux qui devait bientôt la dominer. + +Pour le jeune Jérôme, six années s'écoulèrent (de 1793 à 1799), dans +les études et les plaisirs du lycée. Après le 18 brumaire (9 nov. +1799), il sortit du collège pour continuer son éducation sous les +yeux de ce frère que six années avaient grandi de façon à attirer +sur lui les regards du monde entier. + +Jérôme, alors âgé de quinze ans, vint, au commencement du consulat, +loger au château des Tuileries, à l'entresol, au-dessous des +appartements occupés par le premier consul au pavillon de Flore. Dès +cet instant il laissa percer, avec la fougue naturelle à la +jeunesse, les qualités et les défauts d'un caractère que le temps et +les diverses phases par lesquelles il passa ne modifièrent qu'en +partie. Un esprit juste, un jugement solide, une grande bravoure +personnelle, une véritable noblesse, surtout dans l'adversité, de la +bienfaisance, de l'esprit naturel, la passion des plaisirs, une +vivacité tournant quelquefois à l'étourderie, une certaine légèreté +qui paralysait souvent ses belles qualités, l'amour de la +représentation et du faste, tels sont les traits dominants du +caractère de ce prince. Toujours porté au bien lorsqu'il suivait +l'impulsion de son coeur, Jérôme en était parfois détourné quand sa +nature impressionnable l'entraînait dans des écarts qui alors +n'influaient du reste que sur sa conduite privée. + +Lorsque le général Bonaparte revint d'Italie après Marengo, il fit +entrer son frère Jérôme dans la garde consulaire, aux chasseurs à +cheval. L'enfant, âgé de seize ans, eut une altercation avec le +frère de Davout; ils se battirent, et, à la suite de cette aventure, +Bonaparte ordonna à Jérôme de quitter son régiment. + +Le premier consul, à cette époque, commençait à donner une sérieuse +attention à tout ce qui se rattachait à la marine. Il prévoyait sa +lutte avec l'Angleterre, il voulait battre par ses armes l'éternelle +et implacable rivale de la France. Pour cela il fallait commencer +par rendre à la marine française cette confiance en elle que +l'émigration et ses derniers revers lui avaient fait perdre; il +fallait relever le personnel tout en activant les réparations du +matériel et les nouvelles constructions. Or, rien n'était plus fait, +d'après lui, pour concourir à ce résultat et pour prouver au corps +des officiers et des matelots son estime, que de placer dans ses +rangs son propre frère, dont le caractère audacieux se prêtait aux +aventures de la carrière maritime. Jérôme était fort heureux de +cette résolution. Ce fut donc avec une joie véritable qu'il reçut sa +nomination d'aspirant de 2e classe, datée du 29 novembre 1800. + +À peine revenu de la campagne de Marengo, le premier consul tourna +ses regards vers l'Égypte dont il désirait secourir l'armée. Ce +n'était pas chose facile; la marine française, à cette époque, était +fort peu en état de lutter avec avantage contre la marine de la +Grande-Bretagne dont les flottes bloquaient nos ports. + +Non seulement il fallait, pour jeter des troupes sur les côtes +d'Alexandrie, embarquer dans le plus grand secret des hommes et un +matériel considérable, mais il était nécessaire de trouver un marin +ou assez habile pour tromper la surveillance fort active des +croisières anglaises, ou assez audacieux pour passer à travers les +bâtiments ennemis. Bonaparte fit choix pour cette dangereuse mission +du contre-amiral Ganteaume, qui avait été assez heureux pour le +ramener d'Égypte malgré les Anglais. Il lui confia une escadre +composée de sept vaisseaux de ligne, de deux frégates et d'un +lougre[75]. Le jeune Jérôme Bonaparte fut placé avec son grade +d'aspirant de 2e classe sur le vaisseau amiral. + + [Note 75: _L'Indivisible_, de 80 canons, vaisseau amiral; _le + Formidable_, de 80 (monté par le contre-amiral Linois); + _l'Indomptable_, de 80 (capitaine Moncontu); le _Desaix_, de + 74 (capitaine de Lapallière); _le Dix-Août_, de 74 (capitaine + Bergeret); _le Jean-Bart_, de 74 (capitaine Meyne); _la + Constitution_ (capitaine Faure); la _Créole_, frégate + (capitaine de vaisseau Gourrige); _la Bravoure_, de 18 + (capitaine de frégate Dordelin); le lougre _le Vautour_ (le + lieutenant de vaisseau Kerimel).] + +Il accompagna Ganteaume dans cette campagne maritime où, malgré son +habileté et son courage, l'amiral ne réussit pas à porter en Égypte +les renforts qu'attendait Bonaparte. + +Jérôme fit bravement ses premières armes, le 24 juin, dans le combat +livré entre Candie et l'Égypte par _l'Indivisible_ et _le Dix-Août_, +au vaisseau anglais de 74, _le Swiftsure_, un des plus beaux de +l'escadre de l'amiral Keith. Ce vaisseau venait de quitter l'escadre +ennemie au mouillage d'Aboukir et faisait route pour Malte. Après +l'avoir chassé quelques heures, _l'Indivisible_ et _le Dix-Août_ le +joignirent à portée de pistolet, l'attaquèrent et s'en emparèrent +après un combat des plus vifs. + +Le premier consul accueillit avec joie la nouvelle de ce combat, et, +pour récompenser les deux équipages qui y avaient pris une part +glorieuse, il rendit un décret en date du 22 août 1801, accordant +deux grenades, deux fusils et quatre haches d'honneur pour les +hommes qui s'étaient le plus distingués dans cette affaire. + +Le contre-amiral Ganteaume, voulant témoigner à Jérôme Bonaparte sa +satisfaction de sa conduite pendant l'action, ne crut pouvoir mieux +faire que de lui confier l'honorable mission de se rendre à bord de +la prise, de l'amariner et de recevoir l'épée du capitaine. + +Après ce combat, dédommagement assez faible de la non-réussite de +l'expédition, l'escadre fit voile pour Toulon. Elle captura +plusieurs bâtiments de commerce anglais d'une petite valeur, et vint +mouiller sur la rade de Toulon au commencement d'août 1801, ayant +deux cents prisonniers anglais avec l'état-major et le commandant du +vaisseau _le Swiftsure_. + +En rentrant à Toulon Ganteaume fit son rapport au premier consul et +rendit bon compte de la conduite de Jérôme, car le 16 août le +général Bonaparte écrivit à son frère une lettre des plus +flatteuses[76]. + + [Note 76: _Mémoires du roi Jérôme_, vol. Ier, p. 51.] + +Telle fut la première campagne maritime de Jérôme Bonaparte. +Quelques jours après son arrivée à Toulon, le 26 août 1801, il +débarqua et fut rejoindre son frère à Paris. Il était resté à bord +de _l'Indivisible_ depuis le 28 novembre 1800, c'est-à-dire 8 mois +et 28 jours. C'était, pour un marin aussi jeune, un assez rude +apprentissage. + +Lorsque Jérôme Bonaparte revint de sa première expédition, le 26 +août 1801, il n'avait pas encore atteint sa dix-septième année. +Malgré sa jeunesse, il s'était fait remarquer par sa bravoure, son +intelligence et ses dispositions pour le métier de marin. Il sentait +que, frère du chef de l'État, tous les yeux étaient fixés sur lui, +et il mettait à remplir ses devoirs un zèle qui disposait en sa +faveur. + +Après son débarquement à Toulon, l'aspirant se rendit à Paris, où il +fut accueilli avec joie par le premier consul. Il séjourna deux mois +aux Tuileries, puis, le 29 novembre 1801, il fut nommé à la première +classe de son grade et reçut l'ordre de se rendre à Rochefort pour +être embarqué sur l'un des bâtiments destinés à l'expédition de +Saint-Domingue. + +À cette époque, Joseph Bonaparte, chargé de la conclusion du traité +de paix avec l'Angleterre, était prêt à se rendre à Amiens ainsi que +lord Cornwallis, plénipotentiaire de la Grande-Bretagne. Les +préliminaires avaient été échangés à Londres le 12 octobre, et rien +ne s'opposait à ce que le général Bonaparte, devenu l'arbitre de +l'Europe, dirigeât ses flottes vers nos colonies des Antilles, qui +cherchaient à échapper à la domination française. + +En vue de ce but, une grande expédition avait été décidée. Elle devait +se composer de trois divisions navales portant des troupes de +débarquement. La première division, organisée à Brest, était sous les +ordres de l'amiral Villaret-Joyeuse, réunissant à son commandement celui +des deux autres divisions. Il avait mis, le 29 octobre, son pavillon sur +le vaisseau _l'Océan_. La seconde division, en rade de Rochefort, sous +le contre-amiral Latouche-Tréville, avait pour vaisseau amiral _le +Foudroyant_, sur lequel Jérôme allait s'embarquer. Cette division avait +à rallier une escadre de six vaisseaux espagnols alors en rade de Cadix, +sous l'amiral Gravina. La troisième division était composée de bâtiments +hollandais rassemblés à Flessingue. + +Le général Leclerc, beau-frère du premier consul et mari de Pauline +Bonaparte, commandait en chef l'expédition. Son chef d'état-major +était le général Dugua. Leclerc arriva à Brest le 19 novembre 1801, +et passa une grande revue des troupes le 20. + +La longue lutte que nous venions de soutenir si péniblement contre +les flottes de la Grande-Bretagne avait vivement préoccupé le +premier consul. Dès que la paix avec l'Angleterre fut assurée, il +donna une attention toute particulière à la marine de guerre. +Convaincu qu'on pouvait beaucoup attendre et obtenir de nos marins, +aussi bien que de nos soldats de l'armée de terre, il résolut de +tout mettre en oeuvre pour éviter à l'avenir les fautes qui, depuis +le commencement de la Révolution, avaient concouru à affaiblir notre +puissance maritime; ce n'était plus l'organisation médiocre dont on +s'était contenté depuis 1789 qu'il fallait à Bonaparte, mais une +organisation forte, un matériel puissant, une discipline solide, une +union parfaite entre les équipages et les troupes. D'après lui, un +des grands moyens d'obtenir sur mer des succès semblables à ceux +obtenus sur le continent, c'était d'exciter l'émulation chez les +matelots, de leur inspirer, de leur _souffler_ cet enthousiasme +auquel nos soldats avaient dû, en grande partie, leurs victoires. + +Le premier consul avait été, du reste, merveilleusement secondé en +cela par l'amiral Villaret-Joyeuse. Ce dernier avait, à force de +persévérance, introduit sur les vaisseaux de son escadre une +discipline parfaite. + +Les trois divisions navales partirent de Brest, de Rochefort et de +Flessingue; celle de Villaret-Joyeuse devait rallier les deux +autres, mais la division batave ne put le joindre à cause des vents +contraires. Elle mit le cap directement sur Saint-Domingue, en ayant +soin de ne pas se montrer avant les vaisseaux de l'amiral commandant +en chef la flotte. La division de Latouche-Tréville, au lieu de +porter sur Belle-Isle ainsi que cela lui était prescrit, fit route à +l'ouest en sortant de Rochefort. + +L'aspirant de 1re classe Jérôme Bonaparte, embarqué sur le vaisseau +_le Foudroyant_, monté par Tréville, arriva avec le contre-amiral au +Cap, vers la fin de 1801. Il y resta jusqu'au 9 février 1802. Le 4 +mars, en vertu des ordres du général en chef Leclerc, il passa avec +le grade d'enseigne[77] sur le vaisseau _le Cisalpin_ (capitaine +Bergeret[78]), bâtiment envoyé en France. + + [Note 77: Nommé enseigne le 15 janvier par Villaret-Joyeuse, + Jérôme fut confirmé dans ce grade par le premier consul, et + il prit rang dans les cadres à dater du jour de sa + promotion.] + + [Note 78: Le prince Jérôme a toujours conservé pour le brave + Bergeret, plus tard amiral et mort il y a peu d'années, une + affection véritable et une estime profonde.] + +Le jeune officier de marine fut chargé de dépêches pressées qu'il +devait remettre au premier consul. Bien qu'il donnât de belles +espérances, il est permis de penser que ce ne furent ni sa capacité +ni sa parenté avec le premier consul et le général en chef qui le +firent choisir pour une mission de haute importance. Il est à +présumer que Leclerc, voyant la maladie décimer les troupes et les +équipages, prit, à l'insu de Jérôme lui-même, un prétexte pour +l'envoyer en France et le soustraire à la pernicieuse influence d'un +climat sous lequel il devait succomber bientôt lui-même. + +Quoi qu'il en soit, le jeune Bonaparte embarqua au Cap sur _le +Cisalpin_, ayant pour compagnon d'armes Halgan, plus tard amiral, +avec lequel il se lia dès lors d'une véritable amitié. Le 5 mars le +vaisseau mit à la voile, et le 10 avril les vigies signalèrent le +feu d'Ouessant. Le lendemain, à dix heures du matin, le navire +entrait dans le port de Brest. + +À peine débarqué, Jérôme songea à se rendre à Paris pour remettre ses +dépêches au premier consul. Il prit une chaise de poste, emmena avec lui +Halgan, devenu son ami, et franchit rapidement la distance qui le +séparait de Nantes, en passant par Quimper, Vannes, Laroche[79]. À +quelques lieues de Nantes il eut une aventure qui peint son caractère +déterminé. Le postillon qui conduisait sa voiture refuse tout à coup +d'aller plus loin. Il met pied à terre et s'assied tranquillement sur le +bord du fossé de la route. Jérôme et Halgan descendent de leur chaise de +poste et, pressés d'arriver, ils essaient de faire remonter à cheval +leur capricieux conducteur. C'est en vain. Prières, promesses, menaces, +tout échoue devant son entêtement breton. Jérôme, voyant qu'il +n'obtiendrait rien, pousse Halgan dans la voiture et, s'adressant au +postillon, lui dit: «Veux-tu nous conduire, oui ou non?--Non, répondit +ce dernier.--Alors je me charge de ce soin,» reprend le jeune officier. +Et, bien qu'en culotte courte et en bas de soie (tenue qu'il a toujours +affectionnée), Jérôme saute en selle après avoir ramassé le fouet et +enlève les chevaux qu'il lance au grand galop sur la route de Nantes. Il +fait en ville une entrée triomphale, tête nue, en uniforme de marin, +avec son compagnon dans la chaise de poste, le 13 avril 1802. + + [Note 79: Le prince fit le même voyage cinquante années plus + tard, lorsqu'il parcourut la Bretagne, désireux de revoir + avant de mourir le petit port de Concarneau.] + +Jérôme, laissant Halgan à Nantes, se dirigea vers Paris où il remit +ses dépêches au premier consul, qui le garda près de lui jusqu'au +commencement de juin 1802. Pendant son séjour aux Tuileries, ami +fidèle et dévoué, Jérôme plaida si chaudement la cause d'Halgan près +du général Bonaparte, qu'à son départ pour embarquer de nouveau il +eut le bonheur d'emporter à Nantes la nomination du lieutenant de +vaisseau, son camarade du _Cisalpin_, au commandement du brick +_l'Épervier_. + +Le premier consul, désireux de perfectionner l'éducation maritime de +son jeune frère et de le mettre à même d'étudier les colonies +françaises, avait décidé qu'il ferait un voyage aux Antilles sur le +brick _l'Épervier_, et qu'il visiterait toutes les positions +importantes de cette partie de l'Océan. En conséquence, Jérôme +revint à Nantes le 7 juin 1802. Il devait prendre la mer, comme nous +l'avons dit, sur le brick _l'Épervier_, sous les ordres d'Halgan. +Les officiers de ce brick, ses camarades, étaient MM. Vincent +Meyronnet, qui joua par la suite un certain rôle en Westphalie, Gay, +le chirurgien M. Rouillard[80]. Le bâtiment avait pour destination +la Martinique. Jusqu'à la fin d'août, Halgan et Jérôme restèrent à +Nantes, attendant les ordres de départ. + + [Note 80: Le prince le retrouva en 1852 à Concarneau, où il + vivait en retraite.] + +Ce temps se passa pour eux en fêtes, car c'était à qui des habitants +notables ou des autorités de la ville recevrait le plus jeune des +frères du premier consul et son ami. + +Le 29 août, le brick appareilla et vint mouiller sur la rade de +Minden; le 31, il fit voile en suivant les côtes, et, par suite d'un +gros temps, vint relâcher le 4 septembre en vue du port de Lorient, +dans la rade. Le 6, il entra dans le port. Jérôme, jeune et ami du +plaisir, profitant de ce qu'on était obligé de passer quelques jours +à Lorient pour faire au bâtiment des réparations indispensables, +partit le 5 pour Nantes, où il passa quelques jours. + +Le 18 septembre il était à son poste et le brick appareilla. Le 25, +on était en vue de Lisbonne, l'amitié d'Halgan fut mise à une rude +épreuve. Jérôme voulut visiter cette capitale et demanda au +commandant de relâcher dans ce port. Halgan refusa et l'on continua +à faire voile pour la Martinique. Le 28 octobre, à midi, la terre +était en vue. À 5 heures du soir _l'Épervier_ mouilla au fort +Diamant où régnaient la fièvre jaune et une grande mortalité. + +Dès le lendemain 29, Halgan et Jérôme furent rendre visite au +capitaine général, l'amiral Villaret-Joyeuse, le même officier +général auquel avait été dévolu le commandement dans l'expédition de +Saint-Domingue. Le contre-amiral Villeneuve, commandant les forces +navales stationnées aux Îles du Vent et à Cayenne, était alors +absent. Il revint quelques jours plus tard au fort Royal, sur son +vaisseau _le Jemmapes_. Dans l'intervalle, voici ce qui avait eu +lieu: + +Jérôme était parti de France comme aspirant de lre classe et en +qualité d'officier du brick commandé par Halgan; mais à peine arrivé +à la Martinique, le capitaine général Villaret, soit qu'il eût des +instructions secrètes (chose très probable) émanant du premier +consul, soit parce qu'il crût bien faire, nomma le jeune Bonaparte +lieutenant de vaisseau, par décision du 2 novembre 1802; puis, sans +doute pour suivre un plan convenu, Halgan s'étant trouvé subitement +indisposé ou ayant dû se trouver hors d'état de commander le brick, +le commandement du navire fut remis provisoirement au nouveau +lieutenant de vaisseau qui se trouva donc, à l'âge de 18 ans, à la +tête d'un bâtiment d'une certaine importance[81]. Sans doute on +avait pensé que Jérôme trouverait de plus grandes facilités pour son +voyage d'exploration dans la nouvelle position qui lui était faite. + + [Note 81: Nous devons dire que nulle part nous n'avons trouvé + trace d'instructions secrètes données à Villaret, dans le + sens de la nomination de Jérôme comme lieutenant de vaisseau + et commandant du brick; mais la chose nous paraît si probable + et du reste si naturelle, que nous croyons qu'il en a été + ainsi.] + +Le contre-amiral Villeneuve, pour qui le frère du premier consul +avait une lettre du ministre de la marine, confirma ce qu'avait fait +Villaret-Joyeuse. Il se rendit à bord de _l'Épervier_ le 21 +novembre, donna quelques conseils et des instructions détaillées à +Jérôme, et lui prescrivit de partir le 29 novembre pour aller +d'abord à Sainte-Lucie, colonie française des Îles du Vent, au sud +de la Martinique, puis à Tabago, qui faisait partie des Îles sous le +Vent, au nord-est de la Guyane. Bien qu'on fût à la fin de novembre, +la température était très élevée. Jérôme, plein d'ardeur et n'ayant +pas la prudence qui convient dans les climats dangereux où règnent +si souvent des fièvres terribles, se fatigua outre mesure en +explorant Sainte-Lucie et en montant sur une soufrière dans le fort +de la chaleur du jour. Il fut pris par une fièvre violente qui +inquiéta les officiers du brick au point qu'ils crurent devoir +revenir à Saint-Pierre (Martinique), en faisant prévenir le +contre-amiral Villeneuve de ce qui venait d'arriver. Villeneuve +courut immédiatement auprès du malade, et reconnut avec joie que +l'accident n'aurait aucune suite fâcheuse. Il en rendit compte au +ministre Decrès qui avait remplacé Forfait. + +Jérôme, hors du danger causé par son imprudence, était moins +désireux de reprendre la mer pour continuer son voyage. L'équipage +de son bâtiment avait été, en moins d'un mois, tellement décimé par +la maladie, qu'il se trouvait à la fin de décembre complètement +désorganisé. À la maladie s'était jointe aussi la désertion, en +sorte qu'il fut contraint de renoncer à l'idée de faire voile pour +Tabago. Villeneuve attendait la frégate _la Consolante_ et voulait +lui offrir de se rendre avec lui, sur ce bâtiment, dans les +différentes colonies qu'il avait à visiter encore; mais Jérôme, +fatigué des ennuis, du tracas qu'il avait éprouvé sur son brick, +sollicita de quitter son commandement. Villeneuve en écrivit à +Decrès qui, le 25 février 1803, répondit à ce sujet: «Il faut, +général, déterminer Jérôme à garder son commandement et à faire aux +colonies le séjour que le premier consul désire de lui. Je joins ici +une lettre pour lui.» On constitua alors tant bien que mal un +équipage au brick _l'Épervier_ qui put enfin partir. Ce bâtiment +mouilla à la Basse-Terre (Guadeloupe, nord-ouest de la Martinique). +Il fut reçu par le contre-amiral Lacrosse, capitaine général de +cette colonie, qui lui fit visiter le pays dans le plus grand +détail[82]. + + [Note 82: Le contre-amiral Lacrosse était père du sénateur du + second empire. Le prince Jérôme a rappelé bien souvent au + baron Lacrosse cette visite à la Guadeloupe.] + +Du 8 février au commencement d'avril 4803, Jérôme termina ses +voyages dans les différentes colonies qu'on lui avait donné mission +de visiter en détail, car le 4 avril, le contre-amiral Villeneuve, +dans une dépêche au ministre, rend compte du prochain départ de +Jérôme Bonaparte et de sa répugnance à passer par Saint-Domingue, où +son beau-frère, le général Leclerc, était mort. + +Le brick _l'Épervier_ cependant n'était pas encore parti le 27 +avril, puisqu'à cette date le capitaine de vaisseau Lafond, +commandant par intérim les forces navales stationnées aux Îles sous +le Vent et à Cayenne, écrivait de Saint-Pierre de la Martinique, à +bord de la frégate _la Didon_, au ministre de la marine: + +«Le brick _l'Épervier_, commandé par le lieutenant de vaisseau +Bonaparte, est toujours en station au fort de France. Le général +Villeneuve, avant son départ[83], m'a dit qu'il lui avait donné +l'ordre de s'en retourner en France, et que par conséquent il ne +faisait plus partie de la station.» + + [Note 83: Villeneuve avait été remplacé par Villaret.] + +Pendant un mois encore _l'Épervier_ resta à la Martinique. Plusieurs +circonstances fatales avaient empêché Jérôme de quitter l'Amérique, +et ces circonstances eurent, ainsi qu'on le verra bientôt, une +influence très grande et très singulière sur les premières années de +sa vie. D'abord, la maladie et la désertion avaient dépeuplé son +bord et l'on n'avait pu recruter l'équipage de façon à mettre le +bâtiment en état d'entreprendre un long voyage pour regagner +l'Europe, ensuite Jérôme était tombé malade au commencement de mai. +Cela ressort du passage d'une longue lettre écrite le 19 juin du +port du Passage par le capitaine Lafond au ministre de la marine, +lettre dans laquelle on lit: + +«Lors de mon départ du fort de France (8 mai 1803), le brick +_l'Épervier_ était mouillé à Saint-Pierre. Jérôme avait la fièvre, +mal à la tête et aux reins, symptômes de la fièvre jaune; mais, au +moment de mettre sous voile, son médecin a fait dire qu'il allait +mieux. Il avait écrit au général Villaret qui, vraisemblablement, +vous donnera des détails sur sa maladie.» + +Lorsqu'au mois de juin 1803 on fut à peu près paré et que Jérôme se +trouva à même de mettre à la voile, les relations entre la France et +l'Angleterre étaient devenues d'une nature telle que la guerre semblait +imminente. En effet, le traité d'Amiens ne tarda pas à être rompu, et +dès lors les Anglais, qui savaient Jérôme encore dans les colonies, +attachèrent une importance réelle à s'emparer de sa personne, d'autant +qu'ils étaient furieux de ce qu'en représailles d'hostilités commises +sur mer par les vaisseaux de la Grande-Bretagne sans déclaration +préalable, le premier consul avait retenu tous les Anglais alors en +France. + +Les choses en étaient là, et cependant la rupture entre les deux +grandes nations n'était pas encore connue en Amérique lorsque Jérôme +eut l'ordre formel de Villaret de prendre la mer pour regagner +l'Europe, s'il en était temps encore. Le 1er juin il mit à la voile. +Un coup de tête du jeune homme l'arrêta court dans son voyage. Voici +ce qui s'était passé. Jérôme avait soumis à une visite, en mer, un +gros bâtiment qu'il supposait Français et qui était Anglais. Effrayé +des conséquences que pouvait avoir cette affaire, il en avait rendu +compte à Villaret-Joyeuse. Ce dernier le blâma et lui donna l'ordre +de revenir en France. Jérôme fit quelques observations tellement +justes à l'amiral que ce dernier s'opposa à son départ, ce qui fut +fort heureux, car le brick _l'Épervier_, ayant pris la mer le 20 +juillet sans Jérôme, fut capturé le 27 par les Anglais. + +Jérôme Bonaparte ne quitta pas l'Amérique et, le 20 juillet 1803, il +abandonna le commandement de son brick. Nous l'avons laissé à la +Pointe-à-Pitre (Martinique), le 15 juin 1803; nous le retrouvons à +Baltimore, dans l'État de Maryland (États-Unis d'Amérique), à la fin +de juillet de la même année. + +Le 26 juillet il écrivit de cette ville au citoyen Pichon, +commissaire général des relations commerciales de la France aux +États-Unis, pour lui faire connaître que le lieutenant Meyronnet, +commandant en second _l'Épervier_, avait quitté le brick, chargé +d'une mission de son commandant pour négocier leur passage sur un +bâtiment de commerce américain _le Clothier_, dont l'armateur +refusait de s'arrêter en Espagne; que, décidé à céder à la nécessité +et à suivre la destination de ce bâtiment pour Bordeaux, il +renvoyait Meyronnet à Philadelphie pour faire hâter l'expédition du +navire sur lequel il se hasarderait à revenir en Europe; enfin qu'il +attendait à Baltimore que le bâtiment à bord duquel il devait +prendre passage fût au bas de la rivière du Patapsco, qui se jette +dans la baie de Chesapeake. + +Ainsi, à la fin de juillet 1803, Jérôme était prêt à s'embarquer sur +un bâtiment américain et à braver les croisières anglaises pour +retourner en France. Il était _incognito_ aux États-Unis d'Amérique, +où il entretenait une correspondance assez suivie avec notre consul +général, M. Pichon. Ce dernier mettait beaucoup de déférence dans +ses relations avec le frère du premier consul, jeune homme qui, bien +que n'ayant pas encore dix-neuf ans révolus, avait déjà les allures +princières qu'il ne devait plus abandonner. Il lui fournissait des +sommes assez considérables, hâtait de tous ses moyens le moment de +l'embarquement et lui donnait même au besoin des conseils que Jérôme +paraissait assez peu disposé à suivre. + +Cependant son _incognito_ ne pouvait être bien longtemps observé. +Les Anglais, à l'affût de ce que devenait l'ancien commandant de +_l'Épervier_, ne tardèrent pas à savoir où il se trouvait et à +donner son signalement sur toute la côte à leurs bâtiments. Un +capitaine Murray, alors à Baltimore, dévoila la présence dans cette +ville de Jérôme, en sorte que les difficultés devenaient de plus en +plus grandes pour lui de quitter l'Amérique. M. Pichon cependant le +pressait de s'embarquer, répondant de l'armateur et du capitaine de +navire américain qui devait le mener en France. Il l'engageait à +faire monter à bord les personnes de sa suite[84] et à suivre le +bâtiment sur un bateau pilote jusqu'à la sortie de la baie pour +pouvoir, soit revenir à terre, soit s'embarquer définitivement, +selon ce que ferait la croisière anglaise. Les choses en étaient là, +au commencement d'août, lorsque Jérôme, qui comprenait quel effet +déplorable pouvait produire en France la nouvelle de la capture, par +les Anglais, du frère du premier consul, résolut d'attendre les +ordres du chef de l'État, et d'envoyer pour les prendre son +lieutenant Meyronnet qui, lui, passerait plus facilement et pourrait +donner connaissance de la position dans laquelle il se trouvait aux +États-Unis. + + [Note 84: Jérôme avait alors près de lui M. Meyronnet, qu'il + appelle dans toutes ses lettres son lieutenant, un secrétaire + particulier, M. Le Camus, qui joua par la suite un certain + rôle ainsi que Meyronnet en Westphalie, un médecin et le fils + du conventionnel Rewbel, plus tard officier général.] + +Pichon, en apprenant la nouvelle détermination du jeune officier de +marine, l'engagea à quitter Baltimore et à faire un voyage instructif +dans l'ouest. Le consul général français avait-il déjà connaissance de +la passion naissante qui devait aboutir à un mariage et voulait-il en +détourner Jérôme, ou bien pensait-il remplir les intentions du premier +consul à l'égard de son frère en l'engageant à voyager? c'est ce que +rien ne fait pressentir dans sa correspondance. Toujours est-il que +Jérôme ne suivit pas le conseil qui lui était donné, pas plus que celui +de cesser ses rapports avec un M. Barny, chez lequel il était logé à +Baltimore et contre lequel le consul général cherchait à le mettre en +garde. + +Le 30 août, Pichon écrivit au ministre des relations extérieures une +longue lettre relative au jeune Bonaparte. Cette dépêche, fort +curieuse, résume tout ce qui a rapport au frère du premier consul +depuis le 22 juillet 1803[85]. + + [Note 85: _Mémoires du roi Jérôme_, vol. Ier, p. 227.] + +Jérôme était arrivé à Georgetown[86], y avait passé trois jours, +avait cherché divers moyens de retourner en Europe, tantôt voulant +passer à bord d'un navire de commerce, puis à bord d'une frégate +américaine qu'il emprunterait aux États-Unis, enfin comme passager +sur un bâtiment de guerre destiné à la Méditerranée. + + [Note 86: Georgetown, ville et port de mer des États-Unis, + État de la Caroline du sud, était la résidence du consul + général Pichon.] + +Tous ces projets n'avaient pu avoir de suite. Il n'était possible +d'en accueillir aucun, pas même le dernier, auquel il s'était +arrêté, de demander passage sous son nom. Pendant ce temps _le +Clothier_, en partance de Philadelphie le 7 août, avait mis à la +voile. + +Jérôme passa le mois de septembre 1803 à Baltimore. Fort épris de +Mlle Paterson, très jolie jeune personne, fille d'un des riches +négociants de cette ville, il lui fit une cour assidue à laquelle +Mlle Paterson fut loin d'être insensible. Les choses en vinrent au +point qu'on commença, vers le mois d'octobre, à parler de mariage. +Quoique la France eût encore un gouvernement qui conservait le nom +et un semblant de formes républicaines, tout le monde en Europe, +comme en Amérique, comprenait que cet état cesserait sous peu et que +l'homme qui avait reconstruit l'édifice social était destiné à +monter sur le trône. Personne n'ignorait la bonté, la faiblesse du +premier consul pour son jeune frère; or une union contractée dans +ces conditions avec Jérôme était, pour une famille de négociants +d'Amérique, une fortune inouïe. Aussi, loin de s'opposer à la +réalisation de ce projet, les Paterson, le père lui-même, semblaient +y prêter les mains. La jeune personne, fort éprise, était décidée à +tout pour épouser celui qu'elle aimait. Toute cette petite intrigue +ne tarda pas à être connue du consul général. + +Pichon fut effrayé des conséquences d'un mariage que le chef de +l'État n'approuverait certainement pas, puisqu'il était contraire à +toutes les lois françaises. En effet, Jérôme, loin d'avoir atteint +vingt et un ans, n'avait pas alors dix-neuf ans révolus, et même en +eût-il eu vingt et un, il ne pouvait se passer du consentement de sa +mère pour que l'acte fût valide. À peine le représentant de la +France aux États-Unis fut-il informé de ce qui avait lieu à +Baltimore, qu'il écrivit: 1º à Jérôme pour le prévenir que l'union +qu'il voulait contracter était _nulle_ aux yeux de la loi; 2º à M. +Paterson le père, pour mettre sous ses yeux la loi française; 3º +enfin à M. d'Hebecourt, l'agent consulaire français dans le +Maryland, pour lui donner des instructions en cas qu'on voulût +passer outre et ne pas tenir compte de ses observations. + +Jérôme eut connaissance aussi par Pichon des lettres écrites à MM. +Paterson et d'Hebecourt[87], puis le ministre des relations +extérieures de France (Talleyrand) reçut communication de toutes les +pièces relatives à cette affaire. Ceci se passait pendant le mois +d'octobre 1803. Ces démarches du consul général, ces observations +fort justes parurent produire un certain effet, car le mariage de +Jérôme sembla quelque temps un projet abandonné. Pichon en profita +pour engager vivement le jeune officier à s'embarquer sur une +frégate française, _la Poursuivante_, alors en relâche à Baltimore. +Mais la famille Paterson, d'accord avec Jérôme, abusait le consul +général; le mariage, s'il avait été un instant rompu, s'était +renoué. Jérôme ne songea plus à retourner en France pour le moment. +Il déclara formellement qu'il ne se rendrait pas à bord de _la +Poursuivante_ et qu'il attendrait à Baltimore les ordres du premier +consul. Au reste, ajoutait-il, il était en mission et n'avait +d'ordre à recevoir que du ministre. + + [Note 87: Remplacé bientôt après par Sottin.] + +Pendant ce temps-là Decrès, ayant connu par le lieutenant Meyronnet +la position de Jérôme aux États-Unis, avait soumis l'affaire au +premier consul, qui lui prescrivit d'expédier de nouveau le +lieutenant de Jérôme avec des instructions pour le retour en France +de ce dernier. Meyronnet partit donc pour se rendre en Amérique +précisément à l'époque où l'affaire du mariage se dénouait +inopinément à Baltimore. + +Ainsi que nous l'avons dit, Pichon était persuadé que sur ses +observations fort judicieuses, la famille Paterson et Jérôme +lui-même avaient complètement abandonné leurs projets. Il était donc +fort tranquille de ce côté lorsque, le 25 décembre, il apprit tout à +coup par M. Lecamus que le jeune Bonaparte, à qui il avait envoyé +une somme assez considérable, venait de faire célébrer son mariage à +Baltimore, quatre jours auparavant, le 21. Bien plus, il fut informé +par l'agent consulaire français, M. Sottin, que l'union, renouée +tout à coup, avait eu lieu en sa présence, parce qu'il n'avait pas +cru devoir faire au premier consul l'affront de refuser d'assister à +cet acte. + +Pichon s'empressa de témoigner à Sottin son mécontentement de ce +qu'il avait assisté au mariage et de ce qu'il avait signé un acte +contraire à la loi française, et donné l'apparence légale à un acte +nul aux yeux de cette loi. Il rendit compte ensuite de toute cette +affaire au ministre des relations extérieures; puis, quelques +semaines plus tard, le 20 février, il écrivit de nouveau une lettre +des plus curieuses relative à Jérôme, à Mlle Paterson et à la +famille de cette dernière. + +La nouvelle de ce mariage, contracté malgré la loi, malgré toutes +les représentations du consul français, arriva à Paris lorsque +Napoléon avait changé son titre de premier consul contre une +couronne impériale. Furieux de voir que son jeune frère était le +premier à enfreindre les lois de son pays, il défendit immédiatement +de reconnaître cette union. + +On trouve à cet égard, au _Moniteur_ du 13 vendémiaire an XIII (4 +mars 1805), la note suivante: + + + Par un acte de ce jour, défense est faite à tous officiers de l'état + civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la transcription + de l'acte de célébration d'un prétendu mariage contracté en pays + étranger, en âge de minorité, sans le consentement de sa mère, et + sans publication préalable dans le lieu de son domicile. + + +En outre, quelques jours plus tard, l'empereur rendit, comme chef de +la famille impériale, le décret suivant: + + + Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui ces présentes + verront, salut; + + Aussitôt que nous avons été informé d'un prétendu mariage, contracté + dans les pays étrangers par notre frère Jérôme Bonaparte, encore + mineur, sans aucun consentement de nous, ni de madame notre mère, et + contre les dispositions des articles 63, 148, 166, 168, 170 et 171 + du code civil, nous avons cru devoir, pour le maintien des lois et + de la subordination qu'elles établissent dans les familles, faire, + par notre décret du 11 ventôse an 13, défenses à tous les officiers + de l'état civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la + transcription de l'acte de célébration dudit mariage prétendu. + + Ces précautions ne nous ayant point paru suffisantes pour garantir + de toute atteinte la dignité de notre couronne, et pour assurer la + conservation des droits, qu'à l'exemple de tous les autres princes, + nous exerçons sur tous ceux qui ont l'avantage de nous appartenir, + nous avons jugé qu'il importait au bien de l'État et à l'honneur de + notre famille impériale, de déclarer d'une manière irrévocable la + nullité dudit prétendu mariage, comme aussi de prévenir et de rendre + vaines toutes tentatives qui seraient faites pour y donner suite ou + effet. + + À ces causes nous avons ordonné et décrété, ordonnons et décrétons + ce qui suit: + + +Suit le décret en 5 articles qui rend nul le mariage de Jérôme et +déclare les enfants illégitimes, etc., etc. + +Neuf ans plus tard, en 1812, bien après le mariage de Jérôme, devenu +prince français et roi de Westphalie, avec la princesse Catherine de +Wurtemberg, l'assemblée générale de Maryland déclara l'union de ce +prince avec Mlle Paterson nulle et sans effet, et les deux +contractants divorcés, mais sans que cela puisse illégitimer +l'enfant issu de cette union. + +Ainsi, pour résumer cette singulière union: un enfant, ayant +dix-neuf ans à peine, devient épris d'une jeune personne. Sans égard +pour les observations qui lui sont faites, sans prendre souci des +lois de son pays, dont il est éloigné, sans prévenir même sa +famille, il épouse, _du consentement du père qui n'ignore ni les +conséquences ni les nullités de cet acte_, la fille d'un homme +honorable. Ce père a été bien et _dûment prévenu que le mariage est +nul aux yeux de la loi française_. + +La mère du jeune homme proteste, le chef de la famille, devenu chef +de l'État et qui a le devoir de faire exécuter les lois, déclare non +seulement le mariage nul, mais les enfants à naître _illégitimes_; +neuf ans plus tard, le divorce est prononcé dans le pays même où +l'union a été contractée, et cela par l'assemblée juge en pareille +matière, lorsque déjà le marié a épousé une autre femme. + +Tel est le résumé de cette bizarre affaire, que l'on peut considérer +comme ayant eu pour cause, d'un côté le coup de tête d'un jeune +coeur amoureux, d'un autre l'ambition d'une famille qui voit dans ce +mariage, qu'elle espère faire reconnaître un jour ou l'autre, un +motif de puissance à venir[88]. + + [Note 88: Toute la correspondance Pichon, toutes les pièces + et documents qui se trouvent au vol. I des _Mémoires Jérôme_ + font trop bien connaître cette affaire pour que nous croyions + devoir entrer dans de plus grands développements. Récemment + Mme Paterson a publié elle-même des mémoires et des lettres + qui ne sont point de nature à augmenter la sympathie que ses + malheurs pouvaient inspirer.] + +Jérôme Bonaparte et Mlle Paterson se trouvaient dans une position +assez équivoque. Le mariage n'étant pas valide devant la loi +française, les représentants de la France en Amérique ne pouvaient +l'admettre. Tous deux vécurent dans la famille de la jeune personne +jusqu'à l'époque où l'on apprit l'avènement de Napoléon au trône +impérial. Aussitôt Jérôme songea à retourner en France, d'autant +plus que dans l'intervalle il avait reçu, par le lieutenant +Meyronnet, les instructions du ministre de la marine. Il fut donc +résolu qu'il s'embarquerait sur la frégate _la Didon_. Pichon +espérait enfin le voir quitter l'Amérique, mais il n'en devait être +encore rien. _La Didon_ se trouva bloquée par des forces +supérieures, et Jérôme, ayant reçu des lettres de sa famille qui lui +faisaient sans doute connaître que son mariage ne serait pas +reconnu, ne voulait plus partir. + +Le projet de départ fut remis au mois d'octobre. Le capitaine de +vaisseau Brouard se trouvait prêt à mettre à la voile avec les +frégates qu'il commandait. Jérôme avait promis de partir; mais tous +les jours c'était de la part du jeune officier des objections, des +tergiversations. Si, d'une part, en prévision des grands événements +qui se préparaient en Europe, il tardait à Jérôme de courir auprès +de son frère pour jouer un rôle digne de lui et pour obtenir son +pardon, d'un autre, il était retenu en Amérique par la famille +Paterson à laquelle il avait promis de ne pas abandonner sa femme +avant d'avoir obtenu la reconnaissance de son mariage. + +À la fin de décembre cependant, Jérôme s'embarqua avec Mlle +Paterson, à l'insu de tout le monde, sur un bâtiment américain nommé +_le Philadelphie_; mais ce navire se perdit au bas de la rivière. Il +avait été frété par Jérôme Bonaparte lui-même, pour le ramener en +France avec sa jeune femme et la tante de cette dernière. Pichon, +informé de cette circonstance, se hâta de se rendre auprès d'eux, +dans l'État de Delaware. + +Bientôt après le jeune homme fit une autre tentative pour son retour +en France. Il monta à bord du _Président_, frégate française; mais +une frégate anglaise étant venue se placer en face du bâtiment, Mlle +Paterson eut peur et voulut descendre. Jérôme et elle revinrent +encore une fois à Baltimore. + +En 1804, le consul général français, rappelé en France à cause du +mariage Paterson, écrivit au ministre des relations extérieures (31 +mars) la longue lettre ci-dessous relative à cette affaire: + + + Citoyen Ministre, à la suite de la correspondance que j'ai eu + l'honneur de suivre avec vous relativement à M. Bonaparte, j'ai + celui de vous adresser ci-inclus l'extrait d'une dépêche que j'ai + écrite au ministre de la marine. Cette dépêche avait pour objet + d'informer ce ministre, dans le département duquel la chose + rentrait, de ce que j'avais fait vis-à-vis de M. Bonaparte en + conséquence des instructions que je vous ai communiquées dans la fin + de ma dépêche du 30 pluviôse. Je me proposais, comme je vous l'ai + marqué, de presser M. Jérôme de s'embarquer sur la _Poursuivante_ + quand elle serait prête. C'est, comme vous le voyez et comme vous + l'aurez appris longtemps avant par l'arrivée de la frégate, ce que + j'ai fait, mais sans succès. + + C'est postérieurement à mes instances à cet égard envers M. Jérôme, + citoyen Ministre, que votre lettre du 4 frimaire m'est parvenue. Je + ne l'ai reçue que le 4 de ce mois; M. Bonaparte avait reçu + antérieurement les dépêches du ministre de la marine. Si votre + lettre me fût parvenue plus tôt, citoyen Ministre, je me serais + abstenu de donner à M. Jérôme aucun conseil; quant à celui que j'ai + donné, qui n'a pas obtenu votre approbation, les événements + subséquents indépendamment des circonstances qui dans le temps m'y + déterminèrent, l'auront, je l'espère, complètement justifié à vos + yeux. + + Depuis quinze jours, citoyen Ministre, j'ai l'avis que le + gouvernement en nommant un ministre plénipotentiaire a cru devoir + aussi, en conséquence des lettres de M. Jérôme, me donner un + successeur comme consul général. L'attente où j'ai été journellement + de cette nouvelle mission m'a empêché de vous écrire ultérieurement + sur cet officier et sur l'embarras où je me trouve quant aux + demandes d'argent qu'il m'a adressées à mon dernier voyage à + Baltimore. J'espérais qu'une nouvelle légation m'ôterait de + l'alternative excessivement fâcheuse où je me suis trouvé + constamment par rapport à lui de faire trop ou trop peu. J'ai avancé + depuis le mois de décembre à M. Jérôme 13,000 dollars, dont 3,000 + pendant mon dernier séjour à Baltimore vers la fin de février. + Depuis il m'a fait presser de payer trois à quatre mille dollars de + dettes qu'il avait contractées et au payement desquelles je croyais + qu'il avait appliqué les fonds que je lui avais remis + antérieurement. La considération du service public qui devient de + jour en jour plus onéreux ici, l'impossibilité de se procurer des + fonds sur des traites, la crainte d'être trop facile en avances et + le désir de me décharger sur mes successeurs de ces demandes + embarrassantes, m'ont fait prier M. Bonaparte d'attendre quelque + temps. L'intervalle qui s'est écoulé depuis les avis que j'ai reçus + de France et les instances des créanciers de M. Jérôme me + détermineront à faire des avances ultérieures qui, j'ose le croire, + seront approuvées du premier consul. Je serai en outre obligé de + faire à M. Bonaparte des payements pour pourvoir à son existence + d'une manière convenable. + + J'ai appris que M. Jérôme se plaignait beaucoup de mes derniers + refus d'argent ou plutôt de mes réponses déclinatoires et qu'il les + attribuait à de la pique résultant de mon rappel. J'ose croire que + vous me connaissez trop, citoyen Ministre, pour penser que je sois + accessible à ces motifs. Les torts de M. Bonaparte envers moi n'ont + pas pris un caractère plus grave par l'effet qu'ils ont pu produire. + Du moment où je les ai connus, quelles qu'en pussent être les + suites, j'ai su quelle opinion m'en former; mais, comme vous l'avez + vu, ils n'ont eu aucune influence sur ma conduite envers lui; j'ai + fait aux convenances publiques le sacrifice des sentiments que j'ai + dû éprouver; j'ai même attendu pour m'en exprimer avec vous, citoyen + Ministre, comme je le dois à moi-même, que les résultats en fussent + connus, désirant laisser une libre action aux rapports de M. + Bonaparte. À présent que l'effet est produit, vous me permettrez, + citoyen Ministre, d'en appeler à vous sur ce que j'ai dû sentir + quand j'ai appris qu'un jeune homme de 19 ans que j'ai reçu à ma + table, qui m'a reçu à la sienne, avec qui j'ai passé deux jours + entiers, le dernier surtout, dans une sorte de familiarité, qui, ce + dernier jour, m'a demandé et a obtenu de moi de bons offices + personnels qui supposent une bienveillance réciproque, que ce jeune + homme qui m'a quitté en me serrant la main, ait pu, deux jours + après, fabriquer dans l'ombre des interprétations calomnieuses et + malignes à des conversations de table auxquelles vous devez croire + que l'âge de M. Bonaparte ne m'a pas permis de prendre un bien grand + intérêt. + + Si j'avais eu le temps de vous rendre, citoyen Ministre, toutes les + interpellations singulières et excentriques que M. Bonaparte m'a + faites à son arrivée et auxquelles j'ai dû répondre en lui faisant + voir l'inconvenance et l'impossibilité d'y satisfaire, vous auriez + eu la clef des délations de M. Bonaparte. + + L'excessive familiarité qu'il était probablement habitué à prendre + avec tout le monde dans les colonies m'aurait, je vous l'assure, + porté à ne me tenir près de lui que le temps nécessaire pour lui + rendre les services et les devoirs de ma place, si, par déférence + pour sa famille et pour sa position, je n'avais cru devoir, dans + l'isolement où il était, lui tenir littéralement compagnie; je dois + dire que, sous ce dernier rapport, M. Jérôme a changé en mieux + depuis son séjour aux États-Unis. Mais outre que je ne me sentais + nullement disposé à vous rendre compte des choses que l'âge excuse + et qui auraient eu l'air, de ma part, d'un rapport, comme je n'avais + aucun motif ni dans ma conscience, ni dans la conduite de M. + Bonaparte envers moi, qui pût me faire craindre des démarches comme + celles qu'il a faites, je n'ai pu songer à anticiper sur leurs + effets. Si j'eusse pu prévoir par quelque indice ces délations, + j'aurais dès lors, comme depuis j'en ai ouï parler, eu trop de + confiance dans votre justice, citoyen Ministre, et dans celle du + premier consul, pour croire que sur des représentations que l'âge de + l'officier et sa position devaient discréditer, mon sort, comme + homme public, pût être décidé sans me donner l'occasion de me + justifier d'accusations que j'ignore encore, surtout quand j'ai la + confiance que ma conduite comme agent du gouvernement n'a pu que me + mériter son approbation. + + Je dis que j'ignore encore sur quoi portent les délations de M. + Jérôme, car je ne puis croire que ce qu'il m'a envoyé trois mois + après, sur un reproche indirect que je lui en fis, soit une copie + exacte de ce qu'il a écrit et de ce dont il n'a probablement dans le + temps pas gardé de minute; ce qu'il m'a communiqué me prête des + choses qui n'ont pas de sens et entre autres il me faire dire qu'il + n'y a en France ni droit civil, ni droit militaire. + + Au surplus, citoyen Ministre, je vous demande pardon de vous avoir + entretenu si longtemps de choses qui me concernent. C'est pour me + dispenser de vous en parler à Paris et n'avoir qu'à vous prier, en + tout cas, de remercier le premier consul de la faveur qu'il m'avait + faite en me confiant cette place et à vous assurer de ma + reconnaissance pour la bienveillance que vous m'avez témoignée. + + +Pichon, appelé plus tard par Jérôme en Westphalie, devint un de ses +conseillers d'État. + +En février 1805, sans faire connaître son projet aux autorités +françaises, Jérôme prit passage sur l'_Ering_, en destination pour +Lisbonne, avec sa femme et son beau-père. + +Cette fois, il revit l'Europe après une traversée heureuse. Il vint +débarquer à Lisbonne le 8 avril, et, laissant dans cette ville sa +femme et M. Paterson, il partit à franc étrier pour Madrid, courant +nuit et jour pour rejoindre l'empereur, alors au couronnement à +Milan. + +Le _Moniteur_ du 9 mai 1805 annonçait le fait par la note suivante: + + + Lisbonne, 8 avril 1805. + + M. Jérôme Bonaparte est arrivé ici sur le bâtiment américain sur + lequel étaient comme passagers M. et Mlle Paterson. M. Jérôme + Bonaparte vient de prendre la poste pour Madrid et M. et Mlle + Paterson se sont rembarques. On les croit retournés en Amérique. + + +Le 24 avril il était à Turin, et il ne tarda pas à rejoindre son +frère auprès de qui il rentra bientôt en grâce, ainsi qu'on le +verra. Quant à Mlle Paterson, elle dut renoncer à toute idée de +reconnaissance et de validation de son mariage. En compensation, +elle reçut une pension viagère de 60,000 francs. L'empereur ne lui +permit pas de débarquer en France et donna à cet égard des +instructions secrètes[89]. + + [Note 89: _Mémoires du roi Jérôme_, 1er volume.] + +Sottin, blâmé, essaya de se justifier dans une lettre adressée à +Pichon. Quant à Jérôme, une fois en Europe, il fit tenir à +l'empereur une lettre de soumission et de regret qui lui valut le +pardon de son frère. Ce dernier l'appela près de lui à Milan, et +ordonna que tous les ports de France fussent fermés à la famille +Paterson. Il chargea ensuite son oncle le cardinal Fesch de se +rendre auprès du pape pour obtenir l'annulation du mariage religieux +contracté à Baltimore. + +Le 9 juin 1805, le cardinal écrivit à Napoléon: + + + Sire, j'ai présenté hier la tiare[90] à Sa Sainteté. Elle vous en + remerciera par sa lettre. Je suis arrivé à temps pour faciliter et + éclaircir les doutes de Sa Sainteté sur le mariage de Jérôme. Après + des recherches faites dans les bureaux de la Propagande, l'évêque de + Baltimore est simplement évêque de l'endroit sans avoir de pouvoirs + plus étendus, ainsi, le cas de nullité par suite de la présence du + propre pasteur a lieu, mais on objecte que le concile de Trente + n'ayant point été publié dans ces pays-là, on doit régler les + mariages comme en Hollande, où les mariages clandestins sont + valides, selon la déclaration de Benoit XIV. Cependant, j'ai trouvé + l'autorité du savant Estins appuyée par le concile de Cambrai qui + déclare que dans le cas que des étrangers se marient dans un pays où + le concile de Trente n'a pas été publié, il faut déclarer leur + mariage nul par défaut du propre curé; lorsque dans leur pays natal, + ou de résidence, cette obligation existe. Jérôme est né en Corse où + ce concile a été publié, il réside à Paris où cette obligation + existe, par une loi expresse, qui publie cette disposition + particulière du concile de Trente sur la présence du propre curé, + ainsi, nul doute que ce mariage ne soit déclaré nul selon les + autorités susdites. + + [Note 90: Tiare envoyée en cadeau au pape.] + + Le pape voudrait bien décider l'affaire en déclarant la nullité; + mais il est encore dans l'indécision et le doute. On a présenté les + questions sous un autre nom et en secret. Le pape voudrait mettre + tout le monde d'accord. V. M. doit être bien convaincue du zèle et + de l'activité que je mets dans cette affaire. J'espère de n'avoir + pas été inutile[91]. + + [Note 91: Cette lettre du cardinal Fesch, qui ne se trouve + nulle part, semble prouver que le pape ne voulut pas casser + le mariage religieux de Jérôme aux États-Unis. Cet acte fut + toujours refusé par le saint-père et cependant ce dernier, + non seulement reconnut le mariage de Jérôme avec la princesse + Catherine, mais il reçut, après 1815, les deux époux avec une + bienveillance toute particulière.] + + +Pour terminer ce qui dans l'histoire du dernier des frères de +Napoléon a trait à sa première femme, Mlle Elisa Paterson, nous +donnerons encore ici deux lettres envoyées par Napoléon, la première +datée d'Alexandrie, 2 mars 1805, et adressée à l'archichancelier +Cambacérès; la seconde du 9 décembre 1809, adressée au ministre des +affaires étrangères duc de Cadore. Voici la première: + + + Je ne conçois rien à vos jurisconsultes. Ou Mlle Paterson est mariée + ou non. Non, il ne faut aucun acte pour annuler son mariage, et si + Jérôme voulait contracter un nouveau mariage en France, les + officiers de l'état civil l'admettraient et il serait bon. + + +Voici la seconde: + + + Écrivez au général Thurreau[92] que je l'autorise à donner tous les + fonds dont Mlle Paterson pourrait avoir besoin pour sa subsistance, + me réservant de régler son sort incessamment; que du reste, je ne + porte aucun intérêt en cela que celui que m'inspire cette jeune + personne; mais que si elle se conduisait assez mal pour épouser un + Anglais, alors mon intérêt pour ce qui la concerne cesserait, et que + je considèrerais qu'elle a renoncé aux sentiments qu'elle a exprimés + dans sa lettre et qui seuls m'avaient intéressé à sa situation. + + [Note 92: Le général Thurreau était alors ministre de France + aux États-Unis d'Amérique.] + + +Jérôme ne revit plus qu'une seule fois Mlle Paterson. Ce fut pendant +son exil, longtemps après la chute du premier empire et la mort de +Napoléon Ier. Ils se rencontrèrent par hasard à Florence et ne +s'adressèrent pas la parole, mais le prince conserva toujours une +correspondance épistolaire avec son fils Jérôme Bonaparte-Paterson, +pour qui la reine Catherine montra une grande bienveillance, et +qu'il vit à Paris sous le second empire, en 1853, l'empereur +Napoléon III l'ayant fait venir en France, ainsi que son fils, qui +eut un grade dans l'armée. Mme Jérôme Bonaparte-Paterson a survécu +plusieurs années à son mari, car elle est morte seulement en 1879. + +Cependant Napoléon, loin d'avoir abandonné ses vastes projets +maritimes, donnait à cette époque plus de soins que jamais à cette +partie des forces vives de son vaste empire. Les flottes reformées +de la France commençaient, grâce à lui, à lutter avec avantage +contre celles de l'Angleterre. La plus belle armée et la mieux +disciplinée qui se fût encore vue campait sur les côtes de la +Manche, les yeux tournés vers la Tamise, et n'attendant que le +signal pour s'élancer de l'autre côté du détroit. L'empereur avait +fait de deux de ses frères, Joseph et Louis, des colonels; Lucien, +franchement républicain et rebelle à sa main puissante, s'était +détaché de lui; Jérôme devait continuer son métier de marin, métier +dans lequel il avait réellement donné déjà des espérances. Telle +était la volonté puissante d'un génie qui trouvait alors bien peu de +contradiction. Jérôme était tout disposé à reprendre la mer. Aussi +accepta-t-il avec joie de se rendre à Gênes pour y commander la +frégate _la Pomone_. + +Napoléon fit connaître au ministre de la marine Decrès son intention +à l'égard de son jeune frère par une longue instruction en date du +18 mai. + +Jérôme devait prendre non seulement le commandement de _la Pomone_, +mais aussi celui de deux bricks. Après s'être rendu avec sa division +à Toulon, il devait croiser dans les eaux de Gênes pour exercer ses +équipages et presser tous les matelots de la Corse et de l'île +d'Elbe. L'empereur recommandait au ministre de faire en sorte que la +division commandée par son frère ne s'éloignât pas trop de la côte +et que le second à bord de _la Pomone_ fût un bon marin. + +Dans cette instruction dictée et signée par Napoléon lui-même, on +peut à notre avis reconnaître chez l'empereur la crainte d'exposer +un frère bien jeune encore, le désir de lui faire acquérir de la +gloire en le mettant en vue, et aussi celui d'être utile à sa marine +de guerre en faisant comprendre à tous qu'un membre de la famille +impériale serait un jour à la tête des flottes. + +Une autre lettre, écrite également par l'empereur à son ministre de +la guerre Berthier, descend dans les détails les plus curieux sur la +conduite que le jeune commandant de _la Pomone_ doit tenir à son +bord. On y lit en tête: «Mon cousin, faites connaître à M. Jérôme +qu'il étudie bien les manoeuvres du canon, parce que je lui ferai +commander l'exercice, etc.» + +Jérôme recevait en même temps ses instructions et le brevet de +capitaine de frégate[93]. + + [Note 93: Le ministère de la marine fait dater la nomination + de capitaine de frégate du prince Jérôme de juin 1803; c'est + une erreur que redresse suffisamment la correspondance + officielle ainsi qu'on le verra.] + +Jérôme, une fois à la tête de sa division à Gênes, trouva sans doute +que le frère de l'empereur devait être plus qu'un simple capitaine +de frégate, et surtout que son rang ne lui permettait pas de n'avoir +point table ouverte, car il prit de son autorité privée les insignes +de capitaine de vaisseau, se crut le droit de nommer aux emplois de +son bord et se fit payer ses frais sur le pied des officiers de ce +grade. Une très singulière correspondance résulta de ce sans-gêne du +jeune officier. Le ministre de la marine, informé par Jérôme +lui-même, lui écrivit: + + + J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 12, par laquelle vous + m'informez que vous avez reçu de S. M. l'empereur l'ordre de garder + à bord de _la Pomone_ le capitaine Charrier. Vous avez pensé devoir + prendre les marques distinctives du grade de capitaine de vaisseau + et vous y ajoutez de très justes observations sur ce qui résulterait + d'inconvénient à les quitter, après avoir été reconnu dans ce grade + par la division sous vos ordres. + + Je ne puis, Monsieur, que soumettre à S. M. cette circonstance très + sérieuse sur laquelle elle seule peut prononcer. Mais je dois + improuver la facilité avec laquelle vous avez préjugé ses intentions + à cet égard. + + Je dois vous prévenir aussi que S. M. donne seule en Europe des + avancements même provisoires dans la marine, et qu'en conséquence + celui de M. Chassériau doit nécessairement être ajourné jusqu'à ce + que S. M. le lui ait conféré, car par décret du 30 vendémiaire an + VI, elle a défendu qu'aucun titre ou grade ne fût valable et ne + donnât lieu à appointements qu'autant qu'il a été donné et confirmé + par elle. + + Au reste, l'intérêt que vous inspire l'enseigne Chassériau me + persuade qu'il a des droits au grade supérieur. Je vais les + examiner, et je désire qu'ils soient tels que je puisse proposer à + S. M. de le lui conférer. + + +Le 6 fructidor an XIII (24 août 1805) on écrivit de Boulogne au +ministre de la marine: + + + L'inspecteur de marine à Gênes observe que M. Jérôme Bonaparte a + reçu son traitement de table comme capitaine de vaisseau, quoique + cet officier n'ait réellement que le grade de capitaine de frégate. + + Il demande à ce sujet les ordres de Monseigneur. + + Point de doute qu'il n'y ait lieu à improuver le paiement fait à M. + Jérôme; cependant avant de présenter un projet de lettre en + conséquence à Son Excellence, on la prie de donner ses ordres. + + +Le ministre de la marine écrivit au-dessous de cette note, de sa +main: _Traitement selon son grade._ + + + _Écrire_: Il est ridicule qu'on me fasse entrer dans ces détails. + Chacun sait qu'on ne doit toucher que le traitement de son grade, + or, j'ai fait connaître celui que S. M. a bien voulu accorder à M. + Bonaparte. Ainsi, que l'inspecteur fasse son devoir et refuse de + signer. + + +Le 27 brumaire an XIV (48 novembre 1805), le préfet maritime à Gênes +adresse l'état des sommes payées dans ce port au commandant Jérôme. + +Il résultait de cet état que le bureau des armements à Gênes lui +avait payé ses frais de table 24 fr. par jour comme capitaine de +vaisseau de 2e classe, parce que le bureau l'avait trouvé inscrit en +cette qualité sur le rôle lors de la prise de service, le 15 +messidor an XIII, et que le bureau des revues l'avait traité comme +capitaine de frégate, 20 fr., parce qu'il n'était porté qu'avec ce +titre sur son livret. + +Cela venait de ce qu'au passage de l'empereur à Gênes, le bruit +public avait couru que Jérôme était nommé capitaine de vaisseau, et +que le jeune homme en avait pris les insignes[94]. + + [Note 94: L'empereur trouva fort mauvais ce qu'avait fait son + frère et écrivit dans ce sens, au ministre de la marine + Decrès, une lettre assez violente qui se trouve au 1er vol. + des _Mémoires de Jérôme_, p. 360.] + +Peu de temps après avoir donné le commandement de la petite division +alors à Gênes, l'empereur lui annonça à lui-même, 3 juin, de Milan, +qu'il l'avait nommé au grade de capitaine de frégate. On voit dans +cette lettre et dans celles qu'il lui écrivit à cette époque quel +cas il faisait de son caractère. + +Bientôt Napoléon se rendit à Gênes et mit deux frégates de plus +(_l'Uranie_ et _l'Incorruptible_) sous le commandement de son jeune +frère. Le 5 juillet il lui envoya une instruction très précise sur +ce qu'il avait à faire avec son escadre légère. + +Jérôme devait compléter ses équipages, se rendre à Bastia, y prendre +tous bons matelots, recueillir des renseignements sur la situation +des Anglais aux îles de la Madeleine, côtoyer ensuite la Sardaigne +jusqu'aux trois quarts de la côte, s'emparer des bâtiments qui se +trouveraient dans le port de la Madeleine, se présenter devant +Alger, exiger qu'on lui remette les esclaves génois, italiens et +français détenus dans les prisons du dey, et revenir soit à Toulon, +soit à Gênes, en ayant soin de ne pas rester plus de six jours sur +les côtes d'Afrique. + +Ce fut à cette époque que Napoléon Ier revit son frère Lucien, dont +il désapprouvait le mariage, comme il avait désapprouvé celui de +Jérôme. Ce dernier ayant cru pouvoir lui écrire pour lui parler de +Lucien une lettre qui ne nous est pas parvenue, l'empereur lui +répondit durement le 9 juin 1805, de Milan: + + + Mon frère, j'ai reçu votre lettre. Je ne tarderai pas à me rendre à + Gênes. Tout ce que vous pouvez me dire ne peut influer en rien sur + ma résolution. Lucien préfère une femme... à l'honneur de son nom et + de sa famille. Je ne puis que gémir d'un si grand égarement d'un + homme que la nature a fait naître avec des talents, et qu'un égoïsme + sans exemple a arraché à de belles destinées et a entraîné loin de + la route du devoir...--Mlle Paterson a été à Londres, ce qui a été + un sujet de grand mouvement parmi les Anglais.--Elle ne s'en est + rendue que plus coupable. + + +Vers le milieu de juillet, la division navale de Gênes fut en état +de prendre la mer. Elle allait mettre à la voile, lorsque des +nouvelles de Livourne annoncèrent qu'Alger avait été envahi par les +tribus des montagnes ou Kabaïles. Jérôme crut devoir différer son +départ et demander de nouveaux ordres. Le ministre lui fit connaître +que l'empereur ne croyait pas à la vérité de ces nouvelles, mais que +les faits fussent-ils bien réels, il n'y voyait qu'un motif de plus +pour son frère de hâter son départ et de remplir sa mission. + +Jérôme se tint prêt à appareiller. Il avait pris à peu près de force +des matelots sur d'autres navires pour compléter ses équipages, et +bien que ses caronnades ne fussent pas encore toutes arrimées, il +résolut de faire terminer ce travail en mer et de mettre à la voile. +En effet, dans la nuit du 6 au 7 août il leva l'ancre et mit le cap +sur la Corse, mais il fut d'abord contrarié par un calme et de +petits vents jusqu'au 9, ensuite par une bourrasque de l'ouest qui +occasionna des avaries à la division et le força de venir relâcher à +Toulon pour avoir des pièces de rechange. + +Après un séjour de soixante-douze heures employées à se réparer, la +division commandée par Jérôme partit de nouveau. Elle se composait alors +des trois frégates _la Pomone_, _l'Uranie_ et _l'Incorruptible_, des +bricks _l'Endymion_ et _le Cyclope_, auquel le préfet maritime voulut +bien adjoindre le brick _l'Abeille_, bon marcheur destiné à servir +d'éclaireur. + +Le jeune capitaine de frégate remplit la mission que l'empereur +venait de lui confier avec la plus grande énergie et le plus grand +succès; aussi Napoléon et Decrès lui témoignèrent-ils combien ils +étaient satisfaits de sa conduite dans cette circonstance. + +Le 11 septembre 1805, Decrès écrivit à Jérôme, de Paris: + + + Monsieur le commandant, la plus brillante réussite vient de + couronner la mission que S. M. l'empereur vous avait confiée; vous + portant rapidement de Toulon sur Alger, l'arrivée inattendue de + votre division ainsi que la fermeté de vos demandes ont affermi la + considération de la Régence pour le pavillon de S. M. Vous avez + brisé les fers d'un grand nombre de Liguriens qui depuis longtemps + souffraient les horreurs de la captivité et votre retour à Gênes a + été marqué par les bénédictions des nouveaux Français. + + Personne ne pouvait, et à plus de titres que moi, prendre plus de + part à des succès aussi flatteurs pour vous et je m'empresse de + joindre mes sincères félicitations à celles qui vous ont déjà été + offertes. + + +De la main du ministre: + + + Toute l'Europe a les yeux sur vous et particulièrement la France et + la marine de S. M. Vous devez à celle-ci de lui donner l'exemple de + l'activité et du dévouement à votre métier. Vous le concevez comme + moi-même et ce sera pour moi un devoir agréable à remplir que de + faire remarquer à l'empereur le développement de ces qualités dans + toutes les opérations dont vous chargera sa confiance. + + +L'empereur ne laissa pas à son frère le temps de prendre un peu de +repos. Après sa campagne à Alger, il lui donna le commandement du +vaisseau de 74 _le Vétéran_, le meilleur de l'escadre du +contre-amiral Willaumez, escadre chargée de se rendre en Amérique et +de faire le plus de mal possible à la marine et aux colonies +anglaises. + +Willaumez, avant de partir, reçut du ministre des instructions très +précises pour tenir sa mission secrète vis-à-vis tout le monde[95], +et pour traiter Jérôme Bonaparte en simple capitaine de vaisseau; +mais à peine en mer, il crut devoir s'écarter de ses instructions. +Soit pour flatter le jeune frère de l'empereur et se le rendre +favorable, soit parce qu'il avait reconnu en lui l'étoffe d'un marin +de grand mérite, il le nomma son second, bien qu'il fût le moins +ancien des commandants de vaisseau de la flotte, il lui fit +connaître le but de l'expédition et écrivit à Decrès que Jérôme +avait été désigné par les autres officiers pour le poste qu'il lui +confiait, comme étant reconnu le plus capable. + + [Note 95: Voici le _post-scriptum_ de la dépêche en date du 2 + octobre 1805 de Decrès à Willaumez (de la main du ministre): + «Je vous informe que votre mission n'est connue de personne + que de l'empereur, de moi, du secrétaire intime qui a + transcrit les instructions de S. M. et de vous. Il vous est + prescrit de garder le plus grand secret à cet égard, S. M. + vous défendant toute communication à ce sujet avec quelque + personne et sous quelque prétexte que ce puisse être.»] + +Cette violation du secret de l'expédition fit comprendre à Jérôme +que la flotte devait tenir la mer beaucoup plus longtemps que le +ministre ne le lui avait dit et l'indisposa d'une façon violente. Le +jeune homme, ami des plaisirs, n'était pas d'humeur à s'éterniser à +son bord. + +Il témoigna son mécontentement, et Willaumez en vint bientôt à +craindre que Jérôme, assez peu patient de sa nature, n'écrivît à +Decrès une lettre violente. Aussi crut-il devoir essayer d'arrêter +le jeune homme dans cette voie, en lui adressant, en date du 14 +décembre 1805, une longue dépêche que l'on trouvera plus loin. + +Donnons d'abord deux lettres relatives à l'expédition, l'une du +ministre au préfet maritime, en date du 12 novembre, l'autre de +Willaumez au ministre en date du 6 décembre 1805. + + + Je réponds, Monsieur, à vos dépêches des 11, 13 et 15 courant, + relativement aux escadres expéditionnaires. + + Le motif de la substitution de _l'Éole_ au _Jupiter_ n'a eu d'autre + objet que de mettre un vaisseau plus solide dans la division + Willaumez à la place d'un autre qui l'était moins. Ainsi, si par les + réparations faites au _Jupiter_, ce vaisseau est aussi solide que + _l'Éole_, il n'y aura pas lieu à cette substitution. + + Je ne vois aucun inconvénient à mettre _l'Indienne_ à la place de + _la Comète_, si celle-ci n'est pas prête. + + Le motif qui m'avait empêché de comprendre _l'Indienne_ au nombre + des frégates en partance était fondé sur le peu d'opinion que + j'avais de ses qualités; ainsi je vous laisse libre d'employer cette + frégate au lieu de _la Comète_, si vous la croyez plus propre à une + longue campagne. Je vous prie de concerter cela avec le général + Lassègnez. + + Par votre lettre du 13, vous m'annoncez qu'on procède à la formation + des équipages, cette opération doit être achevée aujourd'hui. + + Il faut que les bâtiments qui partent soient bien armés, et je ne + puis m'abstenir de vous recommander particulièrement _le Vétéran_. + + L'un des deux contre-amiraux a élevé la question si M. Jérôme + Bonaparte commanderait en second ou s'il prendrait rang dans le + commandement d'après l'ancienneté de son grade? + + M. Jérôme est capitaine de vaisseau en date du 1er vendémiaire de + cette année, an XIV. + + L'empereur n'ayant donné aucun ordre qui lui fût particulier + relativement au commandement, la règle ordinaire du service doit + naturellement être suivie. + + Si dans la division de Gênes que M. Jérôme a commandée, il a eu sous + ses ordres des officiers plus anciens en grade que lui, cela a été + une suite d'un ordre particulier de Sa Majesté, qui n'a point eu + lieu dans le cas présent. + + Je remarque dans votre lettre du 15 qu'il est quelques vaisseaux + auxquels vous ne complétiez d'abord que 100 jours d'eau. Je ne puis + qu'approuver la successive progression de ce complément, mais il + importe que toute l'escadre ait définitivement 4 mois d'eau au + moment du départ. + + J'ai lieu d'espérer que le 30, les deux divisions seront enfin + prêtes à mettre à la voile, ne négligez rien pour devancer ce terme, + s'il est possible, et continuez à m'informer par chaque courrier du + progrès des travaux. + + Dès que les escadres seront prêtes, vous m'en avertirez par le + télégraphe; ni l'une, ni l'autre ne devront appareiller avant + d'avoir reçu, soit par le télégraphe, soit par courrier, l'ordre de + mettre sous voiles, en réponse à votre lettre télégraphique. + + +L'amiral Willaumez au ministre de la marine (6 décembre 1805): + + + Monseigneur, le vent est faible et variable depuis plusieurs jours, + du nord-ouest à l'ouest. Aujourd'hui, il est au sud-ouest, le ciel + est brumeux et quoique le baromètre soit haut, l'opinion générale + est que nous aurons un coup de vent du sud-ouest. Ce sera après ce + temps, lorsqu'il viendra à souffler de la partie du nord, que je + pourrai appareiller et faire bonne route. Je désire très ardemment + que ce moment arrive bientôt. Je dois dire à Votre Excellence que + c'est aussi le voeu de toute l'escadre, particulièrement de M. le + commandant Jérôme. Il se tient à son bord, y surveille les exercices + avec la plus grande exactitude et ne cesse de donner l'exemple du + zèle, de l'activité, du talent. Il me disait hier: «Une demi-heure + après votre signal d'appareiller, je suis sous voiles.» Je verrai + avec grand plaisir qu'avant mon départ, S. M. veuille mettre M. + Jérôme à la tête des capitaines de vaisseau. Je suis persuadé, + Monseigneur, que vous reconnaîtrez dans cette demande que j'ai suivi + avec une attention particulière et sans préjugés, la conduite de + votre ami dans le service, et que c'est cette conduite qui seule a + fixé mon jugement. + + +Voici maintenant la lettre de Willaumez à Jérôme: + + + Cette lettre particulière que j'ai l'honneur de vous écrire est + dictée par les circonstances et mon attachement pour votre personne. + Souffrez que je vous parle d'amitié. + + Je vous engage à ne pas écrire au ministre avec humeur, vous pouvez + bien lui faire sentir que vous jugez devoir être plus longtemps + dehors qu'il ne vous l'avait fait espérer, mais conservez-le comme + un ami chaud qui a de l'esprit et qui ne laisse pas échapper les + occasions de vous servir auprès de S. M. Vous sentez, d'un autre + côté, que vous me mettriez mal avec S. E. si elle apprenait tout ce + que vous savez de confidentiel sur mes instructions. + + N'oubliez jamais, je vous en supplie, que tous les regards des + marins sont tournés vers vous, particulièrement dans l'escadre; de + votre exemple peuvent suivre ses succès ou sa perte. + + Je ne considère pas ici mon intérêt particulier auprès de l'honneur + de notre marine et de la gloire des armes de notre magnanime + souverain; il est nul, mais je ne puis vous dissimuler que si on + venait à s'apercevoir de votre mécontentement, il en pourrait + résulter une influence fâcheuse sur mes opérations et comme vous, un + des premiers affligé si nous ne réussissions pas dans toutes nos + entreprises, je ne doute nullement que vous ne contribuiez autant + par votre conduite que par vos moyens à animer chacun + d'encouragement, de détermination et de résolution à bien faire + jusqu'au dernier jour. + + L'escadre est bien composée, l'esprit des hommes de toutes classes + est fort bon; nous pouvons faire de grandes choses. Nous parcourons + des climats doux et une navigation facile nous conduit + infailliblement à faire beaucoup de mal aux implacables ennemis de + la France. + + L'expérience que vous acquérez chaque jour vous sera très utile pour + le service de votre pays et la prospérité de la marine à la tête de + laquelle vous êtes destiné à vous trouver. + + Écoutez les conseils d'un homme qui aime sa patrie, qui est tout + dévoué au service de notre empereur et qui vous affectionne de + coeur depuis plusieurs années. + + Faites-moi l'amitié de croire que je n'ai dans cette conduite que + l'amour de la gloire que me tracent les instructions de S. M. et + votre intérêt personnel. Un sacrifice de quelques mois vous vaudra + nombre d'années de bonheur et vous fera obtenir de votre auguste + frère toutes sortes de satisfactions. + + +Jérôme répondit à Willaumez: + + + Monsieur le général, je reçois votre lettre, je ne puis vous savoir + mauvais gré de ce que vous m'y dites. Cependant, je croyais vous + avoir plus que persuadé que rien ne me détournerait de mon devoir et + que j'ai un intérêt trop direct à la réussite de nos opérations pour + afficher un mécontentement que je n'ai point. La tenue de mon + vaisseau et de mon équipage, la manière dont l'un et l'autre + manoeuvrent ont dû vous prouver que si tous les vaisseaux et + équipages de l'escadre imitaient mon exemple, les uns et les autres + y gagneraient. + + Monsieur le général, quant aux peines morales, vous savez qu'elles + ne se guérissent pas facilement. Je vous remercie du sentiment qui a + dicté votre lettre, et la seule chose qui puisse m'y déplaire c'est + que vous m'ayez pu croire un enfant susceptible de faire partager + aux autres les contrariétés que je puis éprouver. + + +Nous ne raconterons pas la campagne de Willaumez qui ne fut pas +heureuse. Nous dirons toutefois que cet amiral, après avoir commis +la faute de faire connaître à Jérôme des choses qu'il devait tenir +secrètes, après avoir désigné pour son second ce jeune homme, après +l'avoir consulté sur ses opérations, eut le tort de ne pas suivre +les avis du capitaine du _Vétéran_, qui montra alors une grande +sagacité. + +_Le Vétéran_, s'étant trouvé séparé de l'escadre, revint seul en +France, échappa aux vaisseaux anglais, se mit à l'abri dans la baie +de la Forêt, sur les côtes de Bretagne, près Concarneau. + +Decrès, mécontent du retour de Jérôme et n'étant pas éloigné +d'admettre que le jeune capitaine s'était égaré volontairement, +semblait disposé au blâme; mais tel ne fut pas l'avis de l'empereur +qui, ayant des vues sur son jeune frère, le reçut à merveille, puis +lui donna le titre de prince, le grand cordon de la Légion d'honneur +et le nomma contre-amiral. + +Bientôt il ordonna son passage de l'armée de mer dans l'armée de +terre, le fit général de division et lui confia un corps de Bavarois +et de Wurtembergeois, à la tête duquel le jeune prince fit, pendant +la guerre de Prusse, en 1806 et 1807, la conquête des places fortes +de la Silésie. Il fut très utile à la grande armée opérant contre +les forces de la Prusse et de la Russie, car cette armée lui dut en +plusieurs circonstances son ravitaillement, et par contre la +possibilité des succès qui amenèrent la paix de Tilsitt et la +création du royaume de Westphalie. + +La campagne de Silésie comme celle de Willaumez sont deux pages +d'histoire qui ont trouvé une large place dans les deux premiers +volumes des _Mémoires du roi Jérôme_ et dans les deux volumes +intitulés: _Opérations du 9e corps de la grande armée en 1806 et +1807._ + +Nous résumons seulement en quelques mots la campagne de Willaumez. +Les instructions de Napoléon à l'amiral intiment: de tenir la mer +quatorze mois avec ses six vaisseaux et ses deux frégates, de se +rendre de Brest dans l'Océan Atlantique méridional, de faire relâche +au Cap un mois pour s'y refaire; de répandre le bruit qu'il se +rendait à l'Île-de-France, et, au lieu de prendre à l'est, de +revenir vers l'ouest, à vingt lieues de Sainte-Hélène, d'y établir +une croisière pour enlever les convois anglais venant des Indes; de +se porter ensuite vers les Antilles, de saccager aux Barbades les +établissements anglais; de remonter sur Terre-Neuve pour en détruire +les pêcheries, et de revenir dans un port de France sur l'Océan, +après avoir attaqué partout l'ennemi trouvé inférieur en forces. + +Willaumez remplit mal les intentions de l'empereur. Il commença par +envoyer une de ses frégates prendre à Sainte-Croix de Ténériffe +quelques prisonniers faits dans les premiers jours de la navigation. +Au moment où la frégate arriva à Sainte-Croix, cette colonie étant +tombée aux mains des Anglais, elle se rendit au Cap, où elle fut +capturée. Le contre-amiral, à cette nouvelle, renonçant à la relâche +au Cap, se porta autour de Sainte-Hélène, manqua le passage des +convois des Indes et se rendit à San-Salvador pour y faire de l'eau. +Il resta vingt jours dans la baie de Tous-les-Saints, et le 23 avril +mit le cap sur Cayenne, puis sur la Martinique, ayant renoncé à son +excursion sur les Barbades. Le 15 août, une forte tempête dispersa +ses bâtiments. Déjà le 29 juillet Jérôme avait perdu l'escadre. Ses +vaisseaux eurent différents sorts, lui-même revint à grand'peine à +Brest au commencement de 1807 sur _le Foudroyant_. + +Le vaisseau _le Vétéran_ avait pour second le capitaine de frégate +Halgan, ancien commandant du brick _l'Épervier_, devenu amiral, +homme de mer consommé et ami de Jérôme. Il fut chargé par le +ministre de faire alléger le bâtiment et de le faire entrer dans le +port de Concarneau. + +Ce brave officier avait à son bord le fils de M. de Salha, autre +marin dont le père joua un rôle en Westphalie. M. de Salha père, +aide-de-camp du prince Jérôme pendant la campagne de Silésie, en +relation avec son ancien camarade Halgan, lui écrivit le 27 mai +1807, du quartier général de Jérôme, alors à Schweidnitz, une lettre +qui nous a paru avoir une certaine importance. La voici: + + + Si mon fils avait été aussi prompt à suivre sa route qu'à quitter + Brest, il serait ici depuis longtemps. Je l'ai attendu avec la + dernière impatience depuis le 1er de ce mois, il arriva à Breslau le + 16 à 6 heures du soir, deux heures après mon passage, ayant été + expédié du camp de Frankeinstein pour aller porter à l'empereur la + nouvelle d'un assez joli succès de notre petit corps d'armée... + L'empereur est au château de Finkenstein, à une vingtaine de lieues + de Dantzick, j'ai dû attendre pendant plusieurs jours la réponse à + mes dépêches, j'arrivai hier et le prince au moment où il recevait + la petite relation de mon voyage fit entrer Prosper qui fut bientôt + dans mes bras. Arrivé depuis huit à dix jours, il a fait déjà deux + fois le service d'officier d'ordonnance et a été comblé de caresses + par le prince et tout ce qui l'entoure. Ce début enchante mon jeune + homme; un habit de hussard, des chevaux, c'est de quoi tourner une + tête de 18 ans, mais, à ma grande satisfaction, cela ne le distrait + pas du sentiment de la reconnaissance. Il prononce la sienne pour + vous avec une fréquence et une vivacité qui me persuadent de son bon + coeur, qualité qui n'est pas aujourd'hui bien commune. Vous lui avez + fait, mon cher capitaine, quelques avances dont il croit le montant + de 540 francs. Son exactitude pourrait être en défaut à cet égard et + je vous prie de la redresser en réclamant le remboursement qui vous + est dû de Mlle Christine Dapot, demeurant à Bayonne, laquelle sera + prévenue par ce courrier de vous faire toucher à Paris ou partout + ailleurs le montant de vos débours pour Prosper. + + Il m'eût été plus agréable, mon cher camarade, de m'acquitter ici. + Ma lettre précédente vous a prouvé que je l'espérai. L'empereur a + répondu en propres termes et de sa main qu'un capitaine comme vous + était trop intéressant à conserver dans le commandement d'un + bâtiment pour qu'on vous donnât actuellement l'ordre de prendre + votre poste auprès de notre jeune prince. Cet honorable témoignage + doit vous consoler un peu, votre place ici est assurée et le genre + de service que vous suivez aux yeux de S. M. et du prince + consolident vos droits qui n'ont pas besoin de l'être dans le coeur + du prince. Ne vous affectez donc pas, mon cher camarade, la + contrariété est pour vos camarades qui se félicitent de compléter + leur réunion en vous recevant. + + J'ai rapporté ici la nouvelle de la reddition très prochaine et sans + doute déjà effectuée de Dantzick dont la défense a été très + honorable pour le septuagénaire Kalkreuth. Sa place manquant de + poudre, la corvette le _Dauntlen_ a essayé, à travers mille coups de + canon, d'en introduire 200 milliers. Le vent secondait + merveilleusement son audace, cette corvette est arrivée toutes + voiles dehors assez près des murs de la place, mais, ayant touché, + elle a dû se rendre; les rouges de Paris montèrent à l'assaut pour + déshabiller l'équipage. Cet événement était la conversation du + château. La possession de Dantzick amènera de nouveaux événements. + L'empereur n'est pas sans projets vastes sur la Baltique. Les Danois + nous aideront de tout leur pouvoir, les Prussiens branlent au manche + par la mésintelligence bien marquée entre les Russes et eux. S. M. + veut des officiers de marine sur les bords de la Baltique, etc. + + Prosper parle avec admiration de la tenue de votre frégate, agréez + les témoignages bien vrais de sa reconnaissance et de la mienne. + Présentez mes hommages à tout ce qui appartient à la famille du + respectable général Cafarelli. + + _P. S._--Meyronnet, après un mois de séjour auprès du roi de + Hollande, vient d'arriver; je lui ai transmis votre souvenir. + + +Le traité de Tilsitt, signé le 7 juillet 1807, reconnut dans +l'Europe centrale un nouveau royaume, celui de la Westphalie, et +pour souverain de cet État le plus jeune des frères de Napoléon, +Jérôme, alors âgé de vingt-trois ans. + +La Westphalie fut formée: 1º de toute la Hesse électorale; 2º de +contrées enlevées à la Prusse par la conquête, savoir: l'Eichsfeld, +le Hohnstein, le Hartz, Halberstadt, Quedlinbourg, la Vieille +Marche, le cercle de la Saale, Hildesheim, Paderborn, Minden et +Ravensberg; 3º de contrées démembrées de l'Électorat: la Haute et +Basse-Hesse, savoir: Hersfeld, Fritzlar, Ziegenhain, Pleisse, +Schmalkalden. + +Ces différentes provinces furent unies entre elles par: le duché de +Brunswick au nord, par le comté de Schaumbourg à l'ouest, celui de +Wernigerode à l'ouest, le comté d'Osnabruck au nord-ouest, pays qui +firent partie intégrante du nouveau royaume. On divisa le territoire +en huit départements: 1º de l'Elbe au nord-est, chef-lieu +Magdebourg; 2º de la Fulde au sud, chef-lieu Cassel, capitale du +royaume; 3º du Hartz à l'est, chef-lieu Heiligenstadt; 4º de la +Leine au centre, chef-lieu Gottingen; 5º de l'Ocker au nord, +chef-lieu Brunswick; 6º de la Saale au sud-est, chef-lieu +Halberstadt; 7º de la Werra au sud-ouest, chef-lieu Marbourg; 8º du +Weser au nord-ouest, chef-lieu Osnabruck. + +Pour la Westphalie comme pour Naples, l'Espagne, la Hollande, +l'empereur consentait bien à affubler ses frères du manteau royal, à +poser sur leur tête la couronne et à leur laisser le titre de roi, +mais il n'en voulait faire réellement que les premiers préfets de +son vaste empire. Les contributions, les impôts, d'après ses idées, +devaient venir grossir les revenus de la France, les pays conquis et +cédés devaient entretenir une partie de ses armées. Peu lui +importait que les États de ses frères fussent accablés, pressurés, +ruinés et incapables de subsister, il n'entendait donner qu'un +citron dont il avait exprimé le jus. + +Ce fut surtout pour le royaume de Westphalie qu'il déploya toutes +les rigueurs de son système de fer; aussi le jeune Jérôme, pendant +les sept années de son règne, ne fut-il, par le fait, qu'un roi _in +partibus_ toujours dans la main puissante de son frère et n'osant se +permettre, sans l'autorisation de l'empereur, la révocation d'un +agent, le choix d'un ministre. + +La correspondance des Français envoyés par le gouvernement impérial +en Westphalie, correspondance que nous allons publier en grande +partie, fera comprendre mieux que toute autre chose la pression +exercée par Napoléon Ier sur le nouveau royaume et sur son jeune +souverain. + +L'empereur commença par dicter un projet de constitution par lequel +il se réservait la moitié des domaines allodiaux des princes +dépossédés, fixait le contingent du royaume à 25,000 hommes de +toutes armes, dont moitié fournis par la France, mais _soldés_ et +_entretenus_ par la Westphalie; le conseil d'État, les États du +royaume étaient constitués. Le projet, en outre, imposait le Code +Napoléon, la conscription comme loi fondamentale et défendait +l'enrôlement à prix d'argent. + +Cette constitution, signée de lui le 15 novembre 1807, il l'envoya +au roi son frère, avec ordre de la promulguer telle quelle et de la +faire exécuter, lui laissant pour toute faculté celle de la +compléter par des règlements discutés en son conseil d'État. + +Le conseil d'État fut divisé en trois sections: justice et +intérieur, finances, guerre; les États furent composés de cent +membres; la Chambre des comptes de vingt membres laissés à la +nomination du roi; le ministère de six ministres à portefeuille: +secrétairerie d'État et des relations extérieures, justice et +intérieur, finances, commerce et trésor, guerre, haute police. + +En attendant l'arrivée à Cassel du nouveau roi, une régence +administra au nom de l'empereur, percevant les impôts, faisant +rentrer les contributions de guerre et payant les dépenses des +troupes françaises qui occupaient le territoire. Les membres de +cette régence étaient: le comte Siméon, le comte Beugnot et M. +Jollivet, conseillers d'État, le général de la Grange, gouverneur de +la Hesse. Elle eut ordre de fonctionner jusqu'au 1er décembre; mais, +comme l'empereur n'avait pas révoqué les administrateurs français, +les malheureuses provinces continuèrent à être pressurées au milieu +d'un conflit incessant. Tantôt les ordres de la régence étaient +méconnus par les agents de l'autorité impériale, tantôt ces derniers +étaient forcés de céder le pas au gouvernement provisoire. + +Dès qu'il eut connaissance des intentions de Napoléon à son égard et +du traité de Tilsitt, Jérôme, impatient d'avoir des notions exactes +sur le royaume dont la couronne lui était donnée, fit partir deux de +ses aides de camp, les colonels Morio et Rewbell, avec mission de se +rendre en Allemagne et de lui faire des rapports sur les provinces +composant ses États. + +Nous allons mettre sous les yeux du lecteur deux lettres de Morio et +une de Rewbell, adressées à Jérôme avant l'arrivée de ce dernier en +Westphalie: + + + MORIO À JÉRÔME. + + Minden, 2 août 1807. + + Votre Majesté sait que Hildesheim est une belle et riche province. + Le comté de Schauenburg est encore plus beau. Ce pays est, ainsi que + Lippe, Buckeburg, cultivé comme un jardin. Il a des mines de + houille, peu productives à la vérité, mais qui peuvent peut-être + gagner avec une administration plus éclairée. Les jolis bains de + Nenndorf qui ne sont qu'à trois milles d'Hanovre dépendent de + Schauenburg. + + J'ai oublié de dire à Votre Majesté que les habitants de Hildesheim + voulaient prêter de suite, en mes mains, le serment de fidélité à + Votre Majesté. J'ai répondu que le serment se prêterait avec la + prise de possession qui aurait lieu le 1er septembre. + + Toutes les provinces attendent avec impatience ce moment de prise de + possession. Effectivement, il arrêtera les réquisitions, la sortie + d'argent; et ce jour-là seulement votre peuple se croira un corps + de nation. Partout l'intendant général ou l'administrateur général + de la grande armée ont ordonné de vendre tout ce qui était en + magasin, et de presser la rentrée des fonds, comme si ces pays + devaient être rendus à un ennemi. + + Votre royaume, Sire, ne cesse pas d'être français, en passant dans + les mains de Votre Majesté. Aussi les ressources de l'État sont à + ménager par la France comme par nous. La remise au 15 août, de + toutes les sommes dues, ferait un bien grand effet en faveur de + Votre Majesté. Au reste plus de la moitié des provinces a payé la + totalité de l'imposition de guerre. + + Schauenburg sera réuni à Minden pour former un département. Tous + s'accordent à me dire que Harvensberg doit aussi entrer dans le même + arrondissement. + + Je vais ce matin visiter l'abbaye de Corvey[96] pour remplir + l'instruction de Votre Majesté relativement à la dotation de son + ordre de chevalerie. + + [Note 96: Ancienne abbaye de Bénédictins d'Allemagne, à 15 + lieues de Minden, sur la rive gauche du Weser.] + + Minden était tout prussien il y a huit jours. La nouvelle certaine + de la paix et du traité qui la cède à Votre Majesté, l'a changée + totalement. Elle attend avec joie votre arrivée; elle se promet de + grands avantages: 1º du rapprochement de la capitale; 2º de la + réunion au royaume, de Brunswick, de Hildesheim, de Schauenburg; 3º + du commerce avec la France; 4º des routes qu'elle croit voir + établies par la ville pour les communications du Rhin avec l'Elbe. + + Minden est beaucoup mieux placée que Hammeln pour être place de + guerre. Ainsi, dès que l'empereur fait raser la place hanovrienne, + il sera plus simple et plus militaire de fortifier un jour Minden, + si l'on veut un point fort sur le Weser. Nienburg hanovrien est + totalement rasé depuis quelque temps. + + Les provinces de Minden et de Harsewinkel envoient aussi des députés + à Paris. + + On est très content ici de l'intendant M. Sicard, sous-inspecteur + aux revues. Il m'accompagne à Corwey et à Paderborn qui sont de son + ressort. + + Je serai peut-être ce soir à Paderborn; dans tous les cas je serai + le 4 au soir de retour à Cassel et partirai le 5 ou le 6 pour Paris, + où j'arriverai le 12. + + La population de vos sujets ne s'élevant qu'à 1,900,000 et celle des + vassaux à 300,000 âmes au plus, il serait possible que l'empereur + augmentât votre pays. Alors, Sire, tous les hommes éclairés + désirent d'abord quelques arrondissements dans le Hanovre, ensuite + le cours de l'Ems. + + Osnabruck n'a que 36,000 âmes; et cependant je devrais en faire un + département. Le Teklenburg est aux portes de la ville même + d'Osnabruck. Si Votre Majesté pouvait obtenir cette petite province, + elle arrondirait ce département coupé par Teklenburg. En général, on + voudrait avoir le cours de l'Ems depuis sa naissance dans la + principauté de Ravensberg jusqu'à son entrée dans la principauté + d'Arenberg. Cela vous donnerait une petite portion de la province de + Münster avec Teklenburg et Lingen. Je parlerai plus au long de cela + dans mon mémoire. + + Dans ma première lettre de Cassel, j'ai parlé de l'importance de + Schmalkaden, situé près Eisenach, à cause de la fabrique de fusils. + Votre Majesté trouvera au Harz les bâtiments d'une ancienne fabrique + qui a été détruite par les Français, sous le maréchal prince + Bernadotte, et dont les ouvriers ont été envoyés en France. Votre + Majesté pourra la rétablir. + + J'ai oublié de dire à Votre Majesté qu'elle avait à Brunswick un + théâtre français soutenu des fonds du feu duc. + + Les forêts de Minden sont mal entretenues. Le grand maître des + forêts n'est pas bon. Au reste, dans la plupart des provinces + prussiennes, les bois n'ont pas une police très sévère. Les agents + sont pourtant instruits. Il manquait la volonté du gouvernement. + + + MORIO À JÉRÔME. + + Paderborn, 3 août 1807. + + Corvey me paraît très propre à la dotation et au dépôt de votre + ordre de chevalerie. Les bâtiments sont beaux et spacieux, situés + sur le Weser, au centre du royaume. J'aurai l'honneur d'en parler à + Votre Majesté, en détail, à mon arrivée à Paris. + + Corvey et Paderborn manquent de route. Le premier pays a plus de + 5000 âmes par mille. + + Dans ces deux provinces, j'ai été reçu en _triomphateur_, au son des + cloches et par les magistrats à la tête de tout le peuple des lieux + que je traversais. À Paderborn surtout, on m'a rendu des honneurs et + fait des fêtes extraordinaires. Le directeur des postes est venu à + la tête d'une douzaine de postillons jouant du cor, m'attendre à une + lieue. J'ai trouvé une garde d'honneur à cheval à trois quarts de + lieue de la ville, et toute la garde nationale à pied en dehors de + la ville, avec un peuple immense, criant: Vive l'empereur! Vive le + roi Jérôme! On avait placé des signaux sur la route par laquelle + j'arrivais et envoyé des estafettes au-devant de moi. + + J'ai été conduit en triomphe au milieu de toute la ville jusqu'au + palais du comte de Wesghall, chez qui j'étais logé. Le peuple s'est + jeté sur ma voiture et l'a dételée. Tout ce que j'ai pu faire alors, + a été de mettre pied à terre pour éviter des honneurs que j'ai cru + n'appartenir qu'à la personne même de Votre Majesté et non point à + son agent. Le peuple n'en a pas moins conduit ma voiture jusqu'au + palais qui m'était destiné. Un arc de triomphe avait été dressé en + verdure; on y lisait en latin et en allemand: _Vive Jérôme Napoléon, + roi de Westphalie._ + + Toutes les autorités de la province, toutes les corporations sont + venues complimenter en moi l'empereur Napoléon, et leur nouveau roi. + J'ai conservé une foule d'adresses en français que je porterai à + Votre Majesté. Toutes respirent l'enthousiasme pour le grand + empereur et pour son digne et auguste frère; mais toutes ces + adresses sont froides à côté de l'ivresse populaire. Jusqu'aux + enfants de quatre ans qui étaient _en corps_ avec des drapeaux, des + branches d'arbres. On a jeté des fleurs sur mon passage dans vingt + endroits. Sur mon palier étaient placées des jeunes filles vêtues de + blanc, qui ont couvert les marches de fleurs, au moment de mon + passage. + + Le prince évêque m'a ensuite donné un très beau dîner auquel ont + assisté les premières personnes de la province. Tout le peuple était + sous les fenêtres avec une musique nombreuse qu'il a interrompue + cent fois par des vivat. + + Je le répète encore aujourd'hui à Votre Majesté, je ne conçois pas + ce qu'on pourra faire pour elle, après ce qu'on a fait pour son + envoyé. + + On donne ce soir un grand bal pour moi. + + J'ai visité la résidence qui est à trois quarts de lieue de la + ville. C'est un vieux château qui n'est plus propre qu'à une + caserne. + + Cette province est presque toute catholique. Elle m'a demandé, comme + les autres, la permission d'envoyer des députés à Paris, porter à + vos pieds, Sire, l'hommage d'un peuple entièrement dévoué et + remercier Sa Majesté l'empereur du cadeau qu'elle leur a fait de son + auguste frère. + + Les eaux minérales de Briburg sont susceptibles d'un grand + accroissement. Votre Majesté a cinq eaux minérales fréquentées dans + son royaume, outre une dizaine d'autres sources qui pourraient être + exploitées également. + + Ce sont deux bonnes provinces que Corvey et Paderborn; mais il reste + beaucoup à faire pour elles. Point de débouché, point d'industrie, + point de commerce. Tout le monde demande des grandes routes. J'ai + assuré que c'était un des premiers objets dont s'occuperait Votre + Majesté. + + Paderborn a payé toute sa contribution de guerre. Cette capitale est + la seule où je n'aie pas trouvé l'accise établie. Les Prussiens + n'avaient pas encore osé l'introduire. + + Je partirai demain matin à 3 heures pour Cassel où je serai le soir. + Je visiterai en route deux maisons royales de Hesse. + + Une chronique fort plaisante et fort extraordinaire est la sienne. + C'est le 24 juillet 1802 que l'on apprit à Paderborn la fâcheuse + nouvelle de la réunion de cette province à la monarchie prussienne; + et ce fut le 3 août suivant que le premier agent prussien (général + comte Schlamberg) parut dans cette ville. C'est aussi le 24 juillet + 1807 que l'on sut à Paderborn la réunion de cette province à la + Westphalie; et c'est encore le 3 août que le premier agent du roi de + Westphalie est venu dans Paderborn. Il n'y a eu de différence que + dans la réception. Toutes les portes et fenêtres étaient fermées + pour l'entrée des Prussiens, et des arcs de triomphe ont été dressés + pour recevoir les Français. + + Le jour même de l'entrée des Prussiens, les agents de cette cour + firent ôter de la grande salle de la régence tous les tableaux + (assez mal peints d'ailleurs) qui s'y trouvaient. Un seul, jugé un + peu meilleur, fut conservé. Ce tableau y est encore, et il se trouve + que c'est un saint Jérôme. + + + REWBELL À JÉRÔME. + + Cassel, 5 août 1807. + + Votre Majesté m'ayant ordonné de lui rendre compte des moindres + détails de ses résidences, j'ai l'honneur de lui envoyer l'état du + linge de table et de lit qui se trouve dans les châteaux de Cassel + et de Wilhelmshoehe. + + Le major Zurwenstein est arrivé aujourd'hui vers les quatre heures + avec les chevaux de Votre Majesté. Tous sont en fort bon état. Le + passage continuel des troupes par Cassel, la pauvreté des habitants + m'a entièrement détourné de l'idée de loger militairement les gens + de l'écurie. J'ai donc pris le parti de conseiller au major + d'accorder un traitement de 8 gros à chaque palfrenier, en outre de + ses gages, pour sa nourriture. J'espère, Sire, que cette mesure sera + approuvée par vous, et qu'elle se trouvera d'accord avec vos + sentiments. Je continuerai ce traitement jusqu'à ce qu'il plaise à + Votre Majesté de fixer les salaires d'une manière définitive de sa + maison, ou jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement. + + Les chevaux des aides de camp et leurs domestiques ont été placés + provisoirement dans les écuries du château de Wilhelmshoehe où ils + seront surveillés très sévèrement. Cette mesure m'a encore paru + nécessaire pour éviter, dans les premiers moments, toute espèce de + désordre et de mécontentement. La grande surcharge de logement qui + pèse particulièrement sur Cassel m'enhardit, quoique Votre Majesté + ne m'ait chargé que du gouvernement de Cassel et de Wilhelmshoehe, à + lui communiquer quelques réflexions tendantes au bien général de son + royaume. + + La route militaire depuis plus de sept mois traverse la Hesse; il y + a quatre gîtes: _Marbourg_, _Hosdoy_, _Wabern et Cassel_; dans ce + dernier toutes les troupes qui viennent de France ont séjour. + + Les fournitures en tous genres auxquelles les habitants ont dû + pourvoir ont épuisé ce pays, qui aujourd'hui peut espérer quelques + soulagements. Le moyen de les lui procurer serait d'obtenir une + division de la route militaire, surtout pour le retour de l'armée; + et cette division peut aisément avoir lieu en dirigeant tout ce qui + doit se rendre dans le midi de la France par Marbourg et Strasbourg, + ce qui doit se rendre dans l'intérieur, partie par Erfurt, Hanau, + Mayence, partie par Brunswick, Cassel et Mayence, et ce qui doit + aller dans le Nord, par la Westphalie et Wesel. + + Il y aurait parce moyen, Sire, quatre routes: celles de Wurtzbourg, + de Cassel, d'Erfurt et de Wesel. Toutes à la vérité traverseront + encore une partie des états de Votre Majesté; mais au moins la + charge sera partagée, le fardeau en sera plus supportable, + l'écoulement des troupes plus facile. + + Il restera à organiser le service sur les différents points d'étape, + et à savoir s'il conviendrait mieux de faire un service régulier, + que de laisser les administrations locales y pourvoir, comme cela se + pratique aujourd'hui. + + En Hesse, les magasins de l'État présentent des ressources, que + peut-être on ne trouve pas dans les autres provinces; et alors sans + approvisionnements formés d'avance, il est à craindre que le service + ne manque, surtout s'il se présente des masses. + + Toujours est-il, je crois, Sire, avantageux de faire fixer les + routes que l'armée prendra et les gîtes où elle recevra ses + subsistances, sauf à prendre ensuite telles dispositions que Votre + Majesté jugera convenable. + + +Morio ne se borna pas à envoyer des lettres et des rapports au roi, +il prit des dispositions relatives aux finances, mesure que +l'intendant général Daru trouva fort mauvaise et dont il référa à +l'empereur par la lettre ci-dessous, écrite de Berlin, en date du 5 +août 1807: + + + Par suite des dispositions générales prescrites pour la vente de + tous les objets qui appartiennent à l'armée, l'administration + française était au moment de traiter pour les _sels fabriqués_ qui + existent dans l'arrondissement de Magdebourg, lorsque M. Morio, + colonel aide de camp de Sa Majesté le roi de Westphalie a invité au + nom de ce prince M. l'administrateur général des finances à faire + surseoir à ces ventes, en lui annonçant qu'on faisait à cet égard + des démarches auprès de Votre Majesté. + + Je supplie Votre Majesté de me faire connaître si ce sursis doit + être maintenu, ou si je dois faire procéder à la vente des sels et + autres objets qui doivent être réalisés au profit de l'armée dans la + partie de la Prusse échue à Sa Majesté le roi de Westphalie, de la + même manière que dans les autres provinces prussiennes, pour tout ce + qui a été reconnu être la propriété de l'armée, et inventorié avant + l'époque où la remise des provinces sera faite au roi. + + +L'empereur envoya l'ordre à Daru de ne rien changer aux dispositions +prises, et nous ne serions pas étonné que de là date le peu de +sympathie que Napoléon témoigna toujours depuis à Morio. + +Le roi Jérôme arriva à la résidence de Wilhelmshoehe, près Cassel, à +laquelle il donna le nom de Napoléonshoehe, le 7 décembre 1807; il +adressa une proclamation à ses sujets, choisit neuf conseillers +d'État et nomma ministres provisoires: MM. Siméon (justice et +intérieur), général Lagrange (guerre), Beugnot (finances), Jollivet +(trésor et comptes). Il décréta en outre que les fonctions de la +régence du royaume cesseraient à dater de ce jour, et donna l'ordre +de tenir à sa disposition les fonds existant dans les caisses de +l'État depuis le 1er décembre. Toutes ces dispositions paraissaient +fort naturelles et Jérôme ne devait pas supposer que son frère +voulût le faire roi d'un pays épuisé par les exigences de la France +et hors d'état de faire face même aux premières et aux plus +indispensables dépenses. C'est cependant ce qui arriva. + +Daru, l'intendant général de la grande armée, homme strict, dur, +ayant d'ailleurs des instructions précises, fut chargé de faire +verser les contributions de la Westphalie dans les caisses de +l'armée française. Il refusa de laisser exécuter l'ordre du roi pour +les fonds réclamés par le jeune souverain et en référa de nouveau à +Napoléon qui approuva sa conduite. + +Jérôme, sans un sou pour l'État, n'ayant pour lui-même que dix-huit +cent mille francs empruntés à la caisse des dépôts et consignations +de Paris, se décida à faire exposer à l'empereur par ses nouveaux +ministres, anciens membres de la régence, la position financière de +la Westphalie. + +MM. Beugnot, Jollivet et Siméon firent un rapport duquel il +ressortait que le pays était en déficit de six millions; que +l'entretien des troupes françaises coûterait trois millions de plus +que la somme affectée au budget de la guerre, et que, par +conséquent, le nouveau roi allait commencer son règne avec une dette +de neuf millions, somme énorme, à cette époque, pour un royaume +comme la Westphalie. Ce rapport exposait en outre: que l'on ne +pouvait espérer soutenir les recettes en 1808 sur le pied de l'année +1807, surtout si l'empereur exigeait l'acquittement de la +contribution extraordinaire de guerre; qu'il était impossible +d'augmenter les impôts dans un pays privé de tout commerce, où +l'agriculture était en souffrance, où les peuples n'étaient pas +jadis imposés, les souverains remplacés par le roi, vivant avec +leurs revenus et soldant les dépenses de l'État. + +Les ministres du roi concluaient à un emprunt et imploraient la +bienveillance de l'empereur. Napoléon, avant de prendre une +décision, fit étudier la question par son propre ministre des +finances qui lui adressa un contre-rapport duquel il résultait: 1º +que les revenus de la Westphalie pouvaient être estimés à quatre +millions de plus; 2º que la dépense pour la perception était +exagérée; 3º que néanmoins il était impossible d'exiger +immédiatement la contribution extraordinaire de guerre et la +contribution ordinaire; 4º que la proposition d'un emprunt devait +être prise en sérieuse considération. + +À cet exposé de l'état pitoyable des finances westphaliennes +ajoutons encore: qu'il était dû un arriéré de trois mois dans tous +les services; que le roi réclamait le paiement des six premiers mois +de sa liste civile, fixée à cinq millions, et le paiement, par +anticipation, des six derniers; que les agents impériaux avaient +touché d'avance les revenus et n'avaient acquitté aucune dépense. + +Au moment où l'état des choses était ainsi exposé à Napoléon, ce +dernier apprit par son frère lui-même un acte de générosité qui lui +parut déplacé et ridicule. Jérôme l'informa par lettre du 28 +décembre qu'il venait de créer comte de Furstenstein et de donner +une terre de quarante mille livres de rente à son secrétaire Le +Camus[97]. L'empereur s'empressa de témoigner son mécontentement à +Jérôme par une lettre en date du 5 janvier 1808, et déclara que si +son frère trouvait de l'argent pour payer des favoris et des +maîtresses, il saurait bien en trouver pour solder ses dettes. + + [Note 97: Le Camus, créé par le roi comte de Furstenstein, + puis devenu ministre d'État, était un jeune créole que Jérôme + avait trouvé dans un de ses voyages maritimes et dont il + avait fait son secrétaire particulier. Ce Le Camus avait + trois soeurs fort jolies dont l'une épousa le général Morio + en premières noces, et en seconde, l'amiral Duperré, et la + seconde, M. Pothau, qui joua un rôle en Westphalie. La + chronique prétendait que Le Camus était toujours prêt à + favoriser les velléités amoureuses de son jeune maître qu'il + avait accompagné en Amérique et dans toutes ses courses. Il + devint un des personnages du royaume et l'empereur, après + avoir refusé longtemps à son frère la faveur de donner à ce + ministre le grand cordon de la Légion d'honneur, finit par + avoir la faiblesse de le lui accorder, sur les instances du + roi.] + +Ce don de la terre de Furstenstein à M. Le Camus ne fut nullement +bien vu des Allemands, ainsi que le prétendait le roi Jérôme dans sa +lettre à l'empereur. Cette affaire lui fit le plus grand tort dans +l'esprit positif et organisateur de Napoléon. Il devait en être +ainsi. En effet, n'est-il pas singulier de voir le jeune roi +annoncer pompeusement, dans sa lettre du 28 décembre, qu'il a cru +devoir imiter ses prédécesseurs dans cette circonstance et faire un +don de quarante mille livres de rente à son secrétaire, lorsque +trois jours auparavant, le 25, il écrivait pour exposer sa misère, +disant qu'il n'avait pas un sou dans sa caisse[98]? + + [Note 98: Ces lettres, des 25 et 28 décembre 1807, se + trouvent au 3º volume des Mémoires du roi Jérôme; celle de + Napoléon, en date du 5 janvier 1808, manque.] + +Outre ce sujet de mécontentement contre son frère, l'empereur en +trouva un autre dans une lettre en forme de note qui lui fut +adressée de Cassel, par M. Jollivet, à la fin de décembre 1807; la +voici: + + + Le peuple de Cassel s'est singulièrement refroidi depuis l'arrivée + du roi. On chante misère, on se plaint. Les choses ne vont pas comme + on se l'était promis. + + Les Français qui s'étaient rendus en Westphalie se retirent en foule + et entièrement mécontents. On se désole à la ville, on se déplaît à + la cour où il n'y a, dit-on, ni argent, ni plaisir. Tout le monde + est triste. + + Le roi ne reçoit pas beaucoup de témoignages de respect. Rarement le + salue-t-on dans les rues où il passe souvent à cheval. Il a perdu + dans l'opinion publique. Quelques affaires de galanterie lui ont + déjà nui. On sait dans le public qu'une des femmes de la reine a été + renvoyée à cause de lui. Le premier chambellan (M. Le Camus) avait + néanmoins trouvé moyen de retenir cette femme à Cassel pour le + compte de son maître. La reine a insisté pour qu'elle en sortît. La + police l'en a enfin débarrassée. M. le Camus passe pour un serviteur + complaisant de son roi. Une comédienne de Breslau, que le roi y + avait connue pendant sa campagne de Silésie, doit avoir été attirée + à Cassel par les soins de M. Le Camus et par ordre de son maître. + On raconte quelques autres histoires du même genre. Les mères de + Cassel qui ont de jolies filles craignent de les laisser aller aux + bals et aux fêtes de la cour. La reine est aimée. On craint beaucoup + pour son bonheur domestique. + + Le chef de la police de Cassel (M. La Jarriette) passe pour un + brouillon et pour un bavard. Sa police est le secret de la comédie + et elle ne sert qu'à indisposer tout le monde. C'est un homme + tranchant, plein de jactance et qui veut que personne n'ignore ce + qu'il fait. Il paraît surtout attacher de l'importance à être maître + de tous les secrets de la poste et il s'y prend de manière à ce que + tout le monde le sache. Puis il s'amuse à colporter les histoires + d'amour qu'il a surprises; puis il cherche à se donner les airs d'un + homme qui a toute la confiance du roi, toute celle de la reine et + toute celle des ministres. On le regarde comme un intrigant et comme + un sot. Du reste, il ne contribue pas peu à indisposer les habitants + de Cassel contre la cour et à leur faire prendre une mauvaise idée + du gouvernement. Le tout va fort mal. + + +Ce genre de lettre en forme de note ou _bulletin_ était fort souvent +employé par les agents de l'empereur sur son désir, et nous verrons +bientôt l'ambassadeur de France à la cour de Cassel, M. le baron de +Reinhard, agir de même, par ordre. + +Napoléon, loin de venir en aide à son frère Jérôme, maintint ses +prétentions sur les domaines, sur la contribution de guerre de +vingt-six millions payable en douze mois, et l'intendant-général +Daru ainsi que M. Jollivet[99] reçurent des instructions très +positives pour exiger une rente de sept millions sur les revenus des +domaines. Le dernier, en vertu d'un décret du 3 janvier 1808, fut +chargé, sous la direction immédiate de Daru, de l'exécution des +articles relatifs aux arrangements avec la Westphalie pour la +fixation des contributions arriérées ordinaires et de guerre, pour +le partage de tous les domaines dont moitié pour l'empereur et +moitié pour le roi, et eut défense d'occuper aucun emploi dans le +nouveau royaume. + + [Note 99: Jérôme avait une grande antipathie pour Jollivet, + parce qu'il voyait en lui, non sans raison, un espion de + Napoléon et que d'ailleurs ce conseiller d'État s'était + montré fort hostile à son frère Lucien qu'il aimait + beaucoup.] + +Jérôme et la reine Catherine quittèrent Napoléonshoehe et firent +leur entrée à Cassel, fort bien accueillis par la population; mais, +ainsi que nous l'avons dit, en montant sur le trône le jeune roi se +trouva immédiatement aux prises avec les grandes difficultés de la +grosse question financière. + +La Westphalie pouvait produire un revenu net d'une quarantaine de +millions, en y comprenant ceux des domaines; mais les dépenses du +budget s'élevaient à trente-sept millions, il fallait servir trois à +quatre millions pour l'intérêt de la dette et l'empereur réclamait +vingt-cinq millions de la contribution de guerre. Comment faire face +à de pareilles exigences avec une aussi modique ressource? + +Depuis le jour où les troupes françaises étaient entrées dans les +pays devant former le royaume de Westphalie, c'est-à-dire depuis le +1er octobre 1806 jusqu'au 1er octobre 1807, le trésor français avait +encaissé tous les revenus, ne payant que la partie la plus +indispensable des choses locales. Un arriéré considérable existait +donc déjà au 1er octobre 1807, et il n'y avait rien dans les caisses +du royaume. La rentrée des contributions ordinaires était en outre +paralysée par la concurrence que lui faisait la perception de la +contribution de guerre, et le roi lui-même, avec les dix-huit cent +mille francs de son emprunt à Paris, ne pouvait aller bien loin. +Aussi le jeune prince dut-il avoir recours, pour sa personne, à un +emprunt de deux millions qu'il fit négocier à des conditions +onéreuses avec un banquier juif nommé Jacobson. + +Daru, appelé à Cassel auprès de Jérôme, eut un entretien très long +avec lui, mais ne céda sur aucune question. Il fut convenu que ce +qui restait dû de la contribution de guerre serait acquitté par la +Westphalie par douzième, à dater du 1er juillet 1808, au moyen +d'obligations; que le roi conserverait la gestion des domaines +jusqu'au partage définitif. + +M. Jollivet pour l'empereur, M. de Malchus pour le roi, furent +chargés des détails de la liquidation qui traîna encore en longueur +et fut un sujet de mécontentement exprimé sans cesse par l'empereur +à son frère. Enfin la convention fut signée, à la date du 22 avril +1808, sous le nom de traité de Berlin. La dette de la Westphalie fut +totalisée à vingt-six millions, pour l'acquittement desquels il fut +remis d'abord douze millions cent trente mille francs d'obligations +avec première échéance au 1er mai 1808. Sept millions de revenus +annuels furent assurés à l'empereur sur les biens des domaines. + +Par la suite, pour s'acquitter envers la France, le gouvernement de +Jérôme dut recourir à un emprunt forcé de vingt millions. + +Au commencement de janvier 1808, Jérôme éprouva une sorte de +satisfaction en recevant la décoration de la Couronne de fer; il +écrivit le 18 à l'empereur, à cette occasion: + + + Sire, je viens de recevoir par M. Mareschalchi la décoration de la + Couronne de fer que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer. Cette + faveur m'est bien précieuse parce qu'elle me donne une preuve + certaine de la continuation des bontés de Votre Majesté. + + +Nous allons donner une série de lettres écrites en 1808, que nous +annotons, et qui n'ont pas trouvé place, pour un motif ou pour un +autre, soit dans la correspondance de l'empereur, soit dans les sept +volumes des Mémoires du roi Jérôme. Voici d'abord une lettre +particulière de M. de Salha à Halgan qui jette un certain jour sur +la cour de Cassel et sur le nouveau royaume. + +M. de Salha, capitaine de frégate, embarqué avec Jérôme et Halgan, +devenu un des aides de camp du roi, brave marin, mais esprit +ordinaire, nommé en 1809 comte de Hoene, fut d'abord gouverneur des +pages, puis ministre de la guerre après le général d'Albignac. +Halgan, resté au service de France, y devint amiral. Il avait +commandé le brick _l'Épervier_ et était second sur le vaisseau _le +Vétéran_, pendant la campagne de Willaumez. Salha et Halgan étaient +fort liés. Ce dernier revit le prince Jérôme à Paris, sous le second +empire. + + + Cassel, 18 janvier 1808. + + Je tiens trop à votre amitié, mon cher Halgan, pour différer une + réponse à votre lettre des premiers jours de cette année, je le + suppose, car elle est sans date. Mes regrets de ne vous avoir pas + trouvé à Paris sont des plus grands. Cette circonstance eût donné + peut-être une direction différente au courant qui m'a mené en + Westphalie. Le roi a exigé rigoureusement en partant ma démission. + J'ai fait un vrai sacrifice en renonçant à mon titre d'officier + français. Prosper[100] a été pour beaucoup dans cette détermination + qui peut me laisser encore des regrets à venir. Les vôtres pendant + quelques instants ont pu avoir des motifs contraires; s'ils + existaient encore, je vous dirais que les événements vous ont + parfaitement bien servi. Votre position est mille fois préférable à + toute autre ici. Vous conservez un titre réel près de S. M. et vous + jouissez en même temps des avantages d'un état dont rien ne vous + aurait dédommagé dans ce lieu d'exil; la gêne de la cour, la + contrainte d'une étiquette rigoureuse, l'embarras des places, le + caractère de courtisan enfin n'avait pas de quoi vous plaire. Le roi + travaille de son mieux à organiser et à préparer des moyens de + prospérité pour l'avenir, ils ne se réaliseront pas tant que l'on + exigera sévèrement la rentrée des contributions dont ce pays était + grevé à notre arrivée. Notre liste civile de 5 millions est bien + maigre pour deux jeunes souverains également magnifiques dans leurs + goûts. Il nous faudrait les coudées franches, au lieu de cela nous + sommes contrariés par les volontés du roi des rois, qui a retenu une + inspection suprême sur ce nouveau royaume. Nous régnons à demi dans + une résidence dont il est bien difficile d'écarter l'ennui. Le roi + donne souvent des bals, des parties ou courses de traîneaux, nous + avons aussi une Comédie française sous la surintendance de Le Camus, + connu aujourd'hui sous le nom de comte de Furtenstein, titre + accompagné d'une terre, fief de la couronne, de 11,000 écus valant + de revenu net 40,000 francs de France pour lui et ses héritiers. + C'est de quoi obtenir la main de la plus belle et de la plus noble + Westphalienne. Le grand maréchal Megronnet est aussi pressé par le + roi de se marier, le docteur Garnier[101] leur en donne l'exemple; + il épouse la fille d'un payeur, nommé M. Balti, née à Bayonne; + l'amoureux docteur sera au comble de ses voeux d'aujourd'hui en huit + et recevra sans doute des témoignages sensibles des bontés de nos + jeunes souverains. + + [Note 100: Fils de Salha, embarqué sur le bâtiment commandé + par Halgan.] + + [Note 101: Médecin du prince Jérôme sur _le Vétéran_.] + + En arrivant ici, le roi m'a nommé colonel, ainsi que la plupart de + ses aides de camp; de plus il m'a donné la direction en chef de la + maison des Pages, de fort bons appointements, mais qui se fondent + ici avec une rapidité extraordinaire, en sorte qu'aucun de nous ne + peut se flatter au bout de l'année d'avoir cent louis pour aller + chercher des jouissances dont on ressent si fort la privation au + milieu d'un peuple apathique si étranger à notre caractère et à nos + usages. Ceci est une véritable émigration; quand reverrons-nous + notre heureuse patrie? La maladie, dite du pays, atteint les + Français en Hollande, à Naples, et comment y échapper en Westphalie? + + Écrivez-moi quelquefois, mon cher Halgan, parlez de moi au général + Cafarelli et à toute sa famille pour qui je conserverai toute la vie + les sentiments du plus grand attachement et d'une parfaite + reconnaissance. Combien j'ai été peiné de ne pas m'être trouvé à + Paris avec le digne préfet et de n'avoir pu causer avec lui, je l'ai + dit plusieurs fois à l'ami Rouillard dans le peu d'instants où nous + nous sommes vus. + + Je ne veux pas me laisser entraîner plus longtemps au plaisir de + causer avec vous. Prosper vous offre les voeux d'un coeur + reconnaissant, et moi ceux de l'attachement le plus durable. Je ne + puis vous parler de M. de Chambon parce qu'il est toujours à Paris. + + Un mot de souvenir à Dupetit-Thouars, quand vous le verrez. + + +M. Béranger, directeur de la caisse d'amortissement de Paris, à +laquelle Jérôme avait emprunté, avant son départ pour Cassel, une +somme de dix-huit cent mille francs, ayant réclamé le versement de +cette somme au ministre des finances de Westphalie et n'en ayant +pas reçu satisfaction, envoya à Napoléon la note ci-dessous: + + + 17 mars 1808. + + _Caisse d'amortissement,_ + + Sire, il n'y a pas eu de variations sensibles dans le cours des + effets. Je viens de recevoir une lettre du ministre des finances de + Westphalie qui me renvoie au trésorier de la Couronne pour le + paiement des termes échus de l'emprunt de 1,800,000 francs. + + +L'empereur écrivit de sa main en marge de cette note: + + + Renvoyée au roi de Westphalie pour se faire rendre compte pourquoi + son ministre se moque ainsi de ses engagements et tire sur une + caisse qui n'est pas, j'espère, à ses ordres. + + Paris, 17 mars 1808. + + NAPOLÉON. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 2 février 1808. + + Sire, je viens de recevoir du général de division + Lefebvre-Desnouettes, grand-major de ma couronne, la communication + d'une lettre du maréchal Bessières par laquelle je vois qu'il a plu + à Votre Majesté de l'appeler auprès d'elle en qualité de colonel des + chasseurs de sa garde[102]. + + [Note 102: Napoléon n'aimait pas laisser au service de ses + frères ses bons officiers généraux, aussi ne voulut-il pas + abandonner en Westphalie Lefebvre-Desnouettes, qu'il + considérait comme un des meilleurs officiers de cavalerie + légère. Lefebvre-Desnouettes, colonel des chasseurs de la + garde, réfugié en Amérique après Waterloo, périt, le 22 avril + 1822, dans le naufrage du paquebot _l'Albion_, sur lequel il + s'était embarqué pour la Belgique.] + + J'avouerai à Votre Majesté que j'avais toujours regardé le général + Lefebvre comme devant rester à mon service, que j'étais assuré à cet + égard par son contentement personnel et par la lettre de passe qui + lui avait été expédiée par ordre de Votre Majesté et que, l'ayant + nommé depuis général de division et grand écuyer du royaume, cette + nouvelle m'a vivement affecté. + + Ce n'est pas, Sire, que je ne me regarde toujours comme heureux de + faire quelque chose qui soit agréable à Votre Majesté, mais elle + sentira encore que j'aurais eu le droit d'attendre, avant tout + autre, une communication plus officielle de cette décision. + + Dans cet état de choses, j'attendrai à connaître le désir de Votre + Majesté avant que de me résoudre à laisser partir le général + Lefebvre de mes états, mais je crois ne pas devoir laisser ignorer + à Votre Majesté combien j'étais loin de m'attendre à ce changement. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 23 février 1808. + + Sire, je reçois à l'instant la lettre que Votre Majesté a bien voulu + m'écrire de Paris, en date du 16[103]. Je prie Votre Majesté de + croire que je n'ai absolument en vue que de faire tout ce qui peut + lui convenir; si j'ai mal fait dans cette circonstance, c'est par + ignorance. Je ferai cependant observer à Votre Majesté que je + n'avais désigné un ministre pour Vienne que d'après la lettre de M. + de Champagny, écrite de Milan, dont j'ai envoyé la copie à Votre + Majesté. J'ai eu tort de choisir M. de Merweld, mais j'ignorais + absolument ce qui se passe. Il m'avait fait cette demande, il est + riche et avait des parents à Vienne; j'ai encore cru bien faire, + j'en ai rendu compte à Votre Majesté qui ne m'a rien répondu; + cependant il ne partira pas, mais je désirerais savoir (comme il + était déjà désigné pour aller à Vienne), si Votre Majesté croit + qu'il y aurait de l'inconvénient à l'envoyer à Munich. J'attendrai + au reste à connaître les intentions de Votre Majesté. Je le répète, + Sire, je n'ai qu'un désir, celui de faire tout ce qui peut convenir + à Votre Majesté. + + [Note 103: Cette lettre de Napoléon nous manque. Elle était + relative à M. de Merweld, dont l'empereur croyait avoir à se + plaindre.] + + Quant à M. d'Hardenberg, il m'a été proposé par les conseillers de + Votre Majesté, ainsi que les sept autres préfets, et, comme je n'en + connaissais aucun, j'ai approuvé le travail parce que je ne pouvais + le juger, sauf à le rectifier par la suite. Au reste, je puis dire à + Votre Majesté que je suis fort content de M. d'Hardenberg et qu'il + n'est pas le frère de celui de Prusse, mais un parent très éloigné. + + Je prie Votre Majesté d'être persuadée que si je recevais plus + souvent de ses lettres, je ferais tout ce qu'elle désire, ne m'étant + proposé en montant sur le trône que de rendre mes peuples heureux et + de contenter en tout Votre Majesté auprès de laquelle je serais bien + plus heureux. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 26 février 1808. + + Sire, étant informé que M. Jollivet doit se plaindre à Votre Majesté + de n'avoir pas été invité à la fête qui a eu lieu pour + l'anniversaire de la naissance de la reine, j'ai voulu prévenir + Votre Majesté des motifs qui m'ont décidé, afin d'éviter le plus + léger doute sur mes intentions qui seront toujours d'être agréable à + Votre Majesté. + + La fête qui s'est donnée était tout à fait intime et dans une très + petite maison de campagne, cependant deux conseillers d'État + français y étaient invités, tandis que mon ministre de la guerre ne + l'était pas. Ce motif aurait été suffisant, mais il en existe un + autre. Il est arrivé plusieurs fois que M. Jollivet, invité à la + cour, n'y venait point, non plus que sa femme; que d'autres fois ils + s'y rendaient bien, mais se permettaient de sortir du cercle avant + que la reine ni moi en fussions sortis, quoique cela leur ait été + plusieurs fois reproché. + + Je ne rends compte de cette circonstance à Votre Majesté que parce + que mon plus vif désir est de la persuader que je n'ai d'autre but + que de lui plaire. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 12 mars 1808. + + Sire, je viens de recevoir la lettre du 6 mars que Votre Majesté a + bien voulu m'écrire. Les reproches qu'elle m'adresse sur l'audience + des Juifs ne me sont pas applicables; c'est M. Siméon qui les a + convoqués à mon insu et je les ai reçus dans mon cabinet, sans + aucune cérémonie, et ignorant absolument tout ce qu'ils allaient me + dire. Ceux aussi que Votre Majesté me fait relativement au _Moniteur + Westphalien_ doivent également être appliqués à MM. Siméon et + Beugnot. Ils m'ont proposé une gazette officielle, ils l'ont dirigée + et je me suis borné à leur dire de faire ce qu'ils jugeraient + convenable à ce sujet. + + M. Beugnot a sollicité depuis huit jours la permission de retourner + à Paris pour le mariage de sa fille et pour des affaires + particulières, et il n'est resté jusqu'à ce jour à Cassel que parce + que j'ai désiré qu'il assistât au Conseil d'État pendant la + discussion du projet sur les forêts qui est de la plus grande + importance sous le rapport des finances[104]. + + [Note 104: M. Beugnot fut remplacé au ministère des finances + de Westphalie par M. de Bulow, qui passait pour aimer peu les + Français.] + + M. Siméon paraît désirer rester auprès de moi et je le garde avec + autant de plaisir que j'en aurais eu à conserver M. Beugnot, s'il + l'avait accepté. + + Je prie Votre Majesté de croire que dans toutes les circonstances je + chercherai toujours à faire ce qui pourra lui être agréable. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 13 mars 1808. + + Sire, je viens de recevoir à l'instant la nouvelle de Vienne que le + comte Charles de Grüne, nommé ministre de l'Autriche près de moi, + était sur son départ pour Cassel. Je supplie Votre Majesté de me + dire qui je dois envoyer à Vienne. + + Le roi de Prusse auquel je n'ai fait d'autre communication que celle + de mon avènement au trône, a jugé à propos de m'écrire, en outre de + la réponse à cette notification, une lettre particulière dans + laquelle il m'exprime le désir qu'il a que nous établissions le plus + tôt possible entre nous les communications qu'il désire de voir + subsister. Comme j'ignore où nous en sommes avec ces deux cours, je + désire que Votre Majesté veuille me dire ce que je dois faire et + qu'elle soit persuadée, quant aux insinuations faites à Vienne par + l'entremise du ministre de Hollande, que c'est une légèreté de ma + part dont je sens la conséquence et qui n'est due qu'à la présence + de ce ministre auprès de moi que j'ai chargé, lors de son départ + pour Vienne et sans réflexion, de ma communication. + + J'espère que Votre Majesté n'a pu me supposer d'autres motifs ni + intentions dans cette circonstance et je me plais à croire qu'elle + connaît trop bien la pureté de mon coeur et de mes sentiments pour + me taxer un seul instant d'ingratitude. + + +On voit par cette lettre combien le jeune roi se faisait petit +auprès de son frère, sous la dépendance duquel il était en tout et +pour tout. La lettre suivante corrobore ce que nous avançons: + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Napoléonshoehe, 14 mai 1808. + + Sire, le comte de Wintzingerode, mon sujet, m'a été présenté + dernièrement. Il m'a demandé d'être envoyé comme ministre + plénipotentiaire près la cour de Vienne. Cette mission m'ayant paru + trop délicate pour me décider sur le champ, je m'empresse de + consulter Votre Majesté afin qu'elle me fasse connaître ses + intentions à cet égard. + + J'attendrai la réponse de Votre Majesté avant de donner une solution + au comte de Wintzingerode. + + +Le comte de Wintzingerode, ministre de Westphalie à la cour de +France en 1810, fut très hostile, après 1815, à son ancien souverain +et à la reine. + +Au commencement de juin 1808, l'empereur fit écrire par Berthier au +roi Jérôme pour se plaindre de ce que les soldats français étaient +vexés, refusés dans ses hôpitaux, et que, si cela continuait, il +enverrait dans le pays quinze mille hommes. + +Les rapports faits à Napoléon à cet égard étaient faux. Ajoutons que +les mêmes reproches, aussi injustes, étaient adressés à la même +époque aux rois d'Espagne et de Hollande. Il est permis de penser +que c'était une sorte de: _garde à vous!_ envoyé à ses frères par +l'empereur. + +Jérôme répondit le 12 juin au prince de Neufchâtel: + + + Mon cousin, j'ai reçu la lettre que V. A. S. m'a écrite de la part + de Sa Majesté l'Empereur et Roi, mon auguste et très honoré frère. + J'ai chargé mon ministre de la guerre de répondre à V. A., quant à + ce qui concerne les fausses calomnies que l'on se plaît à débiter + sur le mauvais traitement qu'éprouvent les Français dans mon + royaume. + + V. A. S. m'ajoute que si ces prétendues vexations continuent, S. M. + l'Empereur enverra 15,000 Français dans mes États! S. M. peut le + faire sans doute! mais ne doit-elle pas être convaincue que, malgré + l'extrême pauvreté de mes sujets, si les Français ne pouvaient plus + exister dans les pays au delà de l'Elbe, je n'attendrais aucun ordre + pour partager avec eux ce qui pourrait me rester!..... N'est-elle + pas bien persuadée encore, que le titre qui m'est le plus cher, est + celui de prince français, et que je regarde comme mon premier devoir + celui de les faire respecter! + + Je répondrai toutefois à V. A. que je suis instruit par mes + ministres, et que je me suis assuré par moi-même, dans la tournée + que j'ai faite dans mes États: que toutes les plaintes, que toutes + les rixes qui ont eu lieu et qui ont indisposé mes sujets, n'ont + existé que parce que, depuis mon avènement au trône, les officiers, + soldats, voyageurs et courriers français ont continué dans mes États + les mêmes vexations qu'ils y exerçaient en temps de guerre, sans + réfléchir ni avoir égard à l'inviolabilité et au respect dus à un + royaume aussi étroitement allié que dévoué entièrement à la France; + mais pouvais-je l'empêcher? + + J'ai chargé mon ministre de la justice de mettre sous les yeux de V. + A. S. les différentes plaintes qui sont parvenues au pied du trône, + dans l'espace de deux semaines; V. A. y verra que des officiers se + logent de force chez les bourgeois; que des soldats battent des + paysans et des citoyens paisibles; que des courriers maltraitent ou + tirent des coups de fusils à des postillons; que des douaniers + insultent jusqu'à des officiers et les menacent de leur ôter leur + épée; que des canonniers forcent des corps de garde, etc.; et tout + cela par la seule raison qu'ils sont Français, et que les + Westphaliens sont faits pour leur obéir. + + Ce que j'ai fait en Silésie en de pareilles circonstances, ce que + j'ai fait, dans toutes les occasions où j'ai commandé sous Sa + Majesté l'Empereur, je n'ai pas voulu le faire comme roi de + Westphalie; j'ai fermé les yeux sans agir (et la lettre de V. A. S. + me prouve que j'avais bien prévu), parce que j'ai craint que S. M. + ne m'accusât de partialité. + + Cependant l'Empereur peut-il croire que j'oublie un instant que ma + première patrie est la France, et que je regarde comme ma plus + grande gloire celle de ne l'avoir quittée que pour lui servir + d'avant-garde! + + J'espère et je me plais à croire que V. A. S., en mettant sous les + yeux de S. M. l'Empereur ma lettre et celles de mes ministres, la + convaincra que non seulement les rapports qui lui ont été faits sont + faux, mais encore qu'ils sont méchants; et que si quelque chose de + ce genre pouvait exister, ce ne serait qu'à moi seul, comme + souverain gouvernant par moi-même, et non par mes ministres, qu'il + faudrait s'adresser. + + +Si le roi Jérôme consentait volontiers à exécuter en tout et pour +tout les volontés de son frère et à reconnaître sa suprématie même +sur les affaires intérieures de ses États, comme il aimait le faste +et la représentation, il lui sembla que la création d'un ordre de +chevalerie dans le genre de l'ordre de la Légion d'honneur de France +ferait bien en Westphalie et attirerait sur son royaume une certaine +considération. Il imagina donc une décoration et consulta l'empereur +à cet égard par la lettre suivante, datée de Napoléonshoehe, 11 +juillet 1808. + + + Sire, je soumets à l'approbation de Votre Majesté l'institution d'un + ordre royal de Westphalie. L'assemblée des États, dont je suis déjà + fort content, devant terminer sa mission dans un mois, je désirerais + lui communiquer ce projet avant cette époque, si Votre Majesté y + consentait. + + Je sais que cette institution plaira beaucoup aux Allemands. Votre + Majesté connaît leur caractère; beaucoup d'entre eux ont été obligés + de quitter leurs décorations, et rien ne leur sera plus agréable que + de voir fonder un nouvel ordre de leur royaume. + + J'ai conservé depuis le commencement de l'année, pour la dotation de + cet établissement, les revenus de l'abbaye de Quedlimbourg et ceux + de la grande prévôté de Magdebourg s'élevant à 300,000 fr. par an; + ainsi rien ne m'arrêtera de ce côté. + + Les grand'croix, les commandeurs et les chevaliers jouiront d'un + revenu annuel de 2,000 fr., et, indépendamment de la croix que je ne + compte pas donner aux simples soldats à moins de circonstances + extraordinaires, j'ai l'intention de créer des médailles d'or et des + médailles d'argent: les premières, du revenu de 150 fr.; les autres, + de 100 fr.[105]. + + [Note 105: Nous ne serions pas étonné que cette pensée des + médailles militaires d'un revenu de 100 à 150 fr. n'ait été + l'idée mère de la médaille créée par Napoléon III à son + avènement au trône.] + + En outre de cette base générale, il serait nommé parmi les + grand'croix et les commandeurs dix grandes et vingt petites + commanderies: les premières, du revenu de 10,000 fr.; les secondes, + de celui de 5,000 fr. + + Je remets à Votre Majesté le dessin de cet ordre; elle y verra + l'aigle comme la marque distinctive de notre maison, et le gros + bleu comme la couleur du royaume. Je n'ai pas encore adopté de + devise. + + Au reste rien n'est fait et ne le sera que Votre Majesté ne m'ait + répondu. Je lui présente seulement mes premières idées sur ce + projet, d'après la connaissance que j'ai du bon effet qui + résulterait de son exécution. + + +On prétend que l'empereur, qui avait souvent le mot pour rire, en +examinant le dessin très surchargé de la croix de Westphalie, dit en +plaisantant: _Il y a bien des bêtes dans cet ordre-là._ + +Néanmoins l'ordre de Westphalie fut créé, suivant le désir de +Jérôme, mais il ne subsista pas longtemps. + +Le retard de Jérôme dans le paiement à la caisse des dépôts de son +emprunt de dix-huit cent mille francs indisposa à tel point +l'empereur contre son frère qu'il lui adressa plusieurs dépêches +très dures. Jérôme répondit, le 28 juillet 1808, de Napoléonshoehe, +une lettre très digne que voici: + + + Sire, je reçois les différentes lettres que Votre Majesté m'a + écrites en réponse à celles que j'ai eu l'honneur de lui adresser. + Je ne m'attendais pas à la réponse qu'elle m'y fait. Que puis-je + répondre, Sire, à Votre Majesté, lorsqu'elle me dit que ce que je + fais n'est pas d'un homme d'honneur! Sans doute, dans ce cas, je + suis bien malheureux puisque je ne peux mourir après l'avoir lu. + + Si je n'ai pas payé les 1,800,000 fr. que je dois à la caisse + d'amortissement, c'est que je ne les avais pas et que je pensais que + l'intention de Votre Majesté n'était pas que je payasse des intérêts + ruineux pour m'acquitter envers elle; mais, Sire, je viens + d'ordonner qu'un emprunt égal à cette somme fût fait de suite, + n'importe à quel taux; et, avant trois mois, mes billets seront + retirés. Sire, je suis de votre sang, et jamais je ne me suis écarté + de la route de l'honneur que Votre Majesté m'a tracée, et, dans les + circonstances difficiles, elle trouvera en moi un frère prêt à tout + lui sacrifier. + + Si Votre Majesté veut me faire l'honneur de croire ce que je lui + dis, je puis lui donner ma parole que je n'ai pas entendu parler ni + reçu de lettres de M. Hainguerlot[106] depuis mon départ de Paris. + + [Note 106: M. Hainguerlot, banquier enrichi dans les + fournitures, était un ami de Jérôme; sa soeur avait épousé un + des aides de camp du jeune roi. L'empereur n'aimait ni le + banquier ni sa famille et avait fait défense à son frère de + le recevoir. Le gendre de M. Hainguerlot fut, par la suite, + un M. de Vatry, brillant officier de hussards qui, en 1815, à + Waterloo, était l'un des aides de camp du prince Jérôme, et + qui ne contribua pas peu, par ses relations et ses démarches + sous le gouvernement de juillet, à aplanir les difficultés + pour le retour en France de la famille Jérôme Bonaparte.] + + +Une nouvelle inconséquence de Jérôme indisposa encore beaucoup +Napoléon à son égard. Le jeune prince aimait le luxe, les fêtes, +l'étiquette. Tout en se plaignant de la modicité de sa liste civile, +il ne fut pas plus tôt sur le trône qu'il se donna une cour +fastueuse copiée sur celle des Tuileries et fort en dehors de toute +proportion avec l'exiguïté de ses États; qu'on en juge. + +Il créa: un grand maréchal du palais, Meyronnet, son ancien lieutenant à +bord de _l'Épervier_, qu'il fit comte de Willingerode; deux préfets du +palais, Boucheporn et de Reyneck; trois maréchaux ou fourriers du +palais, les colonels de Zeweinstein et Bongars, M. Barberoux-Wurmb; un +grand-chambellan, le comte de Waldenbourg-Truchsess; quinze chambellans, +Le Camus, le comte de Bohlen, le baron de Hammerstein, le baron Bigot de +Villandry, le comte de Wesphallen, M. d'Esterno, le baron de Hartz, le +comte de Velsheim, Cousin-Marinville, le baron de Munchenhausen, le +baron de Sinden, le baron de Spiegel, le baron d'Assebourg, le comte de +Meerveld, le baron de Doernberg; un grand-maître des cérémonies, le +comte de Bocholtz; huit maîtres ou aides des cérémonies, MM. de Courbon, +Marseille-Laflèche, Beugnot, baron de Gondmain, Gardine, comte de +Pappenheim; plus de vingt aides de camp ou officiers d'ordonnance, le +colonel de Salha, gouverneur des pages, Gérard, le prince de Hesse +Philipsthal, de Spaderborn, Morio, Rewbell, d'Albignac, plus tard +ministre de la guerre, Lefebvre-Desnouettes, que nous avons vu rappelé +par l'empereur, le colonel Danstoup-Verdun, les généraux Du Coudras et +Usslar; un grand-écuyer, six écuyers d'honneur, le comte de +Stolberg-Wernigerode, le baron Lepel, le colonel Kloesterlein; un +premier aumônier, l'évêque baron de Wend; des aumôniers, des chapelains +en grand nombre, trois secrétaires des commandements, Marinville, de +Coninx, Bercagny; un grand-veneur, le comte de Hardenberg. + +La maison de la reine fut installée sur un pied tout aussi splendide +et non moins nombreux: une grande-maîtresse, la comtesse de +Truchsess; sept dames du palais, la comtesse de Gilsa, dont le mari +était directeur des haras, la baronne de Pappenheim, MMmes Morio, +Blanche Laflèche, Du Coudras, de Witzleben, la princesse de +Hohenlohe-Kirchberg; plusieurs chambellans, les barons de +Bodenhausen, de Pappenheim, de Bischoffshausen, de Schele; +plusieurs écuyers d'honneur, le marquis de Maubreuil, le baron de +Menguersen de Busche, M. de Malsbourg, le baron de Mesenholm; un +secrétaire des commandements, M. de Pfeiffer. + +On comprend que Napoléon Ier fut choqué d'un pareil dévergondage de +gens inutiles que son frère payait fort cher, lui l'homme de guerre +dont les prodigalités allaient toujours chercher les gens utiles +dans toutes les professions, ou ceux qui risquaient sans cesse leur +existence sur les champs de bataille. + +Aussi a-t-on vu qu'il avait tancé son frère d'une façon bien +vigoureuse, puisqu'il l'accusait presque de manquer à l'honneur. +Avec un peu plus de réflexion et de tenue, le jeune roi eût pu faire +sur sa liste civile de cinq millions, surtout en Allemagne, au +milieu d'un peuple simple et aux idées antiques, des économies qui +lui eussent permis de payer son emprunt, ce qui eût en outre disposé +favorablement Napoléon en sa faveur. + +Malgré les préoccupations constantes que donnaient à Jérôme l'état +déplorable des finances du royaume et la rigidité inflexible de +l'empereur à cet égard, malgré les remontrances incessantes de son +frère, le jeune roi menait assez joyeuse vie à Cassel et à +Napoléonshoehe, entouré de la vertueuse reine, d'un essaim de jolies +femmes, de favoris toujours prêts à exécuter ses moindres +fantaisies. + +Vers le commencement d'août 1808, quelques changements eurent lieu +dans les rangs élevés. La secrétairerie d'État, d'abord confiée au +savant Jean de Muller, passa aux mains de Le Camus, comte de +Furtenstein, marié à la fille du grand-veneur, comte de Hardenberg, +riche seigneur allemand. Le général Morio, un instant ministre de la +guerre, céda son portefeuille à M. de Bulow, déjà ministre des +finances depuis la rentrée en France de M. Beugnot. Jérôme fait +connaître les motifs du changement de Morio à son frère, par une +lettre en date du 16 août[107]. Ce qui ne l'empêcha pas de rendre le +portefeuille au général quelques jours plus tard. + + [Note 107: Lettre publiée aux Mémoires.] + +Au mois de septembre 1808, une sorte de petite émeute causée à +Brunswick, chef-lieu de l'Ocker, par une circonstance insignifiante, +éclata tout à coup. Rapport fut fait au roi, qui envoya cette pièce +à son frère en lui demandant ses ordres: + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Napoléonshoehe, 8 septembre 1808. + + Sire, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté un rapport qui vient + de m'être fait par mon ministre des finances, chargé provisoirement + du département de la Guerre, relativement à un événement fâcheux qui + a eu lieu les 4 et 5 à Brunswick. + + Quelque grands que soient dans cette affaire les torts des gendarmes + français, je n'ai rien voulu ordonner à leur égard, sans connaître + les intentions de Votre Majesté. + + Je soumets donc à Votre Majesté le rapport de mon ministre, ainsi + qu'il me l'a présenté, et je la prie de me faire connaître la + conduite qu'elle désire que je tienne en cette circonstance. + + +RAPPORT AU ROI JÉRÔME. + + + Sire, je reçois des lettres du préfet de l'Ocker, du commandant de + place de Brunswick et du colonel Mauvillon, commandant le 2e + régiment de ligne, dont je m'empresse de présenter l'extrait à Votre + Majesté; elles confirment les détails des événements fâcheux qui ont + eu lieu à Brunswick dans les journées du 4 et du 5. + + Il résulte uniformément de ces divers rapports que le brigadier de + gendarmerie Lefèvre, accompagné des gendarmes Deligny et Chastelan, + eut au foyer de la Comédie une dispute avec quelques bourgeois. Ces + militaires n'étaient point en uniforme et paraissaient ivres. La + querelle s'étant continuée au sortir du spectacle, le brigadier + Lefèvre courut chez lui prendre son sabre, et, revenant armé à la + rencontre des bourgeois qui ne l'étaient pas, frappa le nommé + Lietge, maître vitrier, et le tua sur la place. + + Le brigadier Lefèvre meurtri au bras de plusieurs coups de bâton + qu'il venait de recevoir dans cette querelle fut, à l'instant même, + arrêté sur la place par un détachement de la garde qui rétablit la + tranquillité dans la rue, et l'ordre fut donné au juge de paix dans + l'arrondissement duquel venait d'être commis ce meurtre, de + commencer sur le champ l'instruction de l'affaire. + + Cependant le chef d'escadron Béteille, commandant la gendarmerie + française, fit mettre le meurtrier en liberté, et ne voulut point + déférer à la réquisition du commandant d'armes et du maire de la + ville de Brunswick qui demandaient l'arrestation des deux autres + gendarmes. + + Ce déni de justice produisit une impression fâcheuse, et la populace + laissa entrevoir le projet formé d'arracher le gendarme Lefèvre de + la maison où il était retiré. Le colonel Schraidt se décida à le + faire transporter à l'hôpital dans une chaise et à l'accompagner + lui-même avec l'adjudant de place, le maire de la ville, le + commissaire de police et quelques autres fonctionnaires publics. La + vue de ces magistrats ne put contenir une multitude furieuse, et une + grêle de pierres fut lancée contre la chaise et le cortège. Le + gendarme Lefèvre en fut presque accablé. Bientôt l'attroupement qui + s'était formé autour de l'hôpital fut dissipé par les soins et les + instances du commandant Schraidt, mais ayant appris dans la soirée + que le peuple voulait encore forcer l'hôpital et immoler le gendarme + Lefèvre à sa vengeance, il fit demander la force armée, et le + colonel Mauvillon envoya un détachement de 30 hommes. Cette troupe + fut assaillie elle-même par les pierres qu'on lançait de plusieurs + maisons et par les injures de la populace. + + Le colonel Mauvillon doubla alors son détachement et marcha lui-même + en bon ordre avec son régiment à la hauteur de l'hôpital. Cependant + plusieurs soldats ayant été blessés par le peuple, il fît tirer + quelques coups de fusil en l'air pour l'effrayer. Toutes les avenues + furent occupées, et, après plusieurs tentatives, fermes et prudentes + à la fois, on parvint à dissiper les attroupements; une femme a été + tuée et un bourgeois blessé; le colonel Mauvillon pense que c'est + par les bourgeois eux-mêmes qui, à ce qu'il dit, ont tiré plusieurs + coups de fusil de leur côté. La ville fut parcourue toute la nuit + par des patrouilles, et la tranquillité n'a plus été troublée. + + Il paraît que les autorités civiles et militaires ont parfaitement + rempli leur devoir, et qu'elles ont été constamment animées du + meilleur esprit. Le colonel Mauvillon fait le plus grand éloge du + zèle et de l'activité qu'ont déployés le commandant et l'adjudant de + place; il s'applaudit aussi de la discipline et du calme manifestés + par les soldats du 2e régiment, en butte aux coups et aux insultes + de la populace; le dernier des recrues est demeuré ferme à son rang + et a obéi avec intelligence et promptitude à tous les ordres de son + chef. + + Aussitôt que l'ordre a été rétabli, on a fait arrêter les hôtes des + maisons d'où ont été lancées les pierres contre la force armée. + + Tous les rapports attestent que les gendarmes français qui ont donné + lieu à ce désordre ont eu le premier tort; plusieurs témoins + certifient que la dispute a été provoquée par eux, et que l'effet en + a été d'autant plus prompt et d'autant plus funeste qu'ils étaient + depuis longtemps haïs des bourgeois à cause de leurs vexations et de + leur insolence. + + Le colonel de Bongars[108], envoyé sur les lieux par Votre Majesté, + est parti hier et lui transmettra un rapport plus circonstancié sur + ces événements. + + [Note 108: Aide de camp du roi, chef de la gendarmerie.] + + Cassel, 8 septembre 1808. + + +Napoléon lui répondit, le 14 septembre, qu'il fallait punir le +gendarme français, mais surtout l'allemand qui avait été cause de +l'émeute; qu'on l'assurait que la police était mal faite en +Westphalie; que bientôt il aurait des émeutes plus sérieuses, et que +si les gendarmes français lui étaient inutiles, il n'avait qu'à les +renvoyer en France. + +Étant à Erfurt, l'empereur donna l'ordre de désigner pour la +Westphalie, comme ministre de famille, le baron de Reinhard, +diplomate distingué, qui se rendit immédiatement de Coblentz à Paris +pour y recevoir du duc de Cadore, ministre des relations +extérieures, les instructions les plus détaillées et les plus +précises. Le baron de Reinhard arriva à Cassel à la fin de décembre +1808. Il trouva le corps diplomatique composé des ministres dont les +noms suivent: de Wurtemberg, baron de Geinengen; de Saxe, comte de +Schoenburg; de Bavière, comte de Leichenfeld; de Hollande, chevalier +de Huygens; de Darmstadt, baron de Moronville; de Prusse, M. Kuster; +du prince primat, comte de Beust; du grand-duc de Bade, baron de +Seckendorff, chargé aussi des affaires de Francfort; d'Autriche, +comte de Grüne; de Russie, prince de Repnin. + +Un peu avant l'arrivée de Reinhard, le roi Jérôme, blessé des actes +arbitraires et du sans-façon des agents français, même infimes, +expédia son aide de camp, le général Girard, à l'empereur, avec les +deux lettres ci-dessous, datées du 11 décembre: + + + Sire, le général Girard, mon aide-de-camp, aura l'honneur de + remettre cette lettre à Votre Majesté; je le charge de passer au + dépôt du 1er régiment des chevau-légers[109] pour tâcher de remonter + les hommes à pied; j'espère que Votre Majesté est plus contente de + mon régiment. + + [Note 109: Les escadrons de ce régiment, dans lequel servait + le fameux marquis de Maubreuil, étaient alors en Espagne et + son dépôt dans une ville de la Westphalie.] + + J'ai écrit plusieurs fois à Votre Majesté, et je n'ai pas reçu un + mot de réponse; j'espère cependant qu'elle n'est pas fâchée contre + moi, car je n'ai rien fait pour cela, et qu'au contraire le but de + toutes mes actions est de vous plaire. + + Ma santé est tout-à-fait rétablie, on me conseille cependant de + changer d'air pendant quelques semaines; si Votre Majesté n'est pas + de retour à Paris en janvier et qu'elle l'approuve, j'irai passer + huit jours à Amsterdam, à la fin du mois de janvier. + + Sire, en m'abstenant de toutes réflexions, j'ai l'honneur de mettre + sous les yeux de Votre Majesté plusieurs notes plus arbitraires + l'une que l'autre, en la priant de vouloir bien mettre ses décisions + sur chacune d'elles et de me les faire connaître. + + J'espère que Votre Majesté voudra bien arrêter les prétentions, tous + les jours plus fortes, de ses agents en Westphalie, dont les titres + très-subalternes de quelques-uns ne modèrent pas des mesures + humiliantes pour moi et d'après la continuation desquelles, il me + serait impossible de gouverner plus longtemps ce pays. + + +Habituellement, l'empereur ne répondait pas aux justes réclamations +de ce genre que lui adressaient ses frères. C'est ce qui eut lieu +encore dans cette circonstance et força Jérôme à envoyer de nouveau +à Paris, au commencement de février, un autre de ses aides de camp, +le général Morio. + +Dès son arrivée à Cassel, Reinhard avait envoyé au duc de Cadore +(Champagny) de longues lettres publiées au 3e volume des Mémoires du +roi Jérôme. + +Champagny lui répondit de Paris, les 21 et 26 janvier 1809: + + + Monsieur, j'ai reçu les différentes dépêches que vous m'avez fait + l'honneur de m'adresser depuis le nº 1 jusqu'au nº 6 inclusivement. + J'ai eu soin de rendre compte à Sa Majesté Impériale des détails les + plus intéressants qu'elles renfermaient. + + Vous êtes chargé, Monsieur, d'appeler l'attention de Sa Majesté le + roi de Westphalie sur la rédaction des gazettes qui se publient dans + ses États. Il est important qu'elle soit confiée à des hommes + habiles et sûrs qui, lisant avec soin les gazettes de Vienne et de + Presbourg, s'attachent à réfuter et à combattre surtout par l'arme + toute puissante du ridicule les articles de ces gazettes qui + pourraient être dirigés contre la France ou la Confédération du + Rhin. Ceux qui prêtent des idées de guerre à l'Autriche, se plaisent + à faire une longue énumération de ses forces militaires, ignorant + apparemment ou plutôt feignant d'ignorer que la France a encore + 150,000 hommes en Allemagne, qu'un même nombre de troupes françaises + se trouve en Italie, que la Confédération du Rhin peut mettre au + premier signal 120,000 hommes sur pied, que la conscription qui + s'organise en ce moment donnera 80,000 hommes de nouvelles levées, + et qu'enfin la retraite des Anglais permet à Sa Majesté Impériale de + disposer en cas de besoin d'une grande partie des troupes qui se + trouvent en Espagne. + + En vous faisant connaître les intentions de Sa Majesté Impériale, je + suis sûr que vous ne négligerez rien pour en assurer la complète et + parfaite exécution. Je vous prierai seulement de vouloir bien + m'instruire des mesures qui seront prises à cet égard par le + gouvernement westphalien. + + J'ai reçu, Monsieur, vos dépêches des 13 et 15 janvier nº 8 et 9. Sa + Majesté les a eues l'une et l'autre sous les yeux et a lu la seconde + avec plaisir. Son intention est que vous entriez dans les plus + grands détails sur toutes les parties de l'administration du royaume + de Westphalie, que vous parliez de la conduite du Roi, de celle des + ministres, des opérations du gouvernement. Elle veut être informée + de tout avec la plus grande exactitude afin de pouvoir éclairer et + guider, si besoin est, la marche d'un gouvernement qui l'intéresse à + tant de titres. Elle me charge de vous dire que vos dépêches ne + seront point vues, et qu'on ignorera la source des renseignements + que vous aurez donnés et dont elle croira faire usage. La + délicatesse qui vous fait craindre d'employer les chiffres aurait + l'inconvénient extrême de gêner votre franchise. Sa Majesté veut + donc que vous écriviez souvent en chiffres; dès que vous vous en + servirez habituellement, cela paraîtra tout simple; qui, d'ailleurs, + peut y trouver à redire? et comment même le saura-t-on, à moins + qu'on ne viole le secret de vos dépêches, et qu'on ne prouve ainsi + combien la précaution de chiffrer est nécessaire? + + Dans les cas graves, s'il en survenait, et pour faire connaître des + actes très importants du gouvernement du Roi, vous expédieriez des + courriers extraordinaires. + + Sa Majesté désire encore qu'à vos dépêches vous joigniez des + bulletins non signés, et contenant les nouvelles de société, les + bruits de la ville, les rumeurs, les anecdotes vraies ou fausses qui + circulent, en un mot une sorte de chronique du pays propre à le bien + faire connaître. + + Une autre lettre que vous recevrez en même temps que celle-ci, vous + instruit des intentions et vous transmet les ordres de Sa Majesté + relativement aux Français qui sont ou qui voudraient entrer au + service du Roi. + + +Ainsi, il ressort bien nettement de ces deux lettres de Champagny à +Reinhard que l'empereur voulait avoir auprès de Jérôme, comme auprès +de ses frères Joseph et Louis, sous le nom de ministres de famille, +des hommes chargés d'une sorte d'espionnage politique et +particulier. + +À dater de la réception des ordres de Champagny, la correspondance +entre lui et Reinhard ne fut plus interrompue. + +Reinhard écrit de Cassel, le 3 février 1809: + + + Monseigneur, Votre Excellence peut être assurée que dans tout ce qui + dépendra de moi, son intention sera remplie, et je ne cesserai point + d'insister auprès du gouvernement westphalien pour que la mesure + proposée reçoive sa prompte exécution. + + M. d'Esterno, ministre du roi à Vienne, ayant demandé un congé pour + affaires de famille, on a saisi cette occasion pour y envoyer M. le + baron de Linden, ministre de Westphalie près le prince Primat, et + qui est regardé ici comme une des colonnes de la diplomatie + Westphalienne. M. de _Linden_ connaît déjà Vienne; il s'y est rendu + sous le prétexte de terminer un procès. Sa mission est secrète, et + ce n'est pas M. de Furstentein qui m'en a fait la confidence. + Cependant il m'a fait lecture d'une lettre écrite de Munich et de + Vienne que j'ai facilement reconnue comme étant l'ouvrage de cet + agent. Elle m'a paru écrite avec justesse. M. de Linden attribue en + grande partie les faillites qui ont eu lieu en Autriche, à ce que + les spéculations en denrées coloniales que plusieurs maisons avaient + faites, sur la foi de l'engagement pris par leur gouvernement de + prohiber l'entrée des marchandises anglaises, avaient été trompées + par l'admission dans le port de Trieste d'une très grande quantité + de ces marchandises. Il fait un tableau qui me paraît assez vrai de + la fermentation guerrière qui s'est emparée des têtes autrichiennes, + et de la faiblesse du gouvernement qui, incapable de diriger le + mouvement des esprits, risque d'en être compromis et d'y céder + peut-être, s'il ne le partage point, et donne la mesure de son + incapacité et de son irrésolution à ses propres sujets s'il le + partage. Il dit que deux députés des insurgés espagnols ont été + admis récemment à Trieste. Il ajoute que les États des différentes + provinces ont été convoqués pour délibérer sur une solde à accorder + aux milices, et que comme on avait promis à la France que cette + milice n'en aurait point, la curiosité publique attendait le + gouvernement à la tournure qu'il donnerait à sa proposition. + + Quant à M. le comte de Grüne, nommé par la cour de Vienne pour + résider à Cassel, il déclare qu'il est prêt à partir, mais que + n'ayant pas encore reçu ses lettres de rappel, du poste de + Copenhague, il est obligé d'attendre que sa première mission soit + terminée dans les règles. M. de Grüne attendra; son gouvernement + attendra; il n'y a que la France qui soit prête. + + +Nous arrivons maintenant aux curieux bulletins prescrits par +l'empereur et dans lesquels se reflètent les petites intrigues de la +cour de Westphalie: + + + BULLETIN. + + Cassel, ce 5 février 1809. + + Monsieur le comte de _Wernigerode_, grand-maréchal du Palais, part + demain pour Marseille. + + «Eh bien! grande-maîtresse, dit-il en riant il y a quelques jours à + Madame la comtesse de Truchsess, je pars; tâchez de mettre ce temps + à profit, je resterai un mois, et si vous ne l'empêchez, je + reviendrai!»--«Un mois! grand Maréchal! c'est bien court, mais nous + verrons.» Le mois ne sera pas mis à profit; car Madame la Comtesse + aussi part aujourd'hui pour aller revoir Monsieur son père, en + attendant que son mari la rejoigne pour son voyage d'Italie. Ce + voyage et la démission acceptée de Madame la grande-maîtresse se + trouvent dans le _Moniteur Westphalien_ d'hier. Voici un mois de la + vie de Madame de Truchsess. + + + BULLETIN. + + 5 février 1809. + + La semaine dernière a vu se renouveler dans l'intérieur du palais + les tracasseries qui avaient déjà eu lieu avant l'arrivée de la + légation française à Cassel. Mme de Launay, fille de M. Siméon, + ayant profité au premier bal masqué de la liberté du déguisement, + avait fait quelques plaisanteries à M. de Pappenheim. Ces choses, + fort innocentes d'elles-mêmes, furent le lendemain rapportées à la + Reine, non telles qu'elles avaient été dites, mais empoisonnées et + commentées avec la charité qu'on a dans les cours, en sorte que le + lendemain il n'était bruit que des propos de Mme de Launay et du + mécontentement de la reine contre elle. + + M. Siméon en fut aussi affligé que sa fille: il alla trouver le roi + à qui il se plaignit décemment de _Mme de Truchsess_, auteur de ces + bruits. Le Roi s'emporta contre elle; il dit que c'était une + _faiseuse d'histoires_, qu'elle mentait, que son père mentait, que + son frère mentait, et qu'il n'y avait que le mari qui valût quelque + chose dans la famille. + + Le soir, la grande-maîtresse ayant paru devant le roi, en fut + froidement accueillie: elle pleura, jeta les hauts cris, s'évanouit. + En dernier résultat, elle a offert sa démission qui a été acceptée + avec plaisir par le roi, mais (on croit) avec peine par la reine qui + lui est fort attachée. + + Mme de Truchsess joint à de la beauté beaucoup de grâce et de + séduction dans l'esprit. Elle était l'ornement d'une cour qui + pourtant n'est pas dépourvue de beautés, mais son goût pour + l'intrigue et pour les tracasseries gâte toutes ses heureuses + qualités. Il paraît que le but secret de toutes ses manoeuvres était + de regagner le coeur du roi. On ne peut expliquer que de cette + manière plusieurs parties de sa conduite qui, sans cela, + paraîtraient hors de toute mesure. Il est vrai qu'on ne serait pas + juste non plus, si on la jugeait d'après ce qu'en disent ses + ennemis. + + Son goût pour écrire ne peut être ni aussi vif ni aussi actif qu'on + le suppose: il y a certainement eu dans sa conduite beaucoup de + choses étourdies qu'on a revêtues de fausses couleurs; comme elle + maltraitait tout le monde, tout le monde la traitait avec rigueur, + et souvent d'innocentes plaisanteries ont pu être données pour un + secret désir de perdre ce qui l'entourait. Quoi qu'il en soit, comme + elle passait presque toutes ses journées en tête-à-tête avec la + reine à qui elle avait persuadé qu'il n'était pas de sa dignité de + vivre avec les autres dames, on disait que pour charmer l'ennui de + cette solitude, elle amusait la reine en lui racontant des histoires + et des anecdotes qui n'avaient pas tout-à-fait pour objet de mettre + les Français en grand crédit auprès de Sa Majesté. + + Elle annonce qu'elle accompagnera son mari qui part sous peu de + jours pour l'Italie. Mais elle est si redoutée qu'on n'ose se livrer + à la joie, et en effet il se pourrait qu'elle se décidât, pour le + plaisir de désoler ses ennemis, à ne pas désemparer. + + Avant-hier, 3 février, il y a eu bal masqué à la cour. La reine y a + dansé dans un quadrille polonais composé de toutes personnes de + l'intérieur. Comme le nombre de celles présentées à la cour est très + borné, on était convenu d'admettre au bal beaucoup d'étrangers. + L'ordre était de ne se point démasquer: le roi s'y est fort amusé, + il s'est travesti plusieurs fois; la reine a paru également prendre + part au divertissement où on a pu voir que le génie et la variété + des travestissements étaient entièrement dirigés vers le but de + plaire à Leurs Majestés. + + +La comtesse de Truchsess, grande-maîtresse de la maison de la reine, +était jolie et intrigante. Elle avait été bien, disait-on, avec le +jeune roi. La reine l'aimait beaucoup. On l'appelait plaisamment sa +gouvernante. M. de Truchsess était un brave homme qui, renvoyé dans +ses terres à cause des intrigues de sa femme, fut remplacé à la +cour, dans ses hautes fonctions, par le colonel Salha. L'ancien +capitaine de frégate Salha était de Marseille, où il avait de la +famille et des intérêts. Voilà ce qui explique les deux bulletins de +Reinhard, du 5 et 6 février, et le troisième du 16 du même mois. + + + BULLETIN. + + 16 février 1809. + + Mme la comtesse de Truchsess avait donné sa démission le 3 au soir. + Le lendemain en s'éveillant, elle la trouva acceptée sur sa table de + nuit. On prétend qu'elle ne s'y attendait pas. Le dimanche après, 5 + février, il y eut cercle et bal à la Cour; on prétend qu'elle avait + demandé à y être reçue dans son rang de grande-maîtresse. Elle fut + invitée: quant au rang, on lui déclara qu'elle aurait celui de femme + de grand dignitaire: elle vint pourtant. En entrant dans la grande + salle, à chaque pas qu'elle faisait en avant, on aurait dit qu'elle + allait en faire un autre en arrière. Sa figure décomposée + travaillait à prendre une contenance: elle aborda en hésitant les + premières dames; elle se remit après quelques saluts qui lui furent + rendus. Pour entrer dans la salle du bal où étaient le roi et la + reine, les dames furent appelées par classes: les dames du palais; + les dames des grands dignitaires; Mme de Truchsess allait entrer + seule: elle hésita. Enfin il s'en trouva une seconde; les dames des + ministres d'État; les dames des ministres étrangers; les dames + présentées; les demoiselles invitées. Il y en avait d'assez + vieilles; malgré cela, le bal était fort beau. + + Mme de Truchsess joua son rôle admirablement pendant le reste de la + soirée. Le surlendemain, son mari en donna une chez elle; les + billets portaient qu'il y aurait un violon. C'était pour ouvrir sa + maison, dont l'ameublement venait d'être achevé. Du corps + diplomatique on n'avait invité que le ministre de France avec sa + femme, et celui de Bavière avec la sienne, parente de Mme de + Truchsess, et qui, la veille, avait porté un toast à: «_ce qui vient + d'arriver_.» Il y eut un violon et point de bal; des tables de jeu + et point de jeu; des groupes et point de conversation; un souper + pourtant, car on mangea beaucoup pour sortir d'embarras. À en croire + Mme de Truchsess, elle était enchantée de ce que cela s'était enfin + arrangé: elle projetait le voyage d'Italie, de Naples surtout où + elle trouverait ses parents (avec lesquels elle était encore + brouillée la veille); celui de Paris sûrement, si la Cour y était; + celui de Koenisgsberg où son mari a des terres. _Elle craignait + seulement qu'on ne le pressât trop de revenir._ En attendant, on la + pressait de partir, et elle choisit pour son départ le jour où M. + Siméon donna un bal masqué auquel le roi et la reine ont assisté. + + Mme de Launay avait reçu du Roi un cadeau de quelques schaals et + d'une robe magnifique. Le jour du bal de son père, la Reine lui fit + un accueil extrêmement gracieux. Sous tous ces rapports, son + triomphe fut complet. L'assemblée n'était pas nombreuse, mais elle + était choisie. La gaieté, l'élégance, le bon goût y régnaient. + + Le jour même du départ de Mme de Truchsess, le roi envoya + l'intendant-général de la liste civile pour faire l'inventaire des + meubles de son palais. Cet hôtel avait été occupé par le ministre + des finances qui, pour faire place à Mme de Truchsess, alors en + faveur, avait été obligé de l'_évacuer en vingt-quatre heures_; + aussi M. D'Albignac, grand-écuyer, dit-il au roi: «_Vive ce départ, + il vous donne quatre-vingts mille livres de rente._» + + Les fêtes du carnaval se terminèrent par un grand bal masqué donné + par le maréchal du palais. Mille billets avaient été distribués: + neuf cents personnes au moins furent présentes; le roi avait envoyé + des billets aux notables de Münden, petite ville à quelques lieues + de Cassel, qui s'était distinguée dernièrement par la promptitude et + l'activité des secours qu'elle avait portés à un village incendié. + Ils arrivèrent soixante-quinze en dix voitures: ils se crurent + transportés dans un monde enchanté; un d'eux avait perdu son billet, + et son désespoir était de penser à ce que dirait le roi de son + impolitesse lorsqu'il s'apercevrait de son absence. Le roi et la + reine furent reçus par des bergers et des bergères portant des + guirlandes, et formant un berceau sous lequel passèrent Leurs + Majestés. Le bal fut ouvert par un quadrille espagnol. Il est + impossible de peindre la variété, l'élégance et le mouvement de + cette fête. M. le général Du Coudras fit jouer des pantins avec un + talent unique. La reine avait arrangé une foire. Dans une douzaine + de boutiques, ses dames distribuaient de petits cadeaux. La reine + avait une cassette remplie de bijoux; elle était d'une gaieté + délicieuse; quelques-uns prétendaient que sans s'en douter elle se + réjouissait de n'avoir plus _de gouvernante_. Le bal se prolongea + jusqu'à cinq heures du matin. + + Comme on avait engagé tout le monde à faire quelques folies, les + membres du corps diplomatique s'étaient réunis pour représenter un + jeu d'échecs, et, puisqu'il devait y avoir un roi battu, on était + convenu de prendre le costume de mameluck. Seize enfants devaient + faire les pions. Cependant à la Cour on trouva avec raison que dans + une telle foule un tel nombre d'enfants pourrait avoir des + inconvénients, et le projet fut abandonné. Le ministre de France, + invité par une députation de ses collègues à se mettre à la tête + d'une mascarade représentant un bey d'Égypte avec son harem, y + consentit. La procession se présenta devant le Roi et la Reine; + quelques présents, quelques vers furent offerts et agréés: tout se + passa en pantomime; le Roi trouva l'exécution noble: elle parut + faire plaisir généralement. + + À une heure, quelques personnes choisies se rendirent au souper dans + l'appartement de la Reine: dans ce nombre furent les ministres de + France et de Hollande. Les épouses des autres ministres y furent + invitées sans leur mari. Cette distinction fut très-sensible à ces + derniers. Le ministre de Saxe s'en plaignit à M. de Furstenstein; + celui de Bavière avait fait un voyage exprès, dit-on, pour ne point + risquer d'être exclu du souper. M. de Furstenstein a répondu qu'il y + avait eu erreur. D'autres sans doute et avec raison ont cru y voir + une distinction faite en faveur des ministres de famille; mais comme + la Cour ne s'est point expliquée à cet égard, les préférences et les + exclusions ont l'apparence d'être personnelles. + + +Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le roi, ne recevant pas de +réponse de l'empereur relativement à ses justes réclamations à +l'égard des agents français en Westphalie et désirant mettre son +frère bien au courant de la situation financière du pays, lui +expédia son premier aide de camp, le général Morio, avec la lettre +ci-dessous: + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 3 février 1809. + + Sire, j'envoie auprès de Votre Majesté le général Morio, mon premier + aide de camp; il a été un de mes ministres, il était présent à tous + mes conseils d'administration, et connaît très bien la situation de + mon royaume. Votre Majesté pourra avoir de lui tous les + renseignements qu'elle désirera prendre sur l'état du trésor, comme + sur les autres parties d'administration. + + Je ne puis prendre de biais avec Votre Majesté ni la tromper en + aucune manière dans une circonstance aussi majeure, mais il est + certain que le royaume de Westphalie ne peut résister plus de 6 mois + au mauvais état des finances. + + Quant à moi, Sire, je me trouverai toujours bien partout où je serai + placé par Votre Majesté, si je conserve toute son amitié. + + +L'empereur était peu porté à aimer et à estimer les officiers qui +quittaient son service pour celui de ses frères; il répondit à +Jérôme, le 11 février 1809: + + + Je suis étonné que vous m'envoyiez le général Morio, qui est une + espèce de fou. Vous trouverez bon que je ne le voie pas. Quant à la + situation de votre trésor et de votre administration, cela ne me + regarde pas. Je sais que l'un et l'autre vont fort mal. C'est une + suite des mesures que vous avez prises et du luxe qui règne chez + vous. Tous vos actes portent l'empreinte de la légèreté. Pourquoi + donner des baronnies à des hommes qui n'ont rien fait? Pourquoi + étaler un luxe si peu en harmonie avec le pays et qui serait seul + une calamité pour la Westphalie par le discrédit qu'il jette dans + l'administration? Tenez vos engagements avec moi, et songez qu'on + n'en a jamais pris qu'on ne les ait remplis. Ne doutez jamais du + reste de tout l'intérêt que je vous porte. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 18 février 1809. + + Dans une dépêche précédente[110] j'ai rendu compte des recettes et + des dépenses présumées de la liste civile. Quant aux finances de + l'État, on m'assure que le déficit de l'année passée est de douze + millions et qu'une crise est inévitable, peut-être dans six mois. Il + est certain que les Juifs ont prêté de l'argent. On parle de trois + millions. Pour remplir le déficit, on s'occupe surtout à pousser + l'exploitation du sel aussi loin qu'elle peut aller. On compte sur + un grand débit en Hollande. Avant la dernière levée, le Roi + entretenait huit mille hommes de troupes. On parle d'une forte + réduction dans sa garde. Si la guerre a lieu, on ne doute pas que le + désir du Roi d'être appelé à l'armée ne soit rempli. L'on s'en + promet des moyens de faire de grandes économies pendant son absence. + + [Note 110: Publiée dans les _Mémoires du roi Jérôme_.] + + Sa Majesté Impériale a voulu que je lui rendisse compte de la + conduite des ministres. Le premier en ligne est M. _Siméon_: il + réunit à l'amour du travail et à la probité des connaissances, des + talents et de l'amabilité. Il est peut-être le seul qui avant de + fléchir devant la volonté suprême ose se permettre quelquefois des + représentations, qui ne sont pas toujours bien accueillies. En + public, il a constamment été traité avec une grande distinction, et + l'on croit que la faveur lui est revenue. Son département marche. Le + général _Eblé_[111] est infatigable au travail. Il se trouve, + dit-il, au milieu d'un chaos à débrouiller, de fripons à déjouer; + entravé par une triple administration, celle de l'armée, de la garde + et des troupes françaises, il ne sort presque point, mais tout son + extérieur montre une santé fortement dérangée; s'il continue ainsi, + le travail le tuera dans un an. + + [Note 111: Avait remplacé Morio à la guerre.] + + Le comte de _Furtenstein_ a grandi depuis que je l'ai vu à Dresde. + Il est de tous les ministres le plus constamment près de la personne + du Roi. Son ministère lui laisse encore quelques loisirs pour les + plaisirs. Il a les formes aimables et il se met peu à peu au niveau + de sa position. On s'aperçoit de temps en temps, même dans des + occurrences de routine, que le chef et les employés ont besoin + d'expérience. On rend justice à la droiture de son caractère. Les + soins à prendre pour sa famille font partie de ses occupations. Ce + qui le justifie, c'est que les soeurs sont aimables, les + beaux-frères des hommes de mérite. + + M. _Bulow_ était employé dans l'administration prussienne à + Magdebourg. Sa probité est intacte, mais on le dit peu capable de + sortir de la route ordinaire. Il serait peut-être à sa place si les + affaires étaient à la leur. Mais il les y fera venir difficilement. + On l'accuse de ne point aimer les Français; est-ce par aversion ou + seulement parce qu'il est ministre des finances? + + M. _de Volfradt_[112] est un homme de bien et de mérite, un peu + doucereux et probablement sans énergie comme son ancien maître. + L'organisation de son ministère l'occupe tout entier. Il est encore + à l'épreuve et c'est ce que le Roi lui-même, dit-on, lui a déclaré. + + [Note 112: Ministre de l'intérieur.] + + Parmi les prétendants à la place de ministre, on nomme toujours M. + Pothau[113] pour l'intérieur, M. Bercagny pour les finances ou la + justice. On prétend que M. de Truchsess visait à celui des relations + extérieures. + + [Note 113: Mari d'une des soeurs de Le Camus.] + + Parmi les membres du corps diplomatique, le ministre de Bavière a + une réputation de malignité et d'orgueil; celui de Hollande, de + petites finaceries et d'économie batave; celui de Saxe, bon, souple, + né courtisan, tremble d'avoir des affaires; celui de Wurtemberg, + poli et réservé, laisse dans le doute si sa nullité est de nature ou + de calcul; celui de Darmstadt, avec de la mesure, a une tournure de + franchise et de loyauté militaire; le chargé d'affaires de Prusse, + avec ses profondes révérences et son très modeste extérieur, est + vrai représentant d'un roi de Prusse: d'ailleurs il est instruit, + honnête homme, on se loue ici de sa conduite. + + M. _Bercagny_, sans avoir le titre de ministre d'état, l'est + peut-être plus que les autres: les talents, les connaissances + administratives, la finesse, l'activité ne lui manquent point; on + craint seulement que cette dernière qualité ne l'entraîne à faire + naître des affaires pour rendre sa place plus importante. On + attribue au Roi un penchant naturel pour faire, sous tous les + rapports, l'essai et l'usage de son pouvoir; et le mérite de M. + _Bercagny_ sera d'autant plus grand, s'il reste fidèle à + l'institution de la police qui est de prévenir les occasions de + punir. Tous les Westphaliens ne sont pas contents, tous ne sont pas + fidèles, mais ils ne conspirent point. Ce sont plutôt des indices + que des faits qui donnent lieu à ces remarques; mais on craint dans + une matière aussi grave des événements possibles qui pourraient + changer la marche sage et mesurée du gouvernement, ou le + développement d'un système qui pourrait le dénaturer. + + On parle ici d'un parti allemand et d'un parti français; parmi les + Allemands il existe un parti de l'ex-électeur et un parti du roi; + mais si dans le parti du roi on distingue un parti allemand et un + parti français, on commet une erreur qui pourrait conduire à des + conséquences fâcheuses. Le vrai parti français sera celui qui, + comptant sur l'inébranlable solidité du nouvel ordre de choses, se + reposera sur le temps pour acquérir de la fortune et des + distinctions et ne voudra pas recueillir dans une première année ce + qui doit être le fruit d'une longue carrière de travail et de + fidélité. + + + CHAMPAGNY À REINHARD. + + Paris, le 23 février 1809. + + Monsieur, S. M. l'Empereur et Roi a eu sous les yeux vos dépêches + des 3, 5 et 9 février, nºs 13, 14 et 15, et les deux bulletins y + joints, et m'a donné un ordre qu'il m'est agréable de remplir, celui + de vous témoigner sa satisfaction pour ces dépêches et de vous + mander qu'il les a lues avec intérêt. + + Bien que les dépenses du roi n'aient pas été aussi grandes que vous + l'avez dû croire, ignorant que le Roi ne touchait point son + traitement de prince français, comme elles ont de beaucoup dépassé + sa liste civile, l'Empereur lui a écrit pour lui en témoigner son + mécontentement; mais le Roi s'en excuse en niant la vérité du + reproche. Sa Majesté sent combien il est nécessaire d'inspirer à ce + prince un esprit d'économie et elle vous charge de profiter des + occasions que le Roi, s'entretenant avec vous, vous fournira pour le + faire, avec l'à-propos et la mesure qui vous sont propres. + + Du reste, S. M. croit utile que vous sachiez que ce que le Roi vous + a dit d'une question que l'Empereur lui aurait faite à votre sujet + et de sa réponse n'est qu'une forme plus aimable donnée par ce + prince à un compliment auquel vous ne sauriez mieux répondre qu'en + redoublant d'attention et de vigilance. + + Quant aux doutes que ma lettre du 25 janvier vous avait laissés, Sa + Majesté me charge de vous faire connaître que les Français employés + dans le palais au service du Roi et naturalisés Westphaliens, tels + que M. le comte de Fürstenstein et autres qui peuvent être dans le + même cas, n'étant plus Français sont libres d'accepter les + décorations qui leur sont données. Tous les autres n'en peuvent + accepter sans l'autorisation de Sa Majesté I. et R. + + Sa Majesté vous recommande de voir souvent M. Siméon et le général + _Eblé_ pour connaître leur opinion et leur position et la lui faire + connaître. + + +Des symptômes assez sérieux commençaient à faire prévoir une prise +d'armes de l'Autriche et il était à craindre que des troubles ne +vinssent à éclater en Westphalie. Jérôme, prévenu par divers +rapports et par quelques correspondances, en écrivit à l'empereur. +On trouvera aussi plus loin, à la date du 24 février, une lettre de +Reinhard à ce sujet, adressée à M. de Champagny. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 23 février 1809. + + Sire, j'envoie à Votre Majesté, par courrier extraordinaire, deux + dépêches chiffrées que j'ai reçues hier, non pas d'un agent + secondaire, mais d'un homme jouissant d'une grande fortune en ce + pays qui m'est entièrement dévoué et qui a des relations intimes + avec les personnes les plus distinguées de Vienne. + + Bien que je pense que Votre Majesté soit déjà instruite d'une partie + des détails contenus dans ces dépêches, j'ai cru ne pas devoir les + lui laisser ignorer et j'y joins un état des forces de l'Autriche. + + Les régiments westphaliens, dont j'ai annoncé le départ à Votre + Majesté, sont arrivés à Mayence. Il y a eu quelques déserteurs parce + qu'on leur a fait croire sur la route qu'ils allaient être désarmés + à Mayence et envoyés dans les Îles. Je vais les remplacer sur le + champ et porter cette division à 8000 hommes[114]. + + [Note 114: Cette division était dirigée sur l'Espagne où elle + périt presque tout entière. Le général Morio, qui la + commandait, ne reconquit pas la faveur impériale, car on + assure que ce malheureux officier s'étant présenté aux + Tuileries, à son retour de la Péninsule, Napoléon lui dit + brusquement: «Qui êtes-vous?--Le général Morio.--Vous + général? Dans mon armée vous ne seriez pas caporal.»] + + J'ai donné le commandement de cette division au général Morio que je + veux mettre à même de prouver à Votre Majesté ses véritables + sentiments. + + Sous ses ordres seront les généraux de brigade Weber et Boerner et + le chef d'état-major Hersberg. + + Je viens d'ajouter une seconde compagnie d'artillerie. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 19 mars 1809. + + Sire, quoique bien persuadé que Votre Majesté soit instruite de tous + les projets de l'ennemi, je ne crois pas devoir me taire sur le + rapport qui vient de m'être fait par des officiers de ma maison, + ayant, pour leurs affaires personnelles, des relations étroites en + Hanovre. + + D'après ce rapport «il paraît que les Anglais ont formé le projet de + débarquer 30 à 40 mille hommes sur les côtes de Hanovre pour + attaquer ce pays et pénétrer en Hollande.» + + J'annonce avec satisfaction à Votre Majesté que la levée de la + conscription se fait avec le plus grand zèle dans la majeure partie + de la Westphalie et principalement dans les départements de l'Elbe + et de l'Ocker dont l'esprit est excellent. + + Quant au pays de l'ancienne Hesse, il est décidément mauvais et je + désirerais bien que Votre Majesté m'autorisât à répartir dans cette + partie de mon royaume un des régiments français qui sont à + Magdebourg, afin de dissiper les esprits remuants et de contenir les + malveillants. + + Si Votre Majesté consent à cette demande, j'enverrai en remplacement + à Magdebourg un régiment westphalien de même force. + + Je prie Votre Majesté de me répondre sur cet objet. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, le 24 février 1809. + + M. le comte de _Furstenstein_ m'a fait part des nouvelles qu'il a + reçues de Vienne et qui ont déterminé le Roi à envoyer hier un + courrier à Sa Majesté l'Empereur. Il m'a parlé aussi d'une lettre de + M. _Hesstinger_ à Darmstadt, qui, ayant à écrire à M. _Pothau_, + l'informe en confidence du mécontentement général qui, d'après les + renseignements parvenus à M. _Hesstinger_ et qu'il dit avoir fait + connaître à Votre Excellence, régnerait en Westphalie et qui selon + lui pourrait amener une explosion générale. M. de _Furstenstein_ m'a + dit qu'il n'attachait pas une grande importance à cet avertissement; + que la police était parfaitement faite en Westphalie; que le peuple + était bon; que les nobles étaient fidèles; que le Roi était aimé et + qu'il était d'ailleurs exactement informé de tout ce qui se passait + dans son royaume. Quoique je partage à plusieurs égards cette + opinion de M. de _Furstenstein_, je me réserve cependant, + Monseigneur, de revenir sur cet objet sous le double rapport des + faits et des réflexions qui s'y rapportent. + + +On voit que M. Reinhard, moins optimiste que M. de Furstenstein, +était aussi plus clairvoyant. On touchait aux aventures de Schill, +du duc de Brunswick et à la guerre avec l'Autriche. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, ce 28 février 1809. + + J'ai annoncé à Votre Excellence que j'aurais quelques détails à + ajouter au compte que j'ai rendu dans ma lettre nº 17 de l'audience + particulière que j'ai eue de Sa Majesté westphalienne. M. le comte + _de Furstenstein_ était venu me dire que je n'aurais qu'à m'adresser + au chambellan de service et que le Roi me recevrait immédiatement. + Je suppose, ajouta-t-il, que vous avez quelque chose de particulier + à dire à Sa Majesté. «Non, dis-je, il ne s'agit que de communiquer + les vues de l'Empereur concernant l'organisation du contingent + westphalien: je suis un ignorant qui ira prendre une leçon chez un + maître consommé dans l'art militaire.» Sur cela M. _de Furstenstein_ + m'apprit que le Roi avait mal dormi.--C'est qu'on veille un peu tard + (il y avait eu deux nuits de bal pour l'anniversaire de la + Reine).--Oui, dit M. _de Furstenstein_, le Roi travaille souvent + fort avant dans la nuit. + + Lorsque j'arrivai, M. le comte _de Furstenstein_ était avec le Roi. + Je fus introduit dès qu'il fut sorti. Ce n'est, dit le Roi, qu'une + circulaire, qu'une note diplomatique. Quand je l'eus informé que le + même courrier m'avait apporté l'ordre de proposer aux princes de + Waldeck et de la Lippe quelques changements relatifs à + l'organisation de leur contingent, le Roi me cita l'exemple de + quelques soldats westphaliens enrôlés dans le pays de Schauenbourg. + «J'ai fait dire au prince, ajouta-t-il, que s'il ne les rendait pas, + j'enverrais des gendarmes pour les faire chercher et que je pourrais + bien le faire venir lui-même. (Le prince vint en effet à Cassel pour + s'excuser.) Ces petits princes m'ont proposé de m'envoyer des + ministres, je n'en ai pas voulu.» + + Par une transition un peu brusque le Roi me parla ensuite des + comptes de M. _Jollivet_, où se trouve porté jusqu'à l'herbe qui + croît sur la place Frédéric et sous les croisées du château sur les + bords de la Fulde. + + Il paraît que cet article et plusieurs autres que Sa Majesté me cita + avec une irascibilité qui m'a paru légitime, s'étaient trouvés + compris dans la moitié des domaines réservée à Sa Majesté l'Empereur + et qu'ils avaient été évalués à une certaine somme dont M. + _Jollivet_, par une raison de devoir aussi très légitime, demandait + le remboursement. «J'aurais pu envoyer ces beaux comptes à + l'Empereur; mais je n'ai pas voulu faire tort à M. _Jollivet_ dans + l'esprit de mon frère: Cependant, je sais que M. _Jollivet_ est mon + espion. À quoi bon écrire à Paris que j'ai donné un diamant, que + j'ai couché avec une belle? Un ministre ne doit point s'occuper de + ces bagatelles; il doit mander que le Roi se porte bien, que la + Westphalie marche dans le système de la France, et voilà tout. Que + résulte-t-il de cet espionnage? Cela peut donner un instant + d'humeur; des frères peuvent se brouiller un instant et peut-être + cela m'est-il déjà arrivé; mais ils se réconcilient. J'aime et je + respecte l'Empereur comme mon père; l'Empereur dans un moment de + vivacité peut me faire quelques reproches, mais ensuite on + s'explique et l'on sait mauvais gré à celui qui a été la cause de la + brouillerie.--Votre Majesté, dis-je, a daigné me dire qu'elle était + contente de moi; j'ose me flatter qu'elle l'est encore et je la + supplie surtout de croire que ma conduite tendra constamment à + entretenir les sentiments d'amour qui lient les deux augustes + frères.--Oui, dit le Roi, et puis revenant aux comptes de M. + _Jollivet_, et puis l'apostrophant et évitant avec une adresse + admirable de me donner le droit de m'expliquer ce vous qui semblait + cependant me regarder aussi: si vous mandez jusqu'à ce qui se passe + dans ma cuisine, je vous traiterai comme le ministre de Bavière, + comme le ministre de Wurtemberg, et non comme ministre de famille; + je ne vous admettrai chez moi que dans les occasions de cérémonie + (le Roi, me demandai-je, aurait-il lu mon dernier bulletin? Il était + parti par cette voie peu sûre d'Hanovre); d'ailleurs M. _Jollivet_ + n'a jamais été accrédité près de moi; je pourrais le regarder comme + étranger; je pourrais même, s'il voulait me tracasser, le prier de + partir; cependant c'est un honnête homme, c'est un brave homme, mais + il se noie dans les détails. Si vous étiez chez le roi de Bavière, + chez le roi de Wurtemberg (toujours M. _Jollivet ou moi_?) alors, à + la bonne heure, il faudrait tout observer, tout écrire; mais tout ce + que mon frère voudra savoir je le lui écrirai moi-même, et pour être + bien avec l'Empereur il faudra être bien avec moi.» Je saisis ces + dernières paroles: «Sire, Votre Majesté me fait la leçon; elle + prêche un converti, et je la prie d'être convaincue que ce que je + désire ardemment, c'est d'obtenir et de mériter sa confiance.» Cette + conversation, Monseigneur, qui dura près d'une demi-heure et dans + laquelle je me sais gré de m'être restreint à ce peu de mots que + l'abondance et peut-être une intention préméditée du Roi me + permirent de placer, m'a paru devoir être rapportée parce qu'elle + peint et le caractère du Roi et ma situation. J'ai eu pendant un + instant le projet de dire à M. de _Furtenstein_ qu'il n'avait qu'à + consulter Wicquefort ou Burlamaqui, pour se convaincre que l'idée + que le Roi se faisait des devoirs d'un ministre était un peu trop + étroite, mais j'ai réfléchi que la sagacité de Sa Majesté s'était + prémunie contre toute objection. C'est parce qu'il est frère de + l'Empereur que le Roi trouve qu'il est inutile qu'on écrive ce que + sa confiance le porterait au besoin à écrire lui-même. C'est parce + qu'il est frère de l'Empereur que Sa Majesté impériale veut être + informée de tout; et dans cette différence d'opinion mon devoir est + tracé, il consiste à obéir à mon souverain. + + Cependant, depuis cette audience, j'ai pris occasion de demander à + plusieurs personnes qui m'ont parlé de l'état des finances, et même + à M. _Bercagny_, si personne n'avait proposé au Roi de mettre la + véritable situation de ses affaires sous les yeux de Sa Majesté + impériale? Qu'il me semblait que c'était là le seul moyen de sortir + d'embarras et d'éviter de grands inconvénients; enfin qu'instruire + l'Empereur était rendre le plus grand service au Roi. M. _Bercagny_ + m'a répondu qu'il croyait qu'un enchaînement malheureux de + circonstances avait empêché que cela ne se fût jamais fait d'une + manière détaillée et lumineuse; que M. _Beugnot_, l'homme le plus + propre à faire un pareil exposé, s'en étant chargé et étant tombé + malade, avait trouvé Sa Majesté impériale partie pour Bayonne; que + depuis le Roi n'avait envoyé à Paris que des aides-de-camp et qu'en + général il était difficile de trouver ici un homme capable de + répondre, sous ce rapport, à l'attente de l'Empereur. + + Le lendemain de mon audience, M. de _Bulow_, ministre des finances, + me dit: Votre visite d'hier va nous coûter encore quelques + millions.--Je répondis qu'il n'y avait dans les intentions de Sa + Majesté impériale rien qui dût amener ce résultat.--Mais le Roi l'a + dit.--Au contraire, dans ce que le Roi a dit vous pourriez y trouver + une épargne; car si le contingent doit toujours être de 25,000 + hommes et qu'il soit question de former deux divisions + westphaliennes; le Roi se proposant de demander, dans la même + proportion, une diminution des troupes françaises à votre solde, y + gagnerait tout ce que, selon lui, un pareil nombre de troupes + westphaliennes coûte de moins. + + C'est depuis quelques jours, Monseigneur, que les doléances sur + l'état des finances westphaliennes me parviennent de toutes parts. + Tous les ministres et un grand nombre de conseillers d'État m'en ont + parlé, à l'exception de M. _de Furstenstein_ qui s'en tient à la + politique et qui, du reste, voit tout en couleur de rose. C'est que + peu à peu les états de recette et de dépense de l'année passée se + complètent, que le bilan se fait et que l'abîme est devant les yeux. + Il peut s'être glissé dans les renseignements que j'ai déjà transmis + à Votre Excellence, des inexactitudes de détail; mais les résultats + sont certains. Pour l'année courante, le ministre des finances + espère 38 millions; il en promet 36. Sur cette somme, il faudra pour + les troupes westphaliennes 13 à 14 millions que le ministre de la + guerre espère de réduire à onze ou à douze; pour les troupes + françaises huit millions. Or les autres dépenses sont évaluées par + le budget: + + Dette publique, intérêts, 3,700,000 fr.} + } 4,500,000 fr. + Amortisation, 800,000 } + + Liste civile, 5,000,000 + + Conseil d'État, 322,000 + + Ministère de la justice et de l'intérieur, 5,000,000 + + -- des finances, du commerce et du trésor, 8,463,000 + + -- du secrétaire d'État et des rel. ext., 1,090,000 + + -- de la guerre, 20,000,000 + --------------- + Total, 44,375,000 fr. + + On porte à un million la dette flottante de la liste civile. Si + celle-ci doit encore puiser dans le trésor public, voilà le tonneau + des Danaïdes; et comment dès cette seconde année les économies du + Roi peuvent-elles faire rentrer la dépense dans les limites qui ont + été si fortement excédées? + + Les sujets de la Westphalie payent 19 à 20 francs par tête. De tout + temps cette proportion était en Allemagne; en temps de guerre, sans + commerce et sans la possibilité d'établir un système productif et + bien combiné d'impositions indirectes, elle pourra difficilement se + maintenir, au moins il sera impossible de la dépasser. Et que + pourra-t-on attendre de la ressource des emprunts? + + Dans ma dépêche nº 16 j'ai informé Votre Excellence qu'on comptait + beaucoup sur le débit des sels westphaliens en Hollande. Depuis + quelques jours MM. _Vanhal_ et _Grellet_, négociants d'Amsterdam, + sont arrivés ici. Il s'agit, autant que je puis en juger dans ce + moment, d'une espèce de traité de commerce, en vertu duquel ces + maisons feraient des avances en argent qui leur seraient remboursées + par des sels, des cuivres, des fers et d'autres minéraux qu'ils + auraient la faculté d'extraire de la Westphalie. L'avance dont on + parle est de 6 millions. Le ministre de Hollande a présenté ces + négociants à M. le comte de _Furstenstein_; hier ils ont eu avec le + ministre des finances une conférence où leurs propositions ont été + acceptées; aujourd'hui le tout sera soumis à l'approbation de Sa + Majesté. Ils se sont présentés chez moi pour me demander des lettres + de recommandation pour les agents français à Brême par où + l'exportation doit se faire en suivant le Weser. Je leur ai promis + ces lettres; mais je les ai prévenus que mon devoir serait de rendre + compte de cette transaction à mon gouvernement. Ils m'ont dit que M. + _de Furstenstein_ se proposait de m'en parler. + + M. le baron de Linden, ministre plénipotentiaire de Westphalie près + le prince-primat, vient d'être nommé ministre plénipotentiaire à + Berlin. M. _Siméon_ fils, qui depuis trois mois y était arrivé comme + chargé d'affaires, a été nommé ministre plénipotentiaire à Darmstadt + et chargé d'affaires à Francfort. Le Roi a fait cette distinction + parce qu'il est survenu que le prince-primat n'avait point encore + accrédité de ministre auprès de la cour de Westphalie. M. _de + Norvins_, secrétaire général du ministère de la guerre, a été nommé + chargé d'affaires près la cour de Bade. On dit que M. _d'Esterno_ + par ordre du Roi a dû retourner à Vienne. Lorsque M. _de + Furstenstein_ me parla du retard de l'arrivée du comte de Grüne, je + lui demandai si ce retard avait influé sur la permission donnée à M. + _d'Esterno_ de s'absenter de son poste? Il me répondit que non. M. + _de Linden_, de son côté, est sur le point de quitter Vienne. Ses + dernières lettres annoncent que les troupes autrichiennes se mettent + en mouvement, que la guerre est résolue à Vienne, que l'archiduc + _Charles_ commandera en Allemagne une armée qu'on dit être de + 120,000 hommes et qui pourra être de 130,000; que l'archiduc _Jean_ + commandera 100,000 hommes du côté de l'Italie; l'archiduc + _Ferdinand_ l'armée de Bohême.--C'est ainsi que la destinée poursuit + sa marche et que les décrets de la providence s'exécutent, lorsque + l'heure de la chute des empires a sonné! + + +La guerre avec l'Autriche devenant de jour en jour plus probable, +l'empereur voulut avoir des notions certaines sur le contingent +westphalien, et fit envoyer l'ordre au baron Reinhard de lui faire +connaître exactement l'état des troupes de Jérôme. Vers le +commencement de mars, le ministre adressa, sur ce sujet, à M. de +Champagny, une très longue lettre que nous allons analyser. + +M. Reinhard s'étant adressé, pour avoir des renseignements exacts, +à M. de Norvins, alors secrétaire-général au département de la +guerre, et le général Eblé, ministre, ayant refusé de communiquer +les états de situation, M. de Norvins avait tiré de sa mémoire les +chiffres et les notions d'où il résultait: que l'armée westphalienne +était forte de 12 à 13 mille hommes dont 500 officiers, présents +sous les drapeaux, que sur ce nombre 7000 étaient en marche et en +Espagne, et 2500 à Cassel; que le matériel d'artillerie, fort +pauvre, consistait en dix-huit bouches à feu données par l'empereur; +que le général Morio venait d'acheter vingt-deux caissons et leurs +attelages, que les généraux étaient pour la plupart vieux, usés, +incapables, etc. La lettre de Reinhard se terminait ainsi: + + + Le général _Eblé_, Monseigneur, est venu m'entretenir de ses + chagrins et de ses sollicitudes. Il craint, malgré toute la + persévérance de son travail, de n'être pas en état de mettre de + l'ordre dans l'administration et dans l'organisation de l'armée + westphalienne et de remplir l'attente de S. M. I. Le Roi, dit-il, + n'est pas toujours disposé à s'occuper des détails. Beaucoup + d'heures se perdent à attendre dans l'antichambre. On est distrait + et l'on ne donne pas assez d'attention à ce qui n'amuse pas assez. + Souvent même une chose a été convenue et le lendemain c'est à + recommencer, parce que M. le comte de Bernterode (Du Coudras) + peut-être s'y est opposé. Au conseil d'État (et ceci ce n'est pas le + général Eblé qui me l'a dit) le ministre de la guerre, qui n'est pas + orateur, fait sa proposition. Un orateur, par exemple le général + Morio, parle contre avec éloquence. Le général Eblé hausse les + épaules et se tait. Souvent l'éloquence l'emporte. Souvent aussi le + roi dit: Morio, vous n'y êtes pas!--Mais voici ce que le général + Eblé m'a raconté, et ce qui lui a fait de la peine. + + Au dernier conseil, le comte de Hardenberg, grand-veneur, dit, au + sujet d'une certaine affaire: Je m'arrangerai là-dessus avec le + ministre de la guerre--Ce n'est pas cela, dit le roi en plein + conseil, vous êtes grand-officier et c'est au ministre de la guerre + à s'arranger avec vous. Il semble que si cette maxime est bonne, il + faudrait au moins pour la proclamer attendre que le temps et l'usage + l'eussent consacrée? + + M. _d'Albignac_, grand-écuyer, en déplorant comme le général Eblé + les désordres des finances, l'impossibilité de continuer les + dépenses de la cour sur le pied où elles sont, est réduit à la + nécessité de se renfermer dans un respectueux silence après s'être + fait dire souvent: «Ce ne sont point là vos fonctions.» Il m'a + exprimé le désir ardent de voir le Roi appelé à l'armée. Il ne voit + que ce seul moyen d'espérance et presque de salut. Au retour + d'Erfurt, m'a-t-il dit, le Roi était un tout autre homme. Ses + conversations avec l'Empereur l'avaient changé, mais huit jours + après, les femmes, la Reine, les intrigants l'avaient de nouveau + circonvenu.--Et comment fait, lui demandai-je, le trésorier-général + M. Du Chambon qui paraît être un très honnête homme?--Il se désole + et puis il s'étourdit, dit-il. + + Il est de mon devoir, Monseigneur, non d'accuser M. _de Bulow_, + ministre des finances, mais de dire que beaucoup de personnes + l'accusent. Aux yeux de M. _Jollivet_, c'est un ennemi des Français, + qui n'est jamais de bonne foi. Aux yeux de M. _d'Albignac_, c'est un + Prussien qui nous trahit et qui dans cette vue augmente le désordre + et favorise les dépenses. Aux yeux du Roi lui-même, m'a-t-on dit, + c'est un homme qui ment avec un sang-froid imperturbable. + + Le général _Eblé_ aussi m'a dit que sa conduite commençait à lui + inspirer des doutes; qu'ils étaient convenus de faire en commun au + Roi des représentations sur l'état des finances et sur + l'impossibilité de faire ou de continuer certaines dépenses; mais + qu'au moment décisif M. _de Bulow_ avait fléchi et qu'il avait fini + par dire qu'il y avait moyen de trouver de l'argent. M. _de Bulow_ + est celui des ministres que je connais le moins, et qui, quoique je + ne laisse pas de causer souvent avec lui, se tient assez en réserve + avec moi. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 10 mars 1809. + + J'étais déjà informé que le Roi ne touchait point son traitement de + prince français; mais je n'ai point rectifié cette erreur, parce + qu'elle se rectifiait d'elle-même: quant à la dépense de la liste + civile que j'ai portée à 13 millions en treize mois, je l'ai évaluée + ainsi sur l'autorité de deux ministres d'État. D'autres + renseignements, comme j'ai eu l'honneur de l'écrire à Votre + Excellence, la restreignaient à dix ou douze millions. J'ai ensuite, + dans une autre dépêche, porté le déficit du trésor public pendant + l'année passée à douze millions. Le déficit est entre le trésor + public et la liste civile, et celui du trésor public, proprement + dit, n'est que de six millions. + + Que le Roi soit parvenu à porter la recette de sa liste civile, au + moins pour l'année passée, à sept millions et demi, jusqu'à huit + millions, c'est ce qui m'a été assuré de trop de côtés, pour que je + puisse légitimement en douter. On m'a cité comme non compris dans + l'arriéré des six millions du trésor public: + + 1º Obligations souscrites par le Roi et remises à + la caisse d'amortissement de Paris, 1,500,000 fr. + + 2º Restitutions et charges concernant les domaines + réservés à Sa Majesté l'Empereur, 1,500,000 + + 3º Emprunts du Roi, 2,000,000 + + 4º Dette flottante de la liste civile d'après l'autorité + d'un ministre d'État (le général Eblé) (un million); + d'après d'autres renseignements, 500,000 + ----------- + 5,500,000 + + En y ajoutant la liste civile et supplément, 7,500,000 + ----------- + Le total sera de 13,000,000 fr. + + D'après le même calcul le total du déficit du trésor public et de la + liste civile sera de 11,500,000 fr. à 12 millions. + + Il se peut que dans cette évaluation même il y ait encore quelque + double emploi, et que, par exemple, une partie de l'emprunt ait été + employée à éteindre des obligations, et je suis d'autant plus porté + à croire que ma première évaluation a été exagérée, que le Roi, + ayant la réputation d'être vrai, aurait certainement dédaigné de + nier ce qui aurait été d'une parfaite exactitude. + + J'étais, je l'avouerai, un peu effrayé, lorsqu'après avoir évalué, + en vertu d'informations qui dataient de la fin de décembre et du + commencement de janvier, à deux millions seulement l'excédant des + dépenses de la liste civile, j'appris de plusieurs côtés qu'elles + avaient monté en totalité à une somme de 13 millions. Mon devoir me + pressa d'en informer Sa Majesté, et en ce moment-ci je préfère de + répondre promptement à la lettre de Votre Excellence déjà trop + retardée, par des éclaircissements encore incomplets, plutôt que + d'attendre ceux que des recherches ultérieures pourraient me + fournir, et que je me réserve de transmettre. L'administration + directe des finances de la Westphalie est entre les mains des + Allemands qui, par plus d'un motif que je dois ou respecter ou + excuser, se tiennent vis-à-vis de moi dans une réserve qui ne m'a + pas encore permis de chercher à puiser abondamment dans les sources + d'informations dont ils sont dépositaires, et je ne dois pas + brusquer une confiance qui ne m'est pas refusée, mais qui n'ose pas + passer les bornes du devoir ou de la circonspection. D'un autre + côté, tant que je conserverai l'espérance d'obtenir mes + renseignements de la persuasion qui devrait être celle de tout + Westphalien, que c'est l'identité d'intérêt, que c'est l'amitié pour + le souverain et pour le pays qu'il gouverne, qui les réclament pour + en faire le meilleur usage, je répugnerai à employer des moyens dont + le moindre inconvénient est d'offrir peu de garantie pour + l'exactitude. + + Je n'ose pas non plus me flatter, Monseigneur, que le Roi me + fournisse des occasions fréquentes de lui donner des conseils + d'économie; à l'exception d'une seule occasion dont je me suis + emparé, je n'ai encore eu l'honneur de voir Sa Majesté que dans les + cercles de cour, et Votre Excellence aura pu se convaincre par la + conversation dont je lui ai rendu compte et dont sa dépêche vient de + me donner la clef, que dans l'opinion de Sa Majesté, des + communications de cette nature avec le ministre de France + sembleraient déroger à une intimité à laquelle le Roi attache un + prix si légitime. Peut-être votre correspondance ultérieure, + Monseigneur, m'ouvrira-t-elle quelques facilités à cet égard, + peut-être pourrai-je saisir quelque circonstance où faisant + connaître au Roi les sentiments de mon âme, je le disposerai à + m'accorder une confiance que je m'étais préparé d'avance à ne point + espérer après un séjour de deux ou trois mois seulement. Quelque + délicate que puisse être ma mission, je n'y vois point de devoirs + incompatibles, mais seulement des devoirs de première et de seconde + ligne: ils sont tous dans ce que Sa Majesté, avec une bonté qui m'a + pénétré d'admiration, a daigné me faire répondre au sujet du + compliment que m'a fait Sa Majesté westphalienne. + + L'économie personnelle du roi, insuffisante sans doute pour remédier + à la pénurie des finances de l'État, aurait cependant sur leur + amélioration une influence incalculable, et cette vérité est + tellement sentie, qu'il y a peu de jours, un des plus estimables + conseillers d'État m'a dit que si, en doublant la liste civile, on + pouvait établir la certitude d'un ordre parfait et invariable, et + celle d'intéresser le roi aux finances de l'État autant qu'aux + siennes propres, on ferait le marché le plus avantageux pour la + Westphalie. + + Les discussions relatives à la négociation de l'emprunt ou du traité + hollandais ne sont pas encore terminées. Avant-hier, en allant chez + M. le comte de Furstenstein, je rencontrai l'un des négociants qui + avait rendez-vous chez ce ministre pour la même heure: il me dit que + la négociation avait rencontré quelques difficultés, qu'elle faisait + jaser, qu'on prétendait que les intérêts monteraient à onze ou douze + pour cent (d'autres disent treize), tandis qu'ils ne seraient que de + six. Les deux manières de compter au reste peuvent se concilier. + L'emprunt, m'a-t-on dit, doit se faire réellement à 6 pour cent + d'intérêts; mais les prêteurs auront en même temps, pour le compte + du gouvernement, la régie de l'extraction et de la vente des sels et + métaux dont ils seront nantis, et sous ce rapport, il leur sera + alloué des provisions et des frais. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, + le besoin d'argent pour le trésor de Westphalie est impérieux et + urgent. Les difficultés qui se sont élevées semblent prouver qu'on + ne veut pas y procéder légèrement. Le crédit de la Westphalie, le + commerce de Hollande y sont intéressés; les deux rois en désirent le + succès; quant à moi j'attends toujours qu'on m'en parle. L'emprunt + sera de six millions de francs. + + + BULLETIN. + + Cassel, 10 mars 1809. + + Depuis les fêtes de l'anniversaire de la reine, il n'y a point eu de + cercle à la cour. Au second bal, Sa Majesté en valsant avec le roi + se trouva mal. Elle eut une suffocation qui cependant passa + heureusement et ne laissa point de suite. Dans la semaine passée, la + reine pendant quelques jours se tint enfermée dans ses appartements. + Le roi a souffert et souffre encore d'un rhumatisme auquel il était + déjà sujet l'année passée: un peu de fièvre s'y joint vers la nuit. + Il y a eu quelques concerts dans l'intérieur. + + M. le comte de _Bernterode_ (général du Coudras) donna quelques + jours un bal pour la fête de Mme la comtesse: on tira un feu + d'artifice dans la cour; la maison étant située au milieu de la + ville, le roi, pour maintenir les règlements de police, condamna M. + de _Bernterode_ à une amende de 25 frédérics, et M. _Bercagny_ fut + condamné à la même amende pour avoir été témoin de l'infraction, et + ne s'y être pas opposé. Mme de Bernterode ce jour-là reçut de la + Reine un beau présent consistant en colliers et en pendants + d'oreille de perles et d'améthystes. + + Le Moniteur westphalien d'hier annonce que M. le comte de + _Truchsess_ étant obligé de résider sur ses terres, près de + Koenigsberg, Sa Majesté avait accepté la démission qu'il avait + donnée de sa place de grand-chambellan. Il y avait encore des + personnes qui croyaient aux revenants. Toutes les personnes de la + cour se louent de l'affabilité de la reine, depuis que Mme de + _Truchsess_ est partie. On s'étonne comment avec tant d'esprit cette + dame a pu trouver le secret de ne point laisser un seul ami. + + M. le comte et Mme la comtesse de _Boehlen_, tous deux attachés à la + cour, vont la quitter pour résider dans leurs terres. M. de + _Boehlen_ avait la direction de la garde-robe que le valet de + chambre, Louis, chassé il y a quelque temps, avait exploitée à son + profit. M. de _Boehlen_ était absent depuis deux mois. + + Hier, dit-on, les officiers de la garde ont été convoqués pour être + avertis de se tenir prêts à entrer en campagne. On en infère que le + roi lui-même se dispose à partir pour l'armée. + + Un événement extraordinaire arriva dernièrement à Brunswick. Le + valet de chambre du général de Helleringen, commandant du + département de l'Ocker, entre en plein jour dans l'appartement de + son maître assis devant une table de manière à lui tourner le dos; + il s'en approche, passe une corde autour du cou du général et + cherche à l'étrangler. Le général se lève, lutte avec l'assassin et + se débarrasse de la corde. Celui-ci sort, rentre et tire à bout + portant un coup de pistolet dont le général est blessé. Dans + l'intervalle on accourt et l'assassin est saisi. Il est en prison et + l'on ne conçoit pas encore la cause de cet attentat. + + M. le baron de _Keudelstein_ (_La Flèche_) est en ce moment à + Brunswick pour se concerter avec les autorités de cette ville, sur + les réparations à faire au château que le roi a promis d'habiter + pendant quatre mois de l'année. + + Sous le rapport de l'industrie, comme sous plusieurs autres, la + ville de Cassel est bien en arrière de celle de Brunswick. On cite + des habitants de la première des traits de paresse qui sont + incroyables. Les artisans refusent d'augmenter le nombre de leurs + ouvriers, du moment où ils ont assez d'ouvrage pour gagner leur + subsistance journalière. Il s'agissait de faire faire des galons, il + y en avait de différentes largeurs. Ceux à qui on proposa la + fourniture la refusèrent en entier, uniquement par la raison que des + galons de petite largeur leur donnaient trop de peine, quoique du + reste ils eussent les métiers et les instruments nécessaires pour + les faire. + + La reine a fait l'acquisition d'une petite maison de campagne sur le + chemin de Napoléonshoehe où elle se propose d'établir une vacherie + suisse. + + Le second jour de la fête il y eut à Napoléonshoehe un petit opéra + intitulé le _Retour d'Aline_, où joua M. le comte de Furstenstein. + Le feu d'artifice fut contrarié par la neige et par quelques + accidents. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 16 mars 1809. + + Impatient d'éclaircir la question si embrouillée de l'état des + finances westphaliennes, je me suis prévalu du nouveau titre que les + intentions de Sa Majesté l'empereur me donnaient auprès de M. + _Siméon_. Je lui ai fait part des informations que j'avais + recueillies à ce sujet, et je lui ai demandé les siennes. Voici la + réponse de M. _Siméon_: il y a eu pour l'année passée excédant et + déficit à la fois. Le budget, rédigé encore sous M. _Beugnot_, avait + évalué les recettes à 23 millions. Les dépenses des ministères + avaient été réglées en conséquence: elles devaient être, par + exemple, de 5 millions pour le ministère de l'intérieur et de la + justice. Mais M. _Bulow_ trouva que l'évaluation avait été trop + forte et qu'il fallait la réduire à 18 millions. Chaque ministère + subit en conséquence une réduction proportionnelle. Celui de + l'intérieur et de la justice ne devait recevoir que 3 millions 1/2; + cependant comme au bout de l'année les recettes se trouvèrent avoir + monté à 22 millions, il y eut un excédant de 4 millions. Mais + l'administration peu économique du général Morio et l'excédant des + dépenses que causait l'entretien des troupes françaises, avaient + produit dans le département de la guerre un déficit qui absorba non + seulement l'excédant de 4 millions, mais bien au-delà. La + liquidation des dépenses de ce département n'étant pas encore + achevée, on ne peut connaître le montant précis du déficit. + + Ayant dit à M. _Siméon_ que la source des renseignements qui + portaient le déficit des finances de l'État à 6 ou même à 12 + millions remontait au conseiller _Malchus_, directeur de la caisse + d'amortissement, il m'a répondu que M. _Malchus_ était l'ennemi + déclaré de M. de _Bulow_, et qu'on avait tort d'ajouter une foi + entière à ce qu'il disait au désavantage de son antagoniste. + + Quant à M. de _Bulow_ lui-même, M. _Siméon_ m'en a dit beaucoup de + bien, il a ajouté que quand il y aurait des reproches à lui faire, + il serait absolument impossible de le remplacer dans le moment + actuel; mais il m'a confirmé ce qui m'avait déjà été rapporté des + préventions qui ont été inspirées au roi contre la véracité et même + contre la probité de ce ministre. + + M. _Lefebvre_[115] et moi ayant cherché des occasions d'entretenir + M. de _Bulow_ directement de la situation des finances, ce ministre + s'est fortement récrié contre l'imputation d'un déficit de l'année + passée. Il a assuré que tout ce qui concernait cet exercice était + parfaitement en règle et assuré; mais il a confirmé en même temps + tout ce que j'ai déjà écrit sur le déficit de l'année courante. Il a + ajouté que quant aux dépenses de la liste civile, c'était autre + chose, et que cela ne le regardait ni pour le passé, ni pour + l'avenir. Cependant il a soutenu que le roi n'avait rien pris sur + les budgets des dépenses de l'État. Enfin il m'a remis la note + ci-jointe sur les finances de 1808. Elle est, dit-il, le résumé du + tableau qui sous peu sera mis sous les yeux du public. + + [Note 115: Premier secrétaire remplaçant M. Reinhard en cas + d'absence.] + + Votre Excellence a maintenant sous les yeux un tableau officiel et + ostensible qui ne coïncide nullement avec les autres renseignements, + au moins jusqu'à ce qu'on puisse juger de quoi s'est composée la + recette. Je crois, Monseigneur, devoir terminer là mes informations + préliminaires, et ne reprendre cette matière que lorsque le temps et + les circonstances m'auront permis d'y apporter un plus grand jour. + Ma position ne me permet pas d'établir en ce moment une espèce de + confrontation qui d'ailleurs ne pourrait donner que des résultats + incomplets. Votre Excellence me permettra seulement de lui soumettre + les observations suivantes. + + M. de _Bulow_ m'a dit lui-même qu'une rentrée de 12 millions sur + l'emprunt forcé de 20 millions s'était trouvée assurée au premier + janvier, et qu'il comptait sur la totalité des 20 millions. Tous les + autres témoignages ne portent la recette qu'on peut espérer de + l'emprunt forcé qu'à 8 ou 9, tout au plus à 10 millions: ainsi dans + cette circonstance, au moins, il paraît hors de doute ou que M. de + _Bulow_ se serait trop flatté, ou qu'il n'aurait pas dit la vérité. + M. _Siméon_, qui d'ailleurs ne paraît s'être occupé des finances que + par aperçu, croit à la probabilité d'un déficit de 5 à 6 millions + pour l'année passée; M. _Jollivet_ en assure l'existence et le porte + à 6. + + Si la recette de 29,700,000 fr. se compose effectivement de revenus + réels et imputables à l'année 1808, il est à présumer que la crainte + du déficit de l'avenir, causé par les dépenses du département de la + guerre, aura fait exagérer le mauvais état des finances, même pour + le passé, surtout aux yeux des Allemands; que cette clameur générale + qui s'est élevée, se sera égarée dans son objet, et qu'elle aura été + en partie artificielle pour décréditer M. de Bulow. + + Quant aux paiements arriérés qui existent réellement dans plusieurs + parties et qui, par exemple, dans quelques branches de l'instruction + publique, comprennent jusqu'à huit mois, outre que cet arriéré peut + avoir des causes locales, M. de _Bulow_ m'a dit qu'il en existait + sans doute, puisque les rentrées, quoique assurées, n'étaient pas + encore toutes réalisées, mais que positivement ces rentrées feraient + face à tout. + + J'ai fait observer à ce ministre que puisque les revenus de l'année + avaient si heureusement excédé l'estimation, c'était preuve que la + Westphalie avait de grandes ressources, et qu'on pouvait espérer + que, son système financier étant actuellement organisé, elle + supporterait même une forte augmentation de dépenses. + + M. de _Bulow_ m'a répondu que la constitution avait fait tarir + plusieurs sources de revenu; qu'on ne pouvait pas compter dès les + premiers moments sur un succès complet des opérations nouvelles; que + les provinces les plus riches étaient surchargées de frais + d'entretien des gens de guerre, qu'elles s'en ressentaient déjà au + point de faire craindre qu'elles ne pourraient bientôt plus payer + leurs impositions; et tout-à-coup il s'est rejeté sur le chapitre + des dépenses que causaient les troupes françaises. On dit, a-t-il + ajouté, que je suis l'ennemi des Français: mais je suis ministre des + finances, je dois défendre les intérêts qui me sont confiés, et + lorsque je vois, d'un côté, les soldats français logés et nourris + chez les habitants, les transports faits par réquisition; lorsque + d'un autre je vois accourir ici tant de Français qui cherchent à + faire une fortune rapide et accaparer toutes les places et tous les + profits, m'est-il permis de rester indifférent? + + Il me reste à dire, Monseigneur, que lorsque j'ai évalué les + dépenses de l'année courante à 45 ou 46 millions, les nouveaux + régiments qui se lèvent, et les dépenses qu'exige la mise en + activité du contingent entier, n'y étaient pas compris, et que le + tableau de la totalité des dépenses qui a été mis sous les yeux du + roi monte à 52 millions. Vous voyez toujours, Monseigneur, cette + alternative: ou bien il n'y a point eu d'arriéré pour l'année + passée, mais le déficit de l'année courante sera d'autant plus fort; + ou bien il y a eu du déficit l'année passée, et celui de l'année + courante sera d'autant moindre; et l'intérêt de ce pays-ci c'est de + soutenir que les dépenses de l'armée et de la guerre sont les seules + causes de désordre. Quant aux dépenses de la liste civile, rien n'a + contredit jusqu'à présent les renseignements que j'ai transmis. + + Dans cette situation des choses, l'opération qui se fait avec la + Hollande pourrait être un véritable bienfait. Hier l'approbation de + Sa Majesté hollandaise est arrivée, et le traité ne tardera pas à + être conclu. Il est vrai que les conditions seront un peu onéreuses. + Les voici: intérêts 6 pour cent et en outre un et demi pour cent en + loterie; commission 2 pour cent; frais de l'opération, au moins 5 + pour cent; les frais, disent les prêteurs, seront de première mise: + ils n'auront pas besoin d'être renouvelés, quand l'opération + durerait pendant vingt ans. L'emprunt actuel sera de 3 millions de + florins en actions de 1000 florins pour lesquelles on s'inscrira à + la bourse d'Amsterdam. Les Hollandais recevront les denrées au lieu + du dépôt; ils se chargeront de leurs transports aux frais de la + Westphalie. Sa Majesté le roi de Hollande en permettra l'importation + et le débit. + + D'un autre côté, on a calculé que le prix des sels en Hollande était + en ce moment quadruple de celui qu'ils ont aux lieux de dépôt en + Westphalie, et comme ils font l'objet principal de l'opération + entière, on a trouvé que six mille lafts suffiraient à peu près pour + couvrir l'emprunt. + + M. le comte de _Furtenstein_, comme je le prévoyais, ne m'a parlé de + rien. Cependant les négociants hollandais étant revenus pour me + demander des lettres de recommandation pour les agents français à + Bremen, j'ai d'autant moins hésité à leur confirmer ma promesse, que + Votre Excellence étant instruite depuis 15 jours de cette opération, + se trouvera en mesure de faire parvenir ses ordres soit à moi, soit + à M. Legau. + + Les négociants hollandais m'ont dit que le succès de cette opération + avait éprouvé ici beaucoup de difficultés. On prétend que la + jalousie contre M. de _Bulow_ en a été la cause; que les préventions + du roi contre ce ministre viennent de M. de _Furstenstein_ et de M. + _Bercagny_, et que le projet de placer des Français à la tête des + finances et de l'intérieur existe toujours. Sa Majesté I. et R. m'a + recommandé de lui faire connaître l'opinion et la situation de M. + _Siméon_ et de M. le général _Eblé_. J'ai déjà en partie satisfait à + cet ordre, voici ce qu'il me reste à ajouter. + + La situation de M. _Siméon_ s'est beaucoup améliorée: il a regagné + du crédit et de l'influence. Son fils, que le roi n'avait pas trop + bien traité, a obtenu un poste plus avantageux. Il paraît certain + qu'on avait proposé au roi un projet d'après lequel le directeur de + la haute police aurait été une espèce de premier ministre, et que le + roi l'a rejeté. L'opinion de M. _Siméon_ sur le roi est celle de + tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Il rend une justice + entière à son coeur et à son esprit: il admire la droiture et la + noblesse de l'un, la sagacité et la pénétration de l'autre; il ne + dissimule point quelques défauts de caractère ou d'inexpérience. Le + roi lui paraît trop impérieux sans être toujours ferme. Les idées + qu'il se fait des droits et des devoirs de la royauté lui paraissent + encore ou incomplets ou erronés; il craint qu'entouré par trop de + médiocrités dans son intérieur, le roi ne se laisse trop aller à des + ministres, et qu'il ne lui soit difficile d'acquérir ce coup d'oeil + de monarque qui embrasse l'ensemble, et qui sait mettre toutes les + choses à leur véritable place. Quant aux finances, M. _Siméon_ pense + aussi que la Westphalie ne pourra pas supporter à la longue les + charges qui pèsent sur elle en ce moment-ci; sur les dépenses de la + liste civile, il s'en rapporte à la voix publique. + + Le général _Eblé_ se plaint de ce que le roi, dans son cabinet, ne + donne pas toujours aux détails des affaires la même attention qu'il + leur donnerait au conseil d'État. Il trouve de la difficulté à + concilier toujours ses devoirs comme ministre de la guerre en + Westphalie et comme général français dans des questions concernant + les frais d'entretien, ou la conduite des troupes auxiliaires. Il + m'a avoué que cette considération avait influé aussi sur la demande + qu'il avait faite à M. le comte de _Hunebourg_ d'être employé + activement en cas de guerre. Il m'a chargé surtout de faire + connaître à Sa Majesté I. et R. sa fidélité de tous les temps et son + entier dévouement. Il évalue les dépenses accessoires à faire pour + mettre le contingent sur le pied ordonné par Sa Majesté à 3 millions + sur lesquels M. de _Bulow_ lui a accordé un acompte de 500,000 fr. + + _P.-S._--Le roi, il y a quelques jours, demanda au général _Eblé_ un + état de situation de ses troupes. Le général le lui porta. Il n'est + pas exact, dit le roi.--Mais, Sire, il est conforme aux états qui se + trouvent dans mes bureaux.--Enfin le roi insista, et le ministre fut + obligé d'y faire différents changements dont le résultat était une + différence de 7 à 800 hommes au plus. + + + BULLETIN. + + Cassel, 17 mars 1809. + + Le roi est sorti hier pendant quelques minutes en voiture. Le temps + était pluvieux; il devait aller le soir au spectacle en grande loge. + Mais un accès de fièvre assez forte l'a pris. On croit que c'est une + suite des douleurs de ses rhumatismes. + + S. M. depuis quelque temps n'avait pas l'air d'une parfaite santé. + + Le Roi, à cause de son indisposition, n'avait pas non plus reçu la + cour dimanche dernier. Le même jour, il fit publier dans le palais + un ordre par lequel les entrées journalières auprès de Leurs + Majestés furent restreintes aux grands officiers et aux personnes de + service du jour. Depuis cet ordre, on a vu paraître pour la première + fois en fracs, dans les soirées de la ville, les personnes attachées + au palais et M. le comte de _Furstenstein_. On assure que Mme de + X... jouit en ce moment de la confiance du roi. Elle attend son mari + qui sera, dit-on, nommé aide de camp de S. M. + + Depuis quelque temps, Mme de X... paraît rarement dans les sociétés + ou les quitte à neuf heures. On _prétend qu'elle ne s'est point + encore rendue_. Si elle se fait désirer longtemps, et si la passion + du roi est assez forte pour ne point chercher à se distraire + ailleurs, elle aura bien mérité de ce jeune prince. + + M. de _Marinville_, secrétaire intime du roi, qu'on dit être employé + aussi pour une certaine partie des plaisirs de S. M., est devenu + gardien de la cassette du roi, à la place de M. _Duchambon_, dont + les représentations quelquefois un peu importunes avaient déplu. + Cependant M. _Duchambon_ reste trésorier général de la couronne. M. + le comte de _Lerchenfeld_, ministre de Bavière, a fait, il y a + quelques jours, pour la troisième fois depuis deux mois, une course + qui paraît encore devoir aboutir à Francfort. L'objet de la première + était un rendez-vous, moitié d'amour, moitié de politique, avec Mme + la _princesse de la Tour et Taxis_. Il en revint malade. Dans la + seconde il avait vu le _prince-primat_. Il en revint rempli de + fausses nouvelles qu'il débita avec beaucoup d'assurance, même à M. + le comte de _Furstenstein_, et qui se trouvèrent démenties trois + jours après. On ne sait pas encore ce qu'il rapportera de la + troisième. Cependant, comme le gouvernement westphalien ne s'est + point formalisé de ces voyages hors du pays où il est accrédité, il + y a lieu de croire qu'ils ont été autorisés, et que le roi est au + moins en partie dans le secret de ces absences. + + La foire de Cassel a commencé lundi dernier: elle durera quinze + jours. Elle est fréquentée par un assez grand nombre de marchands. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 21 mars 1809. + + M. _Bercagny_ m'a parlé longtemps contre M. de _Bulow_ et ne m'a pas + caché qu'il avait accusé ce ministre auprès du roi lui-même. Voici + les principaux, ou plutôt les seuls griefs que M. _Bercagny_ ait + articulés. M. _Beugnot_ était dans l'usage de laisser dans les + caisses départementales tous les fonds nécessaires aux dépenses + locales. Il entretenait souvent S. M. de la pénurie du trésor et de + la nécessité de ménager les ressources de la Westphalie. M. de + _Bulow_ n'eut rien de plus pressé que de se faire valoir par + l'abondance avec laquelle il savait faire affluer l'argent au + trésor; il y fit venir celui réservé par M. _Beugnot_; il en fit + l'étalage aux yeux de S. M. En attendant, un grand nombre d'employés + dans les départements ne furent pas payés. Les juges de paix, les + officiers de police furent laissés dans la misère. Les plaintes + arrivèrent aussi de tous côtés; il fallut à grands frais renvoyer + l'argent. M. de _Bulow_ a accumulé aussi les recettes communales + avec celles du trésor public. Enfin M. de _Bulow_ est un charlatan, + un intrigant du grand genre. Le roi s'est moins contenu dans ses + dépenses, parce qu'on lui a persuadé que cela était moins + nécessaire. M. _Bercagny_ craint que M. de _Bulow_ ne parvienne à se + faire renvoyer par une boutade; qu'alors il ne soit regretté et il + ne dissimule point que ce n'est que son grand cordon de la légion + d'honneur qui le protège. «Mais, dis-je à M. _Bercagny_, M. de + _Bulow_ a obtenu un excédant dans les recettes de l'an + passé?»--«Excédant, dit M. _Bercagny_ en haussant les épaules...», + mais il n'entra dans aucun détail. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, + M. _Bulow_ peut avoir été faible; il peut avoir osé se permettre ce + qu'un conseiller d'État français pourrait prendre sur lui; il peut + avoir succombé à l'envie de plaire et de faire autrement que son + prédécesseur; aujourd'hui du moins son langage a changé, et il dit + hautement que si les dépenses continuent sur le pied actuel, il ne + reste qu'à mettre la clef sous la porte. + + L'affaire de l'emprunt hollandais n'est point encore terminée. On + parle sourdement d'un projet de banque territoriale ou plutôt d'une + banque à billets hypothéqués sur des immeubles. Je persiste à penser + que, même aux conditions onéreuses que j'ai fait connaître, + l'opération de l'emprunt est bonne pourvu qu'on n'en abuse pas. Elle + serait détestable si, pour obtenir beaucoup d'argent à la fois, elle + dépouillait le royaume de ses produits bruts, si l'on encombrait les + marchandises de la Hollande et si l'on anticipait ainsi peut-être + sur les revenus de plusieurs années. + + Je suis convaincu, Monseigneur, que vous rendrez justice à la + sollicitude avec laquelle je m'appesantis sur l'état des finances. + C'est le côté faible du pays, et j'ose ajouter du roi. Le pays peut + être sauvé d'embarras imminents; il en est temps encore; le roi peut + être sauvé d'une situation pénible, d'un découragement qui déjà le + gagne et du regret de céder à la nécessité tandis qu'on est digne + d'acquérir la gloire d'une résolution libre et généreuse. + + Votre Excellence peut prévoir aussi deux événements dont l'un ou + l'autre, ou tous les deux peut-être, peuvent arriver dans l'espace + d'un mois: le départ du Roi pour l'armée et un changement important + dans les projets. Dans les deux cas, je croirai devoir me prévaloir + de l'autorisation qui m'a été donnée de vous en informer, + Monseigneur, par un courrier extraordinaire. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 29 mars 1809. + + J'ai reçu la dépêche par laquelle Votre Excellence me charge de + donner communication à la cour de Cassel de la disposition que Sa + Majesté impériale a faite du grand duché de Berg, en faveur du fils + aîné de S. M. le roi de Hollande. Je me suis acquitté de cet ordre, + et j'ai adressé une copie de l'acte à M. le comte de _Furstenstein_. + + J'ai demandé au général _Eblé_ dans quelle intention le roi avait + ordonné, dans l'état de situation de ses troupes, que le + prince-connétable lui avait demandé, les changements dont j'ai parlé + dans le post-scriptum de mon nº 24. Ce ministre m'a dit que ce + n'était point dans la vue de porter un plus grand nombre d'hommes + effectifs que celui qui existait réellement, mais dans celle de + montrer que son armée entière était, jusqu'aux moindres détails, + organisée sur le modèle français, et en état de marcher. + + Les monnaies, Monseigneur, m'amènent naturellement aux finances, + mais ce sera, je l'espère, pour en sortir au moins pour quelque + temps. J'ai trouvé l'occasion de prendre connaissance d'une pièce + authentique et officielle qui ne laisse aucun doute sur le déficit + des finances de l'État. C'est un rapport fait par une commission + spéciale du conseil d'État sur les dépenses de l'armée et sur les + moyens de les réduire à une proportion convenable avec les revenus. + Dans ce rapport, les dépenses de l'armée pour l'année courante sont + évaluées comme suit: + + Troupes westphaliennes, 14,250,000 fr. + + Troupes françaises, 7,990,000 + + Arriéré du dépar{t} de la guerre pour l'année + passée, 6,000,000 + ----------- + 28,240,000 + + En y ajoutant les autres dépenses de l'État, + telles que je les ai déjà fait connaître dans + mon nº 19, 24,375,000 + ----------- + La dépense totale sera de 52,615,000 fr. + + Dans les dépenses de la guerre ainsi énoncées, se trouvent comprises + celles de la conscription nouvelle et de la levée des deux nouveaux + régiments. + + À l'égard de l'arriéré de 6,000,000 le rapport s'exprime ainsi: + «Quand il serait vrai qu'une partie de ce déficit sera couverte par + un excédant dans les recettes, etc.». Mais d'un autre côté le + général _Eblé_ estime que l'arriéré ira à 7 millions et au-delà. + + En évaluant en conséquence l'arriéré de l'État entre 5 et 6 + millions, et l'arriéré de la liste civile, tel que je l'ai énoncé + dans mon nº 22, entre 4 et 6 millions, l'arriéré total de l'année + passée sera toujours entre 10 et 12 millions, et rien ne m'autorise, + jusqu'à présent, à me départir de cette estimation. Or, Monseigneur, + les recettes présumées de l'année devant monter au plus à + 38,500,000, l'arriéré de l'État pour l'année sera de 14,000,000. + + Je reviens au rapport qui a été soumis à Sa Majesté, mais sur lequel + il n'a été et dans les circonstances actuelles il n'a pu être pris + aucune détermination. Ce rapport met en principe que, dans la + proportion des recettes de l'État, les dépenses de la guerre ne + peuvent excéder 13 millions. Il prouve par des faits que, dans le + système allemand, l'entretien de 25,000 hommes ne coûterait que 10 à + 11; et que dans le système prussien il ne coûterait que 8 millions. + Il recherche les causes qui augmentent les dépenses pour l'armée + westphalienne, et il indique les moyens de les réduire. Les causes + d'augmentation, il les trouve principalement en ce qu'une armée de + 25,000 hommes pour l'entretien et l'administration a été organisée + entièrement sur le pied de l'armée française, qui est de 600,000 + hommes; en ce que la garde par son nombre, par ses dépenses et par + son administration séparée, est hors de proportion avec le reste de + l'armée et avec les moyens du royaume (la garde est de 2473 hommes, + elle coûte, selon le rapport, 1,800,000 fr.; les frais de première + mise des deux nouveaux régiments en coûtent autant); en ce que + toutes les fournitures se font par entreprise et rien par économie; + en ce que le matériel et le personnel de l'armée n'étant point + séparés, il n'existe aucun contrôle pour les dépenses, et que les + facultés du ministre de la guerre le plus probe, le plus actif, ne + sauraient suffire à une pareille surveillance, etc., etc. Les moyens + de réduction seraient de rendre le soldat allemand à ses anciens + usages pour le pain, pour l'habillement, pour les masses, de + rétablir surtout l'usage des retenues, ce qui produirait l'épargne + de plus d'un tiers sur la solde. + + Le général _Eblé_ pense que la dernière conscription de 7000 hommes + suffira à peine pour remplir tous les cadres, le vide qu'a laissé la + désertion, et les nouveaux corps accessoires devenus nécessaires + pour organiser les deux divisions conformément aux vues de Sa + Majesté I. et R. Sa modestie est telle, que malgré son travail + infatigable, quoiqu'il ne se permette presque pas un seul moment de + distraction, il craint que ses moyens ne soient au-dessous de sa + place; qu'on ne lui fasse ce reproche, et que tandis que ses + camarades vont recueillir de la gloire sous les yeux de l'empereur, + il n'ait à lutter infructueusement dans une situation difficile et + peut-être ingrate. Ce qui l'afflige surtout, c'est qu'il croit + remarquer que le roi n'a pas assez confiance en lui. Je l'ai + rassuré sur tous les points: je lui ai fait sentir qu'au moins le + roi ne lui refuserait pas la confiance de l'estime. Je l'ai consolé + par mon propre exemple, et en effet, Monseigneur, c'est la même + nuance de caractère de Sa Majesté qui, pour le général _Eblé_ et + pour moi, produit les mêmes effets. Elle ne nous empêchera pas de + sentir, d'aimer et d'admirer ses excellentes qualités, et pour ce + qui me concerne personnellement, s'il est certain que plus de + confiance de la part de Sa Majesté me rendrait plus heureux, je dois + dire en même temps que la manière dont la plupart des personnes qui + approchent du jeune monarque se conduisent à mon égard ne me laisse + rien à désirer. + + L'affaire de l'emprunt hollandais est terminée. Les deux négociants + sont partis sans me demander de lettres pour M. Lagau. Ils doivent + revenir. Ils devaient fournir sur-le-champ 2 millions d'argent + comptant; ils sont allés chercher un troisième. + + M. de Moronville, ministre de Darmstadt près cette cour, est parti + ce matin en congé. Il sera chargé de conduire à l'armée l'un des + fils du grand-duc. Son départ laisse des regrets à ceux qui l'ont + connu. + + La police a recueilli plusieurs indices de menées secrètes qui ont + lieu en ce moment, dans une partie de la Westphalie, sous les + auspices de l'ancien électeur. Il y a des émissaires, des affiches, + des promesses pour les militaires qui voudraient quitter le service + de la Westphalie. L'effet de ces manoeuvres est suffisamment + neutralisé par la marche imposante des troupes françaises qui + successivement traversent ce pays. Le 25e régiment d'infanterie et + deux régiments de cuirassiers ont passé par Cassel. + + +On était à la veille de la singulière aventure du major prussien +Schill et des soulèvements de quelques parties du nouveau royaume. +La police avait vent de quelques trames en cours de préparation, +mais ne tenait nullement le fil de la machination. + + + BULLETIN. + + Cassel, 29 mars 1809. + + Le Moniteur westphalien fait mention aujourd'hui d'une excursion que + le roi fit dernièrement pour Münden où Sa Majesté alla voir un yacht + que le roi de Hollande lui avait envoyé. La modestie du roi n'a pas + permis qu'on y parlât des bienfaits qu'il a répandus sur sa route. + Il s'est entretenu familièrement avec des habitants de la ville et + de la campagne qui étaient accourus pour le voir. Il a fait + manoeuvrer un bataillon westphalien qui se trouvait là; et comme + c'était un jour de dimanche, il lui a fait distribuer 25 frédérics + qui ont été reçus aux cris de: Vive le Roi! Il rencontra, au retour, + des conscrits cheminant gaiement et criant: _Vivat der König!_ + d'aussi loin qu'ils purent l'apercevoir, il les encouragea et leur + fit également donner une petite gratification. + + D'un autre côté, M. le colonel Bongars[116] épargna dernièrement au + roi quelques frédérics, sous prétexte d'avoir mal entendu. Le roi, + un soir, voulant aller à l'Orangerie avec la reine, et ne trouvant + aucune de ses voitures prêtes, commanda qu'on fît avancer le premier + cocher qu'on trouverait: il ordonna ensuite au colonel Bongars de + donner à cet homme 25 frédérics; M. Bongars en donna 5. + + [Note 116: Chef de la légion de gendarmerie.] + + La santé de Sa Majesté paraît assez bien rétablie: la reine à son + tour a été incommodée pendant quelques jours. + + Il y a eu concert et cercle jeudi passé à la cour, pour la première + fois depuis un mois. + + M. de _Lerchenfeld_, ministre de Bavière, est désolé de l'habitude + que le roi a prise depuis quelques semaines de donner à souper aux + personnes attachées au palais, les jours d'assemblée chez ce + ministre. Il parle de faire un quatrième voyage de plus longue durée + que les autres, et dans lequel il emmènerait sa femme. On prétend + que le souper auquel celle-ci avait été invitée par la reine, sans + son mari, et où elle manqua seule de toutes les femmes des autres + ministres, a donné lieu à ces soupers qui désolent M. de + _Lerchenfeld_. + + M. le comte de _Furstenstein_ vient de se fiancer avec la fille + aînée de M. le comte de _Hardenberg_, conseiller d'État et + grand-veneur. Ce mariage paraît bien assorti et d'une bonne + politique. Il attachera au roi une famille considérée, mais dont la + fortune a beaucoup souffert, et qui n'avait pas la réputation + d'aimer beaucoup les Français. + + Le général _Eblé_ aussi attend Mlle Freteau pour l'épouser: elle + appartient à une famille infiniment respectable de l'ancienne robe + de Paris, mais elle n'a, dit-on, que 18 ans, et le général Eblé en a + plus de cinquante. Et son ministère? + + + BULLETIN. + + Cassel, 15 avril 1809. + + Le Moniteur westphalien d'hier donne des nouvelles du voyage de LL. + MM.; on dit aujourd'hui que leur retour n'aura lieu que le 23. + + Avant-hier a passé un courrier extraordinaire venant du + quartier-général de M. le duc d'_Auerstaedt_ et portant des dépêches + pour le roi. Le département des relations extérieures ayant reçu + hier de Stuttgard, par estafette, la nouvelle qu'un corps + considérable a passé l'Inn près de _Braunau_, je présume que les + dépêches de ce courrier auront donné à Sa Majesté connaissance de + cet événement important. Voilà donc la guerre commencée! Si la + justice de notre cause et le nom de Napoléon doivent déjà faire + pressentir, même à nos ennemis, que les arrêts de la destinée seront + accomplis; si déjà la grande catastrophe qui se prépare n'appartient + plus au domaine de l'incertitude, qui ne peut plus tomber que sur + les événements qui l'amèneront, c'est cependant avec un frémissement + involontaire qu'on entend retentir au loin ce premier coup de canon; + nouveau signal de la fureur aveugle, de la mort et de la chute d'un + empire! + + Un courrier westphalien, renvoyé de Vienne par M. d'_Esterno_, a + porté la nouvelle de l'entrée dans cette capitale du ministre + anglais et la proclamation de l'_archiduc Charles_, aussi remplie + d'illusions que d'impostures. M. d'_Esterno_ explique ce qui y est + dit des troupes étrangères qui, dans une union intime, vont + combattre à côté des armées autrichiennes, par un débarquement que + les Anglais vont faire à Trieste. + + Il n'est pas douteux, Monseigneur, que parmi ces frères allemands + qui, encore en rangs paisibles, attendent leur délivrance, + l'Autriche ne compte surtout un grand nombre de Westphaliens. Des + faits dont j'ai déjà rendu compte, des renseignements venant de + Vienne, et de nouvelles correspondances interceptées, en offrent la + preuve. Du reste, les événements qui pourraient faire quitter à ces + rangs leur attitude paisible ne sont guère dans l'ordre des + probabilités, et les derniers placards d'insurrection dont j'ai + rendu compte à Votre Excellence, sont, ainsi que ceux qui les + avaient précédés, restés sans effet. + + À la suite de l'attentat de _Stendal_, plusieurs habitants de cette + ville ont été arrêtés. J'apprends qu'un d'eux s'est tué dans sa + prison; mais ce qui donne une nouvelle importance à cette affaire, + ce sont les révélations faites par un homme, porteur de + correspondances suspectes, revenant de Berlin, et arrêté à + Magdebourg. C'est un paysan des environs de Bielefeld qui avait + entrepris le second voyage, sur l'instigation de quelques anciens + baillis de son canton. Il fut adressé deux fois au major _Blücher_ + et au major _Schill_, tous deux au service actuel de Prusse. Ce fut + le major _Schill_, le même qui avait acquis quelque célébrité dans + la dernière guerre, qui le fit loger et nourrir gratis, et habiller + à neuf. Dans sa seconde course, dès qu'il fut entré sur le + territoire prussien, et qu'il se fut annoncé comme porteur d'un + message pour le major _Schill_, il fut escorté de poste en poste par + des hussards du corps de cet officier, excepté la dernière station + qui précède Berlin. Il portait des billets du major _Schill_ + adressés à quatre baillis, billets insignifiants en apparence, mais + qui expriment l'espérance de se revoir bientôt. En même temps, le + major, qui se croit sans doute un héros, envoye son portrait aux + quatre baillis. Le major Blücher avait remis au messager une espèce + de lettre circulaire où il exhorte au courage et à la persévérance. + + Un fait, Monseigneur, qui avait déjà frappé mon attention, lorsque + je l'ai lu dans les papiers allemands et que j'ai relu hier dans la + feuille du _Publiciste_ d'avril, me paraît avoir un rapport assez + marqué avec l'événement de _Stendal_ et avec la déposition de ce + paysan. Le voici: «Berlin, 27 mars. Le 16, les hussards de _Schill_ + sont partis inopinément de cette capitale pour aller prendre des + cantonnements dans les environs, du côté de Lichtenberg. On croit + que ce corps est chargé d'observer les traîneurs des troupes qui + traversent actuellement la moyenne Marche et d'empêcher qu'elles ne + s'écartent de la route militaire pour se répandre dans les campagnes + et y commettre des excès[117].» + + [Note 117: C'était le brusque départ de Schill pour son + expédition.] + + J'ai fait part de cette circonstance à M. _Siméon_ qui était venu + m'informer de l'arrestation faite à Magdebourg. Elle lui a paru + d'autant plus remarquable que le prisonnier avait aussi déposé qu'il + avait rencontré, en revenant de Berlin, ces hussards qui s'étaient + soigneusement informés du nombre de troupes qui pouvaient être à + Magdebourg. + + Le préfet du département de l'Elbe avait adressé son rapport au + ministre de l'intérieur qui l'a reçu cacheté du sceau du cabinet du + roi. Il est en conséquence probable que Sa Majesté aura déjà pris + connaissance des faits, et l'on attribue à cette circonstance + l'ordre qu'a reçu avant-hier M. _Bercagny_ de se rendre à Brunswick. + Le ministre de la justice, de son côté, y a adressé son rapport, et + il a déjà donné des ordres pour l'arrestation provisoire des quatre + baillis et de quelques autres personnes compromises. On se demande, + Monseigneur: serait-il possible que le gouvernement prussien eût + connaissance de ces manoeuvres et y connivât, ou bien est-ce l'or + anglais qui, à l'insu de ce gouvernement, entraîne à une conduite + aussi criminelle des hommes inconsidérés et présomptueux? Si cette + dernière hypothèse est fondée, elle prouve dans quel état déplorable + de déconsidération et d'impuissance doit être tombé un gouvernement + dont les chefs de la force armée osent se permettre des actes qui + peuvent compromettre jusqu'à l'existence de leur patrie. + + Ce qui indispose particulièrement en ce moment-ci un grand nombre + d'habitants de la Westphalie, c'est la contribution personnelle + portée à 4,400,000 francs, et destinée à entrer dans la caisse + d'amortissement. On la perçoit actuellement pour l'année passée; + dans un mois elle devait être perçue pour l'année courante; c'est du + moins ce qu'on m'a assuré. Cet impôt, qui est une espèce de + capitation, est reconnu par l'administration même comme ayant été + assis sur des bases entièrement fautives, et les inconvénients qu'a + fait découvrir sa perception, sont si graves, que, malgré le besoin + extrême qu'on a d'accélérer les rentrées, on est obligé de s'occuper + des moyens d'y remédier en changeant le principe de l'imposition. + Dans le même temps, un décret royal a accumulé le paiement de deux + douzièmes de la contribution foncière, en ordonnant qu'à l'avenir + les douzièmes seraient payés d'avance. + + Des réclamations lamentables ont été adressées ici de Marbourg + depuis qu'on y a appris que l'université était menacée de sa + dissolution. Les autres universités se montrent plus résignées à + leur sort, parce qu'il était plus prévu. On espère que Sa Majesté se + laissera fléchir, et que la suppression de Marbourg n'aura pas lieu, + du moins en ce moment-ci. + + Le ministre des finances attend d'un jour à l'autre le retour d'un + des négociants hollandais avec lesquels il a négocié l'emprunt de 6 + millions. Il craint que la déclaration de guerre ne nuise à cette + opération, et même il vient de me dire qu'il n'y compte plus. Il se + plaint aussi des effets momentanés d'une opération financière du + gouvernement français qui, dit-il, a soutiré, dans l'espace de dix + jours, à la Westphalie seule, plus de 6 millions, et qui entrave + singulièrement la perception des impôts. Cet embarras est passager, + mais il survient dans un moment où déjà l'on n'est pas trop à son + aise. + + Depuis le départ de M. le comte de _Furstenstein_, le + secrétaire-général des relations extérieures, autorisé par ce + ministre, me communique assez exactement les nouvelles qui arrivent + à son département; et j'en sais d'autant plus de gré à M. de + _Furstenstein_ que l'époque est plus importante. C'est dans ces + communications que j'ai trouvé aussi la solution de ce qui avait été + une énigme pour moi, c'est-à-dire la cause de cette froideur dont + j'ai dit un mot à Votre Excellence dans mes nºs 29 et 30. Sous la + même date que celle de votre lettre à laquelle était jointe la copie + de la lettre de Sa Majesté à l'empereur d'Autriche, M. de + _Wintzingerode_ avait rendu compte de plusieurs communications + confidentielles que Votre Excellence lui avait permis de prendre; et + quoique le texte même de la lettre de l'empereur soit assurément une + chose plus précieuse que l'extrait un peu informe qu'en avait fait + M. de _Wintzingerode_, je ne sais quelle jalousie avait fait croire + qu'il était de la dignité du roi de recevoir de pareilles + communications plutôt par le ministre de Westphalie que par le + ministre de France. Je sais que M. de _Furstenstein_ s'est expliqué + dans ce sens. Comme à son retour j'aurai des remercîments à faire à + ce ministre, je saisirai l'occasion pour faire un premier essai, en + abordant cette matière délicate. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 20 avril 1809. + + J'ai reçu la lettre de Votre Excellence du 10 avril, par laquelle + elle me charge de faire souvenir Sa Majesté westphalienne et M. le + prince de Waldeck des arrangements au moyen desquels il leur sera + facile de couvrir les avances que le trésor public a faites pour + leurs contingents; je me suis empressé d'exécuter vos ordres. + + M. le comte de _Furstenstein_ est revenu de Brunswick hier. Le roi, + qui n'est point allé à Magdebourg, est attendu aujourd'hui. Le + courrier qui lui a été expédié de Strasbourg, par Sa Majesté + l'empereur, a passé par Cassel le 17 au soir. Il s'est rencontré + avec le courrier de l'armée venant de Donawert et chargé par Sa + Majesté d'un paquet de monseigneur le prince de _Neufchatel_. On + croit que ce papier renferme les instructions concernant le + commandement qui a été confié à Sa Majesté et dont on dit qu'elle + est extrêmement satisfaite, après l'extension qui paraît y avoir été + donnée. + + Des lettres récentes de Hollande annoncent _que l'emprunt sera + rempli_. Seulement sa concurrence avec quelques opérations + financières qui en ce moment ont lieu en Hollande même, retardera un + peu l'entière exécution de celle qui concerne la Westphalie; cette + nouvelle est très heureuse, car la pénurie du trésor public à Cassel + se fait de plus en plus péniblement sentir. + + _P. S._--LL. MM. sont revenues aujourd'hui à midi: elles ont fait + leur entrée au bruit du canon. On fixe au 25 le nouveau départ du + roi, en conséquence des instructions plus récentes venues de + Strasbourg. + + +Vers le mois de mars 1809, lorsque la guerre avec l'Autriche parut +imminente, une rumeur sourde se répandit au centre de l'Allemagne, +dans la Hesse électorale, dans le duché de Brunswick, dans la +Vieille-Marche et dans la plupart des départements du royaume de +Westphalie. Le gouvernement français avait su, dès le mois d'août +1808, par la lettre interceptée de Stein au prince de Wittgenstein, +qu'il existait un vaste réseau d'associations politiques occultes, +n'attendant qu'une occasion, un signal, pour faire éclater un +soulèvement contre nous. Les mesures prises par Napoléon pour +l'abolition des sociétés secrètes n'eurent qu'un résultat, celui de +les rendre plus prudentes, plus dissimulées et, partant, plus +dangereuses. + +La Prusse était le foyer principal de ces sociétés et cela se +comprend; l'Empereur n'avait-il pas réduit ce royaume à sa plus +simple expression? n'avait-il pas ruiné ses finances? anéanti ses +armées? ne soulevait-il pas chaque jour des difficultés nouvelles +pour retarder l'évacuation de ses places fortes et pour maintenir +ses armées françaises dans les provinces laissées par le traité de +Tilsitt au roi Frédéric-Guillaume III? + +Voici quel était au commencement d'avril l'état des troupes +françaises et de la confédération ainsi que de leurs emplacements. +En Westphalie, huit à neuf mille hommes de l'armée de Jérôme; à +Magdebourg, un régiment français et un westphalien; dans les villes +fortes de Stettin, de Glogau, de Custrin, dix mille soldats français +vivant chez l'habitant; la division hollandaise Gratien, à +Lunebourg, au nord-est du Hanovre; à Stralsund dans la Poméranie +suédoise, deux bataillons du duc de Mecklembourg-Schwerin et un de +Mecklembourg-Strelitz (treize cents hommes). + +Lorsque Napoléon partit pour se mettre à la tête de la Grande Armée, +il prescrivit la formation d'un 10e corps pour être placé sous les +ordres de son frère Jérôme, et composé des troupes westphaliennes en +Allemagne, de la division Gratien, des troupes saxonnes du colonel +Thielmann. Ce 10e corps avait mission de couvrir la Westphalie, la +Saxe, et la partie orientale de l'Allemagne. Il pouvait être +renforcé par l'armée de réserve du vieux duc de Valmy (quartier +général à Dessau), chargée d'empêcher les Autrichiens de prendre à +revers les corps de Napoléon opérant sur le Danube. + +Le 3 avril 1809, dans la nuit, une centaine de militaires allemands +ayant pour chef un M. de Katt, ancien capitaine aux hussards de +Schill, venant de Spandau, ville prussienne, pénétrèrent dans la +petite place de Stendal, se formèrent en bataille sur le marché, +prirent les chevaux et les armes des gendarmes westphaliens, et +pillèrent les caisses. Le 4, à huit heures du matin, ils se +dirigèrent sur Bourgstadt, cherchant, mais inutilement, à entraîner +les paysans, dont un très petit nombre les suivit. + +Cette singulière et intempestive levée de boucliers était la +conséquence d'un plan d'insurrection générale suscitée par les +sociétés secrètes, insurrection à la tête de laquelle se trouvaient +le major Schill, le duc de Brunswick-Oels, le capitaine de Katt. Ce +dernier, n'ayant pas eu la patience d'attendre le signal du +soulèvement, brusqua la prise d'armes, espérant entraîner le +gouvernement prussien à déclarer la guerre à la France, pendant que +Napoléon était encore en Espagne et allait se trouver aux prises +avec l'Autriche. L'échauffourée ridicule de Katt fut désavouée par +le gouvernement prussien, et n'eut d'autre suite que de compromettre +le major Schill et de hâter son mouvement, ainsi que nous le verrons +plus loin. + +Pendant que Napoléon, traversant l'Espagne et la France en toute +hâte, courait se mettre à la tête de sa grande armée, en Allemagne, +le roi Jérôme quittait Cassel le 9 avril avec la reine pour visiter +les deux départements de l'Ocker et de l'Elbe, et les villes de +Brunswick et de Magdebourg. Reinhard rendit compte de ce voyage par +une lettre en date du 15 avril: + + + Leurs Majestés sont arrivées dimanche dernier au soir à Weende, + domaine royal près de Goettingen. Elles y ont passé la nuit. Le + lendemain elles ont couché à Seesen dans la maison de M. Jacobsohn, + président du Consistoire juif. M. Jacobsohn est un négociant très + estimable et très estimé; il a formé à Seesen, à ses frais, pour les + jeunes gens de sa nation, un établissement d'instruction qui se + distingue par la nouveauté de l'objet et par les bons principes qui + le dirigent. + + On dit que la Reine en arrivant à Brunswick s'est trouvée + incommodée. On n'apprend pas encore que le Roi soit parti pour + Magdebourg. Immédiatement après leur arrivée à Brunswick, LL. MM. + ont envoyé ici des ordres pour faire venir des lits et plusieurs + valets de chambre et de pied. Mme la baronne de Keudelstein et Mme + d'Otterstedt qui, il y a un mois, croyait déjà être parvenue au + terme de sa grossesse, ont accompagné la Reine. Les personnes + principales qui sont avec le Roi sont: M. le comte de Furstenstein, + M. Cousin de Marinville, M. le baron de Keudelstein, M. Bongars. M. + le comte de Willingerode, grand-maréchal du Palais, revenu le 10 de + Marseille et de Paris, est aussi allé rejoindre Sa Majesté. + + +À peine de retour dans sa capitale, Jérôme fut informé par son +ministre de la police de la fermentation que l'on remarquait dans +les différentes provinces de son royaume. Inquiet pour la reine, +sentant qu'il serait beaucoup plus fort pour résister à l'orage, +lorsque sa femme serait à l'abri de tout danger, ayant bientôt +d'ailleurs à se mettre à la tête du 10e corps, il crut devoir se +séparer momentanément de la princesse qu'il envoya rejoindre +l'impératrice Joséphine de qui elle était tendrement aimée. + +Catherine arrivée à Francfort écrivit de cette ville, le 26 avril +1809, à Napoléon: + + + Sire, le Roi rend compte à Votre Majesté des motifs qui le portent à + veiller à ma sûreté en m'envoyant auprès de S. M. l'Impératrice; + l'insurrection qui s'augmente de moment en moment et qui est + générale dans tout le Royaume, la nécessité où le Roi se trouve de + ne point diviser le peu de forces qu'il a pour veiller à ma sûreté + m'ont engagée à consentir à me séparer de lui dans un moment aussi + critique; si ce n'était pour lui laisser la liberté nécessaire de + veiller à sa propre sûreté et à celle de ses États, je n'aurais pu + m'y décider et j'aurais pour moi la confiance dans les succès de + Votre Majesté, mais c'est un sacrifice nécessaire à la sûreté et à + la tranquillité du Roi. + + +À peine la reine avait-elle quitté Cassel qu'une conspiration à la +tête de laquelle était un des colonels de la propre garde de Jérôme +fut découverte par le plus grand des hasards. M. de Doernberg, le +principal conjuré qui trahissait son souverain, quoiqu'il fût comblé +de ses bienfaits, devait pénétrer la nuit dans le palais du Roi, +l'enlever, ce qui eût été très facile, et le livrer aux Anglais. + +M. Reinhard rendit compte des événements de Cassel à l'Empereur par +une notification en date du 26 avril envoyée par le comte de +Fürstenstein, et par une lettre du 29 au duc de Cadore. Voici ces +deux documents: + + + BERCAGNY À REINHARD. + + 26 avril 1809. + + Le samedi, 22 avril, le gouvernement fut averti que plusieurs + rassemblements de paysans se formaient sur les hauteurs de + Napoléonshoehe, ainsi qu'à Homberg, et dans divers autres villages + environnant Cassel. Le Roi envoya de suite quelques détachements de + sa garde pour dissiper ces attroupements et faire rentrer les + paysans dans le devoir, mais ceux-ci excités par quelques + malveillants, parmi lesquels on distinguait le sieur Doernberg, + colonel des chasseurs de la garde, qui s'était mis à leur tête, et + quelques autres personnes moins marquantes, refusèrent obstinément + d'obéir. On fut obligé de les y contraindre par la force; plusieurs + des insurgés furent tués, et un grand nombre amenés prisonniers à + Cassel. Le lundi 24, tout était entièrement disparu. + + Il paraît que cette insurrection, préparée depuis longtemps par des + agents secrets de l'électeur, devait être générale; mais les mesures + promptes et vigoureuses prises par le gouvernement l'ont arrêtée + dans sa naissance. Les insurgés avaient peu de fusils, et n'étaient + armés, pour la plupart, que d'instruments aratoires. On les avait + entraînés par l'espoir du pillage et la menace d'incendier leurs + maisons s'ils refusaient de marcher. On s'était efforcé de leur + persuader que tout était disposé en Westphalie pour une révolution, + et qu'ils allaient être appuyés par des armées prêtes à entrer dans + le royaume; mais bientôt, revenus de leur égarement, ils se sont + empressés de rentrer dans leurs foyers et de reprendre leurs + travaux. Les rapports qui arrivent aujourd'hui des divers points où + l'insurrection avait éclaté annoncent que la tranquillité est + rétablie partout. Quelques-uns des principaux moteurs sont arrêtés; + et il paraît que S. M. aura la consolation de n'avoir qu'un petit + nombre de coupables à punir. + + Les habitants de Cassel, loin de prendre aucune part à ces + désordres, ont saisi cette circonstance pour donner des preuves + particulières de leur dévouement à leur souverain; et toutes les + classes de citoyens ont sollicité la faveur de servir Sa Majesté, et + d'être employés à maintenir la tranquillité dans la ville, et à la + défendre si elle était attaquée. + + +Le soussigné, en adressant, d'après l'ordre du Roi, la présente +communication à Son Excellence M. Reinhard, envoyé extraordinaire et +ministre plénipotentiaire de France, saisit cette occasion pour lui +renouveler les assurances de sa haute considération. + + + REINHARD À CADORE. + + Cassel, 29 avril 1809. + + Ce fut une estafette, envoyée par le roi de Wurtemberg à la reine + déjà partie, qui apporta le bulletin de la bataille du 21 + (Landshut); une autre estafette envoyée par le roi de Wurtemberg à + son ministre près cette cour, porta le bulletin de la bataille du 22 + (Eckmuhl), et un courrier de retour, du ministre de Bavière, apporta + celui du 23, écrit sur le champ de bataille de Ratisbonne. Il serait + impossible de peindre l'impression produite par des événements qui + semblent éclipser jusqu'aux miracles d'Austerlitz et d'Iéna, et déjà + j'apprends que ceux qui espéraient différemment disaient + aujourd'hui: _Dieu le veut._ + + Ni les nouvelles, Monseigneur, ni les troupes qui étaient déjà en + nombre suffisant, n'ont été nécessaires pour dissiper les + attroupements du 22 et du 23; mais ce sont nos victoires seules qui + détruiront jusqu'à la pensée d'une révolte dans les esprits les plus + mal intentionnés. C'est le feu du ciel qui est tombé ainsi sur tous + les projets déloyaux et insensés. + + Un régiment hollandais venant d'Altona, et l'avant-garde de deux + mille hommes venant de Mayence avec six canons, sont entrés hier à + Cassel. + + J'ai annoncé à Votre Excellence l'arrestation de deux anciens + serviteurs de l'Électeur dont les noms avaient été mis, par les + meneurs des rebelles, au bas d'une proclamation. Ce sont MM. de + Lenness et de Schmeerfeld, homme d'un âge déjà avancé. Il ne s'est + point trouvé de preuves contre eux; mais comme anciennement suspects + ils ont été conduits à Mayence où ils seront détenus en prison. + Plusieurs officiers des cuirassiers ont été arrêtés ou destitués. + C'est le seul régiment qui se soit mal conduit, et dans lequel il y + ait eu des défections. Plusieurs autres arrestations ont eu lieu, + celle d'un curé par exemple qui avait béni des drapeaux, celle de + la femme d'un officier qui avait envoyé à son mari par la poste une + écharpe pour le garantir en cas de danger. D'autres ont déjà été + relâchés. Une centaine de paysans a péri. Cent cinquante environ ont + été entassés dans les prisons de Cassel. Le comte et la comtesse de + Boehlen de la Poméranie ci-devant suédoise, l'un chambellan, l'autre + dame de la reine, ont reçu l'ordre de quitter Cassel dans les + vingt-quatre heures et de rendre leurs décorations. Ce qu'on sait du + motif, c'est que le Roi a reproché à M. de Boehlen de s'être promené + au parc à huit heures du soir avec un inconnu, et d'avoir dit en le + quittant: Je désire que ce plan réussisse. + + La dame à l'écharpe de garantie demeurait à Homberg, petite ville où + il y a un chapitre protestant de dames nobles. L'abbesse était soeur + de l'ex-ministre Stein. La soeur d'un ex-ministre de l'Électeur en + était aussi. Cette petite ville était le foyer de l'insurrection. + Les chanoinesses ont été arrêtées et conduites à Cassel. + + M. le comte de Furstenstein m'a adressé par ordre du Roi une note + concernant cette insurrection. J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous + en transmettre ma copie, ainsi que celle de ma réponse. + + Je n'ai rien à ajouter pour le moment aux causes qui ont amené cet + événement, et dont ma correspondance a rendu compte à Votre + Excellence. Mais il faut sans doute vous entretenir des fortes et + pénibles impressions qu'ils ont produites et des conséquences qui + peuvent en résulter. Qu'un attentat qui paraît avoir eu pour objet + la personne sacrée du Roi ait profondément affecté l'âme généreuse + et confiante de ce jeune monarque; que les Français qui l'entourent + après avoir craint pour lui et pour eux-mêmes, indignés, exaltés, se + fassent un mérite exclusif de leur fidélité; que les défiances, les + soupçons s'étendent au delà des bornes légitimes; que beaucoup + d'Allemands consternés ne se croient pas assez protégés par le + sentiment de leur innocence; que liés avec des coupables par des + relations de famille ou de société, ils craignent de paraître + coupables eux-mêmes; qu'il en résulte un état d'anxiété, voilà ce + qui n'est que trop naturel. + + Mais quelles sont les maximes qu'adoptera désormais le gouvernement? + Sera-ce la sévérité ou la clémence que la politique conseillera de + faire prévaloir? Des passions subalternes et quelques intérêts + particuliers ne s'empareront-ils pas de la circonstance pour amener + des changements, soit dans les personnes, soit dans le mode de + l'administration? + + M. Bercagny, dont la place en ce moment acquiert une grande + importance, m'a parlé à ce sujet dans un sens qui me paraît + extrêmement sage. Il m'a dit qu'il avait calmé lui-même des + mouvements trop fougueux de quelques Français, et qu'il sentait + toute l'importance qu'il y avait à ce qu'il ne s'établît point de + scission ni de distinction entre les sujets ou les serviteurs de Sa + Majesté sous le rapport de la nation à laquelle ils appartiennent. + + J'en étais là, Monseigneur, lorsqu'il m'a été annoncé de la part de + Sa Majesté qu'Elle me recevrait en audience particulière pour lui + remettre la lettre par laquelle Sa Majesté l'empereur des Français, + roi d'Italie, lui annonce l'heureux accouchement de S. A. I. madame + la vice-reine d'Italie, lettre que j'avais reçue avant-hier. Je + reviens de cette audience. Le Roi m'a témoigné son étonnement de ce + que le courrier qu'il avait envoyé au quartier-général impérial + n'était pas encore revenu. Il m'a ensuite parlé des événements du + jour; et je lui ai dit que toute la conduite qu'il a tenue dans ces + circonstances pénibles, que surtout tous les actes qui portent + l'empreinte de l'impulsion de son propre esprit et de son caractère, + ont dû lui attirer l'amour et l'admiration, et c'est très + certainement l'effet qu'ils ont produit sur moi. En effet sa + résolution de monter à cheval et de se montrer du côté même où l'on + avait vu paraître les rebelles au moment où dans leurs + rassemblements on le disait déjà prisonnier; celle de ne point + quitter sa résidence au moment terrible où rien ne semblait encore + garantir la fidélité de ses gardes; son allocution aux officiers; + les deux proclamations qu'il a dictées; les mots qu'il a dits et + dont j'ai cité quelques-uns; tout cela est vraiment royal. Il est + certain, m'a dit Sa Majesté, que sans la découverte de M. de + Malmsbourg, je me trouvais surpris. Les rebelles devaient arriver + dans la nuit, les conjurés entraient dans mon appartement sans + obstacle et sans défiance; et croiriez-vous qu'il y avait une foule + de gens qui savaient le complot, et qui ne se croyaient pas obligés + de le révéler. Cependant, a ajouté Sa Majesté, l'Allemand par son + caractère n'est pas traître.--C'est une manière de voir fausse et + criminelle, ai-je répondu, par laquelle ceux dont parle Votre + Majesté se sont fait illusion à eux-mêmes, et cependant oserais-je + dire à Votre Majesté, à présent que le danger est passé, que les + espérances coupables ne renaîtront plus, que le sentiment même qu'on + peut supposer en avoir été la cause, une certaine ténacité + d'attachement, tournera au profit de votre règne, et que plus le + temps et les événements s'éloigneront du passé, plus la fidélité à + Votre Personne et à Votre Dynastie deviendra inébranlable et + assurée. + + On ne peut, Monseigneur, arrêter sa pensée sans frémir sur les + malheurs qui seraient tombés sur ceux-là même qui, dans leur + aveuglement, désiraient peut-être le succès de l'insurrection. + Aujourd'hui en punissant les perfides d'action et les traîtres, il + sera facile d'être généreux envers les coupables d'intention ou + d'égarement. J'apprends que l'intention de Sa Majesté est de publier + une amnistie générale pour tous les paysans. Les autres seront mis + en jugement, et même à l'égard de ceux-ci, il paraît que l'intention + du Roi est de faire prévaloir la clémence. + + Sa Majesté a fait la réponse la plus terrible et la plus sublime aux + manifestes d'insurrection de l'Autriche, en se servant du courage + et du dévouement de ces mêmes Allemands, qu'on voulait séduire, pour + écraser les armées autrichiennes. Il y aura solidarité de destinée, + et ce sera une glorieuse récompense de la fidélité des uns, + lorsqu'elle obtiendra le pardon ou repentir des autres. J'ose avouer + à Votre Excellence que lorsque j'ai vu le Roi déjà porté à + pressentir que tel serait le système qu'adopterait son auguste + frère, je me suis abandonné moi-même à ces beaux pressentiments. + + Sa Majesté m'a fait l'honneur de me parler de son voyage prochain à + Hambourg. Je désirerais beaucoup, Monseigneur, de recevoir vos + ordres pour savoir si de préférence je dois suivre le Roi ou rester + à Cassel. Jusqu'à présent rien n'annonce que l'intention de Sa + Majesté soit de se faire accompagner par les membres du corps + diplomatique, et s'il m'est permis d'opter, je ne quitterai point + cette résidence. Mais il peut arriver des cas où des instructions + éventuelles seraient pour moi d'un grand prix pour diriger ma + conduite. + + +Ainsi, le mois d'avril 1809 avait vu se produire, en Westphalie: la +ridicule équipée du capitaine de Katt à Stendal, et la conspiration +plus sérieuse du colonel de Doernberg. Le 28, commença la singulière +course du major de Schill, et bientôt après l'entreprise désespérée +du duc de Brunswick-Oels. Les affaires de Schill et du duc de +Brunswick sont rapportées longuement et très exactement dans le +quatrième volume des Mémoires du roi Jérôme. Nous n'en ferons pas +l'historique, nous nous bornerons à donner quelques lettres et +bulletins qui y ont trait: + + + BULLETIN. + + Cassel, 3 mai 1809. + + Le mariage du comte de Furstenstein avec Mlle de Hardenberg a été + célébré dimanche dernier au palais. La société a été peu nombreuse, + la corbeille riche et magnifique. Il y a eu souper et bal. Le lit + nuptial a été dressé dans une pièce attenante à la salle du + conseil.--M. de Gilsa, ancien grand-écuyer de l'électeur, père de + treize enfants vivants, et n'ayant d'autre moyen d'existence que les + appointements des places que son épouse et lui remplissent à la + cour, a profité de cette circonstance pour demander au Roi la grâce + de son gendre, le sieur de Buttlar, compris dans l'art. 1er du + décret du 29. S. M. la lui a promis.--La soeur de Mme de Stein + soutient son rôle d'héroïne. Elle ne sort point; elle provoque son + supplice. Elle est du reste vieille, laide, contrefaite. Une soeur + de Mme de Gilsa, dignitaire du même chapitre, a refusé la permission + que le Roi avait donnée à son frère de la prendre chez lui.--Le Roi + a fait plusieurs nominations d'officiers pour remplacer ceux qui ont + été destitués ou arrêtés.--On a trouvé parmi les papiers Doernberg + un paquet cacheté et portant l'inscription: _à ouvrir après ma + mort_. On dit que ce paquet ne renferme que des lettres d'amour, + dont quelques-unes de Mme de P. Cet homme, peu de jours avant sa + défection, avait fait venir sa femme et ses trois enfants qui + résident à Brunswick et qui se trouvent aujourd'hui dans la misère. + Quatre mille francs que le roi lui avait donnés se sont trouvés + intacts dans son secrétaire. Il paraît que ce n'est pas sans combats + intérieurs qu'il s'est chargé du rôle de traître; il y a dans sa + conduite présomptive délire et inconséquence.--Pendant la crise, la + ville de Cassel paraissait plus calme qu'à l'ordinaire. Le peuple + semblait apathique, mais il montrait une grande incrédulité sur nos + victoires.--Quelques mauvais sujets avaient excité des mouvements + dans une commune du département du Harz. Ils furent arrêtés, et le + préfet manda au ministre de l'intérieur qu'il avait pris les mesures + les plus efficaces pour empêcher que la contagion ne gagnât le + département de la Werra. C'était dans ce dernier département + qu'était le foyer de l'insurrection.--Le baron de Wendt, aumônier du + Roi, envoyé dans les communes catholiques de la Hesse, qui en effet + n'ont pas remué, dit à son retour qu'il les avait exhortés à ne + point se mêler de ces affaires, à labourer leurs champs et à laisser + faire les autres. Il n'y entendait pas malice. + + MM. de Malsbourg et de Coninx, conseillers d'État, allant l'un et + l'autre dans ses terres, l'un vers Paderborn pour calmer les + esprits, furent arrêtés tous les deux et coururent quelques dangers. + Le second fut sauvé par une ancienne femme de chambre de sa femme, + qu'il rencontra voyageant en compagnie avec un étudiant. Elle lui + fit prendre le rôle et le costume de son amant, et ce fut sous son + escorte qu'il revint à Cassel. + + + BULLETIN. + + 15 mai 1809. + + Un membre du Conseil d'État disait dernièrement qu'il fallait + chasser tous les Allemands de la Wesphalie.--Un chef du département + des relations extérieures a proposé gravement au ministre de Saxe de + troquer le royaume de Wesphalie.--M. de Wolfradt, ministre de + l'intérieur, ayant obtenu par le canal de M. Bercagny un emploi pour + un Allemand qu'il lui avait recommandé, lui exprima sa + reconnaissance avec un tel élan de sensibilité qu'il alla jusqu'à + lui baiser la main. Je suis d'autant plus touché de cette faveur, + ajoute M. de Wolfradt, que c'est la première que vous ayez accordée + à un Allemand. M. Bercagny, furieux, lui répondit: Monsieur, si tout + autre qu'un ministre d'État m'avait fait un pareil compliment, je + l'aurais jeté hors de la porte.--La commission spéciale a condamné + à mort un maréchal-des-logis des cuirassiers convaincu d'avoir + assisté à l'enlèvement d'une caisse par les paysans révoltés. Elle a + condamné à la même peine un jeune homme de vingt-un ans, officier du + même régiment. Il a été exécuté avant-hier. Il avait demandé de + commander lui-même l'exercice pour son exécution. On eut le tort de + le lui permettre; il mourut avec beaucoup de courage.--La + gendarmerie avait ramassé quatre-vingt-treize conscrits qui avaient + déserté après la publication du premier décret prononçant la peine + de mort contre ce crime; à cause des circonstances actuelles, ils + furent tous condamnés. Assemblés sur le lieu de l'exécution, on leur + déclara que deux seulement seraient fusillés, et que le sort en + déciderait. Cette clémence, tempérée par une sévérité nécessaire, a + produit un très bon effet. Malheureusement, le sort se montra + injuste, là où le Roi s'était montré si bon, il tomba au sort les + deux plus doux, peut-être les plus innocents de la troupe.--M. de + Buttlar, gendre de M. de Gilsa, a obtenu sa grâce. Il n'a perdu que + son emploi, et a été conduit en France. Il sera détenu pendant deux + ans.--Le Roi fait souvent passer la revue des troupes. Il se promène + beaucoup à cheval et quelquefois à pied dans le beau parc de Cassel + qui a été interdit au public pendant certaines heures de la journée + et de la soirée.--On avait fait espérer à un des régiments de + cuirassiers français qui traversaient la Wesphalie que le Roi le + passerait en revue. Le régiment attendit pendant deux heures à la + pluie à la porte de Cassel, et la revue n'eut pas lieu. Quelqu'un en + parla à Sa Majesté:--J'étais, dit le Roi, embarrassé de décider à + qui j'accorderais la droite. Si c'était aux cuirassiers, + j'affligerais ma garde, et elle n'avait encore rien fait pour la + mériter. + + +Nous allons faire connaître de quelles forces disposait le roi +Jérôme à cette époque critique: + +Du 10e corps dont il avait le commandement et qui était composé: 1º +de trois mille cinq cents hommes en garnison sur l'Oder ou dans la +Poméranie; de quatre cents hommes (général Liebert) à Stettin; de +onze cents hommes (général Coudras) à Stralsund; de deux mille +hommes à Custrin; de la division westphalienne d'Albignac à la +poursuite de Schill; de la division hollandaise Gratien également en +marche sur Stralsund, et recevant des ordres tantôt de son +souverain, tantôt de Jérôme; de la division westphalienne de la +garde (deux mille cinq cents combattants), commandée par les +généraux du Coudras comte de Bernterode, Bongars pour les gardes du +corps, colonel comte de Langenswartz pour les grenadiers à pied, +major Fulgraff pour les chasseurs à pied, colonel Wolff pour les +chevau-légers, prince de Philipsthal pour les chasseurs +carabiniers, envoyés à Halberstadt. Quartier général à Cassel, chef +d'état-major général le général Rebwell. La division westphalienne +de la ligne avait ses trois régiments d'infanterie à Magdebourg, 1er, +5e, 6e; le régiment de cuirassiers à Halberstadt. La division +Gratien forte de deux brigades, d'un régiment de cuirassiers et de +trois compagnies d'artillerie, était à Stralsund où elle détruisit +les bandes de Schill. Enfin à Cassel et à Magdebourg se trouvaient +encore, sous le colonel Chabert, des détachements français et du +régiment Grand-Duché de Berg envoyé de Mayence lors des troubles, +environ trois mille hommes. + +Tout cela composait bien un corps d'environ seize mille combattants, +mais la garnison de Magdebourg en immobilisait cinq mille, mais +l'empereur redemandait dans toutes ses lettres le renvoi du régiment +Grand-Duché de Berg, mais la division hollandaise ne devait pas +tarder à recevoir de son roi l'ordre de rentrer en Hollande à cause +du débarquement des Anglais aux bouches de l'Escaut, en sorte que, +par le fait, Jérôme ne pouvait mettre en ligne plus de huit à neuf +mille hommes, en y comprenant deux mille Saxons à Dresde sous les +ordres du colonel Thielmann. + +Il y avait bien aussi à Dessau, sous le nom de Corps d'observation +de l'Elbe, deux divisions aux ordres du duc de Valmy, mais ce +dernier avait défense de disposer d'un homme sans l'ordre formel de +l'empereur, à moins que ce ne fût pour la défense de Mayence. + +Cependant le duc de Brunswick-Oels, secondé par l'Autriche, était +parvenu à lever à ses frais, en Bohême, une légion qui, revêtant +l'uniforme noir, prit le nom de: _Armée de la Vengeance_, et le duc +dépossédé de Hesse leva également une autre légion de sept à huit +cents hommes portant l'uniforme vert. + +Vers le milieu de mai 1809, ces deux légions, soutenues par quelques +troupes autrichiennes, s'établirent vers Neustadt, Gabel et Rümburg +sur la frontière de Bohême, menaçant la Saxe. À cette nouvelle, +notre allié, le roi de Saxe, se retira à Leipzig, au nord-ouest de +ses États, vers la Westphalie, demandant à Jérôme de marcher à son +secours, affirmant que la Prusse avait déclaré la guerre, que +l'avant-garde de Guillaume marchait sous les ordres de Blücher. +Napoléon, recevant cette nouvelle de son frère Jérôme, répondit que +les Prussiens n'étaient pour rien dans cette levée de boucliers, que +le 10e corps suffisait pour tenir tête à l'ennemi du côté de Dresde, +ville qu'il fallait occuper et garder. Il défendit au duc de Valmy +de déplacer ses divisions. + +Sur les ordres de Jérôme, le colonel Thielmann, avec ses deux mille +Saxons, se porta de Dresde sur la frontière de la Lusace, livra +quelques combats au duc de Brunswick dans les montagnes, le chassa +de Zittau et de Rümburg. Mais voyant l'ennemi manoeuvrer pour gagner +les défilés de Leitmeritz et de Toeplitz et se porter sur Dresde par +la route de Dippoldiswalde, il se hâta de se replier sur la capitale +du royaume pour la défendre. En effet, un corps autrichien de six +mille hommes, commandé par le général Am-Ende, s'était rendu à +Leitmeritz pour appuyer le duc. Le 10 juin, les Autrichiens et les +bandes de Brunswick, ayant opéré leur jonction, marchèrent sur +Dresde. Le 11, ils y entrèrent. Thielmann, se voyant trop inférieur +en force pour lutter dans la ville, préféra tenir la campagne. Il +avait pris la résolution de se replier sur le 10e corps, lorsque +dans la nuit du 11 au 12 juin il crut pouvoir essayer de surprendre +les bivouacs du duc. Après un combat des plus vifs, la cavalerie +autrichienne de Am-Ende força les Saxons à se replier sur Leipzig +par Wilsdruf. Thielmann ne fut pas d'abord poursuivi, le général +autrichien ayant voulu recevoir du gouvernement de la Bohême +l'autorisation de se porter sur Leipzig. Le 19, cette autorisation +étant arrivée permit aux deux alliés de suivre Thielmann qu'ils +rencontrèrent près de la ville. La lutte ne fut pas longue, le +colonel saxon avait trop peu de monde, il passa l'Elster et se +replia par Lutzen sur la Saale. Le 22, il fut joint à Weissenfels +par les troupes du roi Jérôme. Ce dernier, ayant à Cassel le +régiment grand duc de Berg et sa garde (trois mille hommes), expédia +l'ordre à Albignac et à Gratien, l'un à Domitz, l'autre à Stralsund, +de le venir joindre à marches forcées à Sondershausen, en descendant +l'un par Magdebourg, l'autre par Brunswick. Lui-même avait +l'intention de se porter sur Sondershausen avec sa garde, et de là +sur Dresde. Mais les opérations contre Schill n'ayant pas permis à +ses deux généraux de se mettre en marche pour la Westphalie avant +les premiers jours de juin, le Roi modifia ses projets primitifs. +Cependant, en apprenant le 15 juin l'entrée à Dresde des +Autrichiens, il fit partir le 16 ses troupes, et le 18 il se mit +lui-même en marche après de nouveaux ordres envoyés à Albignac et à +Gratien. + +L'empereur ne plaisantait pas pour ce qui avait trait aux affaires +de la guerre. Il écrivait à Eugène, le vice-roi d'Italie: «Mon fils, +la guerre est une chose sérieuse»; à Joseph, à Naples: «Les états de +situation de mes troupes sont les romans que je lis avec le plus de +plaisir». Aussi les négligences de Jérôme à cet égard lui +étaient-elles très sensibles. Le 16 juin 1809, il manda au prince de +Neufchatel: + + + Mon cousin, écrivez au roi de Westphalie, commandant le 10e corps + d'armée, que je n'ai aucune situation, que je ne reçois aucun + rapport, que j'ignore où sont mes troupes, que depuis dix-sept jours + que l'affaire de Schill s'est passée, je n'en ai pas encore reçu de + rapport officiel; que si, comme commandant du 10e corps, il ne + correspond pas fréquemment avec vous et ne vous rend pas compte de + tout ce qui intéresse ce corps d'armée, je me verrai obligé d'y + nommer un autre commandant. + + +Jérôme crut de sa dignité de mener avec lui à l'armée, non seulement +un grand nombre d'équipages, de gens de cour, chambellans et autres, +mais même les ministres plénipotentiaires étrangers accrédités +auprès de sa personne. Averti de cette circonstance par les lettres +de Reinhard, Napoléon, qui aimait à voir faire la guerre +sérieusement, comme il la faisait lui-même, trouva fort mauvaise +cette manière d'agir de son frère. + +Cependant le 21 juin, les divisions Albignac et Gratien après des +marches rapides se joignirent aux autres troupes de Jérôme qui se +trouva ainsi à la tête d'une douzaine de mille hommes. Le 22, +Albignac rallia les Saxons sur la Saale à Weissenfels, et les +opérations commencèrent. + +Nous donnerons plus loin quelques lettres de M. Reinhard relatives à +cette campagne de Saxe pendant laquelle il ne quitta pas le quartier +général du Roi, campagne qui mécontenta fort l'empereur; mais avant, +analysons rapidement les événements militaires. + +Le 24 juin, Jérôme, ayant rallié les troupes du 10e corps et étant +arrivé de sa personne à Querfurt, passa la Saale et poussa l'ennemi +sur Leipzig qu'il évacua le lendemain. Le Roi entra le 26 à Leipzig, +pendant que le général d'Albignac continuait à pousser les +Autrichiens sur Dresde. Un petit engagement eut lieu à Waldheim, et +pendant la nuit le duc de Brunswick se séparant de Kienmayer avec +ses bandes fila sur Chemnitz au sud-est pour gagner Bayreuth et la +Westphalie, tandis que les landwehr de Kienmayer se ralliaient sur +Dresde, et que lui-même avec ses troupes régulières prenait la route +de Bayreuth. Le 29, tout le 10e corps étant concentré à Waldheim, +Jérôme marcha sur Dresde. Le 30, le colonel Thielmann commanda +l'avant-garde du 10e corps, et le général d'Albignac pénétra à +Dresde où le Roi fit son entrée le 1er juillet. + +À Dresde, Jérôme apprit que ses États paraissaient peu tranquilles, +qu'une expédition anglaise semblait menacer les côtes de la +Hollande, et que le duc de Brunswick se dirigeait sur la Westphalie. +Ces nouvelles le déterminèrent à abandonner Dresde où l'empereur +voulait qu'il se maintînt. Le 4, il quitta cette ville, faisant +engager fortement le roi de Saxe à rentrer dans sa capitale. + +Reinhard écrivit à Champagny, de Mersebourg et de Leipzig le 26 +juin, et de Dresde le 1er juillet, les deux lettres suivantes: + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Mersebourg, 26 juin 1809. + + Le Roi est arrivé à Querfurt avant-hier matin à onze heures (24 + juin); hier, à dix heures du matin, il est arrivé à Mersebourg. + + La division du général Gratien, le régiment de Berg et une grande + partie de la garde marchent avec Sa Majesté. La totalité de ces + troupes est entre 6 et 7,000 hommes; celles du général d'Albignac, + en y comprenant les Saxons, montent au même nombre dans lequel il y + a 1,300 chevaux. L'artillerie des deux corps est de 52 pièces; celle + des Hollandais surtout est très belle et parfaitement tenue. Le + corps hollandais et environ 800 Français, répartis entre les deux + divisions, sont ce que nous avons de mieux en officiers et en + soldats. D'après des renseignements qu'on a lieu de croire exacts, + les forces du duc d'Oels montent en tout à 9,080 hommes. Sa bande + noire, qui s'appelle la _Légion de la Vengeance_, est une mauvaise + troupe; quelques escadrons d'Uhlans, du régiment de Blankenstein, + méritent un peu plus de considération. Le 23, le duc d'Oels fit un + mouvement en avant, et les troupes saxonnes furent obligées de + reculer jusqu'à Weissenfels. Ce mouvement avait pour objet de + masquer la retraite. En effet, dès le 24, l'ennemi évacua Leipsig où + nos troupes sont entrées hier au soir à deux heures. Ce matin toutes + nos troupes se sont portées en avant: le Roi partira à onze heures. + + On a intercepté une lettre où l'archiduc Charles reproche au duc + d'Oels les excès commis en Saxe par sa troupe, qui doit, dit-il, + être entièrement soumise aux lois de la discipline autrichienne, + aussi longtemps qu'elle aura besoin d'être soutenue par les + Autrichiens. Déjà le duc d'Oels était subordonné au général + autrichien Am-Ende, et c'est à celui-ci qu'il adressa la députation + de Dresde qui était venue à sa rencontre. + + Le général Gratien a présenté hier au Roi les principaux officiers + de sa division; Sa Majesté s'est entretenue pendant longtemps avec + eux. Il règne une grande activité au quartier-général. Le général + d'Albignac a été fidèle à l'ordre de ne rien hazarder. Depuis que + les ennemis se retirent, quelques personnes pensent qu'il aurait pu + se porter sur leur derrière: il valait encore mieux ne commettre + aucune imprudence. + + La ville de Cassel est tranquille. Cependant, le général Eblé a pris + occasion d'un mouvement qui a eu lieu à Carlshaven contre des + gendarmes, pour écrire en deux mots au Roi: que jamais la Westphalie + n'a été aussi près d'une insurrection générale. Une preuve des + manoeuvres clandestines qui continuent à y avoir lieu, c'est qu'on a + arrêté dernièrement une voiture chargée d'armes et de poudre à canon + au moment de son passage par Homberg. Dans une lettre interceptée de + l'électeur de Hesse, il est dit qu'on ne fera rien de bon aussi + longtemps que cet entêté de roi de Prusse ne se déclarera point. Il + est certain que les matières combustibles sont entassées partout; + mais toutes les étincelles ne seront point propres à y mettre le + feu. + + + Leipzig, le 26 au soir. + + Le Roi est entré à Leipzig à deux heures du soir, à cheval et à la + tête de ses troupes. Il ne reste plus de doute sur la retraite des + ennemis et sur la difficulté qu'il y aura à les atteindre. Sa + Majesté partira demain: le corps diplomatique ne le suivra pas + immédiatement. + + Ce soir le Roi m'a fait entrer dans son cabinet: il m'a répété que + depuis Sundershausen il n'avait pas eu le temps d'écrire à S. M. + l'Empereur. Comme il a paru attacher quelque intérêt à ce que + j'écrivisse, j'expédierai cette lettre par estafette jusqu'à + Stuttgard. + + + Dresde, ce 1er juillet 1809. + + Le Roi partit de Leipzig le 28 à onze heures du matin: la division + hollandaise l'avait précédé la veille. Sa Majesté passa la nuit à + Grimma. Le lendemain 29, le quartier-général devait être transporté + à Waldheim, petite ville située dans un défilé. Le Roi était en + arrière, et nos voitures l'avaient cette fois précédé, lorsqu'à une + demi-lieue de Waldheim nous rencontrâmes le général d'Albignac qui + ordonna aux bagages de rebrousser chemin. Les ennemis ayant fait un + mouvement sur leur gauche s'étaient portés sur Chemnitz. Le + quartier-général fut établi à Hartha, village en arrière de + Waldheim. Hier à deux heures de l'après-midi, le Roi est arrivé à + Nossen d'où il est parti ce matin à cinq heures. À dix heures, Sa + Majesté a fait son entrée à Dresde à la tête de ses gardes et des + cuirassiers saxons, au bruit des canons du rempart et des cloches de + la ville. Elle s'est logée au palais de Brühl. + + Les ennemis avaient quitté Dresde avant-hier. Le général Kienmayer, + arrivé depuis quelques jours, avait établi un camp. Ce camp a été + levé hier et il n'est pas douteux que dès demain les ennemis seront + rentrés dans les frontières de la Bohême. Nos hussards leur ont + déjà enlevé quelques chariots. À la tête de la colonne qui s'est + montrée à Chemnitz et qui avant-hier encore poussait des patrouilles + d'uhlans jusqu'à Penig, où est le duc d'OEls. Il a peu de troupes + réglées avec lui: sa bande noire qui s'est très mal comportée + partout, et ce qui est à la solde de l'électeur de Hesse, paraît en + composer la partie principale. Cependant, la retraite vers la Bohême + de ce corps qui avant-hier encore se trouvait en quelque sorte sur + nos derrières, ne paraît pas bien constatée. Du reste, il est peu + probable qu'il risquera de prolonger son incursion. Quand le duc + d'OEls qui n'est point, comme on l'avait dit, entièrement subordonné + au général autrichien, mais qui est considéré comme une espèce + d'allié, voudrait, en profitant de l'absence du roi, se jeter dans + la Westphalie, ce serait probablement parce que ses alliés + voudraient en être quittes; il serait abandonné par les troupes + autrichiennes et il ne lui resterait qu'une bande moins dangereuse + que celle de Schill. Ce nouveau libérateur de l'Allemagne, ivre de + tabac et de bière et de quelques vivat de la populace de Leipzig, + voulait enrôler sous ses drapeaux tous les étudiants de cette + université. On lui a ri au nez. Par représailles il a levé une + contribution de 6,000 thalers à Leipzig et de 5,000 à Dresde. Les + Autrichiens se sont partout conduits avec beaucoup de ménagements. + Leur retraite au reste, et même quelques bruits que nous avons + trouvés ici circulant, semblent prouver qu'il s'est déjà passé + quelque événement important sur le Danube, et c'est vers ce côté-là + que nous ne cessons de tourner nos regards. + + Il y a eu le 28 un petit engagement entre les troupes du général + d'Albignac et celles du duc d'OEls, en avant de Waldheim. Il paraît + que c'était une affaire de reconnaissance et que le tout s'est + réduit à quelques blessés de part et d'autre. Le général d'Albignac + a repris le commandement de la cavalerie et c'est le colonel + Thielmann, qui déjà avait remplacé le général Dyherrn dans le + commandement des troupes saxonnes, qui commande aujourd'hui + l'avant-garde. Le prince de Hesse a été commandant de la ville de + Dresde. Sous les Autrichiens c'était le prince de Lobkowiz, + commandant les milices de Bohême. + + Je vous ai déjà parlé, Monseigneur, d'un mouvement qui avait éclaté + à Carlshaven: il a été dissipé par quelques gendarmes. Celui qui a + eu lieu à Marbourg a été plus sérieux: quatre ou cinq cents paysans + sont entrés dans la ville, mais ils en ont été promptement chassés + par la garde départementale. Cet événement a donné lieu à + l'arrestation d'un inconnu qui se nommait Ermerich, qui résidait à + Marbourg depuis trois mois, et qu'on dit avoir été colonel en + Angleterre. M. Lefebvre m'a envoyé et j'ai l'honneur de vous + transmettre la copie d'une lettre qu'on a trouvée dans ses papiers. + C'est un homme de soixante-quatre ans: il nie encore tout. + + Ces mouvements, Monseigneur, ont été sans doute la cause d'une + certaine inquiétude que vous aurez pu remarquer dans la dernière + conversation du roi dont j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre + Excellence. Du reste, quelque vastes que puissent être les vues des + meneurs, il est certain que les paysans n'ont pu être séduits que + par des causes locales; c'est la contribution personnelle qui a + occasionné le petit désordre de Carlshaven; ce sont les droits de + consommation qui ont conduit les paysans à Marbourg et l'on me mande + que ce sont eux-mêmes qui ont arrêté et livré l'inconnu dont je vous + ai parlé. Ce qui doit rassurer entièrement, c'est que 1,500 hommes + de l'armée de réserve se sont rendus à Marbourg du moment où une + lettre du préfet de la Werra avait donné à Hanau connaissance de ce + mouvement. + + Le roi avait expédié de Leipzig un de ses officiers d'ordonnance au + roi de Saxe pour l'inviter à revenir dans ses États. Cet officier + est revenu avant-hier. Je ne connais point directement le résultat + de sa mission; mais le ministre de Saxe croit savoir que l'intention + de sa Majesté n'est point de revenir aussi promptement que nous + l'espérions. Le roi lui a encore hier écrit par un autre officier. + + J'apprends qu'on suppose réellement au duc d'OEls le projet de se + porter en Westphalie. Le général Bongars a été détaché de Nossen + avec deux régiments de cuirassiers et un bataillon français pour se + mettre à sa poursuite. + + Le roi m'a dit que l'empereur présumait qu'il aurait pris position à + Erfurt. Il m'a dit que dans quinze jours il comptait être à + Hambourg. Au quartier-général et même dans les propos du comte de + Furstenstein, il n'est question que d'aller en Bohême. À Cassel, on + attend Sa Majesté dans cinq ou six jours en vertu de la promesse que + Sa Majesté a donnée. Le roi a dit lui-même que depuis son absence, + tout est en stagnation et en désordre. + + Le roi a voulu que les ministres étrangers l'accompagnassent, + d'après le principe qu'il nous a exprimé hier qu'ils n'étaient + attachés qu'à sa personne. Il n'en est pas moins vrai que de temps + en temps nous nous sentons ici un peu déplacés et nous le serions + bien davantage s'il s'agissait d'entrer en Bohème. Quant à moi je + n'ai d'autre volonté que de connaître mon devoir et vos ordres. + Jusque-là mon devoir est certainement de ne point m'éloigner du + frère de l'empereur; et s'il s'agissait réellement de s'avancer en + Bohême, le mot que le roi lui-même m'a dit sur la position à prendre + à Erfurt suffirait peut-être pour me faire écouter. Un jour, nous + avions été abandonnés au milieu des bagages. Nous fîmes au comte de + Furstenstein des représentations concernant notre considération et + notre sûreté: elles ont été écoutées et nos trois voitures suivront + désormais immédiatement celle du roi. + + +Cependant l'expédition d'Am-Ende et du duc de Brunswick se +rattachait à une autre opération sur la Bavière et sur la Bohême. Le +général autrichien Radiwowitz avec 10,000 hommes, occupant Bayreuth +le 10 juillet, coupa la route de Ratisbonne au Danube, tandis +qu'Am-Ende entrait à Dresde. + +L'empereur, à cette nouvelle, envoya le duc de Valmy à Strasbourg, +et le remplaça à la tête de son corps d'armée, qui devint _réserve +de l'armée d Allemagne_, par Junot, qu'il destina à opérer de +conserve avec le roi Jérôme. + +Le duc d'Abrantès eut ordre de rétablir la route de Ratisbonne, puis +de pénétrer en Bohême avec son corps et le 10e. Arrivé le 27 juin à +la tête de ses troupes, il porta la division Rivaud sur Nuremberg, +dont elle chassa les Autrichiens et les força à se replier vers la +Bohême par Bayreuth et Hof. + +Le même jour, 27 juin, Kienmayer avait pris le commandement des deux +corps autrichiens, Am-Ende et Radiwowitz, et les avait portés sur +Hof et sur Bayreuth. + +Pendant ce temps, Junot poussa l'ennemi vers le nord par Nuremberg, +Jérôme le poussa vers le sud sur la même route, mais bientôt le duc +d'Abrantès se trouvant seul en présence des 25,000 hommes de +Kienmayer fut obligé de se replier sur Amberg. Le 10 juillet, +Jérôme, auquel Junot a donné pour lieu de réunion Hof afin d'agir de +concert, ne trouve plus les troupes du duc d'Abrantès, et seul à son +tour, devant les forces imposantes de l'adversaire, il opère sa +retraite par Schleiz sur Leipzig pour couvrir son royaume. + +Jérôme était resté trop ou trop peu de temps à Dresde. En se mettant +immédiatement à la poursuite des Autrichiens d'Am-Ende, ne les +quittant pas, opérant sur le sud et Junot sur le nord, ils prenaient +peut-être l'ennemi entre deux feux. En se maintenant à Dresde, il +obéissait aux ordres de l'empereur, qui attachait avec raison à la +conservation de cette capitale une grande importance. + +Nous allons continuer à donner quelques lettres écrites par Reinhard +pendant les premiers jours de cette campagne. + + + Freyberg, ce 4 juillet 1809. + + Le roi est parti de Dresde ce matin à huit heures: il est arrivé ici + à deux. Le colonel Thielmann s'est porté en avant de Pirna, le + général Bongars doit se trouver en avant de notre côté, puisque le + roi a appris hier que le duc d'OEls se retirait en grande hâte vers + la Bohême. À notre arrivée à Freyberg on disait qu'il n'était qu'à + cinq lieues de distance de Marienberg. On assurait à Dresde qu'il + avait reçu trois courriers qui le rappelaient en Bohême. L'intention + du roi ce matin était de passer ici la journée de demain. + + Le chef de l'état-major m'avait déjà dit qu'avant d'entrer dans ce + pays ennemi, le roi attendrait les ordres de Sa Majesté Impériale. + M. le comte de Furstenstein m'ayant dit ensuite que nous allions à + Freyberg et de là probablement à Altenbourg, je lui ai témoigné mon + extrême satisfaction de ce que cette marche coïncidait si bien avec + les vues de l'empereur que je ne connaissais au reste que par le roi + lui-même; que sans nous éloigner de l'ennemi nous nous approchions + ainsi de la contrée où nous pourrions donner la main au corps du duc + d'Abrantès, et même des frontières westphaliennes. M. de + Furstenstein m'a répondu que Sa Majesté l'empereur ne paraissait pas + supposer que le roi pût disposer d'une aussi grande force; qu'au + reste Sa Majesté n'entrerait point en Bohême avant d'avoir connu les + intentions de son auguste frère. J'ai saisi cette occasion pour + assurer M. de Furstenstein que mon inclination autant que mon devoir + me prescrivait de suivre le roi partout où il irait. + + À Dresde, le roi est allé à l'opéra le jour de son arrivée: le + lendemain on a chanté un _Te Deum_ dans toutes les églises. Pendant + ce temps il y a eu cercle à l'hôtel de Brühl et Sa Majesté s'est + fait présenter les officiers civils et militaires du roi de Saxe. + Hier elle a passé en revue les troupes qui se trouvaient à Dresde. + Le ministre de Saxe en Westphalie a négocié pour le compte du roi un + emprunt de 80,000 francs destinés à là solde des troupes. Il s'est + rendu utile pendant la marche par les moyens d'informations qu'il a + procurés. + + Je n'ai point encore entretenu Votre Excellence des inquiétudes du + ministre de Hollande qui en effet ne paraissent point être sans + fondement. De tous les ministres qui accompagnent le roi, M. de + Huygens seul n'a point encore eu l'honneur de dîner avec Sa Majesté; + mais ce qui l'a surtout affligé c'est qu'un certain article du + journal de l'empire, où la Hollande est représentée comme la source + de tous les bruits faux et malveillants contre la France, a été + réimprimé par ordre du roi dans la gazette de Leipzig[118]. Le + lendemain M. de Huygens prit occasion de l'autorisation qu'il avait + reçue de suivre Sa Majesté pour se plaindre de la publication de cet + article qui ferait une peine extrême à son maître. Quoi qu'il en + soit, d'après les informations que j'ai pu obtenir, ce qui en ce + moment s'est interposé entre les deux frères, c'est un peu d'humeur + qui se dissipera, et il n'est guère probable que les choses iront + jusqu'au rappel de M. de Huygens, comme celui-ci paraît le craindre. + Quant au rappel de M. Munchhausen, il est certain que le roi de + Hollande l'avait demandé: il l'a dit lui-même à ce ministre qu'il a + toujours bien traité et qu'il traite bien même, à son départ. Ce ne + fut qu'à la dernière audience qu'il lui demanda s'il ne devinait + point le motif qui lui avait attiré ce que Sa Majesté avait cru + devoir faire? M. de Munchhausen ayant répondu que cela lui était + impossible, le roi ne s'en est point expliqué davantage. + + [Note 118: Une petite mésintelligence s'était élevée, à la + suite de la course de Schill, entre Jérôme et Louis, le + second ayant pris parti pour Gratien, le premier pour + d'Albignac accusé, non sans raison, de lenteur et de mauvais + vouloir par le général hollandais.] + + Le Conseil privé de Dresde avait envoyé un M. de Manteufel pour + recommander le sort de la Saxe à l'empereur d'Autriche. Cette + démarche, qui pouvait être excusable de la part d'un conseil + municipal, ne l'est point de la part d'un conseil de ministres + d'État. Aussi, à l'audience de dimanche, le roi en a-t-il hautement + exprimé sa surprise et son indignation. Il a dit que si cela était + arrivé dans un autre pays que la Saxe dont le souverain était connu + par sa loyauté et son attachement à la cause commune, les suites + pourraient en être très graves; mais que sûrement le roi de Saxe + serait celui qui se montrerait le plus péniblement affecté de cette + mission déplacée. À côté de l'ordre du jour de Sa Majesté + westphalienne que j'ai transmis à Votre Excellence avec ma dernière + expédition, était affichée partout une proclamation de Sa Majesté + saxonne dont j'ai l'honneur de joindre ici la traduction quoique je + doive supposer que M. de Bourgoing vous l'aura déjà envoyée[119]. Le + roi a été plus content de sa réception à Dresde que de celle qu'on + lui avait faite à Leipzig: cette dernière ville en sa qualité de + ville de commerce a son esprit d'égoïsme, sa manufacture de fausses + nouvelles, sa populace oisive et souffrante. À Dresde, d'ailleurs, + la proclamation du roi de Westphalie avait déjà produit un bon + effet. Depuis que la Prusse n'est plus comptée au nombre des + puissances, les Saxons, peu flattés dans tous les temps de partager + leur souverain avec les Polonais, affectent par une sorte + d'opposition de se montrer attachés à l'Autriche; mais le génie de + cette nation polie, spirituelle et énervée, diffère essentiellement + de celui des Autrichiens; aussi n'ai-je nullement partagé + l'inquiétude du roi sur la fidélité des troupes saxonnes. Un homme + de lettres, Adam Muller, un des coryphées de cette école moderne qui + fait dépendre le salut de l'Europe du rétablissement du + catholicisme, connu d'ailleurs à Dresde et en Allemagne par un cours + de lectures publiques où l'on trouve de l'esprit de néologisme et + des paradoxes, avait servi de secrétaire au prince de Lobkowiz. Il a + reçu l'ordre de quitter la Saxe et s'est rendu à Berlin. + + [Note 119: Deux pièces sans nulle importance.] + + M. le colonel Clary, chargé par le roi d'Espagne de porter à S. M. + westphalienne l'ordre de la Toison d'or, a obtenu la permission + d'accompagner, de suivre le roi dans cette campagne: il a suivi le + quartier-général depuis Sondershausen. Le roi, de son côté, vient + d'instituer une décoration de médailles d'or et d'argent pour + récompenser, parmi les sous-officiers et les soldats de son armée, + le mérite et les services militaires. Une pension de 100 fr. est + attachée à la médaille d'or et une de 50 fr. à la médaille d'argent. + Je n'ai pu prendre copie du décret d'institution qui aura déjà paru, + vu qu'il paraîtra dans le _Moniteur westphalien_. + + + Ce 4 au soir. + + Le corps du duc d'OEls tient encore entre Schauberg et Zwickau. Avec + les milices et les uhlans on le croit encore fort de 6 à 7,000 + hommes. Ce partisan a enlevé toutes les armes à feu qu'il a pu + saisir dans cette contrée où la liberté de la chasse fait attacher + du prix à de bons fusils. Le général Bongars est à Leipzig, ce qui + probablement a fait dire ce matin à Dresde que le duc d'OEls était à + Halle. Des avis de la frontière parlent du corps de l'électeur de + Hesse comme devant venir se joindre à celui du duc d'OEls. Il parait + que c'est le corps qui avait pénétré dans Bayreuth et que l'approche + du général Rivaud, qui, le 28, était à Wurtzbourg, aura forcé de + rentrer en Bohème. Le roi s'est informé des routes de la Bohême, de + la Franconie et de la Thuringue: laquelle prendra-t-il? + + M. de Malsbourg, écuyer de S. M. envoyé à Francfort auprès du roi de + Saxe depuis notre entrée à Dresde, et le retour de M. de Courbon + nous fera connaître sans doute la résolution définitive de ce + souverain. M. Bigot, officier d'ordonnance, est parti hier pour le + quartier général impérial, où M. Guériot, parti de Leipzig dix-huit + heures après l'expédition de mon estafette du 26, doit déjà être + arrivé. + + + Freyberg, ce 5 juillet 1809. + + J'ai reçu la lettre du 22 juin par laquelle Votre Excellence + m'accuse réception de mes lettres nºs 51 et 52, et me transmet les + ordres que Sa Majesté Impériale a daigné me faire réitérer dans + cette occasion. Je m'efforcerai, Monseigneur, dans ma position + actuelle, de les remplir de mon mieux, quelque indigne que je sois + de rendre compte des opérations militaires. Heureusement le ministre + de Saxe, remplissant les fonctions de chef d'espionnage, est assez + au courant des mouvements dont on fait un grand mystère au + quartier-général à nous autres profanes du corps diplomatique. Le + ministre des affaires étrangères porte l'habit et prend quelquefois + le langage d'officier d'ordonnance; il ne nous appartient plus et + c'est presque de vive force que j'ai été obligé d'emporter + avant-hier un moment de conversation avec lui. Le roi l'avait + chargé en ma présence de me communiquer les bulletins; il ne l'a pas + fait; le chef d'état-major m'avait promis la communication de ses + rapports: je me suis lassé de les demander. Comme au reste ces + informations parviendront à Sa Majesté Impériale par un autre canal + et que Votre Excellence pourra lire les bulletins un peu plus tard + dans le moniteur westphalien, il n'y a point d'inconvénients et je + suis même très éloigné de me plaindre d'une situation qu'il était + facile de prévoir et qui ne me rend responsable que de mes propres + erreurs. + + C'est par le ministre de Saxe que j'ai appris que les troupes + saxonnes détachées à la poursuite du général Kienmayer, qui s'était + retiré au-delà de Peterswalde avec 3,000 hommes environ de troupes + réglées, avait ordre de se rapprocher d'ici et que le général + Bongars était à Leipzig. J'ai pensé que ce pourrait être pour aller + à la rencontre du roi de Saxe; d'autres disent que c'est pour se + procurer plusieurs objets qui manquent à ses cuirassiers; d'autres + qu'une partie de sa cavalerie a eu ordre de se rendre à Cassel. + J'apprends que le général Bongars aussi doit se rapprocher de nous. + La position de Freyberg est plus centrale en effet; cependant + _Dresde, où n'est restée aucune troupe, sera de nouveau livrée aux + incursions ennemies_. + + Le roi, depuis qu'il est à l'armée, a donné tout son temps à ses + occupations: il a fait presque toute la route à cheval. Le général + Rewbell, chef de l'état-major, et le comte de Bernterode du Coudras, + capitaine de ses gardes, sont habituellement auprès de lui; le comte + de Furstenstein ne quitte point sa personne. Le général + Klosterlerod, les colonels Chabert, de Lepel, Verdun, de Borstel, de + Schlosheim, Zeweinstein, de Laville, Villemereuil, le prince de + Salm, font le service du quartier-général. MM. de Soudressons, l'un + maréchal de la cour, l'autre préfet du palais, M. de Marinville, + secrétaire du cabinet, et deux pages composent le reste de sa suite. + + Aux membres du corps diplomatique, s'est joint depuis hier au soir + le ministre de Prusse, qui, quoique à peine rétabli, s'est mis en + route immédiatement après avoir reçu de Berlin l'ordre de suivre Sa + Majesté. + + Il n'est plus douteux que le corps ennemi a été constamment plus + faible que le nôtre et qu'en y comprenant la Landwehr il n'a jamais + dépassé 10,000 hommes. Une mésintelligence constante a régné entre + les Autrichiens et le corps du duc d'OEls. + + Le général Rewbell se plaint de la jalousie qui règne chez nous, + entre les Saxons, les Hollandais et les Westphaliens. En Saxe, on + prétend que les Autrichiens ont tenu une meilleure discipline que + les nôtres sans exception. Cependant il n'y a point d'excès graves; + les gardes par besoin ont, dit-on, enlevé ou échangé quelques + chevaux. Le comte de Bernterode a fait couper la queue à un cheval + qu'il se destinait. Le général Rewbell l'a fait rendre. + + Le général d'Albignac a beaucoup perdu de sa réputation. Le général + Gratien avait offert son concours à Doemitz pour ne laisser échapper + aucun ennemi: l'autre a voulu avoir seul la gloire et l'ennemi s'est + échappé. Le ministre de Hollande m'a assuré que Gratien avait reçu à + Rostock l'ordre de ne point attaquer Schill et de revenir, mais que + c'était cet ordre en poche qu'il avait marché sur Stralsund. Les + généraux hollandais se distinguent par leur tenue et leur maturité + dans une position difficile. Le régiment de Berg (officiers et + soldats) est mal discipliné. Rewbell se plaint du comte de + Bernterode qui, dit-il, ne fait que des bévues. Le général Allix se + plaint du général Rewbell pour avoir laissé son parc d'artillerie à + Dresde sans aucune troupe pour le protéger. Comme notre marche est + devenue un peu incertaine, les soldats commencent à penser qu'on n'a + pas grande envie de se battre. + + Le général Royer a fait enlever de Marbourg le nommé Ermerich et les + autres prisonniers, probablement pour les mettre à l'abri d'un coup + de main de quelque bande insurgée. M. Siméon les a réclamés; + j'apprends qu'ils vont être ramenés à Cassel. + + Pour donner à Votre Excellence une idée de l'esprit de cette ville, + je ne saurais mieux faire que de transcrire quelques passages de la + correspondance de M. Lefebvre. + + Le roi a visité ce matin les bâtiments où se fait la fonte ou + l'amalgame du minerai. J'avais parlé à M. de Furstenstein de M. + Werner comme d'un homme du mérite le plus distingué et comme du + premier minéralogiste de l'Allemagne. Mais un chef des mines qui ne + savait pas le français a conduit Sa Majesté, et le prince de Salm a + servi d'interprète. + + Les généraux hollandais, le général d'Albignac et le colonel + Thielmann se sont réunis ici aujourd'hui; on attend demain le + général Bongars et un régiment hollandais venant de Magdebourg. + + Le roi nous a dit qu'il avait fait écrire au général Kienmayer pour + lui demander si le duc d'OEls était à la solde de l'Autriche: que + dans le cas contraire il ne pourrait le traiter que comme un + aventurier. + + La gazette de Leyde, en imprimant l'article dont j'ai parlé dans mon + numéro précédent, l'accompagne d'une réfutation. M. de Huygens vient + de demander à M. de Furstenstein, comme le seul moyen de rendre + justice et satisfaction à Sa Majesté hollandaise, que la réfutation + aussi soit imprimée dans les gazettes qui sont sous l'influence du + gouvernement westphalien. Ce ministre l'a promis. + + Depuis que je suis au quartier-général j'ai envoyé toute ma + correspondance à Votre Excellence par estafette, mon nº 55, le 24 + juin, de Querfurt à Francfort; mon nº 56, le 26 à minuit, de Leipzig + à Stuttgard. Un officier saxon, que le roi avait retenu et qui est + parti de Dresde le 2 juillet au matin pour Francfort, s'est chargé, + sous les auspices de M. de Furstenstein et sous l'enveloppe de + ministre de Westphalie à Francfort, de mon nº 57. Je me propose + d'envoyer la présente expédition par estafette, de Chemnitz, où nous + allons demain matin, à Stuttgard: c'est un détour sans doute, mais + je n'ose pas encore m'écarter de la route de Francfort, dans + l'incertitude où je suis sur l'état des affaires en Franconie. + + _P.-S._ Ce 5 au soir. + + Un courrier du roi, revenant de Cassel, m'apporte à l'instant, de la + part de M. Lefebvre, la dépêche que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'adresser le 26 du mois passé. Je me félicite, + Monseigneur, d'avoir pressenti et prévenu les intentions de S. M. + Impériale. Votre Excellence aura pu se convaincre que je n'ai jamais + été incertain sur le parti que j'avais à prendre, quoique dans un + temps où il n'était point question de s'éloigner des frontières de + la Westphalie et où l'on assurait que l'on n'entrerait point en + Saxe, j'ai cru devoir chercher quelque expédient pour ne rien + préjuger sur les ordres de Sa Majesté l'empereur quels qu'ils + puissent être. + + Je me suis empressé de communiquer à M. le comte de Furstenstein et + les bulletins que M. Lefebvre avait déjà copiés pour les faire + imprimer à Cassel, et le contenu de votre dépêche. J'ai dit à ce + ministre que, quoiqu'il n'y soit question que du langage ostensible + que j'avais à tenir, il en résultait cependant que déjà la marche du + roi répondait parfaitement aux vues de Sa Majesté Impériale, et que + la réponse confidentielle et positive que Sa Majesté allait recevoir + pouvait en quelque sorte être prévue. M. de Furstenstein a paru + incertain s'il convenait que le roi entrât personnellement en + Bohême. Comme il s'agit aujourd'hui de trois corps, l'opération aura + besoin d'être concertée: on ne courra plus le risque de s'aventurer, + et si le roi entre en Bohême, il y paraîtra d'une manière glorieuse + et digne de sa personne. C'est du reste à Chemnitz qu'il faudra + prendre une résolution, et la lettre de Votre Excellence ne pouvait + arriver plus à propos. Le courrier de M. Bourgoing, en remettant + votre paquet à M. Lefebvre, a dit de vive voix qu'on disait à + Francfort que le roi de Saxe en partirait mercredi 6, mais qu'il + n'irait que jusqu'à Leipzig. J'ai informé M. de Furstenstein de ce + oui-dire, mais je n'ai pu deviner ce que signifiait le sourire avec + lequel il l'a reçu. Il signifiait à peu près qu'on n'était pas très + content de Sa Majesté saxonne et qu'on ne croyait pas à son retour. + + Lorsque j'ai annoncé au ministre de Saxe que toutes les + contributions levées par des bandes ou patrouilles autrichiennes + seraient restituées aux dépens des pays héréditaires, il m'a demandé + en riant si les dépenses occasionnées par la présence des troupes + amies retomberaient aussi sur l'Autriche. Il a ajouté aussi qu'il + espérait que je représenterais à Sa Majesté impériale mon maître + combien cette marche était coûteuse pour la Saxe. Il m'a paru que + cette observation lui avait déjà été faite de Francfort, et sa + position en effet est délicate. + + + Schleiz, ce 12 juillet 1809. + + À peine mes collègues et moi avions-nous fait partir un exprès de + Werdau pour porter à Géra nos paquets, d'où ils ont été expédiés par + une estafette à Francfort, que nous apprîmes par hasard, comme à + l'ordinaire, que le roi allait partir, non pour Géra, mais pour + Reichenbach. Ce départ fut annoncé le 10, à onze heures du matin; il + eut lieu à midi. D'après tout ce que j'ai pu recueillir depuis, le + motif de ce changement subit de détermination était qu'on avait + appris vaguement que le duc d'Abrantès s'était retiré et même qu'il + avait éprouvé un échec. Quoiqu'il se soit passé trois jours depuis + que ce prétendu événement aurait eu lieu, tout ce qui me paraît + constaté, c'est que le duc d'Abrantès ne s'avance point à notre + rencontre, qu'il n'y a point eu de jonction, ni peut-être de + communication directe entre les deux corps. Le roi au reste dit + positivement que le duc d'Abrantès est sous ses ordres; il a même + assuré avant-hier que c'était lui-même qui avait donné à ce général + l'ordre de se retirer pour serrer d'autant plus sûrement l'ennemi + entre les deux corps. Cette manière ingénieuse de justifier + éventuellement la retraite du duc d'Abrantès est un trait de + générosité, et c'est par la même impulsion que le roi a fait son + mouvement en avant[120]. + + [Note 120: Reinhard avait vu juste.] + + Lorsqu'on fut arrivé à Reichenbach, on afficha un ordre du jour qui + défendit à toutes les voitures de suivre l'armée, à l'exception de + celles du roi et de celles qui auraient une permission expresse du + chef de l'état-major. Après une conversation avec M. le comte de + Furstenstein dans laquelle ce ministre nous répéta que le roi + verrait toujours avec plaisir que nous le suivissions, rien ne fut + changé à l'égard de l'ordre donné pour les voitures du corps + diplomatique, et le lendemain matin, 11 juillet à quatre heures, on + se mit en marche pour Plauen. Dans la journée d'hier, les ennemis + tenaient encore à Hof; il y eut même une affaire de reconnaissance + avec un détachement du général d'Albignac, contre lequel les ennemis + firent sortir de Hof trois escadrons et deux bataillons d'où l'on + inféra qu'ils y étaient en force. Ce n'est qu'hier au soir ou dans + la nuit passée qu'ils ont évacué cette ville. Cependant au moment de + notre entrée à Plauen, un détachement de sept hussards noirs parut + encore à OElsnitz à deux lieues de Plauen. + + Aujourd'hui, le roi a voulu partir de Plauen à trois heures du + matin: il n'a pu en sortir qu'après quatre heures, à cause des + bagages et des colonnes qui défilaient. À midi, son quartier-général + s'est trouvé établi à Schleiz. Trois trains d'artillerie, tous les + généraux, tous les corps, excepté les Saxons et le colonel + Thielmann, sont réunis ici. Les Saxons mêmes, qui de Marienberg + devaient se porter à Dresde, ont eu ordre de se rapprocher de nous. + Le général Bongars nous avait joints à Reichenbach. + + Ce matin, la nouvelle était que le général Klenau avec 3,000 hommes + était venu de Bohême joindre le général Kienmayer. Cette nouvelle + par plusieurs raisons paraît apocryphe. + + Nous voici maintenant sur la grande route de Géra et de Hof, ainsi + que sur la route de Iéna. Le roi reviendra-t-il à son premier projet + dont il me parla à Werdau? Ou se portera-t-il de nouveau sur Hof? + C'est ce que nous n'apprendrons peut-être que demain matin. + + Sa Majesté a reçu à Reichenbach les dépêches de Sa Majesté le roi de + Saxe portées par un officier. Ce souverain n'a pas encore jugé à + propos de quitter Francfort; et il est à peu près décidé maintenant + qu'il n'y aura point d'entrevue. On dit que c'est le mouvement que + les Autrichiens avaient fait sur Chemnitz qui l'a fait changer de + résolution. Le roi qui avait constamment tenu S. M. saxonne au + courant de sa marche et des points où l'entrevue pourrait avoir + lieu, paraît avoir reçu cette nouvelle avec un certain déplaisir. Il + a dit à l'officier que peut-être dans deux ou trois jours ses + promenades en Saxe finiraient par l'ennuyer et qu'alors il + retournerait à Cassel. Sa Majesté vient d'expédier pour sa capitale + un courrier chargé, comme on croit, d'y annoncer son arrivée + prochaine. + + Ce matin, avant de partir de Plauen, le roi m'a dit qu'il avait reçu + des nouvelles de S. M. Impériale; que le passage du Danube avait eu + lieu, et que déjà 3,000 Autrichiens avaient été faits prisonniers. + Le capitaine Gueriot, étant parti du quartier-général impérial le 4, + la veille du passage, a appris les nouvelles subséquentes en route + par un officier wurtembergeois. + + Le ministre de Prusse, toujours malade et invité par nous tous à + retourner, a pris à Reichenbach le parti de s'en aller à Géra. Le + ministre de Saxe, tombé malade aussi, est resté à Plauen. Ce matin, + le roi a chargé M. le comte de Furstenstein, en notre présence, + d'annoncer à M. de Schoenbourg qu'il pouvait retourner à Cassel. Ce + ministre ayant dit également au ministre de Hollande que rien + n'empêchait les autres membres du corps diplomatique de partir + aussi, je pense que notre retour pour notre résidence ordinaire ne + sera plus guère différé. + + + Weimar, 13 juillet 1809. + + Hier au soir les ministres de Bavière et de Hollande se rendirent au + quartier du roi pour demander à M. de Furstenstein une explication + positive sur les intentions de Sa Majesté concernant notre départ. + Je n'avais pas voulu les accompagner, parce qu'il m'avait paru qu'il + me convenait d'être le dernier à demander cette explication et que + M. de Furstenstein jugerait peut-être convenable de me la donner de + son propre mouvement. + + Mes collègues trouvèrent ce ministre accompagnant Sa Majesté dans + une promenade au jardin, bien mal entretenu, du prince de + Reuss-Schleiz. Il n'y avait qu'un jeu de quilles, le roi y joua avec + gaîté. Dans ce moment arriva le major Sand, annonçant qu'il avait + rencontré l'ennemi en avant de Plauen; que les tirailleurs l'avaient + poursuivi, lui avaient tué six chevau-légers; qu'il estimait de + 10,000 hommes les deux colonnes qu'il avait vu descendre des + hauteurs et qu'à neuf heures du matin l'ennemi était entré à Plauen. + + Le ministre de Wurtemberg vint m'annoncer cette nouvelle; je montai + au château. Bientôt le général Rewbell vint au-devant de moi. «Que + nous sommes heureux, dit-il, d'être sortis de ce mauvais trou de + Plauen! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, lorsque je vis cette + position détestable. Encore dans la marche de ce matin, l'ennemi + avait diverses routes pour nous couper; par l'une, à moitié chemin + entre Plauen et Schleiz, il tombait sur le milieu de notre colonne: + il nous anéantissait par l'autre, à la jonction de la grande route; + à notre route de traverse, il nous devançait ou nous empêchait de + prendre position.» Cela est fort heureux sans doute, mais pourquoi + les cheveux du chef de l'état-major ne se dressent-ils que lorsqu'on + est déjà arrivé dans la position qu'il a dû reconnaître, indiquer et + ordonner? + + Un instant après, le major Borstell nous annonça que l'ordre du roi + était que toutes les voitures sortissent à l'instant de la ville + pour être parquées à un quart de lieue de la ville, et que nous + avions à nous dépêcher. Je répondis qu'avant tout j'avais besoin de + consulter M. le comte de Furstenstein pour savoir si je devais me + séparer de ma voiture; que ne croyant pas pouvoir la laisser en + ville, je pourrais me trouver obligé d'en sortir aussi, et que + jusque-là je priais que l'ordre ne me fût point appliqué. + + M. de Furstenstein parut. Nous l'entourâmes tous; mais je ne crus + devoir parler que pour moi. Je dis à ce moment qu'attendu l'ordre + concernant les voitures, j'étais prêt à envoyer la mienne à + l'instant même à Cassel, sous la conduite d'un domestique éprouvé, + _ainsi que tout ce qu'elle renfermait_, et à suivre Sa Majesté avec + plaisir, par devoir et par dévouement; seulement que je devais dans + ce cas prier Sa Majesté de me donner les moyens de l'accompagner + (le roi avait promis de me prêter une de ses calèches). M. de + Furstenstein alla sur le champ en parler au roi et revint + immédiatement nous annoncer que, dans les circonstances actuelles, + Sa Majesté trouvait bon que nous retournassions à Cassel. Je + demandai en conséquence qu'il nous fût permis de prendre congé de Sa + Majesté. Nous fûmes admis sans délai: il était dix heures: + + «Eh bien! Messieurs, dit le roi, vous voulez partir?--Votre Majesté, + répondis-je, veut que nous partions.--Oui, dit le roi, vous + m'embarrasseriez.» Il parla ensuite de la situation des choses: «Je + m'attendais, nous dit-il, à être attaqué à deux heures (c'est ce que + nous avait déjà dit le général d'Albignac). J'irai au devant d'eux, + c'est-à-dire je chercherai à les attirer dans la position que j'ai + choisie, où je réponds d'eux, et où je pourrai tenir pendant trois + jours contre 20 et même 30,000 hommes. Il faut espérer que le duc + d'Abrantès les suit: je ne sais ce qu'il fait; il s'endort, je crois + (ce n'est qu'à Iéna que nous avons appris que le duc d'Abrantès + était entré à Bayreuth le 6; il paraît certain qu'aucune + communication directe et suivie n'existe entre le roi et ce + général). S. M. nous parla ensuite de la position de Plauen et du + bonheur de l'avoir quittée, à peu près dans les mêmes termes que le + général Rewbell; Elle nous congédia en nous invitant à partir + promptement. Le roi nous avait proposé de prendre la route de + Saalfeld; je proposai celle de Neustadt, de Kahla et de Iéna. C'est + cette dernière que nous avons prise. Nous sommes partis de Schleiz à + minuit; nous sommes arrivés à Weymar ce soir à deux heures, sans le + moindre accident et surtout sans la moindre inquiétude. En effet, + comme on ne saurait douter que le passage du Danube n'ait eu lieu, + les ennemis qui depuis plusieurs jours pouvaient en connaître le + résultat devaient chercher, dans ce moment de confusion où je les + suppose, à éloigner le corps du roi de leurs frontières; ils ne se + porteront pas en avant de Plauen, mais longeant la Bohême et + cherchant même à gagner Dresde, ils se tiendront sur la défensive. + Le roi, de son côté, avant d'entreprendre quelque chose de décisif, + attendra les nouvelles du Danube. + + Le ministre de Bavière nous a déjà quittés pour se rendre à + Francfort. Les ministres de Wurtemberg et de Hollande sont ici avec + moi. Ce dernier voyageait dans la voiture du ministre de Saxe, où il + laissa tous ses effets. M. de Schoenbourg, avec la fièvre et sans + chevaux, n'ayant pu quitter Plauen, nous sommes inquiets de ce qui + lui sera arrivé. + + Je me propose d'attendre ici un ou deux jours; M. le colonel Clary + aussi doit venir nous joindre: ensuite je continuerai ma route pour + Cassel. + + C'est ainsi, Monseigneur, que s'est terminé pour nous ce voyage + militaire où, je l'avoue, nous nous sentions tous, sans exception, + un peu déplacés et où moi, personnellement, je crains d'autant plus + de l'avoir été que je ne puis espérer d'avoir été capable de vous + transmettre sur les événements de la campagne, et, à leur défaut, + sur les mouvements des troupes, des notions dignes de fixer + l'attention de Sa Majesté Impériale. + + +On comprend qu'en lisant les dépêches de Reinhard, l'empereur ait +trouvé assez mauvais la manière dont le jeune roi menait ses troupes +et exécutait ses ordres, aussi lui écrivit-il de Schoenbrunn, le 17 +juillet à six heures du soir: + + + Mon frère, le major-général m'a mis sous les yeux votre lettre du 7 + juillet. Je ne puis que vous répéter que les troupes que vous + commandez doivent être toutes réunies à Dresde. Il n'y a à la guerre + ni frère de l'empereur ni roi de Westphalie, mais un général qui + commande un corps. + + Dans les 18,000 hommes dont vous faites le compte, vous ne comprenez + pas la brigade La Roche, qui est d'un millier de dragons. Vous + pouvez y joindre en outre le 22e de ligne. + + Pendant la durée de l'armistice, les Saxons peuvent se recruter de + quelques milliers d'hommes et remonter leur cavalerie. + + Vous pouvez attirer à vous tous les Hollandais, de sorte que vous + puissiez vous présenter à l'ouverture des hostilités avec 25,000 + hommes sur les frontières de la Bohême, ce qui obligera l'ennemi à + vous opposer une pareille force, et, comme le théâtre de la guerre + sera nécessairement porté de ce côté, nous serions bientôt en mesure + de nous joindre par notre gauche ou par notre droite. + + +Jérôme, arrivé à Cassel le 19 juillet 1809, écrivit à Napoléon le +20: + + + Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire de + Schoenbrunn en date du 14. La retraite du duc d'Abrantès sur le + Danube m'avait forcé de prendre position à Schleitz et de quitter + l'offensive, l'ennemi étant dès lors très supérieur à moi. J'étais + dans cette position lorsque j'appris la nouvelle des grandes + victoires de Votre Majesté et le débarquement des Anglais. Je jugeai + dès lors que je n'avais pas à craindre que le corps autrichien + m'attaquât. Je n'étais pas assez fort pour le poursuivre en Bohême, + ce qui me décida à me porter tout d'un coup sur la Baltique par deux + marches de onze lieues chacune. J'arrivai le 17 à Erfurt; l'ennemi + ne fit pas un seul pas pour me suivre et il ne le pouvait, d'après + la défaite de l'armée autrichienne. Le 18, j'ai appris l'armistice; + cela m'a fait persévérer dans ma marche sur le Hanovre, puisque je + n'avais rien à craindre pour la Saxe pendant six semaines, et que + dans les quinze jours réservés pour la dénonciation de l'armistice, + j'avais le temps de me reporter du Hanovre sur les frontières de la + Bohême. J'ignorais totalement que Votre Majesté pût tenir à ce que + j'occupasse Dresde, et, craignant même qu'elle n'y désapprouvât mon + séjour, je n'y étais resté que le temps nécessaire pour faire + rafraîchir mes troupes. La division hollandaise, qui est réduite + presque à rien (les quatre régiments d'infanterie n'ayant pas 900 + bayonnettes chacun et le régiment de cavalerie n'ayant que 280 + chevaux), est restée à Erfurt pendant que le général Gratien est + occupé à régler l'armistice avec le général autrichien qui est à + Plauen. Je compte faire rejoindre cette division à Hanovre, quand + j'aurai la certitude que les Anglais débarquent en force, ce qui me + paraît bien douteux d'après tous les événements. + + D'après les intentions de Votre Majesté, j'ai donné l'ordre au + régiment de ligne français et aux chevau-légers polonais qui sont + dans les forteresses de l'Oder de rejoindre mon armée à Hanovre; + mais je ferai observer à Votre Majesté que ces villes vont se + trouver presque sans garnison. + + J'augmente mes troupes tant que je puis; mais, je puis l'assurer à + Votre Majesté (et elle peut s'en convaincre par les rapports de + toutes les personnes qui connaissent la situation actuelle de la + Westphalie), ce royaume ne peut aller encore quatre mois tel qu'il + est, comme je l'ai déjà écrit à Votre Majesté que je ne trompe + jamais. Depuis trois mois, la liste civile, les ministres et les + fonctionnaires publics ne sont pas payés et n'ont reçu que de + faibles à-comptes sur leurs traitements, et la solde des troupes + sera suspendue dans deux mois si Votre Majesté ne change pas l'état + du royaume. Cependant, il est impossible d'y mettre plus d'ordre et + d'économie que je ne le fais. Aucun budget n'est atteint, mais les + rentrées réelles sont bien loin des recettes présumées. Enfin la + Westphalie ne peut se soutenir si elle continue à payer le restant + de la contribution de guerre, ce qui fait sortir annuellement 7 + millions de numéraire de la circulation. + + La Westphalie ne peut exister sans la France; mais aussi la + Westphalie peut être d'une très grande utilité au système politique + de Votre Majesté. + + Je prie Votre Majesté de croire que tout ce que je lui dis là n'est + que la stricte et exacte vérité. + + +Les explications données par le roi Jérôme à Napoléon ne +convainquirent nullement ce dernier et ne le firent pas changer +d'avis, car le 27 juillet 1809, M. de Champagny, alors auprès de +l'empereur à Vienne, écrivit à Reinhard la lettre suivante: + + + Sa Majesté m'avait chargé de vous faire connaître combien Elle avait + été affligée du résultat de l'expédition du 10e corps d'armée en + Saxe et en Franconie. Elle me charge encore de vous écrire une + seconde fois sur ce sujet. Si des fautes ont été commises, si le + résultat n'a pas été, comme l'empereur l'avait espéré, d'enrichir la + réputation militaire de son auguste frère, l'empereur pense que + c'est moins le tort de Sa Majesté westphalienne, dont la jeunesse ne + peut faire supposer une grande expérience, que celui des personnes à + qui Elle avait accordé sa confiance. L'empereur veut donc que vous + parliez à M. le comte de Furstenstein, à M. le général Rewbell et à + M. le général d'Albignac, et que vous leur fassiez entendre que, + s'ils ne veulent point être l'objet du mécontentement et de la + sévérité de Sa Majesté, ils doivent s'attacher à ce que l'influence + qu'ils exercent ait pour résultat d'amener dans la marche des + affaires, soit militaires, soit civiles, le sérieux et la suite + qu'elles exigent. L'abandon de la Saxe et de Dresde, le retour à + Cassel lorsque l'objet de la campagne n'était pas rempli, le cortège + du corps diplomatique avec une armée où l'empereur ne veut que des + soldats, sont des choses que l'empereur désapprouve. Ce serait un + malheur qui nous affligerait tous que l'empereur remît en d'autres + mains le commandement de ce corps d'armée[121]. Que tous les amis du + roi (et qui le connaît lui est sûrement attaché) se réunissent donc + pour prévenir ce malheur et concourent à donner aux affaires et + surtout aux opérations militaires une direction plus ferme. Vous + savez quel prix l'empereur met à la gloire militaire, et tout ce qui + pourrait porter la plus légère atteinte à celle des armes + françaises, plus que toute autre chose affecterait vivement Sa + Majesté. + + [Note 121: C'est précisément ce qui arriva quelques jours + plus tard.] + + +Au mécontentement causé à l'empereur par la conduite un peu légère +de son frère, pendant la campagne de Saxe, vint bientôt se joindre +le mécontentement que lui firent éprouver la question financière en +Westphalie et le non acquittement des obligations de ce pays envers +la France. Et cependant!... Un État miné dès l'origine et ne +parvenant à se procurer des ressources pour son existence +journalière qu'à l'aide de subterfuges pouvait-il faire face à des +exigences pareilles à celles qu'imposait Napoléon? N'était-ce pas +demander des choses impossibles à ce pays?... Revenons un instant à +la question de finance. + +Le 21 juillet M. Jollivet écrivait de Cassel: + + + Le mal est empiré depuis que, par une dépêche du 4 avril dernier, + j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence de l'état financier de + ce pays-ci et des dispositions peu courtoises du gouvernement + westphalien relativement aux intérêts de Sa Majesté Impériale et à + ceux de ses donataires. + + Par un ordre particulier du roi, la caisse d'amortissement a cessé + ses paiements envers l'empereur. + + En conséquence, les bons de caisse délivrés en paiement de la dette + reconnue par le traité de Berlin du 22 avril 1808, et montant à + 500,000 fr. par mois, n'ont point été acquittés pour les mois de mai + et de juin derniers. + + Ceux du mois de juillet, dont le dernier est échu hier et que Son + Excellence le ministre du trésor public à Paris vient d'adresser au + sieur Brichard pour en faire le recouvrement, ne le seront pas + davantage: on a été obligé de les protester. + + Il en sera de même du mois d'août et des suivants. En un mot, le + gouvernement ne fait ni ne paraît vouloir faire aucune disposition + pour sortir de cette léthargie. + + Dès le premier refus, je me suis empressé de réclamer auprès de Sa + Majesté le roi de Westphalie. Le roi m'a répondu qu'il avait rendu + compte à Sa Majesté l'empereur de l'impossibilité où il se trouvait + de faire honneur à cette dette, que l'empereur, connaissant sa + situation, avait trouvé bon cet ajournement et qu'il était inutile + que j'insistasse là-dessus. + + De son côté, M. Malchus, directeur de la caisse d'amortissement, + craignant d'être accusé d'avoir mal défendu sa caisse, a donné et + fait agréer sa démission. On lui savait, de plus, très mauvais gré à + la cour d'avoir concouru avec moi à la conclusion du traité de + Berlin. + + Il est remplacé par M. de Malsbourg, auparavant directeur du trésor + public, place dont celui-ci a cru devoir donner sa démission, parce + que, n'y ayant habituellement de fonds que jusqu'à concurrence de la + moitié ou du tiers des sommes nécessaires au service, il a trouvé + moins affligeant de passer à la caisse d'amortissement où il n'y a + plus maintenant à se défendre contre personne, et qui n'est + aujourd'hui qu'une espèce de réservoir où puise le ministre des + finances pour ajourner, s'il est possible, la catastrophe. + + Il faut qu'en ce moment la crise soit bien violente, puisque la + liste civile, qui a le pas sur tous les autres services, est + arriérée d'un mois et demi, et que le roi s'est trouvé obligé, dans + l'expédition qu'il vient de faire en Saxe pour repousser les + Autrichiens, d'emprunter 70,000 fr. d'un banquier saxon. + + Quinze jours ou trois semaines avant l'ouverture de cette campagne, + le roi avait détaché M. le commandant Rewbell pour Bremen et + Hambourg. On ignorait l'objet de cette mission qui a été tenu fort + secret. Mais des lettres de commerce, venues de Hambourg à Cassel et + Francfort, en ont fait connaître le but. Il s'agissait de proposer + aux magistrats de ces deux villes de recevoir garnison française ou + de s'en exempter à prix d'argent. Ces magistrats ont refusé, ne + voulant obéir qu'à un ordre formel de S. M. l'empereur que M. + Rewbell n'a pu leur montrer. + + Hier matin, Sa Majesté le roi de Westphalie a annoncé qu'il venait + de recevoir l'ordre de Sa Majesté Impériale de former à Hanovre un + camp de 15,000 hommes pour couvrir l'embouchure de l'Elbe et du + Weser et d'envoyer des garnisons à Bremen et à Hambourg. + + Il est assez vraisemblable que, dans la pénurie extrême d'argent où + l'on se trouve ici, M. Rewbell, s'il n'y a pas nécessité urgente d'y + laisser des garnisons, s'empressera de renouer la négociation + manquée il y a six semaines. C'est du moins l'opinion de l'un des + ministres du roi de qui je tiens ces détails et qui m'a ajouté qu'on + espérait en tirer 5 à 6 millions, soit à titre d'emprunt, soit tout + autrement, attendu qu'il ne fallait plus compter sur l'emprunt de + Hollande qui, en effet, a manqué totalement. + + Cette dernière circonstance avait déterminé le ministre des finances + à proposer la suppression de plusieurs monastères de religieuses et + la vente de leurs biens. Elle a été effectuée moyennant 2,200,000 + fr.; mais le banquier Jacobson, qui les a achetés, a retenu sur le + prix une somme de 1,200,000 fr. en reste de 1,500,000 fr. qu'il + avait prêtés au roi et qui ne figurent point dans ma dépêche du 4 + avril dernier, parce que cet emprunt avait été tenu fort secret et + qu'il n'a percé qu'à l'occasion de la vente des monastères dont il + s'agit. + + Ces monastères n'ont donc aidé le trésor royal westphalien que + jusqu'à concurrence d'un million. + + Le ministre des finances vient encore d'en mettre d'autres en vente; + mais personne ne se présente pour les acheter, et, s'il les vend, ce + ne pourra être qu'à très vil prix. + + Tandis que les sources tarissent de toutes parts, le roi ne néglige + point d'augmenter sa liste civile. Par décret du 1er juin dernier, + Sa Majesté y a ajouté les biens de l'ordre teutonique, non sans + opposition de plusieurs de ses ministres et de son Conseil d'État; + mais il a fallu céder, parce que (a très bien observé le roi) ce + n'est pas à l'État, mais au prince qu'il a été dans l'intention de + Sa Majesté l'empereur de donner les biens de l'ordre teutonique + supprimé par son décret du 24 avril précédent. + + On présume ici que le revenu des biens de l'ordre teutonique situés + en Westphalie s'élève de 3 à 400,000 fr. par an. + + J'ai fait connaître à Votre Excellence l'espèce de guerre à mort + qu'ont vouée aux domaines impériaux le ministre des finances + westphaliennes et les divers agents sous ses ordres. Sa conduite, à + cet égard, est un véritable dévergondage. Il n'y a pas jusqu'à des + pots de vin, qui autrefois et très abusivement se prélevaient sur + les fermiers lors du renouvellement des baux à loyer et des + adjudications de dîmes, qu'il ne veuille aujourd'hui faire revivre + au profit du trésor public westphalien, et cela sur les domaines + impériaux, nonobstant le traité de Berlin qui les fait passer dans + la main de Sa Majesté Impériale et dans celle des donataires qu'Elle + a bien voulu en gratifier, francs et quittes de toutes dettes et + charges. + + Ci-inclus la copie de la lettre du directeur impérial à Cassel, du + 20 de ce mois, qui rend compte à son supérieur de cette nouvelle + prétention et des moyens dont le ministre des finances a usé envers + les agents inférieurs pour la faire réussir. + + Je vais tâcher, s'il en est temps encore, de prévenir le mal qui + peut en résulter. Mais j'ai peu d'espérance de détruire ou de + modifier une influence qui s'accroît dans la même proportion que les + besoins du chef de l'État; et je persiste à croire que le remède ne + peut venir que de l'exercice de la toute-puissance de Sa Majesté + Impériale. + + Cette opinion est fondée sur ce que les alentours du roi ont, depuis + plus de six mois, tellement bercé Sa Majesté de l'idée que le + royaume de Westphalie ne pouvait supporter une distraction d'un + revenu de 7 millions en faveur des donataires de l'empereur, que le + roi lui-même a fini par croire que la force des choses amènerait + l'anéantissement de cette disposition du traité de Berlin, d'où + résulte, comme si la chose était déjà arrivée, défaut absolu de + protection, et, de la part du ministre des finances, malveillance + entière aussitôt qu'il s'agit de l'intérêt de Sa Majesté l'empereur + et de ses donataires. + + En conséquence, les domaines impériaux sont impitoyablement frappés + de toutes sortes de réquisitions; les fermiers en réclament la + déduction sur leurs fermages. Déjà quelques tribunaux l'ont + prononcée ainsi. + + Le Sr Barrois, directeur général de ces domaines, qui a succédé au + Sr Ginoux, craint la contagion de cet exemple et n'ose aller en + avant. Pendant cette incertitude, le recouvrement est ralenti; le + roi lui-même garde et ne veut pas rendre des domaines de Sa Majesté + Impériale qui sont entrés dans des dotations; les donataires se + plaignent de tous côtés de ne rien recevoir; le directeur général ne + peut faire connaître à chacun d'eux leur vraie situation + relativement au gouvernement westphalien, sans risquer d'en voir + naître un éclat qui pourrait ne pas se trouver dans la politique de + l'empereur. + + En un mot, les choses à cet égard prennent à bas bruit une tournure + si grave que le Sr Barrois a résolu de se rendre demain à Hanau, + près de Villemanzy, ou pour faire accepter sa démission, ou pour en + obtenir un plan quelconque de conduite qui le mette à l'abri de tout + reproche de négligence. + + Tels sont, Monseigneur, les renseignements qu'il me fallait ajouter + à ceux contenus dans ma dépêche du 4 avril dernier, afin que Votre + Excellence se trouve en mesure, si elle le juge nécessaire, de les + mettre sous les yeux de Sa Majesté Impériale. + + _P. S._ J'oubliais de dire ici que la liste civile recevait en ce + moment un nouvel accroissement par le sequestre des domaines du + prince de Kaunitz-Rittberg, de Vienne, situés au comté de Rittberg + enclavé dans le royaume de Westphalie. Le revenu n'en est point + encore connu. + + J'apprends à l'instant: 1º que les monastères achetés par le + banquier Jacobson lui ont été vendus comme produisant un revenu de + 28,000 thalers faisant 108,780 fr., et que dans la quinzaine il les + a loués 34,000 thalers faisant 132,090 fr.; + + 2º Que ce bon marché le détermine à se mettre sur les rangs pour + acheter les autres biens qui sont à vendre. + + +Après la réception des dépêches du duc de Cadore relatives à la +campagne de Saxe et au mécontentement de l'empereur, M. Reinhard, +assez embarrassé pour jouer le rôle délicat qui lui était imposé, +eut plusieurs conversations avec les personnes faisant l'objet des +lettres de Champagny et répondit au ministre des relations +extérieures de France les deux lettres suivantes, datées de Cassel +les 4 et 8 août 1809: + + + La dépêche chiffrée par laquelle Sa Majesté daigne me faire + connaître, pour mon instruction seule, le jugement qu'Elle a porté + de l'expédition de Sa Majesté westphalienne en Saxe et m'ordonne de + nouveau de l'instruire de tout ce qui est propre à faire apprécier + le gouvernement de la Westphalie auquel Elle prend un si vif + intérêt, me laisse dans la ligne qui m'avait été tracée jusqu'à ce + moment par les instructions de Votre Excellence. + + La seconde dépêche, qui me charge de faire connaître directement à + M. le comte de Furstenstein et à MM. les généraux Rewbell et + d'Albignac le mécontentement de Sa Majesté, me fait sortir de cette + ligne: elle m'impose de nouveaux devoirs et une responsabilité + nouvelle. + + Dès hier et avant-hier je me suis acquitté des ordres qui m'ont été + donnés auprès de M. le comte de Furstenstein et de M. le général + d'Albignac. Le général Rewbell est absent. Dès hier et avant-hier je + me suis occupé des éléments d'un nouveau rapport à soumettre à Votre + Excellence sur l'état actuel de la Westphalie. Mais plus la + circonstance me paraît grave et importante, et plus, Monseigneur, je + sens le besoin de me recueillir afin que le rapport que j'ai à faire + soit digne d'être mis sous les yeux de Sa Majesté impériale, non + seulement par sa scrupuleuse fidélité, mais encore par l'exactitude + de ses aperçus. Les reproches que Sa Majesté impériale adresse aux + personnes désignées ne sont que trop fondés; mais si l'on peut + espérer qu'ils produiront sur leur conduite personnelle un effet + salutaire, il n'en résulterait peut-être pas encore une amélioration + très sensible dans la marche des affaires générales, puisque + l'influence de ces personnes sur le Roi n'est qu'indirecte, + partielle et intermittente. Comme il s'agit avant tout d'épargner un + chagrin pénible au roi, chagrin qui affligerait profondément et ses + serviteurs (et, comme le dit avec vérité Votre Excellence, tous ceux + qui le connaissent lui sont attachés), je n'ai point hésité, et + d'après votre lettre même, et de l'aveu de M. le comte de + Furstenstein, à en entretenir M. Siméon et M. le général Eblé. + + Toutes ces conversations, Monseigneur, n'ont encore amené aucun + résultat de détermination: elles n'en amèneront peut-être aucun de + fait, puisqu'en dernière analyse, tout dépend de la volonté du Roi + qui est forte et absolue, sans être ferme et constante. + + Dans cet état de choses, quelques jours encore me paraissent + nécessaires pour laisser fermenter et éclaircir les sensations et + les idées; et ce sera dans le courant de la semaine prochaine que + j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence une expédition où, + je l'espère, Votre Excellence trouvera au moins de mon côté la + preuve de l'absolu dévouement avec lequel j'ai à cour de servir Sa + Majesté l'Empereur, mon bienfaiteur et mon maître. + + + Le 8 août 1809. + + J'ai à vous rendre compte des conversations que j'ai eues d'après + les ordres de Sa Majesté impériale avec M. le général d'Albignac et + M. le comte de Furstenstein. Le premier allait partir pour son + expédition, lorsque j'ai saisi une occasion qui se présentait à + propos pour le faire prier de passer chez moi. Après lui avoir parlé + en termes généraux de la commission dont j'étais chargé, je lui ai + montré la lettre de Votre Excellence. M. d'Albignac en a été + profondément affligé. «Je ne me mêlerai point, a-t-il dit, de ce qui + regarde les autres personnes qui ont aussi encouru le mécontentement + de Sa Majesté impériale. Pour moi, je dirai que je ne suis que + soldat et que je ne sais qu'obéir. D'ailleurs, comment ai-je pu + devenir l'objet des reproches de Sa Majesté l'Empereur, moi qui + pendant toute la campagne n'ai vu le roi que trois ou quatre fois et + pendant autant de quarts d'heure?--Vous avez, ai-je répondu, été + chargé de l'expédition contre Schill, votre nom a paru souvent et + pendant que vous commandiez l'avant-garde, il a paru souvent seul + dans les bulletins de l'expédition en Saxe. Sa Majesté impériale a + dû penser, en conséquence, que vos conseils avaient influé sur la + conduite des affaires.--Des conseils, a dit M. d'Albignac, le roi + n'en reçoit de personne, c'est l'homme le plus absolu que je + connaisse.--Et cependant, ai-je repris, comment se fait-il qu'il y + ait eu tant d'ordres et de contre-ordres dont vous vous plaigniez + vous-même? D'où vient ce système vacillant dont Sa Majesté impériale + se plaint avec tant de raison?» M. d'Albignac a gardé le silence. + «Le roi, ai-je dit, a le coup d'oeil vif, prompt et juste; il le + sait, peut-être s'y fie-t-il trop, et de là ce qu'il y a de prompt + et d'absolu dans ses volontés. Peut-être ses idées manquent-elles + quelquefois de liaison. L'objet n'a pas été considéré sur toutes ses + faces; la justesse de son esprit le lui fait apercevoir, et de là + cette versatilité. Avec un esprit comme le sien il y a de la + ressource, et cette versatilité même donne les moyens d'influer sur + ses déterminations.--Oui, quand on y est, ou qu'il n'est pas trop + tard; mais, a-t-il ajouté avec le mouvement d'un homme pénétré, + comment me justifier, lorsque je ne le pourrais qu'en accusant le + Roi? Encore une fois je ne suis que soldat et je ne fais + qu'obéir.--Cela ne vous sauvera pas; encore une fois, le roi est + jeune et vous avez sa confiance.--Le roi a déclaré qu'il ne + reconnaîtrait aucune supériorité: d'ailleurs comment pourrais-je + m'en arroger, moi dont l'avancement trop rapide pour mon mérite ne + me donne aucun droit de prétendre à aucune supériorité ni + d'expérience ni de lumières?--Oui vous étiez tous dans ce cas, et le + sentant vous-même et pouvant prévoir la responsabilité qui pèserait + sur vous, pourquoi n'avez-vous pas engagé Sa Majesté à emmener le + général Eblé?--Je l'ai désiré, demandez au général Eblé ce que je + lui ai dit à ce sujet avant de partir? Que me reste-t-il à présent, + qu'à me faire tuer ou à rentrer dans l'armée de l'empereur comme + simple lieutenant de cavalerie.--Mais pensez donc au roi, vous lui + êtes attaché: nous avons à craindre tous un coup sensible qui + pourrait le frapper.--Monsieur, m'a dit le général d'Albignac, j'en + suis au désespoir, mais je vous le répète, je n'ai point + d'influence; aucun de nous n'en a et n'en aura.»--Il s'est levé en + me serrant la main et les larmes aux yeux pour aller se mettre à la + tête de son détachement. + + Le général d'Albignac, Monseigneur, a la réputation d'un homme franc + et d'un honnête homme. Il s'est souvent prononcé contre des abus et + surtout contre l'excès des dépenses, lors même qu'elles concernaient + son propre département. Il brûlait d'ambition de se faire une + réputation militaire et il est profondément affecté de l'avoir + manqué, autant que je puis me permettre de juger. Je crains que + malgré l'esprit qu'il a, ses moyens ne répondent pas à ses désirs. + Son caractère, d'ailleurs, est d'une véhémence qui souvent avoisine + la brutalité, et lorsque dans sa dernière campagne contre Schill il + s'est trouvé aux prises avec le flegme allemand, ou avec les + formalités des employés civils, son emportement quelquefois n'a plus + connu de bornes: de là des plaintes et des reproches réciproques; et + tandis que le général d'Albignac ne voyait dans les autorités + civiles que des partisans de l'ennemi et des traîtres, celles-ci + trouvaient en lui un despote dont le pays avait à souffrir plus que + de l'ennemi. La jalousie de métier l'avait brouillé avec le général + Gratien: il s'en est corrigé, et pendant la campagne de Saxe, je + lui ai entendu faire l'éloge de l'expédition de Stralsund; mais une + forte animosité a éclaté entre lui et le général Rewbell. On s'est + querellé même en présence du roi, voilà du moins un choc d'où + pouvait jaillir la lumière, et il semble que le roi qui l'a souffert + souffrirait aussi des conseils. + + Je dis à M. de Furstenstein que j'avais reçu deux dépêches de Votre + Excellence: que dans la première S. M. I. me faisait connaître pour + mon instruction seule qu'elle n'approuvait pas la manière dont avait + été conduite l'expédition en Saxe; que j'aurais renfermé + scrupuleusement en moi-même cette communication, si par la seconde + dépêche je n'avais point été chargé d'une commission pénible: que Sa + Majesté pensait que si des fautes avaient été commises, il fallait + moins les attribuer au roi qu'aux personnes auxquelles il accordait + sa confiance. «Cela, me dit M. de Furstenstein en m'interrompant, ne + peut me concerner en aucune manière: je suis tout à fait étranger + aux affaires militaires.»--«Je demande pardon à Votre Excellence, + les vues de Sa Majesté s'étendent plus loin, et les personnes à qui + je suis chargé de parler sont les généraux d'Albignac et Rewbell, et + M. le comte de Furstenstein.»--«Pour les affaires civiles je ne m'en + mêle pas plus que des affaires militaires, et je me tiens exactement + renfermé dans mes fonctions. D'ailleurs, le roi ne souffre pas qu'on + lui donne des conseils et il chasserait celui qui l'oserait. Je suis + attaché à Sa Majesté, je cherche à la servir fidèlement, mais je + n'ai aucune influence.»--«Sa Majesté suppose avec raison de + l'influence à celui qui est constamment auprès de la personne du roi + et qui vit dans une certaine intimité avec Sa Majesté. L'influence, + d'ailleurs, consiste ou à donner des conseils ou à empêcher l'effet + de ceux qui ne seraient pas bons, à provoquer certaines mesures ou à + s'y opposer.»--«Mais comment peut-on croire que je donne des + conseils perfides, moi qui donnerais ma vie pour le roi?»--«J'ose + dire que personne ne le croit; mais (voyant que je n'avançais point) + je dois vous demander, monsieur le Comte, la permission de vous + montrer, comme j'y suis autorisé, la lettre de M. de Champagny.» + + La lecture de cette lettre fit une forte impression sur M. de + Furstenstein. «Si j'ai eu le malheur, dit-il, de déplaire à Sa + Majesté impériale, il ne me reste qu'à donner ma démission.»--«Non: + il ne suffirait pas de ne s'occuper ici que de soi-même puisqu'il + s'agit de nous réunir tous pour épargner un chagrin au roi, et je + prie Votre Excellence de me seconder comme je la seconderai autant + que cela est en moi.»--«Monsieur Reinhard, ce que vous savez depuis + hier, le roi le sait depuis trois jours; je savais aussi que Sa + Majesté impériale est mécontente de moi, et depuis deux jours j'en + suis malade, mais comment faire? Le roi écrira à l'empereur: il le + priera de lui dire ce qu'il veut qu'il fasse, et il fera tout ce que + Sa Majesté impériale voudra.»--«Cela est très bien: l'empereur est + le frère aîné ou, pour me servir d'une expression de Sa Majesté + elle-même, le père du roi. L'empereur est celui auquel personne au + monde ne peut se comparer, enfin il est le maître. Mais dès ce + moment il existe ici deux hommes qui appartiennent au roi et qui + appartiennent aussi à l'empereur: c'est M. Siméon et M. le général + Eblé. Pourquoi ne se concerterait-on pas avec eux dans une + circonstance aussi importante?» M. de Furstenstein n'est point entré + dans cette idée: du moins il ne lui a pas donné de suite et il m'a + paru que c'était parce que, comme MM. Siméon et Eblé eux-mêmes, il + n'en attendait pas beaucoup de succès. «Pourquoi, continuai-je, le + roi n'a-t-il pas emmené pour l'expédition de Saxe le général + Eblé?»--«Le général Eblé était trop nécessaire ici. D'ailleurs, si + le roi n'a été entouré que de jeunes officiers, ce n'est pas sa + faute, il avait demandé des officiers de mérite à Sa Majesté + impériale[122]. On a, m'a dit ensuite M. de Furstenstein, fait + beaucoup de faux rapports à l'empereur. «Par exemple?»--M. de + Furstenstein après un moment d'hésitation: «Par exemple on a mandé + que le roi avait écrit une lettre inconvenante au général Kienmayer + (mais vous n'y étiez plus alors), tandis que le roi n'a point écrit, + mais qu'il a seulement envoyé un officier avec un message verbal; + (après un moment d'hésitation encore) on a aussi mandé que le roi + amenait avec lui six voitures attelées de six ou huit + chevaux.»--«Moi je n'ai parlé que des voitures du corps + diplomatique, et j'ai dit que nous en avions trois.»--«Le roi, + Monseigneur, n'avait que deux calèches, l'une pour lui et l'autre + pour ses valets de chambre. Les fourgons appartenant à la bouche, + etc. pouvaient être au nombre de quatre, mais indépendamment de + cela, le train était hors de proportion avec le corps d'armée. En + Saxe, il fallait 1,800 chevaux de réquisition: celle qui parvint à + Gotha, pendant que nous y étions, était encore de 1,300. Les + Hollandais surtout avaient un train énorme.» + + [Note 122: Cela était vrai.] + + Ma conversation avec M. de Furstenstein s'est prolongée pendant près + d'une heure. Sans égard pour les chevaux attelés, je me sentais + pressé d'obtenir quelque chose, et qui nous aurait vus aurait dit + que c'était moi qui recevais les reproches. Le ton de M. de + Furstenstein devenait quelquefois confidentiel, mais sans abandon, + et surtout il n'est entré dans aucun détail d'explication ni de + justification. Le général d'Albignac avait été surpris à + l'improviste: il n'avait pris conseil que de ses sentiments. M. de + Furstenstein s'était préparé: il avait pris conseil d'autrui. + + +Suit dans la lettre de Reinhard le portrait du comte de Furstenstein +inséré au liv. XIII (4e volume) des Mémoires de Jérôme. + + + Pour ce qui concerne le général Rewbell, Monseigneur, je ne l'ai + guère vu qu'à la cour, et, pendant la campagne de Saxe, on disait + ici généralement qu'il s'était distingué en Silésie. Pendant tout + l'hiver dernier il avait été écarté, lorsque le comte de Bernterode + avait la faveur: quand elle lui est revenue, il n'a montré que de la + morgue et de la fatuité. Il faut voir les hommes en position pour + les juger. + + Je venais, Monseigneur, d'achever ce paragraphe, lorsqu'on est venu + me dire, encore sous grand secret, que le général Rewbell avait + écrit au roi pour demander une indemnité pour sa troupe, à laquelle + il avait promis, lui Rewbell, le pillage de la ville de Brunswick. + La ville de Brunswick, Monseigneur, où se tient en ce moment une + foire célèbre depuis plusieurs siècles et qu'un usage sacré met plus + éminemment en ce moment sous la protection du droit des gens, la + ville de Brunswick, seconde ville du royaume, seconde résidence du + roi, s'était conduite avec une sagesse admirable pendant les + derniers événements. Dans une population de 30,000 hommes, aucun + habitant n'avait manqué à son devoir; la populace même n'avait pas + commis le moindre désordre. Le duc d'OEls avait respecté les lieux + où avait vécu son père il n'avait rien exigé, il n'avait compromis + personne. Après son départ les proclamations qu'il avait fait + afficher furent arrachées sur-le-champ; et le général Rewbell avait + promis le pillage de cette ville aux troupes westphaliennes! + + Il faut rendre justice au roi: il a été profondément affecté de + cette inconcevable démence. Le conseil des ministres s'est occupé + hier de la rédaction d'un décret qui destitue le général Rewbell et + le déclare incapable à jamais de servir Sa Majesté. Le général + Bongars a été envoyé pour prendre le commandement de sa troupe. Le + décret n'a point encore été signé: il sera probablement adouci si le + général Rewbell dans l'intervalle est encore parvenu à bien mériter + contre le duc d'OEls. M. Siméon voulait qu'on se bornât à la + destitution. Les autres ministres ont insisté pour la sévérité + entière, et je jurerais, Monseigneur, que dans leur âme ils n'ont + été guidés que par l'horreur que leur inspirait son action. + + Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de mes conversations + avec M. Siméon et avec M. le général Eblé. Ces deux ministres + confirment ce que m'ont assuré les deux premiers interlocuteurs, que + personne n'exerce une influence directe et soutenue sur l'esprit du + roi; que ses volontés changent souvent, mais qu'elles sont toujours + absolues. Malheureusement, il n'y a point là de contradiction, même + apparente. Tout s'explique par l'idée exagérée que le roi se fait de + la puissance souveraine, par le désir de régner seul, par son âge et + par ses habitudes. Avec un jeune prince comme lui, personne n'a + d'influence, et tout le monde en a. Croyant toujours agir d'après + lui-même, il n'agit que d'après des inspirations prises au hasard, + et comme la plupart de ses résolutions sont plutôt dictées par un + aperçu prompt et rapide que par l'étude et la réflexion, la justesse + même de son esprit le rend vacillant, lorsqu'à une idée qui lui + paraissait bonne il en trouve à substituer une qui lui paraît + meilleure. En vain les bien intentionnés voudraient-ils se + concerter, le roi se défie des concerts: la malveillance s'en + prévaudrait, ce serait le moyen de tout perdre. Avoir des volontés, + c'est à ses yeux avoir du caractère, tandis que trop souvent c'est + en manquer. «L'empereur aime que l'on ait du caractère», voilà son + refrain lorsqu'on lui représente les conséquences d'une certaine + manière de penser et d'agir qui semblerait blesser ses rapports + personnels avec son auguste frère; tant il est vrai que lors même + qu'un esprit mal entendu d'indépendance ou d'opposition semble + diriger sa conduite, le roi ne s'y livre que dans la persuasion + d'être d'accord avec la pensée secrète de l'empereur. + + Pour moi, dans toutes les occasions soit publiques, soit + particulières, où j'ai l'honneur d'approcher Sa Majesté, je n'ai + reconnu que des preuves d'une vénération profonde dont le roi est + pénétré pour Sa Majesté impériale. Jamais je n'ai aperçu en lui un + mouvement qui ne fût dicté par le respect, ou par la confiance, ou + par l'orgueil de lui appartenir. Je me suis convaincu que tout ce + qui paraîtrait contraire à ces sentiments intimes ne vient que d'une + erreur de l'esprit et que cette erreur s'est déjà affaiblie. + J'oserais dire que les fautes commises dans l'expédition de Saxe ont + été prévues et en quelque sorte expiées par l'aveu qu'il m'a fait à + Leipzig, que, si au lieu de vingt-quatre ans il en avait eu trente, + il ne l'aurait pas entreprise. + + C'est à cette pensée, c'est à cette conviction que l'expérience + s'acquiert et ne s'anticipe point que, comme Sa Majesté impériale + l'a déjà fait avec tant de sagesse dans la lettre que Votre + Excellence m'a écrite, il convient de le ramener. Le roi prend trop + la mesure de sa supériorité sur ceux qui l'entourent habituellement. + Il lui en coûte de reconnaître celle de l'âge, de l'expérience et + des études, et parce que souvent son résumé vaut mieux qu'un long + rapport, qu'une longue discussion, parce que les qualités éminentes + qu'un roi possède sont bientôt représentées par la flatterie comme + les seules qu'un roi doive posséder, Sa Majesté méconnaît la + longueur du chemin et la grandeur des efforts qu'il lui restait à + faire pour arriver à la perfection. Elle m'a dit deux fois en + voyage: «Depuis que je ne suis plus à Cassel, tout y va mal: la tête + y manque». Elle l'a dit sans amour-propre, parce qu'elle le croyait + et parce que dans un certain sens elle avait raison. Les + circonstances pénibles où elle s'est trouvée et où elle se trouvera + encore pourront devenir une source de biens. La sagesse de Sa + Majesté impériale saura y puiser le remède de l'avenir. + + La gloire militaire intéresse directement et éminemment Sa Majesté + impériale. Une autre crise se prépare pour ce royaume par l'état des + finances auquel Sa Majesté impériale est aussi directement + intéressée. Si la paix qui paraît prochaine doit donner le repos aux + peuples d'Allemagne, si elle doit consolider la Confédération du + Rhin, ce bienfait encore ne peut émaner que des mains de Sa Majesté + l'empereur. Tout ce que je me permettrai d'ajouter, Monseigneur, + c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des + intentions et des mesures du roi et qu'aucun des sujets de Sa + Majesté impériale qui sont ici ne saurait remplir dans toute son + étendue et sous tous les rapports de convenance une si haute + mission. + + _P. S._--Votre Excellence trouvera dans le moniteur westphalien du 8 + une lettre du ministre de l'intérieur au préfet de Brunswick: elle + fait allusion au décret de destitution du général Rewbell; mais ce + décret n'est point encore imprimé. Il avait été envoyé à + l'imprimerie, composé et traduit: M. de Bercagny ayant attendu + jusqu'à minuit l'ordre positif d'insertion ne voulut pas passer + outre. Le considérant est très fort et presque infamant contre cet + officier; le dispositif a été restreint à la destitution. On dit + qu'hier il est arrivé à Minden à quatre lieues de Cassel, et que de + là il a écrit à Sa Majesté. + + Le général Bongars écrit que les troupes dont il venait de prendre + le commandement se livrent à des excès et au pillage dans le pays de + Hanovre, et que les habitants en sont exaspérés. Le duc d'OEls doit + avoir passé Nienbourg. Le général Gratien a reçu un courrier du roi + de Hollande: on croit que son corps a été rappelé à cause du + débarquement des Anglais. + + +Nous avons dit que le 27 juin le duc de Brunswick s'était séparé de +ses alliés et avait pris la route de la Westphalie. Lorsque +l'armistice de Znaïm fut conclu, le gouvernement autrichien lui fit +dire de cesser les hostilités. Il refusa, ne se regardant pas comme +engagé par les mesures du cabinet de Vienne, et résolu à tenir seul +la campagne. Le roi Jérôme mit à ses trousses le général Rewbell. Le +duc se dirigea de Plauen sur Zwickau, espérant faire soulever les +anciens États et au pis aller donner la main aux Anglais. Le 22 +juillet il se mit en marche de Zwickau sur Leipzig, adressa une +allocution aux officiers d'abord, aux soldats ensuite de sa légion, +pour leur faire savoir qu'il était décidé à persévérer dans son +entreprise, les laissant libres de déposer les armes s'ils le +voulaient. Un petit nombre se retira, mais il lui resta une troupe +dévouée et résolue de près de 3,000 combattants, dont 700 cavaliers +avec quelques bouches à feu. + +Le 25 juillet, il parut devant Leipzig sans avoir été inquiété. Le +26, il poursuivit sa route sur Brunswick par Halle et Halberstadt. + +Cette marche était audacieuse et pleine de danger. En effet, la +division hollandaise Gratien était à Erfurth, à vingt lieues sur sa +gauche; les Saxons de Thielmann à Dresde; au nord, la garnison de +Magdebourg; enfin, la division Rewbell de Westphalie, ancienne +d'Albignac, forte de 6,000 hommes, était entre Brême et Celle, dans +le Hanovre, prête à se porter aux bouches du Weser ou de l'Elbe, sur +la route même que le duc devait tenir pour gagner la mer. En +apprenant la marche en avant de la légion noire, Thielmann partit de +Dresde, Gratien partit d'Erfurth, tous deux se réunirent en arrière +de Leipzig. Rewbell, sur l'ordre de Jérôme, se concentra à Celle et +s'avança sur Brunswick. Le 29 juillet, le duc s'approcha +d'Halberstadt. Le 5e de ligne westphalien aux ordres du colonel +comte de Willingerode (Meyronnet, grand maréchal du palais de Jérôme +et un de ses favoris, envoyé de Magdebourg à Hambourg), venait +d'arriver à Halberstadt. Surpris par le duc d'OEls qui enfonça les +portes de la ville à coups de canon, le régiment, après une +résistance honorable de trois heures, fut fait prisonnier ainsi que +son colonel blessé pendant l'action. Les officiers furent remis aux +mains des Anglais, les soldats renvoyés, à l'exception de 300 qui +grossirent les rangs de la légion. À la suite de ce succès, +Brunswick hâta sa marche sur la capitale de ses anciens États. Il +adressa deux proclamations aux habitants, mais sans effet. À son +approche les autorités avaient quitté la ville. Le 1er août, Gratien +et Thielmann ralliés entraient à Halberstadt, et Rewbell s'avançant +par la route de Brunswick atteignait OElpern. Le duc marcha +résolument à la rencontre de Rewbell, lui tendit habilement une +embuscade, le battit et le força à passer l'Oker. Le malheureux +général westphalien parvint à rallier les débris de sa division aux +forces de Gratien et de Thielmann à Wolfenbuttel (deux lieues de +Brunswick). Le duc ayant à quelques lieues derrière lui les 10,000 +hommes de Gratien, Thielmann et Rewbell, et personne devant lui, se +hâta de gagner de vitesse ses ennemis et d'atteindre les bouches du +Weser. Il parvint avec beaucoup d'habileté à entrer au petit port +d'Elsfleth, sur le Weser, à six lieues de Brême, et à se rembarquer +avec sa légion, après avoir fourni la course la plus audacieuse. Le +14 août il débarqua en Angleterre où il fut accueilli avec la plus +haute distinction. + +Tous les événements qui avaient eu lieu en Westphalie n'étaient pas +de nature à satisfaire Napoléon qui crut devoir enlever à son frère +le commandement du 10e corps. Prévenu par le major-général et fort +attristé de cette décision, Jérôme écrivit de Napoléonshoehe, le 25 +août 1809, à l'empereur: + + + «Sire, le major-général, par sa lettre du 13, me fait connaître + l'ordre de Votre Majesté du 11, qui forme un 8e corps aux ordres du + duc d'Abrantès et m'ôte le commandement de la Saxe et des troupes + saxonnes. + + «Votre Majesté a voulu par là m'ôter réellement tout commandement + militaire; car 6,000 recrues westphaliennes et quelques dépôts qui + se trouvent dans la place de Magdebourg, etc... ne sont pas + susceptibles de me mettre à même de faire la guerre activement et + même de défendre Magdebourg que les Prussiens ne manqueraient pas + d'attaquer si les hostilités recommençaient, car ils y ont beaucoup + d'intelligences. + + «Il ne me restera donc que le chagrin de ne pouvoir prendre part à + la guerre si elle a lieu.» + + +L'année 1809 s'écoula assez tristement pour le jeune roi à qui +Napoléon n'écrivait plus et à l'égard duquel il montrait en toute +circonstance une froideur, disons même une raideur souvent peu +justifiée et qui causait un véritable chagrin à Jérôme. + +Le ministre Reinhard continuait, par ses bulletins directs à +l'empereur, par ses lettres au duc de Cadore, à relater tout ce qui +se passait, tout ce qui se disait en Westphalie. + +Le 10 août, il envoya à Paris le bulletin suivant: + + + Les gazettes ont annoncé que le roi étant à Grimma avait retiré de + l'eau un soldat de sa garde qui se noyait dans la rivière de Mulde. + Voilà ce qui s'est passé. Les gardes du corps traversaient la + rivière tout près du pont pour faire abreuver leurs chevaux. En + revenant, deux ou trois chevaux perdirent terre ou se couchèrent; + les cavaliers tombèrent dans l'eau. Le roi se trouvait à quelque + distance causant avec le ministre de Hollande. Dès l'instant où l'on + entendit des cris, le roi se jeta dans une nacelle avec les + ministres de Hollande et de Bavière. Arrivé sur les lieux, il trouva + les hommes déjà retirés. Toute la cour était accourue; M. de + Furstenstein et quelques autres étaient sur le pont. Le ministre de + Hollande, en homme prudent, quitta la nacelle. Le roi seul avec + celui de Bavière s'obstina à remonter la rivière. M. de Furstenstein + du haut du pont lui cria de ne point s'exposer.--«Ah! voilà, dit le + roi, la diplomatie qui s'en mêle; envoyez-moi une note.»--Après + avoir passé le pont très habilement, le courant poussa la nacelle + contre un pilier où elle resta collée. Enfin, les officiers du roi + de droite et de gauche entrèrent dans la rivière. Le roi sauta hors + du bateau ayant de l'eau jusqu'aux genoux. Peut-être ce jeu + n'avait-il pas été sans danger; mais le roi, dans ce moment, était + si gai, si bon, si aimable, que l'impression que cette scène me + donna ne me laissa pas penser aux inconvénients qu'elle pouvait + avoir.--À l'époque de son mariage, M. de Furstenstein rompit une + liaison avec Mme de P. On prétend que dans cette occasion, il fit + l'éloge de sa vertu au roi, ce qui inspira à ce dernier le désir + d'en triompher. Depuis cette époque, toutes les distinctions furent + pour elle. Des négociations, dit-on, furent entamées. Le roi partant + pour la Saxe promit de revenir dans dix jours. Après son retour, on + disait qu'un contrat avait été signé et que ce contrat était un peu + cher, lorsqu'on vit Mme de P. partir pour Weymar. Elle est revenue + depuis le retour de la reine. Son mari, premier chambellan, avait + reçu, il y a quelques jours, une mission pour Aix-la-Chapelle. Il en + est déjà revenu et l'on peut encore croire à la vertu de Mme de + P.--La petite maison de la reine est achetée, on en évalue l'achat à + 100,000 thalers et l'on trouve cette dépense un peu forte, parce + qu'il est incertain que la reine y mettra jamais les pieds.--Le roi + étant allé déjeuner dernièrement dans une maison de campagne du + banquier Jordis dit en sortant au jardinier: «Cette maison + m'appartient.» Le marché fut conclu pour 30,000 thalers. Elle en + avait coûté 7,000 à M. Jordis. On estime les améliorations à 5,000. + On a déjà tracé une allée qui y conduit depuis la grande route. + Quoique la distance ne soit pas grande, il faudra encore acheter le + terrain par où passera l'allée.--Une caisse venant de Paris, + contenant pour le roi des bijoux d'une valeur considérable et + adressée à M. Cousin de Marinville, avait été remise à un homme de + la poste allant au quartier général. Sa voiture s'étant rompue, il + remit à un maître de poste la caisse dont il ignorait la valeur. + Celui-ci l'expédia pour Plauen où elle tomba directement aux mains + du général Kienmayer. + + Le roi annonça lui-même le sort du général Rewbell à sa femme. Elle + était à folâtrer avec les dames de la cour, lorsque le roi lui dit: + Betty, j'ai à vous parler. Elle fut atterrée; elle demanda s'il n'y + avait aucune grâce à espérer? Tout ce que je puis vous dire de + consolant, dit le roi, c'est qu'il vaudrait mieux pour vous et pour + lui que votre mari fût mort. Elle fut ramenée à la ville. Mme + Rewbell est américaine, jolie, naïve, ne sachant contraindre ni + dissimuler aucun de ses mouvements. Quelques jours auparavant elle + avait été désolée d'une petite disgrâce qui lui était attribuée. Le + roi lui ayant retiré ses entrées pendant quelques jours pour avoir, + sans sa permission, passé la nuit en ville où elle était allée pour + voir ses enfants, elle ne put se pardonner les larmes que cet ordre + un peu inhumain lui avait fait verser. Le roi lui a fait conseiller, + dit-on, de se rendre provisoirement à Bernterode, terre du général + Ducoudras.--Le général alla, il y a peu de jours, annoncer à M. + Siméon que le roi lui avait fait don de la terre de + Bernterode.--«Mais elle est donnée. Le roi veut l'acheter à tout + prix, il veut que vous vous occupiez des formalités du contrat.»--Le + directeur de l'instruction publique, dans sa dernière expédition à + Goettingue, avait défendu aux étudiants de porter des bonnets d'une + certaine forme et couleur, ainsi que des moustaches, signes de + ralliement des associations (_Bundsmannschaften_). Depuis cette + époque, les étudiants portent des bonnets de femme et des chapeaux + de paille. Ils envoyent leurs moustaches coupées au pro-recteur. Des + plaisanteries pareilles ont été de tout temps l'effet de pareilles + défenses, mais on dit que près de 400 étudiants des pays étrangers + ont pris l'engagement de quitter Goettingue à la fin du trimestre + suivant et de se rendre à Heidelberg.--Le spectacle allemand vient + d'être congédié, il sera remplacé par un ballet venant de Paris. + + +Le même jour, 10 août 1809, Reinhard écrivit à Champagny: + + + J'ai d'autant moins hésité à confier à M. Lefebvre la mission qui va + le conduire auprès de Votre Excellence, qu'outre l'importance des + circonstances qui m'a paru la rendre nécessaire, il m'avait témoigné + le désir de faire ce voyage qu'il croit pouvoir devenir utile à ses + intérêts personnels. + + Je m'en rapporte avec une entière confiance au compte qu'il vous + rendra, Monseigneur, de la situation des choses de ce pays-ci. + L'étude que nous en avons faite nous a été commune et nos aperçus + ont rarement différé. La nécessité indispensable de venir au secours + des affaires éprouve un grand obstacle par le caractère du roi. Les + ménagements à employer sont du ressort de la sagesse et de la + prévoyance; mais la question est de savoir si, malgré tous les + ménagements, ce caractère permettrait le succès d'une mesure + quelconque dont le but ou l'effet serait de restreindre son + autorité. + + J'avoue que je l'ai pensé. Il a reçu la leçon des événements. Des + crises pénibles menacent son royaume: il s'agit de maintenir la + gloire d'une couronne. + + Cependant, l'opinion des personnes qui approchent Sa Majesté de plus + près et plus souvent que moi, la conversation même que vient d'avoir + avec elle M. Lefebvre, prouvent qu'il est difficile de calculer ce + que serait capable de faire ou de sacrifier un roi absolu de + vingt-cinq ans dont les passions seraient irritées ou qui se + croirait blessé dans sa dignité. Sous ce rapport, il est aisé de + pressentir l'effet pénible que pourrait avoir pour nous deux le + voyage de M. Lefebvre, si, je ne dis pas en conséquence, mais à la + suite de ce voyage, il arrivait des événements qui ne seraient point + agréables à Sa Majesté. + + Je ne saurais non plus dissimuler à moi-même ni à Votre Excellence + que, par les ordres que j'ai eu à exécuter en vertu de votre + dépêche du 27 juillet, ma position a changé et qu'elle est devenue + plus délicate que jamais. + + Je dois peut-être à l'opinion que le roi a de mon intégrité de + n'avoir point déplu et de n'avoir été soupçonné que légèrement. Je + devrai à mon entière soumission aux ordres de l'empereur, à la + maxime qui sera toujours sacrée pour moi, de dire la vérité telle + que je l'aperçois, telle que je la vois, à l'étude constante de + faire mes rapports (_sine ira et studio_), la continuation de la + protection et de la bienveillance de Sa Majesté impériale. + + +M. Reinhard ayant fait connaître au ministre des relations +extérieures de Westphalie que l'empereur avait été fort mécontent de +ce que la cour diplomatique avait suivi le roi pendant la campagne +de Saxe, le comte de Furstenstein lui écrivit le 10 août 1809: + + + L'empereur n'a point approuvé que MM. les membres du Corps + diplomatique aient suivi le roi en Saxe. Aucune invitation formelle + ne les avait engagés à cette démarche: ils avaient été laissés + libres d'agir d'après les instructions de leurs cours respectives. + Sa Majesté pensait alors que son absence de Cassel serait de très + courte durée et qu'elle ne serait pas obligée de passer de sa + personne les frontières pour chasser l'ennemi de la Saxe, mais les + ministres furent congédiés aussitôt que les opérations militaires + firent sentir que leur présence était déplacée. Je restai auprès du + roi pour recevoir et expédier d'après ses ordres le travail des + ministres qui arrivait journellement de Cassel. Je ne suis point + militaire et je suis absolument étranger à tout ce qui s'est passé + dans cette campagne. + + Les affaires intérieures ont fixé l'attention de S. M. I. et elle + voit avec déplaisir leur affligeante situation. La cause ne peut + m'en être imputée. Ministre secrétaire d'État et des relations + extérieures, je n'ai point d'administration et je n'exerce point de + contrôle sur mes collègues. Je ne conçus jamais l'ambition d'être un + ministre dirigeant, je n'en ai point le talent, et le caractère + connu de S. M. ne permet pas de croire que personne puisse en avoir + l'influence. La crise actuelle ne provient que de causes étrangères + à la manière d'administrer. Elle se trouvé dans les troubles qui ont + agité l'État, la misère qui y règne depuis longtemps et l'extrême + rareté du numéraire. Les charges du royaume sont fortes et le + département de la guerre seul absorbe plus de la moitié des revenus. + Le moment actuel n'admet point un système d'économie dans cette + partie de l'administration, et les dépenses ne peuvent qu'augmenter. + Dans cet état de choses Votre Excellence jugera facilement des + entraves que doit éprouver le gouvernement dans sa marche. + + +Cette sorte de justification du comte de Furstenstein n'était pas +exacte sur tous les points. Les ministres étrangers avaient suivi +Jérôme en Saxe pour obéir à la volonté de ce prince et ne l'avaient +quitté qu'à son retour à Cassel. La crise financière n'était pas la +conséquence des troubles intérieurs du royaume, mais des exigences +de l'empereur à l'égard de ce malheureux pays. Napoléon, d'ailleurs, +ne pouvait pardonner à Jérôme quelques dépenses inutiles, quelques +générosités intempestives. + +M. Lefebvre, premier secrétaire d'ambassade, envoyé auprès de +l'empereur, étant arrivé et ayant remis sa dépêche, le duc de Cadore +écrivit, le 21 août 1809, à Reinhard: + + + M. Lefebvre arrivé ici le 18, m'ayant remis vos dépêches du 8 et du + 10 août, nºs 70 et 71, et vos trois lettres non numérotées du 6 et + du 9, je les ai envoyées le jour même à Sa Majesté l'empereur et + roi. + + Sa Majesté me donne l'agréable commission de vous mander qu'Elle les + a lues avec attention et avec intérêt. + + Elle me charge aussi de vous faire connaître qu'en sa qualité + d'auteur et de garant de la Constitution du royaume de Westphalie, + Elle imputera les violations que cet acte aurait éprouvées aux + ministres dont le devoir non seulement est d'en suivre, mais encore + d'en maintenir religieusement les dispositions, et que, _si contre + le voeu de la Constitution la liste civile est accrue_, Elle en + rendra responsables les ministres des finances et du trésor public. + + Il convient, Monsieur, que vous tourniez l'attention de ces + ministres sur ce genre de responsabilité auquel ils n'ont peut-être + pas songé; mais vous choisirez pour le faire l'occasion et la forme + qui vous paraîtront propres à remplir cet objet sans alarmer la + susceptibilité du roi. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 1er septembre 1809. + + M. Lefebvre est revenu à Cassel le 29 au soir, ayant achevé son + voyage en moins de six jours. Il m'a remis les deux dépêches du 21. + Sa Majesté impériale en daignant me faire connaître qu'Elle a lu mes + rapports avec attention et intérêt m'a accordé une récompense dont + je n'ai jamais senti l'inestimable valeur plus profondément que dans + les circonstances actuelles. Je me réserve, Monseigneur, de vous + rendre compte de l'exécution de vos ordres concernant + l'accroissement de la liste civile. Pour aujourd'hui, je me borne à + vous informer d'un objet qui m'a attiré la visite de M. de Bercagny. + «Le roi, m'a-t-il dit, est blessé du décret impérial qui établit une + ligne de douanes françaises au travers de ses États; il aurait + désiré qu'au moins le ministre de France eût été chargé d'en donner + connaissance. Il a donné ou va donner l'ordre de s'opposer à + l'établissement de cette ligne et sa volonté est dans ce moment + tellement forte que toute représentation serait inutile. Si j'avais + su cela par le roi, a ajouté M. de Bercagny, mon devoir serait de me + taire; mais je l'ai su indirectement, puisque la police doit savoir + tout, je crains qu'il n'en résulte un nouveau sujet de malaise pour + Sa Majesté.» J'ai remercié M. de Bercagny de sa confidence, et j'ai + dit que s'il ne s'agissait que d'une question de forme, je + m'empresserais de demander à 'Votre Excellence l'ordre de faire au + roi la communication officiel du décret impérial; mais que + j'apprendrais avec peine que l'opposition portât sur le fond. + J'apprends au reste que la ligne des douanes est déjà établie. + + J'ai oublié de dire dans mon avant-dernière dépêche que, pendant les + deux jours que j'ai passés à Napoléonshoehe, le roi s'est abstenu de + me parler d'aucun autre objet que de ce qui se rapportait + immédiatement à la solennité du jour, et que je n'ai pas cru qu'il + m'appartînt de prendre l'initiative. + + Il paraît que l'ordre donné par Sa Majesté Hollandaise au général + Gratien de revenir en Hollande avec sa division, le refus de Sa + Majesté le roi de Westphalie d'autoriser formellement le départ de + ce général, et les incertitudes qui en sont résultées dans la marche + de la division, sont devenus un nouveau sujet de discussion entre + ces deux frères. M. Huygens a été chargé de remettre au roi une + lettre de son souverain, qu'on dit écrite avec une sensibilité + voisine de l'amertume. + + M. de Gilsa, ci-devant grand écuyer de l'électeur de Hesse et + continué dans les fonctions du même département sous les ordres du + grand écuyer d'aujourd'hui[123], vient d'être nommé envoyé + extraordinaire de Westphalie auprès de Sa Majesté le roi de + Hollande, aux appointements de 36,000 fr. et sa femme conservant + ceux de dame d'honneur. C'est un homme de bien, père de treize + enfants vivants, et très heureux de sa mission qu'il n'a acceptée + qu'après avoir confessé au roi qu'il allait faire ses premières + armes en diplomatie. On dit que M. Girard, général, est nommé + ministre du roi à Munich, en remplacement de M. Schoell. + + [Note 123: Le général d'Albignac.] + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, 8 septembre 1809. + + Le roi est parti mardi dernier pour faire un voyage aux mines du + Harz; il s'est fait accompagner par les ministres des finances et de + la justice. M. le comte de Furstenstein, après avoir annoncé au + corps diplomatique que le voyage ne serait que de cinq ou six jours, + a profité de l'absence de Sa Majesté pour passer quelques jours dans + les terres du comte de Hardenberg, son beau-père. + + Avant-hier, à quatre heures du matin, est arrivé un courrier du roi + portant ordre de faire marcher sur-le-champ à Hanovre les + chevau-légers de la garde et les chasseurs carabiniers. Dans le même + temps s'est répandu dans le public le bruit que les Anglais avaient + fait une descente à Brême. Ce bruit était faux, mais on continue à + parler d'une affaire que le général Bongars aurait eue avec les + Anglais. Le ministre de la guerre ne paraît avoir aucune + connaissance d'un pareil événement et il ignore les motifs de + l'ordre donné pour la marche des troupes. On croit en même temps, et + avec un peu plus de vraisemblance, à un voyage du roi à Hanovre et à + Hambourg. + + Le Harz et ses mines sont un objet très intéressant et pour la + curiosité et pour l'administration. Le travail des mines entretient + une population de 30,000 âmes; cependant le produit en est presque + nul, du moins lorsqu'on porte en compte le prix du bois nécessaire à + leur exploitation. Ce n'est que parce que cette denrée se trouve à + portée et qu'il serait difficile d'en faire un autre emploi que le + produit des mines peut être regardé comme avantageux, même sous le + simple rapport du revenu. Du reste, le nouveau mode d'administration + qui n'est en activité que depuis peu de mois, et les améliorations + qu'il sera possible de faire, suffisent pour faire attendre de ce + voyage des résultats utiles et importants. + + Je suis informé que M. de Bulow a proposé au Conseil des ministres + un projet d'emprunt à faire aux villes de Hambourg et Brème et il + paraît que ce voyage aux mines du Harz est lié à ce projet. Dans le + public on dit qu'il s'agit de les vendre et M. de Bercagny n'est pas + éloigné de croire à cette mesure qui pourrait dépopulariser ses + antagonistes et compromettre leur responsabilité. Selon toute + apparence, il s'agit d'hypothéquer les revenus des mines pour cet + emprunt, qui ne réussira point, à moins d'employer une sorte de + violence. Il y a dans tout ceci quelque chose qu'on me cache, ainsi + qu'au public. On dit même que le comte de Furstenstein s'est opposé + au projet en question, et, d'après toutes ces données, je soupçonne + qu'il s'agit d'une chose qu'on prévoit qui pourrait déplaire à Sa + Majesté impériale. + + Le départ de M. de Bulow m'a empêché de lui parler à fond sur la + liste civile; je devais avoir avec lui un rendez-vous qui aura lieu + après son retour. Mais je me suis déjà entretenu avec M. Siméon qui, + plus d'une fois, m'avait témoigné son regret de ce que la liste + civile dépassait la ligne constitutionnelle. + + M. Pothau a fait imprimer un mémoire en réfutation du rapport du + ministre des finances sur l'administration des postes. Celui-ci + s'est plaint au roi de ce que son rapport fait par ordre et dans la + supposition qu'il ne serait pas publié a été imprimé par M. Pothau. + Le rapport et la réponse étant en contradiction absolue sur tous les + faits et sur tous les principes, une commission du Conseil d'État + composée de MM. de Martens et de Malsbourg a été nommée pour + vérifier les uns et pour discuter les autres. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + Cassel, le 15 septembre 1809. + + Le roi est revenu de son voyage hier au soir à huit heures. Sa + Majesté quittant le Harz avait passé par Goslar, Brunswick et + Hildesheim et s'était arrêtée pendant trois jours à Hanovre. + + Comme vraisemblablement je ne verrai, avant le départ de cette + lettre, aucune des personnes de la suite de Sa Majesté, je dois m'en + rapporter provisoirement aux paragraphes du moniteur westphalien, ne + connaissant encore que quelques détails du séjour que le roi a fait + à Goettingen. + + Une fermentation nouvelle avait éclaté parmi les étudiants de cette + université. Le cheval d'un gendarme avait été heurté par celui d'un + étudiant allant au galop et trop mauvais cavalier apparemment pour + pouvoir le retenir. L'étudiant se sentant poursuivi se sauva dans + une maison: le gendarme le pistolet à la main le prit au collet et + le conduisit en prison. Tous les étudiants prirent le parti de leur + camarade, la police prit celui du gendarme; des rapports, des + estafettes furent envoyés à la capitale. Il fut décidé que le + gendarme serait déplacé, mais qu'en même temps il serait avancé en + grade. Le gendarme avant de quitter Goettingen ne manqua pas de s'y + montrer avec les marques de son nouveau grade; grande rumeur parmi + les étudiants. Des listes furent colportées; 400 jeunes gens + signèrent l'engagement de quitter l'université après l'expiration du + semestre d'études. + + Le roi fit appeler le pro-recteur: il lui parla avec beaucoup de + bonté et de condescendance, et le chargea d'être l'interprète auprès + des étudiants. Il convint que le gendarme avait eu tort; à la + remarque du pro-recteur qu'il avait été avancé en grade, il répondit + que c'était une mesure du gouvernement, étrangère à la question: il + dit que son âge le rapprochait un peu de la jeunesse des étudiants + pour pouvoir se mettre à leur place; qu'il voulait que l'université + de Goettingen fût la première de l'Allemagne; que ces complots de + départ étaient ridicules, et que quand 200 s'en iraient, il serait + assez puissant pour en attirer 400 autres. + + Les déclarations de Sa Majesté, transmises par le pro-recteur, + avaient produit le meilleur effet, lorsque les étudiants apprirent + que six d'entre eux venaient d'être relégués. C'étaient ceux qui + avaient colporté les listes de départ; alors les jeunes têtes se + rallumèrent, et l'on dit qu'une centaine d'étudiants étrangers a + déjà quitté l'université pour n'y plus revenir. + + Il paraît que le projet était d'aliéner pour douze ans les mines du + Harz soit à la ville d'Hambourg si l'emprunt réussissait, soit au + banquier Jacobson, et que le roi a voulu attendre à Hanovre le + résultat de la négociation avec Hambourg. Si cela est, la marche des + troupes westphaliennes sur cette ville s'explique assez. Quand de + pareils projets pourraient réussir dans les circonstances actuelles, + ce seraient toujours des palliatifs ruineux, peut-être même + illégitimes, sans le concours des États que le roi voudrait + convoquer, mais auxquels les ministres ne savent que proposer. + + Le général Berner, officier de mérite, est revenu d'Espagne. Le + général Morio, tombé devant Girone malade d'une fièvre putride, et + transporté à Perpignan, est allé se rétablir à Montpellier. Le + ministre de Bavière est revenu de sa campagne dans un état de santé + tellement délabré qu'il reste peu d'espoir de sa guérison. Le + général Rewbell s'est embarqué à Emdem avec sa famille pour + Baltimore. La vente de son mobilier n'a point suffi pour payer ses + dettes. M. de Furstenstein s'est rencontré dans la terre de son + beau-père avec M. de Hardenberg, l'ancien ministre d'État prussien. + Ils n'auront pu se trouver ensemble longtemps: car immédiatement + après le départ du premier, un courrier était venu l'appeler auprès + du roi, à Hanovre. + + +En septembre 1809, le roi et la reine firent un voyage aux mines du +Hartz. Jérôme, de retour, écrivit de Napoléonshoehe à l'empereur le +20 du même mois: + + + «Sire, je suis de retour d'un voyage que j'ai fait dans le Harz; + j'ai en même temps visité deux régiments de mes troupes qui sont à + Hanovre. La misère est portée à un tel point dans tout le royaume + (personne ne pouvant être payé) que si Votre Majesté ne vient à son + secours, il ne peut aller encore deux mois; comme j'ai déjà eu + l'honneur de l'annoncer à Votre Majesté, les troupes ne sont plus + entièrement soldées et si je n'avais eu la faculté de les mettre + dans les villes hanséatiques et dans le Hanovre, je serais hors + d'état de les nourrir. Malgré tous les soins que je porte à mon + administration, je crois qu'il est impossible de la soutenir plus + longtemps, et je prie Votre Majesté de me permettre de me retirer en + France. Là, comme ailleurs, je m'efforcerai de lui prouver qu'elle + n'a personne qui lui soit plus entièrement dévoué que moi. Toutes + les mesures que Votre Majesté croira devoir prendre pour fixer le + sort de mes États, je les approuverai et les seconderai de tout mon + pouvoir.» + + +On voit que par son système l'empereur Napoléon Ier rendait +impossible le règne de ses frères dans les États qu'il leur avait +octroyés. Joseph en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en +Westphalie, sombraient sous la question financière. + +Nous continuons à donner quelques lettres ou extraits de lettres de +Reinhard au duc de Cadore. + + + Cassel, ce 21 septembre 1809. + + J'avais à entretenir M. le ministre des finances du domaine de + Rittberg, et la conversation étant tombée sur d'autres objets, + l'occasion de m'acquitter de l'ordre que Votre Excellence m'avait + donné par sa dépêche du 21 s'est présentée naturellement. M. de + Bulow me parla de la mission de M. de Bocholtz[124] dont il prétend + n'avoir eu aucune connaissance: il me parut douter si M. de Bocholtz + serait l'homme propre à donner sur l'état des finances des + renseignements aussi exacts et aussi complets qu'on pouvait le + désirer. Il pensait, et j'étais fort de son avis, que le meilleur + parti à prendre serait de se conduire dans l'hypothèse où la + Westphalie serait réduite à ses propres ressources, et qu'en + dernière analyse tout dépendait de l'esprit de sagesse de son + gouvernement. «D'ailleurs, lui dis-je, avant de se relâcher sur des + engagements que le gouvernement westphalien a contractés envers la + France et qu'il paraît être en ce moment dans l'impossibilité de + remplir, Sa Majesté impériale serait en droit de s'informer des + causes qui ont amené cet état de détresse; et s'il résultait de ces + informations qu'une partie des revenus de l'État a été détournée de + sa véritable destination; que ceux de la liste civile, par exemple, + ont été étendus au-delà des limites légitimes, elle pourrait pour + intervenir faire valoir son titre d'auteur et de garant de la + Constitution.»--«Il me semble, me dit alors M. de Bulow, que vous + avez quelque chose à me dire, et je vous prie de me le faire sans + détour. Auriez-vous à me faire une communication de la nature de + celles que vous avez été chargé de faire à quelques + militaires?»--«Point du tout, lui dis-je, les circonstances ne se + ressemblent point, mais puisque vous le savez déjà, je vous dirai + que je suis prévenu qu'en sa qualité d'auteur et de garant de la + Constitution du royaume de Westphalie, Sa Majesté imputera les + violations que cet acte aurait éprouvées aux ministres, et que cette + disposition pourrait s'appliquer particulièrement aux accroissements + donnés à la liste civile.»--«En faisant serment d'obéissance à mon + souverain, me répondit M. de Bulow, j'ignorais que j'étais encore + responsable envers un autre souverain; mais cette responsabilité + même, je n'ai point à la craindre, et il est certain que sous mon + administration, il n'est pas sorti du Trésor un seul denier en + augmentation de la liste civile.»--«Cet autre souverain, repris-je, + est l'auteur et le garant de la Constitution en vertu de laquelle le + roi règne et les ministres président à l'administration. Sa Majesté + l'empereur a le droit d'en surveiller le maintien autant et plus + encore que s'il s'agissait de l'exécution d'un traité.» M. de Bulow + entendit cela,--«mais, dit-il, en vertu de mon serment je suis + obligé de ne rien laisser ignorer au roi, et vous me permettrez de + lui donner connaissance de notre conversation.»--«Si vous croyez, + répliquai-je, que le devoir vous y oblige, je ne saurais m'y + opposer. Je vous prie seulement de considérer qu'il est de notre + intérêt commun que cet avertissement, qui en temps et lieu peut + produire un excellent effet, n'en produise pas un mauvais, et que la + susceptibilité du roi soit ménagée. En conséquence la confidence que + j'ai l'honneur de vous faire est livrée à votre sagesse et à votre + discernement.»--«Connaissez-vous le roi, me demanda M. de + Bulow?»--«Je crois le connaître assez, quoique moins bien que + vous.»--«Eh bien! croyez-vous qu'il souffre qu'on lui résiste?»--«Et + quand on résiste la Constitution à la main.»--«Et même la + Constitution en main. Il y avait un temps, m'a dit M. Siméon, où le + roi disait ne vouloir gouverner que par la Constitution, mais il a + changé de langage.» Après ces préliminaires, M. de Bulow entra en + matière. Après m'avoir répété, ce dont je l'assurais, que je ne + doutais pas que le roi n'avait jamais touché du trésor public que + les prorata de cinq millions, à l'exception cependant du mois + d'octobre et du mois de novembre 1807, antérieurs à l'administration + de M. de Bulow, il me fit l'énumération des autres articles qui + composent aujourd'hui la liste civile. La voici: + + [Note 124: Mission Auprès De L'empereur À Paris.] + + 1º Intérêts des capitaux donnés par Sa Majesté l'empereur. 500,000 fr. + 2º Domaines de la couronne. 350,000 + 3º Ordre Teutonique. 300,000 + 4º Redevance d'un pour cent des fiefs déclarés allodiaux. 400,000 + 5º Sept domaines repris sur des donataires français. 250,000 + 6º Domaines réclamés par le roi pour compléter un million + de revenus en sus de la liste civile. 650,000 + + «Or, dit M. de Bulow, tous ces articles ont constamment été + étrangers à mon administration, et la Constitution ne dit pas que ce + que Sa Majesté tient d'une autre source doive être défalqué des cinq + millions de la liste civile. Quant aux domaines de la couronne, la + dignité du roi exige qu'il y en ait. Le produit de ceux dont Sa + Majesté jouit est peu considérable, et nous nous promettons bien + qu'Elle se désistera de la prétention des 650,000 francs, dont Elle + n'a pas encore joui, et qu'il paraît qu'on a portés en compte + lorsqu'on a fait monter les revenus de la liste civile à 7,500,000 + francs. Les biens de l'Ordre Teutonique et les redevances pour les + fiefs déclarés allodiaux ont été attribués au roi par des décrets + rendus au Conseil d'État, les uns parce que le texte du décret + impérial ne paraissait pas au moins s'opposer à ce que le roi se les + appropriât, et les autres parce que Sa Majesté trouvait juste d'être + indemnisée des avantages dont Elle aurait profité en cas de + mouvance. Les deux décrets ont été rendus contre mon avis, mais je + n'ai pu pousser plus loin mon opposition, parce que ni l'un ni + l'autre objet n'étaient encore entrés dans mes attributions. Quant + aux sept domaines pris sur plusieurs donataires impériaux, j'ignore + s'ils seront remplacés ou restitués soit en nature, soit en argent. + Mais cet article encore n'est point de ma compétence.» Je n'ai rien + à ajouter, Monseigneur, à la justification de M. de Bulow, si ce + n'est qu'il a porté plus bas l'évaluation des articles nºs 3 et 4, + que je ne l'ai fait dans ma lettre nº 71, d'après l'assertion de M. + Siméon. Celle des redevances, en effet, ne peut guère être connue + que par approximation, et il est possible que les biens de l'Ordre + Teutonique, en ce moment où il reste des pensions et des indemnités + à payer, ne rapportent à la liste civile que le revenu net tel que + l'a estimé M. de Bulow. Ce que M. de Bulow m'a dit sur les finances + de l'État est vague et n'ajoute rien aux aperçus que Votre + Excellence connaît déjà. Il se nourrit encore de la gloire de son + excédant de cinq millions de l'année passée. Pour l'année courante + il n'en espère que trente au lieu de trente-huit. Cependant il est + convenu que l'absence des troupes françaises causait au trésor un + grand soulagement, et que l'épargne qui en résultait pouvait + balancer et au-delà les pertes que les incursions ennemies avaient + causées à la Westphalie. Il m'a dit que la contribution personnelle + pour l'an 1808 était rentrée, mais qu'on n'avait pu mettre encore en + recouvrement celle pour l'an 1809. De là vient la détresse pour la + caisse d'amortissement que cette contribution est destinée à + alimenter. Malheureusement les fonctionnaires publics, surtout ceux + du culte et de l'instruction publique, ne sont pas payés davantage + que les créanciers de l'État, et le ministre de la guerre continue à + se plaindre amèrement de ce que ses ordonnances ne sont pas + acquittées. + + Malgré tous ces embarras le ministre des finances, qui a la + réputation d'espérer toujours, persiste à dire que les ressources de + la Westphalie sont assez grandes pour suffire à un état de dépenses + bien ordonné et au paiement des dettes et de leurs intérêts. Ce qui, + plus que tout autre chose, lui paraît être hors de proportion avec + les revenus, c'est l'état militaire. Le projet concernant les + sémestriers a été adopté par le roi; mais comme le décret entier, + qui embrasse plusieurs objets d'administration militaire, présente + un ensemble de dispositions liées entr'elles, il faut en attendre + l'adoption définitive. M. de Bulow a fait imprimer le compte des + recettes et des dépenses de l'année passée. Ce compte, qui ne + renferme que les mouvements du trésor public, ne peut être contrôlé + que par celui du ministère des finances dont le ministre promet + aussi la publication; et ce ne sera que lorsque cette dernière + publication aura paru que mes recherches dirigées par des données + certaines pourront me conduire à un résultat digne d'être soumis à + Votre Excellence. + + M. de Bulow m'a parlé aussi de l'emprunt qui se négocie en ce moment + à Hambourg. Il s'agissait, m'a-t-il dit, de le conclure sur les + mêmes bases que celui qui avait été projeté en Hollande, à + l'exception des sels cependant dont Hambourg n'a pas besoin. Or, ces + sels étaient l'objet principal de la négociation hollandaise. Quoi + qu'il en soit, il est en ce moment question du produit des mines + dont il paraît qu'on propose d'aliéner l'exploitation pour un temps + déterminé. M. de Bulow prétend être étranger à cette affaire qui se + traite aujourd'hui directement par le cabinet et par l'entremise du + banquier Jordis, homme sans fortune, sans crédit et sans + considération. «Je ne connais, ajouta M. de Bulow, que deux manières + de traiter cette affaire: ou bien qu'un banquier connu et estimé se + mette à la tête et donne l'exemple en souscrivant pour une somme + importante, ou bien qu'un agent avoué présente au nom du + gouvernement les sûretés, offre les conditions et traite sous les + auspices de la foi publique,» M. de Bulow ne croit point au succès + de cet emprunt. + + Le public ne sait pas encore bien s'expliquer le dernier voyage du + roi à Hanovre, et je ne suis pas plus instruit à cet égard que le + public. Le passage du duc d'OEls et ses conséquences peuvent y être + entrés pour quelque chose. On parle aussi de quelques fournitures, + de souliers par exemple, faites ou commandées dans cette occasion. + Le général Bongars et le banquier Jordis y sont venus de Hambourg + rendre compte de leur négociation. Dans le public on s'attendait à + une prise de possession. Sa Majesté a été très satisfaite de la + cordialité avec laquelle Elle a été reçue par les habitants du Harz. + À Brunswick on a cru s'apercevoir d'une froideur qui contrastait + avec la joie que les habitants de cette ville avaient témoignée dans + d'autres occasions. Au moment de son arrivée à Brunswick le roi + ordonna au ministre des finances de payer tous les arrérages. «J'ai + prévenu les ordres de Votre Majesté, répondit M. de Bulow, tout est + payé.» En effet, il avait fait arriver d'avance tout l'argent des + caisses des environs. + + Dans la conversation que le roi eut avec M. Lefebvre après son + retour de Vienne, Sa Majesté ne manqua pas de lui reparler de ses + soupçons contre M. Jollivet. Ces soupçons, Monseigneur, je l'avoue, + sont pénibles pour moi, et je prie Votre Excellence de croire que, + même au risque de les attirer sur moi, je désirerais que le roi ne + les ait pas conçus. M. Jollivet remplit parfaitement son devoir dans + l'administration qui lui est confiée, et si notre position est + délicate, nous ne pouvons tous les deux prendre pour règle de + conduite que notre dévouement à S. M. I. Du reste cette matière ne + me paraît point être de nature à me permettre de m'en expliquer + jamais avec M. Jollivet. + + M. de Bercagny doit aller à Mayence au devant de sa femme que le roi + lui a ordonné de faire venir. Il parait que dans ces derniers temps + plusieurs circonstances ont nui à M. de Bercagny dans l'esprit de S. + M., et si cette diminution momentanée de son influence peut + l'engager à faire un retour sur lui-même et à se prescrire des + règles fixes et équitables pour sa conduite, il en résultera un + grand bien. Malheureusement je viens d'apprendre un trait qui m'en + fait désespérer. La haute police prétend savoir d'après plusieurs + indices que feu M. de Müller avait eu connaissance de la + conspiration de Doernberg. J'oserais, moi, donner un démenti formel + à cette assertion au nom de M. de Müller dans la tombe, non + seulement à cause de la connaissance que j'avais de son caractère, + mais encore d'après toute sa manière d'être dans les circonstances + d'alors. Quoi qu'il en soit, la haute police ne peut vouloir + fouiller ainsi dans la cendre des morts qu'avec le projet de + déterrer quelqu'accusation contre les vivants; et lorsqu'elle aura + tiré le voile qui couvre encore le mystère, on verra que M. de + Bercagny, et deux ou trois associés qui le valent, sont les seuls + serviteurs vraiment fidèles et nécessaires de Sa Majesté. + + +On a vu que l'empereur avait fait établir en Westphalie (où les +marchandises anglaises commençaient à être introduites) une ligne de +douanes. Jérôme s'était opposé à cette mesure. Reinhard écrivit à +l'empereur le 25 septembre 1809: + + + «Il est pénible pour moi d'avoir à revenir sur ce qui se passe en + Westphalie, relativement à la nouvelle ligne de douanes dont Elle a + ordonné l'établissement; mais je ne crois pas pouvoir me dispenser + de mettre sous vos yeux, Sire, le nouveau rapport qui m'est fait par + M. Collin, afin que Votre Majesté puisse donner les ordres qu'Elle + jugera convenable sur cet important objet.» + + +D'après l'ordre de l'empereur, Cadore écrit à Reinhard, de Vienne, +le 3 octobre: + + + «Sa Majesté l'empereur avait ordonné en Westphalie l'établissement + d'une nouvelle ligne de douanes, pour s'opposer avec plus + d'efficacité à l'introduction des marchandises anglaises. Les + brigades de Neukirchen et d'Alfaugen (?) ayant été obligées, le 9 + septembre, de cesser leurs fonctions, il s'est introduit sur leurs + postes, du 9 au 13 inclusivement, plus de trois cents voitures de + marchandises anglaises, escortées pour la plupart par des gendarmes + westphaliens et des paysans armés. J'ai l'honneur de vous envoyer + une copie du rapport qui rend compte de ces faits et qui a été mis + sous les yeux de l'empereur. + + «Sa Majesté vous charge de faire les plus vives instances pour que + le gouvernement de Westphalie cesse de s'opposer à l'établissement + de cette ligne de douanes. Sa Majesté use de son droit de + protecteur, en prenant des mesures pour fermer tout accès au + commerce de l'Angleterre dans les États de la Confédération. Elle a + été étonnée de ce que, dans les moyens qu'elle prenait pour faire la + guerre à l'Angleterre, la Westphalie était le pays où elle éprouvait + des obstacles. Je vous prie, Monsieur, de m'informer du résultat de + vos démarches.» + + +Quelques mois plus tard, Champagny écrivait encore à ce sujet (de +Paris, le 8 février 1810): + + + «Je viens d'être instruit par Son Excellence le Ministre des + finances qu'un mouvement séditieux a eu lieu en Westphalie contre le + service des douanes impériales. Le 15 novembre dernier, à la suite + d'une saisie faite par les préposés de Cuxhaven, pour contravention + au décret du 29 octobre précédent, de dix-neuf petites embarcations + chargées de sucre, café et autres denrées, les objets saisis + composant le chargement de trente-trois voitures furent conduits à + Bremerlehe, sous l'escorte d'un détachement de cuirassiers + westphaliens. Le convoi arriva en bon ordre, mais l'heure ne permit + pas d'opérer immédiatement le chargement sur bateau pour Brême. On + mit donc provisoirement les marchandises en magasin à Bremerlehe + même, avec d'autant plus de confiance que l'escorte était forte, + qu'il y avait dans la ville une garnison westphalienne et qu'on + pouvait ainsi espérer secours et protection en cas de tentatives + d'enlèvement de la part du peuple, mais cette garnison, cédant à + l'impulsion de la multitude, qui ne tarda point à manifester ses + mauvaises intentions, fut la première à favoriser le pillage et + enleva elle-même des marchandises. + + «Les soldats de l'escorte prirent part aussi à ce pillage au lieu de + s'y opposer, et une patrouille envoyée par le commandant et les + préposés ne put empêcher qu'une partie des marchandises (480 bûches + de bois de teinture, 64 sacs et un tonneau de sucre rafiné, ainsi + que 4 sacs de café) ne fût enlevée. + + «Je vous prierai, monsieur le baron, de vouloir bien porter ces + faits à la connaissance du gouvernement westphalien et de demander + que les auteurs de ce désordre soient recherchés et punis. Vous + voudrez bien me faire part du résultat de vos démarches à cet + égard.» + + +Le ministre des finances du royaume de Westphalie, M. de Bulow, +était, en sa qualité d'allemand, en butte à la haine du parti +français. Reinhard, dans ses lettres et dans ses bulletins, laisse +pressentir sa prochaine disgrâce. + + + BULLETIN. + + Cassel, le 28 septembre 1809. + + «La cour est revenue de Napoléons-Hoehe à Cassel mardi dernier. + Quoique la détermination en ait été prise subitement, elle a été + suffisamment motivée par le temps froid et pluvieux qui ne cessait + de rendre le séjour de Napoléons-Hoehe malsain et désagréable. + + «L'exemple de la France et de la Hollande, où les gardes nationales + ont montré une si noble ardeur à marcher contre un ennemi déjà en + présence, avait inspiré à M. Bercagny l'idée de faire paraître + devant le roi, le jour de sa fête, la garde nationale de Cassel. + Comme elle est composée d'un corps d'arquebusiers en uniformes, et + du reste de la bourgeoisie qui n'en a point, il s'agissait de donner + des uniformes à toute la garde. Une souscription devait être ouverte + en faveur de ceux qui n'avaient pas assez de fortune pour s'en + procurer de leurs propres moyens. On espérait que quatre ou cinq + cents hommes pourraient se présenter en uniforme le jour où le roi + les passerait en revue. Dimanche dernier, M. Bercagny vint + m'entretenir de son projet comme d'une chose qui plairait sûrement à + l'empereur. Il en exposa les avantages avec enthousiasme. Il était + sûr que tous les départements s'empresseraient d'imiter la cour et + la capitale. «J'ai proposé au roi, me dit-il, d'ordonner que toute + la cour prît l'habit de garde national; il est vrai que Sa Majesté + me répondit que cela ne prendrait point, et que ce ne serait qu'un + habit de plus.» Je convins avec M. Bercagny que son idée était + excellente; cependant je l'avertis de n'y point mettre trop de + chaleur, parce que le flegme allemand n'aimait point à être trop + pressé. + + «Le lendemain matin, je vis passer dans la rue et j'entendis des + cris qui me parurent être des _vivat_; voilà, dis-je, M. Bercagny + qui a donné de bonne heure à boire à sa garde nationale; je me + trompais. La bourgeoisie assemblée par le maire avait refusé de se + mettre en uniforme, et les cris que j'entendais étaient des cris + d'opposition. + + «Il paraît que la crainte vague de prendre un engagement dont on ne + connaissait pas assez ni l'objet ni le terme, et une jalousie déjà + existante entre les arquebusiers et le reste de la garde ont été la + cause de ce refus qui heureusement n'a heurté que les espérances + trop vives de M. Bercagny. Le gouvernement, qui ne s'était pas + encore prononcé, s'est décidé sagement à ne donner pour le moment + aucune suite à cette affaire. Je suis persuadé qu'on pourra la + reprendre avec succès, si l'on y met le temps nécessaire, et + peut-être aussi en la faisant manier par des personnes plus + populaires que M. Bercagny. Le roi ce jour-là vint en ville sans + escorte et sans garde, et cette démarche simple prouva aux gens qui + étaient déjà tentés de crier à la révolte, qu'il était étranger à + cet incident et qu'il n'y mettait aucune importance. + + «Il paraît que les troupes westphaliennes ont quitté la ville de + Hambourg et qu'elles sont revenues à Hanovre. Le cinquième régiment, + le même qui s'était trouvé à Halberstadt, est revenu de Magdebourg à + Cassel. On dit que le nombre d'hommes sous les armes dont il est + composé n'excède pas encore 800. + + «La négociation du général Bongars et du banquier Jordis paraît + avoir abouti à deux cent mille francs pour accélérer le départ des + troupes. J'ai une lettre d'Hambourg où il est question de dix-sept + cent mille francs, mais je crois qu'il y a un zéro de trop. Quant à + l'emprunt, le sénat de Hambourg propose toujours des conditions + telles que le conseil du roi a dû nécessairement les refuser. + + «M. de Bulow affirme que les recettes vont en ce moment assez bien; + cependant à Brunswick encore, il s'était trop pressé en annonçant + que tout avait été payé. M. de Wolfradt ne manqua pas de montrer au + roi une lettre du préfet qui assurait le contraire. M. de Bulow + répondit qu'il avait fallu quelques jours pour exécuter les ordres + donnés; M. de Wolfradt soutient que c'est encore un mensonge. M. de + Bulow à contre lui un très fort parti composé à peu près de la + totalité des Français et même de plusieurs Allemands. Il est accusé + de fournir au roi tout l'argent qu'il demande pour ses dépenses, ce + qui est faux et absurde; d'augmenter à dessein le désordre et la + détresse des finances, pour amener des troubles et la ruine de + l'État, ce qui est chimérique. On a dit au roi qu'il avait profité + de sa place pour payer ses dettes. Il en avait: elles provenaient de + ses ancêtres, il en a toujours mis l'état sous les yeux de Sa + Majesté, en prouvant que sa fortune réelle les excédait de beaucoup. + On m'assure que depuis qu'il est ministre elles n'ont point été + diminuées. «Je ne tiens point à ma place, me dit dernièrement M. de + Bulow, mais j'y resterai aussi longtemps que le roi voudra me la + conserver, parce que je suis certain que je serais remplacé par un + imbécile ou par un fripon.» On est au reste généralement persuadé + qu'il ne se soutiendra plus longtemps. La tournure que prendra + l'affaire des postes, où la famille de M. de Furstenstein fait cause + commune, peut en décider, car, quoiqu'il soit plus que probable que + M. de Bulow a raison dans le fond, il paraît avoir exagéré quelques + détails. On dit que le roi pense encore de temps en temps à M. + Hainguerlot. + + «Les ordres pour le mouvement des troupes continuent à être donnés à + l'insu de M. le ministre de la guerre. Il en est de même des + nominations militaires, sur lesquelles on dit que le comte de + Bernterode exerce une plus grande influence. On cite la nomination + d'un colonel pour le sixième régiment. C'est un certain Laruelle ne + sachant ni l'allemand ni le français et recommandable seulement pour + avoir le même bon ton que M. de Bernterode. On craint une + nomination pareille pour le premier régiment. Le comte Bernterode, + ajoute-t-on, veut se faire nommer inspecteur général de l'armée. Le + général Boermer est négligé. Les officiers allemands sont dégoûtés + de tant de passe-droits. Il convient de citer mon autorité: c'est le + général d'Albignac. Mais ce que j'ai dit du peu d'influence du + général Eblé, je le tiens de ce ministre lui-même à qui je n'ai pu + m'empêcher de dire qu'un homme de son mérite était assez fort pour + lutter et pour l'emporter. Encore un trait que m'a raconté le + général Eblé. Dans un groupe de courtisans à Napoléons-Hoehe, il + était question de Sa Majesté l'empereur et du roi de Hollande. Et + nous aussi, dit, en se frottant le menton, le comte de Bernterode, + nous nous raccommoderons. + + «L'esprit des départements ne s'est pas encore amélioré. Aucune + dépense n'est payée; les impôts ne rentrent qu'à force d'exécutions + militaires. Voilà le refrain. À Brunswick, on vend le portrait, on + porte les couleurs du duc d'Oels, on y attend les Anglais. On ne les + attendra plus quand la paix sera signée. + + «On a fait des réparations au palais. On allait y bâtir une salle de + spectacle; mais on a trouvé que le local ne s'y prêtait point et + l'on se borne à continuer la construction de celle de + Napoléons-Hoehe. D'un autre côté, on prend quelques mesures + d'économie; la table du maréchal a été restreinte à douze couverts. + Le palais de Brunswick n'est pas encore achevé et il paraît certain + que la cour ne s'y rendra point pendant l'hiver prochain.» + + +Le 12 octobre Reinhard envoie de Cassel la lettre suivante: + + + «Le 3 octobre, l'avant-veille de mon départ, s'est passé à Cassel un + événement dont il est de mon devoir de rendre un compte détaillé à + Votre Excellence. Le ministre des finances était ce jour-là à dîner + avec quelques autres ministres et conseillers d'État chez le grand + veneur, M. le comte d'Hardenberg, revenu le même jour de sa + campagne. Pendant le dîner il reçoit un billet de sa femme; il se + lève de table, disant qu'un événement désagréable arrivé dans son + intérieur l'oblige de se rendre chez lui. On se perd en conjectures, + on envoie pour savoir de ses nouvelles; il fait dire qu'une affaire + survenue avec la police l'empêche de revenir. Voici le fait. + + «Le sieur Schalch, commissaire général de la haute police à Cassel, + avait proposé au valet de chambre de M. de Bulow de lui procurer + l'entrée du cabinet de son maître. Le domestique en informa non M. + de Bulow, mais Madame, qui lui ordonna d'accepter la proposition en + se faisant donner une promesse par écrit. Le sieur Schalch la donna + signée de son nom et scellée du sceau de la haute police. Un nommé + Dumoulin, d'une famille prussienne et commis dans les bureaux de M. + de Bulow, était chargé d'examiner et d'enlever les papiers. Le jour + où M. de Bulow allait dîner chez M. de Hardenberg paraît une + occasion favorable. Le valet de chambre introduit le sieur Dumoulin + dans le cabinet du ministre et Mme de Bulow le surprend assis au + bureau de son mari, examinant ses papiers. M. de Bulow arrive, et, + muni du billet du sieur Schalch, se rend immédiatement chez le roi. + Il représente à Sa Majesté que l'attentat qui vient d'être commis ne + concerne point sa personne, mais celle du roi, que les papiers qui + se trouvaient dans le cabinet d'un ministre d'État ne sont pas les + siens, mais ceux du roi; qu'en conséquence il n'a rien à demander + personnellement, et qu'il appartient entièrement à Sa Majesté de + faire justice. + + «Le roi se montre indigné; il donne sur le champ l'ordre de faire + arrêter les sieurs Schalch et Dumoulin. Le premier est mis au + castel; le second s'étant réfugié, dit-on, chez M. Bercagny, est + réclamé par le préfet de Cassel. M. Bercagny répond qu'il ne sait + pas où est ledit Dumoulin, et que d'ailleurs un ordre du préfet ne + suffirait pas pour le faire mettre en prison. L'ordre en conséquence + est expédié par le ministre de la justice; le sieur Dumoulin aussi + est conduit au château. J'appris ces faits le lendemain de M. de + Coninx qui avait assisté au dîner. M. de Bulow me les confirma en + masse; il me répéta ce qu'il avait dit au roi. Du reste il avait + l'air modestement heureux d'un homme qui avait déjoué un complot + dangereux et qui avait été plus fin que ses ennemis. + + «Le même jour, au spectacle, j'entendis M. le général Eblé demander + au ministre de l'intérieur qui n'est nullement ami du ministre des + finances: «Que pensez-vous de l'affaire de M. de Bulow?»--«Je pense, + dit M. de Wolfradt, que M. Schalch n'a pas agi sans l'autorisation + de M. Bercagny, et que M. Bercagny n'a pas agi sans.......» Ici la + phrase fut interrompue. M. Lefebvre, pendant mon absence, ayant + écrit jour par jour tout ce qui s'est passé à la suite de cet + événement, je ne saurais mieux faire, Monseigneur, que de vous + envoyer l'extrait des notes qu'il m'a remises lors de mon retour. + Votre Excellence jugera facilement de la satisfaction que cet + événement a produite, et peut-être, dans aucune circonstance, un + esprit de parti qui ne devrait pas exister ne s'est montré plus + ouvertement et plus mal à propos que dans celle-ci. Le sieur + Dumoulin s'obstinant dans son refus de répondre, le ministre de la + justice avait ordonné de lui mettre les menottes. M. de Wolfradt + vient de me dire qu'aujourd'hui, au lever du roi, plusieurs Français + l'ont interpellé pour savoir si le fait était vrai, et qu'ils en + jettent les hauts cris. + + «Faut-il remonter aux causes de cet attentat? Ma correspondance + antérieure en a dit assez pour me dispenser ici de fatiguer Votre + Excellence par des conjectures; mais je dois citer un fait qui m'a + été rapporté en confidence. Dans une conversation sur la querelle + qui existe entre M. Pothau et M. de Bulow, quelqu'un demanda au + premier pourquoi il était si difficile d'entamer un homme ennemi des + Français et contre lequel il s'élevait de si fortes préventions? + «Ah! dit M. Pothau, si nous pouvions nous procurer deux pièces que + nous savons être dans son cabinet, nous prouverions bien qu'il est + traître, mais il faudrait une autorisation.» + + «Quoi qu'il en soit, Monseigneur, la doctrine professée par le sieur + Schalch, et dans son interrogatoire et dans une lettre qu'il a + écrite au ministre de la justice, est aussi celle de M. Bercagny, + qui donnait une trop grande latitude à quelques expressions du roi + sur une attribution de surveillance générale contre laquelle tous + les ministres protestent depuis un an, et voudrait même insinuer que + cette doctrine est conforme à l'opinion de Sa Majesté. Si j'avais + réussi, disait M. Bercagny, encore ce matin (je cite M. de + Wolfradt), j'aurais obtenu un grand cordon; j'ai échoué....... Mais + abstraction faite de la moralité de l'entreprise, un directeur de la + haute police doit-il échouer ainsi? + + «Le sieur Schalch est natif de Schaffouse; c'est un homme d'une + réputation tarée; on m'en a raconté un trait qui mériterait non le + cordon, mais la corde. Un autre Suisse avait reçu d'un oncle une + traite qui ne suffisait point à ses besoins; il s'en plaignit. Eh + bien! dit le sieur Schalch, ajoutez un zéro!--Il sera destitué et + banni du royaume. + + «La direction de la haute police va rentrer provisoirement dans les + attributions du ministère de la justice. Les commissaires généraux + de police seront subordonnés aux préfets. M. Bercagny sera préfet de + police à Cassel. Le décret qui crée une direction séparée de la + haute police subsiste. Si la nécessité l'exige, un nouveau directeur + pourra être nommé. M. Siméon m'a dit qu'à présent les plaintes + contre M. Bercagny pleuvaient et qu'il en résultait en toute + hypothèse que c'était un homme qui n'avait exercé son emploi que + dans la vue de se faire une fortune dans deux ans. Le roi est très + prévenu contre Mme de Bulow; il l'appelle un monstre, pour avoir + joué un rôle insidieux qui dégradait son caractère de femme. Que ce + soit elle ou non, il est certain que ce rôle qu'elle a joué ou + qu'elle s'est laissé attribuer a quelque chose qui répugne à la + délicatesse. Mais sans le flagrant délit, comment obtenir la preuve? + + «J'ai oublié d'informer Votre Excellence que M. B. Huygens, ministre + de Sa Majesté hollandaise, est rappelé et qu'il a été nommé + conseiller d'État. On dit qu'il ne sera remplacé que par un chargé + d'affaires.» + + +Par suite de cette maladresse de la police dans l'affaire Bulow, +Bercagny fut remplacé dans ses fonctions par le général Bongars, +chef de la gendarmerie, le commissaire général Schlach fut expulsé +du royaume, et une scission eut lieu dans le cabinet. Le parti +allemand représenté par Bülow, plus puissant que jamais, après +Siméon, entra en lutte avec le parti français représenté par le +comte de Fürstenstein et M. de Salha, devenu comte de Hoene et +ministre de la guerre. Mais Bülow par son influence, Siméon par son +talent, étaient autrement forts que MM. Le Camus et de Salha, +ministres assez médiocres. + +Revenant sur l'affaire relative à M. Hainguerlot, Reinhard écrivit +le 17 octobre 1809, de Brême, où il se trouvait, au duc de Cadore: + + + «La dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire sous + la date du 9 a été envoyée à Cassel par estafette par M. Durand. M. + Lefebvre me l'a expédiée par un courrier. J'ai trouvé tous les + cachets intacts. Je dois vous rendre compte, Monseigneur, du fait + qui m'a donné lieu d'écrire le mot concernant M. Hainguerlot. Je + tiens de M. Lefebvre que M. Courbon lui a dit que lorsqu'au mois + dernier le roi l'expédia pour Vienne auprès de Sa Majesté + l'empereur, le roi qui était seul dans son cabinet appela devant lui + M. de Marinville, son secrétaire intime, et lui demanda: «Avez-vous + écrit ce que je vous ai dit au sujet de M. Hainguerlot?» Et que M. + de Marinville lui répondit: «Oui, Sire;» qu'après un moment de + silence, Sa Majesté lui dit: «Non, toute réflexion faite, ne + l'écrivez point.» + + «Cette circonstance m'avait été racontée à l'époque à peu près de la + rédaction de ma dépêche et il paraît en effet que, dans la crise où + était alors la situation de M. de Bulow, le nom de M. Hainguerlot + avait été prononcé, non dans le public, non par des personnes de + l'administration, mais très dans l'intérieur de la cour; et voilà + comment, étant loin d'y attacher toute l'importance que la chose + méritait, j'ai été conduit à écrire la phrase en question. Si j'ai + écrit: _on dit_, je ne saurais justifier ce mot dans toute son + exactitude, j'aurais dû écrire: _il paraît_. Comme toutes les + circonstances du fait qui a été raconté par M. de Courbon à M. + Lefebvre ne sont plus présentes à ma mémoire, j'engage ce dernier, + qui ne verra point cette réponse, à vous en rendre compte + directement dans une lettre particulière; et je me borne à lui + écrire, comme je me bornerai à lui dire, qu'une phrase que je vous + avais écrite au sujet de M. H. vous avait engagé à me demander + quelques éclaircissements à ce sujet. + + «Je me permettrai seulement d'ajouter, Monseigneur, que, si dans la + circonstance dont je parle, le souvenir de M. Hainguerlot s'est + présenté dans l'esprit de Sa Majesté, le souvenir d'autres + particularités que j'ignore s'y est présenté aussi et l'a emporté; + que ce fait est antérieur à la nomination de M. Girard pour + Carlsruhe où Mme Girard[125] s'est rendue quinze jours après le + départ de son mari, et que, si le nom de M. Hainguerlot a été + prononcé après cette époque, il est plus que douteux que le roi en + ait donné la moindre occasion.» + + [Note 125: Soeur du fournisseur et banquier Hainguerlot que + l'empereur n'aimait pas et qui était un des amis du roi + Jérôme.] + + +Le 18 octobre, M. Reinhard manda de Cassel au duc de Cadore: + + + «L'attention de Sa Majesté a été si souvent appelée sur les finances + de la Westphalie, que ce n'est pas sans un sentiment de répugnance + qu'on se voit obligé de ramener sans cesse sa réflexion sur ce + triste tableau. Des réformes de valets ont eu lieu dans l'intérieur + du palais, mais on ne peut raisonnablement se flatter d'en attendre + une amélioration dans les finances. Quelques réductions partielles + ne forment point un système complet d'économie. Ce qu'une sage + administration doit se prescrire, c'est de ne point charger sa + dépense au delà des forces de son budget. Mais, Monseigneur, + l'économie est une vertu dont le goût viendra tard ici; elle choque + les penchants d'un jeune roi né avec de nobles et généreuses + inclinations qui met la libéralité au premier rang des qualités d'un + souverain, et qui, comme il m'a fait l'honneur de me le dire à + moi-même, n'a d'abord vu dans la royauté que le plaisir de donner. + Toutefois, Sa Majesté impériale peut être sous ce rapport sans + inquiétude. Tous les ministres sont d'accord pour combattre le + penchant du roi à des dépenses peu proportionnées avec les forces de + l'État. Le ministre des finances, éveillé par le dernier et sérieux + avertissement qu'il a reçu, ne souffrira aucune application des + revenus publics à des objets qui ne seraient pas autorisés par la + Constitution. M. de Bulow est un homme franc, plein de ressources, + et peut-être, quoi qu'on en publie, celui de tous les ministres qui + est le mieux à sa place. + + «Le roi, sur la demande de la ville de Brême, a supprimé une foule + de droits aussi injustes qu'onéreux que s'étaient arrogés sur le + commerce les commandants qui avaient été successivement stationnés + dans cette ville. Il a également réduit au-dessous des demandes et + des espérances du sénat les dépenses de table du général qui y + commande; enfin si Sa Majesté s'est vue dans l'obligation d'envoyer + une partie de ses troupes vivre momentanément chez ses voisins, il + est du moins de la justice de déclarer que la conduite de ces + troupes a été partout exempte de reproches. + + «Le chargé d'affaires qui doit remplacer M. le ministre de Hollande + étant arrivé hier, M. le chevalier de Huygens se propose de demander + demain son audience de congé et de quitter Cassel vers le + commencement de l'autre semaine.» + + +Lefebvre, qui remplaçait Reinhard à Cassel pendant le voyage de ce +dernier à Brême, écrivit, le 20 octobre, au duc de Cadore: + + + «M. Reinhard, en me faisant passer la réponse ci-jointe à la dépêche + que je lui avais transmise à Brême d'après vos ordres, m'écrit qu'il + aurait bien désiré que j'eusse pris sur moi de l'ouvrir et que la + chose principale regardait M. Hainguerlot; que Sa Majesté impériale + a été frappée d'un passage de la correspondance qui le concerne: «On + dit que le roi pense de temps, en temps encore à M. Hainguerlot;» + que Votre Excellence désire quelques éclaircissements sur ce qui a + donné lieu à cette phrase; enfin M. Reinhard me mande qu'il répond à + Votre Excellence, en lui racontant le fait autant qu'il peut se le + rappeler. Mais, comme c'est à moi que la chose a été communiquée + dans le temps, il m'engage à vous en écrire, Monseigneur, dans une + lettre particulière. + + «Voici les faits aussi exacts que je puis me les rappeler moi-même: + + «Je m'entretenais un jour avec M. Siméon (et non avec M. de Courbon, + comme M. Reinhard m'écrit qu'il l'a mandé à Votre Excellence), je + m'entretenais, dis-je, avec M. Siméon des finances de ce pays, du + parti qui devenait tous les jours plus violent contre M. de Bulow et + de la complaisance avec laquelle le roi commençait à écouter les + accusations contre ce ministre; je demandai alors à M. Siméon à qui + il pensait que pût être remise une commission si difficile dans le + cas où Sa Majesté se déciderait à retirer le portefeuille à M. de + Bulow. «Je ne vois, dit-il, personne ici qui ait les épaules assez + fortes pour un tel fardeau. Tous ceux qui crient contre le ministre + actuel auraient lieu de crier bien davantage contre son successeur. + On dit que l'on a fait demander il y a quelque temps l'abbé Louis à + Sa Majesté impériale; mais le roi s'accommoderait mal de l'humeur + dure et de l'esprit exact de l'abbé Louis. Le roi voudrait bien sans + doute qu'il lui fût permis de faire venir Hainguerlot, mais + l'empereur ne souffrirait jamais cet homme ici.» Voilà, Monseigneur, + dans quel sens la chose a été dite, et celui aussi dans lequel doit + être entendue la phrase de M. Reinhard. Cette phrase ne veut point + dire que le roi pense à appeler M. Hainguerlot, mais qu'il + l'appellerait s'il ne savait point qu'il s'exposerait au + mécontentement et qu'il encourrait la disgrâce de Sa Majesté + impériale. + + «Si, après cette explication, Votre Excellence voulait me permettre + d'ajouter quelque chose de moi-même, je n'hésiterais point à + l'assurer que, quel que puisse être un reste d'attachement que le + roi conserve pour cette famille, jamais ce prince, rempli de + reconnaissance comme il l'est et de vénération pour son auguste + frère, ne se permettrait une telle démarche dans l'état de discrédit + où est tombé M. Hainguerlot, et après que Sa Majesté impériale a + fortement exprimé sa volonté de ne le point souffrir auprès de la + personne du roi. Sa Majesté a sans doute un sentiment très vif de + l'indépendance, je dirai même une volonté passionnée d'être et de + paraître roi. Ce prince semble blessé de tout ce qui arrête son + autorité ou lui indique qu'elle a des bornes. C'est là son côté + faible. Plus on va et plus on rencontre en lui une disposition + prompte à se raidir contre tout ce qui peut indiquer un pouvoir hors + de lui. Mais en avouant cela il faut aussi convenir que cet esprit + d'indépendance fléchit sans résistance devant la volonté de Sa + Majesté impériale dans tout ce qui peut intéresser la gloire de ses + armes et tendre à l'accomplissement de ses hauts desseins, et il + paraît que ce n'est de la part de ce prince ni soumission forcée, ni + résignation née du calcul de sa faiblesse, mais que cette + obéissance, en tant qu'elle se rapporte à des choses de quelque + haute importance, est le résultat d'un système puisé autant dans les + sentiments de reconnaissance et de vénération dont il m'a toujours + paru pénétré pour Sa Majesté impériale que dans le sentiment d'un + intérêt commun.» + + +L'empereur, qui voulait tout savoir, avait auprès de son frère +Jérôme deux hommes chargés de lui faire connaître tout ce qui se +passait en Westphalie, M. Reinhard, sous le nom d'ambassadeur de +famille, le comte Jollivet, chargé de liquider la partie financière +concernant la France. Jérôme, espionné jusque dans l'intérieur de +ses appartements par les agents secondaires des agents de son frère, +ayant découvert par hasard à quelles menées il était en butte, +écrivit le 20 octobre, de Cassel, à l'empereur qui avait cessé de +répondre à ses lettres: + + + «Sire, malgré l'oubli total dans lequel Votre Majesté paraît décidée + à me laisser, puisque je ne reçois aucune réponse à mes lettres, je + ne puis m'empêcher de lui faire part de la conduite scandaleuse que + l'un de ses agents se permet de tenir, non seulement vis-à-vis de + moi et de mon gouvernement, mais encore par rapport à mes affaires + particulières. Votre Majesté aura de la peine à croire que, depuis + un mois, quatre de mes domestiques, tant de la chambre que de la + bouche et des écuries, ont été renvoyés parce qu'ils ont été + convaincus d'être les espions du comte Jollivet. + + «Enfin, Sire, le scandale est porté à un point tel qu'il n'est plus + de la dignité de votre frère de le souffrir! Moi-même j'ai surpris + un de mes huissiers feuilletant mes papiers sur mon propre bureau, + et l'ayant sommé de me déclarer qui lui faisait commettre une action + aussi criminelle, il m'a déclaré, en se jetant à mes pieds, que + depuis un an il était payé par le comte Jollivet qui lui avait dit + que c'était par ordre de l'empereur! C'est le nom de Votre Majesté + qu'on employait pour engager à une pareille action! C'est un agent + de Votre Majesté que j'ai toujours comblé de bontés qui la faisait + commettre! Loin de donner de l'éclat à une pareille action, je l'ai + étouffée et me suis contenté de renvoyer ces domestiques infidèles + en laissant même ignorer au comte Jollivet la cause de leur renvoi. + + «Mais, Sire, c'est à Votre Majesté que je m'adresse pour demander le + rappel de M. Jollivet; il est impossible que Votre Majesté veuille + mon déshonneur à ce point! Je serais indigne de vous appartenir si + je souffrais chez moi et avais l'air de ménager plus longtemps un + homme aussi méprisable. Je prie Votre Majesté de croire que, malgré + la triste situation dans laquelle je me trouve et l'abandon total + dans lequel elle me laisse, elle n'a personne qui lui soit plus + tendrement attaché que moi.» + + +Ne recevant pas de réponse de l'empereur, Jérôme se décida à lui +écrire de nouveau le 30 octobre: + + + «Sire, malgré l'abandon dans lequel me laisse Votre Majesté et que + je n'ai rien fait pour m'attirer, je vous demanderai de la prier de + décider de ma situation qui est tout-à-fait fausse comme roi de + Westphalie. Daignez décider, Sire, si je dois me conduire comme + sujet ou comme souverain. Le choix de mon coeur est et sera toujours + d'être sujet de Votre Majesté, je n'aime ni l'allemand ni + l'Allemagne, et je suis tout français. Cependant, je ne puis être + ces deux choses à la fois et Votre Majesté conviendra avec moi que + lorsque des douaniers viennent à main armée et de force s'établir + chez un souverain sans que celui-ci en ait la moindre connaissance + par traité, ni par notification officielle, à moins qu'il ne fût un + lâche et un malheureux proscrit, il a dû les renvoyer; quand même je + n'aurais été, Sire, que gouverneur pour Votre Majesté, certes vos + ministres et vos conseillers d'État n'auraient pas établi dans mon + gouvernement des lignes de douanes sans ma participation; d'autant + plus, Sire, que ce n'est pas au milieu du pays d'Osnabruck que l'on + peut espérer d'empêcher la contrebande, mais sur les frontières. + Voilà cependant, Sire, le crime que l'on ose m'imputer à vos yeux; + et, pour avoir fait ce que tout homme eût fait à ma place, ce que + Votre Majesté eût certainement fait elle-même, on ose dire que je ne + vous aime pas, que je ne suis pas français! Comme si mon pays + n'était pas la France, et que je ne respectasse pas dans Votre + Majesté mon frère et mon bienfaiteur! + + «Sire, je suis de votre sang et, aussi longtemps que Votre Majesté + laissera sur ma tête la couronne qu'elle a daigné y poser, je ne + saurais agir autrement que ne doit le faire un roi, frère de + l'empereur. Tout m'impose l'obligation d'être jusqu'au dernier + souffle de ma vie lié à votre système politique, à celui que vous + avez créé pour votre famille et pour la France, mais, m'asseyant + vous-même sur un trône, vous avez entendu que je serais indépendant + pour les affaires intérieures du royaume que vous me donniez. Je le + répète, Sire, je n'aime ni l'Allemagne ni l'allemand, mais, dans + toutes les circonstances de ma vie, je suivrai la route de l'honneur + que Votre Majesté m'a si bien tracée. + + «J'ai désiré sans doute d'avoir un peuple à gouverner; je l'avoue à + Votre Majesté, je préférerais vivre en particulier dans son empire à + être comme je suis souverain sans nation. Votre nom seul, Sire, me + donne l'apparence du pouvoir, et je le trouve bien faible quand je + songe que je suis dans l'impossibilité de me rendre utile à la + France, qui, au contraire, sera toujours obligée d'entretenir cent + mille bayonnettes pour étayer un trône sans importance. + + «Je finis, Sire, avec la conscience intime que, quels que soient les + torts dont on cherche à me noircir, Votre Majesté ne peut pas + persister, avec réflexion, à me croire coupable d'indifférence et + d'ingratitude.» + + +Peu de temps après, le roi obtint la permission de se rendre à +Paris. Lefebvre, chargé de remplacer Reinhard, écrivit de Cassel, le +10 novembre 1809, au duc de Cadore: + + + «Je n'ai pas rendu compte à Votre Excellence, dans ma dernière + dépêche, d'un entretien que le général Eblé a eu avec Sa Majesté, la + veille même de son départ pour Paris. Je n'en connaissais alors que + ce qui m'avait été rapporté par M. Siméon, qui m'avait demandé le + secret, et j'ai mieux aimé attendre de savoir tous les détails par + le ministre de la guerre lui-même, pour n'avoir rien à mander que + d'exact à Votre Excellence. + + «Elle a pu voir, par la correspondance de M. Reinhard, que depuis + longtemps le général Eblé éprouve des dégoûts. Il cherchait + l'occasion de demander au roi la permission de se retirer en France, + lorsque le roi qui en avait appris quelque chose, je ne sais + comment, ni par qui, lui dit, il y a quelques semaines: «Eh bien! + général, on prétend que vous voulez nous quitter?»--«Cela est vrai, + Sire, répondit le général Eblé; j'ai déjà eu l'honneur de dire à + Votre Majesté qu'on ne pouvait bien servir deux maîtres à la fois, + j'ai cru longtemps que je pourrais concilier mes devoirs envers + l'empereur, mon souverain, et Votre Majesté; je vois malheureusement + que cela est impossible.»--«Mais qu'espérez-vous donc? Le sénat? + Est-ce que vous êtes sûr de l'obtenir?»--«Sûr, non pas, Sire, mais + mes services passés me donnent le droit de prétendre à cette + honorable récompense, et les bontés de l'empereur, celui de + l'espérer.»--«Vous pourriez vous tromper dans vos espérances, ce que + je vous offre est plus sûr, vous êtes marié, votre femme est ici, + la voilà grosse; restez avec moi, j'aurai soin de vous, d'elle et de + vos enfants. Je ne vous demande point aujourd'hui votre dernier mot, + pensez-y; nous en reparlerons.» + + «Le jour du départ de Sa Majesté, le général Eblé étant allé prendre + ses ordres, le roi lui dit: «Eh bien! voulez-vous toujours me + quitter?»--«Mes raisons sont toujours les mêmes, Sire, répliqua le + ministre.»--«Vos raisons!... reprit le roi, avec un air de bonté: + croyez-moi, restez avec moi. Je remettrai, puisque vous le voulez, + votre lettre à l'empereur, mais je ne veux pas que vous me quittiez. + Je n'ai pas mérité ce procédé. Après tout, rien ne presse, n'est-il + pas vrai?»--«Non, Sire.»--«Attendez mon retour et nous verrons + après.» Le général Eblé m'a dit qu'il y avait consenti et que les + choses en étaient demeurées là. C'est ce que m'a aussi confirmé M. + Siméon. + + «La cause des dégoûts de M. le général Eblé n'est peut-être pas + aisée à assigner, Monseigneur. D'après tout ce que j'ai pu + recueillir de lui-même, il paraît que l'impossibilité de faire ici + tout le bien qu'il aurait désiré est la plus forte. D'un côté il se + plaint des envahissements tous les jours plus grands de M. le comte + de Bernterode, qui s'est créé, dit-il, comme un second ministère, et + a élevé, pour ainsi dire, autel contre autel. À cet objet de plainte + se rattachent aussi, si j'ai bien jugé, les ordres que, sans les lui + communiquer, le roi adresse souvent de son cabinet aux généraux ou + chefs de corps employés hors de ses États. Ces ordres contrarient + souvent ceux donnés par le ministre. De là, selon lui, versatilité + dans les dispositions générales ou de détail, confusion dans les + mouvements des troupes, et déconsidération de son autorité. Enfin il + paraît que l'inexactitude du trésor public à acquitter les + ordonnances de la guerre dérange sans cesse les plans du général + Eblé, ruine ses dispositions et s'oppose à l'économie sévère qu'il + serait si essentiel d'établir dans toutes les parties du service + dont il est chargé. Ces raisons peuvent être vraies au fond, + Monseigneur, mais il est également certain que sa retraite porterait + un grand préjudice aux intérêts de Sa Majesté. Le général Eblé est + un homme laborieux, exact, sévère et qui sera très difficilement + remplacé ici. Il a rétabli l'ordre dans le département de la guerre, + où avant lui il n'y avait que pillage. De grandes économies ont été + faites sur toutes les parties; d'autres ne peuvent manquer d'avoir + lieu, s'il continue de garder le portefeuille; enfin tout ce qu'avec + des moyens bornés, mais distribués avec sagesse et intelligence, on + a pu obtenir, a été obtenu. + + «Peut-être aussi, et je ne craindrais pas de le dire à M. le général + Eblé, y aurait-il un peu d'ingratitude de sa part à quitter ainsi le + service du roi. Sa Majesté a pour lui (et il en convient lui-même) + la plus haute estime; jamais il n'a cessé d'être traité avec tous + les égards dus à son âge et à son expérience. Il a même éprouvé peu + de ces négligences qui sont si fort dans le caractère du roi, je + dirai plus, il est vraisemblable (et je n'en veux pas faire une + accusation contre ce ministre) que le crédit du général comte de + Bernterode n'aurait pas été porté aussi loin, si le général Eblé, + comme l'a exprimé M. Reinhard dans sa correspondance, avait su + défendre son travail devant le roi ou réclamé avec plus d'insistance + contre l'abus de ce pouvoir étranger. Mais enfin, de quelque manière + qu'on envisage la chose, le chagrin de ne pas faire tout le bien + qu'on voudrait n'est pas un motif suffisant de retraite, et je + conserve encore l'espérance, qu'au retour du roi, M. le général Eblé + se laissera aller à prendre une autre détermination. + + «La reine a fait toutes ses dispositions pour partir, dans le cas où + elle serait appelée par le roi à Paris, ce qu'elle paraîtrait + désirer vivement.» + + +À la suite de conversations sur le royaume de Westphalie, Napoléon +ayant demandé à Jérôme une note sur ce que l'on pourrait faire pour +tirer ses États de la position précaire dans laquelle ils se +trouvaient, Jérôme lui écrivit le 6 décembre: + + + «Le royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec le Hanovre, + Fulde, Hanau et tous les petits princes enclavés dans son + territoire, l'empereur ne lui donne point un débouché quelconque + pour son commerce; + + «Si l'empereur ne fait point la remise de la contribution arriérée, + que les faibles revenus de l'État empêchent d'acquitter, ainsi que + celle des domaines dont l'empereur n'a point encore disposé et qui + se montaient, à mon départ de Cassel, à 400,000 francs.» + + +La cession du Hanovre par la France fut décidée en principe, et +Jérôme dut croire que cette augmentation de territoire, de +population, de revenus, viendrait en dédommagement des exigences de +son frère. Le comte de Fürstenstein qui, sur de nouvelles instances +du roi, venait d'être nommé par l'empereur grand'croix de la Légion +d'honneur, fut chargé de traiter de la remise avec le duc de Cadore, +mais lorsqu'on arriva à la cession, on fut bien obligé de +reconnaître que les avantages de cette cession n'en compensaient pas +les inconvénients. L'empereur, en annexant à la Westphalie la +province du Hanovre, se réservait d'en distraire des territoires +ayant quinze mille habitants, et un revenu de quatre millions cinq +cent soixante mille francs, exempts de tous impôts pendant dix +années. Les agents stipulèrent en outre: que les six dotations +instituées dans le royaume de Jérôme, en vertu du traité de Berlin, +du 22 avril 1808, et toujours contestées par le jeune roi, seraient +remises aux donataires ainsi que le montant des revenus s'élevant à +près de trois cent mille francs; les dettes du pays de Hanovre +seraient à la charge de la Westphalie; l'arriéré de la contribution +de guerre due à la France serait arrêté à seize millions et acquitté +par le versement à la caisse du domaine extraordinaire de cent +soixante bons de cent mille francs avec intérêt à cinq pour cent et +payables par dixième d'année en année; le contingent militaire du +royaume serait porté à vingt-six mille hommes, dont quatre mille de +cavalerie et deux mille d'artillerie; jusqu'à la fin de la guerre +maritime, la Westphalie s'engagerait à _entretenir_ six mille hommes +de troupes françaises, en outre des douze mille cinq cents qui lui +étaient imposés par le traité de Berlin. Pour que le mot +_entretenir_ ne pût donner lieu à de fausses interprétations, le duc +de Cadore en envoyant ses instructions au baron Reinhard, chargé de +la remise du Hanovre, lui manda: «L'expression _entretenir_ dont le +traité s'est servi, en parlant des dix-huit mille cinq cents hommes +de troupes françaises, étant peut-être trop générale et par cette +raison point assez précise, ce qui pourrait donner lieu à des +difficultés, le procès-verbal devra en fixer le sens et dire: +qu'_entretenir_, c'est solder, nourrir, habiller ces troupes et +pourvoir à tous leurs besoins quelconques, comme le trésor public de +France solde, nourrit, entretient les troupes des armées qui restent +en Allemagne.» + +Reinhard se conforma à cet ordre du ministre, mais cela ne parut pas +suffisant à l'empereur qui refusa de sanctionner le traité parce +qu'il n'y était pas spécifié que les troupes françaises entretenues +par la Westphalie auraient les prestations du pied de guerre. +Toutefois cette difficulté fut promptement aplanie. + +Sans doute par cette annexion les États de Jérôme acquéraient un +territoire assez considérable, une population de près de trois cent +mille âmes, une zone maritime importante entre les embouchures de +l'Elbe et du Weser. La Westphalie prenait rang en tête des États de +la Confédération, mais l'obligation d'entretenir dix-huit mille +hommes au lieu de douze, la dette hanovrienne considérable, laissée +à la charge de la Westphalie, annulaient et au-delà les avantages. +On reconnut bientôt que le nouveau territoire coûterait dix millions +de plus qu'il ne rapporterait. Ainsi donc, loin d'alléger les +charges pécuniaires des États de son frère, l'empereur augmentait +ses embarras. Le traité fut cependant signé le 14 janvier par le +comte de Fürstenstein et le duc de Cadore. + +Le 20 décembre, Reinhard, resté à Cassel pendant le voyage du roi, +adressa à Champagny la lettre ci-dessous: + + + «Un courrier du roi, expédié le 14 décembre 1809, a confirmé la + nouvelle du départ prochain de Sa Majesté, et les ordres concernant + sa réception dans ses États et dans sa capitale. Le roi se propose + d'arriver à Marbourg le 24, où tous les ministres d'État seront + obligés de se rendre (Marbourg est éloigné de Cassel de neuf bons + milles d'Allemagne). Le lendemain, Sa Majesté déjeunera à Wabern, + village à trois milles de Cassel, où se trouve un château royal. Le + 26, il y aura audience du corps diplomatique. Un appartement dans le + palais se prépare pour la réception du grand maréchal nommé en + remplacement du comte Willingerode. La curiosité cherche en vain à + deviner le nom de ce nouveau dignitaire. Le général Launay, gendre + de M. Siméon, les barons Dumas et Damas entreront au service + militaire de Sa Majesté. Le général Morio est déjà arrivé, revenant + d'Espagne, et rétabli de sa maladie. Le conseil d'État s'assemble + fréquemment pour préparer les projets de loi qui seront présentés + aux États. Puisqu'on croit savoir aujourd'hui que là reine restera à + Paris, on présume qu'après quelque séjour à Cassel le roi y + retournera aussi, et qu'il accompagnera Sa Majesté impériale dans + son voyage en Espagne. + + «Le roi trouvera ses sujets impatients de son heureux retour et + pleins d'espérances dans les résultats de son absence, qu'ils + pourront appeler heureuse aussi, puisque Sa Majesté reviendrait avec + de nouveaux moyens de prospérité pour ses États, avec de nouvelles + idées de bienfaisance et de gloire, puisées dans cette source + intarissable d'où nous voyons émaner toutes les conceptions + créatrices, tous les actes conservateurs qui appartiennent au siècle + de Napoléon. + + «Déjà quelques passages des lettres écrites par le roi ont fait + présager combien la Westphalie aura à se féliciter de son voyage, et + déjà ces présages se trouvent en partie confirmés par le discours + adressé au Corps législatif de France par M. le ministre de + l'intérieur. + + «J'essaierais en vain, Monseigneur, de vous peindre l'impression que + propagent au loin ces paroles d'immense valeur prononcées par la + bouche impériale, ces discours qui en sont les commentaires et qui + déroulent le passé et l'avenir; mais qu'il me soit permis de saisir + un mot qui appartient à la sphère où Sa Majesté impériale a bien + voulu essayer l'emploi de mes faibles moyens. Il est dit que les + villes Anséatiques conserveront leur indépendance, et qu'elles + serviront en quelque sorte de moyens de représailles envers + l'Angleterre. Cette idée, j'ose le dire, était constamment devant + notre esprit. De là la distinction que nous proposions de faire + entre le temps de paix et le temps de guerre, de là cette + proposition de laisser dans leurs rapports à venir une certaine + latitude, un certain vague qui permettrait de les modifier selon + les circonstances; mais l'impression lumineuse nous manquait: elle a + été trouvée et le problème est résolu.» + + +Nous continuerons à faire connaître les lettres les plus importantes +de Reinhard et ses bulletins, comme offrant le résumé le plus +curieux et le plus impartial de l'histoire de la Westphalie et de +son jeune souverain. + +Le 17 janvier 1810, il écrit de Cassel à Cadore: + + + M. de Marinville est arrivé samedi dernier. Il a annoncé que le + retour de M. le comte de Furstenstein ne pourrait guère avoir lieu + que vers la fin de cette semaine. Il en est résulté que le jour de + l'ouverture des États, dont les membres sont réunis ici depuis le + 1er janvier, n'a pu être encore déterminé. En attendant, le Conseil + d'État, dont les séances ont été fréquentes pendant quelque temps, + et les départements ministériels, ont préparé leur travail, le + compte du ministre des finances s'imprime, et ceux qui en ont déjà + connaissance en disent beaucoup de bien. + + Ces premiers jours qui se sont écoulés depuis le retour de LL. MM. + ont été ceux d'une satisfaction réciproque, et en même temps ceux + d'une attente générale des éclaircissements qu'on recevra sur les + destinées de la Westphalie, soit par ce qui aura été conclu à Paris, + soit par ce qui sera annoncé et proposé à l'assemblée des États. Je + partage cette attente, Monseigneur, et jusqu'à ce qu'elle soit + remplie je me vois restreint à vous faire le simple récit des + événements du jour. + + Le roi a accordé le titre de comte à MM. de Bulow et de Wolfradt, + ministres d'État; à M. de Lepel, son premier écuyer d'honneur, le + même qui l'avait accompagné à Paris, et à M. de Pappenheim, son + premier chambellan. MM. de Leist, conseiller d'État et directeur de + l'instruction publique, de Coninx, conseiller d'État et directeur + des domaines, et Marinville, secrétaire intime du cabinet, ont + obtenu le titre de baron. + + Le roi s'est chargé de transmettre à Sa Majesté impériale la lettre + par laquelle M. le général Eblé lui demande son agrément pour donner + sa démission de la place de ministre de la guerre. Il paraît que M. + le général d'Albignac, grand écuyer, sera chargé, par intérim, du + portefeuille. + + Le général de Bernterode, malade depuis longtemps, et dont la + maladie avait empiré dans ces derniers temps, a été forcé de + demander un congé de quelques mois pour se rendre en France, et pour + tâcher de rétablir sa santé. C'est M. le général de Launay, gendre + de M. Siméon, qui le remplace par intérim dans ses fonctions. + + C'est aussi par intérim que M. le général Morio est chargé des + fonctions de grand maréchal. Il occupe un appartement dans le + palais. + + + REINHARD À CADORE. + + Cassel, le 24 janvier 1810. + + M. le comte de Furstenstein est arrivé samedi dernier. Il a paru le + lendemain au bal masqué de la cour. C'est là, et hier, chez le + ministre de Russie, que j'ai eu l'honneur de le rencontrer. Chez moi + il a fait sa visite par cartes, et je ne l'ai point trouvé lorsque + je suis allé la lui rendre en personne. Il en résulte que je ne sais + pas un mot de ce que M. de Furstenstein a pu porter de Paris. Il est + vrai que les lieux où nous nous sommes rencontrés, n'étaient guère + favorables à une conversation d'affaires, mais ce ministre, très + poli d'ailleurs et très aimable avec moi, ne paraissait avoir nulle + envie d'entretenir une pareille conversation. + + Il est possible que le roi ait ordonné de garder le secret des + arrangements convenus jusqu'au jour de l'ouverture des États. Ce + jour, avant le retour de M. de. Furstenstein, avait été fixé au 28, + dimanche prochain, et les membres des États l'attendent avec + impatience. Sur cent membres, soixante-seize seront présents à la + session. Treize étaient morts dans l'intervalle; les autres sont + absents par congé ou pour cause de maladie. Les membres des comités + ont déjà été élus, et depuis huit jours ils sont entrés en + communication avec les ministres pour préparer le travail. + + M. Pichon[126] est arrivé quelques jours avant M. de Furstenstein. + M. de Norvins[127] aussi est revenu. + + [Note 126: Le même qui se trouvait consul général aux + États-Unis d'Amérique lors du mariage Paterson.] + + [Note 127: L'auteur de l'_Histoire de Napoléon_.] + + Pour ne rien laisser en arrière sur cet objet, je dirai que dans la + conversation que Sa Majesté eut avec moi au mois de mars dernier, et + dont je rendis compte à Votre Excellence, le roi, parmi ses autres + griefs contre M. le comte Jollivet, me cita celui d'avoir refusé de + dîner à la table de son grand maréchal, et d'avoir dit qu'il n'était + point fait pour cela. Le roi m'assura que ce refus avait été porté à + la connaissance de Votre Excellence, et que vous l'aviez + désapprouvé; qu'ensuite M. Jollivet avait sollicité comme une grâce + d'être admis à la table du grand maréchal. + + + REINHARD À CADORE. + + Cassel, 30 janvier 1810. + + L'ouverture des États du royaume a eu lieu avant-hier. La cérémonie + a été belle et imposante. Le roi a prononcé le discours du trône + lentement, avec précision et noblesse. Les auditeurs n'en ont pas + perdu une seule parole. + + Le discours dont j'ai l'honneur de vous adresser un exemplaire est, + comme me l'assure M. le comte de Furstenstein, entièrement l'ouvrage + du roi, à quelques changements près relatifs seulement au style et + au poli des phrases. Il est certain du moins que ni M. Siméon, ni + aucun autre ministre, ne l'a rédigé, et ceux qui en attribuent la + rédaction à M. de Bruyère assurent que le paragraphe où le roi parle + de la distinction qu'on voudrait faire entre sa personne et entre la + France lui appartient exclusivement. + + La manière dont le roi parle de ses relations avec son auguste frère + agrandit le roi lui-même et montre sous le jour le plus vrai et le + plus beau les intérêts de sa personne et ceux de sa politique. + J'ajouterai qu'on m'a assuré que ce que Sa Majesté professe ici + solennellement devant tout son peuple est une maxime que, depuis son + retour de Paris, on lui a entendu répéter souvent dans ses + conversations et pendant le travail de son cabinet. + + M. le comte de Furstenstein m'a dit que conformément aux intentions + de Sa Majesté Impériale la réunion du pays de Hanovre à la + Westphalie ne serait point encore annoncée au public. Il m'a dit + aussi que la dette contractée pour l'entretien des troupes + westphaliennes en Espagne était comprise dans les arrangements + conclus à Paris. Néanmoins je n'ai pas manqué de lui adresser copie + de la lettre par laquelle Votre Excellence m'informe que cette dette + monte aujourd'hui à la somme de 581,043 fr. 66 c. + + + REINHARD À CADORE. + + Cassel, 2 février 1810. + + Le discours du roi a déjoué l'attente générale, en ce qu'il n'a + point annoncé littéralement les arrangements conclus à Paris. Comme + on était généralement persuadé que le retard de l'ouverture des + États était causé par le retard du retour du ministre des relations + extérieures, on en a inféré que le roi lui-même avait espéré de + pouvoir faire connaître à cette époque des détails qui intéressent + tout le royaume; et comme on croit être certain de la réunion du + pays de Hanovre à la Westphalie, on se persuadera que ce silence + provisoire pourrait avoir rapport avec des négociations entamées + avec l'Angleterre. + + Le roi est revenu de ce voyage avec une certaine fraîcheur de bonté + et de contentement. Son temps est partagé, comme par le passé, entre + le travail et les plaisirs. Dernièrement, il fut question, au + Conseil d'État, des embarras que causait le système adopté pour les + corvées. Le roi déclara qu'il en apercevait bien les véritables + causes; que c'était l'intérêt des propriétaires qui était parvenu à + laisser incomplètes et à rendre vagues les dispositions de la loi; + que de là naissait une multitude de procès et que le but qu'on + s'était proposé était manqué. Il ajouta que le devoir d'un roi était + de considérer les masses et non les individus et qu'il veillerait à + ce qu'à l'avenir ses intentions fussent mieux remplies. Le roi avait + raison. + + Les spectacles, les promenades à Napoléons-Hoehe et à Schönfeld, + petite campagne achetée il y a quelque temps du banquier Jordis; les + bals, les bals masqués surtout, auxquels le roi et la reine prennent + également plaisir, remplissent les soirées de Leurs Majestés. La + reine a eu, dit-on, récemment un double chagrin: elle désirait qu'on + payât ses dettes, ce qui n'a point été accordé. Elle voulait, le + jour de l'ouverture des États, paraître sur le trône avec le roi, + qui lui fit l'observation que dans une cérémonie de cette nature + cela ne serait pas conforme à l'usage. Elle fut placée sur un + fauteuil en face du trône. Dans ses apparitions publiques, un + certain embarras, que les uns prennent pour de l'orgueil et que ceux + qui connaissent mieux Sa Majesté n'attribuent qu'à la timidité, n'a + point encore quitté la reine. Dans les petites réunions, elle se + montre charmante, pleine d'esprit et d'amabilité. + + Le roi montre une grande satisfaction de la réunion du pays de + Hanovre. Quelques-uns de ses conseillers pensent que les avantages + et les charges de cet agrandissement se compenseront peut-être + pendant longtemps encore; ils craignent la masse des dettes dont le + pays est accablé, la misère dont les sources pourront être taries + difficilement pendant la durée de la guerre, la diminution des + revenus par la séparation des domaines, peut-être aussi la nécessité + de partager les emplois avec les survenants hanovriens. Quelques-uns + ont pensé que pendant un certain temps il faudrait donner au Hanovre + une administration séparée. + + Il parait être question de le séparer en quatre départements; + d'autres prétendent qu'il serait avantageux de ne le diviser qu'en + deux. Quoi qu'il en soit, une accession de territoire qui étendra le + royaume de Westphalie jusqu'à la mer, entre deux rivières + navigables, une population de 600,000 âmes de plus, une jeunesse + propre au service militaire et laissée en réserve depuis plusieurs + années: voilà certainement des avantages suffisants pour faire + considérer désormais la Westphalie comme une puissance. + + M. le général Éblé a remis hier au général d'Albignac sa signature + du ministère. Le roi lui avait exprimé le désir de le conserver + jusqu'à ce que toutes les dispositions concernant les troupes + françaises dont l'arrivée est attendue fussent prises. Il a cédé à + la représentation que lui fit le général Éblé qu'il vaudrait + peut-être mieux les accoutumer d'emblée à la signature du chef qui + doit le remplacer. Cependant le général d'Albignac ne paraît pas + être destiné à le remplacer définitivement, et les amis même de ce + dernier qui lui ont conseillé d'accepter le portefeuille par intérim + comme une distinction honorable, pensent que ses forces et son + caractère naturellement fougueux pourraient ne pas suffire à + soutenir longtemps un pareil fardeau. Aussi le décret royal dit-il + seulement que le général d'Albignac aura la signature en l'absence + du ministre, dont la démission définitive reste subordonnée à + l'agrément de Sa Majesté Impériale qu'il se propose d'aller + solliciter en personne. Il n'y a qu'une voix sur le compte du + général Éblé et sur la perte peut-être irréparable que ferait en le + perdant la Westphalie. Cette opinion, le roi la lui a exprimée + lui-même, et ce ministre m'a témoigné encore hier combien il en + était touché, mais il en revient toujours à son refrain qu'il ne lui + est pas possible de servir deux maîtres. + + Depuis le retour du roi, on croit remarquer dans M. Siméon un + chagrin mal caché qu'on attribue généralement à ce qu'il avait + véritablement espéré de recevoir dans cette circonstance quelque + témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale. J'ignore + s'il s'en est ouvert à quelqu'un. Pour moi déjà, depuis quelque + temps, il a fallu me résigner à le trouver plus réservé, et j'ai + pensé que ce pouvait être en partie parce que depuis la restriction + des fonctions de M. Bercagny il se regardait un peu comme ministre + de la police. Depuis que son fils et son gendre se trouvent placés + au service de Westphalie, il doit se regarder comme y étant attaché + lui-même par des liens plus étroits, et quelques personnes pensent + qu'il pourrait finir par s'y attacher tout à fait. Le roi continue à + le traiter avec une grande distinction, sans peut-être avoir pour + lui une très haute estime. Son caractère flexible, que d'autres + appellent faible, une urbanité qui ne dépare point, mais qui fait + trop ressortir ses cheveux gris, la diminution d'un ascendant qui + plie sous la dépendance toujours croissante de sa situation peuvent + en être la cause. Cependant, M. Siméon, qui de tous les Français est + certainement celui qui a le mieux réussi en Westphalie, m'a toujours + paru et me paraît encore, à cause de ses défauts mêmes, le plus + propre à réussir. Sans connaître un mot de la langue, sans avoir + rapproché en aucune manière ses idées et ses habitudes du génie + allemand, le calme et l'équité de son caractère, sa manière de + penser libérale, l'ensemble de ses lumières et de ses connaissances + ont suffi pour lui donner, presque par instinct, ce discernement de + ce qui convient ou ne convient pas dans les circonstances + actuelles, ce tact du milieu à garder entre deux extrêmes, cette + propension à maintenir l'équilibre parmi les passions, les opinions + et les intérêts opposés qui le font chérir et respecter par tous, et + surtout par les Allemands. + + M. le comte de Bulow n'a point encore cessé d'être l'objet des + soupçons et de la haine de la plupart des Français employés en + Westphalie. M. de Bercagny, quoique simple préfet de police de + Cassel, continue à travailler directement et fréquemment avec le + roi. Depuis que dans les départements les commissaires de police ont + été subordonnés aux préfets, la marche des affaires s'est évidemment + simplifiée et est devenue plus aisée. On n'entend parler ni de + désordres, ni de mauvaises dispositions. Il n'en paraît être resté + quelques traces que dans ce malheureux département de la Werra. M. + Delius, préfet d'Osnabruck, dont l'innocence a été pleinement + reconnue, a été renvoyé à son poste. + + M. le comte Jollivet annonce son départ pour le 1er avril. Depuis + quelque temps, il se montre peu, et l'on se montre peu chez lui. Les + dispositions du roi à son égard ne paraissent pas avoir changé. À la + première audience, après le retour du roi, après que Sa Majesté + m'eut dit un mot sur mon voyage de Hambourg, elle se tourna vers M. + Jollivet: «Et vous, Monsieur, dit-elle, pendant ce temps-là, vous + n'avez pas bougé!» On prétend, au reste, que l'affaire de l'huissier + surpris en fouillant les papiers du roi a été éclaircie, et que ce + n'est plus M. Jollivet qui est soupçonné, mais M. Bercagny. Il m'a + toujours paru qu'il ne pouvait pas y avoir la moindre raison de + soupçonner M. Jollivet[128].» + + [Note 128: Reinhard était dans l'erreur ou ne disait pas ce + qu'il pensait.] + + + BULLETIN. + + 12 février 1810. + + Depuis le retour du roi, il y a eu deux bals parés et deux bals + masqués à la cour, et un bal masqué chez M. le comte de + Furstenstein. Celui d'hier, qui s'est donné au palais, a été + extrêmement brillant. On avait répandu à tort qu'on n'y serait point + admis en domino; mais ce bruit s'étant accrédité, on a vu paraître + d'autant plus de masques de caractère. La cour a paru d'abord en jeu + de piquet, mascarade plus savante que spirituelle; mais bientôt de + ce pêle-mêle fantasque sortit une belle ordonnance de rivières et de + villes dansantes. Le roi de Trèfle se changea en rivière du Weser, + et les villes d'Hameln et de Hanovre vinrent fraterniser avec celles + de Brunswick et de Magdebourg. Une élite de dames de la cour, + changeant de masque une troisième fois, reparurent en Égyptiennes + pour former un quadrille avec le roi. Dans la foule, des chevaliers + teutoniques étaient en templiers, Mme Dumas en jardinière, M. Hugot + en paysan, M. de Bercagny en innocent; les membres des États en + dominos modestes formaient une espèce de parterre. Le jour de + l'ouverture des États et de la représentation de _Revanche_(?), le + roi se retira du bal vers minuit et alla passer la nuit à + Schoenfeld[129]. _On n'a pas remarqué qu'une dame de la cour se fût + absentée._ Hier matin, le roi a paru au cercle de la cour dans le + costume de l'ordre de la couronne de Westphalie. C'est un habit + français de couleur grise qui fait ressortir la couleur du ruban de + l'ordre, avec des brandebourgs et des broderies en argent. Les + décorations ne sont toujours pas encore arrivées de Paris. Un + chapitre de l'ordre est annoncé pour le 15. Au bal masqué que donna + M. de Furstenstein, M. Mollerus, chargé d'affaires de Hollande, + affecta de se faire passer pour le roi, et il y réussit assez. M. de + Norvins, tout fier d'être pris sous le bras par Sa Majesté, se + croyait déjà sûr pour le lendemain d'une place de ministre + plénipotentiaire. On dit que le roi a trouvé la conduite de M. + Mollerus impertinente. Pour M. de Norvins, il n'est pas même sur la + liste des chevaliers de l'ordre..... + + [Note 129: C'était une petite maison près Cassel.] + + Le ministre de Russie avec sa famille est parti aujourd'hui pour + Weimar où l'on célébrera dans quelques jours la naissance de la + Grande-Duchesse. Son absence sera de quinze jours. Le public de + Cassel, toujours bénévole, répandait, dès avant son départ, qu'il + partait en vertu d'une déclaration de guerre entre la France et la + Russie. M. de Rechberg, chargé d'affaires de Bavière à Berlin, nommé + ministre plénipotentiaire en Westphalie, est attendu ici d'un jour à + l'autre. + + Le prince Repnin donnait chez lui des assemblées deux fois par + semaine. Elles languissaient d'autant plus, que presque jamais on + n'y voyait paraître les dames de la cour. À cet égard, le prince + Repnin paraît avoir hérité du guignon de M. Lerchenfeld, et Sa + Majesté se plaît quelquefois à faire éprouver de pareilles + contrariétés. Dernièrement, ce fut le tour du ministre de France, + qui avait invité les ministres et plusieurs membres des États à un + dîner donné à l'occasion du retour du comte de Furstenstein. À cinq + heures, M. de Furstenstein et M. Siméon envoyèrent dire que le roi + les avait nommés pour aller dîner avec lui à Schoenfeld. + + Depuis le commencement de cette année s'est établi à Cassel un + casino où l'on se réunit pour la lecture de feuilles politiques et + littéraires de France et d'Allemagne. Toute la ville de Cassel y a + pris part. C'est le premier établissement de ce genre formé dans + cette capitale qui, sous le rapport de la civilisation littéraire, + si l'on peut s'exprimer ainsi, ne paraît pas appartenir au nord de + l'Allemagne. + + + BULLETIN. + + 23 février. + + Le bal masqué chez M. Siméon a surpassé les autres en élégance. La + cour y a paru en double mascarade, d'abord en _Mariage de Figaro_, + et après le souper en _Caravane du Caire_. Le roi, en costume de + Figaro, a dansé, au son des castagnettes, une danse espagnole avec + Mme de Boucheporn[130] et distribuait des fleurs. Le général + Hammerstein et la comtesse de Bochholz (ornée des diamants de la + reine) représentaient le comte et la comtesse Almaviva. Mme + Delaunay[131] a reçu du roi, dans cette occasion, un beau collier de + diamants: elle est heureuse de sa grossesse et de l'arrivée de son + mari. + + [Note 130: Très jolie personne, femme d'un préfet du palais.] + + [Note 131: Femme du général de Launay, fille de Siméon.] + + Dimanche prochain, nouveau bal masqué chez M. le comte de Bochholz. + Les membres des États, gravement assis, en dominos, ont l'air de + dresser actes de toutes ces merveilles pour en faire le récit après + le retour dans leurs foyers. (_Prælia conjugibus loquenda._) + + Dans le premier bal paré de la cour, qui eut lieu après le retour du + roi, on avait envoyé des billets d'invitation à quelques dames de la + ville, de réputation un peu équivoque. Le roi s'étant fait présenter + la liste ne voulut point qu'elles fussent admises. Il resta + inexorable, et les chambellans furent obligés d'avertir les dames en + question qu'il y avait une méprise dans l'envoi des billets. Mme + Delaunay, dans ses invitations, a été moins scrupuleuse. + + Un des frères de M. de Furstenstein, arrivé d'Amérique dans l'été + dernier, est reparti pour Amsterdam où il doit se rembarquer. Un + autre frère, qui est chambellan du roi, l'a accompagné. On suppose + que ce voyage de M. Lecamus concerne les anciennes relations du roi + avec Mlle Paterson[132]. + + [Note 132: C'était la vérité.] + + On parle d'un prochain voyage du roi pour Paris à l'occasion du + mariage de Sa Majesté l'Empereur. On prétend même que le jour en est + fixé au 18 mars. + + + BULLETIN. + + 9 mars 1810. + + Le mercredi des Cendres a commencé par un déjeuner splendide à la + cour, lequel a terminé à six heures du matin le bal masqué qui a + fait la clôture du carnaval. En remontant, il faudrait rendre compte + d'un bal masqué chez M. de Pappenheim, qui n'a pas eu lieu, parce + que la reine était incommodée; d'un bal masqué et paré chez M. le + général d'Albignac; d'un bal chez le ministre de Russie; d'un bal + masqué chez M. le comte de Bochholz. Il faudrait faire l'éloge d'un + quadrille chinois, d'un ballet des quatre parties du monde; d'un + superbe ballet, les Noces de Gamache, dans lesquels le roi et la + reine ont figuré. Il faudrait montrer la reine en vieille juive, en + sauvage américaine, en paysanne de la Forêt-Noire; le roi changeant + de dominos et de masques en véritable caméléon; les plus belles + dames de la cour déguisant leurs attraits sous l'accoutrement de + vieilles laides. Il faudrait faire mention de l'appétit merveilleux + des masques du Mardi-Gras et de la fureur avec laquelle ils ont + dévasté les buffets royaux; et en se réjouissant avec les marchands + qui ont vendu jusqu'à leurs fonds de boutique, il faudrait gémir en + même temps avec ceux qui, faisant leurs comptes en Carême, + s'aperçoivent avec effroi de ce que leur a coûté le carnaval. + + + REINHARD À CADORE. + + Cassel, 12 mars 1810. + + La députation hanovrienne ne sera présentée que demain. Tous ceux + qui la composent, et qu'on dit être au nombre de soixante, ne sont + pas encore arrivés. En conséquence, le roi ne partira + qu'après-demain. + + Aujourd'hui s'est faite par M. de Leist, et au nom du roi, la + clôture de la session des États. Le Code de procédure a été la + dernière loi qui leur a été proposée. + + Le cortège qui, cette fois, suivra Leurs Majestés à Paris est très + nombreux et très brillant. La reine n'avait emmené que Mmes de + Bochholz et de Loewenstein; hier sont parties Mmes de Keudelstein, + Morio et de Pappenheim; aujourd'hui Mme de Boucheporn. M. de + Marinville et le comte de Meerveldt ont déjà précédé le roi. + + Hier a eu lieu la distribution de l'ordre de Westphalie. Tout s'est + passé conformément au programme imprimé dans le _Moniteur + Westphalien_. Le roi a prononcé un petit discours plein de + convenance et de dignité. Celui de M. le comte de Furstenstein sera + probablement imprimé, et j'aurai l'honneur, Monseigneur, de vous + l'envoyer. Plus de cent chevaliers ont reçu la croix et prêté le + serment à genoux devant l'Évangile qui, à la vérité, n'était qu'un + missel catholique. C'était peut-être une supercherie de la part de + Mgr l'évêque de Wend, mais les protestants (et le plus grand nombre + des chevaliers était de cette confession) ne s'en sont pas + formalisés. + + +Dans une autre lettre au même personnage, du 28 avril, Reinhard +parle des abus commis par des officiers de la cour: + +Il existe ici, outre le beau parc de Napoléons-Hoehe, un parc plus +près de la ville qui, de tout temps, a été ouvert au public. Que la +reine ait fait entourer de barrières une partie de celui de +Napoléons-Hoehe et qu'elle l'ait réservé pour ses promenades +particulières, rien de plus naturel, et personne n'y a trouvé à +redire. Mais le parc, qui est au bas de la ville, est devenu presque +tout à fait inaccessible au public. Depuis quelque temps, les +voitures en sont totalement exclues; en été, il n'est ouvert que +pendant les heures les plus chaudes de la journée, et même alors +tous les sentiers en sont interdits. C'est que M. le grand veneur +veut protéger les couvées de perdrix. + +Un lièvre ne peut-il plus arriver au marché que muni d'un certificat +d'origine? C'est que M. le grand veneur veut procurer au roi +quelques écus de revenu sur les produits de la chasse. + +À quatre lieues de Cassel sont les bains d'Hof-Geismar, appartenant au +roi, assez fréquentés autrefois, et qui les jours de dimanche et de fête +servaient de lieu d'amusement à toute la population à la ronde. Il y +avait deux chambres de bain à bassins: c'étaient les deux plus +agréables; mais l'une d'elles a été couverte de planches parce que M. +l'intendant de la maison voulait y placer l'argenterie dont il n'y +existe pas encore une seule pièce. Un restaurateur à privilège exclusif +est allé s'y établir l'année dernière: il a rançonné cruellement tous +les étrangers. Après avoir fait déserter tout le monde, il a fini par +faire banqueroute. Son successeur, déjà banqueroutier, rançonnera, fera +déserter et finira de même. C'est que M. l'intendant de la maison veut +avoir la gloire d'en tirer un gros bail, sans compter peut-être le pot +de vin. Une troupe française et une troupe allemande jouaient +alternativement dans la même salle. La troupe allemande ne laissait pas +de faire des recettes, lorsque la troupe française allait jouer à +Napoléons-Hoehe. La troupe allemande a été renvoyée. Il n'y a plus de +bonne musique, mais il y a un mauvais ballet. Le parterre est désert et +le public est mécontent, mais toutes ces loges ont été prises par +abonnement, parce que le roi l'a désiré. On dit que le roi y dépense +400,000 francs et qu'ils ne couvrent pas les frais. Mais M. de Bruyère, +directeur du spectacle, avait trouvé que les Allemands, mauvais +observateurs des règles de l'unité, changeaient trop souvent de +décorations. + +La raideur des habitants de Cassel, leur peu d'empressement à +construire des maisons et leur avidité à hausser le prix des loyers +avaient déplu au roi. Pour les en punir, sur le conseil de M. le +général d'Albignac, on y a mis en garnison deux régiments, outre la +garde, qui est déjà assez nombreuse. Il en résulte que les habitants +sont écrasés et que les loyers ont renchéri. Cependant on a exempté +d'imposition et de logement de gens de guerre les maisons nouvelles +qui seraient bâties, et il est question de renvoyer les régiments. + +Les foires sont un élément assez important du commerce d'Allemagne. +Les époques où elles ont lieu dans les différentes villes sont +combinées. De Brunswick, les marchands vont à Cassel, de Cassel à +Francfort, de Francfort à Leipzig. Malgré l'absence de la cour, la +dernière foire de Cassel a été assez fréquentée et les marchands +n'ont pas été mécontents de leurs ventes. Mais ces marchands, malgré +le débit qu'ils ont trouvé, jurent de n'y point revenir. C'est que +tous leurs profits sont absorbés par les impôts, mis d'abord pour le +roi, ensuite pour la ville, enfin et surtout pour M. de Bercagny. + +M. de Bercagny ne néglige aucun petit profit. Tous les joueurs de +vielle, les aveugles, joueurs de violon sont obligés de lui payer +quatre sols par jour, et la musique des rues ne désempare pas. Les +meneurs d'ours et de singes sont de plus assujettis au droit de +patentes. Il y a eu dernièrement au conseil d'État une grave +discussion de plusieurs heures sur tous ces objets d'industrie. + +Un misérable pamphlet sur le duc d'OEls, écrit en style de gargotte, +est colporté par une vieille femme à Brunswick. Le général Bongars +en fait une conspiration: il en importune le roi jusque dans Paris +et provoque toute sa sévérité. Il arrache à la faiblesse de M. +Siméon un projet de décret sur les cartes de sûreté. + +Il s'agit de donner de la considération aux gendarmes. Un gendarme +abuse de son pouvoir à Goettingue: on lui sacrifie l'Université, et +quatre cents étudiants étrangers la quittent. Cependant, il y a peu +de jours, un gendarme passa la mesure à Marbourg. Il perce de son +sabre un conscrit qui fumait et qui n'avait pas obéi assez vite au +commandement d'ôter sa pipe. Il paraît qu'on a l'intention de faire +fusiller le meurtrier, mais il y a conflit de juridiction, et l'on +ne sait pas encore qui l'emportera de M. Siméon ou de M. le général +d'Albignac. On m'a dit que M. Siméon avait adressé dernièrement au +roi un rapport très véhément contre MM. d'Albignac et Bongars. C'est +peut-être un malheur que M. Siméon ait perdu beaucoup de sa +considération. Il paraît que son influence se trouvera à peu près +circonscrite dans les fonctions de son ministère. + +Le roi a écarté M. de Marinville de son cabinet. On dit qu'il a +trouvé des infidélités à lui reprocher. M. de Norvins a demandé et +obtenu son congé. C'est un homme d'esprit et de talent, mais d'une +vanité et d'une prétention excessives. On assure que dans cette +occasion le roi a énoncé une maxime qui me paraîtrait très +dangereuse. Il ne veut, dit-on, avancer que des Français qui, ne +tenant plus à la France par aucun lien, lui soient entièrement +attachés et ne puissent attendre leur fortune que de sa protection. +Ce serait vouloir n'attirer en Westphalie que des aventuriers, et +nous n'en manquerons point; c'est la maxime contraire qu'il serait à +désirer que le roi suivit. + +Ceux qui sont revenus de Paris, et quelques autres dont on annonce +le retour prochain, ne paraissent pas avoir été satisfaits de leur +voyage. On cite quelques mots de Sa Majesté Impériale sur le luxe +des habits, sur la rapidité des avancements. Ces mots ont retenti à +Cassel. Qui les aurait dits ici aurait été accusé de mécontentement +ou d'envie. Cependant, tous les Allemands aiment M. Siméon, tous les +Allemands regrettent amèrement la perte du général Éblé. Qu'ils +voient à côté du roi des Français dignes de l'estime et de la +confiance, et capables de quelque indulgence pour les habitudes +nationales, et ils les porteront aux nues. + +Je n'ai point encore parlé à Votre Excellence de M. Pichon. Il +s'occupe beaucoup de l'étude des finances du pays: il énonce +quelquefois au conseil d'État des idées saines et qui porteront +fruit. Mais il ne doit pas trop se presser; il a le désir du bien, +mais il est jeune, il est vif, quelquefois tranchant, et il manque +encore d'expérience. + + +On voit par le tableau tracé dans cette lettre que l'Empereur était +parfaitement au courant de ce qui se passait en Westphalie à tous +les points de vue. Le bulletin suivant du 19 mai 1810 est relatif +aux intrigues du trop célèbre marquis de Maubreuil avec la baronne +de Keudelstein. + + + Avant-hier, la poste de Cassel a distribué des lettres qu'on dit au + nombre de seize, timbrées de Paris et renfermant une _Épître à + Blanche_. Parmi les personnes qui ont reçu cet envoi se trouvent le + préfet de la police, Mme la comtesse de Furstenstein, le ministre de + France et son secrétaire de légation, Mme la comtesse de + Schoenbourg, amie de Blanche, enfin Blanche elle-même et son mari, + M. Laflèche, baron de Keudelstein, qui, heureusement, se trouvait en + voyage. + + Il est inutile de caractériser cette production qui se trouve jointe + à ce bulletin. Elle est calomnieuse en toute hypothèse et elle ne + peut inspirer que de l'indignation. + + Quant à l'auteur de ces envois, les soupçons ne peuvent se porter + que sur un M. de Maubreuil, amant de Blanche ou de Jenny, sa + belle-soeur, ou de toutes les deux. On prétend que l'auteur des + envois ne peut être celui des vers, puisque M. de Maubreuil n'en + fait point. On soupçonne un M. de Boynest, aide des cérémonies + renvoyé par le roi; mais on dit que s'il fait des vers il en fait de + plus mauvais que ceux de l'épître. On se souvient que M. de Norvins + en fait d'assez bons; mais on le croit trop homme de bien pour + prostituer son talent dans une pareille circonstance. «_L'indigne + amant de ta soeur_,» c'est M. de Courbon. Pendant le carnaval passé, + dans un des bals de la cour, lorsque tout le monde se fut à peu près + déjà retiré, M. de Maubreuil, qui était alors officier aux gardes, + fit une scène publique à M. de Courbon, en lui reprochant sa liaison + avec Mme Jenny Laflèche. Son emportement ayant passé toutes les + bornes de la décence, le colonel Laville, chargé de la police du + palais, le mit aux arrêts; le duel qui devait s'ensuivre fut empêché + par ordre supérieur, et M. de Maubreuil reçut pour voyager un congé + indéfini, équivalant à une démission. On prétend que ce M. de + Maubreuil qui, d'ailleurs, ne manque pas de courage, est un terrible + amant, et qu'il avait pour coutume de s'introduire le sabre en main + chez quiconque osait adresser la parole aux dames qui étaient ou + qu'il lui prenait fantaisie de déclarer ses maîtresses. + + Le prince Repnin avait fait venir de Iéna le docteur Starke, pour + accoucher sa femme. En arrivant, il trouva d'abord à accoucher Mlle + Delaitre, actrice du théâtre westphalien. Il se trouva ensuite + pressé de partir pour accoucher Mlle Jægermann, actrice du théâtre + de Weimar. On prétend que les deux petits princes des deux actrices + sont d'une plus noble extraction que le petit prince russe. + + Mme Blanche ne sort point depuis qu'elle est revenue de Paris. Elle + avait annoncé qu'elle resterait chez elle pendant deux mois. _Et + c'était avant la lettre!_ + + +Dans une autre lettre au duc de Cadore, du 26 mai, Reinhard revient +sur la pénurie des finances westphaliennes. «La dette publique de la +Westphalie, écrit-il, sans y comprendre celle du Hanovre, monte, +telle qu'elle est à peu près constatée, à 93 millions; celle du +Hanovre, les répétitions à faire au nom de S. M. l'Empereur, la +feront monter à 180 au moins; et, le Hanovre compris, les revenus du +royaume de Westphalie ne pourront jamais être portés beaucoup au +delà de 40 millions.» Et il ajoute: + + + Sans parler de ce que, dans les circonstances actuelles, tant de + sources de profits et de revenus sont obstruées, l'État, toujours + pressé par des besoins impérieux, ne peut rien faire pour soulager + ceux qu'il voit dans la détresse; il est même obligé de revenir sur + des soulagements qu'il avait annoncés, et toute sa ressource est + dans les efforts qu'il fait pour répartir également le fardeau. + C'est ainsi qu'après avoir reconnu qu'il valait infiniment mieux + payer par abonnement les frais de table des officiers; après avoir + assigné 1,200 francs par mois au général de division, 700 au général + de brigade, 60 au capitaine et 50 au lieutenant, on a réparti sur la + totalité du département de l'Elbe des dépenses qui, pour la seule + ville de Magdebourg où trois cents maisons restent désertes, montent + par mois à 22,000 francs. On sera obligé d'employer le même + expédient à Brunswick, où le préfet a déclaré que les frais de + logement et d'entretien des gens de guerre amèneraient + l'impossibilité absolue de payer les impôts ordinaires. C'est ainsi + qu'après un décret royal qui proclame une amnistie pour les + conscrits réfractaires dont le nombre avait été très grand pendant + les troubles de l'année passée, le général d'Albignac, annonçant + aujourd'hui que cette amnistie s'applique aux peines et ne s'étend + pas aux amendes, exige de ceux mêmes qui sont rentrés sous les + drapeaux ces amendes qui, pour les seuls districts de la Fulde et de + Paderborn, montent à la somme de 323,000 francs. Encore ces amendes + sont-elles exigées d'après l'ancien tarif qui en fixait le minimum à + 250 francs, tandis que le nouveau tarif l'a fixé à 100, après qu'on + eût reconnu l'impossibilité de faire payer une plus forte somme à + des paysans pauvres et ruinés. + + +Reinhard termine cette lettre en rappelant les éloges que certaines +feuilles publiques «et surtout les gazettes littéraires de +Goettingue et de Halle très répandues en Allemagne» donnaient au roi +pour tout le bien qu'il avait fait à ces universités: + + + Leist me disait dernièrement: «C'est par l'université de Goettingue + et par l'éclat qu'ils lui ont donné, que Georges II et son ministre, + M. de Münchhausen, ont acquis l'estime dont ils jouissaient auprès + de leurs contemporains et qui a été transmise à la postérité.» Pour + ce qui concerne M. de Münchhausen, l'établissement de l'université + de Goettingue faisait l'occupation de sa vie entière; pour Georges + II, les contemporains et la postérité l'ont sans doute jugé d'après + d'autres données encore; mais il n'en est pas moins vrai que ce que + le Roi a fait pour Goettingue remplit une des pages les plus + honorables et les plus ineffaçables de son histoire. + + +Une lettre au duc de Cadore du 4 juin donne des détails sur la +répugnance des Hanovriens à fournir des soldats au roi de +Westphalie. Reinhard pense qu'il «faudra user de quelques +précautions pour amener à se soumettre une population qui s'obstine +à ne point renoncer à l'espérance de rentrer sous la domination +anglaise.» Il annonce, d'après le nº 66 du _Moniteur Westphalien_, +une nouvelle vente de 6 couvents dont la valeur était estimée à +2,200,000 francs. «Après les couvents viendra le tour des chapitres; +en attendant, ce sont les capitaux qui s'en vont, et la caisse des +économats restera bientôt à sec.» + +Le 12 juin, il revient sur cette grave question des finances +westphaliennes: + + + Un décret royal daté de Rouen[133] met à la disposition du ministre + des finances une somme de 250,000 fr. à prendre sur le produit de la + vente prochaine des couvents et à négocier en attendant à un demi + pour cent par mois et à un pour cent de commission pour servir à + l'indemnité des donataires impériaux dépossédés auxquels s'applique + l'article 5 du traité du 14 janvier. L'emploi de cette somme ne peut + avoir pour objet que de leur payer les revenus arriérés; et cette + disposition ne saurait être regardée comme un arrangement définitif. + Du reste, M. de Bulow exprime dans ses dernières lettres son regret + extrême d'avoir échoué dans l'ensemble de son projet concernant + l'acquisition des domaines impériaux. Mais il lui reste toujours la + ressource d'allécher les grands donataires par sa fidélité à + s'acquitter de ses engagements envers ceux de 4,000 fr. et + au-dessous; et, sous ce rapport, le refus de céder à la Westphalie + la totalité des domaines me paraît être un bienfait pour les + possesseurs des petites donations. + + [Note 133: Jérôme et la reine se trouvaient alors en France.] + + +Le lendemain, il revenait sur le même sujet: + + + Je viens de recevoir la visite de M. Malchus et je lui fais une + amende honorable. Nous avons causé longtemps ensemble et j'en ai été + fort content. + + Il m'a d'abord donné des éclaircissements satisfaisants sur tous les + objets de réclamation relatifs à son administration. Le solde de ce + qui nous revenait sur les postes et sur les douanes a été + entièrement réglé et acquitté, sans même que l'administration + française ait eu besoin de faire usage de la lettre que je lui avais + écrite. Il m'a expliqué ce qui pouvait avoir donné lieu aux + prétentions des fermiers dont parlait votre lettre du 8 mai. Pour + les charges extraordinaires de guerre les fermiers avaient été + imposés à un tiers et les propriétaires à deux tiers. Après la prise + de possession du Hanovre le gouvernement westphalien déchargea les + domaines et laissa à la charge des fermiers le tiers, comme un impôt + personnel qui ne peut ni ne doit être à celle des donataires. Quant + aux fonds destinés à l'entretien des troupes françaises, cet objet + aussi, d'après l'attestation même de M. le général Brugères, paraît, + pour le moment, entièrement en règle. + + M. Malchus m'a entretenu de l'état du pays et de l'esprit de ses + habitants. Il croit entrevoir encore des ressources qui ne + permettent pas de désespérer de son rétablissement. L'esprit de la + noblesse et des classes qui tenaient immédiatement à elle par un + intérêt commun lui paraît incorrigible; en effet ce sont des + souverains détrônés. + + De deux projets de division territoriale que M. Malchus avait + envoyés au Roi, S. M. a approuvé celui que M. Malchus préférait + lui-même, et il croit que cette approbation a été donnée sous les + auspices de S. M. Imp. On a essayé de lever par enrôlement + volontaire les deux régiments de cavalerie que M. le général + Hammerstein est chargé d'organiser dans le Hanovre; mais on doute + que ce mode réussisse; et il faudra plus tard avoir recours à la + conscription. + + +La lettre suivante, du 9 juillet, est relative à l'abdication du roi +Louis de Hollande: + + + La nouvelle de l'abdication de Sa Majesté le Roi de Hollande m'a été + donnée par le ministre de Russie dont le collègue à Amsterdam avait + chargé d'une lettre pour le Prince Repnin le courrier qu'il + expédiait pour Saint-Pétersbourg. La veille, M. de Bercagny était + venu m'en parler comme d'un bruit qui se répandait, et plutôt pour + sonder la légation française, si elle en était déjà instruite, que + pour lui communiquer franchement les circonstances de cet événement + qui était déjà parvenu à sa connaissance. + + En effet, M. de Gilsa, ministre de Westphalie en Hollande, avait + envoyé M. de Trott, son secrétaire de légation, chargé de ses + dépêches et porteur des proclamations qui ont été publiées dans + cette circonstance. M. Hugot l'avait sur-le-champ envoyé au-devant + du Roi; mais M. de Trott lui avait raconté le fait. J'ai été, je + l'avoue, peiné de cette réserve mal entendue qui m'exposait à + apprendre un événement de cette nature par le canal du ministre de + Russie qui, au reste, lui-même ne paraît l'avoir appris que par + quelques lignes écrites à la hâte et ne renfermant aucun détail. + + Il paraît que Sa Majesté Westphalienne avait fait préparer, il y a + déjà quelque temps, un appartement aux bains de Neudorf, pour le Roi + de Hollande. Quoiqu'on soit convaincu ici que le projet de se rendre + aux bains de Neudorf n'avait rien de commun avec la résolution que + Sa Majesté Hollandaise a prise depuis, on croit cependant à la + possibilité de son exécution. On parle d'une visite que Madame mère + se propose de faire à son fils à Cassel. Les gens sensés voient avec + douleur que des conseils maladroits ou perfides aient empêché le Roi + de Hollande de concilier avec Sa Majesté Impériale le désir qu'il + avait de faire le bien de son royaume; ils regardent comme un grande + erreur de l'esprit la prétention de vouloir s'isoler dans une lutte + générale; ils pensent que dans un vaste plan de campagne, chacun + doit garder le poste qui lui est assigné; que s'écarter des idées + directrices, c'est compromettre le succès de l'ensemble; et que le + pouvoir qui méconnaîtrait sa source serait un effet qui ne voudrait + pas dépendre de sa cause. M, de Trott inculpe les conseils de MM. + Mollerus et Huygens. Ce dernier est un esprit étroit qui, se noyant + dans de petits détails, est peu capable de s'élever à des idées + générales. J'avoue que je le croyais peu susceptible de prédilection + pour un système quelconque, et encore moins la présomption téméraire + d'influer sur une détermination importante. + + +La lettre suivante, du 13 juillet, se rapporte au même objet: + + + Je venais d'achever ma dépêche que je me proposais de faire partir + aujourd'hui par le courrier ordinaire, lorsque le Roi m'a envoyé M. + le baron de Boucheporn, maréchal de sa cour, pour m'inviter à me + rendre au nouveau bâtiment des écuries où je rencontrai Sa Majesté + qui désirait de me parler. M. de Boucheporn revenait d'Amsterdam par + Deventer et Osnabruck; il venait de descendre de voiture et de + rendre compte au Roi de son voyage. + + Sa Majesté, m'ayant aperçu, me fit l'honneur de m'appeler, et me + permettant de l'accompagner dans sa promenade, me dit qu'Elle avait + envoyé M. de Boucheporn d'Aix-la-Chapelle à Amsterdam, pour porter + au Roi, son frère, une lettre contenant une commission que Sa + Majesté l'Empereur lui avait donnée, et dont il était inutile de me + parler, puisqu'Elle avait déjà envoyé la copie de cette lettre à Sa + Majesté Impériale; que M. de Boucheporn avait trouvé le Roi parti, + et qu'il était parti lui-même d'Amsterdam après le retour de M. le + colonel Richerg que le Roi son frère avait envoyé à l'Empereur pour + lui donner connaissance de son abdication; qu'en route il avait eu + des nouvelles du voyage du Roi à Deventer et à Osnabruck, d'où il + s'était rendu directement à Cassel, et que tous les renseignements + qu'il avait recueillis semblaient indiquer que le Roi de Hollande + s'était embarqué. + + M. de Boucheporn a raconté à Sa Majesté les détails suivants: le Roi + avait fait jusqu'à onze heures du soir une partie de jeu avec + quelques dames, parmi lesquelles était madame de Huygens: en se + levant il leur avait dit adieu avec une expression qui ne les a + frappées qu'après l'événement. Après avoir embrassé son fils, il + monta dans une voiture de place, pour se rendre à Amsterdam. Arrivé + à son palais, il fit le triage de ses papiers; il en brûla beaucoup, + il en emporta d'autres; il emporta aussi ses ordres, excepté celui + de France, et il écrivit sa démission de la dignité de connétable. + Personne (c'est du moins ce dont M. de Huygens a chargé M. de + Boucheporn d'assurer Sa Majesté) n'avait été mis dans le secret. Le + Roi doute même si M. Mollerus, qui est ici, a pu être instruit de + quelque chose par son père. + + À Osnabruck, la trace du voyage ultérieur semble se perdre. Le Roi a + envoyé un courrier à Neudorf pour s'assurer positivement si son + frère est arrivé; mais il lui paraît impossible que, si cela était, + on eût ignoré à Cassel un fait qui ne pouvait plus être caché depuis + que l'officier qui courait après avait publié que le comte de + Saint-Leu, c'était le Roi de Hollande. + + Sa Majesté ne m'a point dit sur quels renseignements se fonde la + crainte où elle paraît être que son frère ne se soit embarqué. + Lorsque M. Boucheporn passa par Osnabruck, on devait y savoir déjà, + par le retour des postillons, si la direction que la voiture a prise + la rapprochait ou l'éloignait des bords de la mer. Je dois ajouter + que le Roi m'a nommé Batavia et qu'il a paru se rappeler que les + pensées de son frère se portaient quelquefois vers cette colonie + éloignée. + + Voilà, Monseigneur, les notions que Sa Majesté m'a commandé de + transmettre à Votre Excellence. Elle se propose d'adresser, demain + ou après-demain, un courrier à Sa Majesté Imp. Ce courrier suivra de + près le mien, et portera la confirmation entière de ce qui ne paraît + déjà guère douteux, que Sa Majesté Hollandaise ne s'est point rendue + à Neudorf. + + +En apprenant le départ du roi de Hollande et en recevant copie de la +lettre que son frère Jérôme lui avait adressée, Napoléon écrivit à +ce dernier le 13 juillet, de Rambouillet, la lettre suivante, omise +aux _Mémoires de Jérôme_ et à la _Correspondance_ de l'Empereur: + + + Mon frère, j'ai reçu votre courrier. Je vous remercie des + communications que vous me faites. Votre lettre au Roi de Hollande + est fort, bien, et vous avez bien exprimé ma pensée. Je ne crains + qu'une chose pour le Roi; c'est que tout cela ne le fasse passer + pour fou, et il y a dans sa conduite une teinte de folie. Si vous + apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à + revenir à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre + la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait + entrevoir d'Amsterdam que le Roi pourrait se rendre en Amérique, et + qu'il s'est procuré à cet effet un passeport par un officier qu'il + aurait envoyé à Londres. S'il vous est possible de vous opposer à ce + projet insensé, même par la force, faites-le. J'ai envoyé Lauriston + prendre le grand duc de Berg à Amsterdam pour le ramener à Paris. + + _P. S._ La famille avait besoin de beaucoup de sagesse et de bonne + conduite. Tout cela ne donnera pas d'elle une bonne opinion en + Europe. Heureusement que j'ai tout lieu de penser que l'Impératrice + est grosse. + + +N'osant pas recevoir dans ses États le Roi Louis, sans en avoir reçu +l'autorisation de Napoléon, Jérôme écrivit à ce dernier de +Napoléonshoehe, le 28 juillet 1810: + + + Sire, j'ai reçu hier soir les premières nouvelles du roi de Hollande + contenues dans deux lettres, l'une du 16 et l'autre du 21 juillet. + + Dans la première, il me dit que non seulement son intention n'a pas + été en abdiquant de se soustraire à l'autorité de Votre Majesté, + mais au contraire qu'il désire savoir si vous lui permettez d'aller + vivre en particulier à Saint-Leu. Je prie Votre Majesté de me faire + connaître ses intentions afin que je puisse lui répondre à ce sujet. + + Dans la seconde, il m'exprime le désir de vendre pour cinq cent + mille francs de diamants qu'il possède, ce qui prouve qu'il est loin + d'avoir emporté beaucoup d'argent. Comme il m'est impossible de + disposer d'une pareille somme, je ne pourrai que lui répondre + négativement. + + Dans le cas où Votre Majesté trouverait convenable qu'il retournât à + Saint-Leu, après la saison des eaux, approuvera-t-elle que je + l'engagea passer par Cassel? + + Je compte partir dans trois jours avec la reine pour Hanovre où + j'espère recevoir la réponse de Votre Majesté. + + +Jérôme partit le 31 juillet de Cassel pour se rendre à Hanovre et +visiter les nouvelles provinces annexées à son royaume. D'après une +lettre de Reinhard, du 3 août, il paraît y avoir reçu un bon +accueil. Il célébra la fête de l'empereur à Hanovre même, et le +lendemain le roi écrivait à son frère: + + + Sire, je suis arrivé avant-hier à Hanovre de mon retour des côtes; + le pays que j'ai parcouru est susceptible de grands accroissements + sous le rapport du commerce; un canal pour joindre l'Elbe et le + Weser pourra être commencé et fini dans trois années. La position de + mes États me rend entièrement maître du commerce de ces deux + fleuves, et l'Oste et la Gueste peuvent, avec quelques travaux, + recevoir et abriter même pendant l'hiver des bâtiments de cinq cents + tonneaux et des frégates. La position de Cuxhaven permet d'en faire + un port très essentiel, surtout pendant l'hiver; il peut avec + quelques dépenses offrir un refuge à une frégate, mais j'observe à + Votre Majesté qu'il faut une année de travail. + + J'ai passé en revue à Wenden les 2e et 9e de cuirassiers, à + Lunebourg le 3e et à Hanovre le 12e. Il est impossible, Sire, de + trouver une division mieux tenue pour les hommes ainsi que pour les + chevaux. J'ai été reçu par ces braves gens avec enthousiasme. Je les + ai fait manoeuvrer. + + J'ai également passé la revue d'une de mes brigades d'infanterie; + elle était forte de 4,500 hommes. Ils se conduisent très bien et + sont tous fiers de se trouver les compagnons des Français, avec + lesquels ils vivent en frères. Le service, d'après le rapport du + général Morand, se fait avec exactitude et aucun homme ne déserte. + + Je ne puis assez supplier Votre Majesté de diminuer les troupes + françaises. Je sais bien, Sire, qu'il est de toute justice que ces + troupes soient dans mes États puisque c'est la teneur du traité, + aussi ce n'est que comme une faveur que je fais cette demande à + Votre Majesté, et surtout d'après l'état d'épuisement où je vois le + pays. + + Je prie Votre Majesté d'agréer avec bonté l'expression de mon tendre + et inviolable attachement. + + +Les trois lettres suivantes, des 24, 28 et 30 septembre, mentionnent +la démission du général d'Albignac, ministre de la guerre, qui +venait, quelques mois auparavant, de remplacer le général Eblé. +Cette démission, offerte avec l'espoir qu'elle serait refusée, fut +acceptée sur-le-champ, et le général Salha nommé à la place +d'Albignac. Reinhard trace le portrait suivant du nouveau ministre: + + + Cassel, le 30 septembre 1810. + + Il me paraît certain que parmi les Français qui sont à son service + en Westphalie, le Roi n'aurait pas pu faire un meilleur choix que + celui de M. le général Salha. C'est un homme d'un jugement mûr et + solide, d'un caractère ferme, et qui se distinguait à la cour par la + dignité de sa conduite. Il y paraissait plus estimé qu'aimé, + quoiqu'il porte dans sa physionomie et dans ses yeux quelque chose + qui invite à l'attachement. Pour ce qui concerne ses talents + administratifs, il faut l'attendre à l'épreuve. Il y a peu de temps + qu'ayant fait l'acquisition de la terre de Hoene, le Roi lui accorda + des lettres patentes de comte. + + +Le nouveau ministre de la guerre allait, comme tous ses +prédécesseurs, se trouver en face d'une situation financière fort +compromise. Le même jour, 2 octobre, Champagny écrivait à ce propos +à Reinhard deux lettres fort pressantes; il réclamait surtout +impérieusement le paiement de l'arriéré de solde dû aux troupes +françaises que la Westphalie devait entretenir. Reinhard s'empressa +d'aller trouver les ministres, et, dans une dépêche du 8 octobre, il +rend compte au duc de Cadore de son entrevue avec eux: + + + Je leur ai dit que toute réponse autre que celle qui énoncerait les + mesures prises pour acquitter sur-le-champ les sommes qui restent + dues serait un _non_. Ils m'ont assuré que sur le budget de 747,000 + francs par mois, pour l'entretien des troupes françaises, 600,000 + francs avaient constamment été payés: qu'ainsi l'arriéré pour six + mois n'allait pas à un million. Cependant il résulte du tableau + ci-joint des dépenses faites pour le ministère de la guerre sous + l'administration du général d'Albignac que pendant ces six mois, sur + 5,231,044 francs qui auraient dû être payés, il n'a été payé que + 3,617,409 francs. Ce qui laisserait un déficit de 1,613,687 francs. + + Votre Excellence me rend la justice de croire que je n'ai rien + négligé pour obtenir que cet objet fût mis entièrement en règle. + Aussi en sentais-je toute l'importance. La réception de vos lettres, + aussi pressantes que multipliées, a été suivie immédiatement de la + transmission par écrit de vos réclamations au ministre des relations + extérieures, et quelquefois en même temps au ministre de la guerre + directement. En outre j'ai saisi toutes les autres occasions qui se + présentaient pour entretenir de vive voix et ces deux ministres et + celui des finances. M. le général d'Albignac me disait encore en + partant que c'était sur ce budget de 747,000 francs, si le ministre + des finances l'avait payé en entier, qu'il avait espéré de faire des + économies pour payer 100,000 fr. d'à-compte pour la solde arriérée + des troupes westphaliennes en Espagne; comment se ferait-il donc, + s'il était vrai qu'on eût payé sur ce budget 600,000 francs par + mois, que la solde des troupes françaises en Westphalie soit + arriérée de près de quatre mois? Mais la preuve qu'on n'a payé + qu'environ 517,000 francs par mois est dans le tableau des dépenses + du général d'Albignac. + + _À dix heures du soir_, M. le comte de Bulow s'était fait annoncer + chez ma femme, sans doute pour être présent lorsque la réponse du + gouvernement westphalien me serait apportée. Je l'ai reçue. J'ai + conduit M. de Bulow dans mon cabinet, et je l'ai lue devant et avec + lui. M. de Bulow m'a dit qu'il ne doutait pas que Sa Majesté + Impériale y verrait la bonne volonté du Roi; que faire quelque chose + au-delà était absolument impossible; que ce qu'on promettait de + faire était d'une difficulté extrême; mais qu'il en avait calculé la + possibilité et qu'il en répondait. J'ai dit à M. de Bulow que + j'allais la transmettre telle que je la recevais, et qu'il dépendait + de Sa Majesté Imp. de décider si elle renfermait un _oui_ ou un + _non_. + + «Mais comment, a dit M. de Bulow, nous payons et nous payons tout, + et Sa Majesté Impériale ne nous demande que cela.»--«Elle vous + demande de payer sur-le-champ le mois tout en entier, tous les mois + suivants en entier.»--«Mais payer sur-le-champ l'arriéré serait + impossible, sans faire manquer les services suivants et encourir de + nouveau le mécontentement de l'Empereur.»--«Puisqu'il ne s'agit que + d'un million, pourquoi ne l'empruntez-vous pas, et même + provisoirement sur les budgets des ministères?»--«Nous ne pouvons + pas emprunter, personne ne veut nous prêter; et emprunter sur les + budgets des ministres ce serait désorganiser tous les + services.»--«Sa Majesté l'Empereur vous a fait déclarer, dès le mois + d'avril, que le trésor public de France ne ferait aucune avance pour + cette dépense. En laissant en arrière un million ce serait donc le + trésor public de France qui serait obligé de faire l'avance. + Croyez-vous que Sa Majesté Impériale reviendra sur une détermination + qu'Elle a prise?»--«Le trésor de France n'aura besoin de faire + aucune avance. Les troupes ont reçu la moitié de leur solde échue. + Elles vont recevoir la solde entière des mois suivants: elles sont + logées, nourries, habillées; un arriéré de la solde de six mois et + plus est presque d'usage, même en France. Je vous proteste que les + troupes sont et seront contentes.»--«Enfin, M. le comte, c'est à Sa + Majesté Impériale à prononcer. Mais en toute hypothèse, gare + l'inexactitude à remplir les engagements solennels que vous + contractez pour l'avenir!» + + Je n'ai rien à ajouter, Monseigneur, pour l'engagement de payer + cette dette, sans objection, sans réserve, le oui est positif; mais + c'est un million qui reste en arrière. + + +Cependant un autre désastre menaçait le royaume de Westphalie. +L'empereur ayant échoué dans toutes ses intentions de paix avec +l'Angleterre revint résolu de ne s'en rapporter qu'à sa puissance +pour la stricte observation du blocus continental, cette mesure +pouvant, d'après lui, amener la Grande-Bretagne à merci. Il décida +donc qu'il annexerait à la France non seulement la Hollande, mais +aussi les embouchures des principales rivières du Nord, la majeure +partie du Hanovre et un peu de la Westphalie, en donnant à son frère +de ridicules compensations territoriales. + +Le duc de Cadore lui remit le 11 octobre 1810 une note qui se trouve +_in extenso_ à la page 491 du 4e volume des _Mémoires de Jérôme_; et +quelques jours plus tard, le 25 octobre 1810, après avoir reçu les +ordres de l'empereur, il fit tenir au ministre du roi de Westphalie +à Paris la note suivante dont il envoya le même jour une copie à +Reinhard avec la courte lettre qui la précède: + + + J'adresse aujourd'hui à M. le comte de Wintzingerode, par ordre + exprès de Sa Majesté, la lettre dont je joins ici copie. + + Vous direz à M. le comte de Furstenstein qu'il recevra par le + Ministre du Roi à Paris la réponse à la note qu'il vous avait + remise. Vous ne lui cacherez point que vous en avez connaissance; et + si elle ne lui était pas encore parvenue, vous lui feriez lire la + lettre que j'ai l'honneur de vous adresser et qui est cette réponse. + + Vous répéterez à M. le comte de Furstenstein ce que j'ai écrit à M. + de Wintzingerode, que le Roi peut toujours continuer d'administrer + le Hanovre; mais que l'Empereur ne se tient plus pour engagé[134]. + + [Note 134: C'est-à-dire que l'empereur laissait purement et + simplement les charges à la Westphalie.] + + +Note à M. le Comte de Wintzingerode, ministre de Sa Majesté le roi +de Westphalie. Cette note a été soumise à l'approbation de +l'empereur; la dernière phrase soulignée est de la main de Sa +Majesté. + + + Je me suis empressé de porter à la connaissance de Sa Majesté + l'Empereur et Roi la note en date du 6 de ce mois par laquelle + Votre Excellence demande au nom de sa cour que l'acte dressé le 11 + mars pour la remise du Hanovre soit approuvé et confirmé par Sa + Majesté Impériale et Royale. + + Deux articles de cet acte, l'un relatif à l'entretien des troupes + françaises en Westphalie, l'autre concernant les domaines réservés + dans le Hanovre et les revenus de ces domaines, ayant été rédigés de + manière à paraître susceptibles d'une interprétation abusive et + totalement contraire à l'esprit du traité de Paris, Sa Majesté + voulut être rassurée par des déclarations positives et précises + faites au nom du Roi, déclarations que je fus chargé de demander et + qui furent aussi demandées par le ministre de Sa Majesté à Cassel. + + Sur le premier objet, la déclaration du gouvernement westphalien ne + laissa rien à désirer. + + Mais relativement aux domaines, au lieu de déclarer «que leurs + revenus devant, pendant l'espace de dix années, à compter du jour de + la remise du Hanovre, rester identiquement les mêmes, aucune loi + générale ou particulière du royaume de Westphalie, aucun acte du + gouvernement westphalien dont l'effet serait de changer la nature + des dotations ou d'en diminuer et réduire les revenus, ne pourraient + leur être, et ne leur seraient, dans aucun cas, et sous aucun + prétexte, appliqués avant l'expiration de ces dix ans,» le ministère + westphalien ne s'est exprimé que d'une manière indirecte, en termes + vagues et plus propres à confirmer qu'à détruire les craintes que + l'article de l'acte de remise avait inspirées; et toutes les + instances du ministre de France à Cassel n'ont pu en obtenir une + déclaration plus franche et plus conforme à la juste attente de Sa + Majesté l'Empereur et Roi. + + Pendant que le gouvernement westphalien semblait ainsi vouloir se + ménager les moyens d'éluder un de ses principaux engagements, un + autre plus essentiel encore n'était pas exécuté. + + La solde et les masses des troupes françaises en Westphalie + n'étaient pas acquittées. Des réclamations multipliées et presque + journalières lui ont été adressées et l'ont été sans fruit. Loin de + satisfaire à un engagement qu'il devait regarder comme doublement + sacré, il n'en promet pas même l'accomplissement. Il n'annonce que + l'impuissance absolue où il dit être de le remplir. + + Par l'effet de ces deux circonstances, Sa Majesté l'Empereur et Roi, + loin de pouvoir approuver et confirmer l'acte de remise du Hanovre, + se voit à regret dans la nécessité, non de reprendre et de retirer + au Roi l'administration du Hanovre, mais de regarder le traité si + avantageux pour la Westphalie, par lequel il lui avait donné ce + pays, comme rompu par le fait de la Westphalie elle-même; et _en + conséquence se croit en droit de disposer à l'avenir du Hanovre + comme le voudrait la politique de la France_. + + +En lisant cette note comminatoire, le roi Jérôme comprit les +intentions de son frère. Toutefois, il donna des ordres à ses +ministres, surtout au comte de Fürstenstein, pour que l'on rassurât +Reinhard. Ce dernier écrivit le 1er novembre au duc de Cadore: + + + Sur l'article de l'identité des revenus des domaines hanovriens + pendant dix ans, M. de Furstenstein a protesté que jamais + l'intention du gouvernement westphalien n'avait été de tergiverser + ou d'éluder; et que la preuve qu'on avait attaché aux termes de sa + note du 29 juillet le même sens que je leur avais supposé dans ma + note du même jour, était qu'on n'avait pas contredit la mienne. Il a + ajouté que sans doute la lettre de Votre Excellence au comte de + Wintzingerode affligerait beaucoup le Roi; mais Sa Majesté Impériale + le trouverait toujours soumis à ses volontés. + + Dans la même conférence, j'ai fait connaître à M. de Furstenstein + les intentions de Sa Majesté l'Empereur concernant le titre de + colonel-général de la garde westphalienne. Ce ministre m'a répondu + qu'en effet il se rappelait que déjà, il y a quatorze ou quinze + mois, le Roi en avait eu des indications et qu'il était convaincu + que Sa Majesté se conformerait entièrement à cet égard à la manière + de voir de Sa Majesté Impériale. + + M. de Furstenstein m'a cité aussi quelques traits d'une conversation + que vous eûtes, Monseigneur, avec M. le Comte de Wintzingerode et où + vous parliez de différentes dépenses du Roi qui paraissent avoir été + remarquées comme inutiles ou excessives par Sa Majesté l'Empereur. + On a reproché au Roi, m'a dit ce ministre, d'avoir fait restaurer + son palais et de vouloir bâtir une ville. Il s'agit d'une rue + nouvelle de vingt maisons dont la liste civile ferait les + avances.--Les dépenses, quelles qu'elles soient, a continué M. de + Furstenstein, concernent uniquement la liste civile, et sont par + conséquent étrangères aux engagements contractés par le trésor + public du royaume. Cela est vrai, Monseigneur, cependant la remarque + faite par Sa Majesté Impériale ne porte point à faux, puisqu'un peu + plus d'économie dans les dépenses de la liste civile, soit celles + que Votre Excellence a citées, soit d'autres, aurait dispensé de la + nécessité de songer à aliéner une somme de 2,500,000 francs de + capitaux, pour payer des dettes urgentes. + + J'ai revu hier au soir M. le comte de Furstenstein. Il m'a dit que + le Roi avait reçu ma communication avec une résignation entière; et + que Sa Majesté répondait directement à Sa Majesté Impériale[135]; + qu'à cet effet il expédierait aujourd'hui un courrier dont il m'a + invité à profiter. + + [Note 135: Lettre du 30 octobre. _Mémoires de Jérôme_, vol. + IV, p. 497.] + + +Cependant malgré la détresse des finances, malgré les charges +nouvelles que les envahissements de l'empire français allaient faire +peser sur le nouveau royaume, on songeait à y faire de grosses +dépenses militaires: le roi, frappé des travaux défensifs accomplis +à Anvers, voulait mettre Cassel, sa capitale, à l'abri d'un coup de +main en l'entourant de murailles et de larges fossés, qui +serviraient en même temps comme de réservoir pour recevoir le trop +plein des eaux de la Fulda. Il avait commencé à grands frais la +formation d'un camp de troupes westphaliennes. Ce dernier projet +surtout irrita l'empereur, et l'on dut se hâter d'annoncer au +_Moniteur Westphalien_ que le camp était dissous. En annonçant ce +résultat au ministre (13 octobre), Reinhard revenait sur l'entretien +des troupes françaises en Westphalie stipulé par le traité du 14 +janvier, mais que le gouvernement du roi Jérôme se déclarait +incapable d'assurer pour l'année 1811. + + + Il est à remarquer que l'engagement contracté par ce traité comprend + tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la paix maritime, et qu'ainsi + c'est mal à propos qu'on affecte de mettre en question si + l'intention de Sa Majesté Impériale sera de faire séjourner ses + troupes en Westphalie au-delà de l'année courante: quoi qu'il en + soit, le Conseil des Ministres avait proposé une rédaction qui + déclarait d'une manière bien plus positive encore cette + impossibilité vraie ou prétendue; mais le Roi s'y est opposé. Ce + qui, m'a dit M. de Furstenstein, augmentera encore les embarras, + c'est qu'en Hanovre on pouvait entretenir les troupes françaises du + produit d'une contribution de guerre que le Roi a laissée subsister + pour l'année courante, mais qu'il faudra nécessairement faire cesser + pour l'année prochaine. Aussi ceux des ministres qui, dans le temps, + avaient conseillé au Roi de ne point accepter le pays d'Hanovre aux + conditions proposées, prétendent aujourd'hui que tous les embarras + de la Westphalie viennent de cette réunion, et M. de Furstenstein + m'a dit lui-même que, quelqu'avantageuse qu'il la crût sous le + rapport de la politique, il commençait cependant à se repentir du + traité du 14 janvier. + + Je reprends ma conversation avec M. de Bulow: «Tant que je serai + ministre du Roi, mon devoir sera de faire marcher l'administration + qui m'est confiée, et de conserver au trésor les moyens de payer les + dépenses sans lesquelles il n'y aurait plus de gouvernement.» Ceci + me conduisit à lui demander si toutes les dépenses étaient + nécessaires et légitimes? M. de Bulow protesta que dans toutes il + mettrait la plus stricte économie; que pour celles du Roi il avait + sa liste civile qui sans doute n'était pas dans une proportion + exacte avec les revenus du royaume et qui l'engageait à entretenir + sa cour avec un éclat peu nécessaire en Allemagne; que le luxe + auquel on s'était habitué avait encore l'inconvénient de faire + sortir beaucoup d'argent du royaume; qu'en dernière analyse, ce + n'était pas le Roi qui en profitait, mais l'intendant de la liste + civile, marchand failli avec tous les fripons dont il était entouré; + que sans la démarcation tracée entre les revenus du Souverain et + ceux de l'État, il était sûr que Sa Majesté se serait contentée de + moins et serait également heureuse. Je lui demandai si au moins la + liste civile n'empiétait pas sur les revenus de l'État? Je lui + rappelai la responsabilité dont je l'avais entretenu dans une autre + occasion, et je le priai de me dire s'il était vrai que tous les + fonds des relations extérieures se versaient dans la caisse du + trésor de la couronne et que M. de Furstenstein les tirait par une + ordonnance en bloc. M. de Bulow me dit que pour lui les ordonnances + de M. de Furstenstein le mettaient en règle et qu'il me priait d'en + parler à ce dernier; enfin qu'il était ministre du Roi et qu'il ne + pouvait pas se croire soumis à une double responsabilité. Le + lendemain, M. Siméon, envoyé sans doute par M. de Bulow, revint sur + cet objet et m'assura que la seule dépense où la liste civile avait + empiété sur le trésor public était que le Roi avait fait indemniser + les propriétaires des cinq domaines dont M. de La Flèche s'était + emparé, sur le produit d'une vente de couvents, et que par un + arrangement qui datait encore du temps de M. Beugnot, beaucoup trop + magnifique dans ses arrangements financiers, il avait été convenu + que le produit des économats au-delà de la somme de 500,000 francs, + qui serait versée à la caisse d'amortissement, tournerait au profit + du Roi. + + Par un mouvement spontané, M. de Bulow me dit encore que, si le Roi + voulait l'écouter, il se ferait des idées différentes sur la nature + de sa royauté, et qu'il ne se croirait pas dans la même position que + par exemple un Roi de Danemark. Je lui répondis qu'il me semblait + cependant, et que plusieurs circonstances prouvaient qu'à cet égard + les idées du Roi s'étaient beaucoup rectifiées. «Oui, dit-il, aussi + sa position est-elle devenue plus difficile, et quoiqu'assurément je + n'aie pas la mission de vous dire cela, savons-nous ce que nous + allons devenir?» + + Dans toute cette conversation, Monseigneur, M. de Bulow m'a montré + beaucoup d'adresse, beaucoup d'incohérence, l'envie de résister, le + désir de plaire; enfin comme son caractère, elle n'a pas été d'un + seul jet. Il m'avait parlé de la pesanteur du fardeau qu'il avait à + supporter. «Oui, lui dis-je, j'admire et j'aime la facilité avec + laquelle vous le supportez. Sans compliment, je ne connais personne + qui soit capable d'en faire autant. Vous marchez à travers les + difficultés en vous jouant; mais, au nom de Dieu, ne vous jouez pas + à l'Empereur.» Ce mot, Monseigneur, l'affligea et il me répondit ce + que le respect le mieux senti dut lui inspirer. + + M. de Bulow réunit à un vrai talent un travail infatigable et + l'adresse d'un homme du monde à beaucoup de désintéressement + personnel. Il veut faire sa place de la manière dont il l'a conçue. + Il se persuade qu'il la quittera sans regret, lorsqu'il ne la croira + plus tenable. Il n'est pas homme à grandes conceptions, soit que les + difficultés du moment l'absorbent, soit qu'il pense que l'heure n'en + est pas encore venue. L'espèce d'empire qu'en dépit de tant + d'ennemis acharnés il exerce sur le Roi, me paraît reposer sur des + motifs honorables à tous les deux. M. de Bulow connaît les Allemands + et les Français: il tient des uns et des autres. Nous pourrions + facilement trouver un ministre plus traitable; mais en + trouverions-nous un aussi facilement qui nous ménageât, pendant + aussi longtemps, autant de moyens? + + Quant aux recettes, M. Pichon pense qu'il ne serait pas absolument + difficile de les augmenter de quatre ou cinq millions. Il prétend, + par exemple, que les droits de consommation rendent huit millions au + lieu de sept, et qu'on pourrait aisément trouver deux millions de + plus sur le prix du sel vendu dans l'intérieur et surtout dans + l'étranger. Il dit que le ministre des finances convient de la + possibilité d'augmenter les recettes; mais qu'il ne veut y venir + qu'à la dernière extrémité. + + On a renoncé définitivement au projet de rendre plus productive la + contribution personnelle qui ne rendra que 2,500,000 francs. Mais + comme, d'après les nouveaux calculs de M. Malsbourg, la caisse + d'amortissement aura besoin de 6,500,000 francs, on se propose de + trouver quatre millions par une espèce d'imposition de guerre; et + c'est ce qui occupe en ce moment la section des finances. + + +Sur cette double question financière et militaire, Champagny +répondait le 12 novembre à Reinhard: + + + J'ai reçu et mis sous les yeux de l'Empereur les deux dernières + dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. + + Sa Majesté Impériale s'est arrêtée principalement au compte que vous + rendez de vos conversations avec les ministres des finances et de la + guerre, avec le ministre secrétaire d'État sur la composition de + l'armée westphalienne. Sa Majesté n'a pu s'empêcher de remarquer que + tandis que le Roi et les ministres renouvelaient leurs + protestations, les choses n'en restaient pas moins toujours dans le + même état. Souvent l'Empereur a répété au Roi son frère qu'il ne + devait point avoir de régiments de cuirassiers, parce que cette arme + est trop dispendieuse, que les chevaux du pays n'y sont pas + propres; et que d'ailleurs des régiments de cavalerie légère et de + lanciers, plus faciles à lever et d'un entretien moins dispendieux, + conviendraient beaucoup mieux au système militaire de l'Empire ainsi + qu'aux intérêts du trésor westphalien. Cependant le Roi ne paraît + point avoir suivi ce conseil: il multiplie inutilement les cadres et + les armes, et se voit entraîné par là à de nouvelles dépenses. + + Lorsque Sa Majesté Impériale a envoyé 18,000 Français en Westphalie, + son but a été en partie de dispenser le Roi d'entretenir un trop + grand nombre de troupes et tant d'officiers sur la fidélité desquels + on ne peut point compter. Les troupes westphaliennes sont en effet + les moins sûres de la confédération; et on les a vues se battre + contre nous avec ardeur, par l'effet d'une haine ancienne qu'ils ont + contractée en servant dans les rangs anglais. Sa Majesté Impériale + ne veut plus en envoyer en Catalogne: ce serait recruter les bandes + ennemies. Les Rois de Bavière et de Saxe, le Grand-Duc de + Hesse-Darmstadt, dont les États sont anciennement constitués, + peuvent avec plus de raison compter sur la fidélité des leurs; + cependant ils ne s'amusent point à créer de nouveaux corps, et ne + cherchent au contraire qu'à faire reposer tranquillement leurs + troupes. + + En définitif l'intention de Sa Majesté Impériale est que le Roi + renonce à ses régiments de cuirassiers et qu'il n'augmente point des + troupes qu'il ne peut nourrir et sur lesquelles il ne peut se fier. + + Au reste Sa Majesté Impériale ne prend à cela qu'un intérêt + d'affection pour le Roi et de sollicitude pour un État qu'Elle a + fondé. Ce qui lui importe, et ce qu'Elle veut, c'est que l'on tienne + les engagements pris avec Elle et que la solde de ses troupes soit + payée, tant pour le présent que pour l'arriéré. + + Sa Majesté Impériale a vu avec déplaisir que le gouvernement + westphalien cherchât à s'attribuer une espèce de droit d'inspection + sur les troupes françaises stationnées en Westphalie, en demandant à + nos généraux des états de situation des corps sous leurs ordres. Sa + Majesté Impériale a blâmé ceux de ses généraux qui se sont prêtés au + voeu du gouvernement westphalien. Aucune autorité étrangère ne peut + exercer d'inspection sur les troupes françaises. + + La Westphalie s'est engagée à entretenir jusqu'à la fin de la guerre + maritime un corps de dix-huit mille cinq cents Français; et pour + remplir cet engagement, elle n'a pas besoin de connaître la position + exacte de ces troupes. Il suffit que le nombre fixé ne soit point + excédé, ce qu'on reconnaîtra toujours facilement par les états de + récapitulation que fournira l'état-major général. + + +Poussé dans ses derniers retranchements, à bout de patience, aussi +bien que ses frères Joseph et Louis, en présence du système de +l'Empereur, le roi Jérôme écrivit la lettre suivante, digne, vraie +et respectueuse, à laquelle il ne reçut aucune réponse, comme pour +celle du 30 octobre: + + + Sire, mon désir le plus prononcé est de tenir tous les engagements + que j'ai pris envers Votre Majesté, et tous mes efforts ne tendront + jamais qu'à ce but, mais je la prie de me permettre quelques + observations qui me sont dictées par la situation affligeante où je + me trouve et qu'il ne peut être dans les desseins de Votre Majesté + de prolonger. + + Votre Majesté n'a point ratifié l'acte de cession du Hanovre et + cependant, tandis que je suis privé des diverses branches des + revenus publics de cette province, je me vois chargé des frais de + son administration et de l'entretien de 6,000 cavaliers français + qui, au terme des traités, doivent être soldés et nourris par elle. + Il est impossible que Votre Majesté ait voulu m'imposer les charges + sans me donner les moyens d'y subvenir. Ce poids entier retombe + maintenant sur mes anciennes provinces et elles sont hors d'état de + le porter. Je prie Votre Majesté de prendre en sérieuse + considération la situation de la Westphalie et de me faire connaître + positivement ses intentions. Si elle daigne se faire remettre sous + les yeux ma lettre du 31 octobre dernier, elle y verra relativement + au Hanovre l'exposé sincère de mes sentiments; s'il convient aux + desseins politiques de Votre Majesté de m'ôter ce qu'elle m'a donné, + je suis prêt à satisfaire à tous ses désirs, à me contenter de + toutes ses volontés, à m'imposer moi-même et de bon coeur, comme un + gage de ma reconnaissance envers elle, tous les sacrifices qui + pourraient lui être utiles ou seulement agréables, c'est là ce que + je répéterai à Votre Majesté dans tous les instants de ma vie, mais + si elle me laisse dans le rang où elle m'a fait monter, qu'elle ne + me prive pas des moyens de m'y maintenir avec honneur et sûreté, + qu'elle me permette de faire parvenir jusqu'à elle les souffrances + de mes peuples, et qu'elle me laisse l'espérance de les voir + soulager à mes sollicitations. + + Oui, Sire, je le répète, les douanes, les forêts, les postes, toutes + les principales branches des revenus publics du Hanovre sont entre + les mains des agents de Votre Majesté, et tandis que cette province + m'est étrangère puisque le traité par lequel elle m'est cédée n'est + point ratifié, je me vois contraint d'en salarier les + administrations et d'y entretenir les troupes qui ne doivent être + qu'à sa charge. + + J'ose penser qu'il suffit de ce simple exposé des faits pour que + Votre Majesté prenne à cet égard une détermination que je sollicite + avec ardeur, et cet objet étant pour moi et pour mon pays de la plus + haute importance, j'expédie cette lettre à Votre Majesté par un + courrier extraordinaire. + + +Les observations présentées à l'empereur et au duc de Cadore étaient +si vraies, les réclamations du gouvernement westphalien si justes +que le ministre des relations extérieures de France crut devoir +mettre sous les yeux de Napoléon un long mémoire daté du 24 décembre +1810 et duquel il ressort: Que le sénatus-consulte qui avait réuni à +l'empire la plus grande partie du département du Wéser enlevait à la +Westphalie 23 mille sujets et 5 millions 460 mille francs de +revenus; que les parties du Hanovre destinées à être données en +compensation à la Westphalie suffiraient pour le nombre de sujets et +pour les revenus, si les contributions pouvaient être maintenues, +mais que le gouvernement westphalien tenait pour impossible le +maintien de la contribution de guerre; que les domaines encore +disponibles n'existaient pas, qu'il n'y avait donc d'autre moyen +d'indemniser le roi que de diminuer les troupes françaises +entretenues par la Westphalie et de faire remise au pays des revenus +et des contributions arriérés. Le mémoire du duc de Cadore demandait +que la France prît à sa charge la dette du Hanovre, et la Westphalie +celle de la province du Wéser, que le contingent westphalien fût +fixé à 20 mille hommes. + +Ces conclusions ne furent pas adoptées par l'empereur. Le roi très +abattu des dernières mesures prises par son frère, envoya à Paris M. +de Bulow pour y remplacer le baron de Mulcher et discuter ses +intérêts. + +L'année 1811 commença à Cassel sous de tristes auspices pour le +jeune roi et ses malheureux États. Jamais la fable du loup et de +l'agneau n'avait reçu une application plus vraie. Après avoir fait +valoir des prétextes de toute nature, Napoléon auprès duquel la +raison politique l'emportait sur toute considération, décidé à ne +pas laisser le Hanovre à son frère, lui fit savoir, par son agent, +qu'il enlevait cette province à la Westphalie, ainsi qu'une partie +du département du Wéser, pour les réunir à la France, attendu que +les conditions du traité n'ayant pas été exécutées par le Roi, il +considérait ce traité comme rompu de fait. L'empereur daignait +promettre des compensations qui furent illusoires comme d'habitude. +Un décret en date du 22 janvier ordonna la prise de possession +immédiate du territoire annexé, et le versement dans la caisse de +l'empire français de tous les revenus de ces territoires depuis le +1er janvier. En vertu de l'article 3, une partie du duché de +Lunebourg était cédée au Roi, mais avec cette restriction que les +revenus, les domaines affectés à des dotations étaient exceptés de +la cession. D'après ce devis, le Hanovre semblait n'avoir jamais +fait partie du royaume de Westphalie. On cédait, en compensation du +département du Weser, une partie d'une province déjà annexée depuis +un an aux États de Jérôme. Ce dernier ne voulut pas d'abord accepter +cette compensation fictive et chargea à part le comte de Bulow, son +ministre des finances, de négocier et d'obtenir des dédommagements +réels. + +Pendant que M. de Bulow essayait d'entrer en arrangement avec le +gouvernement français, Reinhard, toujours à Cassel et à l'affût de +toutes les nouvelles, de tous les événements importants ou non, qui +se passaient dans ce malheureux pays, continuait à rendre compte +directement à l'Empereur ou à son ministre, le duc de Cadore. + +Voici quelques-unes des dépêches et des bulletins de l'ambassadeur +français à Cassel. + + + REINHARD À CHAMPAGNY. + + 29 janvier 1811. + + Le cérémonial du dernier bal a fait une trop grande sensation et + dans le corps diplomatique, et dans la ville, pour que je puisse me + dispenser de demander à ce sujet les ordres de Votre Excellence. + Déjà au bal précédent le premier chambellan avait exigé que les + dames se tinssent debout, tandis que M. de Furstenstein leur disait + de s'asseoir. Cette fois, le Roi lui-même, qui plus que jamais + s'occupe d'étiquette, a coupé le noeud. M. de Furstenstein devait + annoncer cette décision aux femmes des ministres; et le hasard + voulut que ma femme fût seule présente. Il ne le fit cependant pas, + disant que ce n'était pas l'usage de la cour de France. Quant au + privilège d'être seul assis que le Roi a accordé à ce ministre, Sa + Majesté le fonde sur ce qu'ayant le collier de l'ordre, M. de + Furstenstein est son _cousin_ et doit être assimilé aux grands + dignitaires. C'est une manière d'éluder la difficulté, et M. de + Furstenstein sans porter le titre de prince en aura tous les + privilèges. J'ignore encore si le ministre saxon, qui n'existe qu'à + la cour et pour la cour et dont la femme courant après toutes les + fêtes et après toutes les faveurs s'est trouvée absente, avait été + prévenu de tout ce qui arriverait. Il m'avait demandé en entrant ce + que j'avais résolu de faire pour le souper et j'avais répondu que + nous serions debout et les femmes assises. La femme du ministre de + Prusse était malade. Votre Excellence voit au reste que, même dans + ces occasions-là, le Roi a soin de distinguer le ministre de France. + Pour cette fois, je m'abstiendrai entièrement d'énoncer dans la + société mon opinion sur ce qui s'est passé, précisément parce que + j'attends les instructions de Votre Excellence. + + Je n'avais appris toutes ces circonstances que vers la fin du + souper. M. Jacoulé a fait une terrible grimace en voyant assis M. le + comte de Furstenstein, qui d'ailleurs avait l'air plutôt confus que + glorieux de la distinction qui lui était accordée. + + +Lorsque l'Empereur eut pris connaissance de la dépêche de Reinhard +et de la nouvelle mesure d'étiquette introduite à la cour de son +frère pour M. Lecamus devenu comte de Furstenstein, il fut choqué de +cette innovation et écrivit le 20 février au duc de Cadore la lettre +ci-dessous, omise à la _Correspondance de Napoléon Ier _: + + + Monsieur le duc de Cadore, je vous renvoie trois portefeuilles de + votre correspondance. Qu'est-ce que cette prérogative de M. de + Furstenstein de s'asseoir aux cercles de la cour de Cassel devant le + corps diplomatique et les grands de l'État? Demandez des + renseignements plus détaillés que cela. Il n'y a pas d'objections à + ce que le Roi exige que les femmes se tiennent debout quand il + danse. En général, un Roi ne doit pas danser, si ce n'est en très + petit comité. Cependant, cet usage ne choque aucune convenance. Mais + vous devez charger mon ministre de s'opposer formellement à ce que + le comte de Furstenstein soit appelé _cousin_ et s'assoie devant le + corps diplomatique et les grands de l'État. Cette prérogative ne + peut appartenir à qui que ce soit en Westphalie, parce qu'elle est + contraire à toute idée reçue, et que je ne veux pas qu'elle existe. + Personne en France ne s'asseoit à la cour parmi les princes du sang. + Les maréchaux ne s'asseyent pas. Quant aux grands dignitaires, cela + tient au _décorum_ de l'Empire, et quels sont les grands + dignitaires? Lorsque le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, le Vice-Roi + d'Italie, qui sont revêtus de grandes dignités, s'asseyent, il est + juste que les premiers grands du plus grand Empire du monde qui leur + sont assimilés s'asseyent; mais il est absurde de donner ce + privilège dans une petite monarchie. Cela est contre l'opinion de + toute l'Europe, et il y a dans cette conduite un peu de folie. Il + faut donc que mon ministre fasse connaître au ministre des Relations + extérieures de Westphalie que mon intention n'est pas de souffrir + ces aberrations du Roi, et que j'exige qu'il ne soit donné aucune + suite à cette innovation. Parlez de ceci à M. de Wintzingerode et à + M. de Bulow. Faites-leur connaître que le Roi ferait bien mieux de + modeler son étiquette sur celle de la Cour de Saxe que de faire à sa + tête et de se faire tourner en ridicule. Parlez sérieusement à M. de + Wintzingerode là-dessus; il devrait donner des conseils à sa cour + sur ce, etc., etc. + + +L'empereur, non content de sa dépêche au duc de Cadore, écrivit +lui-même à son frère le même jour 10 février. Le roi Jérôme +répondit le 17 du même mois une lettre respectueuse, dans laquelle +il ne laisse pas de faire ressortir les injustices dont on s'est +rendu coupable à son égard. Cette lettre, que voici, ne se trouve +pas aux _Mémoires de Jérôme_: + + + Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire, + en date du 10 février; tout ce qu'elle contient est vrai, seulement + j'aurais désiré qu'on ne laissât pas ignorer à Votre Majesté que le + soir où le comte de Furstenstein a été assis, _je n'y étais pas_, + que c'était dans un salon particulier et que c'était une erreur du + préfet qui n'avait pas senti que les ministres étrangers pouvant + entrer, ce n'était plus _un salon particulier_; cela ne s'est jamais + fait et ne _se fera plus_. Quant au titre de cousin, comme ayant le + grand collier de l'ordre, je ne le donne qu'en écrivant une lettre + de chancellerie de l'ordre, pour _rassembler_ le chapitre ou faire + une _promotion_, mais jamais je n'ai eu assez peu de sens ni + d'esprit pour ne pas sentir que si j'eusse pu faire comme on l'a dit + à Votre Majesté, j'aurais mérité les petites maisons. + + Je le répète, Sire, je ne fais jamais un pas sans avoir Votre + Majesté en vue, sans désirer de lui plaire, et surtout sans + ambitionner qu'elle puisse dire: jamais mon frère Jérôme ne m'a + donné de chagrin. C'est bien le fond de ma pensée, Sire, et si je me + trompe, un conseil paternel de Votre Majesté est plus que suffisant, + non seulement pour me faire changer, mais pour me convaincre que + j'avais tort. Pourquoi donc Votre Majesté est-elle si avare de ses + conseils? et pourquoi suis-je le seul qui lui inspire assez peu + d'intérêt pour qu'elle ne veuille pas m'écrire ce qui peut lui + déplaire? Dans les circonstances critiques où je me trouve, Votre + Majesté n'a pas même daigné me dire: faites _ce que je désire, cela + me sera agréable_; c'est par le moniteur que j'apprends que je perds + _le quart de mes États_ et _le tiers de mes revenus_, et le débouché + de mes rivières, sans qu'un seul mot de Votre Majesté vienne me + rassurer et me dire: c'est telle ou telle conduite que vous devez + tenir; avouez, Sire, que Votre Majesté est bien sévère pour moi qui + n'ai jamais désiré et ne désirerai jamais que de contribuer à votre + contentement. + + Je finis, Sire, car je me vois, par l'abandon de Votre Majesté, + entouré d'écueils sur lesquels je ne pourrai manquer de me perdre, + si elle persiste dans cette indifférence pour moi. Que Votre Majesté + se mette un instant à ma place, souverain d'un pays ruiné, accablé + sous le faix des charges extraordinaires, auquel on dit: je vous + prends le quart de vos États, de vos revenus, et cependant je ne + vous ôte aucune charge, ni vous donne aucun dédommagement, que + feriez-vous, Sire? ce que je fais, vous laisseriez prendre, vous ne + vous opposeriez à rien; au contraire, mais en conscience vous ne + feriez pas comme le roi de Hollande, qui a dit à ses sujets: je cède + une partie de mes États, parce que l'on me les demande. + + Je vous prie, Sire, au nom de votre ancienne amitié pour moi, de me + diriger et ne pas m'abandonner, car vous seriez fâché un jour + d'avoir perdu un être qui vous aime plus que sa vie. + + +À peine cette lettre était-elle partie que le jeune roi, avide +d'étiquette et toujours prêt à singer le gouvernement impérial, +donnait encore prise aux critiques fort justes et aux boutades +souvent un peu sévères de Napoléon qui, tout en ayant pour lui une +affection réelle, le traitait en fort petit personnage. Le 49 +février, Jérôme avait mis à l'ordre de son armée le règlement +suivant: + + + 1º Trois de nos aides de camp seront désignés chaque trimestre pour + faire le service auprès de Notre Personne; 2º le ministre de la + guerre fera mettre leur nom à l'ordre du jour de l'armée; 3º + lorsqu'un de nos aides de camp de service arrivera, soit dans une + division, soit dans une place forte ou à l'armée, l'ordre qu'il + transmettra de notre part, par écrit ou verbalement, sera + obligatoire. Cependant, les gouverneurs, les généraux et les + commandants de place pourront, dans les circonstances qu'ils + jugeront importantes, exiger que l'aide de camp leur transmette par + écrit l'ordre qu'il aura été chargé de leur signifier, et il ne + pourra alors s'y refuser; 4º l'aide de camp de service en mission, + recevra, soit à l'armée, soit dans les divisions ou les places + fortes, les honneurs que l'on rend au plus haut grade militaire. + + +Puis, croyant être très agréable à son frère, il adressait (5 mars) +une proclamation maladroite aux populations que lui enlevait le +décret du 22 janvier 1811: + + + Habitants du territoire westphalien, réunis à l'empire français! + + Les circonstances politiques m'ayant déterminé à vous céder à Sa + Majesté l'empereur des Français, je vous dégage du serment de + fidélité que vous m'avez prêté. Si quelquefois vos coeurs ont su + apprécier les efforts constants que j'ai faits pour votre bonheur, + je désire en recueillir la plus douce récompense en vous voyant + porter à Sa Majesté l'empereur et à la France le même amour, le même + dévouement et la même fidélité dont vous m'avez si souvent donné des + preuves, et particulièrement dans les circonstances critiques des + dernières années. + + Mes voeux les plus ardents sont et seront toujours de vous voir + jouir, sous votre nouveau maître, d'un bonheur aussi parfait que le + mérite votre caractère brave et loyal. + + +L'empereur trouva fort mauvaise la mesure prise pour les aides de +camp et critiqua beaucoup de passages de la proclamation, ainsi +qu'on le verra dans les lettres suivantes: + + + CHAMPAGNY À REINHARD. + + Paris, le 19 mars 1811. + + Sa Majesté m'ordonne de vous communiquer quelques réflexions qu'elle + a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Elle a + relevé certaines expressions de la proclamation du roi aux habitants + de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Ces mots: _je vous + cède_ lui ont paru inconvenants. On ne cède pas des hommes comme on + cède un troupeau de moutons, ou du moins on ne le leur dit pas. + Cette autre phrase: _ayez pour l'empereur l'amour que vous avez pour + moi_, semble présomptueuse. Ces pays ont-ils été assez longtemps + sous la domination westphalienne pour lui être bien profondément + attachés? Je ne parle pas du rapprochement entre l'empereur et le + roi dont Sa Majesté a lieu de se formaliser. + + Mais ce qui a paru plus étrange à l'empereur, c'est un ordre du roi + de Westphalie que Sa Majesté a vu dans une gazette et par lequel ce + prince exprime sa volonté que ses aides de camp auxquels il donne + des missions commandent partout où il n'est pas, et de préférence à + toute autorité existante. Sa Majesté voit dans cette disposition le + bouleversement de tout ordre public. Des aides de camp qui sont plus + que des ministres et qui exercent, partout où le Roi n'est pas, une + autorité sans limites! Jamais l'empereur n'a remis entre les mains + de personne un pouvoir aussi discrétionnaire. Sa Majesté a beaucoup + employé ses aides de camp qui, formés par elle, étaient dignes de + toute confiance; mais elle ne leur donnait que des missions + d'informations dans lesquelles ils n'avaient aucune autorité à + exercer. + + Faites ces réflexions, Monsieur, aux ministres du Roi, mais avec + réserve et ménagement. L'empereur les accuse de ces erreurs que + l'inexpérience du Roi peut, quels que soient son esprit, son tact et + ses lumières, lui faire quelquefois commettre et qui devraient être + évitées par des ministres qui joignent à l'habitude des affaires la + connaissance de la manière dont on doit les traiter. L'empereur est + persuadé qu'une représentation juste sera toujours écoutée par son + auguste frère dont il connaît et le bon esprit et le désir de faire + tout bien. + + +Reinhard répondit à Champagny, le 24 mars 1811: + + + Votre Excellence m'a communiqué quelques réflexions que Sa Majesté + impériale a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. + Sa Majesté a trouvé inconvenantes certaines expressions de la + proclamation du Roi aux habitants de la partie de la Westphalie + cédée à l'empire. Cette proclamation, Monseigneur, m'a toujours pesé + sur le coeur; elle a été rédigée dans le cabinet de Sa Majesté. Les + ministres n'ont pu obtenir que le changement de quelques phrases; et + encore n'ont-elles pas été changées au gré de leurs désirs. + L'intention du Roi était bonne; il voulait montrer en même temps et + sa déférence pour son auguste frère, et l'accord parfait avec lequel + tout s'était passé. Mais l'amour-propre s'en est mêlé et dès lors on + n'a pas voulu toucher à la part qu'il s'était faite. Quant à moi, ne + voulant pas analyser les expressions qui m'avaient frappé, j'avais + prié M. le comte de Furstenstein d'engager le Roi à ne point faire + de proclamation. Quelques jours après, Sa Majesté me demanda si je + l'avais lue; je répondis que oui et que même M. le comte de + Furstenstein me l'avait montrée avant l'impression. Sur le reste, je + gardai le silence, et il me parut que le Roi comprenait ce que ce + silence voulait dire. + + Quant aux pouvoirs extraordinaires donnés aux aides de camp de Sa + Majesté, on m'avait assuré que cette mesure avait été discutée et + arrêtée au conseil d'État, et que plusieurs personnes s'en étaient + affligées. Mais, je ne crois point qu'elle ait été publiée dans + aucun papier westphalien; et la gazette dans laquelle Sa Majesté + impériale l'a lue m'est restée inconnue. Je viens d'en parler à M. + le comte de Furstenstein qui m'a dit que c'était un ordre du jour + qu'il me communiquerait. + + Je me suis, en effet, déjà acquitté auprès de ce ministre de la + commission dont Votre Excellence m'a chargé pour les ministres du + Roi, et je crois l'avoir fait entièrement dans l'esprit de vos + instructions. Déjà hier, j'avais dit au Roi que dans les dépêches + que le courrier m'avait portées, j'avais trouvé des expressions + pleines d'amitié et d'estime pour Sa Majesté. Le Roi me répondit que + j'étais moi-même témoin de tout ce qu'il faisait, et qu'il me + rendrait juge de ses intentions et de ses sentiments. C'est par la + même route que je suis entré en matière avec M. le comte de + Furstenstein. «Mais, ai-je ajouté, plus Sa Majesté impériale rend + justice au caractère et au bon esprit de son auguste frère, et plus + elle est naturellement disposée à imputer à ses ministres ce que + peut-être elle ne trouve pas digne de son approbation dans les actes + de ce gouvernement, et je suis convaincu, Monsieur le Comte, qu'elle + a entièrement raison.» M. de Furstenstein m'a répondu par son + refrain ordinaire que je ne connaissais pas assez le caractère du + Roi, qui ne se laissait pas conseiller.--«Je juge, lui ai-je dit, du + caractère du Roi, par la manière dont il s'est constamment montré à + mes yeux. Toutes les fois que j'ai eu l'honneur de m'entretenir avec + lui, je lui ai trouvé de la mesure, de la justesse, de la prudence, + enfin beaucoup de pouvoir sur lui-même. Il se peut, à la vérité, que + le maintien qu'il prend vis-à-vis du ministre de France ne soit pas + exactement le même que celui qu'il a vis-à-vis de ses serviteurs qui + lui sont directement subordonnés; mais avec un coeur et un esprit + comme le sien, il y a constamment de la ressource. On peut laisser + passer un premier mouvement, et je suis persuadé qu'avec un peu + d'insistance et de courage, la vérité et la raison finiront toujours + par être écoutées.» Après avoir parlé ainsi en thèse générale, M. de + Furstenstein m'a demandé si quelque acte particulier du gouvernement + avait donné lieu à ces réflexions. Je lui ai cité ceux dont il + s'agit. M. de Furstenstein m'a beaucoup remercié. Il m'a dit sous + combien de rapports il était intéressé à ce que le Roi méritât + l'approbation constante de Sa Majesté impériale, et avec un certain + élan il a ajouté qu'il se promettait bien de ne point laisser + échapper cette occasion pour faire sentir à Sa Majesté que les + ministres n'avaient pas si grand tort d'oser quelquefois lui faire + des représentations. Au sujet de la proclamation, il m'a assuré que + le Roi s'y était déterminé d'après une lettre de M. de Malchus qui + lui avait écrit: _que M. le général Compans le désirait_, et qu'en + s'y refusant, le Roi aurait craint d'être accusé de susceptibilité. + Il m'a demandé si Sa Majesté impériale en témoignait un fort + mécontentement; je lui ai répondu qu'au contraire elle avait à coeur + sur cet objet de ne point blesser la sensibilité du Roi, et qu'en + m'autorisant à en dire quelques mots à ses ministres, elle me + recommandait de le faire avec beaucoup de réserve et de ménagement. + + Votre Excellence se rappellera peut-être qu'en lui rendant compte, + au mois d'août 1809, de la situation des choses d'alors, je terminai + ainsi une de mes dépêches: «Tout ce que je me permettrai d'ajouter, + c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des + intentions et des mesures du Roi, et qu'aucun des sujets de Sa + Majesté impériale qui sont ici (j'y comprenais alors M. Siméon et M. + le général Eblé) ne pourrait remplir dans toute son étendue et sous + tous les rapports de convenance une aussi haute mission.» + + La sagesse de Sa Majesté impériale a certainement mieux senti que + moi tous les inconvénients que devait avoir une mesure pareille à + celle que je voulais indiquer. Aujourd'hui, elle aurait encore celui + d'être tardive dans un sens et prématurée dans un autre. Mais j'ai + la persuasion qu'elle est devenue moins nécessaire. En comparant le + Roi tel qu'il était il y a deux ans, avec ce qu'il est aujourd'hui, + je suis convaincu qu'il a gagné, si j'ose m'exprimer ainsi, surtout + en docilité. Mais ses ministres craignent tous un premier mouvement + et quelque résolution subite, difficile à rétracter, d'un souverain + dont ils dépendent. Il a trop su les habituer à céder à sa volonté + fortement prononcée. Il leur manque d'oser revenir à la charge. Pour + leur donner un courage qu'ils n'ont point, je ne connais qu'un seul + moyen: c'est d'être assurés à tout événement de la protection de Sa + Majesté impériale. Cette assurance de protection resterait un + secret entre le ministre de France et celui des ministres du Roi + auquel elle daignerait accorder une aussi haute preuve de confiance; + un seul suffirait. + + Mais lequel? M. le comte de Hoene, très honnête homme, n'est qu'un + troisième commis. Il prend à la lettre toutes les paroles du Roi. Il + n'entend pas ce qu'on voudrait lui faire comprendre. De tous les + ministres, il est celui qui se tient le plus en garde contre la + légation française. M. le comte de Wolfradt, très honnête homme + aussi, est trop timide et trop peu adroit; il ne sait pas assez la + langue française. M. le comte de Furstenstein est l'homme du Roi; + pour lui, il suffit du ressort de la responsabilité. M. le comte de + Bulow a trop une marche et une manière à lui; mais on peut compter + sur lui dans des circonstances déterminées. M. Siméon est un peu sec + quelquefois, et toutes les affaires ne sauraient être de son + ressort; mais il apportera à toutes de la maturité et de + l'expérience, et c'est précisément ce dont il s'agit ici. Sa qualité + de Français, son âge, son bon sens et la modération de son esprit + peuvent le faire croire capable de prendre de l'ascendant sur le + Roi, sans perdre sa confiance et sans en abuser; et comme le Roi + n'aime point à consulter, il y aurait deux maximes de gouvernement à + établir. L'une, que l'exécution de toute mesure quelconque partît de + celui des ministres qu'elle concerne, et l'autre, que lorsque des + actes quelconques émanent directement du cabinet, les ministres + eussent le temps de faire des représentations lorsqu'ils le + jugeraient nécessaire. + + +Sans nous arrêter sur une lettre du 24 mars où Reinhard raconte +divers incidents survenus à la cour de Cassel, nous extrayons d'une +lettre adressée par le même à Champagny (23 mars) une conversation +que Reinhard eut avec le roi. Le ministre des finances de +Westphalie, M. de Bulow, avait été envoyé à Paris pour tâcher +d'obtenir des adoucissements à la triste condition faite par +l'empereur au malheureux royaume. Après un préambule que nous +omettons, Reinhard s'exprime ainsi: + + + Le comte de Furstenstein, ai-je dit, m'a laissé dans le doute si M. + de Bulow doit _terminer_ et revenir, ou signer et revenir. Il n'y a + rien à signer, a dit le Roi. Lorsque toutes les conditions sont + dictées par une seule des parties et qu'elles sont avantageuses à + une seule, ce n'est pas un traité. Que l'empereur ordonne: tout ce + qu'il ordonnera sera fidèlement exécuté; mais qu'il ne demande pas + que je me déshonore.--«Cependant, Sire, l'empereur offre des + avantages à Votre Majesté: d'abord ses domaines en Westphalie non + encore donnés; ensuite l'arriéré des revenus du Hanovre.»--«Oui, dit + le Roi, les domaines non donnés et _non destinés_, ce qui les réduit + à un revenu de 2 ou 300,000 fr. tout au plus, tandis que je perds + 12 millions et 600,000 âmes. Les revenus arriérés du Hanovre sont + peu de chose: deux ou trois millions tout au plus, peut-être + rien.»--«Encore, Sire, sont-ce là des avantages que Votre Majesté + n'obtiendra qu'en signant, et qui constituent la réciprocité.» Alors + le Roi s'est récrié sur ce qui s'est passé à la suite du traité + concernant le Hanovre, et je l'ai interrompu en disant que c'était + toujours avec peine que je rappelais à Sa Majesté que sa manière de + voir et celle de Sa Majesté impériale sur la cession du Hanovre + étaient différentes.»--«Mais tout cela n'était qu'un prétexte, m'a + dit le Roi, parlons franchement: rien ne sortira de ce + cabinet.»--«Parlons franchement, Sire, supposons que ce ne soit + qu'un prétexte; mais Votre Majesté connaît le _motif_. L'empereur a + changé d'intention, parce que les circonstances lui en ont fait la + loi; il en a changé quant au Hanovre et quant aux villes + anséatiques. La politique de l'empereur ne reste pas stationnaire; + Votre Majesté marche à côté de lui: voudrait-elle rester en + arrière?»--«Eh bien, que l'empereur me dise son motif et qu'il ne + fasse pas valoir seulement le prétexte.»--«Et quand ce prétexte, + Sire, serait un caprice, pourquoi n'aimeriez-vous pas à y + déférer?»--«Oui, si c'était de frère à frère, alors l'empereur sait + bien que tout est à sa disposition, tout mon royaume, ma vie même; + mais _tout cela se traite diplomatiquement et je ne puis céder_. Je + viens d'écrire à Bulow mon dernier mot: les domaines de l'empereur + non donnés; et quant aux 12,500 hommes de troupes françaises, que la + Westphalie se charge de leur nourriture et _la France de leur solde + et de leur entretien_, afin que je puisse montrer un avantage à mon + peuple.»--«Je suis fâché, Sire, que ce soit votre dernier mot, car + le duc de Cadore m'a écrit que l'empereur a dit aussi le sien. Du + reste, Sire, officiellement je n'ai rien à dire, ce n'est que par + forme de bon office et dans les intérêts même de Votre Majesté; et + comme M. de Furstenstein m'a dit que M. de Bulow serait ici dans + deux ou trois jours, au fond toutes mes réflexions sont tardives et + inutiles.»--«Furstenstein vous a dit que Bulow revenait? Bah, + Furstenstein ne sait rien, c'est moi seul qui conduis toute la + négociation, qui écris toutes les lettres de mon cabinet.» Ainsi, + Monseigneur, je dois croire que M. de Bulow est encore à Paris, et + Votre Excellence jugera si, à lui ou à son maître, on pourra faire + passer le Rubicon. Si c'est à lui, sans le consentement du Roi, il + est perdu. + + Je dois vous dire, Monseigneur, le secret de la pensée et de la + conduite du Roi. Il m'a dit à moi-même que Sa Majesté impériale + avait accusé le roi Louis, son frère, de lâcheté pour avoir cédé par + un traité une partie de son royaume. Aussi répondit-il aux instances + de tous ses ministres:--«Vous ne savez ce que vous dites, je ne + signerai pas, l'empereur me mésestimerait.» + + +La conversation épuisée sur ce point, Reinhard aborda ensuite un +sujet plus délicat. Le roi s'était fait livrer des lettres où le +secrétaire général du département des finances, nommé Provençal, +appelait M. de Bulow «le messie, le sauveur de la Westphalie». Ce +Provençal et un autre commis de M. de Bulow avaient été aussitôt +destitués «comme Prussiens». Reinhard estimait «que ces lettres +étaient bien sottes, mais que le roi venait de trahir le secret de +l'ouverture des lettres». C'est sur ce point qu'il amena +l'entretien: + + + Après cet objet terminé, il y a eu quelques moments de silence, et + j'attendais le Roi; craignant d'être congédié, j'ai rompu le + silence, d'autant plus qu'avec beaucoup de bonté, le Roi m'avait + invité à lui parler à coeur ouvert.--«Dans une si belle + circonstance, Votre Majesté aura quelque grâce à faire d'_hier + matin_.» Le Roi m'a fait répéter ma phrase:--«Ah! vous parlez de ces + lettres! Ce sont des bêtises, vous sentez bien que ce n'était qu'un + prétexte, et je n'ai fait qu'exécuter un dessein que j'avais depuis + trois mois. J'avais aussi peu envie de me mettre en colère que vous + en avez à présent. Ce Provençal et ce Sigismond sont des Prussiens. + Depuis six mois, j'avais donné une décision qui renvoyait les + Prussiens de mon service: «Je ne veux avoir à mon service que des + Westphaliens et des Français.»--«Des Prussiens, Sire, que M. de + Bulow a pris à Magdebourg.»--«Non, qu'il a fait venir de Berlin.» + Cela est vrai, quant à Sigismond, homme d'un grand talent, mais + d'une mauvaise réputation. M. Provençal, dont M. de Bulow ne se + servait que pour la rédaction, est un ancien ministre protestant. M. + de Bulow l'en raillait quelquefois, et de là ces expressions en + style de bible qui avaient tant déplu au Roi. M. de Furstenstein a + donné cette explication au roi, moi-même je l'ai confirmée; aussi + ces lettres ne sont-elles plus qu'un prétexte.--«Ce Sigismond est un + espion; il a écrit à Berlin des lettres _que Linden m'a renvoyées_ + et pour lesquelles je pourrais le faire pendre. Mais cela irait plus + haut, et je ne veux pas en faire une affaire. Imaginez-vous qu'il + rendait compte de chaque conscrit, du mouvement de chaque compagnie, + enfin de tout ce qui se fait chez moi.»--«Ce n'étaient donc pas des + lettres particulières?»--«Oui, particulières; mais vous sentez + qu'elles allaient à une autre adresse. Quant à l'autre, je savais + que Bulow avait une correspondance secrète, qu'il ne se servait ni + de ma poste ni de mes courriers; qu'on lui envoyait son valet de + chambre qui remettait les lettres à la poste de Giessen. J'ai voulu + savoir ce que c'était; il y a eu 39 numéros, je les ai tous lus. + J'envoyais dans le pays du grand-duc de Hesse des gendarmes + déguisés; je faisais prendre et copier les lettres, et puis on leur + donnait cours. On y parlait de tout ce que je faisais, vrai ou faux, + n'importe. Je ne pouvais pas (je vous en demande pardon), pis... + sans que Bulow n'en fût informé.» Ceci, Monseigneur, est la seconde + version: hier le Roi disait que c'était la direction générale des + postes à Paris qui lui avait envoyé ces lettres, parce qu'elle en + avait été indignée. Le fait est que M. de Bercagny tient ses + décacheteurs de lettres à sept lieues d'ici; que d'autres ont été + ouvertes à Giessen, et que la lettre à _Messie_ avait été remise au + secrétaire du cabinet du Roi, il y a deux jours. + + «On parle d'intrigues, a dit le Roi, j'en ris. Si je laissais faire, + les Français écraseraient les Allemands, et les Allemands + chasseraient les Français.»--«Cela est vrai, Sire, Votre Majesté + tient assez l'équilibre; mais elle est placée trop haut pour ne pas + voir autrement ce qui se passe au-dessus d'elle que ceux qui sont + placés à distance. Ceux-ci, voyant certains hommes approcher souvent + et journellement de votre personne, leur attribuent une influence + qu'ils n'ont pas.»--«Ah, Bercagny! Il est officier de la maison... + Bercagny! je n'ai aucune confiance en lui. Vous savez ce que j'en + pense, c'est un bavard; il couche toutes les nuits avec des filles. + Il va jouer au reversi avec mes chambellans, pour faire dire qu'il + va au palais, et va chez Brugnière pour faire croire qu'il entre + dans mon cabinet. Il fait comme le duc de Richelieu qui faisait + arrêter sa voiture à la porte des honnêtes femmes, pour qu'on dit + qu'il couchait avec elles.--Sire, c'est au moins celui qui remue le + plus.--Jamais je n'ai rien pu savoir de lui sur la police.--Je suis + enchanté que Votre Majesté confirme mon opinion; il m'a paru que, + dans certaines crises, sa police n'était pas merveilleuse.--_Aussi, + ce n'est pas par lui que j'ai eu ces lettres._» + + La conversation est ensuite tombée sur M. de Bulow. Le Roi m'a dit + que les Français ne lui en voulaient pas, puisqu'aucun d'eux ne + désirerait, ni n'était capable d'avoir sa place.--«Il y en a + quelques-uns cependant, et à vous dire vrai, Sire, depuis deux ans + que je suis ici, j'ai vu M. de Bulow l'objet d'un acharnement + perpétuel.»--«Ce sont plutôt les Allemands. Du reste, c'est un homme + à grands moyens.»--«Sire, M. de Bulow a une certaine légèreté dont + j'ai été quelquefois dans le cas de me plaindre moi-même; il sent sa + supériorité dont il abuse peut-être quelquefois. Du reste, il est + homme d'honneur et fidèle serviteur.»--«Le croyez-vous?»--«Oui, + Sire.»--«Croyez que pour changer de serviteurs, il faut que je me + retourne plus d'une fois sur mon oreiller. D'ailleurs, c'est un + homme difficile à remplacer.»--«Oui, Sire, il fait aller sa machine, + et ce n'est pas une chose aisée en Westphalie. (J'aurais voulu, + Monseigneur, rengainer ce mot qui, je m'en apercevais, ne faisait + pas une bonne impression.) Votre Majesté ne peut s'occuper de tous + les détails.»--«Il le faut pourtant, car je veux voir clair.» Le Roi + l'a ensuite accusé de n'avoir pas fait à Paris aussi bien qu'il + aurait pu faire.--«Cependant, Sire, tout son intérêt y + était.»--«D'ailleurs, il y avait un ennemi, si je l'avais su, je ne + l'aurais pas envoyé.» + + Dans cette conversation, le Roi a passé en revue tous ses serviteurs + à peu près, Français et Allemands, et sur presque tous, il disait à + peu près ce que j'en pense. «M. Pichon, avocat et écolier, croit + qu'il sera ministre des finances; ce serait une plaisanterie. M. + Pothau, c'est un pauvre homme; il m'a dit lui-même que s'il était + placé au Trésor, il serait un homme perdu et que même il ne voulait + rien pour les postes, que sa véritable place était au tribunal + d'appel. Le général Morio! J'en ai été mécontent comme ministre de + la guerre, peu content comme général en Espagne, pas trop content + comme capitaine de la garde, mais il est excellent grand écuyer; il + a diminué le nombre de mes chevaux, en me donnant deux attelages de + plus, et il a déjà fait une économie de 200,000 francs. La Flèche: + il me fait perdre 150,000 fr. dont il a dépassé son budget, sans + rime ni raison; je l'épargne parce qu'il m'est personnellement + attaché, mais je ne puis payer cette dette qui me ruine, ou du moins + ne puis la payer qu'en deux ou trois ans. Furstenstein ne prend + jamais l'initiative; il m'est personnellement dévoué, l'empereur + lui-même l'a distingué en l'admettant à sa table; c'est un homme + modeste qui ne demande qu'à être auprès de ma personne, qui se + contenterait de tout, et qui est si peu remuant qu'il ne fait même + pas tout ce qu'il devrait faire dans sa place.» + + _P. S._--J'adresse à Votre Excellence la décision du Roi concernant + ses aides de camp en mission, telle que M. de Furstenstein me l'a + transmise. Il n'y est pas question d'autorités civiles; il faut + qu'il y ait là-dessous quelque malentendu que je ne puis encore + expliquer. + + +Le duc de Cadore mit en note au bas de cette lettre de Reinhard, de +sa main: + + + (_Note du Ministre._) L'empereur veut qu'on fasse connaître à M. + Reinhard que l'ordre du jour du Roi du 19 janvier 1811 est absurde + dans tous les points et contraire à tous les usages, ainsi qu'à + toutes les règles observées dans tous les pays. L'empereur n'est pas + content de cette conversation de M. Reinhard. + + +Une lettre de Champagny, adressée de Paris le 3 avril, accentua +encore davantage ce sentiment de désapprobation. Après avoir essayé +de se justifier, Reinhard continue de tenir le ministère au courant +de tout ce qui se passait en Westphalie. Il lui écrivit le 11 avril: + + + J'ai fait hier à M. le comte de Furstenstein la question + confidentielle que j'avais annoncée à Votre Excellence dans mon + numéro 220. Ce ministre m'a répondu que Sa Majesté impériale avait + été prévenue par le Roi de la démission donnée à M. de Bulow + immédiatement après l'événement par un courrier parti le même jour + (par conséquent le 9); que depuis un certain temps déjà, le Roi + n'avait plus en lui la même confiance, et qu'avant tout il voulait + voir clair dans ses finances, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir. + J'ai dit que sans doute le Roi était le maître de donner ou de + retirer sa confiance; qu'au reste M. de Bulow, ayant l'honneur + d'être décoré du grand cordon de la Légion, appartenait sous ce + rapport un peu à Sa Majesté l'empereur et méritait quelques égards. + Cela m'a conduit à dire un mot du traitement qu'on fait éprouver à + ses employés. La réponse a été la même que le Roi avait fait donner + à M. de Bulow par M. Siméon. Je ne vous parlerai plus de ces + détails, Monseigneur. Quand une fois on est engagé à marcher à + petits pas dans ce petit labyrinthe, on n'en sort plus, à moins de + faire un pas d'homme pour le franchir. + + J'avais cru devoir différer ma visite chez M. de Bulow jusqu'après + ma conversation avec M. de Furstenstein. J'y suis allé. Cet + ex-ministre m'a dit qu'il attachait beaucoup de prix à ma visite, + parce qu'il avait désiré de m'entretenir de sa conduite depuis son + retour, afin de ne point paraître sous un faux jour aux yeux de mon + gouvernement. Il m'a fait un récit abrégé de sa longue conversation + avec le Roi, du langage dont il s'est servi pour lui démontrer la + nécessité de signer la convention, du tableau qu'il a fait à Sa + Majesté des règles de conduite, des moyens de garantie et des + ressources pour l'avenir; enfin de ce que le salut du Roi et du + royaume était dans un plan d'économie sévère et dans une soumission + entière à Sa Majesté l'empereur; des explications, des épanchements + et des assurances qu'il a obtenus de la bouche du Roi, et des + illusions sur le retour entier de sa confiance qu'il se faisait en + sortant de cette conversation au moment où l'on arrêtait ses + employés. «Au Conseil des ministres, a-t-il ajouté, j'ai exposé les + désavantages et les avantages de deux projets de convention que j'ai + rapportés de Paris, les instructions du Roi et les volontés de Sa + Majesté impériale. Le Roi ne semblait écouter que moi. Lorsqu'il a + été question de signer, j'ai prié d'en être dispensé. Je craignais + d'être renvoyé à Paris et de rester une seconde fois en butte à mes + ennemis. J'ai proposé M. de Wintzingerode; il a été arrêté que je + signerais ici et que je ne retournerais pas à Paris.» + + Quand nous en étions là, M. Siméon est arrivé. M. de Bulow s'est + plaint alors avec amertume de la nuée d'espions de police qui + entouraient sa maison, qui, montre et tablettes en main, notaient + ouvertement tous ceux qui entraient et qui sortaient, enfin qui + avaient l'air de le garder comme un criminel. Il a dit que M. Siméon + étant ministre de la police, lui, devenu particulier, ne pouvait + regarder ces indignités que comme autorisées par M. Siméon. Nous lui + avons conseillé d'ignorer ces incidents, dont sûrement le Roi + n'était pas instruit. Aussi je les ignore, a-t-il dit, et ce n'est + que mon estime pour vous qui m'a engagé à en parler. M. Siméon lui a + promis de reparler au Roi de ce qui concernait ses employés. + + J'ai fait part à M. de Bulow, devant M. Siméon, de la question que + j'avais faite à son sujet à M. de Furstenstein. M. de Bulow m'a + interrompu. «Quoique je me tienne infiniment honoré, m'a-t-il dit, + par la décoration que Sa Majesté l'empereur a daigné m'accorder, je + ne crois cependant appartenir qu'au Roi seul.»--«Par cette + décoration donnée par Sa Majesté l'empereur, ai-je répondu, vous + appartenez un peu à son intérêt, et s'il eût été possible qu'une des + inculpations qu'on vous a faites fût fondée, Sa Majesté impériale + n'aurait pu y rester indifférente. Quant à moi qui ai l'honneur de + porter la même décoration dans un grade inférieur, je vous dois une + considération qui s'accorde parfaitement avec l'estime que m'inspire + votre mérite, et voilà le motif de la visite que j'ai cru devoir + vous faire publiquement, et comme particulier, et comme ministre de + France.» + + Quand M. Siméon fut parti, j'ai demandé à M. de Bulow comment le Roi + avait pu être induit à croire à la rétrocession de la ville de + Lunebourg? J'ai en effet, a-t-il dit, à me justifier à cet égard + auprès de vous, et il m'a expliqué la chose comme il m'a assuré + l'avoir expliquée à Votre Excellence. Il m'a parlé ensuite du prix + infini qu'il attachait à pouvoir se dire dans sa retraite que mon + gouvernement lui rendait justice, et que les efforts qu'on ferait + peut-être pour le dénigrer à ses yeux ne produiraient aucun effet. + Enfin il m'a protesté combien il se sentait heureux d'être soulagé + du fardeau qui l'avait accablé et que dans aucune hypothèse il ne + désirerait reprendre. + + J'ai trouvé, Monseigneur, M. de Bulow dans un état d'exaltation qui + lui donnait de la fierté et presque de la raideur; mais, au degré + près, je l'ai trouvé le même qu'il s'est toujours montré. Ce qui est + certain à mes yeux, c'est que M. de Bulow est un homme qui a + profondément la conscience de la pureté de ses intentions et de sa + conduite. + + +M. de Bulow avait été disgracié pour avoir consenti à signer à Paris +les conventions qui démembraient le royaume de Westphalie; le bruit +courut même un moment qu'il avait été arrêté par ordre du roi. Il +n'en était rien. Reinhard s'y opposa d'ailleurs de toute son +autorité. Plusieurs de ses lettres du mois d'avril sont tout +entières consacrées à ces incidents. Celle du 13 se termine ainsi: + + + Je ne crois pas, Monseigneur, que les événements et mes idées sur + l'avenir aient acquis assez de maturité pour que dès aujourd'hui je + puisse mettre sous vos yeux le tableau de la situation nouvelle des + choses. Je me bornerai en conséquence à compléter mon récit de ce + qui s'est passé et à vous peindre l'attitude actuelle des personnes + influentes. + + M. de Bulow a dit au Roi, dans sa conversation, que pour être roi de + ses sujets, il devait se considérer uniquement comme vice-roi de + l'empereur; que quelque désavantageuse que fût la convention à + signer, elle renfermait une garantie précieuse de la convention du + royaume; que le royaume avait en lui-même les moyens financiers + nécessaires pour se maintenir, mais que ces moyens ne pouvaient être + réalisés que _par une économie et un ordre sévères_; que les deux + conventions contenaient la volonté immédiate de Sa Majesté + impériale; que si les conditions en étaient peu avantageuses, elles + l'étaient plus que celles que plusieurs autres États avaient + obtenues; que quand Sa Majesté impériale aurait voulu favoriser le + Roi davantage, elle n'aurait pas pu le faire dans le moment actuel; + que les espérances pour l'avenir restaient entières, etc. + + Celui des griefs du Roi que M. de Bulow m'a cité consistait en ce + _qu'il se faisait trop aimer et qu'il se faisait un parti_. Il a été + question de lettres interceptées. M. de Bulow a justifié celles dont + il avait connaissance; son désir jusqu'au dernier moment était de + mettre sous les yeux du Roi la liasse de celles qu'il avait reçues + et surtout toutes les lettres numérotées de M. Provençal. + + Dans la courte conversation qu'il a eue avec moi, avant sa + catastrophe, il ne m'a point montré l'espérance décidée de parvenir + à effacer toutes les préventions du Roi; mais aux personnes avec + lesquelles il vivait dans une grande intimité, il a dit qu'il + croyait être sûr d'en venir à bout. Après la conversation même, il + en est sorti rayonnant. + + Le Roi, dans cette conversation, avait-il déjà le projet déterminé + de renvoyer le lendemain M. de Bulow? Forcé par l'avis unanime de + son Conseil à signer la convention, a-t-il voulu marquer son + mécontentement en disgraciant le négociateur? Je ne crois ni l'un ni + l'autre. C'est par un retour sur la conversation qui venait d'avoir + lieu, que les vérités fortes qu'il avait entendues lui auront fait + une impression douloureuse, de même que quelquefois on ne sent pas + une blessure au moment où le coup a été porté. Ceux dont l'intérêt + était de forger le fer pendant qu'il était chaud l'auront ensuite + entraîné d'un mouvement accéléré. + + Il me paraît certain que les lettres interceptées ont été le levier + le plus puissant dont s'est servi M. de Bercagny pour n'y voir qu'un + moyen d'information. Le Roi a manqué d'impassibilité; il a reproché + publiquement jusqu'à des lettres d'amour à un jeune officier. + Cependant, dans tout ce qui a transpiré, on ne cite absolument rien + qui ait pu réellement blesser la dignité du Roi ou qui prouve que + des secrets de son palais aient été trahis. + + Le Roi n'a cru et n'a voulu agir que par lui-même. Il a blâmé + quelques maladresses de M. de Bercagny; mais pour ne point le faire + soupçonner de partialité, il lui avait adjoint MM. de Bongars et de + Gilsa. Il a voulu que l'ensemble des mesures fût regardé comme étant + émané de sa volonté suprême. + + M. Siméon s'est conduit avec fermeté et sagesse. Il a fait au roi + des représentations et ne s'est arrêté qu'à la limite où il aurait + cru ou manquer de soumission, ou risquer de se perdre lui-même. Il a + dit hautement sa pensée et ses sentiments à ses collègues et surtout + à M. de Furstenstein. Il n'a point abandonné M. de Bulow. C'est dans + le rapport, à la suite duquel le sieur Hortsmann a été relâché, + qu'il a fait voir au Roi le néant de tous les fantômes dont on + l'avait entouré et dont celui du cocher déguisé n'est qu'un faible + échantillon. Le Roi a chargé M. de Furstenstein de dire à M. Siméon, + s'il croyait devoir lui donner des conseils, qu'il ne lui en + demandait pas.--N'importe, les conseils ont produit leur effet. + + M. de Furstenstein était prévenu de tout ce qui devait arriver, mais + il n'a point voulu s'en mêler. Il a dit qu'il se trouvait bien comme + il était, et qu'il n'avait rien contre M. de Bulow; il a détourné le + Roi de faire mettre les scellés sur ses papiers. Vis-à-vis de moi, + il a pris le langage d'un homme qui défend les mesures de son + maître. + + Il n'en est pas de même de M. Hugot, son secrétaire général. Les + passions grossières de cet homme qui n'est ni aimé, ni estimé, le + poussent à l'excès de l'absurdité. Il a quelque talent pour la + rédaction et la mémoire des lois françaises et westphaliennes; il + est nécessaire à M. de Furstenstein, mais l'aversion du Roi contre + lui, la tournure de son esprit et de sa personne lui interdisent à + jamais l'espoir de sortir de son rang subalterne. Sa méchanceté est + gratuite; elle est l'effet du caractère haineux et vindicatif d'un + prêtre. + + M. de Wolfradt a vu ces événements avec douleur; il est resté + passif. Le public s'obstine à croire que son tour viendra bientôt. + M. le comte de Hoene est nul. M. Morio se cache. M. Pichon, pendant + la crise, a évité toutes les sociétés, et surtout la mienne. M. de + Malmsbourg ayant laissé dans la caisse d'amortissement un fond de + 3,500,000 francs pour commencer les paiements au premier juillet, le + public attend son successeur à l'épreuve. + + M. de Bercagny est plus aimable et plus spirituel que jamais; il a + donné hier un dîner de vingt couverts. Le nommé Savagner, son + secrétaire général, est un scélérat que lui-même avait été obligé de + chasser et qu'il a repris après le renvoi de Schalch. Soit pudeur, + soit bon esprit, M. de Bercagny pèse au Roi. Il avait eu le projet + de le nommer préfet d'Hanovre. M. de Wolfradt effrayé l'en + détourna, tandis que M. Siméon ne demandait pas mieux; ou bien y + aurait-il de la dissimulation? + + M. de Malchus devait son entrée au Conseil d'État à M. de Bulow. Il + est revenu de Paris, accusant le ministre d'avoir voulu le perdre. + Il ne s'est point montré chez moi depuis le retour de la transaction + avec M. le général Compans. Il a vécu depuis quelque temps dans + l'intimité de M. de Bercagny. Il a juré à M. de Bulow de n'avoir + point contribué à sa chute. Il a affecté de s'opposer à sa + nomination définitive, et ce n'est que depuis hier qu'il a accepté + le titre d'Excellence. + + M. de Malchus passe pour être un bon travailleur, mais se perdant + dans les détails et incapable de saisir un ensemble. Le Roi ne + l'estime et le public ne l'aime point. On le dit sans âme et + ambitieux à l'excès avec un extérieur calme et simple. + + L'emprunt forcé devant être employé aux dépenses courantes, on ne + prévoit pas d'embarras pendant les six mois prochains. Les + obligations westphaliennes sont fortement tombées pendant la semaine + dernière. Celles à 4 0/0 sont au-dessous de 40; mais ce n'est qu'un + signe de l'impression profonde qu'ont faite les circonstances qui + ont accompagné la disgrâce de M. de Bulow. + + Cette disgrâce, Monseigneur, fait le triomphe d'un parti: ce + parti-là n'est point le parti français auquel, à peu d'exceptions + près, appartiennent tous les bons serviteurs du Roi. Par une assez + sage distribution des places, le Roi a pourvu à ce que, pour le + moment, les vainqueurs ne pussent pas trop abuser de la victoire. + Les conséquences se développeront plus tard. + + Aussi, tout en présageant que, par les derniers événements, la + situation de la Westphalie s'est détériorée, quand ce ne serait que + parce que, dans cette disette de talents, il y aura un homme de + talent de moins, je regarde les derniers arrangements comme les + moins mauvais qu'on ait pu faire dans cette circonstance. _Mais il + est à désirer que le Roi se défasse de M. de Bercagny._ + + J'ai de forts indices pour soupçonner que ma dépêche, où je traçais + tout le plan qui s'est réalisé depuis, a été livrée par celui de mes + valets que j'avais chargé de la porter à Mayence, et qui depuis est + devenu l'espion de ma maison. Comme je n'ai rien à cacher, et que le + moment actuel ne paraît point propice pour faire un éclat, je le + garderai pendant quelques jours encore. Mais si j'obtenais la + certitude ou plutôt la preuve de la trahison de la dépêche, + suffirait-il de le chasser? + + +Après les petites intrigues d'intérieur du gouvernement westphalien, +revint la grosse question des finances. L'empereur ordonna, à cette +époque, au prince d'Eckmülh de réclamer de la Westphalie la +réparation des importantes fortifications de Magdebourg et +l'approvisionnement de siège de cette place. Or, c'était une dépense +de trois millions, et Napoléon avait décidé le 29 janvier que cette +dépense serait couverte par le produit des droits imposés aux +denrées coloniales. Reinhard fut chargé de réclamer du gouvernement +de Jérôme l'exécution de la mesure relative à Magdebourg. Il fit des +démarches auprès du comte de Furstenstein et auprès du roi, puis il +répondit le 7 mai au duc de Bassano qui avait remplacé le duc de +Cadore au ministère des relations extérieures: + + + M. le comte de Furstenstein, en me disant que la demande + d'approvisionnements de siège pour Magdebourg serait le coup de + grâce pour les finances westphaliennes, ajouta que du budget des + finances pour l'année 1811 qui, après plusieurs séances, avait été + arrêté dans le conseil d'administration de dimanche, résultait un + déficit de 14 millions, et que pour l'année prochaine, ce déficit + serait incalculable. M. Pichon vient de me donner le commentaire de + ces paroles. + + Voici ce que M. Pichon m'a dit: le déficit de l'année 1811 est de 14 + millions au moins; selon lui, il sera de 18, et en toute hypothèse, + il le sera en ajoutant les frais d'approvisionnements de Magdebourg. + L'arriéré de 1810 est de 9 millions, ce qui fait en total 27 + millions. Il s'agissait de couvrir ce déficit. Le travail sur cet + objet a été renvoyé samedi, à 7 heures du soir, à l'examen d'une + commission présidée par M. de Malchus, laquelle s'est séparée à + minuit. M. Pichon a passé la nuit à travailler. + + Pour couvrir le déficit, on emploiera d'abord le produit de + l'emprunt forcé qui sera de huit millions. M. Pichon dit que cette + somme rentrera en entier, puisqu'elle sera levée sur les rôles de + l'emprunt forcé de 1808, et que les contribuables seront dans + l'alternative de payer ou de s'en aller. Or, ces rôles ont été faits + dans l'assurance que l'emprunt forcé serait payé une seule fois, et + les contribuables ont cru alors payer la totalité. Il se trouve + aujourd'hui que, parce qu'on avait évalué par erreur à 20 millions + l'emprunt forcé qui, dans la réalité, n'en a produit que dix, les + contribuables n'en ont payé que la moitié. + + Les intérêts de la dette exigibles à la caisse d'amortissement + jusqu'à la fin de 1811 sont de dix millions. Ces dix millions ne + seront pas payés. M. de Malchus proposait de les capitaliser. L'avis + de M. Pichon était de nantir la caisse d'amortissement, pour le + paiement de ces intérêts, d'une valeur de dix millions en domaines + nationalisés par le décret du 1er décembre 1810, et d'admettre les + coupons d'intérêts à l'achat de ces biens. _S'il y avait une + garantie_, m'a dit M. Pichon, on pourrait calculer que les + possesseurs de coupons perdront vingt pour cent tout au plus. + + Les neuf millions restant du déficit seront rejetés sur l'année + prochaine. + + On croit obtenir pour l'année prochaine une augmentation de quatre + millions dans les impôts. + + On évalue à 40 millions la totalité des domaines nationalisés + disponibles. Avec ce fonds, tant qu'il durera, on pourra encore + marcher. Il y a encore moyen de trouver des acheteurs. Un M. + Godefroi, négociant à Hambourg, a fait sonder les dispositions de M. + Malchus pour un achat de quatre à cinq millions. + + Et que deviendront, ai-je demandé à M. Pichon, les + obligations?--Elles n'auront plus de cours, elles tomberont à néant. + Voilà donc table rase pour le grand livre! + + Il faut maintenant, a continué M. Pichon, que le Roi, connaissant + parfaitement l'état de ses finances, s'y conforme. Il est impossible + d'entretenir une armée westphalienne de 30,000 hommes, qu'on compte + augmenter encore. Le Roi dit que Sa Majesté l'empereur le veut + ainsi. Vous avez dit le contraire, que faut-il croire?--Le Roi, + ai-je répondu, ne m'a jamais dit que Sa Majesté le voulait ainsi, + mais seulement qu'elle ne désapprouvait pas son état militaire + actuel. Cette approbation me paraît conditionnelle. L'obligation de + remplir ses engagements envers la France est la première; qu'ensuite + le Roi entretienne une armée si ses finances peuvent y suffire, Sa + Majesté impériale, sans doute, n'a aucun motif pour s'y opposer. Je + dois dire cependant que la conduite des troupes westphaliennes en + Espagne n'a pas donné une haute opinion de la confiance qu'on peut y + placer; mais, à dire vrai, je doute que vous déterminiez Sa Majesté + à diminuer son armée. Le Roi, à cet égard, ressemble à un joueur qui + poursuit une grande chance, laquelle doit ou l'enrichir ou le + ruiner. Une fois engagé, il peut se croire obligé à doubler la mise. + + Le Roi, a poursuivi M. Pichon, persiste à exiger que sa liste civile + soit de six millions: cela est impossible. D'ailleurs vous n'ignorez + pas que ses revenus ne se bornent point à cette somme, et que par + différents moyens il a su les augmenter encore considérablement. + Tels sont les capitaux ci-devant hessois qui d'après le traité de + Berlin ont une destination particulière. Tels sont les domaines + impériaux dont il s'est emparé et dont le trésor public a fourni ou + doit fournir l'indemnité. Les revenus de ses propres domaines ne + sont pas compris non plus dans les six millions. Enfin la liste + civile doit 600,000 francs à la caisse d'amortissement. + + Voici, Monseigneur, ce que j'ai appris de M. Pichon sur cette dette. + À la fin de l'année dernière (probablement à l'époque où il y avait + à mettre au courant l'arriéré de la solde et de la masse des troupes + françaises), le trésor se trouvant sans fonds pour payer la liste + civile se fit avancer 400,000 francs par la caisse d'amortissement. + «Il y a eu depuis, dit M. Pichon, une reculade pour le + remboursement.» Il paraît donc que le trésor s'étant acquitté envers + la liste civile, la dette envers la caisse d'amortissement est + restée à la charge de celle-ci. À quelle époque cela a-t-il eu lieu? + Je l'ignore. J'ignore également comment de 400,000 francs la dette + est montée à 600,000 francs. + + J'ai dit, Monseigneur, dans une lettre antérieure, qu'avec 3,200,000 + fr. en caisse, M. de Malsbourg se proposait de payer au premier + juillet les coupons d'intérêt à bureau ouvert, et que c'était là que + le public attendait M. Pichon. Je sais qu'avec son air de + nonchalance ordinaire, M. Morio parlant du déficit de M. de Laflèche + a dit que c'eût été un bon moment pour restreindre les dépenses et + pour devenir sage; mais la liste civile ayant réussi à faire un + emprunt de 4,500,000 francs, on ne songeait qu'à bâtir et à faire + des folies; qu'ainsi était le Roi, que dès qu'il avait de l'argent + comptant, cela s'écoulait entre ses mains. Or personne n'a pu me + dire où et comment la liste civile a fait un emprunt de 4 ou 500,000 + francs. Je poursuis. + + J'ai conseillé au Roi, m'a dit M. Pichon, de mettre son budget sans + réserve sous les yeux de l'Empereur et de lui dire: Sire, voilà où + j'en suis, conseillez-moi, aidez-moi. Le Roi n'a pas voulu..... + Enfin le Roi se perd, si l'Empereur ne vient pas à son secours, s'il + n'interpose pas son autorité. + + Ensuite M. Pichon me disant que sa place _actuelle_ était sans + responsabilité, et me rappelant ce que je lui avais dit dans le + temps, que comme garant de la Constitution westphalienne, Sa Majesté + Impériale s'en prendrait à la responsabilité des ministres, m'a + demandé si à ce sujet j'avais fait une notification par écrit. J'ai + répondu que non, mais que dans plusieurs circonstances j'avais + rappelé à tous et un chacun cette responsabilité.--Mais, a dit M. + Pichon, si les ministres n'agissent que par ordre du Roi? Le Roi + doit avoir au moins le même pouvoir dont jouit un maréchal ou un + gouverneur général.--Cela peut, ai-je répondu, n'être que + comminatoire; mais aussi cela peut un jour tomber sur la tête de + quelqu'un comme un coup de foudre.--Cela m'est égal, a dit M. + Pichon, je dirai toujours la vérité au Roi: je viens de la lui dire + fortement sur l'état déplorable des finances de sa maison: je lui + demanderai la permission d'aller à Paris. Là je lui dirai à quelles + conditions je pourrai le servir. Ses bienfaits m'ont mis au niveau + de mes dépenses. D'ailleurs avant tout je reste français: jamais je + ne prêterai un serment qui puisse me perdre cette qualité. + + M. Pichon, Monseigneur, jouit en ce moment de la confiance presque + exclusive du Roi. Ce que cette conversation m'a démontré, c'est + qu'il se regarde déjà comme ministre des finances, mais qu'il se + fait encore illusion. M. Pichon est plein de franchise. Il est + infatigable au travail, son caractère honnête, ses connaissances + sont vastes, ses vues étendues; mais son esprit est souvent faux, et + son ambition égale sa présomption. Il m'a accusé d'avoir voulu + l'écarter des affaires: il a méconnu les conseils de l'amitié. Son + impatience et une malheureuse inquiétude, que lui avaient donnée ses + premières dépenses, l'ont jeté dans une fausse route. En le + plaignant, en prévoyant qu'il court à sa perte, mon opinion est et + doit être aujourd'hui qu'il n'y a que M. Pichon qui parmi les + aspirants que peut offrir la Westphalie puisse être ministre des + finances. Il est l'auteur des projets dont l'exécution va commencer; + l'impulsion est donnée, il est français, il fera prévaloir toutes + les idées d'administration française. Il dira au Roi la vérité ou ce + qu'il croira tel, par instinct et sans réfléchir. Il s'opposera + souvent à ses volontés: ses collègues s'accoutumeront à ses vues et + à sa manière d'être. Si le Roi me consultait, ce qu'il ne fera point + assurément, jamais je ne lui dirais qu'il faut nommer M. Pichon, je + ne veux pas avoir M. Pichon sur mon âme; mais quand il l'aura nommé, + je lui dirai que c'est là ce qu'il fallait faire pour être + conséquent. + + Du reste, Monseigneur, si Votre Excellence se fait rendre compte de + ma correspondance, elle trouvera que M. Pichon ne m'a appris rien de + nouveau sur le _déficit_, et qu'après l'écart concernant la caisse + d'amortissement, on rentre dans l'ornière de M. de Bulow. + + Mais cet écart, Monseigneur, ne peut pas laisser d'entraîner des + conséquences funestes. Dans la stagnation actuelle de toutes les + affaires, avec le bas prix des grains dans un état agricole qui + tirait de leur exportation la plus grande partie de son numéraire, + avec la vigueur qu'il faudra employer pour faire rentrer les impôts, + et ce qui reste à percevoir de l'emprunt forcé, la cessation absolue + du paiement des intérêts de la dette publique, événement inouï en + Allemagne, accroîtra nécessairement à un degré difficile à calculer + les embarras et la misère. On combinera avec cette mesure + l'isolement du Roi et le camp de Catharinenthal (qui au reste n'est + composé que de quelques bataillons de la garde). Mais le Roi en + partant pour Paris[136] laissera-t-il entre les mains de M. de + Bongars un pouvoir sans contrôle? Hélas! faudra-t-il prévoir des + malheurs que peuvent causer dans la nouvelle crise qui menace la + Westphalie des mesures qui ne seraient point guidées par la sagesse? + + [Note 136: Il avait été invité à venir avec la Reine assister + au baptême du Roi de Rome.] + + +Dans une autre lettre du 17 mai, Reinhard rapporte un entretien +qu'il eut avec le roi, au sujet de l'approvisionnement à Magdebourg, +et le refus absolu que Jérôme opposa à toutes ses demandes sur ce +chapitre. Cependant le séjour que le roi fit à Paris lors des fêtes +pour le baptême du roi de Rome fit fléchir ses résolutions qui +semblaient si fermes. Comme le dit Reinhard: «On a toujours remarqué +que le roi rapportait de Paris des maximes saines et des résolutions +parfaites, qui ne durent pas toujours» (lettre à Bassano, du 8 +juillet); et il ajoute: «On a dû discuter au conseil des ministres +les moyens d'approvisionnement. On tâchera de trouver des fonds pour +l'acquisition des objets les plus pressants, qu'il faudra payer +comptant. On se procurera les grains par voie de réquisition, et au +moyen de bons payables en deux ans.» + +La même lettre jette un jour assez curieux sur la haute police en +Westphalie: + + + Depuis que la haute police est à peu près détachée de la préfecture, + celle-ci prend son essor contre les contraventions à ses règlements + dans les rues et dans les cabarets. Comme elle tire ses fonds + principaux des amendes et d'autres revenant-bons qu'elle s'est + créés, son industrie s'exerce de mille manières. Elle a pour maxime + de laisser vieillir ses règlements pour faire donner dans le piège + plusieurs contrevenants à la fois. Alors les amendes pleuvent sur de + malheureux paysans ou ouvriers qui expient un délit commis par + ignorance par la perte du gain d'une semaine. La haute police, de + son côté, ne respecte pas davantage la liberté personnelle. Une + circulaire récente du général Bongars ordonne à tous les maires du + royaume de faire arrêter sur-le-champ toute personne qui leur + paraîtra suspecte. C'est le besoin de créer des contraventions et + des délits qui se commettent par des employés français; la règle est + de les renvoyer en France, lorsqu'ils s'en sont rendus coupables + d'une manière trop éclatante, afin d'en soustraire la connaissance + aux tribunaux du pays. C'est ainsi que dernièrement le chef du + bureau de recrutement au ministère de la guerre fut renvoyé en + France pour des malversations énormes. Cela peut n'être pas très + légal et peut avoir d'autres inconvénients encore; mais cela est + conforme à la prudence. + + P. S.--Le retour de Mme Savagner n'a rien de commun avec la disgrâce + de son mari. Voici le fait. M. de Bercagny demandait à M. Savagner + des rapports très importants: celui-ci en demandait à ses + subalternes. L'un de ces hommes, voyant qu'on cherchait absolument + des indices de conspiration, imagina d'en forger une dans laquelle + il impliqua plusieurs personnages importants. Ce manège ayant duré + pendant quelques mois, le Roi eut enfin l'esprit de se douter que M. + Bongars et M. Bercagny étaient pris pour dupes. L'homme aux rapports + fut arrêté, menacé, confronté avec son commettant et finit par + avouer qu'il avait inventé toute la conspiration pour se faire + valoir. Sur cela le Roi a résolu de supprimer la préfecture de + police et l'on me dit que M. de Bercagny sera créé chambellan, ayant + la surintendance du spectacle[137]. + + [Note 137: On l'envoya plus tard préfet à Magdebourg.] + + +Quelques jours après, nouvelle arrestation! C'est une lettre de +Reinhard à Bassano, de Cassel, 15 juillet 1811, qui nous l'apprend: + + + Il s'est passé il y a trois jours un événement qui a beaucoup occupé + l'attention du public à Cassel. M. Savagner, secrétaire général de + la préfecture de police, a été arrêté pendant la nuit de jeudi + dernier, dans son lit, et ses papiers ont été visités. Le lendemain + on lui a signifié sa destitution et son bannissement de la + Westphalie. Il doit partir demain. + + Il existe plusieurs versions sur la cause de cette disgrâce. On + l'attribue à des malversations découvertes, à des propos offensants + tenus sur la personne du Roi (et en effet quelques personnes ont + subi des interrogatoires à ce sujet); à la dénonciation faite par M. + Savagner d'une prétendue conspiration qui s'est trouvée sans + fondement; enfin à des poursuites dirigées contre lui par le + gouvernement français pour d'anciennes malversations commises en + France. + + La lettre du Roi, adressée à ce sujet au ministre de l'Intérieur et + que j'ai lue, porte: que le sieur Savagner ayant, par des pratiques + hautement repréhensibles, cherché à surprendre notre religion et à + abuser de la confiance que nous accordons à toutes les autorités + instituées par nous, Nous ordonnons, etc. + + +Une affaire d'une autre nature vint à cette époque (juillet 1811) +indisposer l'empereur contre les agents du roi de Westphalie. Un +certain Hermann, commissaire à Magdebourg, fît, le 9 de ce mois, un +rapport à M. de Sussy sur la conduite du préfet de Magdebourg. + +Napoléon prit connaissance de cette pièce et la transmit au duc de +Bassano avec la lettre suivante omise à la _Correspondance_: + + + Trianon, 20 juillet 1811. + + Je vous envoie une lettre du sieur Hermann, commissaire à Magdebourg + pour la réception des marchandises coloniales provenant de la + Prusse. Vous y verrez quelle est la conduite du préfet de + Magdebourg. Parlez-en au ministre de Westphalie; écrivez à mon + ministre à Cassel de porter plainte contre le préfet de Magdebourg; + chargez-le d'exprimer à cette cour tout mon mécontentement que dans + une ville que j'ai conquise et où sont mes troupes, on tienne une + conduite aussi contraire à mes intérêts; qu'on n'aurait point osé se + comporter ainsi dans un pays ennemi. + + +Voici maintenant le rapport du sieur Hermann, en date de Magdebourg, +9 juillet 1811: + + + Permettez-moi d'appeler un moment votre attention sur un objet dont + j'ai déjà eu l'honneur de vous entretenir plusieurs fois. C'est le + défaut d'emplacement et la mauvaise volonté de M. le comte de + Schullembourg, préfet de cette ville. + + Cet administrateur a témoigné cette mauvaise volonté dans toutes les + occasions depuis le premier jour où il a été question de faire ici + l'entrepôt des marchandises coloniales. À chaque demande j'ai + éprouvé un refus. Pour chaque grenier de la douane, pour chaque + emplacement il m'a fallu faire intervenir l'autorité du gouverneur + de Magdebourg et le préfet a semblé prendre à tâche de jeter par là + de l'odieux sur l'opération dans la ville, et de la rendre + désagréable au gouvernement de Cassel. + + Le 4 de ce mois, me voyant à la veille de manquer tout à fait + d'emplacement, j'ai été voir M. le préfet pour lui demander une + église convenable: il me l'a refusée sous un prétexte. Je lui en ai + proposé trois autres: il me les a refusées sous d'autres prétextes. + Tout avec lui est embarras. Enfin, voulant éviter de faire usage de + l'autorité militaire, j'ai écrit à M. le préfet la lettre que vous + trouvez ci-jointe. Il m'a répondu le lendemain. Il est impossible en + lisant sa lettre de se dissimuler que M. le préfet est plein d'un + venin secret qu'il ne peut s'empêcher de répandre lorsqu'il s'agit + de la France. En réponse je lui ai adressé le numéro 3 et j'ai tâché + de lui faire sentir le plus doucement possible combien ses + observations étaient déplacées. Il m'a répliqué par le numéro 4. Il + est impossible de faire une proposition plus absurde à un + commissaire de Sa Majesté l'Empereur, de lui prescrire des + conditions d'une manière plus impérative. J'ai répondu à cela par + une lettre nº 5 et il a fini par m'envoyer celle nº 6, dans laquelle + il se plaît encore à s'escrimer contre les fonctionnaires publics + qui lui ont, dit-il, souvent manqué de parole. + + Je pourrais encore laisser à M. le préfet la consolation de se + démener contre les Français et les fonctionnaires publics de la + France, mais il me déclare positivement, dans sa lettre nº 4, que + dans aucun cas il ne peut plus rien faire pour l'opération dont je + suis chargé, c'est-à-dire qu'il ne me donnera plus aucun + emplacement. L'église Sainte-Catherine que je me suis vu forcé de + prendre est une des plus petites de la ville. Elle est dans un + grand éloignement, elle est voûtée en dessous, et par conséquent a + besoin d'être ménagée. Elle ne contiendra pas les 10,000 quintaux + métriques environ qu'il me reste à faire débarquer de + l'arrondissement de Stettin; mais il me faudrait deux églises encore + pour mettre à couvert les 40,000 quintaux métriques qui doivent + venir de Koenigsberg. Par la mal-façon du préfet, aujourd'hui déjà + il a fallu suspendre le déchargement et il ne pourra être repris + qu'après-demain, parce que l'église ne peut être évacuée plus tôt. + Les Prussiens ne se plaignent pas d'un si petit retard; mais si, à + l'arrivée des barques de Koenigsberg, il y avait un retard de quinze + jours seulement, ils auraient droit, ce me semble, de demander un + dédommagement. + + Ayez la bonté, je vous prie, Monsieur le comte, de faire un rapport + à ce sujet à Sa Majesté l'Empereur et de la supplier de vouloir bien + charger son ministre à Cassel de demander au gouvernement + westphalien qu'il soit adressé ordre au préfet de Magdebourg de + mettre à ma disposition les emplacements qui me seront nécessaires + et de mettre à cela autant de bonne volonté qu'il en a mis de + mauvaise jusqu'à présent; autrement je ne puis répondre de rien. Le + préfet semble prendre à tâche de forcer le général à user de + l'autorité militaire pour pouvoir crier à la tyrannie. Le général ne + se soucie pas de se faire trop de querelles avec le gouvernement + westphalien. En conséquence je risque de rester avec les bateaux en + panne sur l'Elbe sans pouvoir rien mettre à terre. + + Je crains aussi qu'en faisant tant de bruit pour une église on + n'indispose la canaille et qu'elle ne cherche à mettre le feu à + quelque magasin. Je crois qu'il serait bon de faire quelques + largesses aux pauvres de la paroisse de l'église Sainte-Catherine. + Si vous m'y autorisez, je leur ferai donner 2 ou 300 écus, ce qui + est beaucoup moins que le loyer que coûterait un pareil emplacement, + et lorsque je serai forcé de demander une autre église, les pauvres + de la paroisse qui s'attendront aussi à un bienfait s'en réjouiront + au lieu de s'en affliger. Il n'y a pas un meilleur moyen de répondre + aux sarcasmes du préfet. + + +Envoyé à Brunswick pendant la foire importante qui se tenait chaque +année dans cette grande ville, pour observer les dispositions des +habitants, Reinhard y séjourna quelques semaines, rendit compte de +ce qu'il avait observé et reprit, à son retour à Cassel, sa +correspondance avec le duc de Bassano. + +Au commencement de décembre 1811, les bruits de guerre avec la +Russie ayant pris une certaine consistance, le roi Jérôme crut +devoir adresser une longue lettre à son frère, pour mettre sous ses +yeux le tableau fidèle de la situation de ses États. Il lui écrivit +donc de Cassel le 5 décembre une lettre[138], où Jérôme donnait à +son frère, dans un langage cette fois vraiment noble et élevé, +presque prophétique, des avertissements auxquels Napoléon répondit +par cette lettre sèche et dure (10 déc. 1811), qui n'est ni dans la +_Correspondance_, ni aux _Mémoires de Jérôme_: + + [Note 138: Lanfrey en cite un fragment au dernier vol. de son + _Histoire de Napoléon_, V, 502.] + + + Mon frère, je reçois votre lettre du 5 décembre. Je n'y vois que + deux faits: 1º que les propriétaires à Magdebourg, à Hanovre + abandonnent leurs maisons pour ne pas payer les surcharges que vous + leur imposez;--2º que vous croyez n'être pas sur de vos troupes et + que vous m'avertissez de ne pas compter sur elles. Quant au premier + objet, il ne me regarde pas. Je vous ai constamment recommandé + d'avoir pour principe de contenir les ennemis de la France, de ne + point leur donner une excessive confiance, d'assurer la place + importante de Magdebourg en accordant plus de confiance aux généraux + qui y commandent, enfin de mettre de la suite et de l'économie dans + le système des finances de la Westphalie. + + Quant au second objet, c'est ce que je n'ai cessé de vous répéter, + depuis le jour où vous êtes monté sur le trône: peu de troupes, mais + des troupes choisies et une administration plus économique auraient + été plus avantageuses à vous et à la cause commune. Quand vous aurez + des faits à m'apprendre, j'en recevrai la communication avec + plaisir. Quand, au contraire, vous voudrez me faire des tableaux, je + vous prie de me les épargner. En m'apprenant que votre + administration est mauvaise, vous ne m'apprenez rien de nouveau. + + +L'empereur n'en prit pas moins en sérieuse considération ce que +Jérôme lui écrivait, car il manda le même jour, 10 décembre 1811, à +son ministre des relations extérieures: + + + Monsieur le duc de Bassano, je vous envoie pour vous seul une lettre + du roi de Westphalie que vous me renverrez. Tirez-en la substance, + non sur la forme d'une lettre du Roi, mais comme extrait d'une + communication de la Cour de Cassel. Vous enverrez cet extrait à mon + ministre à Cassel, et vous le chargerez d'avoir des conférences avec + les ministres du Roi, pour connaître les faits, ce qui a donné lieu + à cette opinion qui paraît être celle du Roi, enfin quel est le + remède. Si les troupes ne sont pas sûres, à qui en est la faute? Le + Roi lève trop de troupes, fait trop de dépenses et change trop + souvent ses principes d'administration. Mon ministre fera vérifier + les faits à Magdebourg, à Hanovre; la France ne tire cependant rien + de ces pays. Vous lui recommanderez d'avoir des conférences + sérieuses avec les ministres du Roi, de bien asseoir son opinion sur + ces différentes questions et de vous les faire connaître. + + +Les lettres qui suivent présentent un intérêt moins général: + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 19 décembre 1811. + + La haute police du royaume déploie en ce moment une activité assez + grande. La nomination des commissaires de police, même dans les + petites villes, qui jusqu'à présent avait appartenu au ministère de + l'intérieur, sera désormais du ressort de la haute police. Elle fait + tenir par la gendarmerie jusque dans les bourgs et dans les villages + des registres où le nom et la fortune de presque tous les habitants + se trouvent inscrits et où il y a une colonne d'observations. + Plusieurs arrestations, dit-on, ont eu lieu, soit ici, soit + ailleurs. Quelques employés des postes surtout ont été ou arrêtés ou + renvoyés, soit pour avoir favorisé des correspondances suspectes, + soit pour s'en être permis eux-mêmes qui ne convenaient point. Un + jeune étudiant de Goettingue a été conduit à Cassel pour avoir écrit + une lettre où il racontait avec une inexpérience enfantine + l'histoire du transparent. Comme il n'a que dix-huit ans, qu'il + n'est venu à l'Université que depuis six semaines et qu'il a de bons + témoignages concernant la régularité de sa conduite et son assiduité + aux études, il a été relâché avant-hier après une détention de + quinze jours. Ils s'appelle Westphal et est natif de Berlin. Le + ministre de Prusse avait intercédé en sa faveur. On nomme aussi + quelques personnes, du reste insignifiantes, dont on a examiné les + papiers. + + Il paraît, cependant que, dans certaines circonstances, le zèle de + la haute police passe un peu la mesure. Un baron d'Elking, natif de + Brème, dont le père avait été syndic de cette ville, arrivé ici avec + ses propres chevaux et deux domestiques, ayant pris des chambres + dans une maison particulière et averti qu'il fallait se munir d'une + carte de sûreté, avait envoyé son chasseur chez M. de Bongars, qui + connaissait sa famille, pour demander cette carte et pour lui + annoncer sa visite pour le lendemain. La commission fut mal faite + et, au milieu de la nuit, M. d'Elking fut obligé de quitter son lit + et fut conduit à la police. Il semble que, dans ce cas, ce sont + d'abord les propriétaires qui sont responsables, qu'ensuite, + lorsqu'il s'agit de simples éclaircissements, la police en prenant + ses précautions pourrait attendre le jour pour se les faire donner. + Quoi qu'il en soit, M. d'Elking s'étant présenté chez moi comme + sujet français et m'ayant raconté ce fait, j'ai cru devoir dire au + commissaire général de police que si pareille chose arrivait encore + à un sujet français, je serais obligé de m'en plaindre à sa cour et + à la mienne. + + On croit ici que la haute police, en redoublant en ce moment de + surveillance, suit les directions de M. le maréchal prince d'Eckmuhl + et que ces mesures sont liées à celles de l'arrestation du sieur + Becker à Gotha. + + +Le 24 décembre, le général Morio, grand écuyer, fut assassiné dans +les écuries du Roi par un maréchal-ferrant: Reinhard rendit compte +de cet événement et de la mort du général par une lettre en date du +25, dont nous extrairons un passage: + + + Le général Morio est tombé victime d'une vue sage et dictée par + l'esprit de justice qui l'avait porté à employer dans son + administration des ouvriers allemands, concurremment avec les + ouvriers français. Il avait adjoint un maréchal ferrant d'Hanovre à + son assassin qui, blessé encore par un refus d'augmentation de + gages, demanda et obtint son congé. Cet homme était au service du + Roi depuis sept ans: il paraît qu'il se sentit humilié, soit de + rester ici sans emploi, soit de rentrer en France. On avait toujours + remarqué quelque chose de sournois dans son caractère; aussi le + général, tombant du coup, s'écria: «C'est Lesage qui me tue.» + + Comme en histoire naturelle on croit utile de faire la description + de certains monstres, on doit attacher quelqu'intérêt à connaître + l'action monstrueuse de cet homme dans ses motifs et dans ses + développements. Il est né à Tarascon, pays, dit-on, fertile en + contrebandiers et où les assassins ne sont nullement inconnus. On + ignore s'il a joué un rôle dans la Révolution; mais au service du + Roi il s'est toujours bien conduit; aussi n'avait-on pas fait la + moindre difficulté de lui accorder le certificat de bonne conduite + qu'il demandait pour rentrer en France. On lui offrit des frais de + voyage qu'il refusa avec hauteur, mais le lendemain il revint dire à + M. de Saint-Sauveur qu'il avait réfléchi sur ce qu'on trouverait son + refus insolent et qu'il accepterait l'indemnité. Il possédait une + paire de pistolets: il en acheta une seconde sous le prétexte qu'on + volait du fer dans son atelier, ou plutôt ce vol était véritable, et + ce fut le général Morio qui donna l'ordre de lui fournir des armes. + Chargé de chaînes, voici ce qu'il a déclaré au général Bongars dans + son interrogatoire: + + «Depuis plus d'un mois, j'étais déterminé à tuer ou le général Morio + ou M. de Gilsa et ensuite à me tuer moi-même; mais c'est depuis le + 19 que ma résolution était de les tuer l'un et l'autre, Gilsa parce + qu'il a donné le mauvais conseil, Morio le premier parce qu'il l'a + exécuté. Depuis le 19, le général Morio se trouva plusieurs fois à + portée de mon pistolet; mais je voulais attendre qu'ils fussent + réunis. Lorsque j'ai voulu tirer le second coup sur Gilsa, j'ai + trouvé dans mon point de mire M. de Saint-Sauveur qui est honnête + homme, c'est ce qui a sauvé Gilsa.» Son second coup n'a point été + tiré contre M. de Saint-Sauveur, mais contre un palefrenier qui l'a + échappé par un miracle. La balle s'est coupée en deux contre une + petite clef qu'il avait dans sa poche et qui s'est dessinée sur sa + chair.--«Mais comment, dit M. de Bongars, avez-vous pu commettre un + pareil crime pour une bagatelle?»--«Mon honneur a été outragé; vous, + dans ce cas, lui auriez demandé raison; et il aurait été obligé de + vous la faire. Moi, on m'aurait jeté dans un cul de basse-fosse et + chassé du royaume. Ainsi ne pouvant le tuer par devant je l'ai tué + par derrière.»--«Mais il ne mourra pas,» dit M. de Bongars.--«Il + mourra, dit le scélérat, j'ai vu le trou où la balle est entrée.» + + On a trouvé chez lui le testament qu'il avait annoncé. Il y est dit + que Morio et Gilsa étant deux coquins qui trompaient le Roi, il a + voulu en faire justice. «Lorsque je ferrais seul les chevaux, + disait-il encore, pas un clou ne portait à faux; depuis que ce + misérable Allemand m'est adjoint, il y a toujours six chevaux au + moins qui couchent sur la litière.» + + Depuis qu'il est arrêté, il n'a voulu ni manger ni boire. «Les + formalités de mon procès, dit-il, seront assez longues pour me + donner le temps de mourir de faim et de n'être pas déshonoré par la + mort sur l'échafaud.» Il a mangé depuis. + + Tous, Français et Allemands trouvent un adoucissement au chagrin que + cause cette catastrophe en ce que l'assassin n'est pas un Allemand. + Tous frémissent de l'idée des conséquences qu'aurait pu entraîner le + même coup si l'on avait pu l'attribuer à l'esprit de parti. + + La dissection du cadavre a montré la balle dans la moelle épinière + même. Aussi le général s'est-il cru mort du premier moment. Toute la + partie inférieure de son corps était sans sentiment. Dans son + testament, qu'il a dicté et signé, il a légué les trois quarts de + son bien à sa femme enceinte et l'autre quart à ses frères qui sont + sans fortune. + + +La mort tragique du général Morio causa un vif chagrin au jeune roi; +dans un bulletin expédié à Paris par Reinhard, le 9 janvier 1812, il +est question de la somme dépensée au service funèbre. + + + Depuis la mort du général Morio on regarde comme les hommes les plus + influents les généraux Bongars et Allin. Le roi lui-même a dit à ce + dernier qu'il espérait qu'il remplacerait Morio. C'est un excellent + officier d'artillerie, du reste très sourd au physique et au moral + et ne connaissant que ses mathématiques. Son nom, très probablement, + reparaîtra quelquefois dans ma correspondance. + + Le roi est toujours inquiet des conspirations. M. Bongars doit avoir + découvert à Brunswick un embaucheur et fait arrêter un fermier + chargé de fournir les fonds. Il est très vrai que sur les revenus + des dotations hanovriennes il n'y a que 300,000 francs de payés, et + que le reste est assigné sur des marchés conclus dont le produit + n'est pas encore tout à fait disponible. À plus forte raison, je ne + puis croire au paiement du premier terme du capital. On se flatte + ici que l'indemnité pour la nourriture de nos troupes sera imputée + sur les 2,400,000 francs dus en 1812 pour la contribution de guerre, + et c'est ainsi qu'on fait les fonds pour la dette la plus pressée. + J'en ai la preuve sous les yeux. + + On se montre une liste des cadeaux faits par le roi depuis + l'incendie du château. La voici: la maison et mobilier au comte de + Bochholtz, 100,000 francs; la maison et mobilier au comte de + Loewenstein, 80,000 francs; gratification aux cinq ministres sur le + produit des bulletins des lois, 50,000 francs; à Mme Morio: en or, + 36,000 francs, plus un médaillon en diamants avec les portraits du + roi et de la reine, 10,000 francs, enterrement du général Morio, + 20,000 francs; sur le budget du ministre de l'intérieur, loterie de + bijoux à Catharinenthal, 25,000 francs; à la reine, en perles, + 36,000 francs; budget du grand écuyer, 850,000 francs. + + +Quelques jours après l'envoi de ce bulletin, le 23 janvier 1842, +Reinhard terminait une longue lettre au duc de Bassano par les deux +phrases suivantes omises aux _Mémoires de Jérôme_: + + + Il paraît que depuis les dernières représentations faites lors de + l'enterrement du général Morio, le roi boude le corps diplomatique. + Entre les bals masqués qui se donnent chez les ministres de Sa + Majesté, il y en a de masqués et de parés à la cour même, dont les + ministres étrangers sont exclus. Cela fait beaucoup de peine au + ministre d'Autriche qui a été mon principal instigateur (?), mais + qui n'en aime pas moins à savoir où passer ses soirées. + + Le public de Cassel, qui a entendu parler des dernières libéralités + du roi et qui est témoin des plaisirs du Carnaval, prétend que la + cour jette l'argent par les fenêtres parce que le roi sait que + Cassel ne sera pas longtemps sa résidence. + + +En même temps que ces lettres et ces bulletins de Reinhard étaient +mis sous les yeux de l'empereur, ce dernier recevait de son frère +une dépêche en date du 11 janvier (_Mémoires du roi Jérôme_, vol. +5e, page 179), dans laquelle le roi, exposant la situation précaire +des finances de son royaume, implorait un dégrèvement. On conçoit +que les rapports du ministre de France à Cassel n'étaient pas de +nature à engager Napoléon à satisfaire au désir du roi de +Westphalie. + +Vers cette époque la guerre avec la Russie devenait de jour en jour +plus probable. Napoléon manda à tous les princes de la Confédération +qu'ils eussent à préparer leur contingent. Jérôme s'empressa de +seconder de tout son pouvoir, dans ses États, les intentions de son +frère. + +Le 17 janvier 1812, Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano: + + + On lit déjà dans le _Moniteur westphalien_ quelques nominations qui + semblent indiquer que l'armée va être mise sur le pied de guerre. Le + roi a nommé deux payeurs-généraux et plusieurs officiers + d'ordonnance parmi lesquels on cite MM. de Lowenstein et de + Badenhausen, chambellans, et un comte de la Lippe. Le prince de + Hesse-Philippsthal dont le mariage avec sa nièce va se célébrer + aujourd'hui sera un des aides-de-camp de Sa Majesté. On dit dans le + public que le quartier général du roi sera à Erfurth. Le général de + Hammerstein se dispose à partir pour prendre le commandement de + l'avant-garde. Tous les officiers, toute la cour, s'il était + possible, voudraient joindre l'armée. + + Il y a eu pendant le Carnaval six bals masqués chez les ministres du + roi et les grands officiers, deux bals masqués et deux bals parés à + la cour, dans ce qu'on appelle l'intérieur, et un bal paré aussi + dans l'intérieur chez M. de Furstenstein. Le roi a défendu que le + dernier bal masqué qui devait se donner hier au théâtre eût lieu, + attendu que le carême a commencé. + + La remise des cinq dotations, montant à un revenu de 145,000 francs + dont le roi s'était emparé en 1809 et que plusieurs traités avec la + France l'avaient forcé de rendre, a enfin été effectuée. J'avais + annoncé dans mes numéros 263 et 264 que le roi s'en était indemnisé + pour une somme de 3 millions d'obligations provenant de créances du + roi d'Angleterre sur le pays d'Hanovre dont M. Pichon avait fait + cadeau à Sa Majesté; mais il y a eu double indemnité. La direction + des domaines de l'État a cédé au roi pour 2 millions de biens du + clergé de Hildesheim; elle a reçu en échange une dotation qui devait + être restituée, et c'est elle qui ensuite l'a rendue au donataire. + Un contrat formel a été passé à ce sujet entre le roi et M. Malchus. + En récompense ce ministre a reçu du roi, le 9 de ce mois, 20,000 + francs de sa cassette et 100,000 francs en obligations de l'emprunt + forcé, bonnes à employer comme argent comptant dans l'acquisition de + la terre de Marienborn dont M. Morio n'avait pas consommé l'achat. + La manière dont les intérêts de Mme Morio ont été stipulés dans + cette occasion m'est encore inconnue. À ces faits qui, ainsi que + plusieurs dont j'ai déjà fait mention, sont tous connus du public, + il faut en ajouter d'autres qu'on ne croit ici pouvoir expliquer que + par la supposition que le roi a cessé entièrement de prendre intérêt + à la situation de son royaume. Il a donné au sieur Roulland, son + deuxième chirurgien, 100,000 francs en obligations, pour lui faire, + dit-il, 4,000 francs de revenu. Cet homme, à qui le roi n'avait + presque jamais adressé la parole, est tombé des nues. Un comte de + Blumenthal, ancien maire de Magdebourg, ensuite chambellan, retiré + dans ses terres, enfin revenu à Cassel pour s'y établir, a reçu + 12,000 francs. + + Je regarde, Monseigneur, ces dernières prodigalités comme l'effet de + l'impression qu'ont fait sur l'esprit du roi les communications + récentes que j'ai été chargé de faire. Il se raidit en se punissant + lui-même contre les reproches trop fondés qui lui ont été adressés. + Il regarde la Westphalie comme perdue pour lui. Il met toutes les + chances dans son armée et dans le commandement qu'il espère obtenir. + Tous ses regards se tournent sur la Prusse et sur la Pologne; mais + l'impression que tout cela fait sur le public et sur tous ses + serviteurs honnêtes est inexprimable. Le public date cet abandon ou + le laisse aller de l'incendie du château. D'un autre côté, il n'est + que trop vrai que depuis l'entrée au ministère de M. de Malchus, + depuis le travail du budget qui a mis à nu son impuissance et la + disproportion entre les recettes et les dépenses, le désordre et la + corruption se répandent d'une manière effrayante dans toutes les + branches de l'administration. + + Les administrations militaires subalternes en sont surtout + infectées. M. Pichon garde le silence depuis qu'il habite le palais + le mieux meublé de Cassel; mais au moins il travaille. Les + conseillers d'État allemands sont tous sans la moindre influence. + L'abattement est dans toutes les âmes. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 30 janvier 1812. + + Si tout ce que je viens d'alléguer tend à prouver que la Westphalie + en ce moment possède encore des moyens pour faire ce que lui + prescrit une politique sage et dévouée en ne désorganisant point le + service accoutumé et régulier des fournitures à faire aux troupes + françaises, Votre Excellence d'un autre côté est assez informée par + mes rapports journaliers que la détresse des finances westphaliennes + est réelle, qu'elle va en croissant, et qu'un surcroît d'avances à + faire les épuiserait totalement dans un avenir très prochain. Pour + faire juger Votre Excellence à quel point on se procure ici des + ressources, je n'ai qu'à citer ce que je tiens de Sa Majesté + elle-même, que les domaines de l'État se vendent à neuf et à huit + fois le revenu. Une dépréciation pareille aurait probablement lieu + si l'on se pressait de vendre à la fois une trop grande quantité des + produits des mines qui peuvent être encore disponibles. Le banquier + Jacobson avec lequel on a conclu les derniers marchés parait avoir + fait une spéculation dans l'hypothèse d'une guerre prochaine. C'est + la même hypothèse qui a fait monter assez considérablement le prix + des grains. + + Un observateur placé hors de la Westphalie, mais dans le voisinage, + que j'avais interrogé sur la disposition des esprits et que je crois + digne de confiance, m'écrit: «Je suis sûr, comme vous, qu'il n'y a + pas encore de danger pressant. Il n'y a ni foyer de mécontents, ni + point de ralliement, ni chef de parti; au contraire, il n'y aurait + ni plainte, ni élan si on montrait de la confiance aux nouvelles + grandes familles et si on allégeait les impôts; aussi longtemps que + régnera une parfaite cordialité, une tranquille aisance, il n'y a + rien à craindre dans ce qui est soumis au grand empereur. On admire, + on craint, on respecte dans les petites souverainetés autrichiennes + (j'excepte Coethen). On aime et on se tranquillise; mais c'est la + Westphalie où le mécontentement est bien grand. L'idée qu'on a du + luxe, de la pompe asiatique de la cour, au lieu d'en imposer, aliène + les esprits. On ne croit pas à la pureté des moeurs. On exagère sans + doute dans les contes qu'on en fait; mais tout cela attire une + grande mésestime, et puis les impositions toujours nouvelles + occasionnent des plaintes aussi toujours nouvelles et mènent au + désespoir. Les pays de Hesse, Paderborn ne sont pas riches du tout. + Ils n'ont pas de ressources, ils n'ont que des pleurs. Si le coeur + compatissant du roi savait la pure vérité, tout changerait bientôt + de face. De plus, on s'imagine que le maître actuel pourra recevoir + une autre destination. Le manque d'héritier augmente les + inquiétudes. Si on fait des contes dangereux en parlant + d'insurrections qui éclateront, on ne peut nier qu'il y en a des + germes. Peut-être si on avait à faire à d'autres pays qu'à + l'Allemagne, ce serait bien pire; mais vous savez que le Germain est + tranquille, patient, ami de l'ordre, peu fait pour les révolutions; + seulement il ne faut pas le pousser à bout. + + Si le roi, au lieu de se dédire des fournitures, avait dit: «Tous + les fonds de l'État sont insuffisants aux dépenses courantes; mais + le moment presse; voilà ma liste civile de six millions. J'en + consacre un pour l'entretien des troupes de mon frère. Plus de bals + masqués, plus de cadeaux pour les costumes jusqu'à ce que j'aie + pourvu à l'essentiel. L'emploi des capitaux qui m'ont été cédés par + l'empereur sera pour l'armée.» Mais au lieu de cela on montre une + avidité scandaleuse pour faire payer d'avance le cadeau de 400,000 + francs qu'on a fait offrir par la ville à la reine; et on laisse là + des casernes à moitié achevées. On se fait remplacer par des + domaines de l'État les cinq domaines qu'il a fallu restituer aux + donataires impériaux; et dans la crise la plus importante on vit + dans une dissipation de dépenses et d'amusements qui fait dire dans + la ville de Cassel et dans tout le royaume que le roi n'agit ainsi + que parce qu'il se voit au dernier jour de son règne. + + Il est douloureux, Monseigneur, d'avoir à dire ces vérités, mais je + serais coupable en les dissimulant. + + +Continuant ses investigations sur la conduite et les libéralités du +jeune roi, M. Reinhard adresse encore au duc de Bassano les lettres +suivantes: + + + Cassel, le 20 février 1812. + + J'ai reçu en même temps une lettre pour M. le ministre de la guerre + de Westphalie où Monseigneur le major général de la grande armée + demande l'état de situation du contingent westphalien qu'il évalue + environ à 21,000 hommes, 3,400 se trouvant à Dantzig et 600 en + Espagne. M. le comte de Hoene m'a dit que les troupes mises sur le + pied de guerre atteignaient de bien près ce nombre. Il a observé, au + reste, qu'il fallait porter à 1,200 celui des troupes qui se + trouvaient en Espagne, savoir: un bataillon de 600 hommes en + Catalogne et un régiment de cavalerie légère de 600 hommes à l'armée + du Midi. Je lui ai demandé si le roi regardait son contingent comme + devant être composé en entier de Westphaliens?--«Sans doute, a-t-il + répondu, puisque nous n'avons aucune autorité sur les 12,500 hommes + de troupes françaises.»--«Je ne fais, ai-je dit, cette question que + pour mon instruction particulière, elle n'a point d'autre objet.» Du + reste, M. le comte de Hoene ne m'a point dissimulé que le mot + _contingent_ dont la France avait soin de se servir en parlant de + l'armée westphalienne ne lui paraissait pas d'un heureux augure pour + le désir du roi d'obtenir un commandement particulier. + + On se flatte de faire réussir à Francfort la négociation d'un + emprunt de deux millions contre un dépôt de la valeur de trois + millions en produit des mines. Il est aussi question d'une vente de + sels à l'extérieur pour la valeur d'un million. M. Pichon prévoit un + déficit de vingt millions, seulement pour les six premiers mois de + cette année. + + Le roi a envoyé, le jour des noces du prince de Hesse-Philippsthal, + à la mariée une corbeille magnifique et au prince, dit-on, un + portefeuille contenant deux cent mille francs en obligations. Je ne + saurais encore garantir ce dernier fait qui s'est accrédité dans le + public, sans doute pour rester en proportion des autres libéralités. + + + Cassel, 27 février 1812. + + L'emprunt de deux millions négocié à Francfort pour le gouvernement + westphalien par le banquier Jordis au moyen d'un dépôt en produits + des mines paraît avoir réussi, on dit même qu'il pourra être porté à + trois millions. Je n'en connais encore les conditions que très + imparfaitement. On ne croit point qu'elles soient fort avantageuses, + mais les besoins étaient urgents. On me fait espérer positivement + qu'une partie de cet argent sera employée à remplir les obligations + contractées envers la France, et particulièrement à payer les + 400,000 francs sur la contribution de guerre échus au 31 janvier. + + Le roi continue à faire des donations entre vifs, en obligations qui + lui appartiennent sur l'État. M. le comte de Furstenstein a encore + reçu deux cent mille francs le jour de la fête de la reine. M. + Malchus a fait pour M. Siméon l'acquisition d'une terre dont il + paraît que le roi avancera les fonds et qui a été adjugée à 168,000 + francs. Ces obligations sont au porteur. Elles ne sont qu'au cours + de 44; mais il paraît que le roi autorise quelquefois à les faire + valoir davantage en acquisitions de domaines. M. Pichon a remis au + roi, il y a peu de temps, pour 500,000 francs de ces obligations; il + vient d'en signer d'autres pour 600,000 qui seront mises à la + disposition de Sa Majesté. Voilà la raison pourquoi le système d'un + grand livre à inscriptions et transferts n'a pas été adopté. Le roi + se croyait dévoilé par cette formalité; cependant le secret n'en est + pas mieux gardé et les libéralités qui se font n'en peuvent pas + moins être constatées. Le roi se regarde en ce moment (ce sont les + expressions de plusieurs de ses serviteurs) comme un gouverneur qui + va quitter sa province et qui se débarrasse des effets qu'il ne peut + ou ne veut pas emporter. + + +Dans une lettre du 12 mars 1812, Reinhard donne encore un exemple de +la prodigalité du roi: + + + Le roi a donné à la fille du conseiller d'État Coninx, ancien + intendant des domaines royaux, une dot de deux cent mille francs en + obligations. Abstraction faite de tout ce qu'on peut dire pour ou + contre les motifs qu'il a pour faire de tels dons, provenant d'une + telle source, il est au moins certain qu'ils ont une influence + funeste sur le crédit des papiers de l'État, puisque ceux qui + reçoivent des obligations n'ont rien de plus pressé que de s'en + défaire. Le domaine acquis par M. Malchus s'appelle Marienrode et + non Marienborn. Son acquisition n'a rien de commun avec les intérêts + de Mme Morio. Il paraît aussi que les cinq domaines enlevés aux + donataires impériaux et cédés par le roi à l'État ne seront pas + restitués en nature, mais en argent. + + +Peu de temps après, Jérôme fut appelé _incognito_ à Paris par +Napoléon. Il rentra bientôt à Cassel, et eut la satisfaction +d'annoncer que son frère lui avait confié le commandement en chef de +toute la droite de la grande armée (60,000 hommes); les +Westphaliens, sous les ordres de Vandamme, composaient le 8e corps. + +Ce n'est pas ici le lieu de raconter la part honorable que prit +Jérôme aux opérations qui signalèrent le début de la mémorable +campagne de 1812; on en trouvera tous les éléments dans les +_Mémoires du roi Jérôme_, et dans un volume intitulé _Mémoire pour +servir à la campagne de 1812_[139]. Il suffit de dire qu'à la suite +de dissentiments avec l'empereur, Jérôme fut relevé de son +commandement. Citons cependant la lettre qu'avant cet événement il +écrivait de Grodno le 5 juillet à sa femme, la reine Catherine, +qu'il avait laissée à Cassel, régente du royaume: + + [Note 139: P. 356.] + + + Ta dernière lettre est du 22, je ne l'ai reçue qu'hier. Tu vois que + je suis arrivé à Grodno avec ma cavalerie légère. J'ai aussi été + obligé d'y rester quelques jours qui n'ont fait de mal à personne. + + L'empereur est entré à Vilna le même jour que je suis entré à + Grodno. Ainsi, il ne pourra qu'être, j'espère, satisfait de son aile + droite. Ma cavalerie est à vingt ou trente lieues en avant, mais les + Russes ayant quelques jours de marche, nous ne pouvons les attaquer, + et, à l'exception de quelques convois et quelques Cosaques, nous ne + faisons qu'user nos souliers. + + L'armée russe, par les savantes manoeuvres de l'empereur, est + entièrement coupée en trois; aussi, je ne sais pas trop où elle se + réunira, à moins que ce ne soit derrière leurs marais ou la Dwina, + encore je doute que celle de Bagration, qui m'est opposée, puisse y + parvenir; du moins, je ferai tout pour tâcher de l'empêcher. + + Tu sais sans doute que la diète de Varsovie s'est déclarée diète + générale du royaume de Pologne et a proclamé son existence, etc. + + Je jouis de la meilleure santé; l'empereur ne s'est jamais si bien + porté; il est dans son centre; il n'a même pas besoin de jouer + serré; il pelotte en attendant partie, et je crois qu'il finira + quand cela lui conviendra, car c'est bien le cas de dire que même + sur l'opinion il peut ce qu'il veut. + + J'ai été obligé d'ôter à Vandamme le commandement du 8e corps; il en + faisait de toutes les couleurs, pillant, volant, donnant des + soufflets, des coups de pied à tout le monde, etc. C'est incroyable + la haine que son nom inspire dans ce pays, les habitants en ont une + frayeur inconcevable. Je présume que l'empereur le renverra chez lui + ou lui donnera un commandement sur les derrières. + + Je compte partir aujourd'hui et j'espère dans quelques jours + rejoindre l'empereur, cela me rendra bien heureux. + + +La veille du jour où il allait être relevé de son commandement, il +écrivait encore à sa femme de Mir, 13 juillet 1812, midi: + + + Je répondrai cette fois, ma chère Toinette, à ta lettre du 27, sur + tous les points, c'est ce que je fais toujours; mais tu prétends + que je déchire tes lettres avant ou sitôt après les avoir lues. + + 1º Il n'est pas douteux que les ministres ne doivent te communiquer + les rapports qu'ils m'adressent; il me semble même que c'est ce + qu'ils font, puisque je les reçois presque toujours et par toi et + par eux. + + 2º M. Siméon a pu tenir dans sa maison le conseil des bâtiments, + puisque ce n'est qu'une affaire de maison, qui n'a rien de commun + avec l'État; mais pour tenir ce conseil, il fallait le convoquer; et + pour le convoquer, il a fallu que Boucheporne, qui fait les + fonctions de secrétaire du cabinet, prît tes ordres; car il n'y a + que le secrétaire du cabinet qui puisse convoquer un conseil + d'administration de la maison. Il ne faut pas te gêner et le dire + clairement à M. Siméon. + + 3º M. Siméon _ne peut_ tenir un conseil des ministres chez lui: 1º + parce qu'il faut prendre tes ordres pour le rassembler; 2º parce que + c'est directement défendu par une instruction, tous les conseils + _doivent être tenus dans mon palais_. + + 4º Il doit te rendre compte de tout ce qu'il fait et reçoit, comme + il le ferait pour moi, et je ne conçois pas comment il a pu se + permettre de donner une permission, soit aux conseillers d'État, + soit aux ministres de France et d'Autriche, sans prendre tes ordres; + tes rapports avec moi ne l'empêchent nullement de te rendre compte + _de tout, il faut l'exiger_. À l'âge de M. Siméon, on n'est plus + dirigé que par deux passions: l'avarice et l'ambition; il faut + réprimer la dernière, et pour cela, il suffit d'un peu de fermeté. + + Je ne veux pas des plans que l'on m'a envoyés. Je veux, puisqu'il + faut dépenser huit à dix millions en six ans, que l'on construise + sur l'emplacement de la rue Royale, où demeure la comtesse d'Oberg, + un peu plus en arrière. Donnes-en l'ordre à Moulard pour qu'il se + fasse faire le plan. J'espère que pour cette fois j'ai répondu à + toutes les affaires. + + Maintenant parlons de nous: + + Tu ne dois pas t'étonner si tu reçois de mes nouvelles beaucoup plus + rarement, car je suis aux frontières de l'ancienne Pologne, + poursuivant le prince Bagration qui se retire avec 80,000 hommes. Il + y a deux jours que 3,000 hommes de cavalerie de mon avant-garde ont + eu un engagement sérieux avec l'arrière-garde ennemie ici-même; les + Polonais se sont battus comme des diables, et s'ils avaient eu la + patience d'attendre l'arrivée des cuirassiers et des hussards, + l'ennemi n'aurait pas emporté ses oreilles; mais ils ont voulu aller + toujours en avant, et comme l'ennemi était beaucoup plus fort, ils + n'ont pu que lui faire beaucoup de mal, mais sans aucun résultat. + + Dans peu de jours, les Russes auront évacué toute l'ancienne + Pologne, ce qui est inconcevable; le pays est assez beau, mais il + faut y être obligé pour y rester, car c'est au bout du monde. + + Tu as sans doute reçu mes lettres de Grodno, etc.; les postes vont + très doucement, et je crois même être à peu près le seul qui reçoive + aussi souvent des nouvelles de chez moi. + + Je vais partir pour Nesvig, assez jolie petite ville de Pologne; car + celle-ci est assez misérable. + + +À quelques jours de là, la situation avait bien changé, et c'était +sur un autre ton que Jérôme écrivait à Napoléon, de Tourets, 17 +juillet, à 8 h. du matin: + + + Sire, je reçois à Touretz la lettre que V. M. m'a fait l'honneur de + m'écrire en date d'hier. J'ai quitté Nesvig, ayant été prévenu que + les Autrichiens allaient y arriver. + + La manière dont j'ai reçu l'ordre d'être sous le commandement du + prince d'Eckmühl sans en avoir été prévenu ni par V. M., ni par le + prince de Neufchâtel; la lettre dure que V. M. m'a écrite en date du + 10, dans laquelle elle me disait que je n'avais qu'à m'en aller, + qu'elle ne mettait point d'obstacle à mon départ; l'extrême inimitié + que le prince d'Eckmühl m'a toujours portée; le mésentendu qui avait + existé entre ce prince et moi avant l'arrivée de V. M. à l'armée, et + enfin le malheur que j'avais de ne m'attirer que des reproches et de + ne jamais réussir à contenter V. M. malgré ma bonne volonté; tout + m'a fait croire qu'Elle voulait que je quittasse le commandement + comme Elle semblait me le dire dans sa lettre du 10. + + Dieu m'est témoin, sire, que jamais une mauvaise idée n'est entrée + dans mon âme et que vous et l'honneur avez toujours été mes seuls + guides. + + Actuellement, il dépend de V. M. d'achever de me perdre ou de me + sauver, puisqu'ayant remis le commandement depuis trois jours, ayant + fait avec ma garde des marches rétrogrades et annoncé que V. M. + m'appelait sur un autre centre, je ne puis plus retourner. V. M. + pourrait, la retraite du prince Bagration s'effectuant sur Mogouir, + me donner un commandement sur les côtes en cas de descente des + Anglais et de mouvement dans cette partie, ou enfin toute autre + destination qu'il lui plaira. J'espère encore que dans une + circonstance comme celle-ci d'où dépend le sort de toute ma vie, + elle ne m'abandonnera pas. + + +Le 28 juillet, nouvelle lettre du roi à la reine, écrite de +Bialistok: + + + J'ai reçu ce matin à Bialistok tes lettres du 17 et du 20 en même + temps. Tu peux bien penser que, si je retourne, c'est que je dois le + faire, c'est que je ne puis faire autrement, sans me déshonorer. + Comment, moi qui commande l'aile droite, composée de quatre corps + d'armée, on m'ordonne, en cas de réunion ou de bataille, d'être sous + les ordres d'un simple maréchal qui ne commande qu'un seul corps? + L'empereur a bien senti que ce ne pouvait être, car c'eût été + m'afficher aux yeux de toute l'Europe, comme un homme incapable, et + n'eût-on pas dit avec raison: Quand il s'agit de parades et de + marches, le roi est assez bon pour commander; mais quand il s'agit + de se battre, il doit et ne peut qu'obéir? Il eût autant valu me + donner un coup de pistolet que de me déshonorer de la sorte. Et de + quelle manière je reçois cet ordre par le prince d'Eckmühl! Cet + ordre est daté du 6. Je reçois des lettres de l'empereur et du + prince de Neufchâtel des 6, 7, 8, 9, 10 et 11, et on ne m'en dit pas + un mot; on ne me le fait pas même soupçonner, et c'est lorsque je me + bats avec l'ennemi, lorsque je fais le reproche au prince d'Eckmühl + de ce qu'il perd du temps, et lui mande que s'il veut faire deux + marches de tel côté, Bagration était à nous; c'est alors, dis-je, + pour toute réponse qu'il m'envoie l'ordre qui me met sous ses + ordres. Tu sens bien que je n'ai pu que le transmettre à mes + généraux et me retirer. L'empereur n'eût pas fait autrement. Je ne + pouvais autrement agir sans me déclarer incapable aux yeux de + l'armée et de l'Europe; je n'ai pas mis la moindre humeur dans ma + conduite et l'empereur ne pourra, lorsqu'il sera de sang-froid, que + me rendre justice, et sentir qu'il a de grands torts vis-à-vis de + moi dans cette circonstance. + + Bref, l'essentiel en ce moment, ce que l'_empereur désire le plus_, + c'est qu'il n'y ait pas le moindre éclat, et que cela paraisse une + chose simple; d'ailleurs, rien ne l'est effectivement davantage, on + veut que je serve, moi qui commande la droite, sous les ordres d'un + maréchal; je ne le veux ni ne le peux vouloir, voilà tout; je me + retire, c'est tout simple. + + Du reste, c'est mon armée seule qui a eu quelques engagements, qui a + arrêté l'ennemi; il n'y a pas eu un coup de fusil tiré depuis mon + départ, et je crains bien qu'il n'y en ait pas de sitôt, car les + Russes ont déclaré vouloir toujours se retirer. + + À mon retour, je t'en dirai davantage; tu dois toujours bien dire + qu'ayant demandé à revenir chez moi, l'empereur l'a trouvé tout + simple, les premières opérations étant terminées. + + Je t'écrirai demain plus en détail après le retour du baron de + Sorsum que j'ai envoyé auprès de l'empereur. + + +Cependant Reinhard, resté à Cassel, continuait de tenir l'empereur +et le duc de Bassano au courant de ce qui se passait en Westphalie: +le 2 mai il expédiait le bulletin suivant: + + + Cassel, 2 mai 1812. + + On parle beaucoup à Cassel de la nomination, à la place du receveur + général du département de la Fulde, d'un sieur Alexandre, économe de + la maison des pages du roi. C'est le père d'une demoiselle fort + jeune et fort jolie qui, après avoir épousé pour la forme, dit-on, + un Escalonne, employé aux postes de l'armée, est partie pour le + quartier général de Kalisch. Son départ ayant coïncidé avec celui du + roi, le public voit en elle la maîtresse de camp de Sa Majesté. + + On dit que les gardes-du-corps vont revenir, attendu qu'ils sont + trop peu nombreux pour servir en ligne et qu'ils jouissent de + distinctions que Sa Majesté impériale n'a accordées à aucun corps de + sa propre garde. Leur colonel, M. le chevalier Wolf, vient d'être + nommé général de brigade. + + + 30 juin 1812. + + M. le comte de Pappenheim, premier chambellan du roi, frère du + ministre de Darmstadt à Paris, était atteint depuis plusieurs + semaines d'un dérangement d'esprit qui, après quelques accès de + fureur, a amené un abattement assez voisin de l'imbécillité. Il a + été conduit à Paris. Sa femme, dame du palais, est partie pour une + terre que M. de Waldener, son père, possède dans le département du + Bas-Rhin. Les uns attribuent la maladie de M. de Pappenheim à des + causes physiques, les autres à des causes morales. Ce n'était jamais + un homme d'un grand esprit; mais il paraît avoir été élevé dans des + principes sévères dont on dit que l'ambition de devenir grand + chambellan l'avait fait dévier, en connivant à certains arrangements + qui concernaient Mme de Pappenheim. + + Mme la baronne de Bigot est partie pour aller joindre son mari, + ministre du roi, à Copenhague. Un voyage qu'elle avait fait à Paris, + sans la permission de Sa Majesté, et quelques démarches qu'elle y + fit, dont le roi eut connaissance, avaient déplu. Après son retour, + elle avait été exclue de la cour: néanmoins, elle semblait préférer + l'état d'abandon où sa disgrâce la plaçait à Cassel à l'honneur de + faire les affaires du roi en Danemark, lorsque tout à coup M. Siméon + reçut les pleins pouvoirs de son mari pour le divorce. M. de + Furstenstein lui ayant mandé que le roi, justement irrité de la + conduite et des liaisons affichées de Mme Bigot, ne voulait point + qu'elle allât à Copenhague écrire les dépêches de son mari, ses amis + lui ont conseillé de partir sur le champ, et, par l'intercession de + M. Siméon, M. Bigot a consenti à la recevoir. + + La demoiselle Alexandre, mariée Escalonne, qui avait précédé de peu + de jours le roi partant pour Glogau, est revenue subitement avec sa + mère, pendant qu'on était encore occupé à expédier d'ici des cadeaux + que le roi, disait-on, lui destinait. On ne sait pas encore comment + expliquer cette séparation soudaine, lorsque Mme Escalonne + paraissait encore jouir d'une faveur trop prononcée pour faire + croire que le moment était arrivé où Sa Majesté s'en dégoûterait. + Mme Morio, qui la semaine dernière avait reçu une invitation pour + être du voyage de Napoléons-Höhe, s'en étant excusée parce qu'elle + était au terme de sa grossesse, avait été contrainte de s'y rendre + par ordre de la reine, et ce ne fut que sur une attestation des + médecins qu'elle obtint la permission de retourner à Cassel. + + D'un autre côté, M. le comte de Bochholtz s'étant trouvé absent de + Cassel, lors du retour de la reine de Dresde, a reçu avis que + pendant l'été il ne serait jamais du voyage. En conséquence, il est + retourné dans ses terres. On dit que Mme la comtesse de Loewenstein, + dame du palais, est la seule qui ait obtenu du roi la promesse + qu'elle le suivrait dans le cas où il serait roi de Pologne. Ce qui + est certain, c'est que Mme de Loewenstein se distingue de ses + compagnes par ses moyens, par son ton et par son esprit de conduite. + Quoi qu'il en soit, il est douteux si M. de Bongars fera tarir les + pleurs que la crainte d'être délaissées en Westphalie fait verser à + certaines dames de la cour, qui, ayant attaché leur sort et celui de + leur mari au roi, ne prévoient point quelle existence pourrait + compenser celle qu'elles perdraient dans le cas où leurs + appréhensions se vérifieraient. + + M. Siméon vient de me prévenir confidentiellement que d'après une + invitation reçue de S. M. l'impératrice la reine partira pour Dresde + ce soir à onze heures. M. de Collignon, son écuyer, ayant été chargé + de la précéder de quelques heures pour féliciter Leurs M. I., je + profite de son départ pour transmettre de mon côté la nouvelle du + voyage de la reine à V. Exc. M. Siméon en donnera demain matin + connaissance officielle au Corps diplomatique. + + Il est arrivé avant-hier un nouveau courrier du roi. Sa M. n'a point + ratifié le projet de vente du domaine de Barby, dont l'ancien + fermier avait offert 1,050,000 en argent comptant. L'administration + est embarrassée de ce refus qui fait manquer une ressource sur + laquelle on avait compté. M. le Ministre des finances a convoqué + hier la section du conseil d'État pour proposer plusieurs projets + d'augmentation de recettes et particulièrement de la contribution + foncière. Il s'occupe aussi d'une vente d'une partie considérable + des dîmes appartenant à l'État. Il se pourra aussi qu'on ait recours + à un emprunt forcé qui serait le troisième depuis l'avènement du + roi. Mais plusieurs personnes regardent ce projet comme + impraticable. La suspension du paiement des intérêts de la dette du + premier semestre ne paraît pas douteuse: on en proposera + probablement pour la seconde fois la capitulation. + + La reine écoute avec une grande attention les rapports qui lui sont + faits. Elle montre beaucoup d'application au travail. Elle paraît + saisir avec discernement le noeud des affaires. Cette espèce + d'initiation ne peut avoir que des suites très heureuses. Tout ce + que j'apprends à ce sujet confirme la haute idée que j'ai toujours + eue de ses moyens intellectuels. + + M. le comte de Schulembourg, préfet de Magdebourg, le même qui, à la + suite de quelques différends qu'il avait eus avec le général + Michaud, avait été éloigné pendant quelque temps de ses fonctions, + vient d'être nommé conseiller d'État en remplacement de M. de + Henneberg, décédé. On ne sait pas encore qui lui succédera. + + On dit que le général comte de Wellingerode reviendra de l'armée. M. + le général Allin a été nommé général de division. On dit ici que le + roi lui confiera ou lui a confié le commandement de toute + l'artillerie du corps d'armée qu'il commande. + + +Le 19 mai nouvelle lettre au duc de Bassano. Lettre importante sur +les finances de la Westphalie: + + + La question insoluble qui cause l'embarras du gouvernement + westphalien, réduite aux termes les plus simples, est toujours + celle-ci: les dépenses de la Wesphalie étant de soixante millions et + les recettes étant de quarante, comment porter la recette à vingt + millions de plus, puisqu'on ne veut ou ne peut pas réduire la + dépense? + + La dépense de la guerre, en y comprenant tous les frais d'entrée en + campagne, est de vingt-huit millions, peut-être de trente. Quand + même la volonté expresse du roi ne défendrait pas d'y faire des + retranchements, les circonstances actuelles doivent interdire à tout + homme sensé d'en proposer. Si, dans le cours de la seconde moitié de + l'année, les événements doivent amener en tout ou en partie cette + diminution sur laquelle compte M. de Malchus, il est au moins + démontré qu'elle arrivera trop tard pour influer efficacement sur la + crise du mois de juin. + + Il est encore interdit de faire tomber la diminution des dépenses + sur la liste civile qui est de six millions, telle qu'elle était en + 1810, lorsque le royaume comptait onze départements. + + J'ai déjà indiqué combien les ressources qu'offriront les recettes + extraordinaires consistant uniquement en vente des domaines + resteront au-dessous de ce qu'elles devaient produire pour ramener + l'équilibre. + + Il paraît qu'on a reconnu l'impossibilité d'un troisième emprunt + forcé dans lequel d'ailleurs, de toute nécessité, il faudrait + recevoir ce qui n'est pas encore rentré des obligations du dernier. + + Reste l'augmentation des recettes ordinaires. + + S. M. veut que tous les traitements soient réduits de moitié, à + l'exception de la liste civile et des traitements militaires. C'est + cette proposition qui a été discutée pendant quatre heures, dans un + conseil des ministres qui s'est tenu samedi dernier. De fortes + objections y ont été faites. On a dit que quand cette mesure + pourrait s'appliquer aux traitements un peu considérables, la plus + grande partie des traitements, à cause de leur modicité, ne pourrait + y être assujétie sans les plus graves inconvénients, ni même sans + danger pour la morale et pour la tranquillité publique; qu'à la + vérité les traitements des juges étaient un peu plus considérables + en Westphalie qu'en France; mais que c'était d'après des + considérations importantes et sur la demande expresse des États + qu'on les avait augmentés, parce qu'en Allemagne, de génération en + génération, des familles entières, sans fortune, mais riches d'une + considération héréditaire, ne vivaient que de leurs emplois, que la + désolation et la misère qui résulteraient de la diminution de ces + traitements aliéneraient du gouvernement cette classe de ses + serviteurs les plus immédiatement en contact avec le peuple, enfin + que l'épargne qu'on pourrait faire par ce moyen ne monterait + peut-être pas à 500,000 francs, qu'au reste, il convenait d'en faire + le calcul, et c'est ce dont a été chargé M. le Ministre des + finances. + + Pour ce qui concerne la liste civile, on a remarqué que dans une + aussi grande détresse, si les ministres, les conseillers d'État, les + autres fonctionnaires supérieurs devaient faire un aussi grand + sacrifice, il serait assez étonnant que les officiers de la cour, + pour des fonctions honorables sans doute, mais peu pénibles, + conservassent la totalité de leurs larges traitements; que cette + liste civile, qui constitutionnellement ne devrait être que de cinq + millions, en y comprenant les revenus des domaines de la couronne, + était déjà dans une proportion trop forte avec les revenus du + royaume; qu'elle avait ensuite été portée à six millions, lorsqu'en + 1810 le royaume se trouva composé de onze départements; + qu'aujourd'hui le royaume étant réduit à huit départements, elle + restait toujours la même; qu'il fallait ajouter à ces six millions + près d'un million d'autres revenus que la couronne s'était + successivement appropriés, ce qui portait la proportion de la liste + civile avec la totalité des revenus de l'État au sixième. Enfin, on + a demandé si, lorsqu'on allait retrancher le nécessaire aux juges, + aux curés, aux instituteurs publics, on pourrait, avec justice, + laisser subsister à la charge de l'État une dépense de 400,000 + francs pour le spectacle français. C'est jeudi prochain que le + ministre des finances donne son avis et ses moyens au conseil des + ministres. M. Pichon, de son côté, prépare un travail sur le même + objet. + + M. Pichon, partant de la supposition qu'on ne puisse pas diminuer + les dépenses, en conclut avec beaucoup de logique qu'il faudra donc + hausser les recettes jusqu'au niveau des besoins. La base de son + travail sera donc une augmentation d'impôts de douze à quinze + millions. Il soutient que, pour imposer un pays, il n'est pas + nécessaire de connaître les localités, que sans y avoir égard les + nouveaux départements allemands après leur réunion ont été sur le + champ assimilés à la France; que les premiers fonctionnaires sont + des Français ne connaissant pas même la langue; qu'on peut augmenter + les impôts à volonté, pourvu que la répartition soit égale; que la + règle et l'uniformité feront tout et que c'est là ce qui manque à la + Westphalie. Il a dit à la reine qu'il allait lui révéler tout le + secret de l'artifice par lequel ses serviteurs détournaient le roi + de l'augmentation des impôts: qu'entre eux ils disaient: le roi est + dissipateur, toute augmentation de recette sera dévorée et + s'engloutira surtout dans la dépense pour l'armée, tandis qu'ils + disaient au roi: si vous augmentez les recettes, l'empereur est là + qui en profitera pour étendre les ressources qu'il tire de votre + royaume. + + À cela on répond que les maximes d'ordre et d'uniformité peuvent + être bonnes pour un état de choses permanent, tranquille et prospère + et non lorsqu'on est tellement talonné par le besoin qu'on ne peut + marcher qu'au jour la journée; qu'en semant l'alarme partout, M. + Pichon fait tarir les ressources disponibles; que si les charges + locales pour l'entretien, pour le passage des troupes, les + réquisitions, la suspension du paiement des intérêts ou leur + capitalisation peuvent être regardées comme des impôts inégalement + répartis, ils pourvoient à la nécessité du moment et permettent + d'attendre celui où l'on pourra employer le seul remède qui sera la + réduction des dépenses; que parmi ces charges il en est de plusieurs + millions que la Westphalie supporte sans qu'elles entrent dans le + compte des recettes générales; qu'ainsi, en les remplaçant par des + impôts réguliers, uniformes, on ne se procurerait pas une ressource + disponible: que tout impôt a sa nature qu'il était dangereux et + impossible d'excéder, et que mille faits semblent prouver que dans + la plupart des impôts la Westphalie est déjà parvenue à ce maximum; + qu'en Westphalie une contribution foncière de 11,500,000 francs + équivaut exactement au taux de cette même contribution telle qu'elle + est établie en France; et qu'en général il est absurde de prendre + pour exemple la France riche de mille moyens qui manquent à ce + royaume. + + Comme, d'après la connaissance que j'ai de ce pays-ci, il m'est + impossible de croire à l'efficacité du remède héroïque que propose + M. Pichon, je ne pourrais, en croyant à ses pronostics, que + rétracter entièrement ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans mon + nº 336: que je croyais qu'au milieu des difficultés la Westphalie + pourrait cependant aller sans secousses jusqu'à la fin de l'année, + et dès lors il faudrait vous faire prévoir des troubles et des + désordres qu'il me semble important d'éviter dans les circonstances + actuelles. Néanmoins, je ne me rétracterai point encore et, + quelqu'illusion que puisse se faire à certains égards M. le ministre + des finances, je me tranquilliserai par l'assurance avec laquelle + encore aujourd'hui il m'a dit que le résultat du travail qu'il + proposerait au conseil prouverait la possibilité de surmonter la + crise de juin et les embarras de l'année. + + + Du 22. + + Dans le conseil des ministres qui s'est tenu hier, M. le ministre + des finances a prouvé que dans les quatre premiers mois de l'année + il avait, par des moyens tant ordinaires qu'extraordinaires, fait + rentrer plus de dix-sept millions (ce qui joint aux trois millions + et demi qui étaient en caisse au 1er janvier fait près de vingt-un + millions), et que d'après cette proportion, la recette serait de + cinquante-un millions au bout de l'année, sur cinquante-neuf + millions de dépenses. Il est convenu, à la vérité, que dans les + circonstances actuelles il ne se flattait point de pousser le + produit des ventes des domaines aussi loin qu'il l'avait espéré; + mais il a assuré que néanmoins il ferait face aux besoins du mois de + juin. Il a proposé des moyens d'augmentation des impôts pour trois + millions, moitié sur la contribution directe, moitié sur les impôts + indirects. Une partie des dépenses locales qu'en 1810 le trésor + public avait prises à sa charge, sera en même temps de nouveau + rejetée sur les communes. Quant à la contribution foncière, il a + démontré qu'au taux de douze millions, elle était portée plus haut + en Westphalie qu'en France, puisqu'en Westphalie, outre les dîmes + qu'on payait encore partout, il y avait encore quatre millions de + revenus des domaines impériaux situés dans le ci-devant Hanovre qui + en étaient exempts en vertu des traités. Enfin, il a calculé qu'en + charges locales non comprises dans les recettes du trésor, la + Westphalie payait au moins dix millions par an. + + M. Pichon, sans avoir l'air de trop désapprouver les projets du + ministre des finances, s'est tenu sur la réserve. La diminution des + traitements a été trouvée inadmissible d'une commune voix. Le tout a + été adressé à la reine par un courrier qui est parti ce matin. On + attend maintenant la décision du roi. + + +La nouvelle de la disgrâce du roi fit éprouver un grand chagrin à la +reine; suivant le désir de Jérôme, elle ne divulgua pas cette +affaire, mais elle ne put dissimuler sa tristesse. Tout le monde en +fut frappé, et Reinhard écrivit le 23 juillet de Cassel: + + + La reine est toujours triste et inquiète. Le maréchal de la cour lui + demanda dernièrement si elle n'ordonnerait pas une petite fête dans + son intérieur pour le jour anniversaire de son mariage. Pour toute + réponse, elle fondit en larmes. Dans le 4e bulletin, elle a cru + trouver je ne sais quelle intention dans ce passage: «Le roi de + Westphalie est arrivé à Grodno avec les 7e et 8e corps et avec le + corps du prince Poniatowsky», puisqu'on désignait le corps polonais + par le nom de son chef, tandis que les deux autres corps n'étaient + désignés que par leurs numéros. Elle a fait part de sa peine à tous + ses ministres qui se sont efforcés en vain de lui prouver qu'elle se + chagrinait sans raison. + + +Déjà la reine Catherine avait reçu la lettre du roi en date du 15. +Bientôt elle en reçut une nouvelle de Bialistock du 28 juillet, 8 h. +du matin; c'est à cette dernière que fait allusion Reinhard dans la +lettre suivante au duc de Bassano: + + + Cassel, le 30 juillet 1812. + + Aux inquiétudes habituelles de la reine paraît se joindre, depuis + quelques jours, un nouveau sujet d'alarme. Elle paraît craindre que + la retraite du général Vandamme n'ait produit une impression + fâcheuse sur l'esprit de S. M. imp., avec d'autant plus de raison + que c'était le roi lui-même qui avait demandé que ce général fût mis + à la tête des troupes westphaliennes, et cette crainte est partagée + par les ministres de S. M. On sait que Monseigneur le prince + d'Eckmühl est arrivé à Minsk où l'on s'attendait que le roi + dirigerait sa marche. On lit dans quelques gazettes que les Saxons + se joindront au corps du prince de Schwartzemberg; on est incertain + si les Polonais, dont on dit que deux régiments s'avançant avec trop + de précipitation contre des Cosaques soutenus par l'infanterie russe + ont reçu un léger échec, se trouvent encore sous son commandement; + on croit même savoir que l'une des deux divisions westphaliennes a + reçu une destination nouvelle. Hier, la reine ne vint au spectacle + qu'à huit heures, et le public accoutumé à ces retards attendait + qu'on commençât, avec sa résignation habituelle. Cette fois, + cependant, le retard avait été causé par une lettre du roi que M. de + Pothau venait de lui porter et dont la reine n'a point communiqué le + contenu. Déjà il lui était échappé de dire _combien il serait + fâcheux que le roi ne fût pas bien avec S. M. l'empereur ou qu'il + revint de l'armée_; et la pensée même de cette possibilité avait + effrayé. + + Déjà, après son dernier retour de Paris, le roi s'expliquait sur le + compte du général Vandamme avec moins de faveur qu'auparavant; à + peine arrivé à l'armée, on apprenait qu'il y avait eu entre eux une + explication assez vive, mais qui avait été suivie d'une + réconciliation. On craint ici que l'inconséquence et les prétentions + de certains officiers ne sachant pas distinguer entre leur position + de cour et leurs devoirs comme militaires n'aient entraîné le roi + toujours trop accessible à des impressions qui touchent à son + amour-propre, et l'on sent profondément combien il aurait mieux valu + supporter, même, au besoin, quelques légers désagréments de la part + d'un homme qu'on avait choisi soi-même que de s'attirer un nouveau + reproche de versatilité et d'inconstance. + + +Reinhard attribuait à la tristesse de la reine une cause (le +différend du roi avec Vandamme) qui n'était pas la véritable. Cette +princesse connaissait l'affaire du prince d'Eckmuhl. Aussi, malgré +son désir de voir le roi de retour à Cassel, elle ne se faisait pas +illusion sur les conséquences fâcheuses que pouvait avoir ce retour. + +Par le fait, l'empereur, mécontent d'abord de la détermination de +son frère, finit par reconnaître sans doute que les torts étaient du +côté de Davoust, car il lui fit écrire une lettre de blâme par le +major général et laissa Jérôme agir à sa guise, lui recommandant +seulement le silence sur cette affaire. Toutefois, la nouvelle ne +tarda pas à s'en répandre en Westphalie et le duc de Bassano +l'annonça à Reinhard par la lettre suivante, en date du 31 juillet +1812, écrite de Vilna: + + + Je ne vous envoie pas les bulletins, parce qu'il est impossible au + moment où ils arrivent d'en faire plus d'une ou deux copies qui ont + une destination marquée; mais je vous enverrai, désormais, de + courtes notices, indépendamment de celles que vous recevez + régulièrement. + + Les pressentiments de la reine se réalisent: le roi a eu, en effet, + des torts qui le mettent dans une position très pénible. Lorsque son + armée s'est trouvée réunie à celle du prince d'Eckmühl, ainsi que + l'armée polonaise, le maréchal a eu le commandement de toutes les + forces qui se trouvaient ainsi rassemblées. Une armée de 120,000 + hommes exigeait un chef d'une grande expérience, et tous les + avantages de cette nature appartenaient certainement au prince + d'Eckmühl. Le roi a aussitôt déclaré que s'il n'avait pas le + commandement, il se retirerait. Les représentations de Sa Majesté, + qui n'aurait pu céder à des considérations et à des affections + particulières sans exposer de si grands intérêts, n'ont pas produit + d'effet. Le roi a oublié que, lorsqu'il demanda à servir, il fut + bien entendu qu'il ne serait pas roi à l'armée, et il a persisté à + l'être. Il va partir, et il a dû recevoir à Varsovie l'ordre de + retourner à Cassel. + + +Arrivé à Varsovie au commencement d'août 1812, le roi Jérôme écrivit +à la reine: + + + Je reçois à Varsovie ta longue lettre de conseils du 26; je te + remercie pour ton intention; mais je croyais n'avoir jamais laissé + douter que je ne suis pas de ceux qui se _déshonorent_, et que je ne + fais que ce que je dois faire. Je trouve aussi qu'il est un peu + hasardé à toi, ma chère amie, de parler si longuement sur une + question que tu ne connais nullement, et j'avais le droit de penser + t'avoir inspiré assez de confiance pour te _rassurer entièrement_ + sur ma conduite qui n'est jamais dirigée ni par l'humeur, ni par un + coup de tête. + + L'empereur ne m'a jamais ôté le commandement de mes troupes, ni des + Saxons, ni d'aucun autre de mes corps; ainsi tu vois que ce que tu + me dis sur ce sujet dans ta lettre du 23 est encore un des cent + mille contes absurdes qui se débitent à Cassel, de même que la + destruction du 2e régiment de cuirassiers, qui n'a pas donné (encore + aujourd'hui) _un seul coup de sabre_, il n'y a que la cavalerie + légère polonaise qui ait pu atteindre la cavalerie ennemie qui se + retirait et qui, _depuis_ mon départ, est entièrement hors + d'atteinte. + + Je ne veux pas faire davantage le grondeur, quoique j'en aurais + sujet, car tu ne sais peut-être pas que M. Pothau, qui ne se doute + de rien, écrit au comte de Furskeinstein que rien n'a transpiré de + la dépêche du roi apportée par l'estafette, mais _qu'il a remarqué + que la reine était triste_, ce qui est justement le contraire de mes + intentions et de celles de l'empereur qui veut que tout ceci n'ait + pas le moindre éclat. + + L'empereur a bien senti que je ne pouvais rester après l'ordre + inconcevable qu'il m'avait donné, car c'est _alors que je me serais + déshonoré_, puisque j'aurais dit moi-même à toute l'Europe: «Je ne + suis bon que pour passer des revues et des parades, mais lorsqu'il + faut se battre, je sens que je dois obéir et, quoique commandant la + droite et quatre corps d'armée, je suis sous les ordres d'un + maréchal qui n'en commande qu'un seul.» + + D'ailleurs, l'affectation à ne parler, dans les bulletins, que du + prince Poniatowski, la manière de dire: le roi est arrivé à Grodno, + comme on l'aurait dit de Louis XIV, lorsqu'il allait avec toute sa + cour au siège de Philipsbourg, prouve seulement que l'empereur ne me + voulait plus à l'armée. + + Et à te parler franchement, je te dirai que je crois que l'empereur + me voulait donner d'abord le trône de Pologne, _que je ne désire + nullement_, et que dans ce moment il a changé de pensée, et comme je + commandais les Polonais, il était fâché de me voir où j'étais et où + j'ai été très bien pour lui. + + Actuellement, il faut tout simplement dire que j'ai demandé à + revenir chez moi, ne pouvant supporter l'inconstance du climat, et + que l'empereur l'a permis. + + Je t'envoie l'article à mettre dans le _Moniteur_ et surtout prends + garde de laisser paraître de la tristesse, car alors on fera cent + contes, qui ne seront plaisants ni pour l'empereur, ni pour moi, ni + pour toi. + + Quant à l'article finances, pour l'année prochaine, j'y mettrai tant + d'ordre que cela ira, j'en réponds. + + Je voulais que tu vinsses à Brunswick; mais j'ai réfléchi que cela + fera un grand dérangement pour toute la maison, une grande dépense + et beaucoup d'embarras par rapport aux chevaux, surtout dans ce + moment de récolte. + + Le ministre de l'intérieur doit se préparer à venir m'attendre à + Halle; je lui enverrai l'ordre par le courrier Viantex, car celui + que tu m'as envoyé va très doucement. + + Tu dois faire pour le 15 août ce que tu me disais dans ta dernière + lettre; tu dois aussi recevoir les félicitations le matin et donner + audience au ministre de France et à sa femme les premiers. Tout le + monde doit être en grande tenue, bien entendu que les hommes ne + doivent pas avoir le manteau qui ne sert que dans une cérémonie du + Trône. + + Tu peux faire dîner avec toi M. et Mme Reinhard, avec la grande + maîtresse, la dame de service et le ministre de la justice. + + Tu donneras la droite au ministre de France, la gauche au ministre + de la justice, etc. + + Je te presse sur mon coeur et aurai grand bonheur à t'embrasser, + mais ce ne pourra être avant le 18. + + _P. S._--Je me hâte d'ouvrir ma lettre pour t'annoncer une dépêche + de l'empereur, _très satisfaisante_. S. M. paraît s'être convaincue + que je pouvais faire autrement, m'engage à retourner dans mes États + avec mes gardes du corps, mais _met_ pour _condition que rien ne + transpirera_, et que je dirai, et tu dois le dire toi-même, que ma + santé n'a pu supporter le climat. + + Je t'envoie un article pour le _Moniteur_; en conséquence, aie bien + soin de songer que la continuation de l'amitié de l'empereur _est + attachée à ce que l'on croie_ que c'est cette seule raison qui me + _fait quitter_. + + +Le 4 août, Reinhard manda de Cassel: + + + La reine a reçu hier un paquet de M. de Marinville, à Varsovie, qui + lui apprend que les Russes ont quitté le camp retranché de Dryssa et + se sont retirés de la Dwina. Elle n'a point voulu montrer la lettre, + disant qu'elle contenait encore autre chose. On ignore si dans le + même paquet il y avait des lettres du roi. Le secrétaire-général des + relations extérieures, M. Hugot, a reçu une lettre de M. le comte de + Furstenstein datée de Novogrodek. Ce fait a transpiré et n'a pas + causé peu de surprise. M. Siméon s'explique à ce sujet avec beaucoup + de réserve. Du reste, j'ai lieu de croire que si quelqu'un est + instruit ici de la véritable situation du roi, concernant son + commandement, c'est tout au plus la reine. + + +M. Reinhard était dans l'erreur, l'affaire du roi était le secret de +la comédie; tout le monde à Cassel la connaissait, mais évitait d'en +parler. La reine, malgré les lettres rassurantes de son mari, ne +pouvait surmonter le chagrin que lui faisait éprouver son brusque +retour. Elle lui avait même écrit à ce sujet une lettre des plus +fortes, le 30 juillet, en apprenant ce qui s'était passé. + +On aurait tort de croire, malgré les prétendues lettres de Napoléon +à Jérôme, malgré celles que ce dernier écrivait à sa femme, que +l'empereur pardonna facilement à son frère son coup de tête. Il lui +tint bien longtemps rancune, il ne se remit entièrement bien avec +lui qu'en 1815, à Waterloo; il refusa constamment de lui donner des +commandements de quelque importance. Il cessa presque entièrement sa +correspondance avec lui et, le 31 juillet 1813, il écrivit au major +général la lettre ci-dessous qui nous paraît caractéristique[140]: + + [Note 140: Jérôme avait prié Berthier de solliciter pour lui + de l'empereur un commandement.] + + + NAPOLÉON À BERTHIER. + + Mayence, 31 juillet 1813. + + Mon cousin, répondez au roi de Westphalie que jamais il n'aura aucun + commandement dans l'armée française si: 1º il ne fait connaître + qu'il désapprouve la conduite qu'il a tenue l'année passée en + quittant l'armée sans ma permission et qu'il en est fâché, et 2º si + en prenant du service dans mon armée, il ne se soumet à obéir à tous + les maréchaux commandant des corps d'armée, que je n'aurais pas + spécialement mis sous ses ordres; ne devant avoir d'autre grade dans + mon armée que le grade de général de division, et ne devant + commander de droit, en cas de circonstances imprévues, qu'à des + généraux de division.--Que ce qui vient d'arriver en Espagne fait + connaître de plus en plus l'importance de tenir à ces principes; que + la guerre est un métier, qu'il faut l'apprendre; que le roi ne peut + pas commander, parce qu'il n'a jamais vu de bataille; que le roi + d'Espagne à qui j'ai fait dans le temps de semblables observations, + en est aux regrets et aux larmes de ne pas les avoir + comprises.--Vous ajouterez que, vu toutes les difficultés qui ont eu + lieu pour la convocation, j'ai pris le parti d'en faire un ordre du + jour; qu'il m'a paru urgent de décider ainsi cette affaire, vu que + déjà des détachements destinés pour Cassel étaient partis de + Mayence.--Faites d'ailleurs remarquer au roi que j'ai pris un ordre, + parce qu'un ordre est un ordre d'un général en chef, et que la + Westphalie et le roi lui-même font partie de mon armée; que c'est + par un ordre que j'ai réglé ce qui est relatif à Leipzik, et + qu'enfin c'est de cette manière que j'opère, surtout sur le + territoire allié. + + _P.-S._--Cet ordre ne doit pas être publié. + + +Mais reprenons la suite des faits, dont cette lettre nous a +détournés. Le 12 août, Reinhard annonçait au duc de Bassano +l'arrivée du roi: + + + Avant-hier, à sept heures du matin, le canon a annoncé au public + l'heureuse arrivée de S. M. le roi, qui avait eu lieu dans la nuit + au palais de Napoléons-Höhe. + + S. M. le roi a reçu le même jour, à son lever, les officiers de sa + maison. Toutes les personnes qui jouissent des grandes entrées ont + eu la faveur d'y être admises. Le soir, tous les habitans de Cassel + ont illuminé leurs maisons. + + Par décret royal, daté de Varsovie le 2 août, M. le colonel baron de + Borstel a été nommé général de brigade, chargé du commandement de la + 1e brigade de la 1re division des troupes westphaliennes. + + Le colonel Lageon du 7me régiment d'infanterie de ligne a été nommé + chef d'état-major de la garde royale. + + Après avoir copié ces articles du _Moniteur westphalien_, qui sont + les seuls concernant le roi et le royaume qui ont paru depuis le + retour de S. M., je continue les rapports que j'ai à faire à V. + Exc., et qui ne seront encore guère plus importants. + + Le roi se porte bien. Il a reçu toute sa cour avec autant + d'affabilité que de gaieté. Il y a eu spectacle à Napoléons-Höhe + avant-hier et hier dans les appartements intérieurs. Hier matin, S. + M., après avoir déjeuné à sa petite maison de Schoenfeld, est venue + en ville. Elle est entrée dans son palais, s'est rendue chez son + peintre, et de là au château incendié. Son architecte a fait trois + plans de construction d'un nouveau palais: le premier se rapporte à + la reconstruction de l'ancien château; le deuxième transforme en + palais royal le palais actuel des États; d'après le troisième on + construirait un palais entièrement nouveau hors de l'enceinte de la + ville. Dans les deux premiers on a suivi des vues d'économie, il ne + s'agirait guère que d'une dépense de trois ou quatre millions. On + m'a dit que le roi encore hier s'était expliqué dans le même sens + qu'il m'avait parlé, il y a quelques mois, et qu'il avait déclaré + qu'il n'habiterait plus l'ancien château; mais qu'en attendant que + ses moyens lui permettent d'en bâtir un nouveau, il le ferait + arranger pour y donner de grandes audiences dans des occasions + solennelles. + + Je n'ai encore vu ni le roi, ni personne de sa suite, excepté le + chambellan comte d'Oberg et le comte de Furstenstein. Ce dernier m'a + parlé de la maladie que le roi avait eue à Varsovie et dont il était + maintenant rétabli. Comme je ne me croyais pas en ce moment chargé + de prendre aucune initiative, notre conversation s'est promptement + détournée sur des sujets indifférents. M. de Furstenstein avait le + maintien modeste; il ne portait même aucune décoration. + + Ces deux courtisans se sont beaucoup plaints des Polonais, de leur + esprit de désordre et de pillage, de la haine qu'ils portaient aux + Allemands et de la perfidie avec laquelle ils accusaient les autres + des excès qu'ils commettaient eux-mêmes. Ce langage où peut-être ils + n'avaient pas entièrement tort me paraît avoir été tenu avec + intention. + + Voilà, monseigneur, tout ce que m'ont appris mes communications + directes. Voici ce que j'ai appris indirectement: + + Le roi, ou ne parle point du tout à ceux qui étaient restés à Cassel + de ce qui s'est passé et a amené son retour, ou il leur dit qu'il + est au mieux avec S. M. l'empereur, que surtout le dernier courrier + qui a déterminé son départ accéléré de Varsovie, lui en a porté + l'assurance et que bientôt on en verra les preuves. La reine même, + depuis le retour du roi, a beaucoup pleuré pendant deux jours. + + Aujourd'hui a été tenu le premier conseil des ministres. J'ignore + encore ce qui s'y est passé; mais, d'après ce qui s'est traité au + conseil d'administration qui s'est tenu après, je vois qu'entre + autres choses, il y a été question de la lettre que j'avais remise + hier concernant les diverses réclamations du domaine extraordinaire. + Le roi veut que l'état de ses finances soit débrouillé dans trois + mois: c'est ce qu'il a déjà voulu souvent. + + Quant à ceux qui sont revenus avec lui, tous le blâment et tous + cherchent à se disculper. Le général Chabert fait valoir une lettre + qu'il a écrite au roi, en commun avec le général Allin, pour amener + S. M. à des résolutions plus sages. Ils n'ont pas laissé ignorer le + contenu de celle qu'a portée au roi ce courrier par lequel il dit + avoir reçu de si heureuses assurances. + + Le courrier dit être parti du quartier général impérial deux jours + après M. de Brugnières (secrétaire du cabinet du roi), et avoir été + obligé de se cacher vingt-quatre heures dans des marais. Arrivé + auprès du roi, il a été fort étonné de ne point trouver M. de + Brugnières. Voilà ce que raconte le général Chabert qui le croit + pris. M. de Furstenstein dit qu'il arrivera incessamment. + + +La fin de l'année 1812 fut triste pour le roi Jérôme que son frère +continua à battre froid. Revenu dans ses États, il y trouva plus que +jamais les embarras financiers et la misère, l'empereur lui +demandant toujours de nouveaux sacrifices et opposant aux justes +réclamations du gouvernement westphalien une fin de non recevoir qui +se traduisait par la morale de la fable du loup et de l'agneau. + +La correspondance de M. Reinhard avec Napoléon et avec le duc de +Bassano mettra les lecteurs au courant de ce qui se passa dans le +petit royaume de Jérôme, royaume voué à une dissolution prochaine. + +Quant à l'armée levée avec tant de soin et au prix de tant de +sacrifices par le roi, il n'en devait plus être question; à la +retraite de Russie, après les batailles où cette armée avait +illustré son drapeau, elle fut anéantie complètement. + +Nous allons donner les lettres ou les extraits de lettres les plus +essentielles omises aux Mémoires de Jérôme: + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 8 août 1812. + + Dans mes numéros précédents, j'ai informé V. Exc. que + progressivement, d'abord la Reine, ensuite ses principaux + serviteurs, enfin le public avaient reçu des alarmes sur la + situation du Roi. + + Cependant, avant-hier encore, Elle fit défendre à M. Hugot par M. + Pothau de parler à qui que ce soit de la lettre du ministre + westphalien à Dresde et Elle engagea M. Siméon à faire passer au Roi + un projet de constitution espagnole envoyé par M. de Wintzingerode, + en disant que cette pièce l'intéresserait. Mais en refusant ses + confidences à M. Siméon, Elle les avait faites à d'autres et je + savais depuis hier que M. de Marinville attendait le Roi à Varsovie + le 29 et très positivement le 30. + + Ce matin, après avoir reçu vos dépêches du 27 et du 31 juillet, je + me suis rendu chez M. Siméon, et me prévalant de l'autorisation de + communiquer les nouvelles que je recevais du gouvernement + westphalien, je lui ai fait remarquer cette expression «le corps que + commandait le Roi de Westphalie» qui se trouve dans votre dépêche du + 27. M. Siméon de son côté avait à m'apprendre qu'hier, dans la nuit, + Messieurs d'Oberg et Schlikler, chambellans de S. M., étaient + arrivés et avaient porté à la Reine la nouvelle du retour prochain + du Roi. Il m'a montré en même temps un bulletin qui aurait déjà dû + paraître aujourd'hui et qui paraîtra demain dans le moniteur + westphalien où il est dit que le Roi revient pour cause de santé. + + Je me suis alors permis, Monseigneur, de mettre M. Siméon au fait du + véritable état des choses qu'il ne pressentait que trop. J'ai ajouté + que ce serait lui seul à qui je ferais cette révélation en le + laissant le maître de l'usage qu'il voudrait en faire auprès de la + Reine. Il m'a répondu qu'il ne lui en dirait rien pour ne point + l'affliger davantage. + + M. Siméon, depuis l'arrivée des chambellans, n'avait point vu la + reine, mais Elle avait montré la lettre du Roi au maréchal du + Palais, M. de Boucheporn. Il paraît, m'a dit M. Siméon, que la Reine + lui avait écrit fortement, puisque dans sa lettre le Roi dit qu'il + est très bien avec S. M. l'empereur; qu'après avoir chassé au loin + le prince Bagration, l'objet de sa campagne est rempli et qu'il ne + lui reste plus rien à faire; que d'ailleurs sa santé ne supporte + point le climat et quant aux finances qu'il les raccommodera + aisément dans l'espace de deux ans. + + On sait aussi, j'ignore si c'est par la lettre du Roi ou par le + rapport des chambellans, qu'une espèce de dyssenterie obligeant S. + M. de voyager à petites journées, Elle n'arrivera ici que le 18. + Plusieurs personnes à la suite du Roi ont écrit à leur femme, + entr'autres le général Chabert; mais toutes les lettres sont sans + date. + + Je m'empresse, Monseigneur, de vous donner ces nouvelles + préliminaires d'un retour causé par des circonstances où il doit + être si difficile au roi de se dissimuler ses torts à lui-même. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 10 août 1812. + + La journée d'hier ne nous a rien appris de nouveau. Quoiqu'on soit + informé que le retour du roi ne doit avoir lieu que le 18, on se + flatte, et moi surtout j'espère qu'il reviendra pour le 15. Au moins + ce serait ce que le roi pourrait faire de plus conforme à l'opinion + qu'il paraît désirer lui-même que le public prenne de sa situation + actuelle. M. le comte de Bocholtz, qui est revenu de sa campagne et + qui pendant cette semaine ainsi que M. Siméon encore sera du voyage + de Napoléonshöhe, m'a offert de demander à la reine ses intentions + concernant la célébration de la fête du 15, afin que de mon côté je + puisse prendre mes arrangements en conséquence. J'ai appris depuis + par M. Siméon qu'il y aurait ce jour-là grande audience du corps + diplomatique le matin, et le soir cercle, spectacle et souper. + + Du reste, Monseigneur, quelles que puissent être les dispositions du + roi, en revenant dans ses États, et sans m'inquiéter de ce qui dans + ces circonstances pourrait rendre pénible ma position personnelle, + c'est précisément le moment actuel qui semble m'imposer le devoir + indispensable de remettre sous les yeux de V. Exc. l'état où se + trouve la Westphalie. + + Après avoir sacrifié le bien-être de son royaume à la création d'une + armée qu'on ne lui demandait pas et qui, tout compris, monte au + nombre de 36,000 hommes, le roi par sa déplorable inconsistance perd + aujourd'hui le fruit de tous ses soins et se voit rejeté loin de + toutes ses espérances. Il trouvera son trésor épuisé, ses sujets + accablés, ses ministres désolés, sa considération entamée, le crédit + anéanti, les ressources de l'avenir dévorées d'avance. + + J'aime à me persuader que la facilité avec laquelle dans l'espace de + deux ans le roi espère rétablir ses finances est la preuve d'une + résolution fortement prise et non d'une présomption naturelle à son + âge; mais alors même, combien de victoires aura-t-il à remporter sur + ses goûts et sur ses habitudes, et combien aura-t-il à regretter de + s'être privé légèrement de tant de moyens qui auraient suffi pour + conserver l'aisance à son royaume et la splendeur à son trône, et + qui n'existent plus! Comment réussira-t-il à s'affectionner pour ses + États qu'il a si souvent paru trouver trop étroits pour son + ambition! + + Mais en admettant que son désir de bien faire ait pris un nouveau + degré d'énergie, comment et par qui sera-t-il secondé? Et quand il + existerait autour de lui des hommes dignes de sa confiance, comment + se préservera-t-il à l'avenir des mauvais conseils et des influences + funestes qu'il lui sera si difficile d'éviter, parce qu'il se croit + au-dessus de leur atteinte? + + Déjà ceux qui dans cette campagne paraissent avoir joui de la + confiance particulière de S. M. ne sont pas ceux que l'opinion + publique aurait désignés de préférence. M. le général Chabert, + quoique très bon pour dresser des recrues, n'avait pas fait ses + preuves pour remplir la place de chef d'état-major, ni le comte de + Wickenberg, homme sans talents et sans éducation, n'avait été jugé + capable de jouer un premier rôle dans de grandes opérations + militaires. Quant à M. de Furstenstein qui doit son existence de + favori à son dévouement sans doute, mais avant tout à son + infériorité, il est certain qu'en se désolant autant qu'il en est + capable, il n'aura jamais osé sortir de sa nullité. + + Revenu dans sa résidence, qui le roi retrouverait-il? M. Siméon, bon + dans sa partie, sage dans ses vues et dans ses conseils, mais sans + fermeté et paralysé par son âge et par sa position? Messieurs de + Höne et de Wolfradt, pleins d'excellentes intentions, mais sans + coup-d'oeil, incapables d'énergie ou de conquérir une confiance + qu'ils n'ont point? M. de Malchus, homme sans conceptions et sans + entrailles, indifférent au mépris et à la haine qui le poursuivent? + M. Pichon, capable de bouleverser l'État pour satisfaire son + ambition ou pour faire triompher un avis mal dirigé, dont la + conduite rend de plus en plus suspects les motifs de son zèle, dont + le caractère et la moralité paraissent tourmentés d'une crise + constante et violente et qui, jouissant d'une très grande influence + et n'ayant encore réussi qu'à porter la confusion dans la + comptabilité dont il fait et refait journellement le système, a + toujours pour ressource de dire qu'on ne l'a pas écouté? Enfin, M. + de Bongars dont les mains manient la police comme un enfant + manierait un rasoir, qui pour augmenter les fonds de son département + assujettit toute l'université de Göttingue à se munir de cartes de + sûreté, établit à Brunswick trois maisons de prostitution à la fois, + à Hanovre des maisons de jeu où vont se réunir toutes les servantes + et qui expose le royaume au danger continuel de passer de la + terreur au désespoir et du désespoir à la révolte? + + Je ne vous retrace point, Monseigneur, le tableau des finances; vous + savez que je n'ai point osé porter ma prévoyance plus loin que la + fin de l'année. Vous savez à quel prix on s'est procuré des + ressources insuffisantes. Puisse S. M. I. daigner jeter un regard de + commisération sur ce malheureux pays et ne point abandonner un jeune + roi, dont les défauts en partie proviennent de ses qualités, aux + difficultés de sa position, à l'amertume de ses chagrins et aux + erreurs de son âge! + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 15 août 1812. + + J'ai reçu hier au soir la circulaire de Votre Excellence, du 7, qui + nous fait connaître les dernières nouvelles de l'armée et qui nous + fait présager les nouveaux succès du grand mouvement en avant qui + s'est préparé sous les plus heureux auspices. + + M. Brugnière est revenu: je ne l'ai point vu encore; mais j'apprends + qu'il n'a pas même pu pénétrer jusqu'à Wilna, de manière que son + courrier seul avait des dépêches à rapporter et qu'on conçoit + comment il a pu ne pas se presser de revenir. Il a raconté avec + indignation des médisances que les Polonais se sont permises sur le + compte du roi et que M. le comte de Furstenstein m'a répétées. Non + seulement ils l'accusaient de s'être fait donner de l'argent en + Pologne, chose qui n'est nullement dans le caractère de Sa Majesté, + mais l'insolence a été poussée à Varsovie au point d'envoyer un + commissaire dans les écuries où étaient les chevaux du roi pour + chercher s'il ne s'en trouvait point qui appartinssent aux Polonais. + Sur la plainte du roi, ce commissaire a été mis aux arrêts, où il + est resté pendant un mois. On sait en effet qu'il y a dans le + caractère national des Polonais une disposition à l'ingratitude et à + la jalousie contre les étrangers quels qu'ils soient et que c'est de + gaîté de coeur qu'ils aiment à nuire, surtout à ceux aux pieds + desquels ils se prosternent pendant la faveur, lorsqu'ils croient + s'apercevoir que la faveur s'en est détournée. + + Tous les bruits de débarquement, soit d'Anglais, soit de Suédois ou + de Russes, se sont tout à coup calmés. On assure aujourd'hui que la + Suède a levé l'embargo qu'elle avait mis sur les bâtiments français + et qu'après avoir touché deux mois de subsides des Anglais elle leur + a déclaré qu'ils demandaient des choses trop difficiles. + + M. Pichon me dit que son successeur est déjà nommé et désigné et que + ce sera M. Dupleix, de retour de son emploi d'intendant de l'armée + Westphalienne. Il revenait d'une conversation qu'il avait eue avec + le roi, après un conseil d'administration où il avait présenté + l'état de distribution du mois de septembre. Je sais qu'en allant à + ce conseil M. Pichon entrevoyait encore la possibilité de rester, + mais qu'en sortant elle l'avait abandonné. Quant à M. Dupleix, sa + réputation est celle d'un homme actif et intelligent, mais il n'a + pas au même degré celle d'intégrité. + + + Cassel, le 16 août 1812. + + En adressant à V. Exc. le nº 194 du Moniteur westphalien, contenant + le programme de la fête qui s'est donnée hier à Napoléonshöhe, + j'ajouterai quelques détails qui ne s'y trouvent point. + + Avant la réception du corps diplomatique, Leurs Majestés m'ont reçu + en audience particulière. Le teint du roi est un peu hâlé; il paraît + avoir maigri un peu; du reste, il jouit d'une bonne santé. En + entrant, j'ai dit que je venais féliciter S. M. de l'anniversaire de + la naissance de l'empereur, son frère, et y joindre tous mes voeux + pour la gloire de S. M. impériale et pour le bonheur de son auguste + maison. Le roi m'a prévenu qu'il m'enverrait une lettre pour S. M. + impériale que je devais faire passer par l'estafette. Je ne l'ai + point reçue encore. En parlant des nouvelles de l'armée, il a dit + qu'on voyait que l'armée du prince Bagration était plus forte que + l'empereur ne l'avait supposé. Il n'a été question, en aucune + manière, des événements qui ont précédé ou causé son retour. Le + front du roi était un peu voilé: le mien l'était peut-être un peu + aussi. Je crois que tous les deux nous cherchions à cacher un + sentiment pénible. On avait reçu, la veille, une lettre de M. Bigot + à Copenhague. Le roi s'est expliqué sur la conduite du prince royal + de Suède en des termes qui prouvaient combien il sentait tout ce + qu'elle avait d'inconséquent et d'inconcevable. J'en ai profité pour + abonder dans son sens. M. Bigot avait mandé que le duc d'OEls et + Dörnberg étaient arrivés à Stockholm; et le roi m'a appris que ce + dernier avait été à Prague et avait demandé deux millions pour faire + soulever la Hesse à l'ancien électeur qui avait répondu que, tant de + fois trompé, il les donnerait lorsqu'il serait rétabli à Cassel. La + reine m'a chargé très expressément de transmettre à S. M. impériale + ses félicitations et ses expressions d'attachement et de respect. + + Tous les membres du Conseil d'État sont venus me porter leurs + félicitations. J'ai trouvé peu disposées à converser les personnes + revenues avec le roi. En général, le sentiment de la situation où le + roi s'est placé paraissait tellement dominer toute la cour, qu'on + peut dire que dans ce beau jour la joie ne battait que d'une seule + aile. L'illumination n'avait pas été commandée, mais toutes les + autorités et un grand nombre de particuliers ont illuminé de leur + propre mouvement. + + Depuis le retour du roi, je n'ai point encore trouvé l'occasion de + parler à M. Siméon; mais M. Pichon a eu avec moi une conversation + qui m'a paru sensée. Il m'a dit que le roi nourrissait dans son + intérieur un sentiment profond de chagrin et d'amertume, et que pour + son bonheur et son avenir il paraissait importer extrêmement que ce + sentiment fût adouci; que malheureusement, soit légèreté, soit + faiblesse, les personnes qui l'entouraient de plus près avaient, + dans les circonstances comme celles où il se trouve maintenant, + quelquefois l'air de lui donner raison ou du moins ne lui donnaient + pas entièrement tort; que son amour-propre s'en prévalait et s'en + raidissait; qu'il fallait en ce moment qu'aucun de ses vrais + serviteurs ne le flattât ou ne l'entretînt dans des illusions, et + qu'il appartenait à S. M. impériale seule de tempérer pour le guérir + une juste sévérité par la tendresse, par l'indulgence et par la + générosité. + + + BULLETIN DE REINHARD. + + Cassel, 26 août 1812. + + Tandis que les changements résolus dans le ministère paraissent + provisoirement ajournés, il en est arrivé un dans l'intérieur du + palais auquel on ne s'attendait pas. Mme la baronne d'Otterstadt, + dame du palais, soeur du comte de Zeppelin, ministre des relations + extérieures à Stuttgard, confidente unique de la reine, a donné et + reçu sa démission. Elle va quitter Cassel dans 3 ou 4 jours. + + Son mari, inspecteur général des forêts, espèce d'aventurier, le + plus circonspect et le plus fin des hommes en théorie et le plus + étourdi en pratique, avait reçu, il y a quelque temps, la défense de + paraître à la cour, hors les jours des grandes audiences. Mme + d'Otterstadt qui, de son côté, avait reçu plusieurs dégoûts, demanda + que cette défense fût levée et menaça, dit-on, de donner sa + démission que le roi s'empressa d'accepter. + + M. de Furstenstein dit que M. d'Otterstadt s'était mêlé de choses + sales, c'est-à-dire il s'était entremis dans une correspondance + entre le prince royal de Wurtemberg et Mme Blanche Laflèche, baronne + de Keudelstein. Un certain Delorme, porteur de la correspondance, + fut arrêté par le commissaire de police de Mayence, sur la + réquisition de M. de Bongars. Après la lecture des lettres, le roi + fit expédier à Mme Blanche, qui est actuellement à Gênes, l'ordre de + ne point revenir et de renvoyer son chiffre, marque distinctive des + dames du palais. Il ne paraît point qu'elle ait de pension et on + craint que les secours qui servaient à élever les enfants à Paris ne + soient supprimes. + + Le public, se souvenant d'anciennes médisances, attribue la disgrâce + de Mme d'Otterstadt à des papiers trouvés dans le portefeuille du + général comte de Lepel, mort à Mojaisck. + + La reine, dit-on, en annonçant cette démission à la grande + maîtresse, fondait en larmes: en public, elle s'est contenue. Mme + d'Otterstadt était son amie d'enfance, elle remplissait toutes ses + heures solitaires; et ce qu'on ne conçoit pas, c'est que Mme + d'Otterstadt ait pu remplir un vide. C'est une femme sans éducation, + sans esprit, sans amabilité, mais bonne et tellement réservée que + c'est à elle qu'il faut attribuer l'ignorance presque absolue où la + reine est restée sur _les inconstances du roi_. Si la reine éprouve + jamais le besoin de remplacer cette confidente, elle n'en pourra + choisir aucune qui convienne au roi autant que Mme d'Otterstadt sous + ce rapport, si ce qui est incroyable est vrai, que la reine soit + jalouse jusqu'à l'emportement et que son calme ne soit que l'effet + de sa sécurité, le départ de cette dame pourra amener des suites + d'une grande influence sur le caractère de la reine et sur les + relations de l'intérieur du palais. + + Mme d'Otterstadt tenait de la cour de Wurtemberg une pension de + 3,000 francs dont le roi s'était chargé et qu'il a doublée. Elle va + se retirer provisoirement à Francfort. Le ministre de Wurtemberg est + fort affecté de ce déplacement. + + Le jour de la disgrâce de Mme d'Otterstadt, Mme la comtesse de + Lowenstein, après quelques jours d'absence, a reparu à la cour avec + une robe neuve et tellement élégante qu'elle a fait le désespoir des + dames du palais. Mme de Lowenstein poursuit la marche honorable + qu'elle s'est tracée pour parvenir à une faveur exclusive. Le + premier but qu'elle aura à atteindre sera d'être nommée dame + d'atour. + + On l'a vue dernièrement se promener à Napoléonshöhe entre le comte + et la comtesse de Blumenthal, tandis que leur fille se promenait + avec le général Wolf dans une entrevue d'épreuves. Mlle de + Blumenthal, peu jolie au reste, venait d'atteindre sa seizième + année: ses parents, dit-on, s'étaient empressés de faire hommage au + roi de ses prémices, le général Wolf devait l'épouser en + conséquence. C'est un juif baptisé: la généalogie ne pouvait pas + faire obstacle, plus de seize quartiers y étaient. Mais cet officier + déclara qu'il ne croyait pas que Mlle de Blumenthal pût lui + convenir. Bon père, M. de Blumenthal, chambellan du roi, avait été + maire de Magdebourg; il paraît que c'est en cette qualité qu'il a + obtenu la croix de la Légion d'honneur. + + Mme la comtesse de Pappenheim est revenue à la cour et est logée + vis-à-vis le palais, dans le dernier appartement qu'a occupé le + grand maréchal. Son mari est toujours à Paris, entre les mains du + docteur Pinel. + + + BULLETIN DE REINHARD. + + Cassel, 4 septembre 1812. + + C'est Mme la comtesse de Lowenstein qui depuis le retour du roi a + joui des faveurs de Sa Majesté. Il y a eu, dit-on, une petite + distraction en faveur de Mlle Alexandre, mariée Escalonne, revenue + du camp de Pologne. Mais Mme de Lowenstein a pris son mal en + patience et le roi lui est revenu. Cette dame se distingue par son + esprit de conduite: malgré cela elle réussira difficilement à rendre + le roi constant. + + On annonce l'arrivée d'une Polonaise dont le logement en ville est + déjà préparé. Un officier polonais, qui s'était attaché au roi comme + officier d'ordonnance et qui était venu avec M. Brugnière, étant + reparti, on croit qu'il sera allé au devant de sa compatriote. + + Mmes Blanche et Jenny Laflèche, femmes de l'ex-intendant de la liste + civile et de son frère le chambellan, partent pour se rendre à Gênes + par Paris. Il est incertain si elles reviendront. À la cour on + prétend qu'à la suite d'un engagement pris avec le prince royal de + Wurtemberg, Mme Blanche ira habiter les bords du lac de Constance. + Cette famille est extrêmement déchue. Le conseiller d'État est un + étourdi, le chambellan est un mauvais sujet. Cependant les dames ont + toujours conservé une amie ardente en Mme la comtesse de Schomberg, + femme du ministre de Saxe. + + On parlait pendant quelques jours d'une espèce de disgrâce où était + tombé M. le comte de Furstenstein. Il n'en est rien et il est + certain qu'il occupera le magnifique hôtel qui sera délaissé par M. + et Mme Pichon. Ce qui est vrai, c'est que le roi avait insisté de + nouveau pour que Mme de Furstenstein demandât une place de dame du + palais et qu'elle et son mari s'y sont de nouveau refusés. + + Le comte de Pappenheim a été atteint à Paris de plusieurs attaques + d'apoplexie qui font espérer que sa fin sera prochaine. On ne croit + point que Mme de Pappenheim doive revenir à la cour de Westphalie et + l'on assure que M. de Waldener son père s'y oppose. Quant au comte + de Wellingerode, on le dit entièrement abandonné des médecins. + + On avait préparé pour Mme la duchesse de Rovigo l'appartement de la + comtesse de Pappenheim; mais à la porte de la ville on avait oublié + de dire que cette dame était absente. Mme la duchesse, déclarant + qu'elle n'aimait pas la société des femmes, alla descendre à + l'auberge de la Maison-Rouge où l'aubergiste ne voulut pas la + recevoir, ni même, dit-on, la laisser reposer dans son salon. Sur + ces entrefaites, M. de Bongars survint, et sur la plainte de M. + Bourienne il en fit le rapport au roi qui ordonna la punition de + l'aubergiste, telle qu'elle est énoncée dans l'arrêté ci-joint du + commissaire de police. + + La manière dont l'aubergiste a raconté à M. Siméon comment la chose + s'était passée est un peu différente. Du reste, depuis longtemps cet + homme était signalé comme n'aimant pas les Français. Son ancienne + enseigne étant _à l'Électeur_, après l'avoir ôtée, il n'en mit point + d'autre et son auberge ne fut connue que sous le nom de la + Maison-Rouge. + + La femme du ministre de Prusse n'a point obtenu la permission de + prendre avant son départ congé de la reine. + + Le musicien Rode et le danseur Duport sont ici. Le premier a déjà + joué devant la cour et donnera un concert au public. Duport, dit-on, + ne dansera point pour avoir fait dire dans une gazette de Berlin + qu'il se rendait à Cassel sur une invitation du roi. + + Pendant les courses de la cour sur la Fulde et sur le Weser, elle + est escortée sur les deux rives par des gardes du corps et des + lanciers. On prétend que c'est parce que M. de Bongars rêve toujours + encore conspiration. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 18 septembre 1812. + + Voici comment, dans le dernier voyage de Brunswick, le roi a raconté + confidentiellement à l'un de ceux qui l'y ont accompagné les motifs + de son départ de l'armée. + + L'aile droite de la grande armée avait une destination particulière + et séparée, celle de couper le corps de Bagration. Cette destination + a été remplie. Après que ce but fut atteint, Sa Majesté l'empereur + jugea à propos de renforcer le centre. Des corps furent détachés de + l'armée que le roi avait commandée jusqu'alors. Dès lors, cette + armée séparée fut subordonnée à la direction générale et la présence + du roi devint sans objet. Sa Majesté l'empereur a senti parfaitement + que le roi ne pouvait être sous le commandement de personne et c'est + d'accord avec lui que le roi est revenu. + + J'ai eu plusieurs fois occasion de dire à Votre Excellence un mot + sur les irrégularités qui se commettent en Westphalie dans la vente + des domaines de l'État. Mais celles qui se commettent dans la vente + des dîmes dans le district de Hildesheim sont tellement publiques, + tellement indécentes et paraissent tellement constatées que je dois + en faire une mention particulière. Je savais déjà par M. Pichon que, + soit qu'il voulût seulement se procurer des renseignements, soit + qu'il eût réellement le projet de faire une acquisition très + profitable, il s'était adressé à un homme en place dans ce pays-là, + pour s'informer du prix courant des dîmes et pour lui donner la + commission d'en acheter. Cet homme lui répondit qu'aucune vente ne + se faisait en public et que le beau-frère de M. de Malchus engageait + tous les amateurs à s'adresser directement au ministère des finances + où on leur ferait de meilleures conditions. Cela n'est pas très + légal, cependant cela pouvait s'excuser par la pénurie du trésor et + par le besoin où l'on était de se procurer de l'argent promptement + et à tout prix. Mais j'ai su depuis par une source très authentique + que toute cette transaction dont l'objet se monte à près de deux + millions est exclusivement entre les mains de deux beaux-frères et + d'un parent de M. de Malchus, dont l'un fait l'estimation des dîmes, + l'autre en conclut les marchés et le troisième en reçoit le prix. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 28 septembre 1812. + + Vendredi dernier, le roi me fit encore appeler dans son cabinet. Il + n'est pas besoin de dire que la victoire de Mojaisk, la part qu'y + ont eue les troupes westphaliennes, le problème de l'entrée ou + paisible ou sanglante dans Moscou furent le thème principal de cet + entretien qui ensuite est devenu aussi vague que la conversation + précédente dont j'ai rendu compte à Votre Excellence. Cependant, un + des ministres du roi m'a fait la confidence que le roi avait voulu + me sonder sur certaines dispositions ou intentions de Sa Majesté + impériale qu'assurément je ne m'étais jamais vanté de connaître. + Quoi qu'il en soit, cette fois encore je suis resté fidèle à la + maxime de ne point prendre l'initiative sur les choses délicates qui + concernent la campagne que Sa Majesté a faite en Pologne; et comme + le roi de son côté n'a pas pris l'initiative, j'ignore s'il a inféré + de notre conversation que j'étais instruit de quelque chose ou que + je ne savais rien. Du reste, quelque effort que fasse le roi pour + cacher la situation intérieure de son âme, il me paraît certain que + plus les événements de la campagne sont glorieux et plus l'idée d'en + être éloigné le tourmente. Aussi croit-on s'apercevoir que Sa + Majesté souffre et maigrit; et je vous avoue, Monseigneur, + qu'attaché comme je le suis à ce prince doué de tant d'heureuses + qualités et reconnaissant de la bienveillance qu'il m'a souvent + témoignée, je ne puis que me sentir attristé et de sa situation qui + à la fois lui impose la gêne de voiler ses torts et lui ôte les + moyens de les réparer, et de la mienne qui me défend de lui donner + des conseils qu'on ne me demande point ou de lui témoigner un + intérêt dont on ne veut pas être censé avoir besoin. Aussi, + Monseigneur, serait-il bien heureux pour moi le jour où interprète + de la bonté généreuse de Sa Majesté impériale, je pourrais lui + porter la seule consolation capable de guérir sa blessure. + + + BULLETIN. + + Cassel, 19 octobre 1842. + + Tandis qu'une salle de spectacle se construit au palais du roi, le + lieu des séances du Conseil d'État a été transporté dans le palais + des États où sera aussi logée une partie des artistes au service du + roi qui habitaient jusqu'à présent le garde-meuble. Ce même palais + renferme une bibliothèque et plusieurs collections assez + intéressantes ou curieuses. Ces dernières ont déjà beaucoup diminué, + on dit qu'elles vont être transportées on ne sait où. Il se trouvait + au château de Napoléonshöhe la bibliothèque à l'usage personnel de + l'ancien Électeur, très bien choisie et composée de livres de prix; + elle pourrit aujourd'hui dans un galetas du garde-meuble, entassée + dans des corbeilles et à la merci du premier venu. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 21 novembre 1812. + + La cour est revenue mardi dernier du voyage de Catharinenthal. Elle + a assisté le même jour en grande loge à la 1re représentation de + l'opéra de la Vestale donné avec une magnificence qui approchait + bien près de celle de Paris. Seulement le théâtre a paru un peu trop + étroit pour le char triomphal attelé de quatre chevaux blancs. + + La petite salle de spectacle construite dans l'intérieur du château + a été inaugurée avant-hier. Le roi a acheté autour de cette + résidence provisoire plusieurs maisons nouvelles dont on a déjà + démoli et déblayé l'intérieur. Ces changements continuels, ces + dépenses très considérables pour agrandir et embellir un local qui + n'en est pas susceptible et qui ne doit servir que par intérim, la + célérité nuisible avec laquelle le roi veut que les ordres qu'il + donne à cet égard soient exécutés, désolent l'intendant de sa + maison, mais le roi dit que c'est là sa jouissance. Néanmoins cet + intendant assure que la totalité des budgets pour la maison de S. M. + où les écuries seules absorbent 12 à 1,300,000 francs n'excède pas + la somme de 4,700,000 francs. À la vérité ces constructions et les + dépenses de la cassette n'y sont pas comprises. La répugnance de la + reine surtout à faire réparer l'ancien palais incendié et à revenir + l'habiter paraît invincible. + + Quant au budget de l'État, M. de Malchus, dit-on, se propose de ne + le soumettre au roi qu'au mois de décembre. Pour le moment le trésor + est assez à l'aise, principalement parce que la solde de plusieurs + mois n'a pas encore été payée à l'armée. + + Je reçois à l'instant la lettre de V. Exc. du 11 novembre, avec la + lettre jointe de M. le duc de Rovigo. J'aurai l'honneur d'y répondre + incessamment. + + +Les lettres et bulletins de ce genre donnaient beaucoup d'humeur à +Napoléon qui voyait son jeune frère gaspiller l'argent pour des +futilités, tandis qu'il eût voulu que tout fût consacré alors à +entretenir la guerre et à faire de nouveaux armements; cela explique +en quelque sorte la fin de non recevoir qu'il opposait aux demandes +incessantes et justes de la Westphalie. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 16 décembre 1812. + + Sire, j'apprends à l'instant le passage de Votre Majesté par Dresde, + je m'empresse de lui exprimer mon désir bien naturel sans doute + d'aller en personne lui présenter les expressions de mon tendre et + inviolable attachement. + + Je serai heureux si Votre Majesté veut me permettre d'aller passer + quelques jours auprès d'elle. + + + BULLETIN. + + Cassel, 17 décembre 1812. + + Un décret royal a aboli la charge de grand maître de la reine: celle + du chevalier d'honneur y a été substituée. On la croyait + généralement destinée à M. de Maupertuis, et tout annonce que la + famille Fursteinstein s'en flattait. Elle a été, dit-on, + désorientée, lorsqu'il y a quelques jours, le roi déclara que ce ne + serait point M. de Maupertuis. On nomme aujourd'hui M. le comte de + Busche, ancien ministre de Westphalie à Saint-Pétersbourg. On dit + que Mme Mallet, première lectrice de la Reine, a repris un certain + ascendant et qu'il y a eu une explication de la reine avec le roi. + Quelques indices pourraient même faire penser que le roi de + Wurtemberg est intervenu. Il est du moins certain qu'il a écrit + dernièrement une lettre au roi, son gendre. En même temps, M. de + Gemmingen, ministre de Wurtemberg, a été appelé subitement à + Stuttgard; il est parti ce matin. Plusieurs personnes pensent qu'il + ne reviendra point; quant à lui, il ne paraît se douter de rien. Les + motifs qui avaient dicté au roi de Wurtemberg le choix d'un ministre + bonhomme, mais sans esprit et sans influence, peuvent avoir été très + bons sous plusieurs rapports: ils ont cependant eu ce résultat + fâcheux pour la reine qu'elle s'est un peu trop abandonnée + elle-même; cette apathie éternelle, vraie ou apparente, a quelque + chose qui nuit et qui fait de la peine; et c'est déjà un mal que le + mieux qu'on puisse dire de cette princesse soit qu'elle ne fait + point de mal. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 18 décembre 1812. + + Sire, je m'empresse d'adresser à Votre Majesté, à l'occasion de la + nouvelle année, mes félicitations et l'expression sincère de mes + sentiments inaltérables. Je serais particulièrement heureux, sire, + si Votre Majesté me permettait d'aller l'assurer de vive voix de mon + tendre et inviolable attachement. + + J'attends la réponse de Votre Majesté avec bien de l'impatience. + + +L'empereur ne permit pas à son frère de se rendre à Mayence pour son +passage. Le jeune roi, de plus en plus affecté de sa disgrâce auprès +de son frère, resta à Cassel, qu'il allait à la fin de 1813 +abandonner sans retour. + +À la fin de décembre 1812, l'empereur ayant désiré avoir des notions +vraies et confidentielles sur plusieurs des ministres et des +principaux personnages du royaume de Westphalie, M. Reinhard envoya +à Paris, sur chacun de ces personnages, des aperçus curieux et +sincères. + +Nous allons faire connaître ce qui concerne les plus en vue de ces +hommes d'État: + + + Cassel, 29 décembre 1812. + + 1º M. le comte de WOLFRATH, ministre de l'intérieur, grand croix de + l'ordre de Saxe, commandeur de l'ordre de la Couronne. + + Il a commencé sa carrière comme avocat à Brunswick où, par + l'intégrité de son caractère, il s'attira la faveur du dernier duc + qui le nomma d'abord conseiller de la cour, ensuite directeur de la + chancellerie de justice, et à la fin, ministre. À la formation du + royaume, il fut nommé ministre de l'intérieur. Quelque grand et + sincère que fût jadis son attachement à la maison de Brunswick, on + ne peut pas lui reprocher la moindre bévue politique depuis la mort + de son ancien maître. Il est un des plus fidèles serviteurs du roi + de Westphalie dont l'intérêt ainsi que celui du royaume lui sont les + plus sacrés. Il est seulement à plaindre que, par une ancienne + habitude, il soit encore trop attaché aux anciens usages et formes + dont il lui est presque impossible de se défaire. C'est lui qui est + cause que tant d'anciennes choses se conservent encore, lesquelles, + d'après la constitution, ne devraient plus exister. On lui reproche + aussi une lenteur terrible dans les expéditions qui se font à ses + bureaux. Son principe est que les règlements français sur + l'administration intérieure sont excellents pour la France, mais + moins bons pour les peuples d'Allemagne. + + Il voudrait admettre partout des restrictions qui produisent un + mélange affreux. Il est un des plus grands admirateurs de + l'empereur. Ceux qui le connaissent particulièrement soutiennent + qu'il l'aime encore plus qu'il n'ose le dire, de crainte de paraître + par là trop bon français et de perdre l'affection du roi qui ne veut + apercevoir en ses ministres que des gens qui lui soient uniquement + attachés. C'est par cette raison même que son influence sur les + préfets, sous-préfets, maires de canton et maires de commune n'a + jamais été avantageuse pour le gouvernement français. Il a toujours + cru devoir leur faire sentir à toute occasion le grand avantage de + n'être pas soumis aux droits réunis, à l'enregistrement, etc. M. de + Wolfrath est un de ceux qui pour faire aimer le gouvernement + westphalien sacrifieraient tout autre intérêt. Les Français attachés + à la Westphalie l'estiment assez à l'égard de son caractère, mais + ils lui reprochent aussi sa lenteur et son entêtement de conserver + tant d'anciennes formes. + + 2º M. le baron MALCHUS, comte de MARIENRODE, ministre des finances, + commandeur de l'ordre de la Couronne. + + Il y a seize ans qu'il n'était que gouverneur des enfants de M. de + Brabeck, près de Hildesheim, par l'intercession duquel il obtint la + place de syndic auprès du chapitre dans cette ville. + + Lorsque le pays de Hildesheim, en conformité du traité de + Ratisbonne, fut occupé par les Prussiens, M. Malchus révéla à la + commission prussienne le secret de tous les capitaux que le chapitre + avait eu soin de soustraire aux perquisitions des organisateurs. En + récompense de ce service, le roi de Prusse le nomma conseiller de la + guerre et des domaines en la chambre des domaines à Halberstadt. À + l'époque de la fondation du royaume de Westphalie, M. Malchus + s'empressa de mettre le gouvernement en état de s'emparer de + plusieurs capitaux également inconnus. Le roi le nomma conseiller + d'État, sur la proposition de M. de Bulow, ministre des finances. M. + Malchus sut bientôt gagner la confiance du roi, tantôt par des + propositions financières, tantôt par des sommes qu'il savait faire + entrer dans la caisse royale par ses recherches. Il fut nommé à + plusieurs commissions extraordinaires, entre autres à l'organisation + du pays d'Hanovre. Après cette organisation, il fut envoyé à Paris + pour obtenir quelques avantages dans les domaines. Enfin, lorsque M. + de Bulow fut déposé de la place de ministre des finances, M. Malchus + l'obtint, au grand étonnement de toute la cour qui avait désigné le + conseiller d'État Pichon pour successeur du comte de Bulow. M. + Malchus n'avait jamais été aimé de personne. Sa nomination de + ministre fit une impression désagréable sur tous les employés au + service. Il fut regardé comme une sangsue qui n'épargnerait rien + pour se confirmer dans l'opinion du roi et qui n'oublierait pas non + plus son intérêt particulier. + + Le roi le nomma ministre des finances, du trésor et du commerce; il + continua à être à la tête de ces trois départements sans aucun + contrôle; mais cela ne dura pas longtemps. Il fut nommé, au grand + dépit de M. Malchus, un intendant général du trésor public, en la + personne de M. Pichon, conseiller d'État. Tout le monde + applaudissait à cette nomination qui faisait d'autant plus de + plaisir que M. Pichon réunissait tous les suffrages et qu'il était + généralement connu pour le meilleur intendant et le plus + désintéressé serviteur du roi. + + J'ai déjà cité dans l'histoire de l'esprit public le désordre qui + règne dans les finances. Les cabales et intrigues qui commencèrent + entre M. Malchus et M. Pichon le mirent à son comble. Celui-ci + voulait introduire l'administration du trésor purement sur le pied + français, tandis que celui-là y voulait conserver les formes + adoptées et se réserver d'y mettre du sien à son aise. M. Pichon, + dégoûté de toutes ces tracasseries, demanda enfin au roi d'être + nommé ministre du trésor. Le roi refusa cette prière, et M. Pichon + donna sa démission qui fut acceptée, au grand triomphe de M. Malchus + et au grand dépit du public. M. Pichon va s'en retourner en France. + Il a la satisfaction d'être le plus estimé Français qui ait été au + service de la Westphalie. + + M. Malchus est un homme dont l'égoïsme dépasse toute idée. Pourvu + qu'il réussisse en ses projets particuliers, il servira tout aussi + bien le dey d'Alger que le roi d'Angleterre. Sa souplesse l'aidera à + se pousser partout. Comme il ne doute point que la fin de son + ministère ne soit très proche, il a eu soin de se mettre en état + d'attendre l'avenir sans inquiétude. Il s'est mis en possession du + beau domaine de Marienrode qu'il vient d'acheter au roi, lequel pour + preuve de sa satisfaction, lui a fait encore un cadeau de 120,000 + francs. Le public est étonné que M. Malchus ait pu payer la somme + énorme de presque un million de francs le domaine de Marienrode. + Tout le monde sait qu'il n'a jamais eu de fortune. On dit qu'il a + gagné par les manoeuvres de papiers publics dont il réglait les + chances. + + M. Malchus a pour habitude de relancer sur la France les demandes + qu'il fait au peuple westphalien. Les besoins de l'armée lui servent + toujours de prétexte, et comme cette armée, dit-il, n'existe que + pour l'empereur Napoléon, c'est à celui-ci que les Westphaliens + doivent s'en prendre. + + Il est vrai qu'il est difficile d'avoir toujours à sa disposition + les sommes dont le roi a besoin pour couvrir les frais énormes que + le luxe de la cour et ses autres dépenses exigent. Mais il n'est + pas moins vrai que les mesures de M. Malchus ne sont calculées que + pour les besoins du moment et qu'il est bien loin d'établir un + système financier tel que la Westphalie l'exigerait. + + 3º M. SIMÉON, ministre de la justice, commandant de la Légion + d'honneur, grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, grand commandeur + de la couronne de Westphalie. + + Il est le plus estimé de tous les ministres. La partie judiciaire va + si bien en Westphalie qu'on croirait que le code Napoléon y est déjà + introduit depuis dix ans. + + M. Siméon est réputé très bon français. Il est à plaindre qu'il ne + soit pas à la tête des autres parties de l'administration. Il est + président de la commission du Sceau des Titres. + + 4º M. le comte de FURSTENSTEIN, ministre des relations extérieures, + secrétaire d'État, grand commandeur de l'ordre de la Couronne, + grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, de l'Éléphant, de + l'Aigle-Noir, des Séraphins, de l'Aigle-d'Or wurtembergeois. + + Il a le surnom de Furstenstein de la dotation d'une partie de biens + considérables du ci-devant ministre hanovrien Dide de Furstenstein + que le roi lui a conférés. Au commencement de sa nomination, on ne + doutait point qu'il ne serait le premier favori du roi et le + _factotum_ dans le gouvernement. Il est réellement un des premiers + favoris du roi; mais quant à son autorité, il ne l'emploie jamais + qu'aux affaires qui regardent son ministère, de manière que ses plus + proches parents ne puissent compter sur sa protection. Il a épousé + la fille du comte de Hardenberg, grand veneur westphalien. + + 5º Le prince Ernest de HESSE-PHILIPSTHAL, grand officier de la + Couronne, grand-croix de l'Aigle-Noir. + + Il est le fils du prince Adolphe de Hesse Philipsthal Barchfeld, + prince apanage de l'ancienne maison de Hesse Philipsthal et dont la + fortune a été toujours très médiocre. Il s'est marié avec une + princesse de Hesse Philipsthal d'une autre ligne collatérale de + l'ancienne maison régnante. + + Le grand chambellan est un homme sans prétention, loyal et beaucoup + estimé. Il ne peut pas briller par l'étendue de son esprit, mais il + ne manque pas d'instruction. Son attachement au roi de Westphalie + est hors de contestation. Il aimerait également la France s'il y + vivait. Sa soeur est mariée avec le comte Laville-sur-Illion, + gouverneur du palais de résidence. L'un et l'autre ne peuvent pas + être comptés pour des gens qui signifient grand'chose. + + 6º M. le comte de HARDENBERG, grand veneur, grand-croix de l'ordre + des Deux-Siciles, commandeur de l'ordre de la Couronne, Hanovrien de + naissance. + + Il était ci-devant bailli hanovrien à Rotenkirchen et, dans le + dernier temps de l'Électorat, gouverneur du château royal à + Hanovre. Sa fortune est très grande et ses revenus seraient très + grands, s'il était possible d'introduire l'ordre dans son économie. + Malgré ses biens immenses, il n'a jamais d'argent et il emprunte à + tout le monde. + + Il a deux frères, dont l'un, le comte de Hardenberg, était autrefois + président d'une cour de justice et membre de la commission du + gouvernement à Hanovre; et l'autre, gentilhomme à la cour de + Hanovre. + + L'aîné de ces deux frères a épousé une fille naturelle du dernier + duc de Courlande, et se trouve à présent à sa terre de Rannewitz en + Mecklembourg. Il a sollicité très vivement la place du premier + président de la cour impériale, à Hambourg; aussi, la commission du + gouvernement l'a proposé. N'ayant pas réussi en ce projet à Paris, + il a, à présent, l'intention d'aller à Vienne où son frère, le + ci-devant gentilhomme, a établi un bureau de banquier. + + Tous ces trois frères étaient connus autrefois pour être animés d'un + esprit entièrement dévoué à l'Angleterre. Le banquier viennois se + détachait le premier de ce sentiment, croyant avoir raison de se + plaindre qu'on ne l'avançât pas d'après son mérite. Le grand veneur + suivit cet exemple à l'époque de la fondation du royaume de + Westphalie. Il a déclaré publiquement son convertissement politique + en donnant sa fille pour épouse à M. Lecamus, depuis comte de + Furstenstein. Le comte de Hardenberg de Rannewitz, piqué de ce qu'on + n'a pas voulu de lui, conserve encore son dévouement à l'Angleterre. + Sa fille est mariée au jeune comte de Platen, neveu de M. le comte + de Munster, résidant aussi en Mecklembourg. Le voyage de M. de + Hardenberg à Vienne m'a paru, au commencement, un peu suspect; mais + je ne doute plus, d'après les renseignements que j'ai eu l'occasion + de me procurer, qu'il n'ait d'autres intentions qu'à voir s'il + pourra s'associer avec son frère le banquier. + + 7º M. le comte de BOCHHOLZ, grand officier de la Couronne, grand + maître des cérémonies, conseiller d'État, grand aigle de la Légion + d'honneur, commandeur de l'ordre de la Couronne. + + Il est natif de Munster où son père était autrefois prévôt du + chapitre. Il passe pour le plus riche particulier attaché à la cour. + + Son inclination innée pour l'Autriche est encore très vive. Il n'a + jamais cru le trône de France bien affermi qu'après le second + mariage de l'empereur. Il est honnête homme et incapable de malices + quelconques. + + 8º M. de BIEDERSEE, conseiller d'État, commandeur de l'ordre de la + Couronne, Prussien de naissance. + + Il était ci-devant président de la régence de Halberstadt, et l'est + maintenant de la cour d'appel à Cassel. Il est honnête homme, mais + un peu égoïste. Son ancien attachement à la Prusse s'effaça sitôt + qu'il se trouva dans une position à ne plus avoir à craindre pour + sa subsistance. La seule pensée d'un changement de gouvernement le + fait trembler, puisqu'il craint d'en souffrir des pertes + particulières. Ce n'est que cette peur qui lui inspire de la + répugnance contre la France. Il passe pour un homme instruit, juste + et très appliqué. La cour d'appel jouit, sous sa présidence, d'une + parfaite réputation. Il n'est pas riche et ne pourra vivre sans être + employé. + + 9º M. le baron de LEIST, conseiller d'État, directeur général de + l'instruction publique, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est + le fils d'un ci-devant bailli hanovrien qui demeure encore à + Ebstorf, près de Lunebourg. + + Il s'est appliqué, dès sa première jeunesse, tellement aux sciences, + qu'il fut déjà jugé un savant avant d'avoir fréquenté l'université + de Göttingue où, ses études finies, il s'établit comme professeur en + droit. Sa renommée de savant lui attira l'attention des ministres de + Bulow et de Wolfrath qui le proposèrent au roi pour conseiller + d'État en la section de la justice et de l'intérieur. Sa + connaissance en écoles et universités lui procura la direction + générale de l'instruction publique. + + Il a le grand mérite d'avoir banni des universités westphaliennes + tous ces ordres, associations et agrégations qui s'y étaient + manifestés parmi les étudiants, et lesquels y causaient les plus + grands désordres. + + Il a su insinuer également d'une manière très adroite aux + professeurs qu'il ne leur convient pas du tout de se mêler des + affaires de politique. Les universités de Marbourg et de Göttingue + me paraissent être entièrement métamorphosées depuis deux ans. MM. + les professeurs, instruits que la police de M. de Leist les observe + partout, se gardent bien de n'ouvrir leur coeur qu'aux personnes de + la plus intimé connaissance, de sorte qu'il est impossible que les + élèves soient entichés de la fièvre de fronder et se préparer leur + propre malheur, comme à Heidelberg. + + M. de Leist est un homme d'une ambition sans bornes: il est plein de + cette présomption dont les professeurs allemands sont si facilement + saisis. C'est son faible de s'entendre louer, et quiconque sait + toucher adroitement cette corde disposera bientôt de M. de Leist. Sa + nomination de conseiller d'État l'éblouissait tellement que dès ce + jour-là son ancien vrai attachement au gouvernement hanovrien + changea en une haine si forte qu'il ne sut trouver des propos assez + durs pour témoigner sa répugnance. Il s'imagina longtemps que le roi + de Westphalie n'avait pas besoin de la protection de la France. Sa + fausse politique l'a séduit même quelquefois, au point de concevoir + les ridicules idées que le gouvernement westphalien ne fût point + obligé de recevoir des préceptes de l'empereur. + + Le public l'accuse de fausseté en ses principes et prétend qu'il + serait capable de sottises encore plus grandes, pourvu que le roi + les prît pour marques d'attachement à sa personne. + + M. de Leist craint beaucoup que le royaume ne soit incorporé + incessamment à l'empire. L'on a remarqué qu'il parle avec + enthousiasme de la France, depuis que le roi est revenu de l'armée. + + Il a pour épouse la fille d'un ci-devant secrétaire du ministère + hanovrien, M. Klackenbring, qui est mort en démence. Sa fortune est + médiocre; son frère unique est secrétaire-général de la préfecture à + Göttingue. + + 10º M. le comte de MEERVELDT, conseiller d'État, maître-général des + requêtes, commandeur de l'ordre de la Couronne. Il est natif du pays + de Paderborn et fut ci-devant sacristain de la cathédrale de + Hildesheim, place à laquelle ne pouvaient arriver que les nobles + d'un certain nombre de quartiers. + + Il est lié avec la famille des comtes de Meerveldt, en Autriche, + sans cependant les connaître personnellement. M. de Meerveldt est un + des plus honnêtes hommes qui entourent le roi. Son aversion pour les + Prussiens en a fait un bon serviteur westphalien. Il fait ses + fonctions avec une exactitude ponctuelle et s'est fait estimer de + tout le monde. Sa fortune est très considérable; il n'est pas marié. + Son attachement au roi de Westphalie est sincère. Il aime moins la + France parce qu'il croit que le roi, son maître, a des raisons de se + plaindre de la France. + + 11º M. de SCHULTE, conseiller d'État, membre de la commission du + sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est + Hanovrien; son bien de souche est à Burgoittensen, petit endroit + dans le département des Bouches de l'Elbe. Sa fortune est une des + plus considérables du royaume. + + Ayant achevé ses études à Göttingue, il fut employé comme auditeur + et puis comme conseiller à la chancellerie de la justice à Stade, + capitale de l'ancien duché de Bremen. + + Ensuite, il fit un voyage en Angleterre et obtint d'être nommé + conseiller à la Chambre des domaines, à Hanovre. Du temps de + l'occupation française, sous le gouvernement du général Lasalcette, + il fut nommé membre de la commission du gouvernement, résidant à + Hanovre. À l'époque de la réunion du pays d'Hanovre à la Westphalie, + M. de Schulte fut fait conseiller d'État, à cause de sa fortune + qu'on voulut qu'il mangeât à Cassel. + + On ne peut pas lui disputer de l'esprit et de l'instruction; mais il + serait difficile de trouver un homme plus froid et plus fier que + lui. Son aversion pour la France s'est adoucie un peu depuis que ses + biens sont en France. Il est, néanmoins, très sujet à caution, et + quand les circonstances exigeraient jamais de mettre en sûreté les + personnes disposées à soutenir les projets des Anglais ou des + séditieux quelconques, je serai d'avis de ne point oublier M. de + Schulte. + + Il s'est marié trois fois: sa première femme fut une demoiselle de + Bothmer, d'Hanovre, dont il a eu une fille; celle-ci étant morte, il + épousa une demoiselle de Busche Munch, fille du feu chambellan de + Busche, à Hanovre, qui est morte en couches; à présent, il a pour + troisième femme la fille du ci-devant général de Wangenheim. + + M. de Schulte a touché à chaque mariage des dots considérables, de + sorte que sa fortune en a considérablement grossi. Son oncle est le + général anglais de Schulte, qui a pour résidence la terre de + Burgoittensen. + + 12º M. le baron de HARDENBERG, conseiller d'État, chevalier de la + Couronne, grand-croix de l'ordre de Sainte-Anne. + + Il est le frère du ministre-chancelier de Hardenberg, à Berlin, dont + il partage toujours les maximes et principes. Sa carrière ancienne + fut celle des baillifs hanovriens. Il eut le beau bailliage de + Grohude, près de Hameln, dont il est encore fermier général. Ses + finances sont ordinairement très embrouillées. Ayant pour femme la + soeur du feu ministre hanovrien, de Steinberg, il partageait + l'attachement général de tous les Hanovriens à leur gouvernement; + mais cet attachement a cessé depuis qu'il est persuadé que le pays + d'Hanovre ne sera plus rendu à l'Angleterre. + + Il ne voudrait pas que le royaume soit réuni à la France: voilà le + seul point qui lui fasse de la peine. Je réponds cependant qu'il + n'entreprendra jamais rien contre la France. + + 13º M. de MALSBOURG, conseiller d'État, président de la section des + finances, commandeur de l'ordre de la Couronne. Hessois de + naissance, il fut ci-devant conseiller intime de l'Électeur de + Hesse. Ses compatriotes l'aimaient assez. + + En l'absence du ministre des finances, c'est lui qui en tient le + portefeuille. Il est un homme droit et de bonne volonté, mais dans + l'esprit duquel les nouvelles formes ont encore bien de la peine + d'entrer aisément. Il n'est pas marié; sa fortune est médiocre. + Étant avec ses amis intimes, il aime à laisser passer le temps passé + devant son imagination: il le regrette de temps en temps; mais il + est trop honnête homme pour n'être pas un fidèle serviteur du roi. + + 14º M. le baron de WITZLEBEN, conseiller d'État, directeur général + des eaux et forêts, chevalier de l'ordre de la couronne. + + Il est natif du pays de Nassau et fut ci-devant grand veneur à la + cour de Hesse-Cassel. Il fait son service avec exactitude et jouit + de la réputation d'un bon homme. Du reste, c'est un homme qui ne + s'occupe que de son métier et qui est très insignifiant par rapport + à la politique. + + Son ancienne carrière était celle de professeur en droit des gens, à + Göttingue, où il était beaucoup estimé. Il est parfait honnête homme + et jouit aussi à la cour d'une très bonne réputation. Le + gouvernement français pourra compter sur la justesse de ses + principes et son zèle à lui être utile. + + 15º M. le comte de PATJE, conseiller d'État, président de la Chambre + des comptes, commandeur de l'ordre de la Couronne. + + Il commença sa carrière comme secrétaire à la Chambre des domaines, + à Hanovre. Ses talents et son application le distinguèrent bientôt + si avantageusement que le roi d'Angleterre le fît venir à Londres + pour concerter avec lui les mesures financières qu'il eut + l'intention d'introduire. Aussi est-il resté fidèle à la partie des + finances jusqu'à la fin de l'existence de l'électorat d'Hanovre. + + Lorsque les Français vinrent occuper le pays d'Hanovre en 1803, et + qu'une députation des membres des États fut chargée du gouvernement, + le ministère nomma M. Patje membre de cette députation, dans le + dessein de faire surveiller par lui la conservation des droits + royaux pendant l'occupation française. Les manières insinuantes et + la connaissance parfaite du pays lui attiraient la faveur et la + bienveillance de tous les généraux et des autorités français, + prussiens, russes, hollandais, espagnols, etc., qui venaient occuper + le Hanovre. Ses relations avec le prince de Ponte-Corvo tinrent + d'une vraie amitié. + + Pendant la courte apparition que M. de Munster fit dans le Hanovre + en 1805, M. Patje fut nommé conseiller intime du cabinet. En 1809, + le gouverneur général Lasalcette le nomma président de la commission + du gouvernement qui remplaça la députation des membres des États, et + ce fut en cette qualité qu'il se présenta au roi de Westphalie à + l'époque où le Hanovre fit partie de son royaume. + + Le roi témoigna beaucoup de confiance à M. de Patje, ce qui fut + cause d'une métamorphose totale qui s'opéra sur le système politique + qu'il avait adopté fidèlement jusqu'alors. D'un très fidèle partisan + anglais, M. Patje devint tout à coup l'ennemi déclaré du + gouvernement des insulaires. Il s'est dévoué si entièrement à la + Westphalie qu'il a oublié même que le royaume tient son existence de + l'empereur. La perte des domaines qu'il a administrés depuis plus de + trente ans lui cause bien du chagrin. Il trouve injuste cette + privation des revenus si considérables et voit avec dépit les + donataires français se mettre en possession de ces domaines sans + lesquels il s'imagine que le roi ne pourra subsister. + + M. de Patje se trouve en ce moment-ci à Hambourg où il travaille + avec M. le comte de Chaban à la séparation de la dette publique + entre la France et la Westphalie. + + Il est de l'âge d'environ soixante-dix ans. Sa fortune est très + considérable; il n'a qu'une petite-fille, Mlle de Wense, pour + héritière. Son beau-fils, M. de Wense, ancien capitaine hanovrien, + vit en particulier à Hildesheim. + + 16º M. le baron de BERLEPSCH, conseiller d'État, chevalier de + l'ordre de la couronne. + + Hanovrien et ancien président de la cour de justice aulique à + Hanovre. Il a joué un rôle assez singulier à l'époque de la + Révolution française. Sa prédilection pour les révolutions en + général fut si marquée, et ses mesures si inconsidérées commencèrent + à devenir tellement choquantes qu'il fut destitué de sa place et + rayé de la liste des membres des États. M. de Berlepsch alla se + plaindre de cet attentat contre le gouvernement hanovrien à la + chambre de justice de Wetzlar. Le procès a duré jusqu'à la réunion + du pays à la Westphalie où M. de Berlepsch fut nommé d'abord préfet + à Marbourg, puis conseiller d'État. Il est encore aujourd'hui un + terrible raisonneur, surtout quand il s'agit de censurer les mesures + du gouvernement. Quoiqu'il soit assez connu et qu'on n'ait rien à + craindre de ses exploits, je crois pourtant qu'il serait utile de + contenir sa langue, s'il devenait sujet français. Sa fortune est + assez considérable. Il s'est séparé de sa femme qui pendant quelque + temps fît quelque figure par ses poésies, et laquelle s'est remariée + à un nommé Harns, fermier dans les environs de Göttingue. + + M. de Berlepsch a l'esprit enjoué et caustique: on se divertit à + l'entendre radoter. + + 17º M. de REINECK, conseiller d'État, membre de la commission du + sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet de + Cassel. + + Il était autrefois conseiller de régence à Aroldsen dans le pays de + Waldeck. C'est un homme qui réunit beaucoup d'adresse à autant + d'instruction. Son administration du département va très bien; il + jouit d'une bonne réputation dans Cassel, mais on dit généralement + qu'il a une grande aversion pour la France. Je ne le connais pas + assez pour en juger avec certitude. On m'a assuré que c'est lui qui, + pour confirmer les Westphaliens dans la confiance de leur + gouvernement, donna toujours des couleurs sombres à la position des + sujets français. On l'accuse d'être cause, par ce tableau, de la + peur panique qu'a éveillée la possibilité d'être réuni à l'empire. + + 18º M. le comte de SCHULENBOURG, conseiller d'État du service + extraordinaire, grand-aigle de la Légion d'honneur, grand-croix des + ordres de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge. + + Sa carrière est assez connue. D'ancien général de la cavalerie + prussienne et ministre d'État, il s'est laissé faire d'abord + général de division et puis conseiller d'État westphalien, parce que + sa terre de Kehnert est située dans le royaume. Il y vit très + retiré, rongeant son dépit contre le monde entier et ne pouvant pas + encore concevoir comment il se soit fait que la Prusse ait pu + succomber à la France. Il ne s'occupe que de l'exploitation de ses + biens et ne voit presque personne. Il ne sera jamais dangereux pour + la France. + + 19º M. de REIMANN, conseiller d'État du service extraordinaire, + chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet du département de + l'Oker, à Brunswick. + + Il est né Prussien et était ci-devant employé à la Chambre des + domaines à Minden en qualité de conseiller des guerres. Lorsque la + Prusse prit possession du pays de Paderborn, c'est M. de Reimann qui + fut chargé de l'organisation de ce pays. Il s'en est acquitté + parfaitement, à la satisfaction du gouvernement et de la province. À + l'avènement du roi de Westphalie, il fut nommé préfet et + l'administration de son département pouvait servir de modèle à tous + les autres. Il est à présent à Brunswick où sa présence fut jugée + nécessaire pour mettre un terme aux querelles qui s'étaient établies + entre les Français et les Westphaliens. Il a su trouver les moyens + de parvenir à son but. M. de Reimann est un homme éclairé qui sait + très bien que le sort de la Westphalie dépend de notre empereur. Il + ne s'est jamais compromis ni par des expressions, ni par des faits + inconsidérés. + + 20º M. le comte DE LEPEL, général de brigade, conseiller d'État, + président de la section de la guerre, chevalier de l'ordre de la + Couronne. + + Il est ancien Hessois et a été déjà général au service de l'électeur + de Hesse. + + Il n'y a pas de doute que M. de Lepel est beaucoup attaché au roi de + Westphalie; mais il est très douteux qu'il ait les mêmes sentiments + pour l'empereur. + + À l'occasion de la séparation des départements hanséatiques, il + s'est permis de si fortes expressions et a pris aussi dans la suite + si peu de précautions en parlant de la France en général, qu'il est + impossible de lui accorder la moindre confiance. Il est détesté à + Cassel pour ses manières rudes et outrageantes. Son orgueil et la + façon dont il en use avec ses subordonnés lui ont attiré une haine + générale. Le roi lui veut du bien. On se disait pendant quelque + temps que la reine ne se sentait aucun éloignement à le voir, mais + ce bruit s'est bientôt perdu. + + 21º M. DE DOHM, conseiller d'État du service extraordinaire, + commandeur de l'ordre de la Couronne. + + Cet ancien ministre prussien s'est fait connaître assez en Allemagne + par le nombre considérable des commissions dont son ancien + gouvernement l'a chargé. Son système en ce temps-là était + entièrement anti-français. Enragé de ce que la Prusse n'ait pas fait + la guerre à la France en 1805, il ne manqua pas de mettre en + mouvement tout ce qui dépendait de lui pour faire réussir celle de + 1806. L'issue de cette guerre le força de quitter le service + prussien et d'embrasser celui de la Westphalie puisqu'il avait tout + son bien dans ce royaume. Le roi de Westphalie le traita avec + beaucoup de bonté, il le nomma même ambassadeur à la cour de Dresde. + M. de Dohm ne pouvait cependant résister à l'envie de se retirer du + service. Il obtint la permission du roi de s'en aller dans sa terre + près de Nordhausen où il mène aujourd'hui encore la vie la plus + retirée. Il n'est que Prussien, les autres nations lui sont + indifférentes; il n'aime pas du tout les Anglais. S'il était + possible de rendre à la Prusse son ancienne grandeur, il serait le + premier à y contribuer. Cette espérance échouée, on peut considérer + M. de Dohm comme un être innocent qui ne fera aucun mal. Son rôle + est fini, son âge avancé demande ce repos qu'il a trouvé. + + +L'année 1813, qui devait être la cinquième et la dernière du règne +de Jérôme, s'annonça à ce prince sous de tristes auspices. + +Dans les premiers jours de janvier, Napoléon fit savoir à son frère +qu'il devait réunir à Magdebourg, la place la plus importante de ses +États, un des points essentiels de la base d'opération ou de défense +des armées françaises, des approvisionnements considérables pour une +forte garnison et pour le ravitaillement d'armées d'opération. + +Jérôme, tout en protestant de son désir de remplir les volontés de +l'empereur, fit valoir le dénûment complet de la Westphalie, qui +avait fait des sacrifices énormes depuis 1811, son épuisement total, +l'impossibilité absolue de rien faire si on ne lui venait en aide, +soit en lui remboursant ses avances à l'empire français, soit en lui +donnant quelques millions. Longtemps Napoléon fit la sourde oreille, +puis il accorda de mauvaise grâce un faible et ridicule secours de +500,000 francs, réduit à 250,000, dont l'envoi présenta de longues +difficultés. Cet argent arriva trop tard. + +La correspondance diplomatique roula d'abord sur l'affaire de +Magdebourg, et comme le baron Reinhard, dans presque toutes ses +dépêches, dans ses bulletins à l'empereur et au ministre des +relations extérieures, duc de Bassano, laissait percer une sorte de +critique sur la conduite de Jérôme, sur ses dépenses inutiles, sur +le luxe de la cour de Westphalie, enfin sur les aventures galantes +du jeune roi, Napoléon, dont toutes les idées étaient alors tournées +à la conservation de ses conquêtes, au maintien de son influence en +Europe, ne pardonnait pas à son frère la légèreté de sa conduite, +disant, non sans quelque raison, que si le roi de Westphalie +trouvait bien de l'argent pour bâtir des châteaux, des salles de +spectacle, et pour faire des cadeaux à ses maîtresses, aux dames de +sa cour, à ses favoris, il en devait trouver, _a fortiori_, pour des +dépenses de première nécessité, d'où dépendait l'existence de ses +États. + +Le fait est, néanmoins, qu'un léger sacrifice d'argent de la part de +Napoléon, une bonne division française envoyée à Cassel, eussent +suffi, selon toute apparence, pour sauver Cassel et la Westphalie. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 2 janvier 1813. + + Ce que la seconde dépêche me charge de faire connaître + particulièrement à la cour de Westphalie, je l'ai déjà fait entrer + dans une conversation provisoire que j'ai eue avec M. le comte de + Furstenstein au moment de son départ pour Catharinental. Ce ministre + m'a assuré qu'une économie sévère et beaucoup de retenue pendant + l'hiver et le carnaval entraient dans les plans du roi. Il est + certain, Monseigneur, que depuis l'éloignement de M. + Laflèche-Keudelstein qui vient de partir pour Paris par congé, comme + on dit, mais très probablement pour ne point revenir, on aperçoit + plus d'ordre et de sagesse dans l'administration et l'emploi des + fonds de la liste civile; et qu'en ce moment, la seule dépense + importante, d'une inutilité reconnue, consiste dans ce que fait le + roi pour embellir et pour agrandir l'habitation provisoire qu'il + occupe depuis l'incendie du château. Mais, ce sur quoi j'insisterai + beaucoup et que je présenterai comme un devoir indispensable à + remplir et comme un titre à acquérir à l'approbation de Sa Majesté + impériale, c'est l'armement et l'approvisionnement de la place de + Magdebourg, et, certes, il est impossible que le roi ne sente pas + que, dans les circonstances actuelles, il lui convient davantage de + construire un arsenal qu'un palais. + + + LE DUC DE BASSANO À REINHARD. + + Fontainebleau, 26 janvier 1813. + + J'ai mis sous les yeux de Sa Majesté vos dépêches des 18 et 20 de ce + mois, nºs 418 et 420. Elle est satisfaite des démarches que vous + avez faites et du compte que vous en rendez. + + Je vous envoie la copie d'un décret sur l'approvisionnement de la + place de Magdebourg. Cet approvisionnement doit être pour 15,000 + hommes et 2,000 chevaux pendant un an, tant en vivres qu'en effets + d'habillement, pour une garnison de cette force et pour un hôpital + extraordinaire de 2,000 malades. + + Dans la rigueur du droit, cet approvisionnement devrait être fait + par le royaume de Westphalie; mais Sa Majesté veut ménager les + moyens du roi afin qu'il ne néglige pas la formation de son + contingent. Elle prend en conséquence à sa charge la moitié de + l'approvisionnement de Magdebourg. + + Elle laisse le roi le maître de faire lui-même et par ses agents + cette moitié de l'approvisionnement qui serait payé comptant à + proportion des versements. Elle a pensé que le roi pourrait trouver + quelque avantage à se charger de cette opération en employant ou des + moyens de crédit ou des revirements commodes pour ses finances, ou + tout autre expédient qui lui conviendrait. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, le 28 janvier 1813. + + Le roi n'a pas tardé à faire répondre à ma note du 14 janvier, + concernant l'approvisionnement de la place de Magdebourg. + + Avant de recevoir cette réponse, j'avais reçu une lettre de M. le + ministre, directeur de l'administration de la guerre, qui, en me + chargeant d'employer tous mes soins pour que les mesures les plus + promptes soient prises pour approvisionner au complet la place de + Magdebourg, m'envoyait un état des denrées nécessaires pour + l'approvisionnement d'un an pour 15,000 hommes et 500 chevaux. Je me + suis empressé de faire passer cet état avec une nouvelle note à M. + le comte de Furstenstein, et ce ministre le tenait déjà lorsque je + suis arrivé pour lui parler de la sienne. + + Votre Excellence trouvera la copie de cette note ci-jointe. Elle + n'est qu'une répétition des mêmes offres que le roi avait déjà + faites à M. le comte de Narbonne, sans avoir égard à l'état de la + question, telle que je l'avais posée d'après vos ordres; et ce que + mon devoir était surtout de ne pas laisser passer sans + contradiction, c'est la demande renouvelée de 3,770,000 francs[141] + qu'on prétend avoir dépensés en 1811 pour l'entretien des troupes + françaises, en sus de la compensation qu'on avait obtenue: + arrangement sur lequel, d'après les intentions connues de Sa Majesté + impériale, il n'y avait plus à revenir. + + [Note 141: Cette somme était due en effet par la France à la + Westphalie.] + + Toutes ces considérations m'ont engagé à prier ce ministre de + reprendre sa note. M. de Furstenstein m'a répondu que la forte + résolution du roi de tenir religieusement ce qu'il promettait le + déterminait à ne rien promettre au-delà de ce qu'il pourrait tenir; + que sa note disait exactement les mêmes choses que le roi avait déjà + écrites à Sa Majesté l'empereur; que les 3,700,000 francs ne + comprenaient pas seulement l'excédent des avances faites en 1811, + mais encore d'autres sommes que la Westphalie avait à réclamer, + telles que la part qui lui avait été promise dans le produit des + denrées coloniales séquestrées à Magdebourg, etc.; que ce n'était + pas précisément au paiement de cette somme que le roi tenait, mais à + un secours, à une avance quelconque de la part de la France, soit en + argent comptant, soit en moyens de crédit. J'ai néanmoins insisté à + ce qu'il reprit sa note. Je l'ai engagé de nouveau à en parler au + roi et ajoutant que quoique je ne pusse me flatter d'avoir sur + l'esprit de Sa Majesté une influence égale à la sienne, je + n'hésiterais pas à lui demander une audience pour le même motif. M. + de Furstenstein m'y a beaucoup encouragé, non sans protester contre + l'influence que je supposais qu'il avait sur l'esprit du roi. Dans + ma conversation, j'étais surtout parti de ce point, que le roi avait + calculé les offres qu'il faisait et pour la recomposition de son + contingent et pour l'approvisionnement de Magdebourg, sur les moyens + tant ordinaires qu'extraordinaires qui étaient à sa disposition: + qu'ainsi il n'y avait pas impossibilité absolue de porter plus haut + l'approvisionnement de Magdebourg; mais qu'il s'en suivrait + seulement que le roi ne pourrait pas employer à la formation de son + contingent la totalité des sommes qu'il voulait y consacrer; que dès + lors il s'agissait de savoir lequel de ces deux objets était pour le + moment le plus important et le plus pressé, et que j'avais lieu de + penser que Sa Majesté l'empereur attachait la plus haute importance + à l'approvisionnement le plus prompt et le plus complet de + Magdebourg, tandis que le roi préférerait peut-être employer ses + plus grandes dépenses pour la réorganisation de son armée. J'aurai + tout-à-l'heure à rendre compte à Votre Excellence du résultat qu'a + produit ce raisonnement. + + De chez M. de Furstenstein, je suis allé chez M. le ministre des + finances qui, tandis que le premier m'avait fait les démonstrations + accoutumées d'une bonne volonté impuissante, m'a parlé en vrai + ministre des relations extérieures. Il m'a entretenu de tous les + sacrifices faits par la Westphalie, de toutes les conventions, de + toutes les promesses faites et non tenues par la France, de ses + efforts pour porter le budget de 1813 à 44 millions de revenu qu'il + aurait réduit à 40, si avant de le mettre sous les yeux du roi il + avait connu le 29e bulletin, de l'impossibilité de rester ministre + des finances, en admettant des demandes aussi vagues et aussi + illimitées que les nôtres. Au milieu de tout cela, je lui ai parlé + de l'approvisionnement de Magdebourg. M. de Malchus m'a dit qu'il + s'engageait formellement qu'au 5 février il y aurait à Magdebourg un + approvisionnement complet pour trois mois et pour 15,000 hommes, + conformément à l'état envoyé par M. le comte de Cessac, et qu'en + outre M. le ministre de la guerre se chargeait, par le moyen de ses + fournisseurs ordinaires, d'un autre approvisionnement de deux mois. + À l'objection que j'ai faite que je savais que cet approvisionnement + n'avait été dans les derniers temps que pour 2,400 hommes, il a + répondu que cela regardait M. le ministre de la guerre; mais M. le + comte de Höne m'a promis depuis, sur sa responsabilité, que cet + approvisionnement de deux mois serait pour 12,500 hommes et même + pour 15,000. Le roi a chargé M. de Malchus exclusivement de tout ce + qui concerne le nouvel approvisionnement de Magdebourg; mais comme + le marché que M. de Höne a fait avec des fournisseurs tient encore, + il paraît que ce sera sur les fonds qui restent à la disposition du + ministre de la guerre que sera pris cet approvisionnement de deux + mois. Le budget de ce ministre pour 1813 est de 19,400,000 francs, + dont 17 millions pour les troupes westphaliennes et 200,000 francs + par mois pour l'entretien des troupes françaises. La vanité de M. de + Malchus l'a fait convenir qu'il avait fait des épargnes pendant + l'année passée, et sans elles, m'a-t-il dit, le roi n'aurait pas pu + faire les offres qu'il a faites à l'empereur. Quant à M. de Höne, il + prétend que toutes les épargnes qu'il a pu faire sur la solde ont + été absorbées par le matériel qu'il a fallu fournir à l'armée + entrant en campagne et par la formation des nouveaux régiments. + + Tel était, Monseigneur, l'état des choses, lorsque M. Balthazar, + aide de camp de M. le duc de Feltre, est arrivé. La lettre qu'il m'a + portée de la part de Son Excellence indiquait quatre objets + principaux de sa mission: l'approvisionnement de la place de + Magdebourg, le complétement de sa garnison, la formation de nouveaux + cadres et de nouveaux corps westphaliens et, en outre, la formation + à Magdebourg de nouveaux magasins considérables qui puissent + alimenter une armée nombreuse pendant plusieurs mois. + + Comme épisode tenant au sujet, je dois dire à Votre Excellence que + j'étais chargé par M. le duc de Feltre de présenter M. Balthazar à + la cour de Westphalie, et de lui faciliter les moyens de parvenir + jusqu'au roi avec lequel il serait bien qu'il eût une conversation. + Je m'acquittai de ce double devoir en prévenant en même temps le + chambellan de service que je présenterais M. Balthazar à l'audience + du corps diplomatique qui devait précisément avoir lieu hier matin; + et M. de Furstenstein que je désirais que Sa Majesté accordât à cet + officier une audience particulière. Le roi fit dire à M. Balthazar + de s'adresser au ministre de la guerre. J'insistai: M. Balthazar + ajouta qu'il avait non seulement une lettre à remettre à Sa Majesté, + mais encore des choses particulières à lui dire sur des mesures non + patentes encore qu'on prenait en France. En attendant que M. de + Furstenstein négociât, nous allâmes chez le ministre de la guerre + que nous engageâmes de son côté à obtenir une audience pour M. + Balthazar. + + À mon retour chez moi, je trouvai M. Siméon que le roi m'envoyait + extra-officiellement pour confirmer son refus de voir M. Balthazar, + pour me dire d'aller passer au cabinet et pour me prévenir de la + réponse que Sa Majesté allait faire à M. le duc de Feltre. J'avais + pensé que l'embarras de répéter à M. Balthazar toutes ses + déclarations précédentes et la crainte d'être trop pressé par cet + officier étaient les seules causes de ce refus; mais Sa Majesté ne + m'a pas laissé ignorer que si elle accordait des audiences à un aide + de camp de l'empereur, il n'en était pas de même d'un major aide de + camp du ministre de la guerre. Et puisque dans un moment aussi grave + le roi n'oublie point l'étiquette, il faudra bien, Monseigneur, dire + un mot sur une petite contestation qui s'est élevée pendant que M. + de Narbonne était ici. Le roi avait choisi le seul jour ou je + pouvais espérer voir ce général à dîner chez moi, pour nous faire + inviter à la table du maréchal de la cour. Je refusai, comme une + lettre de M. le duc de Frioul m'en donnait le droit; mais comme M. + de Furstenstein à qui nous avions dit nos raisons et qui s'était + chargé de la négociation revint pour me dire que je ferais plaisir + au roi en y allant, je déclarai que j'y voyais un ordre de Sa + Majesté et je me rendis à la table du maréchal en laissant à la + mienne ceux de mes convives que les ordres du roi ne m'avaient pas + enlevés. Nous eûmes ensuite l'honneur de faire au cercle la partie + de Leurs Majestés, d'assister au spectacle de la cour et de souper à + la table de la reine. + + Je reviens à mon sujet. Dans la conférence avec M. le comte de Höne, + M. Balthazar a reçu l'assurance d'un approvisionnement de + Magdebourg, au moins pour cinq mois, et de 18,000 hommes qui au 1er + mai seraient à la disposition de Sa Majesté impériale. Quant aux + magasins à former pour des armées, M. de Höne, ainsi que les autres + ministres, en a déclaré l'impossibilité. Ce ministre n'a vu aucune + difficulté à ce que le roi fît entrer dès à présent à Magdebourg le + 9e régiment ainsi que plusieurs dépôts qui pourraient y recevoir + leurs conscrits, il y a même vu des avantages. Mais étant allé le + soir même en parler à Sa Majesté, il a trouvé que le roi avait de la + répugnance à donner ces ordres immédiatement. Je ne doute au reste + aucunement que ces ordres ne soient donnés dès que Sa Majesté + l'empereur l'exigera. + + Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de ma conversation + avec le roi. Sa Majesté m'a fait lecture de sa lettre à M. le duc de + Feltre où, après avoir commencé par renouveler ses premières offres, + elle déclare que, si Sa Majesté l'empereur le préfère, le roi fera + l'approvisionnement de Magdebourg pour un an et pour 20,000 hommes; + mais qu'alors il ne pourra mettre à la disposition de l'empereur + que 6,000 hommes d'infanterie et 800 chevaux. «Je me chargerai + ensuite, a-t-il ajouté, d'entretenir de mes propres moyens une force + suffisante (de 4 à 5,000 hommes) pour la sûreté de ma personne et + pour celle du pays, mais il me faudrait alors une garantie que ces + troupes resteront à ma disposition et ne pourront m'être enlevées + par aucun ordre.» Le roi parlait d'abord d'une convention, ensuite + d'une promesse officielle et enfin d'une garantie quelconque. + + +La Westphalie n'avait pas assez de ressources pour faire à +Magdebourg de grands approvisionnements et pour mettre en même temps +sur pied une armée d'une vingtaine de mille hommes. Il fallait +opter. L'empereur devait évidemment préférer qu'un de ses +boulevards, Magdebourg, fût en état de faire une longue défense; +Jérôme, qui savait bien que Napoléon finirait toujours par faire +l'approvisionnement, était naturellement plus enclin à se créer une +armée qui pût le défendre lui et son royaume. + +Vers cette époque les armées ennemies gagnant du terrain vers le +Nord, Jérôme commença à être inquiet pour la reine et désira son +départ pour Paris. M. Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano. + +Ayant eu à cette époque plusieurs conversations d'un certain intérêt +avec le roi, le ministre en rendit compte par la lettre suivante au +duc de Bassano, datée de Cassel 1er mars 1813, 3 heures après midi. + + + «Oui, a dit le roi, il y va de votre propre intérêt et je vous en + avertis. Lorsque la Westphalie succombera de misère et que les + habitants aimeront mieux se faire tirer des coups de fusil que de + donner leur dernier morceau de pain, c'est à vous qu'on reprochera + de n'en avoir pas fait connaître la véritable situation. Votre + devoir est de dire la vérité, même au risque de déplaire, d'être + rappelé, d'être disgracié: après trois mois on vous rendra justice.» + + À ce discours qui a été très long, j'ai répondu que Sa Majesté + impériale connaissait par moi et sans moi la situation de la + Westphalie: que, lorsqu'il s'agissait de remplir mon devoir, je ne + manquais ni de franchise, ni de fermeté; qu'assurément je n'avais + rien dissimulé et de ce que le roi m'avait dit, et de ce que je + pensais moi-même sur l'insuffisance des moyens de la Westphalie; + qu'avant tout il importait de bien convaincre Sa Majesté l'empereur + que toutes les ressources quelconques de ce pays étaient + consacrées..... Ici le roi m'a coupé la parole.--«Eh! vous voyez + bien, avec plus de trois mois d'approvisionnement pour Magdebourg, + avec mon contingent entier à réorganiser, avec 40,000 hommes de + troupes françaises dans le royaume.» + + Je n'ai peut-être pas tort, Monseigneur, en considérant cette + attaque personnelle que le roi m'a faite, comme une espèce de + riposte à la lettre que j'avais écrite avant-hier à M. de + Furstenstein. Aussi c'est avec calme que j'invoque le témoignage de + toute ma correspondance avec Votre Excellence. Mais je me permettrai + une seule observation. Quant au passé, je dirai avec vous, + Monseigneur, qu'il est sans remède, mais quant au présent il serait + possible que Sa Majesté impériale, frappée de quelques notions de + détails que j'ai cru de mon devoir de donner, par exemple d'une + réserve du trésor qui existait à la fin de l'année, de la + prédilection du roi pour sa garde, des projets des fournisseurs, de + leur intelligence avec des protecteurs, etc., en conclût que le roi + ne veut pas faire en ce moment tout ce qu'il peut, ou que ses + ministres sacrifient la célérité et l'ensemble du service à leur + intérêt personnel. Je dois répéter ici, et je crois fermement que + les circonstances sont devenues trop graves pour ne point les + absoudre de cette accusation et que ce qui peut rester à leur charge + est d'une faible importance en comparaison des dépenses immenses et + simultanées qu'exige le moment actuel. Je dois particulièrement + rendre au ministre de la guerre la justice d'assurer que, si c'est + lui qui semble ralentir les opérations et qui passe des marchés + onéreux, c'est précisément lui qui est le moins soupçonné de + concussions ou de vues intéressées: que c'est un très honnête homme, + très laborieux, très dévoué à l'empereur et au roi; mais que c'est + un homme faible, susceptible de recevoir toutes les impressions + qu'on lui donne, et seulement au niveau de sa place lorsque les + événements le sont aussi. Enfin les fournisseurs refusent et + voudraient être en dehors de leurs marchés, quelque avantageux + qu'ils puissent être: et ce n'est pas là une grimace! Je crois que + c'est tout dire. + + +Extrait d'une lettre du roi arrivée le 6 mars à 6 heures du soir, et +adressée à l'ambassadeur de Cassel à Paris: + + + Les événements se pressent. La grande armée va être réunie derrière + l'Elbe. 30,000 hommes et 3,000 chevaux sont à l'entour de + Magdebourg. Passé le 15 mars, si l'empereur ne m'envoie pas + d'argent, il me sera impossible de les nourrir. _Il faudra qu'ils + soient à discrétion chez l'habitant._ Qu'en arrivera-t-il? Trois + mois d'approvisionnement viennent d'être faits par la Westphalie. Le + quatrième est sur le point d'être achevé. + + Les contributions, entre autres, du département de l'Elbe ne + rentrent presque plus. Si l'empereur ne nous fait pas payer quatre + millions à compte sur ce qu'il nous doit, la marche du gouvernement + se trouvera arrêtée _tout-à-coup_, et les suites en sont + incalculables. + + Mon peuple est bon: tant qu'il aura quelque chose, il le donnera. + Mais quand chaque sujet se trouvera _vis-à-vis de rien_, n'ayant + plus que le choix de mourir de faim ou d'un coup de fusil, il n'est + pas douteux qu'il ne préfère courir la dernière chance. + + +Le roi ayant obtenu de l'empereur de faire partir la reine +Catherine, Reinhard écrivit de Cassel le 8 mars 1812 au duc de +Bassano: + + + D'après ce que le roi m'avait dit hier sur le départ de la reine, je + ne m'attendais pas à lire dans le moniteur westphalien d'aujourd'hui + que la reine partait pour Paris sur l'invitation de Sa Majesté + impériale, et que ce départ aurait lieu après-demain. Le roi m'avait + dit que Sa Majesté l'empereur l'autorisait à faire partir la reine, + lorsque l'empereur Alexandre ou Kutusoff serait à Berlin ou à + Dresde. Il est vrai que, par son courrier de retour, le prince + vice-roi l'avait informé que, les Russes passant l'Oder en force et + ayant déjà sur la rive gauche 80 pièces de canon, il se décidait à + quitter la position de Berlin pour n'être pas coupé par sa droite. + + Le préfet du palais, Boucheporn, partira demain avec une partie du + service; mesdames de Bocholtz, de Furstenstein, de Pappenheim, + d'Oberg, la princesse de Philippsthal, M. le comte de Busche, + chevalier d'honneur, M. le comte d'Oberg, premier écuyer d'honneur + de la reine, seront du voyage. Il y a en ce moment conseil des + ministres. + + On dit que c'est hier au soir que le roi, étant au spectacle, a reçu + une lettre par le prince vice-roi, portée par un officier + d'ordonnance de Sa Majesté impériale allant en courrier à Paris. + Après le spectacle, M. Pothau a été appelé et les ordres ont été + donnés. M. de Furstenstein assure que le roi n'a point reçu de + lettre du vice-roi. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, le 11 mars 1813. + + La reine est partie hier après midi, à deux heures, par la route de + Wetzlar. Le roi l'a accompagnée jusqu'à Wabern. La princesse de + Philippsthal a obtenu la permission de rester, comme venant de se + relever de ses couches et se trouvant encore indisposée. Le baron de + Boucheporn, maréchal de la cour, l'a précédée: il a dû arriver à + Paris quelques jours avant Sa Majesté. + + Ce sont les nouvelles que M. Athalin avait portées de Berlin et du + quartier général du vice-roi qui ont amené la détermination de ce + prompt départ. Le roi m'a dit lui-même que deux heures avant + l'arrivée de M. Athalin, lorsque j'avais eu l'honneur de voir Sa + Majesté, il n'en avait pas encore eu la pensée. Le lendemain matin, + le passeport d'un inspecteur des postes qui me fut porté pour être + visé m'en donna le premier soupçon qui fut converti en certitude + quelques minutes après, lorsque je reçus le moniteur westphalien + annonçant que la reine partait sur l'invitation de Sa Majesté + impériale. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 24 mars 1813. + + Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté en date du 14 courant et + je m'empresse de lui envoyer ci-jointe la copie du décret que j'ai + signé et fait expédier depuis le 20. Elle y verra que tout ce + qu'elle désire est fait, mais, Sire, je vous supplie de ne pas + laisser succomber par le manque de quelques millions un pays tel que + le mien, qui vous est d'une si grande utilité. + + Le déficit sur les revenus du mois passé pour les départements de + l'Elbe, de la Saale et de l'Oder est de trois millions, ce mois-ci + il sera du double: nous sommes au 24 et 500,000 francs ne sont pas + encore rentrés; cependant, Sire, confiant dans la parole de Votre + Majesté, mon armée s'organise, tout se fait et se livre, mais le + mois prochain rien ne pourra être payé, si Votre Majesté ne vient à + mon secours. + + À la fin de la semaine prochaine, 10 bataillons d'infanterie, plus + 2,000 cavaliers bien montés et équipés et 24 pièces de canon + pourront partir avec moi pour Brunswick et se porter jusque sur + l'Elbe si Votre Majesté le désire. + + +M. Reinhard écrit tantôt que le roi ne veut pas de commandement, +tantôt que le roi désire un commandement. + +Le roi Jérôme désirait ardemment un commandement assez important +pour que cette position le mît en relief. Doué d'une grande +confiance en son aptitude militaire, et d'un amour-propre excessif, +il ne mettait pas en doute qu'il ne fût aussi capable que le prince +Eugène et tous les maréchaux de l'empire, sans en excepter un seul, +de gagner des batailles et de rappeler la victoire sous nos +drapeaux. Mais telle n'était pas l'opinion de l'empereur qui, tout +en appréciant la bravoure et les belles qualités militaires de +Jérôme, était loin de lui reconnaître le génie nécessaire à un chef +d'armée. En 1854, lors de la guerre d'Orient, sous le second empire, +le vieux prince crut un instant que son neveu lui donnerait le +commandement en chef de son armée, attendu, disait-il, que lui seul +en France avait l'habitude de la grande guerre et des grands +commandements et était en état de remuer des masses. + + + JÉRÔME À NAPOLÉON. + + Cassel, 14 avril 1813. + + Sire, je viens d'apprendre l'arrivée de Votre Majesté à Mayence et + m'empresse d'envoyer auprès d'elle mon ministre des finances, il est + plus à même que personne de faire connaître à Votre Majesté notre + situation financière; elle est telle, Sire, que, depuis le 11, + toutes les ordonnances qui ne sont pas pour la solde et les + traitements ont été suspendues au trésor, et qu'à la fin du mois, je + dois opter entre le paiement de l'armée ou celui des fonctionnaires + publics. La suppression du paiement des ordonnances tirées par les + ministres a fait un tel mauvais effet que l'habillement et le + harnachement, la livraison des chevaux ont été totalement suspendus. + + Je vous supplie, Sire, de ne point nous laisser tout à fait écrouler + et de nous envoyer quelques millions afin de nous soutenir; quel + chagrin pour moi, Sire, de me voir détruit par celui même qui m'a + créé! + + + BULLETIN. + + Cassel, 12 avril 1813. + + Le roi, informé par moi que M. le maréchal duc de Valmy envoyait + quatre bataillons à Wetzlar sur les confins de la Westphalie et du + grand duché de Berg, a désiré que M. le maréchal en envoyât deux + autres à Marbourg et m'a chargé de lui faire connaître ce désir. + + Le roi a passé la journée d'hier à Napoléonshöhe: le temps était + magnifique. Le soir il y a eu spectacle et souper: la réunion était + nombreuse. On disait que le roi avait voulu montrer qu'il n'avait + pas fait emballer les meubles de ce château et qu'il avait voulu + faire déballer aux dames peureuses leurs manteaux de cour. + + +On commençait à craindre les conspirations en Westphalie, +principalement à Cassel, que l'ennemi savait fort mal gardé, et +autour du roi, déjà à cette époque hors d'état de défendre sa +résidence et son royaume. + + + REINHARD À L'EMPEREUR. + + Cassel, 8 mai 1813. + + Le roi m'a fait communiquer par le général Bongars un rapport du + sieur Delagrée, chef d'escadron de la gendarmerie westphalienne, + concernant plusieurs mesures de précaution et de sévérité que M. le + maréchal, prince d'Eckmühl, a prescrites au général Bourcier revenu + à Hanovre après avoir vu le maréchal à Minden. + + Le roi m'ayant fait appeler ensuite m'a fait lecture de la lettre + qu'il se proposait d'envoyer à M. le maréchal. Sa Majesté déclare au + prince qu'elle ne peut croire que de pareils ordres aient été donnés + et qu'elle les regarde comme entièrement contraires aux intentions + de Votre Majesté. Elle pense que si des mesures de sévérité sont + nécessaires dans son royaume, elles doivent être prises par le + souverain qui a déjà établi des commissions militaires à Wanfried + (où quelques habitants avaient livré à l'ennemi quelques chevaux et + un gendarme), à Lichtenau près Paderborn (où des voitures du roi et + des voyageurs français avaient été insultés). Elle fait entendre que + de pareils procédés pourraient la conduire à prendre un parti + extrême, etc., etc. + + J'ai cherché, Sire, à dissuader le roi de l'envoi de cette lettre. + Les ordres du prince semblaient dater de la fin d'avril: peut-être + renoncerait-il de lui-même à leur exécution. Il me paraissait + préférable de notifier au général Bourcier que, s'il y avait des + mesures à prendre, des coupables à punir dans son royaume, le roi + s'en chargerait. Mais le roi me répondit que cette manière d'agir ne + serait point généreuse, qu'elle compromettrait le général Bourcier + qui était subordonné au maréchal; que, d'ailleurs, des troupes + françaises étaient déjà arrivées à Hanovre et qu'il voulait que le + prince s'expliquât catégoriquement sur les ordres qu'il avait + donnés. Sa Majesté a désiré en même temps que je rendisse compte de + cet incident à Votre Majesté. La lettre du roi au maréchal a dû + partir hier par courrier; j'ignore si elle est partie. Quant à la + ville de Hanovre et aux Hanovriens, l'enquête portera-t-elle sur + leurs voeux et sur leurs espérances, ou sur leurs démonstrations et + sur leurs actions? Tous les rapports de la police semblent les + absoudre d'actions criminelles: l'ordre public n'a été troublé nulle + part; les démonstrations mêmes ont été ou contenues ou réprimées; et + si, dans une effervescence d'opinions, la responsabilité cesse + d'être personnelle, la fidélité et l'obéissance ne suffiront plus + pour discerner l'innocent du coupable. + + +Le roi Jérôme écrivit de Cassel, au commencement de juin 1813, au +général Dombrowski à Wittemberg de se rendre à Hersfeld le 10 juin, +et il lui dit: + +«D'après les instructions que j'ai reçues de S. M. l'empereur, vous +devez diriger vos deux bataillons d'infanterie et votre artillerie +de Hersfeld par Rothembourg à Eschwege et vos deux régiments de +cavalerie de Hersfeld sur Kreutzbourg, afin qu'ils puissent s'unir à +moi et chasser l'ennemi de l'autre côté de l'Elbe.» + +Le duc de Valmy, auquel Dombrowski soumit cette lettre en demandant +des ordres à son chef immédiat, écrivit à l'empereur pour avoir ses +ordres. Ce dernier manda à Berthier le 10 juin: «Le roi de +Westphalie a écrit la lettre ci-jointe au général Dombrowski. +Écrivez à ce général pour lui faire connaître la marche qu'il doit +suivre.» Et en post-scriptum: «Écrivez au roi de Westphalie pour lui +faire connaître l'inconvenance d'employer mon nom pour changer la +direction de la marche des troupes; que cela peut mettre les +généraux dans l'embarras; que c'est contraire à toutes les formes; +que personne n'a le droit de prendre mon nom et de supposer que j'ai +donné des ordres quand ce n'est pas.» + + + BULLETIN DE REINHARD. + + Cassel, le 2 juin 1813. + + On dit que les ennemis annoncent le projet de faire une pointe sur + Cassel. Enflés par quelques succès, il ne serait pas en effet + impossible qu'ils poussassent leur témérité à ce point. Il est vrai + qu'avec ce qui est parti pour Minden nous aurions 4 à 5,000 hommes + d'infanterie et environ 1,000 chevaux à leur opposer: mais quelles + troupes et comment dirigées? Si cela continue, de surprise en + surprise, ou même avertis mais mal informés, sans prudence, sans + ensemble, nous serons détruits en détail. + + Depuis plus de trois mois que le roi est à Napoléonshöhe, je n'ai eu + l'honneur d'approcher de Sa Majesté qu'une seule fois. Mais M. de + Furstenstein continue à être invisible: son cabinet est au salon de + service. M. Siméon est toujours, M. de Höne, M. de Bongars sont tour + à tour du voyage. M. de Höne avait été malade: il est retourné + aujourd'hui à Napoléonshöhe. Il doit, dit-on, proposer au roi de + mettre toutes ses forces disponibles sous les ordres du général + Teste. Il est à prévoir que cette proposition ne sera point agréée. + Le roi paraît se trouver de nouveau dans un de ces accès de dégoût + où, se livrant à l'apathie, il cherche des distractions dans des + plaisirs dont le secret n'est pas assez gardé pour ne point faire + une impression fâcheuse sur le public. Je ne méconnais point ce + qu'en ce moment la situation du roi a de pénible sous tant de + rapports que je connais et peut-être sous quelques rapports que + j'ignore: mais le travail et le dévouement surmonteraient facilement + des peines qu'on ne se serait pas attirées soi-même, et ce sont ces + dernières qui sont poignantes et qui découragent. Au milieu de tout + cela, on se croit trop petit souverain avec deux millions d'âmes: on + s'en sépare d'affection et d'intérêts. On est jaloux des conseils, + on s'impatiente de la vérité. Voilà près de cinq ans depuis que Sa + Majesté impériale a daigné me confier la mission de Westphalie; et + laissant à part ce qui doit être imputé à des événements qui n'ont + pas dépendu du gouvernement de ce royaume, je ne puis me dissimuler, + je ne puis, quelque chagrin que j'en aie, dissimuler à Votre + Excellence qu'en principes d'administration, en talents et en + connaissances, en moralité surtout, les choses y sont toujours + allées en empirant. + + + BULLETIN. + + Cassel, 20 mai 1813. + + Une semaine passée en voyage à Napoléonshöhe me met à portée d'en + décrire les usages et de rendre compte du genre habituel de vie que + le roi a adopté dans cette résidence d'été. + + Le costume de voyage est un petit uniforme bleu, brodé en argent, + pantalon bleu et bottes à l'écuyère. On garde ce costume jusqu'à + l'heure du dîner excepté les dimanches et jeudis, jours où tous ceux + qui ont les grandes entrées paraissent au lever du roi. + + La semaine de voyage commence dimanche au soir et finit le dimanche + suivant après le spectacle. Les invités sont rarement au-dessus du + nombre huit, quatre hommes et quatre femmes. _Rarement les femmes et + les maris sont invités ensemble._ Dans la semaine passée, nous + étions au nombre de six. Le ministre de la guerre, le baron de + Schulte, conseiller d'État, la comtesse de Furstenstein, madame la + comtesse de Jagow, femme d'un chambellan du roi, madame Chabert, + femme du capitaine de la garde, madame de Schlicher, dame du palais, + étaient de semaine. + + Le lever a lieu vers les dix heures. À 11 heures, déjeuner; à 6 + heures 1/2, dîner. Il n'y a rien de recherché, ni dans les plats, ni + dans les vins; la table est bien servie, mais sans profusion. Le roi + déjeune et dîne seul: il est cependant d'usage d'inviter une fois à + dîner et une fois à déjeuner à la table de S. M. les personnes du + voyage. Le déjeuner eut lieu à Schönfeld, petite maison de campagne + du roi située entre le parc de Cassel et Napoléonshöhe, et le dîner + à Mouland, petit village chinois bâti par l'ancien électeur et dont + les maisons, encore en état de servir, viennent d'être réparées et + remeublées avec une simplicité élégante. + + Après le déjeuner, jusqu'à deux heures, promenade devant le château + et entretiens du roi avec les personnes qu'il fait appeler. Après 2 + heures, le roi se retire, ou bien il y a promenade en voiture. + Pendant la semaine dernière, le roi a passé deux revues, l'une des + grenadiers de sa garde et l'autre des cuirassiers: il a présidé une + fois son conseil d'État. Il est allé deux fois à Cassel pour voir + les travaux de son palais. + + Lorsque le temps le permet, le roi dîne en plein air ou dans un + petit pavillon du jardin de la reine. Après le dîner, on reste + devant le château avec ou sans le roi. À 9 heures on se réunit soit + dans les appartements de Sa Majesté, soit dans la petite salle de + spectacle. Ces jours passés, il y avait un petit concert de trois ou + quatre musiciens et jeu ou spectacle. Le jeu dominant, c'est le + whist. Le genre de spectacle que le roi préfère, c'est la comédie. + La petitesse de la salle de l'intérieur ne permet pas de donner de + grandes pièces qui sont réservées pour le dimanche. + + À 10 heures du soir, tout est fini et le roi se retire. Le roi est + toujours aimable: on dirait cependant qu'il est devenu plus grave. + L'ordre et la décence règnent partout. La table du maréchal est de + dix-huit à vingt personnes. + + La princesse de Löwenstein étant dans son huitième mois de grossesse + a cessé de paraître à la cour. Elle vint cependant dimanche en robe + du matin et partit le lendemain après avoir déjeuné avec le roi. + Cette dame, par beaucoup d'esprit de conduite, s'est fait une + existence à part qui ressemble un peu à celle d'une favorite en + titre. Aucune des dames invitées ne pouvait avoir de prétentions. + + On dit que le roi se souvient encore quelquefois de madame Escalonne + qui avait été avec lui pendant sa dernière campagne de Pologne. + + Sa Majesté prenait depuis quelques jours des bains pour lesquels on + faisait venir l'eau de Pyrmont. + + +Le danger devenant de jour en jour plus imminent pour la Westphalie +et pour Cassel, Reinhard, sur les instances de Jérôme, envoya au +général Lemoine une dépêche pour qu'il vint à Cassel avec sa +division. Cette mesure fut désapprouvée par Napoléon, qui fit écrire +à Reinhard de Dresde, le 10 août 1813, par M. de Bassano: + + + Dresde, 30 août 1813. + + L'empereur a pris lecture de votre lettre du 27, qui annonce que + vous avez invité le général Lemoine à se porter avec son corps sur + Cassel. Sa Majesté n'approuve point cette démarche: les + circonstances n'exigent point un pareil mouvement; et la présence du + corps du général Lemoine sur le Weser est trop nécessaire pour qu'il + doive se déplacer légèrement. Ce général a ses instructions: il faut + dans votre correspondance avec lui vous borner à l'instruire de + l'état des choses et des nouvelles qui vous parviennent. + +Le même jour, l'empereur écrivit de Dresde à Berthier: «Mandez à +Lemoine de ne pas aller du côté de Cassel, de rester à Minden pour +faire exercer ses troupes et former sa petite division. Que son +premier but doit être de couvrir Wesel et qu'il est autorisé +également à se porter sur Magdebourg si le général Lemarrois se +trouvait avoir une garnison trop faible; enfin qu'il doit avoir de +la troupe en observation sur le Weser; mais qu'il ne doit pas se +remuer légèrement.» + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, 12 septembre 1813. + + Le roi me dit à l'instant qu'il envoie un courrier à Sa Majesté + impériale avec les nouvelles qu'il a reçues du côté de Brunswick. Ce + ne sont à la vérité que des rapports de gendarmes, mais ils viennent + de différents côtés: ils s'appuient et se confirment. Il paraît + qu'un corps ennemi, qu'on porte à 15,000 hommes avec 16 pièces de + canon et dans lequel se trouve de la cavalerie anglaise venant de + Domitz, a passé l'Elbe le 9. On annonçait en même temps pour le 11 + le passage d'un autre corps destiné à occuper Haarbourg, le prince + d'Eckmühl étant revenu à Hambourg. Le roi transmet ces nouvelles + directement à Sa Majesté impériale et lui demande des ordres + éventuels. + + Le général Lemoine doit avec son corps arriver aujourd'hui à + Brunswick dont des patrouilles ennemies, depuis quelques jours, se + sont approchées jusqu'à quatre lieues. Monseigneur le major général, + en m'annonçant que Sa Majesté impériale n'avait point approuvé la + lettre que j'avais écrite à ce général pour l'engager à venir + couvrir Cassel, m'écrivit qu'il _était nécessaire sur le Weser_. + J'ignore en conséquence si le mouvement qu'il fait sur Magdebourg où + il est appelé par le général Lemarrois est conforme aux intentions + de Sa Majesté. Je n'ai reçu de lettres, depuis plusieurs jours, ni + de l'un ni de l'autre de ces généraux. J'ignore si le général + Lemoine a emmené toutes les troupes, hors celles qui sont sous les + ordres du général Laubardière et qui sont peu considérables. + + En ce moment, Monseigneur, je suis moins rassuré que dans les jours + du mois d'avril dernier, dans le cas où l'ennemi menacerait la ville + de Cassel qui est certainement un point très important sous les + rapports militaire et politique. Le roi pense que l'ennemi ne peut + se hasarder à ce point, et ses raisonnements sont fort justes; mais + nous vivons d'une crise pleine d'événements imprévus et je voudrais + au moins voir le roi entouré, outre ses hussards, de quelque + infanterie française[142]. + + [Note 142: Cette importante dépêche ayant été interceptée par + l'ennemi et publiée dans un journal autrichien donna sans + doute à Tchernicheff la pensée de marcher sur Cassel.] + + +Nous voici arrivé au moment de l'entrée à Cassel du général +Tchernischeff et à l'évacuation de cette ville par Jérôme. + +Cet épisode, raconté tout au long et dans les plus grands détails +par le roi dans sa lettre du 4 octobre 1813 au ministre duc de +Feltre, dans l'espèce de précis historique que M. Hugot fit alors +avec M. Reinhard, l'est également dans une lettre du roi à +l'empereur. Ce dernier document n'ayant pas trouvé place aux +_Mémoires de Jérôme_, nous allons le donner ici, mais nous le ferons +précéder de la dépêche suivante de M. Reinhard, laquelle contient +une assez singulière conversation du roi: + + + Dès le 12, après avoir reçu des nouvelles alors exagérées des forces + ennemies qui avaient passé à Danneberg, le roi envoya un courrier à + Sa Majesté l'empereur pour demander des ordres éventuels sur ce + qu'il devait faire, si l'ennemi menaçait sa capitale. Ayant appris + les passages du côté de Dessau, que les rapports annonçaient comme + étant ceux d'un corps d'armée entier, Sa Majesté me dit qu'elle + n'avait point reçu et que probablement elle ne recevrait pas + d'ordres de l'empereur, et me demanda ce que je pensais qu'il + convenait de faire. Après plusieurs préambules, le roi me pressant + toujours, je conclus qu'il faudrait se retirer quand le danger + serait imminent et certain. «Mais, dit le roi d'un air assez + délibéré, si je faisais comme les petits princes, si je restais? Mon + intention est de rester.»--«Mais Votre Majesté s'exposerait.»--«Sans + doute, dit le roi, il faudrait que l'ennemi le voulût.» Je changeai + de conversation et quelque temps après je revins à la circonstance. + Je citai le grand-duc de Toscane qui en 1799 avait voulu rester, et + qui en 24 heures reçut l'ordre de partir. «Sa position, dit le roi, + était différente de la mienne.»--«Oui, dis-je, peu de semaines + auparavant, il avait payé deux millions pour sa neutralité.» + J'ajoutai que, si l'ennemi permettait aux petits princes de rester, + c'était dans l'espérance qu'ils embrasseraient ce qu'ils appellent + la cause commune; «et c'est, dis-je, ce que Votre Majesté ne peut ni + ne voudra faire.» La conversation en resta là, et je crus + m'apercevoir que le roi était satisfait de ce que je venais de dire. + Néanmoins, quelque soit l'intention avec laquelle il a mis cette + idée en avant, elle m'a paru trop extraordinaire pour que je puisse + me dispenser d'en rendre compte à Votre Excellence. Du reste, on + prend au château des précautions à tout événement. Il y a même trois + chevaux sellés pour le roi qui y entrent toutes les nuits. + + +Il est difficile d'admettre que la possibilité de rester dans ses +États fût jamais passée par la tête du roi. Son attachement à la +France et à son frère, la rectitude de son jugement, la loyauté de +son caractère ne permettent pas de le supposer. Jérôme a dit depuis +que Tchernischeff lui avait proposé de rester et qu'il avait +repoussé avec indignation cette proposition[143]; mais ce qui ne +permet pas d'admettre non plus que les souverains ligués contre +Napoléon aient pu avoir cette pensée, c'est que le but avéré du +général russe était de faire Jérôme prisonnier à Cassel. + + [Note 143: _Mémoires du roi Jérôme_, 6e vol., p. 215.] + +Voici maintenant la lettre du roi, de Wetzlar, 29 septembre 1813. + + + Sire, le 24, j'appris que l'ennemi était entré à Mulhausen, avec + 4,000 chevaux, 2,000 chasseurs et 16 pièces de canon; en même temps + le général Lemarrois annonçait au ministre de France que 3 régiments + d'infanterie russe, 800 chevaux et 12 pièces de canon avec lesquels + une division s'étaient battue à Wollmerstadt se dirigeaient sur + Brunswick. Il ne me parut plus douteux qu'ils ne voulussent faire + une tentative sur Cassel. J'en prévins le duc de Valmy et l'engageai + à faire passer par Cassel sa 34e colonne de marche forte de 3,200 + hommes, en lui observant que, si mes craintes n'étaient pas fondées, + cette colonne ne perdrait qu'un jour de marche et que, s'il en + arrivait autrement, elle servirait soit à repousser l'ennemi de + Cassel où j'étais décidé à l'attendre, soit à assurer ma retraite en + cas de nécessité. Le 26, le général Bastineller qui observait dans + le Harz les mouvements de l'ennemi m'annonça qu'il se portait au + nombre de 7,000 hommes sur Eschwege, et le général Zandt qui était + en position à Goettingen me rendit compte en même temps que l'ennemi + était entré en force dans Brunswick. Cependant, comptant sur + l'arrivée de la colonne française que j'avais demandée au duc de + Valmy, je fis mes dispositions de défense. Je donnai ordre au + général Bastineller d'appuyer sa gauche à Witzenhausen et sa droite + à Melsungen afin que l'ennemi ne pût intercepter la route de + Francfort en passant le gué qui est près de ce dernier endroit. + + Le général Bastineller ne put exécuter assez promptement ce + mouvement, l'ennemi étant en forces devant lui. Il me rendit compte + que 800 chevaux et 4 pièces de canon étaient parvenus à tourner sa + droite et se hâtaient d'arriver sur Cassel. Le 27, je lui donnai + l'ordre de prendre position en avant de Cassel. Le même ordre fut + donné au général Zandt, mais l'ennemi les gagna de vitesse, renversa + le même jour à 11 heures du soir les avant-postes qui étaient à Elsa + et à Kauffungen et hier 28, à 4 heures du matin, j'en reçus la + nouvelle. Je fis sur-le-champ prendre les armes au peu de troupes + que j'avais avec moi. J'envoyai 25 hussards, 2 compagnies de + chasseurs de la garde pour reconnaître l'ennemi, au milieu duquel + ils se trouvèrent un quart d'heure après être sortis de la ville. Le + brouillard était si épais que l'on pouvait à peine se voir à deux + pas. Ce détachement se replia sur la porte de Leipsick en assez bon + ordre, quoiqu'il eût perdu la moitié de son monde par l'artillerie + ennemie. Deux pièces de canon que j'avais placées à la porte de + Leipsick ripostaient vivement à l'ennemi dont les boulets + traversaient la ville, mais ces deux pièces furent démontées en peu + de temps et après une demi-heure de combat. Pendant ce temps, je + faisais barricader le pont qui communique du faubourg à la ville. À + peine cette opération fut achevée que l'ennemi enfonça la porte à + coups de canon et vint braquer une pièce vis-à-vis du pont, ouvrit + la prison d'État qui en est près et fit sortir tous les prisonniers. + Je perdis sur ce point beaucoup de monde. Une partie de mes + hussards, ne sachant point encore monter à cheval et n'étant point + équipés, me demandèrent des fusils et défendirent ce pont, ma + dernière ressource. + + Pendant ce temps, 400 chevaux avaient passé la Fulde à gué et + venaient par la porte de Francfort. Le moment était critique, je me + mis à la tête de mes gardes du corps, de deux escadrons de hussards, + je fis longer la rivière à mes grenadiers de la garde pour s'emparer + du gué. Je sortis par la porte de Francfort. À peine avais-je fait + deux cents pas qu'un peloton d'avant-garde m'annonça que l'ennemi + était en bataille devant lui. Je m'avançai de suite au galop pour le + reconnaître, mais le brouillard était si épais que je me trouvais au + milieu de lui à pouvoir faire le coup de sabre; je le fis charger + aussitôt par le 2e escadron de hussards pendant que je le faisais + tourner par sa droite par les gardes du corps, afin de le rejeter + sur les grenadiers qui occupaient déjà le gué. Cela me réussit, il + fut mis en déroute et les grenadiers en tuèrent un bon nombre. Ce + mouvement força l'ennemi d'évacuer la partie de la ville qu'il + occupait du côté de la porte de Leipsick, craignant que je ne le + prisse à dos en passant moi-même le gué, ce que j'étais loin de + vouloir faire, étant convaincu que cette avant-garde allait être + fortement soutenue. + + Après avoir ainsi dégagé la ville, je pris position à une demi-lieue + en arrière avec mes gardes du corps, mon bataillon de grenadiers et + 400 hussards, les seuls qui fussent en état de se tenir à cheval et + de donner un coup de sabre. J'attendis dans cette position, depuis + 10 heures que le combat avait cessé jusqu'à 3 heures, espérant à + chaque instant, mais en vain, voir déboucher les colonnes des + généraux Zandt et Bastineller. Ne les voyant pas paraître, je + renforçai les postes de la ville par une compagnie de chasseurs + carabiniers et deux pièces d'artillerie et, comme l'ennemi remontait + la Fulde pour arriver à Wabern avant moi, je me repliai sur Jesberg, + décidé à m'y tenir et à attendre la colonne française que je ne + doutais pas que le duc de Valmy m'envoyât. Quel fut mon étonnement + en recevant à 10 heures du soir, par le retour de mon courrier, une + lettre en réponse à la mienne, par laquelle le duc de Valmy + m'annonce ne pouvoir prendre sur lui une pareille mesure. Dans cet + état de choses, il ne me restait d'autre parti à prendre, ne pouvant + point tenir chez moi ni compter sur des secours, que de me retirer + vers Coblentz, mais je ne passerai point le Rhin avant de connaître + les intentions de Votre Majesté. + + Je réunirai mes troupes à Wetzlar. J'aurais préféré rester avec + elles à Marbourg, mais l'esprit public y étant très mauvais, la + désertion se mettrait parmi le peu de soldats qui me restent. + + Il est bien entendu, Sire, que si j'apprenais que quelque corps + français marchât pour me soutenir, je pourrais rentrer à Cassel dans + peu de temps. + + Mon régiment de hussards français s'est conduit pendant toute la + journée d'hier avec beaucoup de valeur; j'ai dû malheureusement en + perdre beaucoup qui, n'ayant pas l'habitude du cheval, tombaient en + chargeant l'ennemi. + + +La correspondance de Reinhard et celle de M. de Malartie, son +secrétaire de légation, du 10 octobre au 10 novembre 1813, feront +connaître les événements qui eurent lieu en Westphalie pendant le +dernier mois du règne de Jérôme, la rentrée du roi dans sa capitale +et sa retraite définitive. + + + MALARTIE AU DUC DE BASSANO. + + Coblentz, le 10 octobre 1813. + + La lettre ci-jointe de M. le baron Reinhard instruira Votre + Excellence de la résolution qu'il a prise de me faire partir hier + matin pour Coblentz, afin que je fusse à portée de l'informer de la + marche du roi et de l'époque présumée de son retour dans la + capitale. + + Je suis arrivé ici hier à midi; ce matin à 8 heures j'ai vu M. le + comte de Furstenstein et le préfet du département. + + Déjà beaucoup de serviteurs du roi sont retournés à Cassel. Je + citerai entre autres le directeur général des postes, le préfet de + police, le ministre des finances, l'intendant général du Trésor, + l'intendant de la maison du roi. + + Le roi a des nouvelles du général Allix qui a dû quitter Cassel + avant-hier pour suivre le général Czernischeff. Sa Majesté a envoyé + un courrier au général Allix pour lui ordonner de s'arrêter, mais je + ne crois pas que le général ait besoin d'instructions à cet égard. + Il n'a avec lui que 4,000 hommes et, si je me rappelle bien les + conversations que nous avons eues souvent ensemble en pesant + l'hypothèse que malheureusement nous avons vue se réaliser, son + plan est de prendre position en avant de Göttingen, près + d'Heiligenstadt, peut-être même du côté d'Halbertstadt; de + s'éclairer avec le plus grand soin et de manoeuvrer de manière à + couvrir Brunswick et Cassel contre des attaques d'ennemis qui ne + peuvent réussir que dans des coups de main et qui doivent être + eux-mêmes tout étonnés de leurs succès passagers. Je fais seulement + des voeux pour que la santé du général Allix se soutienne. Mais ce + sont les mouvements de la grande armée et ceux du prince de la + Moskowa qui décideront du sort ultérieur de la Westphalie. + + Je ferai mon possible, Monseigneur, pour recueillir des détails + exacts sur ce qui s'est passé à Cassel pendant l'occupation. Jusqu'à + présent les rapports sont ou exagérés ou contradictoires. Le roi + s'est montré bien douloureusement affecté de la conduite de quelques + personnes qu'il avait comblées de bienfaits, et qui ont paru en + avoir perdu le souvenir: mais on ne sait encore rien de positif. + + Il est pour moi extrêmement délicat, Monseigneur, d'avoir à parler à + Votre Excellence de la position gênée où se trouve le roi à + Coblentz. Le bruit est que S. M. part ce soir et l'on fait des + préparatifs dans sa maison. D'un autre côté, M. de Furstenstein a + dit positivement à M. Duntzau et à moi que le roi ne partait point + encore. Il m'a dit de plus que S. M. avait écrit à M. le duc de + Valmy qu'il voulait savoir sur combien de troupes françaises il + pouvait compter pour se maintenir dans son royaume et pour ne plus + être exposé à en sortir. Je lui ai demandé si le roi avait des + nouvelles de l'empereur. Oui, m'a-t-il répondu. «S. M. a de + l'empereur une lettre du 4. L'empereur ne lui parle point de + l'événement de Cassel. Il l'ignorait encore. Le roi ne peut pas + concevoir cela.» Je n'avais rien à dire, Monseigneur, je me suis tu. + + M. Duntzau, préfet de Coblentz, que je connaissais d'ancienne date, + m'a paru sentir parfaitement l'importance de tous les différents + devoirs qui lui sont imposés dans la circonstance présente. Sa + douceur et son aménité lui ont procuré le bonheur de plaire au roi. + + Mme la princesse de Löwenstein, la comtesse de la Ville-Illion, Mme + de Furstenstein, Mme Chabert sont ici. Ces dames dînent avec le roi + et S. M. passe la soirée avec elles et les officiers de sa maison. + + Du reste, le roi vit d'une manière fort retirée.--J'ai dit à M. de + Furstenstein que je suivrai ses conseils pour savoir si je devais + demander que S. M. m'admît à l'honneur de lui faire ma cour. + + + Du 13, à dix heures du matin. + + Le roi vient de partir. M. Duntzau a accompagné S. M. jusqu'aux + frontières du département et est revenu enchanté de toute + l'amabilité dont il a été comblé. + + Le roi compte coucher à Wetzlar. Je le suivrai dans la journée. Je + suis parti d'auprès de M. de Reinhard sans argent et sans voiture. + Il faut que je m'occupe un peu de moi-même. D'ailleurs, il n'y a + plus de chevaux à la poste. Mme de Löwenstein, Mme de la + Ville-Illion, Mme de Furstenstein restent ici pour le moment. M. + Siméon partira dans quelques jours pour Paris. Ce respectable + vieillard ne quitte le roi qu'avec un regret qui fait autant + d'honneur au souverain qu'au ministre. Surtout, quoique depuis + longtemps il songeât au repos, ce n'était pas dans une circonstance + critique qu'il eût voulu se séparer du roi dont il a vu poindre la + jeunesse et auquel il a rendu tant de services essentiels. Le roi + sentira peut-être trop tard que M. Siméon était un des appuis de son + trône. Le peuple n'en est pas à le sentir. Je ne sais, mais la + vieillesse de M. Siméon, de longtemps encore, n'approchera de la + caducité, et si l'empereur rendait au ministre qu'il avait prêté à + son frère l'honneur de siéger au conseil, il est à croire qu'il + trouverait en lui un serviteur d'autant plus éclairé qu'un séjour de + six ans en Allemagne a dû augmenter la masse de ses connaissances et + donner à ses réflexions un nouveau poids. + + M. de Wolfradt sera son successeur. + + On m'a assuré, mais je ne voudrais pas garantir cette assertion, que + M. de Czernischeff avait un plan exact du château qu'habitait le + roi, qu'il est arrivé sans guide jusqu'à la chambre de Sa Majesté, + et qu'il a dit que si un gendarme ne s'était pas échappé de ses + mains il prenait le roi dans son lit[144]. + + [Note 144: Donc aucune proposition n'avait pu être faite au + roi pour conserver sa couronne.] + + +À cette date s'arrête, dans les _Mémoires du roi Jérôme_, ce qui est +relatif à ce prince en Westphalie. + +Les mémoires ne reprennent qu'en 1814. Il nous a été possible, à +l'aide de la correspondance diplomatique, de combler cette lacune. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, le 18 octobre 1813. + + Le roi a nommé le général Allix son lieutenant, parce qu'il ne croit + pas pouvoir se mettre en personne à la tête de 4,000 hommes. Il + regrette d'être revenu. Si l'ennemi marche de nouveau contre Cassel, + ou si les troupes qui sont ici ont ordre de marcher ailleurs, il se + retirera d'un pays mûri partout pour la révolte, et en attendant, + lorsque tout est désorganisé, lorsque le service de S. M. I. exige + qu'on ne s'occupe que de rassembler toutes les parties éparses pour + pourvoir aux besoins les plus urgents de l'armée, il ne médite que + des projets de vengeance! Ses premiers dignitaires sont arrêtés, + exilés pour n'avoir pas toujours porté l'ordre, pour n'avoir pas + suivi sa personne, etc. La commission nommée par Czernischeff, + composée des hommes les plus estimables, fonctionnaires du roi, se + dévouant à la circonstance, mais absolument incapables d'en sentir + les difficultés, et commettant des fautes graves de forme, qu'on + convertit en crimes de lèse-majesté, seront traduits à une + commission militaire; son intention, j'en suis persuadé, est de + faire grâce, mais il veut qu'ils soient condamnés à mort. + + Ces pensées tout à fait étrangères au moment, qui exige d'autres + soins, l'absorbent lui et son lieutenant. M. Siméon voulait revenir, + c'est le roi qui n'a pas voulu, parce qu'il craignait d'en être + contrarié. Toutes les prisons sont pleines. La terreur règne, et le + seul excès criminel qui ait été commis l'a été par un étranger + portant en poche un brevet de duc. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, le 19 octobre 1813. + + Il a fallu interrompre ma lettre d'hier pour me livrer aux visites, + aux rapports, aux lamentations qui de toutes parts affluent autour + de moi. Depuis les ministres du roi jusqu'aux particuliers, personne + ne connaît le but de cette commission militaire appelée à juger la + commission de Cassel nommée par l'autorité du conseil municipal sous + l'autorisation du général russe. Pour m'éclairer enfin, je me suis + décidé à aller directement chez le général Allix, unique moteur de + cette mesure, puisque le roi l'a prise sur ses rapports et puisque + c'est encore sur son rapport qu'elle a été maintenue hier au conseil + des ministres. + + Après une conversation de deux heures qui est devenue d'autant plus + vive que je comprenais moins le général Allix se tournant toujours + dans un cercle vicieux et n'osant pas prononcer le mot qui + trancherait la difficulté, il s'est trouvé que tandis que d'après + l'unanimité des rapports je n'avais vu dans tout ce qui s'est passé + le 30, lors de la reddition de la ville, que la peur des bourgeois, + craignant de voir leur ville et leurs maisons incendiées et + convaincus de l'absurdité de défendre une place ouverte avec moins + de 300 hommes de troupes, le général Allix posait en fait que Cassel + avait été en pleine révolte. Ce fait posé, il n'y avait plus rien à + dire, et la commission militaire était de droit. Mais malheur à + l'homme capable de sacrifier en ce moment la vie d'une vingtaine + d'hommes respectables et, par l'effet que cette procédure peut + produire sur un peuple exaspéré, celle des Français dans le cas + d'une seconde retraite, peut-être la sûreté du roi, peut-être les + ressources les plus précieuses pour la grande armée à un + amour-propre irrité. + + Et que c'est là l'unique cause qui a fait établir comme principe la + révolte de Cassel, le général Allix lui-même m'en a donné la + conviction intime. Il m'est impossible, Monseigneur, d'entrer dans + des détails dont la discussion entraînerait des journées entières: + je dois pour cette fois me prévaloir de ma qualité d'honnête homme + et d'homme de sens et demander à être cru sur ma parole. Aussi ne + suivrai-je pas plus loin le général Allix. Je dirai seulement que + tandis qu'il soutient que cette procédure est nécessaire pour + l'exemple, je soutiens, moi, que les hommes dont il s'agit, + eussent-ils mérité de perdre la tête, ce n'est pas le moment de les + mettre en jugement. + + Si après cela je disais que le général Allix a montré du zèle et du + caractère en défendant la ville et surtout en s'empressant d'y + rentrer, il faudrait dire aussi que le général Allix a laissé à une + lieue de la ville, sous la garde d'une sentinelle, six canons que + l'ennemi a enlevés le 28 avec leurs munitions, et que le + commandement de 4 à 5,000 hommes de troupes françaises lui inspire + des projets d'un écervelé. + + Avant d'aller voir le général Allix, j'avais vu M. de Marienrode, + qui m'a montré sur toutes ces affaires la même manière de penser que + moi. Je lui ai demandé s'il avait déjà commencé l'envoi des trois + cents quintaux de farine par jour demandés pour Erfurth. Il m'a + répondu qu'il en avait fait la répartition entre les départements en + omettant ceux qui dans ce moment étaient hors d'état d'y contribuer, + mais qu'il ne lui avait pas encore été possible de faire commencer + les livraisons. + + Les contributions ne rentrent plus, les contribuables demandent + qu'on aille les chercher. Depuis son retour le roi n'a pu réunir + cent mille francs dans son trésor. Les préfets craignent de donner + des nouvelles des mouvements de l'ennemi. La présence du roi et le + devoir de garder sa personne et sa capitale paralysent l'activité de + nos troupes. Il ne les commandera point, il ne s'en séparera point. + J'apprends cependant que M. le duc de Feltre a écrit au comte de + Salha que ces troupes doivent être sous les ordres immédiats du roi. + J'ai trouvé le roi beaucoup plus calme aujourd'hui qu'hier, comme + s'il avait reçu des nouvelles de S. M. I. Il en recevait en ma + présence du général Amey qui lui annonce l'entrée de Tettenborn à + Brême le 15. Un bataillon suisse s'y est rendu par capitulation. Il + sera conduit en France. Un second bataillon s'est retiré avec le + général Lauberdière sur Leipzig. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, le 24 octobre 1813. + + Le roi m'a fait appeler hier soir à onze heures. Le colonel + Lallemand venait d'arriver. Il avait laissé S. M. l'empereur le 18 + sortant de Leipzig à la tête de sa garde impériale. Il était arrivé + à Erfurth au milieu des troupes qui revenaient. Il s'était glissé à + Gotha à travers les cosaques. Il m'a porté votre lettre du 6 + octobre, que je conserverai éternellement comme le mouvement le plus + touchant et le plus honorable de votre bienveillance et de votre + intérêt. + + L'intention du roi est de se retirer à Marbourg après avoir reçu des + nouvelles de S. M. impériale, à moins qu'il ne soit forcé de le + faire plus tôt. Il a distribué les 8,000 hommes en colonnes mobiles, + en gardes pour sa personne, et en garnison pour Cassel. Il est à + craindre que les événements ne permettent pas à Sa Majesté impériale + de les lui laisser plus longtemps. Prévenu par M. de Feltre qu'elles + devaient être sous son commandement immédiat, il en a donné le + commandement sous ses ordres au général Rigaut, qui est ici. Le + général Allix, blessé de se le voir ôter, a fait de nouvelles + folies. Elles ont indisposé le roi qui lui a donné sa démission; cet + homme pourrait devenir notre perte; en ce moment, il est nécessaire + de l'écarter de toute influence politique. + + Aucun mouvement sérieux ni combiné n'a éclaté en Westphalie. Mais + nous sommes cernés partout. Un nouveau corps de 10,000 hommes avait + dirigé, dit-on, sa marche sur Cassel. Il l'a suspendue. Les cosaques + occupent toute l'autre rive de la Werra. Il en arrive des + patrouilles nocturnes jusqu'à quelques portées de fusil de la ville. + L'ennemi est devant Minden; on s'y est fusillé au pont, mais il ne + paraît pas assez nombreux. + + Que dire? que faire? Ah! si nous pouvions avoir un mot de S. M. + impériale. Nous savons du moins qu'elle se porte bien. Ma conduite + est simple. C'est de partager la destinée du roi. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cassel, ce 25 octobre 1813. + + Le roi, décidé à quitter Cassel, soit à cause des inconvénients de + la guerre, soit à cause des embarras de l'administration auxquels il + ne peut remédier, informé en outre ce matin par le général Rigaut + que l'ennemi est réuni en force à Duderstadt, prendra demain la + route d'Arolsen et ensuite celle de Paderborn et de Lippstatt, au + lieu de la route de Wabern et de Marbourg qu'il était résolu de + prendre encore ce matin. Je précéderai S. M. de quelques heures, + surtout parce qu'avec ses troupes et à cheval elle prendra une route + peu praticable pour les voitures. Cette lettre partira après notre + départ et je l'écris au clair, parce qu'il serait possible que + lorsqu'elle rencontrera Votre Excellence, elle ne se trouvât pas à + portée de ses archives. Mon coeur est oppressé, mais le courage et + la confiance ne m'ont point abandonné. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Arnsberg, dans le grand-duché de Darmstadt, 28 octobre 1813. + + J'envoie cette lettre sous le couvert de M. le duc de Valmy; et + comme, lorsqu'elle parviendra à Votre Excellence, vous aurez reçu + celles que, depuis notre retour à Cassel, je vous avais adressées + par l'entremise de M. d'Hédouville, je ne remonterai dans mon récit + qu'à la veille du second départ du roi de sa capitale. Ce ne sera + même qu'un très court résumé, en attendant la direction que Votre + Excellence me donnera pour les rapports qu'il me reste à lui faire. + + Dès que le roi eut appris par le colonel Lallemand les événements + militaires jusqu'au 18 et l'arrivée du prince de la Moskowa à + Buttelstadt, il se décida d'autant mieux à partir de Cassel, que + d'un côté il se sentait favorisé par l'embarras de ses finances + auquel il ne pouvait remédier, et que d'un autre côté les rapports + qu'il recevait mettaient hors de doute qu'un nouveau corps ennemi + aussi nombreux était en marche sur Cassel. + + Dans la matinée du 26, jour du départ, le canon fut distinctement + entendu à Cassel à deux et à six heures. À six heures, le roi partit + de Napoléonshöhe à cheval, précédé et entouré des troupes qu'il + avait désignées pour former sa garde, et qui étaient composées d'un + bataillon d'infanterie légère, de 2 à 300 grenadiers de la garde, de + 60 gardes d'honneur, d'une compagnie de cuirassiers, d'une de + dragons, tous Français, et d'environ cent gardes du corps, + Westphaliens. + + Les premières mesures avaient été prises pour se retirer par + Marbourg. Le roi préféra ensuite la route directe de Cologne ou de + Dusseldorf par les montagnes. Celle qui conduit de Napoléonshöhe à + Arolsen étant impraticable pour les voitures, le roi, comme je n'ai + pas l'habitude du cheval, m'engagea à prendre la route de poste et + me chargea de dire au prince de Waldeck qu'il désirait d'être reçu + sans cérémonie et de pouvoir être à Arolsen comme s'il était chez + lui. J'avouerai, Monseigneur, que je ne trouvai aucune difficulté à + porter la cour de Waldeck à se conformer aux désirs de S. M. Le roi + prétend savoir que, lors de la première apparition des Russes, le + prince a fait avec eux un traité de neutralité. Quoi qu'il en soit, + la peur de se compromettre et le malaise où l'arrivée du roi mettait + cette petite cour se sont montrés par plusieurs traits, dont + quelques-uns dans d'autres circonstances mériteraient d'être + relevés. + + Nous trouvâmes à Arolsen les ministres de Saxe et de Darmstadt. Le + premier, qui y était avec sa famille, paraissait décidé à ne point + retourner encore en Saxe, le second manifestait le désir de se + rendre promptement auprès de son maître. + + Le 27, le roi partit à 7 heures du matin par Jadsbrogne pour + Bridsove dans l'ancien duché de Westphalie, route de neuf à dix + lieues, par des chemins presqu'impraticables. Aujourd'hui, S. M. est + arrivée par Meschede à Arnsberg, capitale du même duché. Demain, + elle se rendra à Iserlohn, dans le grand-duché de Berg, sept lieues; + après demain, sept lieues, à Hagen, où elle attend ses équipages qui + viennent par Paderborn, Lippstadt et Hamm. Le 31, on ira à Lennep, + neuf lieues, et le 1er novembre à Cologne. + + Les trois journées depuis Cassel ont été fatigantes pour les + troupes, aussi l'infanterie est-elle restée à Meschede. Ce sera à + Hagen que les troupes se trouveront toutes réunies. + + Le roi n'a eu, à ma connaissance, de nouvelles directes de Cassel + que par une seule lettre du général Rigaut. Ce général n'avait plus + laissé d'avant-poste qu'à Liebenau; il comptait évacuer Cassel + aujourd'hui en se retirant par Paderborn; c'est par cette route que + s'est retiré tout ce qui n'a pas suivi le roi. Les ministres sont + partis comme nous, mardi 26, mais à six heures du soir. Le + lendemain, M. de Malartie est arrivé avec eux à Paderborn. Une + escorte de 250 hussards Jérôme-Napoléon les accompagnait; dès qu'ils + ont été passés, les paysans ont commencé à commettre des excès; + quelques Français ont été pillés. + + Le général Allix est parti pour la France. + + Le 25, le prince d'Eckmuhl était encore à Ratsbourg. Le 21, le + général Lauberdière était rentré à Bremen. + + J'expédierai, Monseigneur, cette lettre d'Iserlohn et j'y ajouterai, + s'il y a lieu, ce que la journée de demain pourra apporter de + remarquable. + + Le roi n'ayant reçu à Iserlohn aucune nouvelle et la poste n'étant + pas partie, je continue ma lettre d'ici, où S. M. est arrivée à + quatre heures du soir. Ses équipages l'avaient jointe à Hagen. Elle + avait fait à cheval, heureusement, par un temps assez beau, toute + cette route, où nous avons passé par les chemins les plus + abominables que j'aie jamais rencontrés. + + Le général Wolff et le colonel Verges, partis le 24 d'Eisenach d'où + ils ont encore ramené 50 cavaliers du beau régiment des + chevau-légers, sont arrivés aujourd'hui de Cassel, qu'ils avaient + quitté dans la matinée du 27. Alors tout y était calme; le général + Rigaut ne paraissait pas encore disposé à partir et l'ennemi, qui + s'était avancé contre lui, paraissait avoir pris une autre + direction. + + Le comte Beugnot est arrivé de Dusseldorf pour prendre les ordres du + roi. Ce matin encore, l'intention de S. M. était de se rendre + directement à Cologne; j'ignore si elle en a changé. Comme demain + les troupes doivent se réunir et se reposer à Elberfeld, il est + possible que le roi passe aussi la journée dans cette vallée si + remarquable par les enchantements que l'industrie et la liberté du + commerce y avaient produits. + + Le roi étant en correspondance suivie avec M. le duc de Valmy et ne + m'ayant pas prévenu de l'envoi de ses courriers ni de ses officiers, + dont l'un a été expédié au roi de Naples, je dois d'un côté supposer + Votre Excellence déjà instruite du voyage de S. M., et les cinq + jours depuis notre départ de Cassel s'étant passés en route, sans + événements et sans nouvelles, j'ai d'un autre côté jugé inutile de + prendre une voie extraordinaire pour vous transmettre des détails + sans intérêt. + + J'apprends à l'instant que M. le comte Beugnot est reparti + subitement pour Dusseldorf et qu'il doit revenir demain, j'en + conclus que le roi aura pris la résolution de partir pour + Dusseldorf, où il pourra en même temps très convenablement laisser + ses troupes. + + + Ce 31. + + M. le comte Beugnot est retourné hier à Dusseldorf, parce que dans + les circonstances actuelles et chargé de l'approvisionnement de + Wesel, il ne peut guère s'en absenter. Le roi passera la journée + ici. Il est un peu incommodé, mais demain il se rendra droit à + Cologne. + + J'ai reçu des nouvelles de M. de Malartie de Lippstadt. Il est parti + de Cassel le 26 après les ministres et après avoir mis ordre à tout + ce dont je l'avais chargé. Il a prouvé que si, lors de la première + surprise, il n'avait pas encore l'habitude du danger, il lui avait + été très facile de la prendre; et j'ai lieu d'être satisfait sous + tous les rapports de sa conduite. + + J'ai reçu aussi de Mme la princesse de Detmold une lettre qui est un + document très convenable de son dévouement à la Bavière et à la + cause de S. M. l'empereur. Les deux officiers français dont j'ai + parlé à Votre Excellence, chargés d'organiser le contingent de la + Lippe et partis de Cassel le 20, ne sont arrivés à Detmold que le + 25. Votre Excellence pensera sûrement qu'en ce moment leur mission a + cessé d'être utile. + + Le roi paraît persuadé que le général Rigaut a évacué Cassel le 27. + S. M. craint qu'il ne se soit trop pressé. + + J'éprouverai, Monseigneur, un bonheur extrême en recevant les + premières nouvelles qui m'annonceront votre heureuse arrivée à + Mayence. J'attends soit à Cologne, soit auprès du roi, si S. M. + quitte cette ville, les ordres que vous aurez la bonté de me faire + parvenir. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cologne, le 3 novembre 1813. + + Le roi est arrivé à Cologne le 1er à quatre heures du soir; je l'ai + suivi de près. Hier sont arrivés les comtes de Höne, de Wolfradt, de + Marienrode, M. de Bongars, etc., qui avaient pris la route de + Paderborn. M. de Malartie, qui était avec eux, est arrivé ce matin. + Je viens de voir le roi après M. de Rumigny, auquel S. M. était très + impatiente de parler. Elle avait reçu hier une lettre de M. le duc + de Valmy, écrite au nom de S. M. impériale, et qui lui annonçait que + M. le duc de Tarente allait prendre le commandement des troupes sur + toute la ligne du Rhin depuis Mayence jusqu'à Wesel. Le roi m'a dit + qu'il attendrait certainement M. le maréchal à Cologne, mais informé + par M. de Rumigny que S. M. impériale partait pour Paris, il m'a + montré un grand désir de la suivre dès que M. le duc de Tarente + aurait pris le commandement. Ce sera une chose à concerter entre S. + M. et S. Exc. + + Quant à la mission de M. de Rumigny, il n'est que trop douteux s'il + pourra la remplir dans toute son étendue. Le roi m'a dit que le + général Amey, réuni au général Lauberdière, a quitté Minden, que les + avant-postes et l'arrière-garde du général Rigaut ont déjà été + attaqués par les Russes à Lippstadt, j'ignore quel jour, + probablement le 31, et que le prince d'Eckmuhl ayant demandé à se + retirer sur le Rhin, l'ennemi lui a répondu qu'il fallait se rendre + prisonnier. M. de Rumigny écrit en ce moment à Votre Excellence, + chez moi. Il continuera ensuite sa route par Wesel. Les affaires de + la conscription avaient conduit M. le préfet de la Roer à Cologne. + Le roi l'a trouvé ici. Les lettres dont M. de Rumigny est porteur + pour lui lui ont été remises. Il les a lues en notre présence, et à + chaque paragraphe il a dit que c'était fait. + + Le roi a congédié la plupart de ses gardes du corps qui l'avaient + suivi jusqu'à Cologne. Avant de quitter Cassel, il leur avait laissé + la liberté de le suivre ou de rester. Cependant en route, lorsqu'on + approchait du Rhin, plusieurs, même les officiers, avaient déserté. + Les Westphaliens qui restaient avaient demandé la permission de + retourner chez eux. Refusée d'abord, elle vient de leur être + accordée. + + Le roi attend décidément M. le duc de Tarente à Cologne. Si, comme + on nous l'assure, l'ennemi est à Montabaur, il est à craindre que M. + le maréchal ne s'arrête à Coblentz. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cologne, le 5 novembre 1813. + + Le roi est parti ce matin à neuf heures pour Aix-la-Chapelle. J'ai + vu S. M. hier en sortant d'une longue conférence qu'elle avait eue + avec M. le duc de Plaisance, qui était arrivé la veille et lui avait + porté une lettre de S. M. impériale. Il résulte de ce que le roi m'a + dit que S. M. impériale ne désire point qu'il choisisse le moment + actuel pour se rendre à Paris, et qu'elle préfère que le roi + établisse sa résidence provisoirement dans l'un des quatre + départements du Rhin. Le roi, après avoir conféré avec M. le préfet + de la Roer, s'est décidé pour Aix-la-Chapelle. Dans le commencement + de sa conversation avec moi, S. M. disait qu'elle y passerait deux + ou trois jours; vers la fin, elle a parlé de trois semaines ou d'un + mois, et comme l'ordre a été donné d'y louer pour le roi une maison + entière, je ne doute point que son intention ne soit d'y attendre + les directions ultérieures de son auguste frère. + + + BASSANO À REINHARD. + + Mayence, le 4 novembre 1813. + + Je n'apprends qu'en ce moment que S. M. l'empereur a écrit de + Westphalie au roi par M. le duc de Plaisance, que son intention est + que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Save, + de la Roer ou du Rhin-et-Moselle et qu'elle y fasse venir la reine. + Les dispositions de S. M. à cet égard sont précises, et elle désire + que le roi ne s'en écarte point. Elles sont déterminées par des + considérations telles que si le roi ne s'y conformait pas, + l'empereur serait obligé de prendre, même envers sa personne, des + mesures pour en assurer l'exécution. S. M. juge convenable que vous + vous expliquiez avec le roi à ce sujet, en mettant dans cette + explication toutes les formes et tous les ménagements possibles. Le + but sera rempli si le roi est bien persuadé des intentions bien + positives de l'empereur. + + L'empereur a été également mécontent de ce que le roi a fait et de + ce qu'il n'a pas voulu faire. Il ne veut pas donner à Paris et à la + France le spectacle d'un roi détrôné qui, dans son malheur, n'a pas + la consolation d'avoir laissé des amis dans le pays qu'il a + gouverné. Il ne permet pas au roi de venir à Mayence. Le roi n'ayant + jamais voulu suivre les conseils de l'empereur ni faire aucune des + choses qui importaient si entièrement à son intérêt et à celui de sa + couronne, ses entrevues avec S. M. ne pouvaient, d'après de telles + dispositions, qu'être pénibles et sans objet. + + La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris, a déplu à + l'empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux + chagrins dans sa position actuelle, en faisant venir la reine près + de lui. + + S. M. a su récemment, et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement, + que la reine s'occupe avec des gens d'affaires à acheter pour le roi + des maisons de plaisance aux environs de Paris, et notamment le + château de Stains. D'après le statut de famille, un prince sur un + trône étranger ne peut rien posséder en France sans la permission de + l'empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Ils sont + d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement + comment un roi dans sa position, et lorsque la France n'est occupée + que des sacrifices à faire pour soutenir l'honneur national, se + livre à des projets qui lui sont personnels. + + Ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, c'est que ni + le roi ni la reine ne fassent parler d'eux. Moins ils feront de + bruit, mieux cela vaudra. Le roi est à sa place dans un département + voisin de ses États. Il serait, par exemple, d'une manière très + convenable au château de Bruhl. La manière d'être la plus simple et + l'attitude la plus modeste sont les convenances impérieuses du + moment. S. M. fait sans doute une grande différence entre le roi de + Westphalie et le roi d'Espagne; cependant elle a voulu que ce + dernier ne vînt point à Paris, restât à Mortefontaine, n'y vît ni + les ministres, ni les sénateurs, ni aucun des fonctionnaires + publics, et se tînt dans l'incognito le plus complet. + + S. M. m'a ordonné d'entrer avec vous dans ces détails pour votre + gouverne. Elle a pour but que le roi sache bien à quels désagréments + il s'exposerait en s'écartant de ses volontés. Usez du reste de ces + communications avec prudence et pour prévenir des fautes contre + lesquelles S. M. devrait sévir; mais ayez soin de n'aigrir ni + humilier personne. S. M. s'en repose sur votre tact et votre + excellent esprit. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Cologne, le 6 novembre 1813. + + Le courrier qui m'a apporté les deux dépêches de Votre Excellence, + datées du 4, m'a trouvé à ma campagne, où j'étais allé ce matin avec + l'intention de revenir ce soir. Ma lettre d'hier vous aura informé, + Monseigneur, que le roi est parti hier pour Aix-la-Chapelle. + J'ajouterai qu'il avait envoyé le maréchal de sa cour pour y louer + une maison pour un mois, aux conditions dont il était convenu avec + M. le préfet du Roer et, comme il paraît, après avoir fait tomber M. + le duc de Plaisance d'accord avec lui sur la convenance de ce + séjour. Quant à la reine, le roi m'avait dit lui-même que S. M. + impériale lui avait écrit qu'il était le maître de la faire venir + auprès de lui s'il voulait. + + Ce qui m'importe le plus, Monseigneur, c'est d'être assuré que le + roi ne quittera pas Aix-la-Chapelle avant que je ne me sois acquitté + auprès de S. M. des ordres que j'ai reçus de Votre Excellence. + Malgré la certitude qui paraît résulter des données que je viens + d'exposer, je serais parti cette nuit même si M. le préfet de la + Roer, précédé d'un courrier, ne partait pas demain matin, et dans + l'impossibilité où je prévois que je serais d'aller plus vite que + lui, je suis convenu avec lui de lui remettre une lettre pour M. de + Furstenstein, que son courrier portera dès le moment de son arrivée, + et qui, je n'en doute point, produira l'effet que je désire, dans le + cas même, si improbable qu'il soit, où le roi, changeant encore de + résolution, aurait voulu quitter Aix-la-Chapelle après-demain. + + Par ce moyen, je gagnerai la journée de demain pour remplir l'autre + commission dont Votre Excellence m'a chargé. Attendu la difficulté + de trouver des hommes propres aux genres d'informations que vous + demandez, je regrette infiniment de n'avoir pas reçu vos ordres + seulement deux fois vingt-quatre heures plus tôt. J'aurais alors pu + retenir quatre ou cinq gendarmes westphaliens, gens éprouvés et + Allemands, que le roi a congédiés et qui ont repassé le Rhin hier. + Je fais en ce moment prendre des informations pour connaître tous + les Westphaliens de cette classe, ou à peu près, qui peuvent encore + se trouver à Cologne. Je laisserai M. de Malartie ici pour suivre + cet objet pendant mon absence à Aix-la-Chapelle, où peut-être je + trouverai moi-même une partie de ce que je cherche. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Aix-la-Chapelle, le 9 novembre 1813. + + Hier, après mon arrivée, je suis allé voir M. le comte de + Furstenstein; il me suffisait d'avoir encore honoré le roi. Je me + suis borné à dire à son ministre que les instructions de S. M. I. + étaient positives sur deux points: le premier que le roi élirait + pour sa résidence quelque château situé dans un des trois + départements de la Roer, de la Save et de Rhin-et-Moselle, et le + second que S. M. fit venir la reine auprès d'elle. M. de Furstentein + m'a dit que le roi me recevrait à son lever. + + Je m'y suis rendu, il n'y a point eu de lever. Le général Wolff + venait d'arriver de Mayence. À onze heures j'ai obtenu d'être + annoncé et le roi m'a fait dire qu'il me recevrait à une heure. + + Il est deux heures. Le roi m'a reçu avec une espèce de cérémonial. + Je suis entré en matière en lui disant exactement ce que j'avais + déjà dit à M. de Furstenstein; j'ai ajouté que, d'après ce que S. M. + m'avait dit elle-même, ce que renfermait la lettre de Votre + Excellence devait déjà en grande partie lui être écrit. Le roi m'a + répondu que quant au choix de sa résidence, le général Wolff, parti + de Mayence soixante heures après ma dépêche, lui avait porté des + propositions différentes, et qu'il lui était impossible de faire + venir la reine aux avant-postes. J'ai insisté sur les deux points; + j'ai dit que les instructions de S. M. I. à cet égard étaient + positives et dictées par des considérations de la plus haute + importance et que j'avais l'ordre de le déclarer. J'ai répliqué à + plusieurs observations que le roi avait faites, comme par exemple + qu'il était toujours souverain, et peut-être le seul souverain resté + fidèle, qu'on voulait attenter à sa liberté personnelle, aux droits + qu'un mari avait sur sa femme, etc. J'y ai répliqué, dis-je, avec + modération, et par des raisonnements fort aisés à trouver, mais le + roi s'est emporté de plus en plus.--«Au surplus, a-t-il continué, + c'est une affaire de famille entre l'empereur et moi; et si + l'empereur vous charge de me dire quelque chose, adressez-vous à M. + le comte de Furstenstein.»--«C'est à Votre Majesté, ai-je dit, que + j'ai été chargé de faire connaître les volontés de l'empereur, et + puisque c'est une affaire entre lui et V. M., elle ne voudra pas y + faire intervenir un tiers. Il me suffit au reste que V. M. ait bien + entendu la mission dont j'étais chargé, et il ne me reste qu'à + rendre compte de la réponse qu'elle vient de me faire. Mais V. M. me + permettra-t-elle de lui dire qu'il est impossible que ce qu'elle a + entendu de moi et ce qui est si pleinement dans les convenances + politiques et dans les vôtres, sire, ait produit sur elle l'effet + que je vois?» + + Alors le roi m'a dit: «Oui, j'ai le coeur plein d'amertume et je ne + le montre qu'à vous. Je sais qu'on traite en ce moment de mon + royaume, qu'on en traite sans moi, et peut-être on l'a déjà cédé. + J'ai demandé comment le roi le savait. L'empereur l'a dit, ou à peu + près, au général Wolff, et je le sais encore par d'autres sources. + Comment l'empereur justifiera-t-il ce procédé envers un souverain et + frère si fidèlement dévoué, aux yeux de l'Europe?»--J'ai répondu + qu'aux yeux de l'Europe le roi ne pouvait jamais avoir raison contre + l'empereur, que supposé qu'il fût vrai, qu'il fallût céder, ce que + le frère de l'empereur perdait, l'empereur le perdait également, et + que c'était peut-être le moment de lui rappeler que dans d'autres + époques il m'avait souvent témoigné que la couronne lui pesait. + + Dans une autre occasion, je me suis permis de lui dire qu'en ce + moment S. M. ne devait pas s'étonner si S. M. I. considérait moins + ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Ce mot a + changé la tournure de la conversation.--«Oui, a dit le roi, + l'empereur est dans un moment malheureux; il est contrarié, je le + sens; aussi n'écrivez rien qui puisse déplaire. Je ne défends que + mes droits personnels.»--Quant aux propositions portées par le + général Wolff, le roi m'a parlé du château de Pont où S. M. I. lui + permettrait de se rendre lorsqu'il le demanderait. «Cette retraite, + m'a-t-il dit, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi, qui + préfère Aix-la-Chapelle; pour appeler la reine près de lui, c'est le + château de Laeken (près Bruxelles) qui réunit toutes les + convenances; jamais mon intention n'a été de me rendre en ce moment + à Paris, etc.» + + La poste me presse, Monseigneur, je n'ai ici ni estafette ni + courrier hors celui que m'offre le roi. Je réserve pour demain + plusieurs particularités. + + En résumé, je dois dire que le roi me paraît décidé à ne point faire + venir la reine à Aix-la-Chapelle. Quant au séjour de Pont, ses + objections m'ont paru faibles; mais j'ai écarté toute discussion à + ce sujet comme étant étrangère à ma mission. + + J'ai dit au roi tout ce qui pouvait se dire dans les limites de ma + mission et dans la situation actuelle de son âme. J'ai d'ailleurs pu + me convaincre que ce qu'il avait appris par d'autres sources ne lui + permettait point de se méprendre sur l'esprit de mes instructions et + qu'il n'ignorait pas même ce qui concerne la nécessité éventuelle + des mesures à prendre contre sa personne. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813. + + À peine ma lettre de ce jour avait-elle été envoyée à la poste pour + Mayence, que le roi m'a fait appeler pour me dire qu'un de ses + courriers avait rencontré S. M. I. à Verdun, et qu'il lui avait + parlé. Il paraît que l'intention du roi est d'aller à Pont, comme + d'après ce que S. M. m'a dit hier. Elle en avait reçu la proposition + de S. M. l'empereur par le général Wolff. Quant à moi qui ne connais + que mes ordres, je ne puis faire autre chose que de les répéter au + comte de Furstenstein et de mettre sur sa responsabilité personnelle + ce qui pourrait se faire de contraire aux instructions de S. M. I. + dans une circonstance où le roi m'assure que des indications + postérieures qu'il a reçues de S. M. I. ont rendu mes instructions + superflues. Ce ministre sort de chez moi. Je dois rendre justice à + sa manière de voir, à ses alarmes, à ses efforts. Je porterai cette + lettre à S. M., qui est pressée d'envoyer son courrier; je la lui + lirai, je la conjurerai d'attendre au moins une lettre de son + auguste frère, qui ne saurait tarder. Dieu veuille que nous soyons + écoutés. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813. + + Il était évident que le roi avait différé de me recevoir pour se + recueillir après les nouvelles que lui a portées le général Wolff et + pour prendre une détermination préalablement à son entretien avec + moi. Je me flattais qu'il aurait renoncé au château de Laeken et que + la seule question importante serait de savoir si S. M. I. consentait + à ce que le roi restât à Aix-la-Chapelle. Je ne prévoyais aucune + difficulté sur le voyage de la reine. M. de Furstenstein avait déjà + parlé à Cologne de la proposition d'habiter le château de Brühl. + Deux considérations importantes ont empêché le roi de l'occuper: + l'une qu'il n'est qu'à la distance d'une petite lieue des bords du + Rhin, et qu'il aurait fallu une force armée pour mettre S. M. à + l'abri des incursions des partisans; l'autre que le château n'est + pas meublé et se ressent fortement de l'abandon total où l'a laissé + le prince d'Eckmuhl depuis qu'il en est possesseur. Si le roi était + venu l'habiter, ma maison de campagne, ancienne dépendance de ce + château, aurait servi d'avant-garde, et je me serais trouvé fort + heureux d'être le voisin et en quelque sorte le vassal de Sa + Majesté. + + Lorsque j'ai parlé au roi de quelque château dans les trois + départements indiqués et voisin de ses États, il m'a parlé de + châteaux voisins de Paris. «C'est précisément des châteaux voisins + de Paris que l'empereur ne veut pas que l'on habite en ce moment-ci. + L'empereur sait qu'on s'y occupe déjà des acquisitions de châteaux + pour V. M., ce qu'il trouve irrégulier à cause du statut de famille + et inconvenable dans les circonstances actuelles.»--«Le statut de + famille, me répondit le roi, n'a pas empêché le roi d'Espagne + d'habiter Mortefontaine.»--«Mais il l'aura acquis de l'agrément de + l'empereur et il l'habite sans voir personne et dans le plus grand + incognito; c'est même ce que je suis chargé de représenter à V. + M.»--«Sans voir personne? Le roi d'Espagne va seulement coucher + toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour + s'amuser. Jamais je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle: 500 + cosaques peuvent arriver par Dusseldorf, rien ne les en empêche. La + place de la reine n'est pas aux avant-postes, tandis qu'à Laeken + elle est à quatre-vingts lieues du Rhin.» J'ai répondu que les + cosaques n'arriveraient point plus facilement à Aix-la-Chapelle qu'à + Laeken. «Oui, c'est comme quand on était à Dresde, on disait qu'ils + ne passeraient pas l'Elbe. Si l'empereur veut que je fasse venir la + reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'impératrice?»--«Parce que + l'impératrice est chez elle et que la reine est chez l'empereur, + qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut pas la recevoir + malgré lui.»--«Eh! bien, je lui ordonnerai d'aller chez elle; je la + suivrai, mais ce sera moi seul qui commanderai à ma femme. Je sais + que je suis sous la puissance du plus fort; mais on sait que j'ai du + caractère; je m'exposerai plutôt à une esclandre, et il faudra que + celui qu'on m'enverra pour me forcer soit bien ferme sur ses + étriers. Que l'empereur attende encore quinze jours, et il verra ce + qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois + des traîtres (comme ce roi de Suède) affermis sur leur trône, et moi + seul, constamment resté fidèle, je perds le mien. On m'a fait des + propositions pour rester à Cassel; je les ai rejetées; l'empereur le + sait, il l'a dit au général Wolff. (Si Votre Excellence a reçu ma + dépêche nº 527 du 22 septembre, elle y aura trouvé le récit d'une + conversation avec le roi qui semble s'y rapporter.) Je pourrais + passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes États, et + j'y serais bien reçu!» Je me suis borné à répondre que S. M. serait + bien malheureuse séparée de l'empereur comme une branche de son + tronc[145]. + + [Note 145: Le roi a prétendu plus tard avoir reçu des + propositions pour rester dans ses états et avoir répondu + entre autres choses: _Quand le tronc est mort les branches + tombent._ Nous avons fait connaître plus haut pourquoi nous + n'admettons pas que ces propositions aient été faites, et + d'ailleurs le roi n'en parle dans aucune de ses lettres à + l'empereur.] + + C'est lorsque le roi me vantait les services qu'il avait rendus à S. + M. I. que je lui ai dit qu'en ce moment l'empereur considérait moins + ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Soit + adresse, soit promptitude, le roi a pris pour un assentiment ce qui + était un reproche, et je n'ai pas jugé convenable de contrarier le + changement de ton qui s'en est suivi. + + J'ai pensé, Monseigneur, qu'il importait à Votre Excellence de + connaître à fond les dispositions actuelles de l'âme du roi. Je puis + l'assurer qu'elle était telle antérieurement à sa conversation avec + moi; peut-être même était-ce son dessein de me la montrer exaltée; + d'ailleurs il s'est assez dit des paroles (le roi lisait des lettres + que lui a portées le général Wolff) pour m'expliquer ce qui se + passait en lui. Je l'ai laissé calme, écartant l'attitude du roi + vis-à-vis du ministre, parlant de son auguste frère avec des + expressions et des sentiments où j'ai retrouvé sa raison et son + coeur et espérant tout d'un délai de quelques jours. + + Le roi me disait hier qu'il était toujours roi, toujours souverain. + «Souverain, ai-je répondu, V. M. ne l'est pas ici.»--«Oui, je le + suis ici, et même plus qu'à Cassel.» J'ai résolu de ne plus aller à + la cour que lorsque le roi me ferait appeler. Je me suis défendu à + Cassel de l'habitude des salons de service dont M. de Furstenstein + est le pilier. Il paraît qu'il a voulu me la faire prendre hier, + mais il me trouvera indocile. Ces petites considérations n'influent + certainement pas sur ma manière de traiter les affaires; mais depuis + Cologne les choses ont été poussées assez loin pour qu'il soit bon + que Votre Excellence en soit informée. La manière dont ce favori + était avec le roi pendant le dernier voyage était assez curieuse. Il + boudait visiblement à cause des disgrâces que le roi aurait fait + éprouver à son frère et à la famille de son frère; il prenait même + la liberté de contredire et d'aller quelquefois en voiture lorsque + le roi voulait impitoyablement qu'il allât à cheval. Le roi le + caressait en l'agaçant. Pendant les repas il lui lançait des + boulettes de pain; il l'appelait traître et perfide. Enfin la paix a + été faite. + + Il paraît que tous les officiers restés en arrière sont actuellement + réunis autour du roi. Les généraux Lajou, Zandt, comte de Wittenberg + et plusieurs autres officiers sont arrivés après avoir quitté le + général Rigaut à Elberfeldt. Ils espèrent tous d'entrer au service + de S. M. I. et je crois qu'en général l'acquisition sera très bonne. + Ce sont des Français, à l'exception de six ou huit Allemands dont la + fidélité a été éprouvée par les événements. + + De tous ces officiers, le seul qui m'ait paru jouer un rôle + maussade, c'est le capitaine-général de gardes. + + Le prince de Löwenstein, pauvre prince, pauvre mari, pauvre + officier, est auprès du roi en qualité de premier chambellan, à + cause de la princesse son épouse, seule dame à la suite de S. M. Le + comte de Furstenstein la craint, et il la dit très méchante, très + intéressée, et il peut avoir raison; il croit qu'il sera bien + difficile de l'éloigner du coeur du roi, et en effet c'est la seule + femme de la cour qui se soit toujours conduite avec adresse et en + poursuivant un but qu'elle est parvenue à atteindre. + + Le roi a fait vendre à Cologne, au plus vil prix, un assez grand + nombre de chevaux, parmi lesquels était un bel attelage de six + chevaux qui ont été vendus pour 1,900 fr. On a vu avec regret que + dans ces ventes on avait compris les chevaux des gardes du corps, + que le roi renvoyait après leur avoir fait ôter leurs uniformes, que + plusieurs étaient hors d'état de remplacer par d'autres habits, et + sans leur faire payer la solde qu'il avait cependant touchée du + trésor. C'est désespérés de ce délaissement et se proposant de le + publier partout que ces jeunes gens sont partis. + + Le général Bongars est encore ici, quoique réduit à une parfaite + nullité. Il avait amené cinq gendarmes qu'il a été obligé de mettre + à la disposition du comte de Malsbourg, grand écuyer. J'en ai + demandé quelques-uns au roi, pour m'en servir pour la commission + dont Votre Excellence m'a chargé. Le roi me les a refusés, disant + qu'il en avait besoin pour escorter ses bagages. Toutes les + communications entre les deux rives du Rhin étant déjà à peu près + rompues, je crains que M. de Malartie ne trouve beaucoup de + difficultés pour remplir les vues de Votre Excellence. Les + correspondances de commerce sont les meilleures; je lui ai indiqué + quelques maisons, mais je me suis convaincu qu'il vaudra mieux + profiter des nouvelles qu'elles reçoivent pour leur compte que + d'effaroucher leur pusillanimité en leur demandant des services + directs. M. le duc de Tarente m'a promis aussi de faire connaître à + M. de Malartie ce qui parviendrait à sa connaissance. Ici nous + sommes sans nouvelles, le roi lui-même n'en a point. + + + REINHARD AU DUC DE BASSANO. + + Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813. + + Je viens de recevoir un billet officiel de M. le comte de + Furstenstein qui me prévient que le roi partira cette nuit pour + Pont-sur-Seine. J'ai l'honneur d'en transmettre la copie à Votre + Excellence, ainsi que celle de ma réponse. C'est tout à fait malgré + moi que j'ai écrit dans cette circonstance pénible et délicate, mais + le roi m'y a forcé. Si je n'eusse pas répondu au billet de M. de + Furstenstein, il aurait pris tout ce qui s'était passé verbalement + pour de vaines paroles. Il a fallu employer pour le retenir, s'il + était possible, le seul moyen qui me restait. + + Voilà, Monseigneur, ma mission terminée. Peut-être les circonstances + nouvelles justifieront-elles l'impatience du roi. Mais il est + malheureux qu'il n'ait pas voulu sentir ce qu'il devait au moins aux + apparences pour montrer le prix qu'il mettait à sa couronne. C'est + là encore ce que je m'étais efforcé de lui représenter; mais, + pénétré de l'idée qu'on traitait de la cession de son royaume, il + s'est surtout irrité, non contre la proposition de résider dans un + des trois départements désignés, mais contre le motif comme étant + voisin de ses États. + + Je n'ai rien à ajouter à ma lettre d'hier. Je ne prendrai pas congé + du roi, à moins que S. M. ne me fasse appeler. + + _P. S._--J'apprends par le ministre de la guerre (car je ne suis + point allé aujourd'hui à la cour et je n'ai point vu M. de + Furstenstein) que le roi laisse ici sa maison avec tous les + services, sous la direction de M. le comte Marienrode (Malchus). + + Le nombre des officiers venus avec le roi ou venus le joindre, et + devant toucher leur solde, est de quatre-vingt-treize. Ils seront + tous payés jusqu'au 1er novembre. M. Höne estime à soixante-dix le + nombre de ceux qui demanderont à servir en France. + + On attendait aujourd'hui les ennemis à Deutz, vis-à-vis de Cologne. + + + COPIE DU BILLET DE M. DE FURSTENSTEIN. + + Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813. + + J'ai l'honneur de prévenir V. Exc. que le roi mon maître se mettra + en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine, + appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé + convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur[146]. + + [Note 146: L'inverse eût été vrai.] + + + REINHARD AU COMTE DE FURSTENSTEIN. + + Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813. + + Je viens de recevoir le billet que V. Exc. m'a fait l'honneur de + m'écrire pour me prévenir que S. M. le roi se mettra en route cette + nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine appartenant à S. A. + I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé convenable pour la résidence + du roi par S. M. l'empereur. Après les communications verbales que + j'ai eu à faire à V. Exc. et après la connaissance que j'ai eu + l'honneur de donner directement à S. M. des intentions de l'empereur + mon maître, il ne me reste qu'à répéter que les volontés de S. M. + I., telles que M. le duc de Bassano me les a fait connaître par une + dépêche du 4 novembre envoyée par courrier, sont positives sur deux + points; le premier que S. M. s'établisse dans un château des + départements de la Sarre, de la Roer ou du Rhin-et-Moselle; et le + second qu'elle y fasse venir la reine. Cette dépêche ajoute que les + intentions de S. M. impériale sont déterminées par des + considérations telles que, si le roi ne s'y conformait pas, + l'empereur serait obligé de prendre des mesures pour en assurer + l'exécution. + + Mon devoir, Monsieur le comte, se bornait à faire bien entendre à S. + M. que telles sont les volontés de son auguste frère. Je ne puis + m'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications + directes que le roi a pu recevoir depuis. Après avoir satisfait, + dans cette circonstance pénible, autant qu'il était en moi, à ma + responsabilité et à ma conscience, il ne me reste qu'à rendre compte + à mon gouvernement de la détermination que le roi a prise. + + +Le brusque départ de Jérôme de l'armée en 1812, après l'ordre secret +de l'empereur dont le prince d'Eckmülh s'était si brutalement +prévalu, avait irrité Napoléon contre son frère au point de +l'empêcher d'avoir pour lui les mêmes égards qu'autrefois. + +Les lettres du baron Reinhard, empreintes d'une grande vérité, ses +rapports secrets n'étaient pas de nature à ramener l'harmonie entre +les deux frères. Napoléon n'écrivait plus que très rarement, et pour +les affaires de politique et de guerre, à Jérôme. Il lui refusait +les moyens de soutenir, de sauver la Westphalie, ne s'attachant qu'à +la conservation des places-fortes (comme celle de Magdebourg) qui +pouvaient jouer un grand rôle dans son système. + +À la fin de 1813, la désobéissance du roi aux ordres qu'il lui avait +fait donner par le duc de Bassano pour sa résidence, ordres dont +Jérôme s'était affranchi, malgré tout ce qu'avait pu faire et écrire +l'empereur, le froissa de plus en plus. Les choses en arrivèrent à +ce point que ce dernier ne voulut recevoir à Paris ni son frère ni +la reine Catherine, qu'il aimait et estimait beaucoup. + +Jérôme partit d'Aix-la-Chapelle avec quelques personnes de sa suite +le 11 novembre 1813, malgré les représentations du baron Reinhard, +pensant bien que Napoléon n'userait pas de violence pour le retenir. +Il passa quelques instants au château de Pont-sur-Seine chez Madame +Mère et rejoignit sa femme chez le roi Joseph, au château de +Mortefontaine, près Senlis. + +Le 29 novembre, il fit demander à l'empereur de le recevoir. +L'empereur refusa. Alors Jérôme, qui avait fait l'acquisition du +joli château de Stains, près Saint-Denis, une des causes, on l'a vu, +qui avaient mécontenté l'empereur, fut avec sa femme y fixer sa +résidence. + +Napoléon quitta Paris pour se rendre à l'armée. L'impératrice +Marie-Louise lui ayant témoigné le désir de voir Jérôme, il lui +défendit de recevoir le roi et la reine de Westphalie. L'impératrice +adressa le 4 février 1814 à Joseph, lieutenant-général du royaume, +la lettre ci-dessous: + + + Paris, 4 février 1814. + + Mon cher frère, je reçois à l'instant une lettre de l'empereur du 2 + qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun + prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public ni + incognito. + + Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les + regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la + sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère, + + Votre affectionnée soeur, + + Signé: LOUISE. + + +Joseph, ayant demandé à Napoléon quelques jours plus tard de lui +faire connaître ses intentions à l'égard de Jérôme, reçut la lettre +suivante: + + + Nogent-sur-Seine, le 21 février 1814. + + Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je + l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation + que je donne à tous les princes français; vous le ferez connaître au + roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme + hollandais. Le roi Jérôme donnera des congés à toute sa maison + westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester + en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou + quatre aides-de-camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, + tous Français; et pour la reine deux ou trois dames françaises pour + l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa + dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des + lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. + Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen + et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et + la reine seront présentés à l'impératrice et j'autorise le roi à + habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui + appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine + continueront à porter le titre de roi et de reine de Westphalie, + mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi + se rendra à mon quartier-général, d'où mon intention est de + l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département + et de l'armée, si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux + avant-postes, de n'avoir aucun train royal, aucun luxe; pas plus de + quinze chevaux; de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas + un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé.--J'écris au + ministre de la guerre et je lui ferai donner des ordres. Il + pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa + maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de + cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de + selle; un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou + trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il + faut qu'il fasse de bons choix d'aides-de-camp; que ce soient des + officiers qui aient fait la guerre et puissent commander des + troupes, et non des hommes sans expérience comme les _Verduns_, les + _Brugnères_ et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait + tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le ministre de la + guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major. + + Votre affectionné frère. + + +La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements pendant le +mois de mars 1814 empêcha sans doute Jérôme de se rendre à l'armée +de Lyon. Il se trouvait encore à Paris lors du départ de +l'impératrice pour Blois le 29 mars. Il la suivit, ainsi que +Catherine qui ne voulut pas la quitter, et n'abandonna Marie-Louise +que quand cette princesse se fut remise elle-même avec le roi de +Rome aux mains de son père l'empereur d'Autriche, à Orléans, le 9 +avril. Le 10, la reine Catherine revint à Paris pour voir le prince +royal de Wurtemberg, son frère, qui, à Cassel, avait été comblé par +elle et par son mari. Le prince ne voulut pas la recevoir, et le +vieux roi leur père fit demander à Catherine par son ambassadeur, le +comte de Wintzingerode, d'abandonner son mari. Indignée d'une telle +proposition, la reine répondit par un refus énergique à cette +singulière ouverture. + +Elle ne trouva un bon accueil qu'auprès de son parent l'empereur +Alexandre. La proposition du roi de Wurtemberg à sa fille ayant fait +comprendre à cette vertueuse princesse ce que l'on tramait contre +elle et contre son mari, elle ne songea plus qu'à rejoindre ce +dernier. Jérôme de son côté partit pour la Suisse et de là gagna +Trieste, dans les États autrichiens. La reine Catherine quitta +l'hôtel du cardinal Fesch dans la nuit du 17 au 18 avril, +accompagnée du comte de Fürstenstein et de la comtesse de Bocholz. +Des voitures de suite portaient ses domestiques et ses bagages. Elle +se dirigea vers Orléans. Arrivée la nuit à Étampes, elle y trouva un +message de son mari la prévenant que, menacé par le parti royaliste, +il avait cru prudent de s'éloigner au plus vite et qu'il se rendait +à Berne, où il lui donnait rendez-vous. Catherine continua sa route. + +En passant à Dijon, elle rencontra l'empereur conduit à l'île +d'Elbe, y reçut ses derniers embrassements et gagna Nemours le 21. +Le 22 avril, en arrivant au relai de Frossard, elle fut arrêtée et +complètement dévalisée par le marquis de Maubreuil, l'ancien +officier aux chevau-légers westphaliens, l'ancien écuyer du roi +Jérôme, l'amant de Blanche Carrega. Forcée de revenir une fois +encore à Paris, la malheureuse princesse ne put se réunir que plus +tard à son mari. + +Tous deux se trouvaient à Trieste avec le jeune prince dont la reine +venait d'accoucher (frère aîné de la princesse Mathilde et du prince +actuel Jérôme-Napoléon) lorsqu'on apprit dans cette ville, au mois +de mars 1815, le débarquement de l'empereur sur les côtes de France +et son retour à Paris. + +Trompant la surveillance de la police autrichienne, Jérôme, décidé à +rejoindre à tout prix son frère, s'embarqua sur un petit navire, et +à la suite de mille dangers, après avoir vu Murat à Naples, il +parvint auprès de Napoléon qui, cette fois, l'accueillit avec +bienveillance et lui donna le commandement de la 6e division (2e +corps, général Reille) par une décision impériale en date du 3 juin. +Le général de division Guilleminot, un des meilleurs officiers +d'état-major de l'armée, fut désigné pour remplir les fonctions de +chef d'état-major de la division Jérôme. L'ex-roi de Westphalie +reçut deux jours plus tard la lettre suivante de Napoléon: + + + AU PRINCE JÉRÔME. + + Paris, 5 juin 1815. + + Mon frère, j'ai reçu votre lettre; je ne puis pas consentir à ce que + vous paraissiez à l'armée française entouré d'Allemands. De tous + ceux qui sont avec vous, vous n'en pouvez conserver qu'un qui sera + votre écuyer[147]. Je leur donnerai des grades et des traitements en + France. Envoyez au ministre de la guerre leurs états de service. + Vous aurez un maréchal de camp pour premier aide-de-camp, et deux + chefs de bataillon et quatre capitaines pour aides-de-camp; vous + n'avez pas besoin d'officiers d'ordonnance. + + [Note 147: Ce fut le général Wolff.] + + +Après la bataille de Waterloo (18 juin), pendant laquelle le prince +Jérôme déploya une grande énergie et la plus brillante valeur, ce +prince, fortement contusionné par une balle, fut un instant investi +par son frère du commandement en chef des débris de l'armée, dont il +rallia quelques tronçons. Il vint ensuite à Paris. Là, traqué, +recherché, il fut sauvé par Fouché, ministre de la police, qui, +sachant le danger qu'il courait et étant lié avec lui, lui procura +les moyens de passer à l'étranger et de rejoindre la reine. + +De la fin de 1815 à la fin de 1847, Jérôme resta en exil +quasi-prisonnier tantôt en Wurtemberg, tantôt sur le sol autrichien, +puis dans les États pontificaux, enfin à Florence, en Suisse et en +Belgique. Sa femme lui donna une fille (la princesse Mathilde) en +1820 et un fils (le prince Napoléon-Jérôme) en 1823. Il blâma la +conduite de ses neveux les deux fils du roi Louis dans l'affaire des +Romagnes contre le pape, de qui sa famille avait reçu le plus +sympathique accueil. + +Voici, relativement à cette affaire, quatre lettres qui nous ont +paru intéressantes. Elles sont adressées par Jérôme à ses neveux les +princes Napoléon et Louis (ce dernier depuis l'empereur Napoléon +III), au roi Louis leur père, à la reine Hortense et à la duchesse +de Rovigo, avec laquelle l'ex-roi était resté en relation +épistolaire. + + + JÉRÔME AUX PRINCES NAPOLÉON ET LOUIS. + + Rome, 25 février 1831. + + Mes chers neveux, cette lettre vous sera remise par le baron de + Stölting, qui vous entretiendra de toute la position actuelle. C'est + avec le plus profond chagrin que j'ai appris qu'envisageant mal + votre position et celle de toute votre famille, vous vous êtes + laissé entraîner au milieu du mouvement. Que dirait l'empereur s'il + pouvait voir ses neveux, destinés à être un jour le soutien de sa + dynastie, payer l'asile que le saint-père accorde à toute sa famille + en s'armant contre ce même souverain et en compromettant ainsi le + sort de ses parents! + + Songez, mes chers neveux, au chagrin, à l'affliction de votre père + et mère, de votre respectable grand'mère, si vous persistiez dans + une démarche où un moment d'enthousiasme a pu vous entraîner, mais + que la raison comme la politique vous font une loi d'abandonner. + + Je vous en conjure, écoutez la voix d'un vieux soldat et d'un oncle + qui vous aime comme ses propres enfants et qui ne vous conseillerait + pas une démarche contraire à l'honneur ni à votre caractère d'homme. + + Songez que ce n'est que de cette manière que vous devez entrer dans + la carrière des armes; le temps viendra peut-être où vous pourrez le + faire avec honneur, et alors, si vous persistiez dans votre + démarche, vous vous ôteriez tout moyen de reparaître un jour sur la + scène politique avec honneur, et vous vous attireriez la malédiction + de vos parents. + + Adieu, mes chers neveux, je nourris l'espoir que vous ne vous + refuserez pas à suivre les conseils d'un oncle qui vous chérit + tendrement. + + + JÉRÔME AU COMTE DE SAINT-LEU. + + Rome, 26 février 1831. + + Mon cher frère, aussitôt que M. Bressieux m'a rendu compte de la + position de vos enfants à Spoletto, je n'ai pas balancé à faire une + démarche que vous eussiez faite à ma place pour mes enfants. Je me + suis, sans perdre de temps, rendu chez le pape et le secrétaire + d'État; j'ai été vraiment touché de la manière dont Sa Sainteté et + son ministre ont envisagé la question; ils étaient non seulement au + courant de tout, mais encore m'ont appris que le prince Louis avait + eu la veille un petit engagement à Otricoli, et que le fils du + prince de Canino s'était enfui de la maison paternelle. + + J'ai représenté à S. S. que les princes se rendaient au-devant de + leur mère, lorsqu'à Peruggia, ils ont été reconnus et se sont laissé + entraîner par l'enthousiasme populaire, mais sans préméditation de + leur part ni sans plan arrêté, puisqu'ils se trouvent manquer des + objets les plus nécessaires. J'ai prié S. S. de me donner des + passeports pour le baron de Stölting, que j'ai expédié sur-le-champ + avec une lettre pour les princes que vous trouverez ci-jointe, ainsi + que pour les colonels Armandi et Sircognani que je connais + particulièrement. Je fais remettre en même temps aux princes les + fonds nécessaires pour retourner à Florence, ayant appris par M. + Bressieux qu'ils en étaient dépourvus. + + J'espère, mon cher frère, avoir rencontré votre approbation en + accomplissant ce que j'ai considéré comme mon devoir, quelle qu'en + puisse être l'issue. Le cardinal a écrit une lettre dont le baron de + Stölting a été également chargé. + + Madame, qui est très affligée de ce qui se passe, me charge de vous + dire qu'elle n'écrit pas par ce courrier, mais que sa santé est + bonne. + + +Le prince Jérôme écrit le même jour à la reine Hortense deux mots +dans le même sens. + + + JÉRÔME À LA DUCHESSE DE ROVIGO. + + Rome, 15 mars 1831. + + ..... Les troupes du pape sont à Civita-Castellana au nombre de + 2,000 hommes, que l'on peut compter comme autant de troupes pour les + constitutionnels. L'enthousiasme depuis Bologne jusqu'à Otricoli est + incroyable; s'il y avait des armes, déjà 60,000 hommes seraient en + ligne. + + Vous serez bien étonnée, chère duchesse, de savoir que c'est ce même + Sircognani que vous ayez vu si souvent faire votre partie d'écarté + qui est le héros du jour. C'est lui qui fait trembler Rome et qui, + probablement avant une dizaine de jours, y entrera. On aime le + saint-père, qui le mérite sous tous les rapports; mais on exècre le + gouvernement des prêtres, lesquels, s'ils venaient à triompher, + commettraient les plus horribles cruautés. Pendant un instant qu'ils + ont cru à l'entrée des Autrichiens, ils ne parlaient que de pendre, + fusiller et confisquer. Qu'arrivera-t-il de tout cela, Dieu seul le + sait! + + Quant à moi, je me tiens absolument éloigné de tout ce mouvement et + suis un observateur impartial, qui voit, entend et juge sans jamais + émettre une opinion. Lorsque le temps viendra de se montrer avec + honneur, ce ne sera jamais que comme Français, d'autant plus qu'il + m'est clairement démontré que c'est à notre belle patrie que chacun + en veut. J'espère qu'elle sortira triomphante de cette lutte et + apprendra au monde que c'est elle qui doit donner la loi et non la + recevoir. + + La mère de mes neveux (la reine Hortense) s'est rendue à Bologne + pour les conduire en Suisse. + + + JÉRÔME À LA DUCHESSE DE ROVIGO. + + Rome, 31 mars 1831. + + C'est avec un bien vif chagrin que vous et votre famille aurez + appris la mort de notre cher Napoléon; il a expiré à Forli le 17, + par suite d'une rougeole méconnue. Son frère le prince Louis seul + était auprès de lui, sa malheureuse mère n'étant arrivée que le + lendemain. Elle est à Ancône avec le seul fils qui lui reste; où + ira-t-elle? je l'ignore. Depuis un mois, les communications directes + avec les Marches étant interrompues, c'est par suite de tous ces + troubles que les lettres de Pompeï ne vous seront pas parvenues. + + Les insurgés se sont battus contre les Autrichiens devant Forli avec + quelque avantage; ils ont fait une capitulation avec le cardinal + Benvenuti qui se trouve à Ancône, mais cette capitulation n'a pas + été ratifiée. À Modène, on fusille, on pend, on exile, on confisque. + Le pape, qui est bon, voudrait accorder un pardon entier, mais il y + a des cardinaux tellement énergumènes que l'on peut douter si le + pape et son secrétaire d'État pourront faire ce qu'ils désirent tous + deux, pardonner. + + Les constitutionnels sont exaspérés contre la France, qui les a + sacrifiés, à ce qu'ils disent. Le fait est qu'il ne reste guère à + cette armée d'insurgés qu'à se faire tuer, si l'on n'intervient en + leur faveur, au moins en négociation. Quant à moi, je soupire après + ma patrie, car il est affreux de ne savoir sur quoi ni sur qui + s'appuyer. + + +Dans une lettre du 12 avril au duc de Rovigo, le roi écrit: «Il est +certain que le fameux Sircognani a trahi les siens pour 10,000 +piastres et un passeport; on assure qu'Armandi et Bussy en ont fait +autant et ont sacrifié ce malheureux Zucchi qui s'est fié à de +pareilles canailles. Du reste, ils n'ont que ce qu'ils méritent.» + +Jérôme, comme ses frères Joseph et Louis, n'approuva pas les coups +de tête de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne. Il +ne cessa, surtout depuis la révolution de Juillet et la mort de la +reine (29 novembre 1835 à Lausanne), de revendiquer ses droits de +Français et l'autorisation de rentrer dans sa patrie. + +Il obtint enfin de revenir à Paris à la fin de 1847 et allait +recevoir une rente viagère de cent mille francs, lorsque la +révolution de 1848 jeta hors de France la dynastie de Juillet. + +L'ex-roi Jérôme et son fils s'empressèrent d'envoyer au gouvernement +provisoire leur adhésion à la République. + + +CONCLUSION. + +Nous avons dit que pendant sa longue carrière, si mouvementée, si +singulière, le dernier des frères de Napoléon Ier semble avoir été +condamné par le destin à des vicissitudes plus extraordinaires +encore que celles des autres frères de Napoléon. + +Depuis l'abandon de ses États en 1813, il avait passé par toutes les +phases du malheur, conservant toujours une certaine dignité et de la +générosité dans le caractère. La révolution de 1848 allait le faire +remonter aux plus hautes dignités. + +Son neveu le prince Louis-Napoléon ayant été élu président de la +République, Jérôme devint un des principaux personnages de l'État, +et pour que rien ne parût manquer à l'originalité de cette destinée +unique de l'ancien souverain, il occupa, pendant les douze ans qui +s'écoulèrent de 1848 à l'époque de sa mort en 1860, les positions +les plus bizarres. + +Le président lui rendit son grade de général de division, grade +auquel il avait été nommé en 1806, il y avait quarante-deux ans, en +sorte qu'il devint le plus ancien divisionnaire des armées +européennes. Il eut ensuite le poste de gouverneur des Invalides, +gardien des cendres de son frère déposées à l'hôtel des vieux +soldats. Quelques mois plus tard, le prince Louis, cédant aux +suggestions d'un membre de la famille Bonaparte et croyant être +agréable à son oncle, lui envoya le bâton de maréchal de France. À +la formation du Sénat, il eut la présidence de ce premier corps de +l'État. + +Ainsi, de roi, Jérôme était devenu général, maréchal, sénateur. +Singulières transformations pour une tête couronnée! + +Marié régulièrement à une noble Florentine, la marquise Bartholini, +qui vint habiter avec lui en France, il se trouvait avoir eu trois +femmes, dont deux existaient encore. + +Lorsque le prince Louis mit la couronne sur sa tête, Jérôme devint +prince impérial et fut placé sur les marches du trône. Il reçut à +Paris son fils et son petit-fils Messieurs Patterson Bonaparte, que +l'empereur Napoléon III avait appelés en France et dont le dernier, +beau et brillant jeune homme, entra dans notre armée où il ne tarda +pas à se distinguer. + +Enfin, avant sa mort, Jérôme fit un voyage en Bretagne, revit la +baie de Concarneau, dîna dans la ville de pêcheurs, ayant à ses +côtés la mère du matelot (Furic) qui avait sauvé le vaisseau _le +Vétéran_, à laquelle il assura une pension sur sa cassette +particulière. Il put assister au mariage de l'empereur, à la +naissance du prince impérial et à l'union de son fils avec la +vertueuse princesse Marie-Clotilde. + +Enfin, dernier bonheur, il put voir la France impériale redevenue la +puissance prépondérante du monde, après les guerres d'Orient et +d'Italie, et il échappa à la douleur d'assister à ses défaites de +1870 ainsi qu'à la chute de sa dynastie par la mort de Napoléon III +et du jeune prince impérial. + +Certes, nous le répétons, jamais destinée ne fut plus singulière que +celle de cet homme dont le caractère offre un si étrange mélange de +défauts et de qualités, et qui, malgré ses fautes, montra en mainte +occasion un caractère fier et chevaleresque. + + + + +APPENDICE + + +CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE + +RELATIVE À LA HOLLANDE + +PENDANT LE RÈGNE DU ROI LOUIS + +De juin 1806 à juillet 1810. + + +ANNÉE 1806. + +Cette correspondance étant très volumineuse, nous l'avons analysée +en partie, principalement celle de 1806 à 1808, ne donnant _in +extenso_ que les pièces importantes. Cette correspondance eut lieu +entre M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des affaires +étrangères de France, le général Dupont-Chaumont, puis le comte de +la Rochefoucauld, tous deux ministres de famille de l'empereur +auprès du roi Louis; l'amiral Werhuell, ambassadeur du roi de +Hollande à Paris; M. de Roëll, ministre des affaires étrangères de +Hollande, et en 1810 avec le maréchal duc de Reggio, commandant +l'armée du Nord. + +Dans sa première lettre, datée du 15 juin 1806, Dupont-Chaumont fait +part au duc de Cadore des dispositions bienveillantes, pour le roi +Louis et la reine Hortense, du corps diplomatique. «L'esprit public, +dit-il, un peu étonné d'abord de la promptitude des événements, +commence à revenir, la population vit en bonne intelligence avec le +soldat français. Une garde d'honneur s'organise pour recevoir Leurs +Majestés.» Le 23 juin, Dupont envoie des détails sur cette +réception. Bientôt l'ambassadeur ayant obtenu un congé pour venir +en France, M. Serrurier, chargé d'affaires, prend l'intérim. Le 29 +juillet, l'empereur écrit de Paris à son frère la première lettre de +reproche ci-dessous. + + + Saint-Cloud, 29 juillet 1806. + + Au roi de Hollande. + + Je lis dans les journaux que vous suspendez toute exécution à mort + dans votre royaume. Si cela est, vous avez fait une grande faute. Du + droit de faire grâce ne dérive pas la nécessité de reviser tous les + procès. C'est une manie d'humanité déplacée. Le premier devoir des + rois, c'est la justice. + + +Dans une lettre du 10 août, Serrurier fait connaître au ministre le +désir des Hollandais d'un accroissement de territoire, et, dans une +autre en date du 14, il raconte la tentative d'insoumission d'un +bâtiment de la flotte hollandaise, lorsque le serment de fidélité au +nouveau roi a été exigé des matelots. Le 17 septembre, le duc de +Cadore reçoit une note sur la composition de l'armée hollandaise, +forte de 12 à 15,000 combattants disponibles. Le roi semble décidé à +porter à 25,000 hommes l'effectif de ses troupes, mais par des +enrôlements volontaires. Il ne veut pas entendre parler de la +conscription comme le désirerait l'empereur. Cet usage est +antipathique à la Hollande. + +Le 13 décembre, Dupont-Chaumont rend compte au duc de Cadore d'une +conversation qu'il vient d'avoir avec le roi et dont voici la +substance: Le roi, écrit-il, se plaint de l'opinion de l'empereur +qui semble l'accuser de montrer peu de zèle pour le succès de ses +armées.--La grande plaie est le mauvais état des finances.--Son +gouvernement est ruiné par les dépenses antérieures, les +anticipations d'impôts. On lui conseille de suspendre le paiement +des rentes; mais il désapprouve ce moyen, d'ailleurs inefficace. Il +voudrait que l'empereur envoyât en Hollande un financier expérimenté +qui prît connaissance des choses et en rendit compte. Il espère +porter l'armée à 25,000 hommes, c'est-à-dire 18,000 prêts à +combattre; mais c'est à peine suffisant pour défendre le pays contre +une invasion anglaise. + +Le 14 décembre, Dupont transmet à Cadore une plainte portée contre +les douaniers français qui, sans ordres, ont franchi la frontière +batave, pillé une maison, chassé les habitants à coups de fusil. Le +roi est affecté de ces désordres. Dupont déclare qu'il est temps de +faire un exemple pour mettre fin à ces exactions. Le duc de Cadore, +par ordre de l'empereur, répond que les plaintes du gouvernement +hollandais _ne sont pas fondées_. + +Cependant, le décret sur le blocus continental ne tarde pas à être +connu en Hollande. + +L'empereur en recommande la stricte application. Le 28 décembre, +Dupont fait connaître: que les Hollandais mettent beaucoup +d'hésitation à le faire exécuter; que les villes maritimes sont +plongées dans le désespoir; que le roi est dans le plus grand +embarras; que le parti anglais se remue et intrigue; que le frère de +l'empereur est souffrant. + +Ici commence réellement la mésintelligence entre l'empereur et le +roi Louis. Nul doute que sans le blocus continental, les deux +souverains eussent vécu à peu près d'accord, malgré les exigences +politiques de Napoléon. + +À la fin du même mois de décembre 1806, le 29, Dupont transmet de +nouveau à Cadore des plaintes du gouvernement hollandais +relativement à des fraudes nombreuses qui ont lieu à Flessingue, au +préjudice du trésor, sous le couvert de la marine française. Il fait +connaître également les ennuis que cause au roi la question de la +_défense de Flessingue_ et le peu d'accord qui existe entre les +généraux français. L'empereur, décidé à donner tort à son frère, à +ne pas accueillir ses représentations, commence à songer au +remplacement du général Dupont-Chaumont, qui lui paraît beaucoup +trop dans les intérêts du gouvernement de Louis. + + +ANNÉE 1807. + +Le 8 janvier 1807, le ministre de Hollande se plaint de nouveau des +douaniers français qui ne cessent de violer le territoire batave. Le +22, Dupont atteste que la situation des esprits s'améliore et +annonce que le roi va écrire à l'empereur, relativement à la +question du blocus. Le 26, Werhuell mande à Cadore qu'une députation +va être envoyée à l'empereur en Prusse. Dupont annonce le 5 février +1807 le retour de la reine à La Haye, le bon effet produit par sa +présence. Le lendemain 6, Cadore engage le gouvernement hollandais à +envoyer la députation par Varsovie ou Berlin à Clarke, qui lui +donnera les moyens d'arriver jusqu'à l'empereur à Feinkestein. + +Le 14 avril, Dupont déclare à Cadore que la majorité du conseil des +ministres paraissait tenir pour le parti anglais et s'efforçait de +faire admettre au roi que la Hollande avait intérêt à se détacher de +l'alliance française. Le 26, il écrit qu'en l'absence du roi le +conseil a supprimé la _Gazette française_ pour que le résultat des +conférences eût moins de retentissement en France, et qu'on +élaborait secrètement un projet de régence. Le 7 mai, l'ambassadeur +fait connaître la mort du prince royal et le départ du roi et de la +reine. Quatre jours plus tard, il déclare qu'en l'absence de Sa +Majesté, la France ne saurait compter sur les ministres de Hollande. + +Le 9 juin, il annonce que la reddition de Dantzig met fin aux +inquiétudes du roi, lequel est estimé de tous les partis. Le 23, le +ministre de France fait connaître qu'une escadre anglaise paraît +vouloir menacer Stralsund, et que le maréchal Brune en a reçu avis. +Le 12 juillet, Cadore écrit à Dupont de faire connaître au +gouvernement hollandais que tout navire de la marine française +entrant à Flessingue devra faire connaître à la douane son +chargement. Le 8 août, le cabinet français presse Dupont d'obtenir +de la Hollande de faire terminer _à ses frais_ les travaux de +Flessingue. Le 10 août, l'ambassadeur de France prévient que +plusieurs divisions anglaises sont sorties du 20 au 26, que d'autres +sont prêtes également à quitter les ports de la Grande-Bretagne, que +la totalité de ces forces est évaluée à 40,000 hommes et que les +troupes hollandaises se sont rapprochées de Brune. Le 14 août, +l'empereur fait écrire à Dupont qu'il est informé que des +communications fréquentes ont lieu entre la Hollande et +l'Angleterre, qu'il fasse connaître aux ministres du roi que si +toute relation de commerce et de correspondance ne cesse pas entre +les deux pays, des troupes françaises entreront en Hollande. Le +gouvernement du roi Louis, à cette menace, demande une note écrite; +Dupont la refuse. Les ministres déclarent que si des infractions aux +ordres du roi concernant l'Angleterre ont existé, cela ne pouvait +avoir eu lieu que par surprise; que les pouvoirs des ministres +n'allant pas au-delà de l'exécution des lois existantes, il allait +être expédié un courrier à Sa Majesté, absente, pour prendre ses +ordres. Le 19 août, Cadore écrit de nouveau à Dupont que les +plaintes contre les douaniers français ne paraissent nullement +fondées. Ainsi, d'une part, menaces de l'empereur et refus de ses +ministres d'admettre les griefs de la Hollande contre les agents +français; d'autre part, assurance que l'on fait tout ce que l'on +peut faire pour l'exécution du blocus. Les plaintes de la France +continuent. Le gouvernement du roi Louis y répond en imposant les +bâtiments français qui remontent l'Escaut à destination d'Anvers. +L'empereur, furieux, ordonne le remboursement des droits perçus et +défend d'en payer à l'avenir. Nouvelle note des ministres hollandais +pareille à la première (24 août). Le 31 août, le chargé d'affaires +écrit à Cadore que le roi a appris avec douleur les plaintes de son +frère, et qu'il rend un décret pour une surveillance plus sévère; le +même jour on annonce que les finances sont dans le plus mauvais +état. Le 4 septembre, Dupont fait connaître la publication du décret +royal contre le commerce avec l'Angleterre et déclare que toute la +responsabilité doit tomber sur M. Goguel, ministre des finances. + +Cette correspondance acerbe continue entre les agents des deux +gouvernements. + +La question du blocus paraissant terminée, le ministre de France en +soulève une nouvelle. Il écrit à l'ambassadeur de Hollande: +«L'empereur a éprouvé un vif mécontentement, en apprenant que les +malades français avaient été renvoyés des hôpitaux de la Hollande +sous prétexte d'économie; il ne peut voir dans cette mesure qu'une +manoeuvre du parti anglais, et si malgré la bonne volonté du roi les +fonctionnaires hollandais continuaient à agir de la sorte, +l'empereur, _usant du droit de conquête_, sera contraint de faire +régir la Hollande par une administration française.» M. de Cadore ne +dit pas que les finances de la Hollande sont obérées par les +exigences de la France, par l'entretien des troupes françaises; que +l'empereur ne rembourse aucune avance et ruine les États dont il a +imposé la royauté à son malheureux frère. + +Aux plaintes injustes de l'empereur, le gouvernement batave répond: +qu'on a admis dans les hôpitaux autant de malades que ces +établissements en pouvaient contenir; qu'à Middelbourg on a établi +un nouvel hôpital; qu'à Flessingue, qu'à Walcheren on a fourni aux +troupes tous les objets nécessaires; que, vu l'obération des +finances, on n'avait pu créer de nouveaux établissements; que depuis +les plaintes du gouvernement impérial, le roi avait donné l'ordre de +fournir aux soldats et marins français malades tout ce dont ils +auraient besoin; que les hospices hollandais, dans cette saison, ne +pouvaient suffire aux malades nationaux. Bientôt le gouvernement +français adresse, par l'entremise de Dupont, de nouveaux reproches à +la Hollande. «Les facilités qu'on accorde au commerce anglais, écrit +M. de Cadore à l'ambassadeur, ont accru le mécontentement de +l'empereur, qui trouve cette condescendance honteuse au moment où +les Anglais brûlent les bâtiments hollandais à Batavia. Vous devez +insister pour que sans délai il soit mis un terme à cet état de +choses, et déclarer qu'au besoin l'empereur enverra 30,000 hommes en +Hollande pour en garder les côtes.» Il est permis de croire que +l'empereur en voulait venir là d'abord, puis à l'annexion. Le 24, +Dupont fit connaître la réponse des ministres à sa note. «Le conseil +déclarait que déjà il avait été répondu que les infractions aux lois +prohibitives de tout commerce avec l'Angleterre ne pouvaient être +attribuées qu'à un défaut de surveillance des employés, dont +plusieurs avaient été déjà incarcérés.» C'était donner un prétexte à +l'empereur pour faire exercer la surveillance par ses propres +agents. Cela ne devait pas tarder à avoir lieu. Le 6 octobre, Cadore +fait dire au ministre de Hollande que la frontière du côté de la +France étant un foyer de contrebande et donnant un débouché aux +marchandises anglaises, l'empereur prend des mesures sévères pour y +mettre fin. Le 16, il fait savoir à ce même ministre que l'empereur, +informé que des marchandises anglaises sont reçues par l'Elbe et le +Weser, a donné l'ordre de visiter tout bâtiment naviguant sur ces +fleuves, et veut que des mesures analogues soient prises en +Hollande. Le 26, Cadore apprend que le roi a rendu un décret +prohibant toute navigation le long des côtes depuis le Dollart +jusqu'au Weser, étant bien résolu à prendre toutes les mesures de +réciprocité avec la France. + + +ANNÉE 1808. + + + CADORE À DUPONT. + + Paris, 14 janvier. + + Monsieur, Sa Majesté l'empereur et roi vient d'apprendre avec autant + de mécontentement que de surprise, que l'on reçoit dans les ports de + Hollande des bâtiments suédois, chargés de marchandises que l'on + tente de faire passer en France, et que pour expliquer des procédés + aussi étranges on allègue une raison bien plus étrange encore, + savoir que la Hollande et la Suède ne sont point en guerre. Sa + Majesté n'a pu comprendre que des relations de paix continuées + jusqu'à présent entre la Hollande et la Suède, aient pu paraître une + chose si naturelle et si simple que vous ayez négligé d'en rendre + compte. Quand bien même l'alliance qui subsiste entre la France et + la Hollande, quand les liens plus étroits qui unissent les deux + états auraient pu permettre à la Hollande de considérer comme amie + une puissance ennemie de la France, le continent tout entier + n'est-il pas uni aujourd'hui dans un même voeu, dans un même + intérêt, dans une même cause? La Suède n'est-elle pas seule exceptée + de ce concert général? N'est-elle pas la seule alliée de + l'Angleterre? N'est-elle pas en cette qualité l'ennemie du + continent? Et la Hollande a-t-elle pu la regarder comme amie, sans + abandonner en quelque sorte la cause commune? L'intention de Sa + Majesté est que: dans les vingt-quatre heures qui suivront la + réception de cette lettre, la Hollande _déclare la guerre_ à la + Suède et traite les Suédois et leur commerce comme ennemis. Sa + Majesté vous charge d'en faire la demande dans les termes les plus + précis et d'insister sur une réponse immédiate et catégorique. Vous + voudrez bien m'informer sur le champ de cette réponse. + + P. S.--L'empereur, Monsieur, se rappelle que les troupes + hollandaises se sont battues à Stralsund contre les Suédois, et + n'admet point cet état de paix de la Hollande avec la Suède. Il vous + ordonne en conséquence de requérir l'arrestation des bâtiments + suédois qui sont dans les ports de Hollande et le séquestre des + marchandises qu'ils ont apportées. Son intention est aussi que les + Suédois soient arrêtés comme prisonniers de guerre et que les agents + de cette nation soient renvoyés. Dans le cas où la Hollande + refuserait de se mettre en guerre contre la Suède, l'empereur vous + ordonne de quitter La Haye. + + + CADORE À DUPONT. + + Paris, 16 janvier. + + Monsieur, le 4 décembre dernier, un convoi de cinq bâtiments + hollandais, escorté par trois chaloupes canonnières de Sa Majesté le + roi de Hollande, a mouillé à l'embouchure du Weser. Le 5 au matin, + le convoi ayant appareillé, il fut tiré de la batterie de Carlestadt + deux coups de canon à poudre pour indiquer que le convoi ne pouvait + la dépasser sans avoir arraisonné. Les canonnières assurèrent leur + pavillon, mais le convoi n'en continua pas moins sa route. Alors la + batterie tira à boulets et ce ne fut qu'au huitième coup que les + bâtiments mouillèrent. Au même instant quatre autres navires de la + même nation, qui entraient dans le fleuve escortés pareillement par + une canonnière, jetèrent l'ancre auprès du premier convoi. Le + capitaine de l'une des deux canonnières descendit à terre pour se + plaindre du procédé du commandant de la batterie. La réponse du + commandant fut qu'il n'agissait que conformément à ses instructions, + d'après lesquelles tout bâtiment, sans exception, devait être + assujetti à la visite. Le capitaine hollandais demanda cette + déclaration par écrit. On la lui donna et il retourna à bord après + avoir donné sa parole qu'il ne mettrait point à la voile sans avoir + rempli les formalités requises; mais dix minutes après il leva + l'ancre et se rendit à Brolke. On lui écrivit pour se plaindre de sa + conduite et pour réclamer les bâtiments qui étaient montés à la + faveur de son escorte en forçant le passage. Il répondit qu'il + n'avait fait que suivre très scrupuleusement les instructions qui + lui avaient été données d'après les ordres de Sa Majesté le roi de + Hollande. + + Le 6 du même mois, un autre convoi hollandais escorté par des + canonnières, descendit le Weser et mouilla à l'embouchure du fleuve. + Le mauvais temps empêcha d'aller à bord. Le 7 au matin, il + appareilla et partit malgré le feu de la batterie. Ces faits, dont + il a été rendu compte à Sa Majesté l'empereur, ont excité son + mécontentement. Elle vous charge d'en porter plainte au gouvernement + hollandais et de demander que les capitaines et officiers de la + marine marchande soient tenus de se conformer à toutes les + ordonnances de police maritime rendues dans les pays occupés par les + armées françaises. S'il en était autrement, Sa Majesté se verrait + dans la nécessité de faire punir les personnes qui chercheraient à + enfreindre ses ordres. + + Vous voudrez bien me faire connaître, Monsieur, l'effet que + produiront les représentations que vous êtes chargé d'adresser à cet + égard au gouvernement près duquel vous êtes accrédité. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 25 janvier. + + Je m'empresse, par suite des ordres de ma cour, de répondre à la + note que V. Excellence a adressée à mon prédécesseur M. le ministre + Brantven, en date du 5 janvier dernier, et par laquelle elle l'a + honoré de la communication des mesures que Sa Majesté l'empereur et + roi avait prescrites dans son décret du 19 décembre concernant le + blocus de l'Angleterre et des îles de la Grande-Bretagne. + + Déjà, avant la réception de cette note, le ministre de France + résidant à La Haye avait officiellement communiqué les dispositions + dudit décret, et Sa Majesté s'était aussitôt déterminée à adopter de + pareilles mesures. Elle chargea, par un ordre de cabinet du 8 de ce + mois, son ministre des finances de considérer comme propriété + anglaise et de déclarer par cela même de bonne prise tout vaisseau + ou bâtiment quelconque _sans exception_, qui, après avoir été visité + par des bâtiments de guerre anglais, ou avoir été dans un port + anglais, ou avoir payé le moindre droit au gouvernement anglais, + serait pris par des vaisseaux de guerre ou des corsaires + hollandais, et le même ordre rendit le ministre des finances + responsable de la stricte exécution de cette mesure. + + Ces dispositions convaincront V. Excellence combien le roi est + pénétré de la nécessité de s'opposer avec la plus grande énergie aux + vexations toujours croissantes des ministres britanniques, et + combien il désire de seconder de toutes ses forces les mesures que + son très auguste frère l'empereur croit devoir prendre pour les + combattre. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 30 janvier. + + Par suite des ordres que je viens de recevoir de ma cour, je + m'empresse de communiquer à V. Excellence les nouvelles mesures que + le roi a ordonnées pour empêcher toute relation entre son pays et la + Suède. + + Elles sont contenues dans le décret du roi, en date du 18 de ce + mois, dont ci-joint la copie. + + En priant V. Excellence de porter ces dispositions sous les yeux de + l'empereur et roi, j'ose me flatter que Sa Majesté y verra une + nouvelle preuve que le roi mon maître est plus que jamais disposé à + traiter en ennemis tous les états qui seraient en guerre avec la + France, et à concourir de tous ses moyens au succès des vastes + projets que son auguste frère médite pour les forcer à accepter à la + fin des conditions de paix compatibles avec la sûreté et l'honneur + des puissances de l'Europe. + + Décret du roi de Hollande daté d'Utrecht, 18 janvier. + + Louis Napoléon, par la grâce de Dieu et la constitution du royaume, + roi de Hollande, connétable de France. + + Sur les informations que les mesures ordonnées pour le blocus des + Îles Britanniques ne seraient pas suivies avec la même rigueur par + rapport à quelques bâtiments suédois, et considérant que la guerre + existe entre ce pays et la Suède comme avec l'Angleterre; + + Nous avons décrété et décrétons ce qui suit: + + Article 1er. + + Tout bâtiment suédois qui pourrait s'être introduit dans les ports + du royaume sera sequestré immédiatement, de même que toute + marchandise appartenant à cette nation. + + Article 2. + + Tout Suédois qui aurait rempli précédemment des fonctions + diplomatiques ou d'agent commercial, et qui pourrait se trouver + encore dans ce royaume, sera tenu d'en sortir immédiatement après + la publication du présent décret. + + Article 3. + + Tous les Suédois qui pourraient se trouver dans les ports ou + quelques autres endroits du royaume, seront arrêtés immédiatement et + traités comme prisonniers de guerre. + + Article 4. + + Les mesures actuellement en vigueur pour le blocus des Îles + Britanniques seront également et sans exception applicables à la + Suède. + + Article 5. + + Nos ministres des finances et de la justice et police sont chargés + de l'exécution du présent décret qui sera publié partout où besoin + sera. + + Donné à Utrecht le 18 janvier de l'an 1808, de notre règne le + troisième. + + LOUIS. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 2 février. + + Je suis expressément chargé de communiquer officiellement le décret + ci-joint à V. Excellence et de l'inviter à vouloir bien en donner + immédiatement connaissance à Sa Majesté impériale et royale. Sa + Majesté le roi de Hollande se flatte que son auguste frère verra + dans les dispositions de ce décret une éclatante preuve de son + invariable volonté de concourir de tous ses moyens aux mesures qui + peuvent hâter le moment si désiré de la paix, et un touchant + témoignage de son amour pour sa personne, de sa confiance absolue + dans sa haute sagesse. Je ne m'attacherai point à faire valoir + l'étendue des nouveaux sacrifices que ce rigoureux décret impose à + mon pays. On sent facilement qu'il entraînerait sa ruine totale si + la guerre était prolongée. Dans des circonstances aussi impérieuses, + Sa Majesté, irrévocablement déterminée à rendre impossible toute + communication de ses sujets avec l'ennemi, vient de prohiber le + commerce que les habitants de la Zélande faisaient sur les côtes + anglaises, quoique par sa nature ce commerce, tout à l'avantage de + la Hollande, fût extrêmement nuisible à l'Angleterre. Sa Majesté a + voulu que son peuple renonçât à des bénéfices qui ne pouvaient se + concilier avec le système actuel de la guerre. Il n'échappera pas + sans doute à V. Excellence que les mesures adoptées ne laissent aux + Anglais aucun moyen possible de communiquer avec la Hollande, + puisque le roi a également ordonné de séquestrer même les navires + qui, quoique non visités, auraient abordé dans un port britannique. + + Sa Majesté a cru que la nation, pour qui la paix devenait le + premier, le plus pressant des besoins, devait l'acheter par les + plus rigoureux sacrifices, bien convaincue que le génie de son + illustre frère y mettra bientôt un terme, et que sa justice et sa + générosité sauront honorablement dédommager la Hollande de ses + privations et de ses pertes. + + + DUPONT À CADORE. + + La Haye, 8 février. + + Les travaux se poursuivent à Amsterdam pour la réception du roi. + L'occupation de l'hôtel de ville, où se trouvent la banque et tous + les grands dépôts, a étonné d'abord et fait baisser les fonds, parce + que le moment a été mal choisi. Mais on peut attendre pour l'avenir + d'heureux résultats, s'il résiste aux difficultés que lui attire le + passage du gouvernement par Utrecht, et la contrariété dans les + habitudes, si puissantes dans ce pays. + + La sévérité du blocus a éprouvé de légères atteintes; des bâtiments + chargés de poisson salé se sont présentés à Amsterdam et y ont été + refusés. Ils sont entrés à Anvers où ils ont vendu leur cargaison + parce qu'ils étaient en règle; mais des Américains chargés de + marchandises ou peut-être de denrées coloniales et appartenant à des + Hollandais, ont ému la sensibilité du gouvernement et obtenu + l'entrée des ports. Vraisemblablement ils n'étaient pas chargés de + marchandises prohibées. Aussi ne cité-je ces faits que pour répondre + à l'observation officielle qui m'a été faite par Son Excellence le + ministre des affaires étrangères, que son gouvernement avait été au + delà des mesures prises par la France, en fermant ses ports à toute + espèce de navires. + + + DUPONT À CADORE. + + La Haye, 13 février. + + J'ai l'honneur de vous écrire par un retour de courrier qui m'a été + dépêché par S. Excellence le vice-amiral Decros, avec une lettre de + l'empereur pour Sa Majesté le roi de Hollande. + + Le gouvernement hollandais s'est depuis quelques jours + ostensiblement relâché de la sévérité du décret du 23 janvier, en + ordonnant aux commandants militaires de ne plus repousser les + bâtiments qui se présenteraient dans les rades et les ports; d'y + placer des sauvegardes et d'attendre des ordres. + + Il y a encore de l'humeur et du mécontentement à Amsterdam. On + l'attribue à la transformation de la maison de ville en palais + royal; mais la stagnation des affaires et un peu de misère dans la + classe des ouvriers en est peut-être la véritable cause. Toujours + faut-il convenir que le roi n'est aidé ni servi par personne dans + son projet de changer sa résidence. Ce qui fait naître des + difficultés sans nombre et propage les murmures de la multitude. La + demande que vient de faire l'empereur arrive à propos pour occuper + les oisifs et imprimer un mouvement utile dans les ports. J'avais, + dans mes conversations non officielles, l'année dernière, observé + aux ministres du roi que l'on négligeait bien la marine, et surtout + à l'époque du dernier licenciement des marins: on objectait la + pénurie des finances. Aujourd'hui que les matelots ont été dispersés + par la misère, et qu'il y en a beaucoup d'enlevés par l'Angleterre, + il serait difficile de compléter les équipages, s'il est nécessaire + d'armer un certain nombre de vaisseaux. + + +Ici doivent prendre place deux longues lettres de l'amiral Werhuell +et dont nous allons donner la substance. Dans la première, l'amiral, +au nom du roi, demande que l'artillerie de la ville de Flessingue +soit rendue à la Hollande, puisque la ville a été cédée à la France +le 6 février. L'empereur s'y oppose et fait dire qu'il comptera avec +la Hollande. + +Dans la seconde lettre, le roi fait rappeler à l'empereur +l'engagement du gouvernement français de rembourser à la Hollande le +prix des frais d'équipement des recrues hollandaises appelées à +faire partie de la grande armée. L'empereur se borne à répondre que +ce déboursé doit rester à la charge de la Hollande (singulier +exemple de bonne foi!). + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD[148]. + + [Note 148: M. de la Rochefoucauld venait d'être nommé + ministre plénipotentiaire en Hollande en remplacement du + général Dupont-Chaumont, des services duquel l'empereur + n'était pas satisfait, le trouvant trop dans les eaux de son + frère. M. de la Rochefoucauld arriva à son poste le 19 + avril.] + + Paris, 16 mars. + + J'ai l'honneur de vous faire part d'une décision de Sa Majesté + impériale relativement aux Français qui se trouvent actuellement au + service de S. M. le roi de Hollande. + + Tous les sujets de S. M. impériale actuellement au service de S. M. + le roi de Hollande et qui auront prêté serment comme sujets du roi, + cesseront d'être considérés comme Français, et pourront demeurer au + service du roi en se munissant d'une autorisation spéciale de S. M. + l'empereur. + + Vous voudrez bien informer de cette décision le gouvernement près + duquel vous êtes accrédité. + + + SERRURIER[149] À CADORE. + + [Note 149: M. Serrurier faisait pour la seconde fois + l'intérim, en l'absence de l'ambassadeur Chaumont parti pour + Paris.] + + La Haye, 17 mars. + + Ce serait peut-être ici la place de tracer à V. Excellence un + tableau succinct de l'état où je retrouve les affaires au moment de + mon retour en Hollande; mais l'ambassadeur, que j'apprends être + arrivé à deux ou trois journées de La Haye, remplira à cet égard les + vues de V. Excellence beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Je me + bornerai à lui annoncer que le roi est fort occupé en ce moment des + moyens de remplir les vues de son auguste frère relativement à la + marine. M. Roëll, dans une assez longue conversation où le hasard + nous engagea hier, s'exprima à cet égard de la façon la plus + satisfaisante. Il paraît que le roi veut pousser ses préparatifs + dans le silence, et réserve une surprise générale à l'empereur. Je + trahis un peu Sa Majesté et M. Roëll, par cet avis, mais c'est mon + métier et l'on devra me le pardonner. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 21 mars. + + Depuis quelque temps le commerce que la Hollande fait par les + rivières le Weser et l'Elbe avec le nord de l'Allemagne et les pays + avoisinants, éprouve de fortes entraves de la part des douaniers + français établis à l'embouchure de ces rivières et sur les côtes. + + Ces douaniers empêchent le passage des productions des fabriques + hollandaises en se fondant sur les dispositions de l'article 2 du + décret impérial du 2 août dernier, qui assimile aux marchandises + anglaises toute marchandise quelconque de la nature de celles que + l'Angleterre peut produire ou fournir, à moins qu'elles ne viennent + de la France. Comme c'est presque l'unique commerce que la Hollande + a conservé depuis que ses ports sont entièrement fermés, le roi, mon + maître, m'a chargé de porter cet objet à la connaissance de V. + Excellence, en la priant de le mettre sous les yeux de S. M. + impériale. + + Le roi se plaît à croire que son très auguste frère daignera + ordonner que les dispositions du décret susdit, évidemment rendu + dans l'intention de nuire à l'ennemi commun, ne soient pas + applicables aux marchandises hollandaises; mais que celles-ci + puissent entrer sans obstacle, toutesfois qu'elles seront duement + munies de certificats d'origine, délivrés par les magistrats des + lieux où elles auront été fabriquées, ou d'où elles auront été + expédiées, ou moyennant telles autres mesures de précaution que S. + M. impériale jugera convenable d'admettre. + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD. + + Paris, 31 mars. + + Sa Majesté l'empereur et roi est informée qu'il est arrivé à + Amsterdam deux bâtiments américains chargés de denrées coloniales et + venant d'Angleterre. Sa Majesté est pareillement informée que cent + cinquante autres bâtiments américains sont maintenant en chargement + à Londres où ils prennent aussi des denrées coloniales dans le + dessein de les transporter en Hollande. En conséquence, Sa Majesté + vous charge, M. l'ambassadeur, de redoubler d'attention et de + vigilance, de prendre toutes les précautions et de faire toutes les + démarches nécessaires, pour que des bâtiments américains ainsi + chargés de contrebande, ne pénètrent point en Hollande, ou n'y + pénètrent pas du moins impunément. Vous devez partir de ce principe + que tout bâtiment américain chargé de denrées coloniales est + suspect, ces dernières ne pouvant pas être apportées des États-Unis, + puisqu'il existe un embargo général et qu'aucun bâtiment n'en peut + sortir. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 13 mai. + + Avant-hier soir, il y eut cercle à la cour, et dans une longue + conversation que j'eus avec le ministre des affaires étrangères, je + lui observai que c'était à regret que je ne voyais pas ici dans la + direction générale des affaires l'esprit que je désirais y trouver, + que ce n'était pas assez pour la Hollande de prendre les mesures qui + lui étaient demandées pour l'intérêt commun, mais qu'il fallait les + faire exécuter avec le zèle qui en assurait le succès. Je lui citai + plusieurs preuves de mon assertion, en lui démontrant l'inconvenance + et appuyant sur le mal que la Hollande se ferait, si les choses ne + changeaient pas entièrement de face. Le ministre me parut abonder + dans mon sens et m'a parlé comme regardant le sort de la Hollande + dans les mains de l'empereur, et comme n'attendant que de lui le + bonheur de sa patrie. J'ignore si M. Roëll rendit compte au roi de + notre conversation, mais hier Sa Majesté me fit prier de venir lui + parler. + + Je me rendis au palais à quatre heures, et restai avec S. M. jusqu'à + six heures. Le roi m'engagea de lui parler franchement sur tout ce + que je voyais, en me priant même de ne rien lui cacher. J'eus donc + l'honneur de lui répéter tout ce que j'avais dit la veille au + ministre. J'allai même plus loin, en communiquant au roi des faits + dont j'avais trouvé plus convenable de ne pas parler à M. Roëll. + J'observai à S. Majesté que l'attachement qu'on lui portait pouvait + beaucoup lui servir pour diriger l'opinion publique; que lorsqu'on + verrait que sa conduite est véritablement française, et qu'il est + mécontent de celui qui n'en a pas une prononcée dans le même sens, + alors en peu de temps le gouvernement prendrait la même direction; + qu'il ne m'appartenait pas de me mêler du choix de ses agents, que + je ne devais connaître que le résultat de leurs travaux; mais + qu'avec les moyens personnels qu'il avait, il me paraissait + impossible que Sa Majesté ne distinguât pas, quand elle le voudrait, + celui qui la sert dans l'une ou l'autre ligne. + + Le roi eut la bonté de me traiter avec toute sorte d'indulgence en + me promettant de lui parler aussi franchement; il se plaignit de sa + position, des peines qu'il était obligé de se donner pour arriver + malheureusement à de bien petits résultats. Il me répéta combien le + peuple qu'il gouvernait était à plaindre, et en même temps combien + il était difficile de le diriger, puisque n'étant pas susceptible + d'enthousiasme, les chiffres devenaient la seule base de leur + opinion. Cependant, le roi me demanda ce qu'il devait faire. Il me + répéta que son désir était de deviner, s'il était possible, les + désirs de l'empereur, et il m'autorisa non-seulement à le prévenir + de ce qui pourrait se faire de répréhensible, mais même encore me + promit de faire généralement tout ce que je pourrais croire utile + aux vues de l'empereur. C'est maintenant à votre Excellence de me + faire connaître les ordres de S. M. impériale et royale. Je ne puis + douter de la vérité des intentions que le roi m'a manifestées; mais + il dépend de l'empereur d'en acquérir la certitude. Je tous promets + de porter dans ma mission l'oeil le plus vigilant, et de tout faire + pour opérer ici un changement de système. J'aime à me flatter + qu'aidé du roi, j'y parviendrai. V. Excellence sait ce qu'il y a à + faire. Moi je n'envisage que le plaisir, en faisant mon devoir, + d'être utile à l'empereur. Je suis en mesure d'exécuter ses ordres, + soit qu'ils portent sur les choses ou les personnes. J'attends donc + avec impatience la réponse de V. Excellence. Je ne puis finir ma + dépêche sans vous répéter à quel point j'ai été content de ce que le + roi m'a fait l'honneur de me dire. + + + ROËLL À LAROCHEFOUCAULD. + + Amsterdam, 19 mai. + + J'ai mis sous les yeux du roi mon maître la lettre que V. Excellence + m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui au sujet de quelques + vaisseaux nouvellement entrés dans les ports de ce royaume malgré + les lois prohibitives à cet égard. + + Sa Majesté n'a pu voir qu'avec peine se renouveler une plainte + qu'elle se flattait d'avoir entièrement écartée par les dispositions + prises relativement à la fermeture des ports. Cependant, n'ayant + point de raisons suffisantes pour révoquer en doute la véracité des + informations parvenues à V. Excellence au sujet des bâtiments + susdits, elle s'est empressée d'expédier aussitôt un courrier + extraordinaire pour se faire rendre un compte exact sur cette + affaire, et, sans attendre le résultat des recherches, elle a décidé + que non-seulement les bâtiments indiqués par V. Excellence devront + se remettre en mer sans aucun délai, mais aussi que la clôture des + ports, précédemment décrétée, sera maintenue avec la plus grande + rigueur, et l'entrée défendue à tout bâtiment marchand, quels que + soient son pavillon et sa cargaison, et sans avoir égard à d'autres + considérations quelconques, si ce n'est celle du gros temps, à + l'exception cependant d'un seul, parti d'ici depuis dix-huit mois + pour Canton, avec la promesse positive de S. Majesté de ne trouver + aucun empêchement pour la rentrée dans nos ports, et au sujet duquel + elle se propose d'entretenir verbalement V. Excellence, en vous + faisant part de cette détermination du roi, par laquelle il se + flatte d'avoir détruit jusqu'à la' possibilité de tout abus + ultérieur. Je suis chargé particulièrement de vous communiquer en + même temps que si, d'un côté, S. Majesté n'a pu voir qu'à regret une + plainte quelconque faite de la part de son auguste frère, elle a su, + d'un autre côté, apprécier la nouvelle preuve de franchise et de + loyauté que V. Excellence vient de donner dans la manière dont elle + a dirigé la démarche à laquelle les informations reçues l'ont + obligée. + + S. Majesté est si éloignée de se plaindre de la démarche même + qu'elle désire au contraire, que si, contre son gré, il y avait + encore à l'avenir quelque chose qui puisse être désagréable à son + auguste frère, et qu'il soit en son pouvoir de prévenir ou de faire + cesser, V. Excellence veuille, sans délai et sans réserve, faire + parvenir par mon organe ses informations à cet égard à la + connaissance de S. Majesté, laquelle, tout pénible que soit dans ce + moment pour ses sujets l'état où son royaume se trouve, est trop + convaincue que les sacrifices actuels sont le seul moyen de voir + renaître les avantages d'une paix prompte et durable, pour ne pas + persévérer avec une constance inébranlable dans toutes les mesures + dont ils sont la conséquence. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 23 mai. + + Le roi m'entretint l'autre jour de la décision de S. M. impériale et + royale sur les Français qui étaient à son service. Il me dit qu'il + ne voulait parler à aucun de cet objet, qu'il lui suffirait de leur + avoir fait écrire une lettre pour connaître le parti qu'ils + voulaient prendre. Sa Majesté me parut très froide, ayant même peu + d'intérêt pour eux. Les Français sont de leur côté mécontents; + plusieurs m'en ont parlé dans des ternies très convenables; et + maintenant qu'il s'agit de prendre un parti définitif, presque tous + ne voudraient pas perdre leur véritable patrie pour en adopter une + nouvelle. La gloire et l'attachement pour l'empereur les appellent; + la reconnaissance et le devoir les retiennent. Ils craignent d'être + mal vus de l'empereur s'ils quittent le service de la Hollande, et + cependant plusieurs ne peuvent se décider à signer qu'ils consentent + à n'être plus Français. Ce qui me paraît certain, c'est que + plusieurs de ces messieurs ont cru obéir à S. M. impériale et royale + en venant ici et n'ont jamais imaginé s'éloigner entièrement de la + France. V. Excellence conçoit bien que je n'ai rien répondu de + positif et que je me suis borné à leur dire qu'il m'était impossible + de les conseiller dans une circonstance aussi délicate. Les + Hollandais, jaloux des Français, cherchent à leur donner + continuellement des désagréments et ceux-ci ne sont pas soutenus par + le roi. Dans cette position je voudrais connaître le désir de + l'empereur afin de leur faire prendre la ligne qu'il ordonnera. Le + général Demarçay, qui commandait l'artillerie, vient encore de + quitter le service de la Hollande, n'y pouvant plus tenir. + + Ayant une occasion sûre pour faire passer cette dépêche en France, + j'en profite pour parler à V. Excellence de la contrebande qui se + fait en Zélande. Il paraît que l'île de Walcheren est principalement + le point sur lequel se dirigent les contrebandiers. À mon passage à + Anvers, on m'en parla déjà, et l'on ne me cacha point que par + l'Escaut il s'introduisait beaucoup de marchandises anglaises, mais + que l'on accusait davantage les autorités hollandaises qui + paraissaient se prêter à ce commerce illicite. Depuis que je suis en + Hollande, les principaux agents du gouvernement avouent la + difficulté et presque l'impossibilité d'empêcher entièrement ce + genre de commerce en Zélande, mais aussi les mêmes agents prétendent + que les douaniers et même les autorités françaises favorisent ceux + qui leur font partager les bénéfices de ce commerce. Le résultat me + paraît être une impossibilité reconnue de guérir ce mal. Ne + serait-il pas possible qu'en coupant le noeud de la difficulté + l'empereur y remédiât en réunissant l'île de Walcheren à la France, + et Sa Majesté ne pourrait-elle pas porter cette réunion jusqu'à la + Meuse? Alors la frontière deviendrait telle qu'il serait facile de + la garder, et le Brabant hollandais, habité par des catholiques, se + trouverait heureux d'être réuni à l'empire français. Votre + Excellence sait, à quel point l'intolérance est portée dans ce pays: + ce qui ne paraît point devoir diminuer, le roi venant de placer + l'ex-ministre de l'intérieur, M. Mollerus, à la tête des cultes. + Cette intolérance fera donc toujours Français tous les catholiques + hollandais. Quant à une indemnité à donner à la Hollande, l'empereur + peut à cet égard être aussi généreux qu'il lui conviendra. Je + soumets ces observations à V. Excellence comme le moyen que je + croirais le plus sûr d'aplanir les difficultés qui surviennent tous + les jours et qui tiennent à la position de la frontière. + + Au sujet de la contrebande, le roi vient dans l'instant de m'envoyer + un secrétaire du cabinet pour me communiquer une liste que S. M. + impériale et royale lui a envoyée d'une certaine quantité de maisons + ou d'individus hollandais accusés de faire la contrebande. S. + Majesté y a fait joindre la réponse du ministre des finances avec + copie de l'interrogation que l'on a fait subir aux prévenus. Il en + résulte qu'un d'eux est mort depuis un an, deux autres sont aux + galères depuis quatre ans et tous les autres sont innocents. Quant à + cette dernière partie, je ne puis m'empêcher d'observer à V. + Excellence que l'interrogatoire peut être très exact, mais qu'il est + fait de manière à ne trouver aucun coupable, puisque tous ces + individus ont été appelés et que l'on s'est contenté de leur + demander ce qu'ils avaient fait, et d'envoyer ensuite leur réponse. + Il est cependant possible que d'autres recherches aient été faites; + c'est ce que je tâcherai d'apprendre. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 9 juin. + + D'après ce que j'apprends par MM. les consuls, il y a encore une + communication avec l'Angleterre, mais elle paraît peu considérable + et vient des petits ports qui ne sont pas surveillés. C'est + principalement par la Zélande que l'on suppose que les passagers + peuvent s'embarquer pour l'Angleterre et s'introduire en Hollande. + Il est certain que le comte de Bentinck a été arrêté au moment où il + s'embarquait à Cathvyck, et qu'il n'a été relâché que sur + l'exhibition d'un ordre du roi; il a fait un voyage en Angleterre et + en est revenu il y a deux jours. On dit qu'il était envoyé pour + faire un arrangement qui permît à une certaine quantité de bateaux + hollandais de pêcher le hareng. J'en ai parlé à M. Roëll qui m'a + assuré n'en être pas instruit. Ce M. de Bentinck doit, dit-on, être + grand écuyer. + + Le ministre des affaires étrangères a envoyé hier et avant-hier la + circulaire à tous les Français au service de la Hollande, pour + connaître le parti décisif qu'ils voulaient prendre. Cette liste est + d'environ 500 personnes dont il paraît que la plus grande partie + réclamera les bontés de l'empereur pour rentrer au service du roi, + sans perdre leur qualité de Français. L'autorisation donnée par S. + Majesté pour la sortie des beurres et fromages n'a pas atteint son + but. Aucun négociant n'a voulu donner la caution exigée. J'ai + appris, de mon côté, aux maisons qui se sont adressées à moi que + j'ignorais absolument les motifs qui avaient décidé le roi à prendre + cette mesure. Il me semble que, par son effet, elle doit être + regardée comme nulle. + + + CADORE À BERTHIER. + + Bayonne, 22 juin. + + S. M. impériale voulant donner au commerce de la Hollande toutes les + facilités compatibles avec l'exécution des grandes mesures adoptées + contre l'Angleterre, a consenti à autoriser le commerce de cabotage + sur les côtes de l'Allemagne septentrionale depuis l'embouchure de + l'Ems jusqu'au canal de Holstein. Les bâtiments destinés à ce + commerce suivront la côte, escortés par des chaloupes canonnières de + la marine hollandaise. Ils ne pourront transporter aucune espèce de + denrées coloniales, bien moins encore des marchandises anglaises. + + Cette navigation a pour objet d'établir par le canal de Holstein une + communication avec la Baltique, d'où la Hollande pourra tirer des + bois de construction, des chanvres et autres approvisionnements + nécessaires à sa marine. + + V. A. S. jugera sans doute convenable d'instruire les généraux + français commandant dans le nord de l'Allemagne des intentions de S. + M. pour qu'ils ne mettent point d'obstacle à une navigation + autorisée par elle. + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD. + + Paris, 9 juillet. + + Monsieur l'ambassadeur, j'ai reçu vos deux dépêches numérotées 13 et + 14. Il m'en est parvenu d'autres qui sont encore dans le + portefeuille de S. Majesté et auxquelles je répondrai plus tard. + + Je dois aujourd'hui vous recommander, d'après les ordres de + l'empereur, de ne point perdre de vue les instructions qui vous ont + été données et de veiller avec un soin constant à l'exécution des + mesures du blocus. Vous ne cesserez de faire sentir au gouvernement + hollandais, au roi même, quand vous en trouverez l'occasion, combien + il importe de ne laisser à l'Angleterre aucun débouché pour ses + marchandises sur le continent. Il faut attaquer son commerce, + puisque son commerce est la source de ses revenus, puisque c'est là + qu'elle puise les moyens de prolonger la guerre. Toutes les + puissances de l'Europe se sont réunies dans le même but, et le + succès des mesures qu'elles ont prises ne peut être douteux, si + partout on les fait exécuter avec persévérance et sévérité. + + S. M. impériale a été informée que des smoggleurs, sortant + journellement des ports de la Hollande, entretiennent des + communications avec les Anglais qu'ils instruisent de tout ce qui se + passe à Flessingue et dans l'Escaut. Vous appellerez l'attention du + gouvernement hollandais sur ces manoeuvres qui peuvent avoir des + conséquences dangereuses et qu'il importe de prévenir. Les + smoggleurs qui communiquent avec les Anglais doivent être considérés + et traités comme espions. + + Il est un autre objet que S. Majesté recommande à vos soins, c'est + de faire en sorte que les Français de l'âge de la conscription qui + cherchent à se réfugier en Hollande ne puissent y être admis, et que + ceux qui y seront trouvés soient immédiatement anotés et remis aux + autorités françaises. Vous voudrez bien m'instruire du résultat des + démarches que vous aurez faites dans le terme des directions que je + suis chargé de vous transmettre. + + + CADORE À WERHUELL. + + Bayonne, 12 juillet. + + Lorsque S. Majesté, usant d'un juste droit de représailles, eut + déclaré les îles Britanniques et leurs colonies en état de blocus, + la presque totalité des puissances du continent, également blessées + par les prétentions exagérées de l'Angleterre, se réunirent + successivement à S. Majesté et résolurent, d'un commun accord, de + suspendre toute communication entre leurs États et les îles + Britanniques. Votre gouvernement adopta le premier les mesures qui + avaient été prises par l'empereur. + + Aujourd'hui l'Angleterre ne compte plus qu'une puissance amie sur le + continent. Tous les ports de l'Europe, à l'exception des ports de + Suède, sont fermés à son commerce. Les États-Unis d'Amérique ont + renoncé à toute communication commerciale avec elle, et il ne lui + reste plus de débouchés pour ses marchandises, de moyens + d'approvisionnement pour sa marine que dans ses propres colonies et + dans le Brésil, qui ne lui offre que de bien faibles ressources. + Plus son commerce est gêné, plus elle met d'activité, de soin et + d'adresse pour verser sur le continent, par le moyen de la + contrebande, ses marchandises et les denrées coloniales dont ses + magasins sont encombrés. Simulation de pavillon, papiers faux, + certificats d'origine publiquement contrefaits, tout est employé; + et, sans une surveillance active et continuelle de la part de toutes + les puissances du continent, les grandes mesures qu'elles ont + adoptées n'étant qu'imparfaitement exécutées n'obtiendront point + tout l'effet qu'on devait en attendre. Il ne suffit pas de fermer + tout débouché au commerce de l'Angleterre, et puisqu'elle est + séparée des autres puissances du continent en refusant de + reconnaître les principes du droit maritime qui les régit, il faut + maintenir l'interdiction qu'elle a prononcée elle-même, et que le + continent rompe toute communication avec elle. S. Majesté, en me + chargeant d'appeler l'attention de votre gouvernement sur ces deux + objets, se persuade que le roi son frère se fera un plaisir de + seconder ses vues et prendre les mesures les plus propres à déjouer + les tentatives de la contrebande, et à empêcher toute communication + quelconque entre ses sujets et les Anglais. + + Je prie V. Excellence de vouloir bien porter à la connaissance de sa + cour les communications que j'ai l'honneur de lui adresser + aujourd'hui. + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD. + + Bayonne, 19 juillet. + + Dans une de vos dernières dépêches, vous avez énoncé une idée qui a + fixé l'attention de S. Majesté. Vous parliez de la difficulté de + prévenir le versement des marchandises de contrebande de Hollande en + France, difficulté qui tenait principalement à la nature des + frontières actuelles entre les deux États, et qui ne cesserait que + lorsque la frontière de l'Europe française aurait été portée jusqu'à + la Meuse. Sa Majesté n'a point méconnu la justesse de vos + observations, et elle entrevoit volontiers un arrangement avec le + roi son frère pour parvenir à une rectification de frontières qui + faciliterait l'action des douanes et aurait le grand avantage de + donner à la France une ligne non interrompue de limites naturelles. + Il est loin des idées de S. M. de demander des cessions gratuites à + la Hollande; elle ne veut même faire aucune proposition d'échange + avant de savoir si elle pourrait convenir au roi. + + Je vous invite en conséquence, Monsieur l'ambassadeur, à vouloir + bien sonder l'opinion du gouvernement hollandais à cet égard, vous + vous attacherez surtout à connaître quelles indemnités la Hollande + désirerait, dans la supposition où elle nous céderait soit les + territoires à la gauche de la Meuse, soit même tout ce qui est à la + gauche du Vaal. Le plus important pour la France est d'obtenir une + frontière fixe et bien définie, ce qu'elle trouve dans la Meuse et + encore plus dans le Vaal, soit que la Zélande fasse ou ne fasse + point partie de la cession. + + La Hollande peut trouver une compensation dans les pays d'Allemagne + qui sont encore à la disposition de Sa Majesté. Le grand-duc de Berg + est dans cette classe. Les souverains des petits États qui touchent + à la Hollande pourraient, au moyen d'arrangements particuliers, être + transportés ailleurs. Je ne vous en dis point davantage, Monsieur + l'ambassadeur, j'attends que vous m'ayez fait connaître les + dispositions dans lesquelles vous aurez trouvé le ministère + hollandais. Votre premier soin doit être de découvrir ses vues, de + savoir ce qui peut être à sa convenance, et, lorsque vous m'en aurez + instruit, j'aurai l'honneur de prendre et de vous faire connaître + les intentions de Sa Majesté; mais ne faites aucune proposition + directe. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 20 juillet. + + Les circonstances actuelles de l'Europe et les liens étroits qui + unissent la Hollande à la France, joints à la haute bienveillance + dont Sa Majesté l'empereur honore son auguste frère le roi, mon + maître, ont naturellement fait naître dans le coeur de tout bon + Hollandais le désir de voir son pays partager les nouveaux liens qui + rapprochent d'autres États encore plus intimement de la France. + Lorsque la Hollande confia ses destinées au monarque chéri qui la + gouverne, elle voulut, en croyant assurer par là son intégrité, son + indépendance et son bonheur, prouver à la fois d'une manière + éclatante sa vive affection pour la France et son profond respect + pour le plus magnanime des monarques de l'univers. Constamment + animée de ces sentiments et fortement pénétrée de tout ce qu'elle + doit à l'alliance sacrée qui l'unit au peuple français, la Hollande + serait flattée d'en resserrer encore les liens, et l'on se persuade + d'atteindre ce but, si S. M. impériale et royale daignait regarder + comme un nouvel hommage de dévouement à son auguste personne le + désir de voir le royaume de la Hollande admis dans la confédération + du Rhin. + + Le poste éminent et honorable que Votre Excellence occupe auprès de + Sa Majesté la met plus que personne à même de savoir si l'expression + officielle de ce voeu de mon souverain ne déplairait point à + l'empereur. J'attacherais beaucoup de prix à être instruit par Votre + Excellence des intentions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi + à cet égard, et je m'estimerais très heureux si j'avais l'honneur + d'être choisi par mon souverain pour être auprès du magnanime + protecteur de la Confédération rhénane l'organe d'une demande + inspirée par le respect, la reconnaissance et un amour sans bornes. + + Me reposant sur la noblesse de caractère qui illustre Votre + Excellence et qui m'a inspiré depuis longtemps une confiance + illimitée, j'ose la prier de regarder ma demande comme n'ayant pas + été faite, si elle croit qu'elle ne serait pas agréable à S. M. + l'empereur. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 8 août. + + J'ai pu enfin m'acquitter jeudi dernier des ordres de l'empereur. Je + suis parvenu, après bien de vaines tentatives, à rejoindre M. Roëll + qui était au Loo depuis huit jours. J'ai parlé au ministre de l'idée + d'échanger le Brabant jusqu'à la rive gauche de la Meuse, et plus + encore du Vaal, contre des pays en Allemagne qui restaient à la + disposition de S. M. impériale et royale, en y comprenant le + grand-duché de Berg. J'ai fait sentir au ministre combien le système + des douanes souffrait de la mauvaise frontière qui existait + maintenant entre la Hollande et la France, combien nos agents + avaient rejeté souvent sur les autorités hollandaises les atteintes + portées aux lois françaises, et combien les deux gouvernements + avaient d'exemples du résultat désagréable de ce genre de + discussion; que l'empereur, en se donnant de ce côté une frontière + naturelle, ne voulait rien faire qui fût contre les intérêts du + royaume de Hollande; que c'était dans cette idée que Sa Majesté ne + fixait pas un échange, mais désirait avant tout savoir ce que le roi + de Hollande jugerait équivaloir à la partie de son royaume qu'il + devait céder. M. Roëll commença par me dire qu'il lui était + impossible de répondre à une proposition aussi inattendue, que le + roi pouvait seul donner une décision dans cette circonstance. Il me + laissa cependant entendre qu'il était personnellement contre cette + idée, et son opinion me parut basée sur cinq points principaux: + + Le 1er était la difficulté ou presque l'impossibilité de s'entendre + sur les travaux de mer indispensables dans les îles pour garantir le + midi de la province de Hollande, travaux sur lesquels les ingénieurs + d'un même gouvernement avaient déjà bien de la peine à être du même + avis, et sans lesquels la Hollande courrait les plus grands dangers. + + 2º Le ministre regarde le cours des rivières comme la seule richesse + de ce pays, et par conséquent le tharvlweg du Vaal comme ruineux + pour la Hollande. + + 3º Il estime le revenu du Brabant à cinq millions de florins, et + regarde que ce revenu augmente journellement. + + 4º Son opinion est que pour pouvoir sauver sa patrie il est + nécessaire que le revenu territorial soit augmenté de cinq à six + millions, ou au moins de moitié, et qu'un échange amènerait + difficilement cet avantage; qu'il verrait donc avec peine le roi + perdre d'anciens sujets sans acquérir la certitude que la Hollande y + gagnerait une existence stable et indépendante. + + 5º Enfin M. Roëll m'a fait sentir qu'il y avait eu de grandes + discussions lorsqu'il s'agit, l'année dernière, de l'échange de + Flessingue, et qu'il ne savait pas jusqu'à quel point le roi + pourrait même traiter seul cet objet. + + Je répondis à ces observations: + + 1º Que l'on pourrait laisser à la Hollande les îles; que par + conséquent les travaux de mer resteraient dans ses mains. + + 2º Que le cours de la petite Meuse serait seul perdu pour la + Hollande, et que ses deux ports principaux, Amsterdam et Rotterdam, + lui resteraient toujours ainsi que sa navigation intérieure. + + 3º Que je regardais le revenu du Brabant comme très exagéré; qu'au + surplus ceci était une affaire de détail à laquelle je n'avais pas à + répondre puisqu'il ne s'agissait que d'asseoir le principe + d'échange, mais nullement de discuter la valeur des objets proposés. + + 4º Que je venais de répondre à sa quatrième observation, et qu'enfin + la cinquième me paraissait d'autant moins fondée qu'une fois la + chose arrêtée du commun accord des deux parties et à leur avantage + réciproque, l'on prendrait la forme que l'empereur jugerait + nécessaire. + + Votre Excellence sentira que cette conversation nous mena très loin. + Le ministre rappela les sacrifices de la Hollande, en me faisant + entendre que le roi s'attendrait dans cette circonstance à une + augmentation de territoire, et que Sa Majesté préférerait un moins + grand avantage à un échange qui lui assurerait des revenus plus + considérables. Je suis tombé d'accord avec le ministre sur la + position malheureuse de ce pays, qui souffrait plus que le reste du + continent des mesures nécessitées par les circonstances; mais en + même temps je lui ai rappelé que le gouvernement n'avait rien fait + pour mériter les bontés particulières de l'empereur, puisque son + esprit était mauvais, sa direction habituellement vicieuse, et que + ce n'était qu'en insistant et par la crainte que l'on pouvait + l'amener à des mesures et à une conduite dont il cherchait à + s'écarter dans toutes les occasions; que j'en étais habituellement + témoin, et que certainement ce n'était pas ainsi que l'on acquerrait + le droit d'attendre une existence indépendante du souverain qui + pouvait tout; que le gouvernement hollandais était d'autant plus + répréhensible que c'était de lui seul que venaient les torts, + puisque le pays était bon et souffrait avec une résignation qui lui + faisait le plus grand honneur. M. Roëll m'a répété qu'il me priait + de regarder comme une simple conversation ce qu'il venait de me + dire, attendant les ordres du roi pour me communiquer sa réponse. Il + m'a témoigné son embarras d'en parler à Sa Majesté et m'a demandé + quelque chose par écrit: ce que j'ai refusé. On annonce l'arrivée + du roi pour jeudi. J'imagine qu'alors j'aurai l'honneur de le voir + et de savoir la détermination de Sa Majesté. On dit que le roi + donnera des fêtes pour le jour de saint Napoléon. Rien n'est + cependant encore connu. Je verrai M. Roëll aujourd'hui et pourrai + peut-être rendre compte à Votre Excellence de ce qu'il m'aura dit à + ce sujet. + + La côte est bien gardée. On a arrêté dernièrement plusieurs + passagers venant d'Angleterre. Il n'entre pas de marchandises. Nous + avons cependant assez régulièrement les nouvelles de Londres, et les + journaux du 28 sont en ville. Les nouvelles qu'ils contiennent sont + bien tristes sur l'Espagne. J'aime à les croire fausses. Je ne doute + pas que l'empereur reçoive tous ces journaux. Si Sa Majesté les + désirait, je puis les avoir sans me compromettre. + + Votre Excellence sait combien je surveille la fermeture des ports, + et elle doit supposer combien les mesures prises et exécutées + doivent être contraires à la majeure partie des habitants + d'Amsterdam. C'est donc avec une véritable peine que j'apprends que + les mêmes mesures ne sont pas exécutées partout avec la même + sévérité. J'ai la certitude positive qu'il entre à Brême une énorme + quantité de marchandises anglaises et que l'on ne fait rien pour + l'empêcher. Les négociants hollandais se plaignent alors d'un poids + qu'ils supportent seuls. Je ne puis rien répondre aux preuves qu'ils + me présentent et ma position devient désagréable. Je suis aussi + fâché de voir dans les journaux français l'arrivée dans nos ports de + navires américains chargés de denrées coloniales. Le prétexte qu'ils + ne sont pas entrés en Angleterre n'en est pas un admis ici, et l'on + a la certitude que beaucoup de navires ont des journaux doubles, et + que l'on imite si bien en Angleterre les signatures et les papiers + que les prétendus signataires ne peuvent pas même les reconnaître. + + J'apprends à l'instant que M. Roëll est encore à Utrecht. Je ne puis + donc rien mander de plus à Votre Excellence. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 11 août. + + J'arrive dans l'instant de chez le roi qui est à Amsterdam depuis + hier soir. Sa Majesté m'a fait écrire par son ministre des affaires + étrangères de me rendre à son palais, à deux heures. J'ai exécuté + cet ordre et n'ai pas été peu étonné en entrant dans le cabinet du + roi d'y trouver M. Roëll, ce qui n'était jamais arrivé depuis que je + suis en Hollande, Sa Majesté m'ayant entretenu toujours seul. J'ai + donc pensé qu'il s'agissait d'une réponse officielle à l'ouverture + que j'avais été chargé de faire au sujet de l'échange proposé par + l'empereur comme rectification des frontières, et je ne me suis pas + trompé dans mon pressentiment. Le roi m'a répété absolument tout ce + que M. Roëll m'avait dit il y a quelques jours, m'a déclaré son + éloignement pour la cession proposée par l'empereur. Sa Majesté m'a + annoncé que, dans son opinion, cette proposition était aussi + désavantageuse pour lui personnellement que pour le pays qu'il + gouverne; qu'il serait perdu aux yeux des Hollandais; qu'ainsi, s'il + en était le maître, il ne pouvait l'accepter; qu'il ne pouvait + renoncer à d'anciens sujets; qu'enfin il m'enverrait une réponse par + écrit qui développerait plus en détail les différents points de vue + sous lesquels il envisageait cette affaire. J'ai eu l'honneur + d'observer au roi que l'avantage de la Hollande consistait dans + l'échange qui serait fait; qu'ainsi il paraissait difficile à Sa + Majesté de prévoir qu'il serait désavantageux à son royaume + puisqu'il n'était pas connu; que, quant à lui personnellement, il me + semblait que dans la position où étaient les finances de l'État, il + ne pouvait lui être préjudiciable d'admettre un principe qui aurait + pour but de les améliorer et de sauver son pays qui, de son propre + aveu, marchait journellement à sa ruine. J'ai eu la douleur + d'entendre le roi me tenir un langage d'indépendance absolument + nouveau. J'imagine que S. M. s'y est crue obligée en présence de son + ministre. J'ai répondu avec la dignité que j'ai cru qui convenait à + l'ambassadeur de l'empereur, mais en même temps avec tout le respect + que je dois à tant d'égards au frère de mon souverain. Je n'ai dit + que ce que je voulais dire; mais j'ai fait sentir au roi que d'aller + au devant d'une idée qui paraissait agréable à l'empereur ne me + paraissait pas devoir être si éloigné de sa pensée, surtout + lorsqu'elle était présentée par ma cour avec une modération qui + prouvait son intention de ne faire aucun tort à la Hollande. Je n'ai + voulu entrer dans aucun autre développement. M. Roëll était présent, + c'était une raison de plus de ne pas aller plus loin. J'aurai donc + l'honneur d'adresser à Votre Excellence la réponse du roi, si elle + me parvient avant le départ du courrier. Je n'étais pas heureux + aujourd'hui, car il m'est survenu un autre objet sur lequel je n'ai + pu tomber d'accord avec le roi. Il a été question des soldats de sa + garde que Sa Majesté a licenciés et de la pension que l'empereur + exige qui soit faite à ces soldats. Le roi m'a dit que ces + militaires étaient partis parce qu'ils ne voulaient plus rester à + son service; qu'ainsi il n'était tenu à leur donner aucune pension; + qu'il leur avait fait demander s'ils avaient de quoi vivre en + France; qu'ils avaient répondu affirmativement et avaient ajouté + qu'ils étaient très contents. J'ai eu l'honneur d'observer au roi + qu'ils avaient tenu un autre langage dans ma chancellerie où ils + s'étaient plaints de leur licenciement, en disant qu'ils ne + partaient que parce qu'ils ne voulaient pas devenir Hollandais. Sa + Majesté me dit les avoir fait parler, et me cita le général de Brac, + grand maréchal du palais, comme ayant été chargé de s'assurer + qu'ils partaient entièrement de leur consentement. Le roi sonna + aussitôt, fit appeler M. de Brac qui dit qu'ils avaient tous répondu + qu'ils quittaient à regret le service du roi; mais que dès qu'ils + devaient devenir Hollandais pour y rester, ils préféraient retourner + dans leur patrie. J'ajoutai alors que cette réponse cadrait + parfaitement avec le dire des soldats, puisqu'ils n'avaient quitté + le service du roi que pour obéir à l'option qui leur avait été + faite. J'eus l'honneur de prendre congé de Sa Majesté, qui reste + encore quelques jours dans sa capitale, et qui donnera lundi, jour + de saint Napoléon, un concert et un bal. Le même jour j'ai engagé + dans un grand dîner les ministres du pays et étrangers, ainsi que + les chefs des autorités civiles et militaires. + + P. S. Le roi ne m'ayant rien envoyé, je suis obligé de fermer ma + dépêche. J'imagine que Sa Majesté expédiera un courrier à + l'empereur. + + P. S. J'ouvre ma dépêche pour envoyer à Votre Excellence la note de + M. Roëll. + + +Le duc de Cadore remit cette lettre à l'empereur après l'avoir fait +suivre de la note ci-dessous: + + + Je renouvelle au sujet de cette lettre l'observation déjà faite que + M. de Larochefoucauld a été au delà de ses instructions lorsqu'il a + fait la proposition directe d'un échange sur lequel il était + seulement chargé de connaître les dispositions du gouvernement + hollandais. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 15 août. + + Je n'ai que le temps, avant le départ du dernier courrier, d'envoyer + à Votre Excellence la réponse officielle du roi transmise par M. + Roëll. Je l'ai déjà trouvée plus mesurée que ce que j'avais entendu + quelques heures auparavant, et j'ai su que le roi avait senti la + position fausse dans laquelle il s'était placé, ainsi que moi, + lorsqu'il me parla devant son ministre. J'ai eu l'honneur de revoir + Sa Majesté avec laquelle j'eus une longue conférence, et je dois à + la vérité d'assurer à Votre Excellence que je l'ai trouvée + absolument différente dans son opinion, du moins dans la manière de + l'exprimer. Le roi m'a dit que son idée, en rendant M. Roëll témoin + de sa réponse, était, dans une affaire aussi majeure, qu'elle fût + connue de son ministre. Je lui ai observé que ceci ne me paraissait + pas être le meilleur moyen d'atteindre son but; car son ministre + pouvait me répondre s'il ne s'agissait uniquement que de me faire + connaître sa détermination; mais que, me faisant l'honneur de + m'appeler, je devais supposer que Sa Majesté voulait discuter la + proposition, ce qui devenait inutile dès que sa réponse était + concertée d'avance. Nous avons repris l'objet en question; nous en + avons discuté les avantages pour la Hollande ainsi que les + désavantages, et j'ai vu que la répugnance du roi à cet échange + tenait plutôt à l'impossibilité où il se croyait de céder une partie + de ses sujets, et au doute qu'il avait que cette proposition plût ou + convînt à la nation qu'à aucune autre raison; qu'ainsi il ne pouvait + pas le demander, mais qu'il ne s'y opposerait pas et en serait + peut-être bien aise, si le résultat était un avantage dont ce pays + ne peut se passer. Le roi m'a dit avoir écrit à l'empereur. Je puis + ajouter à Votre Excellence que plusieurs personnes m'ont parlé de + cette affaire, quelques-unes comme la désirant, regardant que leur + patrie a besoin de possessions en Allemagne pour se soutenir pendant + la guerre; d'autres comme espérant de la générosité de l'empereur un + avantage pour ce pays; enfin d'autres comme jugeant nécessaire de + faire une cession qui convenait à l'empereur, et par cela mériter + ses bontés et échanger l'opinion que l'on suppose à S. M. impériale + et royale sur la Hollande. Enfin, comme j'ai eu l'honneur de vous le + mander dans une de mes dépêches précédentes, l'on commence à sentir + que l'on ne peut plus rien attendre que de la France. Le résumé de + cette dépêche est donc que l'empereur peut faire l'échange s'il le + désire, et que Sa Majesté attirera à elle tout ce pays-ci si elle + juge devoir l'aider à sortir de la crise où la stagnation du + commerce le met. Le roi m'a traité avec beaucoup de bonté la + dernière fois que j'ai eu l'honneur de le voir. Je lui ai rappelé + différents griefs pour telle ou telle affaire particulière que + j'avais eu à traiter. Sa Majesté a eu la bonté de m'en éclaircir + plusieurs. J'espère, dans ce voyage, avoir fait quelques pas vers le + but que je me propose; il y a certainement du mieux. Il n'entre pas + de bâtiments, et c'est beaucoup. Je désire pouvoir bientôt mander à + Votre Excellence que ce mieux est devenu un bien. Je n'épargne rien + pour y parvenir. Je vais aller au _Te Deum_ que le roi fait chanter + à sa chapelle. + + Dans mon premier numéro j'aurai l'honneur de vous rendre compte de + la manière dont la journée se sera passée[150]. + + [Note 150: Les ambassadeurs français accrédités auprès des + rois frères de l'empereur prenaient le nom d'ambassadeurs de + famille, et avaient mission de faire connaître à Napoléon + toute la conduite privée et publique des souverains.] + + M. le général Brunot, aide de camp du roi, vient d'être nommé grand + écuyer. + + M. le comte de Turkheim Montmartin, ministre de la cour de + Wurtemberg, vient d'obtenir son rappel, M. de Munch, son secrétaire + de légation, vient d'arriver. Il restera chargé d'affaires, en + attendant une nouvelle nomination. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 18 août. + + Je me suis rendu le 15 de ce mois à la chapelle du roi où j'ai + entendu la messe et ensuite le _Te Deum_ chanté pour la fête de + l'empereur. Le roi y a assisté; mais la cour n'était pas en grande + cérémonie, et le service ordinaire était simplement présent. Le roi + a travaillé avec ses ministres dans la matinée. J'ai ensuite donné + un grand dîner à tous les ministres du roi, aux grands officiers du + royaume et du palais, aux premiers fonctionnaires publics, civils et + militaires, et à tout le corps diplomatique. De toutes les personnes + qui entourent le roi, M. le maréchal de Brac et M. de Heckeren, + grand veneur, se sont seuls rendus à mon invitation. Au dessert, le + ministre des affaires étrangères a, d'après l'offre que je lui en ai + faite, porté le toast de l'empereur et y a joint l'expression de son + désir que S. M. impériale et royale veuille bien penser au bonheur + de sa patrie. Tout le monde était obligé de se rendre de très bonne + heure à la cour, ce qui m'a forcé de réunir en un seul toast: au + roi, à la paix maritime et au bonheur de la Hollande. + + Quant aux gazettes anglaises, je n'avais pas été plus loin avant + d'avoir la réponse de Votre Excellence; mais hier j'ai pris de plus + amples informations. On m'offre les papiers, les notes des + ministères, les ordres donnés dans les différents ministères, etc.; + mais pour cela l'on demande près de 3,000 fr. par mois; pour les + gazettes seulement moitié, ou un peu plus. Alors deux fois par + semaine vous pourriez les recevoir, et je les enverrais par exprès + jusqu'à Anvers, pour que cette correspondance fût à l'insu du + gouvernement hollandais qui pourrait bien l'empêcher. Je ne + paraîtrais nullement, et Votre Excellence peut s'en rapporter à ma + prudence et être sûre que je ne ferais rien qui puisse blesser le + moins du monde le système général. Répondez-moi, je vous en prie, le + plus promptement possible en m'indiquant la latitude que je puis + prendre. + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD. + + Paris, 26 août. + + J'ai reçu votre dépêche du 18 août, nº 27. Je vois avec satisfaction + que vous avez heureusement terminé l'affaire des deux prises + conduites à Helvoët-Huyr, et avec regret que le roi ait l'intention + d'insister désormais sur le principe même qui avait fait naître la + difficulté. Je sens bien tout l'inconvénient qu'il y aurait à + admettre ce principe et c'est ce que vous devez vous garder de + faire. Mais il y a de plus pour le combattre des raisons solides. Si + la Hollande était neutre, elle aurait en cette qualité des + obligations pour lesquelles le droit qu'elle réclame lui pourrait + être nécessaire. Mais elle est alliée de la France et son alliée à + perpétuité, son alliée envers et contre tous. Non seulement les deux + pays ont les mêmes amis et les mêmes ennemis, mais dans l'un et + l'autre les règlements concernant la navigation des neutres sont + entièrement et parfaitement les mêmes. La nature des choses veut + donc que lorsqu'il s'agit, soit de poursuivre l'ennemi commun, soit + d'empêcher les prévarications des neutres, les deux territoires, + quoique distincts, soient considérés comme un seul et même; et, + comme il ne peut être dans l'intention du gouvernement de Hollande + de protéger ses propres ennemis, il est évident qu'il ne peut + empêcher les opérations des armateurs français et vouloir les + enlever à leurs juges naturels, sans aller lui-même contre ses vues + autant que contre son intérêt. Telles sont les considérations que + vous aurez à faire valoir lorsque l'occasion s'en présentera. + + Des deux offres qui ont été faites relativement aux papiers anglais, + je n'accepte que celles qui regardent les gazettes. Je vous prie de + vouloir bien donner vos soins à me les procurer avec exactitude. + Vous pouvez, comme vous le proposez et si vous le jugez utile, les + envoyer par exprès à Anvers. Toutes les avances que vous aurez + faites pour cet objet vous seront remboursées à votre première + demande. + + + CADORE AU MINISTRE DE LA MARINE. + + Paris, 26 août. + + Au moment où je recevais la lettre que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois, il m'en parvenait une de M. + de Larochefoucauld où il m'annonce qu'il a terminé, selon vos désirs + et les siens, l'affaire des deux prises conduites par des corsaires + français à Helvoët-Huyr. Le roi a passé sur la violation du + territoire hollandais reprochée aux deux corsaires, mais en + déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères, + que, si dans cette occasion il se désistait de son juste droit, + c'était uniquement pour donner une nouvelle preuve de sa constante + déférence à ce que paraissait désirer S. M. l'empereur, son auguste + frère; mais que cette condescendance ne pourrait jamais tirer à + conséquence et qu'à l'avenir tous les cas de même nature seront + décidés suivant les statuts et les lois du royaume. + + Les Hollandais ont constamment soutenu et soutiennent que tout + étranger, même d'un pays leur allié, qui fait des prises dans leurs + eaux, viole leur territoire, ou, ce qui est la même chose, attente à + leur souveraineté et commet un délit dont la connaissance appartient + exclusivement au souverain offensé et dont la première conséquence + est de rendre la prise illégale et nulle. Il faut l'avouer, ce ne + sont pas les Hollandais seuls qui ont professé cette doctrine. Elle + a été celle de toutes les puissances maritimes dans les dernières + guerres. Elle me semble admise par nos propres ordonnances, et c'est + en vertu de ce principe que nous-mêmes nous avons exigé et obtenu de + diverses cours, et naguère encore du Danemarck, des indemnités pour + des bâtiments français pris dans leurs eaux. + + Sa Majesté le roi de Hollande, se montrant jaloux de son droit et + annonçant la résolution de ne s'en point désister à l'avenir, il me + paraîtrait désirable, pour éviter désormais des discussions + désagréables, qu'il fût enjoint aux corsaires de ne saisir dans les + eaux de la Hollande, à une distance des rivages moindre que la + portée du canon, aucun bâtiment sous pavillon neutre (car pour les + prises sous pavillon ennemi, il ne s'élèverait, je présume, aucune + difficulté, ou elles seraient aisément aplanies), ou du moins de ne + pas conduire dans les ports hollandais les bâtiments saisis à une + moindre distance, et cela sous peine d'être privés de l'intervention + et de l'appui du gouvernement français. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 29 août. + + J'ai eu l'honneur, dans un de mes numéros, d'informer Votre + Excellence que j'avais un moyen d'envoyer en Angleterre une personne + qui pourrait me rendre compte de la véritable situation de ce pays + et sonder ses intentions. Je prie Votre Excellence de me mander + simplement si S. M. impériale et royale désire que je conserve ce + moyen ou si elle veut que je l'abandonne. Ne voulant pas + compromettre ma cour, je retarde de donner une réponse, prétextant + mon désir de voir l'issue de quelques événements avant de ne rien + entreprendre; mais ceci a ses bornes, et je craindrais que la + personne regardât ce retard prolongé comme une manière de se jouer + d'elle; ce qui me priverait d'un agent qui est bon et m'a déjà été + souvent utile. Je demande donc simplement à Votre Excellence un oui + ou un non sur cet article. + + On a attendu ici le roi le 1er septembre; Sa Majesté donnera le 2 un + grand bal pour son jour de naissance. Le ministre des affaires + étrangères a invité le corps diplomatique à un grand dîner pour le + même jour. + + Il y a quelques jours que les Anglais vinrent à Zandvoort, près de + la côte, à quatre lieues d'ici, demander du poisson. Sur le refus + que l'on fit de leur en donner, ils tirèrent sur ce village environ + 80 coups de canon. Le dommage, que l'on avait dit être très + considérable, est presque nul. + + Je viens d'être informé que le roi venait d'accorder la libre sortie + de tous les produits de la Hollande. Le ministre Roëll, qui sort de + chez moi et à qui j'en ai parlé, m'a assuré l'avoir aussi entendu + dire, mais n'en rien savoir positivement. Il m'a simplement informé + qu'il savait que l'on s'était adressé au roi pour l'engager à donner + un écoulement à la garance et aux avoines qui étaient tombées en + baisse par la quantité prodigieuse qu'il y en avait dans le pays. Je + ne doute pas que le roi n'ait mis des bornes à cette permission, qui + paraîtrait bien vague et dangereuse quant à ses conséquences. + + On commence à organiser le commerce de cabotage le long de la côte + du Nord. On est informé ici que l'on charge des bâtiments en Russie + pour la Hollande, et le commerce espère dans ce nouvel essai + éprouver quelques adoucissements à la triste position dans laquelle + il se trouve réduit. + + + ROËLL À CADORE. + + Amsterdam, 28 septembre. + + J'avais l'honneur de m'adresser il y a peu de jours à Votre + Excellence pour la solliciter de se servir de toute son influence + auprès de S. M. impériale et royale afin d'obtenir à ce royaume un + accroissement de territoire, en dédommagement des sacrifices énormes + que les habitants ont déjà faits depuis longtemps et font encore + pour la cause commune. J'osais me flatter alors que S. M. impériale + et royale serait convaincue elle-même, d'un côté, de la nécessité + absolue de cet agrandissement, sinon pour nous tirer d'affaire, au + moins pour nous soulager dans l'état pénible où nous nous trouvons; + et que, d'un autre côté, elle serait si intimement persuadée de la + stricte observation du système de blocus dans ce royaume, que + lorsque l'occasion s'en présenterait, elle daignerait manifester son + contentement à ce sujet, comme elle l'a déjà fait une fois, il y a + quelques semaines, à l'ambassadeur Werhuell par l'organe de Votre + Excellence. + + J'étais donc loin de prévoir alors que, si peu de temps après, je + serais dans le cas de m'adresser à Votre Excellence sur le coup si + terrible qui vient de nous frapper dans le décret impérial du 16 de + ce mois, contenant une prohibition de faire entrer en France des + denrées coloniales venant de l'Espagne ou de la Hollande, et une + confiscation de tous les bâtiments qui entreraient dans la Suède; + décret qui, en supposant une facilité d'introduction de ces denrées + dans ce royaume et par là même une communication commerciale avec + l'ennemi, a fait la sensation la plus pénible parmi les habitants, + et a presque entièrement détruit l'espoir qu'ils avaient de trouver + dans les dispositions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi + envers leur patrie une garantie puissante du prix qu'ils recevraient + un jour des sacrifices auxquels ils se sont assujettis avec tant de + résignation. + + En effet, que faut-il de plus pour succomber entièrement sous le + triste sentiment de sa destruction que de se voir assimilé sous + certains rapports à une nation qui, au lieu de reconnaître ce grand + et salutaire but de l'empereur et roi dans la part qu'il prend à + l'amélioration de leur existence, pousse l'ingratitude et + l'aveuglement assez loin pour se déclarer son ennemi ouvert, et de + s'y voir assimilé non seulement dans une communication de + gouvernement à gouvernement, mais dans une pièce qui, par sa nature + même, devait être publique, et par là à la face de l'Europe entière. + + Et, si tel est l'effet de ce décret sur la nation, quel ne doit donc + pas être celui qui en résulte auprès de l'auguste frère du souverain + qui l'a rendu? Que V. Excellence veuille juger elle-même. Avoir + satisfait à toutes les demandes qui ont été faites de la part de S. + M. impériale et royale, avoir été même au delà de ses désirs en + allant encore plus loin qu'en France même, et être dénoncée après + cela indirectement, comme manquant de bonne foi, à l'univers entier, + voilà des choses dont l'effet peut bien se sentir mais ne pas se + décrire. + + Comme le roi mon maître écrit lui-même à S. M. impériale et royale, + je crois ne devoir pas occuper plus longtemps l'attention de V. + Excellence sur l'effet que le décret dont il s'agit vient de + produire ni sur les observations à faire sur son contenu, puisque M. + le chevalier Bourdeaux, qui aura l'honneur de remettre cette lettre + à V. Excellence, est chargé de faire des représentations à ce sujet. + Je me borne donc à la prier qu'elle veuille bien les recevoir comme + officielles, et qu'ajoutant foi à tout ce que pourra lui dire M. + Bourdeaux sur la manière dont le blocus s'observe dans ce royaume, + elle veuille bien intercéder auprès de S. M. impériale et royale + pour que le décret soit modifié de manière à ce qu'il n'en reste + aucune impression désavantageuse ni pour le roi ni pour ses sujets, + ou que du moins il plaise à S. Majesté de faire voir par un + témoignage public de son contentement et de sa bienveillance à notre + égard, que le but du décret n'a rien qui doive inspirer de la peine + ou de l'inquiétude aux habitants de ce royaume. + + Qu'avant de finir V. Excellence me permette de lui transmettre + encore une seule réflexion particulière: c'est que, d'après ma + manière de voir, un sentiment pareil à celui dont j'ai parlé + ci-dessus ne saurait manquer d'être toujours mis à profit par + l'ennemi pour faire naître un mauvais esprit là où il n'existe pas, + et que c'est même une raison de plus pour ceux qui ont de bonnes + dispositions de souhaiter de voir écarter tout ce qui peut produire + un effet si peu désirable. + + + CADORE À ROËLL. + + Erfurth, 12 octobre. + + M. le chevalier Bourdeaux m'a remis la lettre que vous m'avez fait + l'honneur de m'écrire. Je lui ai procuré sans délai une audience de + l'empereur, et il a eu l'honneur de remettre à S. Majesté la lettre + de S. Majesté le roi de Hollande. J'avais précédemment entretenu S. + M. l'empereur du sujet de la mission de M. le chevalier Bourdeaux et + je lui avais lu la lettre que vous m'avez adressée. Je suis autorisé + à vous déclarer que rien ne serait plus mal fondé que la supposition + qu'on aurait voulu comparer et mettre sur la même ligne les peuples + de la Hollande et de l'Espagne, un peuple patient, soumis, éclairé, + qui supporte avec courage de grands sacrifices, et des hommes + aveugles, égarés par l'ignorance et la violence de leurs passions, + et qui repoussent dans leur délire le bien qui leur est offert. Le + décret qui vous a donné lieu de faire cette supposition est tout à + fait étranger aux affaires politiques. Il a été proposé par le + ministre des finances, discuté au conseil d'État; c'est un décret + d'administration intérieure dicté par les intérêts de cette + administration. L'empereur en a plus particulièrement fait connaître + les motifs au chevalier Bourdeaux. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit + Sa Majesté, M. Bourdeaux en rendra compte au roi. J'ajoute seulement + que, dans le moment où nous cherchons à établir par des bâtiments + qu'on a appelés _aventuriers_ des relations directes avec nos + colonies, on ne doit pas être étonné que nous cherchions à + décourager les importations des denrées coloniales qui sont faites + par les étrangers. Sa Majesté l'empereur m'a annoncé l'intention de + répondre à Sa Majesté le roi et de charger M. le chevalier Bourdeaux + de cette réponse[151]. + + [Note 151: En effet, M. Bourdeaux rapporta au roi une lettre + de l'empereur datée d'Erfurth, 12 octobre, lettre toute de + persiflage et frisant l'impertinence, contenant le refus de + remplacer près de lui l'ambassadeur comte de Larochefoucauld. + Les relations entre les deux souverains ne pouvaient être + plus tendues.] + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 29 décembre. + + J'avais été surpris d'apprendre que Sa Majesté avait terminé + l'affaire de la prise de _l'America_ au moment même où je recevais + la réponse de V. Excellence et avant que ma dernière note ait pu + parvenir au ministre; mais m'étant aperçu depuis longtemps que + toutes les dépêches de V. Excellence étaient ouvertes avant de + m'être remises, je me suis assuré que celle-ci avait eu le même + sort. Il devient donc plus que probable que les ministres hollandais + auront craint de continuer une opposition devenue inutile et auront + engagé le roi à prendre une décision conforme au désir de + l'empereur. Au reste, V. Excellence n'entendra plus parler de cette + affaire, le vice-consul ayant touché les fonds. + + +Nous terminerons cette curieuse correspondance diplomatique relative +aux affaires de la Hollande en 1808, par deux lettres, écrites les 3 +et 24 septembre d'Amsterdam par le prince Dolgorouki, ministre de +Russie en Hollande, à M. le comte de Romanzoff, ministre des +relations extérieures de Russie; toutes deux avaient été copiées à +la poste. Ainsi, M. de Larochefoucauld avait trouvé moyen d'obtenir +des copies de dépêches étrangères importantes. On a vu, par la +lettre précédente, que le gouvernement hollandais agissait du reste +de la même manière à l'égard de la France. + + + Avant-hier le roi de Hollande arriva vers les huit heures du soir à + Amsterdam et y fut reçu aux plus vives acclamations d'une foule de + peuple immense. Des inquiétudes sur l'état de sa santé, le bruit + qu'on s'était plu à répandre qu'il avait été mandé à Paris pour + assister à une réunion de famille, et plus que cela, un passage mal + rédigé du programme de la fête à célébrer le 2 de ce mois, avaient + fait craindre qu'il n'y viendrait pas, et cette crainte redoubla + l'expression de la joie qu'on a éprouvée à le revoir. La journée + d'hier lui a prouvé à quel point il était aimé; des gens de + différents partis et d'opinions opposées se sont empressés de se + rendre à la cour, et l'on a remarqué qu'il y avait au moins deux + fois plus de monde qu'à la fête du 15 août. Ce jour-là le roi + portait l'ordre de Hollande et celui de la Toison d'or; mais hier il + n'était décoré que du seul ordre de Saint-André. S. Majesté me dit + au cercle diplomatique: «Monsieur le prince Dolgorouki, j'aurai bien + des choses à vous dire la première fois que nous causerons ensemble. + Mon ministre m'a transmis tout ce que l'empereur Alexandre lui a dit + à mon sujet, et j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance; je + n'ai pu aussi qu'être très flatté de la manière dont S. M. + l'empereur a bien voulu distribuer les cordons de Hollande que + j'avais mis à sa disposition; aussi, pour célébrer ma fête, je n'ai + pas cru pouvoir mieux faire que de me décorer de l'ordre de mon + frère Alexandre. J'ai un secret pressentiment que c'est à lui que + nous devons la paix générale. C'est le plus beau rôle à jouer que + celui de pacificateur du monde, et ce rôle lui est réservé. Je fais + continuellement des voeux pour qu'il éloigne de nous toute idée de + guerre.» + + M. Roëll me souffla à l'oreille que M. de Six[152] avait dîné chez + l'empereur, mon maître; qu'il avait apprécié cette distinction, + qu'il en était tout glorieux et qu'on avait été enchanté ici de ses + dernières dépêches. + + [Note 152: L'ambassadeur de Hollande à Saint-Pétersbourg.] + + Le roi revint ensuite à moi pour m'annoncer que le bataillon de + Gorcum serait prêt dans quatre jours. Il m'engagea à être indulgent, + ajoutant qu'il aurait voulu faire davantage, mais que le temps + manquait et qu'il avait pensé qu'il serait plus utile d'en presser + le départ avant la mauvaise saison. + + Le ministre de la guerre, faute de logement, a donné hier un grand + dîner dans une auberge. M. Roëll, moins mal logé, a invité chez lui + le corps diplomatique. Les envoyés de Danemark et de Bavière, tous + deux très malades, n'y sont pas venus. S. Majesté voulait dîner avec + les ministres de famille, mais le baron de Munchhausen, envoyé de + Westphalie, eut seul cet honneur, dont l'ambassadeur de France n'a + pas pu profiter, étant attaqué d'une inflammation de la vessie. + + Le bal de la cour a été très nombreux et très brillant; les quatre + nouvelles dames du palais ont été présentées. Le roi a paru très + gai, très bien portant et a fort bien supporté les fatigues de cette + journée qui a été terminée par un souper de quatre cents couverts, + auquel cependant il n'assista point. Ma femme et moi nous fûmes + placés à la table de S. Majesté, dont le grand maréchal fit les + honneurs. Le palais, ainsi que les principaux édifices de la ville, + ont été illuminés; les théâtres furent ouverts gratis et 20,000 + florins furent distribués aux pauvres. + + + Deuxième lettre. + + Le _Moniteur_ du 13 septembre nous rapporte le discours du comte + Regnault de Saint-Jean-d'Angély relatif à la conscription de 1810. + Déjà, y est-il dit, les côtes de France, de Russie, d'Italie, + d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-Bretagne. + + +Comme dans ce passage il n'est pas fait mention des côtes de la +Hollande, on ignore si cette omission provient de ce que les côtes +hollandaises sont censées appartenir à la France, ou bien qu'on ne +les croit pas entièrement interdites à la Grande-Bretagne. Cette +dernière supposition acquiert un plus haut degré de probabilité par +un nouveau décret de l'empereur, qui défend d'introduire en France +les denrées coloniales qu'on pourrait vouloir y faire passer +d'Espagne, de Portugal ou de Hollande. Les bons Hollandais, +scrupuleux observateurs des lois et des ordonnances de leur pays, +voient avec douleur que l'empereur les assimile ainsi aux Espagnols +et aux Portugais, avec lesquels ils n'ont rien de commun. Car il est +bien certain qu'il n'y a aucun rapport ni aucune relation entre la +Hollande et l'Angleterre, à moins qu'on ne regarde comme tels +l'arrivée ou le départ de quelques individus qui, de temps à autre, +parviennent, au risque de leur vie, à se soustraire à la vigilance +des douaniers et des gardes-côtes, ce qui est très rare et ne pourra +jamais être empêché par des mesures plus strictes que celles qu'on +emploie maintenant. Il y a quelque temps qu'un particulier s'étant +jeté dans une nacelle à Sendvaart pour passer en Angleterre, fut tué +d'un coup de fusil par un douanier hollandais. Un autre particulier, +plus heureux, après s'être tranquillement promené le long des dunes +de Schvesingen, s'est précipité à la mer et a gagné un cutter +anglais à la nage. Ces faits prouvent bien à quel point est poussée +la surveillance, puisqu'on est obligé de recourir à des moyens si +violents pour s'y soustraire. Enfin, comme je l'ai déjà dit, il n'y +a ici ni marchandises ni gazettes anglaises, sinon de loin en loin, +et par pièces et morceaux, et le plus souvent arrivant par Anvers. + +L'existence de la Hollande paraît à tous égards péricliter de plus +en plus. Onze cent millions de dettes qui absorbent annuellement +quarante millions d'intérêt, et les fortes impositions que le défaut +de commerce met dans l'impuissance d'acquitter, doivent +nécessairement amener dans peu une banqueroute générale. Le manque +de numéraire commence déjà à se faire sentir, ainsi que celui des +lingots d'or et d'argent regardés comme marchandises. + + +ANNÉE 1809. + + + DE LAROCHEFOUCAULD AU DUC DE CADORE. + + Amsterdam, 23 janvier 1809. + + Monsieur, j'ai l'honneur d'accuser réception à V. Excellence de la + lettre par laquelle elle m'enjoint de notifier à la cour de Hollande + l'intention de S. M. impériale et royale que le roi son auguste + frère imite son exemple en ne recevant pas, de la cour de Rome, les + cierges bénits qu'elle est dans l'usage d'envoyer aux différentes + cours catholiques. + + J'ai exécuté à cet égard les ordres de V. Excellence, et j'aurai + l'honneur de lui transmettre la réponse que je recevrai du + gouvernement hollandais. + + +Le 13 février, le ministre de Hollande prévient le ministre de +France que le roi ne recevrait pas les cierges bénits, se plaint de +la froideur polie du roi à son égard et ajoute: + + + Il est vrai qu'ignorant les intentions de l'empereur j'ai cru devoir + me mettre en mesure d'exécuter tels ordres qu'il plairait à ma cour + de me donner; j'ai donc désabusé le commerce et presque la totalité + des Hollandais de la fausse idée que l'empereur était la cause de + leurs malheurs et voulait leur ruine. + + J'ai séparé ce que l'on devait attribuer à la force des événements + de ce qui tenait à la conduite blâmable du gouvernement hollandais; + j'ai assuré que la multiplicité des décrets dont on se plaignait + n'était pas ordonnée par l'empereur, comme on cherchait à le faire + croire; enfin j'ai prouvé à la saine partie de la nation que son + véritable intérêt était d'être attachée à mon souverain, la Hollande + ne pouvant attendre de salut que des bontés de l'empereur. Je crois + pouvoir assurer à V. Excellence que j'ai pleinement réussi. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 6 février. + + Monsieur, nos occupations sont maintenant bien tristes en Hollande. + La plus grande partie des provinces méridionales de ce royaume est + submergée et les détails qui nous arrivent journellement sont loin + d'être rassurants, etc. + + Le roi qui, comme j'ai eu l'honneur de le mander à V. Excellence, + est parti il y a près de quinze jours, après s'être arrêté 24 heures + à Utrecht, a été jusqu'à la ville de Gorcum. Il paraît que dans + cette dernière ville S. Majesté a couru de grands dangers et que les + ordres qu'elle a donnés, ainsi que le courage, que la présence du + souverain impose toujours, ont fortement contribué à garantir de + l'inondation la partie de la ville de Gorcum située dans la province + de Hollande. La partie gueldroise de cette ville était déjà sous + l'eau, et ce n'est qu'à force de monde qu'on a pu préserver la digue + qui sépare les deux parties de cette même ville. Je regrette + qu'après avoir terminé ce voyage, qui fait d'autant plus d'honneur + au roi que sa santé est délicate, S. Majesté n'ait pas cru devoir + revenir dans sa capitale. Le roi est resté à Utrecht où il est + depuis plusieurs jours et où il a fait venir une grande partie de sa + maison. Tous les ministres ont été appelés avant-hier. D'un autre + côté, la prorogation des séances du Corps législatif, qui retient à + Amsterdam les plus riches propriétaires, ne leur avait fait aucun + plaisir, et l'absence du roi leur fait craindre que l'époque fixée + au 15 mars ne soit encore insuffisante... + + Il existe donc un mécontentement qui balance les justes éloges que + l'on se plaît à rendre à la conduite personnelle du roi. + + +Le ministre terminait cette lettre en se plaignant de ce que le roi +avait voulu recevoir un Français alors en Hollande, M. Faypault, +ancien préfet, sans qu'il soit présenté à son audience par lui, +comte de Larochefoucauld, ministre de France. L'empereur fit +répondre, le 24 février, que le roi son frère pouvait, à cet égard, +agir comme bon lui semblait[153]. + + [Note 153: On voit, d'après cela, qu'il y avait pique entre + le roi et le ministre de France.] + + + Dépêche secrète. + + WERHUELL À ROËLL. + + Paris, 3 février 1809. + + La situation déplorable de la Hollande est connue et appréciée à + Paris.--On voudrait y porter remède pourvu qu'on n'enfreignit pas le + système du blocus.--Il y a d'ailleurs défaut de confiance dans le + gouvernement hollandais. Il faudrait demander quelles sont les + intentions précises de l'empereur sur le blocus.--En se bornant aux + mesures prises en France, on obtiendrait une amélioration réelle. Ce + qu'on a fait en plus a paru illusoire et suspect.--Une convention + fixe devrait stipuler les moyens de surveillance. Il ne pense pas + qu'on se contente d'une surveillance purement hollandaise. On + voudrait y adjoindre sans doute temporairement une inspection + française; à ce prix on pourrait obtenir l'abaissement des tarifs + sur divers objets et faciliter l'échange entre les deux pays.--Le + cabotage pourrait se faire sous protection de bateaux armés.--Il + faudrait dresser une liste d'objets sur lesquels porterait + l'abaissement des tarifs, pour les présenter dans un mémoire étendu + sur la situation de la Hollande.--Le point délicat est l'inspection + française de la surveillance; mais il croit qu'il n'y a rien à faire + sans cela. + + +Cette dépêche étant parvenue au roi par l'entremise de son ministre +des affaires étrangères, Sa Majesté écrivit au-dessous: + + + Amsterdam, 20 février 1809. + + Nous renvoyons le rapport ci-joint à notre ministre des affaires + étrangères pour répondre au maréchal Werhuell de donner la note + diplomatique d'après laquelle il a fait sa dépêche, parce qu'il + m'est impossible de croire que le maréchal soit assez jeune homme + pour ne pas sentir que ce n'est pas dans ce sens qu'on doit écrire. + Quelle que soit son opinion, c'est la nôtre qu'il doit embrasser. + + Il est là pour la faire valoir et la défendre, et pour ne jamais + donner tort à son pays, quelque chose qui s'y fasse. Notre ministre + susdit lui fera connaître de plus que nous avons particulièrement + marqué la phrase: _Car Sa Majesté l'empereur ne souffrira pas qu'on + se serve, etc._, phrase qui peut appartenir au ministre de + l'empereur de dire, mais qui n'appartient à qui que ce soit d'autre + de nous adresser, et principalement à un Hollandais, quand cela + vient de notre ambassadeur, cela nous paraît tout à fait + incompréhensible. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 13 février. + + Sa Majesté est arrivée hier d'Utrecht à 7 heures du matin. On + m'assure que le roi n'est pas incommodé des fatigues qu'il a + souffertes dans ses différentes courses. Enfin il est pénible de + voir que, lorsque le pays est si bien disposé, le gouvernement le + soit aussi peu à rendre justice aux Français, ce qui m'oblige à + réclamer très souvent pour des objets qui ne devraient pas faire la + moindre difficulté. Le gouvernement hollandais est inquiet; mille + choses me le prouvent. Non seulement l'on m'a fait plusieurs + questions, mais encore l'on s'est adressé à d'autres personnes que + l'on supposait instruites. L'ambassadeur n'écrit rien et son silence + étonne et afflige.--Si le gouvernement attend avec impatience et + crainte ce que l'empereur décidera, les vrais Hollandais ne sont pas + moins tourmentés de l'incertitude de leur situation politique. Les + têtes sages regardent l'absence de la reine comme une preuve de + l'instabilité de leur position. Plusieurs personnes marquantes m'en + ont parlé souvent dans ce sens. Elles craignent pour leur patrie + tant que leur souveraine n'est pas au milieu d'eux, comme un gage + des bontés de Sa Majesté impériale et royale pour la Hollande. Cette + opinion est générale, elle occupe tous les amis de l'indépendance de + ce pays-ci, qui savent et reconnaissent qu'ils ne peuvent avoir + d'autre système politique que celui de la France et qui voient à + regret que leur gouvernement dépasse souvent les hautes conceptions + de l'empereur sans jamais en atteindre le but. + + +Décret de l'empereur (3 mars) cédant en toute souveraineté au prince +Napoléon-Louis, fils aîné du roi de Hollande, le grand-duché de Berg +et Clèves, qui lui était rétrocédé par Murat par suite du traité de +Bayonne du 15 juillet 1808[154]. + + [Note 154: Ce prince Napoléon-Louis était le second fils du + roi. Le premier était mort l'année précédente; le second, + celui-ci, mourut en 1831, de la rougeole, à Forli, ou + empoisonné pendant l'insurrection des Romagnes, où il avait + pris parti contre le pape avec son frère, plus tard + l'empereur Napoléon III.] + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 28 février. + + Votre Excellence connaît tout l'empressement que le roi mon maître a + mis à concourir aux mesures du blocus des Îles Britanniques + décrétées par S. M. impériale et royale. Elle sait également que Sa + Majesté n'a pas borné ses dispositions à celles qui existaient à ce + sujet en France, mais que, pour ôter à ses sujets jusqu'à la + possibilité même d'entretenir des relations de commerce avec + l'ennemi, elle a cru devoir fermer pendant quelque temps ses ports à + toute espèce de navigation et suspendre l'exportation des produits + du sol et de l'industrie nationale, même pour les ports neutres et + amis. + + En imposant à son peuple des sacrifices dont l'histoire n'offre + guère d'exemple, Sa Majesté a donné la plus éclatante preuve de la + pureté de ses intentions et de son dévouement à la personne de S. M. + impériale et royale. Mais un système qui ôte à un peuple commerçant + tous les moyens de faire le commerce ne saurait être suivi que + pendant un très court espace de temps, et Sa Majesté est maintenant + convaincue de l'impossibilité d'y persister davantage sans que la + ruine d'un très grand nombre de ses sujets n'en soit le résultat + inévitable. + + N'ayant cependant et ne pouvant même avoir d'autre volonté que celle + d'entrer dans les mesures que son auguste frère a conçues pour le + continent, Sa Majesté a réfléchi sur les moyens de concilier les + dispositions du blocus avec les besoins de son peuple, et elle s'est + déterminée à adopter pour son pays toutes les mesures que le + gouvernement français a prises ou pourrait prendre encore durant + cette guerre à l'effet d'empêcher les communications avec + l'Angleterre et avec les possessions britanniques dans les deux + Indes, mais à accorder aussi à ses nationaux les mêmes avantages que + S. M. impériale et royale laisse au commerce français. + + Chargé d'avoir l'honneur d'informer V. Excellence des dispositions + que Sa Majesté compte introduire avec le commencement du mois + prochain, je m'en acquitte par la présente et profite en même temps + de l'occasion pour lui exprimer de nouveau les voeux de ma cour, + qu'il plaise à S. M. impériale et royale de supprimer le décret du + 16 septembre dernier et de rétablir les relations du commerce entre + les deux pays sur le même pied où elles étaient avant cette époque. + Le roi m'a autorisé à donner les assurances les plus positives qu'il + emploierait tous les moyens qui sont en son pouvoir à surveiller la + stricte exécution des mesures adoptées pour empêcher toute + communication avec l'ennemi. L'organisation actuelle des douanes + hollandaises, au sujet de laquelle V. Excellence m'a demandé + quelques renseignements que j'ai l'honneur de lui adresser + ci-joints, offre à cet effet bien des ressources. Sa Majesté les + augmentera de toute manière et elle recevra avec reconnaissance les + projets d'amélioration que le gouvernement français voudra bien lui + soumettre. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 6 mars. + + On a reçu plusieurs fois des nouvelles du roi. Sa Majesté, le jour + même de son départ, a été au Loo, d'où elle a fait quelques petites + excursions. Elle est partie trois jours après pour Zvol et l'on + suppose qu'elle continuera sa tournée pour l'Over-Yssel et que + peut-être elle reviendra par le Brabant. Le roi voyage avec le + ministre de l'intérieur et celui des cultes. Sa Majesté est en outre + accompagnée des officiers de sa maison que j'ai eu l'honneur de + désigner à V. Excellence dans mon dernier numéro. On assure que le + roi est bien portant et content de son voyage. Le ministre de + Wesphalie a reçu un courrier du roi Jérôme. Il est en conséquence + parti sur-le-champ pour rejoindre Sa Majesté le roi de Hollande. Les + communications entre ces deux cours sont très fréquentes. V. + Excellence sait mieux que personne que Varel[155] est rendu à S. A. + le duc d'Oldenbourg; M. Berger, qui était chargé ici de suivre cette + négociation, est sur le point de repartir. Il doit remettre + aujourd'hui à M. Roëll une boîte avec le portrait du duc. Je + rappellerai à V. Excellence la nécessité d'empêcher que cette + restitution ne nuise à l'ensemble des mesures prises pour empêcher + la contrebande. Varel peut devenir très nuisible s'il n'est pas bien + gardé. On m'a assuré qu'il serait occupé par des troupes françaises: + de cette manière, tout est bien. Dans le cas contraire, il + deviendrait indispensable de surveiller la communication entre Varel + et Helgoland. On s'occupe ici d'un nouveau cérémonial, + malheureusement les grands officiers de la couronne qui sont chargés + de ce travail sont peu propres à remplir sur cet objet les + intentions du roi. Aucun n'a connu les cours étrangères et, par + conséquent, ne peut juger du bien ou des inconvénients de telles ou + telles étiquettes. Au reste nous avons grand besoin d'un changement, + car rien n'est fixé. Il y a quelques jours, le corps diplomatique + avait été invité au bal du roi par le chambellan de service, et l'on + apprit par le ministre des affaires étrangères, à 6 heures du soir, + que le bal n'aurait pas lieu le même jour, à 8 heures; et la note + officielle qui annonçait ce changement prévenait aussi qu'une + audience diplomatique qui devait précéder le bal était ajournée, + tandis que personne n'avait connaissance de cette audience. + + [Note 155: Varel, ville située près des embouchures du Vezer, + à 30 kil. nord d'Oldenbourg.] + + Je regrette de n'avoir pu remplir les ordres de V. Excellence, + relativement à l'article qu'elle m'avait chargé de faire insérer + dans la gazette hollandaise la plus répandue; mais il avait paru + dans la _Gazette royale_, deux jours auparavant, un article que j'ai + l'honneur de vous envoyer. Il avait été publié par ordre du roi, + d'après, ce que l'on assure, les informations venues à Sa Majesté + par M. Jacobson, son ministre près S. A. I. le prince Primat. Les + différents rédacteurs ont eu peur que l'on ne regardât cet article + comme une réfutation de celui de la _Gazette royale_, et, comme ils + sont sujets à une censure sévère, ils ont demandé qu'on les garantît + de ce qu'on pourrait leur dire à ce sujet. J'ai pensé que cela ne + remplissait pas le but de V. Excellence, et je me suis contenté de + faire passer, par une main sûre, ce même article à Hambourg, où il + sera rendu public et d'où il reviendra en Hollande sans que l'on + puisse soupçonner qu'il vienne de moi. Au surplus, j'ai employé des + personnes si sûres, que je puis répondre que personne n'a + connaissance de ce que j'ai fait et voulu faire. + + On répandait hier en ville que la véritable raison du départ du roi + était une entrevue que Sa Majesté devait avoir avec le roi de + Westphalie. On disait aussi que le baron de Münchhausen n'était + parti que pour rejoindre son souverain. + + On croit ici à la guerre. Les lettres de Paris et celles de Vienne + en contiennent l'assurance. On ne peut plus placer aucun papier sur + cette dernière place, à quel taux que ce soit. On parle aussi d'une + expédition du Danemark contre la Suède, et l'on assure qu'une + immense quantité de marchandises anglaises et coloniales trouve un + débouché en Russie. Au reste, toutes ces nouvelles sont des _on dit_ + que V. Excellence peut apprécier mieux que personne. Ce qui n'est + pas une chose incertaine, c'est la position affreuse de la Hollande + et la nécessité de s'occuper de son sort. Toute la ville assure que + le retour de la reine est très prochain, et cette idée plaît + généralement. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + 23 mars. + + Le dernier décret de l'empereur au sujet du grand-duché de Berg a + été l'objet de toutes les conversations et chacun s'est permis d'en + tirer des conséquences. On aurait désiré que la Hollande retirât + quelques avantages présents de cette donation. + + Je n'ai pas à me plaindre maintenant de la marche des affaires, + elles se traitent mieux qu'elles ne le faisaient anciennement, et, + depuis quelque temps, je crois que la contrebande continue et + qu'aucun bâtiment n'est admis dans les ports; mais cette situation + ne peut durer longtemps. Le besoin d'exportation se fait sentir tous + les jours davantage, et on me parle souvent du décret qui empêche + l'entrée en France des denrées coloniales et autres. Je rappelle + souvent cet objet à Votre Excellence, mais j'y suis forcé, étant + continuellement pressé de solliciter les bontés de l'empereur à ce + sujet. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + 30 mars. + + ... Le roi m'a paru peiné d'avoir appris que l'empereur croyait que + les communications de la Hollande avec l'Angleterre étaient + rétablies. Il me dit que faisant autant, il était fâché de voir la + même opinion subsister encore. Il me fit ensuite l'honneur de + m'annoncer que S. M. impériale et royale n'ayant pas répondu à son + projet d'exportation, elle regardait ce silence comme une + approbation et donnait des ordres en conséquence.--Je dois avoir + l'honneur d'affirmer à Votre Excellence que, quoique j'exerce la + plus grande surveillance sur ce qui se passe dans les ports de la + Hollande, je ne me suis aperçu d'aucune entrée de bâtiments chargés + de marchandises prohibées; que certainement il se fait quelque + contrebande surtout par la Frise et Helgoland, mais que cette + introduction est si peu considérable que tous les articles défendus + n'éprouvent aucune baisse à la bourse. Enfin je ne puis que répéter + la satisfaction que j'ai éprouvée de trouver le roi dans de bonnes + dispositions et de m'être aperçu que Sa Majesté paraissait sentir + que les choses n'avaient pas été jusqu'à présent comme nous avions + lieu de le désirer et qu'il était dans l'intention de changer ce qui + pouvait avoir déplu à l'empereur. Il est possible que je me flatte + et que cette bonne direction ne soit pas de longue durée. J'espère + le contraire et ferai mon possible pour entretenir le roi dans cette + nouvelle marche.--Votre Excellence aura vu, dans les papiers + anglais, la défense de laisser en Angleterre les beurres, les + fromages et les genièvres venant de Hollande. Ceci me paraîtrait + prouver que les mesures contre l'introduction des marchandises + anglaises sont bien exécutées dans ce pays-ci. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 11 avril. + + J'ai reçu les ordres les plus pressants du roi mon maître, de + communiquer confidentiellement à Votre Excellence les inquiétudes + dans lesquelles Sa Majesté se trouve au sujet des préparatifs + secrets qui se font actuellement dans les ports de l'Angleterre et + qui pourraient bien être dirigés contre les côtes de la Hollande. + + Ce qui paraît autoriser cette idée, c'est que depuis quelque temps + les Anglais prennent et amènent nos pêcheurs, qu'ils s'approchent + plus constamment et plus près des côtes, qu'enfin, depuis quelques + jours, ils reconnaissent les côtes et sont occupés à sonder partout + où elles présentent des facilités pour un débarquement. + + Les forces que le roi a de disponibles pour s'opposer à un projet de + débarquement quelconque sont extrêmement faibles; il ne reste à Sa + Majesté que ses gardes et deux bataillons qu'elle a donné l'ordre de + concentrer et de faire camper pour en tirer le meilleur parti en cas + de besoin. Elle fait armer en même temps la garde nationale, mais + elle ne se dissimule pas combien peu elle doit se reposer sur ces + deux ressources, et que son pays serait essentiellement exposé si + elle ne peut pas augmenter son corps d'armée, n'ayant d'ailleurs + pour la garde des côtes que quelques canonniers et quelques hussards + de distance en distance. + + Je prie Votre Excellence de mettre cet état de choses sous les yeux + de S. M. l'empereur, qui saisira d'un coup d'oeil tous les dangers + de la Hollande, et accueillera, je l'espère, les sollicitations du + roi pour que les troupes hollandaises, actuellement dans le nord de + l'Allemagne, puissent rejoindre le pays et contribuer à sa défense. + Le roi m'a chargé de demander cette faveur avec d'autant plus + d'instance qu'elle regarde que la réunion de ces troupes à celles + qui lui restent lui donnera à peine les forces suffisantes pour + faire une résistance convenable à une attaque éventuelle[156]. + + [Note 156: L'empereur refusa de rendre les troupes + hollandaises.] + + Le roi mon maître, en me donnant les ordres ci-dessus énoncés, m'a + envoyé en même temps deux lettres pour son très auguste frère, et + m'a enjoint de solliciter une audience particulière de Sa Majesté + pour avoir l'honneur de les lui remettre. Je serais très flatté si + Votre Excellence voudrait en faire part à S. M. impériale et royale + et m'obtenir cette grâce. + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 23 mai. + + Les nouvelles entraves qu'éprouve de toutes parts le commerce + hollandais m'imposent le devoir de renouveler à Votre Excellence + avec les plus vives instances les démarches que j'ai déjà eu + l'honneur de faire plus d'une fois pour obtenir de S. M. l'empereur + et roi que les relations commerciales entre la France et la Hollande + soient rétablies sur le même pied où elles étaient avant les mesures + prohibitives émanées de France dans le mois de septembre dernier. + + Votre Excellence sait que l'implacable ennemi de la prospérité + hollandaise vient de déclarer de nouveau en état de blocus tous les + ports de la Hollande. Il empêche également la sortie des bâtiments + neutres chargés de productions hollandaises, et comme la saison où + nous sommes entrés permet à ses nombreuses croisières d'observer + toute l'étendue de nos côtes d'un bout à l'autre, le peu de commerce + qui restait encore à ce pays est par là entièrement détruit. + + L'inimitié entre les deux nations est à son comble, et si + l'Angleterre pouvait anéantir aujourd'hui toute la Hollande, elle y + emploierait tous ses moyens et regarderait la destruction de son + ancienne rivale comme la plus grande conquête remportée sur + l'industrie des autres nations. + + Il paraît que ce nouvel acharnement est une suite de la sévérité + avec laquelle le roi a fait exécuter dans les ports de son royaume + les mesures du blocus. Les Anglais ont cru devoir s'en venger. Mais + le peuple hollandais, habitué depuis longtemps aux plus grands + sacrifices, toujours ferme et inébranlable dans ses principes, ne + ralentira pas ses efforts pour la cause commune. Il aime à nourrir + l'espoir qu'il trouvera dans ses relations avec la France une + compensation à ses pertes. + + Le roi mon maître, plaçant dans cet état de choses, comme toujours, + sa confiance entière dans l'amitié de son très auguste frère, se + flatte que S. M. impériale et royale voudra bien prendre en + considération qu'il est impossible que la Hollande reste entre deux + prohibitions, et désire vivement qu'elle accorde la suppression du + décret du 16 septembre dernier qui pèse si fâcheusement sur les + liaisons commerciales entre les deux pays et est si nuisible à leurs + intérêts réciproques. + + Votre Excellence connaît particulièrement la fâcheuse impression et + les funestes résultats que ce décret a produits en Hollande; je la + prie donc instamment de vouloir profiter de la première occasion + favorable pour mettre le contenu de cette lettre sous les yeux de S. + M. impériale et royale et d'honorer ma demande de son appui. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 30 avril. + + Les affaires continuent à suivre une bonne direction, et je commence + à croire que véritablement l'intention du gouvernement hollandais + est changée. Le roi envoya hier à son ministre des affaires + étrangères le décret relatif à la sortie et à l'entrée des + marchandises indiquées dans ce décret. Il lui enjoignait de me le + communiquer; une fois le principe admis, je crois que la rédaction + des articles doit prévenir tous les abus. + + N'ayant reçu aucune réponse de Votre Excellence au sujet de ce + décret, je dois supposer que S. M. impériale et royale y donne son + assentiment. Je n'ai donc pas cru devoir discuter le principe, mais + prendre simplement toutes les précautions possibles pour que le + système général de l'empereur ne souffre aucune atteinte. J'ai lieu + d'espérer que le gouvernement hollandais sera sévère, qu'il punira + de la manière la plus forte toute espèce de fraude. Je lui ai fait + entendre qu'il était indispensable pour le bien du commerce que + cette sévérité ne souffrît aucune exception, et je crois l'avoir + persuadé. + + Le roi, par un décret du 2 de ce mois, vient de séparer + l'administration des douanes du ministère des finances. + + Sa Majesté a nommé M. Van Meuwen, conseiller d'État dans la section + des finances, son administrateur général des douanes. M. Van Meuwen + est du Brabant. L'opinion générale me paraît être qu'il mettra du + zèle et de l'exactitude dans ses fonctions. Quant à ses moyens, ils + sont peu connus, du moins des personnes à qui j'en ai parlé. Je sais + de la manière la plus positive que ce décret du roi a été pris dans + l'intention d'entrer dans les vues de l'empereur et que Sa Majesté + l'a décidé sans en parler à ses ministres; celui des finances n'en + ayant été informé que lorsque le nouveau directeur général des + douanes est venu lui porter la lettre du roi qui lui annonçait sa + nomination. + + Sa Majesté est attendue aujourd'hui pour dîner. Demain, il y a bal à + la cour, et, dans peu de jours, je crois que le roi ira en Zélande + et retournera à Utrecht. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 8 mai. + + Je prie Votre Excellence de vouloir bien, lorsque l'occasion s'en + présentera, parler à l'empereur du décret du 16 octobre qui + interdit en France l'entrée de toutes les denrées coloniales venant + de la Hollande. Ce décret, indépendamment qu'il affecte beaucoup le + roi, nuit essentiellement au commerce de ce pays, qui ne trouve pas + de débouché pour les objets qu'il a encore en magasin. Il a de plus + l'inconvénient d'habituer les Hollandais à un commerce de + contrebande qui s'établit du côté du grand-duché de Berg. + + J'ai de plus la certitude qu'il serait très agréable au roi que + l'empereur reconnût, et, plus encore, portât, ne fût-ce qu'un + instant, l'ordre que Sa Majesté a fondé. Si Votre Excellence pouvait + être autorisée à m'écrire quelques mots à ce sujet, je crois que + cela ferait grand plaisir au roi. + + Le roi s'occupe maintenant à mettre la Zélande en état de défense. + Sa Majesté avait donné ordre que l'on désarmât l'île de Gorée; mais + sur les représentations qui ont été faites au roi, Sa Majesté a + rapporté cette décision, et la batterie de Borschin, jugée une des + plus importantes de la Zélande, vient d'être augmentée. Le colonel + Domrat, aide-de-camp du roi, commande le génie dans cette partie de + la Hollande. + + Les camps ne sont pas encore établis. Les troupes sont cantonnées + dans les environs de Naarden et de Wesesp, c'est-à-dire très près + d'Amsterdam. Le général Tarayre est toujours destiné à commander le + camp qui doit être de 25,000 hommes. La division hollandaise qui + était à Brême, Hambourg, etc., est en marche pour se rendre à + Goettingue. Elle n'a laissé qu'environ 3,000 hommes pour garder les + positions qu'elle occupait. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 12 mai. + + Le roi est arrivé avant-hier à 4 heures du matin. J'ai eu l'honneur + de voir Sa Majesté le même jour. Je l'ai trouvée en parfaite santé + et point fatiguée de ses voyages, malgré la chaleur étouffante qu'il + fait ici depuis trois semaines. Il paraît que le projet du roi est + de rester peu de jours à Amsterdam. Sa Majesté doit aller à + Southdeck et au Loo, mais elle reviendra souvent dans sa résidence + où sa présence ne peut produire qu'un bon effet. Le roi a été à + Flessingue. Il me semble que Sa Majesté m'a dit qu'elle avait écrit + à l'empereur. Elle a admiré notre flotte qui est maintenant composée + de dix vaisseaux de ligne; mais elle n'a pas été contente ni de + l'état dans lequel elle a trouvé la place ni de l'attitude de notre + amiral qui, à ce que j'ai appris, n'a rendu au roi que les honneurs + de prince français, mais pas ceux dus à son rang, ce qui m'a fait + d'autant plus de peine que, dans les circonstances présentes, le roi + marchant franchement au même but que l'empereur, il est utile et + nécessaire d'entourer Sa Majesté d'une force d'opinion dont elle a + besoin pour maintenir la tranquillité qui règne dans son royaume, et + que la bonne intelligence entre les deux cours et la grande + déférence pour le roi est l'arme la plus forte que l'on puisse + mettre dans les mains de Sa Majesté. J'ai donc soin de rejeter et + d'oublier tout ce qui s'est passé, même ce qui pourrait encore me + blesser, pour défendre le roi, dès que l'on cherche à attaquer + quelques-unes de ses actions. J'ai rendu compte à Votre Excellence + des pamphlets et des libelles qui ont circulé ici. De très mauvais + propos ont été dits et répétés à Amsterdam et des lettres anonymes + ont été écrites au roi. Sa Majesté a méprisé toutes ces attaques + indirectes. Une seule femme qui répandait ces libelles a été arrêtée + et est encore maintenant dans les mains de ta justice. L'exemple de + la Westphalie a, je crois, fait une grande impression sur le roi. + J'ai eu l'honneur de causer longtemps avec Sa Majesté, sur ce sujet; + je l'ai trouvée telle que je pouvais le désirer, et bien franchement + le frère de l'empereur. Le point sur lequel le gouvernement + hollandais doit avoir les yeux le plus ouverts est l'Ost-Frise où il + règne le plus mauvais esprit. Heureusement les Anglais ne cherchent + pas à y débarquer, car il est triste de penser qu'ils y seraient + reçus à bras ouverts. Plusieurs propositions d'actes de sévérité ont + été faites au roi, mais S. M. les a très sagement écartées. Elle ne + se fait pas illusion sur la position de l'Ost-Frise et sur la + contrebande qui s'y fait depuis cet hiver. Mais ce malheur + momentané, et qui n'a pas de grandes conséquences, ne peut pas + entrer en comparaison avec le danger d'exciter des troubles, qu'il + serait peut-être ensuite difficile d'apaiser. La Hollande est + dépourvue de troupes. La formation de la garde nationale a souffert + de grandes difficultés. Il deviendrait donc impossible d'employer de + grands moyens de répression dans un pays où il n'y a plus d'esprit + public. Le roi se contente de diminuer le mal autant que possible, + en attendant une époque plus heureuse pour l'extirper entièrement. + Les finances sont toujours l'objet de la plus grande sollicitude; le + commerce diminue, les moyens s'affaiblissent, et j'ignore comment + l'on fera ici si cet état de choses doit durer longtemps. Nous + aurions besoin en Hollande d'une preuve d'approbation de l'empereur, + et d'un de ces mots que S. M. impériale et royale sait dire si à + propos pour donner du courage et de la force aux gouvernements et de + l'espérance aux habitants. V. Excellence ne doute pas que l'espoir + de nos ennemis soit dans le peu de confiance qu'ils croient que nous + devons avoir dans la Russie. Il est donc malheureux que nous n'ayons + pas ici un ministre de cette nation plus prononcé. Le prince + Dolgorouki, sans tenir ouvertement une conduite opposée à notre + cour, n'est pas tel que je pourrais le désirer, et sa manière de + partager nos succès équivaut à un regret d'être forcé de les + admirer. Il élève habituellement des doutes sur le résultat de la + campagne. Maintenant ses prétendues inquiétudes sont portées sur + Schill, qu'il regarde comme pouvant détruire l'armée française. + Heureusement, comme je crois déjà avoir eu l'honneur de vous le + mander, il ne jouit ici d'aucune espèce de crédit. Ainsi ses paroles + ont peu de poids; mais le petit effet qu'elles produisent est + mauvais. Il a déjà reçu, je crois, une forte réprimande de sa cour: + une seconde serait très bien placée. + + Les troupes hollandaises sont maintenant campées à quelques lieues + d'ici. Les camps d'Harlem et de La Haye sont regardés comme + l'avant-garde de celui qui couvre Amsterdam. Tous sont sous le + commandement du général Tarrane, capitaine des gardes. Un autre + capitaine des gardes commande la cavalerie. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 13 mai. + + Je profite de l'occasion de M. de Vaux, qui est appelé au quartier + général de S. M. impériale et royale, pour faire parvenir cette + dépêche à Votre Excellence. + + Depuis quelques jours il s'est répandu ici plusieurs pamphlets + écrits dans un très mauvais esprit: ils ont été saisis par la + police. Celui que l'on répandait avec la plus grande profusion était + une espèce de manifeste du prince d'Orange qui, rappelant aux + Hollandais leur ancienne splendeur et le bonheur dont ils + jouissaient sous son gouvernement, les invitait à le rappeler au + milieu d'eux, promettant d'y venir sur le champ et de les défendre, + aidé par les Anglais, contre les dangers qu'ils pourraient redouter. + Ces pamphlets n'ont produit aucune fermentation; mais l'opinion + publique est bien molle et l'absence du roi fait un bien mauvais + effet. On est étonné et fâché de voir le voyage du roi se prolonger + dans des circonstances aussi importantes. Le roi perd dans l'opinion + publique, et je crains que les personnes qui entourent Sa Majesté ne + l'engagent à s'éloigner de sa capitale que pour lui nuire et le + perdre. J'ai de fortes raisons de croire qu'ils me craignent, et ils + caressent les anciennes idées du roi, en ne lui faisant voir + d'indépendance que lorsqu'il est éloigné des Français. Je me fais + rendre compte de tout ce qui se passe, et si je voyais le moindre + danger, je me rendrais sur le champ auprès du roi pour déjouer les + mauvais esprits qui l'entourent. Tout est tranquille ici. La + garnison d'Amsterdam est au camp de Naarden. La garde du roi est + même partie, et le palais, ainsi que la ville, n'a plus qu'un + bataillon de vétérans qui occupent tous les postes. Le ministère est + dans de très bonnes dispositions et je l'y maintiendrai. V. + Excellence peut donc être bien tranquille; je lui écris aujourd'hui + à la hâte et aurai l'honneur de lui rendre un compte plus détaillé + au premier moment. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 29 mai. + + Malheureusement, malgré toutes les peines que je prends et tout le + désir que j'ai de voir régner une bonne harmonie entre le + gouvernement hollandais et ma cour, je me trouve forcé de rendre + compte à V. Excellence d'un nouvel incident qui fait suite à ceux de + même nature que j'ai supportés depuis quinze mois et dont je n'ai + pas parlé; mais celui-ci devient plus grave par la grandeur de + l'événement auquel il a rapport et par l'effronterie que l'on a eue + d'en faire un article de la Gazette royale d'aujourd'hui. + + V. Excellence sait peut-être que le dimanche est en Hollande le jour + que l'on passe ordinairement à la campagne, comme le seul dont les + négociants puissent disposer. J'étais invité dans les environs de la + ville et je devais partir samedi soir. Ayant appris qu'il devait y + avoir un _Te Deum_ à la cour, j'écrivis samedi à M. Roëll qu'ayant + des projets de campagne, je désirais savoir si le Corps diplomatique + était invité au _Te Deum_, pour régler ma marche d'après sa réponse. + Le ministre me répondit d'abord qu'il allait s'en informer + positivement. Deux heures après il m'écrivit un billet par lequel il + me prévenait que M. le baron de Pallandt, chambellan de service, + venait de lui mander que mon invitation était déjà expédiée. Je + restai donc en ville, ignorant si le _Te Deum_ aurait lieu le matin + ou le soir, et ne voulant pas en aucun cas y manquer. La matinée se + passa sans recevoir aucune lettre de la cour, enfin à une heure et + demie M. de Pallandt m'envoya un valet de chambre pour me prévenir + que le _Te Deum_ venait d'être chanté, et pour me demander si je + n'avais pas reçu d'invitation. Je répondis au valet de chambre que + je n'avais rien reçu, et que probablement elle n'avait pas été + expédiée. J'écrivis ensuite à M. Roëll pour me plaindre d'un pareil + oubli, et de la manière leste et peu convenante dont il avait été + réparé. Le ministre me répondit une lettre d'excuse dans laquelle il + s'efforça de m'assurer qu'il n'y avait eu aucune intention de me + manquer, mais un simple oubli. Le roi me fit appeler à la cour. Je + me rendis aux ordres de Sa Majesté. Elle voulut bien me témoigner + ses regrets, me dit des choses obligeantes, m'assura avoir fortement + réprimandé les auteurs de cette faute, et quoique j'aie trouvé le + roi enclin à prendre le parti de son chambellan, je n'ai pas eu à me + plaindre. Je rappelai seulement à Sa Majesté combien j'avais + supporté de petites choses de ce genre, et combien il me paraissait + nécessaire qu'elle voulût bien y mettre ordre. Le roi partait ce + matin. J'eus donc l'honneur de prendre congé de Sa Majesté. Ma + conférence se termina en parlant au roi de plusieurs affaires qui se + traitaient à présent et après avoir renouvelé à Sa Majesté + l'assurance de mon zèle à faire valoir la marche nouvelle qu'elle + avait prise, et je ne parlai plus de l'affaire du matin. Mais tout à + l'heure, en lisant la Gazette royale, je lis: «Il a été chanté hier + dans la chapelle royale, en présence de toute la cour, un _Te Deum_ + en l'honneur des étonnantes victoires de l'armée française. Son + Excellence l'ambassadeur de France devait y assister, mais une + indisposition l'en empêcha.» + + J'écrivis sur le champ au ministre des affaires étrangères la lettre + dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. Excellence, et j'aurai + celui de vous faire part de la réponse du ministre dès qu'elle me + sera parvenue. Je me décidai ensuite à démentir le fait inséré dans + la Gazette. V. Excellence trouvera bon, j'espère, que je sois + fortement blessé d'être ainsi récompensé de la conduite plus que + modérée que je tiens en Hollande, elle approuvera que je n'aie pas + laissé croire aux Hollandais, qui me voient journellement, que je + n'aie pas voulu assister au _Te Deum_ chanté pour des événements + aussi marquants et qui intéressent aussi directement mon souverain + et mon pays. Je prendrai cette occasion d'avoir l'honneur de vous + assurer que tout ce qui est fait ici en l'honneur de nos victoires + l'est d'une manière peu conforme à la grandeur des événements. Le + canon fut tiré il y a trois jours pour notre entrée à Vienne, mais + personne n'en fut informé que par la gazette. Car les ordres furent + donnés de le tirer à six heures du matin et absolument à une + extrémité de la ville. Il n'y eut aucune fête à la cour, aucune + audience extraordinaire; enfin le _Te Deum_ fut chanté hier + simplement à la chapelle du roi. Il n'y avait que deux ou trois + dames du palais et les personnes qui tiennent au service personnel + du roi. Le Corps diplomatique n'y était même pas invité. Je devais + être le seul admis à faire ma cour au roi dans cette circonstance + marquante. Que V. Excellence veuille bien ajouter à ceci que les + bulletins de notre armée ne sont pas publiés en Hollande tels qu'ils + sont réellement, mais que l'on en donne uniquement un extrait, ayant + soin d'en ôter tout ce qu'ils contiennent de réflexions politiques. + Quant à M. de Pallandt, dont je viens d'avoir l'honneur de vous + parler, ce chambellan est une des personnes qui professent les + opinions les plus opposées à la France et à l'empereur. Il se vante + d'influencer le roi et de le diriger d'après ses opinions. Tous les + Français en sont et en ont toujours été mécontents. Enfin il serait + trop long de répéter à V. Excellence tous les propos qu'il a tenus + dans toutes les circonstances qui se sont présentées. + + +Les justes observations faites à l'empereur sur le triste sort de la +Hollande, non seulement par les agents de ce malheureux pays, mais +par ceux de la France, finirent par être écoutées. Napoléon, par un +décret daté d'Ebersdorf, 4 juin 1809, rapporta celui du 16 septembre +1808. En voici la teneur: + + + Les relations commerciales entre la France et la Hollande seront + rétablies sur le même pied qu'avant notre décret du 16 septembre + 1808. + + +Cette nouvelle, parvenue à Amsterdam le 16 juin 1809, répandit la +joie dans le royaume. Le duc de Cadore l'annonça à Larochefoucauld +par la lettre suivante, du 5 juin: + + + M. l'amiral Werhuell m'avait adressé au nom de sa cour de nouvelles + instances pour la révocation du décret du 16 septembre. J'ai + entretenu Sa Majesté de cet objet et elle a bien voulu rétablir les + relations entre les deux pays sur le pied où elles étaient + antérieurement. + + Je n'ai point laissé ignorer à M. Werhuell que l'empereur avait été + déterminé par ce que vous avez mandé de l'exactitude avec laquelle + les mesures contre le commerce anglais étaient exécutées depuis un + certain temps. Sa Majesté a été très surprise et même peu satisfaite + d'apprendre que M. Janssins, l'un des ministres du roi, ait été + chargé d'une mission (sans doute publique) auprès de S. A. S. Madame + la grande-duchesse de Toscane, qui n'est point _souveraine_. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 6 juillet. + + J'ai eu l'honneur de mander à V. Excellence que les bâtiments + américains continuaient à entrer dans les ports de la Hollande. Le + roi n'a pas encore pris de résolution formelle à cet égard, mais on + assure que le décret qui autorise l'arrivée de ces bâtiments est + déjà rendu et qu'il sera bientôt public. + + Il y a trois jours qu'une scène fort désagréable arriva au Texel. Un + corsaire français s'empara de deux navires américains. Les + stationnaires hollandais se rendirent sur les prises, en arrachèrent + le pavillon français et empêchèrent le capitaine du corsaire de + communiquer avec ses prises. V. Excellence verra par le rapport + ci-joint les détails de cet événement. Comme je n'ai pas encore de + réponse de V. Excellence à ma dépêche du 19 juin, je me suis borné à + écrire à M. Roëll la lettre dont je joins une copie. Je n'ai pas + voulu aller plus loin, mais il est pénible de voir mes espérances + s'évanouir chaque jour davantage. Les affaires, au lieu de prendre + une tournure satisfaisante, empirent à chaque instant. La + contrebande augmente d'une manière effrayante. La mauvaise marche du + gouvernement reprend un nouvel essor, et l'on dirait que l'acte de + bonté de l'empereur n'a servi qu'à réveiller une conduite aussi + blâmable qu'insensée. Le commerce souffre beaucoup et désapprouve + tout ce qui se passe maintenant. De fortes représentations ont été + faites, mais malheureusement tout est inutile, et nous sommes + retombés dans la même position que l'été dernier. + + Le roi est au Loo. Sa Majesté voit ses ministres tous les 15 jours + ou toutes les trois semaines. Elle est entourée des dames du palais + et des officiers de sa maison, et s'occupe dans la matinée des + affaires et de l'arrangement de ses jardins. Le soir, il y a concert + ou spectacle. Personne n'est admis au Loo que les Hollandais qui y + sont invités, et je regarde ces voyages prolongés comme une des + causes de ce dont j'avais à me plaindre. Le roi y est livré à + quelques personnes qui abusent de sa bonté. Les ministres mêmes ne + sont pas là pour faire des observations à Sa Majesté, et les + affaires y sont décidées sans cet ensemble qui est indispensable + dans la direction d'un gouvernement. + + Des nouvelles que je reçois dans le moment me forcent à reparler à + V. Excellence de l'affaire arrivée dernièrement au Texel. Un second + corsaire français vient d'adresser au consul général un rapport qui + est absolument conforme à celui que j'envoie à V. Excellence; mais + des lettres d'un des armateurs, qui est au Helder, ajoutent que les + Hollandais maltraitent les Français qui sont à bord des prises, + qu'ils les empêchent de venir à terre, tandis qu'ils accordent cette + permission aux Américains; qu'enfin les papiers de ces prises + viennent d'être envoyés au directeur général des douanes ou au + ministre de la marine; qu'ainsi il deviendra très difficile de + réfuter l'objection qui sera faite que ces navires ont été pris dans + les eaux du royaume de Hollande. Il est au reste prouvé que ces + bâtiments ont été visités par les Anglais, et constant que tous les + Américains sont escortés par des bricks anglais jusqu'à la passe du + Texel. M. le général Knobelsdorff, ministre de Prusse, sort de chez + moi. Il est venu m'apporter une lettre que son souverain lui écrit + au sujet de l'emprunt; par cette lettre le roi, croyant très + difficile de l'effectuer, me prie de certifier à l'empereur + l'impossibilité de trouver cette ressource en Hollande. J'ai répondu + au ministre que M. de Nieburg, chargé de cet emprunt, m'avait assuré + qu'il avait contracté un engagement avec une maison de commerce + d'Amsterdam, que cet engagement était soumis à l'approbation de la + cour de Prusse et à l'autorisation du roi de Hollande; que depuis + cette époque je n'avais plus entendu parler de cette affaire, et que + j'attendais, pour témoigner au roi le désir de l'empereur que cet + emprunt s'effectuât, que M. de Nieburg m'eût assuré que cette + opération était prête, sauf cet agrément. Je priai donc M. de + Knobelsdorff de répondre à S. M. le roi de Prusse que je ne pouvais + écrire à S. M. impériale et royale dans le sens qu'il désirait, que + dans le cas où le roi de Hollande refuserait de permettre cet + emprunt, ce que je suis loin de supposer. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 6 juillet. + + J'annonçais à Votre Excellence, par le dernier courrier, que j'étais + informé que S. M. le roi de Hollande avait pris une résolution qui + permettrait l'entrée des ports de son royaume aux navires + américains. V. Excellence en trouvera ci-joint la traduction, ainsi + que celle d'une seconde résolution prise le même jour, 30 juin, qui + augmente de six articles ceux autorisés par le décret du 31 mars + dernier. Ces deux résolutions ont été sanctionnées à mon insu, et + jusqu'à ce moment elles ne me sont pas parvenues officiellement. Le + ministre ne m'en a même jamais parlé; probablement il ne les + connaissait pas lui-même. Quant à la première de ces résolutions, je + l'ai passée sous silence, ayant voulu attendre les ordres de + l'empereur avant d'agir, et, ne m'étant pas formellement opposé à + l'entrée des navires américains, il eût été inconséquent, avant + d'avoir reçu de nouvelles instructions, de faire une levée de + boucliers contre un décret qui admet ces bâtiments. J'ai été plus + embarrassé sur le second objet. Si S. M. le roi de Hollande n'eût + pas été le frère de l'empereur, ma conduite eût été si ferme et si + positive, que le décret eut été rapporté. Mais les circonstances + m'ont paru mériter des ménagements, et le respect pour tout ce qui + tient à l'empereur m'a retenu. Je me suis donc contenté de demander + un rendez-vous au ministre par la lettre dont copie est ci-jointe, + et lui ai donné trois jours pour qu'il puisse me répondre et qu'il + ait le temps de prévenir le roi de cette conférence. Le but + principal de cet entretien est de savoir si le roi a consulté S. M. + impériale et royale, ce dont je doute beaucoup. Si cependant je me + trompe, et que l'empereur ait trouvé bon l'introduction des sucres, + cafés et cotons, dès ce moment je n'ai plus rien à dire; mais dans + le cas contraire, il me paraît impossible de permettre l'entrée en + France de ces denrées coloniales avant d'y être autorisé. Je viens + donc provisoirement de prescrire aux consuls de ne délivrer aucun + certificat d'origine pour les six nouveaux articles, avant le jour + où je dois avoir une explication avec M. Roëll. Le prétendu serment + exigé du capitaine américain est un article de forme qui ne sert à + rien, car quel peut être le capitaine qui fasse saisir son bâtiment, + pour ne pas affirmer qu'il n'a pas été en Angleterre et qu'il n'a + été visité par aucun bâtiment de cette nation? Je ne puis pas non + plus me fier au gouvernement hollandais, car j'ai de fortes raisons + de croire que des navires avec licences anglaises ont été admis, et + j'ai acquis la certitude que des bricks anglais escortaient tous les + américains qui sont entrés en Hollande dans le mois dernier. Ce fait + est tellement avéré que tout le commerce et la marine en sont + informés. + + Pour me rendre raison de cette nouvelle mesure prise par le roi, je + suppose que les Hollandais auront renouvelé leurs plaintes de voir + les productions de leurs colonies vendues à vil prix en Angleterre, + et qu'ils auront obtenu de Sa Majesté cette dernière résolution qui + va inonder la France et l'Allemagne de ces articles, surtout depuis + que S. M. impériale et royale a rapporté le décret du 16 septembre, + car avec la meilleure volonté, il est très difficile aux consuls de + n'être pas souvent trompés sur l'origine des articles qui leur sont + présentés, et en outre, ces derniers objets étant autorisés par le + roi, il leur sera impossible de les refuser. C'est pour couper court + à ces inconvénients que je me suis décidé à enjoindre aux consuls de + n'autoriser l'entrée en France d'aucun des objets qui me paraissent + en entière opposition avec les intentions de l'empereur, et qui le + sont avec mes anciennes instructions qui m'enjoignent d'empêcher + l'entrée en Hollande de navires américains chargés de denrées + coloniales, et même de déclarer que je quitterais le royaume si le + gouvernement hollandais persistait dans cette conduite. + + Si S. M. impériale et royale eût été à Paris, je ne me serais pas + porté à cette mesure, qui a quelque chose de désagréable pour le + roi, mais d'un autre côté j'ignore ce qui s'est passé en Autriche + depuis dix jours. L'empereur est peut-être encore plus éloigné de + nous, et avant que je ne puisse recevoir les ordres de V. + Excellence, les magasins d'Anvers seront remplis de denrées + coloniales. Il me paraît difficile ensuite de remédier à cet + inconvénient, tandis qu'en conservant les choses en _statu quo_, + l'empereur peut décider, et si je n'ai pas agi conformément à ses + instructions, le tort ne retombe que sur moi, et les affaires + reprennent leur marche ordinaire. J'envoie cette dépêche par + estafette à M. le comte Beugnot, afin qu'elle parvienne plus + promptement à V. Excellence. + + La bourse d'Amsterdam est dans une grande agitation. Ces nouvelles + résolutions donnent beaucoup d'inquiétude. Quelques propriétaires ou + consignataires des bâtiments américains sont contents, mais la + grande majorité des négociants fera de grandes pertes si l'admission + des Américains est maintenue. Hier on ne pouvait rien vendre; les + denrées sont à vil prix. + + Quant à la contrebande, V. Excellence verra par un rapport de M. + Sadet, que le gouvernement hollandais ne la surveille que très + faiblement. En tout les affaires prennent une marche bien + désagréable et qui, je vous assure, m'afflige beaucoup. Le roi est + parti de Loo le 3 de ce mois, il a été à Harlem, a dîné chez le + préfet, a acheté à la foire de cette ville une quantité de + marchandises, a paru à un bal qu'une des personnes les plus riches + de la ville donnait, et est reparti le lendemain matin pour Loo. Je + devais être à ce bal; mais des affaires m'ayant appelé ici, je n'ai + pu y assister. Pour me résumer, j'ai donc l'honneur de prévenir V. + Excellence que si j'apprends que l'empereur n'a aucune connaissance + des dernières résolutions du roi, je ferai suspendre la délivrance + des certificats d'origine pour les articles compris dans la dernière + décision, jusqu'à ce que je reçoive les ordres de S. M. impériale et + royale, et j'en informerai M. Roëll. + + + CADORE À LAROCHEFOUCAULD. + + Vienne, 17 juillet. + + Monsieur l'ambassadeur, le décret par lequel le roi de Hollande a + ouvert les ports de son royaume aux navires et aux productions des + États-Unis a causé à S. M. l'empereur un vif déplaisir. + + C'est pour ainsi dire au moment même où la Hollande obtenait de Sa + Majesté une faveur qu'elle avait ardemment désirée, qu'elle a pris + elle-même une mesure contraire aux vues et aux intérêts de la + France, autant qu'elle est favorable aux desseins de l'ennemi. + + Sa Majesté vous charge de demander la révocation instante, immédiate + de ce décret. Elle vous charge de faire connaître que la Hollande ne + doit pas se flatter de pouvoir tenir en fait de commerce maritime + une ligne de conduite qui ne soit pas entièrement conforme à celle + de la France et du reste du continent; qu'elle doit être + indissolublement unie à la France, partager son sort, sa bonne et sa + mauvaise fortune, n'avoir d'autre système que celui de la France, le + suivre sans déviation; qu'autrement, si elle veut séparer sa cause + du continent, l'empereur, à son tour, se séparera d'elle. + + Sa Majesté veut que vous mettiez la plus grande énergie dans votre + langage, ce que vous saurez faire en gardant tous les égards que + vous avez pour le roi et que vous lui devez. Mais il faut que tous + les ministres et tous ceux qui ont la confiance du roi sentent que + non seulement un refus, mais de simples hésitations, pourraient + avoir les conséquences les plus sérieuses. Vous iriez même s'il le + fallait (mais je suppose que cela ne sera pas nécessaire), vous + iriez, dis-je, jusqu'à déclarer que si la Hollande ne se remet pas + sur le champ sur le même pied que la France, et ne rentre pas dans + son système pleinement et sans réserve, vous ne pouvez pas garantir + qu'elle ne cessera pas d'être considérée comme alliée et comme amie, + ni répondre de la continuation de l'état de paix. + + _P. S._--Cette lettre écrite, j'ai reçu celle que vous m'avez + adressée le 6 de ce mois. J'en ai rendu compte à Sa Majesté, qui + approuve la mesure que vous avez prise de défendre aux consuls + français de donner des certificats d'origine pour les objets dont le + roi de Hollande vient de permettre l'introduction. + + + ROËLL À LAROCHEFOUCAULD. + + Amsterdam, 8 août. + + Je me suis fait un devoir de mettre sous les yeux du roi les + différentes réclamations que V. Excellence m'a fait l'honneur de + m'adresser au sujet de plusieurs navires capturés par des corsaires + français; je me suis également empressé de soumettre à Sa Majesté + les observations contenues dans la lettre de V. Excellence du 31 + juillet, relativement à la marche adoptée depuis quelque temps en + Hollande de renvoyer sur un simple ordre du roi l'équipage français + des prises qu'on regarde comme irrégulières. + + La mesure contre laquelle V. Excellence a cru devoir réclamer a été + provoquée par les excès des corsaires qui, se comportant en vrais + pirates, s'arrogent le droit de s'emparer de tous les navires sans + distinction, à l'embouchure de nos rivières et dans les eaux mêmes + de la Hollande, sans aucun respect pour la souveraineté + territoriale. C'est ainsi que le 1er du mois passé, le corsaire _le + Furet_ s'est emparé d'un navire popembourgeois, de _Trree + Gebroeders_, capitaine _Jennis Pieters_, chargé de sel, venant de la + Norvège; les déclarations unanimes des gardes-signaux des côtes ne + laissent aucun doute que cette prise n'ait été faite dans les + limites du royaume. Le lendemain, les corsaires _l'Hébé et la + Revanche_ ont conduit au Texel cinq autres bâtiments sous pavillon + neutre, chargés de sel et destinés pour des ports hollandais. Les + prises ont été également faites à l'embouchure de nos rivières. + + Quelque extension que l'on veuille donner aux droits de la guerre, + ils ne pourront jamais servir à justifier la violation des droits + sacrés d'une puissance amie et alliée, et toutes les fois que des + armateurs se permettent des voies de fait dans l'enceinte de la + juridiction maritime d'un état, le souverain territorial a le droit + de punir et de réprimer leurs excès. + + Leurs prises étant par elles-mêmes des actes d'hostilité, ils ne + peuvent plus invoquer la protection des formes légales, mais ils + doivent être soumis à l'action immédiate du gouvernement qui peut + sans aucune forme de procédure leur faire lâcher prise. De même + lorsque les corsaires s'avisent de surprendre des bâtiments sortants + ou entrants avec permission, le pouvoir exécutif a également le + droit de connaître administrativement de ces prises. + + D'après ces principes avérés par les publicistes les plus éclairés, + c'est donc à tort que les corsaires français se plaignent d'une + mesure que leurs propres désordres ont provoquée. Aussi Sa Majesté + a-t-elle décidé qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le passé ni de + soumettre les affaires déjà terminées à un nouvel examen. + + Cependant, pour donner une nouvelle preuve de se rendre autant que + dépendra d'elle aux voeux de V. Excellence, Sa Majesté a bien voulu + ordonner qu'à l'avenir la discussion sur la validité des prises + conduites dans les ports de Hollande sera portée au Conseil pour les + affaires maritimes et de commerce (Raad van Indication), et que même + dans le cas où les corsaires viendront à être accusés d'avoir violé + le territoire du royaume, la prise ne sera adjugée que sur une + décision motivée du dit Conseil, qui déclare la prise bonne et + légitime, ou qui condamne le corsaire, après avoir mis les + intéressés à même de faire valoir leurs droits. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 23 août. + + Par ma lettre particulière du 19 de ce mois, j'ai eu l'honneur de + prévenir V. Excellence que Sa Majesté est arrivée le 17 ici. Depuis + cette époque le roi n'a vu personne. On dit que la santé de Sa + Majesté est un peu altérée. Elle s'occupe journellement de la + défense du pays. Quinze cents soldats de la garde, après être restés + vingt-quatre heures à Amsterdam, sont retournés au camp où ils + étaient lorsqu'ils furent envoyés à Berg-op-Zoom. On attend au même + camp la division du général Gratien qui doit maintenant être entrée + en Hollande, en revenant d'Hanovre. + + Les gardes nationales s'organisent ainsi que quelques corps de + volontaires; mais les bourgeois hollandais ont de la peine à devenir + soldats. Demain douze compagnies de 100 hommes chacune doivent + sortir de la ville pour aller aux lignes. Cet essai donnera une idée + de la possibilité d'utiliser cette milice. On se plaint de la + manière dont ces compagnies ont été formées. Les officiers ont + choisi les hommes sans aucun égard pour leur famille ni pour leur + âge, mais uniquement en consultant leur passion. Il y a donc une + foule de réclamations dont plusieurs ont été écoutées. + + On parle d'un décret que le roi doit prendre, par lequel Sa Majesté + recevra tous les navires américains en faisant recharger les + marchandises déposées dans les magasins royaux. Mais V. Excellence + sera surprise d'apprendre que les magasins sont vides, que tout a + été rendu aux propriétaires ou consignataires; qu'ainsi cette + décision, qui paraît être très forte, n'aura aucun but réel. Les + cafés et les sucres qui ont été apportés par des bâtiments + américains ont probablement été tous reconnus production de l'île de + Java. La ligne de douaniers français qui cerne dans ce moment la + Hollande a fait un grand effet en bourse. Les marchandises ont + beaucoup baissé. Les premières qualités de café de 3 et 4 sont + tombées à 50 c. Les cotons ont éprouvé la même baisse. Il devient + impossible d'exporter aucune denrée coloniale, même en Allemagne, et + le commerce est dans une crise fâcheuse. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 17 septembre. + + Rien ne finit, et malgré les demandes que j'ai faites au ministre de + me donner une réponse, je ne puis en obtenir. Le roi a, dit-on, + envoyé un courrier à l'empereur. J'ignore si la lettre de Sa Majesté + est relative aux objets dont je suis chargé, car cette démarche du + roi ne m'a pas été annoncée officiellement. Je ne puis donc avoir + rien de nouveau à transmettre à V. Excellence; il m'est pénible de + ne pas pouvoir exécuter les ordres de l'empereur. Il est vrai que + dans les circonstances présentes qui servent de prétexte à la + mauvaise volonté du gouvernement hollandais, je ne le presse pas + autant que je l'eusse fait dans un autre moment. Cependant la + Hollande paraît ne plus rien avoir à craindre, et les nombreux + changements qui se font dans l'organisation militaire ne tiennent + pas à la défense du pays, mais à la volonté du roi. Depuis la + descente des Anglais, l'on a formé la garde nationale dans les + principales villes du royaume. La levée des deux régiments a été + décrétée, mais les moyens de défense sont bien peu de chose et la + volonté bien faible. En tout je ne vois pas de possibilité que la + Hollande reste comme elle est maintenant. Il n'y a aucun ensemble + dans le gouvernement et aucune tenue dans aucun système suivi. Il + n'existe donc qu'un amour-propre mal placé qui l'empêche de devenir + français. + + Dans une des dernières conférences que j'eus avec M. Roëll, lorsque + je lui parlais du système du gouvernement hollandais, je lui dis que + je voyais d'autant moins d'espoir de le ramener à une marche plus + raisonnable, que jusqu'à présent je ne pouvais pas deviner la base + du principe qui le faisait agir avec aussi peu de mesure, puisque + continuellement il nuisait à ses plus chers intérêts. Pressé de + s'expliquer, ce ministre me répondit qu'étant ministre, il ne lui + était pas permis de satisfaire à ma demande, mais que le jour où il + ne le serait plus il me dirait le mot de l'énigme. Je désirerais + donc que M. Roëll quittât le ministère, car il me semble que ce + changement procurerait plus de lumières que nous n'en avons obtenu + pendant tout le temps de son administration. + + M. le comte d'Hunebourg vient d'envoyer au roi le chef de bataillon + Leclerc. Il est encore à Harlem et il se chargera de cette dépêche. + Je ne doute pas qu'il ne rapporte des assurances faites pour plaire. + Mais les faits jusqu'à présent répondent bien faiblement aux + paroles. + + M. le baron de Gilsa, récemment nommé envoyé extraordinaire de S. M. + le roi de Westphalie, a eu l'honneur de remettre au roi ses lettres + de créance. C'est un homme entièrement nouveau dans la carrière + diplomatique. + + Espérons que je serai dans quelque temps assez heureux pour pouvoir + adresser à V. Excellence un rapport satisfaisant. Croyez, je vous + prie, que je le désire vivement, mais que je doute d'en venir à ce + point avant que l'empereur n'ait jeté un regard sur la Hollande, et + que S. M. impériale et royale n'ait trouvé un moyen de tarir la + source du mal. + + Il paraît que Sa Majesté rappelle le maréchal Dumonceau et que le + général Brune commandera les troupes hollandaises en Zélande. On + assure que le roi ne veut pas que ce maréchal serve sous les ordres + du prince de Ponte-Corvo. Il doit y avoir en Zélande environ 10,000 + hommes. Dans le reste du royaume il y a peut-être de 3 à 4,000 + hommes. Mais depuis que le général Krayenhoff est ministre, Sa + Majesté fait de nombreuses promotions. L'état-major de l'armée et le + corps d'officiers ne sont pas en proportion des hommes. Je crois que + l'on pourrait cependant porter l'armée à 20,000 hommes; mais il + serait difficile d'aller plus loin, le recrutement se faisant avec + beaucoup de peine. + + Le ministre de la marine est dans une position moins bonne, car à + l'exception des chaloupes canonnières il n'y a pas d'armement. Les + équipages ont été licenciés. Cependant la Hollande pourrait en trois + mois armer neuf ou dix vaisseaux de ligne, mais il n'y a pas + d'argent. Enfin, soit par une cause, soit par une autre, il en + résulte que la Hollande n'a sous les armes qu'environ 14,000 hommes, + quelques gardes nationales non exercées, deux vaisseaux de ligne ou + trois, en comptant le _Chatam_, qui est en rivière de Meuse, + quelques bricks, goëlettes et des chaloupes canonnières. Il en reste + en outre les douaniers et gardes-chasse. + + Je reçois à l'instant la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur + de m'écrire d'Altenbourg le 4 de ce mois. + + Je vais notifier à M. de l'Angle le décret de S. M. Impériale et + royale. + + + LAROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 28 octobre. + + J'arrive de Loo où je devais aller parler au roi, comme j'ai eu + l'honneur d'en prévenir V. Excellence. J'ai communiqué à Sa Majesté + les intentions formelles de l'empereur. J'ai dit au roi que son + auguste frère demandait que la division hollandaise fût portée dans + l'île de Sud-Beveland à 16,000 hommes, et que 200 chaloupes + canonnières, péniches, etc., fussent dirigées vers le même point + pour employer ces forces à agir dans l'île de Walkeren et en chasser + les Anglais. Sa Majesté m'a répondu que le corps de troupes + hollandaises, maintenant sous les ordres de M. le maréchal + Dumonceau, était sur le papier de beaucoup de plus de 16,000 hommes, + mais que les maladies régnaient tellement dans l'armée, que presque + la moitié des régiments se trouvait dans les hôpitaux; que toutes + ses troupes étaient aux ordres de l'empereur, qu'il n'avait par + conséquent qu'à indiquer les postes qu'elles devaient occuper: que + si dans l'île de Sud-Beveland il ne se trouvait que 3,000 hommes, + cela venait uniquement de l'intention du roi de diminuer, par ce + moyen, le nombre des maladies, mais que les troupes étaient si près + de ce point, qu'en peu de jours elles pouvaient y être portées. Le + roi ajoute que les deux seuls régiments qui avaient été distraits de + ce corps d'armée avaient été envoyés, l'un en Ost-Frise pour y + réprimer la contrebande, et l'autre en Nord-Hollande pour que ce + point intéressant ne fût pas entièrement dégarni; qu'ainsi Sa + Majesté allait donner ses ordres pour que 10,000 hommes effectifs, + commandés par M. le maréchal Dumonceau, se dirigeassent et agissent + conformément aux ordres qu'ils recevraient de M. le maréchal duc + d'Istrie. + + Que, quant aux chaloupes canonnières, etc., ce n'étaient pas autant + les bâtiments qui manquaient que les marins qui étaient impossibles + à trouver; que le roi ne pouvait donc porter en Zélande que 100 + petits bâtiments qui y seraient rendus sous peu de jours, Sa Majesté + venant de donner des ordres positifs pour remplir à cet égard les + intentions de l'empereur. + + Nous en vînmes ensuite à la seconde dépêche de V. Excellence, dont + je dis le contenu au roi, en observant à Sa Majesté que j'étais + chargé d'insister formellement sur la demande que la question des + eaux ne fût plus mise en avant, que tous les navires capturés par + des corsaires français fussent jugés par les tribunaux français; que + toutes les prises trouvées en contravention aux décrets de + l'empereur fussent reconnues bonnes et valables; enfin j'ajoutai que + la contrebande était portée à un point qui avait fixé les regards + de S. M. impériale et royale, que l'empereur prétendait qu'elle fût + réprimée par des moyens efficaces, et qu'il avertissait que si les + choses ne changeaient pas, il se verrait forcé non seulement de + faire occuper les passes par ses troupes, mais même de faire saisir + par elles les denrées coloniales qui, entrées en contrebande, se + trouvaient déposées dans les magasins d'Amsterdam. + + Je passai ensuite au système général, à la conduite des ministres du + roi, à l'inexécution des décrets de Sa Majesté, enfin à la manière + extrêmement opposée à la France dont toutes les affaires se + traitaient en Hollande; j'observai au roi la nécessité de changer + entièrement de marche et de revenir à des principes qui seuls + pouvaient sauver la Hollande. Pour donner plus de force à ce que je + venais de dire, je crus devoir lire à Sa Majesté une partie de la + dépêche de V. Excellence; alors elle sentit que loin d'ajouter aux + ordres de l'empereur, je cherchais toujours les moyens de les lui + rendre moins sévèrement. + + Le roi me répondit que quant à la question du territoire, il serait + perdu aux yeux de son peuple s'il l'admettait; que l'empereur + n'aurait pas dû lui faire une demande à laquelle il ne pouvait pas + accéder, et que celle-ci était de ce nombre. Je répondis au roi que + Sa Majesté ne devait pas perdre de vue que les demandes de + l'empereur n'étaient que le résultat de tout ce qui avait été fait à + l'égard de nos corsaires et de leurs prises; qu'ainsi ce n'était pas + seulement comme question de droit qu'il fallait l'envisager, mais + encore comme question de fait, et que, sous ce dernier point de vue, + Sa Majesté ne pouvait pas se dissimuler, et m'avait avoué elle-même, + que l'on avait ici commis de grandes fautes. Le roi ne put nier ce + point, mais il revenait toujours sur l'impossibilité d'accéder au + désir de l'empereur, sur la manière dont ce serait trahir ses + devoirs que d'abandonner une partie des droits de son peuple, enfin + sur la décision récente du Conseil d'État. + + Quant à la contrebande, Sa Majesté me dit qu'elle espérait beaucoup + des nouveaux ordres donnés par elle à ce sujet, et qu'elle prendrait + encore de nouvelles mesures si celles-ci n'étaient pas suffisantes; + qu'elle exigerait des certificats d'origine pour les denrées + coloniales venant d'Ost-Frise, et qu'elle tirerait même une ligne de + douanes qui séparerait l'Ost-Frise du reste de la Hollande, si la + chose devenait indispensable. Sa Majesté se récria fortement contre + l'idée de faire exécuter en Hollande les décrets de l'empereur, + contre celle de voir des troupes françaises venir faire la police à + Amsterdam, enfin contre la volonté d'influencer et de diriger même + la conduite de ses ministres. Elle me dit qu'elle voyait bien que + tout ceci lui était personnellement adressé, que ses ministres + n'étaient que ses agents et qu'ils ne faisaient que ce qu'elle + voulait (je citai à cette occasion quelques exemples du contraire + qui embarrassèrent le roi), qu'ainsi c'était l'attaquer directement + que de parler d'eux; que si l'empereur voulait réunir la Hollande, + il n'avait qu'à le dire sur le champ, parce qu'il voyait + parfaitement bien que c'était là le but de toutes les demandes qui + lui étaient faites. Enfin, dans la chaleur de la discussion, le mot + d'abdication sortit de la bouche du roi. J'observai à Sa Majesté que + dans tout ce que j'avais eu l'honneur de lui dire, il n'avait été + nullement question de réunion, mais seulement de précaution pour + empêcher les abus qui s'étaient trop souvent reproduits. La + conférence fut longue, mais à la fin le roi sentant, je crois, la + force de mes observations et l'impossibilité de m'éloigner du + véritable but de la question, me pria simplement de ne pas exiger + une réponse officielle et positive avant qu'il eût écrit à + l'empereur. Je crus devoir consentir à la demande de Sa Majesté, et + la priai simplement de me remettre sa lettre qui servirait de preuve + que j'avais exécuté les ordres qui m'avaient été donnés. J'ai donc + l'honneur, Monsieur le comte, de vous expédier en courrier M. + Amelin, attaché à mon ambassade, qui rapportera la réponse de + l'empereur et les ordres de V. Excellence. + + Dans cette conversation, ce que j'ai observé plus particulièrement, + et ce que le roi ne m'a pas caché, est sa crainte qu'en Hollande on + le croie Français, et qu'on le regarde uniquement comme un agent de + l'empereur. J'ai cherché à en venir à persuader à Sa Majesté que + c'était sa qualité de frère de l'empereur d'où dépendait le maintien + de sa couronne et l'obéissance de ses peuples; que toute sa force ne + venait que de son auguste frère; que le bonheur de la Hollande était + attaché à la manière dont il était personnellement avec l'empereur, + de qui seul elle pouvait attendre son existence; que j'étais si loin + d'admettre la crainte d'être accusé de partialité envers la France, + que je savais au contraire que la saine partie de ses entours, de + ses ministres et de son peuple voyait avec peine tout ce qui se + faisait contre les intentions de l'empereur, calculant que la + Hollande marchait ainsi à sa ruine; et que Sa Majesté se tromperait + fortement si elle voulait juger de l'opinion publique sur celle de + quelques personnes placées près d'elle, dont la seule idée et le + seul désir étaient de lui plaire, et qui, par cette raison, + abondaient dans les assertions qu'elles croyaient lui être + agréables. Je finis par dire au roi que je croyais bien connaître la + Hollande et l'esprit de ses habitants, et que j'étais certain que + les mêmes personnes qui le flattaient aujourd'hui, seraient demain + contre lui, si l'empereur n'était pas aussi puissant. Le roi ne me + répondit rien, mais son système m'a paru enraciné et difficile à + détruire. V. Excellence en sentira facilement toutes les + conséquences. Au surplus, je désirerais que cette dernière partie de + ma dépêche ne fût pas regardée comme officielle, le roi m'ayant + parlé confidentiellement de ses idées et de son système. J'ai + l'honneur d'en rendre compte à Votre Excellence, comme le croyant + nécessaire au bien de la mission dont je suis chargé. + + Au reste, j'ai parlé aux différents ministres, que j'ai trouvés tous + au Loo; mais, en abondant dans le système français, ils m'ont fait + observer qu'ils ne pouvaient qu'obéir aux ordres et aux décrets du + roi, dont ils exécutaient la teneur avec toute l'exactitude + possible, et il fut répondu à toutes mes observations et à mes + avertissements par des assurances de redoubler de zèle. J'ai parlé + fortement et ne leur ai rien caché. + + Le ministre de la marine m'a dit que les contrôles de son ministère + ne montaient qu'à 5,000 hommes employés à la marine, et qui, par + conséquent, ne formaient même pas les équipages de 200 petits + bâtiments demandés par l'empereur, dont chacun devait être monté par + 28 hommes, car il faut déduire des contrôles les malades, les + employés aux chantiers, etc. Maintenant, il n'existe pas, en + Hollande, un seul vaisseau de ligne en armement, et les magasins + sont dépourvus de fer et de goudron. Votre Excellence a vu, dans une + dépêche précédente, l'état du ministère de la guerre. L'intérieur + souffre beaucoup, puisque les finances sont au-dessous de zéro. Il + est sûr que les lignes de douanes nuisent au commerce et aux + ressources du gouvernement, mais je croirais que le rapport des + décrets de l'empereur ne doit pas être un encouragement, mais une + récompense. + + Lorsque je pris congé du roi, Sa Majesté ne me cacha pas sa grande + inquiétude et son impatience de recevoir la réponse de l'empereur; + elle me pria même de la lui porter au Loo, pour en causer avec elle. + J'ai donc l'honneur de vous prier, monsieur le comte, de me + réexpédier M. Amelin le plus tôt possible. + + J'ai laissé le roi encore un peu faible, mais bien rétabli. La + fièvre a quitté Sa Majesté depuis cinq jours. + + +L'empereur n'accepta pas le compromis offert par l'ambassadeur au +sujet de la juridiction des prises, et fit donner l'ordre à +Larochefoucauld de revenir à sa première proposition. + +La lettre de Cadore en date du 12 octobre se termine ainsi: + + + Vous déclarerez que la volonté de Sa Majesté est que tout bâtiment + qui sera trouvé avoir contrevenu à ses décrets soit déclaré de bonne + prise, et que si l'on ne pourvoit pas efficacement, en Hollande, à + la répression de la contrebande, non seulement elle fera occuper les + passages des troupes, mais encore, elle enverra des colonnes mobiles + saisir jusque dans Amsterdam les marchandises anglaises. + + Sa Majesté y est, en effet, bien déterminée. Elle est décidée à ne + point souffrir que la Hollande trahisse la cause commune. Il + serait, m'écrit-elle, préférable de voir la Hollande en alliance + ouverte avec l'Angleterre que de la voir favoriser sourdement son + commerce et la guerre qu'elle fait contre nous. + + Sa Majesté rend toute justice aux intentions du roi son frère. Elle + sait que ses intentions sont droites; mais elle reproche à ceux qui + devraient les seconder de tout leur pouvoir de n'être occupés qu'à + les rendre vaines, de la sorte que si elle devait en juger par la + marche du gouvernement, elle en prendrait une idée tout opposée. Les + ministres ne lui semblent pas prévoir quel doit être le résultat + final de leur conduite. Elle veut que vous les avertissiez et que + vous leur fassiez comprendre que ce résultat sera la perte de leur + existence. + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 23 novembre. + + Hier, il y eut cercle diplomatique au palais. Le roi m'y parla de + quelques affaires particulières, et Sa Majesté m'engagea à revenir + le soir pour causer avec elle sur des objets plus importants. Elle + me prévint en même temps qu'elle venait de recevoir des lettres de + M. le duc de Feltre. + + En sortant de l'audience, je rencontrai M. le colonel Leclerc, + aide-de-camp de M. le ministre de la guerre, et c'est par lui que + j'ai l'honneur d'envoyer cette lettre à Votre Excellence. + + Je me rendis chez le roi à sept heures, et fus, sur-le-champ, + introduit dans le cabinet de Sa Majesté, avec laquelle je restai + près de trois heures. Le roi me dit qu'on lui demandait une + augmentation de troupes et de bâtiments pour l'expédition de + Walcheren, mais qu'il lui était impossible de fournir un contingent + plus considérable; que, d'après l'état des situations reçu le matin + de Mauchaunu, Dumonceau et Dewinter, les forces de terre sous les + ordres du premier étaient de 10,000 hommes, en y comprenant les + corps et les renforts qui sont en marche, et que le second mandait + avoir sous les yeux 100 chaloupes ou bateaux canonniers, qu'il en + attendait encore quelques-uns, indépendamment des 300 petits + bâtiments armés dont il est question dans la réponse de M. Roëll. Le + roi m'assura qu'il lui était impossible de faire davantage; que, + sans de graves inconvénients, il ne pouvait dégarnir la côte, qui + était à peine défendue, et que, quant à sa garde, elle était + nécessaire à Amsterdam, dont elle composait la garnison; que Sa + Majesté se trouvait dans une position bien fâcheuse, sa capitale + étant remplie de gens sans emploi et sans pain, l'hiver étant au + moment d'augmenter la misère, et le roi obligé de doubler les impôts + pour combler le déficit; qu'à ce tableau alarmant, il fallait + ajouter que les rentiers n'étaient pas payés, et qu'il n'avait pas + le premier sou pour faire face aux dépenses courantes; que je devais + donc en sentir que s'il dégarnissait Amsterdam du peu de troupes qui + y étaient maintenant, sa personne ne serait pas en sûreté, qu'il + existait un grand mécontentement dont il était fort inquiet. + + Je répondis au roi que ce n'était pas le moment de revenir sur les + causes de son malheur, mais plutôt de chercher les moyens d'y + remédier; que l'empereur était mécontent du système général de la + Hollande, du peu de ressources qu'elle offrait, et de la mauvaise + volonté que l'on mettait à coopérer à l'expédition projetée; que le + maréchal Dumonceau, sous prétexte d'être obligé de demander des + ordres, ajournait l'exécution de ceux qu'il recevait; qu'il + annonçait souvent avoir fait ce que, deux jours après, il écrivait + n'avoir pu exécuter, et que Sa Majesté devait sentir combien il + était indispensable de donner à ce maréchal des ordres assez + illimités pour qu'il fût autorisé à obéir sur-le-champ à M. le + maréchal duc d'Istrie. Après une longue discussion, le roi m'assura + qu'il allait donner de nouveaux ordres et que j'y pouvais compter. + + Nous en vînmes ensuite à une augmentation de troupes, et, tout en + entrant dans les inquiétudes du roi, je lui dis cependant qu'il + fallait faire quelque chose, et qu'il ne pouvait pas renvoyer + l'aide-de-camp du ministre de la guerre avec un refus. Nous + entrâmes, à ce sujet, dans des discussions trop longues pour être + répétées à Votre Excellence, et, après de grands efforts, je parvins + à décider le roi à mettre aux ordres de l'empereur, si Sa Majesté + l'exigeait, un bataillon qui gardera la côte. Le roi me dit qu'il + ferait remplacer ce bataillon par une partie de sa garde; que, quant + au corps d'élite, il ne consentirait jamais à le diviser, et que je + devais sentir l'impossibilité que Sa Majesté restât à Amsterdam à la + merci de la populace. Enfin, le roi me témoigna le désir de voir + l'empereur et l'empressement qu'il aurait eu d'aller à Anvers si Sa + Majesté Impériale et Royale y était venue, mais qu'il craignait de + se trouver dans la même ville que la reine. Autorisé par cette + phrase, je crus pouvoir revenir sur ce sujet, dont j'avais déjà + parlé au roi l'année dernière, et je cherchai à le ramener à une + conduite plus convenable pour lui et plus avantageuse pour la + Hollande; mais je perdis mon temps et mes paroles. Sans répondre aux + vérités que je lui disais, Sa Majesté se contenta de me répondre + qu'elle irait plutôt au bout du monde que de se rapprocher de la + reine, que jamais il ne voulait en entendre parler, qu'il ferait à + la Hollande tous les sacrifices excepté celui-là, etc., etc. Enfin, + après avoir parlé longtemps sur ce sujet, le roi persista dans son + désir de voir l'empereur, désir que Sa Majesté doit exprimer dans la + lettre qu'elle écrit à son auguste frère. + + Le reste de la conférence fut employé en plaintes de Sa Majesté sur + son affreuse position, sur son désir de quitter la Hollande, s'il ne + parvenait pas à regagner l'amitié de l'empereur; sur son opinion + prononcée qu'il devait être Hollandais, et que, tant qu'il serait + roi, il devrait défendre ses sujets; sur l'idée qu'on l'accusait + d'être Français, et qu'il devait ne pas le paraître; enfin, sur + l'échafaudage d'un système faux et désastreux, mais tellement + enraciné dans la tête de Sa Majesté que je crois qu'il n'existe, + peut-être, que l'empereur qui puisse l'en faire revenir. À cette + malheureuse opinion, j'ai trouvé mêlé un grand attachement à + l'empereur; l'intention, si Sa Majesté quittait la Hollande, d'aller + trouver son auguste frère, de faire tout ce qu'il voudrait et de + demeurer le plus fidèle de ses sujets. J'ai pu facilement pénétrer + que le roi exprimait ce qu'il pensait, et que Sa Majesté était + vraiment malheureuse. J'ai cherché à détruire le système du roi; je + lui ai représenté ses entours comme autant d'intrigants qui avaient + surpris sa religion; qui, n'osant pas lui dire d'être anti-Français, + avaient su lui persuader qu'il devait être Hollandais, pour parvenir + au même but. J'ai répété au roi que, couronné par l'empereur, il + devait suivre le système politique et commercial de la France; que, + sans les bontés de Sa Majesté Impériale et Royale, la Hollande + périssait au milieu de son opulence et de ses richesses; que jamais + gouvernement n'avait été dans une position plus alarmante par le + tableau même que Sa Majesté venait de me faire, et que, d'après son + opinion, l'empereur ne pourrait sauver la Hollande que lorsqu'il + serait assuré que ce gouvernement lui serait utile au lieu de + contrecarrer continuellement toutes ses dispositions. Le roi + m'écouta avec bonté, et j'oserai même dire avec amitié. Il ne nia + pas les faits que j'avançais ni les accusations que je portais; mais + il en revenait à son premier principe: qu'il serait perdu s'il avait + l'air d'être l'agent et l'instrument de l'empereur. + + Sa Majesté me témoigna une grande peine de ne pas recevoir de + réponse de l'empereur, une grande inquiétude sur sa position et une + grande peine de la suite des événements qui se préparaient. + + Maintenant, Votre Excellence est bien au fait de la cause de tout ce + qui arrive dans ce pays-ci. Depuis longtemps, j'ai eu l'honneur de + vous les faire pressentir. Il fallait la position présente et l'aveu + du roi pour que j'osasse vous le dire plus clairement. Quant au + remède, l'empereur peut seul le trouver, et il ne m'appartient pas + d'émettre mon opinion à cet égard. Dans le cas où le roi irait à + Paris et où Sa Majesté me demanderait de l'accompagner, je prierais + Votre Excellence de me mander ce que je dois faire. + + Lorsque la conférence fut terminée, le roi me prévint qu'il avait + été informé que l'empereur admettait en France les bâtiments + américains chargés de coton; qu'ainsi, il avait annoncé au commerce + que, lorsqu'il lui serait prouvé que l'empereur avait donné une + telle permission, il en permettrait l'entrée en Hollande, pourvu que + les marins prouvassent qu'ils n'ont pas été en Angleterre, et + l'origine des cotons. Je prie Votre Excellence de me donner des + nouvelles à cet égard. + + Le roi m'a demandé plusieurs fois si M. Amelin était de retour, et + m'a paru très inquiet de ce retard. + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + 25 novembre. + + Le maréchal Werhuell, arrivé à Amsterdam depuis trois jours, a eu + avec le roi une longue conférence, dans laquelle rien n'a été + décidé.--Son but était de rendre compte de l'audience particulière + que l'empereur lui avait accordée, et d'engager le roi à venir à + Paris.--L'ambassadeur l'a mis au courant de la situation des + choses.--On prépare les voitures de voyage du roi.--La contrebande + diminue un peu, depuis que le roi a défendu que l'on délivrât des + passeports d'intérieur pour toutes les marchandises qui viennent + d'Ost-Frise; mais les magasins d'Amsterdam sont pleins de denrées + coloniales et de marchandises anglaises. La communication avec + l'Angleterre est très fréquente, et des passagers viennent + habituellement de l'autre côté du Rhin. Les derniers arrivés disent + que l'on peut compter sur l'évacuation de l'île de Walcherem, les + Anglais n'ayant pas 2,000 hommes en état de se battre. + + Le roi se plaint de la conduite des corsaires français, qui ont pris + deux bûcherons en dedans des limites. + + Je n'ai rien pu répondre à Sa Majesté, mais je n'ai pas blâmé les + corsaires, les dernières instructions de Votre Excellence + m'enjoignant de ne plus reconnaître de limites en dedans desquelles + les corsaires ne devaient pas exercer une police sévère contre les + navires chargés de marchandises prohibées. + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + 27 novembre. + + Le roi est revenu hier d'Harlem, a reçu le Corps législatif, a + annoncé officiellement son départ pour Paris. + + Il a eu une dernière entrevue avec le roi, qui lui a dit qu'il + s'était décidé à partir sur ce que le maréchal Werhuell lui avait + annoncé le désir que l'empereur avait témoigné de le voir; qu'il + n'avait été arrêté dans ce voyage que par la peine de se rendre dans + la ville que la reine habitait, et que son intention première était + d'aller loger chez Madame-Mère. + + J'observai au roi combien cette démarche me paraissait + précipitamment adoptée, et je pris la liberté d'en dire les + inconvénients à Sa Majesté, qui me parut décidée à aller à + Saint-Leu. + + Le roi trouve qu'il ne peut revenir sans apporter une preuve + éclatante de son rapprochement avec l'empereur. + + --Il emmène M. Roëll, qui se dit malade d'avance. + + --M. Mollerus, homme d'esprit, très prononcé dans un système opposé + à la France, ce qui est connu depuis longtemps. M. Roëll est nommé + président du conseil des ministres, et chargé du portefeuille des + affaires étrangères. + + On est généralement fâché, dans le gouvernement, du départ du roi. + On craint que Sa Majesté ne change de marche; mais la généralité des + habitants d'Amsterdam espère beaucoup des résultats de ce voyage. + + Le roi lui-même est parti tourmenté. La position de Sa Majesté est + certainement pénible. La Hollande souffre, et l'esprit public n'est + pas aussi bon qu'il pourrait l'être. Je vois cependant de grandes + ressources si la cause est complète, mais de nouveaux malheurs si + elle n'était pas entière. + + Le 5 décembre 1809, le ministre duc de Cadore écrit à La + Rochefoucauld en lui envoyant le discours de l'empereur au Corps + législatif, annonçant d'autres destinées pour la Hollande.--Il + prescrit à l'ambassadeur d'observer l'effet produit sur les diverses + classes de la population, et d'en rendre un compte impartial à + l'empereur, en indiquant les mesures à prendre pour satisfaire aux + voeux légitimes des Hollandais. + + --Quels avantages ils désirent voir assurer à leur pays; de quels + maux ils souhaitent d'être garantis? Quel est enfin l'arrangement + auquel ils sont prêts à souscrire? + + + RAPPORT DU DUC DE CADORE À S. M. L'EMPEREUR ET ROI. + + 6 décembre 1809. + + Le roi de Hollande a fait appeler ce matin le ministre des + relations. Il lui a témoigné sa profonde douleur de la communication + que venait de lui faire Sa Majesté l'empereur de ses vues sur la + Hollande et de l'ordre déjà donné à 40,000 hommes de troupes + françaises d'y entrer pour en opérer la réunion avec le grand + empire. Sa Majesté le roi paraissait, en effet, dans un abattement + voisin du désespoir. Ce n'était pas son propre sort qu'elle + déplorait. Elle avait éprouvé sur le trône tous les soucis et les + inquiétudes de la royauté, et le mal non moindre de son isolement + loin de son auguste frère, de sa famille, de la France, et dans un + pays contraire à sa santé. À la voix de son frère, elle descendrait + volontiers du trône, et elle demandait même avec instance que + l'empereur y plaçât ou la reine ou toute autre personne investie de + sa confiance. Ce n'était donc que pour l'intérêt de la France, pour + l'intérêt de l'empereur, que le roi de Hollande réclamait la + conservation de l'indépendance nominale qui avait été laissée + jusqu'à ce jour à ce pays. Elle est l'objet de tous les voeux des + Hollandais; pour la conserver, ils feraient les plus grands + sacrifices, et c'est pour elle qu'ils paient, en imposition, les + trois quarts de leurs revenus. La réunion, opérée contre leur voeu, + excitera un mécontentement général. Sans doute, les Hollandais se + soumettront à la force; mais l'action de cette force sera + continuellement nécessaire pour les maintenir dans la soumission. Il + faudra, désormais, qu'une armée française réside dans le pays. La + confiance perdue éloignera les capitaux, anéantira l'esprit + d'industrie qui a donné à ce pays une existence presque miraculeuse. + Il deviendra à la charge de la France, loin de lui être utile, et + l'Angleterre profitera de toutes les pertes que fera la Hollande. + + Le roi voudrait, au prix de tout son sang, détourner tant de maux. + Il accédera, si l'intention de l'empereur est qu'il règne encore, à + un arrangement propre à donner à son auguste frère l'assurance que + la Hollande marchera désormais dans le système de la France. Il + propose de céder à la France tout ce qui est sur la rive gauche de + la Meuse, espérant que l'empereur voudrait le dédommager par + quelques concessions en Allemagne, et il indique le grand duché de + Berg. Il consentirait à avoir auprès de lui un agent de l'empereur, + sans caractère ou revêtu d'un titre propre à déguiser ses véritables + fonctions, lequel agent serait chargé de l'avertir des actes de son + administration qui pourraient être contraires aux intentions de + l'empereur, et il se conformerait aux indications de cet agent. + Enfin, il offre d'annuler, dès ce moment, les modifications + apportées au tarif de ses douanes, de rapporter ses décrets sur la + noblesse; enfin, de révoquer d'autres actes de son administration + qui auraient pu blesser l'empereur. Mais il croit ne pouvoir étendre + sa condescendance jusqu'à _prononcer la banqueroute et + l'établissement de la conscription_. Il offre de faire faire par la + Hollande les recrutements qui pourront lui être demandés. + + Ces propositions doivent être faites au ministre des relations par + le ministre et l'ambassadeur du roi de Hollande; elles seraient même + rédigées par écrit. Les idées énoncées dans ce rapport ne sont qu'un + premier jet; il est possible que quelques heures de méditation les + étendent ou les modifient. + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 12 décembre. + + J'ai eu l'honneur d'expédier hier à Votre Excellence le courrier + Lourdet avec la réponse aux demandes qu'elle m'a adressées. Le peu + de temps que j'ai eu pour la rédiger ne m'a pas donné la possibilité + d'entrer dans le détail des moyens d'exécution qui n'ont pu qu'être + indiqués, ni de parler des ressources immenses que présente ce pays; + elles sont tellement considérables que, la confiance une fois + rétablie, et malgré la dette, il peut encore offrir à la France de + grands avantages, et lui fournir même du numéraire si l'empereur le + désirait; mais je crois qu'il faut le rassurer, principalement sur + son incorporation, car les fonds que l'on réalise iront en + Angleterre; le change est déjà monté de 3% et le papier anglais est + recherché. + + Votre Excellence sait peut-être déjà que quelques feuilles + hollandaises ont osé retrancher du discours de l'empereur l'article + qui regarde ce pays, et que celles qui ont rendu compte fidèlement + de tout le discours sont défendues. Cet ordre a été donné par le + ministre de la justice et de la police. M. de Styrum, préfet du + département, a ordonné que la _Gazette de Harlem_ laissât l'article + en blanc. + + L'inquiétude est grande; les fonds de tous les pays baissent. Tous + les yeux sont tournés vers moi, et tous les esprits se livrent à des + conjectures qui sont loin de les rassurer. + + Le 15 décembre 1809, l'amiral Werhuell écrit au duc de Cadore que + c'est avec une véritable douleur que le roi a vu l'empereur et son + ministre parler au Corps législatif de changements prochains en + Hollande. Sa Majesté espère que l'empereur n'a en vue que des + changements propres à consolider un trône qui est son ouvrage.--Il + aime à croire, d'ailleurs, que l'empereur fera connaître promptement + tous les changements projetés. + + +Le 16 décembre, Larochefoucauld résume en quatre questions et +réponses la lettre du ministre en date du 5 décembre: + +1º Quels sont les voeux des Hollandais? + +Maintenir leur nationalité; éviter les banqueroutes des deux tiers, +la conscription et l'occupation française. + +2º Quels avantages désirent-ils? + +Le duché de Berg en échange de la Zélande et du Brabant. + +3º Quels maux veulent-ils éviter? + +Tout système qui serait en opposition avec celui de la France. + +4º À quel arrangement souscriraient-ils? + +À voir différer un tiers et plus de la dette, et à tous ceux qui +conviendraient à l'empereur s'ils obtenaient les trois points +indiqués plus haut. + + +ANNÉE 1810. + + + NAPOLÉON À CLARKE. + + Paris, 5 janvier. + + Donnez l'ordre au maréchal Oudinot de se rendre à Anvers, pour + prendre le commandement de l'armée du Nord. + + + CLARKE À OUDINOT. + + Paris, 20 janvier. + + Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la lettre + que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 courant, + et Sa Majesté m'a chargé de vous témoigner qu'elle n'était pas + satisfaite d'apprendre que vous eussiez fait revenir sur territoire + français les troupes que vous aviez envoyées à Bréda et à + Berg-op-Zoom. L'empereur me charge, à cette occasion, de vous + réitérer les observations que je vous ai faites, par ma lettre du + 11, sur les mesures que vous aviez prises, relativement à ces deux + places. Sa Majesté pense que Votre Excellence aurait dû commencer + par y faire entrer ses troupes et en prendre possession après; + c'était la meilleure manière de parvenir à votre but. Quant aux + moyens à employer pour réussir, Votre Excellence doit comprendre que + c'est au général en chef, qui est sur les lieux, à faire les + dispositions convenables pour bien remplir les vues du gouvernement, + et qu'on ne peut lui prescrire des mesures de détail qu'il est dans + ses attributions de combiner et de faire exécuter de la manière la + plus propre à en assurer le succès. + + Relativement aux gardes nationales, je vois, par la lettre de Votre + Excellence, qu'elle n'a fait revenir que la division Gouvion, et que + deux bataillons ont été placés à Malines et à Bruxelles. L'intention + de l'empereur est que Votre Excellence dispose de toutes les gardes + nationales de l'armée du Nord, même de celles qui sont à Bruxelles, + pour les placer en entier sur le territoire hollandais, où vous + devez aussi porter votre quartier général. Vous voudrez donc bien + donner vos ordres en conséquence, et vous occuper de remplir avec + activité les intentions de l'empereur. Votre Excellence verra, + d'ailleurs, que ces dispositions ne changent rien aux mesures + prescrites par ma lettre du 18, dont je vous confirme le contenu en + son entier, en vous invitant à ne rien négliger pour en assurer + l'exécution. + + + CLARKE AU ROI DE HOLLANDE. + + Paris, 20 janvier. + + Sire, Sa Majesté l'empereur et roi m'a chargé de faire connaître de + nouveau à Votre Majesté la peine que lui a causée la manière dont + les choses se sont passées en Hollande, relativement à l'entrée + demandée pour ses troupes dans les places de Bréda et de + Berg-op-Zoom. Le mauvais effet que produit en Hollande et en France + un pareil éclat ne peut échapper à Votre Majesté, et je dois croire + qu'elle en souffre autant que l'empereur. Il est malheureusement + devenu le résultat inévitable des ordres de Votre Majesté aux + commandants de place, et cette mesure ne pouvait produire, dans + aucun cas, un bon effet.--La lettre close qui a été présentée à + Berg-op-Zoom, au général Maison, contenant un ordre particulier de + Votre Majesté de ne remettre la place à qui que ce fût sans un ordre + du ministre de la guerre ou du roi lui-même, a dû nécessairement + frapper l'empereur, en annonçant que Votre Majesté s'était depuis + longtemps décidée à opposer de la résistance à l'exécution des + mesures que Sa Majesté Impériale pourrait avoir à prendre au sujet + de ces villes. J'espère, toutefois, que Votre Majesté aura pris + enfin le parti que la sagesse et la réflexion ont dû lui dicter, en + révoquant les ordres qu'elle avait donnés, pour éviter une + résistance inutile. Elle sentira que l'empereur ne peut revenir sur + des dispositions arrêtées après mûres réflexions, et fondées sur de + grandes vues politiques, dont l'accomplissement est nécessaire au + repos de l'Europe. Les maux qu'une résistance plus longtemps + prononcée causerait à la Hollande elle-même doivent être, aux yeux + de Votre Majesté, un motif déterminant pour l'engager à fléchir en + cette matière. Le seul parti, aujourd'hui, est de prendre les + mesures les plus précises pour éviter les fâcheux résultats que ses + premiers ordres ont dû produire, et terminer promptement une lutte + aussi inégale qu'elle serait nécessairement désastreuse pour les + États de Votre Majesté. + + + CLARKE À NAPOLÉON. + + Paris, 25 janvier. + + Votre Majesté trouvera ci-joint, en original, la dépêche que je + reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, en date du 28. Elle + répond à la mienne du 20, qui lui avait transmis les derniers ordres + de Votre Majesté. Le maréchal a pris toutes les mesures nécessaires + pour les exécuter, et a dû se rendre, le 24, de sa personne à + Berg-op-Zoom. Il envoie une copie de l'ordre du roi de Hollande, + adressé au gouverneur de Berg-op-Zoom, dont il résulte que l'entrée + de nos troupes ne souffrira pas de difficultés, mais que les + dispositions ultérieures ordonnées par Votre Majesté pourront + éprouver des obstacles. Le duc de Reggio assure, d'ailleurs, qu'il + les lèvera tous. Cependant, il attendra de nouveaux ordres pour la + prise de possession et le serment à exiger des autorités. Il doit + les attendre à Breda, où il se rendra en sortant de Berg-op-Zoom; + mais il pense qu'il devrait revenir ensuite à Anvers, dont la + position est la plus centrale pour pouvoir diriger les opérations le + long de la Meuse. Votre Majesté remarquera, parmi les dispositions + prises par le duc de Reggio pour la répartition de ses troupes, + qu'il a disposé de la division Lamarque en entier et d'un bataillon + de la division Chambarland, quoique ces sept bataillons fussent + compris dans le décret du 22, qui ordonne leur licenciement. Je + supplie Votre Majesté de vouloir bien me faire connaître ses + intentions à cet égard, de même que sur les autres objets de la + lettre du maréchal duc de Reggio qui exigent une décision. + + + CLARKE À NAPOLÉON. + + 27 janvier. + + J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté, en original, la + dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, datée + de Berg-op-Zoom, le 24 courant, par laquelle il annonce son arrivée + dans cette ville de même que l'entrée du général du Roure à Breda. + Votre Majesté remarquera que le général hollandais qui commande à + Berg-op-Zoom a refusé de laisser prendre possession de la place, en + alléguant les ordres du roi. Le duc de Reggio n'en a pas moins fait + toutes ses dispositions pour exécuter les premiers ordres de Votre + Majesté; mais il en attend encore avant d'effectuer la prise + définitive de possession, et, d'ici à l'époque où il pourra les + recevoir, il aura réuni les troupes dont il a besoin pour consommer + cette entreprise. + + + CLARKE À OUDINOT. + + 28 janvier. + + Monsieur le maréchal. Vous trouverez ci-joint une copie du décret de + Sa Majesté l'empereur, daté des Tuileries, le 20 janvier, et que Sa + Majesté vient de me faire connaître. L'intention de l'empereur est + que vous fassiez une proclamation, pour faire connaître que vous + prenez possession militaire des pays situés entre la Meuse et + l'Escaut; que les troupes hollandaises, de même que les troupes + françaises, ne devront obéir qu'à vos ordres, et que telle est la + volonté de l'empereur. + + Vous devez parler très haut aux militaires hollandais et savoir ce + qu'ils prétendent faire. La mise des places en état de siège + annulera, par le fait, la possibilité de tout acte inconsidéré de la + part des autorités civiles. L'empereur veut que vous vous empariez + des magasins à poudre et des munitions de guerre et de bouche. Votre + Excellence annoncera l'arrivée prochaine de 60,000 Français et fera + former des magasins pour leur subsistance. + + Sans rien écrire à ce sujet, Votre Excellence fera entendre que la + sûreté des frontières de France obligera peut-être l'empereur à + réunir définitivement à la France la partie de la Hollande située + entre la Meuse et l'Escaut, et qu'en attendant, il est de l'intérêt + des habitants de bien se comporter. + + L'empereur permet, monsieur le maréchal, que je vous confie, sous le + secret, qu'en réalité, son intention est de faire prendre d'abord + _possession militaire_ des pays en question, et d'en faire prendre + après _possession civile_, ce qui, toutefois, ne pourra avoir lieu + avant que vous receviez de nouveaux ordres. Sa Majesté a arrêté + irrévocablement dans sa pensée _la réunion à la France des pays + compris entre la Meuse et l'Escaut_; mais, en ce moment, elle veut + que vous vous borniez à en prendre la possession militaire entière + et absolue. + + Vous devez avoir l'oeil sur les magasins de marchandises anglaises + et de denrées coloniales, afin que la saisie puisse s'en effectuer + au premier ordre et à la fois; il faudra marcher contre les + rassemblements de contrebandiers hollandais et leur donner des coups + de fusil, s'il en est besoin. + + Le 7 février, une division française du 4e corps de l'armée + d'Allemagne doit arriver à Dusseldorf et doit continuer + immédiatement sa route pour être sous vos ordres. Vous devez laisser + peu de monde à Anvers et sur la rive gauche de l'Escaut, et, dès que + les chaloupes et bateaux canonniers français qui sont dans nos + canaux pourront servir, vous les ferez venir et vous vous en + servirez. Enfin vous ferez, monsieur le maréchal, des règlements + sévères pour tous les objets qui en sont susceptibles. Vous ne + parlerez jamais de réunion d'une manière absolue, mais seulement de + possession militaire. Vous ferez publier et afficher partout le + décret ci-joint. + + Un de vos premiers soins sera de mettre garnison dans toutes les + places où il doit y en avoir. Vous notifierez aux généraux + hollandais que leurs troupes font partie de l'armée de l'empereur, + et vous donnerez la plus grande attention à les placer dans des + endroits où elles ne puissent pas nuire. Vous veillerez surtout à ce + qu'elles ne repassent pas en Hollande, et, au moindre soupçon, vous + les ferez désarmer. Vous ferez ces notifications aux maréchaux + hollandais, que vous appellerez à votre quartier général. + + L'intention de l'empereur est que toutes les gardes nationales de + l'armée du Nord et les autres troupes qui en dépendent se dirigent + sur votre quartier général. L'empereur m'ordonne de vous réitérer + l'ordre de tenir toutes vos troupes réunies, en vous conformant, + d'ailleurs, à ce qui vous est prescrit par mes dépêches de ce jour. + + Le général Vandamme reçoit l'ordre de se rendre sans délai à + Berg-op-Zoom, pour servir sous vos ordres dans l'armée du Brabant. + + _P.-S._--M. le capitaine Markey, mon aide-de-camp, est chargé de + remettre mes dépêches à Votre Altesse. + + + Palais des Tuileries, 20 janvier 1810. + + DÉCRET. + + Voulant pourvoir à la sûreté des frontières du nord de notre empire, + et mettre à l'abri de tout événement nos chantiers et arsenaux + d'Anvers; + + Nous avons décrété et décrétons ce qui suit: + + Article 1er. + + Il sera formé une armée sous le nom d'_Armée de Brabant_. + + Art. 2. + + Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et l'Océan formeront + le territoire de la dite armée. + + Art. 3. + + Toutes les troupes françaises et alliées, de terre et de mer, qui se + trouvent dans cet arrondissement, feront partie de l'armée de + Brabant. + + Art. 4. + + Les places de guerre situées entre la Meuse et l'Escaut seront mises + en état de siège. + + Art. 5. + + Les commandants militaires et les autorités françaises et + hollandaises se conformeront aux présentes dispositions. + + Art. 6. + + Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent + décret. + + NAPOLÉON, etc., etc. + + Article 1er. + + Toutes les marchandises anglaises existant dans les villes et places + situées entre la Meuse et l'Escaut sont confisquées. + + Art. 2. + + Le produit de la vente de ces marchandises sera employé moitié à + réparer les dégâts faits à Flessingue, et moitié à indemniser les + habitants des pertes qu'ils ont essuyées par le bombardement. + + Art. 3. + + Toutes les marchandises coloniales seront mises sous séquestre. + + Art. 4. + + Nos ministres de la police et des finances sont chargés de + l'exécution du présent décret. + + + CLARKE À NAPOLÉON. + + 29 janvier. + + Votre Majesté trouvera ci-joint une lettre du maréchal duc de + Reggio, du 26 courant, datée de Berg-op-Zoom, par laquelle il rend + compte de l'opposition toujours soutenue du gouvernement hollandais, + qui a refusé de laisser prendre connaissance des magasins de la + place: le duc de Reggio, après avoir fait sortir les troupes qui + appartenaient au corps du maréchal Dumonceau, a dû, dès le + lendemain, déposséder le gouverneur et s'emparer des magasins. + + En attendant que cette opération fût consommée, le maréchal duc de + Reggio a fait faire une reconnaissance de la place qui lui a procuré + quelques renseignements. 240 bouches à feu se trouvent dans la + place, et, en approvisionnements de siège, de quoi nourrir 2,000 + hommes pendant six semaines. Du reste, il n'y a ni manutention, ni + hôpitaux, ni casernes, ni fournitures, et le duc de Reggio pense + qu'il est instant de régler sans délai tout ce qui tient aux + administrations, ainsi que d'assurer tous les services de l'armée + qui sera en Hollande. + + À cette lettre est joint un croquis de la place de Berg-op-Zoom, + avec un précis de ce qu'on a pu voir de cette place, les ingénieurs + hollandais ayant refusé toute espèce de renseignements. + + + CLARKE À NAPOLÉON. + + 31 janvier. + + J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre du duc de + Reggio, datée de Breda, le 28 janvier. Il rend compte qu'à + Berg-op-Zoom comme à Breda, la prise de possession des magasins + d'artillerie, du génie et des subsistances a eu lieu le 27, comme + il l'avait annoncé. Les gouverneurs de ces places ont persisté dans + leur opposition jusqu'au dernier moment; ils n'ont cédé qu'à la + force. Ils ont ensuite refusé tous deux de remplir aucune fonction + et attendent une nouvelle destination de la part de leur souverain. + + Le duc de Reggio demande maintenant des instructions positives, + relativement aux autorités du pays et aux habitants; le décret que + je lui ai envoyé le 28 lèvera les obstacles qu'il craint de + rencontrer de leur part. + + Le maréchal fait observer que les bataillons de gardes nationales + qui font sa principale force sont diminués par la désertion et fort + éloignés de l'instruction et de la discipline que la circonstance + exigerait. En outre, ils sont presque nus, ce qui contribue à les + décourager. Les démarches faites à ce sujet au ministre directeur + n'ont pas même obtenu de réponse. Le duc de Reggio insiste avec + force sur la nécessité d'apporter un prompt remède à cet état de + choses, dont la fâcheuse influence ne saurait échapper à la sagesse + de Votre Majesté. + + Une autre lettre du même, en date du 26, rend compte de la désertion + qui a eu lieu à Namur dans les bataillons de la Meurthe et de la + Moselle, dont il a été déjà rendu compte à Votre Majesté. Le + maréchal ajoute que le départ pour Lille de la majeure partie des + officiers a désorganisé ces bataillons, et qu'on doit peu compter + sur eux dans une circonstance difficile. + + + CLARKE À OUDINOT. + + 1er février. + + Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre + Excellence, par une dépêche du 28 janvier, dont le capitaine Markey, + mon aide-de-camp, a été porteur, les intentions de l'empereur + relativement à la prise de possession des places hollandaises + situées entre la Meuse et l'Escaut. Aujourd'hui, je suis chargé par + Sa Majesté de vous envoyer l'ordre de prendre possession militaire + de toutes les places situées entre le Rhin et l'Escaut. Pour cet + effet, il sera nécessaire que Votre Excellence commence par + s'assurer des points qui couvrent sa gauche: ce sont les forts de + Steenbergen, de Wilehelmstadt, de Klundoert et les villes de + Gertruydenberg et Heusden, qu'il faudra faire occuper par des + détachements. Bois-le-Duc et le fort de Crèvecoeur doivent être pris + en même temps, et cette mesure préliminaire étant consommée, + l'arrivée prochaine de la division du 4e corps destinée à passer + sous vos ordres vous permettra de suivre votre opération par la + droite. Cette division, qui sera à Dusseldorf, doit être dirigée de + Dusseldorf sur Venloo, d'où elle marchera directement sur Grave et + de là sur Nimègue, qui doivent être pareillement occupés, de même + que le fort de Schenk. Quand vous aurez, par là, votre droite et + votre, gauche assurées, vous pourrez continuer votre marche en + avant, pour aller occuper, sur votre gauche, la Zeelande ainsi que + les îles de Josée et de Worms, ce qui vous conduira à prendre + possession de Zérickée, de la Brille, d'Helvoest-Lyns et de + Dordrecht. Vous aurez alors, en avant de votre route, le + Bommel-Waard et la place de Garcum à occuper, au moyen de quoi votre + grand mouvement se trouvera terminé, et vous aurez votre droite au + fort de Schenk près du Rhin et votre gauche à l'île de Gorée. Il + sera nécessaire de procéder, dans ces différentes places, de la même + manière qu'à Breda et à Berg-op-Zoom, en y nommant un commandant + militaire français et en renvoyant les troupes hollandaises qui + pourraient s'y trouver en garnison dans des endroits où elles ne + puissent pas nuire. Il faudra aussi s'emparer des magasins + d'artillerie et des subsistances, et déclarer les places en état de + siège pour annuler entièrement l'action des autorités civiles. + Toutes ces opérations doivent être consommées successivement, mais + avec beaucoup d'ensemble et de célérité pour en faciliter + l'exécution, et je prie Votre Excellence de vouloir bien m'informer + sans délai des mesures que vous aurez prises pour remplir, à cet + égard, les intentions de l'empereur. + + +Le 2 février 1810, en présence des exigences du duc de Reggio +exécutant les ordres de l'empereur, un conseiller d'État du roi +Louis, le chevalier Elout, adressa au maréchal la lettre ci-dessous: + + + Breda, 2 février. + + Monsieur le duc, chargé d'une mission auprès de Votre Excellence, + j'ai appris avec regret que Votre Excellence se trouvait à Anvers. + Privé d'un entretien que j'avais désiré vivement, il est toutefois + de mon devoir de faire connaître à Votre Excellence l'objet spécial + de la mission qui m'a été confiée, et dont j'ai l'honneur de + m'acquitter par celle-ci. + + Je n'ai pas besoin d'entrer en beaucoup de détails; mais je dois, + cependant, prendre la liberté de rappeler à Votre Excellence que, + quoique l'on n'a pas cru pouvoir accorder à sa demande d'être mise + en possession d'une partie du territoire hollandais, on n'a pas + hésité un moment, lorsque Votre Excellence a témoigné le désir d'y + mettre les troupes de Sa Majesté l'empereur et roi en cantonnement, + à recevoir ces troupes dans les places fortes de Breda et de + Berg-op-Zoom, comme celles d'une puissance amie et alliée, ainsi que + le dictaient les ordres du roi, mon maître, qui étaient connus + d'avance à Votre Excellence et qui doivent être la seule règle de + conduite pour tout fonctionnaire hollandais. Le gouvernement + hollandais se reposait ainsi, avec toute la confiance possible, sur + les assurances données par Votre Excellence, qu'elle désirait d'être + admise sur ce point que les places resteraient sous les ordres de + leurs gouverneurs respectifs, et que l'administration civile serait + intacte. + + Il vous sera donc facile, monsieur le maréchal, de sentir la vive + douleur qu'a dû éprouver mon gouvernement lorsqu'il a été informé + qu'on avait pris possession de la ville et du territoire de + Berg-op-Zoom au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon; qu'il avait + été exigé des autorités constitutives de se considérer comme sujets + de ce monarque; qu'il avait été interdit d'administrer la justice au + nom du roi, leur souverain légitime; qu'on avait enfin donné les + ordres les plus précis aux receveurs de ne pas disposer des deniers + publics sans un ordre du gouvernement français, douleur qui est + accrue par ce qui est arrivé à Bréda. + + La gloire de bien servir son maître est si naturelle, et tellement + inhérente à tout Français, que je croirais manquer à Votre + Excellence d'en presser le devoir; que Votre Excellence juge donc si + les sentiments de tout homme d'honneur ne doivent pas s'accorder + avec ce devoir même! Qu'ainsi, il lui est impossible de se départir + de la fidélité qu'il doit à son souverain, et dont ce souverain peut + seul le dégager. + + Votre Excellence sent profondément (j'en ai la conviction intime) + l'état cruel et pénible où se trouvent les bons et fidèles + serviteurs du roi, en se voyant pressés de violer leurs serments et + de manquer ainsi à leurs devoirs les plus chers et les plus sacrés + et se rendre par là méprisables aux yeux de tout homme de bien, + sentiment de mépris que partagerait Votre Excellence elle-même qui + est trop pénétrée, sans doute, de la noblesse des sentiments d'amour + et de fidélité que je viens de professer pour vouloir attribuer les + difficultés qu'elle aurait pu avoir rencontrées de la part de ces + individus à d'autre cause qu'à ses sentiments. + + «Je crois pouvoir ajouter encore avec confiance, que d'après les + intentions manifestées par l'empereur lui-même et les ordres les + plus positifs du roi, que Votre Excellence a prouvé, par sa conduite + antérieure, connaître à fond que l'entrée des troupes françaises sur + le territoire hollandais ne peut être considérée que sous un point + de vue militaire, mais jamais comme devant signifier la prise de + possession au nom de Sa Majesté l'empereur et roi, et qu'encore pour + cette raison aucun habitant ne doit ni ne peut se considérer comme + sujet de Sa Majesté l'empereur Napoléon, mais que tous sans + exception ne désirent respecter que les ordres qui leur seront + donnés de la part de Sa Majesté le roi de Hollande dans les formes + usitées et légitimes. + + «Je dois insister plus spécialement encore sur ce qui regarde + l'administration des finances. Votre Excellence doit sentir le grand + embarras et la stagnation funeste que doivent faire naître les + ordres donnés à ce sujet, ce dont les suites sont incalculables dans + ce royaume. + + «J'ose donc prier Votre Excellence qu'elle veuille se rendre aux + représentations que j'ai l'honneur de lui faire d'après mes + instructions et de donner les ordres pour que les conditions posées + en principe par Votre Excellence elle-même soient respectées, et + qu'il ne soit rien exigé d'un sujet hollandais qui serait contraire + à son devoir, mais qu'il lui soit permis d'attendre sur toutes + choses les ordres de son roi, et que Votre Excellence veuille faire + révoquer le plus tôt possible les ordres donnés aux receveurs + généraux, en un mot que tout ordre qui n'émane pas des principes + militaires relativement au cantonnement, soit révoqué et mis hors + d'effet. + + «Je viens d'exposer l'objet de ma mission, Monsieur le duc, et me + fondant sur votre caractère personnel autant que sur la haute + qualité dont Votre Excellence est investie, j'ose espérer que le + gouvernement hollandais ne se sera pas flatté en vain que Votre + Excellence se rendrait à une demande juste dans sa nature, + intéressante dans ses conséquences et peu faite sans doute pour + inspirer les moindres appréhensions. + + «Je prie Votre Excellence de m'en donner l'assurance afin que je + puisse communiquer à mon gouvernement un résultat qu'il attend avec + confiance et qui sera propre à conserver et à augmenter la bonne + harmonie entre les individus des deux nations intimement liées. + + «J'ai chargé Monsieur Siberg, auditeur du roi, de remettre cette + dépêche à Votre Excellence et de me rapporter la réponse qu'elle + voudra me faire parvenir. Agréez, Monsieur le duc, l'assurance de ma + haute considération.» + + + LE MINISTRE DE LA GUERRE DE HOLLANDE À OUDINOT. + + Amsterdam, 3 février. + + «Monsieur le duc, les ordres que j'ai reçus du roi mon maître et que + M. de Byland, son aide de camp, m'a apportés, ont fait cesser en + effet l'obligation pénible où j'étais de lutter contre les mesures + de Votre Excellence, et maintenant que je me trouve autorisé à vivre + en harmonie avec elle, je n'aurai rien de plus à coeur que de faire + de mon côté tout ce qui peut tendre à la maintenir. + + «Je sens que les troupes françaises qui vont occuper la partie du + royaume située entre la Meuse et l'Escaut auront besoin d'y trouver + des moyens de subsistance. Ce service est assuré, pour les troupes + hollandaises, par l'entrepreneur général des vivres, qui fournit à + tous leurs besoins. J'ai proposé à Sa Majesté de le charger aussi de + la nourriture des troupes françaises, et j'attends les ordres + qu'elle voudra bien me donner à cet égard. Si, dans l'intervalle, + Votre Excellence juge à propos de requérir l'intervention des + autorités locales, j'ai l'honneur de la prévenir que cette mesure + serait étrangère à mon département et ressortirait entièrement du + ministère de l'intérieur.» + + + DE LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 15 février 1810. + + «Croyant qu'il peut être agréable à Votre Excellence d'avoir + quelques détails sur l'opinion générale et sur la situation des + esprits en Hollande, je vais avoir l'honneur de vous faire part de + mes observations. + + «L'esprit public est généralement bon, c'est-à-dire que la masse de + la nation est susceptible de prendre telle direction qu'il plaira à + son gouvernement de lui donner. Le Hollandais aime sa patrie et fera + de grands sacrifices pour elle. Il prend donc une part très réelle à + ce qui intéresse la chose politique et l'honneur national. + + «Le grand penchant qui existe pour l'Angleterre ne tient qu'au + besoin de commerce et aux ressources avantageuses que l'on retire + des relations avec ces insulaires. Mais favorisez le commerce, + montrez de l'intérêt pour la Hollande, faites-lui entrevoir une + prospérité future et une protection présente, dès lors vous verrez + la Hollande devenir Française, car elle ne tient à l'Angleterre ni + de cour, ni de goût, mais uniquement d'intérêt, et parce que, + n'étant pas heureuse sous la direction française, elle croit que ce + qui lui est opposé doit être pour elle un bien. Il existe ici trois + opinions plus ou moins opposées les unes aux autres. Celle du + commerce et des gens à argent qui n'admettent et qui n'aiment que ce + qui leur procure un avantage; celle des propriétaires fonciers, de + l'ancienne noblesse et de leurs agents, qui furent attachés à la + maison d'Orange, qui en conservent des souvenirs, qui jusqu'à + présent penchaient pour l'Angleterre, en éloignant tout ce qui était + Français, mais que l'on peut faire revenir à des sentiments plus + raisonnables avec de la douceur et avec de la fermeté; enfin, celle + des Patriciens et de la masse du public qui suit ordinairement la + direction du gouvernement et dont l'on peut facilement disposer en + se rendant maître de leurs chefs. Le gouvernement est composé de la + seconde classe, d'une partie de la troisième et de quelques + individus de la première qui, pour obtenir des avantages personnels, + ont quitté la droite ligne du commerce pour devenir courtisans. + Cette seconde classe s'était tellement emparée de l'esprit du roi + que Sa Majesté croyait en avoir besoin et qu'ils avaient su se + rendre indispensables. Ils avaient travaillé l'esprit public, et + soit par séduction, soit par peur ou par désir d'obtenir des + emplois, soit enfin par des grâces, des décorations, ils étaient + parvenus à rendre la Hollande anti-française. Les honnêtes gens + souffraient et même quelques voix ont osé se faire entendre, mais + elles ont été étouffées, et l'homme qui voulait se prononcer était + si maltraité qu'il ôtait à tous les autres le désir et même la + pensée de suivre un exemple qui le ruinait lui et les siens. Enfin, + l'opinion publique était altérée; on gémissait en secret des fautes + du gouvernement, mais il avait soin de rejeter le mal sur + l'empereur. Le roi passait pour une victime de son dévouement à sa + nouvelle patrie et pour n'être traité froidement par son auguste + frère que parce qu'il défendait la Hollande[157]. Enfin, toutes les + apparences étaient contre ce pays-ci, et il fallait se donner la + peine d'examiner le mal de bien près et avec soin pour découvrir + qu'il était uniquement au gouvernement, ou plutôt à quelques + personnes qui avaient dû faire prendre la marche qui favorisait + leurs intérêts particuliers. Ces vérités sont connues de tout le + monde, elles sont même avouées des agents du gouvernement qui ne + nient pas le mal, mais qui prétendent n'en être pas la cause et qui + la rejettent sur tel ou tel autre individu. + + [Note 157: De fait, l'opinion publique était dans le vrai.] + + «L'empereur a donc atteint un premier but bien intéressant qui est + celui d'avoir ouvert les yeux à tous les partis; et chacun voit à + présent que le mal qui les accable vient de la marche vicieuse du + gouvernement. On rend toute la justice qui est due aux intentions du + roi; mais ceux mêmes qui ont conseillé Sa Majesté sentent la faute + qu'ils ont commise ou plutôt ils en craignent les effets. Mais que + Votre Excellence me permette de lui observer combien il serait + dangereux de se fier trop vite à un pareil repentir. Sûrement, il ne + faut punir personne; mais il faut éloigner des gens trop marquants, + qui ne peuvent prêcher sans honte un système opposé à celui qu'ils + ont professé publiquement. L'éloignement peut n'être que momentané; + mais il est indispensable pour asseoir le gouvernement dans de bons + principes et pour lui faire prendre une marche dont il ne doit plus + s'écarter. C'est un point très intéressant; mais, je le répète, il + faut une certitude de stabilité. Sans cela, il n'y a plus de + Hollande et je prie Votre Excellence de vouloir bien en être + persuadée. Mais ici nous avons atteint ce point si le roi est bien + convaincu de l'indispensable nécessité de suivre une marche + invariable; si Sa Majesté s'entoure de gens de talent et de + conduite, qu'elle daigne accueillir avec sa bonté ordinaire toutes + les opinions, mais en laissant le temps à ceux qui ont professé + l'ancienne doctrine de se reconnaître et d'ouvrir les yeux. Enfin + si, à son retour, le roi se prononce comme celui de Westphalie + paraît l'avoir fait; si l'empereur est sûr que Sa Majesté réunira à + une pensée ferme un plan de conduite fixe; si enfin le système de la + France est suivi, et qu'en Hollande le plus grand malheur et le plus + grand désavantage ne soit plus d'être français, alors ce pays peut + se rétablir. L'esprit public qui est bon et qui n'a été gâté que par + quelques individus se remettra. Le commerce et les capitalistes, + voyant qu'ils ne sont plus maltraités, mais que l'on assimile les + premiers aux négociants français, tandis que l'on protège les + seconds dans leurs rapports avec les cours étrangères, verront leurs + intérêts se rapprocher de S. M. impériale et royale et la béniront. + La noblesse bien traitée, favorisée de quelques ordres et titres, + employée selon les preuves qu'elle donnera de son zèle et de son + attachement à la nouvelle direction, se verra forcée, pour obtenir + des avantages de la cour, de prêcher la seule doctrine qui y sera + admise. Enfin, les Patriciens, amis de leur pays, qui ne désirent + que son bien, et qui sont à présent malheureux, se rallieront + facilement au gouvernement quand ils verront une certitude de + stabilité, et ils attireront après eux la masse du public qui sent + son mal et qui a besoin de le voir finir. Mais que Votre Excellence + ne se dissimule pas à quel point ce mal est porté. Chacun gémit et + se plaint. Le commerce est au moment d'éprouver des pertes + considérables. Les propriétaires qui ont tous des rentes sur l'État + sont ruinés par la chute des effets publics. La saisie des + marchandises a jeté l'alarme dans la seconde et la troisième classe + du peuple. Tout ce qui tient à la cour et au gouvernement craint + pour son existence personnelle. Enfin, les auteurs du mal + s'enveloppent de la misère publique. Ils ne parlent que de la nation + en général, que de son affreuse position, et ils se sauvent sous le + nom de la Hollande, tandis qu'eux seuls sont auteurs du mal dont + tout le monde est puni. Je ne voudrais pas, Monsieur le duc, que + Votre Excellence crût qu'il entre aucune personnalité dans ce que + j'ai l'honneur de lui mander. Ce ne serait même pas mon opinion de + faire une réaction. Je la croirais nuisible, et la Hollande a besoin + d'être tenue, mais en même temps d'être menée doucement et sans + secousse. Toute inquiétude trop forte lui ôte la confiance et nuit + au bien général; mais il faut lui inspirer cette confiance, la bien + convaincre que ce qui sera établi durera, que les lois qu'on lui + donnera seront stables et que son gouvernement ne variera plus. + Enfin, il faut, pour la lui inspirer, commencer par lui en faire + sentir la possibilité; et jamais avec les mêmes agents on ne croira + à une pareille marche. On regardera toute condescendance comme une + feinte, et l'on sera sûr d'être en butte à de nouveaux tiraillements + si nuisibles à l'intérêt général. Je le répète donc, la difficulté + n'est pas d'obtenir tout ce que l'empereur voudra, et même de voir + tout le monde l'adopter avec empressement, mais le but à atteindre + est de s'assurer que cela durera et que l'esprit du gouvernement est + changé, car sans cela la confiance ne se rétablira pas, et alors les + finances, objet si essentiel et question si délicate à traiter, ne + pourront être réglées de manière à sauver la Hollande d'une + banqueroute complète. Je regarde donc que l'esprit est bon, qu'il + est prêt à tout, que le ministère même verra son éloignement sans + peine, croyant la chose nécessaire, et que l'empereur gagnera tous + les cours et attirera la Hollande à lui, si, en la traitant comme la + France, il oblige son gouvernement à devenir et à rester français. + + «Quant à l'opinion des individus qui composent le gouvernement, elle + est dans ce moment-ci toute française en apparence. Tout le monde + avoue qu'il n'y a pas un autre système à suivre. Tout le monde a + peur et est devenu souple. On ne prononce plus le nom de l'empereur + qu'avec respect, et chacun craint son juge; mais cet esprit du + gouvernement est l'effet du moment. C'est le même individu qui tient + publiquement un langage raisonnable et qui, comme homme public, + professe cette religion, parle tout différemment quand, revenu dans + les cercles particuliers, dans sa famille ou chez ses amis, il peut + émettre sa véritable opinion. Le ministère est composé de Messieurs + Roëll, Mollerus, Van der Heim, Cambier, Hugenpoth, Van Capellen, + Krayenkoff et Apellius. Le premier, Votre Excellence le connaît; + elle peut le juger; mais cependant je dois lui observer qu'il est + haineux et vindicatif, qu'il a toujours tourné en dérision tout ce + qui était français, et que, sans avoir une mauvaise opinion + prononcée, il est un de ceux qui ont nui à un changement de système. + Le second est fin, adroit, instruit. Il a toujours été attaché à + l'Angleterre, où ses enfants étaient encore employés il y a peu de + temps. Il se met rarement en avant, mais il fait mouvoir d'autres + personnes et d'autres ministres, notamment M. Roëll. Sa conversation + est à présent dans une bonne direction. Il regrette, je crois, + d'avoir peut-être contribué à la perte de son pays. C'est un chef à + caresser, à bien traiter, mais à éloigner du timon des affaires, + parce que tout le monde le regarde comme une des personnes qui a le + plus dirigé le roi en sachant adroitement obtenir la confiance de Sa + Majesté et en faire un mauvais usage. M. Van der Heim, + officiellement, paraît être Français; mais c'est un homme réservé, + ne manquant pas de moyens, n'énonçant jamais une opinion et sachant + obtenir par des voies indirectes ce qu'il n'oserait pas demander + d'une manière positive. Il fait tout en dessous et l'on ne peut s'y + fier. Son ministère est celui où il règne le plus mauvais esprit, et + je crois qu'il en est cause. Cependant on pourrait tirer parti de + ses talents. Il se rallierait à un gouvernement dont il se verrait + forcé de suivre la marche. Monsieur Cambier est un honnête homme, + attaché à son pays, loyal dans son système modéré, sur qui l'on + pourrait compter s'il avait pris un engagement. Il n'est pas + Français de goût, parce qu'il est malheureux de la crise où se + trouve sa patrie, et qu'en convenant des torts que l'on a eus, il + trouve la punition forte, et, si j'ose le dire, il se plaint qu'une + nation tout entière souffre d'une mauvaise direction à laquelle elle + ne pouvait rien. Je connais peu M. Cambier, mais je le regarde comme + un homme estimable et bon à employer. + + «M. Hugenpoth, ministre de la police, est un jeune homme qui était + petit avocat à Arnheim, sortant de finir de bonnes études. Il n'est + donc rien en politique et étonné d'occuper un poste auquel il aurait + pu peut-être convenir plus tard, mais qui dans ce moment-ci est + au-dessus de ses moyens. Le ministre de l'intérieur, Van Capellen, + était préfet de l'Ost-Frize, et, en cette qualité, a protégé + ouvertement la fraude, la contrebande. Les plaintes devinrent si + fortes qu'il fut rappelé et nommé successivement aux places de + conseiller d'État et de ministre. Il est allié à de bonnes familles. + Il a des opinions peu prononcées, mais mauvaises. C'est au reste un + jeune homme qui est conduit et qui suit l'impulsion du reste du + gouvernement. M. le général Krayenkoff est un topographe instruit et + voilà tout. Il paraît certain qu'il a été choisi par le roi, faute + d'autres personnes qui professent la même opinion et qui fussent + propres à être ministre de la guerre. Enfin M. Appelius, qui était + secrétaire du cabinet, est bon financier sans avoir peut-être les + qualités nécessaires pour être ministre; c'est un homme à employer; + il avait une opinion très prononcée contre la France; mais je dois + dire que dans plusieurs circonstances il s'est bien conduit et + notamment dans l'affaire de l'emprunt de Prusse. + + «Par les détails que je viens d'avoir l'honneur de donner à Votre + Excellence, elle voit que le ministère est faible, et que deux ou + trois hommes mènent le gouvernement. Quant au conseil d'État, il est + composé de gens instruits et propres à remplir les places qu'ils + occupent. Ils sont décidés presque généralement à suivre une bonne + ligne, et, à quelques individus près, on peut y compter. Le Corps + législatif, composé de propriétaires et de nobles, est absolument de + l'opinion du gouvernement et du roi dont il attend honneur et + faveur. Ainsi, il sera ce que Sa Majesté voudra. Quant à la cour, + qui contribue beaucoup à établir l'opinion des sociétés, elle est + généralement dans le plus mauvais esprit. C'est des antichambres du + roi que partaient les propos les plus ridicules contre la famille de + leur souverain. C'était la mode de critiquer l'empereur et son + gouvernement, de répandre les plus mauvaises nouvelles et de s'en + réjouir, de tourmenter tous les Français sans exception: et encore + depuis le départ du roi, le même esprit a régné et il perce dans + toutes les occasions, mais cette classe de la société a cru plaire. + Elle a tenu cette conduite par ton et d'un seul mot, elle changera + si elle est sûre de flatter en prenant un autre système. + + «Votre Excellence voit donc que l'on peut réparer facilement tout le + mal, que l'on peut faire marcher le gouvernement et rétablir les + finances, parce que le Hollandais viendra volontairement au secours + de son gouvernement quand il reprendra confiance. Elle voit que + l'opposition tient à l'ancienne marche, qu'il n'existe pas de + résistance, que l'éloignement que l'on manifeste contre la France + tient au malaise où l'on se trouve, enfin que la Hollande est dans + la main de l'empereur et que Sa Majesté Impériale et Royale peut en + faire ce qu'elle voudra et même s'attirer l'affection d'un peuple + qui attend tout de sa justice et de sa bonté. + + «Avant-hier, plusieurs courriers de Paris ont ranimé la confiance. + On a répandu que le roi s'était promené avec l'empereur, que tout + était arrangé, que la Hollande restait indépendante et que le roi + arriverait incessamment. Les fonds ont monté en deux heures de 20 à + 50 p. 100; hier ils sont retombés presque au point où ils étaient + avant cette hausse subite. On est cependant inquiet de ce qui se + passe dans le Brabant où l'on se plaint de nos troupes, surtout à + Dorp, où l'on accuse le général français d'une sévérité qui + indispose, et contre lequel on m'a porté des plaintes dont je n'ai + pas voulu me charger. Ce qui console un peu le commerce, c'est la + quantité d'argent qui arrive d'Angleterre. C'est, je crois, une des + guerres les plus avantageuses que nous puissions faire, et je serais + d'avis de fermer les yeux sur l'entrée des bâtiments qui ne + rapportent que des guinées de Londres.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 28 février 1810. + + «Lorsque j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, dans + mes derniers rapports, que l'on travaillait l'esprit public, que + l'on cherchait à gagner les troupes, que l'on discutait dans le + conseil des ministres les projets les plus absurdes; quand enfin je + me plaignais des membres du gouvernement et surtout du ministre de + la guerre, j'avais déjà de forts indices du projet insensé qui avait + été arrêté de défendre Amsterdam contre les troupes de l'empereur. + Je ne pouvais cependant avancer un fait aussi extravagant avant + d'avoir acquis la certitude que ce n'était ni la peur ni l'esprit de + parti qui faisaient circuler ces bruits, mais qu'ils étaient + réellement fondés. Je cherchai donc à acquérir des preuves, et, + occupé depuis trois semaines de cet objet, ce n'est qu'hier que j'ai + obtenu le dernier renseignement qui m'était nécessaire. Tous les + ministres sont liés par serment de ne rien dire de ce qui se passe + dans les conférences. Les ministères sont composés de gens discrets + et qui craignent de perdre leur emploi; enfin, je n'ai aucun des + moyens d'argent qui m'eussent été si utiles pour lutter contre des + gens si mal intentionnés, et je ne pouvais me fier aux propos d'un + public qui adopte sans discernement tout ce qui flatte ou tout ce + qui est opposé à son désir ou à son intérêt. Je me contentais donc + de garder le plus grand secret sur mes premiers renseignements, de + rire d'une pareille folie sans avoir l'air de là croire possible, de + voir peu les ministres, de ne pas leur parler d'affaires, mais de + faire suivre leurs moindres démarches et d'avoir un compte exact des + propos qu'ils tenaient. J'appris successivement les discussions qui + eurent lieu, les marchés faits par les ministères de la guerre et de + la marine, la raison qui avait déterminé l'arrivée des troupes dans + la capitale; enfin, je m'assurai que l'on travaillait la nuit aux + fortifications des lignes et ouvrages avancés, qu'avant-hier on + avait encore fait venir de l'artillerie et des munitions et qu'une + grande quantité d'ouvriers avaient été enrôlés. Alors, sûr de mon + fait, je fis demander une conférence à M. Mollerus, et, après lui + avoir énuméré tous les ordres qui avaient été donnés et lui avoir + montré que j'étais au fait de tout, je lui remis la lettre dont j'ai + l'honneur d'envoyer copie à Votre Excellence. + + «Le ministre fut visiblement déconcerté. Je lui parlai avec force, + je lui reprochai une conduite aussi monstrueuse, tant par son + inconséquence que par ses résultats; enfin je lui signifiai la + responsabilité du conseil des ministres et de tous ses membres, si + tous les préparatifs n'étaient pas sur le champ détruits et annulés. + Je finis par obliger M. Mollerus à me dire la vérité, et il m'avoua + tout ce que j'avançais en me disant qu'il ne pouvait pas me répondre + sans avoir assemblé ses collègues et pris leur avis. Son embarras et + son inquiétude prouvaient assez combien la position où il se + trouvait lui paraissait pénible. Il ne me cacha donc rien; mais, + dans ses réponses, il chercha à me faire entendre que le conseil + n'agissait que par des _ordres supérieurs_. Je repoussai une + pareille idée et je lui dis même que quand il me montrerait l'ordre + du roi, je croirais encore que l'on a surpris et imité la signature + de Sa Majesté; que la chose n'était pas possible et que je ne + regardais cette défense de leur conduite que comme un moyen de + sortir d'embarras. Alors le ministre, voyant que je le prenais sur + ce ton, m'assura que ce n'était pas cela qu'il voulait dire et se + tira de cette conférence en m'assurant qu'il allait assembler ses + collègues et qu'il me donnerait ce matin la réponse à la lettre que + je venais de lui remettre. J'aurai donc l'honneur de la joindre à + cette dépêche. + + «Je viens d'envoyer M. de Caraman porter la lettre ci-jointe à M. le + duc de Reggio, et j'expédie à Paris M. Hamelin qui aura l'honneur de + vous remettre ce paquet. Je le recommande ainsi que M. de Caraman + aux bontés de l'empereur pour les places d'auditeurs que j'ai + sollicitées pour eux et auxquelles ils ont quelques droits pour les + services qu'ils ont déjà rendus. + + «Au reste, la plus grande tranquillité règne ici. On ne se doute pas + du projet de défense. Quand j'aurai la réponse des ministres, je + ferai circuler adroitement quelques bruits qui paralyseront les + projets du ministère. Mais il serait intéressant qu'au moins + provisoirement nous eussions un ou deux hommes sûrs qui pussent + combattre le mauvais esprit et qui me missent au courant de ce qui + se passe. Le Moniteur du 22 a été donné dans toutes les mains. Il a + jeté l'alarme, et le premier jour les fonds publics ont baissé, mais + 24 heures après on s'est rassuré, et les papiers de l'État que je + regarde comme le thermomètre de l'opinion publique sont maintenant + plus hauts qu'ils n'étaient avant cette crise. + + «Depuis que j'ai commencé cette dépêche, j'ai reçu encore une foule + de renseignements. On parle déjà du projet extravagant du ministre + de la guerre. J'attends la réponse du Conseil pour arrêter la + conduite que j'aurai à tenir. Peut-être si les choses vont trop loin + et si les préparatifs ne cessent pas malgré la promesse que l'on + doit m'en donner, peut-être, dis-je, sera-t-on obligé d'ôter au + général Krayenkoff tout moyen d'exécuter son indigne projet. Il + n'est pas douteux que l'on fabrique des cartouches de calibres, que + toute la nuit des caissons ont passé dans la ville. Mais les + honnêtes gens commencent à prendre une couleur et j'espère arrêter + le mal. Votre Excellence peut être bien sûre que je ne me laisserai + pas intimider. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de bien + remplir le poste qui m'est confié par l'empereur. + + «J'attends le bourgmestre et le commandant supérieur de la garde + nationale. Je vais les engager à s'assurer de l'esprit public et à + maintenir les mauvais sujets. Je voudrais qu'une députation partît + pour Paris, chargée de prévenir le roi de l'abus qu'on fait de sa + confiance et du crime que l'on commet en se servant de son nom pour + agir d'une manière aussi coupable. + + «Je viens de voir le bourgmestre d'Amsterdam. Il m'a dit ne rien + savoir officiellement du projet de défense; mais il m'a assuré avoir + fait de nombreuses réclamations contre la quantité de poudre qui + entre dans la ville et contre le nombre de troupes que l'on y + réunissait. Il porte la garnison à 3,200 hommes, dont une partie + logée chez les bourgeois. Le commandant supérieur de la garde + nationale ainsi que le bourgmestre m'ont assuré de leur dévouement à + leur pays et se sont engagés à calmer les esprits et à prévenir le + mal. + + «Voici la réponse du ministère hollandais dont vous trouverez, + Monsieur le duc, une copie cotée nº 3. Ils déclarent leur projet de + défense, mais s'engagent à suspendre tous les travaux. Je + surveillerai avec soin la conduite des ministres et j'aurai + l'honneur de vous faire connaître la suite de cette affaire. Je vais + redoubler d'activité et crois pouvoir vous répondre de rendre + inutiles les projets de ces malveillants.» + + + DE LA ROCHEFOUCAULD AU DUC DE CADORE. + + Amsterdam, 1er mars 1810. + + «Les travaux paraissent suspendus et les ordres ont été donnés + d'arrêter ceux qui allaient commencer; on avait fait abattre la nuit + des arbres qui gênaient la défense; les cartouches se fabriquaient + dans l'intérieur du palais, et il était temps d'arrêter les excès où + l'on paraissait vouloir se porter. Le principal instrument que l'on + a employé est le ministre de la guerre qui prétendait se faire un + nom en défendant la ville et en prenant l'Angleterre pour retraite. + Ses deux collègues les ministres des finances et de la police + appuyaient ses opinions exagérées. Il y eut dans le Conseil + plusieurs scènes scandaleuses où le général Krayenkoff déclara avoir + des ordres supérieurs et ne vouloir rien discuter avec les autres + ministres. Il s'absenta même pendant plusieurs jours du Conseil. M. + Tovent (dont j'ai oublié de parler à Votre Excellence dans mon + numéro 120) soutint fortement son opinion contre celle du ministre + de la guerre; il fut appuyé par M. Mollerus. Quant au ministre de la + marine, il déclara ne vouloir rien faire sans un ordre écrit de ses + collègues. Le ministre de la police proposa de m'inviter à sortir + d'Amsterdam, mais cette sotte motion fut étouffée. Enfin, on me fit + parvenir des avis qui devaient, d'après ces Messieurs, m'effrayer et + me faire partir. On parla dans le public de venir casser mes vitres + et mille sottises de ce genre. Je n'y ai pas pris garde; je ne + changeai pas de marche ni de conduite, et maintenant ces bruits sont + presque apaisés. Je dois dire à Votre Excellence que j'ai été fort + content de toutes les personnes que j'ai avec moi. J'ai trouvé du + zèle, du dévouement pour le service de l'empereur et de + l'attachement pour moi. Je désirerais que Votre Excellence voulût + bien saisir une occasion favorable de parler à l'empereur de M. + Serrurier qu'une place de maître des requêtes rendrait heureux, si + un avancement dans la carrière diplomatique n'était pas possible. Le + consul général a mis une activité au-dessus de son âge; enfin tous + les Français qui sont ici se sont bien conduits. J'ai trouvé aussi + dans les négociants et les capitalistes une masse de bonne volonté à + laquelle je ne m'attendais pas. Des personnes du gouvernement que je + ne puis nommer en ce moment se sont bien montrées. Enfin j'ai été + content de l'ensemble d'Amsterdam et de la Hollande, et j'ai acquis + la certitude que le mal ne tient qu'à quelques individus et qu'en + établissant ici un gouvernement sage et ferme, l'empereur sera + promptement convaincu des ressources que Sa Majesté Impériale et + Royale peut tirer de ce pays.» + + + CLARKE AU ROI DE HOLLANDE. + + Paris, 28 avril. + + «Sire, S. M. Impériale m'a renvoyé la lettre que Votre Majesté lui a + adressée relativement à l'exécution du traité, et m'a chargé d'avoir + l'honneur de répondre aux différentes observations qu'elle contient. + + «L'empereur m'a fait connaître ses intentions d'une manière qui ne + peut laisser aucune incertitude. L'intention de Sa Majesté est que + toutes les conditions du traité soient ponctuellement exécutées, et + d'après cela, Votre Majesté jugera elle-même que plusieurs de ses + demandes ne pourront être admises.--Les embouchures des rivières + devant être occupées par les troupes, il en résulte nécessairement + qu'elles peuvent être cantonnées dans les villes de l'intérieur, à + portée des ports, puisque ceux-ci seraient insuffisants pour loger + le nombre de troupes mentionnées et qu'elles deviendraient beaucoup + plus à charge au pays et à ces ports même s'il fallait les réunir + dans un petit nombre d'endroits. Cette mesure tend donc au + soulagement des habitants comme à celui des troupes. Elle ne paraît + ne devoir contrarier en rien les vues de Votre Majesté. Quant au + nombre de troupes hollandaises à employer à la garde des ports de la + Hollande, il est hors de doute que celles qui sont en Espagne ne + sauraient y être comprises sans changer tout à fait l'une des + stipulations du traité; mais ces troupes n'en serviront pas moins à + assurer l'exécution des lois et la police intérieure, but pour + lequel elles ont été principalement créées. Les fonctions dont elles + sont chargées, en exécution du traité, ne peuvent préjudicier à leur + utilité pour l'intérieur du pays. + + «Quant à ce qui est relatif au quartier général du corps + d'observation de la Hollande, l'empereur permet que la désignation + en soit faite d'accord avec Votre Majesté, et, pourvu qu'il soit + placé dans un point central, c'est tout ce que le bien du service + exige. Ainsi l'on n'insistera nullement pour qu'il soit établi dans + l'un des deux lieux de la résidence de Votre Majesté, et le duc de + Reggio a reçu à cet égard les instructions nécessaires. Il + s'entendra facilement pour cela avec le ministre de la guerre de + Votre Majesté.» + + + CADORE À LA ROCHEFOUCAULD. + + Paris, 7 mai 1810. + + «Monsieur l'ambassadeur, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la + dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 avril et + dont M. de Caraman était porteur. Sa Majesté, d'autant plus sensible + aux désagréments de votre position qu'ils paraissent être une suite + de votre zèle même pour son service, a voulu les faire cesser en + vous accordant le congé que vous avez vous-même désiré. Vous pouvez + donc profiter de ce congé aussitôt que vous aurez fait les + arrangements que vos intérêts particuliers peuvent nécessiter; car + je dois vous prévenir que l'intention de S. M. est de ne point vous + faire retourner en Hollande et de ne point vous y donner de + successeur. Mais cela ne doit y être connu qu'après votre retour à + Paris. M. Serrurier restera comme chargé d'affaires, et vous voudrez + bien le présenter en cette qualité.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 16 avril 1810. + + «Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire + le 6 de ce mois, elle m'invite à lui rendre compte de l'effet que le + traité du 16 du mois dernier a produit ici. Tout le monde, M. le + duc, en a été attéré. Chacun reconnaît l'impossibilité de son + exécution et l'on regarde que l'on a voulu terminer la crise pénible + où l'on se trouvait sans calculer la suite des événements; enfin, + les bons Hollandais sont découragés, les faibles se taisent et les + intrigants se soutiennent. On avait répandu très imprudemment que le + traité était effectivement fort désavantageux à la Hollande, mais + qu'il existait des articles secrets qui atténuaient en grande partie + ceux rendus publics et que le roi apportait ces heureux changements + ainsi que l'indemnité accordée par l'empereur. Cette espérance + trompeuse a contribué puissamment à empêcher tout l'effet que l'on + pouvait espérer du retour du roi. Sa Majesté a été reçue sans aucune + preuve de satisfaction de la part d'aucune classe des habitants de + sa résidence, et le même souverain que l'on aurait regardé, il y a + deux mois, comme le sauveur de la patrie, a maintenant perdu cette + popularité qui lui serait si nécessaire. La confiance, au lieu de + renaître, s'éloigne du gouvernement. Les fonds publics ont baissé de + 15 p. 100, et le change sur l'Angleterre a éprouvé une hausse qui + effraie les gens sensés. On croit généralement que l'État présent + est un provisoire, et, comme j'ai eu souvent l'honneur de l'observer + à Votre Excellence, dès que l'on ne voit pas de salut, le + découragement augmente le mal et le gouvernement se trouve paralysé. + Je crois juger avec la plus grande impartialité; je fais tous mes + efforts pour oublier deux ans de désagréments et de dégoûts, mais je + ne vois rien de changé. Je n'aperçois point la moindre petite chose + qui dénote un retour sincère à une autre marche. Les mêmes hommes + entourent le roi, et c'est avec eux et par eux que Sa Majesté + emploie tous ses moments et tous ses moyens à chercher le bien de + son peuple. Je ne doute pas que l'envie de plaire à l'empereur ne + soit sincère; je veux même bien croire que la nécessité est sentie; + mais ce n'est pas assez, il faut réorganiser pour rendre cette + Hollande utile à la France ou, sans cela, elle est nuisible. Un + traité n'est rien s'il n'est pas exécuté, et, pour se mettre dans le + cas de remplir ses engagements, il faut que le gouvernement puisse + marcher. Peut-être mes moyens sont-ils mauvais; mais je les + abandonnerais sans regret si je voyais qu'ils fussent remplacés par + d'autres plus efficaces; mais si l'ancienne routine recommence, tout + est fini, et ce pays malheureux ne peut plus supporter une nouvelle + crise. Je connais trop la Hollande pour n'être pas sûr que les + agents qui ont négocié ou signé le traité savaient très bien que + leur patrie ne pouvait pas remplir les engagements qu'ils + contractaient.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 21 avril 1810. + + «Votre Excellence aurait de la peine à se faire une idée de la + manière dont les opinions changent en Hollande, depuis que l'on voit + ce qui se passe; chacun est intimidé du présent et effrayé de + l'avenir; et les mêmes hommes qui ne voulaient pas entendre parler + de réunion en parlent aujourd'hui comme d'une chose désirable. Je + suis étonné moi-même de tout ce que l'on vient de me dire, et, + lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence que le dégoût + et le découragement s'empareraient promptement des Hollandais si + dans les premiers moments ils n'entrevoyaient pas un but + tranquillisant, je n'ai fait que lui prédire une vérité qui se + vérifie tous les jours. Les honnêtes gens sans fortune se taisent, + font leur devoir sans âme et sans zèle; ceux qui ont une existence + indépendante du gouvernement se retirent ou cherchent à obtenir leur + démission, et l'on se dit tout bas que cette réunion, si effrayante + il y a quatre mois, peut seule sauver les débris de ce pays. J'ai eu + l'honneur de vous prévenir, Monsieur le duc, qu'un associé de la + maison Hope était parti pour l'Angleterre avec toute sa famille. + Hier j'ai signé les passeports de la famille Hope, dont le père est + déjà à Londres, et qui, sous prétexte d'aller en Suisse, est assurée + vouloir le rejoindre. Enfin, M. Labouchère, troisième associé de + cette maison, dont la femme et les enfants sont chez nos ennemis, + s'y rendra sûrement incessamment. Beaucoup d'argent passe en + Angleterre, l'on cache le reste.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 27 avril 1810. + + «J'envoie M. de Caraman à Paris. Je le charge de remettre cette + dépêche à Votre Excellence et de rester à sa disposition aussi + longtemps, Monsieur le duc, que vous le jugerez convenable. J'ai + donc l'honneur de prier Votre Excellence de lui donner ses ordres. + + «M. de Caraman est chargé de prévenir sa famille que le roi vient de + refuser à son frère, capitaine d'artillerie au service de la + Hollande (qui se trouve à Paris par congé uniquement pour épouser sa + cousine), la permission de conclure ce mariage. Sa Majesté avait + cependant eu à Paris la bonté de le permettre, et ce n'était que + d'après cette assurance verbale que les choses avaient été aussi + loin. Maintenant ce jeune homme se trouve obligé, ou de perdre son + emploi, ou de renoncer à une alliance aussi convenable + qu'avantageuse. Je ne cacherai pas à Votre Excellence que la peine + que j'en éprouve se trouve doublée par la persuasion où je suis que + les soins que j'ai toujours pris de M. de Caraman contribuent à lui + procurer ce désagrément. + + «Ma position empire puisqu'elle se prolonge. Je n'ai pas encore vu + le roi ni la reine à qui cependant j'ai eu l'honneur d'écrire et qui + sûrement n'a pu me recevoir. Tout le corps diplomatique dit + hautement qu'il n'est pas admis chez le roi à cause de moi. Depuis + le retour du roi, aucun ministre, sans en excepter M. Roëll, n'est + venu chez moi et aucune personne attachée à la cour n'a osé s'y + présenter. Chacun assure qu'il serait disgracié s'il me voyait et + l'on me fuit pour ne pas en courir le risque. On répand à plaisir + que tout le mal de la Hollande vient de moi et l'on cherche à + rejeter sur mes rapports la position de ce pays, mais l'on commence + à voir trop clair pour que je craigne cette accusation. Je puis même + dire que je suis estimé ici et que l'on rend justice à ma + modération. Enfin, Monsieur le duc, tout le monde sait que je n'ai + pas été reçu chez LL. MM. Je suis l'objet de toutes les + conversations et l'on en tire la triste conséquence que l'empereur + est mal avec le roi. Je puis cependant affirmer que je n'ai pas eu + un tort, que j'ai une patience qui ne tient qu'à mon profond respect + pour l'empereur et au sentiment de mon devoir; enfin je n'ai rien + fait pour mériter cet étrange traitement; mais que Votre Excellence + ne pense pas que je ne puisse supporter ces dégoûts; j'ai un + caractère trop prononcé pour rien craindre tant que j'ai les bontés + de l'empereur; je suis donc prêt à tout et j'exécuterai dans tous + les temps et dans toutes les positions ce que Sa Majesté l'empereur + et roi m'ordonnera. + + «J'ai reçu ce matin la dépêche chiffrée de Votre Excellence + relativement à l'emprunt de Prusse; j'entends parfaitement le point + que je ne dois point dépasser, mais je voudrais que Votre Excellence + voulût bien me mander si je puis écrire soit au ministre de Prusse, + soit à la maison de commerce, que je suis autorisé à déclarer que + l'empereur approuvera l'emprunt, etc., etc., et aller jusqu'à dire + que Sa Majesté l'empereur et roi, dans aucun cas, ne priverait les + bailleurs de fonds de leurs hypothèques. On a ici la plus grande + confiance dans l'empereur, et, pour verser des fonds, on n'attend + qu'une déclaration de ce genre que je pourrais, je crois, tourner de + manière à rassurer sans engager ma cour. Si Votre Excellence veut + m'honorer d'une prompte réponse, je terminerai cet objet, car le + temps presse et je craindrais que cette affaire ne réussît pas si + elle traîne encore quinze jours. La reine a reçu le 24 les + différents corps de l'État. Depuis ce temps, Sa Majesté a de la + fièvre et n'avait vu presque personne. Au reste, tout se passe au + palais de la manière la plus convenable. Ce matin, M. le chevalier + de Téran, ministre d'Espagne, a remis au roi ses lettres de créance. + + «Le général Desaix est arrivé à la Haye avec une partie de sa + division. + + «On m'assure que l'amiral de Winter, un des hommes les mieux + pensants et que l'on aurait pu employer avec le plus de succès pour + l'armement de la marine, va partir pour l'Espagne. + + «Le général Vichery, le seul Français qui soit encore à la cour, + vient de perdre le gouvernement de la cour. + + «Les fonds baissent et sont à 23 1/2.» + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 7 mai 1810. + + «Votre Excellence sait à combien de plaintes amères la conduite que + tiennent les corsaires français dans les ports de la Hollande a + donné lieu depuis quelque temps. + + «Le roi, mon maître, ne pouvait certainement fournir une preuve plus + convaincante de son intérêt qu'en donnant à ces corsaires asile et + protection, et en déférant, comme il l'a fait, à la seule décision + de son très illustre frère le jugement de toutes les difficultés + qui, en cas de doute, naîtraient au sujet de la validité des prises + faites par ces corsaires sur les côtes de la Hollande. + + «Mais si le roi a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de + sa déférence pour son très illustre frère, il se tient aussi + persuadé que Sa Majesté Impériale et Royale ne permettra pas que ces + corsaires outrepassent les bornes du respect qu'ils doivent au + souverain chez lequel ils reçoivent asile et protection, en + commettant des faits aussi révoltants que ceux que je suis chargé + de dénoncer à Votre Excellence. + + «J'ai déjà eu l'honneur de vous observer dans une note antérieure + que ce n'est point en haute mer que ces corsaires s'emparent des + bâtiments qu'ils conduisent dans les ports de la Hollande, mais que + c'est à l'entrée des mêmes ports, dans les passes de nos rivières, + et quand, pour la plupart du temps, ils ont déjà les pilotes à leur + bord. Ils ont aujourd'hui inventé un nouveau moyen de prendre ces + navires sans aucun risque; ils établissent les canots de leurs + bâtiments le long des côtes pour mettre en mer quand un navire + marchand approche de nos ports, dont alors ils s'emparent et le font + échouer. Cette manoeuvre ne peut manquer d'attirer une plus grande + attention de l'ennemi sur nos côtes, et, si cela continue, nos + pauvres pêcheurs et les villages qui avoisinent la mer en + éprouveront les suites les plus fâcheuses. + + «D'autres se placent à l'embouchure de nos rivières comme vaisseaux + de garde et se permettent de visiter tous les navires qui entrent. + Ce ne sont donc plus des gens qui remplissent le but de la course, + mais qui exercent pour ainsi dire une police des côtes et des + postes, fonctions qui ne sont dans aucun cas de leur compétence et + ne peuvent certainement l'être aujourd'hui où les employés de Sa + Majesté Impériale et Royale concourent avec ceux du roi mon maître à + surveiller les mesures de blocus et l'exécution des lois + prohibitives. Ce qui ajoute à l'inconvenance de la conduite de ces + corsaires, ce sont les violences répréhensibles qui, très souvent, + accompagnent la visite des bâtiments. C'est ainsi que tout récemment + deux de ces corsaires qui s'étaient mis en station tout près de la + Brielle, ayant visité un navire qui entrait et n'ayant rien trouvé à + son bord qui pût donner lieu à la confiscation, ont extorqué au + capitaine tout son numéraire, au point qu'étant venu au bureau de la + douane, il ne put acquitter les droits ordinaires d'entrée, quoique + très modiques. + + «Le roi mon maître croirait faire tort aux principes justes, + généreux et bienveillants de son très illustre frère s'il admettait + les moindres doutes sur l'attente que S. M. Impériale mettra à + réprimer des excès qui ne peuvent jamais avoir son approbation. Je + prie Votre Excellence de mettre cet exposé sous les yeux de Sa + Majesté et de contribuer par ses bons offices à obtenir qu'il soit + prescrit à ces corsaires une manière de se conduire plus analogue à + leur mission et plus compatible avec ce qu'ils doivent à un + souverain qui leur accorde asile et protection.» + + + LE MAJOR GÉNÉRAL AU MINISTRE DE LA GUERRE. + + Middelburg, 12 mai 1810. + + «L'empereur, Monsieur le duc, expédiant un officier en Hollande, + m'a ordonné d'adresser moi-même, directement pour plus de célérité, + des instructions à M. le maréchal duc de Reggio. Je prie Votre + Excellence de prendre connaissance de ces instructions dont je joins + ici copie.» + + + INSTRUCTIONS DONNÉES À MONSIEUR LE MARÉCHAL DUC DE REGGIO. + + Middelburg, 12 mai 1810. + + «L'empereur m'ordonne, Monsieur le duc, de vous faire connaître que + vous ne devez rendre aucun compte de ses troupes à S. M. le roi de + Hollande ni au ministère hollandais; que les corsaires doivent vous + faire des rapports de tout ce qui vient à leur connaissance; que les + marchandises anglaises doivent être poursuivies et saisies partout, + même _dans les rades_; enfin, que Sa Majesté ne veut souffrir aucun + commerce de la Hollande avec l'Angleterre. L'intention de Sa Majesté + est que, dans toutes les occasions, vous vous en expliquiez dans ce + sens et que vous répétiez dans la conversation que, si la Hollande + n'arme pas au plus tôt les neuf vaisseaux qu'elle doit fournir + d'après le traité, elle rendra le traité nul. + + «L'empereur vous recommande, Monsieur le duc, d'écrire au ministre + de la guerre tous les jours sur tout ce qui parviendra à votre + connaissance. + + «Toute prise qui serait faite par les corsaires ou les douanes de + l'empereur ne doit être relâchée que par son ordre et la décision + doit en être soumise au jugement de Sa Majesté; l'expérience donne + lieu de penser à l'empereur que les bons procédés sont insuffisants + envers le gouvernement hollandais et qu'il est indispensable d'avoir + recours aux menaces pour le faire marcher. + + «Telles sont, Monsieur le maréchal, les instructions que Sa Majesté + m'a ordonné de vous adresser directement. J'en donne connaissance à + Son Excellence le ministre de la guerre.» + + +M. de La Rochefoucauld s'était rendu à Anvers lors du passage de +l'empereur dans cette ville. Le 12 mai, une dépêche du duc de +Bassano lui enjoignit de partir pour Amsterdam et de laisser au +gouvernement hollandais une note pour demander: 1º La remise des +vingt-un bâtiments américains avec leurs cargaisons, qui en +exécution du traité appartenaient à la France; 2º L'armement +immédiat des vaisseaux que la Hollande s'était engagée à fournir; 3º +La cessation de son commerce avec l'Angleterre; 4º Le paiement +capital et intérêts de la dette de la Zélande comme dette +hollandaise. + +L'ambassadeur français avait ordre en outre de déclarer son départ +(en vertu d'un congé) huit jours après son retour, de présenter M. +Serrurier comme chargé d'affaires, et de prévenir les consuls que +toutes les prises, même celles faites dans les rades, devaient être +jugées à Paris. + +La tendance du gouvernement de l'empereur ressort assez clairement +des dépêches qui précèdent. Il est impossible de ne pas voir que +Napoléon est prêt à saisir le premier prétexte, ou même à en faire +naître un, pour briser le royaume de Hollande et réunir ce pays à la +France. + + + SERRURIER À ROËLL. + + Amsterdam, 13 mai 1810. + + «Une nouvelle insulte plus grave que toutes les précédentes vient + d'être faite à la livrée de l'ambassadeur de l'empereur. + + «Aujourd'hui, vers deux heures, le cocher de l'ambassadeur, en + livrée, revenant d'entendre la messe, traversait la place du Palais; + à l'endroit où cette place se resserre entre le palais et l'église, + il fut assailli par une foule de gens du peuple qui insultèrent avec + de fortes injures sa livrée, qu'ils déclarèrent reconnaître pour + celle de l'ambassadeur de France, et voulurent l'en dépouiller avec + force. Cette insulte n'avait été provoquée par aucune querelle, et + le cocher ne connaissait aucun des assaillants. Au moment où il se + défendait de l'attaque de l'un d'eux, il reçut d'un autre un violent + coup à la tête, et comme leur nombre grossissait à chaque instant, + dans l'impossibilité de se défendre contre tant d'assassins, cet + homme courut vers la sentinelle du palais, et lui demanda + protection; mais celle-ci, fidèle à sa consigne qui ne lui + permettait pas de se mêler de choses étrangères à la garde du + château, lui tourna le dos et refusa de l'entendre. Il s'adressa + alors au sergent de garde qui, sur le récit qu'il lui fit, se prêta + à l'accompagner jusqu'à ce que sa présence eut dissipé + l'attroupement. + + «Voilà, monsieur, le fait tel qu'il s'est passé, en plein jour, + devant le palais, et à la vue de deux cents témoins et de la garde. + Je m'abstiens de réflexions; elles sont assurément bien inutiles. + Sur un pareil événement, je ne doute pas que Votre Excellence ne + partage l'indignation qu'il excitera dans tous les esprits honnêtes. + Le droit des gens et les usages reçus dans toutes les cours vous + dicteront ce que vous avez à proposer à votre gouvernement dans + cette circonstance. Pour moi, je me borne à informer Votre + Excellence et à lui demander une satisfaction éclatante et telle + qu'elle mette fin pour jamais à de pareilles indignités. + + «Je ne ferai partir qu'après-demain la dépêche par laquelle je dois + instruire ma cour de ce fait; et j'attacherai, Monsieur, j'aime à + vous le déclarer, une satisfaction toute particulière à pouvoir lui + dire que la punition n'a été ni moins prompte ni moins éclatante que + l'insulte, et que cette affaire est terminée comme il convient à nos + deux gouvernements.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 15 mai 1810. + + «J'ai eu l'honneur d'écrire d'Anvers à Votre Excellence, et de la + prévenir que Sa Majesté impériale et royale, après m'avoir permis + d'aller lui faire ma cour, m'avait donné ordre de la suivre à + Berg-op-Zoom. L'empereur n'ayant pas eu le temps de me parler + m'emmena dans la Zélande, d'où je suis revenu avant-hier soir. J'ai + rendu compte à Sa Majesté de tout ce qui se passe en Hollande, et je + n'ai rien caché à l'empereur sur la position où se trouve ce + royaume. J'ai eu la satisfaction de voir Sa Majesté impériale et + royale approuver ma conduite, et elle m'a donné les ordres qui ont + été communiqués à Votre Excellence par M. le duc de Bassano. J'ai + rempli dès hier les intentions de l'empereur, en demandant que la + totalité des cargaisons des vingt-un américains fût remise à M. le + directeur des douanes impériales nommé pour les recevoir. + + «J'ai porté plainte de la lenteur des armements. + + «Hier, j'ai reçu une lettre de M. Roëll qui, en m'assurant de + l'indignation que le roi a éprouvée en apprenant l'insulte faite à + ma livrée, me prévient des ordres sévères donnés par Sa Majesté pour + punir les coupables. Je ne donnerai plus de suite à cette affaire + qui, bien certainement, en restera là. + + «J'ai eu l'honneur de remettre hier au roi la lettre de l'empereur + que Votre Excellence m'avait envoyée. Mon audience a été très + courte. De là je passai dans les appartements de la reine que je + trouvai bien souffrante. Sa Majesté a une fièvre continue qui + l'affaiblit de jour en jour. Je l'ai trouvée extrêmement changée, + quoiqu'il n'y eût qu'un an que j'ai eu l'honneur de la voir. La + reine ne m'a rien dit de particulier, mais il circule dans les + entours de la cour des bruits qui feraient croire que Sa Majesté est + loin d'être heureuse. + + «Malgré les immenses ressources qui existent dans ce pays-ci, + l'embarras du gouvernement ne diminue pas. La commission chargée + depuis six semaines d'un rapport général sur la position de la + Hollande et sur les moyens d'y remédier n'a pas encore terminé ce + pénible travail. On s'attend à une réduction de moitié sur la rente. + Ce sera, à mon opinion, une mesure indispensable; mais dans l'état + de choses, elle n'atteindra pas le grand but que l'on s'en propose. + Je persiste à croire que si cette réduction est suffisante sur le + papier, elle ne peut sauver la Hollande qu'autant qu'elle serait + jointe à un système opposé à celui que l'on suit ici. Au reste le + malheur agit en raison inverse du gouvernement, et chacun commence à + se convaincre qu'il n'y a de salut que dans l'empereur, et que + d'être gouverné par Sa Majesté serait le plus grand bonheur.» + + +Il est permis de supposer que l'ambassadeur avait deviné l'intention +de l'empereur, de réunir la Hollande à la France. + + + LOUIS À NAPOLÉON. + + Amsterdam, 16 mai. + + Sire, + + La situation de ce pays s'aggrave de jour en jour; le traité n'est + plus suivi. Dans cette position malheureuse, je viens demander à + Votre Majesté impériale sa dernière volonté. Ma soumission lors du + traité du 16 mars lui a prouvé combien je m'en rapportais + entièrement à elle. Actuellement, je la supplie de croire que si je + ne demande qu'à voir ce pays hors des tourments et des souffrances + de sa position actuelle, c'est par la fin de la défaveur de Votre + Majesté impériale, et en connaissant précisément la volonté de Votre + Majesté, que j'ai dû et voulu seulement atteindre ce but. Je supplie + donc instamment Votre Majesté de me faire savoir ses intentions. Si, + au contraire, je le croyais hors d'état de pouvoir supporter les + conditions nouvelles qu'on exige de lui, je le dirai franchement à + Votre Majesté et me soumettrai sans hésitation à tout ce qu'il + plaira à Votre Majesté d'ordonner. + + «Je supplie Votre Majesté impériale de recevoir cette lettre; et, + puisqu'un accident malheureux est cause du malheur dont je suis + menacé de ne plus recevoir de lettres de Votre Majesté, de ne pas + m'ôter à moi tout moyen de faire parvenir mes plaintes à Votre + Majesté, et à elle-même le seul moyen d'écouter ma justification.» + + +L'empereur répondit le 20 mai; sa lettre, omise dans la +correspondance publiée sous le second empire, est au texte de ce +livre. + +Le lendemain du jour où l'ambassadeur de France en Hollande écrivait +sa lettre du 18 mai à Cadore, ce dernier lui mandait: que l'empereur +ayant appris l'insulte faite à sa livrée lui ordonnait de partir +immédiatement sans même présenter le chargé d'affaires, lui +annonçant que Werhuell recevait l'ordre de quitter Paris, regrettant +que ce renvoi tombât sur l'amiral dont l'empereur appréciait les +bons services. + +Ainsi, il devint de la dernière évidence que l'empereur saisit le +premier prétexte pour arriver à ses fins; que ni la soumission de +son frère, ni les concessions du gouvernement hollandais n'ont pu +détourner, lui faire abandonner ses projets de réunion du pays à la +France. Depuis longtemps, Napoléon cherche à son frère Louis une +querelle d'Allemand, et il est permis de se demander si Lucien n'a +pas été le mieux inspiré des frères Bonaparte, en se faisant une +existence en dehors de celle imposée par l'empereur aux membres de +sa famille. Il nous paraît très positif que l'insulte faite à la +livrée de l'ambassadeur de France par un homme du peuple ne saurait +entrer en ligne de compte pour la retraite d'un ambassadeur, surtout +lorsque toute satisfaction est offerte. + + + BERTHIER À OUDINOT. + + Lille, 23 mai 1810. + + «L'empereur m'ordonne de vous faire connaître, Monsieur le maréchal, + qu'il est fort mécontent de la conduite des habitants d'Amsterdam et + qu'il se verra forcé, d'ici à fort peu de temps, de faire entrer de + nouvelles troupes en Hollande. Sa Majesté vous recommande d'avoir + les yeux sur tout ce qui se passe à Amsterdam et dans le pays; son + intention est que vous n'ayez aucune relation avec le peuple et que + vous ne souffriez pas qu'aucun officier de votre armée en ait.» + + + LA ROCHEFOUCAULD À CADORE. + + Amsterdam, 25 mai 1810. + + «Votre Excellence sera sûrement étonnée que ce soit encore moi qui + lui écrive, mais depuis quatre jours j'attends une réponse du + ministre pour savoir si le roi me recevra à Harlem, où Sa Majesté + est maintenant. J'ai cru que, dans les circonstances présentes, plus + peut-être que dans toute autre, je devais ne pas partir sans avoir + pris les ordres du roi, qu'une irrégularité de formes aurait un air + de légèreté qui ne conviendrait pas; mais si la journée + d'aujourd'hui se passe dans le même silence, je préviendrai M. Roëll + que devant me trouver à Paris à l'époque où S. M. impériale et + royale y arrivera, je me vois forcé de quitter la Hollande sans + avoir eu l'honneur de faire ma cour au roi. Il est donc plus que + probable que je partirai après-demain. Je verrai en passant M. le + duc de Reggio qui est à Utrech. + + «D'après un rapport que je reçois de M. Gohier, il paraît qu'un de + nos corsaires vient de faire une prise importante, par la nature des + papiers trouvés à bord, qui prouvent les intelligences suivies qui + existent entre les côtes et les Anglais. Je ne doute pas que ce ne + soit à l'insu de la police. Le seul reproche à lui faire est de + l'avoir ignoré depuis si longtemps qu'elle en est avertie. M. + Serrurier vous rendra compte de la suite de cette affaire. + + «_P.-S._ J'apprends à l'instant qu'il y a eu du bruit à Rotterdam, + que nos troupes ont été insultées, mais qu'elles se sont conduites + avec la plus grande sagesse. J'envoie à Votre Excellence la + proclamation du bourgmestre. Ceci est, comme le reste, l'effet des + mauvais propos que l'on souffre, et même que l'on protège. Cet + esprit du gouvernement se cache sous des notes et des paroles, mais + agit en dessous, car je réponds que le pays n'est pas mauvais, et + que, bien dirigé, l'empereur en serait parfaitement content. + + «Je suis aussi informé par M. le consul général que cette prise, si + intéressante par les renseignements qu'elle donnera, est retenue au + Texel, malgré les demandes formelles qui ont été faites. Je vais + écrire à M. Roëll pour l'engager à prier le roi d'ordonner que sous + aucun prétexte l'on arrête les prises faites par les corsaires + français.» + + + OUDINOT À CLARKE. + + Utrecht, 26 mai 1810. + + «Monseigneur, j'ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence de tout + ce qui s'est passé en Hollande depuis que j'y suis; mais ma position + devient tous les jours plus délicate, tant vis-à-vis du roi que + vis-à-vis du pays, si Votre Excellence ne me donne pas très + promptement une règle de conduite fixe pour ce qui concerne les + marchandises anglaises ou denrées coloniales existant chez le + particulier. + + «Je ne suis point embarrassé pour celles qui seront arrêtées + cherchant à s'introduire dans le pays. + + «Plusieurs bâtiments hollandais, chargés de marchandises anglaises + ou denrées coloniales, ont été arrêtés par les douaniers français à + Harting, en Frise; mais les douanes hollandaises ont de suite + réclamé ces marchandises comme ayant été saisies, il y a plusieurs + mois, par les douaniers hollandais et qu'on dit appartenir au roi. + + «Des négociants d'Amsterdam se présentent journellement à ces + magasins pour y acheter ces marchandises, d'après les règlements du + royaume. + + «Enfin, les marchandises anglaises ou denrées coloniales, vendues + précédemment et légalement, circulent dans l'intérieur de la + Hollande, et comme rien ne les signale des marchandises achetées + par contrebande, il doit en résulter beaucoup d'abus qu'il n'est pas + facile de distinguer. + + «Les rapports que je reçois journellement me font connaître que la + contrebande se faisait dans ce pays avec la plus grande facilité, et + je suis même porté à croire (sans cependant l'assurer) que les + douaniers hollandais ne sont point étrangers à ce brigandage; aussi + j'exerce une grande surveillance sur leur conduite.» + + + WERHUELL À CADORE. + + Paris, 27 mai 1810. + + «J'ai été profondément affligé de la communication que Votre + Excellence a bien voulu me faire par son office du 26 de ce mois. Je + ne tâcherai pas d'excuser un fait qui, s'il a eu lieu, mérite la + plus sévère punition, et j'ose d'avance assurer Votre Excellence que + le roi, mon maître, ne reposera pas jusqu'à ce qu'on ait trouvé les + moteurs de cette fâcheuse affaire, pour leur faire éprouver tout ce + que la sévérité des lois inflige en pareil cas, afin de montrer à + tout l'univers combien Sa Majesté est éloignée de souffrir qu'on + fasse les moindres insultes, dans ses États, aux sujets de son + auguste frère et surtout aux personnes attachées à son ambassadeur. + + «Il me paraît cependant que le récit que l'on a fait à Sa Majesté + impériale est considérablement exagéré. Je prie Votre Excellence de + permettre que je lui communique les renseignements qui me sont venus + de la Hollande, par voie directe, relativement à cette affaire. + + «Un des domestiques de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France se + trouvait devant l'église catholique. Sa grande livrée attira + l'attention de quelques jeunes gens de la plus basse classe du + peuple qui, peu habitués à une pareille magnificence, en + témoignèrent leur étonnement et ajoutèrent peut-être quelques + observations de leur genre. Le domestique se crut offensé, leur + imposa silence et les menaça même de les frapper; ces menaces furent + bientôt suivies de voies de fait auxquelles les autres ripostèrent. + La foule s'étant insensiblement augmentée, le domestique crut + prudent de se retirer; il s'adressa alors à un factionnaire pour + qu'il le conduisît chez lui; mais celui-ci, ne pouvant s'éloigner de + son poste, lui indiqua la garde qui était tout près, où il s'est + rendu et a trouvé tout le secours qu'il demandait, l'officier + commandant lui ayant donné un sous-officier pour l'accompagner à + l'hôtel. + + «Ces détails présentent l'affaire sous un tout autre jour; j'ai cru + devoir le faire connaître à Votre Excellence, et j'espère qu'elle + aura bientôt elle-même la conviction que ce fait ne mérite pas + l'importance que l'on semble vouloir y attacher. + + «Je supplie, en attendant, Votre Excellence d'employer ses bons + offices auprès de Sa Majesté impériale pour que cette affaire n'ait + pas de suites fâcheuses, et pour que Sa Majesté suspende toute + mesure précipitée de vengeance qui ne pourra que jeter les plus + vives alarmes en Hollande, et aggraver infiniment la fâcheuse + position où se trouve déjà le roi, de voir attirer de nouveau, sur + son pays, le mécontentement de son auguste frère pour une affaire + qui est si loin d'être approuvée par aucune classe de la nation + hollandaise.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 28 mai 1810. + + «Le courrier que Votre Excellence a dépêché à M. le comte de La + Rochefoucauld, le 25 de ce mois, est arrivé ce matin au moment où + l'ambassadeur venait de monter en voiture. Après avoir pris lecture + de ses dépêches et m'avoir donné ses dernières instructions sur leur + contenu, l'ambassadeur, n'y voyant qu'un motif de plus pour + accélérer son départ, s'est aussitôt mis en route. Il doit être en + ce moment à Utrecht, chez le maréchal duc de Reggio, avec qui il + avait à s'aboucher; et, si ses calculs ne sont pas dérangés par des + accidents, il se flatte d'avoir l'honneur de saluer Votre Excellence + dans la journée du 2 juin. + + «En conséquence de vos ordres, Monseigneur, également en date du 25 + de ce mois, je me suis rendu chez le ministre des affaires + étrangères et lui ai remis la lettre de Votre Excellence, qui + m'accrédite auprès du gouvernement hollandais comme chargé + d'affaires de S. M. impériale et royale. J'ai dit à M. Roëll que, + sur le compte que j'avais eu l'honneur de rendre à Votre Excellence, + de l'outrage fait à l'ambassadeur de l'empereur dans la personne + d'un de ses gens, et, d'après le retard apporté à la satisfaction + demandée par l'ambassade, satisfaction qui n'a été accordée dans + aucune circonstance analogue de cet hiver, Sa Majesté, justement + irritée, avait ordonné à M. le comte de La Rochefoucauld de quitter + sur le champ Amsterdam; que, de plus, elle avait décidé de + n'entretenir désormais qu'un chargé d'affaires de France en + Hollande, comme de n'admettre qu'un chargé d'affaires d'Hollande en + France. Je lui ai également fait connaître que Sa Majesté avait + résolu de prendre des mesures pour que les malveillants d'Amsterdam + ne pussent pas se flatter de l'offenser impunément; enfin, j'ai + demandé que l'ancien bourgmestre fût rétabli dans sa place, et que + tous ceux qui ont fait partie du rassemblement qui a insulté les + gens de l'ambassadeur fussent remis au pouvoir de Sa Majesté. + + «À cet énoncé des instructions de l'empereur, M. Roëll a paru + attéré. Il a cherché à disculper son gouvernement, en me rappelant + la note qu'il m'avait adressée le 14 à l'ambassade, en réponse à mon + office du 13 à ce sujet, note, m'a-t-il dit, où il n'avait pu + retracer que bien faiblement la vive indignation que le roi avait + ressentie, et où il annonçait que la police allait faire les + enquêtes nécessaires. Je répondis au ministre qu'il ne m'appartenait + pas d'élever des doutes sur les sentiments du roi dans cette + circonstance; que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait, mais du + fait en lui-même, et que l'expression stérile de l'indignation était + insuffisante après tout ce que l'ambassadeur avait éprouvé, dans ce + genre, depuis plusieurs mois; que dans les usages de toutes les + cours, une injure publique, à laquelle la considération du + gouvernement était attachée; que l'honneur français avait toujours + été, sur ce point, d'une sensibilité extrême, et que l'on ne pouvait + pas se croire autorisé, sans doute, à redouter moins à cet égard du + souverain actuel de la France que de ses prédécesseurs; que si la + bonne volonté eût été ce qu'il annonçait, le gouvernement aurait + autorisé le ministre des affaires étrangères à se rendre chez + l'ambassadeur et à lui déclarer qu'il avait ordre de s'entendre avec + lui sur le genre de satisfaction qu'il pourrait désirer. Je lui fis + observer que, cependant, rien de semblable n'avait été fait, que pas + un individu n'était arrêté, pas une enquête ordonnée, et que le + gouvernement, qui se plaint toujours d'avoir des ennemis, lui avait + donné cette occasion de plus de l'accuser de n'avoir de complaisance + que pour les ennemis de l'empereur. + + «M. Roëll m'ayant demandé mon sentiment sur ce qu'il y avait à faire + dans cette occasion pour apaiser l'empereur, je lui dis qu'il ne me + convenait pas de donner des conseils, que ce n'était point là ma + mission, que cette affaire avait été trop négligée pour pouvoir être + arrangée par la voie des négociations, et qu'il me paraissait + qu'elle devait désormais être traitée directement entre le roi et + l'empereur; que pour moi, je me bornais à lui transmettre mes + ordres. Toute cette discussion fut très vive; contre son ordinaire, + M. Roëll était extrêmement ému; je vis même un moment des larmes + dans ses yeux. Il me recommanda les intérêts de sa malheureuse + patrie, me dit que son système personnel avait toujours été de + s'attacher à l'empereur, et de tout placer en lui comme de tout + attendre de lui; mais il avoua que cette manière de voir n'était pas + générale dans tous les ministères, et en défendant son département, + il laissa fort à découvert celui de la police dont la conduite lui + parut à lui-même si mauvaise qu'il n'essaya pas même de la défendre. + + «M. Roëll me demanda de lui remettre mes demandes par écrit afin + qu'il pût les soumettre au roi. Je le fis; je le prévins que je + faisais repartir demain, dans la matinée, le courrier de Votre + Excellence, et je le priai de me mettre à même de lui transmettre + les déterminations où le gouvernement hollandais s'arrêterait dans + cette circonstance. + + «Je dois à la nation hollandaise de dire que, dans cette occasion, + elle a manifesté un sentiment général de révolte contre une pareille + infamie et que tous les honnêtes gens d'Amsterdam ont vu cet + événement comme on l'a pu voir à Paris. M. Roëll est revenu + plusieurs fois sur ce que son caractère personnel et l'esprit de son + département ne permettaient pas de douter sur la manière dont il + voyait cette affaire; et il me semblait attacher un fort grand prix + à ce que Votre Excellence en prit cette opinion. + + «Je crois assurément ce ministre incapable d'avoir aucune part à + tout ceci; le grand tort de M. Roëll, et peut-être le seul, est + d'être faible et de ne savoir pas s'exposer à déplaire et à perdre + même sa place pour servir son souverain. + + «Il est certain, Monseigneur, que M. de La Rochefoucauld ne vous a + rien dit de trop à cet égard, que depuis trois mois plus + particulièrement, l'erreur et l'inexactitude semblent présider à + toutes les délibérations du gouvernement hollandais; qu'il est sans + armée, sans marine, sans argent et sans crédit; qu'aucune + stipulation importante du traité ne s'exécute; que la confiance et + le respect des peuples s'aliènent tous les jours, et que tous les + espoirs se tournent vers l'heureuse France et vers son monarque; que + ces provinces si prospères autrefois, et maintenant si déchues, + n'attendent désormais que de lui seul leur salut; que le parti + français s'accroît de tous les hommes éclairés qui ne voient pas + suivant leurs passions, mais suivant leurs intérêts, et que les plus + opposés à la France d'inclination y sont revenus par conviction et + par système. + + «M. Roëll m'écrit à l'instant pour me demander de venir le voir + demain, à 11 heures, et pour me prier de ne point faire partir mon + courrier avant cette entrevue. Je ne fermerai donc ma dépêche qu'en + sortant de chez M. Roëll. + + + Ce 29 mai, à midi. + + «Je quitte M. Roëll. Ce ministre m'a dit qu'il avait fait part au + roi de la lettre que Votre Excellence lui avait fait l'honneur de + lui adresser, des communications que je lui avais faites et de mes + demandes. M. Roëll m'a annoncé que le roi avait appris avec une + extrême douleur la manière dont Sa Majesté l'empereur, son auguste + frère, avait ressenti l'insulte faite à son ambassadeur; que son + intention avait toujours été de faire punir les coupables que toutes + les recherches n'avaient pu faire découvrir. L'intention du roi, m'a + dit le ministre, est que cette affaire soit entamée dès ce moment + devant le tribunal des échevins de cette ville, et poursuivie par le + grand bailli comme accusateur public. Demain ou après, le + gouvernement publiera une déclaration solennelle de son désir de + donner une satisfaction éclatante à l'empereur et de punir + exemplairement les coupables. Sa Majesté, a ajouté M. Roëll, ne + serait pas même éloignée d'accorder une récompense à celui qui + découvrirait les coupables.» + + + ROËLL À CADORE. + + Amsterdam, 29 mai 1810. + + «Ce n'est qu'avec un sentiment de profonde douleur que le roi, mon + maître, a appris les motifs qui ont déterminé Sa Majesté impériale + et royale à rappeler auprès d'elle son ambassadeur en Hollande et à + déclarer qu'il n'y aurait plus d'ambassadeur de Hollande à Paris, + mais que les affaires seraient désormais traitées réciproquement par + des chargés d'affaires dans les deux pays. + + «Le roi était si éloigné de pouvoir s'imaginer que l'insulte qu'on + se plaint avoir été faite à un des domestiques de M. le comte de La + Rochefoucauld aurait pu provoquer une pareille mesure, que Sa + Majesté s'était au contraire flattée que le gouvernement français + aurait vu dans la conduite de celui de Hollande une preuve non + équivoque de son désir de donner toute la satisfaction que l'insulte + exigeait. Si l'on eût fait envisager ce qui a eu lieu sous son + véritable point de vue, je me tiens persuadé que Sa Majesté + impériale et royale, tout en insistant sur la recherche et la + punition des coupables, n'aurait vu dans le retard qui a eu lieu à + cet égard qu'une suite naturelle des circonstances et nullement un + manque de zèle à donner la satisfaction demandée, à laquelle au + contraire le gouvernement hollandais devait être porté aussi bien + par intérêt que par conviction. + + «Voici le cas, et que maintenant Votre Excellence juge. Dimanche 13 + de ce mois, un des gens de l'ambassadeur passe, ce qui est dit, dans + le voisinage du palais. On lui demande s'il appartient à l'ambassade + de France, et, sur sa réponse affirmative, on lui applique des + coups. Un attroupement se forme aussitôt; la personne en question + s'adresse à la sentinelle voisine: celle-ci ne se croyant pas + autorisée à se mêler de l'affaire, il rentre dans le corps de garde, + demande du secours et l'obtient, de manière que l'attroupement se + disperse aussitôt. + + «Tel est, Monsieur le Duc, en peu de mots, le récit du fait tel + qu'il se trouve dans l'office, qui m'a été adressé le même soir par + M. le secrétaire de l'ambassade, en l'absence de l'ambassadeur. + Votre Excellence sentira que je n'ai rien de plus empressé que de + demander aussitôt des renseignements au ministre de la police qui, + n'ayant reçu aucune information sur ce qui venait de se passer, + selon l'office de M. Serrurier, prit sans délai toutes les mesures + pour avoir des renseignements nécessaires et pour atteindre, + d'après cela, ceux qui se seraient trouvés suspects de l'attentat. + + «Je fis part de tout ceci à M. Serrurier, le lendemain matin, + lorsqu'il me fit l'honneur de passer chez moi, en lui faisant sentir + en même temps la difficulté qu'il y aurait à trouver aussitôt qu'il + serait à désirer les coupables que la personne insultée elle-même + disait ne point connaître. Je lui observai cependant que, par le + concours de la légation avec le ministère de la police, je me + flattais qu'on finirait par en venir à bout. + + «Le même jour, j'adressai à l'ambassadeur l'office suivant que sans + doute il aura eu soin de porter à la connaissance de Votre + Excellence, et dont le contenu lui aura pu faire voir l'indignation + qu'éprouva le roi à la nouvelle de ce qui venait d'arriver et le + désir de Sa Majesté de donner aussi promptement que possible la + satisfaction demandée, qui était la punition des coupables. Mais + pour parvenir à cette punition, il fallait d'abord les atteindre; + pour les atteindre, il fallait les connaître, et pour les connaître, + il fallait l'assistance de celui qui se disait la personne lésée. À + cet effet, le grand bailli de la capitale, dans les attributions de + qui seul, et non dans celles du bourgmestre (dont les fonctions sont + simplement et purement administratives), est compris tout ce qui + regarde le maintien du bon ordre, a fait demander dès les premiers + jours, chez lui, la personne en question, afin d'avoir d'elle-même + quelques notions précises sur l'endroit et l'heure où le fait devait + avoir eu lieu, ainsi que sur les circonstances qui devaient l'avoir + accompagné. Ses instances, à cet effet, ayant été vaines, j'ai été + prié d'en entretenir l'ambassadeur et de demander à Son Excellence + s'il y avait des difficultés, de sa part, à ce que cet homme se + rendît chez le grand bailli à l'effet indiqué. Son Excellence + m'ayant assuré qu'elle ne s'y opposerait en aucune manière, et + connaissance de ceci ayant été donnée de ma part au grand baillif, + celui-ci a fait demander depuis, à différentes reprises, que la + personne indiquée voulût se rendre auprès de lui, mais jusqu'ici, + sans le moindre succès, ayant été répondu de sa part, encore hier + matin, qu'il se trouvait trop occupé ce jour-là pour venir, ainsi + qu'il constate par le procès-verbal de la personne chargée de lui + parler. + + «Voilà donc plus de quinze jours d'écoulés que l'ambassadeur de + France se plaint d'un attentat commis envers un de ses gens et dont + elle demande avec raison une satisfaction éclatante, sans qu'on ait + pu parvenir encore à obtenir que cette personne veuille fournir à + l'autorité compétente les notions si nécessaires pour réussir dans + les perquisitions. + + «Que faut-il penser, Monsieur le duc, d'une pareille conduite? Elle + a causé au roi un sentiment d'autant plus pénible que le retard de + la satisfaction demandée devait naturellement donner lieu à + l'opinion qu'on n'attachait point de prix à la découverte du + coupable, dont cependant le contraire est prouvé par tout ce qui a + déjà été mis en oeuvre pour y parvenir. + + «Je n'occuperai pas davantage pour le moment l'attention de Votre + Excellence sur cette malheureuse affaire. Je me bornerai à l'inviter + de mettre ce que j'ai eu l'honneur de lui communiquer sous les yeux + de S. M. impériale et royale, dont le roi se flatte que la religion, + éclairée par le vrai exposé de ce qui a eu lieu, ne voudra pas faire + exécuter une détermination qui ne saurait être attribuée qu'à des + informations moins exactes sur l'affaire dont il s'agit et à l'égard + de laquelle le roi se flatte que son auguste frère finira par lui + rendre la justice que les expressions contenues dans mon office, du + 15 de ce mois, à l'ambassadeur de France ne sont point de vaines + paroles, mais extrêmement conformes à ses sentiments. + + «En conséquence, je prie Votre Excellence de vouloir engager + l'empereur et roi à consentir que non seulement la légation + française en Hollande soit remplie de nouveau par un ministre de + premier rang, mais aussi que l'ambassadeur de Hollande à Paris + puisse continuer à y exercer provisoirement ses fonctions actuelles, + dans lesquelles il a eu le bonheur de se rendre, en même temps, + utile à son souverain et agréable à celui auprès duquel il est + accrédité. + + «En attendant, je me fais un plaisir d'assurer Votre Excellence que + la personne à laquelle Sa Majesté daignera confier les fonctions de + chargé d'affaires en Hollande sera toujours agréable au gouvernement + hollandais qui ne manquera pas d'ajouter foi et créance entière à + tout ce qu'elle sera dans le cas de lui dire de la part de son + souverain. Quant à moi, en particulier, Votre Excellence peut se + tenir persuadée que M. Serrurier rencontrera dans la question des + affaires qui lui seront demandées toutes les prévenances auxquelles + a droit de s'attendre l'agent d'une puissance aux intérêts de + laquelle ceux de ma patrie sont si intimement liés, et dont la + bienveillance est sans doute le plus ferme fondement de notre + prospérité. + + «Avant de finir cette lettre, je suis chargé de relever un passage + qui se trouve dans la note par laquelle Votre Excellence a fait + connaître à l'ambassadeur Werhuell les intentions de Sa Majesté + impériale, savoir, celui où il est dit que si l'on n'eût pas renvoyé + l'ancien bourgmestre, qui était un homme sage, l'affaire en question + n'aurait pas eu lieu. Sans doute, Monsieur le duc, le bourgmestre + Van-de-Poll est un homme éclairé et sage, dont le roi a toujours su + apprécier les mérites, mais ses fonctions, comme je l'ai déjà + observé plus haut, n'étant que purement administratives et n'ayant + rien de commun avec la police, il est difficile de se persuader que, + s'il fût resté en place, il aurait été en état de prévenir des + injures quelconques que des malintentionnés se seraient avisés de + faire. Et quant à la démission de ce magistrat, qui paraît avoir été + représentée à Votre Excellence comme un renvoi, il suffira + d'entendre le bourgmestre même pour être convaincu que, bien loin de + pouvoir être considérée comme telle, cette démission n'a été que la + suite d'instances réitérées de sa part, faites déjà avant le départ + du roi pour Paris, mais auxquelles le bourgmestre a renoncé alors + sous la condition expresse que Sa Majesté ne se refuserait pas à lui + accorder sa démission et son repos aussitôt qu'elle pourrait + entrevoir le terme de son absence, de sorte que le roi, en la lui + accordant à cette époque, n'a fait que remplir les engagements + contractés avant son départ, et je doute si aucun moyen pour engager + M. Van-de-Poll à reprendre ses fonctions de bourgmestre serait + capable de l'y déterminer.» + + + LE ROI LOUIS À L'EMPEREUR. + + Amsterdam, 31 mai 1810. + + Sire, + + Je supplie Votre Majesté de vouloir ordonner qu'on s'en tienne au + traité. Ce pays, exaspéré de toutes les manières, est poussé au + désespoir chaque jour davantage. On veut aujourd'hui que je reçoive + des douaniers à Diemer, à Ruysdaal et à Menden, au centre du pays, + et j'invoque l'assurance, que Votre Majesté m'a réitérée plusieurs + fois, qu'elle ne voulait pas dépasser le traité ni entraver le + commerce intérieur à ce point. Sous le prétexte d'ordres supérieurs, + enfreindre un traité si nouvellement conclu, ce n'est point servir + Votre Majesté impériale, quels que soient ses projets; c'est perdre + gratuitement un peuple au désespoir. J'ai reçu et ordonné que l'on + facilitât toutes les mesures de surveillance des douaniers, au + Helder, au Texel, sur toute la côte de Frise, comme à Katuyk, à + Schevelingen, l'île de Voorne, la Brille, Helvact, en un mot, toute + la côte sans exception; mais les villes intérieures et les canaux ne + peuvent y être sujets en aucune manière. Je prie instamment Votre + Majesté de contremander des mesures qui sont trop contraires au + traité qu'elle a prescrit elle-même, comme à tout motif raisonnable + pour pouvoir être exécuté sans les plus fâcheuses conséquences pour + ce pays. Votre Majesté n'a pas l'intention que ses agents soient + cause des plus grands malheurs, elle ne veut pas qu'un pays qui lui + doit l'existence soit perdu à jamais pour s'être sacrifié aux + conditions prescrites par le traité. Je supplie donc Votre Majesté + impériale d'ordonner qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un + gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen + d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes + et qu'il supporte patiemment un état de guerre qui le ruine; mais, + au contraire, Sire, veuillez calmer des esprits vivement agités et + leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour eux, en me confiant + entièrement à la parole et à la volonté de Votre Majesté impériale, + ne pouvait tromper leur espoir et leur résignation absolue. Quelle + que soit l'indisposition de Votre Majesté contre son frère, je la + prie de répondre au roi de Hollande et de considérer que c'est dans + la plus grande anxiété que le pays et moi attendons la réponse de + Votre Majesté. + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 2 juin 1810. + + «Mes craintes se confirment: de funestes conseils prévalent dans + l'esprit du gouvernement et semblent prêts à l'égarer. On a déclaré + à gens sûrs, de qui je le tiens, qu'on se battrait si on voulait + mettre garnison à Amsterdam. Peut-être n'est-ce qu'un premier + mouvement. Les projets du général Krakuhoff sont remis sur le tapis; + on assure même qu'ils ont été proposés en conseil et que la majorité + des ministres a fait la plus forte opposition. Heureusement, ces + projets extravagants ne s'appuient que sur 3,000 hommes de garde mal + sûrs et dont les chefs y regarderont à deux fois avant de tirer + l'épée.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 3 juin 1810. + + «Le gouvernement hollandais paraît arrêté au projet de s'opposer à + l'occupation d'Amsterdam; en vain les ministres ont-ils supplié le + roi de ne pas livrer sa personne, sa ville et tout son peuple à une + perte certaine, pour satisfaire la passion de quelques furibonds, + ennemis de sa gloire, et qui seront les premiers à l'abandonner + quand ils l'auront compromis. Ces représentations sages n'ont pas + été écoutées, et les conseils violents ont prévalu. Heureusement, + cette lutte scandaleuse, s'il est impossible de l'éviter, ne peut + être longue, ni douteuse, ni sanglante. Le gouvernement hollandais + dispose au plus de 3,000 hommes de garde. Il a fait venir hier, de + La Haye, un bataillon du 5e régiment; voilà, avec deux escadrons de + cavalerie, toute son armée. Une partie couvre Harlem et l'autre + Naërdem et les points d'attaque du côté d'Utrecht. Il n'y a pas un + officier habile qui voudra prendre sur lui la responsabilité + horrible de couvrir sa patrie de sang et de la ruiner pour un but + aussi monstrueux et sans aucune espérance de succès. Le général + Travers commande la garde. C'est un homme plein d'honneur, attaché + à son prince par reconnaissance, mais Français avant tout. Il ne + peut se prononcer qu'au moment; mais sa conduite n'est pas douteuse, + si on lui montre des Français au bout de ses baïonnettes. Le général + Brunot pense de même, et je crois pouvoir répondre de ces deux + officiers. Le maréchal duc de Reggio se croit sûr du général + Dumonceau. Ainsi, point de chef capable pour cette petite troupe + d'enfants perdus que l'on prétend opposer à l'armée française. + + «La seule chose à craindre est qu'on ne cherche parmi ce désordre à + remuer l'horrible populace d'Amsterdam, et qu'on ne la porte à des + excès qu'il serait sans doute aisé de punir, mais qui pourraient + entraîner de fort grands inconvénients dans une aussi grande ville. + Le moyen le plus sûr de les éviter paraîtrait être que la marche des + corps destinés à occuper Amsterdam fût tellement rapide qu'on n'eût + ni le temps de délibérer ni celui de remuer le peuple. Cette manière + aurait encore l'avantage de fixer les irrésolutions et d'aider aux + gens de cour, retenus par les austérités de la discipline, + incertains encore de ce que l'on veut d'eux et qui se prononceraient + dans un mouvement rapide et décidé. + + «Mais, le premier avantage sans doute de cette rapidité serait + d'arracher l'auguste personne qui se trouve jetée si déplorablement + au milieu des rebelles, aux fureurs de ces conseils, à ses propres + emportements, et de diminuer pour elle les dangers auxquels, dans + son funeste égarement, elle croirait de sa gloire de s'exposer. + + «Ce n'est pas, Monseigneur, sans un profond sentiment de douleur que + je traite une pareille matière, si éloignée de tout ce dont se + devrait composer une correspondance de famille; mais mes premiers + devoirs sont envers l'empereur, et quelque pénibles qu'ils soient, + j'ai juré de les remplir. + + «Votre Excellence concevra que je ne lui écris, comme je le fais, + que sur les avis positifs qui me sont venus d'Utrecht. + + «Les renseignements que je reçois à l'instant par une voie secrète + et sûre, du ministère de la guerre, s'accordent sur les ordres + donnés de défendre les lignes.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 5 juin 1810. + + «Je me suis rendu hier soir chez le roi, d'après l'invitation que + j'en avais reçue. J'ai trouvé Sa Majesté seule. «Je vous ai fait + appeler, Monsieur, me dit le roi, pour m'entretenir sur l'état + général de nos affaires, sur ma position, sur celle du pays que je + gouverne, et sur les moyens d'y porter remède, s'il en est temps + encore. Votre mission sera belle, Monsieur, si vous voulez et si + vous pouvez concourir à ce but.» J'ai répondu au roi que j'étais + sans instructions sur les objets de discussion que Sa Majesté + pouvait vouloir traiter avec moi; que cette audience, où elle + daignait m'appeler, n'ayant pas été prévue, Sa Majesté ne devait pas + être étonnée de me trouver entièrement au dépourvu sur les + ouvertures qu'elle aurait à me faire; que jusqu'ici je n'avais été + autorisé qu'à transmettre des demandes que Votre Excellence m'avait + chargé d'adresser au ministre des affaires étrangères, et que + j'étais sans pouvoirs et sans direction pour tout ce qui aurait le + caractère d'une négociation ou même d'une discussion; mais que + j'écouterais avec respect et que je transmettrais avec fidélité à + Votre Excellence tout ce que Sa Majesté me ferait l'honneur de me + dire. Ces bases posées, le roi entra en matière. + + «Sa Majesté me retraça d'abord l'état dans lequel elle avait trouvé + le royaume à son avènement à la couronne, les sacrifices immenses + que ce petit pays avait faits à la cause commune, la ruine de son + commerce, l'épuisement de ses finances, les malheurs successifs qui + l'avaient frappé dans ces trois dernières années plus + particulièrement, les efforts qu'il avait faits pour la guerre de + Prusse, le dévouement de ses troupes en Poméranie et en Espagne, les + cessions considérables du dernier traité, et enfin la remise de + toute l'étendue de ses côtes et de la meilleure partie de son + territoire au pouvoir et à la garde de l'armée française. + + «Voilà pour mon pays, me dit le roi, et quant à moi, que veut-on de + plus que de remplir avec fidélité tous mes engagements envers la + France? Sans doute, ils sont grands ces engagements: frère de + l'empereur et son ouvrage, comment a-t-on pu s'imaginer que je + pensasse à m'en séparer par un système d'isolement impossible à + réaliser? et qu'aurais-je donc à attendre des ennemis de mon frère + que mépris et abandon? Je dois tout à ce titre; je lui dois les + respects de mon peuple et la considération de l'Europe, et je sais + que je ne puis rien que par lui. Par quelle fatalité prétend-on donc + toujours me classer parmi les ennemis de sa puissance; puis, que me + veut-on? s'écria brusquement le roi. Je n'ai pas sans doute la + prétention d'avoir signé un traité avec l'empereur, mais, enfin, + j'ai ratifié une convention qui cède à mon frère une partie de mon + territoire déjà si borné et remet à ses troupes la meilleure partie + de l'autre. Est-ce la conduite d'un rebelle? J'ai rempli, de mon + côté, autant que j'ai pu, toutes les conditions du traité, mais + quelle extension la France ne donne-t-elle pas à cette convention? + Un article porte que les douanes seront placées à toutes les + embouchures des rivières. J'ai donné l'ordre de les y recevoir; mais + aujourd'hui on m'annonce des douaniers à Maarchen, Muyden et jusqu'à + Diemen, espèce de faubourg d'Amsterdam, et l'on veut en établir, + aussi bien que des troupes, dans ma capitale. J'ai répondu au + maréchal duc de Reggio qu'il était assurément bien le maître de + donner de pareils ordres et d'envoyer ses douaniers, mais que je ne + les recevrais pas, puisque cela était contraire aux stipulations de + mon dernier traité. Si l'on veut plus de moi, pourquoi ne pas le + faire connaître par la voie des ambassadeurs respectifs? C'est pour + cet objet plus particulièrement, continua le roi, que j'ai désiré + m'entretenir avec vous, Monsieur; si mes sacrifices ne suffisent pas + encore, qu'on me le dise: je suis prêt à signer une nouvelle + convention, et l'empereur pourra en dicter les conditions. Je n'ai + pas la chimère de traiter d'égal à égal avec mon frère; il me + permettra seulement que je plaide pour mon peuple. Je souscrirai + tout ce qu'il voudra, mais qu'il daigne faire connaître ses + intentions. Une occupation militaire n'est guère compatible avec la + marche d'une bonne administration; l'empereur en jugera. Veut-il que + je montre à l'Europe que je ne rougis pas d'attacher ma couronne à + la sienne par un lien vassalitique ou par un tribut? Je suis prêt à + y souscrire pourvu que l'on conserve à cette bonne nation, que je + chéris, non pas son indépendance, chimère depuis longtemps + abandonnée, mais son administration séparée. Je ferai tout, je + consentirai à tout pour remettre mon peuple et moi dans les bonnes + grâces de l'empereur.» + + «Telle a été, Monseigneur, la substance, et autant que ma mémoire + est fidèle, les expressions du discours du roi. Une extrême + agitation se lisait sur la figure de Sa Majesté, dans ses gestes et + sur toute sa personne. J'écoutai le roi dans le plus profond + silence, et quand Sa Majesté eut cessé de parler, je lui dis que + j'aurais l'honneur de transmettre à Votre Excellence, avec + exactitude et dès ce matin, tout ce que Sa Majesté m'avait fait + l'honneur de me dire, que je prierais Votre Excellence de prendre à + cet égard les ordres de l'empereur et de me les faire connaître, et + que j'aurais tout l'empressement possible à lui faire part de la + réponse que je recevrais. + + «Je croyais mon audience finie et pensais à me retirer; mais le roi + voulut avoir mon opinion et mes conseils. Je répondis qu'il n'était + pas dans ma position de pouvoir lui offrir rien de semblable et lui + répétai que j'étais sans instructions. «Eh bien, me dit le roi, je + ne parle plus au chargé d'affaires, et je cause avec M. Serrurier + confidentiellement. Que pensez-vous et que croyez-vous que je doive + faire?» Pressé dans mon dernier retranchement, il fallut bien + répondre. Je dis au roi que, puisqu'il lui fallait mon opinion + personnelle dégagée de tout caractère officiel, je ne me refusais + pas à la lui donner, puisque aussi bien ce que je lui dirais, + n'étant pas avoué de mon gouvernement ni inspiré par lui, n'avait + dès lors aucune importance politique. + + «Je rappelai donc au roi que j'étais déjà en Hollande à l'époque où + Sa Majesté fut appelée à y régner, et que j'avais été témoin des + fausses routes dans lesquelles Sa Majesté avait été jetée dès les + premiers jours de son règne; que, dans mon opinion, Sa Majesté + aurait dû asseoir son trône sur le parti français et ensuite + admettre à résipiscence et à pardon tous les gens d'honneur du parti + opposé, mais avec un sage tempérament, de manière à fondre tous les + partis dans celui qui l'avait demandé à l'empereur et lui était + dévoué par système et par besoin; qu'au lieu de cela, Sa Majesté + avait accueilli, caressé le parti opposé aux sentiments secrets de + son cour, aux intérêts de la France et conséquemment aux siens, + puisque son premier besoin est d'être bien avec elle; que de là + était né un système d'opposition à l'empereur, que chaque jour avait + développé davantage, et qu'il avait fait perdre à la Hollande toute + la grâce et tout le prix de ses efforts que l'on n'avait plus, dès + lors, dû attribuer qu'à sa position obligée; que c'était à ce + malheureux système d'opposition, longtemps sourde et depuis à peu + près ouverte, qu'il fallait attribuer le mécontentement de + l'empereur, la perte de ses bonnes grâces et d'une protection sans + laquelle il n'existe pas de Hollande; que de là étaient sorties + toutes les mesures de défiance et de précaution que Sa Majesté avait + cru devoir à la sûreté de son empire, et peut-être cette aliénation + des sentiments de Sa Majesté impériale pour un frère que ce titre + avait élevé si haut et qu'une reconnaissance éternelle devait lui + attacher; que jamais dans son esprit (puisque S. M. exigeait que je + lui exprimasse franchement mes opinions) les titres de frère de + l'empereur et de connétable de France n'auraient dû être séparés de + celui de roi de Hollande, et que c'était dans leur accord qu'il + aurait dû chercher le bonheur de ses sujets. Je lui rappelai toutes + les fausses mesures sur lesquelles l'ambassade avait eu sans cesse à + réclamer, l'affaire des Américains, si dommageable à ceux-là mêmes + qui l'avaient inspirée, la mauvaise impulsion donnée à l'esprit + public, et tant d'autres fautes enfin accumulées sans mesure. Je dis + encore à Sa Majesté que ce dernier traité, sur lequel elle + prétendait s'appuyer, ne s'exécutait pas dans ses stipulations les + plus intéressantes pour la France, la remise des cargaisons + américaines et l'armement des forces maritimes du royaume. Puis, + venant à l'état présent des affaires, je dis au roi que mon opinion + personnelle était qu'il ne restait plus à Sa Majesté, dans la + position où elle s'était placée, que de s'adresser directement à + l'empereur et de se jeter dans ses bras, et de remettre à sa grande + âme ses destinées et celles de son peuple. Le roi m'interrompit ici + pour me protester que c'était son voeu le plus ardent, mais qu'il + n'avait plus la confiance d'écrire à Sa Majesté impériale, de qui + ses lettres n'étaient plus reçues, et qu'il me demandait de faire + parvenir à Votre Excellence, et par elle à l'empereur, cette + expression de ses sentiments et de ses voeux. + + «Le roi m'ayant parlé avec exaspération des douaniers qu'on lui + envoyait chaque jour, sans qu'il en fût prévenu, et de tous les + désordres qu'il prétendait être commis par eux, je demandai à Sa + Majesté si elle faisait entrer en comparaison ces dommages + particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur que jetait + dans le public le bruit qui s'y répandait que des ordres de + s'opposer aux mouvements des troupes françaises fussent donnés sur + toute la ligne et avec les suites qu'ils pourraient entraîner. Le + roi nia qu'il eût donné l'ordre de tirer sur les Français dont il + n'oublierait jamais, me dit-il, qu'il était le connétable; mais il + insista cependant sur ce point qu'il ne pourrait permettre que des + troupes françaises entrassent dans sa capitale. Il ne pouvait pas + sans doute l'empêcher, mais il regarderait, par ce seul fait, le + gouvernement comme dissous. Sa Majesté demandait que l'empereur + daignât, du moins, comme déjà elle me l'avait demandé, lui faire + connaître ses intentions avant de les faire exécuter. + + «Enfin, le roi me dit qu'il sentait qu'il avait peu à vivre, mais + qu'il désirait assurer l'existence de ses enfants; que, déjà, ils + avaient perdu de bien beaux droits en France, et que, du moins, il + souhaitait leur laisser un héritage quelconque qui leur rappelât la + sollicitude de leur père pour eux.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 8 juin 1810. + + «Prévenu hier par le chambellan de service que le roi me recevrait + ce matin, à 9 heures, je me suis empressé de me rendre aux ordres de + Sa Majesté. Le roi m'a d'abord répété tout ce qu'il m'avait fait + l'honneur de me dire, quatre jours avant, sur la position de son + pays, sur ses sentiments personnels pour l'empereur, et sur le désir + qu'il avait de mettre sa personne, ses enfants et son pays entre les + mains de son auguste frère. Le fond des choses était à peu près le + même; mais la manière était beaucoup meilleure; toute trace de dépit + et de rigueur avait disparu; l'âme du roi, frappée des calamités + qu'entraînerait un système d'opposition ouverte, ébranlée par les + représentations que ses ministres et ses principaux sujets lui ont + faites, et revenue à ses sentiments naturels pour l'empereur et pour + la France, ne semblait occupée que du besoin de se livrer à ce + retour des premières affections des hommes si fortes sur les cours + bien nés. Le ton du roi, je le répète, disait plus encore que ses + paroles, et je dois déclarer avec la même franchise que j'ai mise + dans mes accusations, qu'il est impossible de montrer une résolution + plus absolue aux volontés de l'empereur que Sa Majesté n'en a fait + éclater devant moi dans cette circonstance. + + «Ma position était extrêmement difficile. Je savais bien ce dont il + était désirable, que le roi me chargeât pour Votre Excellence, pour + éviter des malheurs; mais je ne pouvais rien provoquer, n'ayant ni + pouvoirs ni instructions de l'empereur. Heureusement, le roi, me + parlant des bruits que l'on avait répandus sur un prétendu projet de + défense, fut naturellement amené à se prononcer à cet égard; quant à + ses déterminations, Sa Majesté me dit donc: «Il m'est à peu près + évident que la réunion sera le résultat de tout ceci. Il n'est ni + dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma position, + assurément, de m'y prêter, et l'on ne peut me blâmer de désirer tout + autre arrangement; mais voici, Monsieur, ma résolution que je vous + communique officiellement pour le cas possible, et que la + correspondance du duc de Reggio me fait prévoir. Si des patrouilles + se présentent à mes lignes, on leur dira de s'éloigner, puisque le + traité ne porte pas qu'il n'y aura jamais de garnison française dans + ma capitale. Si un corps de troupes se présente hostilement, et sans + que j'aie rien reçu de l'empereur mon frère, on fermera les portes + et les barrières; mais on ne tirera pas et on se laissera forcer. Je + ne puis faire qu'une résistance passive et protester contre ce qui + aurait lieu en pareil cas sans un arrangement convenu avec mon + frère.» Je tenais beaucoup, Monseigneur, à avoir cette déclaration + du roi, que je ne pouvais demander, mais que je désirais vivement + avoir à transmettre à Votre Excellence. + + «Le roi revint à me dire que l'empereur ne voulant plus recevoir ses + lettres, il n'osait plus s'adresser directement à Sa Majesté + impériale; mais que la connaissance qu'il avait du caractère de + Votre Excellence le portait à mettre toute sa confiance en elle; + qu'il me priait, en conséquence, de lui expédier un courrier porteur + de ses déterminations dans ces circonstances. «Je suis, m'a dit le + roi, attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille, et + plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à + elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'empereur. Je ne + déserterai point un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu + de ce peuple; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à + souscrire à toute espèce d'arrangement qui me rattacherait plus + fortement à l'empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de + l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me + paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me parût + préférable, mais parce que mon frère le veut ainsi. Je ne demande + qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce + qui lui reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage + qu'ils doivent aux bienfaits de l'empereur. On ne peut pas en + conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y + apporter qu'une résistance morale, et je le promets.» + + «J'ai encore, Monseigneur, une bien faible connaissance des hommes + et il ne m'appartient pas de prétendre lire dans le coeur des rois; + mais ce que je puis assurer, c'est que si jamais la vérité a un + caractère auquel il soit possible de la distinguer, j'ai cru la + reconnaître aux paroles, au ton et à toute l'expression de la + personne de Sa Majesté au moment où elle me parlait ainsi. + + «Le roi se mit ensuite à parcourir les différends, griefs ou + malentendus qui existaient entre nous. Il me dit, sur l'affaire des + gens de M. le comte de La Rochefoucauld, qu'il avait donné les + ordres les plus sévères, mais que le cocher avait toujours refusé de + comparaître et qu'enfin il était parti pour Paris avec les voitures + de son maître; que cependant il était impossible de commencer une + affaire de ce genre sans la présence de la partie principale et + lésée; qu'il désirait qu'on renvoyât cet homme et qu'aussitôt son + retour cette procédure serait entamée avec éclat et de façon à + satisfaire l'empereur. + + «On accusait, m'a-t-il dit encore, le contre-amiral Lemmers d'avoir + laissé prendre les quatre corsaires français; mais ils l'ont été en + rade ouverte et par négligence, et quand l'escadre s'est avancée au + secours il n'était plus temps. M. Gohier m'a confirmé le fait de la + négligence des corsaires. + + «Quant aux douanes, Sa Majesté désirait que leurs excès fussent + réprimés et qu'elles fussent placées dans les ports et embouchures + des rivières, mais non pas dans l'intérieur où, selon Sa Majesté, + elles ne causent du mal à personne du pays. Elle ne demandait pas + mieux que d'admettre à Amsterdam une espèce d'_inspecteur du blocus_ + qui connaîtrait tout ce qui entre et sort des ports et à la + disposition de qui le roi remettrait ses propres douaniers. + + «Le roi me parlant de la patrouille française arrêtée à Harlem a + prétendu n'avoir fait que ce qu'un général d'une division militaire + fait à l'égard des troupes de sa nation qui, n'étant pas munies + d'ordres à sa connaissance, se présenteraient devant une de ses + places. Sa Majesté a saisi cette occasion pour me manifester toute + l'horreur que lui inspirait la pensée qu'on pût se croire autorisé + de ses ordres pour tirer sur un des Français. Sa Majesté s'exprima à + cet égard très convenablement et comme on pouvait s'attendre du + connétable de France. + + «Je me suis, Monseigneur, dans ce second entretien comme dans le + premier, borné à écouter ce que Sa Majesté m'a dit sans y prendre + une part que mon manque d'instructions m'interdisait. Je me permis + seulement d'engager le roi à envoyer lui-même un agent muni de ses + pleins pouvoirs à Paris; mais Sa Majesté prétendit préférer que je + me chargeasse de ses intérêts auprès de Votre Excellence, et, + d'après ses instances plusieurs fois répétées, j'ai promis au roi + que j'allais expédier à Votre Excellence M. de Caraman. Ce sera donc + lui, Monseigneur, qui aura l'honneur de vous porter cette dépêche et + que je prie Votre Excellence de vouloir charger de la réponse + qu'elle sera autorisée à y faire. J'ai promis au roi que M. de + Caraman serait parti dans quatre heures. L'impatience de Sa Majesté + est extrême et elle m'a répété plusieurs fois qu'elle ne pouvait + pas exister dans l'insoutenable pensée de la disgrâce de l'empereur + et dans la position où son pays et elle-même se trouvaient placés. + + «J'écris par M. de Caraman un mot au duc de Reggio pour l'informer + de ce que je juge nécessaire qu'il sache de ce nouvel état de choses + et j'attends, Monseigneur, les ordres de l'empereur et vos + instructions. + + «P.-S. J'ai rempli, Monseigneur, dans cette dépêche, le devoir d'un + historien fidèle. Je suis garant que tout ce qu'elle renferme a été + dit; mais Votre Excellence concevra que ma garantie ne peut aller + plus loin. L'opinion continue de se prononcer et d'appeler à haute + voix sur ce peuple les regards et la protection de l'empereur. + + «Je ne serais pas étonné que M. Walkenaër, homme d'une grande + capacité, chargé de l'emprunt de Prusse et qui a joué dans le temps + un grand rôle en Espagne que votre ministère a cru devoir faire + cesser, fût envoyé demain à Paris, chargé d'une mission du roi + auprès de Votre Excellence.» + + + CLARKE À L'EMPEREUR. + + Paris, 8 juin 1810. + + «Votre Majesté trouvera ci-joint sous le nº 1 une lettre du maréchal + duc de Reggio, du 1er juin, où il rend compte que les lignes qui + environnent Amsterdam sont pourvues de grosse artillerie avec les + munitions et les canonniers nécessaires tandis que les côtes ne sont + point armées sous prétexte que toute l'artillerie est au pouvoir des + Français. Il paraît qu'on n'a pas abandonné les anciens projets de + défense et que si nos troupes voulaient entrer à Amsterdam il + pourrait y avoir quelque soulèvement. Le duc de Reggio annonce aussi + l'arrestation faite sur la côte de deux individus venant + d'Angleterre dont il m'a envoyé l'interrogatoire; je l'ai fait + passer au ministre de la police générale. + + «Sous le nº 2 est une seconde lettre du duc de Reggio, du 2 juin, + dans laquelle il donne des détails sur l'émeute qui a eu lieu à + Rotterdam le 23 mai. Il paraît qu'elle a été préméditée et qu'elle + pourrait facilement se renouveler si quelque circonstance y donnait + lieu. Votre Majesté remarquera ce que mande le duc de Reggio au + sujet de la gendarmerie et le grand besoin qu'il en aurait. Il + sollicite fortement à cette occasion l'avancement du capitaine de + gendarmerie Linas qui est auprès de lui. + + «Enfin, sous le nº 3, Votre Majesté trouvera un rapport et résumé + général de la reconnaissance militaire des côtes du département + d'Amsterland et de partie de celles de Zélande, faite par le + capitaine Daupias, adjoint à l'état-major général, avec une analyse + des observations qu'il a faites sur ces pays-là. Cette pièce mérite + attention par l'importance des objets qu'elle traite et je supplie + Votre Majesté de vouloir bien en prendre lecture d'autant plus + qu'elle est peu susceptible d'analyse.» + + + CADORE À SERRURIER. + + Paris, 9 juin 1810. + + «Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire savoir qu'elle ne + songe point à faire occuper Amsterdam[158] par ses troupes et que ce + n'est pas son intention, qu'il ne faut donc pas le faire ni même le + laisser craindre aux Hollandais. Mais en même temps elle nous charge + de déclarer que si l'on faisait en Hollande les moindres préparatifs + guerriers, ces préparatifs ne pourraient être regardés que comme une + insulte à la France, que vous avez pour ce cas l'ordre éventuel de + demander vos passeports et de quitter la Hollande, et que toute + attitude hostile attentatoire à la France sera considérée par Sa + Majesté comme une déclaration de guerre. + + [Note 158: Voir les lettres des 23 et 25 du même mois.] + + «Sa Majesté vous prescrit encore d'insister sur la réparation due + pour l'outrage fait à son ambassadeur, de dire qu'une satisfaction + incomplète ne peut lui suffire, qu'il la lui faut entière et que + sans cela le roi doit renoncer pour toujours à sa protection et à + son amitié.» + + + CADORE À SERRURIER. + + Paris, 9 juin 1810. + + «Monsieur, Sa Majesté m'ordonne de vous faire connaître que vous + pouvez aller chez S. M. le roi de Hollande ou chez ses ministres + toutes les fois que vous y êtes appelé pour affaires. Mais vous + devez vous abstenir de toute audience diplomatique, prétendant les + jours d'audience, une indisposition et vous abstenant effectivement + de sortir de chez vous de tout le jour.» + + + CADORE À SERRURIER. + + Paris, 9 juin 1810. + + «Monsieur, Sa Majesté est persuadée que vous ne rendez compte à + personne de ce qui se passe en Hollande et que vous n'en écrivez + qu'à moi seul. Vous savez trop bien que vous permettre à ce sujet la + moindre correspondance avec tout autre serait une faute capitale. + Mais sans croire que vous puissiez vous écarter de l'une des règles + les plus essentielles que vous ayez à suivre dans la carrière où sa + confiance vous a placé, elle veut que je vous fasse connaître + qu'elle met le plus grand prix à ce que cette règle soit + religieusement observée.» + + + NOTE POUR LE MARÉCHAL OUDINOT. + + 12 juin. + + «Il semble qu'on ait déjà cherché à répandre des bruits à Amsterdam + qui puissent déplaire au bas peuple de cette ville et le préparer à + un soulèvement; cette partie de la population, composée de matelots, + de porte-faix, etc., etc., est déjà indisposée et serait furieuse si + l'on parvenait à les tromper assez pour les décider à se soulever. + Les autres habitants d'Amsterdam, qui ont des propriétés, voient + avec chagrin et effroi les dispositions du roi qui paraissent être + d'opposer de la résistance à l'occupation de cette ville par les + troupes françaises. Le roi, qui d'abord avait intéressé par ce qu'on + appelait ses malheurs, éloigne de sa personne celles qui semblaient + lui être les plus dévouées par ses caprices continuels et la folie + de sa conduite. Une grande quantité de personnes sont prêtes à se + dévouer à l'empereur et à s'opposer à des démarches qui n'ont jamais + eu leur approbation, mais elles voudraient être avouées et n'avoir + pas à redouter un retour de faveur du roi près l'empereur qui pût + les perdre pour toujours. Une grande partie des ministres seraient + de ce parti. Les généraux Bruneau et Travers, le premier grand + écuyer, le deuxième colonel général des gardes, ne peuvent oublier + qu'ils sont Français et que leur premier devoir est envers leur + patrie. Tous deux d'ailleurs sont mécontents; il y a trois jours que + le général Travers offrit sa démission au roi parce qu'il en avait + été publiquement maltraité à la manoeuvre. + + «Un homme intéressant par son nom et son caractère, sensible à la + malheureuse position de son pays, offre, _toujours sous condition + d'être avoué_, de se mettre à la tête des gens honnêtes et de coeur + et de contenir la populace dans un cas pressant; c'est M. de + Hogendorp. L'amiral de Winter, français de coeur, estimé et chéri de + tous les marins, les empêcherait de se livrer aux excès qu'on en + pourrait redouter, et les ramènerait à des sentiments honnêtes. Son + caractère trop connu paraît l'avoir fait éloigner _avant-hier_ + d'Amsterdam. Il existe fort peu d'enthousiasme pour le roi. Le + peuple ne le salue point et semble n'éprouver aucune satisfaction à + le voir. Il paraît certain qu'il y a trois jours des ordres furent + donnés pour s'opposer militairement à l'entrée de troupes françaises + sur le territoire d'Amsterdam. On désire que les douaniers ne + viennent dans cette ville que lorsque nous l'occuperons; on craint + que leur arrivée ne donne occasion, _saisie avec empressement_, + d'animer le peuple. + + «Les bâtiments américains doivent être escortés jusqu'à leur remise. + + «La garde du roi, toute à Amsterdam, est de 3,000 hommes.» + + + LE ROI LOUIS À CADORE. + + Amsterdam, 14 juin 1810. + + «Monsieur le duc, l'empereur ne veut point que je corresponde avec + lui. Je n'ai plus d'ambassadeur à Paris; il faut donc que je + m'adresse directement à vous lorsqu'il y a des affaires aussi + importantes qu'en ce moment. Je ne vous parlerai point de la + situation du pays, vous la connaissez sans doute assez. J'espérais + que l'exécution serait adoucie et, loin de là, elle s'est aggravée + et s'aggrave tous les jours davantage. Je ne puis me dissimuler + actuellement que le traité n'empêche point que l'existence de la + Hollande ne soit fortement menacée. L'empereur s'en prend à moi de + toutes les disputes et rixes qui arrivent; le nombre des troupes + dans le royaume augmente sans cesse; il faut pourvoir à leurs + besoins dans un moment où les _habitants_ n'ont presque aucun moyen + de pourvoir à leur existence. J'ignore complètement les intentions + de l'empereur. Dans cette position je dois me résigner et chercher + seulement à éviter de nombreux malheurs dans ce pays. Veuillez me + dire, Monsieur le duc, s'il est un moyen de finir complètement et à + jamais tous les démêlés et tracasseries; s'il existe quelque chose + que je puisse faire pour cela, il n'y a rien que je ne fasse, si + j'ai la certitude que tous ces démêlés seront finis à jamais et que + le pays en tirera quelque avantage. + + «Le porteur est reconnu pour être ami et aimé des membres de la + légation française à Amsterdam; je l'ai choisi pour cette raison + pour vous porter cette lettre et vous demander s'il n'y aurait pas + quelque moyen de finir à jamais tous les démêlés et les contrariétés + qui semblent s'augmenter même depuis le traité. + + «Veuillez, Monsieur le duc, prendre intérêt à ma position, à celle + de mon fils et surtout à celle du pays, et croire que si vous pouvez + me faire connaître ce qui peut la rendre supportable ou la terminer + entièrement, ce sera le plus grand service que vous puissiez me + rendre. Dites-moi des choses précises à faire, et non, je vous prie, + des choses générales comme on l'a fait toujours. Croyez que tous les + différents naissent de la difficulté de ma position, et que mon + frère reconnaîtra, trop tard peut-être, combien on est injuste + envers ce pays. Je le répète, Monsieur le duc, je suis prêt à tous + les sacrifices que l'empereur désire, s'ils peuvent être utiles à ce + pays et éviter les maux qui le menacent encore.» + + + AVIS DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE LA POLICE. + + Amsterdam, 17 juin 1810. + + «Comme tous les efforts mis en oeuvre pour découvrir celui ou ceux + qui se sont rendus coupables d'une grave insulte faite, d'après la + communication officielle de la légation française, à un des + domestiques en livrée de Son Excellence l'ambassadeur, dans les + environs de l'église neuve, le 13 mai de cette année, vers les deux + heures après-midi, ont été jusqu'ici entièrement infructueux, et + qu'il est hors de doute que toutes insultes commises envers des + personnes appartenant à des missions étrangères sont d'autant plus + coupables que, non seulement elles peuvent compromettre comme toutes + les autres le repos public de l'endroit où elles se commettent, mais + qu'elles pourraient être aussi considérées comme (lésives) pour la + puissance à la légation de laquelle ces personnes appartiennent, et + avoir encore par là les suites les plus désagréables; + + «À ces causes, le ministre de la justice et de la police, à ce + spécialement autorisé par le roi, offre une récompense de mille + ducatons à celui qui fera connaître l'auteur ou les auteurs du fait + susdit, de manière qu'ils soient remis entre les mains de la justice + et convaincus du délit, le nom du délateur pouvant rester secret, au + cas que celui-ci le désire. + + «Le ministre susdit fait connaître en sus, par ordre exprès du roi, + le grand mécontentement et indignation de Sa Majesté de ce qui a eu + lieu, sentiments d'autant plus profonds, qu'elle attache un plus + grand prix à l'amitié et à la bienveillance de son auguste frère, et + par conséquent à prévenir tout ce qui pourrait être désagréable à Sa + Majesté impériale et royale. Le ministre saisit en même temps cette + occasion pour avertir et exhorter un chacun de s'abstenir + particulièrement de faire, soit par des paroles soit par des voies + de fait, la moindre chose qui pourrait être lésive à quelque + personne ou personnes appartenant à des missions étrangères, sous + peine d'être puni, selon l'exigence du cas d'après toute la sévérité + des lois.» + + _Le ministre de la justice et de la police_, + + VAN HUGENPOTH. + + + CADORE À SERRURIER. + + Paris, 18 juin 1810. + + «Monsieur, S. M. impériale et royale a eu sous les yeux les dépêches + que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser du 5 au 10 de ce mois, + et par lesquelles vous rendez principalement compte des entretiens + que le roi a eus avec vous, des explications dans lesquelles il est + entré, des sentiments qu'il a manifestés et des questions qu'il vous + a faites. + + «Sa Majesté me charge de vous faire connaître que vous devez vous + borner à déclarer qu'une satisfaction suffisante, c'est-à-dire + complète et telle que Sa Majesté l'a demandée pour l'outrage fait à + son ambassadeur, doit nécessairement précéder toute discussion + d'affaires entre les deux gouvernements; c'est aussi la réponse que + je ferai à M. le chargé d'affaires de Hollande.» + + + CLARKE À OUDINOT. + + Paris, 23 juin. + + «Monsieur le maréchal, en conformité des ordres de l'empereur, j'ai + l'honneur de prévenir Votre Excellence que l'intention de Sa Majesté + est que vous fassiez sans perte de temps vos dispositions pour + former un camp à Utrecht, et que vous vous teniez prêt à marcher, + avec le 1er régiment de chasseurs et les deux autres régiments de + cavalerie à vos ordres (16e de chasseurs et 8e de hussards) le 56e, + le 93e, le 24e léger et le 18e de ligne et avec 12 pièces de canons, + sur Amsterdam, que l'empereur trouve nécessaire d'occuper. Vous + voudrez bien me faire connaître, par le retour de l'officier chargé + de la présente, quand vous serez prêt pour cette expédition, S. M. + se proposant de vous envoyer des ordres sur la conduite que vous + devez tenir.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 23 juin 1810. + + «Votre Excellence pourra voir, par l'office ci-joint de M. Roëll + dont je lui remets copie, l'inquiétude que donne au gouvernement + hollandais l'arrivée de nouveau corps français dans le royaume. J'ai + répondu à ce ministre que j'allais transmettre à Votre Excellence + les observations qu'il m'adressait à cet égard et que je + m'empresserais de lui faire connaître la réponse que je recevrais. + + «M. Roëll est venu me faire ses adieux. Il m'a dit sur la situation + de son pays et les déterminations du roi des choses fort touchantes + que je ne répartirai point à Votre Excellence, parce que je suppose + qu'elle les aura entendues de sa propre bouche au moment où cette + dépêche lui parviendra, le projet de M. Roëll étant de traverser + Paris pour se rendre aux eaux et de faire une visite à son passage + à Votre Excellence. M. Roëll n'est pas sans doute chaudement dans le + système français et il a des torts en arrière; mais je lui dois + cette justice que, depuis un mois, et particulièrement dans les + affaires de l'insulte faite à l'ambassadeur et des cargaisons + américaines, il a montré beaucoup de rondeur et les obstacles qui + les ont retardées ne sont pas venus de lui. Les affections ne seront + pas, de longtemps peut-être, françaises en Hollande, mais la + conviction et la raison nous ramènent tous les jours quelques + esprits. + + «Le portefeuille des affaires étrangères, dans l'absence de M. + Roëll, est confié à M. Van der Heim, ministre de la marine et des + colonies, déjà connu de Votre Excellence par la correspondance de M. + le comte de La Rochefoucauld. C'est un homme d'une grande + expérience, de beaucoup de droiture et d'honnêteté, mais chez qui + les inclinations, les vues et les idées sont bien anciennement + anglaises, et par là difficiles à déraciner. Son département a été + jusqu'à ce moment le plus mauvais de tous par l'esprit qui y règne. + Votre Excellence va pouvoir bientôt juger de ce que pourra sur son + esprit l'empire des circonstances. J'ai eu hier ma première + conversation avec M. Van der Heim. M'abandonnant à peu près le + passé, il s'est arrêté à l'état présent des affaires et m'a fait sa + profession de foi. Il ne conçoit plus qu'un système et qu'une voie + de salut pour la Hollande, c'est de s'abandonner sans réserve à + l'empereur. M. Van der Heim prétend que le roi lui paraît + entièrement arrêté dans cette résolution, et si je dois l'en croire, + la conviction du ministère à cet égard est tellement unanime, que + l'on ne doit plus craindre la déviation de ce nouveau système. Le + temps apprendra quelle confiance on peut placer dans ces + protestations. + + «Dans une dernière conférence avec M. Roëll, je lui avais dit qu'il + m'était revenu que l'on continuait à Haarlem de visiter les barques + pour s'assurer s'il ne s'y trouvait pas de Français. Je lui avais + fait sentir tout ce que ces précautions ont de ridicule et + d'injurieux pour Sa Majesté l'empereur, qui, s'il eût été dans ses + desseins d'occuper Amsterdam, y aurait fait entrer ses troupes, non + pas furtivement et dans des barques, mais en plein jour et par les + portes, et combien ces mesures étaient peu d'accord avec ce que l'on + m'avait chargé de transmettre. J'avais ajouté à M. Roëll que, s'il + devait me revenir plusieurs faits de ce genre, je serais obligé d'y + voir cette intention d'insulte et cette attitude hostile prévues par + mes instructions. Le roi, m'a dit M. Van der Heim, informé de mes + plaintes, a sévèrement réprimandé les ordonnateurs des visites et + expressément défendu qu'elles eussent lieu à l'avenir. Je + m'assurerai si les intentions du roi sont remplies. + + «M. Van der Heim m'a aussi parlé de son département et des efforts + qu'il faisait pour armer ses trois escadres, dont deux étaient à peu + près disponibles. Il me cita particulièrement celle de M. l'amiral + de Winter, à Helvoët, composée du _Royal hollandais_ et du _Chatam_. + Je lui demandai s'il regardait comme en effet disponibles deux + vaisseaux à trois ponts qui n'avaient pas 200 hommes d'équipage, + quand il en faudrait plus de 600 pour les faire manoeuvrer. Je + venais d'apprendre ce fait d'un officier attaché à l'état-major de + l'amiral. Le ministre parut frappé de l'exactitude de mes + renseignements et se rejeta sur le manque d'argent et la difficulté + des enrôlements, à quoi j'eus encore bien des observations à lui + faire, et il ajouta enfin, qu'au besoin on n'y mettrait des soldats. + + «M. Van der Heim me témoigna qu'il croyait au roi le désir de + m'entretenir sur les affaires, et m'assura que je serais reçu par Sa + Majesté, toutes les fois que je le souhaiterais, à Haarlem comme à + Amsterdam. Je me montrai extrêmement sensible à cette honorable + facilité qui m'était donnée. Je répétai à M. Van der Heim ce que + j'avais dit à M. Roëll de mon empressement à me rendre aux ordres du + roi, toutes les fois que Sa Majesté me ferait l'honneur de + m'appeler, mais je lui fis sentir qu'il y aurait de l'inconvenance à + ce que j'allasse déranger le roi pour les moindres affaires, et, + j'ajoutai que, pour l'instant, je n'avais de mon côté, rien d'assez + intéressant à communiquer à Sa Majesté pour m'autoriser à profiter + du privilège qu'elle daignait m'accorder. Je me flatte que Votre + Excellence approuvera ma réserve. + + «Je reçois du département des affaires étrangères des plaintes + continuelles contre les douanes françaises. J'ai déjà répondu, et je + vais insister sur ce point, que les douanes n'étant point, comme les + Consulats, placées sous ma surveillance, mais bien sous celle de M. + le Maréchal, duc de Reggio, c'est multiplier très inutilement les + écritures que de m'adresser des réclamations que je ne peux que + transmettre sans prendre aucune part aux décisions qu'elles + provoquent. Mais je dirai en même temps au ministère des affaires + étrangères, que dans les cas où l'on ne pourrait pas s'entendre + entre Utrecht et Amsterdam, et où l'on voudrait s'adresser + officiellement à Sa Majesté impériale et royale, je serai prêt à + transmettre ce qui me serait écrit par le gouvernement hollandais. + + «J'ai reçu hier une lettre de M. Roëll par laquelle il m'annonce + l'envoi d'un mandat de 2,000 florins, pour mon droit aux indemnités + des ministres étrangers dans cette cour, en vertu de l'article 5 du + règlement sur cet objet. Cette indemnité remplace les franchises + dont les ambassadeurs jouissent dans les autres cours, mais qui sont + incompatibles avec le système financier de ce pays. Le règlement + fixe cette indemnité à une somme une fois payée de 4,000 florins + pour les ambassadeurs, 2,000 pour les ministres et 1,000 pour les + chargés d'affaires. On s'était donc trompé en doublant cette somme + pour moi, et plus encore en oubliant que je l'ai déjà reçue, il y a + deux ans, à l'époque du premier intérim qui suivit le règlement. Je + viens donc de renvoyer au ministre son mandat, en me bornant à lui + rappeler les dispositions de ce même règlement dont on s'autorise + pour me l'offrir. J'ignore s'il y a eu, dans cette libérale + négligence de la caisse des affaires étrangères, des intentions dont + je pourrais me blesser; mais dans tous les cas, j'ai trouvé plus de + dignité à ne pas en montrer le soupçon.» + + + CLARKE À OUDINOT. + + Paris, 25 juin. + + «M. le Maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre + Excellence, par ma lettre du 23 courant, les intentions de + l'empereur, relativement aux forces que vous devez réunir à Utrecht + et je vous ai prévenu que Sa Majesté se proposait de vous envoyer + des ordres sur la conduite que vous auriez à tenir; je viens + aujourd'hui vous les transmettre. + + «Aussitôt que vous aurez réuni à Utrecht assez de troupes pour + marcher sur Amsterdam, vous voudrez bien écrire au chargé d'affaires + de Sa Majesté l'empereur, que les troupes françaises ayant été + insultées, et les portes d'Harlem leur ayant été fermées, vous + demandez réparation de cette offense. + + «Que les Aigles françaises peuvent aller dans tous les pays amis et + alliés; + + «Que, depuis 15 ans, les troupes françaises ont constamment pu + parcourir toutes les parties de la Hollande; + + «Que le traité ne fait exception d'aucun point; que c'est donc un + outrage gratuit que les Hollandais ont fait aux troupes françaises; + + «Que l'empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles + forces entrassent en Hollande. + + «Vous ferez observer en outre que vos instructions ne vous + prescrivaient point d'occuper Amsterdam, où vous n'aviez rien à + faire, mais, que le défi porté aux troupes françaises, en leur + fermant les portes, les intrigues anglaises, tendant à armer les + Hollandais contre les Français, ont provoqué l'ordre que vous avez + reçu de vous présenter devant les portes d'Amsterdam; que c'est aux + Hollandais à voir s'ils veulent nous traiter en amis et alliés, ou + en ennemis; s'ils veulent se livrer aux conseillers perfides qui + s'agitent autour du roi pour perdre leur pays. + + «L'empereur veut que vous vous arrangiez de manière à être devant + Amsterdam deux jours après l'envoi de votre lettre au chargé + d'affaires de France. + + «Sa Majesté me charge encore de vous dire, qu'il n'y a qu'un moyen + pour la ville d'Amsterdam de prévenir tout embarras; c'est de + recevoir les troupes françaises en triomphe et de leur donner une + fête qui fasse disparaître toutes les acrimonies; l'empereur ne + voulant souffrir dans aucun pays, qu'on ait l'air de repousser et + d'insulter les troupes françaises. + + «Vous voudrez bien me faire connaître, en réponse, les dispositions + que vous aurez prises pour l'exécution des ordres de Sa Majesté.» + + + CADORE À SERRURIER. + + Paris, 25 juin 1810. + + «Monsieur, ainsi que j'eus l'honneur de vous l'écrire le 9 de ce + mois, Sa Majesté n'avait point l'intention de faire occuper + Amsterdam et n'y avait pas même songé. Mais, une mesure qu'elle + avait jugée inutile, si le gouvernement de Hollande n'eût pas montré + un dessein formel de s'y opposer et n'eût pas fait dans cette vue + des préparatifs, a été rendue nécessaire par ces préparatifs + mêmes[159]. Comme chef de la ligue continentale, Sa Majesté doit + constater et maintenir son droit de porter des forces partout où le + bien de la cause commune l'exige. Elle avait d'ailleurs à venger, + outre l'offense faite dans Amsterdam à son ambassadeur et qui n'a + point été réparée, l'outrage que l'on a fait à Haarlem aux Aigles + Impériales, en leur refusant le passage et en menaçant de tirer sur + elles. L'ordre a été en conséquence donné à M. le Maréchal, duc de + Reggio, de se porter sur Amsterdam et d'occuper cette ville. En + l'annonçant au ministre du roi, vous vous attacherez bien moins à + combattre ou à prévenir des idées de résistance, car je ne puis + supposer que l'on en ait aucune de cette espèce, qu'à faire sentir + que le gouvernement de Hollande peut profiter de cette circonstance + pour réparer ses torts et recouvrer les bonnes grâces de Sa Majesté + impériale et royale. Si les troupes françaises arrivent à Amsterdam, + y sont reçues en triomphe, si la ville donne un grand repas aux + soldats, si le roi et la cour donnent l'exemple des prévenances et + des égards envers la France, nul doute que la meilleure intelligence + ne règne aussitôt entre les deux nations, et que l'empereur n'oublie + volontiers des torts ainsi réparés. Mais, c'est là le seul moyen de + les lui faire oublier, et vous aurez soin de l'insinuer aux + ministres du roi. + + [Note 159: Après cette lettre le doute n'est plus permis sur + les intentions de l'empereur d'occuper Amsterdam, d'annexer + la Hollande, de forcer son frère à abandonner la partie. + Napoléon, on le voit, profite des moindres causes pour en + faire des prétextes à envahissements. En vain le roi en passe + par toutes ses volontés. Une exigence satisfaite en amène une + autre et le gouvernement français ne craint pas, pour envahir + la Hollande, de s'appuyer sur la ridicule affaire du cocher + de l'ambassadeur.] + + «Après que l'expédition de M. le Maréchal, duc de Reggio, sera + consommée, vous demanderez que tous les canons soit transportés sur + les côtes et qu'on cesse de s'occuper des lignes. + + «Tels sont, Monsieur, les ordres que Sa Majesté me charge de vous + transmettre.» + + + AU ROI DE HOLLANDE. + + «D'autres troupes entrent par Nimègue. L'empereur qui, par + ménagement pour Votre Majesté, n'avait pas voulu occuper Amsterdam, + s'est maintenant décidé à y faire entrer ses troupes. Il a regardé + comme un défi le projet de défendre cette ville et les lignes qu'on + a fortifiées autour de son enceinte. Rien ne l'indigne comme ce + projet; en vain on essaye actuellement de le désavouer. L'empereur + en trouve la preuve dans ce que Votre Majesté a dit au chargé + d'affaires de France, qu'elle ferait fermer les portes d'Amsterdam, + afin que les Français ne puissent y entrer que par force, quoiqu'on + ne pût leur opposer que cette résistance passive, qui servirait au + moins à constater la violence dont ils useraient; et ici, que Votre + Majesté me pardonne encore de lui dire des choses si pénibles. + L'empereur se récrie sur cette conduite inconvenable, «dit-il, de la + part de mon frère, d'un prince français, de celui qui devrait + regarder comme son premier titre de français, que j'ai élevé, que + j'ai fait roi. Insulter mes Aigles! fermer les barrières devant + elles! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande + jusqu'au Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Sarre, l'Aigle Impériale + est accueillie et honorée, et une telle injure lui serait faite par + la Hollande, conquise par les armes françaises, et dont + l'indépendance est un bienfait de la France! + + «Si cette menace, ajoutait l'empereur, avait été faite par + l'Autriche ou la Russie, la guerre en aurait été la suite. Si + c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg, qui se + fût porté à cette indignité, la perte de son trône en aurait été le + résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai + aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande, + pays malsain, mais il faut punir la folie de ceux qui ont poussé la + témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais + dans ce pays.» + + «Sire, je vous exprime d'une manière vive mais vraie l'indignation + de l'empereur. Je crois qu'il est encore au pouvoir de Votre Majesté + de l'apaiser. Que les troupes françaises soient reçues en triomphe à + Amsterdam; que Votre Majesté soit la première à donner l'exemple + d'un accueil honorable et amical; que cet exemple soit suivi; que + les Hollandais traitent les soldats français comme des frères; ils + trouveront en eux des amis. + + «Les insultes faites à Rotterdam à des officiers français n'ont pas + moins irrité l'empereur. Il a donné des ordres sévères à l'égard de + cette ville qu'il sait être habitée par des partisans des Anglais. + Le premier écart qu'ils se permettraient serait puni avec rigueur. + + «Tels sont, Sire, les motifs de courroux de l'empereur. Il ne + s'apaisera, et Sa Majesté ne recevra quelque ouverture de la + Hollande, que lorsque les fortifications élevées autour d'Amsterdam + auront été détruites, les canons transportés sur les côtes, les + coupables de l'insulte faite à la livrée de l'empereur punis de + mort, le ministre de la police renvoyé, l'ancien bourgmestre + rappelé. Tel est, Sire, le résumé de ce que m'a dit l'empereur. + J'exprime de nouveau à Votre Majesté l'extrême regret que j'éprouve + à lui communiquer ces douloureux détails. + + «Je dois actuellement lui parler de la mission de M. Valkenaer. + + «Il m'a dit que Votre Majesté offrait de prêter à l'empereur foi et + hommage, comme à son souverain. Sire, cette forme n'est plus de nos + jours, et quant à la dépendance qu'elle exprime, l'empereur, qui la + regarde comme déjà existante de droit et de fait, ne pourrait y voir + une concession. L'empereur, souverain du grand empire, chef de la + ligue continentale, et devenu par la force de ses armes et de son + génie l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le suzerain de + plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du roi + de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des + droits bien plus étendus sur ce pays, que sa position entre la + France et l'Angleterre rend si intéressant pour lui. L'empereur a + même vu dans cette offre la suite de ces fausses idées par + lesquelles il prétend qu'on séduit et qu'on entraîne Votre Majesté, + et qui tendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui + attribuer une indépendance incompatible avec ses devoirs et sa + position. + + «M. Valkenaer m'a aussi parlé du tribut auquel se soumettait Votre + Majesté. Sans doute, M. Valkenaer s'est trompé d'époque; il s'est + cru encore au temps du Directoire. L'empereur, fort d'un revenu de + 800 millions et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni + d'argent, ni de crédit, ni de papier. Ce n'est point de l'argent + qu'il demande à la Hollande, ce sont des vaisseaux et des soldats, + conformément au traité. On m'a dit que Votre. Majesté réclamait à ce + prix le commandement des troupes. Que Votre Majesté me pardonne si, + connaissant le profond mécontentement de l'empereur, je n'ai pas osé + placer cette demande sous ses yeux. L'empereur se plaint de ce + qu'aucune condition du traité n'est remplie. Lorsque je lui ai + rendu compte des progrès de vos armements, que me faisait connaître + votre chargé d'affaires, il m'objecta qu'il n'y avait pas un + équipage formé. Lorsque je lui ai soumis la liste des bâtiments + américains dont les cargaisons devaient être mises à sa disposition, + il a observé que ces cargaisons n'étaient pas complètes, que la plus + grande partie en avait été détournée, qu'on avait grossi la liste + des prises faites par nos corsaires, comme si la Hollande voulait + s'acquitter à leurs dépens. L'empereur exige que tout soit rendu. + L'empereur reproche au gouvernement hollandais d'avoir donné des + licences et autorisé par là un commerce interlope blâmable en + lui-même et contraire au traité. Tels sont les motifs des nouvelles + dispositions de l'empereur et de l'entrée en Hollande d'une plus + grande masse de troupes françaises. L'empereur dit qu'il n'a pas + voulu laisser égorger les 6,000 Français qu'il y avait placés. Il + dit encore que dans cette occasion il a dû faire taire la voix de la + nature et tous les sentiments de son coeur pour n'écouter que les + intérêts de son peuple en maintenant tous les droits de son trône. + + «Sire, je viens de remplir une tâche pénible, la justice de Votre + Majesté me répond qu'elle ne méconnaîtra pas ce qu'il m'en a coûté. + J'aurais trahi sa confiance et celle de l'empereur si j'avais tenu + un autre langage; mais il m'est consolant de pouvoir ajouter qu'en + donnant à l'empereur la satisfaction qu'il désire, en éloignant les + conseils auxquels il aime encore à attribuer les erreurs et les + torts dont il se plaint, en soumettant à son influence + l'administration de la Hollande, enfin en gouvernant d'après ses + principes et ses voeux, et en restant fermement attachée à son + système, Votre Majesté peut encore reconquérir la bienveillance de + son auguste frère et régner heureux et tranquille en faisant le + bonheur de son peuple, regardé alors comme l'ami et l'allié de la + nation française dont il partagerait les destinées.» + + + OUDINOT À CLARKE. + + Utrecht, 26 juin 1810. + + «Monseigneur, si, comme S. M. l'empereur paraît l'avoir décidé, je + suis destiné à entrer à Amsterdam, je vous conjure de me mettre à + mon aise pour ma conduite envers le roi de Hollande. + + «Jusqu'alors j'ai, _sans m'écarter de mes devoirs et de ma + fidélité_, su respecter le sang, et je continuerai dans ces + principes, à moins que je n'aie un ordre contraire de la part de mon + souverain: enfin, désignez-moi dans cette circonstance, si + l'empereur lui-même ne me dicte pas ma règle de conduite. + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 26 juin 1810. + + «Le roi est toujours à Haarlem, attendant le retour de mon courrier + et le résultat du double voyage de M. Valkenaer et de M. Roëll. On + dit que Sa Majesté viendra demain à Amsterdam. J'apprends que l'on + se flatte ici d'une prochaine dislocation des troupes destinées pour + la Hollande. Je désire sans doute, Monseigneur, que S. M. Impériale + juge pouvoir accorder les voeux de ce pays avec les grands intérêts + de son empire, mais ce que j'ai pu acquérir de connaissance des + hommes et des choses, en Hollande, me fait souhaiter que la + distribution des troupes françaises dans ce royaume, et surtout dans + le rayon de sa frontière, n'éprouve pas de changement, jusqu'au + moment où les déterminations de Sa Majesté auront été arrêtées par + elle, mises à exécution, et les garanties données, s'il y a lieu, + car l'esprit du gouvernement est encore, malgré ses protestations, + bien loin de ce que l'on doit désirer. + + «Le roi vient de faire de grandes réformes et qui sont, suivant le + vieux système, tombées presque en entier sur les Français à son + service. On les renvoie avec toutes sortes de dégoûts. Je + maintiendrai en leur faveur l'article du décret par lequel S. M. + l'empereur, en autorisant ses sujets à rester au service de cette + couronne, stipule qu'ils ne pourront être renvoyés sans pension ou + retraite. + + «Le gouvernement est fort occupé de la formation de son budget. Ses + embarras sont excessifs. Le roi a diminué assez considérablement sa + maison, mais cette économie est peu sensible parmi les besoins + extrêmes du moment. L'état des finances du royaume est déplorable au + delà de ce qui peut se concevoir. La ressource ruineuse des arriérés + et des anticipations est épuisée, et l'on ne trouverait pas dix + millions à emprunter. Qu'est-ce, en effet, qu'un État qui n'a pas de + revenu et qui n'a point de crédit pour s'en procurer un artificiel? + ou qui l'a perdu, ce qui est pis encore. Je dis qui n'a point de + revenu, puisqu'il est absorbé en entier par l'intérêt de sa dette. + Je me réserve, Monseigneur, de développer mes opinions à cet égard à + Votre Excellence, lors du rapport que j'aurai l'honneur de lui faire + dans quelques jours sur le budget qui aura été arrêté. + + «On ne parle plus de la défense. Cependant les lignes restent + toujours gardées comme on pourrait faire en présence de l'ennemi. Je + souhaiterais des ordres à cet égard. + + «On annonce un cercle pour demain. J'aurai soin d'être indisposé. + + «_P.-S._--M. de Caraman arrive. Il m'a redit, Monseigneur, les + instructions verbales dont Votre Excellence l'a chargé pour moi. + Votre Excellence peut être assurée que je les suivrai à la lettre. + J'attends demain des visites d'affaires. J'aurai l'honneur d'écrire + à Votre Excellence.» + + + M. VAN-DER-HEIM À SERRURIER. + + Amsterdam, 28 juin 1810. + + «Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous faire connaître que, + d'après la conversation qu'elle a eue avec vous, elle a ordonné à + son ministre de la police et justice de vous donner connaissance de + l'état de la procédure contre le malheureux qui, excité par l'appât + de gagner la prime promise pour la découverte de l'individu qui a + insulté le cocher de M. l'ambassadeur, s'est dénoncé être le + coupable, afin que vous puissiez être assuré de l'activité avec + laquelle elle se poursuit et laquelle sera encore accélérée aussitôt + le retour dudit cocher. + + «Sa Majesté a dû même forcer l'ancien bourgmestre à rentrer dans la + place qu'il n'avait quittée que sur ses instances réitérées. Elle + désire vivement que vous fassiez parvenir le plus promptement + possible à Sa Majesté impériale et royale la nouvelle assurance que, + se reposant entièrement sur l'équité de Sa Majesté impériale et + royale, le roi n'a été et n'est occupé qu'à chercher tous les moyens + possibles d'exécuter le traité et même de faire de plus tout ce qui + est en son pouvoir, qui soit agréable à l'empereur. + + «C'est dans cette intention que, malgré les difficultés des + finances, il a conservé toutes les troupes sous les ordres du duc de + Reggio et complété les 12,000 hommes. Les marchandises américaines + sont à la disposition des douaniers français. + + «On a mis toute l'activité possible à l'armement de l'escadre, de + sorte qu'à la fin de juillet six vaisseaux de ligne seront en rade; + les trois autres ne pourront l'être qu'au mois d'octobre; tous les + autres bâtiments sont prêts. + + «Le roi vous prie d'engager Mgr le duc de Cadore à faire valoir les + bonnes intentions et les efforts du roi et de le bien assurer que + son unique but est et sera à jamais d'obtenir l'amitié de Sa Majesté + impériale et royale.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 29 juin 1810. + + «On s'était trompé en m'annonçant qu'il y aurait aujourd'hui grand + cercle à la cour. Sa Majesté recevra, à la vérité, mais un petit + nombre de nationaux et point d'étrangers. + + «J'avais depuis longtemps le désir d'aller rendre ma visite de + voisinage à M. le maréchal duc de Reggio. J'ai réalisé hier matin ce + projet. Après avoir déjeuné avec M. le maréchal et passé quelques + moments encore avec Son Excellence, je suis monté en voiture et suis + revenu dîner à Amsterdam. + + «Le soir, il y eut cercle chez le grand-chambellan. J'y rencontrai + M. Van-der-Heim qui, apprenant que M. Caraman était arrivé la + veille, vint me demander s'il m'avait rapporté une réponse de + l'empereur aux ouvertures que le roi m'avait chargé de transmettre à + Sa Majesté impériale et royale. Je dis à M. Van-der-Heim que M. de + Caraman ne m'avait rien rapporté, que seulement j'étais instruit que + Sa Majesté impériale et royale gardait un sentiment profond de + l'insulte faite à son ambassadeur et du retard apporté à la + satisfaction que j'avais été chargé de demander, comme aussi de + l'accueil hostile fait à la patrouille française devant Haarlem, et + que Sa Majesté attendait la satisfaction qui lui était due pour ces + graves outrages. M. Van-der-Heim me mit alors en avant la + proclamation publiée au sujet de l'insulte faite aux gens de M. de + La Rochefoucauld et de l'intention où l'on était de suivre cette + affaire aussitôt l'arrivée du cocher. Je répondis que la + proclamation était à la vérité une mesure convenable mais tardive et + surtout insuffisante, que les demandes que j'avais formées de la + remise des coupables et de la réintégration de l'ancien bourgmestre + n'avaient pas eu d'effet jusqu'ici, et que Sa Majesté impériale et + royale n'était satisfaite sur aucun point; comme il m'alléguait que + l'on avait abandonné ici toute espèce d'attitude hostile, je lui + demandai comment je devais donc considérer ce cercle tracé en avant + de l'armée française, ces redoutes, ces canons et tout cet appareil + qui semble annoncer qu'on est en présence d'ennemis. Je lui demandai + si on ferait autre chose en Hollande dans le cas d'une descente des + Anglais. M. Van-der-Heim me répéta ses protestations de l'intention + où est le gouvernement de s'en remettre entièrement à la générosité + de l'empereur et de renoncer à toute attitude qui pourrait offenser + Sa Majesté impériale et royale. Je répondis que dans ces sortes de + choses les paroles ne suffisaient pas et que les faits continuaient + d'être contre le gouvernement. + + «M. Van-der-Heim me parla sur un ton très amer de la conduite de nos + corsaires qui, selon lui, ne respectaient rien, et me dit que si + cela devait continuer, il serait impossible d'empêcher les paysans + de jeter ces gens à la mer. Je répondis avec hauteur que le jour où + un pareil attentat serait commis serait un jour bien funeste pour la + Hollande et surtout pour les hommes qui, loin de chercher à adoucir + les aigreurs, se seraient montrés zélés à les développer; que pour + moi j'étais tranquille sur le sort des Français en Hollande; que Sa + Majesté impériale et royale trouverait le moyen de faire respecter + ses sujets ou de les venger, s'ils étaient insultés, et, pour + montrer que je ne souffrirais pas que l'on me parlât, en Hollande, + sur ce ton de menaces, je quittai brusquement M. Van-der-Heim et + allai m'asseoir à la partie qui m'était destinée. M. Van-der-Heim a + de la raideur, mais j'espère lui prouver que j'en sais trouver + aussi, quand les formes de la politesse et de la modération ne + suffisent pas. + + «Plusieurs personnes, parmi lesquelles des ministres étrangers, sont + venues hier à moi pour me demander s'il était vrai que Sa Majesté + l'empereur et roi demandât à la Hollande un emprunt de cinquante + millions. Je vis l'intention et me hâtai de répondre que ce fait + n'était pas à ma connaissance et que j'avais toute raison de ne pas + y croire, que je savais parfaitement que ce que mon souverain avait + toujours demandé à la Hollande n'avait pas été de l'argent, dont Sa + Majesté impériale et royale n'avait assurément pas besoin, mais une + conduite et un système franchement français, et que jamais jusqu'ici + un voeu aussi raisonnable n'avait pu être rempli. + + «M. Van-der-Heim vient de répondre à la lettre par laquelle je lui + avais renvoyé son mandat. Il prétend qu'il ne me l'a envoyé que + parce que la chambre des comptes avait jugé que cette somme m'était + due, comme étant de nouveau chargé d'affaires. Telle n'est point + certainement l'intention du règlement. Cependant, il est possible + qu'il n'y ait pas eu en ceci d'arrière-pensée. Mais en tout état de + choses, je ne regrette point le refus que j'en ai fait. + + «On me demande à l'instant chez le roi. Demain matin j'aurai + l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de cette nouvelle + audience.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 29 juin 1810. + + «Je me suis rendu hier à quatre heures chez le roi, d'après + l'invitation que j'en avais reçue du chambellan de service. Sa + Majesté m'a témoigné la douleur qu'elle avait ressentie d'apprendre + que M. de Caraman n'eût point apporté de réponse aux ouvertures + qu'elle m'avait chargé de transmettre de sa part à Votre Excellence. + Le roi me dit que s'étant jeté dans les bras de l'empereur et lui + ayant remis son sort, celui de ses enfants et de son pays, il avait + attendu avec confiance les résultats de sa démarche, et qu'elle + était profondément affligée qu'elle n'ait rien obtenu sur le coeur + de son auguste frère. Je répondis au roi qu'en effet je n'avais + point reçu de réponse à la lettre dont j'avais chargé M. de Caraman. + Je répétai à Sa Majesté ce que j'avais dit à son ministre, que + seulement il était à ma connaissance que S. M. l'empereur était + toujours profondément blessé de l'outrage fait à son ambassadeur, + outrage qui n'était point encore réparé, et de l'insulte plus + récente faite à ses aigles en avant de Haarlem; que les + protestations étaient nécessairement insuffisantes dans des choses + qui touchaient d'aussi près à l'honneur des gouvernements et que des + faits seuls et des réparations éclatantes pouvaient satisfaire des + souverains. Le roi me demanda quelle était donc cette satisfaction + éclatante que désirait l'empereur, ajoutant qu'il la donnerait, + quelle qu'elle pût être, étant déterminé à faire tout pour apaiser + son auguste frère. Je répondis à Sa Majesté qu'elle trouverait ce + moyen de satisfaire S. M. impériale dans les deux demandes que + j'avais eu précédemment l'honneur de lui faire, savoir: la + réintégration de M. Van-der-Poll et la remise des coupables, dans + l'affaire des gens de l'ambassadeur, entre les mains des autorités + françaises. Ici, le roi montra une profonde répugnance à la + réinstallation de M. Van-der-Poll, que Sa Majesté prétendit avoir + demandé sa démission et s'être refusé à rentrer dans sa place. Elle + me déclara que toute autre satisfaction lui serait moins pénible et + serait, dans son opinion, moins avilissante pour son autorité. Sa + Majesté ajouta cependant de suite que si l'empereur l'exigeait, elle + forcerait ce magistrat à reprendre sa place. + + «Le roi vint ensuite à l'affaire de l'ambassadeur. Sa Majesté + m'annonça que la procédure était entamée, que déjà un homme était + venu se déclarer le coupable, que c'était un malheureux dont la + famille était ruinée et que l'on supposait avoir fait cette démarche + pour avoir les mille ducatons promis; que, cependant, on allait + l'examiner, et qu'il serait confronté de suite avec le cocher de + l'ambassadeur aussitôt son arrivée; mais que la présence de cet + homme était indispensable pour les confrontations. Sa Majesté me + pria de l'envoyer au grand bailli aussitôt son retour. + + «Le roi me montra aussi le dessein de renvoyer à Paris M. l'amiral + Verhuell, comme simple particulier, pour porter aux pieds du trône + impérial l'expression de ses sentiments et de ses voeux. + + «Le roi m'ayant parlé de ses lignes, je lui représentai combien + cette attitude était injurieuse pour les armes impériales et le + scandale qu'elle présentait à l'Europe. Sa Majesté me représenta + qu'elle avait renvoyé tous les canonniers qui les occupaient aux + batteries des côtes et qu'elles avaient entièrement perdu de vue ce + qu'on avait pu y voir de menaçant. Elle ajouta qu'elle n'avait + jamais eu la pensée d'arrêter les mouvements des troupes françaises, + mais que le dernier traité, ne portant pas qu'elles occuperaient + Amsterdam, elle se croyait obligée à ne point y donner son + consentement. Que, du reste, l'empereur était assurément bien le + maître d'en user comme Sa Majesté le jugerait convenable. Je + répliquai au roi qu'il était à ma connaissance que Sa Majesté + impériale n'avait aucunement pensé à mettre garnison dans Amsterdam + à l'époque où l'on prit occasion de cette supposition pour prendre + l'attitude hostile où l'on se trouvait placé vis-à-vis d'elle. + + «À la suite de cette explication, je quittai le roi, qui me + renouvela la demande instante de transmettre tout de suite à Votre + Excellence le résultat de cette audience et de la prier d'être + encore une fois, auprès de Sa Majesté impériale, l'interprète de ses + déterminations dans ces circonstances. Sa Majesté désire que Votre + Excellence veuille répéter à S. M. l'empereur qu'elle est prête à + souscrire à tous les engagements qu'elle voudra lui prescrire pour + rentrer dans ses bonnes grâces. + + «Je me sers, Monseigneur, autant que je le puis, comme Votre + Excellence peut le concevoir, des expressions mêmes du roi, sans + vouloir y ajouter ou y retrancher, pareilles communications ne + pouvant être rendues avec trop de fidélité. Je ne cacherai point à + Votre Excellence que ces audiences du roi me gênent extrêmement et + que j'aurais souhaité que mon ordre d'être indisposé se fût étendu + jusqu'aux jours où je suis demandé chez Sa Majesté, je sens que je + serais fort à l'aise et traiterais facilement avec un prince de + naissance et de toutes les plus puissantes maisons de l'univers; + mais ce titre si grand, si imposant pour un Français, de frère de + l'empereur, se présente toujours à ma pensée au moment où je discute + avec le roi de Hollande. Il détermine ces ménagements et ces égards + sur lesquels je sais bien que Votre Excellence ne se trompe pas, + mais que S. M. impériale pourrait attribuer à de la faiblesse, et si + je n'avais pas déjà le bonheur de pouvoir montrer à mon souverain + que je ne connais pas ce sentiment quand il y va de son service. + + «Le roi me fait annoncer à l'instant que, par suite de notre + conversation, Sa Majesté vient d'obliger l'ancien bourgmestre à + rentrer dans ses fonctions.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 30 juin 1810, 7 heures du matin. + + «La journée d'hier s'est passée sans communication du gouvernement. + M. Van-der-Heim est parti de grand matin pour Haarlem où j'ai su que + tous les ministres avaient été convoqués en grand conseil. Dans la + journée, il m'est venu de la Bourse beaucoup de gens alarmés que + j'ai rassurés en leur disant qu'à la vérité il se préparait des + événements intéressants pour leur ville, mais que l'on devait tout + attendre de la clémence de S. M. l'empereur, si l'on se conduisait + dans ces circonstances d'une manière convenable envers la France. Je + suis persuadé que le commerce se montrera bien et que le maréchal en + sera content. + + «À quatre heures m'est arrivé un aide de camp de M. le maréchal duc + de Reggio qui m'apportait la demande que fait le maréchal d'une + satisfaction éclatante pour l'insulte faite devant Haarlem à ses + aigles, et m'annonçait son arrivée devant les portes d'Amsterdam + pour le 4. J'ai envoyé aussitôt chez M. Van-der-Heim, qui n'était + pas encore de retour. Craignant qu'on ne voulût gagner du temps et + m'échapper, j'écrivis à huit heures à M. Van-der-Heim que je devais + absolument le voir le soir même ou aujourd'hui de très bonne heure, + et que l'importance des communications que j'avais à lui faire était + telle que, s'il devait être retenu à Haarlem, j'irais l'y trouver. + Je reçus à minuit une réponse. Il m'annonçait son retour et + m'offrait de me recevoir le lendemain à neuf heures; j'acceptai. Je + ne réexpédierai l'aide de camp du maréchal qu'après avoir vu M. + Van-der-Heim et être convenu de tout avec lui. + + «L'inquiétude pour les fonds a dû s'augmenter parmi ces + circonstances, surtout dans l'ignorance où l'on était des + déterminations de la cour, et je n'y vois pas un très grand mal. Ils + sont tombés à 18, mais en général l'esprit est bon, et tout le monde + désire voir la fin de toutes ces mésintelligences. On demande et + l'on souhaite universellement que les Français soient bien reçus, et + chacun s'y prêtera. + + «J'ai vu hier chez moi le brave de Winter. Il allait partir pour les + eaux, mais sur le bruit de ce qui se préparait, il s'est décidé à + rester. Ce n'est pas un homme à éloigner dans un moment de crise. Je + l'ai engagé à se rendre à Haarlem et à aller y donner de bons + conseils. Il sort à l'instant de chez moi et sera chez le roi dans + deux heures. J'ai été on ne peut plus content de sa conversation, et + son noble caractère ne se dément pas. Voilà les loyales et dignes + inspirations auxquelles je voudrais voir l'esprit du roi livré. Je + ne rencontre pas depuis hier un honnête homme, un homme d'autorité + et de lumières, que je ne l'envoie à Haarlem combattre les mauvais + conseils qui pourraient être donnés au roi. + + «L'amiral souhaite que Sa Majesté l'envoie à Utrecht pour arranger + toutes choses avec le maréchal duc de Reggio, et je le désire avec + lui, car alors je suis bien sûr que les choses se feraient + convenablement. Je témoignerai tout à l'heure à M. Van-der-Heim que + ce choix me serait agréable, et je ne doute pas qu'il ne le fût à + Utrecht. + + «J'ai fait prévenir tous les Français militaires et civils, + autorisés ou non autorisés, de se bien conduire, et j'ai toute + raison de compter sur eux. + + «Je vais suspendre ma dépêche jusqu'au moment de ma conférence avec + M. Van-der-Heim.» + + + À onze heures. + + «Je sors, Monseigneur, de chez le ministre des affaires étrangères. + Je lui ai fait les communications dont M. le maréchal duc de Reggio + m'a chargé pour lui. M. Van-der-Heim m'a répondu que l'occupation + d'Amsterdam répondait à toutes les satisfactions que je pouvais + exiger. J'ai demandé au ministre quelles étaient les intentions du + roi pour la réception des troupes. Il m'a annoncé qu'elles étaient + toujours telles qu'il avait été autorisé à me les annoncer; que le + roi recevrait les troupes françaises en connétable. Je dis à M. + Van-der-Heim que je désirais savoir en détail ce que Sa Majesté + comptait faire dans cette circonstance, et je le priai de me le + faire connaître. Il m'annonça alors que le roi avait chargé M. le + ministre de la guerre, homme parfaitement bien intentionné, de + régler avec M. le maréchal duc de Reggio tout ce qui concerne + l'entrée des troupes et leur réception. J'applaudis à cette + décision, mais n'en insistai pas moins pour avoir ce soir + communication des déterminations du roi dans cette circonstance si + décisive. J'excitai le zèle de M. Van-der-Heim, en lui disant que + j'attendais beaucoup pour le roi et pour le pays de ses conseils; + qu'il dépendait de lui que j'eusse un bon rapport à faire à S. M. + impériale et les moyens de rendre la nation et le gouvernement + intéressants à l'empereur. M. Van-der-Heim m'a promis de me + rapporter ce soir une réponse positive. + + «J'ai dit à ce ministre que j'apprenais que les canonniers étaient + encore aux pièces hier, malgré l'annonce que le roi m'avait faite de + l'ordre donné de les envoyer sur les côtes. M. Van-der-Heim me + répliqua qu'à la vérité Sa Majesté avait donné cet ordre, mais que + le ministre de la guerre lui avait observé que l'on ne pouvait + renvoyer les canonniers sans emmener le matériel et qu'il craignait + que ce mouvement ne donnât de l'ombrage au maréchal et n'inquiétât + le peuple; qu'on les avait laissés pour cette raison, mais que + toutes les sentinelles avaient été retirées, et l'ordre donné de + laisser tout passer; qu'hier une patrouille française avait + librement traversé les lignes. + + «J'ai dit à M. Van-der-Heim que si l'on jugeait ne pas devoir + déplacer les pièces d'artillerie, je croyais qu'il convenait au + moins de rappeler les canonniers en arrière et de laisser + provisoirement la garde des pièces au peu d'hommes d'infanterie que + l'on jugerait nécessaires pour cela. Il m'a promis d'en faire la + proposition au roi. + + «Demain matin j'espère pouvoir annoncer à Votre Excellence que tout + est arrangé selon les voeux du maréchal et à mon contentement.» + + + CADORE AU ROI LOUIS. + + 2 juillet 1810. + + «Sire, + + «M. Vekenaer m'a remis la lettre que Votre Majesté m'a fait + l'honneur de m'adresser. Il a aussi laissé entre mes mains celle qui + était destinée à S. M. l'empereur. Je la lui ai présentée. + L'empereur m'a dit qu'il ne pouvait en prendre connaissance que + lorsque les outrages dont il se plaint auraient été entièrement + réparés. Cela me donne, Sire, une tâche pénible à remplir. Je dois, + pour répondre à la lettre de Votre Majesté et à la confiance dont + elle m'honore, lui faire connaître les sujets de plaintes de + l'empereur son frère. Je ne puis mieux le faire qu'en empruntant ses + propres expressions. Votre Majesté voudra bien se souvenir que dans + ce que j'aurai l'honneur de lui dire, c'est l'empereur bien plus que + moi qui lui parle. + + «L'empereur est profondément mécontent; il se regarde comme outragé + et ne veut entendre à aucun arrangement avec la Hollande et même à + aucun pourparler avant d'avoir eu satisfaction: + + «1º Sur l'offense faite par la populace d'Amsterdam à la livrée de + son ambassadeur, sans qu'aucune punition ait été infligée. + L'empereur regarde même comme aggravant l'insulte cette proclamation + tardive qui annonçait à toute l'Europe l'impunité dont avait été + accompagnée cette insulte publiquement faite à un souverain. Elle ne + peut être lavée que par le sang. + + «2º Sur le traitement fait à son chargé d'affaires la première fois + qu'il a paru en cette qualité à l'audience de Votre Majesté, et sur + le silence injurieux gardé envers lui, et cela en présence des + ministres de Russie, d'Autriche et de toute l'Europe que l'on + rendait témoin de l'humiliation du représentant de l'empereur; + aussi, et je dois le faire connaître à Votre Majesté, le chargé + d'affaires a reçu la défense de paraître désormais à l'audience de + Votre Majesté. + + «3º Le refus fait à une patrouille française de la laisser entrer + dans la ville de _Haarlem_. Du moment où l'empereur en a été + instruit, il a ordonné au général Molitor de se rendre avec sa + division de Hambourg en Hollande.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 2 juillet 1810. + + «L'amiral de Winter est descendu hier chez moi deux heures après + l'expédition de ma dépêche. Il arrivait d'Haarlem. Il avait trouvé + le roi en conseil délibérant sur les circonstances. L'âme du roi + paraissait livrée à la plus profonde amertume, et l'amiral entra + dans sa douleur pour l'adoucir et donner plus d'autorité aux + conseils qu'il venait offrir. Il dit donc au roi qu'il croyait que + l'on devait attribuer le malheur des circonstances au mauvais + système où le gouvernement s'était jeté dès l'origine, et qu'il s'en + était toujours franchement exprimé, mais qu'il ne s'agissait plus + du passé, dont on n'était plus le maître, mais de l'avenir qui nous + appartenait encore; qu'en fidèle sujet il venait offrir au roi sa + personne, sa vie et ses loyales opinions; que, soit que le + gouvernement eût des torts envers l'empereur ou qu'il se crût + calomnié auprès de Sa Majesté, ce moment pouvait redresser toutes + les opinions et prouver que le roi était toujours ce qu'il devait + être pour son auguste frère et pour la France, que le roi devait + recevoir les troupes françaises en connétable, les fêter, les + accueillir à la tête de son peuple, de ses troupes et de toutes les + autorités, et que ce jour du 4, qui paraissait à quelques-uns si + calamiteux, pouvait de cette façon devenir un jour de réconciliation + entre les deux souverains et fixer sur la nation hollandaise les + regards bienveillants de l'empereur. L'amiral fut soutenu, à ce + qu'il m'a dit, avec beaucoup de force, par le général Dumonceau, que + le maréchal duc de Reggio venait d'envoyer au roi et dont, depuis + quelque temps, l'ambassade n'avait pas eu à se louer. Il paraît + qu'il s'est bien montré dans ce moment. Les ministres de la guerre + et de la marine, quoiqu'avec moins d'énergie, exprimèrent des + opinions raisonnables, et il n'y eut pas un conseil décidément + mauvais. + + «Le roi déclara à ses ministres et à ses grands officiers ce que + déjà il m'avait fait annoncer par le ministre de la marine, qu'il en + userait dans cette journée en prince français et en connétable, mais + quand on lui demanda le détail de ses intentions, il dit qu'il + prescrirait de faire les choses pour le mieux et de façon à donner à + l'empereur l'opinion qu'il désirait que Sa Majesté prît de son + peuple; et comme on lui demandait encore quelles dispositions il + prescrirait pour son palais et pour sa personne, il montra la + résolution inébranlable de rester dans son pavillon de Haarlem + jusqu'au retour du courrier qu'il venait d'expédier à l'empereur. + L'amiral fit les plus grands efforts pour ébranler cette résolution' + dont il prévoyait tout le mauvais effet. Le roi lui dit que la + fatalité l'entraînait, que rien ne pouvait désormais lui regagner le + coeur de son frère, qu'il était décidé à céder à la destinée et + qu'il resterait à son pavillon de Haarlem jusqu'au retour de son + courrier. L'amiral m'ajouta que Sa Majesté s'était exprimée + confidentiellement sur les déterminations graves que ce courrier + avait dû porter au pied du trône impérial. Il fut impossible + d'amener le roi à se trouver à Amsterdam le jour de l'entrée des + troupes. Du reste, il fut décidé par le roi que le général Bruno + prendrait le commandement des gardes et recevrait le maréchal à leur + tête; que toutes les autorités seraient présentes, que le + bourgmestre, M. Van-der-Poll, qui venait enfin de consentir à + reprendre son poste, ferait toutes les dispositions pour que la + ville eût dans cette grande circonstance l'attitude qu'elle devait + avoir, et qu'enfin une fête serait donnée aux soldats par la garde + et par les citoyens. L'amiral se proposait en me quittant de se + répandre dans la ville où il est fort connu et d'inspirer aux + citoyens de toutes les classes les sentiments que l'on devait avoir + et montrer dans cette occasion si intéressante. Cet avis de l'amiral + me fut fort utile et le soir, aussitôt que j'eus appris le retour de + M. Van-der-Heim, je me hâtai de me rendre chez lui. Je lui dis qu'il + m'était revenu que le projet du roi était de rester le 4 à son + pavillon de Haarlem, et que je ne pouvais croire à une détermination + qui ôterait à la fête projetée toute la grâce qu'il était si + désirable pour tout le monde de lui donner. M. Van-der-Heim me + répondit que personne autour du roi n'en avait pensé ainsi et que + dans l'état de brisement où était son âme on n'avait pas cru devoir + lui demander encore ce sacrifice qui ne semblait pas nécessaire pour + le bon accueil des troupes; que sûrement le roi s'y serait déterminé + s'il l'eût cru aussi convenable que je le pensais. Il m'objecta + d'ailleurs que le roi, frère de l'empereur et connétable de France, + ne pouvait habiter une ville où il ne commanderait pas, qu'il y + aurait à tout moment conflit d'autorité, et que Sa Majesté, qui ne + serait pas maîtresse de la ville, ne pourrait répondre des + mouvements que la malveillance pourrait chercher à y faire naître. + Je répondis à M. Van-der-Heim que, comme déjà je le lui avais dit, + l'affaire du commandement et du mot d'ordre était une affaire que je + croyais facile à régler entre le roi et le maréchal, et + qu'assurément le roi pouvait, de la part du maréchal, compter sur + les respects et les égards qu'il était à tant de titres en droit + d'en attendre; qu'à la rigueur, si cet objet présentait des + difficultés que je ne prévoyais pas, le roi serait toujours le + maître, après avoir reçu le maréchal et les troupes dont il est le + connétable, de retourner à son pavillon pour y suivre ses desseins + et attendre le retour de son courrier. Je priai M. Van-der-Heim de + retourner cette nuit même à Haarlem ou d'y envoyer quelqu'un de ses + collègues pour représenter toutes ces choses au roi, représentations + qui, à la vérité, venaient de moi, puisque ce cas n'avait pas été + prévu par mes instructions, mais qui m'étaient inspirées par le + désir de voir les choses s'arranger au contentement général et de la + manière qui pourrait rapprocher davantage Sa Majesté du coeur de son + auguste frère. M. Van-der-Heim m'a promis d'envoyer un courrier + cette nuit. J'aurai la réponse dans la journée. Je vais expédier M. + de Caraman à Utrecht pour informer M. le maréchal. Voici donc, + Monseigneur, en résumé l'état des choses: + + «Il n'y aura point de résistance. + + «Les troupes seront reçues en triomphe par la garde, ayant le + général Bruno (Français) à sa tête, et par la bourgeoisie ayant à la + sienne son ancien bourgmestre. + + «Toutes les autorités seront présentes et en grand gala. Une fête + sera donnée aux troupes par la ville. + + «Je tâcherai d'obtenir plus, et surtout la présence du roi. Votre + Excellence peut être assurée que j'en sens l'extrême inconvenance + et que je ferai tout ce qui pourra dépendre de moi pour y déterminer + Sa Majesté. + + «J'ai, Monseigneur, des excuses à faire à Votre Excellence pour + l'extrême désordre de mes dépêches, depuis ces quinze derniers jours + plus particulièrement, mais je suis obligé d'écrire beaucoup et en + courant, de sortir et de recevoir beaucoup de monde, et c'est à + peine si j'ai le temps de mettre quelque ordre dans mes idées. J'ai + besoin de toute votre indulgence et j'ose la réclamer. + + «_P.-S._--J'apprends à l'instant un fait que l'amiral de Winter n'a + pas voulu me dire, c'est que la cour a d'abord fort mal accueilli la + chaleur de ses conseils et l'a même assez maltraité, mais que ce + brave homme n'en a pas moins soutenu son noble rôle et ses efforts + pour sauver son pays et son roi du danger des premiers mouvements et + des résolutions irréfléchies. J'ai aussi beaucoup à me louer de M. + de Lagendorp, ancien ministre de la guerre. + + «Je n'ai pas encore de certitude sur ce que feront les + fonctionnaires publics, mais je crois à ce que j'ai annoncé. Je + verrai ce soir le bourgmestre. Je joins ici la pièce oubliée de + l'avant-dernier numéro.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 3 juillet 1810. + + «M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, chargé du + portefeuille des affaires étrangères, sort à l'instant de chez moi. + Il était en grand costume et couvert de tous ses ordres. Ce ministre + est venu m'annoncer que le roi avait abdiqué en faveur de son fils + aîné, et que l'acte de son abdication avait été adressé par Sa + Majesté au Corps législatif; que par cet acte la reine était nommée + régente, qu'un conseil provisoire de régence était nommé, qu'il + était composé en grande partie du ministère et des grands officiers; + que deux personnes de marque avaient été dépêchées en courrier, le + premier pour porter cette communication à Sa Majesté l'empereur, et + le second à la reine. + + «M. Van-der-Heim m'assura que tout ce qui approche la personne du + roi avait tout tenté pour le détourner de cette détermination et + pour l'engager à paraître demain à Amsterdam et à remettre son + projet à un moment plus convenable; mais le roi était demeuré + inébranlable. + + «M. Van-der-Heim m'annonça encore que le roi était parti cette nuit + sans prendre congé de personne, qu'on croyait qu'il avait traversé + Amsterdam et qu'il était allé se jeter aux pieds de l'empereur. Ce + ministre finit en me disant qu'il était chargé par la régence + provisoire de me faire part de ce grand événement et de me déclarer + officiellement que le gouvernement et la nation se remettaient + entièrement et avec un abandon absolu à Sa Majesté l'empereur et roi + des destinées de la patrie. + + «J'ai répondu au ministre que je ne pouvais admettre la + communication qu'il voulait me faire sur une détermination qui, par + sa nature, était aussi grave et aurait exigé, à mes yeux, le + concours et l'assentiment de Sa Majesté l'empereur et roi, comme + chef de la famille impériale. M. Van-der-Heim me quitta en + protestant du profond respect et du dévouement de tous les membres + du conseil pour Sa Majesté impériale et royale, comme de leur + intention de se conformer à tout ce qu'elle jugerait propre à + assurer la tranquillité et le bien-être du pays. + + «J'apprends à l'instant qu'une triple proclamation vient d'avoir + lieu. La première est l'acte même d'abdication. On m'assure qu'elle + est conçue dans des termes tout à fait inconvenants; mais je ne puis + rien affirmer jusqu'à ce que j'aie la traduction. Je ne pourrai + peut-être pas me la procurer avant le départ de monsieur de Caraman + que je vais expédier à Votre Excellence en courrier; mais je viens + de l'engager à sortir une seconde fois pour la relire et en prendre + des notes qu'il portera à Votre Excellence; demain je lui en + enverrai le texte. La seconde renferme les adieux du Roi à son + peuple et l'invite à bien recevoir les Français. La troisième est du + conseil de Régence provisoire et prévient de son installation. + + «Depuis cet état de choses, Monseigneur, je ne me considère plus + comme accrédité auprès du gouvernement hollandais, et j'interromps, + dès ce moment, toutes mes communications avec lui. + + «J'informe par monsieur de Caraman le maréchal duc de Reggio de tout + ceci, et le préviens d'être prêt à tout événement, à arriver ici + avec sa cavalerie, si les circonstances exigeaient qu'il brusquât + son entrée. J'apprends que le peuple se précipite en foule pour lire + la triple proclamation. Je vais faire venir le bourgmestre, + l'inviter à veiller sur la ville et le rendre responsable des + désordres qui pourraient arriver cette nuit si la malveillance + pouvait chercher à tirer parti de cet état de choses. + + «Demain l'autorité militaire commencera; je recevrai monsieur le + maréchal et vais attendre en particulier les ordres de l'empereur.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 4 juillet 1810. + + «L'armée impériale a fait aujourd'hui à trois heures son entrée + triomphale à Amsterdam, ayant son maréchal à sa tête. Les choses se + sont passées très convenablement. Le maréchal fait partir ce soir + un de ses aides-de-camp porteur de cette bonne nouvelle pour le + ministre de la guerre, et j'en profite pour informer également Votre + Excellence. Demain j'aurai l'honneur de lui donner des détails. + + «J'ai reçu ce matin de M. Van-der-Heim la communication dont copie + ci-jointe. Je n'ai pas cru pouvoir en accuser réception, non plus y + répondre. Je joins également ici le numéro du courant qui renferme + les différentes proclamations du gouvernement. Je n'ai point le + temps de les faire traduire, mais je suppose qu'on le pourra faire + dans les bureaux de Votre Excellence, et au besoin M. de Caraman en + pourrait donner la traduction. + + «La cour, la ville, le gouvernement, la nation entière, tout est aux + pieds de Sa Majesté l'empereur et roi, et implore sa clémence et sa + protection; j'attends les ordres de Sa Majesté impériale et les + directions de Votre Excellence.» + + + LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE. + + Amsterdam, 5 juillet 1810 (au soir). + + «Monseigneur, le roi étant parti sans dire à personne où il allait, + il circule dans le public de cette capitale les bruits les plus + étranges sur le lieu qu'il doit avoir choisi pour sa retraite. Les + agioteurs et les malveillants ont voulu accréditer l'absurde + nouvelle que Sa Majesté était passée en Angleterre, et les moins + déraisonnables en Amérique; mais je suis, de concert avec le + ministre de la police, occupé à détruire cette calomnie et même à la + recherche de ceux qui ont répandu de tels bruits. + + «Je viens d'écrire au ministre de la police que je désirerais + absolument savoir où le roi s'était retiré, avoir des détails sur la + santé de Sa Majesté, enfin des renseignements détaillés sur tout ce + qui s'est passé dans cette singulière circonstance.» + + + SERRURIER À CADORE. + + Amsterdam, 6 juillet 1810. + + «Sa Majesté impériale et royale a dû recevoir par M. le maréchal duc + de Reggio le détail de son entrée à Amsterdam, des honneurs civils + et militaires qui lui ont été rendus, des discours qui lui ont été + adressés et des dispositions généralement bonnes qui lui ont été + montrées. Cette circonstance vient à l'appui de ce que j'ai souvent + eu l'occasion de dire à Votre Excellence, que la nation est bien + disposée et facile à conduire, et que la direction seule des + affaires a été très mauvaise. La ville n'a jamais été plus + tranquille. À la première stupeur succède l'espoir que Sa Majesté + impériale et royale n'abandonnera plus une si bonne nation à + elle-même et qu'elle daignera la placer désormais sous sa protection + et sa direction la plus immédiate que possible. C'est le cri général + de toutes les classes et surtout du commerce. Si l'on rencontre + encore une crainte, c'est de ne pas obtenir à cet égard des + déterminations tout à fait définitives. + + «Le maréchal m'avait fait prévenir par son chef d'état-major de + l'heure où il se présenterait devant les portes. Je suis allé une + demi-lieue au-devant de Son Excellence, que je n'ai pas tardé à + apercevoir à la tête de son état-major et de sa cavalerie. Je suis + alors descendu de voiture, le maréchal a mis pied à terre et nous + sommes entrés dans une cabane de pêcheurs, au pied de la digue, où + nous nous sommes entretenus assez longuement sur l'état où j'avais + laissé la ville et celui où probablement le maréchal allait la + trouver, sur l'abdication et le départ du roi et l'impression que + cet événement avait produit, et enfin sur l'ensemble des affaires. + L'armée avait suspendu sa marche. Après avoir tout concerté pour le + mieux, le maréchal est remonté à cheval, je suis remonté en voiture, + et les troupes françaises ont fait leur entrée comme le portait le + programme. Le maréchal s'est montré particulièrement satisfait de la + conduite du lieutenant général Bruno et du bourgmestre. + + «L'avant-veille de son départ j'avais été averti que Sa Majesté + avait fait des questions sur ses voitures et que le grand écuyer lui + avait répondu dans une bonne intention qu'aucune n'était en état. Je + prévins le jour même le maréchal de cette circonstance par M. de + Caraman, quoique je susse que cet avis ne pouvait rien empêcher, + mais c'était tout ce que je pouvais. Le roi fit acheter une voiture + qu'il alla joindre vers une heure du matin à pied avec le général + Travers. La princesse Dolgorouki, qui habite une maison près du + château, ayant remarqué différents transports de portefeuilles, eut + l'éveil et vit le roi au moment où il traversait un petit fossé pour + aller gagner sa voiture. Personne ne sait positivement quelle route + a suivie Sa Majesté. On assure l'avoir vue au Gueldre, du côté + d'Arnheim; d'autres personnes parlent d'embarquement et d'Amérique. + + «Avant-hier une députation de la régence est allée complimenter le + jeune prince. Mme de Boubers, sa gouvernante, dit à Son Altesse + royale qu'elle devait saluer, mais ne faire aucune réponse, et + défendit aux officiers attachés à sa personne de l'appeler autrement + que Monseigneur et Votre Altesse royale, jusqu'au moment où elle + aurait reçu des ordres de l'empereur. + + «Je prévoyais depuis quelques jours que quelque grande faute allait + être faite, et c'est pour la détourner qu'outre ce que je pouvais + faire de démarches officielles, j'avais envoyé à Harlem l'amiral de + Winter et quelques autres braves gens pour combattre les mauvaises + résolutions et donner de bons conseils. J'avais fait plus; j'avais + dit à M. Van-der-Heim, pour l'ébranler et après avoir épuisé tous + les moyens de persuasion, qu'il ne fallait pas qu'il se fît illusion + et que si des déterminations contraires à la gloire du roi pouvaient + prévaloir, jamais Sa Majesté l'Empereur ne pourrait croire qu'elles + eussent eu leur source dans le coeur de son frère et du connétable + de France, et que Sa Majesté en attribuerait très naturellement le + blâme à ses mauvais conseillers. M. Van-der-Heim me répondit qu'il + voyait où allait ce langage, qu'il avait tout tenté pour amener le + Roi à recevoir le maréchal et à faire les choses comme il convenait, + mais que cela fait, il obéissait à son souverain en honnête homme et + sans examiner s'il y avait du danger attaché à l'exercice de ses + devoirs. C'est, je crois, le 30 juin ou le 1er juillet que M. + Van-der-Heim me répondit ainsi, et le Roi partit dans la nuit du 2 + au 3 juillet. + + «Le secret de sa proclamation a été gardé par les ministres, et je + n'en ai pu avoir connaissance que lorsque déjà elle était affichée à + tous les coins de rue. + + «La lettre du Roi au Corps législatif est de sept pages et renferme, + dit-on, des choses très fortes. Ses membres se sont engagés par + serment à n'en donner aucune communication. On me l'a promise pour + ce soir ou demain matin: je l'enverrai tout de suite à Votre + Excellence. + + «Je vais dîner aujourd'hui avec le maréchal chez les magistrats de + la ville. J'ai déclaré que j'y paraîtrais comme Français et comme + particulier, mais sans caractère diplomatique. + + «Quelqu'un qui arrive à l'instant de Harlem m'assure que le Roi a + nommé un conseil d'administration avec pouvoir illimité pour vendre + et aliéner le mobilier de la couronne à Utrecht, Soesdyck, + Harlem-le-Loo, etc. Sa Majesté a rendu aussi un décret pour liquider + les deux millions qu'elle a empruntés sur ses domaines de + l'Ost-Frise. Le décret doit être communiqué demain et daté du 30 + juin. Je vais en prévenir M. le maréchal duc de Reggio pour que l'on + fasse suspendre jusqu'au retour des courriers. + + «_P.-S._--Je joins ici le numéro du courant qui renferme le détail + de l'entrée de nos troupes et de l'accueil qui leur a été fait. On + me fait craindre de ne pouvoir me procurer la copie promise de la + lettre du Roi. J'ai promis au maréchal de lui en donner un double si + je l'obtiens. On y remarque, m'assure-t-on, cette phrase: Je vais + mener le reste de mes jours une vie errante et fugitive. On croit + que Sa Majesté s'est dirigée du côté de Farmurigue. Il y a sur cette + côte beaucoup de navires américains.» + + +Dès que l'empereur connut l'abdication et le départ de son frère, il +ordonna au duc de Cadore de lui préparer un projet de note à +adresser au ministre des affaires étrangères de Hollande, le baron +de Roëll. + +Le duc de Cadore envoya le 5 juillet à Napoléon le projet +ci-dessous: + + + «Dans ma note du... j'ai eu l'honneur de vous exposer quelle avait + été la conduite de la Hollande et combien elle avait nui à la cause + commune en se livrant à un commerce interlope contraire à ses + engagements avec la France, contraire au système que les ordres du + conseil d'Angleterre de novembre 1807 avaient forcé l'empereur + d'adopter, et je montrais à Votre Excellence comment cette suite + d'erreurs où la Hollande a été précipitée par l'Angleterre + nécessitait sa réunion à l'empire. + + «Cependant l'empereur, quoique bien convaincu que tel était l'unique + remède aux maux dont il se plaignait, a cédé aux voeux de son + auguste frère en concluant avec lui le traité du 16 mars qui + conservait l'indépendance de la Hollande et ne lui occasionnait que + les sacrifices indispensables pour le maintien du système et + l'intérêt de la cause continentale. Ce traité aurait pu atteindre + son but si ses clauses avaient été fidèlement observées. Mais aucune + condition n'a été remplie, excepté celles auxquelles le gouvernement + hollandais ne pouvait s'opposer, comme la cession de quelques + provinces qu'occupaient déjà les troupes françaises. De faibles + efforts ont été faits pour armer l'escadre promise et elle n'a pas + encore d'équipage: les cargaisons américaines n'ont été livrées qu'à + moitié et l'on a donné à leur place les prises des corsaires + français. Le commerce interlope a continué; des licences ont été + données pour le favoriser. Le gouvernement a montré le même esprit + de haine et d'opposition à la France. Il a cherché à rendre cette + disposition populaire; la populace de quelques villes a insulté les + soldats français, celle d'Amsterdam a insulté l'empereur, dans sa + livrée portée par le cocher de son ambassadeur, et cet attentat + commis en plein jour est resté impuni. Le chargé d'affaires de + France a été l'objet d'une modification offensante pour le souverain + qu'il représentait. L'aigle impériale, qui dans toute l'Europe est + reçue en triomphe, a été repoussée d'Harlem, insulte qu'aucun + souverain de la terre n'aurait pu faire impunément. Si ces griefs + multipliés ont justement indigné l'empereur, il a encore été plus + touché de la déplorable situation où se trouve la Hollande. Les + douaniers français y sont établis et les douanes françaises sont + fermées au commerce hollandais. Les uns éloignent toutes les + importations du dehors; celles-ci repoussent toute exportation de la + Hollande. La misère la plus profonde doit être le résultat de cet + état de choses, et cet état ne peut être changé. Pour l'intérêt de + la Hollande, on ne peut sacrifier la cause du continent. La + révocation des ordres du conseil d'Angleterre aurait pu seule rendre + l'indépendance de la Hollande compatible avec l'intérêt de la France + et de l'Europe. + + «L'empereur, lorsque cet intérêt est si violemment blessé, lorsque + les peuples de Hollande éprouvent par leur isolement nécessaire une + si grande misère, ne peut donc tarder de prendre un parti. On + satisfait à toutes les convenances, remédie à tous les maux, celui + de la réunion de la Hollande à l'empire français. Une absolue + nécessité en impose l'obligation. Je dois donc faire connaître à + Votre Excellence que Sa Majesté s'est décidée à _rappeler auprès + d'elle son auguste frère_ à qui les circonstances ont ôté la + possibilité de remplir l'objet pour lequel l'empereur l'avait élevé + sur le trône de Hollande et qui était si bien dans son coeur, celui + de faire le bonheur de la nation hollandaise, en servant les + intérêts de la France.» + + +Cette note résume tous les _prétextes_ saisis par l'empereur pour +expliquer l'annexion de la Hollande. Une des dernières phrases +explique pourquoi Napoléon fit tant d'efforts pour obtenir de son +frère qu'il revînt près de lui en France. + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 7 juillet 1810. + + «Monseigneur, le général Piré que j'ai envoyé ce matin à Harlem pour + présenter mes hommages au prince royal et me rapporter des nouvelles + de sa santé me rend compte que Son Altesse impériale jouit d'une + très bonne santé. Elle a beaucoup pleuré en apprenant le départ du + Roi, mais elle est tranquille maintenant et ne fait plus de + question. + + «On paraît croire à Harlem que le Roi a pris la route de Brême et + que son intention est de s'embarquer pour l'Amérique avec un + passeport anglais que Sa Majesté s'est procuré en envoyant il y a + quelque temps un officier à Londres. + + «Le général Travers accompagne Sa Majesté ainsi que le contre-amiral + Bloys avec un seul valet de chambre. On assure que le Roi a trompé + ces deux officiers, qu'ils ne savaient rien de ses projets avant son + départ. + + «Le Roi a emporté avec lui tout l'argent qu'il a trouvé dans les + caisses des différents services; on évalue la somme, tant en or + qu'en bijoux, à 600,000 florins, dont 250,000 florins en lettres de + changes[160]. + + [Note 160: Ceci était faux; Louis n'avait emporté que mille + florins lui appartenant.] + + «Sa Majesté voyage dans une mauvaise voiture de poste du pays. + + «Elle doit avoir fait, la veille de son départ, de fausses + confidences à presque tous les officiers de sa maison pour les + tromper sur les motifs de son absence, particulièrement à son grand + maréchal à qui elle a prescrit quelques dispositions pour sa + réception au palais de Loo, en lui faisant donner sa parole + d'honneur de n'en rien dire à personne. + + «On a reçu au palais de Loo un billet du général Travers qui + annonçait que Sa Majesté faisait un petit voyage et qu'elle + arriverait incessamment, et qu'on ne fût point inquiet. Ce billet + était sans date et sans désignation du lieu où il avait été écrit. + + «Le grand maréchal du palais et le grand écuyer assurent que les + ministres doivent avoir été prévenus la veille du départ du Roi, + attendu qu'un officier appelé Goty ou des Goty a remis dans la nuit + du 2 au 3 au ministre de la guerre et dans le conseil des ministres + qui était assemblé un mot du Roi ainsi conçu: «_Je pars, et au + moment où vous lisez ce billet je traverse Amsterdam._» Sa Majesté + n'est point entrée en ville comme elle l'écrivait, mais l'a + seulement tournée. + + «Le Roi a été reconnu par un Juif à Naarden au moment où le général + Travers menaçait un postillon de le tuer s'il ne voulait doubler. + + «Il paraît que le Roi craignait d'être reconnu en relayant. + + «Un courrier venu d'Aix-la-Chapelle doit avoir été chargé par Son + Altesse impériale Madame Mère de dire au Roi: «_Dites à mon fils que + je ne lui écris pas parce que j'ai peur que vous ne soyez arrêté en + route_, mais que tout est prêt ici pour le recevoir et que j'espère + l'embrasser bientôt.» + + «Le Roi a donné ordre de vendre les propriétés qui lui appartiennent + et même quelques propriétés de la couronne pour payer ses dettes. + L'intendant de la couronne a déjà commencé ses opérations à cet + égard en vertu d'un décret antidaté. + + «Votre Excellence trouvera ci-joint copie de la lettre écrite par le + Roi au Corps législatif avant son départ. + + «_P.-S._--À l'instant où je fermais ma lettre, je reçois celle + incluse de Mme de Boubers. Je vous prie d'assurer Sa Majesté de tout + mon zèle et de mes précautions en pareille circonstance. Je vais + même monter en voiture pour Harlem d'où j'aurai l'honneur de ramener + le Roi pour peu que cela me semble nécessaire. Quant à ses besoins, + j'y aurai pourvu de la manière qu'on doit attendre de mon + dévouement. Ci-joint une autre lettre du ministre de la police du + royaume de Hollande; c'est un Orangiste dont j'ai peine à obtenir + les renseignements qui me sont nécessaires.» + + + MME DE BOUBERS À OUDINOT. + + Harlem, 6 juillet 1810. + + «Monseigneur, la situation dans laquelle je me trouve est très + embarrassante. J'attends avec la plus grande impatience les ordres + de Sa Majesté l'Empereur, auquel je vous prie de vouloir faire + connaître la position du prince. + + «Le palais de Harlem, dans lequel il demeure, doit être vendu, ainsi + que toutes les maisons que le Roi son père avait. Tous les mobiliers + d'Amsterdam, de Loo, d'Utrecht, etc., dans peu de jours; le prince + peut être sans asile; je ne pense pas que l'empereur souffre cela, + il est très nécessaire que Sa Majesté en soit informé le plus tôt + possible. + + «On me laisse avec le prince, sans le moindre argent pour lui, + n'ayant pas de quoi envoyer un courrier si la nécessité l'exigeait. + On dit les coffres vides, le Roi ayant emporté tout ce qu'il a pu. + Personne n'est payé ici depuis trois mois, et je ne serai pas + étonnée que d'un moment à l'autre on refuse de fournir la maison du + prince. + + «Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur ordonnerait que le prince + revînt en France, il me serait de toute impossibilité de faire le + voyage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir m'indiquer le moyen de + me procurer les fonds qui me seront nécessaires ou de demander à Sa + Majesté l'Empereur ses ordres à ce sujet. + + «Je n'ai pu entrer dans ces détails avec M. Pirée[161] que vous avez + envoyé au prince. Il était entouré de plusieurs personnes de la + cour; ne pouvant lui parler en particulier, j'ai pris le parti de + vous écrire pour vous informer de la situation du prince. + + [Note 161: Le général Pirée.] + + «Quant aux précautions pour sa sûreté, le général de Bruno, mon + beau-frère, a pris toutes celles qu'il jugeait convenables; mais + dans ce moment c'est une grande responsabilité dont je sens toute + l'importance.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 7 juillet 1810. + + «Monseigneur, j'ai déjà eu l'honneur de rendre compte à Votre + Excellence des différentes versions qui circulaient ici sur la + retraite du Roi. Celle qui s'accrédite le plus en ce moment est que + Sa Majesté se rend en Amérique; je n'ai point encore de certitude à + ce sujet, mais je fais faire toutes les diligences nécessaires pour + être bientôt à même de pouvoir faire connaître à Votre Excellence + le lieu où Sa Majesté s'est retirée. + + «Je viens d'avoir des nouvelles du Prince Royal; Son Altesse se + porte très bien; j'aurai l'honneur d'adresser tous les jours à Votre + Excellence le bulletin de sa santé. + + «L'esprit public de la ville d'Amsterdam est bon et la meilleure + harmonie continue à régner entre les troupes françaises et les + habitants.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 7 juillet. + + «Monseigneur, au reçu de la lettre par laquelle Votre Excellence me + fait connaître l'intention de l'Empereur pour le désarmement des + lignes d'Amsterdam, j'ai de suite donné l'ordre au commandant de + l'artillerie de faire les dispositions nécessaires pour enlever les + pièces qui s'y trouvent et les conduire à Anvers. + + «D'après un état d'armement que je me suis procuré de ces lignes, il + se trouvait au 6 de ce mois 215 pièces de différents calibres en + batteries, tant en bronze qu'en fonte. Des officiers sont occupés en + ce moment à en faire le relevé, que j'aurai l'honneur d'adresser à + Votre Excellence aussitôt qu'il me sera parvenu. + + «J'ai également donné l'ordre de faire démolir tous les ouvrages qui + ont été élevés contre nous.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + 7 juillet. + + «Monseigneur, par le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à + Votre Excellence pour lui annoncer mon arrivée à Amsterdam, je l'ai + prévenu que j'avais accepté un dîner qui m'était offert par les + magistrats de cette ville. Ce dîner a eu lieu hier; je me suis rendu + avec tous les généraux, les colonels et officiers supérieurs des + corps et d'état-major. Les ministres, le corps diplomatique et les + chefs des diverses autorités civiles et militaires y avaient été + invités. Le bourgmestre Van-der-Poll qui le présidait en a fait les + honneurs aux Français avec les égards qu'il se plaît à leur marquer + dans toutes les circonstances. Il a été porté un toast à Leurs + Majestés Impériales et Royales qui a été accueilli avec enthousiasme + ainsi que celui de l'armée française. J'ai cru devoir en porter un à + la prospérité de la ville d'Amsterdam. + + «Cette réunion où une apparente cordialité a régné ne peut + qu'ajouter à la bonne opinion que j'ai déjà des magistrats qui + administrent cette ville seulement.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 7 juillet 1810. + + «Monseigneur, Votre Excellence a dû voir par toutes les lettres que + j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis mon entrée à Amsterdam, que + je n'ai qu'à me louer, jusqu'à présent, des magistrats de cette + ville et du bon esprit qui anime ses habitants. J'ai donc cru + convenable d'adopter envers eux un système de conciliation que je + crois dans le sens des volontés de l'Empereur; si cependant il en + était autrement, je prie Votre Excellence de me tracer la règle de + conduite que je dois suivre pour remplir les intentions de Sa + Majesté.» + + +Le 9 juillet, un décret impérial en douze articles ordonne la +réunion de la Hollande à la France et nomme le duc de Plaisance +lieutenant général de ce pays. Une circulaire dans ce sens est +envoyée aux divers représentants à Paris des puissances étrangères +pour leur expliquer les motifs qui ont nécessité l'annexion. Le +surlendemain, 11 juillet, M. de Hauterive reçoit l'ordre de partir +pour Amsterdam afin d'y prendre les papiers des relations +extérieures, les archives, et de les rapporter à Paris. + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 9 juillet 1810. + + «Monseigneur, n'ayant pu jusqu'à présent avoir aucune communication + officielle avec le gouvernement provisoire institué par le Roi et + que je n'ai pas cru devoir reconnaître avant d'avoir reçu les ordres + de l'Empereur, j'ai pensé que l'état de crise dans lequel cet état + de choses pouvait jeter la capitale exigeait que je prisse la haute + main sur tous les militaires de ce pays et qu'aucun mouvement de + troupes hollandaises ne pût avoir lieu sans mon consentement; j'ai + écrit dans ce sens au ministre de la guerre et au gouvernement + d'Amsterdam pour leur faire connaître mes intentions à cet égard, de + manière que je devienne responsable moi-même des événements qui + arriveraient en attendant la décision ultérieure de l'Empereur, que + j'attends ainsi que le pays avec une grande impatience. Du reste + tout est calme et les fonds gagnent tous les jours.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + 10 juillet 1810. + + «Monseigneur, la Hollande est toujours dans le calme dont j'ai eu + l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans mes précédents + rapports. Ce pays attend avec une grande impatience la décision de + son sort. La majeure partie des habitants croit à la réunion et à + voir consolider la dette au taux où elle est baissée. Les autres + demandent le maintien du gouvernement royal et la confirmation d'une + régence, mais non de celle qui existe; car les personnages qui la + composent sont pour la plupart accusés d'avoir contribué à la + situation actuelle des choses. + + «J'ai eu l'honneur d'aller hier saluer le Prince Royal; je l'ai + laissé bien portant. J'ai consenti à ne point faire transporter Son + Altesse royale à Amsterdam, tant à cause des justes observations que + m'a faites Mme de Roubers sur la santé de Son Altesse royale que sur + ce que je me suis assuré qu'elle est convenablement à Harlem et en + sûreté. J'ai de Son Altesse royale une garde d'honneur française qui + a son poste au palais et un de mes aides de camp qui fait le service + de concert avec les officiers de la maison. Enfin cela se passe avec + les mesures qu'il fallait apporter en pareille circonstance. + + «Les fonds n'ont pas varié depuis avant-hier, quoiqu'on ait fait + courir plusieurs bruits plus ridicules les uns que les autres. + + «Par ma dernière dépêche, j'ai mandé à Votre Excellence que je + mettais un régiment à Harlem, celui qui y était destiné viendra + occuper les trois villes les plus près d'Amsterdam, afin d'y être en + masse et comme réserve pour cette ville qui, quoique tranquille, a + besoin de savoir que nous sommes là. + + «Quand Sa Majesté l'Empereur voudra connaître les principaux + contrebandiers de ce pays, il me sera facile de les signaler, car + outre les renseignements que je m'étais déjà procurés tant sur leur + nom que sur la nature et la valeur approximative des affaires qu'ils + ont faites, c'est à qui des bons négociants viendra les dénoncer. Je + crois alors qu'une bonne contribution particulière frappée sur eux + ne serait pas une injustice. + + «Je pense que Votre Excellence n'aura pas manqué de faire connaître + à l'Empereur que l'abdication, les proclamations placardées et le + départ du Roi ont eu lieu avant mon entrée à Amsterdam, et que Sa + Majesté me rend assez de justice pour penser que si je fusse arrivé + à temps j'aurais intervenu et peut-être empêché l'exécution de cet + événement extraordinaire.» + + + CLURKE À OUDINOT. + + 10 juillet 1810. + + «Monsieur le Maréchal, j'ai déjà eu l'honneur d'informer Votre + Excellence par une dépêche que je lui ai adressée aujourd'hui par + courrier extraordinaire que, d'après un décret impérial rendu à + Rambouillet le 9 juillet, la Hollande se trouve dès ce moment réunie + à la France. + + «Je joins ici, Monsieur le Maréchal, ampliation de ce décret + impérial, afin de mettre Votre Excellence à portée de connaître les + dispositions que Sa Majesté impériale et royale a déterminées + provisoirement relativement à l'administration de cette portion de + l'empire. + + «Votre Excellence verra par l'article 5 que l'Empereur a nommé M. le + duc de Plaisance, architrésorier de l'empire, son lieutenant + général, et que Son Altesse impériale doit se rendre en cette + qualité à Amsterdam. Vous voudrez bien, en conséquence, Monsieur le + Maréchal, prendre les ordres de Son Altesse seigneuriale le prince + architrésorier, en sa qualité de lieutenant général de l'Empereur, + pour tout ce qui aura rapport au service de Sa Majesté dans + l'étendue de votre commandement.» + + + ZAPFFEL, CHEF DE BATAILLON, AIDE DE CAMP DE CLURKE. + + Amsterdam, 11 juillet 1810. + + «Monseigneur, j'ai remis hier à dix heures du soir au maréchal duc + de Reggio les dépêches que Votre Excellence m'avait données pour + lui. Je profite du départ d'un aide de camp du maréchal pour vous + donner le peu de renseignements que j'ai pu me procurer jusqu'à + présent. Tout est tranquille en Hollande et principalement à + Amsterdam. Le Prince Royal est à Harlem avec une garde d'honneur + composée d'une compagnie d'élite du 16e de chasseurs, sous le + commandement d'un aide de camp du maréchal qui ne perd pas de vue + Son Altesse royale. + + «Le lieu de la retraite du Roi est encore inconnu. Les uns disent + qu'il est parti pour l'Amérique et qu'il s'est embarqué à + Bremen-Lech, les autres assurent qu'il est en Westphalie. Le + ministre de la police dit que Sa Majesté a été vue le 6 à Hanovre. + Le bruit court aussi que le Roi doit avoir une entrevue avec Madame + Mère. Il a emporté tout l'argent qui se trouvait dans les caisses + publiques et pour une très forte somme de lettres de change. Le + ministre de Krayendorf a disparu; on dit qu'il s'est embarqué pour + l'Angleterre. M. le Maréchal s'occupe de le trouver. Il paraît que + l'opinion générale de Hollande n'est pas contraire à la réunion. + + «Ce qui leur déplaît, c'est l'incertitude où ils sont sur leur sort + futur. Ils paraissent aussi craindre le système de la conscription; + ils demandent également si l'Angleterre continuera à leur payer les + intérêts des fonds qu'ils y ont placés et les intérêts se montent, + dit-on, à 40 millions de florins par an. + + «Je n'ai pas encore vu M. Serrurier. L'aide de camp du maréchal + part à l'instant et je n'ai que le temps de vous renouveler + l'assurance de mon respectueux et bien sincère attachement.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 11 juillet 1810. + + «Monseigneur, la surveillance sur la côte a été observée avec autant + de scrupule que Sa Majesté peut l'avoir désiré, et qui que ce soit + n'est allé en mer, à ma connaissance, depuis le départ du Roi, à + moins que ce ne soit l'ex-ministre de la guerre, Krayenhof, que je + cherche partout et que je ne puis découvrir, mais sur lequel je n'ai + d'autres indices, sinon qu'il serait depuis plusieurs semaines sur + les côtes pour y travailler à sa carte qu'on sait qu'il levait au + nom du Roi. Je n'ai tant cherché ce fonctionnaire que parce qu'il + passe pour un homme perfide et ennemi de la France, qu'enfin j'ai + toujours supposé que l'Empereur le poursuivrait un jour pour sa + conduite pendant son ministère; au reste, s'il est encore en + Hollande, je ne puis manquer de le découvrir, car j'y ai des + intelligences partout. + + «Ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence par mes + dépêches successives, le Prince Royal est en sûreté et se porte + bien; Son Altesse royale est traitée en prince de sa maison et à la + disposition exclusive de l'Empereur. + + «Je n'ai pas manqué de rassurer le pays par tous les moyens qui sont + en moi et qui peuvent l'amener à voir la réunion d'un oeil + tranquille. J'ai constamment parlé dans ce sens, par conséquent dans + celui que vous m'ordonnez au nom de l'Empereur, j'ose même assurer + que ces précautions ont eu leur utilité et que _si ce n'est chez les + personnages en places, qui ont peur de les perdre, on trouvera des + applaudissements_. + + «Sa Majesté sait sûrement qu'il n'a pas dépendu de moi d'empêcher + que les proclamations du Roi, qui exprimaient si singulièrement ses + dernières volontés, ne fussent rendues publiques, puisque c'est le 3 + qu'il les a fait lui-même placarder dans Amsterdam et mettre dans + les journaux, tandis que je ne suis entré que le 4, mais aussitôt + entré, je me suis occupé à faire arracher ce qui ne l'était pas + encore. + + «Les derniers renseignements que j'ai obtenus sur la marche du Roi, + c'est qu'il aurait traversé le 6 la ville de Hanovre, ce qui me fait + espérer qu'il se retire à Cassel où certains personnages d'ici + assurent qu'il était attendu. + + «L'embargo existe en Hollande depuis que j'y commande, je pense que + celui que vous m'ordonnez ne s'étend pas aux pêcheurs qui, au reste, + sont surveillés, mais qu'on ne pourrait, ce me semble, empêcher de + faire ce métier, sans un grand préjudice, à cette classe nombreuse + qui n'existe que par ce moyen, cependant je désire à cet égard une + explication de Votre Excellence. On est occupé du désarmement et de + l'importation des pièces; le pays n'a point donné des signes de + mécontentement à cet égard, seulement le ministre de la guerre a + réclamé, et je n'ai, bien entendu, tenu aucun compte de sa + protestation, qu'il ne faisait, au reste, que parce qu'il pense, que + la mesure est de mon invention. + + «Les fonds ont haussé d'une manière sensible à la bourse d'hier.» + + + OUDINOT À CLURKE. + + Amsterdam, 12 juillet. + + «Monseigneur, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, à midi seulement, la + lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser pour + m'annoncer que Sa Majesté l'Empereur avait nommé Son Altesse + seigneuriale le prince architrésorier son lieutenant général en + Hollande, et que l'intention de l'Empereur était que le prince + trouvât partout sur son passage des escortes de cavalerie, depuis + Nimègue jusqu'à Amsterdam. À la réception de la lettre de Votre + Excellence, je me suis empressé de donner des ordres pour + l'exécution des dispositions qu'elle m'a transmises. Comme je n'ai + pas de cavalerie au-delà d'Utrecht, je crains fort que les + détachements que j'ai fait commander ne puissent arriver à temps + pour escorter Son Altesse à son départ de Nimègue; cependant j'ai + ordonné que la troupe mît la plus grande diligence dans sa marche, + afin de se conformer aux désirs de Sa Majesté. + + «Votre Excellence peut être persuadée que tout sera disposé au delà + d'Utrecht pour rendre au prince les honneurs dus à son rang.» + + + SERRURIER À CADORE. + + 12 juillet 1810. + + «Si l'on en doit croire les entours du Roi, personne autre que les + compagnons de sa fuite n'a été dans la confidence de Sa Majesté, et + tout le monde prétend y avoir été trompé. Beaucoup de MM. les gens + de la cour qui caressaient lâchement les faibles et les erreurs du + Roi l'accusent aujourd'hui avec la même lâcheté, et c'est à qui + renchérira de détails et de chefs d'accusation: ces messieurs sont + fidèles à leur caractère. + + «Il est certain que le Roi avait fait de fausses confidences à ses + officiers, telles que son projet d'aller au Lao, où il avait fait + tout disposer pour le recevoir, et à Aix-la-Chapelle où il s'était + fait annoncer et qu'il a exécuté son dessein avec une profondeur de + secret dont on n'eût pas cru Sa Majesté capable. On assure que deux + ou trois de ses ministres au plus ont été dans la confidence; cela + me paraît difficile. Mais au moins aucun fonctionnaire, douteux pour + la cour et surtout du parti français, n'a été admis au secret. + J'aurais pu être informé par eux seuls, car pour les moyens + d'argent, cet agent excellent pour arracher les secrets de bureau + n'aurait pu prendre sur des hommes de parti et sur des ministres, + sans doute égarés au moins, mais honnêtes gens hors de là et + supérieurs à de pareilles séductions. Puis la cour était à Harlem, + et l'on avait su, par autorité ou par peur, éloigner encore une fois + de moi tout ce qui aurait pu m'instruire. Cet extravagant projet + d'abdication sans le concours de Sa Majesté impériale et royale et + le scandale de la proclamation n'avaient dû ni pu entrer dans la + pensée de personne, et avec tous j'y ai été pris au dépourvu. J'ose + penser que de beaucoup plus habiles ministres l'auraient été + également, et je crois avoir fait dans cette circonstance tout ce + qui était humainement possible pour détourner le Roi de mauvaises + résolutions et pour lui faire inspirer celles que je croyais + conformes à sa gloire et à son intérêt. J'ai eu le bonheur d'obtenir + du reste tout ce que j'avais été chargé de demander, mais l'esprit + du Roi était hors de ma portée et de mon pouvoir. + + «Quand j'ai été instruit, il était trop tard pour rien empêcher. Le + mal était fait. J'aurais inutilement montré du ressentiment et mes + cris d'effroi, et j'aurais compromis mon autorité sans rien arrêter. + J'ai préféré en laisser l'odieux à la cour, la responsabilité aux + ministres et me borner à déclarer froidement que mes fonctions + avaient cessé jusqu'au retour de mon courrier. + + «Le résultat de tant de fautes est que le mot de réunion s'articule + enfin tout haut à Amsterdam. C'est par le commerce que ce voeu + commence à se prononcer. Longtemps comprimée par le respect + qu'inspirait une autorité émanée du trône impérial, l'autorité + affranchie par le départ du Roi commence à s'énoncer avec force et + liberté, et, pour peu qu'elle reçoive d'encouragement, elle + deviendra un cri général. Ce n'est pas qu'il n'y ait en Hollande un + sentiment profond de la patrie et un regret amer de ne pouvoir plus + former une nation, mais les gens raisonnables se demandent où est + cette patrie? et ils ne la trouvent ni dans cette marine + hollandaise, jadis si puissante, aujourd'hui nulle, ni dans l'armée + réduite à 10,000 hommes et bientôt sans recrutement, ni dans ses + institutions dégénérées, ni dans ses moeurs si différentes de celles + des premiers confédérés d'Utrecht, ni surtout dans aucune des + circonstances intérieures et extérieures de cet État, et qui lui ont + valu, dans le passé, une épisode brillante, mais passagère, de + prospérité. C'est l'intérêt qui forme les sociétés politiques, et + c'est lui qui les dissout; et c'est parce que les Hollandais ne + trouvent plus dans leur parti social la sûreté, la protection et + les grands avantages qu'il leur garantissait autrefois qu'ils sont + amenés à en désirer la dissolution et à souhaiter d'entrer dans + cette grande famille qui présente aujourd'hui, par-dessus toutes les + autres, cet attrait et cette garantie à ses voisins. Beaucoup de + négociants sont venus me parler dans cet esprit. J'ai applaudi à + leur zèle et au sentiment juste qu'ils me montraient de l'état réel + de leur patrie. Je leur ai répondu que j'ignorais l'accueil qu'un + pareil voeu recevrait de mon souverain, mais que j'étais assuré que, + quelque décision qui lui fût à cet égard inspirée par l'intérêt de + son empire, Sa Majesté impériale n'apprendrait jamais sans + satisfaction le nom des étrangers qui plaçaient leurs espérances + dans sa protection. J'attendrai pour répondre plus positivement les + instructions de Votre Excellence, et sur toutes choses j'aurai + l'honneur de me concerter avec M. le maréchal duc de Reggio. + + «Je viens de dire, Monseigneur, que l'intérêt bien entendu était le + principe qui déterminait le sentiment d'une nation sur son + institution, et j'ai expliqué par là comment c'est aujourd'hui le + commerce qui exprime le premier ce voeu de réunion. Je n'ai pas pour + cela prétendu dire qu'il n'y eût pas de nobles exceptions à cette + loi de l'intérêt, et je n'en avais pas besoin, puisque les + exceptions n'ont jamais détruit un principe. Oui, sans doute, il est + partout des âmes privilégiées parmi les hommes qui, indépendamment + de tout calcul, tiennent à leur patrie par un aveugle, mais noble + instinct, et la Hollande, malgré son esprit mercantile, renferme + encore de nobles citoyens. Mon avis est qu'il faut les admirer et + les acquérir, mais qu'ils ne changent rien aux calculs généraux que + l'on doit faire sur une nation. + + «Le nivellement des lignes et l'évacuation du matériel de + l'artillerie sur Anvers ne rencontrent aucune difficulté. Le + ministre de la guerre a d'abord fait quelques représentations, mais + le maréchal n'a pas tardé à lui faire expédier les ordres + nécessaires à cette opération. Tout le monde voit avec plaisir la + destruction de ces lignes, source de tant de chagrins et de fautes. + Elles furent commencées en 1787, à l'occasion des Prussiens qu'elles + n'arrêtèrent pas, et il a fallu la démence de don Quichotte + Krayenhoff pour imaginer qu'elles dussent arrêter les aigles + impériales. Amsterdam ne demande qu'à rester la première banque de + l'Europe et à se livrer tout entière, à l'ombre d'une grande + puissance, à son industrie et à son commerce. + + «Les ministres s'abstiennent de tout acte de régence, et le maréchal + les tient en respect. + + «_P.-S._--Le ministère de la police se prétend instruit que le Roi a + passé à Hanovre le 6. Depuis là, la trace de Sa Majesté est + incertaine. Quelques-uns prétendent qu'il se rend par Lumbourg à + Altona où les embarquements pour l'Amérique sont faciles. Peut-être + en saurai-je plus demain.» + + + SERRURIER À CADORE. + + 13 juillet 1810. + + «J'ai reçu hier à midi le courrier que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'expédier de Rambouillet le 9 de ce mois. J'ai fait + part aussitôt à M. le maréchal duc de Reggio des grandes + dispositions que votre dépêche renferme. + + «De concert nous avons vu les principaux fonctionnaires et nous + sommes satisfaits de la disposition d'esprit dans laquelle le décret + de réunion a été reçu. Déjà comme Votre Excellence le verra par mon + numéro d'hier, le voeu commençait à s'exprimer hautement pour la + réunion, et la nouvelle en a été fort bien accueillie. La réunion + est aujourd'hui considérée par les esprits froids comme le port de + salut de la Hollande, et si l'on a un regret, c'est qu'elle n'ait + pas eu lieu quelques années plus tôt, mais alors les événements + n'étaient pas encore mûrs. + + «Je me suis présenté hier soir chez M. Van-der-Heim; j'y retournerai + ce matin pour concerter tout ce qui a rapport à l'arrivée de + monseigneur l'architrésorier. Le maréchal a donné des ordres pour la + réception de Son Altesse, et nous irons dans sa voiture à une + demi-lieue au-devant d'Elle. + + «Le bourgmestre continue de se conduire fort bien. Il a mieux reçu + que je ne m'y attendais la nouvelle de la réunion. Je savais qu'il + craignait d'en être considéré par ses compatriotes comme + l'instrument. Le maréchal a été également fort content de lui à + cette occasion. M. Van-der-Poll fait toutes ses dispositions pour + bien recevoir le prince. Son exemple a de l'autorité dans Amsterdam + et entraînera toute la magistrature. Je croirais d'un bon effet que + Sa Majesté impériale et royale jugeât devoir faire quelque chose + pour ce magistrat. + + «Le commerce est satisfait. L'article 2, qui déclare Amsterdam la + troisième ville de l'empire, flatte l'orgueil national et adoucit le + chagrin de cesser de former une nation. La mesure de 50 % sur les + denrées coloniales en les laissant aux propriétaires a beaucoup + tranquillisé le commerce et contente tout le monde. Elle donnera + beaucoup au fisc et personne ne s'en plaindra. + + «L'article de la rédaction blesse cruellement les propriétaires de + rentes, mais cette mesure était devenue inévitable. On en gémit plus + qu'on ne s'en plaint, et la certitude de payements réguliers aidera + à adoucir cette plaie. Il faut s'attendre qu'elle produira un vide + sensible dans les contributions à venir, mais l'intention de + l'Empereur étant de les réduire, cet inconvénient sera moins + sensible. + + «Les Hollandais sont également très frappés de la magnifique + représentation que Sa Majesté impériale leur accorde dans les trois + grands corps de l'État; ils ne s'attendaient pas à plus de moitié. + Cette disposition fait plus de bien encore qu'on n'en avoue. Elle + ouvre la porte à bien des ambitions et à bien des espérances qui + n'osent pas encore éclater parmi les regrets de la patrie, mais qui + germent déjà profondément. + + «En général, tout le monde s'accorde à admirer les sages + dispositions de ce décret de la réunion si promptement conçu et + arrêté. + + «Votre Excellence peut compter sur mon empressement à aider Son + Altesse l'architrésorier de l'empire de ce que je puis avoir acquis + de connaissance du pays et des personnes. + + «Je rendrai un compte journalier à Votre Excellence, comme elle le + demande. Je suis fort aise d'apprendre qu'une estafette va être + établie de Paris à Amsterdam. Elle portera à Votre Excellence un + bulletin de tous les jours. Jusque-là, il n'a pas dépendu de moi que + mes dépêches parvinssent rapidement à Votre Excellence, je ne + pouvais que les envoyer au quartier général et les recommander + fortement. + + «Le coeur de l'amiral de Winter saigne. Ce brave homme regrette que + les fautes de son gouvernement aient amené la réunion de son pays, + et il croyait encore à la possibilité de lui conserver une + administration séparée et de la rattacher inséparablement à la + France. Du reste, c'est un intrépide soldat, un Français de système + déjà depuis quinze ans, admirateur enthousiaste de l'Empereur, et + qui sera consolé quand il verra son pays heureux sous les lois d'un + si grand prince. C'est un de ces hommes dont je parlais hier à Votre + Excellence. Le maréchal le juge comme moi. + + «Je ne réexpédierai mon courrier que ce soir à Votre Excellence. Je + désire pouvoir lui faire connaître les dispositions que le ministère + m'aura montrées, mais je ne doute pas que tant de clémence ne les + touche profondément. + + «J'interromps ma dépêche. + + «M. Van-der-Heim sort de chez moi. Il était fort ému; il m'a dit + qu'il n'attendait que sévérité de la part de Sa Majesté impériale, + et que le ministère n'en éprouvait, au contraire, dans ces + circonstances si pénibles pour tous, que des marques de grandeur et + de générosité. Il n'avait pas d'expression pour me rendre combien il + était frappé et touché de la grandeur d'un pareil traitement. Tous + ses collègues partageaient ses sentiments et sa reconnaissance. Ils + feront tout, m'a dit M. Van-der-Heim, pour justifier l'estime que Sa + Majesté impériale daigne leur montrer. Tout le monde interroge M. + Janssens et sort charmé de ses réponses. + + «Le palais est préparé pour recevoir le prince architrésorier, et M. + Van-der-Heim m'a dit que le conseil avait décidé de faire rendre à + Son Altesse seigneuriale les plus grands honneurs qui soient à + accorder. + + «Un courrier du prince, descendu chez le maréchal, lui annonce sa + prochaine arrivée. Je dîne chez M. le duc, et, aussitôt que nous + serons avertis de l'approche de Son Altesse seigneuriale, nous + monterons en voiture pour aller au-devant d'elle. + + «M. Van-der-Heim m'a dit qu'il avait eu ici des nouvelles de Hanovre + du Roi; que sa santé était à cette époque bonne; qu'on le supposait + dans le voisinage; que le Roi témoignait le désir d'apprendre si les + Français avaient été bien reçus et si ses ordres à cet égard avaient + été remplis; qu'il ne croyait pas, lui ministre, à un embarquement, + et que Sa Majesté avait, lors de l'abdication, montré à la vérité le + désir d'être en Amérique, mais une juste répugnance à courir la + chance d'être amené en Angleterre. M. Van-der-Heim ajouta avec + sensibilité que le dernier voeu, mais bien ardent de ses anciens + sujets, était que Sa Majesté impériale pût lui pardonner et le + rapprocher d'elle. Il persista dans l'opinion que le Roi n'était + point embarqué; mais je ne pus en obtenir l'aveu qu'il connût le + lieu de sa retraite. + + «Je verrai ce soir et demain beaucoup de fonctionnaires, de + militaires et de négociants, et je remplirai les intentions de Sa + Majesté impériale et royale. La garde est enchantée. + + «_P.-S._--On a répandu ici le bruit que Sa Majesté l'Empereur, + indigné des faux rapports qui lui avaient été faits par M. de + Larochefoucauld sur la Hollande, l'avait fait arrêter et conduire au + Temple. Je ne rends compte à Votre Excellence de ce bruit ridicule + que parce qu'il a occupé hier et avant-hier tout Amsterdam.» + + + SERRURIER À CADORE. + + 14 juillet 1810. + + «Monseigneur, l'architrésorier de l'empire est arrivé ce matin; le + maréchal duc de Reggio a fait rendre à Son Altesse seigneuriale tous + les honneurs dus au lieutenant général de Sa Majesté l'Empereur et + Roi, et le gouvernement provisoire avait de son côté fait les + dispositions pour bien recevoir Son Altesse. Le bourgmestre et le + président des ministres l'ont complimentée. Son Altesse a paru + satisfaite de sa réception. Elle est descendue au palais. + + «J'ai reçu ce matin, par un courrier extraordinaire de M. le comte + de Lavalette, l'annonce du décret impérial du 10 de ce mois, qui + ordonne l'établissement d'un service journalier en estafette de + Paris à Amsterdam et d'Amsterdam à Paris. Ce courrier était la + première expédition, et désormais ce service ne souffrira plus + d'interruption. J'ai fait parvenir sur-le-champ au prince + architrésorier les dépêches qu'elle m'a apportées pour lui. J'ai + aussi fait remettre celle qui était à l'adresse de M. le maréchal + duc de Reggio. L'expédition de l'estafette se fera désormais de chez + le prince. + + «Parmi le tumulte des premières présentations je n'ai pu encore + entretenir bien sérieusement le prince. Je dois ce soir me rendre + chez Son Altesse, après l'expédition de l'estafette, pour parler + affaire avec un peu plus de suite. + + «J'ai annoncé à Son Altesse l'arrivée de M. d'Auterive, chargé d'une + mission spéciale de Sa Majesté impériale. Je proposerai ce soir au + prince les moyens les plus propres à assurer le succès de son + opération. Si des papiers ont dû être soustraits, l'enlèvement en + aura été fait dans ces huit premiers jours, mais ce qui existe sera + conservé, et peut-être sera-t-il possible de retrouver la trace de + ce qui a été enlevé. Je ne puis encore rien garantir à cet égard. + + «La seule affaire importante dont j'ai trouvé le moment de parler au + prince a été le moyen que j'imagine le meilleur pour arriver à la + trace du Roi. M. de La Tour, son médecin, a reçu de M. Van-der-Heim + l'ordre de joindre Sa Majesté. Mais, soit scrupule envers la France, + soit timidité ou tout autre motif, il a refusé jusqu'ici de partir. + M. de La Tour a l'ordre de se rendre à un point quelconque où il + recevra de nouveaux ordres qui le conduisent jusqu'au roi. En + faisant partir le médecin et en le faisant suivre, on trouverait + sûrement la trace de Sa Majesté, à moins que la défiance ne l'ait + fait renoncer à son docteur et changer les indications données. Le + prince archichancelier est entré dans cette idée. Son Altesse a dit + à M. de La Tour que son opinion était que Sa Majesté l'empereur ne + trouverait pas mauvais que le médecin du roi l'attachât à ses pas, + et son projet est de le faire suivre. + + «J'ai causé ce matin avec les principaux personnages et les + ministres. Tout le monde a plus ou moins pris son parti, et toutes + les espérances se trouvent du côté du nouvel ordre de choses. Les + ministres m'ont dit que tout était facile à arranger, excepté les + finances. Leur opinion était que le service de ces six derniers mois + d'exercice provisoire présenterait les plus extrêmes embarras. Ils + se proposaient d'en rendre immédiatement compte au prince + architrésorier. + + «La ville est parfaitement tranquille, et c'est à peine si l'on + s'aperçoit que le pays a changé de domination. Le maréchal a donné + les ordres pour l'embargo et pour empêcher l'émigration.» + + + OUDINOT À CLARKE. + + 14 juillet 1810. + + «Monseigneur, le ministre de la marine, président du Conseil des + ministres, questionné par quelqu'un sur la retraite du roi, a + déclaré qu'il croyait Sa Majesté à Hanovre; sur l'observation qui + lui fut faite que le bruit était généralement répandu dans le public + que Sa Majesté s'était embarquée pour l'Amérique, il répondit qu'au + moment de l'abdication on avait agité dans le Conseil des ministres + la question de savoir où il serait convenable que Sa Majesté se + retirât et, qu'entre autres opinions émises à cet égard, quelqu'un + avait parlé de l'Amérique. Sur quoi le roi avait dit: «_Ah! oui, je + voudrais bien être en Amérique._» Mais que l'idée de la possibilité + d'être pris en mer par les Anglais et conduit à Londres l'avait + empêché de s'embarquer et décidé à se retirer à Loo. Un courrier, + expédié au roi par le président de la Régence, s'étant rendu dans ce + château et n'ayant point trouvé Sa Majesté, a si bien suivi la trace + de sa route qu'il l'a atteint à Hanovre où il lui avait remis ses + dépêches. Ce courrier a rapporté que Sa Majesté se portait bien, + qu'elle avait demandé avec beaucoup d'intérêt des nouvelles de la + Hollande et des détails sur la réception des Français à Amsterdam. + + «Le ministre de la marine a déclaré qu'il n'avait pas de raison de + croire que Sa Majesté avait quitté Hanovre.» + + + LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE. + + Amsterdam, 14 juillet 1810. + + «Monseigneur, S. A. le prince architrésorier de l'empire est arrivé + ce matin en bonne santé. Elle a reçu partout les honneurs dus à son + rang. Elle n'a point tenu la route de Nimègue, ainsi que Votre + Excellence me le mandait, mais bien celle de Mardick et par Gauda. + + «On a remarqué avec satisfaction la garde nationale sous les armes + mêler ses témoignages à ceux des troupes françaises et + ex-hollandaises, ce qui signifie, ainsi que je l'ai prédit, que le + pays sera bientôt à l'unisson des Français. Le bourgmestre, M. Van + der Poll, homme essentiel dans son poste, qui n'a cessé de donner + des garanties sur ses sentiments pour l'empereur, n'a réaccepté son + emploi qu'ensuite de la promesse qu'il pourrait obtenir sa démission + après quinzaine. Il demande qu'on lui tienne parole, mais je compte + insister près du prince pour que ce magistrat respectable soit de + nouveau invité à continuer ses fonctions. Il établit sa demande sur + sa mauvaise santé. Le véritable motif est qu'il n'est pas assez + courageux pour résister aux apostrophes que lui font les Orangistes + de s'être abandonné au système français, qu'enfin il voudrait en se + retirant à la campagne y jouir du repos qu'il réclame. + + «Si l'empereur, dont on apprécie tous les bienfaits de son décret en + faveur de la Hollande, pouvait donner l'espoir d'une visite dans + cette nouvelle partie de son empire, cela donnerait l'élan qu'il + faut pour le napoléoniser entièrement. Au reste, la tranquillité + règne et personne, je pense, n'osera la troubler. + + «M. le duc de Plaisance étant chargé de l'organisation du pays et + des finances, je crois qu'il serait désormais superflu de m'en + occuper et d'entretenir Votre Excellence d'autres choses que du + militaire. + + «M. le général comte de Lauriston, aide de camp de l'empereur, + recevra, ce matin, Son Altesse le grand-duc, qui sera ensuite + conduit à Amsterdam. Ce prince trouvera ici les mêmes honneurs qu'à + Harlem. + + «Je ne puis m'empêcher de réitérer à Votre Excellence une demande de + quatre généraux de brigade et deux ou trois adjudants-commandants, + de quelques officiers d'état-major et du génie, et enfin d'un + service en chef de santé, et de demander M. le général Maison pour + une de mes deux brigades vacantes et les adjudants-commandants + désignés par mes précédentes; tous sont dans leurs foyers, quand je + pourrais les employer ici utilement. + + «On est occupé à faire la reconnaissance des îles désignées par la + lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 9 de + ce mois. Ci-joint un mémoire sur celle de Schouren dont je vous ai + adressé un exemplaire dans les temps; l'auteur mérite un certain + crédit. + + «Demain je passe en revue la garde et le jour suivant celle de deux + régiments de ligne. Cette troupe prêtera le serment et d'avance je + garantis de l'enthousiasme. + + «Maintenant, mon cher duc, que les intentions de l'empereur seront + remplies relativement à ce pays, ne pourriez-vous pas solliciter en + ma faveur un congé de vingt à vingt-cinq jours? il m'en faudrait 10 + pour l'aller et le retour et le reste pour arranger mes affaires qui + sont en si mauvais état, faire lever les scellés et enfin prendre de + nouveaux termes avec mes créanciers qui me persécutent et troublent + mon repos. Voyez, je vous prie, si vous voulez me rendre ce + service.» + + + OUDINOT À CLARKE. + + 14 juillet 1810. + + «Monseigneur, M. le général Lauriston s'est rendu ce matin à Harlem, + près de S. A. S. le grand-duc de Berg, qui lui a été remis par M. le + général Bruno. Toutes les dispositions prescrites par la lettre que + Votre Excellence m'a fait l'honneur de vous écrire le 10 de ce mois, + pour faire escorter le prince jusque sur le territoire français, ont + été exécutées. J'ai également prévenu l'intendant-général du roi que + les domaines appartenant à la couronne ne devaient pas être vendus + et que toute disposition faite à cet égard par ordre de Sa Majesté, + avant l'arrivée du prince architrésorier, serait déclarée nulle, et + je l'ai invité à suspendre l'effet de toutes les ventes qui auraient + pu être faites avant cette époque.» + + + LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE. + + Amsterdam, 24 juillet 1810. + + «Monseigneur, je reçois à l'instant de Hambourg les renseignements + suivants sur la route qu'aurait tenue le roi de Hollande. Sa Majesté + doit avoir passé le 5 de ce mois à Osnabruck et le 12 à Dresde, se + rendant aux bains de Toeplitz et de Carlsbaden en Bohême.» + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + + Pages + + PRÉFACE I + + I. LE ROI JOSEPH 1 + + II. LE ROI LOUIS 86 + + III. LE ROI JÉRÔME 164 + + + APPENDICE. Correspondance diplomatique relative + à la Hollande pendant le règne du roi Louis, + de juin 1806 à juillet 1810 i + + + + + + +End of Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER *** + +***** This file should be named 30604-8.txt or 30604-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/0/6/0/30604/ + +Produced by Mireille Harmelin, Christine P. Travers and +the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. 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General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/30604-8.zip b/30604-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..65622e2 --- /dev/null +++ b/30604-8.zip diff --git a/30604-h.zip b/30604-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..cfe8f46 --- /dev/null +++ b/30604-h.zip diff --git a/30604-h/30604-h.htm b/30604-h/30604-h.htm new file mode 100644 index 0000000..8248109 --- /dev/null +++ b/30604-h/30604-h.htm @@ -0,0 +1,33047 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html lang="fr"> + +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1"> +<title>The Project Gutenberg e-Book of Les Rois Frères de Napoléon Ier; Author: Le Baron du Casse.</title> + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {font-size: 1em; text-align: justify; margin-left: 08%; margin-right: 10%;} + +h1 {font-size: 115%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em; line-height: 1.8em;} +h2 {font-size: 110%; text-align: center; margin-top: 4em; margin-bottom: 2em;} +h3 {font-size: 105%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} + +a:focus, a:active { outline:#ffee66 solid 2px; background-color:#ffee66;} +a:focus img, a:active img {outline: #ffee66 solid 2px; } + +sup {line-height: 0em;} + +ul.none {list-style-type: none; margin-left: 10%; margin-right: 15%;} + +table {border-collapse: collapse; table-layout: fixed; + width: 90%; margin-left: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;} + +p {text-indent: 1em;} +.tn p {margin-left: 10%; width: 80%; text-indent: 0em; font-size: 90%;} + +.p2 {margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} +.p4 {margin-top: 4em; margin-bottom: 1em;} + +.smcap {font-variant: small-caps; font-size: 95%;} +.smaller {font-size: smaller;} + +.center {text-align: center; text-indent: 0em;} +.right {text-align: right;} +.top {vertical-align: top;} + +.lettre {margin-top: 1.5em; margin-left: 5%; font-size: 95%;} +.date {margin-right: 5%; text-align: right;} +.sig {margin-right: 10%; text-align: right;} +.adresse {margin-left: 5%;} +.poem {margin-left: 10%; font-size: 95%; text-indent: 0em;} + +.ouvrage li {margin-top: 0.6em;} + +.ind1em {text-indent: 1em;} +.min10emli {margin-right: 10em; text-align: right;} + +.pagenum {visibility: hidden; + position: absolute; right:0; text-align: right; + font-size: 10px; + font-weight: normal; font-variant: normal; + font-style: normal; letter-spacing: normal; + color: #C0C0C0; background-color: inherit;} + +.ralign {position: absolute; right: 10%; top: auto;} + +--> +</style> + +</head> + +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. 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Les différentes orthographes n'ont pas été standardisées, +de même pour les noms propres et les noms de villes.</p> +</div> + +<h1><span class="smaller">LES ROIS</span><br> +FRÈRES DE NAPOLÉON I<sup>er</sup></h1> + +<p class="p2 center">DOCUMENTS INÉDITS<br> +RELATIFS AU PREMIER EMPIRE</p> + +<p class="p2 center"><span class="smaller">PUBLIÉS PAR</span><br> +LE BARON DU CASSE</p> + +<p class="p4 center smaller">PARIS<br> +LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE <span class="smcap">et</span> C<sup>ie</sup><br> +108, <span class="smcap">BOULEVARD SAINT-GERMAIN</span><br> +Au coin de la rue Hautefeuille</p> + +<p class="p2 center smaller">1883<br> +<i>Tous droits réservés.</i></p> + + +<h2>OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:</h2> + +<ul class="none ouvrage"> +<li><i>Mémoires du roi Joseph</i>, 10 vol. in-8<sup>o</sup> avec album de 20 batailles + gravées. Perrotin, éditeur.</li> + +<li><i>Histoire des négociations relatives aux traités de Mortefontaine, de + Lunéville et d'Amiens</i>, 3 vol. in-8<sup>o</sup>. Dentu.</li> + +<li><i>Mémoires du prince Eugène</i>, 10 vol. in-8<sup>o</sup>. Michel Lévy.</li> + +<li><i>Vandamme et sa correspondance</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Arrighi de Casa Nova, duc de Padoue</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Précis des opérations de l'armée de Lyon en 1814</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Précis des opérations de la guerre d'Orient en 1854</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Opérations en Silésie, 1806 et 1807</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup> avec atlas.</li> + +<li><i>Mémoires pour l'histoire de la campagne de 1812</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Histoire anecdotique du coup d'État</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Souvenirs d'un officier du 2<sup>e</sup> zouaves</i> (attribué à tort au général + Cler), 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Le duc de Raguse devant l'histoire</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Les erreurs militaires de M. de Lamartine</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon I<sup>er</sup></i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Histoire anecdotique de l'ancien théâtre</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> +</ul> + + +<h3>ROMANS:</h3> + +<ul class="none ouvrage"> +<li><i>Rambures</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Du soir au matin</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li> + +<li><i>Quatorze de dames</i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Les suites d'une partie d'écarté</i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Le conscrit de l'an VIII</i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Le marquis de Porzaval</i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>M. Putau</i>, 1 vol. in-12.</li> + +<li><i>Les variétés militaires</i>, 1 vol. in-18.</li> + +<li><i>Les origines</i>, 1 vol. in-18.—Etc., etc., etc.</li> + +<li>Sous presse: <i>Le Panthéon fléchois.</i></li> +</ul> + + +<h2><span class="pagenum"><a id="pageI" name="pageI"></a>(p. I)</span> PRÉFACE</h2> + + +<p>Dans les premières années du second empire, commença à paraître à la +librairie Perrotin un ouvrage en dix volumes qui fit sensation dans +le monde littéraire et politique, les <i>Mémoires du roi Joseph</i>, qui +donnaient sur l'empereur Napoléon I<sup>er</sup>, sur son règne et sur +l'histoire de cette grande époque des aperçus entièrement nouveaux. +Des documents importants et irrécusables corroborant les faits se +trouvaient en grand nombre dans ces dix volumes, et, malgré le +succès de l'<i>Histoire du Consulat et de l'Empire</i> de M. Thiers, les +<i>Mémoires du roi Joseph</i> furent accueillis avec une haute faveur +dans les régions élevées et savantes.</p> + +<p>Peu de temps après l'entière publication de cet ouvrage, en parut un +autre du même auteur et du même genre, <i>Mémoires et correspondance +du prince Eugène</i>, également en dix volumes.</p> + +<p>Ces deux publications historiques capitales, faites avec +impartialité, donnèrent la pensée au gouvernement impérial de réunir +en un magnifique ouvrage toutes les lettres écrites ou dictées par +Napoléon I<sup>er</sup>, et de livrer à la publicité un admirable monument +d'histoire moderne. Malheureusement, le nombre considérable des +lettres et des documents collectionnés dans les archives du +gouvernement et dans les archives des particuliers fit rejeter +l'idée de joindre à ces lettres de l'empereur les réponses et des +notes explicatives.</p> + +<p>Immédiatement après la mort du dernier des frères de Napoléon +<span class="pagenum"><a id="pageII" name="pageII"></a>(p. II)</span> I<sup>er</sup>, en 1860, parut également un ouvrage en sept volumes +intitulé: <i>Mémoires du roi Jérôme.</i></p> + +<p>On serait en droit de penser que la collection de ces quatre grandes +publications est de nature à donner l'idée la plus complète de tous +les faits historiques qui s'accomplirent sous le premier empire, et +qu'ils mettent entièrement à jour la politique du grand empereur. Il +n'en est cependant pas réellement ainsi.</p> + +<p>Il faut du temps pour débarrasser l'histoire de ses langes.</p> + +<p>Tel document publiable à une époque éloignée aurait eu des +inconvénients à être publié à une époque plus rapprochée. Mais ce +qui ne pouvait voir le jour il y a quelques années peut paraître +aujourd'hui.</p> + +<p>Tout n'a donc pas été inséré dans les quatre ouvrages publiés sous +le deuxième empire. Nous pouvons affirmer néanmoins que rien n'a été +changé dans les documents qui se trouvent aux Mémoires <i>Joseph</i> et +<i>Eugène</i>, et que l'auteur s'est borné à supprimer quelques phrases +et à les remplacer par des points; qu'un certain nombre des lettres +de Napoléon I<sup>er</sup> a été supprimé dans la correspondance de +l'empereur, principalement celles écrites au roi Louis, père de +Napoléon III. Quant aux <i>Mémoires du roi Jérôme</i> publiés sous la +direction de son fils, le prince Napoléon, et sans nom d'auteur, +nous croyons savoir que cet ouvrage est loin d'avoir la moindre +prétention à la vérité historique.</p> + +<p>Récemment, un volume intitulé: <i>Napoléon et le roi Louis</i> a paru. Il +renferme la collection presque complète des lettres de l'empereur au +troisième de ses frères.</p> + +<p>Ces ouvrages, qui ont une grande valeur historique, ne font pour +ainsi dire qu'effleurer plusieurs des grands faits du premier +empire. Ainsi, dans l'histoire du règne du roi Louis, les démarches +faites pour changer en royauté la république batave, les +négociations entreprises pour mener à bien la mission de M. de +Labouchère à Londres, sont à peine indiquées. Cela vient de ce que +l'empereur traçait ses intentions à ses agents, à ses ministres, à +ses frères à grands traits, laissant souvent à ces derniers le soin +des moyens à prendre pour l'exécution de sa volonté.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageIII" name="pageIII"></a>(p. III)</span> Nous avons eu la pensée de recourir à la correspondance +diplomatique de cette époque pour compléter, autant que possible, +l'histoire des frères de Napoléon I<sup>er</sup> qui est aussi l'histoire de +la plupart des États de l'Europe. En outre, nous joindrons à ces +documents un grand nombre des lettres ou portions de lettres omises +à dessein dans les ouvrages publiés sous le second empire, puis des +pièces curieuses relatives à ces souverains et complètement +inconnues.</p> + +<p>Cet ouvrage, sorte de complément de ceux qui déjà ont paru, et +intitulé: <i>Les rois frères de Napoléon</i>, comprend un grand nombre de +documents inédits relatifs au premier empire.</p> + + +<h1><span class="pagenum"><a id="page001" name="page001"></a>(p. 001)</span> LES FRÈRES<br> +DE NAPOLÉON I<sup>er</sup></h1> + + +<h2>I.<br> +<span class="smaller">LE ROI JOSEPH</span></h2> +<h3>(1797-1808).</h3> + + +<p>Jusqu'au jour où la politique et la raison d'État vinrent se mettre +en travers de ses affections naturelles, l'empereur Napoléon I<sup>er</sup> se +montra un frère dévoué, principalement avec Joseph son aîné, qui, à +la mort de leur père, Charles Bonaparte, était devenu le chef de la +famille. Né en janvier 1768, Joseph avait dix-huit mois de plus que +son second frère Napoléon, né lui-même en août 1769. Lors de la +perte qu'ils firent de leur père, l'un avait donc 17 ans, l'autre 15 +ans et demi.</p> + +<p>Jeté de bonne heure au milieu des affaires publiques, devenu un +personnage politique important, à l'âge où l'on sort à peine de +l'adolescence, un général renommé à l'âge où l'on ceint à peine une +épée, Napoléon, de fait le chef de sa famille, voulut associer ses +frères à sa grandeur. Une fois à la tête du gouvernement, il les +porta aux premières charges de l'État; empereur, il voulut pour eux +des trônes, et, pour les y asseoir, prononça la déchéance des +anciennes familles royales de l'Europe. Mais si l'ambition dominait +tout chez ce grand capitaine, chez ce puissant génie, ses frères +n'avaient pas le <span class="pagenum"><a id="page002" name="page002"></a>(p. 002)</span> même amour des grandeurs. Deux d'entre +eux, Joseph et Louis, esprits modérés et éclairés, n'acceptèrent des +couronnes qu'après beaucoup d'hésitation, bien plus pour céder aux +exigences de leur frère, devenu le maître du monde, que pour obéir à +leurs propres instincts. L'un d'eux, Lucien, se montra toujours +rebelle à cet égard aux volontés de Napoléon. Il entendait vivre à +sa guise, sans se plier aux vues de l'empereur. Enfin, le quatrième, +Jérôme, léger de caractère, ami du plaisir, acceptait volontiers la +tutelle fraternelle, à la condition de pouvoir puiser sans cesse +dans le trésor impérial.</p> + +<p>Nous allons exposer les relations de Napoléon avec ses frères à +différentes époques de leur carrière, en rétablissant certaines +parties de leur correspondance omises à dessein dans les ouvrages +publiés jusqu'à ce jour.</p> + +<p>Commençons par Joseph, l'aîné des Bonaparte, successivement roi de +Naples et d'Espagne.</p> + +<p>Nous croyons inutile de parler des premières années de Joseph +Bonaparte. Nous allons le prendre au moment où il commença à entrer +dans la vie politique et à jouer un rôle dans la diplomatie.</p> + +<p>À la suite de sa brillante campagne de 1796 en Italie, le général +Bonaparte, déjà tout-puissant, fit nommer Joseph ambassadeur dans +les États romains. Celui-ci se rendit à Rome à la fin de 1797. +Conformément aux instructions de son frère et du Directoire, il fit +tous ses efforts pour maintenir l'harmonie entre le gouvernement +pontifical et la France. Il n'y put réussir. Les relations entre les +deux États s'envenimèrent par la nomination d'un général autrichien +(Provera), trois fois prisonnier de l'armée de Bonaparte, comme +commandant de la troupe pontificale. Les justes plaintes de Joseph à +cette occasion enhardirent d'une autre part les révolutionnaires +romains, qui se figurèrent que nous ne pouvions faire autrement que +de les soutenir dans leurs tentatives pour renverser le gouvernement +pontifical. Cet état de choses amena l'échauffourée du 7 décembre, +qui coûta la vie au jeune et brillant général Duphot, et nécessita +le départ de Rome du ministre de la légation de France. Joseph, +pendant son séjour dans la ville éternelle, échangea avec son frère +une correspondance intéressante; nous connaissons les lettres de +Napoléon par le recueil officiel publié sous le second empire; les +dépêches de Joseph, au contraire, n'ont été imprimées ni dans les +<i>Mémoires du roi Joseph</i> ni ailleurs; nous choisissons les plus +curieuses pour les donner ici.</p> + + +<h3><span class="pagenum"><a id="page003" name="page003"></a>(p. 003)</span> I.</h3> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Rome, 24 fructidor an V (10 septembre 1797).</p> +<p class="center smcap">Joseph au général en chef Bonaparte.</p> + +<p>J'ai reçu, citoyen général, la lettre à laquelle étaient jointes + plusieurs pièces relatives à l'arrestation de MM. Angeloni, + Bouchard, Oscarelli<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a>, Vivaldi, etc. Les informations que j'ai + prises sur eux, depuis que je suis à Rome, sont conformes à l'idée + qu'on en donne dans les lettres qui vous ont été envoyées par le + citoyen Monge; ils ont manifesté le désir et le projet de changer le + gouvernement romain. S'ils ont senti et pensé comme les Brutus et + les grands hommes de l'antiquité, ils ont parlé comme des femmes et + agi comme des enfants; le gouvernement les a fait arrêter. Comme ils + n'avaient point de plan déterminé, on n'a rien trouvé chez eux qui + pût les accuser; mais on en avait trouvé cinquante réunis à la villa + Médicis; mais la ville entière connaissait les projets dont ils se + vantaient sans avoir aucun moyen de les mettre à exécution.</p> + +<p>Quelques-uns d'entre eux, et précisément ceux qui, par leurs + talents, paraissent être les chefs, étaient munis de certificats + honorables de la commission des Arts<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a>; mais ces certificats et la + liaison qu'ils ont eue avec les commissaires français, loin d'être + cause de leur arrestation, l'ont suspendue durant quelques instants, + et l'on n'a procédé contre eux qu'après que le citoyen Cacault eut + déclaré que les certificats des commissaires prouvaient pour le + passé et non pour l'avenir; qu'ils ne pouvaient d'aucune manière + être regardés comme des actes de garantie pour des faits ignorés et + absolument étrangers aux commissaires et à tout autre individu + français.</p> + +<p>Depuis cet événement, on est convaincu dans Rome que les Français + n'ont aucun rapport avec ce qui s'est passé, et aucun d'eux n'a + éprouvé le moindre désagrément qui puisse le faire croire.</p> + +<p>Cependant, j'ai voulu pressentir quelles étaient les intentions du + gouvernement sur les individus arrêtés, et surtout sur ceux auxquels + vous croyez devoir prendre un certain intérêt: le secrétaire + d'État<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a> m'a assuré <span class="pagenum"><a id="page004" name="page004"></a>(p. 004)</span> que Corroux et son frère n'ont point + été arrêtés; que le juif Ascarelli venait d'être mis en liberté; + qu'il croyait que Vivaldi allait l'être bientôt; que, quant à + Angeloni et Bouchard, qui sont les plus compromis, avant la sentence + définitive je serais informé de l'état du procès, et que le + gouvernement se prêterait à ce que les Français paraîtront désirer.</p> + +<p>Je ne pense pas que le système de sang ou d'extrême rigueur qui a + prévalu dans quelques États voisins prenne ici; il y a bien quelques + prêtres influents du caractère des persécuteurs des Albigeois, mais + ils n'osent pas encore se livrer à l'ardeur de la persécution. Le + secrétaire d'État, homme doux et honnête, les surveille. Tant qu'il + pourra quelque chose, je ne crains pas les scènes de sang; mais il + n'a pas, je pense, tout le crédit qu'il mérite.</p> + +<p>Il est inutile que j'entre dans plus de détails: il suffit que je + vous assure que je ne perdrai pas de vue le sort des personnes + arrêtées.</p> +</div> + + +<h3>II.</h3> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Rome, 3 vendémiaire an VI (24 septembre 1797).</p> +<p class="center smcap">Joseph Bonaparte, ambassadeur de la République, au général en chef + Bonaparte.</p> + +<p>Hier au soir, le pape<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a> a été indisposé; on espérait cependant + qu'il serait en état d'aller aujourd'hui, jour de dimanche, à + Saint-Pierre; mais la fièvre l'a saisi avec des attaques + d'apoplexie; il a reçu le viatique à trois heures après midi. Il est + dans ce moment dans un état presque désespéré, et l'on craint qu'il + ne résiste pas au redoublement de demain.</p> + +<p>Cet événement peut en faire naître plusieurs d'une nature bien + différente, selon les impulsions que l'on donnera à l'opinion et aux + affaires de cette ville.</p> + +<p>Vous connaissez, citoyen général, les instructions qui m'ont été + données par le Directoire; mais sa situation, celle de la France et + de l'Italie ne sont plus les mêmes.</p> + +<p>Si les républicains qui existent à Rome, et dont quelques-uns sont + encore arrêtés, s'ébranlent pour tenter un mouvement qui les + conduise à la liberté, il est à craindre que Naples ne profite d'un + instant d'oscillation pour faire enfin un mouvement réel et pousser + ses troupes jusqu'à Rome. Dans ce cas, nul doute que le succès ne + fût pour les partisans de la coalition dans Rome.</p> + +<p>Naples ne tentera jamais ce mouvement s'il craint d'être prévenu par + les troupes françaises. Il serait donc à désirer que vous puissiez + faire filer <span class="pagenum"><a id="page005" name="page005"></a>(p. 005)</span> des forces du côté d'Ancône. Dans toutes les + hypothèses, leur présence dans un point avoisiné de Rome aura une + influence morale ou absolue.</p> + +<p>Les cardinaux dont on parle le plus pour les porter au pontificat + sont: Albani, Gerdil, piémontais, et Caprara<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>. Le premier paraît + avoir le plus d'influence, il est le centre de la faction impériale; + Provera, qui, lui, est envoyé ici par le nonce Albani, est un de ses + moyens, et il les emploie tous. C'est un homme d'un extérieur + séduisant: du tact, de l'usage, point d'instruction, point de talent + transcendant, c'est le doyen des cardinaux.</p> + +<p>Le cardinal Gerdil passe pour un saint homme, et un théologien + consommé. C'est le choix des prêtres non titrés et des dévotes.</p> + +<p>Caprara a des talents. Ennemi du pape actuel, il réunit autour de + lui les suffrages d'une partie des mécontents du gouvernement + d'aujourd'hui. L'Espagne paraît le porter. On croit en général qu'il + réunit aussi le vœu de la France.</p> + +<p>Il est impossible qu'avant la réception de votre lettre, je demande + officiellement la liberté des prisonniers et l'éloignement du + général Provera; cette mesure me sera dictée par les circonstances, + si je les juge de nature à l'exiger.</p> + +<p>Placé plus au centre des grands intérêts, vous serez plus à même de + me faire connaître quelles doivent être les intentions du + gouvernement et quels moyens il peut mettre en usage pour les + remplir.</p> + +<p>Si le pape prolonge son existence, votre lettre me sera extrêmement + utile: dans l'hypothèse contraire, je vous enverrai un exprès en + poste. Je vous prie de me faire renvoyer sur-le-champ le courrier + porteur de la présente.</p> + +<p>Il serait peut-être à propos que, pour tous les événements, vous + m'envoyassiez quelques officiers.</p> +</div> + + +<h3>III.</h3> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Rome, 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797). +<p class="center smcap">Joseph, ambassadeur, etc., au général en chef Bonaparte.</p> + +<p>J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 8 vendémiaire par mon + courrier de retour.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page006" name="page006"></a>(p. 006)</span> Vous êtes déjà instruit du rétablissement de la santé du + pape.</p> + +<p>Le général Provera, que l'on attendait ici depuis longtemps, est + encore à Trieste, d'où le consul romain annonce au secrétaire d'État + son prochain départ.</p> + +<p>J'ai eu une longue conférence avec le cardinal Doria; je lui ai + annoncé la volonté précise du gouvernement français de ne pas + souffrir au commandement des troupes du pape un général autrichien. + Aujourd'hui, il a dû lui écrire pour lui donner l'ordre de suspendre + sa marche. Ma déclaration verbale a été un coup de foudre pour lui; + je l'ai accompagnée de tous les raisonnements qui en font sentir la + justice, et me suis plaint de plusieurs faits qui décèlent la + malveillance tacite des meneurs secrets de la cour de Rome. Vous + remarquerez que, depuis le ministère du cardinal Rusca, rien n'a + changé que lui-même, son esprit y est resté; il dirige tous les + travailleurs, commis et autres employés. Le cardinal Doria ne tient + point essentiellement à la faction ennemie de la France; c'est un + homme dont les manières françaises et la bonne foi ne peuvent plaire + ni aux cardinaux ni à ses coopérateurs dans le ministère. Son + élévation à ce poste est une preuve qu'il reste encore à Rome une + partie de l'ancienne politique ténébreuse de cette cour: elle met en + avant un homme honnête et loyal, incapable de soupçonner les + intentions perfides de ceux qui gouvernent sous son nom, en le + faisant agir dans leur sens, et, lorsqu'ils ne peuvent pas y + réussir, en lui faisant forcer la main par le pape, qui déteste son + secrétaire d'État.</p> + +<p>Les meneurs réels de la cour de Rome sont un monsignor Barberi, + procureur fiscal, l'intime des cardinaux Rusca, Albani; Zelada, + secrétaire d'État lors du massacre de Basseville; Sparziani, premier + commis du secrétaire d'État Rusca, resté dans la même place sous le + cardinal Doria; c'est le rédacteur de la correspondance au nonce + Albani, que vous fîtes intercepter avant la dernière campagne contre + Rome; c'est à cet homme qu'étaient adressées les lettres du comte + Gorri-Rossi de Milan, dont vous m'avez envoyé les copies.</p> + +<p>Je n'ai point encore réclamé officiellement les Romains détenus + depuis deux mois; j'ai épuisé tous les moyens de douceur auprès du + secrétaire d'État. Vous concevez, citoyen général, d'après ce que je + vous ai dit ci-dessus de la puissance réelle de ce ministre, que je + n'ai dû rien obtenir: ce n'est que par des démarches fortes et + officielles que l'on peut faire rentrer dans le devoir, amener à des + principes de modération les meneurs et les travailleurs subalternes; + c'est ce que je n'ai point encore cru devoir faire, d'après votre + silence et celui du ministre des relations extérieures<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>, que j'ai + consulté sur cet article.</p> +</div> + + + +<h3><span class="pagenum"><a id="page007" name="page007"></a>(p. 007)</span> IV.</h3> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Rome, 5 frimaire an VI (25 novembre 1797).</p> +<p class="center smcap">Joseph Bonaparte, etc., au général en chef de l'armée d'Italie.</p> + +<p>J'ai reçu votre lettre du 24 brumaire. Le général Provera est parti + le lendemain du jour de la réception de votre dépêche, sans que + j'aie eu besoin de faire pour cet effet de nouvelles démarches + auprès du gouvernement de Rome; il s'est retiré à Naples.</p> + +<p>Les détenus pour opinion politique ont été presque tous mis en + liberté. Je vous ai déjà écrit à ce sujet.</p> + +<p>Le cardinal secrétaire d'État sort à l'instant de chez moi; il se + plaint de la municipalité d'Ancône, qui a publié l'espèce de + manifeste dont vous trouverez ci-joint une copie. Le pape a été très + alarmé de sa lecture, et il a ordonné à son ministre de vous + dépêcher un courrier et un autre à Paris pour réclamer la + restitution d'Ancône; il serait possible que la dépêche dont ce + courrier sera porteur vous parvienne avant la présente.</p> + +<p>L'officier cisalpin chargé des dépêches du ministre des relations + extérieures n'a éprouvé aucune difficulté pour la reconnaissance de + la nouvelle République.</p> + +<p>Le secrétaire d'État vient de me donner lecture de la lettre qu'il a + écrite à ce sujet au ministre des relations extérieures de la + République cisalpine, et, à dire le vrai, Sa Sainteté lui en avait + donné l'ordre le premier de ce mois, d'après les instances du + cardinal et ce que je lui en avais dit moi-même dans la dernière + audience.</p> + +<p>Vous saurez sans doute que le duc de Parme s'est enfin décidé à + consentir au projet d'échange auquel l'Espagne paraît tenir + beaucoup: c'est M. le comte de Valde Pariso, ministre d'Espagne près + l'infant, qui le mande à M. le chevalier Azara. Il est à désirer que + la détermination de ce prince ne soit pas trop tardive, et que l'on + soit à temps pour traiter avec le roi de Sardaigne.</p> + +<p>Je ne vous envoie pas encore votre courrier, n'ayant rien de très + pressant à vous marquer.</p> +</div> + +<p>Après son retour à Paris en décembre 1797, à la suite du meurtre du +général Duphot, Joseph reçut du Directoire l'offre de l'ambassade de +Berlin qu'il refusa pour entrer au conseil des Cinq-Cents dont il +venait d'être nommé membre par le collège du département du Liamone +<span class="pagenum"><a id="page008" name="page008"></a>(p. 008)</span> (Corse). Napoléon étant parti pour l'expédition d'Égypte, +les deux frères entrèrent de nouveau en correspondance.</p> + +<p>Le 25 juillet 1798, Napoléon, étant au Caire, eut connaissance par +des lettres de Paris des bruits qui couraient sur Joséphine. Il en +éprouva un violent chagrin et écrivit à son frère Joseph la lettre +ci-dessous qui n'a pas été insérée dans la correspondance de +l'empereur et ne l'a été qu'en partie dans les <i>Mémoires du roi +Joseph</i>. La voici tout entière:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Tu verras dans les papiers publics le résultat des batailles et la + conquête de l'Égypte qui a été assez disputée pour ajouter une + feuille à la gloire militaire de cette armée. L'Égypte est le pays + le plus riche en blé, riz, légumes, viande, qui existe sur la terre; + la barbarie y est à son comble. Il n'y a point d'argent, pas même + pour solder les troupes. Je puis être en France dans deux mois.—Je + te recommande mes intérêts.—J'ai beaucoup de chagrin domestique, + car le voile est entièrement levé. Toi seul me restes sur la terre, + ton amitié m'est bien chère, il ne me reste plus pour devenir + misanthrope qu'à la perdre et te voir me trahir... C'est une triste + position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même + personne dans un seul cœur... Tu m'entends.</p> + +<p>Fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit près de + Paris ou en Bourgogne; je compte y passer l'hiver et m'y enfermer, + je suis ennuyé de la nature humaine! J'ai besoin de solitude et + d'isolement, les grandeurs m'ennuient, le sentiment est desséché. La + gloire est fade. À 29 ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus + qu'à devenir bien vraiment égoïste! Je compte garder ma maison, + jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n'ai plus que de quoi + vivre! Adieu, mon unique ami; je n'ai jamais été injuste envers toi! + Tu me dois cette justice malgré le désir de mon cœur de l'être... + Tu m'entends! Embrasse ta femme, Jérôme.</p> +</div> + +<p>Au mois d'octobre 1802, Napoléon, qui déjà songeait à faire +participer avec lui ses frères aux affaires de l'État, écrivit à +Joseph une courte lettre dans laquelle se reflètent ses pensées sur +son frère aîné. La voici; elle n'a pas encore été publiée.</p> + +<p class="lettre">J'estime qu'il est utile à l'État et à moi que vous acceptiez la + place de chancelier, si le Sénat vous y présente. Je jugerai le cas + que je dois faire de votre attachement et de vous, par la conduite + que vous tiendrez.</p> + +<p>Dans le premier volume des <i>Mémoires du roi Joseph</i>, on trouve un +fragment historique que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait écrit +pendant son séjour en Amérique. Il comprend la période qui s'écoule +de la naissance de Joseph à son arrivée à Naples (1806). À <span class="pagenum"><a id="page009" name="page009"></a>(p. 009)</span> +la page 97, il est question de la mort du duc d'Enghien. On a +supprimé de ce fragment les lignes suivantes que nous rétablissons:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma mère était tout en larmes, et adressait les plus vifs reproches + au premier consul qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que + c'était une action atroce dont il ne pourrait jamais se laver, qu'il + avait cédé aux conseils perfides de ses propres ennemis, enchantés + de pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page si horrible. Le + premier consul se retira dans son cabinet, et peu d'instants après + arriva Caulaincourt qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné de la + douleur de ma mère qui se hâta de lui en apprendre le sujet. À cette + fatale nouvelle, Caulaincourt se frappa le front et s'arracha les + cheveux en s'écriant: «Ah! pourquoi faut-il que j'aie été mêlé dans + cette funeste expédition!»</p> + +<p>Vingt ans se sont écoulés depuis cet événement et je me souviens + très bien que plusieurs des personnes qui cherchent aujourd'hui à se + laver d'y avoir pris part, s'en vantaient alors comme d'une fort + belle chose, et approuvaient hautement cet acte. Pour moi, j'en fus + très peiné à cause du respect et de l'attachement que je portais au + premier consul; il me parut que sa gloire en était flétrie.</p> + +<p>Quelques jours après, ma mère me dit qu'elle avait été assez + heureuse pour faire parvenir à une dame que le prince affectionnait, + son chien et quelques effets qui lui avaient appartenu.</p> + +<p>J'arrive maintenant au grand et important événement qui plaça la + couronne impériale sur la tête du premier consul; il s'écoula + plusieurs mois entre son élection et le couronnement. Pendant ce + temps, l'empereur, voulant entourer le trône de toute la dignité et + de tout le respect nécessaire au pouvoir monarchique, rétablit + l'ancienne étiquette et la fit observer avec soin. Dès ce moment je + cessai d'avoir des relations aussi intimes avec lui, et pendant + quelque temps je me trouvai par mon grade et par mes fonctions + relégué dans le salon d'attente le plus éloigné de ses appartements.</p> + +<p>Je n'en murmurai point et je concevais parfaitement que cela dût + être ainsi. Mais il ne manqua pas de gens, courtisans ou autres, + qui, sous le masque de l'intérêt, blâmèrent cette manière d'être de + Napoléon à mon égard.</p> +</div> + +<p>En 1805, pendant que l'empereur Napoléon combattait les empereurs +d'Autriche et de Russie en Allemagne, Joseph, resté à Paris avec +pleins pouvoirs de son frère, écrivit le 19 novembre à ce dernier la +lettre ci-dessous, omise dans la <i>Correspondance</i> et les <i>Mémoires</i>:</p> + +<p class="lettre"> + Jérôme est parti hier. J'avais dû lui donner lors de son premier + départ, il y a vingt jours, quarante mille francs. J'ai dû lui en + procurer <span class="pagenum"><a id="page010" name="page010"></a>(p. 010)</span> soixante mille avant-hier, pour qu'il pût partir. + Il lui aurait été impossible sans cette somme de quitter Paris. Si + Votre Majesté veut faire donner l'ordre de me rembourser cette somme + de cent mille francs, elle me fera plaisir, parce que je ne suis pas + dans le cas d'en faire longtemps l'avance à Jérôme. Je suis honteux + d'entretenir Votre Majesté d'un si petit détail.</p> + +<p>Napoléon trouva fort mauvais ce qu'avait fait Joseph et lui répondit +de Schœnbrunn, le 13 décembre 1805, la lettre suivante, également +omise:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, j'ai lieu d'être surpris que vous ayez tiré des mandats + sur un préposé de ma liste civile. Je ne veux rien donner à Jérôme + au-delà de sa pension; elle lui est plus que suffisante et plus + considérable que celle d'aucun prince de l'Europe. Mon intention + bien positive est de le laisser emprisonner pour dettes, si cette + pension ne lui suffit pas. Qu'ai-je besoin des folies qu'on fait + pour lui à Brest? C'est de la gloire qu'il lui faut et non des + honneurs. Il est inconcevable ce que me coûte ce jeune homme pour ne + me donner que des désagréments et n'être bon à rien à mon système. + Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.</p> + +<p>Votre très-affectionné frère.</p> +</div> + +<p>Joseph, voyant que son frère s'était mépris en partie sur ce qui +avait été fait à l'égard de Jérôme, écrivit de Paris le 22 décembre +1805:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, j'ai reçu la lettre de Votre Majesté du 22 frimaire, + relativement à Jérôme. V. M. a été induite en erreur, je ne me suis + pas permis de tirer des mandats sur aucun des préposés de sa liste + civile, seulement j'ai demandé à M. Lemaître, préposé du trésorier, + s'il trouvait des inconvénients à avancer à Jérôme quatre mois de sa + pension; sur son hésitation, je lui ai dit que si M. Estève le + trouvait mal, je ferais remettre cette somme dans sa caisse + sur-le-champ. Voilà le fait. V. M. est trop juste pour ne pas voir + que je n'ai rien pris sur moi qui pût lui déplaire. Jérôme ne + pouvait partir sans argent et mon intendant n'avait pas un sol que + je puisse lui donner dans ce moment, au-delà des quarante mille + francs que je lui ai donnés précédemment.</p> + +<p>Je me suis plaint tout le premier au ministre de la police du + journaliste qui avait parlé des honneurs qu'on lui rendait. Sur mon + ordre, le ministre a fait défense aux autres journalistes de copier + cet article qui effectivement n'a pas été répété depuis.</p> + +<p>J'ai fait la même plainte au ministre de la marine qui m'a dit qu'il + <span class="pagenum"><a id="page011" name="page011"></a>(p. 011)</span> avait une lettre de Jérôme qui démentait les assertions du + journaliste et qu'il était très satisfait de lui<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>.</p> + +<p>Je suis, etc.</p> +</div> + +<p>Jusqu'alors aucun différend un peu sérieux ne s'était élevé entre +les deux frères. Napoléon écrivait avec quelque rudesse à son aîné, +mais toujours en lui montrant une grande affection. Ce fut quelque +temps après la création de l'empire et les succès de la campagne de +1805, lorsque la politique fut en jeu, que survint la première +mésintelligence sérieuse.</p> + +<p>Napoléon, une fois sur le trône, voulut mettre une couronne sur la +tête de Joseph et songea à fonder le royaume de Lombardie. L'aîné +des Bonaparte, peu ambitieux de sa nature, refusa obstinément, +donnant pour prétexte que son frère n'ayant pas d'enfant de son +mariage avec Joséphine, il ne voulait pas aliéner ses droits sur la +couronne de son propre pays. En vain l'empereur essaya-t-il de le +faire revenir sur cette résolution, Joseph s'obstina, et le royaume +d'Italie ayant été fondé, le beau-fils de Napoléon, le prince Eugène +de Beauharnais, en fut nommé vice-roi par l'empereur. Toutefois, ce +n'était qu'une étape dans les vastes projets du conquérant. +Immédiatement après la bataille d'Austerlitz et le traité de +Presbourg, dès qu'il eut lancé de son camp impérial de Schœnbrunn +(27 décembre 1805) le manifeste par lequel il déclarait à la face de +l'Europe que les Bourbons de Naples avaient cessé de régner sur +cette partie de l'Italie, Napoléon nomma Joseph son +lieutenant-général dans le sud de la Péninsule, mit sous ses ordres +l'armée française destinée à faire la conquête de ce royaume, bien +décidé, une fois que son frère serait à Naples, à mettre la couronne +des Deux-Siciles sur sa tête. Il laissa donc d'abord Joseph faire la +conquête et entrer à Naples; puis, ce prince ayant demandé à avoir +auprès de lui pour les attacher à son service deux personnes qui lui +inspiraient une grande confiance, une véritable amitié, les +conseillers d'État Miot de Mélito et Rœderer, l'empereur les lui +envoya. Avant d'expédier le premier, il le fit venir dans son +cabinet et lui dit:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Vous allez partir pour rejoindre mon frère. Vous lui direz que je le + <span class="pagenum"><a id="page012" name="page012"></a>(p. 012)</span> ferai roi de Naples, qu'il restera Grand Électeur et que + je ne changerai rien à ses rapports avec la France; mais dites-lui + bien aussi qu'il ne faut ni hésitation ni incertitude. J'ai dans le + secret de mon sein un autre tout nommé pour le remplacer, s'il + refuse. Je l'appellerai Napoléon. Il sera mon fils. C'est la + conduite de Joseph à Saint-Cloud, son refus d'accepter la couronne + de Lombardie, qui m'a fait nommer Eugène mon fils. Je suis résolu à + en faire un autre s'il m'y force encore. <i>Tous les sentiments + d'affection cèdent maintenant à la raison d'État. Je ne connais pour + parents que ceux qui me servent.</i> Ce n'est point au nom de Bonaparte + qu'est attachée ma famille, c'est au nom de Napoléon. Je n'ai pas + besoin d'une femme pour avoir un héritier. C'est avec ma plume que + je fais des enfants<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>. Je ne puis aimer aujourd'hui que ceux que + j'estime. Tous ces liens, tous ces rapports d'enfance, il faut que + Joseph les oublie; qu'il se fasse estimer; qu'il acquière de la + gloire; qu'il se fasse casser une jambe; qu'il ne redoute plus la + fatigue; ce n'est qu'en la méprisant qu'on devient quelque chose. + Voyez, moi, la campagne que je viens de faire, l'agitation, le + mouvement m'ont engraissé. Je crois que si tous les rois de l'Europe + se coalisaient contre moi, je gagnerais une panse ridicule.</p> + +<p>Je donne à mon frère une bonne occasion. Qu'il gouverne sagement et + avec fermeté ses nouveaux États; qu'il se montre digne du trône que + je lui donne. Mais, ce n'est rien d'être à Naples où vous le + trouverez sans doute arrivé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de + résistance; il faut conquérir la Sicile. Qu'il pousse cette guerre + avec vigueur; qu'il paraisse souvent à la tête de ses troupes; qu'il + soit ferme, c'est le seul moyen de s'en faire aimer. Je lui + laisserai 14 régiments d'infanterie, 5 brigades de cavalerie, à peu + près 40,000 hommes. Qu'il m'entretienne cette partie de mon armée, + c'est la seule contribution que je lui demande. Surtout, qu'il + empêche X..... de voler. Je veux que ce qu'il fera payer aux peuples + du royaume de Naples tourne au profit de mes troupes et ne vienne + pas engraisser des fripons. Ce qui a été fait dans les États + vénitiens est épouvantable. Ce n'est point une affaire terminée. + Qu'il le renvoie donc à la première preuve qu'il aura de + malversation.</p> + +<p>Quant à Rœderer, je n'ai pas voulu le refuser à mon frère. C'est + un homme d'esprit qui pourra lui être utile. Il est déjà assez + riche. Que mon frère ne laisse pas déshonorer son caractère.</p> + +<p>Vous avez entendu, je ne puis plus avoir de parents dans + l'obscurité. <span class="pagenum"><a id="page013" name="page013"></a>(p. 013)</span> Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne + seront plus de ma famille. <i>J'en fais une famille de rois qui se + rattacheront à mon système fédératif.</i></p> +</div> + +<p>Ce discours familier tenu par Napoléon à l'ami, à l'un des futurs +ministres de Joseph, nous paraît résumer la pensée intime de +l'empereur et la ligne de conduite qu'il était décidé, dès ce jour, +à suivre avec ses frères. Nous allons voir du reste qu'il ne s'en +écarta plus.</p> + +<p>Les recommandations relatives à X....., l'empereur les adressa à son +frère à plusieurs reprises, notamment dans une lettre datée du 2 +mars 1806. Dans cette dépêche, un passage supprimé dans les +<i>Mémoires du roi Joseph</i> a été rétabli dans la <i>Correspondance de +l'empereur</i> (page 146, 12<sup>e</sup> volume). Le voici: «Soyez inflexible +pour les voleurs. X..... est haï de toute l'armée; vous devez bien +vous convaincre aujourd'hui que cet homme n'a pas l'élévation +nécessaire pour commander des Français.»</p> + +<p>L'empereur, dans une autre lettre à Joseph, exigea que ce dernier +fit rendre les millions pris dans les États vénitiens. Cette lettre, +en date du 12 mars, contient le passage suivant:</p> + +<p class="lettre">«X..... et Solignac ont détourné six millions quatre cent mille + francs, il faut qu'ils rendent jusqu'au dernier sou.» En la + recevant, Joseph, très-lié avec X....., le fit venir et lui demanda + de restituer de bonne grâce les millions qu'il avait détournés. + X..... ne paraissait pas disposé à ce sacrifice. «Écoute, lui dit le + roi de Naples, prends garde; tu connais mon frère, il te fera + fusiller. Si donc tu ne veux pas rendre l'argent, embarque-le avec + toi sur le navire américain en ce moment dans le port de Naples et + file dans le Nouveau-Monde. Si tu veux rendre, je te promets de te + faire donner par l'empereur une partie de ce que tu restitueras.» + X..... consentit enfin. Quelque temps après eut lieu la prise de + Gaëte. Reynier était fort embarrassé dans les Calabres. Joseph + demanda à X..... de s'y porter avec 30 mille hommes. X..... commença + par refuser si on ne lui laissait pas la faculté d'agir dans ce pays + comme bon lui semblait. En vain Joseph lui promit de lui faire + donner par l'empereur lui-même une grosse somme, il voulut rester + libre de faire ce qui lui conviendrait.</p> + +<p>Cela n'empêchait pas Napoléon de rendre justice au mérite de X.....; +aussi écrivait-il au prince Eugène, le 30 avril 1809, après la +bataille de Sacile: «X..... a des talents militaires devant lesquels +<span class="pagenum"><a id="page014" name="page014"></a>(p. 014)</span> il faut se prosterner. Il faut oublier ses défauts, car +tous les hommes en ont, etc.» Mais revenons à Joseph.</p> + +<p>Pendant presque tout le règne à Naples du frère aîné de l'empereur, +les relations entre les deux souverains furent affectueuses, surtout +pendant l'année 1806. De temps à autre, néanmoins, Napoléon lançait +dans ses lettres quelques mots de blâme à Joseph. Ainsi, le 24 juin +1806, il lui écrit de Saint-Cloud la lettre ci-dessous, omise dans +la <i>Correspondance</i> et aux <i>Mémoires</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai reçu votre lettre du 15 juin. Je vous prie de bien croire que + toutes les fois que je critique ce que vous faites, je n'en apprécie + pas moins tout ce que vous avez fait<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a>.</p> + +<p>Je vois avec un grand plaisir la confiance que vous avez inspirée à + toute la saine partie de la nation.</p> + +<p>Je ne sais s'il y a beaucoup de poudre à Ancône et à Civita-Vecchia, + mais j'ai ordonné que, s'il y en avait, on vous en envoyât + sur-le-champ.</p> + +<p>Le roi de Hollande est arrivé à La Haye, il a été reçu avec grand + enthousiasme.</p> + +<p>Je vous ai déjà écrit pour l'expédition de Sicile qu'il fallait + débarquer la première fois en force.</p> + +<p>Je vous prie de mettre l'heure de départ de vos lettres, afin que je + voie si l'estafette fait son devoir, etc.</p> +</div> + +<p>La reine Julie n'avait pu encore rejoindre son mari avec ses +enfants; le roi l'attendait avec impatience, et l'empereur désirait +son départ. Joseph lui écrivit la lettre suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma chère Julie, j'ai reçu ta lettre du 11; je sais que ta santé + n'est pas bonne, pourquoi t'obstines-tu à aller le dimanche et le + lundi aux Tuileries? tu dois rester chez toi et ne t'occuper que du + rétablissement de ta santé; tu sais que rien ne lui est plus + nuisible que les veilles et la contrariété; reste donc chez toi avec + tes filles et ta sœur et tes nièces, amuse-toi avec elles, fais + des contes à Zénaïde, à Lolotte et à Oscar<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a> et pense que c'est + tout ce que tu peux faire de mieux pour elles, pour toi et pour moi, + puisque tu rattrapes par là ta santé.</p> + +<p>Tout va bien ici, la ville est tranquille, je m'occupe beaucoup des + affaires et je vois avec plaisir que ce n'est pas sans succès; je + ferai l'expédition de Sicile dès que j'en aurai les moyens, mais tu + ne dois <span class="pagenum"><a id="page015" name="page015"></a>(p. 015)</span> avoir aucune inquiétude pour moi. Cela fait, s'il + entrait dans les arrangements de l'empereur de marier Zénaïde ou + Charlotte avec Napoléon<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a> au lieu d'un étranger, je m'estimerai + heureux si, par l'adoption de notre neveu, l'empereur réunissait sur + lui seul toutes ses affections, sans que mon honneur en fût blessé; + je demanderai d'être, moi, l'organe de sa volonté au Sénat; par ce + moyen je reviendrai vivre avec toi à Mortefontaine, et je + m'arracherai, avec plaisir, à cette vie que je ne mène que pour + obéir à l'empereur, soit qu'il me voulût à la tête d'une armée, soit + que s'y mettant lui-même, il me laissât le soin d'être l'organe de + sa volonté à Paris comme il l'a déjà fait une fois. Je crois que + l'intérêt de toute la famille, de l'empereur surtout, qui reste seul + exposé aux complots ennemis, toutes ces affections de mon cœur se + trouveraient réunies dans ce projet.</p> + +<p>Il est plus que probable que nous n'aurons pas de garçons; d'après + cela, qu'y a-t-il de plus glorieux pour moi que de centraliser avec + l'empereur toutes nos affections sur le même enfant qui devient + aussi le mien? Je crois que tu pourrais en dire deux mots à + l'empereur, s'il t'en offre l'occasion.</p> + +<p>Je le répète, il ne doit pas rester seul à Paris, la Providence m'a + fait exprès pour lui servir de sauvegarde, aimant le repos, pouvant + supporter l'activité, méprisant les grandeurs et pouvant porter leur + fardeau avec succès; quelles que soient les brouilleries qui ont + existé entre l'empereur et moi, il est vrai de dire, ma chère amie, + que c'est encore l'homme du monde que j'aime le mieux. Je ne sais + pas si un climat, des rivages en tout semblables à ceux que j'ai + habités avec lui m'ont rendu toute ma première âme pour l'ami de mon + enfance, mais il est vrai de dire que je me surprends pleurant mes + affections de 20 ans comme celles de quelques mois; si tu ne peux + pas venir tout de suite, envoie-moi Zénaïde; je donnerais tous les + empires du monde pour une caresse de ma grande Zénaïde et une + caresse de ma petite Lolotte; quant à toi, tu sais bien que je + t'aime comme leur mère et comme j'aime ma femme; si je puis réunir + une famille dispersée et vivre dans le sein de la mienne, je serai + content et je m'adonne à remplir toutes les missions que l'empereur + me donnera, comme général, gouverneur, pourvu qu'elles soient + temporaires, et que je conserve l'espoir de mourir dans un pays où + j'ai toujours voulu vivre.</p> + +<p>Je ne sais pas pourquoi je n'écris pas ceci à l'empereur, mais ce + sera la même chose si tu lui donnes cette lettre à lire, et je ne + vois pas pourquoi je ne lui donnerais pas mon âme à voir tout comme + à toi-même.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page016" name="page016"></a>(p. 016)</span> Le 28 juillet 1806, Napoléon, dans une autre lettre, +reproche au roi Joseph sa trop grande douceur et termine par cette +phrase: «Ce serait vous affliger inutilement que de vous dire tout +ce que je pense.» Et un <i>post-scriptum</i>: «Au milieu de tout cela, +portez-vous bien, c'est le principal.»</p> + +<p>Le 9 août, Napoléon dit à son frère, au milieu d'une longue lettre: +«Votre correspondance est régulière mais insignifiante.» Le 12 +novembre 1806, ayant appris que Joseph montrait quelquefois ses +lettres à ses amis, il termine celle qu'il lui écrit ce jour-là de +la manière suivante: «Peut-être ai-je tort de vous dire cela, mais +si vous montrez mes lettres pour des choses indifférentes, j'espère +que celle-ci sera oubliée par vous, immédiatement après que vous +l'aurez lue.»</p> + +<p>L'idée favorite de Napoléon était d'imposer à l'Europe un système +fédératif de rois pris dans sa famille. Il avait placé +successivement Joseph sur le trône de Naples, Louis sur le trône de +Hollande, Jérôme sur celui de Westphalie. Roi d'Italie, il avait +fait son beau-fils, Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un seul de ses +frères, Lucien, persistait à se montrer rebelle à l'attrait du +pouvoir suprême, préférant au sceptre une vie de famille douce et +paisible. Depuis 1803, il vivait à Rome dans une sorte d'exil, marié +à une femme qui lui convenait, mais que Napoléon ne voulait pas +reconnaître pour sa belle-sœur. Un mot sur l'existence de Lucien +jusqu'à son entrevue avec l'empereur à Mantoue, en 1807.</p> + +<p>Lucien était né à Ajaccio le 21 mars 1775. Obligé de se réfugier en +France par suite de la proscription que Paoli avait fait prononcer +contre la famille Bonaparte, Lucien, dont la mère était complètement +ruinée, sollicita et obtint un emploi dans l'administration des +subsistances de l'armée des Alpes-Maritimes, et, peu de temps après, +la place de garde-magasin des subsistances militaires de +Saint-Maximin, dans le département du Var. Reçu membre et bientôt +élu président de la Société populaire de cette ville, Lucien épousa +M<sup>lle</sup> Christine Boyer, qui appartenait à une famille peu aisée mais +très honorable du pays. Nommé à la fin de 1795 commissaire des +guerres, il fut envoyé deux ans et demi après, par le département de +Liamone, au Conseil des Cinq-Cents en qualité de député de la Corse.</p> + +<p>Lucien n'avait alors que vingt-trois ans: l'âge légal exigé par la +Constitution était vingt-cinq ans; mais la commission chargée de la +vérification des pouvoirs, soit par sympathie pour le nouveau +membre, <span class="pagenum"><a id="page017" name="page017"></a>(p. 017)</span> soit par considération pour le général Bonaparte +qui venait de conquérir l'Italie, passa sur l'illégalité de sa +nomination.</p> + +<p>Lucien était né orateur: quelques jours lui suffirent pour faire +apprécier la puissance de sa parole. Il combattit avec force et +succès le Directoire, et ne cessa de signaler à la France les +conséquences inévitables des violations journalières faites à la +Constitution. Ce fut lui qui fit accorder des secours aux veuves et +aux enfants des soldats morts sur le champ de bataille, qui fit +repousser l'impôt que le gouvernement voulait établir sur le sel et +sur les denrées de première nécessité, et qui décida le Conseil, le +22 septembre 1798, à renouveler son serment de fidélité à la +Constitution de l'an III. Convaincu qu'il sauvait la République en +arrachant le pouvoir aux hommes du Directoire, Lucien, qui venait +d'être porté à la présidence des Cinq-Cents, seconda de toutes ses +forces le projet de son frère Napoléon. Ce fut lui qui décida, par +l'énergie de son caractère et la puissance de sa parole, le succès +des journées du 18 et du 19 brumaire. Nommé membre du Tribunat, +institué par la constitution consulaire, et peu de temps après +ministre de l'intérieur en remplacement de Laplace, Lucien déploya +dans cette nouvelle position toutes les ressources de son esprit, et +marqua son ministère par plusieurs actes importants. Ce fut sous son +administration que les préfectures furent définitivement organisées +et que les arts et les sciences, négligés par le gouvernement +directorial, attirèrent de nouveau l'attention et la sollicitude du +pouvoir. Envoyé en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire +de la République, il décida Charles IV à s'allier étroitement à la +France, força le Portugal à signer, le 29 novembre 1801, le traité +de Badajoz, conclut avec les deux pays plusieurs conventions très +avantageuses à la France, et prit enfin une part importante à la +création du royaume d'Étrurie et à la cession faite à la France des +duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla.</p> + +<p>Rentré en France au commencement de 1802, Lucien fut chargé par son +frère de présenter le Concordat à la sanction du Tribunat; il +prononça, à cette occasion, un discours remarquable, dont la sagesse +et la modération furent louées par tout le monde. Le 18 mai suivant, +il fit adopter le projet d'institution de la Légion d'honneur; son +discours, plein de vues supérieures, obtint les applaudissements de +toute l'assemblée. Lucien fut nommé grand officier et membre du +grand conseil d'administration de l'ordre et enfin membre du Sénat. +Peu de temps après, l'Institut national, réorganisé sous ses +auspices <span class="pagenum"><a id="page018" name="page018"></a>(p. 018)</span> par décret du 3 février 1803, l'élisait membre de +la classe des langues et de la littérature.</p> + +<p>Lucien aimait réellement la République; il y voyait le salut de la +France et le seul gouvernement compatible avec les circonstances. +Ses vues différaient de celles du premier consul, et plus d'une fois +cette différence avait provoqué de violentes discussions entre les +deux frères. Également tenaces, également convaincus de la +supériorité de leurs idées, Napoléon et Lucien défendirent leurs +opinions politiques avec la même force; et, comme on devait le +prévoir, n'ayant pu se convaincre mutuellement, ils se brouillèrent. +Une affaire de famille acheva de séparer les deux frères. Lucien +avait perdu sa femme, à peine âgée de vingt-six ans. Il voulait +épouser M<sup>me</sup> Alexandrine de Bleschamp, alors une des femmes les plus +belles et les plus spirituelles de Paris, veuve de M. Jouberthon, +mort à Saint-Domingue où il avait suivi l'expédition du général +Leclerc. Le premier consul, soit qu'il prévît les grandes destinées +réservées à ses frères et sœurs, soit qu'il eût des vues secrètes +pour Lucien, voulut s'opposer au mariage de son puîné; mais Lucien +épousa malgré lui la femme qu'il avait choisie. La rupture fut alors +complète entre les deux frères. Lucien quitta la France au mois +d'avril 1804, et alla se fixer à Rome, où il fut accueilli avec la +plus haute bienveillance par le vénérable Pie VII.</p> + +<p>L'empereur cependant n'avait pas renoncé à faire rentrer dans son +système le seul de ses frères qui s'obstinât à ne pas s'y associer. +Il fit faire officieusement par Joseph des avances à Lucien, +lorsqu'à la fin de 1807, il se rendit lui-même à Milan pour ceindre +la couronne de fer. Joseph, ayant vu Lucien à Modène, écrivit de +cette ville à l'empereur, le 11 décembre 1807:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai rencontré Lucien à Modène; il était fort empressé de se rendre + auprès de vous, surtout d'après les dispositions de bonté dans + lesquelles je lui ai dit que vous étiez pour lui et pour celle de + ses enfants en âge d'être établie. Il vient vous en remercier et il + est décidé à l'envoyer à Paris dès que vous le jugerez nécessaire.</p> + +<p>Il persiste dans les assurances qu'il m'avait déjà données à mon + passage à Rome que, content de son état, il ne désirait en sortir + qu'autant que cela pourrait être utile aux vues de Votre Majesté sur + sa dynastie et compatible avec le devoir qu'il s'est imposé de ne + point abandonner une femme qu'il ne dépend plus de lui aujourd'hui + de ne pas avoir, qui lui a donné quatre enfants et dont il n'a qu'à + se louer infiniment depuis qu'il vit avec elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page019" name="page019"></a>(p. 019)</span> Quelles que soient les observations que je lui aie faites; + quelque fortes que m'aient semblé les raisons que je lui ai données, + je n'ai pu en tirer autre chose sinon qu'il avait mis son honneur à + ne désavouer ni sa femme, ni ses enfants, et qu'il lui était + impossible de se déshonorer, ne fût-ce qu'à ses propres yeux. Du + reste, prêt à saisir tous les moyens qu'il vous plairait de lui + offrir pour sortir de l'état de nullité dans lequel il est. Il + trouve juste que vous ne lui donniez aucun droit à l'hérédité en + France, puisque vous ne reconnaissez pas les enfants nés de son + mariage; mais qu'il lui semblait que dans un établissement étranger, + les considérations politiques n'étaient pas les mêmes et que votre + indulgence pourrait bien laisser partager cet établissement, quel + qu'il fût, à sa femme et à ses enfants.</p> + +<p>Sur ce qu'il m'a dit qu'ils étaient sur le point de se mettre en + route pour aller se jeter à vos pieds, je l'en ai dissuadé et l'ai + engagé à envoyer un courrier qui suspendît leur départ.</p> + +<p>Je suis fâché de n'avoir pas autre chose à vous apprendre; mais Dieu + est grand et miséricordieux et je reconnais tous les jours davantage + qu'avec autant de bonté que moi, vous avez tant de ressources dans + l'esprit que tout ce dont vous vous mêlez doit réussir. Je fais bien + des vœux pour cela.</p> +</div> + +<p>À la réception de cette lettre, Napoléon fit dire à Lucien de se +rendre à Mantoue où lui-même irait le trouver.</p> + +<p>Les deux frères se revirent après quatre ans de séparation. +Napoléon, nous l'avons dit, regrettait l'éloignement de Lucien et +par raison politique et par esprit de famille. Il n'avait pas +renoncé à obtenir de lui une modification dans sa ligne de conduite, +en s'adressant de nouveau à son ambition. Mais il voulait d'abord le +détacher de sa femme comme il l'avait fait pour Jérôme, époux de +l'Américaine Patterson.</p> + +<p>Les deux frères arrivèrent à Mantoue le 13 décembre 1807, presque au +même moment. À peine arrivé, Lucien se rendit au palais et monta à +l'appartement de l'empereur, qui vint au-devant de lui en lui +tendant la main avec émotion. Lucien la baisa, puis les deux frères +s'embrassèrent. Restés seuls, Napoléon aborda franchement la +conversation et fit connaître ses projets sans le moindre détour. Le +royaume d'Italie fut offert à Lucien; mais celui-ci, sans dire qu'il +accepterait dans aucun cas, fit observer à son frère que, roi de ce +pays, il exigerait immédiatement l'évacuation des troupes françaises +et suivrait la politique qui lui semblerait la plus profitable à la +nation italienne. C'était suffisamment dire qu'il régnerait pour lui +et non suivant <span class="pagenum"><a id="page020" name="page020"></a>(p. 020)</span> les vues de Napoléon; cela ne pouvait +convenir à l'empereur. Celui-ci lui offrit alors le grand-duché de +Toscane. Sans se prononcer sur cette proposition, Lucien répondit +que, s'il devenait duc de Toscane, il marcherait sur les traces de +Léopold, dont la mémoire était restée si chère aux Toscans. En +d'autres termes, il déclarait cette fois encore qu'il ne +gouvernerait que dans l'intérêt de ses sujets. Du reste, dans la +pensée de Napoléon, l'offre de la Toscane, comme celle de la +couronne d'Italie, était subordonnée à la condition que Lucien +divorcerait avec M<sup>me</sup> Alexandrine de Bleschamp. Lucien repoussa +cette demande avec indignation. Napoléon s'emporta; dans sa colère, +il brisa une montre en disant qu'il saurait briser de même les +volontés qui s'opposeraient à la sienne; il alla même jusqu'à +menacer Lucien de le faire arrêter; Lucien répondit avec dignité à +cette menace: «Je vous défie de commettre un crime.» Peu d'instants +après, les deux frères se séparèrent, Lucien pour retourner à Rome, +Napoléon pour se rendre à Milan.</p> + +<p>À la suite de cette entrevue et de cette scène violente, Napoléon +écrivit à Joseph:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, j'ai vu Lucien à Mantoue, j'ai causé avec lui pendant + plusieurs heures; il vous aura sans doute mandé la disposition dans + laquelle il est parti. Ses pensées et sa langue sont si loin de la + mienne que j'ai eu peine à saisir ce qu'il voulait; il me semble + qu'il m'a dit qu'il voulait envoyer sa fille aînée à Paris près de + sa grand'mère. S'il est toujours dans ces dispositions, je désire en + être sur-le-champ instruit, et il faut que cette jeune personne soit + dans le courant de janvier à Paris, soit que Lucien l'accompagne, + soit qu'il charge une gouvernante de la conduire à Madame. Lucien + m'a paru être combattu par différents sentiments et n'avoir pas + assez de force de caractère pour prendre un parti. Toutefois, je + dois vous dire que je suis prêt à lui rendre son droit de prince + français, à reconnaître toutes ses filles comme mes nièces, + toutefois qu'il commencerait par annuler son mariage avec M<sup>me</sup> + Jouberthon, soit par divorce, soit de toute autre manière. Dans cet + état de choses, tous ses enfants se trouveraient établis. S'il est + vrai que M<sup>me</sup> Jouberthon soit aujourd'hui grosse, et qu'il en naisse + une fille, je ne vois pas d'inconvénient à l'adopter, si c'est un + garçon, à le considérer comme fils de Lucien, mais non d'un mariage + avoué par moi, et celui-là je consens à le rendre capable d'hériter + d'une souveraineté que je placerais sur la tête de son père, + indépendamment du rang où celui-ci pourra être appelé par la + politique générale de l'État, mais sans que ce fils puisse prétendre + à succéder à son père dans son véritable rang, ni être appelé à la + succession de l'Empire français. Vous voyez que j'ai épuisé tous + <span class="pagenum"><a id="page021" name="page021"></a>(p. 021)</span> les moyens qui sont en mon pouvoir de ramener Lucien (qui + est encore dans sa première jeunesse), à l'emploi de ses talens pour + moi et la patrie, je ne vois point ce qu'il pourrait actuellement + alléguer contre ce système. Les intérêts de ses enfants sont à + couvert, ainsi donc j'ai pourvu à tout. Le divorce une fois fait + avec M<sup>me</sup> Jouberthon et Lucien établi en pays étranger, M<sup>me</sup> + Jouberthon ayant un grand titre à Naples ou ailleurs, si Lucien veut + l'appeler près de lui, pourvu que ce ne soit pas jamais en France + qu'il veuille vivre avec elle, non comme avec une princesse sa + femme, et dans telle intimité qu'il lui plaira, je n'y mettrai point + d'obstacle, car c'est la politique seule qui m'intéresse; après cela + je ne veux point contrarier ses goûts ni ses passions. Voilà mes + propositions. S'il veut m'envoyer sa fille, il faut qu'elle parte + sans délai, et qu'en réponse il m'envoie une déclaration que sa + fille part pour Paris et qu'il la met entièrement à ma disposition, + car il n'y a pas un moment à perdre; les événements se pressent, et + il faut que mes destinées s'accomplissent. S'il a changé d'avis, que + j'en sois également instruit sur-le-champ, car j'y pourvoirai d'une + autre manière, quelque pénible que cela fût pour moi, car pourquoi + méconnaîtrais-je ces deux jeunes nièces qui n'ont rien à faire avec + le jeu des passions dont elles ne peuvent être les victimes? Dites à + Lucien que sa douleur et la partie des sentiments qu'il m'a + témoignées m'ont touché, et que je regrette davantage qu'il ne + veuille pas être raisonnable et aider à son repos et au mien. Je + compte que vous aurez cette lettre le 22. Mes dernières nouvelles de + Lisbonne sont du 28 novembre. Le prince-régent s'était embarqué pour + se rendre au Brésil; il était encore en rade de Lisbonne; mes + troupes n'étaient qu'à peu de lieues des forts qui ferment l'entrée + de la rade. Je n'ai point d'autre nouvelle d'Espagne que la lettre + que vous avez lue. J'attends avec impatience une réponse claire et + nette surtout pour ce qui concerne Lolotte.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné frère.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—Mes troupes sont entrées le 30 novembre à Lisbonne, le + prince royal est parti sur un vaisseau de guerre, j'en ai pris cinq + et six frégates. Le 2 décembre, tout allait bien à Lisbonne. Le 6 + décembre, l'Angleterre a déclaré la guerre à la Russie. Faites + passer cette nouvelle à Corfou. La reine de Toscane est ici. Elle + veut s'en aller à Madrid.</p> + +<p>Milan, 20 décembre à minuit 1807.</p> +</div> + +<p>À l'époque où cette lettre fut écrite, l'empereur commençait à se +préoccuper des affaires d'Espagne. L'héritier présomptif du trône, +Ferdinand, fils de Charles IV, lui avait fait faire des ouvertures +pour obtenir la main d'une Bonaparte. Napoléon avait eu l'idée de +donner <span class="pagenum"><a id="page022" name="page022"></a>(p. 022)</span> à ce prince, prêt à se jeter dans ses bras, la +fille de Lucien. C'est ce qui explique la lettre ci-dessus.</p> + +<p>Au reçu de cette lettre, Joseph écrivit à Lucien qui lui répondit et +dont il envoya la lettre à l'empereur le 31 décembre avec celle-ci:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire,</p> + +<p>Je vous envoye la réponse que j'ai reçue de Lucien, il veut mener sa + fille lui-même jusqu'à Pescara où il la remettra à la personne que + vous aurez chargée de la conduire à Milan. J'ai fait inutilement + l'impossible pour obtenir davantage de lui, pour son propre bien, + pour celui de sa famille, et pour répondre aux vues paternelles de + Votre Majesté.</p> + +<p>Sa femme n'est pas décidément enceinte, ce que l'on avait dit n'est + pas vrai.</p> +</div> + +<p>Bientôt, en vertu des ordres de l'empereur, eut lieu l'expédition de +Rome et la prise de possession de la ville éternelle par les troupes +du général Miollis, le Saint-Père s'étant refusé à observer le +blocus continental. Lucien se trouvait encore à Rome. Il écrivit à +Joseph pour le prier de demander à l'empereur l'autorisation de se +retirer près de Naples. Joseph manda à l'empereur le 4 février 1808:</p> + +<p class="lettre">Je reçois vos lettres du 26. Nos troupes sont entrées à Rome. Lucien + me demande à se retirer dans une campagne aux environs de Naples + avec sa famille; il me dit qu'il n'est pas en sûreté à Rome, que la + populace croit qu'il a été décidé par Votre Majesté, lors de son + entretien avec elle à Mantoue, que les États du Pape lui seraient + donnés. Je lui réponds qu'il ne m'est pas possible d'y voir sa + femme, que je l'y verrai avec mes nièces si cela est utile à sa + santé, que je croyais devoir vous en écrire, que les troupes + françaises étant à Rome, je ne voyais pas ce qu'il avait à craindre + s'il voulait y rester.</p> + +<p>Le 11 mars, l'empereur répondit de Saint-Cloud à Joseph:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, Lucien se conduit mal à Rome, jusqu'à insulter les + officiers romains qui prennent parti pour moi, et se montrer plus + romain que le pape. Je désire que vous lui écriviez de quitter Rome + et de se retirer à Florence ou à Pise. Je ne veux point qu'il + continue à rester à Rome, et s'il se refuse à ce parti je n'attends + que votre réponse pour le faire enlever. Sa conduite a été + scandaleuse, il se déclare mon ennemi et celui de la France; s'il + persiste dans ces sentimens, il n'y a de refuge pour lui qu'en + Amérique. Je lui croyais de l'esprit, mais je vois que ce n'est + qu'un sot. Comment à l'arrivée des troupes françaises pouvait-il + rester à Rome? Ne devait-il pas se retirer à la campagne? Bien plus, + il s'y met en opposition avec moi. Cela n'a pas de nom. Je ne + souffrirai <span class="pagenum"><a id="page023" name="page023"></a>(p. 023)</span> pas qu'un Français et un de mes frères soit le + premier à conspirer et à agir contre moi avec la prêtraille.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné frère.</p> +</div> + +<p>L'empereur exigea que son frère Lucien quittât Rome pour aller +s'établir avec les siens à Florence, et Joseph fut chargé de veiller +à ce changement de résidence qui eut lieu à la fin d'avril 1808.</p> + +<p>Lucien, fatigué des tracas que lui suscitait Napoléon, fut sur le +point de se rendre en Amérique avec les siens. Il fit part de ce +projet à l'empereur et à Joseph. Ce dernier lui répondit le 15 mai +1808:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai reçu ta lettre, mon cher Lucien, j'espère que la réponse que tu + auras attendue de l'empereur te fera changer de résolution et que tu + pourras rester en Europe. Je fais des vœux pour que cela soit + ainsi et que tu sois plus heureux dans tes relations directes que tu + ne l'as été par mon intermédiaire.</p> + +<p>S'il en était autrement et que tu partisses réellement, ce qui me + paraît un événement déplorable, tu ne dois pas douter que je ne + remplisse tes vues. Je t'embrasse bien tendrement avec ta famille et + j'espère que l'immensité des mers ne m'ôtera pas la possibilité de + t'embrasser en réalité bientôt.</p> +</div> + +<p>Ce projet, abandonné alors, fut repris par Lucien en août 1810. Le +10 de ce mois, il s'embarqua pour l'Amérique avec sa famille à bord +du trois-mâts l'<i>Hercule</i>, frété par lui pour le voyage. Le bâtiment +avait à peine dépassé la Sardaigne que, rencontré par les croisières +anglaises, il fut capturé. Lucien et les membres de sa famille, +déclarés prisonniers de guerre, furent conduits à Malte où ils +arrivèrent le 24 août, puis transférés en Angleterre où ils +débarquèrent le 28 décembre. Ils furent relégués à Ludlow +(principauté de Galles).</p> + +<p>Pendant son règne à Naples, Joseph eut encore à supporter, à +plusieurs reprises, des rebuffades de son frère; ainsi le 12 +novembre 1807, à propos de l'expédition de Sicile, Napoléon lui +écrivit de Fontainebleau:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, je vois par votre lettre du 3 que vous avez 74,000 hommes + soit Français, soit Napolitains, soit Suisses; et cependant, avec + ces forces, vous n'êtes pas maître de Reggio et de Scylla; cela est + par trop honteux. Je vous réitère de prendre Reggio et Scylla; si + vous ne le faites pas, j'enverrai un général pour commander mon + armée, ou je retirerai mon armée du royaume de Naples. Quant aux + polissons que vous avez autour de vous, qui n'entendent rien à la + guerre et qui donnent des avis de l'espèce que je vois dans les + mémoires qu'on me met sous les <span class="pagenum"><a id="page024" name="page024"></a>(p. 024)</span> yeux, vous devriez + m'écouter de préférence<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>. Quand votre général est venu me trouver + à Warsovie, je lui ai déjà dit alors: comment souffrez-vous que les + Anglais s'établissent à Reggio et à Scylla? Vous n'avez à combattre + que quelques brigands; et les Anglais communiquent avec eux et + occupent les points les plus importants du continent d'Italie. Cela + me révolte. Cette occupation d'ailleurs tranquillise les Anglais sur + la Sicile; ils n'ont rien à craindre tant qu'ils ont ces deux + points, et dès lors leurs troupes de Sicile peuvent entreprendre + impunément tout ce qu'elles veulent. Mais il paraît, vous et vos + généraux, que vous vous estimez heureux que les Anglais veuillent + bien vous laisser tranquilles dans votre capitale. Ils ont 8,000 + hommes et vous en avez 74,000. Depuis quand les Français sont-ils si + moutons et si inertes? Ne répondez à cette lettre qu'en m'apprenant + que vous avez fait marcher des troupes et que Reggio et Scylla + m'appartiennent. Avec l'armée que vous avez, je voudrais non + seulement défendre le royaume de Naples et prendre Reggio et Scylla, + mais encore garder les États du Pape et avoir les trois quarts de + mes troupes sur l'Adige. Du reste, vous n'avez des brigands dans le + royaume de Naples que parce que vous gouvernez mollement. Songez que + la première réputation d'un prince est d'être sévère, surtout avec + les peuples d'Italie. Il faut aussi en chercher la cause dans le + tort qu'on a eu de ne point captiver les prêtres, en ce que l'on a + fait trop tôt des changemens; mais enfin, cela n'autorise pas mes + généraux à souffrir qu'en présence d'une armée aussi puissante les + Anglais me bravent. Je ne me donne pas la peine de vous dire comment + il faut disposer vos troupes; cela est si évident. Parce que le + général Reynier a eu un événement à Meida<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>, ils croient qu'on ne + peut aller à Reggio qu'avec 100,000 hommes. Il est permis de n'être + pas un grand général, mais il n'est pas permis d'être insensible à + un tel déshonneur. Je préférerais apprendre la mort de la moitié de + mes soldats et la perte de tout le royaume de Naples, plutôt que de + souffrir cette ignominie. Pourquoi faut-il que je sois obligé de + vous dire si fortement une chose si simple?—Quand vous enverrez + 10,000 hommes à Reggio et à Scylla, et que vous en conserverez 6,000 + à Cassano et à Cosenzia, que diable craignez-vous de toutes les + armées possibles de l'Angleterre? Quant à Naples, la moitié de vos + gardes suffit pour mettre la police dans cette ville, et pour la + défendre contre qui que ce soit. Je suppose que vous n'aurez pas + laissé Corfou sans le 14<sup>e</sup>, et que vous avez fait exécuter + ponctuellement les ordres que je vous ai donnés. Vous avez une + singulière <span class="pagenum"><a id="page025" name="page025"></a>(p. 025)</span> manière de faire. Vous tenez vos troupes dans + les lieux où elles sont inutiles, et vous laissez les points les + plus importants sans défense.—Votre femme est venue me voir hier. + Je l'ai trouvée si bien portante que j'ai été scandalisé qu'elle ne + partît point, et je le lui ai dit, car je suis accoutumé à voir les + femmes désirer d'être avec leurs maris.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné frère.</p> + +<p><i>P. S.</i>—Ne me répondez pas à cette lettre que Reggio et Scylla ne + soient à vous.</p> +</div> + +<p>Ces reproches, peu mérités par Joseph et que son frère lui adressait +pour l'exciter à terminer la conquête de la Sicile, n'empêchaient +pas Napoléon de lui écrire quelques jours plus tard, le 22 du même +mois, pour lui annoncer son arrivée à Milan et lui faire connaître +son désir de le voir. Dès l'année précédente, l'empereur, voyant +combien ses lettres, souvent acerbes, produisaient d'effet sur son +frère et lui faisaient de peine, lui avait écrit la lettre du 24 +juin 1806 que nous avons donnée plus haut.</p> + +<p>Le 17 février 1808, Napoléon adressa de Paris à Joseph la lettre +suivante<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, je reçois votre lettre du 11. Je ne conçois pas que vous + n'ayez pas voulu recevoir les cardinaux et que vous ayez eu l'air + d'aller contre ma direction. Je ne vois pas de difficulté que le + cardinal Ruffo de Scylla, archevêque de Naples, soit envoyé à + Bologne; que le cardinal qui commandait les Calabrais soit envoyé à + Paris et que ceux que vous ne voudrez pas garder soient envoyés à + Bologne. Mais il faut d'abord envoyer quelqu'un à Gaëte pour y + recevoir leur serment, et ensuite les faire conduire en Italie.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—Je suis surpris que les prêtres à Naples osent bouger.</p> +</div> + +<p>Le blâme contenu dans cette dépêche devint beaucoup plus vif +quelques jours après, lorsque Napoléon apprit par un rapport du +général Miollis, commandant les troupes françaises à Rome, que +Salicetti, le ministre de la police de Naples, avait osé contrevenir +à ses ordres. Aussi, le 25 mars, envoya-t-il, par courrier +extraordinaire, à son frère Joseph, la lettre suivante, où son +mécontentement est exprimé de la façon la plus rude:</p> + +<p class="lettre">Je ne puis qu'être indigné de cette lettre de Salicetti<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a>. Je + trouve fort <span class="pagenum"><a id="page026" name="page026"></a>(p. 026)</span> étrange qu'on répande qu'on mettra en liberté + à Terracine des hommes que j'ai ordonné qu'on conduise à Naples. Il + faut avouer qu'on est à Naples bien bête ou bien malveillant. Ces + contre-ordres et cette ridicule opposition font sourire la cour de + Rome et sont plus nuisibles à Naples qu'ailleurs. J'ai envoyé les + cardinaux napolitains à Naples pour y prêter le serment à leur + souverain légitime. Cette formalité est nécessaire pour que je les + reconnaisse pour cardinaux. Si vous redoutiez leur présence à + Naples, il fallait les envoyer à Gaëte et préposer quelqu'un pour + recevoir leurs serments. Après cela, vous pouviez en faire ce que + vous vouliez. Je ne voyais pas d'inconvénient à les laisser à + Naples. Tant de faiblesse et d'ineptie, je ne suis pas accoutumé à + les voir où je commande; mais enfin s'il y avait de l'inconvénient à + recevoir leur serment à Naples, il n'y en a point à Gaëte. Si vous + avez voulu montrer à l'Europe votre indépendance, vous avez choisi + là une sotte occasion. Ces prêtres sont des gens contre lesquels je + me fâche pour vous. Vous pouvez bien être roi de Naples, mais j'ai + droit de commander un peu où j'ai 40,000 hommes. Attendez que vous + n'ayez plus de troupes françaises dans votre royaume pour donner des + ordres contradictoires aux miens, et je ne vous conseille pas de le + faire souvent. Rien, je vous le répète, ne pouvait m'être plus + désagréable que de voir contredire ouvertement les mesures que je + prends pour mettre Rome à la raison. Si c'est Rœderer ou Miot qui + vous a donné ces conseils, je ne m'en étonne pas, ce sont des + imbéciles. Mais si c'est Salicetti, c'est un grand scélérat, car il + a trop d'esprit pour ne pas sentir combien cela est délicat. Le + <i>mezzo termine</i> de retenir les cardinaux dans une place frontière + était si simple.</p> + +<p>Cette lettre de Napoléon, datée du 25 mars, fut une des dernières +que l'empereur écrivit à son frère Joseph à Naples. Au commencement +de mai l'empereur demanda à son frère Louis de renoncer à la +couronne de Hollande pour prendre celle d'Espagne. Louis ayant +rejeté cette proposition, Napoléon résolut de placer Joseph sur le +trône de Charles IV et de donner celui de Naples à Murat, son +beau-frère. Il écrivit à Joseph de se rendre à Bayonne, ce que +celui-ci fit dans les premiers jours de juin, tout en regrettant +d'abandonner le royaume de Naples et le beau ciel d'Italie.</p> + + +<h3>(1808-1814).</h3> + +<p>Jusqu'au jour où, contraint par son frère, Joseph consentit à +échanger le royaume de Naples contre celui de Madrid, les différends +entre Napoléon et lui eurent peu d'importance. Napoléon avait pour +<span class="pagenum"><a id="page027" name="page027"></a>(p. 027)</span> son aîné la plus réelle affection; Joseph aimait et +admirait Napoléon. Néanmoins, si le premier prétendait faire servir +à ses vastes projets toutes les forces vives des États dont il avait +doté son frère, ce dernier, pas plus que Louis, et même parfois +Jérôme, ne voulait consentir à abandonner entièrement les intérêts +de son peuple pour épouser complètement ceux de la France. Le blocus +continental tuait le commerce de la nation hollandaise qui ne vivait +que par le commerce; les levées, en Espagne, et l'entretien +dispendieux d'une armée nationale ou d'une nombreuse armée +française, n'allaient pas tarder à épuiser la Péninsule déjà ruinée +par son ancien gouvernement. Pour faire sortir de l'abîme ces deux +pays, il fallait de l'argent. Or, Napoléon n'en voulait pas donner +aux rois ses frères, et entendait au contraire que la majeure partie +de leurs contributions vint augmenter le trésor français. Il les +mettait donc dans la position la plus précaire. Ils étaient obligés +de résister aux exigences du souverain de la France, non seulement +par amour-propre royal, non seulement pour conserver un peu de +l'affection de leurs sujets, mais encore parce qu'ils ne pouvaient +pas faire autrement, les sources de la prospérité étant taries.</p> + +<p>Nous allons voir Joseph aux prises avec des difficultés +insurmontables et réduit aux plus dures extrémités, désirant, dès la +première année de son séjour à Madrid, quitter l'Espagne, regrettant +Naples où il avait fait un peu de bien, s'était acquis de grandes +sympathies et n'osant, comme le fit Louis, abdiquer, pour ne pas +paraître abandonner un frère qui, enivré de ses victoires, +commençait à soulever contre lui l'Europe, dont il voulait, en +quelque sorte, faire la vassale de la France.</p> + +<p>La junte assemblée à Bayonne et ouverte le 15 juin 1808, sous la +présidence de M. Azanza, ayant adopté pour l'Espagne la constitution +qui lui avait été présentée, ses membres, à la suite de cette mise +en scène, persuadèrent facilement à Joseph que la nation tout +entière accueillerait avec enthousiasme le nouveau souverain, frère +du plus grand génie, du plus puissant monarque du monde. Le nouveau +roi franchit la frontière et entra en Espagne par Saint-Sébastien +dans les premiers jours de juillet 1801<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a>, plein de confiance et +d'espérance. Il <span class="pagenum"><a id="page028" name="page028"></a>(p. 028)</span> ne tarda pas à s'apercevoir qu'on l'avait +induit en erreur et que les sentiments de la nation étaient loin +d'être tels que les lui avaient décrits à Bayonne des gens +intéressés à le tromper, ou à se tromper. Cela ressort de différents +passages des lettres de Joseph à l'empereur, passages omis dans les +<i>Mémoires</i> de ce prince. Ainsi, dans une lettre en date de Miranda, +14 juillet 1808, il écrit à Napoléon: «<i>Il y a des assassins sur la +route.</i>» Dans une autre de Burgos, 18 juillet, on lit:</p> + +<p class="lettre">On n'a pu trouver un guide en offrant de l'or à pleines mains. Il y + a peu de jours, un orfèvre de Madrid a poignardé de sa propre main + trois Français dans un seul jour; à Miranda, avant-hier, un seul + homme a arrêté une voiture dans laquelle se trouvaient un Espagnol + et trois Français. Ces trois derniers ont été poignardés et n'ont + point été dépouillés. Ce dernier fait s'est passé sur la grande + route.</p> + +<p>Le 21 juillet, le lendemain de son arrivée à Madrid et de la prise +de possession du palais de l'Escurial, Joseph mandait à l'empereur: +«Vous vous persuaderez que les dispositions de la nation sont +unanimes <i>contre tout ce qui a été fait à Bayonne</i><a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a>.» Il entre +ensuite dans les détails caractéristiques suivants:</p> + +<p class="lettre">Il y avait 2000 hommes employés dans les écuries royales. <i>Tous</i>, à + la même heure, ont tenu le même langage et se sont retirés. Je n'ai + pas trouvé un seul postillon dans toutes les écuries, à compter + d'hier matin à 9 heures. Les paysans brûlent les roues de leurs + voitures, afin de n'être pas obligés aux transports. Les domestiques + mêmes, des gens qui étaient soupçonnés de vouloir me suivre, les ont + abandonnés, etc., etc.....</p> + +<p>Bientôt l'empereur comprit qu'il devait se rendre lui-même en +Espagne et y prendre le commandement de ses armées, s'il voulait +pacifier ce malheureux pays soulevé de toutes parts contre les +Français et où l'Angleterre allait faire débarquer des troupes. +Partout on <span class="pagenum"><a id="page029" name="page029"></a>(p. 029)</span> assassinait les Français, et des généraux, +profitant du pillage auquel se livrait souvent le soldat, exigeaient +des indemnités, prélevaient des impôts à leur profit.</p> + +<p>Ainsi on lit dans une lettre de Joseph à son frère, en date du 28 +janvier 1809:</p> + +<p class="lettre">J'envoie au maréchal Bessières, pour être employé dans un + commandement où il puisse vivre comme un autre officier, le général + La R..... qui exigeait 10,000 francs par mois en sus de ses + appointements, pour vivre à Madrid, et qui a eu la sottise de + frapper à toutes les portes pour cela. Voici la lettre qu'il a + écrite au corrégidor. Je l'ai remplacé par le général Blondeau qui + sera plus modeste.</p> + +<p>Joseph crut devoir quitter Madrid pour se rapprocher de la France +dont il attendait des renforts. Napoléon entra dans la Péninsule, +prit la direction des affaires militaires. Le roi le rejoignit avec +sa garde, mais l'empereur ne voulut pas avoir son frère près de lui +à l'armée et le relégua sur les derrières, puis à Burgos. Cette +façon d'agir choqua Joseph et ses ministres. Il s'en plaignit dans +une lettre pleine de noblesse écrite à son frère le 10 novembre, de +Miranda<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a>. Il ne put rien obtenir et fut sur le point de revenir +en France abandonnant le trône des Espagnes. Il se résigna à +attendre pour ne pas être le premier à jeter la pierre à Napoléon. +Ce dernier entra à Madrid le 4 décembre 1808, et changeant de +nouveau de politique à l'égard de son frère et de l'Espagne, dans la +pensée secrète de s'emparer de ce royaume et d'en annexer les +provinces du Nord, il proposa à Joseph de lui donner la couronne +d'Italie. Ce dernier, fatigué de ces changements perpétuels, refusa, +eut plusieurs conférences avec l'empereur et revint dans sa capitale +où il fit une entrée solennelle le 22 janvier 1809.</p> + +<p>Dès son retour à Paris, Napoléon montra de nouveau de la défiance à +son frère Joseph, recommença à lui reprocher sa façon de gouverner, +mais sans vouloir le mettre à même, en lui en donnant les moyens, de +sortir de l'impasse dans laquelle il le tenait. Le 9 février 1809, +Joseph lui écrivit:</p> + +<p class="lettre">Vous écoutez sur les affaires de Madrid ceux qui sont intéressés à + vous tromper, vous n'avez pas en moi une entière confiance. Et plus + loin: Je serai roi comme doit l'être le frère et l'ami de Votre + Majesté, ou <span class="pagenum"><a id="page030" name="page030"></a>(p. 030)</span> bien je retournerai à Mortefontaine<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a> où je + ne demanderai rien que de vivre sans humiliation et de mourir avec + la tranquillité de ma conscience, etc.</p> + +<p>Les choses restèrent dans cet état en Espagne jusqu'au milieu de +1809; mais alors elles prirent, pour le roi, une tournure des plus +fâcheuses, ainsi que cela résulte des lettres de Joseph à sa femme, +la reine Julie. Nous donnerons plus loin ces intéressantes lettres; +mais, avant, un mot encore sur les exactions de quelques généraux +français en Espagne et sur quelques affaires de l'époque, relatives +à Joseph. Le 24 février 1810, il écrit de Xérès au prince de +Neufchâtel:</p> + +<div class="lettre"> +<p>La lettre de Votre Altesse me fait croire que l'empereur me croit + instruit d'une contribution de quinze cent mille francs levée par le + général Loison, j'aurais désiré savoir en son temps si l'empereur + l'a ordonnée et je prie S. M. de réprimer un pareil abus de pouvoir, + si elle ne l'a pas autorisée. Tous mes efforts échoueront contre des + vexations semblables que se permettraient des généraux particuliers; + le général Kellermann est aussi dans ce cas; l'ordre est impossible + si des généraux de division font ce que je ne me permettrais pas de + faire et S. M. I. et R. est trop juste pour le vouloir.</p> + +<p>Tout est ici au mieux; les provinces de l'Andalousie sont pacifiées, + parce que la justice y règne et que je n'ai qu'à me louer des + généraux qui y sont.</p> + +<p>Je prie Votre Altesse d'agréer mon sincère attachement.</p> + +<p>Les ordres ont été donnés au général Loison pour les 100,000 francs.</p> +</div> + +<p>Le 2 mars il prévient l'empereur qu'il fait venir près de lui sa +femme et ses enfants et ajoute:</p> + +<p class="lettre">Kellermann, Ney, Thiébaud sont des gens qui ruineront le pays qu'ils + doivent administrer, etc.</p> + +<p>Tout en signalant les officiers qui se permettaient des exactions, +Joseph aimait à rendre justice aux gens honnêtes. Ainsi le 21 avril +1810, il écrit de Madrid au général Reynier:</p> + +<p class="lettre">Je reçois la lettre et le rapport que vous avez bien voulu + m'adresser le 13. J'ai donné l'ordre de vous renvoyer tous vos + détachements, ils sont en marche. Je suis très reconnaissant de tous + les soins que vous vous donnez pour le meilleur service public et + reconnais bien, dans vous, les principes d'un <i>honnête homme</i> et + l'intérêt d'un ami.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page031" name="page031"></a>(p. 031)</span> Le lendemain 24, dans une longue lettre à l'empereur, +Joseph signale encore les autres généraux pillards. Il dit: «Il n'y +a pas de doublons exportés par Ney ou par Kellermann qui ne coûte +une tête française.» De son côté dans une lettre à Berthier, datée +du 17 septembre 1810 et qui se trouve à la <i>Correspondance</i>, +Napoléon signale Kellermann et Ney. Enfin, le 27 octobre, il ordonne +à Berthier de demander au ministre d'Espagne des notes précises sur +les abus reprochés à Kellermann.</p> + +<p>Lors du mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise, le +roi d'Espagne écrivit et fit porter par son chambellan les deux +lettres suivantes:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Monsieur mon frère,</p> + +<p>Connaissant la bienveillance dont Votre M. I. et R. a honoré M. + Azanza, duc de Santa-Fé, je l'ai nommé mon ambassadeur + extraordinaire pour porter à V. M. mes félicitations à l'occasion du + mariage de V. M. I. et R. et de S. A. I. et R. M<sup>me</sup> l'archiduchesse + Marie-Louise.</p> + +<p>V. M. me connaît trop intimement pour ne pas deviner à l'avance tous + les mouvements de mon cœur, je suis toutefois bien aise de saisir + cette circonstance solennelle pour assurer V. M. I. de la joie que + j'ai éprouvée par l'heureux lien qu'elle contracte dans la vue de + perpétuer le bonheur de tant de nations. V. M. trouvera ainsi le + bonheur que la nature accorde au commun des hommes.</p> + +<p>Je supplie V. M. I. et R. d'agréer ces vœux et de les regarder + dès aujourd'hui comme des présages qui ne la tromperont pas, ce sont + ceux de son premier ami à qui le cœur de V. M. I. est plus connu + qu'elle ne pense.</p> + +<p>Je prie V. M. d'agréer l'hommage de ma tendre amitié.</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">De V. M. I. et R.,</span><br> + Le bon et affectionné frère.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Marie-Louise.</p> +<p class="date">Grenade, le 28 mars 1810.</p> + +<p>Madame ma sœur, je prie Votre Majesté impériale d'agréer mes + félicitations les plus sincères, à l'occasion de son mariage avec S. + M. l'empereur des Français, roi d'Italie. Je fais des vœux bien + vifs pour le bonheur d'une union d'où dépend le bonheur de tant de + nations.</p> + +<p>Ne pouvant jouir, par moi-même, de l'avantage de présenter à V. M. + I. et R. l'expression de mes sentiments, je supplie V. M. d'agréer + tout <span class="pagenum"><a id="page032" name="page032"></a>(p. 032)</span> ce que lui dira de ma part M. le duc de Santa-Fé que + j'ai chargé de cette honorable mission. Veuillez, Madame ma sœur, + etc.<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Le 2 mai, Joseph écrivit de Séville au duc de Feltre, ministre de la +guerre de Napoléon:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur le duc, j'ai reçu la lettre par laquelle vous me proposez, + de la part de S. M. I. et R., de faire entrer en Espagne le régiment + espagnol formé à Avignon. Je juge cette opération fort utile; elle + détruira la croyance, généralement répandue, que les régiments + espagnols sont destinés à servir au delà des Pyrénées, et cette + croyance rend difficile la formation de tout nouveau corps. Je vous + prie, Monsieur le duc, de remercier S. M. I. et R. et de vouloir + bien hâter l'envoi en Espagne de ce régiment<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>.</p> + +<p>Nos affaires devant Cadix vont bien; la tranquillité se rétablit + dans ces provinces. Le 4<sup>e</sup> corps est entré à Murcie. Le 2<sup>e</sup> corps a + battu l'ennemi qu'il avait devant lui entre Merida et Badajoz.</p> + +<p>Vous connaissez, Monsieur le duc, l'ancien et sincère attachement + que je vous ai voué.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné.</p> +</div> + +<p>Le 8 février 1810, pendant son voyage en Andalousie, Joseph, croyant +être très agréable à Napoléon, lui écrivit de Séville:</p> + +<p class="lettre">Sire, je m'empresse de vous annoncer que je viens de recevoir, des + mains de l'évêque et du chapitre de cette ville, les aigles perdues + à Baylen. Je les envoie à V. M. par un officier.</p> + +<p>L'empereur se borna à faire répondre à son frère par le +major-général, auquel il adressa, le 26 avril 1810, la lettre +ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon cousin, écrivez au roi d'Espagne que je suis instruit qu'il veut + envoyer les aigles retrouvées à Baylen, par le général Dessolles; + que cela ne m'est pas agréable, qu'il doit charger de cette mission + un simple officier, un capitaine ou un lieutenant-colonel, mais non + un officier du grade du général Dessolles qui est nécessaire en + Espagne.</p> + +<p>Si le général Dessolles était déjà parti, prévenez le général + Belliard, pour qu'il le retienne et l'empêche de passer Madrid en + lui faisant connaître mes motifs.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page033" name="page033"></a>(p. 033)</span> Au commencement de l'année 1810, la situation, en Espagne, +s'améliorait, grâce aux efforts du roi. Joseph pacifiait +l'Andalousie, mais, tandis qu'il entrait en vainqueur dans les +riches cités de cette belle province, l'empereur, sous prétexte que +le royaume de son frère lui coûtait trop cher et qu'il fallait en +finir, en faisant administrer les provinces pour le compte de la +France, rendit le 8 février un décret en vertu duquel le pays fut +partagé en grands gouvernements administrés par des généraux +français. Il retira donc le commandement des troupes à Joseph qui +devint par le fait un roi sans armée, sans finances, sans autorité. +Macdonald prit le commandement des troupes en Catalogne, Kellermann +en Aragon, Masséna en Portugal, Soult en Andalousie; Joseph resta à +la tête de l'armée du Centre (19,000 hommes à peine). Il fut donc +réduit à ce faible corps, à sa garde et au gouvernement de la +province de Madrid, n'ayant plus le droit de s'immiscer dans les +affaires des autres gouvernements de son propre royaume. À partir de +ce moment, le règne de ce malheureux prince ne fut plus qu'un long +martyr dont ses lettres à la reine Julie pourront donner une idée.</p> + +<p>Des abus criants et sans nombre suivirent de près cette organisation +nouvelle ou plutôt cette désorganisation complète de l'Espagne, +ainsi qu'on devait s'y attendre. Les commandants d'armées ne +voulurent pas se porter secours entre eux et prétendirent agir +seuls. Tous ne s'inquiétèrent plus que de leur seul intérêt, levant +des contributions, pillant comme Kellermann ou refusant toute +obéissance au roi, comme le fit le duc de Dalmatie, ainsi que nous +le prouverons un peu plus loin.</p> + +<p>Nous allons faire connaître maintenant quelques lettres inédites de +Joseph à sa femme.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Madrid, le 21 janvier 1809.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 16. J'ai fait écrire au père + de M<sup>me</sup> de Fréville que je le ferai employer ici, il peut amener sa + fille avec lui si cela lui convient, il ne me convient pas qu'elle + t'accompagne, elle ne pourrait pas être ici une de tes dames, sa + qualité d'espagnole serait loin de lui être favorable, ce n'est pas + dans ses rapports avec ce pays.</p> + +<p>Toutes les femmes de militaires qui te sont attachées seront bien + ici avec toi; si tu peux faire à moins de mener M<sup>me</sup> de Magnitot, tu + feras bien de ne pas la conduire avec toi; M. Franzemberg, ton + secrétaire, ne sera pas ici officier de la maison pas plus qu'il ne + l'était à Naples; <span class="pagenum"><a id="page034" name="page034"></a>(p. 034)</span> quoique Ferri et Des Landes le soient + devenus, ils étaient dans les affaires depuis longtemps.</p> + +<p>Si tu pars bientôt tu ne verras pas le mariage de.......<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>. M<sup>me</sup> + Bernadotte y veillera.</p> + +<p>N'amène que les petites Clary et les personnes dont tu as besoin + avec toi, tu trouveras ici trois mille familles de Français que je + ne puis pas employer et qui sont très malheureux et regrettent les + positions dont elles étaient pourvues à Naples.</p> + +<p>Fais en sorte que Laulaine, Bernardin de S<sup>t</sup>-Pierre, Andrieux, + Chardon, Lécui, pour ce qui lui est personnel, n'éprouvent aucun + retard dans le payement de leur pension, le reste suivra le cours de + mes affaires financières qui me forcent à payer de préférence les + choses les plus pressées.</p> + +<p>Tout ce que je t'écris de ces dames, c'est pour qu'ici tu n'aies pas + de sujets de dégoût en arrivant, pas plus qu'elles. Je t'embrasse + avec mes enfants.</p> + +<p>Pour M. Franzemberg, il faut que chacun sache à quoi s'en tenir. Il + est des opinions du pays que je ne veux pas heurter pour quelques + individus.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrilejos, le 3 juillet 1809.</p> + +<p>Ma chère amie, les affaires allaient ici très bien, mais la + mésintelligence qui s'est mise entre Soult et Ney, au fond de la + Galice, me fait prévoir des malheurs.</p> + +<p>Le maréchal Jourdan est dégoûté et demande à se retirer. Je ne le + remplacerai pas, quel que soit le successeur que l'empereur lui + donne.</p> + +<p>Je t'embrasse, ma chère amie, avec Zénaïde et Charlotte; je me porte + bien.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Waldemoro, le 6 août 1809.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu votre lettre du 26, je me porte bien. Les + 40,000 hommes qui sont devant moi ont repassé le Tage dont ils ont + brûlé les ponts. Le 1<sup>er</sup> corps poursuit les Anglais, Soult avec + 50,000 hommes marche à eux, je ne doute pas aujourd'hui qu'il ne + soit arrivé sur le Tiétar où je l'espérais le 28. Je l'ai débarrassé + à Talaveyra de dix mille Anglais, il n'en aura pas plus de vingt + mille, à compter d'aujourd'hui, <span class="pagenum"><a id="page035" name="page035"></a>(p. 035)</span> et il aura pour cela ses + 50,000 Français et 20,000 que lui amène le maréchal Victor qui suit + le mouvement de l'ennemi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Malaga, le 5 mars 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14 février dont était porteur + (<i>nom illisible</i>). Elle me confirme dans mon opinion que tu dois me + rejoindre le plus tôt possible avec mes enfants et avant le + commencement des chaleurs, donc le plus tôt que tu pourras. Dans le + cas où, malgré ta bonne santé, tu ne pourrais pas partir aussitôt + que je le désire et qu'il convient, j'espère que tu ne souffriras + pas que personne prenne ta place, le contre-coup en serait trop + sensible et préjudiciable ici. Cette nation, qui aujourd'hui + m'accueille avec un enthousiasme que tu ne conçois pas, est + tellement fière qu'elle serait humiliée si nous ne restions pas à + notre place, sois plutôt malade et évite toute occasion; mais + mieux .............. que toute cette scène d'étiquette commence.</p> + +<p>Porte avec toi tout ce que nous possédons à Paris réalisé en effets + sur l'étranger; tout papier sûr est bon pour nous, qu'il soit à + quelle échéance qu'il soit, n'importe sur quelle place de l'Europe, + pourvu qu'il soit bon. Renvoie-moi le courrier et dis-moi les + personnes que tu préfères que je t'envoie à ta rencontre. Tu + arrangeras l'affaire des papiers, il faut des papiers au porteur, + les échéances comme les papiers des banques de Paris, Londres, + Vienne, ou actions réalisables et qu'on peut garder à volonté.</p> + +<p>Dispose de toute autre chose dont je ne parle pas, comme tu + l'entendras le mieux; rapporte-moi les papiers que Lance t'apporta; + au moins ceux que tu jugeras plus nécessaires, prends des + précautions pour que tu puisses demander et ravoir les autres, donne + à Fesch tout ce que tu voudras.</p> + +<p>Je suis arrivé ici hier, à travers des chemins jugés impraticables; + la manière dont j'ai été reçu ici surpasse toute idée; si on me + laissait agir librement, ce pays serait bientôt heureux et + tranquille. Amène Rœderer, il me serait bien utile et même + nécessaire, il s'en retournerait bientôt à Paris. M. Lapommeraye + peut venir ........... coûte .............. qu'il connaît bien.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Andujar, le 6 avril 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, M. le duc de Santa-Fé<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a> part dans l'instant, il est + <span class="pagenum"><a id="page036" name="page036"></a>(p. 036)</span> instruit de tout ce qui me regarde, même des affaires + particulières qui nous intéressent, crois tout ce qu'il te dira, je + désire que tout ce que nous possédons en France puisse être réalisé + en effets sans échéances fixes sur l'étranger, Nicolas (Clary) + pourrait nous servir dans ce cas. Je serai à Madrid avant toi, si je + suis instruit à temps de ton départ à Paris. Je t'embrasse avec mes + enfants.</p> + +<p>Tu verras quels sont les présents que je compte faire pour le + mariage et tu m'en parleras.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Cordoue, le 10 avril 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 19 et 21. Gaspard et M. + (nom illisible) sont arrivés depuis. Je n'ai rien à dire sur des + mesures qui te sont ordonnées par des médecins; mais M. Deslandes te + dira quelles sont mes idées sur tout ce que je possède en France. Tu + fais bien d'établir ta nièce avec le fils de M. Clément, puisqu'il + te convient et qu'il la demande. Tu feras bien de donner à Tascher, + Marcelle<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>, ils se conviennent ainsi qu'à leurs parents. M<sup>me</sup> + Salligny m'écrit; je t'ai écrit deux fois que je pensais qu'elle ne + devait pas te suivre à Madrid où elle ne serait pas convenablement, + nulles raisons véritables l'y appellent; elle est veuve, elle a une + fortune indépendante, elle a sa mère, je ne sais pas comment elle + pourrait se plaire à Madrid où ses relations la placeraient toujours + dans une fausse position. Je ne dois pas donc te dissimuler que ce + sont des dispositions inébranlables, ma position est déjà assez + difficile sans y ajouter d'autres embarras de tous les instants, + ainsi que ceux qui me viendraient d'elle<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 16 mai 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis + le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu + feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour + qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui + donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut + achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour + moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en + charge.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page037" name="page037"></a>(p. 037)</span> Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas + pourquoi tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta + nièce et que ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune + homme à tous autres n'importe la fortune, etc.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 16 juillet 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa + cousine<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a> m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se + marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me + disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de + rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne + faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que + le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles + fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends + donc que M<sup>lle</sup> Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien. + Je m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer + de parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi + d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris.</p> + +<p>Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les + affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une + vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots + illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse + avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir + ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je + suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. <i>Si on veut + que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne + doit pas espérer cela de moi.</i> J'ai des devoirs de cœur et de + besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais + jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader + pour le bien de ma famille.</p> + +<p>J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai + jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour + vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne. + <i>Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon + cœur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins + aux remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long. + Tu me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je + suis toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de + Deslandes, renvoies-le moi</i> (Deux lignes effacées). <i>Je suis obligé + de venir au secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien + et où la misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des + généraux français administrent mes provinces, renvoyent mes employés + et que Madrid <span class="pagenum"><a id="page038" name="page038"></a>(p. 038)</span> est le rendez-vous où tous les malheureux + aboutissent et où s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état + de choses me serait encore plus pénible toi et mes enfants étant + ici, et que je n'aurai plus la ressource d'errer avec un + quartier-général. Tout cela peut être réparé d'un mot de l'empereur, + qu'il trouve bon que je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende + l'administration de mes provinces et qu'il croye plus à ma probité + qu'à celle de Ney ou de Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il + faut que je m'établisse d'une façon définitive</i> à Madrid, il faut + que je sache comment je pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le + sais pas; l'Andalousie est absorbée par l'armée, les pays épuisés + par les insurgés, l'empereur ne sait rien, il faut qu'il connaisse + ma position, qu'elle change sa justice ou que je la fasse changer + par ma retraite des affaires; tu dois donc venir en Espagne avec la + connaissance de ce que veut l'empereur avec le projet d'y rester ou + résolue à la quitter pour la vie privée. Il n'y a personne à Paris à + qui je puisse écrire. L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais + chargé de mes affaires. Quand tu en seras partie, il n'y aura plus + aucun moyen de communication. Il est donc bon que tu saches bien + avant de partir ce qu'il nous importe de savoir et que nous ne + pourrons plus savoir après.</p> + +<p>Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>, quelque déplorable + que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à + la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des + habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La + guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me + laisser faire.</p> +</div> + +<p>(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont +illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les +mémoires de Joseph.)</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 29 août 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras + reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu + sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort + avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il + faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du + trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et + comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le + nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les + provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre <span class="pagenum"><a id="page039" name="page039"></a>(p. 039)</span> ainsi plus + longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir.</p> + +<p>Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai + besoin.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> septembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu + M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de + nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu + ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires, + lorsque cette lettre arrivera dans tes mains.</p> + +<p>Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait + aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône + d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais + que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs + principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme + et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions + que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste + ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux, + parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant + me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix + intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la + nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette + grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait + qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance + entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de + ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera + un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle + province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en + vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir, + si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais + pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je + voudrais une retraite absolue.</p> + +<p>Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple, + cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de + cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans + ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler + d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me + faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même + au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce + que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour + en sortir; mon âme se trouve dégradée et je préfère la mort à cet + état.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page040" name="page040"></a>(p. 040)</span> À cette lettre, qui n'est pas aux mémoires de Joseph, se +trouvait jointe la lettre du roi d'Espagne à l'empereur en date du +31 août 1810 (<i>Mémoires de Joseph.</i> Vol. VII, p. 325).</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 9 septembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20, j'attends toujours le + résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'empereur, depuis + le départ d'Almenara. D'une manière ou d'une autre ces choses + doivent être changées, elles ne peuvent pas rester longtemps dans + l'état où elles se trouvent, je fais ici une triste figure et j'en + mériterais la honte si je permettais qu'elles se prolongent plus + longtemps qu'il ne faut pour connaître la volonté de l'empereur.</p> + +<p>1<sup>o</sup> Roi d'Espagne, je ne puis l'être que tel que la constitution du + pays m'a proclamé.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Retiré de toutes affaires publiques en France ou dans un autre + pays, il me convient de connaître même sur cet article la volonté de + l'empereur.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Retourner en France conservant quelque prérogative publique, il + faut que je sache quels sont mes devoirs et mes droits avant de + prendre un parti; je ne veux me décider qu'en pleine connaissance de + tout cela, je n'ai ni crainte, ni ambition, ni ressentiment, je sais + que la politique fait tout, ainsi je pardonne tout; mais si en + m'enlevant le trône d'Espagne, on m'offre un état politique en + France, je veux le connaître.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Je ne veux aucun trône étranger. Je me réserve à me déterminer + pour une retraite absolue si ce qu'on me propose en France ne me + paraît pas convenable; ce à quoi je suis bien déterminé aujourd'hui; + c'est: 1<sup>o</sup> de ne pas rester ici sur le pied où je suis, 2<sup>o</sup> de ne + pas accepter un trône étranger, 3<sup>o</sup> de rendre mon existence en + France compatible avec mon honneur et la volonté de l'empereur et + l'intérêt de la nation, si mon existence semi-politique peut encore + lui être utile, sans cependant vouloir jamais me mêler + d'administration d'aucun genre et vouloir jamais paraître à la cour. + Si ce qu'on me propose ne me convient pas, retraite obscure et + absolue; mais les demi-jours, les fausses positions ne sont pas + dignes ni de mon nom ni de mon âme, ni supportables avec mon esprit.</p> + +<p>Je t'embrasse avec mes enfants et t'engage à être aussi contente que + je le suis moi, au milieu des contrariétés qui m'assiègent, et + j'éprouve bien aujourd'hui que ce lait nourricier d'une bonne et + vraie philosophie n'est pas aussi stérile qu'on veut bien le dire, + car, content de moi, je <span class="pagenum"><a id="page041" name="page041"></a>(p. 041)</span> le suis de tout, et regarde en + pitié <i>toutes</i> les passions étrangères qui s'agitent, sans me + blesser, autour de moi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 7 octobre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 17. Je me porte bien, + j'attends tes nouvelles et celles de Colette; mes affaires me + paraissent aller bien mal à Paris où on ne sait pas le mal que l'on + se fait à soi-même. L'avenir prouvera si j'ai raison.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 3 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 9, 10, 12 octobre, + renvoie-moi Gaspard avec des nouvelles sur les bruits qui courent + ici et qui font présager de nouveaux changements pour moi; dis-moi + ce qu'il en est, tu sais tout ce que je t'ai écrit. Si la retraite + est possible, je la préfère à un nouveau trône; si cela est + impossible, je préfère retourner à Naples plutôt que de faire une + nouvelle royauté quelle qu'elle soit.</p> + +<p>La position des affaires ici est horrible et bientôt elle sera + irrémédiable. L'empereur n'a rien répondu à tout ce que je lui ai + écrit sur un sujet aussi important pour la gloire et le bonheur de + deux grandes nations.</p> + +<p>Je t'embrasse avec mes enfants, je me porte bien.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 6 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 12 et 14, je t'ai déjà + écrit que c'est toi plus que moi qui peut décider s'il convient que + tu viennes ici, ce voyage doit être entrepris ou différé selon que + les affaires d'Espagne à Paris s'arrangent ou se brouillent, elles + ne peuvent pas rester longtemps telles qu'elles sont, cette crise ne + peut pas durer, il faut avancer ou reculer. Si je dois retourner en + France, il est inutile que tu viennes en Espagne, si je dois rester + en Espagne, il faut y venir. Mais, pour que je puisse y rester, il + faut que l'empereur fasse ce que je lui ai écrit par la lettre dont + était porteur M. d'Almenara, à laquelle il n'a pas répondu.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 16 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 22, 23 et 24, ma position + est <span class="pagenum"><a id="page042" name="page042"></a>(p. 042)</span> toujours la même, je suis ici bientôt un être + parfaitement inutile; tous les généraux correspondent avec le + major-général, prince de Neufchâtel. Les habitants s'exaspèrent tous + les jours davantage, le peu de succès que j'avais obtenu est effacé + tous les jours. L'empereur ne me répond pas, il ne me reste donc + qu'à me retirer des affaires. Ma santé d'ailleurs toujours + inaltérable commence à se ressentir de ma position équivoque, + ridicule et bientôt déshonorante, si je la supportais plus + longtemps.</p> + +<p>Occupes-toi donc de me trouver à louer une grande terre à cent + lieues ou soixante lieues de Paris; je suis décidé à m'y rendre et + de tout quitter, puisque je ne puis pas faire le bien ici et que + tout ce que j'ai dit et fait jusqu'ici devient inutile.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 20 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 28 octobre, ma position est + toujours la même. J'attends Azanza pour prendre un parti décisif et + finir le rôle honteux qu'on me fait jouer ici depuis mon retour de + la conquête de l'Andalousie.</p> + +<p>Je t'embrasse avec mes enfants.</p> + +<p>Lucien a été mené prisonnier à Malte.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 24 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, point d'estafette depuis deux jours. Je n'ai pas de + nouvelles directes de Masséna et je ne suis pas sans inquiétude sur + son armée. Je me porte bien, j'attends des nouvelles décisives de + Paris. Je désire que tu charges James ou mieux encore Nicolas, de + savoir s'il serait possible d'acquérir la terre de Montjeu à une + lieue d'Autun, après s'être assuré que le château est encore + habitable, à moins que tu ne préfères une terre en Provence, je + désire un bois de chasse et de l'eau, c'est ce que je trouve à + Montjeu; si tu préfères le midi, je te laisse le choix.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 28 novembre 1810.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 4, je me porte bien, les + affaires sont ici dans le même état. Je suis toujours sans réponse à + tout ce que j'ai écrit. Je ne pense pas pouvoir prolonger cet état + humiliant au delà de cette année. Je te prie de remettre à M. + Bouchard<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a> l'incluse; engage-le <span class="pagenum"><a id="page043" name="page043"></a>(p. 043)</span> à partir sur-le-champ et + de me répondre de dessus les lieux. Il faut finir ceci d'une manière + ou d'une autre; quoique je te dise que je me porte bien et que cela + soit ainsi, cependant ma constitution n'est plus ce qu'elle était et + je sens qu'elle ne résisterait pas à cet état de choses qui n'est + pas fait pour un homme tel que moi, toute la puissance de l'empereur + ne peut pas faire que je reste ici dans la position du dernier des + polissons. Tu peux voir par la lettre ci-jointe comment un général + français traite mes ministres. Un voleur effréné que j'ai renvoyé + d'ici, il y a trois mois, y revient triomphant. Ce misérable a causé + le massacre de plus de cent Français, victimes de l'exaspération des + habitants de la province de Guadalaxara et Cuença où il commandait + une colonne et où il ravageait tout. J'entre dans ces détails pour + que tu saches bien qu'on me force au parti que je prends et que je + n'en ai pas d'autre à prendre.</p> + +<p>Marius Clary doit être arrivé, j'attendrai la réponse à la lettre + que je t'ai écrite par lui avant de partir.</p> +</div> + +<p>La fin de l'année 1810 et le commencement de 1811 ne furent pas plus +favorables à Joseph; aussi voit-on ses lettres à la reine contenir +sans cesse les mêmes plaintes, justifiées par la conduite de +l'empereur à l'égard de l'Espagne.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 8 janvier 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 14 et 16, je suis peiné de + la perte de M<sup>lle</sup> Antoinette qui t'était attachée depuis si + longtemps; cette pauvre fille avait eu un grand malheur à mes yeux, + celui d'avoir occasionné cet accident qui a eu tant d'influence sur + notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni + de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois + ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi + lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec + mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de + mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment + m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu + partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux + pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en + désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton + absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous + dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a> ont anéanti + <span class="pagenum"><a id="page044" name="page044"></a>(p. 044)</span> tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans + l'esprit d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même + situation où je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois + ans. J'ai depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me + suis vu sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres + affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de + bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma + vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je + désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me + sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans + une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je + paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans + laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit, + attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me + paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 6 février 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que + celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai + adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir + accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits + les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un + dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les + nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on + m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu + ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus + rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que + j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est + assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis + hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à + des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la + fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu + dois penser si je désire que tout cela finisse.</p> +</div> + +<p>Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi, +après l'exposé fidèle de sa situation, dit:</p> + +<p class="lettre">Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel + ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le + prolongeais volontairement.</p> + +<p>Et plus loin:</p> + +<p class="lettre">Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je + pouvais <span class="pagenum"><a id="page045" name="page045"></a>(p. 045)</span> faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me + conseillent ne connaissent ma position ici, et nécessairement <i>elle + finirait par un événement tragique si elle ne finit pas par mon + départ volontaire</i>.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 24 mars 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai + écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même + état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le + permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me + rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans + quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour + cela.</p> + +<p>Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à + Mortefontaine pour ne plus vous quitter.</p> +</div> + +<p>L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort +justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne. +Sa belle-sœur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le +comte de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il +n'entrait pas encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser +la Péninsule sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que +tout autre. La guerre devenait imminente avec le Nord, il lui +paraissait utile d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait +son caractère loyal, affectueux et son dévouement personnel pour +lui. Il fit donc écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier +répondit à son oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7<sup>me</sup> +volume des <i>Mémoires de Joseph</i> et dont on a retranché cette phrase:</p> + +<p class="lettre">Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai + craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez, + après un rhume et une inflammation de poitrine.</p> + +<p>En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même +jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à +quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi:</p> + +<p class="lettre">Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous + importuner des sentiments que vous partagez ou <i>repoussez + peut-être</i>.</p> + +<p>Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde +lettre:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Madrid, 24 mars 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra + <span class="pagenum"><a id="page046" name="page046"></a>(p. 046)</span> cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un + moment. Je vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir. + Je suis inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas + accusé la réception. La première, du 14 février, portée par M. le + chef d'escadron Clouet, la 2<sup>me</sup> du 19 mars et la 4<sup>me</sup> du 24.</p> + +<p>Le général Blaniac<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a> ne voudrait pas que sa femme vînt le + rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que + ce n'est pas le moment.</p> +</div> + +<p>Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement +possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se +mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la +lettre ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Madrid, le 16 avril 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie, + par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre + et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet + qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne + ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait + que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques, + sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe + pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et + l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au + prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la <i>Toison + d'or</i> au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait + agréée. C'était l'usage autrefois.</p> + +<p>Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel.</p> +</div> + +<p>L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait +se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se +hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le +prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du <i>roi de +Rome</i>.</p> + +<p>Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et +dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux <i>Mémoires</i>, +le passage suivant:</p> + +<p class="lettre">Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux + mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes + qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin + bien <span class="pagenum"><a id="page047" name="page047"></a>(p. 047)</span> vif par l'état presque désespéré dans lequel se + trouve le fils de Rœderer, par une blessure mortelle qu'il a + reçue hier soir, dans une affaire particulière. Je trouvais quelque + plaisir à mener ce jeune homme à son père. Le destin en décide + autrement.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai + écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très + longues lettres; celle du 19 mars<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a> t'annonçait ma détermination + de me mettre en route pour la France; j'étais alors assez malade, je + n'ai pas été bien depuis, je suis mieux depuis mon départ de Madrid. + Je reçois aujourd'hui une lettre du prince de Neufchâtel qui + m'apprend que l'empereur a consenti à me faire un prêt de 500,000 + francs par mois. J'écris à ce sujet à l'empereur la lettre que tu + lui remettras ou lui feras remettre, j'arriverai peu de jours après + cette lettre.</p> + +<p>Je t'ai écrit il y a quelques jours par M. Jappi que tu dois m'avoir + renvoyé avec tes lettres.</p> +</div> + +<p>Le même jour qu'il écrivait à la reine Julie les lettres ci-dessus, +Joseph adressait à son frère celle qu'on va lire, laquelle a été un +peu tronquée dans les <i>Mémoires</i>. La voici intégralement:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Santa Maria de la Nieva, le 25 avril 1811.</p> + +<p>Sire,</p> + +<p>Je suis parti de Madrid le 23 sans avoir reçu aucune réponse aux + lettres que j'ai écrites depuis 3 mois à Votre Majesté, à la reine + et au prince de Neufchâtel. J'ai retardé tant que j'ai pu mon + voyage, mais la nécessité m'a enfin décidé et ce ne sera pas sans + peine que les services se soutiendront à Madrid pendant 40 jours, + quoique le trésor se trouve déchargé en grande partie de la dépense + de ma maison. J'ai dû craindre que Votre Majesté ne se rappelât plus + de moi et je n'ai vu de refuge que dans la retraite la plus obscure; + aujourd'hui je reçois une lettre du prince de Neufchâtel du 8, qui + m'annonce quelque secours; cette lettre me prouve que ma position + véritable commence à être connue et il n'est pas douteux que je + n'aurai rien à désirer de vous dès que je connaîtrai votre volonté, + puisque la mienne sera de m'y conformer autant que cela me sera + possible.</p> + +<p>Je retournerai en Espagne si vous jugez ce retour utile, mais je ne + <span class="pagenum"><a id="page048" name="page048"></a>(p. 048)</span> puis y retourner qu'après vous avoir vu et après vous + avoir éclairé sur les hommes et les choses qui ont rendu mon + existence d'abord difficile, puis humiliante et enfin impossible et + m'ont mis dans la position où je suis aujourd'hui.</p> + +<p>Je suis prêt aussi à déposer entre les mains de Votre Majesté les + droits qu'elle m'a donnés à la couronne d'Espagne, si mon + éloignement des affaires entre dans ses vues, et il ne dépendra que + de vous de disposer du reste de ma vie, dès que vous aurez assez vu, + pour avoir la conviction que vous connaissez l'état de mon âme et + celui des affaires de ce pays où je ne pourrai retourner avec succès + que nanti de votre confiance et de votre amitié, sans lesquelles le + seul parti qui me reste à prendre est celui de la retraite la plus + absolue; dans tous les cas, dans tous les événements je mériterai + votre estime. Ne doutez jamais de mon dévouement et de ma tendre + amitié.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Burgos, 1<sup>er</sup> mai 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 20 et 22; je t'ai écrit + le 16 avril et le 26 d'Almeida. Le voyage est utile à ma santé, je + séjournerai ici aujourd'hui pour ôter toute inquiétude que l'on + aurait eue en regardant ce voyage comme un départ définitif. J'ai + dissipé toutes ces craintes à Valladolid et sur toute la route et + j'ai dit que je retournerai dans le mois de juin avec ma famille. + Ainsi si les affaires prennent cette tournure à Paris, prépare-toi à + venir bientôt en Espagne et le plus tôt est le mieux. Dans ce cas, + mon absence ne saurait être trop courte, le bien réel et celui de + l'opinion qu'opérerait mon retour, dissiperait bientôt la légère + inquiétude occasionnée par mon départ et le bien serait décuple du + mal. Il y a beaucoup de choses à faire et plus encore à éviter pour + terminer les affaires d'Espagne d'une manière avantageuse aux deux + nations; il ne dépendra pas de moi que tout cela ne réussisse. Je + serai dans neuf jours à Bayonne, je pourrai peu de jours après + recevoir ta réponse à cette lettre. Je désire descendre à + Mortefontaine, j'ai avec moi 8 ou 10 personnes et 20 domestiques.</p> +</div> + +<p>Dans cette lettre on voit le roi Joseph renaître à l'espérance; cela +provenait de ce que ce malheureux souverain, pendant son voyage, +venait de recevoir de Berthier la nouvelle que l'empereur +consentirait à lui faire un prêt de 500,000 francs par mois, comme +il l'annonce à sa femme.</p> + +<p>Joseph resta à Paris près de son frère et de sa femme, pendant le +mois de mai et une partie de celui de juin 1811. L'empereur lui fit +<span class="pagenum"><a id="page049" name="page049"></a>(p. 049)</span> beaucoup de promesses, ce qui le détermina à retourner en +Espagne. Dans une circonstance assez secondaire, Napoléon lui fit +témoigner d'une façon fort dure son mécontentement. Le 11 juin 1811, +l'empereur écrivit à Berthier:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Saint-Cloud, le 11 juin 1811.</p> + +<p>Mon cousin, je vous prie d'aller voir le roi d'Espagne pour lui + parler de la dernière audience diplomatique et de l'indécence avec + laquelle s'y sont comportés plusieurs Français portant la cocarde + espagnole. Ils sont entrés en forçant la consigne et sachant bien + que je ne reçois pas les Français qui sont à <i>un service étranger</i>. + Heureusement je ne les ai pas vus, je les aurais fait chasser. Vous + direz que j'avais entendu, par recevoir les Espagnols, recevoir les + trois ministres et quelques chambellans espagnols que le roi a + amenés, mais que c'est sur la liste destinée pour le <i>Moniteur</i> que + j'ai vu le nom de plusieurs Français, entre autres celui du sieur + Tascher qui n'a pas même la permission de porter la cocarde + espagnole, et qu'à cette occasion, je ne comprends pas comment on + puisse porter une cocarde étrangère sans en avoir l'autorisation; + que ce que je désire, c'est que Clary, Miot, Expert et les autres + Français portés sur la liste, partent demain et se mettent en route + pour Bayonne; que je ne m'oppose pas à ce que le roi en fasse ce + qu'il veut en Espagne, mais que je ne puis m'accoutumer à voir des + Français venir faire de l'embarras à Paris sous un costume étranger. + Le remède à tout, c'est qu'ils partent aujourd'hui ou demain, + quoique je ne vois pas quelle nécessité il y avait à ce que le roi + mène ce tas de gens avec lui; vous direz également au roi que je ne + vois pas d'objection à ce qu'il parte, que quant à mes dispositions, + je persiste dans celles dont vous lui avez fait part, que votre + lettre doit donc lui servir de règle, que le temps prouvera par la + conduite qu'il tiendra si le voyage de Paris lui a été utile et s'il + a acquis la prudence nécessaire pour manier ces matières; que, quant + à l'argent, je fais donner au roi ces sommes sur les sommes + mensuelles que je lui ai promises, mais que c'est bien mal employer + son argent que celui destiné à payer les voyages d'un tas de gens + inutiles comme Miot, les Expert, etc.....</p> +</div> + +<p>Joseph reçut la visite de Berthier au moment où il partait pour +l'Espagne. Malgré cette dure leçon, il quitta Paris plein +d'espérance, croyant avoir la certitude que son frère, selon ses +promesses, viendrait à son secours, avancerait les fonds nécessaires +à l'entretien et au salut de la Péninsule. Il ne tarda pas à être +désabusé, ainsi qu'on va le voir par ses lettres à la reine, +laquelle ne l'avait pas suivi, attendant pour se rendre à Madrid +avec ses enfants que les choses eussent pris une meilleure tournure.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page050" name="page050"></a>(p. 050)</span> Joseph lui écrivit le 23 septembre 1811:</p> + +<p class="lettre">Ma chère amie, je reçois ta lettre du 10. Tu connaîtras ma + situation, elle est peu agréable; tu sais que je devais recevoir un + secours d'un million par mois, je reçois à peine la moitié, je ne + pourrai pas tenir longtemps si cet état de choses dure. Si ta santé + te permet de venir, tâche d'obtenir de l'empereur ce qui m'est dû + depuis juillet, à raison d'un million par mois, et même une avance + de quelques mois, afin que je ne sois pas dans l'inquiétude comme + aujourd'hui, lorsque vous serez arrivées.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> octobre 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je n'ai pas eu de tes lettres par le dernier + courrier, les enfants m'ont écrit que tu étais à Compiègne; il m'est + dû près de trois millions de francs sur le prêt que l'empereur m'a + promis d'un million par mois à dater du 1<sup>er</sup> juillet, aussi suis-je + dans les plus grands embarras; écris-moi si tu comptes partir, ne te + mets pas en route sans être précédée ou accompagnée par six millions + au moins, afin que je puisse avoir l'esprit en repos pour quelque + temps, faute de quoi il vaut mieux rester à Paris, car, sans argent, + sans troupes, sans commandement véritable, il est impossible que ma + position se prolonge longtemps; je me porte bien.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 1<sup>er</sup> novembre 1811.</p> + +<p>Ma chère amie, je n'ai pas reçu de tes lettres par la dernière + estafette, j'attends avec impatience de savoir que tu te portes bien + et que l'empereur m'envoie effectivement l'argent que je lui ai + demandé, sans lequel je ne puis rien faire de bon ici, le million + qu'il m'a promis comme avance à dater du 1<sup>er</sup> juillet et un autre + million en remplacement du quart des autres arrondissements.</p> + +<p>Marius Clary a été très malade, mais il est mieux, tu m'as parlé de + deux partis pour sa sœur, je ne connais pas le personnel du + <i>civil</i>, mais, s'il est bon, je le préfère au <i>militaire</i>, dont tu + me parles.</p> +</div> + +<p>Le roi Joseph avait beaucoup d'affection pour le général Hugo, +employé à Madrid. Le général vivait en mauvaise intelligence avec sa +femme, il lui écrivit le 30 janvier 1812:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai lu avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous m'avez écrit, ainsi + que M<sup>me</sup> Hugo.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page051" name="page051"></a>(p. 051)</span> Mon désir le plus constant est que vous vous arrangiez de + manière à être heureux, je n'ai rien négligé pour cela, + l'attachement que je vous porte m'en a fait un devoir; mais, si mes + vœux ne se réalisent pas, je ne dois pas vous cacher que ma + volonté est que vous ne donniez pas ici un exemple scandaleux en ne + vivant point avec M<sup>me</sup> Hugo comme le public a droit de l'attendre + d'un homme qui, par sa place, est tenu à donner le bon exemple.</p> + +<p>Quel que soit le regret que j'aurais de vous voir éloigné de moi, je + ne dois pas vous cacher que je préfère ce parti au spectacle + qu'offre votre famille depuis trois mois.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> février 1812.</p> + +<p>Ma chère amie, je n'ai rien de bon à t'écrire après la prise de + Valence; la récolte a été mauvaise et le blé est très cher, il y a + beaucoup de misère ici; je reçois à peine la moitié de ce qui + m'avait été promis à Paris, et je serais impardonnable d'être + reparti si j'avais pu prévoir l'avenir qui m'attendait dans ce pays. + Les avantages que je pouvais tirer de la reddition de Valence par le + grand nombre de soldats qui abandonnent l'insurrection, vont bientôt + être perdus par le dénûment où je me trouve et d'argent et de moyens + de m'en procurer; quelle sera la fin de tout ceci, je l'ignore et ne + veux pas la prévoir: 1<sup>o</sup> l'unité dans le commandement et dans + l'administration; 2<sup>o</sup> un but fixe et certain offert à toutes les + provinces, pourraient encore sauver nos affaires et il faudrait que + l'empereur fit encore beaucoup de sacrifices d'argent, sans cela + tout ira mal et va déjà si mal que, ne pouvant rien, je dois désirer + que cela finisse pour moi le plus tôt possible.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, le 21 février 1812.</p> + +<p>J'ai reçu ta lettre du 28 janvier et 1<sup>er</sup> février. Je suis fâché + d'apprendre que ta santé n'est pas bonne, je n'ai aucune réponse + directe aux lettres que j'ai écrites, il est fâcheux que cela soit + ainsi; mais il serait encore plus fâcheux pour moi que je crusse + mériter d'être traité comme je le suis, je désire que tout ce qui se + passe finisse bien, je le désire sincèrement plus que je ne + l'espère.</p> + +<p>Ma santé n'est pas très bonne, cependant je serais heureux de penser + que la tienne fût de même.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p> +<p class="date">Madrid, 7 mars 1812.</p> + +<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14; je n'ai aucune nouvelle de + <span class="pagenum"><a id="page052" name="page052"></a>(p. 052)</span> Paris, tu ne me dis rien des événements qui sont arrivés + ou dont nous sommes menacés, ma position ici est impitoyable; que je + sauve l'honneur, je regrette peu le reste.</p> + +<p>Adieu, ma chère amie, écris-moi la vérité et embrasse nos enfants.</p> +</div> + +<p>Vers cette époque une mesure prise bien tard sans doute, mais enfin +prise par l'empereur, prêt à partir pour le Nord, rendit un peu de +courage à Joseph et lui donna quelque espérance. Il apprit que son +frère plaçait sous son commandement unique toutes les troupes en +Espagne et lui donnait pour major-général le maréchal Jourdan. Le +roi se mit immédiatement à la tête de ses armées, mais il s'aperçut +bientôt de la difficulté qu'il aurait à se faire obéir des +commandants des divers corps, accoutumés à être indépendants.</p> + +<p>Dès qu'il fut entré en campagne, Joseph écrivit à la reine un grand +nombre de lettres fort importantes. Il lui manda de Valence le 9 +septembre 1812:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma chère amie, tu pourras concevoir par la copie ci-jointe + l'enchaînement des événements qui m'ont forcé à quitter Madrid, la + résistance qu'a éprouvée l'exécution de mes ordres au Nord et au + Midi, la précipitation qu'a mis l'armée de Portugal retirée derrière + le Duero à attaquer l'armée anglaise avant l'arrivée des secours qui + lui étaient annoncés du Nord et du Centre. Masséna arrive; s'il + amène des troupes, si on envoie de l'argent, si les généraux qui ne + veulent pas obéir et qui s'isolent dans leurs provinces sont + rappelés, les affaires se rétabliront bientôt.</p> + +<p>Je me porte très bien, je t'embrasse avec mes enfants, je désire que + vous vous portiez aussi bien que moi et vous revoir bientôt, car la + vie se passe.</p> + +<p>Si l'empereur ne rappelle pas les généraux du Nord et du Midi, il + n'y a rien de bon à espérer dans un état de choses où il faut un + commandement prompt, absolu, et où l'impunité encourage à la + désobéissance et perpétuera les malheurs jusqu'à la perte totale de + ce pays.</p> +</div> + +<p>À cette lettre était jointe la copie de la lettre de Joseph à +Berthier, en date du 4 septembre, qui ne se trouve pas aux Mémoires +et que voici. Elle est relative à la bataille de Salamanque.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Valence, le 4 septembre 1812.</p> + +<p>J'apprends par une voie indirecte que le conseil des ministres ayant + eu connaissance des résultats de l'action qui a eu lieu le 21 + juillet dernier aux environs de Salamanque entre l'armée de Portugal + et l'armée <span class="pagenum"><a id="page053" name="page053"></a>(p. 053)</span> anglaise, avait donné des ordres pour faire + passer en Espagne des renforts et remis à M. le prince d'Essling le + commandement de l'armée de Portugal.</p> + +<p>En adressant à V. A. S. mes remerciements de l'empressement qu'elle + et le conseil des ministres ont mis à prendre cette mesure, je crois + devoir lui communiquer directement un sommaire des événements et de + la situation des affaires militaires avant et après cette époque, ma + correspondance avec le ministre de la guerre en contient les détails + en quelque sorte jour par jour, mais dans la crainte qu'elle ne lui + soit pas parvenue, il me paraît utile d'en rassembler ici les + principaux faits.</p> + +<p>Le maréchal duc de Raguse ne s'étant pas cru en mesure d'attaquer + les Anglais, après qu'ils eurent passé l'Agueda le 12 juin, se + retira successivement entre la Tormès et le Duero et finalement + passa sur la rive droite de ce fleuve.</p> + +<p>L'armée de Portugal resta dans cette position en rappelant à elle + toutes ses divisions.</p> + +<p>L'armée anglaise demeura en observation sur la rive gauche du Duero, + et ne fit aucune tentative pour le passer.</p> + +<p>Il était aisé de prévoir que le sort de l'Espagne pourrait dépendre + d'une affaire qui paraissait inévitable et qu'il était de la plus + haute importance de mettre le duc de Raguse en état de combattre + avec les plus grandes probabilités de succès.</p> + +<p>Je pressai des secours de toutes parts, mais mes ordres ne furent + pas exécutés, le général en chef de l'armée du Midi<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a> se refusa + aux dispositions que j'avais prescrites, et ce ne fut qu'après + beaucoup d'hésitations que celui de l'armée du Nord se détermina à + faire partir sa cavalerie et son artillerie que je lui avais ordonné + d'envoyer au duc de Raguse.</p> + +<p>Réduit par conséquent à mes propres forces, je pris le parti + d'évacuer toutes les provinces du Centre; je ne laissai de garnisons + qu'à Madrid et à Tolède et je formai un corps de 14,000 hommes avec + lequel je partis de Madrid le 21 pour me porter sur le Duero et + effectuer ma jonction avec l'armée du Portugal.</p> + +<p>J'appris en route que M. le maréchal duc de Raguse avait déjà passé + ce fleuve, le 18, à Tordesillas, que l'armée anglaise s'était + repliée sur Salamanque; je continuai à marcher avec la confiance + d'opérer très promptement ma jonction sur la rive gauche du Duero.</p> + +<p>Mais au moment où cette jonction allait avoir lieu, je reçus le 25 + juillet, à Blasca-Sancho, des lettres de M. le maréchal Marmont et + de M. le général Clausel qui m'annonçaient qu'il y avait eu le 22 + une affaire générale; comme ces lettres fixent d'une manière précise + les <i>événements de cette journée où M. le maréchal duc de Raguse, à + la veille <span class="pagenum"><a id="page054" name="page054"></a>(p. 054)</span> de recevoir des renforts qu'il attendait depuis + un mois, a engagé volontairement une action dont les résultats ont + été si graves</i>, j'en adresse une copie à Votre A. S.<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a></p> + +<p>L'armée du Portugal faisait sa retraite en toute hâte et sans + chercher à s'appuyer des forces que j'avais avec moi, je ne pouvais + plus que me retirer et tout ce qui me restait à faire était de + tenter de ralentir la poursuite de l'ennemi par ma présence en + attirant son attention sur moi.</p> + +<p>Je partis donc le même jour, 25, dans l'intention de me replier à + petites journées sur Madrid.</p> + +<p>Le 27 je fus rejoint par un aide de camp (M. Fabier) de M. le + maréchal duc de Raguse qui m'apportait des dépêches de lui et du + général Clausel. L'un et l'autre me mandait que la poursuite de + l'ennemi était ralentie et me témoignaient le désir de se réunir à + moi, si je voulais m'approcher d'eux.</p> + +<p>Quoique je sentisse tout le danger de ce mouvement, je ne m'y + refusai pas et je me dirigeai sur Ségovie, où je restai quatre jours + pour donner le temps à l'armée du Portugal de se porter sur moi; + mais elle ne changea pas sa première direction, soit que l'ennemi + l'en ait empêchée, soit qu'elle n'ait jamais eu le dessein réel de + s'éloigner du Nord. Elle continua sa retraite sur le Duero qu'elle + passa et se détacha ainsi totalement de moi.</p> + +<p>En revenant à Madrid, le 3 août, avec le petit corps de troupes que + je ramenais, j'avais l'espérance d'être joint par dix mille hommes + de l'armée du Midi que, depuis le 9 juillet, j'avais donné l'ordre + au duc de Dalmatie d'envoyer à Tolède. Je me flattais aussi que le + corps du comte d'Erlon, de la même armée, qui était en Estramadure, + aurait fait un mouvement pour se rapprocher du Tage, suivant mes + instructions; avec ces ressources j'aurais pu défendre et couvrir la + capitale contre un détachement que l'armée anglaise eût fait sur + moi, après avoir rejeté l'armée du Portugal sur l'Ebre; mais toutes + ces espérances s'évanouirent à la réception d'une lettre du duc de + Dalmatie qui refusait positivement d'obéir.</p> + +<p>D'un autre côté, j'apprenais que <i>l'armée du Portugal s'éloignait de + plus en plus du Duero et se retirait sur Burgos</i>; en même temps tous + les rapports annonçaient que lord Wellington se préparait à marcher + sur la capitale; toute la population y était en mouvement.</p> + +<p>En effet, l'ennemi ayant passé les montagnes le 8 et le 9, plus de + 2000 voitures partaient de Madrid le 10, en se dirigeant vers le + Tage.</p> + +<p>Je me portai le même jour de ma personne sur le point où leurs + <span class="pagenum"><a id="page055" name="page055"></a>(p. 055)</span> divisions, après s'être retirées des débouchés des + montagnes, s'étaient repliées et je fis reconnaître l'ennemi qui les + suivait; cette reconnaissance engagea un combat très opiniâtre de + cavalerie et dont les résultats furent à notre avantage. L'ennemi + perdit trois pièces de canon, beaucoup de morts, de blessés et un + assez grand nombre de prisonniers, dont les rapports ne me + laissèrent au surplus aucun doute sur le parti que j'avais à + prendre.</p> + +<p>Je n'avais avec moi que huit mille hommes de disponibles, le reste + escortait le convoi. Je passai le Tage le 12 août au soir.</p> + +<p>Comme j'avais écrit, dès que j'eus la nouvelle de l'affaire du 22 + juillet, de Ségovie au duc de Dalmatie d'évacuer l'Andalousie et de + venir me rejoindre avec toute son armée, mon premier dessein avait + été de marcher au devant de cette armée et de me réunir à elle aux + débouchés de la Sierra-Morena, mais des nouvelles lettres que je + reçus de M. le maréchal duc de Dalmatie (à 5 lieues d'Ocana), ne me + laissant rien à espérer du moins pour le moment, je me décidai à me + retirer sur Valence.</p> + +<p>En prenant cette résolution j'ai eu en vue deux objets principaux, + l'un de mettre en sûreté l'immense population qui m'a suivi, l'autre + de protéger et de défendre le royaume de Valence, menacé par un + débarquement à Alicante de 13,000 Anglais, Siciliens et Majorcains, + qui, réunis aux forces de Freyre et d'O'Donnel, auraient formé un + corps de 25 à 30,000 hommes, capable d'inquiéter sérieusement + l'armée d'Aragon.</p> + +<p>J'ai été assez heureux pour atteindre ce double but, le convoi est + arrivé à Valence et la présence inopinée des troupes que j'amenais + avec moi a forcé l'ennemi à se retirer sous Alicante et peut-être à + s'embarquer.</p> + +<p>J'ai trouvé ici des nouvelles de France, dont j'étais privé depuis + trois mois.</p> + +<p>L'armée se repose d'une route extrêmement fatigante, je fais filer + sur les derrières tout ce qui a jusqu'ici embarrassé ma marche et je + laisse partir pour la France les familles françaises qui désirent y + rentrer.</p> + +<p>S'il arrive des secours de France pour réparer les pertes du 22 + juillet et contre-balancer les renforts que l'ennemi reçoit de la + Méditerranée et de l'Océan, si l'on m'envoie 15 à 20 millions en sus + des versements habituels du trésor impérial, si, enfin, instruits + par ce qui vient de se passer, les généraux commandant les divers + corps de l'armée exécutent mes ordres, au lieu de les discuter, ce + qui arrivera lorsque l'empereur leur témoignera son mécontentement + et en aura rappelé quelques-uns, je ne doute pas que les affaires + d'Espagne se rétablissent.</p> + +<p>Agréez, etc.</p> + +<p><i>P. S.</i> Valence, le 8 septembre 1812. Au moment où je fais partir ce + <span class="pagenum"><a id="page056" name="page056"></a>(p. 056)</span> duplicata, je reçois les papiers publics de Paris jusques + au 21 août; je ne puis cacher à V. A. S. ma surprise sur la manière + dont on y rend compte de l'affaire du 22 juillet. Comment M. Fabier, + qui a porté la nouvelle de cette action à Paris et qui m'a + accompagné à Ségovie <i>où je suis resté quatre jours</i>, protégeant la + retraite de l'armée du Portugal, a-t-il pu laisser ignorer mon + mouvement et le dévouement personnel que j'ai mis à rester seul en + présence de l'ennemi, tandis que les débris de l'armée du Portugal + passaient de l'autre côté du Duero, ainsi que V. A. S. le voit par + les détails contenus dans cette lettre? <i>Je ne voulais pas + m'appesantir sur cette mauvaise foi et cette perfidie. La bataille + du 22 a été perdue parce que le maréchal duc de Raguse n'a pas voulu + m'attendre, ni attendre les secours qui lui venaient du Nord; ces + secours et ceux que je lui amenais étaient en mesure de le joindre + le lendemain ou le surlendemain de l'affaire; mais il paraît que, + trompé par une ruse de lord Wellington</i> qui a fait tomber entre ses + mains une lettre au général Castanos, dans laquelle il lui mandait + que sa position n'était plus tenable et qu'il était obligé de se + retirer, M. le duc de Raguse a cru marcher à une victoire assurée, + et une soif désordonnée de gloire ne lui a pas permis d'attendre <i>un + chef</i>.</p> +</div> + +<p>Une fois encore la reine Julie et ses enfants durent se mettre en +route pour venir rejoindre le roi Joseph à Madrid, mais ce projet +dut être abandonné pour l'instant. Le roi fut obligé de quitter sa +capitale pour chercher à se réunir aux armées de Suchet et de Soult. +Tandis que ce dernier s'obstinait à rester en Andalousie et que +Marmont avec l'armée du Portugal se hâtait de livrer +inconsidérément, près de Salamanque, la bataille des Arapiles, qu'il +perdait pour n'avoir pas voulu attendre les renforts en marche pour +le rejoindre, Joseph ralliait Suchet à Valence, apprenait par le +plus singulier des hasards les infâmes accusations du duc de +Dalmatie<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>, portait son quartier-général à Valladolid, selon les +instructions de l'empereur, et écrivait de cette ville, le 3 mai +1813, à la reine Julie:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 8 avril par des courriers qui + portent des lettres de Paris à la date du 16. Je n'ai pas reçu de + lettre des enfants, je me persuade toutefois que vous vous portez + bien toutes les trois. M. de la Forest<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a><a href="#footnote35" title="Lien vers la note 35"><span class="smaller">[35]</span></a> part pour les eaux, je + pense que tu le verras à Paris, son langage est bon, mais il n'est + pas secondé par quelques chefs qui en tiennent un différent. Les + troubles du Nord de l'Espagne <span class="pagenum"><a id="page057" name="page057"></a>(p. 057)</span> ne peuvent être attribués + qu'à l'erreur dans laquelle on laisse les habitants sur leur sort + futur; l'opinion a causé tout le mal et l'opinion continue à être + trompée et à causer cette résistance nationale qui occupe une grande + partie de nos forces. Du reste, l'opinion générale de toutes les + provinces et de toutes les classes est uniforme: la paix..... qui + conserve la paix avec la France et qui garantit l'intégrité et + l'indépendance de la monarchie.</p> + +<p>Les opérations ne sont pas encore commencées.</p> +</div> + +<p>Le roi Joseph obtint enfin au commencement de 1813 le rappel du +maréchal Soult. Il fut informé de cette disposition par une lettre +du duc de Feltre, auquel l'empereur, qui n'écrivait plus directement +à son frère, avait envoyé la dépêche suivante, datée de Paris, 3 +janvier:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur le duc de Feltre, le roi d'Espagne demandant qu'on rappelle + à Paris le duc de Dalmatie, et ce maréchal le demandant aussi, ou au + moins à revenir par congé, envoyez au duc de Dalmatie, par estafette + extraordinaire, un congé pour revenir à Paris; le général Gazan + prendra le commandement de son corps ou le maréchal Jourdan. Il faut + expédier ces ordres par duplicata et triplicata.</p> + +<p>Faites connaître au roi, en lui écrivant en chiffres, que, dans les + circonstances actuelles, je pense qu'il doit placer son quartier + général à Valladolid, que le 29<sup>me</sup> bulletin lui aura fait connaître + la situation des affaires du Nord qui exigent tous nos soins et nos + efforts, qu'il peut bien faire occuper Madrid par une des extrémités + de la ligne, mais que mon intention est que son quartier général + soit à Valladolid; et que je désire qu'il s'applique à profiter de + l'inaction des Anglais pour pacifier la Navarre, la Biscaye et la + province de Santander.</p> +</div> + +<p>Nous allons placer ici l'affaire relative au duc de Dalmatie.</p> + +<p>Le maréchal était l'homme qui avait le plus contribué au mauvais +succès des affaires d'Espagne. Depuis qu'il était en Andalousie, se +trouvant maître des ressources de cette riche province, il ne +voulait pas quitter Séville et refusait d'obéir aux ordres du roi, +lequel avait hâte de concentrer ses forces. Dans le but de pallier +la faute qu'il commettait en n'obéissant pas aux ordres du roi, son +chef militaire, puisque Joseph commandait toutes les armées dans la +Péninsule; dans le but d'échapper aux conséquences de son refus de +joindre ses troupes à celles des autres corps opérant en Espagne, le +duc de Dalmatie imagina le plus singulier moyen. Il osa accuser le +roi Joseph de trahir la France et l'empereur et déclarer qu'il était +de son devoir de ne pas obéir au roi. Il osa envoyer à Napoléon +lui-même une dépêche dans ce sens.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page058" name="page058"></a>(p. 058)</span> Voici à cet égard une note copiée au journal du général +Desprez, colonel, aide de camp de Joseph en 1812, envoyé au duc de +Dalmatie pour lui porter les ordres du roi, envoyé ensuite à +l'empereur, à Moscou, pour lui remettre les dépêches de Soult, si +singulièrement tombées aux mains de Joseph à Valence, ainsi qu'on va +le voir.</p> + +<p>Le colonel Desprez avait été envoyé à Séville par le roi, porter +l'ordre au maréchal de partir avec l'armée du Midi pour le joindre.</p> + +<div class="lettre"> +<p>À peine avais-je quitté l'Andalousie pour revenir près de Joseph, + écrit-il, que le duc de Dalmatie s'était occupé de concilier sa + propre sûreté avec une désobéissance formelle. Le moyen dont il + s'était avisé peut servir à peindre son caractère. Les généraux de + division de son corps furent réunis en conseil secret et là, d'une + voix émue, il avait annoncé qu'il allait leur faire des révélations + aussi pénibles qu'importantes: «J'ai, leur avait-il dit, de fortes + raisons de croire que le roi trahit les intérêts de la France. Je + sais d'une manière positive qu'il entretient des relations avec la + régence espagnole. Son beau-frère, le roi de Suède, lui sert + d'intermédiaire. Celui-ci est devenu l'allié des insurgés et déjà + 300 Espagnols destinés à former sa garde se sont embarqués à Cadix. + Sujet de l'empereur et général français, je dois veiller, avant + tout, aux intérêts de mon souverain et à l'honneur de nos armes. Je + puis recevoir des ordres qui les compromettront, alors la + désobéissance deviendrait un devoir. Dans des circonstances aussi + graves, je compte sur votre dévouement à l'empereur et sur votre + confiance dans le chef qu'il vous a donné.» Cette démarche avait été + habilement conçue dans le cas où le maréchal aurait voulu prendre un + parti violent et se trouvait justifiée aux yeux de l'armée. + D'ailleurs, il connaissait trop bien le caractère de Napoléon pour + craindre que jamais cette excessive défiance lui parût un crime + impardonnable. Pour se mettre entièrement à couvert, il avait songé + à prévenir le gouvernement français des inquiétudes qu'il avait + conçues et des précautions que son dévouement lui avait dictées. Les + communications par terre étant interrompues, il fit partir de Malaga + un <i>aviso</i> chargé de ses dépêches. À peine le bâtiment était-il + sorti du port qu'une corvette anglaise lui avait donné la chasse. + Pour échapper à cette poursuite, il était venu se jeter à la côte de + Valence. Le capitaine s'étant présenté au duc d'Albuféra, celui-ci + prit ses dépêches et les porta au roi; elles furent ouvertes + sur-le-champ et on y trouva une longue lettre au ministre de la + guerre, où Soult dénonçait formellement celui dont il se disait + l'ami le plus dévoué. Je vis cette lettre et il est impossible de + concevoir que l'hypocrisie aille plus loin. Après une longue + énumération de faits, le maréchal faisait une vive peinture de la + douleur qu'il avait éprouvée. Il aurait voulu se dissimuler la + vérité, épargner à l'empereur des révélations <span class="pagenum"><a id="page059" name="page059"></a>(p. 059)</span> pénibles, + mais le devoir avait parlé plus haut que toute autre considération.</p> + +<p>Cette perfidie consterna Joseph. La haute opinion que le maréchal + semblait avoir conçue de son esprit, les protestations de tendresse + qu'il en recevait, avaient séduit un homme que l'amour-propre + rendait excessivement crédule, mais de ce moment toute illusion fut + détruite.</p> +</div> + +<p>Cette note, copiée sur le journal du général Desprez, fut +communiquée à M. de Presle, le jour même où l'aide de camp du roi +Joseph, devenu un des généraux les plus distingués de l'armée +française, partit, en 1830, pour l'expédition d'Alger.</p> + +<p>L'empereur ne témoigna aucun mécontentement au duc de Dalmatie, ne +répondit pas à son frère relativement à cette grosse affaire et se +borna à autoriser le retour en France du maréchal Soult, comme on +l'a vu, par sa lettre du 3 janvier 1813, au duc de Feltre. Puis, dès +qu'il connut le résultat de la bataille de Vittoria (24 juin 1813), +la retraite des armées d'Espagne sur les Pyrénées, l'empereur envoya +le même duc de Dalmatie prendre le commandement de ses armées +d'Espagne, commandement que Joseph se hâta de lui remettre.</p> + +<p>Ainsi, le malheureux roi d'Espagne, comme l'avait été deux années +auparavant le roi de Hollande, n'était en quelque sorte qu'un +souverain nominatif, sans cesse désavoué par l'empereur, désobéi par +les généraux mis sous ses ordres, et dont les provinces étaient +dévastées, pillées par plusieurs de ces mêmes généraux. Napoléon lui +promettait des subsides et trouvait toujours moyen d'éluder une +partie de ce qu'il s'était engagé à lui fournir; ne répondait ni à +ses lettres, ni à ses justes réclamations; ne le défendait même pas +des injurieuses et sottes accusations que portait contre lui un de +ses propres maréchaux! Bien plus, il semblait admettre que ces +accusations pouvaient être fondées, car il plaçait ce même maréchal +à la tête de ses troupes.</p> + +<p>En arrivant à Saint-Jean de Luz, le 1<sup>er</sup> juillet 1813, Joseph +écrivit à la reine:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma chère amie, M. Melito, que j'ai chargé d'une lettre pour + l'Empereur, te fera connaître exactement ma position; je ne pense + pas que les affaires d'Espagne puissent se rétablir autrement que + par la paix générale, je suis resté ici parce que la frontière est + menacée, mais dès que cette première frayeur sera dissipée et que la + défensive sera bien assurée, ma présence étant inutile, je désire me + retirer soit à Mortefontaine, soit dans le Midi; je suppose que l'on + formera ici deux armées, qui devront avoir deux chefs différents, je + ne crois pas que j'aie ici rien à faire, dès que la première + impression sera passée, et que l'empereur <span class="pagenum"><a id="page060" name="page060"></a>(p. 060)</span> aura pris ses + mesures. Je ne dois pas te cacher non plus qu'aujourd'hui même je me + sens incapable de monter à cheval par mes anciennes douleurs qui + m'ont pris cette nuit, soit à la suite des longues pluies que nous + avons essuyées, soit à cause du changement de climat et je n'hésite + pas à te dire que sous tous les rapports je dois désirer de me + retirer. D'un autre côté je suis ici avec une maison qui me coûte + encore trois cent mille francs par mois et je n'ai pas un sol pour + la payer. Elle vit, depuis la funeste journée du 21, sur le peu + d'argent que chacun de mes officiers ou de mes domestiques avait + dans sa poche, et pour te donner une plus parfaite idée de ma + position, je t'envoie la lettre que je reçois à l'instant même<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a><a href="#footnote36" title="Lien vers la note 36"><span class="smaller">[36]</span></a>.</p> + +<p>En me retirant à Mortefontaine, je pourrai y vivre avec mon + traitement de France que l'on t'a continué, et si l'empereur veut + faire mettre à ma disposition une somme de quelques centaines de + mille francs, je pourrai renvoyer tout mon monde avec une légère + gratification.</p> + +<p>Si l'empereur n'y pense pas, je compte sur Nicolas Clary. En + ajoutant aux cent mille francs que je t'ai prié de lui dire de + verser à M. James, encore quatre cent mille francs, je pourrai + m'acquitter autant que les circonstances le permettent; je suppose + que je serai rendu à Mortefontaine avant la fin du mois. La garde, + les troupes espagnoles, les militaires des deux nations qui me + suivent pourront être habilement employés par l'empereur, et je ne + doute pas qu'ils ne servent bien; il me reste le souci de quelques + employés français, mais le nombre en est très restreint. Les + réfugiés espagnols sont en plus grand nombre, mais j'ai écrit à + l'empereur et fait écrire au ministère et je ne doute pas que l'on + n'adopte, en leur faveur, les mêmes mesures qui furent prises dans + d'autres temps pour les Bataves, les Belges et les Cisalpins. J'ai + perdu quelques-uns des diamants qui restaient, mais j'en ai aussi + conservé assez pour couvrir Nicolas des avances qu'il serait dans le + cas de me faire encore. Au reste j'espère que je n'aurai pas besoin + de recourir à lui pour peu que l'empereur connaisse ma position. Le + traitement de prince français sera bien suffisant pour la vie que je + dois mener après tant de traverses.</p> + +<p>Je diminuerai la quotité des pensions que je faisais et les + répartirai sur les plus malheureux des hommes respectables que j'ai + aujourd'hui le malheur de voir partir à pied pour Toulouse, Cahors, + Tarbes, sans pouvoir leur donner un sou. Je suis resté avec un + napoléon dans ma poche après le massacre de Thibaut<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a><a href="#footnote37" title="Lien vers la note 37"><span class="smaller">[37]</span></a>, je n'ai pu + faire vendre à Bayonne de l'argenterie qui y avait été transportée + avec des effets usuels, successivement <span class="pagenum"><a id="page061" name="page061"></a>(p. 061)</span> de Madrid pour le + palais de Valladolid et de Valladolid pour celui de Vittoria, d'où + M. Thibaut, qui était extrêmement soigneux, économe pour mon + service, les avait fait transporter. Tout cela se dirigera sur + Paris, il y aura de l'argenterie pour cinquante mille écus que M. + James peut faire vendre. J'ai fait vœu d'employer cette somme + ainsi que toutes celles qui proviendront du peu que j'ai emporté + d'Espagne, en faveur des malheureux patients espagnols qui me + suivent ou qui m'ont précédé en France.</p> + +<p>J'espère que tu ne désapprouveras rien de tout cela.</p> + +<p>Après tant d'orages, ma chère amie, l'idée du calme me donne quelque + soulagement et je ne pense pas sans plaisir que je pourrai m'occuper + de mes enfants pendant le peu de temps qui me reste à les voir avant + leur établissement.</p> + +<p>L'empereur me trouvera toujours s'il a besoin de moi et, dans tous + les cas, s'il est vrai qu'il ne lui reste plus rien de fraternel + dans l'âme pour moi, je le forcerai à ne pas rougir d'un frère qui + se sera montré impassible dans la bonne comme dans la mauvaise + fortune.</p> + +<p>Il me reste à désirer que tu ne te laisses pas affecter par tout + ceci, que tu ramènes des eaux une meilleure santé et que tu croyes + bien, quelque chose que tu m'aies dite souvent, que je n'ai d'autre + ambition que de remplir ce que je crois mes devoirs; cela fait, je + préfère et j'ai toujours véritablement préféré la vie privée aux + grandeurs et aux agitations publiques, le présent et l'avenir te + prouveront ceci.</p> + +<p>Melito est parti avec le peu d'argent qu'il avait dans ses poches; + je te prie de lui faire remettre 8000 francs, afin qu'il puisse + faire convenablement sa route et revenir m'apporter la réponse de + l'empereur le plus tôt possible. Si tu te crois en mesure de lui + écrire pour la lui recommander, tu me feras plaisir. C'est le seul + homme des anciens amis qui me soit resté attaché jusqu'à la fin. Je + voudrais que l'empereur trouvât bon qu'il continuât de porter le + titre de comte de Melito que je lui donnai à Naples, où tu te + rappelles qu'il servait bien comme ministre de l'intérieur.</p> + +<p>Adieu, etc.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Joseph à la reine Julie.</p> +<p class="date">Bayonne, le 13 juillet 1813.</p> + +<p>Ma chère amie, M. Rœderer te donnera de mes nouvelles ou + t'écrira; je compte aller prendre les eaux de Bagnères où + j'attendrai de tes nouvelles; je viendrai te rejoindre à + Mortefontaine ou, si cela contrarie l'empereur, tu viendrais ou tu + me donnerais rendez-vous dans une terre que tu aurais fait choisir + dans le Midi de la France, tu amènerais nos enfants; je me porte + assez bien.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page062" name="page062"></a>(p. 062)</span> Les pertes de l'armée se réduisent à des canons, l'ennemi + avoue avoir perdu beaucoup plus de chevaux et d'hommes que nous.</p> + +<p>Je laisse l'armée plus forte du double que celle que j'avais à + Vittoria.</p> + +<p>Si tu dois venir me rejoindre, il serait bon que Nicolas y vînt avec + toi; si je dois venir à Paris, je le verrai à Paris.</p> +</div> + + +<h3>(1814-1841.)</h3> + +<p>Joseph n'était pas encore arrivé au port où il espérait se reposer +des tracas de la vie publique. Le sort lui réservait une autre +période de tourments.</p> + +<p>Revenu des eaux de Bagnères, où sa santé l'avait obligé à un court +séjour, en août 1813, et installé à Mortefontaine près Paris, le +frère aîné de l'empereur apprit, dans un entretien qu'il eut avec +Napoléon, que ce dernier était sur le point de replacer Ferdinand +VII sur le trône d'Espagne. Après une longue discussion avec +l'Empereur, il crut devoir lui écrire le 30 novembre 1813:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Sire,</p> + +<p>La réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le + rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes + conséquences et pour l'Espagne et pour la France. Le prince + Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien en faveur de la + France; il pourra tout contre elle, son apparition excitera d'abord + quelques troubles, mais les Anglais s'en empareront bientôt et dès + qu'ils lui auront fait tourner les armes contre la France, il aura + avec lui, et les partisans des Anglais et les partisans de la France + que nous aurons abandonnés et ceux qui tiennent au système de voir + leur pays gouverné par une branche de la maison de France, système + si heureusement professé à Bayonne et qui, depuis un siècle, a fait + la tranquillité de l'Espagne. Tout homme de bien et de sens qui + connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des + hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces + vérités. Je prie V. M. de faire consulter quelques Espagnols + éclairés qui sont en France, entr'autres MM. Aranza, O'Farell, qui + étaient ministres, nommés par le prince Ferdinand.</p> + +<p>Quant à moi, Sire, que V. M. daigne un moment se supposer à ma + place. Elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé + il y a dix ans au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples + avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu de traverses de tous + les genres, et malgré cela ayant su me concilier l'estime de la + nation, persuadé comme je le suis que tant que la dynastie de V. M. + régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou + par un <span class="pagenum"><a id="page063" name="page063"></a>(p. 063)</span> prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même + les seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience + sans reproches et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc + que présenter ces réflexions à V. M. I. et R., et, dérobant au grand + jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille les + coups dont il plaira au destin de frapper encore et l'Espagne et + moi, et les bienfaits qu'il nous est permis d'espérer de la + puissance de votre génie et de la grandeur du peuple français.</p> +</div> + +<p>L'empereur ne répondit pas à cette lettre. Un mois plus tard, le 29 +décembre 1813, Joseph, voyant le territoire suisse violé et la +France prête à être envahie, écrivit de nouveau à son frère pour se +mettre à sa disposition. Napoléon lui répondit durement, tout en +acceptant sa participation à la défense de l'État<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a><a href="#footnote38" title="Lien vers la note 38"><span class="smaller">[38]</span></a>. À son départ +pour l'armée, il le nomma son lieutenant-général à Paris.</p> + +<p>L'ex-roi de Naples et d'Espagne eut avec son frère, tandis que ce +dernier était à l'armée, une correspondance longue, suivie, des plus +importantes, publiée d'abord dans les <i>Mémoires du roi Joseph</i>, +reproduite plus tard dans le grand ouvrage de la correspondance de +Napoléon 1<sup>er</sup> (du moins quant aux lettres écrites par l'Empereur à +son frère).</p> + +<p>On a omis cependant dans ces deux ouvrages quelques fragments de +lettres; nous les ferons connaître au fur et à mesure, à leur date.</p> + +<p>Joseph, ayant appris que, suivant son exemple et oubliant les +différends qu'il avait eus avec l'Empereur, Louis venait de se +mettre à la disposition de Napoléon, écrivit à l'ex-roi de Hollande +la lettre ci-dessous, datée de Mortefontaine le 2 janvier 1814:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon cher frère, tu sais comment je suis ici depuis dix mois. Quinze + jours seulement après mon arrivée, l'Empereur me dit qu'il voulait + rétablir les Bourbons en Espagne. Il me demanda mon avis réfléchi. + Il est contenu dans la pièce n<sup>o</sup> 1 que je lui ai adressée deux jours + après notre entrevue. Il y a huit jours, maman m'a dit que + l'Empereur désirait me voir. J'étais alors retenu dans ma chambre + par le rhume violent qui m'y retient encore. J'appris en même temps + que l'Empereur avait dit aux sénateurs qu'il avait reconnu Ferdinand + et accrédité <span class="pagenum"><a id="page064" name="page064"></a>(p. 064)</span> auprès de lui l'ambassadeur Laforest qui + était accrédité auprès de moi. J'écrivis alors à l'Empereur la + lettre dont ci-joint la copie sous le n<sup>o</sup> 2<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a><a href="#footnote39" title="Lien vers la note 39"><span class="smaller">[39]</span></a>.</p> + +<p>Ma femme la lui remit et il lui dit: <i>Je suis forcé à ceci.</i> Les + événements me paraissant de plus en plus graves, je lui ai écrit de + nouveau hier<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a><a href="#footnote40" title="Lien vers la note 40"><span class="smaller">[40]</span></a>. Le porteur a reçu la même réponse. Le fait est que + je puis tout sacrifier à l'Empereur, à la France et à l'Europe, + tout, hormis l'honneur. L'honneur ne me permet pas de me montrer + autrement que comme roi d'Espagne, tant que je n'aurai pas abdiqué, + ce que je ne puis et ce que je ne veux faire que pour la paix + générale et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols par un + traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne + d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne M. le duc de + Cadore.</p> + +<p>Qu'on me traite en roi, ou qu'on me laisse dans l'obscurité.</p> + +<p>Maman qui ne sait rien de tout cela, n'est mue que par un sentiment, + celui de la réunion. Je suis très peiné, mon cher Louis, que ces + circonstances retardent le plaisir que j'aurai à t'embrasser après + tant de désastres.</p> +</div> + +<p>Le roi Joseph était rentré en grâce près de Napoléon, soit que +l'Empereur le préférât à ses autres frères, soit qu'il eût en lui +plus de confiance qu'en Louis et en Jérôme. L'empereur continua à +traiter ces derniers avec rigueur, ne voulant les voir ni l'un ni +l'autre et écrivant même le 2 février 1814 à l'Impératrice pour lui +défendre de recevoir le roi et la reine de Westphalie. Ce fait +résulte de la lettre suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Marie-Louise à Joseph.</p> +<p class="date">Paris, 3 février 1814.</p> + +<p>Je reçois à l'instant une lettre de l'Empereur du 2 février qui me + défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte + le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito.</p> + +<p>Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les + regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la + sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,</p> +<p class="min10emli">Votre affectionnée sœur.</p> +<p class="sig smcap">Louise.</p> +</div> + +<p>À la fin de février 1814, seulement, Napoléon voulut bien se +<span class="pagenum"><a id="page065" name="page065"></a>(p. 065)</span> rapprocher de ses frères Louis et Jérôme. Il écrivit à +Joseph, de Nogent-sur-Seine, le 21 février, cette curieuse +lettre<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a><a href="#footnote41" title="Lien vers la note 41"><span class="smaller">[41]</span></a>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie: je + l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation + que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au + roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme + hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison + westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester + en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou + quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, + tous Français, et pour la reine, deux ou trois dames françaises pour + l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa + dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des + lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. + Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen + et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et + la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autorise le roi à + habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui + appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine + continueront à porter le titre de roi et reine de Westphalie, mais + ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se + rendra à mon quartier-général d'où mon intention est de l'envoyer à + Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de + l'armée; si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux + avant-postes, de n'avoir aucun train royal, de n'avoir aucun luxe, + pas plus de 15 chevaux, de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne + tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé. J'écris + au Ministre de la Guerre et je lui ferai donner des ordres. Il + pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa + maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de + cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de + selle, un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou + trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il + faut qu'il fasse de bons choix d'aides de camp, que ce soit des + officiers qui aient fait la guerre, qui puissent commander des + troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verdrun, les + Brongnard et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait + tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le Ministre de la + Guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné frère.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page066" name="page066"></a>(p. 066)</span> Dans une autre lettre à Joseph du 7 février, on lit:</p> + +<p class="lettre">Faites donc cesser ces prières de 40 heures et ces <i>Miserere</i>; si + l'on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la + mort. Il y a longtemps que l'on dit que les prêtres et les médecins + rendent la mort douloureuse.</p> + +<p>L'Empereur termine celle du 9 février par ces mots:</p> + +<p class="lettre">Priez la <i>Madona</i> des armées qu'elle soit pour nous, Louis qui est + un saint, peut s'engager à lui donner un cierge allumé.</p> + +<p>Ces deux passages ont été supprimés dans les <i>Mémoires</i> et à la +correspondance.</p> + +<p>La veille, le 8 février, Napoléon avait envoyé à son frère aîné une +très longue lettre, des plus importantes, qui explique, avec une +autre du 15 mars, et justifie pleinement la conduite de Joseph au 31 +mars. Plusieurs passages de la lettre du 8 février, relatifs au roi +Louis, ont été supprimés dans les ouvrages qui ont paru; nous +croyons devoir rétablir cette lettre <i>in-extenso</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Nogent, le 8 février 1814, 4 heures du matin.</p> + +<p>Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à 11 heures du soir; elle + m'étonne beaucoup, j'ai lu la lettre du roi Louis qui n'est qu'une + rapsodie; cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la + question.</p> + +<p>Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez + plus en question la fin, qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand + cela arrivera je ne serai plus; par conséquent ce n'est pas pour moi + que je parle. Je vous ai dit pour l'Impératrice et le roi de Rome et + notre famille ce que les circonstances indiquent et vous n'avez pas + compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que si le cas arrivait, + ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement, je suis persuadé + qu'elle-même a ce pressentiment<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a><a href="#footnote42" title="Lien vers la note 42"><span class="smaller">[42]</span></a>.</p> + +<p>Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à + propos. Du reste je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais + m'être expliqué avec vous, mais vous ne vous souvenez jamais des + choses et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui + vous reflète cette opinion.</p> + +<p>Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de + mon vivant, j'ai droit à être cru par ceux qui m'entendent.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page067" name="page067"></a>(p. 067)</span> Après cela, si, par des circonstances que je ne puis + prévoir, je me portais sur la Loire, je ne laisserai pas + l'Impératrice et mon fils loin de moi, parce que, dans tous les cas, + il arriverait que l'un et l'autre seraient enlevés et conduits à + Vienne, que cela arriverait bien davantage si je n'existais plus. Je + ne comprends pas comment, pendant ces menées auprès de votre + personne, vous couvrez d'éloges si imprudents la proposition de + traîtres si dignes de ne conseiller rien d'honorable; ne les + employez jamais dans un cas, même le plus favorable<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a><a href="#footnote43" title="Lien vers la note 43"><span class="smaller">[43]</span></a>. C'est la + première fois depuis que le monde existe, que j'entends dire qu'en + France une population de (<i>illisible</i>) âmes assiégée ne pouvait pas + vivre trois mois. D'ailleurs nul n'est tenu à l'impossible, je ne + peux plus payer aucun officier et je n'ai plus rien.</p> + +<p>J'avoue que votre lettre du 7 (février) à quatre heures du soir m'a + fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que + vous vous laissez aller aux bavardages d'un tas de personnes qui ne + réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement: si Talleyrand + est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à + Paris dans le cas où l'ennemi se rapprocherait, c'est trahir; je + vous le répète, méfiez-vous de cet homme; je le pratique depuis + seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui, mais c'est sûrement + le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a + abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai + donnés, j'en sais plus que ces gens-là.</p> + +<p>S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez + instruit avant ma maison: <i>faites partir l'Impératrice et le roi de + Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au Conseil d'État et à + toutes les troupes de se réunir sur la Loire</i>. Laissez à Paris un + préfet et une commission impériale, ou des maires.—Je vous ai fait + connaître que je pensais que Madame et la reine de Westphalie + pourraient bien rester à Paris logées chez Madame. Si le vice-roi + est revenu à Paris, vous pourrez aussi l'y laisser, <i>mais ne laissez + jamais tomber l'Impératrice et le roi de Rome entre les mains de + l'ennemi</i>. Soyez certain que dès ce moment l'Autriche, étant + désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage, et sous le + prétexte de voir l'Impératrice heureuse on ferait adopter aux + Français tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient + leur suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit.</p> + +<p>Au lieu que, dans le cas opposé, l'esprit national du grand nombre + d'intéressés à la révolte rendrait tout résultat incalculable.</p> + +<p>Au reste, il est possible que l'ennemi, s'approchant de Paris, je le + <span class="pagenum"><a id="page068" name="page068"></a>(p. 068)</span> battrai, et cela n'aura pas lieu. Il est possible aussi + que je fasse la paix sous peu de jours: mais il en résulte toujours + par cette lettre du 7 à 4 heures du soir que vous n'avez pas de + moyens de défense..... Pour comprendre ces choses je trouve toujours + votre jugement faux; c'est enfin une fausse doctrine. L'intérêt même + de Paris est que l'Impératrice et le roi de Rome n'y restent pas, + parce que l'intérêt ne peut pas être séparé de leur personne et que + depuis que le monde est monde je n'ai jamais vu qu'un souverain se + laissât prendre dans des villes ouvertes. Ce serait la première + fois.</p> + +<p>Ce malheureux roi de Saxe arrive en France, il perd ses belles + illusions! (<i>Deux lignes indéchiffrables.</i>) Dans les circonstances + bien difficiles de la crise des événements, on fait ce qu'on doit et + on laisse aller le reste. Or, si je vis on doit m'obéir, et je ne + doute pas qu'on s'y conforme. Si je meurs, mon fils régnant et + l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas + se laisser prendre et se retirer au dernier village.....</p> + +<p>Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on + en effet de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils + et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux de tout finir en les + conduisant prisonniers à Vienne. <i>Je suis surpris que vous ne + conceviez pas cela!</i> Je vois que la peur fait tourner les têtes à + Paris.</p> + +<p>L'Impératrice et le roi de Rome à Vienne ou entre les mains des + ennemis, vous et ceux qui voudraient se défendre seraient + rebelles!...</p> + +<p><i>Quant à mon opinion, je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt + que de le voir jamais élevé à Vienne comme un prince autrichien</i>, et + j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être aussi persuadé + qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent en + être.</p> + +<p>Je n'ai jamais vu représenter <i>Andromaque</i> que je n'aie plaint le + sort d'Astyanax survivant à sa maison et que je n'aie regardé comme + un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père.</p> + +<p>Vous ne connaissez pas la nation française. Le résultat de ce qui se + passerait dans ces grands événements est incalculable.</p> + +<p>Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre (sa dernière lettre + me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et vous ferait + beaucoup de mal).</p> +</div> + +<p>Voici maintenant la lettre du roi Joseph, en date du 7 février 1814 +(11 heures du soir), à laquelle répond la lettre précédente. Elle a +été supprimée aux <i>Mémoires</i>.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Paris, le 7 février 1814, à 11 heures du soir.</p> +<p class="adresse">Sire,</p> + +<p>J'ai reçu les deux lettres de V. M. d'hier. J'ai vu et écrit au duc + de <span class="pagenum"><a id="page069" name="page069"></a>(p. 069)</span> Valmy. Il part ce soir pour Meaux. Il m'a communiqué + une lettre du duc de Tarente datée du 6. Il était encore à Épernay + et n'avait aucune nouvelle de V. M. depuis 4 jours. Il avait + abandonné Châlons après s'y être défendu quelque temps. L'artillerie + avait été dirigée sur Meaux. L'ennemi était entré à Sézanne. + L'intendant et les caisses avaient échappé à l'ennemi.</p> + +<p>Voici l'itinéraire exact de la 9<sup>e</sup> division d'infanterie de l'armée + d'Espagne<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a><a href="#footnote44" title="Lien vers la note 44"><span class="smaller">[44]</span></a>.</p> + +<p>J'ai envoyé un aide de camp sur la route de Châlons par Vitry. J'ai + chargé le Ministre de la Guerre d'en envoyer un autre sur la route + de (<i>illisible</i>).</p> + +<p>Le Ministre de la Guerre me mande qu'il avait fait envoyer ce matin + 2,000 fusils à Montereau.</p> + +<p>Je lui ai écrit de (<i>deux mots illisibles</i>) ce soir.</p> + +<p>J'ai parlé à Louis du projet de le laisser ici. Il me répond par une + longue lettre que je prends le parti d'envoyer à V. M. Il me semble + que V. M. m'a dit que les princesses devaient suivre l'Impératrice; + s'il en était autrement, il faudrait qu'elle l'écrive d'une manière + positive. Je fais des vœux pour que le départ de l'Impératrice + puisse n'avoir pas lieu. Nous ne pouvons nous dissimuler que la + consternation et le désespoir du peuple pourront avoir de terribles + et funestes résultats. Je pense avec toutes les personnes qui + peuvent apprécier l'opinion, qu'il faudrait supporter bien des + sacrifices avant d'en venir à cette extrémité. Les hommes attachés + au gouvernement de V. M. craignent que le départ de l'Impératrice ne + livre le peuple, de la capitale au désespoir et ne donne une + capitale et un empire aux Bourbons. Tout en manifestant ces craintes + que je vois sur tous les visages, V. M. peut être assurée que ses + ordres seront exécutés pour ma part très fidèlement, dès qu'ils me + seront arrivés.</p> + +<p>J'ai parlé au général Caffarelli<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a><a href="#footnote45" title="Lien vers la note 45"><span class="smaller">[45]</span></a> pour Fontainebleau, ainsi qu'à + M. La Bouillerie<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a><a href="#footnote46" title="Lien vers la note 46"><span class="smaller">[46]</span></a> pour le million de la guerre et les autres + objets.</p> + +<p>Je ne sais pas jusqu'à quel point ce que j'ai cru remarquer peut + paraître convenable à V. M.; mais je puis l'assurer qu'il importe de + faire payer un mois d'appointements aux grands dignitaires, + ministres, conseillers d'État, sénateurs. On m'en a cité plusieurs + dans un véritable besoin et plusieurs seront bien embarrassés pour + partir, si le cas se présente, et l'on prévoit qu'ils resteront à + Paris.</p> + +<p>J'ai eu la visite de M. le maréchal Brune que je n'ai pu voir; je ne + <span class="pagenum"><a id="page070" name="page070"></a>(p. 070)</span> doute pas qu'il ne soit venu offrir ses services, je + serais bien aise de connaître les intentions de V. M.</p> + +<p>Jérôme est contrarié que V. M. ne se soit pas encore expliquée sur + la demande que j'ai faite pour lui dans deux de mes précédentes + lettres.</p> + +<p>On m'assure que M. de Lafayette a été un des premiers grenadiers de + la garde nationale qui ait été en faction à l'Hôtel-de-Ville.</p> + +<p>Les barrières seront entièrement fortifiées demain et l'on + commencera à y transporter de l'artillerie. Le général Caffarelli a + répondu au duc de Conegliano qu'il n'avait pas encore l'autorisation + du Maréchal du Palais à qui il avait écrit (<i>mots illisibles</i>) la + garde impériale fournit un poste de 25 hommes.</p> + +<p>P. S.—Je reçois la lettre de V. M. en date d'aujourd'hui de Nogent. + Les dispositions qu'elle prescrit ont déjà été ordonnées et je + tiendrai V. M. au courant, à mesure de leur exécution.</p> +</div> + +<p>Après la chute de l'Empire, quelques auteurs de mémoires, des +historiens mêmes, comme M. de Norvins, ont reproché au roi Joseph +son départ de Paris et celui de l'Impératrice; ces écrivains ne +connaissaient pas évidemment la lettre de l'Empereur, du 8 février, +et ses ordres formels. Joseph, pendant son exil, crut devoir réfuter +ces assertions. Voici une note à cet égard, écrite tout entière de +sa main:</p> + +<p class="lettre">Il est faux que nul autre que Joseph eût la copie de la lettre de + l'Empereur qui prescrivait le départ (celle du 16 mars 1814). Joseph + resta à Paris d'après la proposition qu'il en fit au Conseil, ainsi + que les Ministres de la Guerre, de la Marine, le premier inspecteur + du génie, afin d'atténuer le mauvais effet que devait produire le + départ de l'Impératrice, et pour reconnaître, par eux-mêmes, les + forces ennemies qui marchaient sur Paris et ne quitter la ville, + pour rejoindre la régente sur la Loire, qu'après s'être assurés de + l'incontestable supériorité de l'ennemi. Il est faux que Joseph se + soit établi aux Tuileries comme lieutenant de l'Empereur, il se + rendit avec les Ministres qui étaient restés avec lui en + reconnaissance sur la route de Meaux, passa la nuit au Luxembourg, + et le lendemain s'établit hors des barrières de Paris pour être à + portée de recevoir les rapports des officiers qui étaient en + reconnaissance et prévenir l'exaltation qui pouvait être excitée + parmi le peuple par l'arrivée des courriers qui se succédaient à + chaque moment. Lorsqu'il fut bien reconnu et <i>bien évident pour + tous</i> que l'empereur de Russie, le roi de Prusse et le prince de + Schwartzemberg étaient à quelques milles de la ville; que le + maréchal de Marmont commandant en chef eut déclaré qu'il ne pouvait + pas tenir davantage contre des forces <span class="pagenum"><a id="page071" name="page071"></a>(p. 071)</span> sans nulle + proportion avec celles qu'il commandait; que si la nuit arrivait + sans qu'on eût pris un parti, il ne répondait pas de pouvoir + empêcher les ennemis de s'introduire dans la ville, le roi Joseph, + de l'avis des ministres qui se trouvaient avec lui, et pour sauver + la capitale des désastres qui la menaçaient de la part de l'ennemi, + approuva la proposition de capitulation qui lui était faite par le + maréchal Marmont et ne partit que lorsqu'il vit les forces ennemies + dans Saint-Denis, et ses partis prêts à s'emparer des ponts sur la + Seine, qu'ils occupèrent effectivement peu de temps après son + passage et celui des membres du Conseil qui, ayant satisfait à leur + mandat, allaient rejoindre la régente sur la Loire où elle devait se + rendre en exécution des ordres de l'Empereur.</p> + +<p>En 1814 se termine le rôle politique de Joseph. Retiré à Prangins, +en Suisse, sur les bords du lac de Genève, pendant le séjour de +Napoléon à l'île d'Elbe, il fut assez heureux pour pouvoir le faire +prévenir que deux misérables avaient juré de l'assassiner. L'un de +ces hommes fut arrêté, en effet, à son débarquement dans l'île.</p> + +<p>Lorsque l'Empereur revint en France, en mars 1815, son frère, +prévenu, accourut et put le rejoindre à Paris. Après Waterloo, il +l'accompagna à Rochefort, essaya vainement d'obtenir de lui de +prendre sa place à l'île d'Aix pendant que lui-même, Napoléon, +passerait en Amérique. L'Empereur refusa et voulut se confier aux +Anglais, les considérant comme de nobles et loyaux ennemis. Joseph, +plus sage et plus heureux, put gagner New-York et se fixa, l'hiver à +Philadelphie, l'été sur les bords de la Delaware dans une belle +propriété nommée Pointe-Breeze qu'il acheta.</p> + +<p>On a vu quelles étaient les intentions de Joseph en quittant +l'Espagne (lettre du 1<sup>er</sup> juillet 1813 à la reine Julie) +relativement à l'argenterie et aux quelques valeurs que son +trésorier, M. Thibault, avait pu sauver, et qui étaient parvenues à +Bayonne. Cependant, par la suite, des ministres espagnols ne +craignirent pas d'accuser le Roi d'avoir détourné à son profit les +diamants de la couronne.</p> + +<p>Voici la vérité sur ce fait:</p> + +<p>Joseph avait, comme roi d'Espagne, une liste civile d'un million par +mois. Il devait toucher 500,000 fr. de l'Empereur et 500,000 fr. du +trésor espagnol. La plupart du temps, Napoléon ne payait pas son +frère; en outre, le trésor d'Espagne étant obéré n'avait pas +d'argent pour payer les 500,000 fr. mensuels. Dans ce cas, le +ministre des Finances faisait estimer, par des experts du pays, des +diamants pour <span class="pagenum"><a id="page072" name="page072"></a>(p. 072)</span> la dite somme, et les remettait aux mains de +Joseph. Ces diamants lui appartenaient donc bien légitimement, et +l'on a vu par sa correspondance avec sa femme dans quel état de +dénuement le malheureux prince était revenu en France. On a vu qu'il +n'avait pas hésité à emprunter à son beau-frère, Marius Clary, pour +pouvoir donner de l'argent aux serviteurs qui l'avaient accompagné +sur la terre de France et leur permettre de se rapatrier; on a vu +même qu'il n'avait pas voulu détourner, à son profit, une obole de +l'argent provenant de la vente de l'argenterie de la couronne, ce +qu'il eût pu faire au lieu d'emprunter pour les Espagnols qui +l'avaient suivi. L'accusation portée contre lui tombe donc +d'elle-même. D'ailleurs une partie de ces diamants, en vertu de +l'article XI du traité de Bayonne, avait été emportée par Ferdinand, +ainsi que nous l'avons dit plus haut.</p> + +<p>L'Empereur Napoléon I<sup>er</sup>, pendant les années prospères de son règne, +alors qu'il était l'arbitre des destinées de l'Europe, avait reçu +des souverains des lettres auxquelles il attachait une grande +importance. Il fit faire, dans son cabinet, deux copies de ces 250 à +300 documents précieux et déposa les originaux aux mains du duc de +Bassano, secrétaire d'État au département des Affaires étrangères.</p> + +<p>En 1815, après Waterloo, avant de quitter l'Élysée pour se rendre à +la Malmaison, il dit à son frère Joseph, lequel demeurait alors rue +du Faubourg-Saint-Honoré, 33 (aujourd'hui ambassade d'Angleterre), +qu'il venait d'envoyer à son hôtel une copie authentique des lettres +que les divers souverains lui avaient adressées pendant le temps de +sa prospérité, qu'il le priait de la conserver précieusement. Joseph +lui ayant fait observer qu'il aimerait mieux avoir les originaux: +«Non, répondit Napoléon, cela ne vous regarde pas, c'est l'affaire +de Maret (duc de Bassano), c'est son droit, il sait ce qu'il doit en +faire.»</p> + +<p>De retour à son hôtel, le roi Joseph trouva en effet les copies dans +son cabinet. Le Prince, se rendant à la Malmaison pour faire ses +adieux à son frère, chargea son secrétaire, M. de Presle, de diviser +ses propres papiers, de les mettre avec ces copies de lettres des +souverains dans des malles au milieu d'effets, et de les envoyer +chez des personnes où ces documents seraient en sûreté et pourraient +échapper aux recherches de la police.</p> + +<p>Joseph se rendit à Cherbourg, vit son frère à l'île d'Aix, partit +pour New-York, se fixa sur les bords de la Delaware, et ne s'occupa +plus de ces papiers. En 1818, Napoléon lui fit dire de +Sainte-Hélène, <span class="pagenum"><a id="page073" name="page073"></a>(p. 073)</span> par le docteur O'Méara, de publier sa +correspondance avec les souverains, comme étant la meilleure réponse +aux calomnies que l'on répandait sur lui et le meilleur moyen +d'établir, à l'aide de documents historiques incontestables, le +parallèle entre sa conduite et celle des souverains alliés.</p> + +<p>Joseph écrivit à son secrétaire, M. de Presle, alors en Europe, de +lui expédier les dix caisses dans lesquelles ses papiers avaient été +placés. Les caisses arrivèrent en Amérique, mais le Roi y chercha +vainement la copie des lettres des souverains. M. de Presle déclara +qu'il n'avait plus retrouvé ces copies dans la boîte où il les avait +cachées, bien que la clef ne l'eût pas quitté. Joseph écrivit en +Europe, fit démarches sur démarches, aucune n'aboutit.</p> + +<p>Maintenant, essayons de suivre la route qu'ont prise les originaux +et les copies de ces lettres des souverains:</p> + +<p>1<sup>o</sup> <i>Les originaux</i>, laissés aux mains du duc de Bassano.</p> + +<p>Le duc de Bassano partant pour l'exil, en 1815, fit enfermer ces +papiers (a-t-il déclaré) dans des caisses en fer-blanc qu'il fit +cacher dans un château vendu depuis. De retour de l'exil, le duc ne +retrouva plus l'endroit où les boîtes avaient été enfouies par son +jardinier. Ce jardinier lui-même était mort.</p> + +<p>Il n'en est pas moins positif que ces documents furent en tout ou en +partie vendus en Angleterre en 1822, à Londres, chez le libraire +Murray. Les lettres de l'empereur de Russie furent cédées à +l'ambassadeur, M. de Liéven, pour la somme de 250,000 fr. Ces +lettres avaient été offertes d'abord au gouvernement anglais qui +avait refusé d'en faire l'acquisition. On trouvera jointes ici +plusieurs lettres et notes relatives à ces originaux.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Celle des deux copies qui fut emportée par l'empereur Napoléon +I<sup>er</sup> lui fut volée à Cherbourg avec une caisse d'argenterie, sans +que l'on ait jamais pu découvrir l'auteur du vol.</p> + +<p>3<sup>o</sup> La seconde copie, celle qui fut envoyée au roi Joseph, placée au +milieu de hardes et effets, dans une des dix caisses où M. de Presle +avait caché les papiers du roi, subit le sort suivant:</p> + +<p>Les dix caisses furent envoyées d'abord de l'hôtel Joseph, les unes +chez le nommé Legendre, valet de chambre dévoué, alors à +Villiers-sur-Marne; d'autres, chez M. Madaud, buraliste de loterie, +rue Saint-André-des-Arts, et beau-frère de M. Bouchard, un des +secrétaires du roi Joseph; d'autres encore chez différentes +personnes, parmi lesquelles <span class="pagenum"><a id="page074" name="page074"></a>(p. 074)</span> la comtesse de Magnitaut. Les +dépositaires de ces papiers ne tardèrent pas, craignant de se +compromettre, à demander qu'on les leur retirât; on les fît porter à +l'hôtel de la reine de Suède, rue d'Anjou-Saint-Honoré, 28. C'est de +là que M. de Presle les expédia à Joseph, en Amérique.</p> + +<p>Les caisses des papiers du roi, parmi lesquelles se trouvait celle +renfermant la copie des lettres des souverains, ont donc été +transportées de l'hôtel Joseph chez divers, de chez ces diverses +personnes à l'hôtel de la reine de Suède. C'est évidemment dans l'un +de ces deux transbordements que ces copies précieuses pour +l'histoire auront été soustraites.</p> + +<p>On avait perdu en quelque sorte le souvenir de cette affaire qui +avait fait un certain bruit dans le principe, lorsqu'en 1855, un des +principaux libraires-éditeurs de Paris proposa à un auteur qui +s'occupait de l'histoire du premier Empire de demander au +gouvernement de Napoléon III d'acquérir, moyennant une somme assez +forte, la copie authentique de 150 lettres écrites par des +souverains à Napoléon I<sup>er</sup>.</p> + +<p>L'éditeur dit à la personne qu'il avait choisie comme intermédiaire +dans cette affaire qu'il ne connaissait pas le possesseur de ces +lettres, qu'on en voulait 500,000 francs, qu'elles étaient cachées +en France. La personne à qui l'éditeur s'adressa, craignant qu'on +crût qu'elle avait un intérêt dans cette spéculation, ne voulut +faire aucune démarche.</p> + +<p>Toutefois on peut conclure de ce qui précède:</p> + +<p>1<sup>o</sup> Que les originaux ont été vendus et probablement détruits par +les intéressés.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Que des deux copies volées, l'une existe encore.</p> + +<p>Après avoir reçu la lettre par laquelle O'Méara lui faisait +connaître le désir de l'Empereur qu'on publiât les lettres des +souverains, le roi Joseph répondit au docteur:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Philadelphie, le 1<sup>er</sup> mai 1820.</p> +<p class="adresse">Monsieur,</p> + +<p>J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 1<sup>er</sup> mars. + Je vous prie de vouloir bien faire vos efforts pour faire parvenir + les deux incluses, dont l'une pour l'Empereur, et l'autre pour + madame de Montholon, je suis bien fâché des retards qu'elle éprouve + à être payée, je lui écris à ce sujet ainsi qu'à l'Empereur.</p> + +<p>Je n'ai pas reçu à Rochefort les lettres dont vous me parlez et dont + <span class="pagenum"><a id="page075" name="page075"></a>(p. 075)</span> le comte de Las Cases a aussi parlé à ma femme, j'écris à + ce sujet pour savoir à qui ces lettres ont été remises et par qui, + malheureusement, je ne les ai pas reçues, je regretterais vivement + leur perte. L'ouvrage que vous avez publié a ici un succès + prodigieux. J'ai perdu aussi, par l'incendie de ma maison, arrivé le + 4 janvier, beaucoup de papiers. Les lettres dont vous me parlez + eussent aussi été perdues, mais heureusement elles ne m'avaient pas + été remises, j'ai fait, dans cette circonstance, d'autres pertes + bien sensibles qui me forcent à me rappeler que j'en ai faites de + plus grandes pour n'en avoir pas trop de regrets.</p> + +<p>Veuillez agréer, Monsieur, mon sincère attachement et ma + reconnaissance.</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">Votre affectionné,</span><br> +<span class="smcap">Joseph de Survilliers.</span></p> + +<p>P. S.—N'ayant aucun rapport personnel avec la reine d'Angleterre, + une lettre de moi me paraîtrait moins convenable que de la part de + mon frère Lucien ou de la reine de Naples qui ont eu occasion de la + connaître personnellement.</p> +</div> + +<p>Voici maintenant quelques documents relatifs aux lettres des +souverains, et d'abord une note tout entière de la main du roi +Joseph envoyée à M. Francis Lieber, littérateur et professeur à +Boston:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Pointe-Breeze, le 28 mai 1822.</p> + +<p>Je reçois votre lettre du 24 mai. Je la trouve ici à mon retour d'un + petit voyage. Je n'ai pas le temps de retrouver ces lettres qui + constatent les dates précises, mais vous pouvez être certain du + souvenir que ma mémoire me fournit, encore très présent.</p> + +<p>En 1815, avant son départ de Paris, Napoléon avait annoncé à son + frère Joseph que, parmi quelques papiers, renfermés dans une caisse + qu'il lui enverrait, se trouverait une copie des lettres qui lui + avaient été adressées par les divers souverains. Il avait fait faire + cette copie par précaution, l'original restant aux archives. + Quelques années après, le docteur O'Méara, de retour de + Sainte-Hélène, lui fit dire que le désir de l'Empereur était que + cette correspondance fût publiée, comme étant la meilleure réponse à + toutes les calomnies dont il était l'objet. Mais elle ne fut trouvée + dans aucune des dix caisses arrivées aux États-Unis, dans lesquelles + on avait réparti les papiers contenus dans la première caisse, en + les cachant parmi des livres et des hardes, afin de les soustraire + aux investigations de la police de Paris. À la même époque, la + maison de Joseph, aux États-Unis, fut la proie des flammes. + L'original de la correspondance fut vendu pour trente mille livres + sterling à Londres. Elle avait été déposée chez un libraire de cette + ville, M. Murray.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page076" name="page076"></a>(p. 076)</span> Ceux qui ont dit que Napoléon avait remis cette + correspondance à Joseph, à Rochefort, sont dans l'erreur. Joseph n'a + rien reçu de Napoléon à Rochefort, ni à l'île d'Aix où il fut le + trouver.</p> + +<p>Il ne reste d'espérance que dans la double infidélité de ceux qui, + ayant livré l'original à des gens intéressés à les détruire, + auraient pu en garder copie, ou bien dans la découverte de la copie + annoncée par Napoléon à Joseph avant son départ de Paris, en 1815. + S'il en arrive autrement, ce sera une perte de plus que les + écrivains consciencieux auront à déplorer.</p> +</div> + +<p>Voici maintenant une autre note extraite du Journal du roi Joseph:</p> + +<p>Extrait des notes d'un Américain sur le <i>Commentaire de Napoléon</i>, +par M. le comte de Bonacosci, qu'il avait adressées à celui-ci +lorsque cet ouvrage parut, et qu'il a depuis adressées à M. le major +Lee, auteur de l'histoire de Napoléon (en décembre 1834):</p> + +<div class="lettre"> +<p>L'auteur, Bonacosci, est dans la même erreur que M. de Norvins. Les + originaux autographes des lettres des souverains à Napoléon n'ont + pas été remis au roi Joseph. L'empereur Napoléon dit au prince peu + de jours avant son départ: «Par précaution, j'ai fait faire une + copie des lettres des souverains de l'Europe, qui seules peuvent + répondre à toutes les calomnies dont ils se servent aujourd'hui + contre moi. Maret conserve les originaux, et c'est son droit, + conservez ces copies à tout événement.» C'est à Paris et non à + Rochefort que cette conversation et la remise de ces titres ont eu + lieu. Joseph, en recevant en Amérique la caisse dans laquelle devait + se trouver cette copie, l'a cherchée inutilement. Napoléon lui a + fait dire par O'Méara, au retour de celui-ci en Europe, de faire + publier ces lettres, comme seule et unique réponse à ce débordement + d'injures dont on assiégeait alors le captif de Sainte-Hélène. + Toutes les recherches ont été infructueuses; les lettres ont-elles + été dérobées par les dépositaires ou les détenteurs momentanés de la + caisse où elles étaient? Je l'ignore, mais toujours est-il constant + que ce ne sont pas celles qui ont été vendues à Londres, puisque ce + n'étaient que des copies et que l'on assure que ce furent les + lettres autographes qui furent vendues à Londres trente mille livres + sterling; elles ont été offertes, par un inconnu venant de Suisse, à + M. Murray, imprimeur des plus célèbres de Londres, demeurant + <i>Albermale Street</i>, pour trente mille livres sterling. Le + gouvernement anglais n'en voulut pas. Ce fut le ministre de Russie + qui acheta celles qui pouvaient intéresser la Russie.</p> + +<p>Joseph, en quittant son frère à l'île d'Aix pour aller attendre à + Royan la nouvelle du passage sans obstacle de Napoléon à travers + l'armée anglaise, avant de s'embarquer pour les États-Unis, où ils + devaient se <span class="pagenum"><a id="page077" name="page077"></a>(p. 077)</span> retrouver, ne reçut ni lettres, ni paquets + d'aucune sorte; des quatre personnes qui l'accompagnaient dans la + chaloupe dans laquelle il fit le trajet jusqu'à Rochefort, trois + vivent encore et leur mémoire est d'accord avec celle de Joseph sur + cette circonstance importante. Si Napoléon a eu l'intention de + confier à son frère Joseph des objets dont d'autres se seraient + emparés au moment de son départ de l'île d'Aix, Joseph ne peut ni + l'assurer, ni le nier, mais ce qui est bien certain, c'est que + malheureusement les originaux en question ne lui furent pas remis, + pas plus que nulle autre chose, dans cette circonstance.</p> +</div> + +<p>En 1837, le roi Joseph se trouvant en Angleterre, à Londres, et +ayant eu connaissance par le docteur O'Méara de la vente à la Russie +d'une partie de la correspondance des souverains, par le libraire +Murray, fit des démarches pour s'assurer du fait. Il écrivit à un M. +Charles Philipps très lié avec l'éditeur Ridgway. L'éditeur vit M. +Murray et répondit la lettre ci-dessous à M. Philipps.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Piccadilly, 4 mars 1837.</p> +<p class="adresse">Mon cher Monsieur,</p> + +<p>D'après votre désir j'ai été voir M. Murray, l'éminent éditeur, dans + <i>Albermale Street</i>, relativement à la correspondance originale de + plusieurs souverains d'Europe avec l'empereur Napoléon pendant son + règne. Il me dit que vers l'année 1822, les lettres originales des + différents souverains de l'Europe adressées à Napoléon pendant + l'empire lui furent offertes pour vendre; il refusa l'offre parce + que quelques-uns de ses conseillers et amis doutaient de leur + authenticité (le duc de Wellington fut un de ceux qui mettaient en + question leur originalité), doutes qui à présent ne paraissent pas + avoir de fondation, et M. Murray regrette amèrement son refus fondé + sur ces doutes.</p> + +<p>M. Murray dit encore que les lettres lui furent présentées comme + ayant été gardées par les soins d'un maréchal de France, mais dont + il avait oublié le nom, et en lui nommant le duc de Bassano, il dit: + «c'est cela!»</p> + +<p>Les lettres écrites par l'empereur de Russie ont été, à la + suggestion de M. Murray, offertes pour vendre au prince de Lieven + qui a payé dix mille livres sterling pour cette portion de la + correspondance.</p> + +<p>À vous bien sincèrement,</p> + +<p class="sig">Signé: <span class="smcap">J. L. Ridgway</span>.</p> +</div> + +<p>M. Philipps écrivit alors à un serviteur dévoué du roi Joseph, Louis +Maillard:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">49, Clanvery Lane, Samedi.</p> +<p class="adresse">Mon cher Monsieur,</p> + +<p>J'ai été si occupé durant cette semaine depuis mon retour, que je + <span class="pagenum"><a id="page078" name="page078"></a>(p. 078)</span> n'ai pas eu le temps de faire mes respects à M. le + Comte<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a><a href="#footnote47" title="Lien vers la note 47"><span class="smaller">[47]</span></a> comme je le désirais beaucoup. M. Ridgway, comme vous le + verrez par l'incluse, a fait quelque chose pour nous pendant mon + absence. M. Murray est un homme impraticable, il a refusé de donner + par écrit ce que cependant, heureusement pour nous, il avait dit + verbalement avant que ne s'élèvent ses scrupules.</p> + +<p>M. Ridgway est un homme fort respectable, il est prêt à tout moment + d'avouer ce que M. Murray lui a dit et ce que je vous envoie écrit + de sa main. M. Ridgway se trouve donc dans cette affaire dans la + même position qu'aurait été notre pauvre O'Méara s'il vivait encore.</p> + +<p>Je tâcherai par le moyen d'un ami de savoir ce que le duc de + Wellington sait sur ce sujet, et je ne doute pas que s'il peut + donner des informations, je puisse les obtenir.</p> + +<p>Il paraît assez clair que le comte avait raison dans ses conjectures + et que le maréchal Maret était la personne qui autorisait la vente + de la correspondance.</p> + +<p>Avec mes compliments respectueux à M. le Comte.</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">À vous sincèrement.</span><br> + <span class="smcap">C. Phillips.</span></p> +</div> + +<p>Enfin, en 1850, M. Louis Maillard, l'exécuteur testamentaire de +Joseph, consulté par M. Ingerstoll, ami du roi, sur la question de +la correspondance des souverains, lui répondit le 29 avril, de +Doylestown (Amérique), où il se trouvait encore pour la liquidation +de la succession de l'ancien roi.</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai votre lettre du 25, je ne puis mieux y répondre qu'en vous + récitant ce que j'ai entendu dire à M. le comte de Survilliers + (Joseph) lui-même à diverses fois.</p> + +<p>En 1815, la veille de quitter le palais de l'Élysée pour aller à la + Malmaison, l'Empereur me dit qu'il avait envoyé chez moi, rue du + Faubourg-Saint-Honoré, où je demeurais alors, les copies des lettres + des souverains alliés pour que je les conserve de mon mieux; que les + originaux seraient gardés et soignés par le secrétaire d'État, duc + de Bassano; je trouvai effectivement ces copies dans mon cabinet de + travail et les y laissai avec mes papiers; quelques jours après, + lorsque je fus forcé de quitter Paris pour suivre l'Empereur à + Rochefort, je recommandai à ma femme et à mon secrétaire, M. de + Presle, de ramasser tous mes papiers, de les fermer dans des malles + et de les envoyer chez diverses personnes sûres, de connaissance, + afin de les sauver des mains de nos ennemis qui allaient entrer dans + Paris; mes ordres furent <span class="pagenum"><a id="page079" name="page079"></a>(p. 079)</span> exécutés; mais, peu de temps + après mon départ, les amis chez lesquels étaient déposées les + malles, craignant les recherches chez eux par la police des + Bourbons, prièrent ma femme de faire reprendre ces malles; elles + furent portées alors à l'hôtel de la Princesse royale de Suède où + elles étaient plus en sûreté. Plus tard, lorsque mon frère, + l'Empereur, irrité du cruel traitement qu'il éprouvait à + Sainte-Hélène, me fit écrire de publier les lettres des souverains, + j'écrivis à M. de Presle, à Paris, de m'envoyer, aux États-Unis, par + diverses voies, les malles d'effets et papiers m'appartenant, ce + qu'il fit de son mieux, mais je ne trouvai point dans les malles + envoyées les copies que je désirais! Depuis je fis faire des + recherches, toutes furent inutiles, on m'a dit que l'Empereur avait + confié à une autre personne une seconde copie des lettres, mais je + ne puis l'affirmer; quant aux lettres originales, si ce que j'ai + appris à Londres est vrai, elles ont été vendues; la Russie aurait + payé les siennes dix mille livres sterling par son ambassadeur + Lieven, et c'est M. le libraire Murray d'Albermale Street qui était + chargé de cette négociation dont il a parlé à diverses personnes qui + me l'ont rapporté fidèlement.</p> + +<p>Voici, Monsieur, ce que je puis vous dire de plus positif sur cette + affaire. M. Menneval se trompe, car M. de Presle, que j'ai vu + souvent à Londres, Paris et Florence, m'a toujours dit qu'il n'avait + trouvé ni envoyé les copies des lettres des souverains, que + plusieurs malles avaient été ouvertes, ainsi qu'il croyait, etc.</p> +</div> + +<p>Pour terminer cette notice relative aux lettres des souverains +étrangers, nous dirons en deux mots que l'éditeur chargé de faire +vendre la copie dont il est ici question, étant parvenu à en faire +parler à Napoléon III, ce dernier voulut le recevoir ainsi qu'un +membre de la commission de l'ouvrage intitulé <i>La correspondance de +Napoléon I<sup>er</sup></i>. Néanmoins ce souverain ne put causer avec ces deux +personnes qui, venues à trois reprises différentes, furent +éconduites chaque fois sans être admises, tant l'Empereur était tenu +en chartre privée par son entourage. Il y a plus, Sa Majesté ayant +prescrit que le membre de la commission fût prévenu qu'il était +libre de s'arranger comme bon lui semblerait pour l'acquisition des +lettres, jamais cette autorisation de Napoléon III ne lui fut connue +et il ne sut à quoi s'en tenir qu'après la mise en vente de +l'ouvrage: <i>La Correspondance</i>, lorsqu'il vit l'Empereur à cette +occasion.</p> + +<p>Il ne nous reste plus qu'à faire connaître encore quelques lettres +du roi Joseph se rattachant à divers sujets.</p> + +<p>Nous avons dit que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait été assez +<span class="pagenum"><a id="page080" name="page080"></a>(p. 080)</span> heureux, à la suite des événements de 1815, pour trouver +un refuge en Amérique. Les autres frères de Napoléon I<sup>er</sup> étaient +exilés hors de France, dans les États de l'Europe, poursuivis +partout par la haine des souverains alliés. Jérôme, rejeté tantôt +dans les États autrichiens, tantôt en Italie, resta plusieurs années +sans donner signe de vie à l'aîné de ses frères. En 1818, Joseph lui +écrivit des États-Unis d'Amérique, le 10 juillet:</p> + +<p class="lettre">Mon cher Jérôme, je n'ai jamais eu de tes lettres depuis notre + séparation, j'ai fini par penser que tu avais vu dans ma conduite + quelque chose qui avait dû te déplaire. Je l'ai mandé à Julie qui + m'assure du contraire. Peut-être as-tu été gêné dans ta + correspondance avec moi. Quelles que soient les raisons de ton + silence, je t'écris pour t'engager à le rompre, bien convaincu, + comme je le suis, que tu ne peux pas douter de la tendresse de mon + amitié pour toi. Je n'ai pas vu ici ton ancienne amie et son fils, + je n'ai pas cru devoir aller à leur rencontre dans la position + étrange où je me suis trouvé. J'ai pensé que, dans l'adversité, il + vaut mieux manquer par trop de susceptibilité que par trop + d'abandon. Mande-moi ce que tu aurais désiré que j'eusse fait, ce + que tu désires que je fasse. Je pense que l'arrivée de Zénaïde + changera ma position si dans l'abandon où Julie va se trouver après + le départ de sa fille aînée, elle suit le conseil que je lui donne + de se rapprocher de Vienne, je te la recommande, mon cher frère, + ainsi qu'à ta femme, dont elle ne cesse de m'écrire tout le bien que + l'on en dit. Les lettres à son père ont été répétées dans tous les + journaux. Elles sont dans la mémoire de toutes les mères et de + toutes les épouses. Je te prie de lui dire combien, en mon + particulier, je serais heureux d'apprendre qu'elle trouve quelque + bonheur dans l'approbation d'elle-même. Mille caresses à ton enfant, + ne doutez jamais de ma tendre amitié.</p> + +<p>En 1822, le 2 mars, 10 mars et 24 avril, Joseph écrivit à la reine +Julie, de Pointe-Breeze, sa résidence d'été:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ma chère Julie, je t'ai écrit il y a quelques jours en te témoignant + mes inquiétudes sur le silence de Lucien<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a><a href="#footnote48" title="Lien vers la note 48"><span class="smaller">[48]</span></a> et le vôtre au sujet du + mariage de Zénaïde.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page081" name="page081"></a>(p. 081)</span> Écris à Désirée<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a><a href="#footnote49" title="Lien vers la note 49"><span class="smaller">[49]</span></a> qu'elle se déshonore à jamais si elle + reste plus longtemps à Paris, sa place est auprès de son mari; + a-t-elle oublié qu'elle est reine de Suède? C'est aussi ton devoir + de lui écrire ce qui est. C'est dur, mais c'est la vérité.</p> + +<p>Ma chère Julie, l'occasion étant retardée, j'ai le temps de t'écrire + encore deux mots: j'ai reçu une lettre du cardinal du 29 octobre. Il + me dit que lui et Maman pensent que le mariage du fils de Louis + serait possible si nous voulions que celle de nos filles qui + l'épouserait reste avec mon frère Louis.</p> + +<p>1<sup>o</sup> Si Zénaïde épouse Charles, il faut marier Lolotte avec le fils + de Louis, par procuration, si on ne peut autrement. Dans ce cas je + vous attends bientôt.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Si le mariage de Charles manque, il faut que Zénaïde épouse le + fils de Louis<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a><a href="#footnote50" title="Lien vers la note 50"><span class="smaller">[50]</span></a> et que, si cela est indispensable, elle reste avec + eux quelque temps; dans ce cas, Lolotte épouserait celui des deux + fils de Murat que tu choisirais pour son caractère.</p> + +<p>Ma chère amie, le général Lallemand te remettra cette lettre. Je te + le recommande. Il a passé ici quelques jours avec le fils de + Jérôme<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a><a href="#footnote51" title="Lien vers la note 51"><span class="smaller">[51]</span></a>. Pauline n'a pas conservé les mêmes dispositions + bienveillantes pour lui. Maman me le recommande et compte faire + quelque chose pour lui. Je compte toujours sur le mariage du fils de + Louis pour Charlotte et sur celui du fils de Lucien pour Zénaïde.</p> +</div> + +<p>Le prince Charles de Canino et sa femme vinrent, après leur mariage, +voir le roi Joseph en Amérique et restèrent quelque temps auprès de +lui. La santé délicate de la reine Julie ne lui permit pas de suivre +ses enfants. En 1826, des démarches furent faites auprès du roi de +France pour le retour en Europe de Joseph, par le général Belliard, +auquel le baron de Damas écrivit le 11 août:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le baron de Damas a l'honneur de prévenir M. le comte Belliard que, + d'après la demande qu'il lui a adressée dans sa lettre du 3 de ce + mois, il vient, après avoir pris les ordres du roi, d'autoriser le + Ministre de Sa Majesté à Washington à comprendre M. et M<sup>me</sup> Charles + de Canino sur le passeport de M. le comte de Survilliers, qui pourra + débarquer à Anvers ou à Ostende.</p> + +<p>Le baron de Damas saisit avec empressement cette occasion de faire + agréer à M. le comte Belliard les assurances de sa haute + considération.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page082" name="page082"></a>(p. 082)</span> En apprenant en Amérique que le gouvernement des Bourbons +ne mettait pas d'obstacle à son retour en Europe, Joseph écrivit le +29 septembre 1826 à Madame de Villeneuve<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a><a href="#footnote52" title="Lien vers la note 52"><span class="smaller">[52]</span></a>:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Ma chère belle-sœur,</p> + +<p>Je reçois votre lettre du 5 août; je n'ai jamais eu l'intention + d'aller à Bruxelles; si l'on m'avait accordé de bonne grâce le + séjour de la Toscane, j'aurais été volontiers y faire une visite à + ma mère, avec l'espoir de ramener ma femme en Amérique où je suis + trop bien pour ne pas désirer d'en faire partager le séjour à Julie.</p> + +<p>Je suis toujours bien reconnaissant, ma chère belle-sœur, des + preuves sans cesse renaissantes de votre tendre amitié; Désirée et + son mari sont aussi très excellents pour moi; les bons consolent + ainsi des indifférents.</p> +</div> + +<p>Pendant son exil en Amérique, le roi Joseph avait pris l'habitude de +mettre en note, dans une sorte de journal quotidien, tout ce qui se +passait autour de lui, et lui était personnel. Nous trouvons dans ce +journal quelques mots relatifs à un homme, M. de Persigny, qui, +ministre et créé duc par Napoléon III, a marqué sous le second +Empire. Voici les notes de Joseph, que M. Fialin de Persigny était +venu trouver à Londres, en avril 1835, pour le déterminer à entrer +dans une sorte de complot bonapartiste:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. le vicomte de Persigny, rue d'Artois, n<sup>o</sup> 48, à Paris, et à + Londres à Grillion, hôtel <i>Albermale Street</i>, arrive avec un billet + de M. Presle à M. Maillard; il est l'auteur du n<sup>o</sup> 1 de l'<i>Occident + français</i>, il est âgé de 26 ans et paraît plus jeune encore; il + montra un excessif enthousiasme pour la mémoire de l'Empereur et + même pour le nom de sa famille, dans l'entretien d'une demi-heure + que j'ai eu avec lui avant le dîner. Je me retirai de bonne heure; + il causa jusqu'à deux heures du matin avec MM. Sari, Thibaud, etc.</p> + +<p><i>5 Avril dimanche.</i> Je descends à déjeuner, j'ai un long entretien + avec M. de Persigny, il paraît plein d'ardeur, il est partisan le + plus absolu du caractère et des desseins de l'Empereur, il a pleuré + comme un enfant en voyant son écriture; il s'exprime facilement et + avec talent, cependant il ne m'est adressé par personne que je + connaisse, il se dit de Roanne sur la Loire, sa famille tient aux + Bourbons dont il a entièrement abandonné la cause.</p> + +<p><i>6 Avril.</i> Je vais à Londres, j'y mène M. de Persigny, je descends + avec Maillard chez le docteur O'Méara.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page083" name="page083"></a>(p. 083)</span> <i>19 Avril</i>, jour de Pâques. M. le vicomte de Persigny me + parle encore de ses projets, je lui en fais sentir l'inopportunité + actuelle; il me remet un écrit que je ne lis qu'à ma rentrée dans ma + chambre. Je promène avec lui, Sari et Maillard.</p> + +<p>20. Je fais prendre copie de l'écrit sans signature, je rends + l'original à M. de Persigny en lui répétant les mêmes choses, je + conviens de l'avantage national du but, mais je ne partage pas ses + opinions sur l'efficacité des moyens, ainsi je l'engage à ne pas se + compromettre sans espérance raisonnable; ses projets ne m'en + présentent aucune.</p> + +<p>28. M. le vicomte de Persigny est à la maison, je refuse de recevoir + l'ami qui lui est arrivé de Paris, je lui déclare que je n'entends + pas me prêter à l'exécution de ses projets, à laquelle je répugne + invinciblement; tout pour le devoir, rien pour mon ambition, je n'en + ai pas d'autre que celle de contribuer au bonheur de la France, si + elle m'offre une chance de la servir, mais jamais rien par une + minorité factieuse; il dîne et couche à la maison.</p> + +<p>29. M. de Persigny part après déjeuner, je lui répète longuement les + mêmes choses.</p> +</div> + +<p>Joseph était encore à Londres, en 1833, lorsque son neveu +Louis-Napoléon, le futur empereur Napoléon III, lui envoya un petit +ouvrage qu'il venait de faire paraître; l'ex-roi lui écrivit à ce +sujet, le 20 septembre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon cher neveu, j'ai reçu avec ta lettre tes <i>Considérations sur la + Suisse</i>. Je les ai lues avec un double intérêt. Je regrette que tu + ne puisses pas honorablement employer tes talents et ton application + à l'étude, au service de la patrie. Charlotte est beaucoup mieux + depuis notre séjour à la campagne. Je me trouve par accident en + ville aujourd'hui.</p> + +<p>Je te prie de me rappeler au bon souvenir de ta maman et de me + croire bien tendrement</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">Ton affectionné oncle,</span><br> + <span class="smcap">Joseph.</span></p> +</div> + +<p>Enfin, dans les premiers mois de 1841, Joseph put quitter Londres +pour habiter la Toscane. Il écrivit à ce sujet au général duc de +Padoue, son cousin, le 8 mars:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Mon cher Cousin,</p> + +<p>Je vous confirme ma lettre du 3 de ce mois. Je pense que vous avez + vu la duchesse de Crès, à laquelle j'écris aussi dans le même sens. + Le jeune Maillard vous dira de ma part que ma demande se borne à ce + que <span class="pagenum"><a id="page084" name="page084"></a>(p. 084)</span> l'on ne mette pas d'obstacle à mon séjour en Toscane + ou en Sardaigne et qu'on légalise le passeport autrichien que vous + avez obtenu pour moi l'année passée, avec lequel je pourrai me + rendre en Italie par le Rhin et la Suisse.</p> + +<p>Renvoyez-moi donc Adolphe<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a><a href="#footnote53" title="Lien vers la note 53"><span class="smaller">[53]</span></a> avec le passeport en règle aussitôt + que vous le pourrez, il vous donnera des nouvelles plus en détail.</p> + +<p>Agréez ma vieille et constante amitié.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné cousin.</p> +</div> + +<p>M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, auquel la nièce +du roi Joseph par sa femme, la maréchale Suchet, duchesse +d'Albuféra, s'était adressée pour que le roi Louis-Philippe fût +sollicité afin de permettre au comte de Survilliers (Joseph) de se +rendre en Italie, écrivit le 9 avril 1841:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Madame la Maréchale,</p> + +<p>Le Roi ne fait pas la moindre objection à ce que M. le comte de + Survilliers vienne vivre à Gênes ou à Florence; vous en êtes + probablement déjà informée, mais je me donne le plaisir de vous le + dire moi-même.</p> +</div> + +<p>À cette lettre était jointe la note ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Note:</p> + +<p>Le gouvernement non-seulement donne son adhésion à ce que M. le + comte de Survilliers vienne s'établir à Gênes, mais encore il + exprime le désir que toute facilité lui soit donnée dans cette + circonstance. C'est dans ce sens qu'il a répondu à M. l'ambassadeur + de Sardaigne et qu'il a expédié, il y a trois jours, ses + instructions à son propre ambassadeur près de Sa Majesté sarde.</p> + +<p>En octobre dernier, le gouvernement français a fait exprimer au + gouvernement du grand-duc de Toscane les mêmes dispositions de sa + part à l'égard du comte de Survilliers, qui demandait à résider à + Florence; ces dispositions, il les maintient et les renouvellera + même au besoin si le gouvernement toscan l'exigeait. Il est vrai que + le gouvernement napolitain, s'appuyant sur des dispositions des + traités de 1815, prétend que lorsqu'il s'agit de la famille + Bonaparte, il faut le concours simultané des quatre puissances; + qu'aucune d'elles ne peut agir isolément; mais la France se regarde, + depuis 1830, affranchie de l'obligation de cet accord commun; elle + croit pouvoir agir seule, librement et comme il lui plaît, et elle + l'a constamment fait depuis cette époque.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page085" name="page085"></a>(p. 085)</span> On croit que M. le comte de Survilliers, établi à Gênes, + pourra facilement négocier pour venir ensuite à Florence; que + l'Autriche prêtera aisément son intervention pour aplanir les + difficultés que Naples oppose encore.</p> +</div> + +<p>Nous terminons ici ce qui a trait au frère aîné de l'Empereur, dont +la vie politique avait cessé depuis 1816. L'ex-roi mourut à +Florence, en 1843, après avoir fait hommage à la France, pour être +placés sur le tombeau de Napoléon I<sup>er</sup>, des insignes et des armes du +grand homme qui lui étaient échus en partage. Il avait nommé pour un +de ses exécuteurs testamentaires M. Maillard (Louis) qui méritait +toute sa confiance et qui ne l'avait pas quitté depuis 1808.</p> + +<p>Le roi Joseph avait 76 ans lorsqu'il s'éteignit, entouré de sa +famille et de quelques serviteurs fidèles et dévoués.</p> + +<p>Deux années avant sa mort, le roi Joseph éprouva un vif chagrin. Il +avait pour son neveu, le prince Louis Napoléon, fils de l'ex-roi de +Hollande, une grande affection. Lorsqu'il apprit à Florence que ce +jeune homme avait fait la tentative de Strasbourg, il le désapprouva +hautement. Son père agit de même. La première chose que fit le futur +empereur Napoléon III, en arrivant en Amérique, fut d'écrire une +longue lettre à son oncle Joseph pour lequel il avait une grande +vénération. Cette lettre étant venue aux mains de l'auteur des +<i>Mémoires du roi Joseph</i>, avec les autres papiers, cet auteur se +trouva assez embarrassé, ne sachant s'il devait ou non publier cette +pièce importante pour l'histoire. On était alors en 1855, Louis +Napoléon était sur le trône. Il se décida à la montrer à l'Empereur, +mais à lui seul. Reçu un matin dans le cabinet de S. M., aux +Tuileries, il la lui donna. L'Empereur, après en avoir pris +connaissance pendant un quart d'heure, la lui rendit en disant: «Je +ne puis pas la nier, elle est toute de ma main. Je la trouve bien +cette lettre.—Moi également, Sire, se hâta de dire l'auteur des +<i>Mémoires</i>, mais ne sachant pas s'il pouvait convenir à l'Empereur +sur le trône que le public eût connaissance d'une lettre écrite par +le proscrit de New-York, j'ai cru devoir la soumettre à Votre +Majesté.—Bah, reprit en riant l'Empereur, rien n'empêchera que je +n'aie fait la tentative de Strasbourg et de Boulogne, ce qui est +histoire est histoire, je ne m'oppose pas à ce que vous l'insériez +dans votre curieux ouvrage.» Elle se trouve au 10<sup>e</sup> volume des +<i>Mémoires du roi Joseph</i>, page 370.</p> + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page086" name="page086"></a>(p. 086)</span> II.<br> +<span class="smaller">LE ROI LOUIS.</span></h2> + +<h3>I.<br> +1778-1806.</h3> + +<p>Louis Bonaparte, troisième des frères de Napoléon Bonaparte, naquit +à Ajaccio (Corse) le 2 septembre 1778, sous le règne de Louis XVI. +Bien que la famille Bonaparte soit d'origine italienne, l'île de +Corse ayant été cédée sous Louis XV à la France, Louis et ses frères +naquirent Français et non Italiens, comme quelques auteurs l'ont +écrit.</p> + +<p>La longue carrière de Louis Bonaparte peut se diviser en trois +parties bien distinctes:</p> + +<p>1<sup>o</sup> Celle qui s'étend du jour de sa naissance (1778) au moment où il +monta sur le trône de Hollande (1806), période pendant laquelle on +le voit vivre auprès de son frère Napoléon et se montrer entièrement +dévoué à ses projets.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Celle qui comprend les quatre années de son règne en Hollande, +son abdication, son exil volontaire, la chute de l'empire (de 1806 à +1815).</p> + +<p>3<sup>o</sup> Enfin, la partie qui embrasse l'exil forcé des membres de la +famille de l'empereur après Waterloo, jusqu'à la mort de Louis, à +Florence, le 25 juillet 1846.</p> + +<p>Nous parlerons peu des premières années de Louis. Lorsque Paoli +livra l'île de Corse aux Anglais, la famille Bonaparte vint +s'établir près de Toulon, à Lavalette, puis bientôt après à +Marseille. Louis, âgé de 14 ans, se trouvait au milieu des siens. Il +n'avait pu faire, dans ces temps de troubles, que de médiocres +études, mais son caractère, empreint déjà d'une teinte +philosophique, s'était développé par les malheurs mêmes qui avaient, +depuis sa naissance, accablé ses parents. Élevé par Joseph, l'aîné +de ses frères, devenu le <span class="pagenum"><a id="page087" name="page087"></a>(p. 087)</span> chef de la famille à la mort de +leur père Charles Bonaparte (23 septembre 1785), soutenu par +Napoléon, officier d'artillerie, il entra en 1793 dans la vie +active, à peine au sortir de l'enfance. Napoléon commandait +l'artillerie au siège de Toulon, il venait souvent à Marseille, soit +pour hâter les préparatifs du siège, soit pour y voir sa famille. +Dans un de ses voyages, il déclara que Louis était d'âge à se faire +une carrière honorable, et qu'il ne voulait pas le voir plus +longtemps inactif. Il obtint de leur mère que le jeune homme se +rendrait à l'école de Châlons pour subir l'examen nécessaire à son +admission dans le corps de l'artillerie. Louis partit avec des +passeports visés par les représentants du peuple, mais en passant à +Lyon, alors sous la terreur qu'inspiraient d'horribles massacres, il +courut de véritables dangers. Il ne put sortir de cette malheureuse +ville qu'avec peine et à la faveur de ses passeports. Il continua sa +route, se dirigeant vers Châlons-sur-Marne. À Chalon-sur-Saône, on +lui apprit la dissolution de l'école d'artillerie. Effrayé de ce +qu'il avait vu, de son isolement (Louis avait alors 15 ans), le +jeune homme revint dans sa famille. Après la prise de Toulon, +Napoléon Bonaparte, créé général de brigade, vint à Marseille, prit +avec lui son frère Louis et se rendit à l'armée des Alpes-Maritimes +où il venait d'être nommé commandant en chef de l'artillerie. Louis +fut adjoint à son état-major avec le grade de sous-lieutenant. Le +soir de la prise de Toulon, Napoléon, pour qui, depuis longtemps +déjà, tout était objet d'étude sérieuse, avait fait visiter à son +frère les attaques de la ville. Il lui avait indiqué, sur le terrain +même, les fautes commises, puis, lui montrant l'endroit où la terre +était jonchée de cadavres, il s'écria:</p> + +<p>«Si j'avais commandé ici, tous ces braves gens vivraient encore. +Jeune homme, apprenez par cet exemple combien l'instruction est +nécessaire et obligatoire pour ceux qui aspirent à commander les +autres.»</p> + +<p>Louis Bonaparte fit sa première campagne à l'armée des +Alpes-Maritimes. Il assista à la prise d'Oneille (7 avril 1794), à +celle de Saorgio (29 avril), au combat de Cairo (21 septembre), et +fut nommé lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires en +garnison à Saint-Tropez. Une loi nouvelle exigeait que les officiers +d'état-major rentrassent dans les régiments. Il resta quelques mois +dans la petite ville de Saint-Tropez, puis il fut envoyé à l'école +d'artillerie de Châlons-sur-Marne pour y subir ses examens.</p> + +<p>Après la journée du 13 vendémiaire (4 octobre 1795), Bonaparte, +<span class="pagenum"><a id="page088" name="page088"></a>(p. 088)</span> devenu général en chef de l'armée de l'intérieur, donna +l'ordre à son frère de se rendre à son état-major auquel il l'avait +attaché. Louis refusa d'abord de quitter Châlons, désireux de se +faire recevoir avant tout dans l'artillerie, mais il dut obéir à +l'ordre formel qui lui fut envoyé, et il se rendit à Paris en +décembre 1795. Pendant la campagne de 1794 en Italie, les +représentants du peuple, très désireux de faire quelque chose +d'agréable au général Bonaparte, avaient voulu conférer à Louis le +grade de capitaine; Napoléon s'y était opposé, à cause de l'âge de +son frère (16 ans à peine). Cependant, il se plaisait à rendre +justice à cet enfant devenu bien vite un jeune homme plein de +bravoure et de sang-froid. Il racontait avec bonheur que le jour où +Louis fut au feu pour la première fois, loin de montrer de la +crainte ou même de l'étonnement, il avait voulu lui servir de +rempart. Une autre fois, Napoléon et Louis se trouvaient à une +batterie en barbette sur laquelle l'ennemi faisait le feu le plus +vif. Les défenseurs baissaient souvent la tête pour éviter les +boulets. Napoléon remarqua avec joie que son jeune frère, imitant +son exemple, restait droit et immobile. Il lui en demanda la raison:</p> + +<p>«Je vous ai entendu dire, repartit Louis, qu'un officier +d'artillerie ne doit pas craindre le canon; c'est notre arme!»</p> + +<p>Lorsque Napoléon reçut le commandement en chef de l'armée d'Italie, +en 1796, il résolut de mener avec lui son frère Louis qui arrivait +de l'école de Châlons. La guerre, pendant laquelle il s'était montré +d'une grande bravoure personnelle, n'allait ni à ses instincts +humanitaires, ni à ses goûts philosophiques, ni à ses idées dénuées +de toute ambition. Ce fut pendant le peu de temps qui s'écoula entre +le retour de Louis de l'école de Châlons et son départ pour Nice, +qu'il connut à Paris Madame de Beauharnais, Hortense et Eugène.</p> + +<p>Louis avait 18 ans quand il commença sa seconde campagne. Il la fit, +non plus seulement comme attaché à l'état-major du général en chef, +mais en qualité de l'un de ses aides de camp. Il était encore +lieutenant. Bien qu'à un âge où tout ce qui est nouveau attire, où +tout ce qui est bruit, ambition, renommée, charme, Louis Bonaparte +sentait un vide dans son cœur. La carrière des armes lui +paraissait sans attrait. Il soupirait déjà après l'étude, la +retraite, la vie paisible. Ces biens il ne devait pas les connaître +pendant toute sa longue existence. Son caractère encore rempli de +contrastes était à la fois grave et romanesque, vif et flegmatique. +«Louis a de l'esprit, fait-on dire à Napoléon à Sainte-Hélène, il +n'est point méchant, mais avec ces <span class="pagenum"><a id="page089" name="page089"></a>(p. 089)</span> qualités un homme peut +faire bien des sottises et causer bien du mal. L'esprit de Louis est +naturellement porté à la bizarrerie et a été gâté encore par la +lecture de Jean-Jacques. Courant après une réputation de sensibilité +et de bienfaisance, incapable par lui-même de grandes vues, +susceptibles tout au plus de détails locaux, Louis ne s'est montré +qu'un <i>roi préfet</i><a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a><a href="#footnote54" title="Lien vers la note 54"><span class="smaller">[54]</span></a>.»</p> + +<p>Il est permis de douter que Napoléon ait porté un tel jugement sur +son frère. Louis était fort peu désireux d'une réputation +quelconque, et ses malheurs, depuis son avènement au trône de +Hollande, vinrent précisément, ainsi qu'on le verra plus loin, de +n'avoir pas voulu être un <i>roi préfet</i>. Louis, pendant la campagne +de 1796, fit preuve de bravoure en plusieurs circonstances, mais +(comme il le dit lui-même dans l'ouvrage qu'il publia en 1820) il le +fit par boutade et sans s'occuper d'acquérir une réputation +militaire. Il montra du zèle, du sang-froid, nul désir d'avancer, +nulle idée d'ambition. Il avait surtout une répugnance invincible +pour les excès de toute nature. Il cherchait à remplir ses devoirs, +ne se ménageant pas, mais sans tirer vanité de ses actions, sans +chercher à se faire valoir. Au passage du Pô (7 mai) <span class="pagenum"><a id="page090" name="page090"></a>(p. 090)</span> il +franchit le fleuve un des premiers, avec le colonel Lannes; à la +prise de Pizzighettone (9 mai) il entra dans la place par la brèche +avec le général d'artillerie Dommartin; à l'attaque de Pavie, ayant +reçu l'ordre de suivre l'opération, d'examiner la position de +l'ennemi et d'en venir rendre compte à son frère, il resta seul, à +cheval, exposé plus que tout autre au feu terrible des défenseurs de +la ville. Pavie fut en partie pillée, elle avait mérité ce juste +châtiment, cependant ce spectacle révolta Louis, et à partir de ce +moment et pendant le reste de la campagne il fut triste, taciturne. +Il prit part à la bataille de Valeggio (12 août), au passage de vive +force du Mincio, à l'investissement de Mantoue. À la tête de deux +bataillons, il fut chargé de s'emparer du pont de San-Marco sur le +Chiese, au moment où Bonaparte, après quelques mouvements aussi +habilement conçus que rapidement exécutés, se préparait à livrer le +combat de Lonato (13 août) et la bataille de Castiglione. La veille +de ces belles journées, Louis fut expédié par son frère au +Directoire pour rendre compte de l'état des choses, et du retour +offensif des Autrichiens de Wurmser. «Maintenant, «dit-il à son +jeune aide de camp, tout est réparé: demain je livrerai la bataille; +le succès sera des plus complets, puisque le plus difficile est +fait, on doit être entièrement rassuré, je n'ai pas le temps de +faire de longues dépêches, dites tout ce que vous avez vu.» Louis +témoignait son regret de quitter l'armée dans un moment pareil. «Il +le faut, ajouta Napoléon, il n'y a que mon frère que je puisse +charger de cette mauvaise commission; mais avant de revenir, vous +présenterez les drapeaux que nous conquerrons demain.» Peut-être +Napoléon qui, quoi qu'on en ait dit, était bon, sensible surtout +pour ses frères et pour ses sœurs, avait-il voulu éloigner ce +jeune homme des champs de bataille dans lesquels il savait bien +qu'il devait, avec une poignée d'hommes, remporter la plus éclatante +victoire ou périr lui et sa petite armée? Louis partit donc, remplit +sa mission, reçut du Directoire le grade de capitaine et présenta, +quelques jours après, ainsi que le lui avait promis son frère, les +drapeaux enlevés par nos soldats à Castiglione, drapeaux que +Bonaparte avait envoyés par l'aide de camp Du Taillis. Louis se hâta +ensuite de rejoindre son général et il put assister au troisième +acte du grand drame qui se jouait alors du Pô à la Brenta. Il prit +part à la bataille de ce nom, et une part des plus glorieuses aux +trois journées d'Arcole (15, 16, 17 novembre). À la première +journée, Louis fut celui des aides de camp de son frère qui +contribua le plus <span class="pagenum"><a id="page091" name="page091"></a>(p. 091)</span> à le sauver, lorsque le général tomba +dans le marécage au bas de la chaussée, après les tentatives faites +inutilement pour déboucher de cette chaussée étroite, sur le village +d'Arcole. Voyant Napoléon prêt à disparaître dans les eaux +bourbeuses, il risqua sa vie avec Marmont pour le tirer de ce +mauvais pas; puis il tenta de nouveau, mais en vain, d'enlever le +pont<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a><a href="#footnote55" title="Lien vers la note 55"><span class="smaller">[55]</span></a>. Pendant la seconde journée d'Arcole, Louis non seulement +combattit vaillamment près de son frère, mais il fut chargé de la +mission difficile et dangereuse de porter des ordres de la plus +haute importance au général Robert. Il n'y avait pas d'autre chemin +pour remplir son périlleux devoir que de suivre une chaussée balayée +par le feu des Autrichiens. En revenant auprès du général en chef +par la même route, il courut les mêmes dangers, dont cependant il +fut assez heureux pour se tirer sans blessures: «Je te croyais mort, +lui dit son frère avec joie en l'embrassant.»</p> + +<p>En effet, on était venu annoncer que Louis avait été tué. Peu de +temps après, lorsque Napoléon marcha sur Rivoli, au secours de +Joubert, Louis fut encore chargé d'une mission épineuse à Peschiera. +Il rendit à cette occasion un grand service à l'armée, en ralliant +une colonne de fuyards et en arrêtant l'ennemi qui s'avançait sur +ses derrières. Lorsqu'il revint auprès du général en chef, Napoléon +lui témoigna publiquement la satisfaction que lui faisait éprouver +sa conduite pendant cette affaire de Rivoli (14 janvier 1797).</p> + +<p>Jusqu'en 1796, Louis, d'une forte constitution, avait joui d'une +bonne santé; mais s'étant trop peu ménagé pendant cette longue +campagne, ayant d'ailleurs été soumis trop jeune à de trop rudes +fatigues, ayant éprouvé plusieurs accidents, fait plusieurs chutes +de cheval, il commença à ressentir les effets d'une existence +au-dessus de ses forces physiques. À Nice, après le siège de Toulon, +il était tombé de cheval par la faute de Junot, qui avait effrayé à +dessein sa monture pour voir s'il était bon cavalier. Il s'était +fait à l'œil gauche une blessure grave dont il conserva toujours +la cicatrice. Après la paix de Campo-Formio, lors de son retour à +Paris, ses chevaux s'étaient emportés dans la descente de la +montagne de Saint-André, en Savoie; il s'était démis le genou.</p> + +<p>Tout cela, joint aux fatigues de la campagne d'Italie, lui fit +<span class="pagenum"><a id="page092" name="page092"></a>(p. 092)</span> désirer de prendre, pendant quelque temps, les eaux de +Barèges qu'on lui avait conseillées, mais il ne put exécuter son +projet. Napoléon s'apprêtait à s'embarquer pour l'Égypte, il avait +décidé d'emmener son frère, que d'ailleurs, pour une raison secrète, +il ne voulait pas laisser à Paris.</p> + +<p>Pendant son dernier séjour en France, Louis avait été visiter à la +célèbre pension de madame Campan, à Saint-Germain, sa sœur +Caroline, et s'était épris d'une amie de cette sœur, fort jolie +personne, dont le père avait émigré. Il confia son penchant à +Casabianca, ami de son frère Napoléon, ancien officier supérieur de +la marine, qui fut effrayé pour Louis des conséquences de cette +passion naissante. «Savez-vous, lui dit-il, que ce mariage ferait le +plus grand tort à votre frère, et le rendrait suspect au +gouvernement?» Le lendemain Napoléon fit appeler Louis et lui donna +l'ordre de partir immédiatement avec ses trois autres aides de camp +pour Toulon où ils devaient l'attendre et passer avec lui en +Égypte<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a><a href="#footnote56" title="Lien vers la note 56"><span class="smaller">[56]</span></a>. Louis attendit quelque temps, à Lyon, son frère que le +Directoire avait retenu dans la crainte de voir la guerre se +rallumer avec l'Autriche, à la suite d'une imprudence de Bernadotte, +ambassadeur à Vienne.</p> + +<p>Il suivit la division Kléber jusqu'au Caire; mais Napoléon, au +moment où il partit pour la Syrie, résolut d'expédier en France un +homme sur lequel il pût compter pour faire connaître exactement au +Directoire l'état des affaires en Orient et pour lui faire envoyer +des secours. Il choisit son frère Louis. Il savait que ce retour en +France était sans inconvénient pour son cœur, puisque, après son +départ de Paris, la jeune personne qu'il aimait avait été forcée de +se marier. Louis partit donc avec les drapeaux pris sur l'ennemi. Il +s'embarqua sur la plus petite, la plus vieille, la plus délabrée des +chaloupes canonnières. La flotte avait été détruite à Aboukir. +Pendant deux mois, il eut à lutter contre la tempête, à éviter les +vaisseaux turcs, russes, anglais, portugais croisant dans la +Méditerranée entre la France et l'Égypte. Il fut retenu pendant 27 +jours en quarantaine à Tarente; de nouvelles tempêtes l'assaillirent +quand il reprit sa route. Une seule et mauvaise pompe soutenait son +fragile navire qui faisait eau à <span class="pagenum"><a id="page093" name="page093"></a>(p. 093)</span> chaque instant. La +situation fut un instant si désespérée qu'il donna l'ordre au +capitaine de son bâtiment d'entrer à Messine, bien qu'on fût en +guerre avec Naples. La force du vent ayant poussé le bateau hors du +détroit, une frégate anglaise lui donna la chasse et il se décida à +jeter à la mer les drapeaux qu'il devait présenter au Directoire. +Toutefois, après avoir fait escale à Porto-Vecchio en Corse, il +parvint à débarquer en France. Aussitôt il fit toutes les démarches +en son pouvoir pour avoir des secours, mais il ne put obtenir +d'abord que l'envoi de quelques avisos montés par des officiers +porteurs de dépêches. Le gouvernement refusa d'expédier des troupes. +Louis ne trouva d'aide, au ministère de la guerre, que dans le +général Dupont. Enfin, quand on eut quelques détails sur +l'expédition de Syrie et sur la seconde bataille d'Aboukir, le +Directoire se décida à envoyer des secours et des troupes. Louis +s'occupait des préparatifs du départ, qu'il hâtait de tout son +pouvoir, lorsque l'on apprit le débarquement à Fréjus du général +Bonaparte. Louis partit aussitôt pour aller avec Joseph et le +général Leclerc au devant de Napoléon. Il tomba malade à Autun et ne +put rejoindre son frère qu'à Paris. Il reprit immédiatement, près de +sa personne, son poste d'aide de camp, et fut promu chef d'escadron +au 5<sup>e</sup> de dragons.</p> + +<p>Après le coup d'État du 18 brumaire, Louis fut immédiatement promu +au grade de colonel commandant le 5<sup>e</sup> régiment de dragons. Ce +régiment tenait alors garnison à Verneuil, étant chargé d'aider à la +pacification de la Normandie. Louis fut obligé, fort à +contre-cœur, de le rejoindre dans cette ville. Le jeune colonel +était désolé d'être employé à une mission de ce genre, à +l'intérieur. Il fit tout son possible pour éviter cette tâche +désagréable, mais il ne put rien obtenir à cet égard du premier +consul. À son grand désespoir, la ville de Verneuil ne tarda pas à +être le théâtre d'un horrible événement, si commun dans les guerres +civiles. Quatre malheureux prisonniers amenés par des soldats dans +la ville furent jugés par un conseil de guerre et condamnés à être +passés par les armes. Louis, pressé de présider le conseil de +guerre, refusa avec indignation, repoussant prières, ordres, +menaces. Il écrivit à son frère pour obtenir la grâce des condamnés. +Il était trop tard, on procéda à leur exécution malgré toutes ses +tentatives pour les sauver. Cette tragédie l'émut au point de lui +faire prendre en horreur le métier des armes. Il resta dans son +logement, comme pour un jour de deuil, ordonna à ses officiers d'en +faire autant, et accueillit avec joie l'ordre, arrivé quelques +<span class="pagenum"><a id="page094" name="page094"></a>(p. 094)</span> jours plus tard, de se rendre en garnison à Versailles et +ensuite à Paris. Deux escadrons du 5<sup>e</sup> de dragons furent alors +organisés sur le pied de guerre et prêts à faire partie de l'armée +de réserve qui se rassemblait à Dijon. Louis croyait en prendre le +commandement, mais ils furent mis sous son lieutenant-colonel et +lui-même resta à Paris. Ce fut à cette époque que son frère commença +à lui parler de mariage et à le presser d'épouser la fille de +Joséphine. Louis, soit qu'il ne voulût faire qu'un mariage +d'inclination, soit qu'il crût à une incompatibilité d'humeur et de +caractère entre lui et Hortense, refusa. Peut-être aimait-il encore +au fond du cœur l'amie de pension de sa sœur. Au retour de sa +brillante campagne de Marengo, le premier consul revint à ses idées +d'union entre son frère et sa fille d'adoption. Pour éviter toute +contrainte à cet égard, Louis demanda et obtint de faire un long +voyage sous le prétexte d'assister aux manœuvres de Postdam. Il +devait même ensuite compléter ce voyage dans le Nord, en visitant la +Saxe, la Pologne, la Russie, la Suède et le Danemark. Lorsque Louis +arriva à Berlin, les manœuvres étaient terminées, mais il fut +reçu avec tant de bonne grâce par le roi et la reine Louise, qu'il +séjourna un mois entier dans la capitale de la Prusse. Il quitta +cette ville pour se rendre à Dantzick et de là à Saint-Pétersbourg. +À Dantzick, il tomba malade, et comme, pendant les trois semaines +qu'il y fut retenu, la guerre éclata de nouveau entre la France et +l'Autriche, il se décida à revenir à Paris. Après quelques jours +passés à Brunswick où le duc régnant le reçut à merveille, il revint +près de son frère. Le premier consul renouvela alors ses instances +pour lui faire épouser Hortense. Louis ne pouvait se décidera +s'enchaîner aussi jeune (il n'avait que 23 ans). Pour ne pas céder +aux sollicitations de Bonaparte et de sa belle-sœur, il fit +comprendre son régiment de dragons dans le corps dirigé sur le +Portugal. Toutefois, ayant été prendre congé de son frère à la +Malmaison, il y fut retenu par lui et par Joséphine pendant près de +trois semaines. Un beau jour, il partit brusquement pour Bordeaux et +Mont-de-Marsan. Dans cette dernière ville, on le reçut avec de +grandes démonstrations, et on lui rendit même, à cause de sa parenté +avec le premier consul, de tels honneurs que, fort modeste et très +simple de goûts et de manières, il fut choqué de toute la mise en +scène dont il se trouvait être l'objet. Le préfet vint le +complimenter à la tête des autorités du département et le président +du tribunal, vieillard vénérable, commença d'un ton solennel un +discours dont les premiers <span class="pagenum"><a id="page095" name="page095"></a>(p. 095)</span> mots étaient: «Jeune et +vaillant héros...» Louis ne put en entendre davantage; il sauta en +riant sur le discours, l'arracha d'une manière vive mais familière +des mains du pauvre président auquel il répondit tout haut: «Je vois +que ce discours s'adresse à mon frère, je m'empresserai de lui faire +connaître les bons sentiments que vous avez pour lui. Je puis vous +assurer qu'il y sera très sensible.»</p> + +<p>Louis entra en Espagne à la tête de son régiment (1801), il passa +quelques semaines à Salamanque, vint à Ciudad Rodrigo, puis il se +rendit avec Leclerc, général en chef de l'armée française, au grand +quartier général de l'armée espagnole alliée de la nôtre. Joseph, +l'aîné des Bonaparte, négociait alors la paix générale. Il y eut un +armistice, le jeune colonel conduisit son régiment à Zamora. Il +obtint ensuite un congé pour prendre les eaux de Barèges, que sa +jambe malade et un rhumatisme à la main droite rendaient nécessaires +à sa santé. Il resta aux eaux les trois mois de juillet, août et +septembre 1801, et revint à Paris en octobre, au moment de la +signature des préliminaires de paix avec l'Angleterre (traité +d'Amiens).</p> + +<p>Ni Bonaparte ni Joséphine n'avaient abandonné leurs projets de +mariage pour Louis et Hortense. Louis plaisantait parfois de ce +projet dont il regardait l'exécution comme impossible, cependant la +persistance de son frère et de sa belle-sœur finit par +l'emporter. Un soir, pendant un bal à la Malmaison, il donna son +consentement et le jour de la cérémonie nuptiale fut fixé au 4 +janvier 1802. Le contrat, le mariage civil, le mariage religieux +furent hâtés. Tout s'accomplit, mais sous les plus tristes auspices, +tant était grand et réel le pressentiment secret des deux époux des +malheurs qui devaient découler pour eux d'une union presque forcée +et mal assortie. Louis avait 24 ans; sa constitution formée de bonne +heure et déjà maladive était en avance sur son esprit, sur son +caractère encore plein de naïveté et de bonne foi. C'est de ce +moment que date pour lui une sorte de tristesse, de découragement +moral qui contribuèrent à empoisonner son existence. Du reste, nous +ne pouvons mieux faire pour donner une idée exacte de cette union +que de renvoyer le lecteur à ce que le roi Louis, au commencement de +son ouvrage sur la Hollande, en dit lui-même.</p> + +<p>De 1802 à 1804, Louis resta presque constamment soit à son régiment, +soit aux eaux thermales. En 1804, son frère le nomma général de +brigade en lui laissant le commandement du 5<sup>e</sup> de dragons.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page096" name="page096"></a>(p. 096)</span> Après la proclamation de l'empire (1804), Louis fut promu +au grade de général de division et entra en même temps au conseil +d'État, à la section de la législation. Le 2 décembre 1804 eurent +lieu le sacre et le couronnement, puis le nouveau souverain pressa +de tout son pouvoir les préparatifs d'une descente en Angleterre. +Louis, devenu prince français, reçut le commandement de la réserve +de l'armée composée de deux régiments de cavalerie et de deux +divisions d'infanterie. L'empereur le fit colonel général des +carabiniers. Il s'établit avec ses troupes près de Lille, et comme +il se trouvait à portée des eaux de Saint-Amand, il en profita pour +en faire usage, car sa santé devenait de plus en plus mauvaise. Il +était presque paralysé des doigts de la main droite, et les eaux de +Plombières où il avait été l'année précédente, loin de le soulager, +avaient empiré sa situation. Celles de Saint-Amand ne lui réussirent +pas mieux.</p> + +<p>Quand le projet de descente fut abandonné et la campagne d'Allemagne +entreprise (1805), Louis croyait devoir commander le corps de +réserve en Allemagne. L'empereur préféra lui confier, en son +absence, le commandement de Paris et donner la réserve à Murat +devenu maréchal. Pendant toute cette glorieuse campagne et jusqu'à +la fin de 1805, Louis resta chargé des importantes fonctions qu'il +devait à la confiance de son frère. En même temps son frère Joseph +gouvernait la France au nom de l'empereur.</p> + +<p>Louis n'avait dans ses attributions que les affaires militaires. +Avec peu de troupes, il maintint l'ordre, malgré les embarras +financiers, les intrigues et l'agitation de tous les partis. Sous +prétexte de la pénurie des finances, du discrédit de la banque, dans +l'attente des événements et peut-être aussi poussés par quelques +factieux, des rassemblements considérables se montraient chaque nuit +sur divers points de la capitale. Le successeur de Murat au +commandement de cette grande ville, non seulement parvint à conjurer +les dangers qui pouvaient résulter de ces attroupements, mais il +veilla aussi sur les côtes de l'Ouest, sur Brest, sur Anvers et sur +la Hollande. Il assistait au conseil des ministres et correspondait +journellement avec Napoléon. Bientôt une nouvelle occasion se +présenta pour le jeune prince de déployer son activité. Les +Anglo-Suédois et même les Prussiens menacèrent assez sérieusement +les côtes de la Hollande et le nord de la France pour que, de la +Moravie où il était allé combattre les armées austro-russes, +Napoléon envoyât l'ordre à Louis de former le plus rapidement +possible une armée du Nord destinée à couvrir les chantiers +<span class="pagenum"><a id="page097" name="page097"></a>(p. 097)</span> d'Anvers et la Hollande. Le conseil des ministres trouvait +de grandes difficultés à l'exécution des volontés impériales, Louis +les leva toutes. Il agit avec tant de zèle et d'intelligence, qu'un +mois, jour pour jour, après le décret de Napoléon, il put écrire de +Nimègue au vainqueur d'Austerlitz que l'armée du Nord, complètement +organisée sous son commandement, était prête à tout. Cette armée se +composait des deux divisions Laval et Lorge à Juliers (sur le Rhin) +et de deux autres divisions, en position à Nimègue. Toutes ces +troupes étaient sur les frontières de la Hollande et de la +Westphalie, elles couvraient le Rhin, la Hollande, Anvers et +pouvaient faire face sur tous les points à l'ennemi, de quelque côté +qu'il voulût se présenter. En moins d'un mois, les places du Brabant +furent mises en état de défense, les Hollandais reprirent courage, +et la Prusse qui, peu de jours avant, ne voyait pas un homme pour +lui disputer les frontières de la France, montra une extrême +surprise. La rapide formation de l'armée du Nord ne laissa pas que +d'avoir une certaine influence sur les négociations avec la Prusse. +Napoléon apprit avec joie que l'armée française du Nord avait +effrayé cette puissance au point que M. de Haugwitz, ministre du +cabinet de Berlin, commença par demander que l'ordre fût donné aux +troupes de Louis, alors sur les frontières du duché de Berg, de +s'arrêter. L'empereur témoigna à son frère sa satisfaction, non +seulement dans ses lettres particulières, mais encore dans un des +bulletins de la grande armée. À la nouvelle de la victoire +d'Austerlitz et de la paix, Louis renvoya à Paris les troupes tirées +de cette ville, car l'empereur avait paru mécontent de ce qu'une +partie de ces troupes avait été renforcer les divisions en Hollande. +Le prince se rendit ensuite de sa personne à Strasbourg, au-devant +de son frère qui le reçut froidement. Louis comprit plus tard d'où +venait cette froideur. Napoléon, après l'avoir blâmé de ce qu'il +avait distrait des troupes de Paris pour les envoyer dans le Nord, +le blâma d'avoir trop vite renvoyé ces troupes en France. Enfin, il +lui sut mauvais gré de son prompt départ de la Hollande. Quelques +mots échappés à l'empereur, sur ses projets futurs relativement à ce +pays, commencèrent à l'éclairer.</p> + +<p class="lettre">«Pourquoi l'avez-vous quitté? dit-il à Louis; on vous y voyait avec + plaisir, il fallait y rester.—La paix une fois conclue, répondit + celui-ci, j'ai tâché de réparer la faute que vous m'aviez reprochée + dans vos lettres, en renvoyant à leur poste les troupes que j'en + avais fait sortir pour l'armée du Nord. Quant à moi, à qui vous avez + laissé le commandement <span class="pagenum"><a id="page098" name="page098"></a>(p. 098)</span> militaire de la capitale en votre + absence, mon devoir était de m'y trouver à votre retour, si je + n'avais pas cru mieux faire en venant à votre rencontre. Je + conviens, ajouta-t-il, que les bruits qui circulaient en Hollande + sur moi et sur le changement du gouvernement dans ce pays ont hâté + mon départ. Ces bruits ne sont pas agréables à cette nation libre et + estimable, et ne me plaisent pas davantage.»</p> + +<p>L'empereur fit comprendre alors, par sa réponse, quelque vague +qu'elle fût, combien ces bruits étaient fondés. Mais Louis s'en +inquiétait peu; il était persuadé qu'il trouverait aisément moyen de +refuser le haut rang qu'on lui destinait, rang qu'il n'ambitionnait +pas et qui faisait l'objet des vœux les plus ardents de plusieurs +autres membres de sa famille.</p> + +<p>Après le traité de paix, l'empereur se rendit de Strasbourg à Paris; +Louis l'y accompagna. On touchait au moment où Napoléon allait +mettre une couronne sur le front de ce jeune homme dénué de toute +ambition, d'un caractère déjà naturellement porté à la tristesse, et +que son union mal assortie rendait plus taciturne encore. Aux tracas +intérieurs, allaient se joindre pour lui les soucis d'une royauté +dont il ne sut pas mieux se défendre que de son mariage.</p> + +<p>Nous devons dire ici quelques mots des négociations relatives à +l'érection de la Hollande en royaume en faveur de Louis Bonaparte.</p> + +<p>Après Austerlitz et la signature du traité de Presbourg, Napoléon, +voulant assurer son système du blocus continental, songea à ériger +en royaume la république batave. Des négociations sérieuses furent +entamées entre le gouvernement impérial, représenté à La Haye par le +général comte Dupont-Chaumont et le grand-pensionnaire +Schimmelpenninck. Lorsque Napoléon crut les négociations assez +avancées, et eut la certitude que le chef de la république batave +était dans ses intérêts, il le fit engager (lettre du commencement +de janvier 1806) à envoyer à Paris une députation chargée de +s'entendre avec le gouvernement français sur les moyens à prendre +pour <i>introduire plus de stabilité</i> dans les affaires de Hollande. +Le 11 février 1806, Schimmelpenninck écrivit à M. de Talleyrand, +notre ministre des relations extérieures, pour l'assurer de sa +volonté de se prêter à toutes les vues de l'empereur, relativement à +l'affermissement de l'union de la France et de la Hollande. Quelques +jours plus tard, le 27 du mois de février, et lorsqu'il crut l'effet +de sa lettre du 11 produit, le grand-pensionnaire demanda par +<span class="pagenum"><a id="page099" name="page099"></a>(p. 099)</span> une note confidentielle un accroissement de territoire +pour la Hollande, du côté de la Prusse, accroissement promis, +disait-il, et toujours ajourné. La Hollande désirait le pays situé +entre l'Ems et le Wéser (l'Ost-Frise, la principauté de Jever, le +bas évêché de Munster, le comté d'Oldenbourg, le comté de Bentheim, +Steinvord, le haut évêché de Munster, etc.), pour reculer les +frontières bataves jusqu'à l'embouchure du Wéser. Dans cette note +toute confidentielle et adressée à M. de Talleyrand, il est fait +appel à la générosité de l'empereur, pour lequel le dévouement du +pays sera inaltérable.—Le 29 mars, le gouvernement français fut +prévenu que l'amiral Verhuell, de retour à La Haye de sa mission à +Paris, avait eu des conférences avec le grand-pensionnaire, à la +suite desquelles la convocation des États avait été décidée pour le +1<sup>er</sup> avril. Le 31 mars, Verhuell écrivit à Talleyrand que +l'impression produite sur le grand-pensionnaire, relativement aux +intentions de l'empereur, avait été vive; qu'il ne pouvait résoudre +seul la question déclarée <i>invariable</i> par Napoléon; que le prince +Louis et sa femme seraient bien reçus en Hollande, et que les +notables n'hésiteraient pas à se ranger autour d'eux. Bientôt, les +intentions de l'empereur sur la Hollande commençant à être devinées, +des brochures contre la domination de l'étranger furent publiées +dans ce pays. Napoléon devint furieux<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a><a href="#footnote57" title="Lien vers la note 57"><span class="smaller">[57]</span></a>. Le 15 avril, le général +Dupont prévint que les États allaient envoyer à Paris une commission +en tête de laquelle seraient Verhuell, Goguel, Van Styrum, Six et +Porentzel. En effet, la députation arriva à Paris le 25 avril. +Verhuell se hâta de voir Talleyrand avant la réception de la +députation. L'empereur apprit alors qu'une assez violente opposition +au gouvernement monarchique se laissait entrevoir à La Haye; qu'une +adresse se signait à Harlem, demandant, au nom des précédents du +pays et de l'honneur national, le maintien de la république. Cela +n'empêcha pas la commission de rédiger deux adresses à Napoléon pour +lui demander d'accorder à la Hollande son frère Louis comme <i>chef +suprême de la république batave</i>, roi de Hollande. Un traité fut +alors conclu (le 24 mai à Paris, et ratifié le 28 à La Haye) pour +l'adoption du gouvernement monarchique. Le grand-pensionnaire refusa +de ratifier le traité, mais il promit de rester simple particulier +<span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> à La Haye et d'y vivre tranquille. Il est juste d'ajouter +que l'avènement du roi Louis et de la reine Hortense au trône de +Hollande fut assez bien accueilli dans tout le pays. Un seul cas +d'opposition se présenta. M. Serrurier, ministre français, qui avait +remplacé momentanément à La Haye le général Dupont en congé, rendit +compte de ce fait, dans une lettre du 14 août, à Talleyrand. Une +tentative de révolte eut lieu parmi les matelots de l'un des +bâtiments de la flotte, à l'occasion de la prestation de serment au +roi. Le marin qui portait la parole au nom de ses camarades fut tué +sur place, d'un coup de pistolet, par l'amiral De Winter. Tout +rentra à l'instant dans l'ordre, et le serment fut prêté sans +résistance.</p> + +<p>La royauté fut établie en Hollande, et fondée sur des lois +constitutionnelles. Le prince Louis ne fut pas consulté. Il apprit +par des rumeurs sans authenticité qu'il était fortement question de +lui pour cette nouvelle couronne. Les membres de la députation +vinrent enfin le trouver (le 5 juin, après la déclaration faite par +l'empereur au Sénat), ils l'informèrent de tout, en l'assurant que +la nation serait heureuse de le voir à sa tête. Louis, fort peu +désireux de s'expatrier, dépourvu d'ambition, refusa, donnant pour +prétexte les droits de l'ancien Stathouder. La députation revint +bientôt à la charge, en lui annonçant la mort du Stathouder. «Le +prince héréditaire, lui dit-elle, a reçu Fulde en indemnité; vous +n'avez donc plus d'objection raisonnable; nous venons, appuyés du +suffrage des neuf dixièmes de la nation, vous prier de lier votre +sort au nôtre, et de nous empêcher de tomber en d'autres mains.» +Napoléon fut plus explicite, il fit entendre à son frère qu'il avait +accepté pour lui et que s'il ne l'avait pas consulté, c'est qu'un +sujet ne pouvait refuser d'obéir. Le prince réfléchit alors que s'il +persévérait dans son refus, il lui arriverait sans doute ce qui +était arrivé à Joseph qui, après avoir rejeté l'offre de l'Italie, +se trouvait à Naples. Il résolut toutefois de faire une nouvelle +tentative et il écrivit à Napoléon que s'il était nécessaire que ses +frères s'éloignassent de la France, il lui demandait le gouvernement +de Gênes ou du Piémont. Napoléon refusa. Quelques jours après, le +prince de Talleyrand, ministre des relations extérieures, vint lire, +à Saint-Cloud, à Louis et à Hortense, le traité avec la Hollande et +la constitution de ce pays. Le prince eut beau dire qu'il ne pouvait +juger sur une simple lecture un projet de cette importance, +qu'étranger aux discussions et au travail qui avaient eu lieu, il +ignorait si on ne lui faisait pas promettre plus qu'il ne lui serait +possible de tenir, <span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> il fallut accepter. Louis avait été +nommé grand-connétable de France, l'empereur décida que cette +dignité lui serait conservée. Louis voulut tirer prétexte de sa +santé, du climat de la Hollande, Napoléon répondit qu'il valait +mieux mourir sur un trône que vivre prince français. Il n'y avait +plus qu'à obéir, c'est ce qu'il fit en assurant qu'il se dévouerait +à son nouveau pays avec zèle et qu'il chercherait à justifier, dans +l'esprit de la nation, la bonne opinion que l'empereur avait sans +doute donnée de lui. Le 5 juin avait été fixé pour la proclamation +du nouveau roi. Après un discours de l'amiral Verhuell et une +réplique de Napoléon, ce dernier, s'adressant à son frère, lui dit: +«Vous, prince, régnez sur ces peuples.... Qu'ils vous doivent des +rois qui protègent ses libertés, ses lois, sa religion; mais ne +cessez jamais d'être Français. La dignité de connétable de l'empire +sera conservée par vous et vos descendants; elle vous retracera les +devoirs que vous avez à remplir envers moi, et l'importance que +j'attache à la garde des places fortes qui garnissent le nord de mes +états et que je vous confie.» Louis répliqua, et dans son discours +on put remarquer cette phrase: «Je faisais consister mon bonheur à +admirer de plus près toutes les qualités qui vous rendent si cher à +ceux qui, comme moi, ont été si souvent témoins de la puissance et +du génie de Votre Majesté. Elle permettra donc que j'éprouve des +regrets en m'éloignant d'elle, mais ma vie et ma volonté lui +appartiennent. J'irai régner en Hollande, puisque ces peuples le +désirent et que Votre Majesté l'ordonne.» Dans son message au sénat, +à propos du royaume de Hollande, Napoléon termine en disant: «Le +prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a +donné une preuve de l'amour qu'il a pour nous, et de son estime pour +les peuples de la Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de +si grandes obligations.»</p> + +<p>On voit par ce qui précède que le nouveau souverain avait fait pour +refuser la couronne tout ce qu'il était humainement possible; que +loin de désirer la haute position qui lui était offerte, il la +redoutait; qu'en un mot, il sacrifiait à la politique de son frère +sa liberté, son indépendance, ce qui lui restait de bonheur sur la +terre. Toutefois, dès qu'il eut accepté, son intention bien arrêtée +fut de se consacrer entièrement à sa nouvelle patrie, et de régner +<i>pour la Hollande seule</i>; de là vinrent les tiraillements, puis +bientôt après les discussions et enfin les rapports quasi-hostiles +qui ne tardèrent pas à s'établir entre les deux frères, entre les +deux souverains, et qui aboutirent <span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> finalement à +l'abdication de Louis et à la réunion de la Hollande à la France.</p> + +<p>En plaçant sur la tête de Louis la couronne de Hollande, Napoléon +entendait faire de lui un <i>roi-préfet</i>; en acceptant cette couronne, +Louis voulait être un <i>roi-souverain</i>. La politique de l'empereur +jeta toujours du froid entre lui et ceux des membres de sa famille +qu'il mit sur les trônes. Cela ne pouvait être autrement. Selon +qu'on se place à un point de vue différent, on voit les mêmes choses +sous un aspect qui n'est pas le même. Napoléon partait de ce +principe, que tout souverain par sa grâce à lui, l'empereur des +Français, devenait par le fait même, non seulement son obligé comme +homme, comme roi, mais encore qu'il devait contraindre les peuples +dont il lui donnait le gouvernement à tout sacrifier à la politique +française, même les intérêts les plus chers. C'était partir d'un +principe injuste et inapplicable dans la pratique. En supposant +qu'un roi sur le trône consente à n'être qu'un préfet couronné, ses +peuples n'ayant pas les mêmes motifs pour suivre le sillon tracé par +un état voisin, pourront vouloir s'en écarter. De là doit résulter +forcément des levains de discorde, soit entre le souverain +protecteur et le souverain protégé, soit entre le souverain protégé +et les sujets. Voilà pourquoi, à partir du jour où il se mit à +fabriquer des rois de famille, Napoléon fut toujours en discussion +avec les siens. Un seul des princes qu'il éleva près de lui suivit +aveuglément sa politique, le prince Eugène; pourquoi? La raison en +est bien simple, c'est qu'Eugène n'était que <i>vice-roi</i> et non roi +d'Italie. Le jour où il eût gouverné en son nom, Eugène, malgré son +affection profonde, son respect sans bornes pour son père adoptif, +n'eût probablement pas consenti à tout ce que voulait l'empereur. +Eugène, en restant vice-roi d'un état dont la couronne était sur la +tête de Napoléon, remplissait son devoir, sans éprouver aucune +répugnance à agir comme il le faisait. Murat à Naples, Joseph en +Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, n'étaient pas dans +la même position. <i>Rois-préfets</i>, ils perdaient leur prestige aux +yeux de leurs sujets; <i>rois-souverains</i>, prenant les intérêts de +leurs peuples, ils contrariaient souvent les vues de celui qui les +avait mis sur le trône, ils excitaient son ressentiment, se +faisaient accuser par lui d'ingratitude; puis, comme malgré son +affection pour les siens Napoléon n'était pas homme à abandonner, +pour quelque considération que ce pût être, ses gigantesques +projets, il cherchait bientôt à briser ceux qu'il avait élevés. De +là ces lettres acerbes entre lui et ses frères, <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> ces +reproches continuels, ces refus de sa part d'accéder à leurs +demandes, quelquefois fort justes, et de remplir même les +engagements qu'il avait contractés à leur égard. Joseph, en Espagne, +avait beau être roi par la grâce de son frère, pouvait-il abandonner +les intérêts de l'État dont on lui confiait les rênes, jusqu'à +accueillir, comme le voulait l'empereur, la ruine financière +d'abord, le démembrement de ses États ensuite? Louis, roi malgré lui +de la Hollande, pouvait-il voir sans chagrin le dépérissement du +pays dont il avait juré de maintenir les droits, parce qu'il entrait +dans le système de la France de sacrifier tous les intérêts +commerciaux pour réduire l'Angleterre?</p> + +<p>Avec son accession au trône de Hollande, se termine la première +partie de l'existence de Louis Bonaparte, période heureuse si on la +compare à celles qui la suivirent.</p> + + +<h3>II.<br> +Juin 1806-1808.</h3> + +<p>Le roi et la reine quittèrent Paris dans les premiers jours de juin +1806, et arrivèrent dans leurs États le 18. Ils descendirent d'abord +à la maison royale, dite <i>du Bois</i>, à une lieue de La Haye, où ils +reçurent les députations et les accueillirent avec la plus extrême +affabilité. Le 23 juin eut lieu l'entrée solennelle des deux +souverains à La Haye. Le roi crut devoir ne s'environner que de +troupes nationales; il congédia, après l'avoir très bien traité, un +corps français mis à sa disposition par l'empereur. Ce dernier en +fut choqué, mais les Hollandais surent beaucoup de gré à Louis de sa +conduite à cette occasion. Bientôt, malgré tout ce que purent faire +le roi et la reine, une certaine jalousie se fit sentir à leur +nouvelle cour entre les Français et les Hollandais admis auprès +d'eux. La nation, de son côté, tout en reconnaissant la supériorité +de l'administration française que l'on commençait à introduire en +Hollande, se prit à regretter ses vieilles pratiques. Il y eut des +bals, des concerts, des fêtes que la reine Hortense, femme des plus +aimables et des plus gracieuses, embellissait par la bienveillance +avec laquelle elle recevait indistinctement tout le monde. Le roi, +qui ne pouvait pas se dissimuler la division existant déjà entre les +Hollandais et les Français, semblait accueillir les premiers plus +volontiers que les seconds; les <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> seconds au contraire +paraissaient plus agréables à la reine. En montant sur le trône, +Louis prit très au sérieux ses nouveaux devoirs envers la Hollande, +mais il ne tarda pas à comprendre combien il lui serait difficile de +concilier les intérêts de la nation avec ce que l'empereur attendait +de lui. Ce fut sans doute parce qu'il était résolu à tout sacrifier +à sa nouvelle patrie qu'il avait désiré renoncer au titre de +connétable. Napoléon, qui le devina, l'avait contraint, comme on l'a +vu, à conserver cette haute dignité militaire. Pour juger les actes +du roi Louis, il ne faut pas oublier cette position mixte et fausse +dans laquelle il se trouva pendant tout le temps de son règne. On a +vu Louis refusant la couronne, on l'a vu l'acceptant malgré lui, on +va le voir maintenant désireux d'user d'un pouvoir indépendant, +résister à Napoléon et essayer un instant de lutter. Il voulait +franchement le bien de ses sujets, cette pensée l'occupait +constamment, mais ce qu'il voulait faire pour atteindre ce but +n'entrait nullement dans les desseins de l'empereur et presque +toutes les mesures du roi étaient précisément une sorte +d'opposition, de protestation contre le système continental, par +lequel Napoléon voulait contraindre l'Angleterre de céder à ses +volontés.</p> + +<p>Louis s'entoura d'hommes de mérite et qu'il prit exclusivement parmi +les Hollandais. Il commença par faire subir quelques changements à +divers points secondaires de la constitution qu'il avait adoptée, +puis il se mit à étudier la situation des affaires. Cette étude lui +révéla le déplorable état du trésor et de l'administration des +digues, l'incohérence des lois judiciaires, la faiblesse de l'armée. +Seule, la marine était dans d'assez bonnes conditions. Elle avait +deux flottilles, l'une pour la garde des côtes et des ports, l'autre +en station à Boulogne-sur-Mer. Le Helder, Amsterdam, Rotterdam +possédaient de beaux vaisseaux et de bons officiers pour les +commander. L'exercice des cultes était libre, mais l'État salariait +les ministres de la religion dominante (la religion réformée) et +laissait l'église catholique dans le plus profond dénuement. Ceux +qui la professaient n'étaient admis dans aucun emploi public; les +juifs étaient rebutés, méprisés. Le commerce languissait, les +manufactures ne marchaient pas. Les universités étaient dans un état +assez satisfaisant. Tel était l'état moral et matériel de la +Hollande à cette époque. Le nouveau souverain ne perdit pas un +instant pour porter remède au mal, autant que cela était en son +pouvoir. Afin d'alléger les finances, il sollicita de l'empereur le +renvoi des troupes françaises et la diminution des <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span> +armements maritimes, écrivant qu'il abdiquerait si la France ne +s'acquittait pas vis-à-vis de la Hollande, et si les troupes de +Napoléon restaient plus longtemps à la solde de son royaume. +L'empereur mécontent accéda néanmoins aux vœux de son frère, +moins peut-être pour lui être agréable que pour augmenter ses forces +en Allemagne. On touchait à la guerre avec la Prusse. Louis sentit +la nécessité d'organiser son armée pour pouvoir, à toute +éventualité, se suffire à lui-même. Bientôt la guerre étant déclarée +à la cour de Berlin, il forma deux corps de 15,000 hommes, le +premier dont il se réserva le commandement et qu'il dirigea sur +Wesel (fin de septembre 1806), le second aux ordres du général +Michaud et qui fut placé au camp de Zeist. Il reçut alors de +l'empereur, par M. de Turenne, des dépêches dans lesquelles son +frère mettait à découvert ses vastes conceptions pour la campagne +contre la Prusse. Napoléon lui disait entre autres choses:</p> + +<p class="lettre">«Vous ferez une diversion utile à Wesel, où je vous prie de réunir + votre armée grossie de troupes françaises. Cette armée portera le + nom d'armée du Nord. Vous ferez en sorte qu'on la croie beaucoup + plus forte qu'elle ne l'est. Si les Prussiens se jettent vers la + Hollande et prennent le change, ils sont perdus; s'ils ne le font + pas, ils le sont encore. Tandis qu'ils croient que j'établis ma + ligne d'opération parallèlement à eux et au Rhin, j'ai déjà calculé + que peu d'heures après la déclaration, ils ne peuvent m'empêcher de + déborder leur gauche et de porter sur elle plus de forces qu'ils ne + pourront en opposer, et qu'il n'est nécessaire pour sa destruction. + La ligne rompue, tous les efforts qu'ils feront pour secourir leur + gauche tourneront contre eux; séparés, coupés dans leur marche, ils + tomberont successivement dans mes lignes. Les résultats sont + incalculables. Peut-être serai-je à Berlin avant six semaines. Mon + armée est plus forte que celle des Prussiens, et quand même ils me + battraient d'abord, aussitôt après ils me trouveront sur leur centre + avec 100,000 hommes de troupes fraîches poursuivant mon plan, etc., + etc.»</p> + +<p>Tout en admirant l'habile stratégie du grand capitaine, Louis reçut +avec désespoir l'ordre d'amalgamer l'armée hollandaise avec l'armée +française. Chaque régiment dut être embrigadé avec un régiment +français, sous les ordres d'un général français; l'artillerie +hollandaise, quoique agissant en dehors de l'artillerie française, +reçut un commandant français; enfin Mortier, à la tête du 8<sup>e</sup> corps +stationné à Mayence, fut chargé d'une expédition contre l'électeur +de Cassel, avec lequel Louis vivait en très bonne intelligence, et +le maréchal eut, pour le soutenir, des troupes de Hollande à portée +de ses principales <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> forces. Quoi qu'il en soit, le roi fit +encore ce que désirait Napoléon; il opéra l'amalgame, laissa au camp +de Zeist le général Dumonceau, nommé commandant des troupes +stationnées dans le pays, et lui-même, avec le général Michaud, +rejoignit l'armée française à la tête du corps directement sous ses +ordres. Ce corps hollandais prit position à Wesel. Le 15 octobre, le +roi se porta en Westphalie avec 20,000 hommes, 3,000 chevaux et 40 +pièces attelées. Son armée avait pris le nom d'armée du Nord. Elle +occupa Munster, Osnabruck, Paderborn, tandis que la division +Daendels envahissait l'Ost-Frise. Au moment où les Hollandais +allaient attaquer Hammeln et Nienbourg, le maréchal Mortier leur +demanda de le soutenir. Le roi marcha en personne sur la Hesse, +ajournant ses opérations contre les deux places fortes citées plus +haut. Le 1<sup>er</sup> novembre, il était près de Cassel, lorsqu'il fut joint +par un écuyer de l'électeur que le roi Louis aimait et dont il +envahissait à regret le territoire. Le roi fit donner à l'électeur +le conseil de rester neutre, mais Mortier était déjà à Cassel et +l'électeur n'eut d'autre parti à adopter que la fuite. Louis vit le +maréchal et fut stupéfait d'apprendre de sa bouche qu'il avait ordre +de mettre sous son commandement tous les corps hollandais. Choqué, +il revint immédiatement avec ses troupes en Hollande, envoyant un +aide de camp à Berlin, à son frère, pour se plaindre et lui dire que +tout allant bien, et les Hollandais n'étant plus nécessaires, il les +ramenait dans leur pays. À la suite de plusieurs longues +conversations qu'il eut avec le général Dupont-Chaumont, ministre de +France auprès du gouvernement hollandais, il comprit que l'empereur +ne considérait pas les affaires de ce pays comme terminées, et que +pour lui il devait se considérer à l'armée comme un prince français.</p> + +<p>À dater de ce moment, le système de l'empereur relativement à la +Hollande commença à ne plus être un mystère pour Louis. Du moins le +roi crut entrevoir que l'intention de son frère était d'amener, à +force de rigueurs, ce malheureux pays à regarder comme un bienfait +sa réunion à la France. Dès qu'il crut reconnaître chez Napoléon ce +projet funeste à son royaume, il prit la résolution de ne plus agir +qu'en souverain et dans toute la plénitude des devoirs que lui +imposait ce titre.</p> + +<p>«Ne pouvant ni <i>ne voulant</i>, disait-il, tenir tête à la France, à +force ouverte, il faut au moins que le public connaisse la vérité, +qu'il soit convaincu que si j'ai pu être trompé, rien ne pourra me +<span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> détacher d'un pays devenu le mien, auquel me lient les +devoirs et les serments les plus sacrés.»</p> + +<p>On conçoit que de pareilles paroles rapportées à Napoléon ne +pouvaient adoucir le tout-puissant empereur à l'égard de son frère +et de la Hollande. Se croyant, à tort ou à raison, éclairé sur les +projets ultérieurs de son frère, se montant peut-être aussi la tête, +et attribuant à l'empereur des desseins non encore bien arrêtés dans +la pensée de Napoléon, desseins sur lesquels il est possible qu'une +sorte de soumission l'eût fait revenir, Louis, de retour à La Haye, +ne voulant pas envoyer ses troupes en Prusse et voulant les occuper +près de ses États, fit bloquer les places de Hammeln et de Nienbourg +sans les faire attaquer. Le général Daendels occupa Rinteln sur le +Weser, entre Hammeln et Nienbourg. Le roi apprit alors que Blücher +avait été battu à Lubeck. Ne pouvant se faire à l'idée d'être +considéré à la grande armée comme un simple officier général, il +renvoya à Mortier toutes les troupes françaises qui se trouvaient +amalgamées avec les troupes hollandaises, puis il fit venir le +général Dumonceau, auquel il confia le commandement général, le +chargea du blocus et écrivit à son frère qu'il était obligé de +retourner lui-même en Hollande et ne pouvait se rendre ni en +Hanovre, ni à Hambourg comme l'empereur le voulait. Peu de jours +après, les places de Hammeln et Nienbourg se rendirent. Les +Hollandais furent heureux de revoir leur souverain. D'abord ils +aimaient déjà réellement ce prince, ensuite ce que redoutait avant +tout la population de ce pays, c'était un gouvernement militaire et +un roi aimant à faire la guerre.</p> + +<p>La Hollande respirait à peine, qu'un nouveau malheur vint la +frapper, on apprit le fameux décret de Berlin et les mesures prises +par Napoléon pour le blocus continental. C'était non seulement la +mort d'un pays qui ne vivait que par le commerce, mais ce devait +être encore une cause de perpétuelle dissension entre ce royaume et +l'empire français. Louis en fut atterré. Il comprit que ce système +poussé à l'extrême ruinerait peut-être par la suite l'Angleterre, +mais qu'à coup sûr il ruinerait auparavant la Hollande et les États +commerçants. Il chercha à éluder les dispositions les plus rigides +du décret. Malgré ses efforts et sa prudence, il ne put réussir à +donner le change à l'empereur. Ce dernier était trop bien instruit +par ses agents de ce qui se passait chez ses voisins pour ignorer la +vérité. Furieux, il éleva la voix plus despotiquement. Le roi dut se +résigner à faire paraître le 15 décembre 1806 un décret réglant dans +ses États le <span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> blocus continental. L'empereur néanmoins ne +se montra pas satisfait. Il avait une méfiance telle à l'égard de la +Hollande qu'il fut sur le point d'ordonner des visites domiciliaires +dans ce pays. Ses agents lui persuadaient que des relations +commerciales existaient toujours entre l'Angleterre et la Hollande, +et de fait ces rapports, peut-être exagérés, étaient cependant basés +sur un fonds de vérité.</p> + +<p>Malgré tous les ennuis qui accablaient son âme, Louis ne perdait pas +de vue les institutions pouvant être utiles à son nouveau pays. Il +fit rédiger un code civil et un code criminel, il compléta le +système des contributions, système établissant une égalité parfaite +entre tous les habitants. Il fit paraître de sages réformes sur les +corporations et sur les maîtrises. Il voulut ensuite instituer comme +en France de grands officiers du royaume, des maréchaux, des +colonels généraux, et enfin il proposa au corps législatif une loi +portant création de deux ordres de chevalerie, l'ordre de l'<i>Union</i> +et celui du <i>Mérite</i>. L'institution des grands officiers déplut à +l'empereur.</p> + +<p>Au mois de janvier 1807 une triste circonstance permit à Louis de +montrer ses sentiments d'humanité. Leyde éprouva un épouvantable +désastre. Un bateau chargé de poudre fit explosion au milieu de la +ville. Il s'y rendit aussitôt, prodigua les secours, les +consolations, dispensa les habitants de toute contribution pendant +dix ans, fit la remise aux débiteurs des arrérages des impôts non +acquittés. En un mot, sa conduite lui gagna tous les cours, à tel +point que la Société philanthropique de Paris lui adressa +l'expression de sa vive admiration pour sa bienfaisance, et le pria +de permettre que la Société offrit à la ville de Leyde les secours +dont elle pouvait disposer<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a><a href="#footnote58" title="Lien vers la note 58"><span class="smaller">[58]</span></a>. La France avait exigé beaucoup de +sacrifices de la Hollande, de telle sorte que bien malgré lui le roi +fut obligé d'avoir recours à de nouveaux impôts. L'esprit national +fut froissé, car pour établir les impôts, il fallait nécessairement +contrarier d'anciens usages, et la nation hollandaise est une de +celles qui tient le plus aux coutumes, aux mœurs, aux habitudes +qui lui ont été transmises par ses pères. Louis fut très peiné +d'être forcé d'agir ainsi, mais les circonstances étaient trop +impérieuses pour qu'il lui fût permis de tergiverser. Il fit ensuite +établir un nouveau cadastre et créa une direction des beaux-arts, +<span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> à la tête de laquelle fut placé le savant Halmon. Les +mesures vexatoires et blessantes pour l'amour-propre du roi, prises +à son égard par Napoléon pendant la campagne de Prusse; les effets +désastreux pour la Hollande du blocus continental, les lettres +acerbes de l'empereur aigrirent à tel point les relations entre les +deux souverains, que Louis en vint à être convaincu que même avant +de mettre la couronne de Hollande sur sa tête, son frère avait eu le +projet de démembrer ce pays et de le réunir à la France. Louis le +répète à chaque page dans l'ouvrage qu'il publia plus tard sur la +Hollande, ouvrage qui choqua Napoléon à Sainte-Hélène. Il est permis +de douter que cette pensée ait réellement existé dès 1806 dans +l'esprit de Napoléon, mais ce qu'il y a de positif, c'est que le roi +Louis le crut et ne mit plus de bornes à sa résistance aux volontés +du gouvernement impérial. Avec un homme aussi absolu que l'empereur, +c'était une lutte dangereuse. La Hollande envoya néanmoins une +députation au château de Finkenstein. Napoléon l'accueillit assez +bien, mais se plaignit de son frère, et le prince de Talleyrand, en +recevant les députés à Berlin, leur dit: «Votre roi veut donc +favoriser absolument les Anglais?»</p> + +<p>Tant que Louis fut à l'armée, la reine Hortense resta auprès de +l'impératrice, sa mère, à Mayence; elle revint au commencement de +1807 avec ses deux enfants auprès de son mari. On fut heureux de la +revoir, car son affabilité lui avait gagné tous les cœurs. Elle +ne tarda pas à éprouver un malheur qui lui causa ainsi qu'au roi le +plus violent chagrin. Après un voyage fait par ce dernier dans ses +États, ils perdirent leur fils, le prince royal, qui leur fut enlevé +en quelques jours par le croup, le 5 de mai. La douleur de Louis et +d'Hortense fut affreuse et tellement profonde que l'empereur les en +blâma. La reine, ne pouvant supporter la vue de ce qui lui rappelait +son enfant, partit pour les Pyrénées. Le roi se hâla de pourvoir aux +affaires les plus importantes, telles que le complètement de +l'armée, la préparation des projets de lois à présenter à la session +législative, et surtout les besoins du trésor; puis il rejoignit sa +femme. Louis, en fuyant les lieux qui lui retraçaient l'image +toujours présente à ses yeux de son fils, avait en outre deux motifs +pour s'éloigner momentanément de la Hollande: rétablir sa santé que +le climat empirait visiblement; se soustraire au spectacle de la +détresse causée dans le pays par le blocus continental. Ne pouvant +empêcher les souffrances de son peuple, il voulait n'en pas être le +témoin. Le 30 mai 1807, il <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> se rendit dans les Pyrénées en +passant par Paris. Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et +le besoin qu'il pouvait avoir de prendre les eaux, s'étonnèrent de +le voir s'éloigner de ses États dans un moment aussi critique. En +effet, ce fut précisément pendant son absence que fut signé le +traité de Tilsitt, après la victoire de Friedland, et à la suite +d'une campagne dans laquelle les troupes hollandaises s'étaient fort +distinguées.</p> + +<p>Après Tilsitt, Napoléon revint en France, Louis en fut informé aux +eaux, il se hâta de quitter les Pyrénées. À son passage à Paris, il +vit l'empereur qui lui dit en riant qu'il ne devait pas être étonné +si on lui rendait compte de l'entrée sur le territoire de Hollande +de douaniers et de gendarmes français chargés de punir les +contrebandiers. «Au reste, ajouta-t-il, cela sera fait à cette +heure.»</p> + +<p>Le roi n'en entendit pas davantage, et prenant vivement à cœur ce +dont il venait d'être instruit, il partit pour ses États et voyagea +sans s'arrêter jusqu'à Anvers. Là il eut des détails sur ce qui +avait été fait. Des gendarmes déguisés s'étaient introduits dans les +places de Berg-op-Zoom, de Breda, de Bois-le-Duc, et y avaient fait +des arrestations. L'indignation de Louis fut à son comble, il +destitua le général Paravicini de Capeln, gouverneur de +Berg-op-Zoom, le président de Breda, et sollicita, mais en vain, +l'élargissement des prisonniers conduits en France.</p> + +<p>Le 23 septembre 1807, il revint à La Haye<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a><a href="#footnote59" title="Lien vers la note 59"><span class="smaller">[59]</span></a>. La reine ne l'y +accompagna pas. Soit qu'il ne pût lui-même habiter une ville où il +avait perdu son fils, soit pour un tout autre motif, cette ancienne +résidence des stathouders lui déplut, il transporta le siège du +gouvernement à Utrecht. Il s'y rendit au mois d'octobre et s'y +installa fort mal, lui et sa cour, malgré tous les travaux qu'il fit +faire. Louis semblait poursuivi par le malheur, il portait partout +un visage triste que ne pouvaient parvenir à égayer ni les acteurs +français venus de <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> Paris, ni les bals et les réunions qui +se succédaient autour de lui.</p> + +<p>D'ailleurs, l'absence de la reine frappait toutes les fêtes d'une +sorte de langueur. On se souvenait combien à La Haye sa spirituelle +vivacité savait animer les cercles où elle brillait par le charme de +sa jeunesse et de sa bonté. Le 11 novembre Louis obtint, après +beaucoup d'instances, un traité entre la France et la Hollande; mais +ce traité, signé à Fontainebleau et en vertu duquel la Hollande +cédait Flessingue, parut tellement onéreux au roi, qu'il eut de la +peine à se décider à le ratifier. Il ne le fit que dans l'espérance +de conjurer de plus grands malheurs et d'éviter de plus grands +sacrifices. L'année 1807 s'acheva péniblement et tristement pour ce +malheureux prince, qui cherchait en vain dans les beaux-arts une +distraction à ses chagrins. Des modifications eurent lieu dans son +ministère. L'amiral Verhuell, qui portait le titre de maréchal, +quitta le portefeuille de la marine pour l'ambassade de +Saint-Pétersbourg. Le roi le trouvait trop dévoué aux intérêts de la +France et pas assez à ceux de la Hollande. Le ministre de la guerre +Hogendorp fut envoyé à Vienne, et M. Van-Maanen, procureur du roi à +La Haye, prit le ministère de la police. L'amiral Verhuell n'alla +pas en Russie, l'empereur le réclama comme ambassadeur en France. Le +gouvernement français envoya comme ambassadeur en Hollande M. de la +Rochefoucauld qui, au dire du roi Louis, avait la mission de +préparer la réunion de la Hollande à l'empire.</p> + +<p>La paix de Tilsitt fut loin d'apporter quelques adoucissements aux +rigueurs du blocus continental. Le système gigantesque de Napoléon +pour abattre l'Angleterre et l'amener à merci prit un développement +plus considérable encore. Jusqu'alors la France et les États qui +dépendaient en quelque sorte de cette puissance étaient seuls +contraints à observer les mesures rigoureuses du blocus. Après +Tilsitt, l'Europe entière dut s'y soumettre. La Prusse y fut +contrainte et remplit ses engagements avec la plus grande énergie. +Le Danemark l'adopta avec joie, espérant venger le bombardement de +Copenhague. La Hollande exécuta aussi par force les mesures +ordonnées, mais de mauvaise grâce, parce que cela ruinait son +commerce et que son commerce c'était son existence. L'empereur ne +pouvait pardonner au roi et au pays leur répulsion pour son vaste +plan rendu plus rigoureux encore par le décret daté de Milan le 17 +décembre. La conduite récente des Anglais envers le Danemark, les +instances de la France avaient aussi déterminé la Russie à se +déclarer, en sorte que le tableau <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> de l'Europe à cette +époque était des plus singuliers. Les puissances continentales d'un +côté, l'Angleterre de l'autre, s'acharnaient à porter la ruine et la +désolation dans le monde entier.</p> + +<p>Au commencement de 1808, l'empereur Napoléon en était venu au point +de déclarer coupable de <i>haute trahison</i> tout fonctionnaire qui +favoriserait les contraventions au décret du blocus. Les 18 et 23 +janvier, Louis, cédant aux injonctions de son frère, prit encore de +nouvelles dispositions plus rigides. Peu de temps après l'arrivée en +Hollande de M. de Larochefoucauld, qui vint remplacer +Dupont-Chaumont, le bruit se répandit de la cession du Brabant et de +la Zélande en échange des villes anséatiques. Offensé de cette +nouvelle, que la diplomatie française semblait prendre plaisir à +accréditer dans l'ombre, le roi s'en expliqua nettement avec +Napoléon, qui répondit d'une manière ironique et évasive, terminant +sa courte lettre par cette phrase: «Encore une fois, puisque cet +arrangement ne vous convient pas, c'est une affaire finie. Il était +inutile même de m'en parler, puisque le sieur de la Rochefoucauld +n'a eu l'ordre que de sonder le terrain.»</p> + +<p>Louis fût peut-être parvenu à assurer la prospérité de son royaume +s'il n'eût été contrecarré dans ses projets par les vastes desseins +de son frère, ou s'il eût voulu suivre aveuglément la politique du +grand homme, car les mesures qu'il avait prises l'année précédente, +surtout les mesures financières, avaient eu un succès inespéré. +Utrecht ne devait pas être longtemps la résidence du roi. Ce prince, +soit qu'il se fût vite dégoûté de ce séjour, soit qu'il pensât +qu'Amsterdam, grand centre de population, remplît mieux les +conditions d'une capitale, y transporta le siège du gouvernement. À +cette même époque, les affaires d'Espagne avaient pris un nouvel +aspect. Napoléon songeait à placer un membre de sa famille sur le +trône de ce pays. Soit qu'il fût ennuyé de la lutte du roi de +Hollande avec lui, soit qu'il eût l'espoir que Louis suivrait mieux +la politique française à Madrid, soit qu'il fût bien aise d'avoir un +prétexte pour annexer la Hollande à ses États, peut-être aussi dans +le but d'arracher son frère à un climat contraire à sa santé, +l'empereur lui proposa la couronne d'Espagne. Le 27 mars 1808 il lui +écrivit:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Mon frère, le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix + a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à + Madrid. Dans cette circonstance, mes troupes étaient éloignées de 40 + lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec + 40,000 hommes. <span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> Jusqu'à cette heure le peuple m'appelle à + grands cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre + qu'en donnant un grand mouvement au continent, j'ai résolu de mettre + un prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande + ne vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de + ses ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou + non, il n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette + situation des choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous + serez souverain d'une nation généreuse, de 11 millions d'hommes et + de colonies importantes. Avec de l'économie et de l'activité, + l'Espagne peut avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux + dans ses ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre + opinion sur ce projet. Vous sentez que ceci n'est encore qu'un + projet, et que, quoique j'aie 100,000 hommes en Espagne, il est + possible, par les circonstances qui peuvent survenir, ou que je + marche directement et que tout soit fait dans quinze jours, ou que + je marche plus lentement et que cela soit le secret de plusieurs + mois d'opérations. Répondez-moi catégoriquement: Si je vous nomme + roi d'Espagne, l'agréez-vous? puis-je compter sur vous? Comme il + serait possible que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et + qu'alors il faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances + que l'on ne peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots: J'ai + reçu votre lettre de tel jour, je réponds oui, et alors je compterai + que vous ferez ce que je voudrai; ou bien non, ce qui voudra dire + que vous n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire + une lettre où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous + voulez, et vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme à + Paris. Si j'y suis, elle me la remettra, sinon elle vous la + renverra.</p> + +<p>«Ne mettez personne dans votre confidence et ne parlez, je vous + prie, à qui que ce soit de l'objet de cette lettre; car il faut + qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc., + etc.<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a><a href="#footnote60" title="Lien vers la note 60"><span class="smaller">[60]</span></a>»</p> +</div> + +<p>Le roi refusa, indigné de ce qu'il considérait comme une spoliation +envers le malheureux Charles IV. «Je ne suis pas un gouverneur de +province, disait-il à ce sujet, il n'y a d'autre promotion pour un +roi que celle du ciel, ils sont tous égaux. De quel droit +pourrais-je aller demander un serment de fidélité à un autre peuple, +si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en +montant sur le trône?»</p> + +<p>L'empereur, mécontent de ce refus, donna la couronne d'Espagne +<span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> à Joseph; il continua à se plaindre de la Hollande, +«nation <i>souple</i> et <i>fallacieuse</i>, dit-il dans un moment d'humeur, +et chez laquelle se fabriquent toutes les nouvelles qui peuvent être +défavorables à la France.» Ses agents de police secrète, et ils +étaient nombreux, même à la cour du roi Louis, lui affirmaient que +les Hollandais faisaient avec l'Angleterre des affaires importantes +par la contrebande. Il en était bien quelque chose, et le contraire +eût été difficile. En vain les principaux organes de la presse +criaient à la calomnie, en déclarant faux tout ce qu'on rapportait à +Napoléon. Ce dernier savait très bien à quoi s'en tenir et répétait +à qui voulait l'entendre «que tout le pays de Hollande était entaché +d'anglomanie et que le roi en était le premier <i>smogleur</i>.» Tous les +rapports affectueux entre les deux frères avaient cessé, l'horizon +politique entre les deux pays s'obscurcissait, il était impossible +que la Hollande ne reconnût pas qu'elle courait à une crise +dangereuse pour elle. Louis, pressé par une puissance formidable à +laquelle il ne pouvait opposer qu'une bien faible résistance, fut +obligé de se résigner. Une circonstance se présenta de prouver à +l'empereur qu'il n'était pas aussi dévoué à l'Angleterre que +Napoléon voulait bien le dire, il la saisit avec empressement.</p> + +<p>Le roi était allé à Aix-la-Chapelle pour y voir Madame mère; là il +apprit que les Anglais occupaient l'île de Walcheren et qu'ils +cherchaient à s'emparer de la flotte française en station sur +l'Escaut. Il n'hésita pas un instant et expédia sur-le-champ l'ordre +à ses généraux de se rapprocher avec leurs forces de la ville +d'Anvers, pour protéger la flotte contre les entreprises des +Anglais; toutes les tentatives des Anglais eussent été vaines, si le +général Bruce, officier hollandais qui commandait le fort de Batz, +n'eût trahi ses devoirs en secondant les vues de l'ennemi et en +laissant sans défense ce fort où il pouvait longtemps se maintenir. +Les troupes hollandaises, furieuses d'une trahison à laquelle elles +n'avaient eu aucune part, reprirent le fort. Le général Bruce fut +destitué et jeté en prison.</p> + +<p>D'Aix-la-Chapelle, en passant par Amsterdam, le roi rejoignit ses +généraux dans les environs d'Anvers, où il forma un corps d'armée. +Des troupes françaises se réunirent aux hollandaises, et quoiqu'il +s'y refusât de bonne foi vis-à-vis des généraux français, le roi fut +obligé de prendre le commandement des troupes rassemblées sur ce +point. Il se rendit à la déférence qu'on lui marquait, mais avec la +crainte qu'elle ne fût point approuvée par l'empereur. Il ne s'était +point <span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> trompé, le prince de Ponte-Corvo vint bientôt +prendre ce même commandement au nom de Napoléon. Louis quitta +aussitôt Anvers, emmenant sa garde et laissant le commandement de +ses propres troupes au général Dumonceau. Cette conduite de +l'empereur était mortifiante pour le roi. Il pensa qu'on se méfiait +de lui, et ses conjectures sur des événements qu'il pressentait +depuis longtemps ne tardèrent pas à prendre de la consistance par la +quantité de troupes françaises que l'on rassemblait dans le Brabant.</p> + +<p>La ville de Flessingue, bien défendue, pouvait opposer une longue +résistance et peut-être même en faire abandonner le siège; mais +après une défense très faible, le général Monnet, avec 4,000 hommes +de garnison, se rendit aux Anglais. Il fut mis en jugement.</p> + +<p>Comme l'occupation de la Zélande par les Anglais n'avait pas altéré +l'amour des Hollandais pour leur souverain, on célébra la fête du +roi Louis à Amsterdam et dans toute la Hollande avec les +démonstrations de la joie, jamais la cour n'avait été plus brillante +que pendant ces trois jours de fêtes.</p> + +<p>À l'anniversaire de la fête de Sa Majesté, on joignit la fête de +l'ordre de l'<i>Union</i>, le roi y distribua des décorations. Parmi les +nouveaux chevaliers figuraient de braves officiers blessés à la +reprise du fort de Batz.</p> + +<p>Cependant les Anglais, dès qu'ils eurent inondé la Zélande de leurs +marchandises, l'évacuèrent. On les vit s'éloigner avec peine, parce +qu'ils avaient ravivé le commerce dans cette partie de la Hollande. +Les produits de fabrique anglaise refluaient jusque dans le palais +du roi, où tout le monde, depuis le grand dignitaire jusqu'au plus +simple serviteur, voulait en avoir et s'en parer: on en trouvait +partout et partout on en désirait, en dépit du décret du roi qui les +prohibait. Ainsi se trouvaient justifiés en partie les rapports des +agents de l'empereur et le jugement que Napoléon portait sur les +tendances des Hollandais.</p> + +<p>Peu de temps après la conclusion de la paix avec la Prusse et la +Russie, une partie de l'armée hollandaise dut franchir les Pyrénées +pour aller combattre en Espagne. Les régiments bataves déployèrent +beaucoup de bravoure et montrèrent une discipline remarquable. Le +roi, qui n'entrevoyait même plus pour la suite une amélioration à la +fausse position de ses États vis-à-vis de la France, n'en continuait +pas moins de travailler aux réformes intérieures, ainsi qu'on le +verra par le récit des événements en 1809.</p> + + +<h3><span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> III.<br> + +1809—Mai 1810.</h3> + +<p>En 1809, tandis que Napoléon battait l'Autriche sur les bords du +Danube, que le prince Eugène faisait en Italie et en Hongrie les +brillantes campagnes qui illustrèrent son nom, que le roi Joseph +luttait contre les Anglo-Espagnols, souvent avec succès, le roi +Louis s'efforçait de vaincre les répugnances d'une nation +stationnaire et de lui procurer les bienfaits d'une administration +analogue à celle de la France, et cependant en rapport avec les +mœurs et les coutumes des habitants. Le 13 janvier, il proposa au +Corps législatif un projet de loi relatif à l'introduction d'un +système uniforme de poids et mesures, basé sur celui de l'Empire +français; il fit adopter un nouveau code criminel qui devait avoir +force de loi à dater de février 1810. Apprenant qu'une inondation +terrible ravageait la Hollande, il se rendit sur les lieux pour +s'assurer de la situation des choses, s'exposant à de véritables +dangers pour porter des secours et juger des mesures à prendre. À +Gorcum, à Nimègue, il paya de sa personne, étudiant avec soin le +système d'endiguement qui fait la sauvegarde du pays; il visita, non +seulement les villes, mais encore les plus pauvres villages de cette +partie de la Hollande; il distribua des décorations et des +récompenses à plusieurs ministres de la religion, qui tous étaient à +leur poste; il fit surseoir à la perception de tous les impôts dans +les districts inondés, forma un comité central du Watterstadt, +comité qu'il composa des plus habiles ingénieurs pour conférer avec +eux sur les moyens de dresser un plan général d'amélioration pour +préserver les pays les plus exposés. Louis visita ensuite les digues +du Leek, et ne rentra à Amsterdam qu'après avoir pris connaissance +de tous les travaux à effectuer. Il s'occupa aussi d'un travail +important sur les cultes<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a><a href="#footnote61" title="Lien vers la note 61"><span class="smaller">[61]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> Au commencement de mars, le roi fit un voyage dans le +département de l'Over-Yssel. Son but était d'inspecter le pays pour +un grand projet du Watterstadt (l'agrandissement du lit de l'Yssel), +d'examiner l'état des finances communales et d'aplanir certaines +difficultés entre les catholiques et les protestants, pour la +possession des églises. Pendant cette tournée dans ses états, il +reçut à l'improviste de l'empereur le décret qui disposait du +grand-duché de Berg en faveur du prince royal de Hollande, +Napoléon-Louis. Ce décret se terminait ainsi: «Nous nous réservons +le gouvernement et l'administration du grand-duché de Berg et de +Clèves, jusqu'au moment où le prince Napoléon-Louis aura atteint sa +majorité; nous nous chargeons dès à présent de la garde et de +l'éducation dudit prince mineur, conformément aux dispositions du +titre 3 du 1<sup>er</sup> statut de notre maison impériale..» Le roi fut +content de cette donation, parce qu'il crut y voir l'intention +secrète de son frère d'en faire jouir la Hollande; cependant il ne +put s'empêcher d'être blessé de n'avoir pas été prévenu et d'avoir +appris la cession par une simple lettre d'avis; mais ce qui lui fit +un chagrin profond, c'est de voir que sans son consentement, on +séparait à jamais son fils de lui, privant ainsi un père de ses +droits de tutelle et de surveillance. Il ne témoigna à l'empereur +que sa gratitude, espérant voir luire des jours plus heureux pour +lui et pour son peuple. Lors de son retour à Amsterdam, il réunit le +Corps législatif en session extraordinaire, et l'on s'occupa d'un +projet de loi relatif à la noblesse, projet de loi qui fut adopté. +Il différait des lois françaises en ce que toute l'ancienne noblesse +du pays fut reconnue, en ce que la nouvelle n'eut pas de majorat, et +enfin en ce que le roi faisait ériger un certain nombre de terres en +comtés ou baronnies, et qu'il se réservait le droit de les donner +aux personnes qui mériteraient ces récompenses, à condition que ces +domaines rentreraient à la couronne dans le cas où la succession +directe viendrait à manquer. C'est cette dernière disposition que le +roi regardait comme la seule et véritable base constitutionnelle de +la noblesse, dans un gouvernement monarchique, mais libre. Il +voulait même qu'à la mort d'un homme ayant bien mérité de la patrie, +et qui avait obtenu un comté, une baronnie, ce comté, cette baronnie +fissent retour à la couronne, ne pouvant passer en la possession du +fils sans une nouvelle donation du roi, faite à la majorité de ce +fils, s'il en paraissait digne. «La noblesse n'est honorable et +réelle, disait le roi Louis, que lorsqu'elle s'unit au mérite +personnel. Le fils du gentilhomme doit <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> être préféré à tout +autre pour succéder à son père, à mérite égal, jamais sans mérite et +sans autre titre que celui de la naissance. Seule la famille +régnante doit être exceptée, parce qu'elle n'est pas établie pour +l'intérêt et l'avantage des membres de cette famille, mais pour +l'utilité de la société; c'est donc, dans ce cas, une espèce de +magistrature.» Telles étaient les idées de Louis sur la noblesse, et +nous les trouvons bonnes et rationnelles. «La noblesse, prétendait +plaisamment le roi, ressemble à l'empreinte des monnaies, qui est +réelle si le métal qu'elle couvre a une valeur intrinsèque, mais qui +est nulle et sans prix si le métal est faux.»</p> + +<p>Le 10 avril, après la session extraordinaire du Corps législatif, le +roi partit d'Amsterdam pour visiter le Brabant et la Zélande. Dans +un des villages où il se rendit, régnait une maladie contagieuse qui +répandait la désolation. 140 maisons sur 180 étaient atteintes du +fléau. Louis entra dans toutes les demeures infectées par la +contagion, adressant des paroles d'encouragement aux malheureux +habitants, distribuant lui-même des secours; puis il ordonna de +faire venir à la hâte tous les médicaments nécessaires, et il quitta +ce malheureux village en disant au curé: «Disposez sans ménagement +de tout ce qui est en ma puissance, quelque chose qu'exige la +maladie.» Pendant tout son long voyage, comme dans ceux qui +l'avaient précédé, le roi fit un bien immense aux pays qu'il visita, +et se fit adorer de tous les habitants, qui ne pensèrent jamais à +lui attribuer les malheurs résultant pour eux du système impérial. +Il revint à Amsterdam par Berg-op-Zoom, le 20 mai. Cependant, ainsi +qu'on l'a vu plus haut, la France et l'Autriche étaient de nouveau +en guerre. Tandis que la grande armée de Napoléon s'emparait de +Vienne (mai 1809), les Hollandais poursuivaient dans le nord de +l'Allemagne le partisan prussien Schill et le duc de Brunswick-Oels, +qui avait formé un corps d'armée en Bohême, d'où il s'était jeté en +Westphalie où régnait, depuis Tilsitt, Jérôme, le plus jeune des +frères de Napoléon. Les troupes hollandaises se mirent à la +poursuite de Schill qui, après plusieurs marches et combats, se +réfugia dans Stralsund. La ville fut enlevée et le partisan prussien +y trouva la mort et la fin de ses aventures singulières. Après cette +expédition, une partie de l'armée hollandaise quitta Stralsund pour +se joindre aux troupes du roi Jérôme et combattre le duc de +Brunswick. Les Hollandais formèrent l'avant-garde de l'armée de +Westphalie et montrèrent dans ces deux courtes campagnes le plus +brillant courage. Pendant que la Hollande <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> envoyait ses +enfants combattre pour la cause française, des articles violents et +injustes étaient insérés contre elle dans les journaux de France. +Louis s'en plaignit à l'empereur, qui lui répondit, le 17 juillet, +de Schœnbrunn:</p> + +<p class="lettre">Mon frère, je reçois votre lettre du 1<sup>er</sup> juillet. Vous vous + plaignez d'un article du journal.... c'est la France qui a sujet de + se plaindre du mauvais esprit qui règne chez vous. Si vous voulez + que je vous cite toutes les maisons hollandaises qui sont les + trompettes de l'Angleterre, ce sera fort aisé. Vos règlements de + douane sont si mal exécutés, que toute la correspondance de + l'Angleterre avec le continent se fait par la Hollande. Cela est si + vrai que M. de Staremberg, envoyé d'Autriche, a passé par ce pays + pour se rendre à Londres.... La Hollande est une province anglaise.</p> + +<p>Il y avait du vrai dans ces reproches de l'empereur, mais les +reproches de Napoléon auraient dû s'adresser moins à son frère qu'à +la nation hollandaise, dont les intérêts étaient trop en souffrance +pour qu'elle ne cherchât pas à éluder les dispositions des décrets +impériaux qui ruinaient son commerce.</p> + +<p>L'Autriche, battue à Raab en Hongrie, à Wagram près de Vienne, +traita de la paix, qui fut conclue le 15 octobre. L'empereur revint +à Paris, et y convoqua les souverains alliés de la France. Le but +ostensible de cette réunion était le couronnement solennel des rois +créés par le traité de Presbourg. Louis résolut de ne pas s'y +rendre, craignant qu'une fois en France on ne le laissât plus +revenir dans ses états.</p> + +<p>Tout à coup, l'amiral Werhuell arriva à Amsterdam, disant n'avoir +d'autre mission que de parler à son souverain de la position +particulière du pays, et cela de son propre mouvement; mais bientôt +il chercha à décider le roi à se rendre à Paris, et laissa percer +ainsi le véritable motif de son voyage. Les rois alors dans la +capitale de la France étaient ceux de Saxe, de Bavière, de +Wurtemberg, de Westphalie, de Naples et le vice-roi d'Italie. Louis +refusa, prétextant qu'on ne l'avait pas engagé. Quelques jours +après, il reçut une invitation formelle de l'empereur. Le moment +était critique; il était dangereux de rien refuser à Napoléon, il +paraissait dangereux à Louis de quitter la Hollande, car les troupes +françaises s'avançaient de plus en plus de la Zélande sur le +Brabant, s'établissant dans le pays. Il fallait donc, ou lever le +masque et préparer la défense du territoire contre un ennemi qui +faisait trembler l'Europe entière, ou essayer de prolonger <span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> +une existence pénible, en se pliant à la nécessité. Le roi consulta +ses ministres; un seul, celui de la guerre, fut d'avis d'opposer une +légitime défense. L'armée semblait disposée à ce parti violent. Pour +combattre avec quelque chance de n'être pas écrasée, la Hollande +devait forcément s'allier avec l'Angleterre, et jouer en désespérée +son existence politique. Le roi était fort embarrassé; ses ministres +le pressèrent, le conjurèrent de céder, de partir pour la France. Il +céda, leur déclarant que c'était contre son opinion.</p> + +<p>Avant de se rendre à leurs vœux, il convoqua le Corps législatif, +qu'il laissa assemblé pendant son absence, afin que la nation fût +prête à tout événement. Dans son message, il développa la situation +du pays, et annonça son départ. Il se mit en route le 27 novembre, +emmenant son ministre des affaires étrangères, son grand maréchal, +un de ses aides de camp, deux écuyers et un chambellan. En passant à +Bréda, il donna l'ordre <i>écrit</i> aux gouverneurs de cette place, de +Berg-op-Zoom et de Bois-le-Duc, de n'obéir qu'à un <i>ordre signé par +lui-même</i> et de n'admettre aucune troupe étrangère. On a vu que +l'année précédente, l'empereur avait proposé la cession par la +Hollande du Brabant et de la Zélande, contre de grands +dédommagements en Allemagne, et qu'ensuite, sur le refus du roi +Louis, Napoléon avait paru abandonner ce projet. Il n'en était rien, +ainsi que la suite le prouva. Dès les premiers jours de 1810, +l'annexion de la Hollande était résolue, et le ministre de la guerre +recevait l'ordre de former l'armée du nord. Plein d'une défiance +fort bien justifiée contre le gouvernement français, le roi convint +secrètement, avec ses ministres, que tout acte, toute pièce qui ne +se terminerait pas par quelques mots hollandais ou par la devise de +l'ordre de l'Union, serait regardée comme nulle. Louis arriva à +Paris, le 1<sup>er</sup> décembre 1809. Sa première entrevue avec son frère +fut orageuse. Il était descendu chez sa mère, au faubourg +Saint-Germain. Il semblait en disgrâce, très peu de personnes eurent +le courage de le venir voir. La session du Corps législatif allait +être ouverte par l'empereur. Le roi ne fut pas engagé à y paraître +avec les autres princes de la famille impériale. Le lendemain, il +connut le passage du discours relatif à la Hollande. «La Hollande, +avait dit Napoléon, placée entre la France et l'Angleterre, en est +également froissée; elle est le débouché des principales artères de +mon empire. Des changements deviendront nécessaires, la sûreté de +mes frontières et l'intérêt bien entendu des deux pays l'exigent +impérieusement.» Le ministre de l'intérieur <span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> fut plus +explicite, il s'exprima ainsi devant le même Corps législatif: «La +Hollande n'est réellement qu'une portion de la France... la nullité +de ses douanes, les dispositions de ses agents, et l'esprit de ses +habitants qui tend sans cesse à un commerce frauduleux avec +l'Angleterre, tout fait un devoir de lui interdire le commerce du +Rhin et du Weser... Il est temps que tout cela rentre dans l'ordre +naturel.» En lisant ces passages, le roi comprit que son voyage +était une faute. Il voulut cependant profiter de son séjour à Paris +pour obtenir, de concert avec la reine Hortense, une séparation de +corps. Le conseil de famille refusa. On demanda au roi son +consentement à la dissolution du mariage de Napoléon avec Joséphine; +il voulut refuser, puis il céda; il eut même la faiblesse de +paraître à la cérémonie du mariage de Napoléon avec Marie-Thérèse, +ainsi qu'à la fête d'adieu donnée par la ville de Paris. Il se +trouva aussi à la cérémonie du 1<sup>er</sup> janvier 1810, mais à partir de +ce jour, il ne parut plus en public pendant les cinq mois qu'il +resta à Paris. Alors commença pour le malheureux roi de Hollande un +véritable esclavage. Il fut emprisonné dans la capitale de la +France. En vain, il chercha à s'échapper pour retourner en Hollande, +en vain il essaya quelques courses à sa terre de Saint-Leu; il était +bien et dûment prisonnier, gardé à vue, sous la surveillance d'une +police qui faisait chaque jour son rapport sur lui. Avant de quitter +la Hollande pour se rendre à Paris, Louis, agité de funestes +pressentiments, craignant, une fois aux mains de son frère, d'être +privé de son libre arbitre, ainsi que cela arriva en effet, avait +remis au ministre de la marine, Van der Heim, président du conseil, +l'ordre formel ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, je m'absente + pour quelques jours et juge convenable de vous laisser la présidence + du corps des ministres. La manière dont les affaires doivent se + traiter est réglée par les deux décrets de ces jours; mais il reste + un objet qui a besoin d'un ordre secret et confidentiel, et c'est le + but de cette lettre.</p> + +<p>Je rends les ministres et vous et celui de la guerre + particulièrement, responsables si des troupes françaises entrent + dans Amsterdam, ou si ma garde et le 5<sup>e</sup> régiment d'infanterie, + destinés à la garde de ce poste important, n'y restent pas + constamment employés. Le ministre de la guerre commandera pendant + l'absence des généraux <i>Tarrayre</i> et <i>Travers</i>, toutes les forces + militaires d'Amsterdam. Le général <i>Verdooren</i> sera sous ses ordres; + ne pouvant jamais donner un ordre que d'autres troupes que des + troupes hollandaises occupent ma capitale et le palais, je vous + ordonne de n'obéir à aucune sommation que l'on pourrait vous faire + <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> pour occuper <i>Amsterdam</i> et ses lignes, Naarden y + comprises, et de donner au ministre de la guerre l'ordre de + l'empêcher par tous les moyens qui sont en son pouvoir, et de + signifier à ceux qui pourraient tenter d'y vouloir pénétrer par + force qu'ils sont responsables des conséquences, et vous leur ferez + connaître que <i>je ne le veux point</i>; qu'on ait la certitude des + ordres <i>que j'ai</i> donnés à cet égard. Si de même on veut occuper une + autre partie quelconque du territoire, je vous ordonne de n'y + consentir que sur un ordre écrit de ma main en entier, signé en + hollandais finissant par un ou deux mots: <i>doc Wel en Zic nict om</i>. + Faites connaître aux ministres que chacun est responsable pour sa + partie, pour tout ce qui ne pourrait pas avoir été prévu avant mon + départ, et qu'on doit regarder tout <i>acte</i> de ma part comme nul, + s'il n'est signé en hollandais et finissant par la devise: <i>doc Wel + en Zic nict om</i>.</p> +</div> + +<p>Cet ordre n'était pas resté longtemps un secret pour l'empereur, car +la division française du général Maison s'étant présentée pour +entrer à Berg-op-Zoom, l'entrée lui avait été refusée. (<i>Lettre du +duc de Feltre au roi Louis</i>, 20 janvier 1800.)</p> + +<p>Indigné de la conduite qu'on tenait à son égard à Paris, Louis fit +porter par un de ses écuyers, M. de Bilandt, l'ordre formel et +réitéré de défendre le pays au moyen des inondations, et surtout +d'empêcher l'occupation d'Amsterdam. Napoléon en fut informé, manda +son frère et eut avec lui une altercation violente. Le roi +maintenant les ordres qu'il avait envoyés, l'empereur changea de +ton, et lui dit froidement: «Eh bien! choisissez: ou contremandez la +défense d'Amsterdam, destituez Krayenhoff et Mollerus (ministres de +la guerre et des affaires étrangères), ou voici le décret de réunion +que je fais partir à l'instant même, et vous ne retournerez plus en +Hollande; il m'est indifférent que l'on me taxe d'injustice et de +cruauté, pourvu que mon système avance: vous êtes dans mes mains.» À +ces mots, à la vue du décret, Louis sentit qu'il ne pouvait se tirer +de ce mauvais pas qu'en gagnant du temps. Il réfléchit un instant, +et prit la résolution de céder, puis de s'évader pendant la nuit; +mais à peine rentré dans l'hôtel de Madame mère, il vit arriver +jusque chez lui des gendarmes d'élite, chargés de ne pas le perdre +de vue. Toutes les mesures pour l'empêcher de retourner en Hollande +étaient prises. Le ministre de la guerre, alors duc de Feltre, vint +à son tour se plaindre de ce que les commandants des places fortes +en avaient refusé l'entrée aux troupes françaises, et sur le refus +du roi de donner des explications, il se retira en disant: «Ainsi +votre Majesté déclare la guerre à la France et à l'empereur.—Pas de +mauvaise plaisanterie, <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> a répondit Louis, un prisonnier ne +déclare pas de guerre. Que l'empereur me laisse en liberté et alors +il fera ce qu'il voudra.» Ce même jour, 18 janvier 1810, le ministre +écrivit au roi une lettre par laquelle il le prévenait que +l'empereur avait donné ordre que les pays entre l'Escaut et la Meuse +fussent occupés militairement par le duc de Reggio, et qu'on fît +passer par les armes quiconque y apporterait la moindre opposition. +Forcé dans ses retranchements, le roi permit aux troupes françaises +de cantonner provisoirement dans les places, mais il ordonna de +protester contre toute usurpation de pouvoir ou d'autorité. Bientôt +on commença à annoncer la réunion du Brabant et de la Zélande à la +France, ensuite on en prit possession militairement. Le 24 janvier, +Bréda et Berg-op-Zoom furent occupées par deux brigades françaises. +Les autorités hollandaises protestèrent vainement; quelques jours +après, les autres places furent également occupées et on exigea le +serment de fidélité à l'empereur. Les Hollandais le refusèrent +partout, bravant les menaces et les mauvais traitements. Les +journaux français ne tarissaient pas en invectives contre la +Hollande, en reproches adressés au roi. Ce dernier fit un message au +Corps législatif de Hollande, pour lui exprimer son chagrin et sa +position. Voici ce document, daté de Paris, 1<sup>e</sup> février 1810.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Le roi de Hollande, au Corps législatif.</p> + +<p>Messieurs, j'ai été trompé dans mon attente de revenir avant le 1<sup>er</sup> + janvier; par les pièces ci-jointes du <i>Moniteur</i> d'hier (c'est celui + du 31 janvier, et les pièces se trouvent dans la <i>Gazette royale</i> + des 5 et 6 février, n<sup>o</sup> 31-32), vous verrez que l'issue des affaires + est subordonnée à la conduite que tiendra le gouvernement anglais.</p> + +<p>Le chagrin que j'ai ressenti a été bien augmenté par la fausse + accusation que l'on nous a faite, d'avoir trahi la cause commune, + c'est-à-dire de n'avoir pas fidèlement rempli nos engagements; et je + vous écris ceci pour diminuer l'impression qu'une accusation si + injuste et si criante fera naître dans vos cœurs et dans ceux de + tous les véritables Hollandais.</p> + +<p>Tandis que pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis le + commencement de mon règne, la nation entière, et vous surtout, + appelés à veiller à ses intérêts, avez supporté avec peine et + patience l'augmentation des impositions, le redoublement de la dette + publique tout aussi bien que les préparatifs de guerre beaucoup trop + grands en proportion de la population et de la situation du royaume, + nous pensions peu qu'on nous accuserait d'avoir trahi nos devoirs et + de n'avoir pas assez fait; et cela dans un moment où la situation + des affaires sur <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> mer nous opprimait plus que tous les + autres pays ensemble, et que pour surcroît de malheur, nous avions + encore à endurer un blocus du continent. C'est le sentiment + intérieur de ceci qui doit, Messieurs, nous animer à la docilité, + jusqu'au moment où la justice de S. M. l'empereur, mon frère, nous + délivrera d'une accusation que nous sommes si loin de mériter.</p> + +<p>Je ne puis encore calculer combien de temps je serai empêché de voir + s'accomplir le premier et le plus ardent de mes souhaits: celui de + retourner dans ma capitale et de me trouver au milieu de vous dans + ces moments critiques. Quelque éloigné que soit ce moment, soyez + assurés que rien ne sera en état de changer mon attachement pour la + nation, mon zèle à travailler pour son intérêt, ni mon estime et ma + confiance en vous.</p> + +<p class="sig smcap">Louis.</p> +</div> + +<p>Vers la même époque, le gouvernement français essaya par la Hollande +de faire une tentative auprès de l'Angleterre pour l'ouverture d'une +négociation. Le ministre de France, M. de Champagny, duc de Cadore, +après avoir assuré le roi Louis que l'empereur n'avait nulle envie +de réunir la Hollande à l'empire, qu'il ne voulait pas même prendre +le Brabant et la Zélande; que, loin de là, il augmenterait son +royaume du grand-duché de Berg, ajoutant que s'il voulait faire +preuve d'une obéissance aveugle aux volontés de Napoléon, tout +changerait; que Napoléon, mécontent de la conduite de son frère, +demandait pour première preuve que ce dernier était décidé à suivre +désormais la politique de la France, de se prêter à un stratagème +qui consistait à envoyer quelqu'un en Angleterre pour voir si +l'appréhension de la réunion de la Hollande ne déterminerait pas +cette puissance à entrer en pourparlers pour la paix. Alors M. de +Champagny mit sous les yeux du roi le modèle d'une lettre que Louis +devait écrire à un de ses ministres. Louis rejeta d'abord avec +indignation cette rédaction, parce qu'on lui faisait dire qu'il +était convaincu de la nécessité de la réunion, puis sur les +instances qu'on fit auprès de lui, sur l'assurance qu'on lui donna +que tout cela n'avait d'autre but que de faire bien comprendre aux +Anglais l'imminence d'une réunion, il se décida à rédiger dans ce +sens une lettre à ses ministres.</p> + +<p>Nous allons donner toutes les pièces, tous les documents relatifs à +cette haute comédie politique imaginée par Napoléon et dans laquelle +le roi Louis, alors sous l'entière dépendance de l'empereur à Paris, +fui contraint, bien malgré lui, de prendre un rôle. Comme nous +venons de le dire, le tout-puissant souverain de la France, à +l'apogée <span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> de son pouvoir et désireux de la paix maritime, +crut, au moyen d'une mise en scène habile, en faisant craindre au +gouvernement britannique une réunion prochaine de la Hollande à son +vaste empire, arriver à l'ouverture de négociations pour la +cessation de la guerre. Louis rédigea un projet de lettre destiné à +ses ministres en Hollande, lesquels devaient se réunir pour élaborer +une sorte de procès-verbal à expédier au président du conseil en +Angleterre, sir Arthur Wellesley, afin de prévenir le gouvernement +du danger qui menaçait les Îles britanniques si l'empereur Napoléon +donnait suite au projet qu'il semblait prêt à exécuter, de réunir la +Hollande à ses états et d'en faire un département français. En +effet, cela doublait la puissance maritime de l'empire. Or, rien ne +pouvait empêcher cette réunion si Napoléon l'ordonnait. +L'indépendance de la Hollande ne pouvait être indifférente pour +l'Angleterre, et dans ces conditions une paix maritime pouvait être +avantageuse pour la France, pour la Hollande, et pour l'Angleterre +elle-même. Telle était l'opinion de l'empereur.</p> + +<p>Le 9 janvier, le roi Louis écrivit donc de Paris la lettre +ci-dessous.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Louis à ses ministres.</p> +<p class="adresse">Messieurs,</p> + +<p>Depuis six semaines que je suis auprès de l'empereur, mon frère, je + me suis constamment occupé des affaires du royaume. Si j'ai pu + effacer quelques impressions défavorables ou du moins les modifier, + je dois avouer que je n'ai pu réussir à concilier dans son esprit + l'existence et l'indépendance du royaume avec la réussite et le + succès du système continental, et en particulier de la France contre + l'Angleterre. Je me suis assuré que la France est fermement décidée + à réunir la Hollande malgré toutes les considérations, et qu'elle + est convaincue que son indépendance ne peut plus se prolonger si la + guerre maritime continue. Dans cette cruelle certitude, il ne nous + reste qu'un espoir, c'est celui que la paix maritime se négocie; + cela seul peut détourner le péril imminent qui nous menace. On + propose la cession du Brabant et de la Zélande, de fournir 14 + vaisseaux et 25,000 hommes, et j'ai la certitude que même après cela + le reste de la Hollande serait bientôt demandé. Ainsi l'intention + claire et formelle de la France est de tout sacrifier pour acquérir + la Hollande et augmenter par là, quelque chose qui doive lui en + coûter, les moyens maritimes à opposer à l'Angleterre. Je suis + obligé de convenir que l'Angleterre aurait tout à craindre d'une + pareille augmentation de côtes et de marine pour la France. Il est + donc possible que leur intérêt porte les Anglais à éviter un coup + qui peut leur être aussi funeste. Faites donc en sorte, de + vous-mêmes, sans que <span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> j'y sois nullement mentionné, que le + ministère anglais soit prévenu du danger imminent de votre pays. + Mais il n'y a pas de temps à perdre. Envoyez de suite quelqu'un du + commerce, sur et discret, en Angleterre, et envoyez-le-moi de suite + dès qu'il sera de retour. Faites-moi savoir l'époque à laquelle il + pourra l'être, car nous n'avons pas de temps à perdre, il ne nous + reste plus que peu de jours. Deux corps de la grande armée marchent + sur le royaume. Le maréchal Oudinot vient de partir pour en prendre + le commandement. Faites-moi savoir ce que vous aurez fait en + conséquence de cette lettre et quel jour je pourrai avoir la réponse + de l'Angleterre.</p> + + <p>Sur ce, Messieurs, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.</p> +</div> + +<p>Projet de lettre jointe à celle du roi, et devant être adressée au +marquis de Wellesley:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Quelque étrange que puisse paraître la démarche d'une nation qui, + pour se sauver d'un péril imminent qui la menace, croit ne trouver + d'autre moyen de salut qu'en s'adressant à la puissance même avec + laquelle cette même nation se trouve en état de guerre ouverte, tel + est cependant le résultat des circonstances qui ont amené l'état + actuel des choses sur le continent, que cette démarche + extraordinaire est devenue indispensable pour ceux qui, pendant + l'absence de leur souverain, composent le gouvernement de Hollande.</p> + +<p>Si d'une part ce n'est pas sans peine (pourquoi le + déguiserions-nous?) que nous nous voyons réduits à une démarche à + laquelle aucune autre considération que celle de la perte de notre + existence politique n'aurait été capable de nous engager; d'un autre + côté, ce n'est que dans la conviction la plus intime d'agir + conformément au plus sacré des devoirs politiques que nous devons + croire pouvoir nous y déterminer et passer sur toutes les raisons + qui ont pu nous arrêter un instant, au risque même de voir notre + conduite désavouée, pour ne pas dire davantage, par le monarque même + dont la conservation en fait un des principaux motifs, mais dont + l'urgence du danger ne nous a point permis de demander + l'approbation.</p> + +<p>En effet, M. le marquis, il ne s'agit dans ce moment de rien moins + que la Hollande soit rayée de la liste des nations et d'en faire une + province de la France.</p> + +<p>Depuis longtemps, un orage nous menaçait, et le roi, convaincu que + le seul moyen de l'écarter était une entrevue avec son auguste + frère, n'a pas hésité un seul instant de se rendre auprès de lui, + lorsqu'il voyait toute autre tentative inutile. Mais quelqu'aient + été les efforts qu'il a employés, les sacrifices auxquels il a voulu + se résigner, rien n'a été capable de concilier dans l'esprit de + l'empereur Napoléon l'existence et l'indépendance de la Hollande + avec la réussite du système continental.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> Les nouvelles informations officielles qui nous sont + transmises de Paris nous assurent que la France est fermement + décidée à réunir la Hollande, et que l'époque de ce grand événement + n'est éloignée que de quelques jours. Déjà, le maréchal destiné à + l'exécution de ce plan, vient de partir. Déjà l'armée sous ses + ordres paraît s'approcher de nos frontières, sans qu'aucune instance + de notre part soit capable d'en arrêter les progrès. Dans cette + cruelle certitude, un seul espoir nous reste, c'est celui d'une + prompte négociation de paix entre la France et l'Angleterre. Cela + seul peut détourner le péril qui nous menace, et sans la réussite de + ces négociations, c'en est fait de l'existence politique de la + Hollande, qui, une fois perdue, ne saurait lui être rendue sans un + bouleversement total de l'ordre actuel des choses sur le continent, + circonstance à laquelle il nous paraît aussi difficile de croire + qu'impolitique de la désirer. Il est possible que nous nous faisions + illusion, mais l'expérience du passé nous engage à croire que toutes + les puissances, surtout l'Angleterre, sont intéressées à la + conservation de notre existence politique et à ne négliger aucun + moyen convenable pour parer le coup qui nous menace. La Hollande, + puissance indépendante, ne pourra jamais porter le moindre ombrage à + la grande force à laquelle l'Angleterre a su s'élever; réunie au + contraire à la France, et les grandes forces qu'elle possède encore + mises à la disposition du monarque qui gouverne ce vaste empire, et + dont Votre Excellence est trop juste elle-même pour ne pas + reconnaître le génie transcendant, la Hollande pourra donner + indubitablement à la France les moyens de prolonger encore bien + longtemps une lutte qui a déjà trop duré pour le malheur des + nations.</p> + +<p>Ce n'est pas tout: l'indépendance même de l'Angleterrre dans ses + relations directes avec le continent nous paraît menacée pour + toujours du moment que la Hollande sera irrévocablement réunie à la + France, et l'Angleterre par conséquent réduite à l'alternative de ne + cultiver ses relations que par des voies longues et détournées ou de + se soumettre à tous les inconvénients que pourra éprouver son + commerce, en prenant par les états de la puissance la plus + prépondérante du continent.</p> + +<p>Pardonnez, M. le marquis, notre zèle nous emporte trop loin, mais + nous croyons qu'il est d'un intérêt si majeur pour l'Angleterre de + ne point voir la Hollande devenir province française, que nous osons + demander en considération sérieuse à Votre Excellence de contribuer, + pour tout ce qui dépend d'elle, à prévenir ce désastre par une + prompte ouverture de négociations de paix. Nous sentons qu'une + pareille démarche peut paraître au premier abord contraire à la + juste fierté du gouvernement anglais, mais lorsque nous considérons + que la première base sur laquelle reposeront ces ouvertures serait + d'exiger formellement que tout restât relativement à la Hollande sur + le pied actuel, nous <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> pensons, au contraire, que bien loin + de blesser la fierté de votre gouvernement, des ouvertures de paix + de sa part ne sauraient que lui être glorieuses.</p> + +<p>Voilà ce que le désir de notre conservation nous a suggéré de + soumettre immédiatement à Votre Excellence. Nous aurions pu sans + doute nous étendre davantage, si nous n'eussions craint de faire + tort à sa pénétration, en entrant dans des développements + ultérieurs.</p> + +<p>Au cas où Votre Excellence penserait que ce que nous avons dit + mérite quelque attention du gouvernement anglais, qu'elle veuille + bien se persuader qu'il n'y a pas de temps à perdre, chaque instant + est infiniment précieux.</p> + +<p>Nous terminerons cette lettre par l'expression de l'espoir que nous + aurons pour opérer auprès de Votre Excellence la même conviction qui + réside auprès de nous à l'égard du contenu.</p> + +<p>Cela étant, nous aimons à nous flatter du plus heureux succès, la + sagesse connue de Votre Excellence nous est le sûr garant qu'elle + saura trouver les moyens de conduire l'important ouvrage dont il + s'agit à une fin heureuse. Et après une gloire militaire acquise à + si juste titre, quelle ne serait pas la satisfaction pour Votre + Excellence elle-même de voir pendant son ministère actuel luire le + jour heureux à l'humanité souffrante, dont la justice ne saurait + manquer de reconnaître en elle un des grands hommes d'état auxquels + il était réservé de réaliser l'espoir des nations.</p> +</div> + +<p>L'empereur, peu satisfait de ce projet de lettre, écrivit à ce sujet +le lendemain, 17 janvier, au duc de Cadore:</p> + +<p class="lettre">Monsieur le duc de Cadore, vous trouverez ci-joint une lettre du roi + de Hollande avec un projet de dépêches au ministre des affaires + étrangères d'Angleterre. Vous ferez connaître au roi que je + n'approuve point ce projet de dépêche, et que je n'approuve point + non plus qu'il retourne en Hollande. Cela serait contraire aux + circonstances actuelles. Mes troupes ont déjà reçu l'ordre de se + diriger sur Dusseldorf et d'entrer en Hollande. Je vous envoie + ci-joint trois pièces: 1<sup>o</sup> un projet de note que vous remettrez à M. + de Roëll, le ministre des affaires étrangères de Hollande; 2<sup>o</sup> un + projet de procès-verbal d'une séance du conseil de Hollande; 3<sup>o</sup> un + projet de lettre du président de ce conseil au président du conseil + d'Angleterre.</p> + +<p>L'empereur attachait une telle importance à cette affaire, que +lui-même fît écrire, sous sa dictée, la note ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Note dictée par l'empereur et sans date.</p> + +<p>Je pense qu'il est convenable que quinze ou vingt des plus notables + <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> de la nation hollandaise se rendent à Paris. Là, on leur + fera connaître la situation des choses et la volonté où je suis de + réunir leur pays, en leur disant tout ce que j'ai fait pour leur + bien-être.</p> + +<p>Si la guerre maritime dure encore, l'indépendance de leur pays est + impossible, mais que l'empereur demande que cette démarche soit + faite, pour faire connaître la position de la Hollande au + gouvernement anglais. Enfin, si on veut faire la paix ou plus tôt ou + plus tard, la paix se fera. En la faisant aujourd'hui, la Hollande + conservera son indépendance.</p> + +<p>Cette démarche aussi peut frapper Londres, et mettre dans l'embarras + les ministres anglais.</p> + +<p>Que le Corps législatif fasse faire des démarches en Angleterre pour + faire connaître que la paix peut conserver l'indépendance de la + Hollande.</p> + +<p>Il faut pour cela que le discours soit fait de façon à prouver que + la Hollande sent l'impossibilité de conserver son indépendance si la + guerre dure. La réunion du Brabant est indifférente à l'Angleterre.</p> + +<p>Causer de cela avec le ministre des affaires étrangères et + l'ambassadeur, et voir le parti à prendre.</p> + +<p>Que la Hollande se donnera franchement à la France si on ne fait + rien avec l'Angleterre.</p> +</div> + +<p>Alors le duc de Cadore fît rédiger un second projet, qui, revu avec +beaucoup de soin et corrigé de la main de l'empereur, fut envoyé de +Paris à MM. Van der Heim, Mollerus et autres ministres de Hollande.</p> + +<p>Voici ce document:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Projet de procès-verbal.</p> + +<p>Que si l'Angleterre connaissait le sort qui menace la Hollande, ce + pourrait être pour la Grande-Bretagne une occasion de se relâcher de + ses mesures et d'ouvrir au moins une négociation provisoire par + laquelle la France serait engagée à renoncer aux décrets de Berlin + et de Milan, et l'Angleterre à ses ordres du conseil et à ses + prétentions relatives aux droits de blocus; et que ce simple + arrangement rendant à la guerre le caractère qu'elle avait il y a + trois ans, la Hollande pourrait en conséquence exister comme elle + existait alors, en commerçant avec les neutres, sans nuire aux + intérêts du continent: que les Anglais jugeraient peut-être que le + moment est favorable pour entamer les négociations d'une paix qui + serait utile à l'Angleterre, Sa Majesté assurant l'indépendance + d'une nation dont le voisinage lui est si avantageux, et qui est la + plus directe et la plus courte communication avec le continent; que + dans ces circonstances il est évident que des négociations de paix + ou du moins des arrangements provisoires peuvent seuls conserver à + la Hollande son existence politique, et qu'en conséquence il sera + <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> envoyé le plus promptement possible auprès du gouvernement + anglais un agent secret chargé de lui faire connaître la situation + de la Hollande, et de lui communiquer la note du ministre des + relations étrangères de France et le présent procès-verbal. Que si + l'Angleterre ne consentait pas à profiter de cette circonstance pour + faire des ouvertures de paix, elle pourrait, du moins, rétablir les + choses telles qu'elles étaient avant les ordres du conseil et + s'entendre pour une négociation relative à l'échange des prisonniers + de guerre; et que par là elle rendrait à la guerre actuelle le + caractère d'une guerre ordinaire, et éviterait les malheurs qui + menacent la Hollande. Que si, au contraire, l'Angleterre est + inaccessible à ces considérations, la nation hollandaise n'aura pas + d'autre parti que de se soumettre avec dévouement au grand homme qui + veut la réunir à son empire, en lui laissant son organisation + intérieure et en ouvrant à son commerce tout le continent européen.</p> + +<p>Quelques députés au Corps législatif et autres personnes notables + pourront être convoqués à ce conseil et signer ce procès-verbal.</p> +</div> + +<p>Le roi Louis, qui avait voulu d'abord décliner toute participation +dans ce projet et refuser un rôle dans cette haute comédie +politique, circonvenu, avait fini par se rendre, comme on l'aura vu, +et était devenu l'âme de l'affaire. Il fit passer en Hollande le +projet de lettre ci-dessous, à joindre avec les dépêches à expédier +en Angleterre.</p> + +<p>Projet de lettre que le président du conseil des ministres de +Hollande devra écrire au président du conseil d'Angleterre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai l'honneur de vous envoyer une note du ministre des affaires + étrangères de France, ainsi que le procès-verbal d'une séance du + conseil tenu en conséquence. Votre Excellence reconnaîtra trop bien + par le but de ma démarche, pour que j'aie besoin de lui dire à quel + point l'indépendance de la Hollande est menacée; et elle sait + combien la réunion de la Hollande à la France serait funeste pour + l'Angleterre. Les résolutions de l'empereur ne peuvent être + détournées que par un traité de paix, où l'on mettrait pour + condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la + Hollande; où, par une négociation provisoire relative à l'échange + des prisonniers de guerre, et à la suppression des décrets de Berlin + et de Milan, et des ordres du conseil d'Angleterre, l'on mettrait + également pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à + l'égard de la Hollande. Si les deux puissances ne voulaient pas + s'entendre pour rendre la paix et le bonheur à l'humanité, elles + pourraient, du moins, par un arrangement, établir des principes sur + le commerce des neutres et l'échange des prisonniers, ce qui ôterait + à la <span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> guerre ce caractère farouche et désespéré qu'elle a + pris depuis quelques années: arrangement d'autant plus avantageux + pour l'Angleterre qu'il sauverait l'indépendance de la nation + hollandaise. Mais si tant de considérations d'humanité et de + politique ne peuvent rien sur le gouvernement britannique, il ne + nous restera qu'à nous rallier de bonne foi au grand empereur qui + veut nous admettre dans son empire, et reconnaître que les actes + qu'il fait contre notre indépendance ne sont point le résultat du + caprice et de l'ambition, mais celui de l'inflexible nécessité.</p> + +<p>Il me reste à vous prier de ne donner aucune communication de cette + lettre, afin qu'elle ne parvienne pas aux oreilles de notre + souverain. J'espère, lorsque j'aurai reçu la réponse de Votre + Excellence, lui faire agréer la démarche que je fais dans ce moment. + Sa Majesté reconnaîtra la pureté de mes motifs, mais encore est-il + convenable qu'elle ne l'apprenne pas par d'autre que moi-même.</p> +</div> + +<p>Enfin, le 24 janvier 1810, un troisième projet de note fut remis au +baron de Roëll. L'empereur avait revu avec soin cette note, dont +l'original porte des corrections de sa main. Voici ce dernier projet +qui fut confié à un Hollandais, M. Labouchère, et porté par lui à +Londres:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">24 janvier 1810.</p> + +<p>Le soussigné, ministre des relations extérieures de France, est + chargé de faire connaître à Son Excellence M. le baron de Roëll, + ministre des affaires étrangères de Hollande, la détermination à + laquelle la situation actuelle de l'Europe oblige Sa Majesté + impériale. Si cette détermination est de nature à contrarier les + vœux d'une partie de la nation hollandaise, si elle afflige le + cœur de son roi, l'empereur en est fâché sans doute, et ne le + prend qu'avec regret, mais l'impitoyable destinée qui préside aux + affaires de ce monde et qui veut que les hommes soient entraînés par + les événements, oblige Sa Majesté de suivre d'un pas ferme les + mesures dont la nécessité lui est démontrée, sans se laisser + détourner par des considérations secondaires.</p> + +<p>Sa Majesté impériale, en plaçant un de ses frères sur le trône de + Hollande, n'avait pas prévu que l'Angleterre oserait proclamer + ouvertement le principe d'une guerre perpétuelle, et que, pour la + soutenir, elle adopterait pour base de sa législation les monstrueux + principes qui ont dicté ses ordres du conseil de novembre 1807. + Jusqu'alors son droit maritime était sans doute combattu par la + France et repoussé par les neutres; mais enfin il n'excluait pas + toute navigation et laissait encore une sorte d'indépendance aux + nations maritimes. Il y avait peu d'inconvénient pour la cause + commune à ce que la Hollande commerçât avec l'Angleterre, soit par + l'entremise des neutres, soit en employant leur pavillon. Marseille, + Bordeaux et Anvers jouissaient du même avantage. <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> + L'Angleterre avait encore à ménager les Américains, les Russes, les + Prussiens, les Suédois, les Danois, et ces nations formaient une + sorte de lien entre les puissances belligérantes.</p> + +<p>La quatrième coalition a détruit cet état de chose. L'Angleterre, + parvenue à réunir contre la France la Russie, la Prusse et la Suède, + ne s'est plus vue obligée à tant de ménagements; c'est alors + qu'abusant et des mots et des choses, elle a élevé la prétention de + faire taire et disparaître tous les droits des neutres devant un + simple décret de blocus. L'empereur s'est vu forcé d'user de + représailles, et, à son arrivée à Berlin, il a répondu au blocus de + la France par la déclaration du blocus des Îles britanniques. Les + neutres et surtout les Américains demandèrent des explications sur + cette mesure. Il leur fut répondu que, quoique l'absurde système de + bloquer un état tout entier fut une usurpation intolérable, + l'empereur se bornerait à arrêter sur le continent le commerce des + Anglais; que le pavillon neutre serait respecté sur mer; que ses + bâtiments de guerre et ses corsaires ne troubleraient point la + navigation des neutres, le décret ne devant avoir d'exécution que + sur terre. Mais cette exécution même, qui obligeait de fermer les + ports de la Hollande au commerce anglais, blessait les intérêts + mercantiles du peuple hollandais et contrariait ses anciennes + habitudes. Première source de l'opposition secrète qui commença + d'exister entre la France d'un côté, et de l'autre le roi et la + nation hollandaise. Dès lors Sa Majesté entrevit avec peine que le + moyen qu'elle avait choisi entre des partis extrêmes, pour concilier + l'indépendance de la Hollande avec les intérêts de la France, ne + remédierait à rien et qu'il faudrait un jour étendre les lois + françaises aux débouchés de la Hollande et réunir ce royaume à + l'empire. La paix de Tilsitt eut lieu. L'empereur de Russie, + provoqué par les outrages que l'Angleterre avait faits à son + pavillon pendant qu'il combattait pour elle, et indigné de + l'horrible attentat de Copenhague, fit cause commune avec la France.</p> + +<p>La France espéra alors que l'Angleterre verrait désormais + l'inutilité d'une plus longue lutte et qu'elle entendrait à des + paroles d'accommodement; mais ces espérances s'évanouirent bientôt. + En même temps qu'elles s'évanouissaient, l'Angleterre, comme si + l'expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur et eût brisé + tous les freins, mettait ses projets à découvert et publiait ses + ordres du conseil de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire + qui a indigné l'Europe. Par cet acte, l'Angleterre réglait ce que + pourraient transporter les bâtiments des nations étrangères, leur + imposait l'obligation de relâcher dans ses ports, avant de se rendre + à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt. + Ainsi, elle se rendait maîtresse de la navigation universelle, ne + reconnaissait plus aucune nation maritime comme indépendante, + rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait à ses + lois, ne leur permettait <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> de commercer que pour son profit, + fondait ses revenus sur l'industrie des nations et sur les produits + de leur territoire, et se déclarait la souveraine de l'Océan, dont + elle disposait comme chaque gouvernement dispose des rivières qui + sont sous sa domination.</p> + +<p>À l'aspect de cette législation, qui n'était autre chose que la + proclamation de la souveraineté universelle, et qui étendait sur + tout le globe la juridiction du Parlement britannique, l'empereur + sentit qu'il était obligé de prendre un parti extrême et qu'il + fallait tout employer plutôt que de laisser le monde se courber sous + le joug qui lui était imposé. Il rendit son décret de Milan, qui + déclare dénationalisés les bâtiments qui ont payé le tribut à + l'Angleterre qui était imposé. Les Américains, menacés de nouveau de + se trouver soumis au joug de l'Angleterre, et de perdre leur + indépendance si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur + tous leurs bâtiments et renoncèrent à toute navigation et à tout + commerce, sacrifiant ainsi l'intérêt du moment à l'intérêt de tous + les temps, la conservation de leur indépendance.</p> + +<p>Le succès des vues de l'empereur dépendait surtout de l'exécution + universelle et sans exception de ses décrets. La Hollande a été un + obstacle à cette exécution. Elle ne s'est soumise qu'en apparence à + ces décrets. Elle a continué de faire le commerce interlope avec + l'Angleterre. De fréquentes représentations ont été faites au + gouvernement hollandais; elles ont été suivies de mesures de rigueur + qui attestaient le mécontentement de l'empereur. Deux fois les + douanes françaises ont élevé une barrière entre la France et la + Hollande. L'empereur voulait tout tenter avant de se résoudre à + détruire l'indépendance d'une nation qu'il avait protégée et + favorisée, en lui donnant pour souverain un prince de son sang. Il a + cherché à épuiser tous les moyens de conciliation, afin de pouvoir + se rendre ce témoignage qu'il ne cédait qu'à l'impérieuse nécessité.</p> + +<p>Le moment est venu de prendre un parti. Déjà l'empereur a fait + connaître à la nation française, à l'Europe, la nécessité d'apporter + quelques changements à la situation de la Hollande, puisque la + nation hollandaise, loin d'avoir le patriotisme dont les Américains + ont fait preuve, ne paraît guidée que par une politique purement + mercantile et l'intérêt du moment présent. C'est de la part de + l'empereur une résolution inébranlable que de n'ouvrir jamais ses + barrières au commerce de la Hollande; il croirait les ouvrir au + commerce anglais. La Hollande peut-elle donc exister dans cet état + d'isolement, séparée du continent et cependant en guerre avec + l'Angleterre?</p> + +<p>D'un autre côté, l'empereur la voit sans moyens de guerre et presque + sans ressources pour sa propre défense. Elle est sans marine, les + seize vaisseaux qu'elle devait fournir ont été désarmés. Elle est + sans armée de terre. Lors de la dernière expédition des Anglais, + l'île de Walcheren, <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> Bath et le Sud-Beveland n'ont opposé + aucune résistance. Sans armée, sans douane, on pourrait presque dire + sans amis et sans alliés, la nation hollandaise peut-elle exister? + Une réunion de commerçants, uniquement animée par l'intérêt de leur + commerce, peut former une utile et respectable compagnie, mais non + une nation. L'empereur est donc forcé de réunir la Hollande à la + France, et de placer ses douanes à l'embouchure de ses rivières. + Laisser les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut à la + Hollande, n'est-ce pas les livrer au commerce anglais, et ces grands + fleuves ne sont-ils pas les artères de la France, comme la Hollande + est une alluvion de son territoire?</p> + +<p>Sans les ordres du conseil de novembre 1809, la France se serait plu + à maintenir l'indépendance de la Hollande, parce qu'elle était + compatible avec la sienne; mais depuis lors, rien de ce qui favorise + le commerce anglais n'est compatible avec la souveraineté et + l'indépendance des puissances du continent.</p> + +<p>Sa Majesté désire la paix avec l'Angleterre. Elle a fait à Tilsitt + des démarches pour y parvenir, elles ont été sans résultat. Celles + qu'il avait concertées avec son allié à Erfurth, l'empereur de + Russie, n'ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc longue, + puisque toutes les démarches tentées pour arriver à la paix ont été + inutiles. La proposition même d'envoyer des commissaires à Morlaix + pour traiter de l'échange des prisonniers, quoique provoquée par + l'Angleterre, est restée sans effet, lorsqu'on a craint qu'elle pût + amener un rapprochement.</p> + +<p>L'Angleterre, en s'arrogeant par ses ordres du conseil de 1807 la + souveraineté universelle, et en adoptant le principe d'une guerre + perpétuelle, a tout brisé et a rendu légitimes tous les moyens de + repousser ses prétentions. Par sa réunion avec la France, la + Hollande s'ouvrira le commerce du continent, et ce commerce utile à + la cause commune deviendra une source de richesses pour ses + industrieux habitants.</p> + +<p>Deux voies se présentent pour opérer cette réunion: la négociation + ou la guerre. L'empereur désire s'entendre avec la nation + hollandaise, lui conserver ses privilèges et tout ce qui, dans son + mode d'existence, serait compatible avec les principes qu'il a + constamment soutenus, et ne pas être <i>réduit à fonder son droit sur + les plus légitimes de tous: la nécessité et la conquête</i>.</p> +</div> + +<p>En exécution des ordres du roi Louis, les ministres du gouvernement +hollandais envoyèrent M. Labouchère à Londres, avec mission de faire +connaître au ministère britannique l'état des choses, de lui faire +envisager combien il serait avantageux à l'Angleterre que la +Hollande ne fût pas réunie à la France, enfin de l'engager à entrer +en négociation pour une paix générale.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> M. Labouchère, riche et honorable commerçant très connu et +très estimé à Londres, devait envoyer le récit détaillé de ses +démarches, des réponses qui lui seraient faites, et revenir en +Hollande avant de se rendre à Paris près du roi. Les instructions +données à M. Labouchère sont libellées en date du 1<sup>er</sup> février. Le +12 du même mois, sir Arthur Wellesley répondit: que l'Angleterre +compatissait aux maux de la Hollande, que la mission de M. +Labouchère n'était pas de nature à donner lieu à aucune observation +sur une paix générale; que la France n'avait encore manifesté aucun +symptôme, ou d'une disposition à la paix ou d'une tendance à se +départir de ses prétentions, prétentions qui jusqu'alors avaient +rendu nulle la volonté si bonne du gouvernement de la +Grande-Bretagne pour mettre fin à la guerre.</p> + +<p>En recevant cette réponse à Londres, M. Labouchère s'empressa de +rendre compte au gouvernement hollandais de l'inutilité de ses +démarches et de la persuasion où il était que toute tentative +échouerait.</p> + +<p>Ainsi se termina ce singulier épisode politique. On voulut essayer +de le reprendre, et le 20 mars l'empereur écrivit à son frère de +renvoyer à Londres M. Labouchère, non plus au nom du ministère +hollandais, mais en son nom, avec une note non signée et non d'une +écriture connue. Cette note, jointe à la lettre de l'empereur, se +trouve à la page 319 du 20<sup>e</sup> volume de la correspondance de Napoléon +I<sup>er</sup>. Vers cette époque on répandit en Hollande le bruit de la mort +du roi et de la régence de la reine. Ce bruit venait de ce que +Louis, dont la santé était fort délabrée déjà, n'avait pu subir +toutes les vexations auxquelles il avait été soumis sans tomber +sérieusement malade. Il fut retenu assez longtemps au lit par une +fièvre nerveuse. Tous les souverains et les princes alors à Paris +s'empressèrent de le venir voir. Napoléon seul s'en abstint quelque +temps. Il parut enfin un beau matin, brusquement, en se rendant à la +chasse. La conversation des deux frères fut assez amicale. Ni l'un +ni l'autre n'aborda la question des grands intérêts politiques. +Pendant la maladie du roi, les troupes françaises continuaient à +s'approcher d'Amsterdam. Louis trouva moyen d'envoyer encore des +ordres formels pour qu'on mît cette capitale dans le plus imposant +état de défense<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a><a href="#footnote62" title="Lien vers la note 62"><span class="smaller">[62]</span></a>. Une fois à peu près rétabli, il voulut +s'assurer par lui-même s'il était encore prisonnier <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> en +France. Il se rendit à son château de Saint-Leu. Le doute ne lui fut +pas permis. On n'avait pas encore arraché à ce malheureux prince +toutes les concessions que l'on désirait. On ne tarda pas à lui +faire à cet égard des ouvertures qu'il commença par repousser, comme +d'habitude, et puis qu'il finit par écouter, attendu qu'il ne +pouvait faire autrement sans mettre dans le plus grand péril +l'indépendance de la Hollande. Or, Louis espérait toujours que de la +force du mal naîtrait le bien, que les mesures du blocus poussées à +l'extrême amèneraient une paix maritime, que lors de cette paix la +Hollande pourrait sortir de ses ruines. Il voulait donc gagner du +temps pour atteindre à cette paix. La question la plus importante, à +ses yeux, c'était de faire vivre de la vie politique, et à l'état de +nation, un royaume à qui la France enlevait chaque jour un lambeau. +Pour maintenir les Hollandais sur le tableau des puissances +européennes, le roi consentit à tout ce qu'on voulut, à l'exception +de la conscription, coutume qui répugnait par trop à son peuple, et +de l'imposition sur la rente, mesure qu'il considérait comme +équivalente à une banqueroute. Interdiction de tout commerce et de +toute communication avec l'Angleterre, mise sur pied, entretien +d'une flotte considérable, d'une armée de terre de 25,000 soldats, +suppression de la dignité du maréchalat, destruction de tous les +privilèges de la noblesse contraires à la constitution donnée par +l'empereur, tout fut accordé.</p> + +<p>Le 24 février 1810, avait paru au <i>Journal officiel</i> un article +virulent contre la Hollande. Le roi en fut très affecté et chargea +Werhuell d'en parler au duc de Cadore, et de prier ce dernier de +demander à l'empereur de faire connaître ses intentions pour que le +gouvernement hollandais accédât à ses désirs, si la chose était +possible. Werhuell écrivit dans ce sens au duc de Cadore, et dès le +lendemain le roi Louis reçut de son frère un projet de traité.</p> + +<p>En marge de ce traité le roi Louis écrivit: «<i>Je consentirai à tous +les sacrifices que l'empereur exigera, pourvu que je puisse tenir +les engagements que je contracterai; pourvu encore que le reste de +la Hollande puisse exister, et surtout si ces sacrifices ôtent tout +sujet de mécontentement de la part de mon frère et me donnent la +possibilité de regagner son amitié et sa bienveillance; et c'est par +cette raison que je désirerais qu'on omît des considérants ces mots: +différents survenus entre eux.</i> Je n'ai pas d'autre différent que la +peine de voir l'empereur et mon frère fâché contre moi.»</p> + +<p>Ce traité se composait de 15 articles, pour quelques-uns desquels le +<span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> roi demanda des modifications. Il proposa ensuite neuf +articles additionnels. L'empereur consentit à quelques-unes des +modifications proposées par son frère et rejeta les autres.</p> + +<p>Daté du 16 mars, ce traité contenait en outre les quatre articles +secrets suivants:</p> + +<div class="lettre"> +<p>1<sup>o</sup> Le roi ne s'oppose pas à ce que le corps de 18,000 hommes du + deuxième article soit commandé par un général nommé par l'empereur.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Il consent à ce que les bâtiments chargés de contrebande qui + arriveraient dans les rades de Hollande y soient arrêtés et déclarés + de bonne prise, et toutes les marchandises anglaises et coloniales + confisquées, sans égard à aucune déclaration.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Qu'il est dans le projet du roi d'éloigner de sa personne les + ministres qui ont eu l'intention de défendre Amsterdam, et n'ont pas + craint de provoquer la colère de la France. Sa Majesté veillera à ce + que dans aucun discours ou publication quelconque il n'y ait rien + qui tende à favoriser les sentiments haineux de la faction anglaise + contre la France.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Sa Majesté s'engage à cesser insensiblement d'entretenir des + ministres en Russie et en Autriche, de manière à ce que cette mesure + ne soit pas un sujet de remarque et que les cours ne puissent s'en + formaliser.</p> +</div> + +<p>Après être tombé d'accord sur le traité avec son frère, le roi Louis +envoya à ses ministres en Hollande la lettre ci-dessous, qui fut lue +en séance du Conseil d'état, en présence de tous les membres du +cabinet, par le vice-président du Conseil.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Paris, 21 février 1810.</p> +<p class="center">Le roi au Conseil d'état.</p> + +<p>Quoique le troisième mois après mon départ tire déjà à sa fin, il + n'y a encore rien de décidé au sujet de l'état de nos affaires. Je + ne puis cependant mieux employer le premier moment de ma guérison + qu'en vous renouvelant l'assurance que j'emploierai continuellement + tous les moyens possibles pour conserver l'existence de ce royaume. + Il ne faut pas le feindre, ceci nous coûtera des sacrifices grands + et pénibles; mais s'il y a seulement une lueur de possibilité qui + nous assure la continuation de l'existence de la Hollande après tout + ce qu'on exige d'elle, je n'hésiterai pas un moment de me reposer + sur la magnanimité de l'empereur mon frère, dans l'espoir que les + raisons de mécontentement une fois remédiées, nous obtiendrons le + dédommagement que nous pouvons prétendre à si bon droit et dont nous + aurons besoin plus que jamais.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> Mon intention, en me conformant à tout ce que l'empereur, + mon frère, exigera de nous, est de lui montrer que nous avons + beaucoup d'ennemis, que nous sommes la victime du vice, de viles + passions et d'intérêts; mais que nous n'avons cessé de continuer + toujours d'admirer l'empereur et de nous comporter comme des amis et + des alliés fidèles de la France, et éprouvés par mille sacrifices. + Si, comme j'ai raison de me flatter, je puis réussir dans mes + intentions réelles, le reste suivra de soi-même, tandis que ce doit + être l'intérêt et le désir de la France de protéger et d'agrandir la + puissance de ses amis, au lieu d'y apporter atteinte. Je vous invite + ainsi de réunir tous vos efforts pour prévenir les émigrations dans + les pays étrangers ou autres démarches désespérées et d'animer la + nation à attendre, avec la modération qui fait le fond de son + caractère, et convient à sa juste cause, le décret que l'empereur + donnera pour notre sort. Il ne m'est pas inconnu tout ce que chacun + souffre. J'ai fait pour plaider notre cause tout ce qui était en mon + pouvoir; ni la perte de mon temps, ni la mauvaise réussite de mes + peines n'ont pu me décourager, aussi ai-je tout <i>espoir d'espérer</i> + que si nous pouvons faire un arrangement qui n'exclue pas + entièrement la possibilité de notre existence, la Hollande pourra + encore échapper à cette tempête, surtout si après tout cela il ne + reste, non seulement aucun sujet de mécontentement, mais aucun + prétexte de mésentendu ou de mécontentement, et c'est à quoi je + tâche de faire aboutir tous mes efforts.</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">Votre roi,</span><br> + <span class="smcap">Louis.</span></p> +</div> + +<p>Cet acte, connu du maréchal Oudinot, fut envoyé par lui au major +général, le 3 mars, de Bois-le-Duc, avec la lettre suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence copie de + deux lettres<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a><a href="#footnote63" title="Lien vers la note 63"><span class="smaller">[63]</span></a> du roi de Hollande, au Corps législatif et au + Conseil d'état de son royaume. En lisant ces lettres, Votre + Excellence ne sera point surprise des obstacles que l'on m'oppose et + des espérances des Hollandais. Il n'est pas douteux qu'outre ces + lettres, le roi n'envoie des ordres secrets pour qu'il soit pris des + mesures qui reculent le moment de notre entrée en Hollande, et pour + que les magistrats se refusent à tout ce qui aura l'air de prise de + possession.</p> + +<p>La tranquillité continue de régner dans le Brabant, mais le pays + n'est pas riche; il a souffert par les inondations dans les années + précédentes, et l'armée ne pourra guère y vivre qu'au jour le jour.</p> + +<p>J'attends toujours une décision relativement au séquestre des + caisses <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> publiques et aux hussards hollandais qui sont à + Bréda et dont le corps est en Espagne.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—Je reçois à l'instant un rapport de M. le général Dessaix, + qui m'annonce que quelques troupes hollandaises sont sur la rive + droite du Wahal et ont ordre de ne laisser passer aucun militaire + étranger.</p> + +<p>Leurs hussards bordent la rive droite et paraissent destinés à + observer nos mouvements, et à en donner la nouvelle.</p> + +<p>J'ai ordonné que l'on mît en état le pont volant qui est à Nimègue; + il peut porter 300 hommes à la fois.</p> + +<p>Les eaux de la Meuse ont considérablement augmenté cette nuit et + l'on ne peut communiquer que très difficilement avec Bommel et + Gorcum.</p> +</div> + +<p>Lorsque Napoléon eut obtenu tout ce qu'il désirait pour l'instant, +la surveillance qui pesait sur le roi cessa par son ordre, et +lui-même chercha à rétablir entre eux des rapports d'amitié. +L'empereur lui témoigna même le désir qu'il fût jusqu'à Soissons +au-devant de l'archiduchesse Marie-Louise, pour l'accompagner au +château de Compiègne. Louis, dont la santé s'était un peu améliorée, +se livra à quelques distractions et assista à une partie des fêtes +qui eurent lieu à l'occasion du mariage de Napoléon, bien qu'il fût +loin d'approuver le divorce, car il aimait beaucoup l'impératrice +Joséphine. Arrivé à Compiègne le 24 mars, dans la matinée, le roi +apprit bientôt que ses appartements étaient contigus à ceux de la +reine Hortense. On semblait vouloir exiger un rapprochement qui +n'était pas dans ses idées. Pour éviter toute discussion à cet +égard, le 30 mars, deux jours après que l'empereur et l'impératrice +furent au château, il donna ordre de préparer ses équipages pour son +départ la nuit même. Un incendie, qui eut lieu au moment où il +allait s'éloigner, le retint encore quelques jours. Enfin, le 8 +avril, après une dernière entrevue avec son frère, entrevue dans +laquelle Napoléon annonça à Louis que la reine le suivrait dans ses +états avec le prince royal, le roi de Hollande put quitter la +France. Il se dirigea sur Amsterdam par Aix-la-Chapelle, tandis que +Hortense prit la route ordinaire. Le retour du roi causa la plus +vive sensation dans tout le pays, surtout lorsqu'on sut que la reine +allait arriver également. On adorait cette princesse et l'on +espérait que la bonne intelligence ne serait plus troublée entre les +deux époux. Hortense arriva en effet avec le prince royal; mais, par +ordre de Louis, toutes les communications entre les appartements +<span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> de cette princesse et les siens furent murées, la +séparation de corps fut rendue ostensible, le roi même sembla +prendre à tâche de prouver son éloignement pour la reine, en sorte +que les courtisans ne savaient plus s'ils avaient tort ou raison, +dans leur intérêt, d'aller rendre leurs hommages à Hortense. Cette +contrainte ne dura pas longtemps, Hortense résolut de quitter la +Hollande, mais son mari ne lui en laissa pas d'abord la possibilité. +Il fit pour elle ce que l'empereur avait fait pour lui, tout +récemment, à Paris. Ce ne fut que quelque temps après, en employant +la ruse, après un court séjour au château de Lao, en laissant son +fils qu'elle adorait, que la reine put s'échapper. On crut que le +roi serait furieux en apprenant son départ ou plutôt sa fuite; il +n'en fut rien. Il se montra très calme, ne parla pas d'Hortense, et +ne quitta plus le jeune prince royal. En vertu du traité du 16 mars +1810 entre la France et la Hollande, traité imposé au roi, signé par +Werhuell, et ratifié conditionnellement par Louis, qui avait ajouté +de sa main: <i>autant que possible</i>, les troupes françaises, vers la +fin d'avril, occupèrent Leyde et La Haye. D'autres troupes furent +dirigées sur la Frise, et le duc de Reggio, commandant en chef, +établit son quartier général à Utrecht. Il était clair qu'on voulait +s'emparer du pays, mais qu'opposer aux volontés de Napoléon? la +raison du plus fort n'est-elle pas toujours la meilleure? Le roi, +indigné des usurpations d'autorité qui se renouvelaient sans cesse, +se plaignit au maréchal. Ce dernier répondait en montrant les ordres +de l'empereur<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a><a href="#footnote64" title="Lien vers la note 64"><span class="smaller">[64]</span></a>.</p> + +<p>Le 29 avril, Napoléon et la nouvelle impératrice se rendirent à +Bruxelles, pour gagner de là les frontières enlevées à la Hollande +et nouvellement annexées à la France. Louis quitta Amsterdam le 4 +mai pour être le 5 à Anvers et les y recevoir. Sa visite faite, il +repartit. Chacun voyait bien que sa couronne chancelait sur sa tête. +Il n'était plus qu'un semblant de roi. Le maréchal exerçait, au nom +de l'empereur, une puissance absolue. Napoléon écrivit à cette +époque (20 mai)<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a><a href="#footnote65" title="Lien vers la note 65"><span class="smaller">[65]</span></a> une lettre tellement forte à son frère, que +l'idée d'abdiquer ou de se défendre dans la capitale de ses états +commença à germer <span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> en son âme. Un événement presque +ridicule précipita la crise devenue imminente. Un cocher de +l'ambassadeur de France eut une dispute suivie d'une rixe dans la +rue près du palais de l'ambassade. M. de la Rochefoucauld jeta feu +et flammes, demanda une réparation ostensible; l'empereur prétendit +qu'on avait insulté son ambassadeur en insultant sa livrée, et +prétexta de là pour écrire au roi une nouvelle et dernière lettre +plus dure encore que la précédente, et qui se trouve également à la +page 276 de l'ouvrage de M. Rocquain.</p> + +<p>Le roi venait à peine de recevoir cette lettre, lorsqu'il apprit à +son pavillon de Haarlem, où il se trouvait alors, que le duc de +Reggio demandait l'occupation de la capitale et l'établissement de +son quartier général à Amsterdam<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a><a href="#footnote66" title="Lien vers la note 66"><span class="smaller">[66]</span></a>. À cette foudroyante nouvelle, +Louis, frémissant d'indignation, résolut de défendre sa capitale +jusqu'à la dernière extrémité. Il comptait sur le peuple et sur +l'armée, mais pour exécuter un semblable projet, il fallait d'abord +inonder le pays, exposer les habitants à toutes les horreurs, et +sans espoir de ne pas succomber un jour. Les ministres, les généraux +furent d'un avis opposé au sien; lui-même, naturellement d'un +caractère doux et bon, lorsqu'il envisagea froidement les +conséquences de sa résolution extrême, sentit son cœur touché de +compassion pour ses peuples. Il crut donc faire mieux en abdiquant +en faveur de ses enfants, sous la régence de la reine, assistée d'un +conseil de régence.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je vais mettre, dit-il, l'empereur au pied du mur, et le forcer de + prouver à la face de l'Europe et de la France le secret de sa + politique envers la Hollande et envers moi, depuis cinq années. Je + mets mon fils à ma place. Si toutes les querelles faites à moi et à + mon gouvernement sont véritables, il reconnaîtra mon fils, qui lui + laissera tous les moyens de faire tout ce qu'il veut relativement au + commerce et à l'Angleterre, puisque, par la constitution du royaume, + à mon défaut, la régence lui appartient de droit.</p> + +<p>Si, au contraire, il profite de mon abdication pour s'emparer de la + Hollande, il sera prouvé incontestablement aux yeux de tous les + Français <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> que toutes les accusations étaient des querelles + d'Allemand, que c'était là où l'on en voulait venir; et du moins ni + le droit de conquête, ni une cession, ni une soumission quelconque, + ne donneront la moindre ombre de légalité à cette usurpation de la + Hollande; je ne craindrai plus que l'on se serve de mon nom pour + s'en emparer avec quelque apparence de droit.</p> +</div> + +<p>Le roi rédigea ensuite de sa main un message au Corps législatif. Ce +message était violent: c'était l'histoire des griefs de la Hollande +contre la France. Il était de nature à exaspérer l'empereur, à nuire +au pays, à la régence de son fils; toutes ces considérations +l'engagèrent à en rédiger un autre. Il écrivit aussi son acte +d'abdication et une proclamation au peuple. Dans son message à +l'Assemblée législative, il laissa deviner qu'il abdiquait parce +qu'il n'avait pu se défendre; dans son acte d'abdication, il eut la +générosité de se laisser envisager comme le seul obstacle au bonheur +de la Hollande; dans sa proclamation au peuple, il annonça l'entrée +des Français à Amsterdam, en recommandant de voir en eux des amis. +Pour éviter qu'on ne cherchât à s'emparer de sa personne, le roi +voulut que tous ces actes, datés de Haarlem le 1<sup>er</sup> juillet 1810, ne +fussent publiés qu'après son départ.</p> + +<p>Il mit ensuite ordre à ses affaires d'intérêt, puis à minuit, après +avoir inondé son fils de ses larmes, il sortit de son pavillon à +pied, par le jardin, pour gagner sa voiture. Il fit une chute dans +le fossé, chute qui faillit l'empêcher de partir. Enfin, ce bon et +malheureux prince quitta la Hollande, regretté de tout le monde. Il +informa l'empereur de sa résolution extrême. Napoléon, sans +précisément regretter l'abdication de son frère, fut péniblement +affecté de son départ, qui n'était nullement dans sa politique. Les +troupes françaises entrèrent à Amsterdam, et le 11 juillet la +Hollande fut réunie à la France.</p> + +<p>Lorsque Louis Bonaparte était monté sur le trône de Hollande, de par +la volonté de Napoléon, le pays avait une population de 2,100,000 +habitants. Après le traité du 16 mars 1810, ayant perdu le Brabant +hollandais, la Zélande, y compris l'île de Schouwen, la Gueldre +située sur la rive gauche de la Meuse, elle avait été réduite à +1,667,000 habitants, et son territoire s'était trouvé diminué de +1322 lieues carrées.</p> + +<p>Voilà quel avait été, en définitif, l'avantage que ce pays avait +retiré du protectorat de la France. On comprend que, dans d'aussi +tristes conditions, le roi Louis ait cru devoir faire le sacrifice +d'une couronne <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> qu'il avait acceptée parce qu'il ne pouvait +faire autrement, et avec l'intention formelle d'être utile à sa +nouvelle patrie.</p> + + +<h3>IV.<br> + +Juillet 1810-1846</h3> + +<p>En apprenant l'abdication et le départ du roi Louis, l'empereur +envoya prendre par un de ses aides de camp (le général de Lauriston) +le jeune prince royal. Il le remit aux mains de sa mère à son +arrivée à Paris, et lui dit:</p> + +<p class="lettre"> + Venez, mon fils, je serai votre père, et vous n'y perdrez rien. La + conduite de votre père afflige mon cœur; sa maladie seule peut + l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la + vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma + politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont + envers moi, vos seconds envers la France. Tous vos devoirs, même + ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent + qu'après.</p> + +<p>Ici se termine la seconde partie de l'histoire du roi Louis de +Hollande. Nous avons exposé longuement les différentes phases de son +règne si court et pourtant si plein de péripéties, nous avons montré +les causes qui rendirent ce règne malheureux pour le roi. Nous +n'avons pas à nous prononcer sur le plus ou moins de loyauté de la +conduite de Napoléon à l'égard de Louis, sur le plus ou moins de +raisons qu'avait Louis pour résister à la grande politique de +Napoléon. D'un côté, si la politique excuse bien des choses, d'un +autre côté, un roi ne comprend pas ses devoirs de la même façon +qu'un simple particulier. Quoi qu'il en soit, le règne du roi Louis +ne fut pas inutile pour la Hollande et stérile pour le pays.</p> + +<p>En quittant la Hollande, le roi Louis fit connaître, par une +circulaire adressée aux diverses cours de l'Europe, les motifs et +les conditions de son abdication. En outre, un conseiller d'état fut +expédié à la reine Hortense, alors à Plombières. On a vu que +Napoléon avait rendu inutiles toutes ces précautions pour assurer la +couronne au prince royal et, à son défaut, au second des enfants de +Louis. Avant de partir, le roi avait vendu la petite terre +d'Ameliswerd, située près d'Utrecht, et avait laissé ses revenus du +mois de juin à son fils, n'emportant que dix mille florins en or et +ses décorations en brillants. Il <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> se dirigea sur Tœplitz +où il arriva le 9 juillet, prenant des précautions pour n'être pas +arrêté en route par ordre de l'empereur. Il avait choisi le titre de +comte de Saint-Leu, voulant retourner plus tard en France, dans la +terre de ce nom, si on reconnaissait son fils; mais lorsqu'il eut +appris ce qu'avait fait Napoléon, le doute n'étant plus permis, il +se décida à habiter un pays neutre. Il hésita entre l'Amérique, la +Suisse ou l'Autriche. Jusqu'à ce qu'il pût vivre à Rome, dont le +climat était nécessaire à sa santé, il choisit les états +autrichiens. Il écrivit donc à l'empereur François II, déclarant +qu'il désirait rester indépendant de Napoléon, mais non son ennemi.</p> + +<p>Il traversa Dresde et se rendit ensuite aux eaux de Tœplitz. Le +11 juillet 1810, il écrivit de cette dernière ville à M. de +Bourgoing, ambassadeur de France:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur de Bourgoin, je suis passé avant-hier à Dresde; mais, comme + je désire vivement rester inconnu, je ne vous ai point fait avertir. + Je suis aux bains de Tœplitz, où je compte rester, s'il m'est + possible, toute cette saison; je n'ai pas voulu que l'ambassadeur de + l'empereur fût instruit par d'autres que par moi de mon arrivée dans + ce pays, du but de mon voyage et de mon projet. Vous serez peut-être + instruit, à l'heure qu'il est, que j'ai abdiqué en faveur de mon + fils aîné. Je ne devais pas faire autrement, les choses étant venues + au point qu'il m'aurait fallu me déshonorer, et ravaler entièrement + l'autorité royale en mettant ma capitale sous les ordres d'un + officier, ainsi que tout le pays, simulacre inutile et peut-être + plus. Je ne pouvais souffrir cette dernière humiliation, surtout + après avoir mis toute la résignation possible en acceptant le traité + commandé par mon frère, sans écouter aucun sentiment d'orgueil, + d'amour propre ou d'intérêts personnels. La politique de mon frère + ou de la France commandant l'anéantissement de mon gouvernement, + ainsi qu'il était impossible de me le celer, j'ai dû, ou sacrifier + mon rang et descendre du trône, ou résister, c'est-à-dire succomber + en défendant la juste cause d'un pays malheureux et injustement + maltraité; mais si j'avais pu oublier que la Hollande serait devenue + le théâtre de toutes les horreurs de la guerre, seul fléau que j'ai + pu parvenir à écarter de son sol durant mon règne, je ne pouvais + oublier que c'est à cette terrible extrémité que les ennemis de la + Hollande et les miens, et ceux de l'empereur, auraient voulu réduire + le pays; mais j'ai tout fait pour éviter un si grand malheur, et mon + frère, s'il est bien informé, doit être bien convaincu que, seul, + j'ai empêché l'explosion du mécontentement et du désespoir même d'un + peuple maltraité et vexé chaque jour davantage d'une manière aussi + peu politique qu'elle était injuste et contraire, non seulement au + droit des gens et <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> aux égards qu'on doit à un pays + paisible, mais encore entièrement contraire aux stipulations + précises du traité du 16 mars de cette année. Si j'avais pu me + dissimuler que, loin d'être sauvé par la résistance, mon royaume + aurait été ruiné de fond en comble, comment aurais-je pu oublier que + j'étais né Français, que mes enfants le sont comme moi, que je suis + connétable et prince français, et qu'enfin, malgré tant de peine et + de calomnies, j'étais parvenu à concilier à la France les habitants + malheureux et ruinés de la Hollande, gémissant sous le poids des + barrières du commerce et de la navigation? Je ne pouvais pas faire + perdre à la Hollande le fruit de tant de sollicitudes, et j'ai été + persuadé comme je le suis, et le serai toujours, que je n'avais pas + d'autre parti à prendre que celui de l'abdication. Par là, la + régence qui gouvernera au nom de mon fils fera entièrement la + volonté de S. M. l'empereur et de ses ministres, ce que je ne + pouvais faire qu'autant que j'étais convaincu que cela n'était pas + contraire à mon devoir. Si mon fils était majeur, j'eusse renoncé + pour lui aussi; mais comme il ne l'est pas, j'espère qu'avant sa + majorité la paix maritime sera arrivée et le pillage des douaniers + et des corsaires fini. D'ici là, mon frère s'apercevra qu'il m'a + accusé injustement, que je ne lui ai rien dit que de vrai sur la + Hollande, et mon fils sera plus heureux et plus tranquille que son + pauvre père. D'après ce petit exposé, vous voyez que je ne pouvais + rester en Hollande, ne régnant plus. Forcé à un parti qui m'a + profondément affligé, j'ai dû songer à obtenir une retraite entière + où je sois inconnu, et c'est ce qui m'a fait choisir ce lieu jusqu'à + la fin de la belle saison.</p> + +<p>J'ai rendu compte à mon frère de mon abdication; j'ai tout lieu de + penser qu'il l'approuvera, puisque j'ai assuré plusieurs fois, par + écrit, verbalement et par des actes officiels faits au général + français en Hollande, écrit à la légation française à Amsterdam, et + à celle de Hollande à Paris, que si l'on ordonnait toujours un + traité si dur par lui-même, comme on a commencé d'abord à le faire, + surtout si l'on faisait occuper la capitale par les troupes + françaises, je regarderais cela comme la dissolution de mon + gouvernement, et que, quand même je pourrais être assez aveugle pour + ne pas le sentir davantage, cela arriverait de fait, le commandant + des troupes françaises, des miennes, comme celui de ma capitale + n'étant plus sous mes ordres. Je vous prie, M. de Bourgoing, de + vouloir rendre compte à S. M. l'empereur de mon arrivée ici, de mon + vif désir de rester dans les environs pour y soigner tranquillement + ma santé, et que je le prie de me permettre ensuite de résider tout + à fait dans les environs de Dresde, d'où je pourrais venir aux eaux + chaque année et m'y préparer durant l'hiver par le régime et la + retraite. Cela n'est sujet à aucun inconvénient. J'ai pris le nom de + Saint-Leu; je suis fermement résolu à passer le reste de ma vie dans + la plus profonde <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> retraite, quelque chagrin que je puisse + en éprouver. Je vous prie surtout de plaider ma cause: le plus grand + malheur de ma position, c'est de ne pouvoir pas rentrer en France, + où je devrais paraître dans mon rang et avec des fonctions + quelconques, ce qui est impossible et le sera toujours; je n'ai + qu'un vœu, rester simple particulier le reste de ma vie. J'ai + choisi Dresde sous le rapport de la salubrité de l'air et des eaux; + cependant, si l'empereur voulait que je sois ailleurs, je m'y + rendrai avec soumission. Je vous prie de ne me connaître et de ne me + parler, si je vous vois, que sous le nom de M. de Saint-Leu; vous me + feriez beaucoup de peine en faisant autrement.</p> + +<p>Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de ma considération.</p> +</div> + +<p>M. de Bourgoing se hâta de transmettre au duc de Cadore la lettre du +roi. Le ministre des relations extérieures de France lui écrivit le +27 juillet:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Votre lettre n<sup>o</sup> 319, à laquelle vous aviez joint votre réponse au + roi de Hollande, m'est parvenue promptement. Elle m'a été remise par + M. de Langenau. J'ai attendu ensuite avec une impatience que + l'empereur a partagée, la lettre précédente qui devait renfermer les + premières nouvelles du roi de Hollande dont nous ignorions encore la + retraite. Elle n'est arrivée que trois jours après. Vous n'aviez + envoyé votre courrier qu'à Francfort. Là, la lettre a été mise à la + poste, je ne sais par qui, et elle n'est arrivée au ministère que + deux jours après les lettres que j'ai présumé être parties de + Francfort à la même époque. Le prince d'Eckmul a été instruit par le + général Compans de l'arrivée de votre courrier à Francfort et des + nouvelles qu'il apportait deux jours avant celui où j'ai reçu votre + lettre.</p> + +<p>Je n'entre dans ce détail, Monsieur, que pour vous faire sentir la + nécessité d'envoyer directement vos courriers à Paris, surtout + lorsqu'ils doivent annoncer des événements importants dont je vous + suppose jaloux de donner les premières nouvelles. C'est par M. de + Langenau que l'on a appris à Paris que le roi de Hollande était à + Tœplitz; jusque-là nous ignorions où il était.</p> + +<p>Vous vous êtes renfermé en lui répondant dans les bornes + convenables. Vous ferez bien, si l'occasion s'en présente à vous + d'une manière naturelle, de représenter à ce prince que sa place + n'est pas en pays étranger, que sa dignité, les titres auxquels il + n'a pas renoncé et sa qualité de Français et de prince français le + rappellent en France, que son retour lui est prescrit par ses + devoirs envers l'empereur, chef de sa famille et son souverain, + envers sa famille et son pays. Vous lui direz les choses comme de + vous-même et avec toutes les formes de respect propres à faire + excuser la liberté que vous oserez prendre. Vous pourrez même lui + dire:—Je ne sais ce que l'empereur a pu écrire à Votre Majesté, + <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> mais si mon respect et mon dévouement pour l'empereur, que + j'ai l'honneur de servir, et mon attachement à votre personne + pouvaient m'autoriser à m'expliquer avec franchise, j'oserais dire à + V. M., etc., etc. Je vous invite d'ailleurs à transmettre avec + exactitude les détails qui vous parviendront sur le séjour du roi à + Tœplitz et à prendre des mesures pour en bien connaître toutes + les circonstances. L'empereur prend trop d'intérêt au sort de son + frère, quels que puissent être ses torts envers lui, pour ne pas + désirer d'être fidèlement instruit de tout ce qui le concerne, et si + vous parveniez à déterminer le roi à rentrer en France, l'empereur + vous saurait gré de cette preuve de votre zèle à le servir.</p> +</div> + +<p>En vain, notre ministre à Dresde fit auprès de Louis toutes les +démarches pour l'engager à se rendre en France, le roi de Hollande +refusa, et M. de Bourgoing ayant fait connaître ces refus réitérés, +M. de Cadore lui écrivit:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">De Paris, le 30 août 1810.</p> + +<p>Monsieur, j'ai reçu votre lettre du 18 août dans laquelle vous me + rendez compte des efforts que vous avez faits pour vous rapprocher + du roi de Hollande et lui faire la communication que je vous avais + indiquée dans ma lettre du 27 juillet. Cette lettre, Monsieur, ne + vous prescrivait pas de n'entretenir le prince que verbalement; elle + ne vous défendait pas de vous adresser à lui par écrit. Vous y avez + trouvé cette expression: «<i>dire ces choses comme de vous-même</i>,» + etc. Mais le mot <i>dire</i>, dans un sens figuré, s'applique aussi à ce + que l'on écrit. On dit par écrit comme verbalement. Ce que je vous + recommandais surtout était de chercher une occasion naturelle de + faire ces représentations. Un rendez-vous aux frontières, que vous + aviez sollicité du roi, n'était pas une occasion naturelle; on en + aurait beaucoup parlé. L'occasion naturelle était une réponse que + vous auriez pu faire à une lettre du roi. Il est fort heureux que le + roi ait refusé l'entrevue que vous lui avez fait demander. Il n'est + pas probable que vous puissiez trouver maintenant une occasion très + naturelle de donner au prince les conseils indiqués dans ma lettre, + et l'empereur désire que vous ne preniez plus aucune part à cette + affaire. S. M. veut que, si vous êtes consulté encore par le comte + de Saint-Leu, vous vous absteniez de lui répondre, que vous lui + laissiez faire ce qu'il désire et que vous ne vous mettiez plus en + peine de ce qui le regarde, ce qui ne doit pas empêcher de faire + connaître ce que vous apprendrez de lui.</p> +</div> + +<p>Louis était tellement las des grandeurs et excédé de tout ce qu'il +avait souffert sur le trône, qu'il souhaitait avant toute chose le +repos; aussi le 20 juillet écrivit-il à son oncle, le cardinal +Fesch, la curieuse lettre suivante:</p> + +<p class="lettre"><span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> Mon cher oncle, je suis aux eaux de Tœplitz depuis dix + jours; j'en éprouve beaucoup de bien. J'ai écrit à maman et à + Pauline, mais je suis si loin que je crains, avec raison, que mes + lettres ne leur parviennent pas. Vous êtes à présent peut-être le + seul de la famille auprès de l'empereur. Dites-moi, je vous prie, si + vous croyez qu'il me permette enfin de vivre tranquille et obscur. + C'est là tout mon désir. Après les malheurs que j'ai éprouvés, je ne + puis plus rien être, et si l'empereur le veut, je vous prierai de me + vendre vos biens en Corse et j'irai m'y établir; mais comme je suis + résigné à tout plutôt qu'à être quelque chose, après n'avoir pu + rester sur le trône de Hollande, je crains qu'il n'y consente pas. + Si je pouvais obtenir de m'y retirer avec le plus jeune de mes + enfants, je me trouverais bien heureux, puisque je serais à jamais + tranquille. Veuillez, mon cher oncle, vous en informer directement + chez mon frère et me dire sa réponse et votre opinion. J'attends + votre réponse avec impatience.</p> + +<p>Ce malheureux prince commençait en effet à goûter un repos +salutaire, après tant de péripéties. Lorsqu'il apprit la réunion de +la Hollande à la France, désespéré de voir les droits de ses enfants +méconnus, il ne put qu'adresser à toutes les cours une protestation +dans laquelle il établissait qu'ayant accepté le trône sans +conditions, ayant exécuté toutes ses conventions avec la France, +n'ayant abdiqué qu'à la dernière extrémité, après avoir été +contraint par la force à signer le traité du 16 mars 1810, Napoléon, +son frère, n'avait pas le droit de réunir la Hollande à l'empire et +de frustrer de la couronne le prince son fils.</p> + +<p>Le roi ne tarda pas à éprouver quelques chagrins d'une autre nature +et qui, pour être d'un ordre moins élevé que les chagrins de la +politique, n'en jetèrent pas moins dans son cœur une affliction +réelle et un profond dégoût de la nature humaine. Il ne s'était fait +accompagner dans son exil volontaire que par deux hommes, le général +Travers et le contre-amiral Bloys, qui lui devaient tout et qu'il +avait choisis parmi une foule de personnes loyales et sûres; ces +deux hommes le quittèrent au bout de quelque temps, le laissant +seul, sans famille, presque sans relation d'aucune espèce, sur une +terre étrangère. Tout à coup il vit paraître près de lui le +chevalier (plus tard duc) Decazes, son ancien secrétaire de cabinet, +jadis secrétaire des commandements de Madame mère, alors conseiller +à la cour de justice de Paris. M. Decazes venait l'engager à rentrer +en France. Louis fut inébranlable dans sa résolution de ne pas +revenir dans sa patrie, et comme les climats tempérés lui étaient +favorables, il quitta <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> Tœplitz pour se rendre à Gratz en +Styrie, partie la plus méridionale des états autrichiens. Il eût +préféré Rome ou Naples, mais Rome n'était plus indépendante, et +Naples était sous l'influence de Napoléon. M. Decazes l'accompagna à +Gratz, renouvelant sans succès les tentatives qu'on l'avait chargé +de faire pour persuader au prince de rentrer en France.</p> + +<p>Pendant ce court voyage, il fut rejoint par M. Lablanche, secrétaire +de l'ambassadeur français à Vienne, qui lui apportait une sommation +de se rendre à Paris.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, disait M. Otto<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a><a href="#footnote67" title="Lien vers la note 67"><span class="smaller">[67]</span></a> dans cette lettre du 12 octobre, l'empereur + m'ordonne d'écrire à Votre Majesté dans les termes suivants: Le + devoir de tout prince français et de tout membre de la famille + impériale est de résider en France, et il ne peut s'absenter qu'avec + la permission de l'empereur. Après la réunion de la Hollande à + l'empire, l'empereur a toléré que le roi résidât à Tœplitz, sa + santé paraissait lui rendre les eaux nécessaires; mais aujourd'hui + l'empereur entend que le prince Louis, comme prince français et + grand dignitaire de l'empire, y soit rendu au plus tard au 1<sup>er</sup> + décembre prochain, sous peine d'être considéré comme désobéissant + aux constitutions de l'empire et au chef de sa famille, et traité + comme tel.</p> + +<p>Je remplis, Sire, mot pour mot, la mission qui m'est confiée, et + j'envoie le premier secrétaire d'ambassade pour être assuré que + cette lettre aura été remise exactement.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté d'agréer l'hommage de mon profond respect.</p> +</div> + +<p>Louis resta sourd à cette sommation, comme il était resté sourd aux +prières; il espérait être enfin délivré de cette persécution d'un +nouveau genre, il n'en était rien. Son ancien secrétaire, M. +Decazes, lui fut envoyé de nouveau et ne réussit pas mieux qu'à son +premier voyage. Il y avait à peine deux mois que l'ex-roi de +Hollande habitait Gratz, lorsqu'il connut tout à coup, par le +<i>Moniteur</i> du 15 décembre, le sénatus-consulte du 10 du même +mois<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a><a href="#footnote68" title="Lien vers la note 68"><span class="smaller">[68]</span></a>. Indigné, il envoya le 30 au sénat la protestation +suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sénateurs, le <i>Moniteur</i> du 15 arrive; j'étais loin de m'attendre au + coup mortel, à l'atteinte ineffaçable que me porterait le + sénatus-consulte du 10 décembre.</p> + +<p>Je dois au nom de l'empereur, qui est aussi le mien, à mes enfants + <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> et au peuple à qui j'appartiens depuis le 5 juin 1806, de + déclarer publiquement, comme je déclare en ce moment:</p> + +<p>Que, lié à jamais, ainsi que mes enfants, au sort de la Hollande, je + refuse pour moi, comme pour eux, l'apanage dont il est fait mention + dans ledit sénatus-consulte. J'ordonne, par le présent acte que je + porte à sa connaissance, à la reine, de refuser pour elle, comme + pour ses enfants, la moindre partie d'un tel don, et de se contenter + de ses propriétés particulières jointes aux miennes.</p> + +<p>J'ordonne, par le présent acte, au sieur Tivent, intendant général + de la couronne, à qui j'ai confié l'administration de ces + propriétés, comme chargé de mes affaires particulières, de mettre la + reine en possession de tout ce qui m'appartient individuellement, + consistant dans toutes les acquisitions qui, depuis le 5 juin 1806, + n'ont pas été réunies au domaine de la couronne par l'acte d'achat.</p> + +<p>Je déclare, en outre, que je désavoue toutes les accusations, + lettres et écrits quelconques, lesquels tendraient à faire croire + que j'ai trahi mon pays, mon peuple, moi-même, ou manqué à ce que je + devais et aimerai toujours à devoir à la France, ma première patrie, + que j'ai servie, depuis mon enfance, de cœur et d'âme. Placé sur + le trône de la Hollande, <i>malgré moi</i>, mais lié à ses destinées par + mes affections, mes serments et les devoirs les plus sacrés, je ne + veux et ne peux vouloir que rester Hollandais toute ma vie. En + conséquence, je déclare le don dudit apanage nul et de nul effet + pour moi, comme pour mes enfants, et pour leur mère, annulant + d'avance tout consentement ou acceptation donnés, soit directement, + soit indirectement.</p> + +<p>En foi de quoi j'ai rédigé le présent acte écrit et signé de ma + main. Je prie le Sénat de le recevoir et de faire agréer mon refus à + l'empereur.</p> +</div> + +<p>Le même jour, il écrivit à la reine:</p> + +<p class="lettre">Ma douleur et mon malheur seraient à son comble si je pouvais + accepter l'apanage honteux que me destine, ainsi qu'à mes enfants, + le sénatus-consulte que je vois dans le <i>Moniteur</i> du 15 de ce mois. + Je vous ordonne de refuser jusqu'à la moindre partie de ce don vil + et douloureux. J'annule d'avance toutes les acceptations ou + consentements que vous pourriez donner, soit pour vous, soit pour + mes enfants. Toutes mes propriétés particulières sont à votre usage + et à celui de mes enfants. Je vous autorise, par l'écrit ci-joint, à + vous en mettre en possession; cela, joint à vos propres biens, vous + suffira pour vivre en simple particulière. Reine, épouse, mère, sous + tous les rapports, tout autre don vous offenserait, et je vous + désavouerais en tout temps comme en tout lieu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles le roi goûta +enfin quelque tranquillité; il en profita pour se livrer à son goût +dominant, l'étude des arts et de la littérature.</p> + +<p>La campagne de Russie amena le désastre des armées françaises dans +le Nord, comme l'injuste guerre d'Espagne avait amené les désastres +de l'armée française dans le Midi. La fortune se lassait de suivre +Napoléon. Profondément affligé des malheurs de sa patrie, Louis, +resté toujours bon Français, écrivit le 1<sup>er</sup> janvier 1813 à +l'empereur la lettre ci-dessous:</p> + +<p class="lettre">Sire, profondément affligé des souffrances et des pertes de la + Grande-Armée, après des succès qui ont porté les armes françaises + jusqu'au pôle; pouvant aisément juger combien vous êtes pressé, + combien il est urgent de réunir tous les moyens de défense + possibles, au moment enfin où une lutte terrible va continuer et se + prépare encore plus furieuse; convaincu qu'il n'y eut jamais pour la + France, pour votre nom, pour vous, de moment plus critique, je + croirais manquer à tous mes devoirs à la fois, si je ne cédais à la + vive impulsion de mon cœur. Je viens donc, Sire, offrir au pays + dans lequel je suis né, à vous, à mon nom, le peu de santé qui me + reste et tous les services dont je suis capable, pour peu que je + puisse le faire avec honneur. Je suis, de Votre Majesté, le + respectueux et tout dévoué frère.</p> + +<p>Cette lettre fut envoyée par l'ambassadeur de France à Vienne et +placée dans une autre lettre écrite à Madame mère. L'empereur y +répondit, le 16 janvier 1813, qu'il voyait avec plaisir les +sentiments qui animaient Louis, mais qu'il lui avait fait connaître +déjà que ses devoirs envers l'empereur, sa patrie et ses enfants, +exigeaient son retour en France; qu'il le recevrait comme un père +reçoit son fils, qu'il avait des idées fausses sur la situation des +affaires, que lui, Napoléon, avait un million d'hommes sur pied, +deux cents millions dans ses caisses, que la Hollande était +française à jamais, etc. Cette lettre, d'un style plus modéré que +les précédentes, contenait cependant encore quelques expressions +personnelles blessantes pour le roi. C'était, du reste, la première +que Louis recevait de Napoléon depuis celle de mai 1810, finissant +par ces mots: «c'est la dernière lettre de ma vie que je vous +écris». Le roi, dont les propositions n'avaient pas été acceptées, +fit un voyage au mois de juin 1813 aux bains de Neuhans, près de +Gratz, pour sa santé. Il en revint au mois de juillet, et le 8 il se +décida à faire des démarches auprès du congrès dont on annonçait +l'ouverture à Prague, sous la médiation de l'Autriche. Des <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> +protestations, des notes envoyées à tous les souverains, n'eurent +aucun résultat. Voyant la guerre prête à éclater entre l'Autriche et +la France, Louis ne voulut pas rester plus longtemps dans les états +de l'empereur François II, malgré les bienveillantes instances de ce +souverain pour l'y retenir. Il crut donc devoir se rapprocher de sa +patrie, et le 10 août il partit pour la Suisse<a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a><a href="#footnote69" title="Lien vers la note 69"><span class="smaller">[69]</span></a>.</p> + +<p>En arrivant à Ischl, il écrivit à Napoléon:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Sire,</p> + +<p>Les approches de la guerre avec la France m'avaient fait songer, + depuis plusieurs mois, à quitter ce pays; voulant être sûr de ne + point me trouver enfermé dans un pays ennemi, je suis parti le 10 + août. Je vous écris des frontières de la Bavière.</p> + +<p>Le duc d'Otrante, que j'ai vu à son passage par Leybach, m'a + beaucoup parlé; je lui ai caché mon dessein, parce que je voulais + que vous l'apprissiez par moi seul.</p> + +<p>Sire, j'avais le projet de me rendre dans une retraite sûre et + définitive dont j'ai plus besoin que jamais. La Bosnie m'était + ouverte; comme un pays tranquille, amie naturelle de la France, elle + me convenait sous tous les rapports, même sous celui du climat; + mais, Sire, quand j'étais au moment de partir, j'ai appris les + malheurs d'Espagne, j'ai appris que les ennemis étaient de ce côté + sur les frontières, j'ai vu que la guerre était imminente, que vous + alliez avoir un million d'hommes armés contre vous... Je ne me suis + pas cru le maître de me soustraire à la crise imminente et terrible + qui se prépare. Je suis peu de chose, mais ce que je suis je le dois + à la Hollande, et après à la France et à vous. Je vais donc en + Suisse pour pouvoir en être appelé par vous, quand vous croirez + pouvoir le faire sans m'ôter l'espoir de <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> rentrer en + Hollande à la paix générale, ni d'une manière contraire au serment + que je lui ai prêté, car, comme il est cependant impossible que vous + ayez voulu faire de moi et de mes enfants des êtres provisoires, il + est impossible que Votre Majesté ne veuille pas leur rétablissement + et le rétablissement de la Hollande, quand toutes les affaires + relatives au commerce et à la navigation seront terminées. Enfin, + Sire, si je puis jamais être utile et à la France et à V. M., elle + saura mieux que moi la manière dont cela convient à celui de ses + frères qui est devenu roi de Hollande... Si cela n'est jamais le + cas, je serai dans un pays qui, du moins, ne cessera jamais d'être + ami de la France; quand je suis venu en Autriche, j'étais persuadé + que le pays de l'impératrice de France ne serait de longtemps en + guerre avec elle, et à coup sûr de mon vivant.</p> + +<p>Je vous prie de faire attention, Sire, que je viens à vous pour + souffrir; que je le désire plus vivement à mesure que le péril + augmente; que, dans la malheureuse position où m'ont placé les + événements, j'ai dû ne plus partager la prospérité de ma maison, + mais non me soustraire à ses dangers. Puissent, Sire, ceux qui la + menacent, n'être pas aussi réels que je le crains! Mais les + armements sont immenses, et dans un tout autre ordre et esprit que + précédemment. Tout le monde gémit et réclame la guerre contre la + France. Sire, je fais mon devoir, et envers la Hollande, et envers + la France, et envers vous, en me rapprochant de tous trois, en me + mettant plus à votre portée. Jamais je n'aurai à me reprocher de les + avoir privés par ma faute de mes faibles efforts, quels qu'ils + puissent être, et cette conviction me consolera, quelque chose qui + arrive.</p> +</div> + +<p>Cette lettre resta sans réponse. Louis fit quelques courses pour +visiter la Suisse, puis il attendit à Saint-Gall les suites des +événements qui grossissaient de toutes parts. Après la malheureuse +bataille de Leipsick, Murat, ayant quitté l'armée française pour +revenir à Naples, passa par la Suisse; il vit le roi son beau-frère +et lui conseilla de rentrer en Hollande par le secours des +alliés<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a><a href="#footnote70" title="Lien vers la note 70"><span class="smaller">[70]</span></a>. Louis répondit qu'il ne le ferait pas, attendu qu'on +n'admettrait jamais la neutralité de la Hollande et qu'il ne +voudrait, pour aucun trône du monde, faire la guerre à son pays. +Toutefois, voulant profiter des circonstances pour une nouvelle +tentative faite bien moins dans son intérêt que dans celui de ses +enfants, il envoya un des officiers de son ancienne garde attendre +Napoléon à son passage à Mayence, avec mission de lui remettre une +lettre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> Louis demandait qu'on le laissât retourner en Hollande et +qu'on lui permit de traverser la France pour se rendre à Amsterdam. +Persuadé qu'au point où en étaient les affaires, l'empereur serait +ravi de lui céder de nouveau un pays qui allait tomber aux mains des +alliés, et qu'il croyait être seul à même de sauver et de soustraire +à la coalition, l'ex-roi de Hollande vint jusqu'à Pont-sur-Seine, +après avoir écrit à l'impératrice régente et au prince Cambacérès; +mais, à son grand étonnement, il apprit qu'on refusait de le +recevoir à Paris. Il rentra donc en Suisse, et là fut rejoint par +l'officier envoyé à Napoléon. Cet officier, et bientôt après les +lettres de Berthier et du duc de Vicence, lui firent connaître la +réponse de l'empereur.</p> + +<p>«J'aime mieux que la Hollande retourne sous le pouvoir de la maison +d'Orange, avait dit Napoléon, que sous celui de mon frère.»</p> + +<p>Malgré tous les échecs, malgré tous les déboires, Louis crut encore +devoir faire une tentative en octobre 1813, lorsqu'il connut les +événements qui venaient d'avoir lieu en Hollande, l'insurrection de +ce pays contre la France, son abandon par les troupes de l'empereur +et l'établissement d'une espèce de gouvernement provisoire exercé +par les magistrats d'Amsterdam. En conséquence, il adressa, le 29 +novembre, de Soleure, à ce gouvernement provisoire, une longue +lettre dans laquelle, passant en revue toutes les phases de son +règne, il relatait ses droits et ceux de ses enfants. Il n'avait ni +désiré, ni recherché la couronne, il ne s'était décidé à l'accepter +que sur l'instance de la députation batave, et dans l'espoir +d'assurer à son pays d'adoption la protection puissante de la +France; il avait fait tout ce qui était humainement possible pour +maintenir l'intégrité du territoire, l'indépendance de la nation; il +avait cherché à faire jouir les peuples des bienfaits de lois +équitables, il n'avait abdiqué qu'en faveur de son fils, tout +récemment il avait voulu se rendre à Amsterdam pour mettre la nation +hollandaise à même de se prononcer librement pour lui ou pour la +maison d'Orange.</p> + +<p>Louis commençait ce long, intéressant et véridique plaidoyer en +disant que les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouvait +la Hollande l'obligeaient à sortir de sa retraite, que ces +circonstances devaient ou compléter les obligations qui +l'attachaient au pays depuis huit ans, ou l'en dégager entièrement. +Il terminait en promettant d'achever ce qui n'avait été qu'esquissé +par l'acte d'union d'Utrecht, en assurant une constitution plus +étendue, et en affirmant qu'il ferait tous ses efforts pour +maintenir l'état de paix et de neutralité. <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> Quelques +personnes lui proposèrent de se rendre en Hollande pour y décider le +peuple en sa faveur, il refusa. «Je ne puis y rentrer, répondit-il, +que rappelé par la nation; il ne convient ni à mon caractère ni au +bien de la Hollande que j'y rentre par la guerre ou par les +troubles! Je dois me borner à faire savoir aux Hollandais que mon +dévouement au pays est toujours le même, le reste les regarde.»</p> + +<p>Sa démarche auprès des magistrats d'Amsterdam n'obtint aucun succès, +la maison d'Orange fut rétablie sur le trône. Dès lors, Louis se +considéra comme entièrement dégagé de toute obligation envers la +nation hollandaise, et il résolut de rentrer chez lui, à Saint-Leu, +espérant qu'on l'y laisserait jouir de la tranquillité qui semblait +le fuir en tous lieux. Le prince de Talleyrand lui ayant fait +connaître l'entrée des alliés en Suisse, l'ex-roi de Hollande hâta +son départ, et le 22 décembre 1813, après avoir fait une déclaration +conforme à sa lettre du 29 novembre, il se rendit à Lyon et de là à +Paris, où il arriva le 1<sup>er</sup> janvier 1814. Il descendit chez Madame +mère, mais il ne put voir l'empereur. On lui insinua même l'ordre de +s'éloigner à quarante lieues de la capitale de la France. Il refusa +d'obéir, «personne, dit-il, n'ayant le droit de m'empêcher de +demeurer chez moi.» Enfin le 10 janvier, il put être admis auprès de +l'empereur, grâce à la médiation de l'impératrice. L'entrevue fut +froide, les deux frères ne s'embrassèrent pas. Louis pria Napoléon +d'écarter toujours, dans leurs conversations, ce qui pouvait +concerner la Hollande. Quelques jours auparavant, le roi avait reçu +de l'empereur la lettre autographe ci-dessous:</p> + +<p class="lettre">Mon frère, j'ai reçu vos deux lettres et j'ai appris avec peine que + vous soyez arrivé à Paris sans ma permission. Vous n'êtes plus roi + de Hollande depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à + la France. Vous ne devez plus y songer. Le territoire de l'empire + est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous + venir comme prince français, comme connétable de l'empire, vous + ranger auprès du trône? Je vous recevrai, vous serez mon sujet; en + cette qualité, vous y jouirez de mon amitié et ferez ce que vous + pourrez pour le bien des affaires. Il faut alors que vous ayez pour + moi, pour le roi de Rome, pour l'impératrice, ce que vous devez + avoir. Si, au contraire, vous persistez dans vos idées de roi et de + Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris... Je ne veux + pas de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi + une lettre que je puisse faire imprimer.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> Le roi désirait ardemment être employé, être utile à la +France dans ce moment de crise, sans recevoir ni rang, ni apanage, +ni titres, lesquels eussent été en opposition avec sa déclaration de +Lausanne, lesquels l'eussent empêché de s'éloigner de France dans le +cas où la victoire eût rendu la Hollande à celle-ci, et qui, dans ce +cas, eussent été un assentiment tacite à la réunion, mais il éprouva +avec une cruelle amertume combien, dans l'exil et le climat froid de +la Styrie, trois années d'isolement et de chagrin avaient délabré sa +santé. Il essaya vainement de se tenir à cheval, il ne pouvait même +rester debout quelque temps.</p> + +<p>Il vit une seconde fois son frère, la veille du départ de Napoléon +pour l'armée, le 23 janvier 1814. L'empereur semblait décidé à faire +la paix après la première victoire, mais il se laissa entraîner +ensuite dans un système opposé. Louis, d'accord avec Joseph, lui +adressa presque journellement des lettres dans lesquelles il le +suppliait de traiter le plus vite possible avec les alliés. Le 16 +mars, il lui écrivit: «Si Votre Majesté ne signe pas la paix, +qu'elle soit bien convaincue que son gouvernement n'a guère plus de +trois semaines d'existence. Il ne faut que du sang-froid et un peu +de bon sens pour juger l'état des choses en ce moment<a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a><a href="#footnote71" title="Lien vers la note 71"><span class="smaller">[71]</span></a>.»</p> + +<p>Ces mots étaient prophétiques.</p> + +<p>Louis demeura à Paris les mois de janvier, février et mars, jusqu'au +30 de ce dernier mois, qu'il suivit l'impératrice à Blois. Il +insista pour que celle-ci n'abandonnât pas la capitale malgré +l'entrée des alliés, mais elle ne l'osa pas.</p> + +<p>L'empereur, dans ses instructions, déclarait traîtres tous ceux qui +resteraient à Paris dans le cas où cette ville serait occupée par +l'ennemi, et même tous ceux qui conseilleraient à l'impératrice de +le faire..... Louis arriva à Blois avec Marie-Louise, qu'il avait +rejointe à Rambouillet, étant parti après elle. Il séjourna à Blois +jusqu'au 9 avril, époque à laquelle le retour des Bourbons fut +connu. Des officiers de l'armée alliée étant venus chercher +l'impératrice, l'ex-roi de Hollande prit congé d'elle et revint en +Suisse. Il parvint le 15 avril à Lausanne. On lui avait fait dire +avant son départ de Blois qu'il pouvait habiter la France; il pensa +que son devoir s'y opposait, et qu'il devait partager la mauvaise +fortune de sa famille. Peu de temps après <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> la rentrée de +Louis à Lausanne, le gouvernement des Bourbons érigea la terre de +Saint-Leu en duché, sans même l'en prévenir. À cette nouvelle et à +celle du traité de Fontainebleau, le prince fit une protestation, +déclarant qu'il renonçait à tous les avantages qui lui étaient faits +par la convention du 11 avril, qu'il y renonçait également pour ses +enfants; que, simple particulier depuis son abdication, vivant comme +tel, étranger à toute autre position, ayant refusé toutes les +offres, ayant rejeté l'apanage qu'on lui voulait donner par le +sénatus-consulte du 10 décembre 1810, il n'entendait conserver +d'autres dépendances à sa propriété de Saint-Leu que celles qui y +étaient en 1809, et qui, seules, lui appartenaient. Louis resta en +Suisse jusqu'au mois de septembre, prolongeant son séjour dans ce +pays, par l'espoir d'obtenir de sa mère qu'on lui remît son fils +aîné. Toutes ses démarches ayant été inutiles, il se retira à Rome, +où le Saint-Père le reçut avec joie. Le chef de l'église n'avait +point oublié la conduite du roi Louis à son égard, les offres de +service qu'il lui avait faites, les témoignages d'affection et de +fidélité qu'il lui avait fait donner par le prélat Ciamberlani, +supérieur des missions en Hollande, et cela dès le commencement des +différends du pontife avec l'empereur Napoléon. Le prince arriva à +Rome le 24 septembre 1814, et il s'empressa de réclamer hautement +l'aîné de ses fils. Il recourut même aux tribunaux qui, le 7 mars +1815, lui donnèrent gain de cause; mais le 20 du même mois, Napoléon +était remonté sur le trône, tous les statuts de famille furent remis +en vigueur, en sorte que ce qui concernait les Bonaparte dépendit +encore uniquement de la volonté de l'empereur qui s'opposa au désir +de son frère. Enfin, après la seconde abdication, le malheureux roi +Louis obtint de la reine Hortense son fils aîné qui, dès lors, +demeura avec lui. Pendant les cent-jours, Louis, dont la santé était +gravement altérée, qui avait un impérieux besoin de repos, de +tranquillité et de soins, qui n'avait plus de devoirs à remplir, +résista aux pressantes sollicitations de se rendre auprès de sa +sœur à Naples, ou bien à Paris. Il pensait d'ailleurs que le +premier devoir social, que le caractère distinctif des gens de bien, +la maxime la plus essentielle à la conservation, à l'ordre et au +repos de la société, consiste dans le respect le plus profond envers +les gouvernements établis.</p> + +<p>C'est vraisemblablement en vertu de ce principe qu'il professait +hautement, que le roi Louis blâma les tentatives de son fils à +Strasbourg et à Boulogne, ainsi qu'on le verra plus loin.</p> + +<p>Le roi Louis, philosophe par nature, supporta la chute de sa +<span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> famille et la sienne avec résignation, dignité et grandeur +d'âme. Méprisant le luxe, n'aimant pas la puissance du rang suprême, +dans laquelle il ne voyait qu'obligations et devoirs, il se livra +sans partage à l'étude des belles-lettres. Si des idées tristes +interrompaient souvent la sérénité habituelle, la douceur normale de +son âme, c'est que sa tendresse paternelle s'inquiétait pour +l'avenir de ses enfants. Il quitta Rome pour le beau climat de la +Toscane et le ciel pur de Florence. En 1831, il éprouva une immense +douleur, il perdit l'aîné de ses deux enfants, le prince +Napoléon-Louis, mort dans l'insurrection des Romagnes. Lorsque +l'ancien roi de Naples et d'Espagne, Joseph, vint des États-Unis à +Londres, pour essayer, après 1830, de soutenir les droits du fils de +Napoléon au trône de France, Louis eut avec son frère aîné de +fréquentes correspondances.</p> + +<p>Avant la fin de sa longue et pénible carrière, l'ex-roi de Hollande +devait éprouver encore deux profonds chagrins, qui hâtèrent ses +derniers instants. Le premier fut la tentative de Strasbourg, faite +par le dernier de ses enfants, le prince Louis-Napoléon, suivie +bientôt après de la tentative de Boulogne; le second fut le refus +des gouvernements de France et d'Angleterre de permettre à ce fils +de venir lui fermer les yeux.</p> + +<p>Lorsque l'ex-roi de Hollande connut les tentatives de son fils, il +était malade à Florence. Il n'avait cessé d'être en relation suivie +avec le duc de Padoue, son parent. Il lui écrivit le 15 novembre +1836:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="adresse">Mon cher cousin,</p> + +<p>Je m'adresse à vous avec confiance dans le nouveau malheur que + j'éprouve et qui tombe sur moi comme un coup de foudre. Malgré le + malheur que j'ai eu il y a six ans de perdre mon fils aîné, par + suite d'une intrigue et d'une séduction infernale, son frère, qui + fut compromis aussi alors, s'est laissé de nouveau entraîner dans + une action aussi folle que grave. Vous savez mon état de santé, vous + savez qu'il m'est impossible d'agir par moi-même. Veuillez donc, je + vous prie, faire des démarches en mon nom auprès du gouvernement et + des personnes que j'ai connues autrefois, telles que le duc de + Cazes, s'il est à Paris, le comte Molé et tous ceux que vous croirez + être plus accessibles à mes prières, pour les engager à obtenir du + gouvernement que mon fils soit renvoyé en Angleterre avec sa mère. + On peut oublier son incartade en considération de la folie et je + dirai presque du ridicule d'une telle tentative et de ce qu'elle n'a + coûté la vie à personne.</p> + +<p>Il est inutile que je vous parle de la reconnaissance que je vous + aurai d'un tel service, la gravité de la chose parle assez + d'elle-même.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> Je me persuade que vous ne me refuserez pas un service + aussi important; en tout cas, veuillez me faire parvenir votre + réponse le plus promptement possible.</p> + +<p>Adieu, mon cher cousin, recevez l'assurance de mon sincère + attachement.</p> +</div> + +<p>À la même époque, le 21 novembre 1836, la reine Hortense écrivait +d'Arenenberg à M. de Padoue:</p> + +<p class="lettre">Monsieur le duc, en revenant chez moi, on m'a remis votre lettre. + Elle eût été d'une grande consolation pour moi, et peut-être + n'aurais-je pas entrepris un voyage aussi pénible, si j'avais su à + temps que la vie de mon fils n'était pas en danger, mais cette + incertitude était affreuse, et j'en allais appeler à vous tous, à + vos anciens sentiments, pour m'aider à obtenir une vie qui m'était + si chère, lorsque j'ai appris qu'il n'y avait rien à craindre pour + elle. Je ne me suis pas montrée, je n'ai pas même été jusqu'à Paris; + je ne voulais troubler personne, sans cela j'aurais été charmée de + vous revoir ainsi que votre fille<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a><a href="#footnote72" title="Lien vers la note 72"><span class="smaller">[72]</span></a>. Vous devez penser qu'elle + m'est toujours chère, que son bonheur m'intéresse et que je serai + toujours heureuse de vous assurer tous deux de mes sentiments.</p> + +<p>Le prince Louis-Napoléon, étant parvenu à s'échapper du château de +Ham avant la mort de son père, espéra pouvoir passer en Italie et +arriver assez à temps pour le voir une dernière fois. L'Angleterre +ne le permit pas, les passeports nécessaires lui furent refusés. Le +malheureux père mourut à Florence le 25 juillet 1846, à la suite +d'une congestion cérébrale, sans avoir pu recevoir les embrassements +d'un enfant adoré. Il avait 68 ans, était toujours en exil et séparé +de tous les siens. Ses restes furent déposés d'abord dans l'église +de Santa-Croce à Florence. En 1848, un des premiers actes de son +fils, dès que les portes de la France s'ouvrirent devant lui, fut de +remplir les intentions testamentaires du roi son père en faisant +placer son corps dans l'église de Saint-Leu, près de celui de +Charles Bonaparte. En 1835, à propos des bruits accrédités par +quelques journaux du mariage du prince Louis-Napoléon avec la jeune +reine de Portugal, Dona Maria, le fils du roi Louis trouva occasion +de faire connaître l'impression profonde que la belle conduite de +son père avait laissée dans son cœur. Il écrivit au rédacteur +d'un de ces journaux la lettre suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> Arenenberg, le 14 décembre 1835.</p> + +<p>Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont accueilli la nouvelle + de mon départ pour le Portugal comme prétendant à la main de la + reine Dona Maria. Quelque flatteuse que soit pour moi la supposition + d'une union avec une jeune reine, belle et vertueuse, veuve d'un + cousin qui m'était cher, il est de mon devoir de réfuter un tel + bruit, puisqu'aucune démarche qui me soit connue n'a pu y donner + lieu.</p> + +<p>Je dois même ajouter que, malgré le vif intérêt qui s'attache aux + destinées d'un peuple qui vient d'acquérir sa liberté, je refuserais + l'honneur de partager le trône de Portugal, si le hasard voulait que + quelques personnes jetassent les yeux sur moi.</p> + +<p>La belle conduite de mon père, qui abdiqua en 1810 parce qu'il ne + pouvait allier les intérêts de la France avec ceux de la Hollande, + n'est pas sortie de mon esprit. Mon père m'a prouvé, par un grand + exemple, combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je + sens en effet qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays + par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français, + persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre + d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle + quinze années de gloire; j'attends avec calme dans un pays + hospitalier et libre que le peuple rappelle dans son sein ceux + qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir, de + servir un jour en France comme citoyen et comme soldat, fortifie mon + âme et vaut, à mes yeux, tous les trônes du monde.</p> +</div> + +<p>Le roi Louis publia plusieurs ouvrages d'un mérite réel, en voici la +liste:</p> + +<p>1<sup>o</sup> En 1800, un roman en 3 volumes, intitulé <i>Marie ou les peines de +l'amour</i>. Nous avons déjà dit un mot de ce roman, dont il fit +paraître une 2<sup>e</sup> édition en 1814, sous le titre de <i>Marie ou les +Hollandaises</i>.</p> + +<p>2<sup>o</sup> En 1813, un livre de poésies, intitulé <i>Odes</i>, qui fut édité à +Vienne. C'est une de ces odes dont nous avons cité quelques jolis +vers, les adieux à Gratz.</p> + +<p>3<sup>o</sup> En 1814, un mémoire sur la versification, en réponse à une +question proposée par la deuxième classe de l'Institut. Ce mémoire +imprimé à Rome en 2 volumes, en 1825, sous le titre d'<i>Essai sur la +versification</i>, remporta le prix de la question mise au concours. +Dans cet ouvrage, l'auteur demande la suppression de la rime dans +les vers, la conservation de la césure et l'ancien nombre de +syllabes. Il complète leur rhythme par une distribution régulière +des accents, ce qui les fait essentiellement différer des vers +blancs. Il note pour cette <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> accentuation la pénultième des +mots finissant par des e muets et la finale de tous les autres. Il +appliqua lui-même ce système, dont il est l'inventeur, en faisant +une tragédie, une comédie, un opéra, une ode, et en s'excusant de +n'avoir pas poussé jusqu'à l'épopée.</p> + +<p>4<sup>o</sup> En 1820, trois volumes, intitulés <i>Documents historiques sur le +gouvernement de la Hollande</i><a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a><a href="#footnote73" title="Lien vers la note 73"><span class="smaller">[73]</span></a>.</p> + +<p>5<sup>o</sup> L'<i>Histoire du Parlement anglais</i>, depuis son origine en 1234, +jusqu'à l'an VII de la République française, suivi de la grande +charte avec des notes autographes de Napoléon. Ce livre, un volume, +parut en 1820, à Paris.</p> + +<p>6<sup>o</sup> En 1828, une réponse à sir Walter Scott sur son histoire de +Napoléon, brochure de 160 pages.</p> + +<p>7<sup>o</sup> En 1834, une brochure d'une cinquantaine de pages, intitulée +<i>Observations sur l'histoire de Napoléon par M. de Norvins</i>. C'est +une réfutation sans réplique d'un assez grand nombre de faits +avancés inconsidérément par cet historien trop officieux de +l'empereur.</p> + +<p>Nous terminerons ce travail sur le roi Louis par une lettre qui lui +fut écrite de Londres par son frère Joseph, le 1<sup>er</sup> août 1834, et +qui nous paraît de nature à faire connaître le caractère de ces deux +princes.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon cher frère, je n'ai pas répondu plus tôt à ta lettre du 3 + juillet, je suis encore convalescent d'une douloureuse esquinancie + qui m'a tenu plus de quinze jours au lit et dont les suites me + tiennent encore à la maison, à cause du temps humide et nébuleux qui + règne depuis ma convalescence.</p> + +<p>Personne n'est moins dogmatique que moi, et si tu es d'humeur à + régayer le tableau que tu fais si sombre de la vie par de nouveaux + rapports qui puissent embellir le déclin de ta vie, personne n'en + sera plus heureux que moi, chacun a le sentiment et la mesure de ce + qu'il peut et doit pour son propre bonheur, et on fait légitimement + de tenter un sort meilleur lorsqu'on en espère du bonheur.</p> + +<p>Je ne m'appesantirai pas davantage sur la thèse du mal ou du bien de + cette vie, je crois la vérité dans le mélange de quelques plaisirs + et de plus de douleurs; mais on multiplie, on aggrave les douleurs + en s'étudiant à voir tout en mal et on ne remédie à rien par de la + mauvaise humeur; sans doute et le bonheur et la vertu sont en + minorité <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> sur la terre, j'en conviens, et il faut s'y + soumettre, c'est notre lot, celui qui se soumet à ce qu'il ne peut + empêcher est le moins malheureux et le plus sage. Faire de nécessité + vertu, considérer plus bas que nous pour se trouver moins + malheureux, se consoler dans la bonne conscience, si on croit à une + autre vie, ne voir que le vrai bonheur: tu sais tout cela mieux que + moi, mais je répète les appuis sur lesquels je me suis appuyé dans + ma longue vie.</p> + +<p>J'ai eu une bonne femme et je n'ai pas vécu avec elle depuis trente + ans; j'ai sans cesse combattu sans ambition les brigands, les + ennemis de mon pays, des exigences que je n'approuvai pas; l'homme + le plus aimant de la terre a passé sa vie sans sa famille, dans un + autre monde; depuis 1830, j'ai dépensé pour la cause de mon neveu + plus d'un million de francs, c'était la moitié de ce qui me restait + de disponible après l'incendie de ma maison en Amérique, en 1820. Je + crois être assuré que c'est la politique qui a mis le feu à ma + maison pour y détruire les lettres que Napoléon m'avait confiées. + Revenu en Europe sur l'invitation de Julie et la tienne, j'ai comme + toi voulu aider Caroline et Jérôme; j'ai cru que toute querelle + domestique se dissiperait à ma voix fraternelle et je puis dire + paternelle. Qu'ai-je recueilli de mes soins, de ma bonne volonté? + Caroline, par ses soupçons, par son abnégation de toute fierté, les + autres, par leur peu de sympathie et l'appui qu'ils paraissent avoir + donné à ses calomnies contre mon oncle le cardinal, contre moi-même, + m'ont fait sentir qu'il était encore de plus grands maux que ceux + que nous devons à la persécution des rois conjurés contre nous; ton + fils mort était aussi mon fils; celui qui a épousé mon aînée je l'ai + vu, comme Caroline, aux pieds de nos ennemis... Ce qui m'empêche + d'aller en Italie, c'est qu'on sait que je possède des secrets que + vous ignorez. Je lutte contre la mauvaise fortune et je n'en suis + pas abattu; ma santé faiblit, il est vrai, mais j'ai 71 ans: combien + sont plus infirmes que moi! Julie, mes filles, toi, m'avez conservé + votre cœur dans toute sa pureté; ton fils, ma sœur, Charles, + mes neveux, que de sujets de douleurs! Notre oncle m'eût resté ami, + sa sœur lui a laissé les portraits de famille sous toutes les + formes, sous toutes les reliures; l'homme qui m'a dit de la part de + notre mère, sous le plus inviolable secret, qu'il était chargé de + vendre le collier qu'elle destinait au roi de Rome pour 200,000 + francs, prix qu'elle n'avait pas trouvé à Rome, me dit aussi qu'elle + avait disposé du médaillon contenant le portrait de l'empereur, + valant plus de 60,000 francs, il a été trouvé: le collier a été + vendu par l'ordre de Madame, elle a disposé du prix, elle l'a voulu + et personne n'a rien à y voir: le cardinal n'y est pour rien, le + cardinal n'a pas voulu risquer des funérailles dignes de la mère de + Napoléon et de nous tous pour la même raison que moi-même en + Amérique je n'ai pas dû <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> affronter les préventions et les + âmes toutes puissantes de la Sainte-Alliance, par la même raison que + tu n'as pas dû ni pu rendre à notre fils les honneurs funéraires qui + lui étaient dus; mais notre oncle m'a souvent entretenu du monument + somptueux qu'il a l'intention de consacrer à sa sœur, mais où? + quand? et ne lui faut-il pas l'assentiment de nous tous? Je lui ai + écrit qu'en sus de ce qu'il ferait, j'y contribuerais aussi pour ma + part. Je ne doute pas que tu ne fasses comme moi, mais où? Faut-il + suivre l'exemple que tu as donné à Florence, où est mort ton fils? + Faut-il suivre celui qu'a donné ta femme à l'occasion de ton autre + fils et demander en grâce que notre mère soit enterrée où nous ne + pouvons ni vivre ni mourir? Le cardinal a pensé à Ajaccio, mais cela + est-il convenable? Notre oncle n'est pas un génie de premier ordre, + mais on le calomnie lorsqu'on lui refuse les qualités du cœur et + des talents et des connaissances dont s'honoreraient bien des + ecclésiastiques considérés dans ce monde.</p> + +<p>Si tu crois à mes paroles, à ma probité, à mon honneur, crois que tu + t'es trompé sur notre oncle le cardinal Fesch; je désire te + convertir à ma croyance, parce que je suis sûr de ce que je dis, que + j'ai connu notre oncle lorsque vous ne pouviez pas l'apprécier dans + votre enfance, lorsque nous étions tous orphelins de notre père, et + notre mère a toujours disposé de ce qui appartenait à son frère pour + le bien de la famille à son grand contentement, lorsque la mort + prématurée de notre père nous laissa dans les embarras occasionnés + par les dépenses au-dessus de sa fortune qu'il avait été obligé de + faire dans ses missions de Paris et à Versailles<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a><a href="#footnote74" title="Lien vers la note 74"><span class="smaller">[74]</span></a>.</p> + +<p>Je suis fatigué, la tête me tourne, je t'embrasse de tout mon + cœur, mon cher Louis.</p> +</div> + + +<h2><span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> III.<br> +LE ROI JÉRÔME.</h2> + + +<h3>De 1784 à 1808.</h3> + +<p>Jérôme Bonaparte, le dernier des fils de Charles Bonaparte et le +plus jeune des frères de l'empereur Napoléon I<sup>er</sup>, a parcouru une +longue carrière et assisté aux plus grands événements.</p> + +<p>Non seulement il fut témoin, mais souvent acteur dans le grand drame +de 1800 à 1815. Le rôle important qu'il y a joué ne s'est pas +terminé avec le premier empire, car son nom se rattache également à +la seconde élévation de sa famille. Il est peu de vies où les +alternatives de grandeur et de mauvaise fortune se soient aussi +brusquement succédé.</p> + +<p>À neuf ans, il est rejeté de la Corse, sa patrie, sur la terre de +France, fuyant exilé avec sa famille. Un de ses frères s'élève par +son génie aux premiers rangs de la hiérarchie militaire et lui fait +donner une éducation brillante; mais ce frère veut que Jérôme, dont +les premières années ont été consacrées à l'étude, devienne vite un +homme et un homme utile à la France. Il en fait un marin, bientôt +après un général, puis un prince, puis un roi. À vingt-trois ans le +jeune homme ceint son front d'une couronne royale. Six ans plus +tard, à l'âge où l'on n'est pas encore sorti de la jeunesse, ce +souverain par les conquêtes des Français est contraint d'abandonner +un trône qui s'écroule, entraîné dans les désastres de la France. +Jusqu'alors il s'est élevé, il redescend. Il se souvient de son +premier métier, laisse tomber le sceptre du roi pour ressaisir +l'épée du soldat. Le dernier sur le champ de bataille de Waterloo, +il y verse son sang et rallie les débris de la grande armée, prêt à +les mener à de nouveaux combats, si telle est la volonté du génie +devant lequel il s'est toujours incliné.</p> + +<p>De 1784, époque de sa naissance, à 1813, époque de la chute du +<span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> royaume de Westphalie, Jérôme monte les degrés, s'élevant +sans cesse. De 1813 à 1847, il les descend. Proscrit par la +politique de l'Europe coalisée contre le plus grand génie des temps +modernes, brutalement repoussé par la famille de sa femme, les +princes de Wurtemberg, dépouillé par des gens qui le flattaient au +temps de sa prospérité et qui lui devaient tout, traqué par les +gouvernements de l'Autriche, de l'Allemagne et de l'Italie, ne +sachant où reposer sa tête, il voit enfin dans sa patrie éclater une +révolution qui lui donne l'espoir d'y rentrer bientôt. Illusion +trompeuse, le temps n'est pas venu. Proscrit depuis quinze ans, la +fortune ne lui a pas fait assez expier les faveurs qu'elle lui a +accordées pendant la première partie de sa vie.</p> + +<p>Dix-sept ans encore les portes de la France lui sont fermées ainsi +qu'aux siens. Ses enfants n'ont connu jusqu'alors que l'exil. Sa +vertueuse femme ne doit plus revoir sa seconde patrie. Enfin des +démarches incessantes, une lutte courageuse triomphent de tous les +obstacles, il peut venir s'asseoir au foyer qui lui rappelle de si +grands souvenirs.</p> + +<p>Jérôme commence à remonter les degrés qu'il a descendus depuis 1813.</p> + +<p>Quelques mois après son retour en France, une révolution plus +radicale que celle de 1830 éclate de nouveau. Un membre de la +famille Bonaparte, son neveu, par la magie de son nom, est élevé au +premier rang. Jérôme va reprendre une grande position dans l'État. +Le grade conquis par son épée et par ses services militaires lui est +rendu, il devient le gardien des cendres du grand homme et le +gouverneur de l'hôtel consacré aux soldats mutilés. Il se retrouve +avec les vieux compagnons d'armes dont plusieurs ont suivi ses pas +sur les champs de bataille du premier empire. Il est mis ensuite à +la tête du premier corps de l'État. Enfin, le second empire le place +sur les degrés mêmes du trône. Jérôme a donc remonté un à un tous +les degrés de l'échelle sociale lorsque la mort vient terminer sa +carrière.</p> + +<p>Telles sont, à grands traits, les principales phases de cette +existence que l'on peut dire tout exceptionnelle et qui embrasse +dans son ensemble le consulat, l'empire, les cent-jours, les deux +restaurations, le gouvernement de juillet, la république de 1848 et +les huit premières années du second empire.</p> + +<p>Depuis sa naissance jusqu'au moment où il entra dans la marine, nous +avons peu de choses à dire sur Jérôme Bonaparte.</p> + +<p>Il naquit à Ajaccio, le 15 novembre 1784, de Charles Bonaparte et de +Lætitia Ramolino. Son enfance se passa comme celle de tous les +<span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> enfants qui naissent les derniers dans une famille +nombreuse. Il fut en quelque sorte le Benjamin, non seulement de sa +mère (son père mourut avant qu'il le pût connaître), mais de son +oncle, plus tard cardinal Fesch, et de ses autres frères. Napoléon +surtout avait pour Jérôme un faible qui perça toujours. Cette +prédilection ne se démentit dans aucune des circonstances de sa vie +militaire et politique.</p> + +<p>À l'âge de neuf ans, comme nous l'avons dit, Jérôme dut abandonner +la maison paternelle pour un premier exil dont il comprit déjà les +douleurs. Sa famille, bannie de l'île de Corse, se retira en France, +et il fut placé au collège de Juilly pour y faire ses études. On +était en 1793. La révolution menaçait de s'étendre sur l'Europe +entière liguée contre elle. Personne ne se doutait alors que dans +les rangs des défenseurs de la République combattait l'homme +prodigieux qui devait bientôt la dominer.</p> + +<p>Pour le jeune Jérôme, six années s'écoulèrent (de 1793 à 1799), dans +les études et les plaisirs du lycée. Après le 18 brumaire (9 nov. +1799), il sortit du collège pour continuer son éducation sous les +yeux de ce frère que six années avaient grandi de façon à attirer +sur lui les regards du monde entier.</p> + +<p>Jérôme, alors âgé de quinze ans, vint, au commencement du consulat, +loger au château des Tuileries, à l'entresol, au-dessous des +appartements occupés par le premier consul au pavillon de Flore. Dès +cet instant il laissa percer, avec la fougue naturelle à la +jeunesse, les qualités et les défauts d'un caractère que le temps et +les diverses phases par lesquelles il passa ne modifièrent qu'en +partie. Un esprit juste, un jugement solide, une grande bravoure +personnelle, une véritable noblesse, surtout dans l'adversité, de la +bienfaisance, de l'esprit naturel, la passion des plaisirs, une +vivacité tournant quelquefois à l'étourderie, une certaine légèreté +qui paralysait souvent ses belles qualités, l'amour de la +représentation et du faste, tels sont les traits dominants du +caractère de ce prince. Toujours porté au bien lorsqu'il suivait +l'impulsion de son cœur, Jérôme en était parfois détourné quand +sa nature impressionnable l'entraînait dans des écarts qui alors +n'influaient du reste que sur sa conduite privée.</p> + +<p>Lorsque le général Bonaparte revint d'Italie après Marengo, il fit +entrer son frère Jérôme dans la garde consulaire, aux chasseurs à +cheval. L'enfant, âgé de seize ans, eut une altercation avec le +frère de Davout; ils se battirent, et, à la suite de cette aventure, +Bonaparte ordonna à Jérôme de quitter son régiment.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> Le premier consul, à cette époque, commençait à donner une +sérieuse attention à tout ce qui se rattachait à la marine. Il +prévoyait sa lutte avec l'Angleterre, il voulait battre par ses +armes l'éternelle et implacable rivale de la France. Pour cela il +fallait commencer par rendre à la marine française cette confiance +en elle que l'émigration et ses derniers revers lui avaient fait +perdre; il fallait relever le personnel tout en activant les +réparations du matériel et les nouvelles constructions. Or, rien +n'était plus fait, d'après lui, pour concourir à ce résultat et pour +prouver au corps des officiers et des matelots son estime, que de +placer dans ses rangs son propre frère, dont le caractère audacieux +se prêtait aux aventures de la carrière maritime. Jérôme était fort +heureux de cette résolution. Ce fut donc avec une joie véritable +qu'il reçut sa nomination d'aspirant de 2<sup>e</sup> classe, datée du 29 +novembre 1800.</p> + +<p>À peine revenu de la campagne de Marengo, le premier consul tourna +ses regards vers l'Égypte dont il désirait secourir l'armée. Ce +n'était pas chose facile; la marine française, à cette époque, était +fort peu en état de lutter avec avantage contre la marine de la +Grande-Bretagne dont les flottes bloquaient nos ports.</p> + +<p>Non seulement il fallait, pour jeter des troupes sur les côtes +d'Alexandrie, embarquer dans le plus grand secret des hommes et un +matériel considérable, mais il était nécessaire de trouver un marin +ou assez habile pour tromper la surveillance fort active des +croisières anglaises, ou assez audacieux pour passer à travers les +bâtiments ennemis. Bonaparte fit choix pour cette dangereuse mission +du contre-amiral Ganteaume, qui avait été assez heureux pour le +ramener d'Égypte malgré les Anglais. Il lui confia une escadre +composée de sept vaisseaux de ligne, de deux frégates et d'un +lougre<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a><a href="#footnote75" title="Lien vers la note 75"><span class="smaller">[75]</span></a>. Le jeune Jérôme Bonaparte fut placé avec son grade +d'aspirant de 2<sup>e</sup> classe sur le vaisseau amiral.</p> + +<p>Il accompagna Ganteaume dans cette campagne maritime où, malgré son +habileté et son courage, l'amiral ne réussit pas à porter en Égypte +les renforts qu'attendait Bonaparte.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> Jérôme fit bravement ses premières armes, le 24 juin, dans +le combat livré entre Candie et l'Égypte par <i>l'Indivisible</i> et <i>le +Dix-Août</i>, au vaisseau anglais de 74, <i>le Swiftsure</i>, un des plus +beaux de l'escadre de l'amiral Keith. Ce vaisseau venait de quitter +l'escadre ennemie au mouillage d'Aboukir et faisait route pour +Malte. Après l'avoir chassé quelques heures, <i>l'Indivisible</i> et <i>le +Dix-Août</i> le joignirent à portée de pistolet, l'attaquèrent et s'en +emparèrent après un combat des plus vifs.</p> + +<p>Le premier consul accueillit avec joie la nouvelle de ce combat, et, +pour récompenser les deux équipages qui y avaient pris une part +glorieuse, il rendit un décret en date du 22 août 1801, accordant +deux grenades, deux fusils et quatre haches d'honneur pour les +hommes qui s'étaient le plus distingués dans cette affaire.</p> + +<p>Le contre-amiral Ganteaume, voulant témoigner à Jérôme Bonaparte sa +satisfaction de sa conduite pendant l'action, ne crut pouvoir mieux +faire que de lui confier l'honorable mission de se rendre à bord de +la prise, de l'amariner et de recevoir l'épée du capitaine.</p> + +<p>Après ce combat, dédommagement assez faible de la non-réussite de +l'expédition, l'escadre fit voile pour Toulon. Elle captura +plusieurs bâtiments de commerce anglais d'une petite valeur, et vint +mouiller sur la rade de Toulon au commencement d'août 1801, ayant +deux cents prisonniers anglais avec l'état-major et le commandant du +vaisseau <i>le Swiftsure</i>.</p> + +<p>En rentrant à Toulon Ganteaume fit son rapport au premier consul et +rendit bon compte de la conduite de Jérôme, car le 16 août le +général Bonaparte écrivit à son frère une lettre des plus +flatteuses<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a><a href="#footnote76" title="Lien vers la note 76"><span class="smaller">[76]</span></a>.</p> + +<p>Telle fut la première campagne maritime de Jérôme Bonaparte. +Quelques jours après son arrivée à Toulon, le 26 août 1801, il +débarqua et fut rejoindre son frère à Paris. Il était resté à bord +de <i>l'Indivisible</i> depuis le 28 novembre 1800, c'est-à-dire 8 mois +et 28 jours. C'était, pour un marin aussi jeune, un assez rude +apprentissage.</p> + +<p>Lorsque Jérôme Bonaparte revint de sa première expédition, le 26 +août 1801, il n'avait pas encore atteint sa dix-septième année. +Malgré sa jeunesse, il s'était fait remarquer par sa bravoure, son +intelligence et ses dispositions pour le métier de marin. Il sentait +que, frère du chef de l'État, tous les yeux étaient fixés sur lui, +et il mettait à remplir ses devoirs un zèle qui disposait en sa +faveur.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> Après son débarquement à Toulon, l'aspirant se rendit à +Paris, où il fut accueilli avec joie par le premier consul. Il +séjourna deux mois aux Tuileries, puis, le 29 novembre 1801, il fut +nommé à la première classe de son grade et reçut l'ordre de se +rendre à Rochefort pour être embarqué sur l'un des bâtiments +destinés à l'expédition de Saint-Domingue.</p> + +<p>À cette époque, Joseph Bonaparte, chargé de la conclusion du traité +de paix avec l'Angleterre, était prêt à se rendre à Amiens ainsi que +lord Cornwallis, plénipotentiaire de la Grande-Bretagne. Les +préliminaires avaient été échangés à Londres le 12 octobre, et rien +ne s'opposait à ce que le général Bonaparte, devenu l'arbitre de +l'Europe, dirigeât ses flottes vers nos colonies des Antilles, qui +cherchaient à échapper à la domination française.</p> + +<p>En vue de ce but, une grande expédition avait été décidée. Elle +devait se composer de trois divisions navales portant des troupes de +débarquement. La première division, organisée à Brest, était sous +les ordres de l'amiral Villaret-Joyeuse, réunissant à son +commandement celui des deux autres divisions. Il avait mis, le 29 +octobre, son pavillon sur le vaisseau <i>l'Océan</i>. La seconde +division, en rade de Rochefort, sous le contre-amiral +Latouche-Tréville, avait pour vaisseau amiral <i>le Foudroyant</i>, sur +lequel Jérôme allait s'embarquer. Cette division avait à rallier une +escadre de six vaisseaux espagnols alors en rade de Cadix, sous +l'amiral Gravina. La troisième division était composée de bâtiments +hollandais rassemblés à Flessingue.</p> + +<p>Le général Leclerc, beau-frère du premier consul et mari de Pauline +Bonaparte, commandait en chef l'expédition. Son chef d'état-major +était le général Dugua. Leclerc arriva à Brest le 19 novembre 1801, +et passa une grande revue des troupes le 20.</p> + +<p>La longue lutte que nous venions de soutenir si péniblement contre +les flottes de la Grande-Bretagne avait vivement préoccupé le +premier consul. Dès que la paix avec l'Angleterre fut assurée, il +donna une attention toute particulière à la marine de guerre. +Convaincu qu'on pouvait beaucoup attendre et obtenir de nos marins, +aussi bien que de nos soldats de l'armée de terre, il résolut de +tout mettre en œuvre pour éviter à l'avenir les fautes qui, +depuis le commencement de la Révolution, avaient concouru à +affaiblir notre puissance maritime; ce n'était plus l'organisation +médiocre dont on s'était contenté depuis 1789 qu'il fallait à +Bonaparte, mais une organisation forte, un matériel puissant, une +discipline solide, une union parfaite entre les équipages <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> +et les troupes. D'après lui, un des grands moyens d'obtenir sur mer +des succès semblables à ceux obtenus sur le continent, c'était +d'exciter l'émulation chez les matelots, de leur inspirer, de leur +<i>souffler</i> cet enthousiasme auquel nos soldats avaient dû, en grande +partie, leurs victoires.</p> + +<p>Le premier consul avait été, du reste, merveilleusement secondé en +cela par l'amiral Villaret-Joyeuse. Ce dernier avait, à force de +persévérance, introduit sur les vaisseaux de son escadre une +discipline parfaite.</p> + +<p>Les trois divisions navales partirent de Brest, de Rochefort et de +Flessingue; celle de Villaret-Joyeuse devait rallier les deux +autres, mais la division batave ne put le joindre à cause des vents +contraires. Elle mit le cap directement sur Saint-Domingue, en ayant +soin de ne pas se montrer avant les vaisseaux de l'amiral commandant +en chef la flotte. La division de Latouche-Tréville, au lieu de +porter sur Belle-Isle ainsi que cela lui était prescrit, fit route à +l'ouest en sortant de Rochefort.</p> + +<p>L'aspirant de 1<sup>re</sup> classe Jérôme Bonaparte, embarqué sur le vaisseau +<i>le Foudroyant</i>, monté par Tréville, arriva avec le contre-amiral au +Cap, vers la fin de 1801. Il y resta jusqu'au 9 février 1802. Le 4 +mars, en vertu des ordres du général en chef Leclerc, il passa avec +le grade d'enseigne<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a><a href="#footnote77" title="Lien vers la note 77"><span class="smaller">[77]</span></a> sur le vaisseau <i>le Cisalpin</i> (capitaine +Bergeret<a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a><a href="#footnote78" title="Lien vers la note 78"><span class="smaller">[78]</span></a>), bâtiment envoyé en France.</p> + +<p>Le jeune officier de marine fut chargé de dépêches pressées qu'il +devait remettre au premier consul. Bien qu'il donnât de belles +espérances, il est permis de penser que ce ne furent ni sa capacité +ni sa parenté avec le premier consul et le général en chef qui le +firent choisir pour une mission de haute importance. Il est à +présumer que Leclerc, voyant la maladie décimer les troupes et les +équipages, prit, à l'insu de Jérôme lui-même, un prétexte pour +l'envoyer en France et le soustraire à la pernicieuse influence d'un +climat sous lequel il devait succomber bientôt lui-même.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, le jeune Bonaparte embarqua au Cap sur <i>le +Cisalpin</i>, ayant pour compagnon d'armes Halgan, plus tard amiral, +<span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> avec lequel il se lia dès lors d'une véritable amitié. Le +5 mars le vaisseau mit à la voile, et le 10 avril les vigies +signalèrent le feu d'Ouessant. Le lendemain, à dix heures du matin, +le navire entrait dans le port de Brest.</p> + +<p>À peine débarqué, Jérôme songea à se rendre à Paris pour remettre +ses dépêches au premier consul. Il prit une chaise de poste, emmena +avec lui Halgan, devenu son ami, et franchit rapidement la distance +qui le séparait de Nantes, en passant par Quimper, Vannes, +Laroche<a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a><a href="#footnote79" title="Lien vers la note 79"><span class="smaller">[79]</span></a>. À quelques lieues de Nantes il eut une aventure qui +peint son caractère déterminé. Le postillon qui conduisait sa +voiture refuse tout à coup d'aller plus loin. Il met pied à terre et +s'assied tranquillement sur le bord du fossé de la route. Jérôme et +Halgan descendent de leur chaise de poste et, pressés d'arriver, ils +essaient de faire remonter à cheval leur capricieux conducteur. +C'est en vain. Prières, promesses, menaces, tout échoue devant son +entêtement breton. Jérôme, voyant qu'il n'obtiendrait rien, pousse +Halgan dans la voiture et, s'adressant au postillon, lui dit: +«Veux-tu nous conduire, oui ou non?—Non, répondit ce +dernier.—Alors je me charge de ce soin,» reprend le jeune officier. +Et, bien qu'en culotte courte et en bas de soie (tenue qu'il a +toujours affectionnée), Jérôme saute en selle après avoir ramassé le +fouet et enlève les chevaux qu'il lance au grand galop sur la route +de Nantes. Il fait en ville une entrée triomphale, tête nue, en +uniforme de marin, avec son compagnon dans la chaise de poste, le 13 +avril 1802.</p> + +<p>Jérôme, laissant Halgan à Nantes, se dirigea vers Paris où il remit +ses dépêches au premier consul, qui le garda près de lui jusqu'au +commencement de juin 1802. Pendant son séjour aux Tuileries, ami +fidèle et dévoué, Jérôme plaida si chaudement la cause d'Halgan près +du général Bonaparte, qu'à son départ pour embarquer de nouveau il +eut le bonheur d'emporter à Nantes la nomination du lieutenant de +vaisseau, son camarade du <i>Cisalpin</i>, au commandement du brick +<i>l'Épervier</i>.</p> + +<p>Le premier consul, désireux de perfectionner l'éducation maritime de +son jeune frère et de le mettre à même d'étudier les colonies +françaises, avait décidé qu'il ferait un voyage aux Antilles sur le +brick <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> <i>l'Épervier</i>, et qu'il visiterait toutes les +positions importantes de cette partie de l'Océan. En conséquence, +Jérôme revint à Nantes le 7 juin 1802. Il devait prendre la mer, +comme nous l'avons dit, sur le brick <i>l'Épervier</i>, sous les ordres +d'Halgan. Les officiers de ce brick, ses camarades, étaient MM. +Vincent Meyronnet, qui joua par la suite un certain rôle en +Westphalie, Gay, le chirurgien M. Rouillard<a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a><a href="#footnote80" title="Lien vers la note 80"><span class="smaller">[80]</span></a>. Le bâtiment avait +pour destination la Martinique. Jusqu'à la fin d'août, Halgan et +Jérôme restèrent à Nantes, attendant les ordres de départ.</p> + +<p>Ce temps se passa pour eux en fêtes, car c'était à qui des habitants +notables ou des autorités de la ville recevrait le plus jeune des +frères du premier consul et son ami.</p> + +<p>Le 29 août, le brick appareilla et vint mouiller sur la rade de +Minden; le 31, il fit voile en suivant les côtes, et, par suite d'un +gros temps, vint relâcher le 4 septembre en vue du port de Lorient, +dans la rade. Le 6, il entra dans le port. Jérôme, jeune et ami du +plaisir, profitant de ce qu'on était obligé de passer quelques jours +à Lorient pour faire au bâtiment des réparations indispensables, +partit le 5 pour Nantes, où il passa quelques jours.</p> + +<p>Le 18 septembre il était à son poste et le brick appareilla. Le 25, +on était en vue de Lisbonne, l'amitié d'Halgan fut mise à une rude +épreuve. Jérôme voulut visiter cette capitale et demanda au +commandant de relâcher dans ce port. Halgan refusa et l'on continua +à faire voile pour la Martinique. Le 28 octobre, à midi, la terre +était en vue. À 5 heures du soir <i>l'Épervier</i> mouilla au fort +Diamant où régnaient la fièvre jaune et une grande mortalité.</p> + +<p>Dès le lendemain 29, Halgan et Jérôme furent rendre visite au +capitaine général, l'amiral Villaret-Joyeuse, le même officier +général auquel avait été dévolu le commandement dans l'expédition de +Saint-Domingue. Le contre-amiral Villeneuve, commandant les forces +navales stationnées aux Îles du Vent et à Cayenne, était alors +absent. Il revint quelques jours plus tard au fort Royal, sur son +vaisseau <i>le Jemmapes</i>. Dans l'intervalle, voici ce qui avait eu +lieu:</p> + +<p>Jérôme était parti de France comme aspirant de l<sup>re</sup> classe et en +qualité d'officier du brick commandé par Halgan; mais à peine arrivé +à la Martinique, le capitaine général Villaret, soit qu'il eût des +instructions secrètes (chose très probable) émanant du premier +consul, soit parce qu'il crût bien faire, nomma le jeune Bonaparte +lieutenant <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> de vaisseau, par décision du 2 novembre 1802; +puis, sans doute pour suivre un plan convenu, Halgan s'étant trouvé +subitement indisposé ou ayant dû se trouver hors d'état de commander +le brick, le commandement du navire fut remis provisoirement au +nouveau lieutenant de vaisseau qui se trouva donc, à l'âge de 18 +ans, à la tête d'un bâtiment d'une certaine importance<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a><a href="#footnote81" title="Lien vers la note 81"><span class="smaller">[81]</span></a>. Sans +doute on avait pensé que Jérôme trouverait de plus grandes facilités +pour son voyage d'exploration dans la nouvelle position qui lui +était faite.</p> + +<p>Le contre-amiral Villeneuve, pour qui le frère du premier consul +avait une lettre du ministre de la marine, confirma ce qu'avait fait +Villaret-Joyeuse. Il se rendit à bord de <i>l'Épervier</i> le 21 +novembre, donna quelques conseils et des instructions détaillées à +Jérôme, et lui prescrivit de partir le 29 novembre pour aller +d'abord à Sainte-Lucie, colonie française des Îles du Vent, au sud +de la Martinique, puis à Tabago, qui faisait partie des Îles sous le +Vent, au nord-est de la Guyane. Bien qu'on fût à la fin de novembre, +la température était très élevée. Jérôme, plein d'ardeur et n'ayant +pas la prudence qui convient dans les climats dangereux où règnent +si souvent des fièvres terribles, se fatigua outre mesure en +explorant Sainte-Lucie et en montant sur une soufrière dans le fort +de la chaleur du jour. Il fut pris par une fièvre violente qui +inquiéta les officiers du brick au point qu'ils crurent devoir +revenir à Saint-Pierre (Martinique), en faisant prévenir le +contre-amiral Villeneuve de ce qui venait d'arriver. Villeneuve +courut immédiatement auprès du malade, et reconnut avec joie que +l'accident n'aurait aucune suite fâcheuse. Il en rendit compte au +ministre Decrès qui avait remplacé Forfait.</p> + +<p>Jérôme, hors du danger causé par son imprudence, était moins +désireux de reprendre la mer pour continuer son voyage. L'équipage +de son bâtiment avait été, en moins d'un mois, tellement décimé par +la maladie, qu'il se trouvait à la fin de décembre complètement +désorganisé. À la maladie s'était jointe aussi la désertion, en +sorte qu'il fut contraint de renoncer à l'idée de faire voile pour +Tabago. Villeneuve attendait la frégate <i>la Consolante</i> et voulait +lui offrir de se rendre avec lui, sur ce bâtiment, dans les +différentes colonies qu'il avait à visiter encore; mais Jérôme, +fatigué des ennuis, du tracas <span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> qu'il avait éprouvé sur son +brick, sollicita de quitter son commandement. Villeneuve en écrivit +à Decrès qui, le 25 février 1803, répondit à ce sujet: «Il faut, +général, déterminer Jérôme à garder son commandement et à faire aux +colonies le séjour que le premier consul désire de lui. Je joins ici +une lettre pour lui.» On constitua alors tant bien que mal un +équipage au brick <i>l'Épervier</i> qui put enfin partir. Ce bâtiment +mouilla à la Basse-Terre (Guadeloupe, nord-ouest de la Martinique). +Il fut reçu par le contre-amiral Lacrosse, capitaine général de +cette colonie, qui lui fit visiter le pays dans le plus grand +détail<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a><a href="#footnote82" title="Lien vers la note 82"><span class="smaller">[82]</span></a>.</p> + +<p>Du 8 février au commencement d'avril 4803, Jérôme termina ses +voyages dans les différentes colonies qu'on lui avait donné mission +de visiter en détail, car le 4 avril, le contre-amiral Villeneuve, +dans une dépêche au ministre, rend compte du prochain départ de +Jérôme Bonaparte et de sa répugnance à passer par Saint-Domingue, où +son beau-frère, le général Leclerc, était mort.</p> + +<p>Le brick <i>l'Épervier</i> cependant n'était pas encore parti le 27 +avril, puisqu'à cette date le capitaine de vaisseau Lafond, +commandant par intérim les forces navales stationnées aux Îles sous +le Vent et à Cayenne, écrivait de Saint-Pierre de la Martinique, à +bord de la frégate <i>la Didon</i>, au ministre de la marine:</p> + +<p>«Le brick <i>l'Épervier</i>, commandé par le lieutenant de vaisseau +Bonaparte, est toujours en station au fort de France. Le général +Villeneuve, avant son départ<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a><a href="#footnote83" title="Lien vers la note 83"><span class="smaller">[83]</span></a>, m'a dit qu'il lui avait donné +l'ordre de s'en retourner en France, et que par conséquent il ne +faisait plus partie de la station.»</p> + +<p>Pendant un mois encore <i>l'Épervier</i> resta à la Martinique. Plusieurs +circonstances fatales avaient empêché Jérôme de quitter l'Amérique, +et ces circonstances eurent, ainsi qu'on le verra bientôt, une +influence très grande et très singulière sur les premières années de +sa vie. D'abord, la maladie et la désertion avaient dépeuplé son +bord et l'on n'avait pu recruter l'équipage de façon à mettre le +bâtiment en état d'entreprendre un long voyage pour regagner +l'Europe, ensuite Jérôme était tombé malade au commencement de mai. +Cela ressort <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> du passage d'une longue lettre écrite le 19 +juin du port du Passage par le capitaine Lafond au ministre de la +marine, lettre dans laquelle on lit:</p> + +<p>«Lors de mon départ du fort de France (8 mai 1803), le brick +<i>l'Épervier</i> était mouillé à Saint-Pierre. Jérôme avait la fièvre, +mal à la tête et aux reins, symptômes de la fièvre jaune; mais, au +moment de mettre sous voile, son médecin a fait dire qu'il allait +mieux. Il avait écrit au général Villaret qui, vraisemblablement, +vous donnera des détails sur sa maladie.»</p> + +<p>Lorsqu'au mois de juin 1803 on fut à peu près paré et que Jérôme se +trouva à même de mettre à la voile, les relations entre la France et +l'Angleterre étaient devenues d'une nature telle que la guerre +semblait imminente. En effet, le traité d'Amiens ne tarda pas à être +rompu, et dès lors les Anglais, qui savaient Jérôme encore dans les +colonies, attachèrent une importance réelle à s'emparer de sa +personne, d'autant qu'ils étaient furieux de ce qu'en représailles +d'hostilités commises sur mer par les vaisseaux de la +Grande-Bretagne sans déclaration préalable, le premier consul avait +retenu tous les Anglais alors en France.</p> + +<p>Les choses en étaient là, et cependant la rupture entre les deux +grandes nations n'était pas encore connue en Amérique lorsque Jérôme +eut l'ordre formel de Villaret de prendre la mer pour regagner +l'Europe, s'il en était temps encore. Le 1<sup>er</sup> juin il mit à la +voile. Un coup de tête du jeune homme l'arrêta court dans son +voyage. Voici ce qui s'était passé. Jérôme avait soumis à une +visite, en mer, un gros bâtiment qu'il supposait Français et qui +était Anglais. Effrayé des conséquences que pouvait avoir cette +affaire, il en avait rendu compte à Villaret-Joyeuse. Ce dernier le +blâma et lui donna l'ordre de revenir en France. Jérôme fit quelques +observations tellement justes à l'amiral que ce dernier s'opposa à +son départ, ce qui fut fort heureux, car le brick <i>l'Épervier</i>, +ayant pris la mer le 20 juillet sans Jérôme, fut capturé le 27 par +les Anglais.</p> + +<p>Jérôme Bonaparte ne quitta pas l'Amérique et, le 20 juillet 1803, il +abandonna le commandement de son brick. Nous l'avons laissé à la +Pointe-à-Pitre (Martinique), le 15 juin 1803; nous le retrouvons à +Baltimore, dans l'État de Maryland (États-Unis d'Amérique), à la fin +de juillet de la même année.</p> + +<p>Le 26 juillet il écrivit de cette ville au citoyen Pichon, +commissaire général des relations commerciales de la France aux +États-Unis, pour <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> lui faire connaître que le lieutenant +Meyronnet, commandant en second <i>l'Épervier</i>, avait quitté le brick, +chargé d'une mission de son commandant pour négocier leur passage +sur un bâtiment de commerce américain <i>le Clothier</i>, dont l'armateur +refusait de s'arrêter en Espagne; que, décidé à céder à la nécessité +et à suivre la destination de ce bâtiment pour Bordeaux, il +renvoyait Meyronnet à Philadelphie pour faire hâter l'expédition du +navire sur lequel il se hasarderait à revenir en Europe; enfin qu'il +attendait à Baltimore que le bâtiment à bord duquel il devait +prendre passage fût au bas de la rivière du Patapsco, qui se jette +dans la baie de Chesapeake.</p> + +<p>Ainsi, à la fin de juillet 1803, Jérôme était prêt à s'embarquer sur +un bâtiment américain et à braver les croisières anglaises pour +retourner en France. Il était <i>incognito</i> aux États-Unis d'Amérique, +où il entretenait une correspondance assez suivie avec notre consul +général, M. Pichon. Ce dernier mettait beaucoup de déférence dans +ses relations avec le frère du premier consul, jeune homme qui, bien +que n'ayant pas encore dix-neuf ans révolus, avait déjà les allures +princières qu'il ne devait plus abandonner. Il lui fournissait des +sommes assez considérables, hâtait de tous ses moyens le moment de +l'embarquement et lui donnait même au besoin des conseils que Jérôme +paraissait assez peu disposé à suivre.</p> + +<p>Cependant son <i>incognito</i> ne pouvait être bien longtemps observé. +Les Anglais, à l'affût de ce que devenait l'ancien commandant de +<i>l'Épervier</i>, ne tardèrent pas à savoir où il se trouvait et à +donner son signalement sur toute la côte à leurs bâtiments. Un +capitaine Murray, alors à Baltimore, dévoila la présence dans cette +ville de Jérôme, en sorte que les difficultés devenaient de plus en +plus grandes pour lui de quitter l'Amérique. M. Pichon cependant le +pressait de s'embarquer, répondant de l'armateur et du capitaine de +navire américain qui devait le mener en France. Il l'engageait à +faire monter à bord les personnes de sa suite<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a><a href="#footnote84" title="Lien vers la note 84"><span class="smaller">[84]</span></a> et à suivre le +bâtiment sur un bateau pilote jusqu'à la sortie de la baie pour +pouvoir, soit revenir à terre, soit s'embarquer définitivement, +selon ce que ferait la croisière anglaise. Les choses en étaient là, +au commencement d'août, lorsque <span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> Jérôme, qui comprenait +quel effet déplorable pouvait produire en France la nouvelle de la +capture, par les Anglais, du frère du premier consul, résolut +d'attendre les ordres du chef de l'État, et d'envoyer pour les +prendre son lieutenant Meyronnet qui, lui, passerait plus facilement +et pourrait donner connaissance de la position dans laquelle il se +trouvait aux États-Unis.</p> + +<p>Pichon, en apprenant la nouvelle détermination du jeune officier de +marine, l'engagea à quitter Baltimore et à faire un voyage +instructif dans l'ouest. Le consul général français avait-il déjà +connaissance de la passion naissante qui devait aboutir à un mariage +et voulait-il en détourner Jérôme, ou bien pensait-il remplir les +intentions du premier consul à l'égard de son frère en l'engageant à +voyager? c'est ce que rien ne fait pressentir dans sa +correspondance. Toujours est-il que Jérôme ne suivit pas le conseil +qui lui était donné, pas plus que celui de cesser ses rapports avec +un M. Barny, chez lequel il était logé à Baltimore et contre lequel +le consul général cherchait à le mettre en garde.</p> + +<p>Le 30 août, Pichon écrivit au ministre des relations extérieures une +longue lettre relative au jeune Bonaparte. Cette dépêche, fort +curieuse, résume tout ce qui a rapport au frère du premier consul +depuis le 22 juillet 1803<a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a><a href="#footnote85" title="Lien vers la note 85"><span class="smaller">[85]</span></a>.</p> + +<p>Jérôme était arrivé à Georgetown<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a><a href="#footnote86" title="Lien vers la note 86"><span class="smaller">[86]</span></a>, y avait passé trois jours, +avait cherché divers moyens de retourner en Europe, tantôt voulant +passer à bord d'un navire de commerce, puis à bord d'une frégate +américaine qu'il emprunterait aux États-Unis, enfin comme passager +sur un bâtiment de guerre destiné à la Méditerranée.</p> + +<p>Tous ces projets n'avaient pu avoir de suite. Il n'était possible +d'en accueillir aucun, pas même le dernier, auquel il s'était +arrêté, de demander passage sous son nom. Pendant ce temps <i>le +Clothier</i>, en partance de Philadelphie le 7 août, avait mis à la +voile.</p> + +<p>Jérôme passa le mois de septembre 1803 à Baltimore. Fort épris de +M<sup>lle</sup> Paterson, très jolie jeune personne, fille d'un des riches +négociants de cette ville, il lui fit une cour assidue à laquelle +M<sup>lle</sup> Paterson fut loin d'être insensible. Les choses en vinrent au +point qu'on commença, vers le mois d'octobre, à parler de mariage. +Quoique la France <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> eût encore un gouvernement qui +conservait le nom et un semblant de formes républicaines, tout le +monde en Europe, comme en Amérique, comprenait que cet état +cesserait sous peu et que l'homme qui avait reconstruit l'édifice +social était destiné à monter sur le trône. Personne n'ignorait la +bonté, la faiblesse du premier consul pour son jeune frère; or une +union contractée dans ces conditions avec Jérôme était, pour une +famille de négociants d'Amérique, une fortune inouïe. Aussi, loin de +s'opposer à la réalisation de ce projet, les Paterson, le père +lui-même, semblaient y prêter les mains. La jeune personne, fort +éprise, était décidée à tout pour épouser celui qu'elle aimait. +Toute cette petite intrigue ne tarda pas à être connue du consul +général.</p> + +<p>Pichon fut effrayé des conséquences d'un mariage que le chef de +l'État n'approuverait certainement pas, puisqu'il était contraire à +toutes les lois françaises. En effet, Jérôme, loin d'avoir atteint +vingt et un ans, n'avait pas alors dix-neuf ans révolus, et même en +eût-il eu vingt et un, il ne pouvait se passer du consentement de sa +mère pour que l'acte fût valide. À peine le représentant de la +France aux États-Unis fut-il informé de ce qui avait lieu à +Baltimore, qu'il écrivit: 1<sup>o</sup> à Jérôme pour le prévenir que l'union +qu'il voulait contracter était <i>nulle</i> aux yeux de la loi; 2<sup>o</sup> à M. +Paterson le père, pour mettre sous ses yeux la loi française; 3<sup>o</sup> +enfin à M. d'Hebecourt, l'agent consulaire français dans le +Maryland, pour lui donner des instructions en cas qu'on voulût +passer outre et ne pas tenir compte de ses observations.</p> + +<p>Jérôme eut connaissance aussi par Pichon des lettres écrites à MM. +Paterson et d'Hebecourt<a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a><a href="#footnote87" title="Lien vers la note 87"><span class="smaller">[87]</span></a>, puis le ministre des relations +extérieures de France (Talleyrand) reçut communication de toutes les +pièces relatives à cette affaire. Ceci se passait pendant le mois +d'octobre 1803. Ces démarches du consul général, ces observations +fort justes parurent produire un certain effet, car le mariage de +Jérôme sembla quelque temps un projet abandonné. Pichon en profita +pour engager vivement le jeune officier à s'embarquer sur une +frégate française, <i>la Poursuivante</i>, alors en relâche à Baltimore. +Mais la famille Paterson, d'accord avec Jérôme, abusait le consul +général; le mariage, s'il avait été un instant rompu, s'était +renoué. Jérôme ne songea plus à retourner en France pour le moment. +Il déclara formellement <span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> qu'il ne se rendrait pas à bord de +<i>la Poursuivante</i> et qu'il attendrait à Baltimore les ordres du +premier consul. Au reste, ajoutait-il, il était en mission et +n'avait d'ordre à recevoir que du ministre.</p> + +<p>Pendant ce temps-là Decrès, ayant connu par le lieutenant Meyronnet +la position de Jérôme aux États-Unis, avait soumis l'affaire au +premier consul, qui lui prescrivit d'expédier de nouveau le +lieutenant de Jérôme avec des instructions pour le retour en France +de ce dernier. Meyronnet partit donc pour se rendre en Amérique +précisément à l'époque où l'affaire du mariage se dénouait +inopinément à Baltimore.</p> + +<p>Ainsi que nous l'avons dit, Pichon était persuadé que sur ses +observations fort judicieuses, la famille Paterson et Jérôme +lui-même avaient complètement abandonné leurs projets. Il était donc +fort tranquille de ce côté lorsque, le 25 décembre, il apprit tout à +coup par M. Lecamus que le jeune Bonaparte, à qui il avait envoyé +une somme assez considérable, venait de faire célébrer son mariage à +Baltimore, quatre jours auparavant, le 21. Bien plus, il fut informé +par l'agent consulaire français, M. Sottin, que l'union, renouée +tout à coup, avait eu lieu en sa présence, parce qu'il n'avait pas +cru devoir faire au premier consul l'affront de refuser d'assister à +cet acte.</p> + +<p>Pichon s'empressa de témoigner à Sottin son mécontentement de ce +qu'il avait assisté au mariage et de ce qu'il avait signé un acte +contraire à la loi française, et donné l'apparence légale à un acte +nul aux yeux de cette loi. Il rendit compte ensuite de toute cette +affaire au ministre des relations extérieures; puis, quelques +semaines plus tard, le 20 février, il écrivit de nouveau une lettre +des plus curieuses relative à Jérôme, à M<sup>lle</sup> Paterson et à la +famille de cette dernière.</p> + +<p>La nouvelle de ce mariage, contracté malgré la loi, malgré toutes +les représentations du consul français, arriva à Paris lorsque +Napoléon avait changé son titre de premier consul contre une +couronne impériale. Furieux de voir que son jeune frère était le +premier à enfreindre les lois de son pays, il défendit immédiatement +de reconnaître cette union.</p> + +<p>On trouve à cet égard, au <i>Moniteur</i> du 13 vendémiaire an XIII (4 +mars 1805), la note suivante:</p> + +<p class="lettre">Par un acte de ce jour, défense est faite à tous officiers de l'état + civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la transcription + de l'acte de célébration d'un prétendu mariage contracté en pays + étranger, en âge <span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> de minorité, sans le consentement de sa + mère, et sans publication préalable dans le lieu de son domicile.</p> + +<p>En outre, quelques jours plus tard, l'empereur rendit, comme chef de +la famille impériale, le décret suivant:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui ces présentes + verront, salut;</p> + +<p>Aussitôt que nous avons été informé d'un prétendu mariage, contracté + dans les pays étrangers par notre frère Jérôme Bonaparte, encore + mineur, sans aucun consentement de nous, ni de madame notre mère, et + contre les dispositions des articles 63, 148, 166, 168, 170 et 171 + du code civil, nous avons cru devoir, pour le maintien des lois et + de la subordination qu'elles établissent dans les familles, faire, + par notre décret du 11 ventôse an 13, défenses à tous les officiers + de l'état civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la + transcription de l'acte de célébration dudit mariage prétendu.</p> + +<p>Ces précautions ne nous ayant point paru suffisantes pour garantir + de toute atteinte la dignité de notre couronne, et pour assurer la + conservation des droits, qu'à l'exemple de tous les autres princes, + nous exerçons sur tous ceux qui ont l'avantage de nous appartenir, + nous avons jugé qu'il importait au bien de l'État et à l'honneur de + notre famille impériale, de déclarer d'une manière irrévocable la + nullité dudit prétendu mariage, comme aussi de prévenir et de rendre + vaines toutes tentatives qui seraient faites pour y donner suite ou + effet.</p> + +<p>À ces causes nous avons ordonné et décrété, ordonnons et décrétons + ce qui suit:</p> +</div> + +<p>Suit le décret en 5 articles qui rend nul le mariage de Jérôme et +déclare les enfants illégitimes, etc., etc.</p> + +<p>Neuf ans plus tard, en 1812, bien après le mariage de Jérôme, devenu +prince français et roi de Westphalie, avec la princesse Catherine de +Wurtemberg, l'assemblée générale de Maryland déclara l'union de ce +prince avec M<sup>lle</sup> Paterson nulle et sans effet, et les deux +contractants divorcés, mais sans que cela puisse illégitimer +l'enfant issu de cette union.</p> + +<p>Ainsi, pour résumer cette singulière union: un enfant, ayant +dix-neuf ans à peine, devient épris d'une jeune personne. Sans égard +pour les observations qui lui sont faites, sans prendre souci des +lois de son pays, dont il est éloigné, sans prévenir même sa +famille, il épouse, <i>du consentement du père qui n'ignore ni les +conséquences ni les nullités de cet acte</i>, la fille d'un homme +honorable. Ce père a été <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> bien et <i>dûment prévenu que le +mariage est nul aux yeux de la loi française</i>.</p> + +<p>La mère du jeune homme proteste, le chef de la famille, devenu chef +de l'État et qui a le devoir de faire exécuter les lois, déclare non +seulement le mariage nul, mais les enfants à naître <i>illégitimes</i>; +neuf ans plus tard, le divorce est prononcé dans le pays même où +l'union a été contractée, et cela par l'assemblée juge en pareille +matière, lorsque déjà le marié a épousé une autre femme.</p> + +<p>Tel est le résumé de cette bizarre affaire, que l'on peut considérer +comme ayant eu pour cause, d'un côté le coup de tête d'un jeune +cœur amoureux, d'un autre l'ambition d'une famille qui voit dans +ce mariage, qu'elle espère faire reconnaître un jour ou l'autre, un +motif de puissance à venir<a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a><a href="#footnote88" title="Lien vers la note 88"><span class="smaller">[88]</span></a>.</p> + +<p>Jérôme Bonaparte et M<sup>lle</sup> Paterson se trouvaient dans une position +assez équivoque. Le mariage n'étant pas valide devant la loi +française, les représentants de la France en Amérique ne pouvaient +l'admettre. Tous deux vécurent dans la famille de la jeune personne +jusqu'à l'époque où l'on apprit l'avènement de Napoléon au trône +impérial. Aussitôt Jérôme songea à retourner en France, d'autant +plus que dans l'intervalle il avait reçu, par le lieutenant +Meyronnet, les instructions du ministre de la marine. Il fut donc +résolu qu'il s'embarquerait sur la frégate <i>la Didon</i>. Pichon +espérait enfin le voir quitter l'Amérique, mais il n'en devait être +encore rien. <i>La Didon</i> se trouva bloquée par des forces +supérieures, et Jérôme, ayant reçu des lettres de sa famille qui lui +faisaient sans doute connaître que son mariage ne serait pas +reconnu, ne voulait plus partir.</p> + +<p>Le projet de départ fut remis au mois d'octobre. Le capitaine de +vaisseau Brouard se trouvait prêt à mettre à la voile avec les +frégates qu'il commandait. Jérôme avait promis de partir; mais tous +les jours c'était de la part du jeune officier des objections, des +tergiversations. Si, d'une part, en prévision des grands événements +qui se préparaient en Europe, il tardait à Jérôme de courir auprès +de son frère pour jouer un rôle digne de lui et pour obtenir son +pardon, d'un autre, il était retenu en Amérique par la famille +Paterson à laquelle il avait <span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> promis de ne pas abandonner +sa femme avant d'avoir obtenu la reconnaissance de son mariage.</p> + +<p>À la fin de décembre cependant, Jérôme s'embarqua avec M<sup>lle</sup> +Paterson, à l'insu de tout le monde, sur un bâtiment américain nommé +<i>le Philadelphie</i>; mais ce navire se perdit au bas de la rivière. Il +avait été frété par Jérôme Bonaparte lui-même, pour le ramener en +France avec sa jeune femme et la tante de cette dernière. Pichon, +informé de cette circonstance, se hâta de se rendre auprès d'eux, +dans l'État de Delaware.</p> + +<p>Bientôt après le jeune homme fit une autre tentative pour son retour +en France. Il monta à bord du <i>Président</i>, frégate française; mais +une frégate anglaise étant venue se placer en face du bâtiment, +M<sup>lle</sup> Paterson eut peur et voulut descendre. Jérôme et elle +revinrent encore une fois à Baltimore.</p> + +<p>En 1804, le consul général français, rappelé en France à cause du +mariage Paterson, écrivit au ministre des relations extérieures (31 +mars) la longue lettre ci-dessous relative à cette affaire:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Citoyen Ministre, à la suite de la correspondance que j'ai eu + l'honneur de suivre avec vous relativement à M. Bonaparte, j'ai + celui de vous adresser ci-inclus l'extrait d'une dépêche que j'ai + écrite au ministre de la marine. Cette dépêche avait pour objet + d'informer ce ministre, dans le département duquel la chose + rentrait, de ce que j'avais fait vis-à-vis de M. Bonaparte en + conséquence des instructions que je vous ai communiquées dans la fin + de ma dépêche du 30 pluviôse. Je me proposais, comme je vous l'ai + marqué, de presser M. Jérôme de s'embarquer sur la <i>Poursuivante</i> + quand elle serait prête. C'est, comme vous le voyez et comme vous + l'aurez appris longtemps avant par l'arrivée de la frégate, ce que + j'ai fait, mais sans succès.</p> + +<p>C'est postérieurement à mes instances à cet égard envers M. Jérôme, + citoyen Ministre, que votre lettre du 4 frimaire m'est parvenue. Je + ne l'ai reçue que le 4 de ce mois; M. Bonaparte avait reçu + antérieurement les dépêches du ministre de la marine. Si votre + lettre me fût parvenue plus tôt, citoyen Ministre, je me serais + abstenu de donner à M. Jérôme aucun conseil; quant à celui que j'ai + donné, qui n'a pas obtenu votre approbation, les événements + subséquents indépendamment des circonstances qui dans le temps m'y + déterminèrent, l'auront, je l'espère, complètement justifié à vos + yeux.</p> + +<p>Depuis quinze jours, citoyen Ministre, j'ai l'avis que le + gouvernement en nommant un ministre plénipotentiaire a cru devoir + aussi, en conséquence des lettres de M. Jérôme, me donner un + successeur comme consul général. L'attente où j'ai été journellement + de cette nouvelle <span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> mission m'a empêché de vous écrire + ultérieurement sur cet officier et sur l'embarras où je me trouve + quant aux demandes d'argent qu'il m'a adressées à mon dernier voyage + à Baltimore. J'espérais qu'une nouvelle légation m'ôterait de + l'alternative excessivement fâcheuse où je me suis trouvé + constamment par rapport à lui de faire trop ou trop peu. J'ai avancé + depuis le mois de décembre à M. Jérôme 13,000 dollars, dont 3,000 + pendant mon dernier séjour à Baltimore vers la fin de février. + Depuis il m'a fait presser de payer trois à quatre mille dollars de + dettes qu'il avait contractées et au payement desquelles je croyais + qu'il avait appliqué les fonds que je lui avais remis + antérieurement. La considération du service public qui devient de + jour en jour plus onéreux ici, l'impossibilité de se procurer des + fonds sur des traites, la crainte d'être trop facile en avances et + le désir de me décharger sur mes successeurs de ces demandes + embarrassantes, m'ont fait prier M. Bonaparte d'attendre quelque + temps. L'intervalle qui s'est écoulé depuis les avis que j'ai reçus + de France et les instances des créanciers de M. Jérôme me + détermineront à faire des avances ultérieures qui, j'ose le croire, + seront approuvées du premier consul. Je serai en outre obligé de + faire à M. Bonaparte des payements pour pourvoir à son existence + d'une manière convenable.</p> + +<p>J'ai appris que M. Jérôme se plaignait beaucoup de mes derniers + refus d'argent ou plutôt de mes réponses déclinatoires et qu'il les + attribuait à de la pique résultant de mon rappel. J'ose croire que + vous me connaissez trop, citoyen Ministre, pour penser que je sois + accessible à ces motifs. Les torts de M. Bonaparte envers moi n'ont + pas pris un caractère plus grave par l'effet qu'ils ont pu produire. + Du moment où je les ai connus, quelles qu'en pussent être les + suites, j'ai su quelle opinion m'en former; mais, comme vous l'avez + vu, ils n'ont eu aucune influence sur ma conduite envers lui; j'ai + fait aux convenances publiques le sacrifice des sentiments que j'ai + dû éprouver; j'ai même attendu pour m'en exprimer avec vous, citoyen + Ministre, comme je le dois à moi-même, que les résultats en fussent + connus, désirant laisser une libre action aux rapports de M. + Bonaparte. À présent que l'effet est produit, vous me permettrez, + citoyen Ministre, d'en appeler à vous sur ce que j'ai dû sentir + quand j'ai appris qu'un jeune homme de 19 ans que j'ai reçu à ma + table, qui m'a reçu à la sienne, avec qui j'ai passé deux jours + entiers, le dernier surtout, dans une sorte de familiarité, qui, ce + dernier jour, m'a demandé et a obtenu de moi de bons offices + personnels qui supposent une bienveillance réciproque, que ce jeune + homme qui m'a quitté en me serrant la main, ait pu, deux jours + après, fabriquer dans l'ombre des interprétations calomnieuses et + malignes à des conversations de table auxquelles vous devez croire + que l'âge de M. Bonaparte ne m'a pas permis de prendre un bien grand + intérêt.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> Si j'avais eu le temps de vous rendre, citoyen Ministre, + toutes les interpellations singulières et excentriques que M. + Bonaparte m'a faites à son arrivée et auxquelles j'ai dû répondre en + lui faisant voir l'inconvenance et l'impossibilité d'y satisfaire, + vous auriez eu la clef des délations de M. Bonaparte.</p> + +<p>L'excessive familiarité qu'il était probablement habitué à prendre + avec tout le monde dans les colonies m'aurait, je vous l'assure, + porté à ne me tenir près de lui que le temps nécessaire pour lui + rendre les services et les devoirs de ma place, si, par déférence + pour sa famille et pour sa position, je n'avais cru devoir, dans + l'isolement où il était, lui tenir littéralement compagnie; je dois + dire que, sous ce dernier rapport, M. Jérôme a changé en mieux + depuis son séjour aux États-Unis. Mais outre que je ne me sentais + nullement disposé à vous rendre compte des choses que l'âge excuse + et qui auraient eu l'air, de ma part, d'un rapport, comme je n'avais + aucun motif ni dans ma conscience, ni dans la conduite de M. + Bonaparte envers moi, qui pût me faire craindre des démarches comme + celles qu'il a faites, je n'ai pu songer à anticiper sur leurs + effets. Si j'eusse pu prévoir par quelque indice ces délations, + j'aurais dès lors, comme depuis j'en ai ouï parler, eu trop de + confiance dans votre justice, citoyen Ministre, et dans celle du + premier consul, pour croire que sur des représentations que l'âge de + l'officier et sa position devaient discréditer, mon sort, comme + homme public, pût être décidé sans me donner l'occasion de me + justifier d'accusations que j'ignore encore, surtout quand j'ai la + confiance que ma conduite comme agent du gouvernement n'a pu que me + mériter son approbation.</p> + +<p>Je dis que j'ignore encore sur quoi portent les délations de M. + Jérôme, car je ne puis croire que ce qu'il m'a envoyé trois mois + après, sur un reproche indirect que je lui en fis, soit une copie + exacte de ce qu'il a écrit et de ce dont il n'a probablement dans le + temps pas gardé de minute; ce qu'il m'a communiqué me prête des + choses qui n'ont pas de sens et entre autres il me faire dire qu'il + n'y a en France ni droit civil, ni droit militaire.</p> + +<p>Au surplus, citoyen Ministre, je vous demande pardon de vous avoir + entretenu si longtemps de choses qui me concernent. C'est pour me + dispenser de vous en parler à Paris et n'avoir qu'à vous prier, en + tout cas, de remercier le premier consul de la faveur qu'il m'avait + faite en me confiant cette place et à vous assurer de ma + reconnaissance pour la bienveillance que vous m'avez témoignée.</p> +</div> + +<p>Pichon, appelé plus tard par Jérôme en Westphalie, devint un de ses +conseillers d'État.</p> + +<p>En février 1805, sans faire connaître son projet aux autorités +<span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> françaises, Jérôme prit passage sur l'<i>Ering</i>, en +destination pour Lisbonne, avec sa femme et son beau-père.</p> + +<p>Cette fois, il revit l'Europe après une traversée heureuse. Il vint +débarquer à Lisbonne le 8 avril, et, laissant dans cette ville sa +femme et M. Paterson, il partit à franc étrier pour Madrid, courant +nuit et jour pour rejoindre l'empereur, alors au couronnement à +Milan.</p> + +<p>Le <i>Moniteur</i> du 9 mai 1805 annonçait le fait par la note suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Lisbonne, 8 avril 1805.</p> + + <p>M. Jérôme Bonaparte est arrivé ici sur le bâtiment américain sur + lequel étaient comme passagers M. et M<sup>lle</sup> Paterson. M. Jérôme + Bonaparte vient de prendre la poste pour Madrid et M. et M<sup>lle</sup> + Paterson se sont rembarques. On les croit retournés en Amérique.</p> +</div> + +<p>Le 24 avril il était à Turin, et il ne tarda pas à rejoindre son +frère auprès de qui il rentra bientôt en grâce, ainsi qu'on le +verra. Quant à M<sup>lle</sup> Paterson, elle dut renoncer à toute idée de +reconnaissance et de validation de son mariage. En compensation, +elle reçut une pension viagère de 60,000 francs. L'empereur ne lui +permit pas de débarquer en France et donna à cet égard des +instructions secrètes<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a><a href="#footnote89" title="Lien vers la note 89"><span class="smaller">[89]</span></a>.</p> + +<p>Sottin, blâmé, essaya de se justifier dans une lettre adressée à +Pichon. Quant à Jérôme, une fois en Europe, il fit tenir à +l'empereur une lettre de soumission et de regret qui lui valut le +pardon de son frère. Ce dernier l'appela près de lui à Milan, et +ordonna que tous les ports de France fussent fermés à la famille +Paterson. Il chargea ensuite son oncle le cardinal Fesch de se +rendre auprès du pape pour obtenir l'annulation du mariage religieux +contracté à Baltimore.</p> + +<p>Le 9 juin 1805, le cardinal écrivit à Napoléon:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, j'ai présenté hier la tiare<a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a><a href="#footnote90" title="Lien vers la note 90"><span class="smaller">[90]</span></a> à Sa Sainteté. Elle vous en + remerciera par sa lettre. Je suis arrivé à temps pour faciliter et + éclaircir les doutes de Sa Sainteté sur le mariage de Jérôme. Après + des recherches faites dans les bureaux de la Propagande, l'évêque de + Baltimore est simplement évêque de l'endroit sans avoir de pouvoirs + plus étendus, ainsi, le cas de nullité par suite de la présence du + propre pasteur a lieu, mais on objecte que le concile de Trente + n'ayant point été publié dans ces pays-là, on doit régler les + mariages comme en Hollande, où les <span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> mariages clandestins + sont valides, selon la déclaration de Benoit XIV. Cependant, j'ai + trouvé l'autorité du savant Estins appuyée par le concile de Cambrai + qui déclare que dans le cas que des étrangers se marient dans un + pays où le concile de Trente n'a pas été publié, il faut déclarer + leur mariage nul par défaut du propre curé; lorsque dans leur pays + natal, ou de résidence, cette obligation existe. Jérôme est né en + Corse où ce concile a été publié, il réside à Paris où cette + obligation existe, par une loi expresse, qui publie cette + disposition particulière du concile de Trente sur la présence du + propre curé, ainsi, nul doute que ce mariage ne soit déclaré nul + selon les autorités susdites.</p> + +<p>Le pape voudrait bien décider l'affaire en déclarant la nullité; + mais il est encore dans l'indécision et le doute. On a présenté les + questions sous un autre nom et en secret. Le pape voudrait mettre + tout le monde d'accord. V. M. doit être bien convaincue du zèle et + de l'activité que je mets dans cette affaire. J'espère de n'avoir + pas été inutile<a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a><a href="#footnote91" title="Lien vers la note 91"><span class="smaller">[91]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Pour terminer ce qui dans l'histoire du dernier des frères de +Napoléon a trait à sa première femme, M<sup>lle</sup> Elisa Paterson, nous +donnerons encore ici deux lettres envoyées par Napoléon, la première +datée d'Alexandrie, 2 mars 1805, et adressée à l'archichancelier +Cambacérès; la seconde du 9 décembre 1809, adressée au ministre des +affaires étrangères duc de Cadore. Voici la première:</p> + +<p class="lettre">Je ne conçois rien à vos jurisconsultes. Ou M<sup>lle</sup> Paterson est + mariée ou non. Non, il ne faut aucun acte pour annuler son mariage, + et si Jérôme voulait contracter un nouveau mariage en France, les + officiers de l'état civil l'admettraient et il serait bon.</p> + +<p>Voici la seconde:</p> + +<p class="lettre">Écrivez au général Thurreau<a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a><a href="#footnote92" title="Lien vers la note 92"><span class="smaller">[92]</span></a> que je l'autorise à donner tous les + fonds dont M<sup>lle</sup> Paterson pourrait avoir besoin pour sa subsistance, + me réservant de régler son sort incessamment; que du reste, je ne + porte aucun intérêt en cela que celui que m'inspire cette jeune + personne; mais que si elle se conduisait assez mal pour épouser un + Anglais, alors mon intérêt pour ce qui la concerne cesserait, et que + je considèrerais qu'elle a renoncé aux sentiments qu'elle a exprimés + dans sa lettre et qui seuls m'avaient intéressé à sa situation.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> Jérôme ne revit plus qu'une seule fois M<sup>lle</sup> Paterson. Ce +fut pendant son exil, longtemps après la chute du premier empire et +la mort de Napoléon I<sup>er</sup>. Ils se rencontrèrent par hasard à Florence +et ne s'adressèrent pas la parole, mais le prince conserva toujours +une correspondance épistolaire avec son fils Jérôme +Bonaparte-Paterson, pour qui la reine Catherine montra une grande +bienveillance, et qu'il vit à Paris sous le second empire, en 1853, +l'empereur Napoléon III l'ayant fait venir en France, ainsi que son +fils, qui eut un grade dans l'armée. M<sup>me</sup> Jérôme Bonaparte-Paterson +a survécu plusieurs années à son mari, car elle est morte seulement +en 1879.</p> + +<p>Cependant Napoléon, loin d'avoir abandonné ses vastes projets +maritimes, donnait à cette époque plus de soins que jamais à cette +partie des forces vives de son vaste empire. Les flottes reformées +de la France commençaient, grâce à lui, à lutter avec avantage +contre celles de l'Angleterre. La plus belle armée et la mieux +disciplinée qui se fût encore vue campait sur les côtes de la +Manche, les yeux tournés vers la Tamise, et n'attendant que le +signal pour s'élancer de l'autre côté du détroit. L'empereur avait +fait de deux de ses frères, Joseph et Louis, des colonels; Lucien, +franchement républicain et rebelle à sa main puissante, s'était +détaché de lui; Jérôme devait continuer son métier de marin, métier +dans lequel il avait réellement donné déjà des espérances. Telle +était la volonté puissante d'un génie qui trouvait alors bien peu de +contradiction. Jérôme était tout disposé à reprendre la mer. Aussi +accepta-t-il avec joie de se rendre à Gênes pour y commander la +frégate <i>la Pomone</i>.</p> + +<p>Napoléon fit connaître au ministre de la marine Decrès son intention +à l'égard de son jeune frère par une longue instruction en date du +18 mai.</p> + +<p>Jérôme devait prendre non seulement le commandement de <i>la Pomone</i>, +mais aussi celui de deux bricks. Après s'être rendu avec sa division +à Toulon, il devait croiser dans les eaux de Gênes pour exercer ses +équipages et presser tous les matelots de la Corse et de l'île +d'Elbe. L'empereur recommandait au ministre de faire en sorte que la +division commandée par son frère ne s'éloignât pas trop de la côte +et que le second à bord de <i>la Pomone</i> fût un bon marin.</p> + +<p>Dans cette instruction dictée et signée par Napoléon lui-même, on +peut à notre avis reconnaître chez l'empereur la crainte d'exposer +un frère bien jeune encore, le désir de lui faire acquérir de la +gloire en le mettant en vue, et aussi celui d'être utile à sa marine +de guerre <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> en faisant comprendre à tous qu'un membre de la +famille impériale serait un jour à la tête des flottes.</p> + +<p>Une autre lettre, écrite également par l'empereur à son ministre de +la guerre Berthier, descend dans les détails les plus curieux sur la +conduite que le jeune commandant de <i>la Pomone</i> doit tenir à son +bord. On y lit en tête: «Mon cousin, faites connaître à M. Jérôme +qu'il étudie bien les manœuvres du canon, parce que je lui ferai +commander l'exercice, etc.»</p> + +<p>Jérôme recevait en même temps ses instructions et le brevet de +capitaine de frégate<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a><a href="#footnote93" title="Lien vers la note 93"><span class="smaller">[93]</span></a>.</p> + +<p>Jérôme, une fois à la tête de sa division à Gênes, trouva sans doute +que le frère de l'empereur devait être plus qu'un simple capitaine +de frégate, et surtout que son rang ne lui permettait pas de n'avoir +point table ouverte, car il prit de son autorité privée les insignes +de capitaine de vaisseau, se crut le droit de nommer aux emplois de +son bord et se fit payer ses frais sur le pied des officiers de ce +grade. Une très singulière correspondance résulta de ce sans-gêne du +jeune officier. Le ministre de la marine, informé par Jérôme +lui-même, lui écrivit:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 12, par laquelle vous + m'informez que vous avez reçu de S. M. l'empereur l'ordre de garder + à bord de <i>la Pomone</i> le capitaine Charrier. Vous avez pensé devoir + prendre les marques distinctives du grade de capitaine de vaisseau + et vous y ajoutez de très justes observations sur ce qui résulterait + d'inconvénient à les quitter, après avoir été reconnu dans ce grade + par la division sous vos ordres.</p> + +<p>Je ne puis, Monsieur, que soumettre à S. M. cette circonstance très + sérieuse sur laquelle elle seule peut prononcer. Mais je dois + improuver la facilité avec laquelle vous avez préjugé ses intentions + à cet égard.</p> + +<p>Je dois vous prévenir aussi que S. M. donne seule en Europe des + avancements même provisoires dans la marine, et qu'en conséquence + celui de M. Chassériau doit nécessairement être ajourné jusqu'à ce + que S. M. le lui ait conféré, car par décret du 30 vendémiaire an + VI, elle a défendu qu'aucun titre ou grade ne fût valable et ne + donnât lieu à appointements qu'autant qu'il a été donné et confirmé + par elle.</p> + +<p>Au reste, l'intérêt que vous inspire l'enseigne Chassériau me + persuade <span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> qu'il a des droits au grade supérieur. Je vais + les examiner, et je désire qu'ils soient tels que je puisse proposer + à S. M. de le lui conférer.</p> +</div> + +<p>Le 6 fructidor an XIII (24 août 1805) on écrivit de Boulogne au +ministre de la marine:</p> + +<div class="lettre"> +<p>L'inspecteur de marine à Gênes observe que M. Jérôme Bonaparte a + reçu son traitement de table comme capitaine de vaisseau, quoique + cet officier n'ait réellement que le grade de capitaine de frégate.</p> + +<p>Il demande à ce sujet les ordres de Monseigneur.</p> + +<p>Point de doute qu'il n'y ait lieu à improuver le paiement fait à M. + Jérôme; cependant avant de présenter un projet de lettre en + conséquence à Son Excellence, on la prie de donner ses ordres.</p> +</div> + +<p>Le ministre de la marine écrivit au-dessous de cette note, de sa +main: <i>Traitement selon son grade.</i></p> + +<p class="lettre"><i>Écrire</i>: Il est ridicule qu'on me fasse entrer dans ces détails. + Chacun sait qu'on ne doit toucher que le traitement de son grade, + or, j'ai fait connaître celui que S. M. a bien voulu accorder à M. + Bonaparte. Ainsi, que l'inspecteur fasse son devoir et refuse de + signer.</p> + +<p>Le 27 brumaire an XIV (48 novembre 1805), le préfet maritime à Gênes +adresse l'état des sommes payées dans ce port au commandant Jérôme.</p> + +<p>Il résultait de cet état que le bureau des armements à Gênes lui +avait payé ses frais de table 24 fr. par jour comme capitaine de +vaisseau de 2<sup>e</sup> classe, parce que le bureau l'avait trouvé inscrit +en cette qualité sur le rôle lors de la prise de service, le 15 +messidor an XIII, et que le bureau des revues l'avait traité comme +capitaine de frégate, 20 fr., parce qu'il n'était porté qu'avec ce +titre sur son livret.</p> + +<p>Cela venait de ce qu'au passage de l'empereur à Gênes, le bruit +public avait couru que Jérôme était nommé capitaine de vaisseau, et +que le jeune homme en avait pris les insignes<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a><a href="#footnote94" title="Lien vers la note 94"><span class="smaller">[94]</span></a>.</p> + +<p>Peu de temps après avoir donné le commandement de la petite division +alors à Gênes, l'empereur lui annonça à lui-même, 3 juin, de Milan, +qu'il l'avait nommé au grade de capitaine de frégate. On voit dans +cette lettre et dans celles qu'il lui écrivit à cette époque quel +cas il faisait de son caractère.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> Bientôt Napoléon se rendit à Gênes et mit deux frégates de +plus (<i>l'Uranie</i> et <i>l'Incorruptible</i>) sous le commandement de son +jeune frère. Le 5 juillet il lui envoya une instruction très précise +sur ce qu'il avait à faire avec son escadre légère.</p> + +<p>Jérôme devait compléter ses équipages, se rendre à Bastia, y prendre +tous bons matelots, recueillir des renseignements sur la situation +des Anglais aux îles de la Madeleine, côtoyer ensuite la Sardaigne +jusqu'aux trois quarts de la côte, s'emparer des bâtiments qui se +trouveraient dans le port de la Madeleine, se présenter devant +Alger, exiger qu'on lui remette les esclaves génois, italiens et +français détenus dans les prisons du dey, et revenir soit à Toulon, +soit à Gênes, en ayant soin de ne pas rester plus de six jours sur +les côtes d'Afrique.</p> + +<p>Ce fut à cette époque que Napoléon I<sup>er</sup> revit son frère Lucien, dont +il désapprouvait le mariage, comme il avait désapprouvé celui de +Jérôme. Ce dernier ayant cru pouvoir lui écrire pour lui parler de +Lucien une lettre qui ne nous est pas parvenue, l'empereur lui +répondit durement le 9 juin 1805, de Milan:</p> + +<p class="lettre">Mon frère, j'ai reçu votre lettre. Je ne tarderai pas à me rendre à + Gênes. Tout ce que vous pouvez me dire ne peut influer en rien sur + ma résolution. Lucien préfère une femme... à l'honneur de son nom et + de sa famille. Je ne puis que gémir d'un si grand égarement d'un + homme que la nature a fait naître avec des talents, et qu'un égoïsme + sans exemple a arraché à de belles destinées et a entraîné loin de + la route du devoir...—M<sup>lle</sup> Paterson a été à Londres, ce qui a été + un sujet de grand mouvement parmi les Anglais.—Elle ne s'en est + rendue que plus coupable.</p> + +<p>Vers le milieu de juillet, la division navale de Gênes fut en état +de prendre la mer. Elle allait mettre à la voile, lorsque des +nouvelles de Livourne annoncèrent qu'Alger avait été envahi par les +tribus des montagnes ou Kabaïles. Jérôme crut devoir différer son +départ et demander de nouveaux ordres. Le ministre lui fit connaître +que l'empereur ne croyait pas à la vérité de ces nouvelles, mais que +les faits fussent-ils bien réels, il n'y voyait qu'un motif de plus +pour son frère de hâter son départ et de remplir sa mission.</p> + +<p>Jérôme se tint prêt à appareiller. Il avait pris à peu près de force +des matelots sur d'autres navires pour compléter ses équipages, et +bien que ses caronnades ne fussent pas encore toutes arrimées, il +résolut de faire terminer ce travail en mer et de mettre à la voile. +<span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> En effet, dans la nuit du 6 au 7 août il leva l'ancre et +mit le cap sur la Corse, mais il fut d'abord contrarié par un calme +et de petits vents jusqu'au 9, ensuite par une bourrasque de l'ouest +qui occasionna des avaries à la division et le força de venir +relâcher à Toulon pour avoir des pièces de rechange.</p> + +<p>Après un séjour de soixante-douze heures employées à se réparer, la +division commandée par Jérôme partit de nouveau. Elle se composait +alors des trois frégates <i>la Pomone</i>, <i>l'Uranie</i> et +<i>l'Incorruptible</i>, des bricks <i>l'Endymion</i> et <i>le Cyclope</i>, auquel +le préfet maritime voulut bien adjoindre le brick <i>l'Abeille</i>, bon +marcheur destiné à servir d'éclaireur.</p> + +<p>Le jeune capitaine de frégate remplit la mission que l'empereur +venait de lui confier avec la plus grande énergie et le plus grand +succès; aussi Napoléon et Decrès lui témoignèrent-ils combien ils +étaient satisfaits de sa conduite dans cette circonstance.</p> + +<p>Le 11 septembre 1805, Decrès écrivit à Jérôme, de Paris:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur le commandant, la plus brillante réussite vient de + couronner la mission que S. M. l'empereur vous avait confiée; vous + portant rapidement de Toulon sur Alger, l'arrivée inattendue de + votre division ainsi que la fermeté de vos demandes ont affermi la + considération de la Régence pour le pavillon de S. M. Vous avez + brisé les fers d'un grand nombre de Liguriens qui depuis longtemps + souffraient les horreurs de la captivité et votre retour à Gênes a + été marqué par les bénédictions des nouveaux Français.</p> + +<p>Personne ne pouvait, et à plus de titres que moi, prendre plus de + part à des succès aussi flatteurs pour vous et je m'empresse de + joindre mes sincères félicitations à celles qui vous ont déjà été + offertes.</p> +</div> + +<p>De la main du ministre:</p> + +<p class="lettre">Toute l'Europe a les yeux sur vous et particulièrement la France et + la marine de S. M. Vous devez à celle-ci de lui donner l'exemple de + l'activité et du dévouement à votre métier. Vous le concevez comme + moi-même et ce sera pour moi un devoir agréable à remplir que de + faire remarquer à l'empereur le développement de ces qualités dans + toutes les opérations dont vous chargera sa confiance.</p> + +<p>L'empereur ne laissa pas à son frère le temps de prendre un peu de +repos. Après sa campagne à Alger, il lui donna le commandement du +vaisseau de 74 <i>le Vétéran</i>, le meilleur de l'escadre du +contre-amiral Willaumez, escadre chargée de se rendre en Amérique et +de faire le plus de mal possible à la marine et aux colonies +anglaises.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> Willaumez, avant de partir, reçut du ministre des +instructions très précises pour tenir sa mission secrète vis-à-vis +tout le monde<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a><a href="#footnote95" title="Lien vers la note 95"><span class="smaller">[95]</span></a>, et pour traiter Jérôme Bonaparte en simple +capitaine de vaisseau; mais à peine en mer, il crut devoir s'écarter +de ses instructions. Soit pour flatter le jeune frère de l'empereur +et se le rendre favorable, soit parce qu'il avait reconnu en lui +l'étoffe d'un marin de grand mérite, il le nomma son second, bien +qu'il fût le moins ancien des commandants de vaisseau de la flotte, +il lui fit connaître le but de l'expédition et écrivit à Decrès que +Jérôme avait été désigné par les autres officiers pour le poste +qu'il lui confiait, comme étant reconnu le plus capable.</p> + +<p>Cette violation du secret de l'expédition fit comprendre à Jérôme +que la flotte devait tenir la mer beaucoup plus longtemps que le +ministre ne le lui avait dit et l'indisposa d'une façon violente. Le +jeune homme, ami des plaisirs, n'était pas d'humeur à s'éterniser à +son bord.</p> + +<p>Il témoigna son mécontentement, et Willaumez en vint bientôt à +craindre que Jérôme, assez peu patient de sa nature, n'écrivît à +Decrès une lettre violente. Aussi crut-il devoir essayer d'arrêter +le jeune homme dans cette voie, en lui adressant, en date du 14 +décembre 1805, une longue dépêche que l'on trouvera plus loin.</p> + +<p>Donnons d'abord deux lettres relatives à l'expédition, l'une du +ministre au préfet maritime, en date du 12 novembre, l'autre de +Willaumez au ministre en date du 6 décembre 1805.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je réponds, Monsieur, à vos dépêches des 11, 13 et 15 courant, + relativement aux escadres expéditionnaires.</p> + +<p>Le motif de la substitution de <i>l'Éole</i> au <i>Jupiter</i> n'a eu d'autre + objet que de mettre un vaisseau plus solide dans la division + Willaumez à la place d'un autre qui l'était moins. Ainsi, si par les + réparations faites au <i>Jupiter</i>, ce vaisseau est aussi solide que + <i>l'Éole</i>, il n'y aura pas lieu à cette substitution.</p> + +<p>Je ne vois aucun inconvénient à mettre <i>l'Indienne</i> à la place de + <i>la Comète</i>, si celle-ci n'est pas prête.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> Le motif qui m'avait empêché de comprendre <i>l'Indienne</i> au + nombre des frégates en partance était fondé sur le peu d'opinion que + j'avais de ses qualités; ainsi je vous laisse libre d'employer cette + frégate au lieu de <i>la Comète</i>, si vous la croyez plus propre à une + longue campagne. Je vous prie de concerter cela avec le général + Lassègnez.</p> + +<p>Par votre lettre du 13, vous m'annoncez qu'on procède à la formation + des équipages, cette opération doit être achevée aujourd'hui.</p> + +<p>Il faut que les bâtiments qui partent soient bien armés, et je ne + puis m'abstenir de vous recommander particulièrement <i>le Vétéran</i>.</p> + +<p>L'un des deux contre-amiraux a élevé la question si M. Jérôme + Bonaparte commanderait en second ou s'il prendrait rang dans le + commandement d'après l'ancienneté de son grade?</p> + +<p>M. Jérôme est capitaine de vaisseau en date du 1<sup>er</sup> vendémiaire de + cette année, an XIV.</p> + +<p>L'empereur n'ayant donné aucun ordre qui lui fût particulier + relativement au commandement, la règle ordinaire du service doit + naturellement être suivie.</p> + +<p>Si dans la division de Gênes que M. Jérôme a commandée, il a eu sous + ses ordres des officiers plus anciens en grade que lui, cela a été + une suite d'un ordre particulier de Sa Majesté, qui n'a point eu + lieu dans le cas présent.</p> + +<p>Je remarque dans votre lettre du 15 qu'il est quelques vaisseaux + auxquels vous ne complétiez d'abord que 100 jours d'eau. Je ne puis + qu'approuver la successive progression de ce complément, mais il + importe que toute l'escadre ait définitivement 4 mois d'eau au + moment du départ.</p> + +<p>J'ai lieu d'espérer que le 30, les deux divisions seront enfin + prêtes à mettre à la voile, ne négligez rien pour devancer ce terme, + s'il est possible, et continuez à m'informer par chaque courrier du + progrès des travaux.</p> + +<p>Dès que les escadres seront prêtes, vous m'en avertirez par le + télégraphe; ni l'une, ni l'autre ne devront appareiller avant + d'avoir reçu, soit par le télégraphe, soit par courrier, l'ordre de + mettre sous voiles, en réponse à votre lettre télégraphique.</p> +</div> + +<p>L'amiral Willaumez au ministre de la marine (6 décembre 1805):</p> + +<p class="lettre">Monseigneur, le vent est faible et variable depuis plusieurs jours, + du nord-ouest à l'ouest. Aujourd'hui, il est au sud-ouest, le ciel + est brumeux et quoique le baromètre soit haut, l'opinion générale + est que nous aurons un coup de vent du sud-ouest. Ce sera après ce + temps, lorsqu'il viendra à souffler de la partie du nord, que je + pourrai appareiller et faire bonne route. Je désire très ardemment + que ce moment arrive bientôt. Je dois dire à Votre Excellence que + c'est aussi le vœu <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> de toute l'escadre, particulièrement + de M. le commandant Jérôme. Il se tient à son bord, y surveille les + exercices avec la plus grande exactitude et ne cesse de donner + l'exemple du zèle, de l'activité, du talent. Il me disait hier: «Une + demi-heure après votre signal d'appareiller, je suis sous voiles.» + Je verrai avec grand plaisir qu'avant mon départ, S. M. veuille + mettre M. Jérôme à la tête des capitaines de vaisseau. Je suis + persuadé, Monseigneur, que vous reconnaîtrez dans cette demande que + j'ai suivi avec une attention particulière et sans préjugés, la + conduite de votre ami dans le service, et que c'est cette conduite + qui seule a fixé mon jugement.</p> + +<p>Voici maintenant la lettre de Willaumez à Jérôme:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Cette lettre particulière que j'ai l'honneur de vous écrire est + dictée par les circonstances et mon attachement pour votre personne. + Souffrez que je vous parle d'amitié.</p> + +<p>Je vous engage à ne pas écrire au ministre avec humeur, vous pouvez + bien lui faire sentir que vous jugez devoir être plus longtemps + dehors qu'il ne vous l'avait fait espérer, mais conservez-le comme + un ami chaud qui a de l'esprit et qui ne laisse pas échapper les + occasions de vous servir auprès de S. M. Vous sentez, d'un autre + côté, que vous me mettriez mal avec S. E. si elle apprenait tout ce + que vous savez de confidentiel sur mes instructions.</p> + +<p>N'oubliez jamais, je vous en supplie, que tous les regards des + marins sont tournés vers vous, particulièrement dans l'escadre; de + votre exemple peuvent suivre ses succès ou sa perte.</p> + +<p>Je ne considère pas ici mon intérêt particulier auprès de l'honneur + de notre marine et de la gloire des armes de notre magnanime + souverain; il est nul, mais je ne puis vous dissimuler que si on + venait à s'apercevoir de votre mécontentement, il en pourrait + résulter une influence fâcheuse sur mes opérations et comme vous, un + des premiers affligé si nous ne réussissions pas dans toutes nos + entreprises, je ne doute nullement que vous ne contribuiez autant + par votre conduite que par vos moyens à animer chacun + d'encouragement, de détermination et de résolution à bien faire + jusqu'au dernier jour.</p> + +<p>L'escadre est bien composée, l'esprit des hommes de toutes classes + est fort bon; nous pouvons faire de grandes choses. Nous parcourons + des climats doux et une navigation facile nous conduit + infailliblement à faire beaucoup de mal aux implacables ennemis de + la France.</p> + +<p>L'expérience que vous acquérez chaque jour vous sera très utile pour + le service de votre pays et la prospérité de la marine à la tête de + laquelle vous êtes destiné à vous trouver.</p> + +<p>Écoutez les conseils d'un homme qui aime sa patrie, qui est tout + <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> dévoué au service de notre empereur et qui vous + affectionne de cœur depuis plusieurs années.</p> + +<p>Faites-moi l'amitié de croire que je n'ai dans cette conduite que + l'amour de la gloire que me tracent les instructions de S. M. et + votre intérêt personnel. Un sacrifice de quelques mois vous vaudra + nombre d'années de bonheur et vous fera obtenir de votre auguste + frère toutes sortes de satisfactions.</p> +</div> + +<p>Jérôme répondit à Willaumez:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur le général, je reçois votre lettre, je ne puis vous savoir + mauvais gré de ce que vous m'y dites. Cependant, je croyais vous + avoir plus que persuadé que rien ne me détournerait de mon devoir et + que j'ai un intérêt trop direct à la réussite de nos opérations pour + afficher un mécontentement que je n'ai point. La tenue de mon + vaisseau et de mon équipage, la manière dont l'un et l'autre + manœuvrent ont dû vous prouver que si tous les vaisseaux et + équipages de l'escadre imitaient mon exemple, les uns et les autres + y gagneraient.</p> + +<p>Monsieur le général, quant aux peines morales, vous savez qu'elles + ne se guérissent pas facilement. Je vous remercie du sentiment qui a + dicté votre lettre, et la seule chose qui puisse m'y déplaire c'est + que vous m'ayez pu croire un enfant susceptible de faire partager + aux autres les contrariétés que je puis éprouver.</p> +</div> + +<p>Nous ne raconterons pas la campagne de Willaumez qui ne fut pas +heureuse. Nous dirons toutefois que cet amiral, après avoir commis +la faute de faire connaître à Jérôme des choses qu'il devait tenir +secrètes, après avoir désigné pour son second ce jeune homme, après +l'avoir consulté sur ses opérations, eut le tort de ne pas suivre +les avis du capitaine du <i>Vétéran</i>, qui montra alors une grande +sagacité.</p> + +<p><i>Le Vétéran</i>, s'étant trouvé séparé de l'escadre, revint seul en +France, échappa aux vaisseaux anglais, se mit à l'abri dans la baie +de la Forêt, sur les côtes de Bretagne, près Concarneau.</p> + +<p>Decrès, mécontent du retour de Jérôme et n'étant pas éloigné +d'admettre que le jeune capitaine s'était égaré volontairement, +semblait disposé au blâme; mais tel ne fut pas l'avis de l'empereur +qui, ayant des vues sur son jeune frère, le reçut à merveille, puis +lui donna le titre de prince, le grand cordon de la Légion d'honneur +et le nomma contre-amiral.</p> + +<p>Bientôt il ordonna son passage de l'armée de mer dans l'armée de +terre, le fit général de division et lui confia un corps de Bavarois +et <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> de Wurtembergeois, à la tête duquel le jeune prince +fit, pendant la guerre de Prusse, en 1806 et 1807, la conquête des +places fortes de la Silésie. Il fut très utile à la grande armée +opérant contre les forces de la Prusse et de la Russie, car cette +armée lui dut en plusieurs circonstances son ravitaillement, et par +contre la possibilité des succès qui amenèrent la paix de Tilsitt et +la création du royaume de Westphalie.</p> + +<p>La campagne de Silésie comme celle de Willaumez sont deux pages +d'histoire qui ont trouvé une large place dans les deux premiers +volumes des <i>Mémoires du roi Jérôme</i> et dans les deux volumes +intitulés: <i>Opérations du 9<sup>e</sup> corps de la grande armée en 1806 et +1807.</i></p> + +<p>Nous résumons seulement en quelques mots la campagne de Willaumez. +Les instructions de Napoléon à l'amiral intiment: de tenir la mer +quatorze mois avec ses six vaisseaux et ses deux frégates, de se +rendre de Brest dans l'Océan Atlantique méridional, de faire relâche +au Cap un mois pour s'y refaire; de répandre le bruit qu'il se +rendait à l'Île-de-France, et, au lieu de prendre à l'est, de +revenir vers l'ouest, à vingt lieues de Sainte-Hélène, d'y établir +une croisière pour enlever les convois anglais venant des Indes; de +se porter ensuite vers les Antilles, de saccager aux Barbades les +établissements anglais; de remonter sur Terre-Neuve pour en détruire +les pêcheries, et de revenir dans un port de France sur l'Océan, +après avoir attaqué partout l'ennemi trouvé inférieur en forces.</p> + +<p>Willaumez remplit mal les intentions de l'empereur. Il commença par +envoyer une de ses frégates prendre à Sainte-Croix de Ténériffe +quelques prisonniers faits dans les premiers jours de la navigation. +Au moment où la frégate arriva à Sainte-Croix, cette colonie étant +tombée aux mains des Anglais, elle se rendit au Cap, où elle fut +capturée. Le contre-amiral, à cette nouvelle, renonçant à la relâche +au Cap, se porta autour de Sainte-Hélène, manqua le passage des +convois des Indes et se rendit à San-Salvador pour y faire de l'eau. +Il resta vingt jours dans la baie de Tous-les-Saints, et le 23 avril +mit le cap sur Cayenne, puis sur la Martinique, ayant renoncé à son +excursion sur les Barbades. Le 15 août, une forte tempête dispersa +ses bâtiments. Déjà le 29 juillet Jérôme avait perdu l'escadre. Ses +vaisseaux eurent différents sorts, lui-même revint à grand'peine à +Brest au commencement de 1807 sur <i>le Foudroyant</i>.</p> + +<p>Le vaisseau <i>le Vétéran</i> avait pour second le capitaine de frégate +Halgan, ancien commandant du brick <i>l'Épervier</i>, devenu amiral, +<span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> homme de mer consommé et ami de Jérôme. Il fut chargé par +le ministre de faire alléger le bâtiment et de le faire entrer dans +le port de Concarneau.</p> + +<p>Ce brave officier avait à son bord le fils de M. de Salha, autre +marin dont le père joua un rôle en Westphalie. M. de Salha père, +aide-de-camp du prince Jérôme pendant la campagne de Silésie, en +relation avec son ancien camarade Halgan, lui écrivit le 27 mai +1807, du quartier général de Jérôme, alors à Schweidnitz, une lettre +qui nous a paru avoir une certaine importance. La voici:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Si mon fils avait été aussi prompt à suivre sa route qu'à quitter + Brest, il serait ici depuis longtemps. Je l'ai attendu avec la + dernière impatience depuis le 1<sup>er</sup> de ce mois, il arriva à Breslau + le 16 à 6 heures du soir, deux heures après mon passage, ayant été + expédié du camp de Frankeinstein pour aller porter à l'empereur la + nouvelle d'un assez joli succès de notre petit corps d'armée... + L'empereur est au château de Finkenstein, à une vingtaine de lieues + de Dantzick, j'ai dû attendre pendant plusieurs jours la réponse à + mes dépêches, j'arrivai hier et le prince au moment où il recevait + la petite relation de mon voyage fit entrer Prosper qui fut bientôt + dans mes bras. Arrivé depuis huit à dix jours, il a fait déjà deux + fois le service d'officier d'ordonnance et a été comblé de caresses + par le prince et tout ce qui l'entoure. Ce début enchante mon jeune + homme; un habit de hussard, des chevaux, c'est de quoi tourner une + tête de 18 ans, mais, à ma grande satisfaction, cela ne le distrait + pas du sentiment de la reconnaissance. Il prononce la sienne pour + vous avec une fréquence et une vivacité qui me persuadent de son bon + cœur, qualité qui n'est pas aujourd'hui bien commune. Vous lui + avez fait, mon cher capitaine, quelques avances dont il croit le + montant de 540 francs. Son exactitude pourrait être en défaut à cet + égard et je vous prie de la redresser en réclamant le remboursement + qui vous est dû de M<sup>lle</sup> Christine Dapot, demeurant à Bayonne, + laquelle sera prévenue par ce courrier de vous faire toucher à Paris + ou partout ailleurs le montant de vos débours pour Prosper.</p> + +<p>Il m'eût été plus agréable, mon cher camarade, de m'acquitter ici. + Ma lettre précédente vous a prouvé que je l'espérai. L'empereur a + répondu en propres termes et de sa main qu'un capitaine comme vous + était trop intéressant à conserver dans le commandement d'un + bâtiment pour qu'on vous donnât actuellement l'ordre de prendre + votre poste auprès de notre jeune prince. Cet honorable témoignage + doit vous consoler un peu, votre place ici est assurée et le genre + de service que vous suivez aux yeux de S. M. et du prince + consolident vos droits qui n'ont pas besoin de l'être dans le + cœur du prince. Ne vous affectez donc pas, <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> mon cher + camarade, la contrariété est pour vos camarades qui se félicitent de + compléter leur réunion en vous recevant.</p> + +<p>J'ai rapporté ici la nouvelle de la reddition très prochaine et sans + doute déjà effectuée de Dantzick dont la défense a été très + honorable pour le septuagénaire Kalkreuth. Sa place manquant de + poudre, la corvette le <i>Dauntlen</i> a essayé, à travers mille coups de + canon, d'en introduire 200 milliers. Le vent secondait + merveilleusement son audace, cette corvette est arrivée toutes + voiles dehors assez près des murs de la place, mais, ayant touché, + elle a dû se rendre; les rouges de Paris montèrent à l'assaut pour + déshabiller l'équipage. Cet événement était la conversation du + château. La possession de Dantzick amènera de nouveaux événements. + L'empereur n'est pas sans projets vastes sur la Baltique. Les Danois + nous aideront de tout leur pouvoir, les Prussiens branlent au manche + par la mésintelligence bien marquée entre les Russes et eux. S. M. + veut des officiers de marine sur les bords de la Baltique, etc.</p> + +<p>Prosper parle avec admiration de la tenue de votre frégate, agréez + les témoignages bien vrais de sa reconnaissance et de la mienne. + Présentez mes hommages à tout ce qui appartient à la famille du + respectable général Cafarelli.</p> + +<p><i>P. S.</i>—Meyronnet, après un mois de séjour auprès du roi de + Hollande, vient d'arriver; je lui ai transmis votre souvenir.</p> +</div> + +<p>Le traité de Tilsitt, signé le 7 juillet 1807, reconnut dans +l'Europe centrale un nouveau royaume, celui de la Westphalie, et +pour souverain de cet État le plus jeune des frères de Napoléon, +Jérôme, alors âgé de vingt-trois ans.</p> + +<p>La Westphalie fut formée: 1<sup>o</sup> de toute la Hesse électorale; 2<sup>o</sup> de +contrées enlevées à la Prusse par la conquête, savoir: l'Eichsfeld, +le Hohnstein, le Hartz, Halberstadt, Quedlinbourg, la Vieille +Marche, le cercle de la Saale, Hildesheim, Paderborn, Minden et +Ravensberg; 3<sup>o</sup> de contrées démembrées de l'Électorat: la Haute et +Basse-Hesse, savoir: Hersfeld, Fritzlar, Ziegenhain, Pleisse, +Schmalkalden.</p> + +<p>Ces différentes provinces furent unies entre elles par: le duché de +Brunswick au nord, par le comté de Schaumbourg à l'ouest, celui de +Wernigerode à l'ouest, le comté d'Osnabruck au nord-ouest, pays qui +firent partie intégrante du nouveau royaume. On divisa le territoire +en huit départements: 1<sup>o</sup> de l'Elbe au nord-est, chef-lieu +Magdebourg; 2<sup>o</sup> de la Fulde au sud, chef-lieu Cassel, capitale du +royaume; 3<sup>o</sup> du Hartz à l'est, chef-lieu Heiligenstadt; 4<sup>o</sup> de la +Leine au centre, chef-lieu Gottingen; 5<sup>o</sup> de l'Ocker au nord, +chef-lieu Brunswick; <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> 6<sup>o</sup> de la Saale au sud-est, chef-lieu +Halberstadt; 7<sup>o</sup> de la Werra au sud-ouest, chef-lieu Marbourg; 8<sup>o</sup> +du Weser au nord-ouest, chef-lieu Osnabruck.</p> + +<p>Pour la Westphalie comme pour Naples, l'Espagne, la Hollande, +l'empereur consentait bien à affubler ses frères du manteau royal, à +poser sur leur tête la couronne et à leur laisser le titre de roi, +mais il n'en voulait faire réellement que les premiers préfets de +son vaste empire. Les contributions, les impôts, d'après ses idées, +devaient venir grossir les revenus de la France, les pays conquis et +cédés devaient entretenir une partie de ses armées. Peu lui +importait que les États de ses frères fussent accablés, pressurés, +ruinés et incapables de subsister, il n'entendait donner qu'un +citron dont il avait exprimé le jus.</p> + +<p>Ce fut surtout pour le royaume de Westphalie qu'il déploya toutes +les rigueurs de son système de fer; aussi le jeune Jérôme, pendant +les sept années de son règne, ne fut-il, par le fait, qu'un roi <i>in +partibus</i> toujours dans la main puissante de son frère et n'osant se +permettre, sans l'autorisation de l'empereur, la révocation d'un +agent, le choix d'un ministre.</p> + +<p>La correspondance des Français envoyés par le gouvernement impérial +en Westphalie, correspondance que nous allons publier en grande +partie, fera comprendre mieux que toute autre chose la pression +exercée par Napoléon I<sup>er</sup> sur le nouveau royaume et sur son jeune +souverain.</p> + +<p>L'empereur commença par dicter un projet de constitution par lequel +il se réservait la moitié des domaines allodiaux des princes +dépossédés, fixait le contingent du royaume à 25,000 hommes de +toutes armes, dont moitié fournis par la France, mais <i>soldés</i> et +<i>entretenus</i> par la Westphalie; le conseil d'État, les États du +royaume étaient constitués. Le projet, en outre, imposait le Code +Napoléon, la conscription comme loi fondamentale et défendait +l'enrôlement à prix d'argent.</p> + +<p>Cette constitution, signée de lui le 15 novembre 1807, il l'envoya +au roi son frère, avec ordre de la promulguer telle quelle et de la +faire exécuter, lui laissant pour toute faculté celle de la +compléter par des règlements discutés en son conseil d'État.</p> + +<p>Le conseil d'État fut divisé en trois sections: justice et +intérieur, finances, guerre; les États furent composés de cent +membres; la Chambre des comptes de vingt membres laissés à la +nomination du <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> roi; le ministère de six ministres à +portefeuille: secrétairerie d'État et des relations extérieures, +justice et intérieur, finances, commerce et trésor, guerre, haute +police.</p> + +<p>En attendant l'arrivée à Cassel du nouveau roi, une régence +administra au nom de l'empereur, percevant les impôts, faisant +rentrer les contributions de guerre et payant les dépenses des +troupes françaises qui occupaient le territoire. Les membres de +cette régence étaient: le comte Siméon, le comte Beugnot et M. +Jollivet, conseillers d'État, le général de la Grange, gouverneur de +la Hesse. Elle eut ordre de fonctionner jusqu'au 1<sup>er</sup> décembre; +mais, comme l'empereur n'avait pas révoqué les administrateurs +français, les malheureuses provinces continuèrent à être pressurées +au milieu d'un conflit incessant. Tantôt les ordres de la régence +étaient méconnus par les agents de l'autorité impériale, tantôt ces +derniers étaient forcés de céder le pas au gouvernement provisoire.</p> + +<p>Dès qu'il eut connaissance des intentions de Napoléon à son égard et +du traité de Tilsitt, Jérôme, impatient d'avoir des notions exactes +sur le royaume dont la couronne lui était donnée, fit partir deux de +ses aides de camp, les colonels Morio et Rewbell, avec mission de se +rendre en Allemagne et de lui faire des rapports sur les provinces +composant ses États.</p> + +<p>Nous allons mettre sous les yeux du lecteur deux lettres de Morio et +une de Rewbell, adressées à Jérôme avant l'arrivée de ce dernier en +Westphalie:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Morio à Jérôme.</p> +<p class="date">Minden, 2 août 1807.</p> + +<p>Votre Majesté sait que Hildesheim est une belle et riche province. + Le comté de Schauenburg est encore plus beau. Ce pays est, ainsi que + Lippe, Buckeburg, cultivé comme un jardin. Il a des mines de + houille, peu productives à la vérité, mais qui peuvent peut-être + gagner avec une administration plus éclairée. Les jolis bains de + Nenndorf qui ne sont qu'à trois milles d'Hanovre dépendent de + Schauenburg.</p> + +<p>J'ai oublié de dire à Votre Majesté que les habitants de Hildesheim + voulaient prêter de suite, en mes mains, le serment de fidélité à + Votre Majesté. J'ai répondu que le serment se prêterait avec la + prise de possession qui aurait lieu le 1<sup>er</sup> septembre.</p> + +<p>Toutes les provinces attendent avec impatience ce moment de prise de + possession. Effectivement, il arrêtera les réquisitions, la sortie + d'argent; <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> et ce jour-là seulement votre peuple se croira + un corps de nation. Partout l'intendant général ou l'administrateur + général de la grande armée ont ordonné de vendre tout ce qui était + en magasin, et de presser la rentrée des fonds, comme si ces pays + devaient être rendus à un ennemi.</p> + +<p>Votre royaume, Sire, ne cesse pas d'être français, en passant dans + les mains de Votre Majesté. Aussi les ressources de l'État sont à + ménager par la France comme par nous. La remise au 15 août, de + toutes les sommes dues, ferait un bien grand effet en faveur de + Votre Majesté. Au reste plus de la moitié des provinces a payé la + totalité de l'imposition de guerre.</p> + +<p>Schauenburg sera réuni à Minden pour former un département. Tous + s'accordent à me dire que Harvensberg doit aussi entrer dans le même + arrondissement.</p> + +<p>Je vais ce matin visiter l'abbaye de Corvey<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a><a href="#footnote96" title="Lien vers la note 96"><span class="smaller">[96]</span></a> pour remplir + l'instruction de Votre Majesté relativement à la dotation de son + ordre de chevalerie.</p> + +<p>Minden était tout prussien il y a huit jours. La nouvelle certaine + de la paix et du traité qui la cède à Votre Majesté, l'a changée + totalement. Elle attend avec joie votre arrivée; elle se promet de + grands avantages: 1<sup>o</sup> du rapprochement de la capitale; 2<sup>o</sup> de la + réunion au royaume, de Brunswick, de Hildesheim, de Schauenburg; 3<sup>o</sup> + du commerce avec la France; 4<sup>o</sup> des routes qu'elle croit voir + établies par la ville pour les communications du Rhin avec l'Elbe.</p> + +<p>Minden est beaucoup mieux placée que Hammeln pour être place de + guerre. Ainsi, dès que l'empereur fait raser la place hanovrienne, + il sera plus simple et plus militaire de fortifier un jour Minden, + si l'on veut un point fort sur le Weser. Nienburg hanovrien est + totalement rasé depuis quelque temps.</p> + +<p>Les provinces de Minden et de Harsewinkel envoient aussi des députés + à Paris.</p> + +<p>On est très content ici de l'intendant M. Sicard, sous-inspecteur + aux revues. Il m'accompagne à Corwey et à Paderborn qui sont de son + ressort.</p> + +<p>Je serai peut-être ce soir à Paderborn; dans tous les cas je serai + le 4 au soir de retour à Cassel et partirai le 5 ou le 6 pour Paris, + où j'arriverai le 12.</p> + +<p>La population de vos sujets ne s'élevant qu'à 1,900,000 et celle des + vassaux à 300,000 âmes au plus, il serait possible que l'empereur + <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> augmentât votre pays. Alors, Sire, tous les hommes + éclairés désirent d'abord quelques arrondissements dans le Hanovre, + ensuite le cours de l'Ems.</p> + +<p>Osnabruck n'a que 36,000 âmes; et cependant je devrais en faire un + département. Le Teklenburg est aux portes de la ville même + d'Osnabruck. Si Votre Majesté pouvait obtenir cette petite province, + elle arrondirait ce département coupé par Teklenburg. En général, on + voudrait avoir le cours de l'Ems depuis sa naissance dans la + principauté de Ravensberg jusqu'à son entrée dans la principauté + d'Arenberg. Cela vous donnerait une petite portion de la province de + Münster avec Teklenburg et Lingen. Je parlerai plus au long de cela + dans mon mémoire.</p> + +<p>Dans ma première lettre de Cassel, j'ai parlé de l'importance de + Schmalkaden, situé près Eisenach, à cause de la fabrique de fusils. + Votre Majesté trouvera au Harz les bâtiments d'une ancienne fabrique + qui a été détruite par les Français, sous le maréchal prince + Bernadotte, et dont les ouvriers ont été envoyés en France. Votre + Majesté pourra la rétablir.</p> + +<p>J'ai oublié de dire à Votre Majesté qu'elle avait à Brunswick un + théâtre français soutenu des fonds du feu duc.</p> + +<p>Les forêts de Minden sont mal entretenues. Le grand maître des + forêts n'est pas bon. Au reste, dans la plupart des provinces + prussiennes, les bois n'ont pas une police très sévère. Les agents + sont pourtant instruits. Il manquait la volonté du gouvernement.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Morio à Jérôme.</p> +<p class="date">Paderborn, 3 août 1807.</p> + +<p>Corvey me paraît très propre à la dotation et au dépôt de votre + ordre de chevalerie. Les bâtiments sont beaux et spacieux, situés + sur le Weser, au centre du royaume. J'aurai l'honneur d'en parler à + Votre Majesté, en détail, à mon arrivée à Paris.</p> + +<p>Corvey et Paderborn manquent de route. Le premier pays a plus de + 5000 âmes par mille.</p> + +<p>Dans ces deux provinces, j'ai été reçu en <i>triomphateur</i>, au son des + cloches et par les magistrats à la tête de tout le peuple des lieux + que je traversais. À Paderborn surtout, on m'a rendu des honneurs et + fait des fêtes extraordinaires. Le directeur des postes est venu à + la tête d'une douzaine de postillons jouant du cor, m'attendre à une + lieue. J'ai trouvé une garde d'honneur à cheval à trois quarts de + lieue de la ville, et toute la garde nationale à pied en dehors de + la ville, avec un peuple immense, <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> criant: Vive l'empereur! + Vive le roi Jérôme! On avait placé des signaux sur la route par + laquelle j'arrivais et envoyé des estafettes au-devant de moi.</p> + +<p>J'ai été conduit en triomphe au milieu de toute la ville jusqu'au + palais du comte de Wesghall, chez qui j'étais logé. Le peuple s'est + jeté sur ma voiture et l'a dételée. Tout ce que j'ai pu faire alors, + a été de mettre pied à terre pour éviter des honneurs que j'ai cru + n'appartenir qu'à la personne même de Votre Majesté et non point à + son agent. Le peuple n'en a pas moins conduit ma voiture jusqu'au + palais qui m'était destiné. Un arc de triomphe avait été dressé en + verdure; on y lisait en latin et en allemand: <i>Vive Jérôme Napoléon, + roi de Westphalie.</i></p> + +<p>Toutes les autorités de la province, toutes les corporations sont + venues complimenter en moi l'empereur Napoléon, et leur nouveau roi. + J'ai conservé une foule d'adresses en français que je porterai à + Votre Majesté. Toutes respirent l'enthousiasme pour le grand + empereur et pour son digne et auguste frère; mais toutes ces + adresses sont froides à côté de l'ivresse populaire. Jusqu'aux + enfants de quatre ans qui étaient <i>en corps</i> avec des drapeaux, des + branches d'arbres. On a jeté des fleurs sur mon passage dans vingt + endroits. Sur mon palier étaient placées des jeunes filles vêtues de + blanc, qui ont couvert les marches de fleurs, au moment de mon + passage.</p> + +<p>Le prince évêque m'a ensuite donné un très beau dîner auquel ont + assisté les premières personnes de la province. Tout le peuple était + sous les fenêtres avec une musique nombreuse qu'il a interrompue + cent fois par des vivat.</p> + +<p>Je le répète encore aujourd'hui à Votre Majesté, je ne conçois pas + ce qu'on pourra faire pour elle, après ce qu'on a fait pour son + envoyé.</p> + +<p>On donne ce soir un grand bal pour moi.</p> + +<p>J'ai visité la résidence qui est à trois quarts de lieue de la + ville. C'est un vieux château qui n'est plus propre qu'à une + caserne.</p> + +<p>Cette province est presque toute catholique. Elle m'a demandé, comme + les autres, la permission d'envoyer des députés à Paris, porter à + vos pieds, Sire, l'hommage d'un peuple entièrement dévoué et + remercier Sa Majesté l'empereur du cadeau qu'elle leur a fait de son + auguste frère.</p> + +<p>Les eaux minérales de Briburg sont susceptibles d'un grand + accroissement. Votre Majesté a cinq eaux minérales fréquentées dans + son royaume, outre une dizaine d'autres sources qui pourraient être + exploitées également.</p> + +<p>Ce sont deux bonnes provinces que Corvey et Paderborn; mais il reste + beaucoup à faire pour elles. Point de débouché, point d'industrie, + point de commerce. Tout le monde demande des grandes routes. J'ai + <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> assuré que c'était un des premiers objets dont + s'occuperait Votre Majesté.</p> + +<p>Paderborn a payé toute sa contribution de guerre. Cette capitale est + la seule où je n'aie pas trouvé l'accise établie. Les Prussiens + n'avaient pas encore osé l'introduire.</p> + +<p>Je partirai demain matin à 3 heures pour Cassel où je serai le soir. + Je visiterai en route deux maisons royales de Hesse.</p> + +<p>Une chronique fort plaisante et fort extraordinaire est la sienne. + C'est le 24 juillet 1802 que l'on apprit à Paderborn la fâcheuse + nouvelle de la réunion de cette province à la monarchie prussienne; + et ce fut le 3 août suivant que le premier agent prussien (général + comte Schlamberg) parut dans cette ville. C'est aussi le 24 juillet + 1807 que l'on sut à Paderborn la réunion de cette province à la + Westphalie; et c'est encore le 3 août que le premier agent du roi de + Westphalie est venu dans Paderborn. Il n'y a eu de différence que + dans la réception. Toutes les portes et fenêtres étaient fermées + pour l'entrée des Prussiens, et des arcs de triomphe ont été dressés + pour recevoir les Français.</p> + +<p>Le jour même de l'entrée des Prussiens, les agents de cette cour + firent ôter de la grande salle de la régence tous les tableaux + (assez mal peints d'ailleurs) qui s'y trouvaient. Un seul, jugé un + peu meilleur, fut conservé. Ce tableau y est encore, et il se trouve + que c'est un saint Jérôme.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Rewbell à Jérôme.</p> +<p class="date">Cassel, 5 août 1807.</p> + +<p>Votre Majesté m'ayant ordonné de lui rendre compte des moindres + détails de ses résidences, j'ai l'honneur de lui envoyer l'état du + linge de table et de lit qui se trouve dans les châteaux de Cassel + et de Wilhelmshœhe.</p> + +<p>Le major Zurwenstein est arrivé aujourd'hui vers les quatre heures + avec les chevaux de Votre Majesté. Tous sont en fort bon état. Le + passage continuel des troupes par Cassel, la pauvreté des habitants + m'a entièrement détourné de l'idée de loger militairement les gens + de l'écurie. J'ai donc pris le parti de conseiller au major + d'accorder un traitement de 8 gros à chaque palfrenier, en outre de + ses gages, pour sa nourriture. J'espère, Sire, que cette mesure sera + approuvée par vous, et qu'elle se trouvera d'accord avec vos + sentiments. Je continuerai ce traitement jusqu'à ce qu'il plaise à + Votre Majesté de fixer les salaires d'une manière définitive de sa + maison, ou jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement.</p> + +<p>Les chevaux des aides de camp et leurs domestiques ont été placés + <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> provisoirement dans les écuries du château de + Wilhelmshœhe où ils seront surveillés très sévèrement. Cette + mesure m'a encore paru nécessaire pour éviter, dans les premiers + moments, toute espèce de désordre et de mécontentement. La grande + surcharge de logement qui pèse particulièrement sur Cassel + m'enhardit, quoique Votre Majesté ne m'ait chargé que du + gouvernement de Cassel et de Wilhelmshœhe, à lui communiquer + quelques réflexions tendantes au bien général de son royaume.</p> + +<p>La route militaire depuis plus de sept mois traverse la Hesse; il y + a quatre gîtes: <i>Marbourg</i>, <i>Hosdoy</i>, <i>Wabern et Cassel</i>; dans ce + dernier toutes les troupes qui viennent de France ont séjour.</p> + +<p>Les fournitures en tous genres auxquelles les habitants ont dû + pourvoir ont épuisé ce pays, qui aujourd'hui peut espérer quelques + soulagements. Le moyen de les lui procurer serait d'obtenir une + division de la route militaire, surtout pour le retour de l'armée; + et cette division peut aisément avoir lieu en dirigeant tout ce qui + doit se rendre dans le midi de la France par Marbourg et Strasbourg, + ce qui doit se rendre dans l'intérieur, partie par Erfurt, Hanau, + Mayence, partie par Brunswick, Cassel et Mayence, et ce qui doit + aller dans le Nord, par la Westphalie et Wesel.</p> + +<p>Il y aurait parce moyen, Sire, quatre routes: celles de Wurtzbourg, + de Cassel, d'Erfurt et de Wesel. Toutes à la vérité traverseront + encore une partie des états de Votre Majesté; mais au moins la + charge sera partagée, le fardeau en sera plus supportable, + l'écoulement des troupes plus facile.</p> + +<p>Il restera à organiser le service sur les différents points d'étape, + et à savoir s'il conviendrait mieux de faire un service régulier, + que de laisser les administrations locales y pourvoir, comme cela se + pratique aujourd'hui.</p> + +<p>En Hesse, les magasins de l'État présentent des ressources, que + peut-être on ne trouve pas dans les autres provinces; et alors sans + approvisionnements formés d'avance, il est à craindre que le service + ne manque, surtout s'il se présente des masses.</p> + +<p>Toujours est-il, je crois, Sire, avantageux de faire fixer les + routes que l'armée prendra et les gîtes où elle recevra ses + subsistances, sauf à prendre ensuite telles dispositions que Votre + Majesté jugera convenable.</p> +</div> + +<p>Morio ne se borna pas à envoyer des lettres et des rapports au roi, +il prit des dispositions relatives aux finances, mesure que +l'intendant général Daru trouva fort mauvaise et dont il référa à +l'empereur par la lettre ci-dessous, écrite de Berlin, en date du 5 +août 1807:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Par suite des dispositions générales prescrites pour la vente de + tous les objets qui appartiennent à l'armée, l'administration + française était <span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> au moment de traiter pour les <i>sels + fabriqués</i> qui existent dans l'arrondissement de Magdebourg, lorsque + M. Morio, colonel aide de camp de Sa Majesté le roi de Westphalie a + invité au nom de ce prince M. l'administrateur général des finances + à faire surseoir à ces ventes, en lui annonçant qu'on faisait à cet + égard des démarches auprès de Votre Majesté.</p> + +<p>Je supplie Votre Majesté de me faire connaître si ce sursis doit + être maintenu, ou si je dois faire procéder à la vente des sels et + autres objets qui doivent être réalisés au profit de l'armée dans la + partie de la Prusse échue à Sa Majesté le roi de Westphalie, de la + même manière que dans les autres provinces prussiennes, pour tout ce + qui a été reconnu être la propriété de l'armée, et inventorié avant + l'époque où la remise des provinces sera faite au roi.</p> +</div> + +<p>L'empereur envoya l'ordre à Daru de ne rien changer aux dispositions +prises, et nous ne serions pas étonné que de là date le peu de +sympathie que Napoléon témoigna toujours depuis à Morio.</p> + +<p>Le roi Jérôme arriva à la résidence de Wilhelmshœhe, près Cassel, +à laquelle il donna le nom de Napoléonshœhe, le 7 décembre 1807; +il adressa une proclamation à ses sujets, choisit neuf conseillers +d'État et nomma ministres provisoires: MM. Siméon (justice et +intérieur), général Lagrange (guerre), Beugnot (finances), Jollivet +(trésor et comptes). Il décréta en outre que les fonctions de la +régence du royaume cesseraient à dater de ce jour, et donna l'ordre +de tenir à sa disposition les fonds existant dans les caisses de +l'État depuis le 1<sup>er</sup> décembre. Toutes ces dispositions paraissaient +fort naturelles et Jérôme ne devait pas supposer que son frère +voulût le faire roi d'un pays épuisé par les exigences de la France +et hors d'état de faire face même aux premières et aux plus +indispensables dépenses. C'est cependant ce qui arriva.</p> + +<p>Daru, l'intendant général de la grande armée, homme strict, dur, +ayant d'ailleurs des instructions précises, fut chargé de faire +verser les contributions de la Westphalie dans les caisses de +l'armée française. Il refusa de laisser exécuter l'ordre du roi pour +les fonds réclamés par le jeune souverain et en référa de nouveau à +Napoléon qui approuva sa conduite.</p> + +<p>Jérôme, sans un sou pour l'État, n'ayant pour lui-même que dix-huit +cent mille francs empruntés à la caisse des dépôts et consignations +de Paris, se décida à faire exposer à l'empereur par ses nouveaux +ministres, anciens membres de la régence, la position financière de +la Westphalie.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> MM. Beugnot, Jollivet et Siméon firent un rapport duquel il +ressortait que le pays était en déficit de six millions; que +l'entretien des troupes françaises coûterait trois millions de plus +que la somme affectée au budget de la guerre, et que, par +conséquent, le nouveau roi allait commencer son règne avec une dette +de neuf millions, somme énorme, à cette époque, pour un royaume +comme la Westphalie. Ce rapport exposait en outre: que l'on ne +pouvait espérer soutenir les recettes en 1808 sur le pied de l'année +1807, surtout si l'empereur exigeait l'acquittement de la +contribution extraordinaire de guerre; qu'il était impossible +d'augmenter les impôts dans un pays privé de tout commerce, où +l'agriculture était en souffrance, où les peuples n'étaient pas +jadis imposés, les souverains remplacés par le roi, vivant avec +leurs revenus et soldant les dépenses de l'État.</p> + +<p>Les ministres du roi concluaient à un emprunt et imploraient la +bienveillance de l'empereur. Napoléon, avant de prendre une +décision, fit étudier la question par son propre ministre des +finances qui lui adressa un contre-rapport duquel il résultait: 1<sup>o</sup> +que les revenus de la Westphalie pouvaient être estimés à quatre +millions de plus; 2<sup>o</sup> que la dépense pour la perception était +exagérée; 3<sup>o</sup> que néanmoins il était impossible d'exiger +immédiatement la contribution extraordinaire de guerre et la +contribution ordinaire; 4<sup>o</sup> que la proposition d'un emprunt devait +être prise en sérieuse considération.</p> + +<p>À cet exposé de l'état pitoyable des finances westphaliennes +ajoutons encore: qu'il était dû un arriéré de trois mois dans tous +les services; que le roi réclamait le paiement des six premiers mois +de sa liste civile, fixée à cinq millions, et le paiement, par +anticipation, des six derniers; que les agents impériaux avaient +touché d'avance les revenus et n'avaient acquitté aucune dépense.</p> + +<p>Au moment où l'état des choses était ainsi exposé à Napoléon, ce +dernier apprit par son frère lui-même un acte de générosité qui lui +parut déplacé et ridicule. Jérôme l'informa par lettre du 28 +décembre qu'il venait de créer comte de Furstenstein et de donner +une terre de quarante mille livres de rente à son secrétaire Le +Camus<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a><a href="#footnote97" title="Lien vers la note 97"><span class="smaller">[97]</span></a>. L'empereur <span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> s'empressa de témoigner son +mécontentement à Jérôme par une lettre en date du 5 janvier 1808, et +déclara que si son frère trouvait de l'argent pour payer des favoris +et des maîtresses, il saurait bien en trouver pour solder ses +dettes.</p> + +<p>Ce don de la terre de Furstenstein à M. Le Camus ne fut nullement +bien vu des Allemands, ainsi que le prétendait le roi Jérôme dans sa +lettre à l'empereur. Cette affaire lui fit le plus grand tort dans +l'esprit positif et organisateur de Napoléon. Il devait en être +ainsi. En effet, n'est-il pas singulier de voir le jeune roi +annoncer pompeusement, dans sa lettre du 28 décembre, qu'il a cru +devoir imiter ses prédécesseurs dans cette circonstance et faire un +don de quarante mille livres de rente à son secrétaire, lorsque +trois jours auparavant, le 25, il écrivait pour exposer sa misère, +disant qu'il n'avait pas un sou dans sa caisse<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a><a href="#footnote98" title="Lien vers la note 98"><span class="smaller">[98]</span></a>?</p> + +<p>Outre ce sujet de mécontentement contre son frère, l'empereur en +trouva un autre dans une lettre en forme de note qui lui fut +adressée de Cassel, par M. Jollivet, à la fin de décembre 1807; la +voici:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le peuple de Cassel s'est singulièrement refroidi depuis l'arrivée + du roi. On chante misère, on se plaint. Les choses ne vont pas comme + on se l'était promis.</p> + +<p>Les Français qui s'étaient rendus en Westphalie se retirent en foule + et entièrement mécontents. On se désole à la ville, on se déplaît à + la cour où il n'y a, dit-on, ni argent, ni plaisir. Tout le monde + est triste.</p> + +<p>Le roi ne reçoit pas beaucoup de témoignages de respect. Rarement le + salue-t-on dans les rues où il passe souvent à cheval. Il a perdu + dans l'opinion publique. Quelques affaires de galanterie lui ont + déjà nui. On sait dans le public qu'une des femmes de la reine a été + renvoyée à cause de lui. Le premier chambellan (M. Le Camus) avait + néanmoins trouvé moyen de retenir cette femme à Cassel pour le + compte de son maître. La reine a insisté pour qu'elle en sortît. La + police l'en a enfin débarrassée. M. le Camus passe pour un serviteur + complaisant de son roi. Une comédienne de Breslau, que le roi y + avait connue pendant sa campagne de Silésie, doit avoir été attirée + à Cassel par les soins <span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> de M. Le Camus et par ordre de son + maître. On raconte quelques autres histoires du même genre. Les + mères de Cassel qui ont de jolies filles craignent de les laisser + aller aux bals et aux fêtes de la cour. La reine est aimée. On + craint beaucoup pour son bonheur domestique.</p> + +<p>Le chef de la police de Cassel (M. La Jarriette) passe pour un + brouillon et pour un bavard. Sa police est le secret de la comédie + et elle ne sert qu'à indisposer tout le monde. C'est un homme + tranchant, plein de jactance et qui veut que personne n'ignore ce + qu'il fait. Il paraît surtout attacher de l'importance à être maître + de tous les secrets de la poste et il s'y prend de manière à ce que + tout le monde le sache. Puis il s'amuse à colporter les histoires + d'amour qu'il a surprises; puis il cherche à se donner les airs d'un + homme qui a toute la confiance du roi, toute celle de la reine et + toute celle des ministres. On le regarde comme un intrigant et comme + un sot. Du reste, il ne contribue pas peu à indisposer les habitants + de Cassel contre la cour et à leur faire prendre une mauvaise idée + du gouvernement. Le tout va fort mal.</p> +</div> + +<p>Ce genre de lettre en forme de note ou <i>bulletin</i> était fort souvent +employé par les agents de l'empereur sur son désir, et nous verrons +bientôt l'ambassadeur de France à la cour de Cassel, M. le baron de +Reinhard, agir de même, par ordre.</p> + +<p>Napoléon, loin de venir en aide à son frère Jérôme, maintint ses +prétentions sur les domaines, sur la contribution de guerre de +vingt-six millions payable en douze mois, et l'intendant-général +Daru ainsi que M. Jollivet<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a><a href="#footnote99" title="Lien vers la note 99"><span class="smaller">[99]</span></a> reçurent des instructions très +positives pour exiger une rente de sept millions sur les revenus des +domaines. Le dernier, en vertu d'un décret du 3 janvier 1808, fut +chargé, sous la direction immédiate de Daru, de l'exécution des +articles relatifs aux arrangements avec la Westphalie pour la +fixation des contributions arriérées ordinaires et de guerre, pour +le partage de tous les domaines dont moitié pour l'empereur et +moitié pour le roi, et eut défense d'occuper aucun emploi dans le +nouveau royaume.</p> + +<p>Jérôme et la reine Catherine quittèrent Napoléonshœhe et firent +leur entrée à Cassel, fort bien accueillis par la population; mais, +ainsi que nous l'avons dit, en montant sur le trône le jeune roi se +trouva immédiatement aux prises avec les grandes difficultés de la +grosse question financière.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> La Westphalie pouvait produire un revenu net d'une +quarantaine de millions, en y comprenant ceux des domaines; mais les +dépenses du budget s'élevaient à trente-sept millions, il fallait +servir trois à quatre millions pour l'intérêt de la dette et +l'empereur réclamait vingt-cinq millions de la contribution de +guerre. Comment faire face à de pareilles exigences avec une aussi +modique ressource?</p> + +<p>Depuis le jour où les troupes françaises étaient entrées dans les +pays devant former le royaume de Westphalie, c'est-à-dire depuis le +1<sup>er</sup> octobre 1806 jusqu'au 1<sup>er</sup> octobre 1807, le trésor français +avait encaissé tous les revenus, ne payant que la partie la plus +indispensable des choses locales. Un arriéré considérable existait +donc déjà au 1<sup>er</sup> octobre 1807, et il n'y avait rien dans les +caisses du royaume. La rentrée des contributions ordinaires était en +outre paralysée par la concurrence que lui faisait la perception de +la contribution de guerre, et le roi lui-même, avec les dix-huit +cent mille francs de son emprunt à Paris, ne pouvait aller bien +loin. Aussi le jeune prince dut-il avoir recours, pour sa personne, +à un emprunt de deux millions qu'il fit négocier à des conditions +onéreuses avec un banquier juif nommé Jacobson.</p> + +<p>Daru, appelé à Cassel auprès de Jérôme, eut un entretien très long +avec lui, mais ne céda sur aucune question. Il fut convenu que ce +qui restait dû de la contribution de guerre serait acquitté par la +Westphalie par douzième, à dater du 1<sup>er</sup> juillet 1808, au moyen +d'obligations; que le roi conserverait la gestion des domaines +jusqu'au partage définitif.</p> + +<p>M. Jollivet pour l'empereur, M. de Malchus pour le roi, furent +chargés des détails de la liquidation qui traîna encore en longueur +et fut un sujet de mécontentement exprimé sans cesse par l'empereur +à son frère. Enfin la convention fut signée, à la date du 22 avril +1808, sous le nom de traité de Berlin. La dette de la Westphalie fut +totalisée à vingt-six millions, pour l'acquittement desquels il fut +remis d'abord douze millions cent trente mille francs d'obligations +avec première échéance au 1<sup>er</sup> mai 1808. Sept millions de revenus +annuels furent assurés à l'empereur sur les biens des domaines.</p> + +<p>Par la suite, pour s'acquitter envers la France, le gouvernement de +Jérôme dut recourir à un emprunt forcé de vingt millions.</p> + +<p>Au commencement de janvier 1808, Jérôme éprouva une sorte de +satisfaction en recevant la décoration de la Couronne de fer; il +écrivit le 18 à l'empereur, à cette occasion:</p> + +<p class="lettre"><span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> Sire, je viens de recevoir par M. Mareschalchi la + décoration de la Couronne de fer que Votre Majesté a bien voulu + m'envoyer. Cette faveur m'est bien précieuse parce qu'elle me donne + une preuve certaine de la continuation des bontés de Votre Majesté.</p> + +<p>Nous allons donner une série de lettres écrites en 1808, que nous +annotons, et qui n'ont pas trouvé place, pour un motif ou pour un +autre, soit dans la correspondance de l'empereur, soit dans les sept +volumes des Mémoires du roi Jérôme. Voici d'abord une lettre +particulière de M. de Salha à Halgan qui jette un certain jour sur +la cour de Cassel et sur le nouveau royaume.</p> + +<p>M. de Salha, capitaine de frégate, embarqué avec Jérôme et Halgan, +devenu un des aides de camp du roi, brave marin, mais esprit +ordinaire, nommé en 1809 comte de Hœne, fut d'abord gouverneur +des pages, puis ministre de la guerre après le général d'Albignac. +Halgan, resté au service de France, y devint amiral. Il avait +commandé le brick <i>l'Épervier</i> et était second sur le vaisseau <i>le +Vétéran</i>, pendant la campagne de Willaumez. Salha et Halgan étaient +fort liés. Ce dernier revit le prince Jérôme à Paris, sous le second +empire.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, 18 janvier 1808.</p> + +<p>Je tiens trop à votre amitié, mon cher Halgan, pour différer une + réponse à votre lettre des premiers jours de cette année, je le + suppose, car elle est sans date. Mes regrets de ne vous avoir pas + trouvé à Paris sont des plus grands. Cette circonstance eût donné + peut-être une direction différente au courant qui m'a mené en + Westphalie. Le roi a exigé rigoureusement en partant ma démission. + J'ai fait un vrai sacrifice en renonçant à mon titre d'officier + français. Prosper<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a><a href="#footnote100" title="Lien vers la note 100"><span class="smaller">[100]</span></a> a été pour beaucoup dans cette détermination + qui peut me laisser encore des regrets à venir. Les vôtres pendant + quelques instants ont pu avoir des motifs contraires; s'ils + existaient encore, je vous dirais que les événements vous ont + parfaitement bien servi. Votre position est mille fois préférable à + toute autre ici. Vous conservez un titre réel près de S. M. et vous + jouissez en même temps des avantages d'un état dont rien ne vous + aurait dédommagé dans ce lieu d'exil; la gêne de la cour, la + contrainte d'une étiquette rigoureuse, l'embarras des places, le + caractère de courtisan enfin n'avait pas de quoi vous plaire. Le roi + travaille de son mieux à organiser et à préparer des moyens de + prospérité pour l'avenir, ils ne se réaliseront pas tant que l'on + exigera sévèrement la rentrée des contributions dont ce pays était + grevé à notre arrivée. Notre liste civile de <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> 5 millions + est bien maigre pour deux jeunes souverains également magnifiques + dans leurs goûts. Il nous faudrait les coudées franches, au lieu de + cela nous sommes contrariés par les volontés du roi des rois, qui a + retenu une inspection suprême sur ce nouveau royaume. Nous régnons à + demi dans une résidence dont il est bien difficile d'écarter + l'ennui. Le roi donne souvent des bals, des parties ou courses de + traîneaux, nous avons aussi une Comédie française sous la + surintendance de Le Camus, connu aujourd'hui sous le nom de comte de + Furtenstein, titre accompagné d'une terre, fief de la couronne, de + 11,000 écus valant de revenu net 40,000 francs de France pour lui et + ses héritiers. C'est de quoi obtenir la main de la plus belle et de + la plus noble Westphalienne. Le grand maréchal Megronnet est aussi + pressé par le roi de se marier, le docteur Garnier<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a><a href="#footnote101" title="Lien vers la note 101"><span class="smaller">[101]</span></a> leur en + donne l'exemple; il épouse la fille d'un payeur, nommé M. Balti, née + à Bayonne; l'amoureux docteur sera au comble de ses vœux + d'aujourd'hui en huit et recevra sans doute des témoignages + sensibles des bontés de nos jeunes souverains.</p> + +<p>En arrivant ici, le roi m'a nommé colonel, ainsi que la plupart de + ses aides de camp; de plus il m'a donné la direction en chef de la + maison des Pages, de fort bons appointements, mais qui se fondent + ici avec une rapidité extraordinaire, en sorte qu'aucun de nous ne + peut se flatter au bout de l'année d'avoir cent louis pour aller + chercher des jouissances dont on ressent si fort la privation au + milieu d'un peuple apathique si étranger à notre caractère et à nos + usages. Ceci est une véritable émigration; quand reverrons-nous + notre heureuse patrie? La maladie, dite du pays, atteint les + Français en Hollande, à Naples, et comment y échapper en Westphalie?</p> + +<p>Écrivez-moi quelquefois, mon cher Halgan, parlez de moi au général + Cafarelli et à toute sa famille pour qui je conserverai toute la vie + les sentiments du plus grand attachement et d'une parfaite + reconnaissance. Combien j'ai été peiné de ne pas m'être trouvé à + Paris avec le digne préfet et de n'avoir pu causer avec lui, je l'ai + dit plusieurs fois à l'ami Rouillard dans le peu d'instants où nous + nous sommes vus.</p> + +<p>Je ne veux pas me laisser entraîner plus longtemps au plaisir de + causer avec vous. Prosper vous offre les vœux d'un cœur + reconnaissant, et moi ceux de l'attachement le plus durable. Je ne + puis vous parler de M. de Chambon parce qu'il est toujours à Paris.</p> + +<p>Un mot de souvenir à Dupetit-Thouars, quand vous le verrez.</p> +</div> + +<p>M. Béranger, directeur de la caisse d'amortissement de Paris, à +laquelle Jérôme avait emprunté, avant son départ pour Cassel, une +somme de dix-huit cent mille francs, ayant réclamé le versement de +<span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> cette somme au ministre des finances de Westphalie et n'en +ayant pas reçu satisfaction, envoya à Napoléon la note ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">17 mars 1808.</p> +<p class="center"><i>Caisse d'amortissement,</i></p> + +<p>Sire, il n'y a pas eu de variations sensibles dans le cours des + effets. Je viens de recevoir une lettre du ministre des finances de + Westphalie qui me renvoie au trésorier de la Couronne pour le + paiement des termes échus de l'emprunt de 1,800,000 francs.</p> +</div> + +<p>L'empereur écrivit de sa main en marge de cette note:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Renvoyée au roi de Westphalie pour se faire rendre compte pourquoi + son ministre se moque ainsi de ses engagements et tire sur une + caisse qui n'est pas, j'espère, à ses ordres.</p> + +<p>Paris, 17 mars 1808.</p> +<p class="sig smcap">Napoléon.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 2 février 1808.</p> + +<p>Sire, je viens de recevoir du général de division + Lefebvre-Desnouettes, grand-major de ma couronne, la communication + d'une lettre du maréchal Bessières par laquelle je vois qu'il a plu + à Votre Majesté de l'appeler auprès d'elle en qualité de colonel des + chasseurs de sa garde<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a><a href="#footnote102" title="Lien vers la note 102"><span class="smaller">[102]</span></a>.</p> + +<p>J'avouerai à Votre Majesté que j'avais toujours regardé le général + Lefebvre comme devant rester à mon service, que j'étais assuré à cet + égard par son contentement personnel et par la lettre de passe qui + lui avait été expédiée par ordre de Votre Majesté et que, l'ayant + nommé depuis général de division et grand écuyer du royaume, cette + nouvelle m'a vivement affecté.</p> + +<p>Ce n'est pas, Sire, que je ne me regarde toujours comme heureux de + faire quelque chose qui soit agréable à Votre Majesté, mais elle + sentira encore que j'aurais eu le droit d'attendre, avant tout + autre, une communication plus officielle de cette décision.</p> + + <p>Dans cet état de choses, j'attendrai à connaître le désir de Votre + Majesté avant que de me résoudre à laisser partir le général + Lefebvre <span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> de mes états, mais je crois ne pas devoir laisser + ignorer à Votre Majesté combien j'étais loin de m'attendre à ce + changement.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 23 février 1808.</p> + +<p>Sire, je reçois à l'instant la lettre que Votre Majesté a bien voulu + m'écrire de Paris, en date du 16<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a><a href="#footnote103" title="Lien vers la note 103"><span class="smaller">[103]</span></a>. Je prie Votre Majesté de + croire que je n'ai absolument en vue que de faire tout ce qui peut + lui convenir; si j'ai mal fait dans cette circonstance, c'est par + ignorance. Je ferai cependant observer à Votre Majesté que je + n'avais désigné un ministre pour Vienne que d'après la lettre de M. + de Champagny, écrite de Milan, dont j'ai envoyé la copie à Votre + Majesté. J'ai eu tort de choisir M. de Merweld, mais j'ignorais + absolument ce qui se passe. Il m'avait fait cette demande, il est + riche et avait des parents à Vienne; j'ai encore cru bien faire, + j'en ai rendu compte à Votre Majesté qui ne m'a rien répondu; + cependant il ne partira pas, mais je désirerais savoir (comme il + était déjà désigné pour aller à Vienne), si Votre Majesté croit + qu'il y aurait de l'inconvénient à l'envoyer à Munich. J'attendrai + au reste à connaître les intentions de Votre Majesté. Je le répète, + Sire, je n'ai qu'un désir, celui de faire tout ce qui peut convenir + à Votre Majesté.</p> + +<p>Quant à M. d'Hardenberg, il m'a été proposé par les conseillers de + Votre Majesté, ainsi que les sept autres préfets, et, comme je n'en + connaissais aucun, j'ai approuvé le travail parce que je ne pouvais + le juger, sauf à le rectifier par la suite. Au reste, je puis dire à + Votre Majesté que je suis fort content de M. d'Hardenberg et qu'il + n'est pas le frère de celui de Prusse, mais un parent très éloigné.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté d'être persuadée que si je recevais plus + souvent de ses lettres, je ferais tout ce qu'elle désire, ne m'étant + proposé en montant sur le trône que de rendre mes peuples heureux et + de contenter en tout Votre Majesté auprès de laquelle je serais bien + plus heureux.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 26 février 1808.</p> + +<p>Sire, étant informé que M. Jollivet doit se plaindre à Votre Majesté + de n'avoir pas été invité à la fête qui a eu lieu pour + l'anniversaire de la naissance de la reine, j'ai voulu prévenir + Votre Majesté des motifs <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> qui m'ont décidé, afin d'éviter + le plus léger doute sur mes intentions qui seront toujours d'être + agréable à Votre Majesté.</p> + +<p>La fête qui s'est donnée était tout à fait intime et dans une très + petite maison de campagne, cependant deux conseillers d'État + français y étaient invités, tandis que mon ministre de la guerre ne + l'était pas. Ce motif aurait été suffisant, mais il en existe un + autre. Il est arrivé plusieurs fois que M. Jollivet, invité à la + cour, n'y venait point, non plus que sa femme; que d'autres fois ils + s'y rendaient bien, mais se permettaient de sortir du cercle avant + que la reine ni moi en fussions sortis, quoique cela leur ait été + plusieurs fois reproché.</p> + +<p>Je ne rends compte de cette circonstance à Votre Majesté que parce + que mon plus vif désir est de la persuader que je n'ai d'autre but + que de lui plaire.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 12 mars 1808.</p> + +<p>Sire, je viens de recevoir la lettre du 6 mars que Votre Majesté a + bien voulu m'écrire. Les reproches qu'elle m'adresse sur l'audience + des Juifs ne me sont pas applicables; c'est M. Siméon qui les a + convoqués à mon insu et je les ai reçus dans mon cabinet, sans + aucune cérémonie, et ignorant absolument tout ce qu'ils allaient me + dire. Ceux aussi que Votre Majesté me fait relativement au <i>Moniteur + Westphalien</i> doivent également être appliqués à MM. Siméon et + Beugnot. Ils m'ont proposé une gazette officielle, ils l'ont dirigée + et je me suis borné à leur dire de faire ce qu'ils jugeraient + convenable à ce sujet.</p> + +<p>M. Beugnot a sollicité depuis huit jours la permission de retourner + à Paris pour le mariage de sa fille et pour des affaires + particulières, et il n'est resté jusqu'à ce jour à Cassel que parce + que j'ai désiré qu'il assistât au Conseil d'État pendant la + discussion du projet sur les forêts qui est de la plus grande + importance sous le rapport des finances<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a><a href="#footnote104" title="Lien vers la note 104"><span class="smaller">[104]</span></a>.</p> + +<p>M. Siméon paraît désirer rester auprès de moi et je le garde avec + autant de plaisir que j'en aurais eu à conserver M. Beugnot, s'il + l'avait accepté.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté de croire que dans toutes les circonstances je + chercherai toujours à faire ce qui pourra lui être agréable.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 13 mars 1808.</p> + +<p>Sire, je viens de recevoir à l'instant la nouvelle de Vienne que le + <span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> comte Charles de Grüne, nommé ministre de l'Autriche près + de moi, était sur son départ pour Cassel. Je supplie Votre Majesté + de me dire qui je dois envoyer à Vienne.</p> + +<p>Le roi de Prusse auquel je n'ai fait d'autre communication que celle + de mon avènement au trône, a jugé à propos de m'écrire, en outre de + la réponse à cette notification, une lettre particulière dans + laquelle il m'exprime le désir qu'il a que nous établissions le plus + tôt possible entre nous les communications qu'il désire de voir + subsister. Comme j'ignore où nous en sommes avec ces deux cours, je + désire que Votre Majesté veuille me dire ce que je dois faire et + qu'elle soit persuadée, quant aux insinuations faites à Vienne par + l'entremise du ministre de Hollande, que c'est une légèreté de ma + part dont je sens la conséquence et qui n'est due qu'à la présence + de ce ministre auprès de moi que j'ai chargé, lors de son départ + pour Vienne et sans réflexion, de ma communication.</p> + +<p>J'espère que Votre Majesté n'a pu me supposer d'autres motifs ni + intentions dans cette circonstance et je me plais à croire qu'elle + connaît trop bien la pureté de mon cœur et de mes sentiments pour + me taxer un seul instant d'ingratitude.</p> +</div> + +<p>On voit par cette lettre combien le jeune roi se faisait petit +auprès de son frère, sous la dépendance duquel il était en tout et +pour tout. La lettre suivante corrobore ce que nous avançons:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Napoléonshœhe, 14 mai 1808.</p> + +<p>Sire, le comte de Wintzingerode, mon sujet, m'a été présenté + dernièrement. Il m'a demandé d'être envoyé comme ministre + plénipotentiaire près la cour de Vienne. Cette mission m'ayant paru + trop délicate pour me décider sur le champ, je m'empresse de + consulter Votre Majesté afin qu'elle me fasse connaître ses + intentions à cet égard.</p> + +<p>J'attendrai la réponse de Votre Majesté avant de donner une solution + au comte de Wintzingerode.</p> +</div> + +<p>Le comte de Wintzingerode, ministre de Westphalie à la cour de +France en 1810, fut très hostile, après 1815, à son ancien souverain +et à la reine.</p> + +<p>Au commencement de juin 1808, l'empereur fit écrire par Berthier au +roi Jérôme pour se plaindre de ce que les soldats français étaient +vexés, refusés dans ses hôpitaux, et que, si cela continuait, il +enverrait dans le pays quinze mille hommes.</p> + +<p>Les rapports faits à Napoléon à cet égard étaient faux. Ajoutons que +les mêmes reproches, aussi injustes, étaient adressés à la même +<span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> époque aux rois d'Espagne et de Hollande. Il est permis de +penser que c'était une sorte de: <i>garde à vous!</i> envoyé à ses frères +par l'empereur.</p> + +<p>Jérôme répondit le 12 juin au prince de Neufchâtel:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon cousin, j'ai reçu la lettre que V. A. S. m'a écrite de la part + de Sa Majesté l'Empereur et Roi, mon auguste et très honoré frère. + J'ai chargé mon ministre de la guerre de répondre à V. A., quant à + ce qui concerne les fausses calomnies que l'on se plaît à débiter + sur le mauvais traitement qu'éprouvent les Français dans mon + royaume.</p> + +<p>V. A. S. m'ajoute que si ces prétendues vexations continuent, S. M. + l'Empereur enverra 15,000 Français dans mes États! S. M. peut le + faire sans doute! mais ne doit-elle pas être convaincue que, malgré + l'extrême pauvreté de mes sujets, si les Français ne pouvaient plus + exister dans les pays au delà de l'Elbe, je n'attendrais aucun ordre + pour partager avec eux ce qui pourrait me rester!..... N'est-elle + pas bien persuadée encore, que le titre qui m'est le plus cher, est + celui de prince français, et que je regarde comme mon premier devoir + celui de les faire respecter!</p> + +<p>Je répondrai toutefois à V. A. que je suis instruit par mes + ministres, et que je me suis assuré par moi-même, dans la tournée + que j'ai faite dans mes États: que toutes les plaintes, que toutes + les rixes qui ont eu lieu et qui ont indisposé mes sujets, n'ont + existé que parce que, depuis mon avènement au trône, les officiers, + soldats, voyageurs et courriers français ont continué dans mes États + les mêmes vexations qu'ils y exerçaient en temps de guerre, sans + réfléchir ni avoir égard à l'inviolabilité et au respect dus à un + royaume aussi étroitement allié que dévoué entièrement à la France; + mais pouvais-je l'empêcher?</p> + +<p>J'ai chargé mon ministre de la justice de mettre sous les yeux de V. + A. S. les différentes plaintes qui sont parvenues au pied du trône, + dans l'espace de deux semaines; V. A. y verra que des officiers se + logent de force chez les bourgeois; que des soldats battent des + paysans et des citoyens paisibles; que des courriers maltraitent ou + tirent des coups de fusils à des postillons; que des douaniers + insultent jusqu'à des officiers et les menacent de leur ôter leur + épée; que des canonniers forcent des corps de garde, etc.; et tout + cela par la seule raison qu'ils sont Français, et que les + Westphaliens sont faits pour leur obéir.</p> + +<p>Ce que j'ai fait en Silésie en de pareilles circonstances, ce que + j'ai fait, dans toutes les occasions où j'ai commandé sous Sa + Majesté l'Empereur, je n'ai pas voulu le faire comme roi de + Westphalie; j'ai fermé les yeux sans agir (et la lettre de V. A. S. + me prouve que j'avais bien prévu), parce que j'ai craint que S. M. + ne m'accusât de partialité.</p> + +<p>Cependant l'Empereur peut-il croire que j'oublie un instant que ma + <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> première patrie est la France, et que je regarde comme ma + plus grande gloire celle de ne l'avoir quittée que pour lui servir + d'avant-garde!</p> + +<p>J'espère et je me plais à croire que V. A. S., en mettant sous les + yeux de S. M. l'Empereur ma lettre et celles de mes ministres, la + convaincra que non seulement les rapports qui lui ont été faits sont + faux, mais encore qu'ils sont méchants; et que si quelque chose de + ce genre pouvait exister, ce ne serait qu'à moi seul, comme + souverain gouvernant par moi-même, et non par mes ministres, qu'il + faudrait s'adresser.</p> +</div> + +<p>Si le roi Jérôme consentait volontiers à exécuter en tout et pour +tout les volontés de son frère et à reconnaître sa suprématie même +sur les affaires intérieures de ses États, comme il aimait le faste +et la représentation, il lui sembla que la création d'un ordre de +chevalerie dans le genre de l'ordre de la Légion d'honneur de France +ferait bien en Westphalie et attirerait sur son royaume une certaine +considération. Il imagina donc une décoration et consulta l'empereur +à cet égard par la lettre suivante, datée de Napoléonshœhe, 11 +juillet 1808.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je soumets à l'approbation de Votre Majesté l'institution d'un + ordre royal de Westphalie. L'assemblée des États, dont je suis déjà + fort content, devant terminer sa mission dans un mois, je désirerais + lui communiquer ce projet avant cette époque, si Votre Majesté y + consentait.</p> + +<p>Je sais que cette institution plaira beaucoup aux Allemands. Votre + Majesté connaît leur caractère; beaucoup d'entre eux ont été obligés + de quitter leurs décorations, et rien ne leur sera plus agréable que + de voir fonder un nouvel ordre de leur royaume.</p> + +<p>J'ai conservé depuis le commencement de l'année, pour la dotation de + cet établissement, les revenus de l'abbaye de Quedlimbourg et ceux + de la grande prévôté de Magdebourg s'élevant à 300,000 fr. par an; + ainsi rien ne m'arrêtera de ce côté.</p> + +<p>Les grand'croix, les commandeurs et les chevaliers jouiront d'un + revenu annuel de 2,000 fr., et, indépendamment de la croix que je ne + compte pas donner aux simples soldats à moins de circonstances + extraordinaires, j'ai l'intention de créer des médailles d'or et des + médailles d'argent: les premières, du revenu de 150 fr.; les autres, + de 100 fr.<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a><a href="#footnote105" title="Lien vers la note 105"><span class="smaller">[105]</span></a>.</p> + +<p>En outre de cette base générale, il serait nommé parmi les + grand'croix et les commandeurs dix grandes et vingt petites + commanderies: les premières, du revenu de 10,000 fr.; les secondes, + de celui de 5,000 fr.</p> + +<p>Je remets à Votre Majesté le dessin de cet ordre; elle y verra + l'aigle <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> comme la marque distinctive de notre maison, et le + gros bleu comme la couleur du royaume. Je n'ai pas encore adopté de + devise.</p> + +<p>Au reste rien n'est fait et ne le sera que Votre Majesté ne m'ait + répondu. Je lui présente seulement mes premières idées sur ce + projet, d'après la connaissance que j'ai du bon effet qui + résulterait de son exécution.</p> +</div> + +<p>On prétend que l'empereur, qui avait souvent le mot pour rire, en +examinant le dessin très surchargé de la croix de Westphalie, dit en +plaisantant: <i>Il y a bien des bêtes dans cet ordre-là.</i></p> + +<p>Néanmoins l'ordre de Westphalie fut créé, suivant le désir de +Jérôme, mais il ne subsista pas longtemps.</p> + +<p>Le retard de Jérôme dans le paiement à la caisse des dépôts de son +emprunt de dix-huit cent mille francs indisposa à tel point +l'empereur contre son frère qu'il lui adressa plusieurs dépêches +très dures. Jérôme répondit, le 28 juillet 1808, de +Napoléonshœhe, une lettre très digne que voici:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je reçois les différentes lettres que Votre Majesté m'a + écrites en réponse à celles que j'ai eu l'honneur de lui adresser. + Je ne m'attendais pas à la réponse qu'elle m'y fait. Que puis-je + répondre, Sire, à Votre Majesté, lorsqu'elle me dit que ce que je + fais n'est pas d'un homme d'honneur! Sans doute, dans ce cas, je + suis bien malheureux puisque je ne peux mourir après l'avoir lu.</p> + +<p>Si je n'ai pas payé les 1,800,000 fr. que je dois à la caisse + d'amortissement, c'est que je ne les avais pas et que je pensais que + l'intention de Votre Majesté n'était pas que je payasse des intérêts + ruineux pour m'acquitter envers elle; mais, Sire, je viens + d'ordonner qu'un emprunt égal à cette somme fût fait de suite, + n'importe à quel taux; et, avant trois mois, mes billets seront + retirés. Sire, je suis de votre sang, et jamais je ne me suis écarté + de la route de l'honneur que Votre Majesté m'a tracée, et, dans les + circonstances difficiles, elle trouvera en moi un frère prêt à tout + lui sacrifier.</p> + +<p>Si Votre Majesté veut me faire l'honneur de croire ce que je lui + dis, je puis lui donner ma parole que je n'ai pas entendu parler ni + reçu de lettres de M. Hainguerlot<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a><a href="#footnote106" title="Lien vers la note 106"><span class="smaller">[106]</span></a> depuis mon départ de Paris.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> Une nouvelle inconséquence de Jérôme indisposa encore +beaucoup Napoléon à son égard. Le jeune prince aimait le luxe, les +fêtes, l'étiquette. Tout en se plaignant de la modicité de sa liste +civile, il ne fut pas plus tôt sur le trône qu'il se donna une cour +fastueuse copiée sur celle des Tuileries et fort en dehors de toute +proportion avec l'exiguïté de ses États; qu'on en juge.</p> + +<p>Il créa: un grand maréchal du palais, Meyronnet, son ancien +lieutenant à bord de <i>l'Épervier</i>, qu'il fit comte de Willingerode; +deux préfets du palais, Boucheporn et de Reyneck; trois maréchaux ou +fourriers du palais, les colonels de Zeweinstein et Bongars, M. +Barberoux-Wurmb; un grand-chambellan, le comte de +Waldenbourg-Truchsess; quinze chambellans, Le Camus, le comte de +Bohlen, le baron de Hammerstein, le baron Bigot de Villandry, le +comte de Wesphallen, M. d'Esterno, le baron de Hartz, le comte de +Velsheim, Cousin-Marinville, le baron de Munchenhausen, le baron de +Sinden, le baron de Spiegel, le baron d'Assebourg, le comte de +Meerveld, le baron de Dœrnberg; un grand-maître des cérémonies, +le comte de Bocholtz; huit maîtres ou aides des cérémonies, MM. de +Courbon, Marseille-Laflèche, Beugnot, baron de Gondmain, Gardine, +comte de Pappenheim; plus de vingt aides de camp ou officiers +d'ordonnance, le colonel de Salha, gouverneur des pages, Gérard, le +prince de Hesse Philipsthal, de Spaderborn, Morio, Rewbell, +d'Albignac, plus tard ministre de la guerre, Lefebvre-Desnouettes, +que nous avons vu rappelé par l'empereur, le colonel +Danstoup-Verdun, les généraux Du Coudras et Usslar; un grand-écuyer, +six écuyers d'honneur, le comte de Stolberg-Wernigerode, le baron +Lepel, le colonel Klœsterlein; un premier aumônier, l'évêque +baron de Wend; des aumôniers, des chapelains en grand nombre, trois +secrétaires des commandements, Marinville, de Coninx, Bercagny; un +grand-veneur, le comte de Hardenberg.</p> + +<p>La maison de la reine fut installée sur un pied tout aussi splendide +et non moins nombreux: une grande-maîtresse, la comtesse de +Truchsess; sept dames du palais, la comtesse de Gilsa, dont le mari +était directeur des haras, la baronne de Pappenheim, MM<sup>mes</sup> Morio, +Blanche Laflèche, Du Coudras, de Witzleben, la princesse de +Hohenlohe-Kirchberg; plusieurs chambellans, les barons de +Bodenhausen, <span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> de Pappenheim, de Bischoffshausen, de Schele; +plusieurs écuyers d'honneur, le marquis de Maubreuil, le baron de +Menguersen de Busche, M. de Malsbourg, le baron de Mesenholm; un +secrétaire des commandements, M. de Pfeiffer.</p> + +<p>On comprend que Napoléon I<sup>er</sup> fut choqué d'un pareil dévergondage de +gens inutiles que son frère payait fort cher, lui l'homme de guerre +dont les prodigalités allaient toujours chercher les gens utiles +dans toutes les professions, ou ceux qui risquaient sans cesse leur +existence sur les champs de bataille.</p> + +<p>Aussi a-t-on vu qu'il avait tancé son frère d'une façon bien +vigoureuse, puisqu'il l'accusait presque de manquer à l'honneur. +Avec un peu plus de réflexion et de tenue, le jeune roi eût pu faire +sur sa liste civile de cinq millions, surtout en Allemagne, au +milieu d'un peuple simple et aux idées antiques, des économies qui +lui eussent permis de payer son emprunt, ce qui eût en outre disposé +favorablement Napoléon en sa faveur.</p> + +<p>Malgré les préoccupations constantes que donnaient à Jérôme l'état +déplorable des finances du royaume et la rigidité inflexible de +l'empereur à cet égard, malgré les remontrances incessantes de son +frère, le jeune roi menait assez joyeuse vie à Cassel et à +Napoléonshœhe, entouré de la vertueuse reine, d'un essaim de +jolies femmes, de favoris toujours prêts à exécuter ses moindres +fantaisies.</p> + +<p>Vers le commencement d'août 1808, quelques changements eurent lieu +dans les rangs élevés. La secrétairerie d'État, d'abord confiée au +savant Jean de Muller, passa aux mains de Le Camus, comte de +Furtenstein, marié à la fille du grand-veneur, comte de Hardenberg, +riche seigneur allemand. Le général Morio, un instant ministre de la +guerre, céda son portefeuille à M. de Bulow, déjà ministre des +finances depuis la rentrée en France de M. Beugnot. Jérôme fait +connaître les motifs du changement de Morio à son frère, par une +lettre en date du 16 août<a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a><a href="#footnote107" title="Lien vers la note 107"><span class="smaller">[107]</span></a>. Ce qui ne l'empêcha pas de rendre le +portefeuille au général quelques jours plus tard.</p> + +<p>Au mois de septembre 1808, une sorte de petite émeute causée à +Brunswick, chef-lieu de l'Ocker, par une circonstance insignifiante, +éclata tout à coup. Rapport fut fait au roi, qui envoya cette pièce +à son frère en lui demandant ses ordres:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center"><span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> <span class="smcap">Jérôme à Napoléon.</span></p> +<p class="date">Napoléonshœhe, 8 septembre 1808.</p> + +<p>Sire, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté un rapport qui vient + de m'être fait par mon ministre des finances, chargé provisoirement + du département de la Guerre, relativement à un événement fâcheux qui + a eu lieu les 4 et 5 à Brunswick.</p> + +<p>Quelque grands que soient dans cette affaire les torts des gendarmes + français, je n'ai rien voulu ordonner à leur égard, sans connaître + les intentions de Votre Majesté.</p> + +<p>Je soumets donc à Votre Majesté le rapport de mon ministre, ainsi + qu'il me l'a présenté, et je la prie de me faire connaître la + conduite qu'elle désire que je tienne en cette circonstance.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Rapport au roi Jérôme.</p> + +<p>Sire, je reçois des lettres du préfet de l'Ocker, du commandant de + place de Brunswick et du colonel Mauvillon, commandant le 2<sup>e</sup> + régiment de ligne, dont je m'empresse de présenter l'extrait à Votre + Majesté; elles confirment les détails des événements fâcheux qui ont + eu lieu à Brunswick dans les journées du 4 et du 5.</p> + +<p>Il résulte uniformément de ces divers rapports que le brigadier de + gendarmerie Lefèvre, accompagné des gendarmes Deligny et Chastelan, + eut au foyer de la Comédie une dispute avec quelques bourgeois. Ces + militaires n'étaient point en uniforme et paraissaient ivres. La + querelle s'étant continuée au sortir du spectacle, le brigadier + Lefèvre courut chez lui prendre son sabre, et, revenant armé à la + rencontre des bourgeois qui ne l'étaient pas, frappa le nommé + Lietge, maître vitrier, et le tua sur la place.</p> + +<p>Le brigadier Lefèvre meurtri au bras de plusieurs coups de bâton + qu'il venait de recevoir dans cette querelle fut, à l'instant même, + arrêté sur la place par un détachement de la garde qui rétablit la + tranquillité dans la rue, et l'ordre fut donné au juge de paix dans + l'arrondissement duquel venait d'être commis ce meurtre, de + commencer sur le champ l'instruction de l'affaire.</p> + +<p>Cependant le chef d'escadron Béteille, commandant la gendarmerie + française, fit mettre le meurtrier en liberté, et ne voulut point + déférer à la réquisition du commandant d'armes et du maire de la + ville de Brunswick qui demandaient l'arrestation des deux autres + gendarmes.</p> + +<p>Ce déni de justice produisit une impression fâcheuse, et la populace + laissa entrevoir le projet formé d'arracher le gendarme Lefèvre de + la maison où il était retiré. Le colonel Schraidt se décida à le + faire transporter <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> à l'hôpital dans une chaise et à + l'accompagner lui-même avec l'adjudant de place, le maire de la + ville, le commissaire de police et quelques autres fonctionnaires + publics. La vue de ces magistrats ne put contenir une multitude + furieuse, et une grêle de pierres fut lancée contre la chaise et le + cortège. Le gendarme Lefèvre en fut presque accablé. Bientôt + l'attroupement qui s'était formé autour de l'hôpital fut dissipé par + les soins et les instances du commandant Schraidt, mais ayant appris + dans la soirée que le peuple voulait encore forcer l'hôpital et + immoler le gendarme Lefèvre à sa vengeance, il fit demander la force + armée, et le colonel Mauvillon envoya un détachement de 30 hommes. + Cette troupe fut assaillie elle-même par les pierres qu'on lançait + de plusieurs maisons et par les injures de la populace.</p> + +<p>Le colonel Mauvillon doubla alors son détachement et marcha lui-même + en bon ordre avec son régiment à la hauteur de l'hôpital. Cependant + plusieurs soldats ayant été blessés par le peuple, il fît tirer + quelques coups de fusil en l'air pour l'effrayer. Toutes les avenues + furent occupées, et, après plusieurs tentatives, fermes et prudentes + à la fois, on parvint à dissiper les attroupements; une femme a été + tuée et un bourgeois blessé; le colonel Mauvillon pense que c'est + par les bourgeois eux-mêmes qui, à ce qu'il dit, ont tiré plusieurs + coups de fusil de leur côté. La ville fut parcourue toute la nuit + par des patrouilles, et la tranquillité n'a plus été troublée.</p> + +<p>Il paraît que les autorités civiles et militaires ont parfaitement + rempli leur devoir, et qu'elles ont été constamment animées du + meilleur esprit. Le colonel Mauvillon fait le plus grand éloge du + zèle et de l'activité qu'ont déployés le commandant et l'adjudant de + place; il s'applaudit aussi de la discipline et du calme manifestés + par les soldats du 2<sup>e</sup> régiment, en butte aux coups et aux insultes + de la populace; le dernier des recrues est demeuré ferme à son rang + et a obéi avec intelligence et promptitude à tous les ordres de son + chef.</p> + +<p>Aussitôt que l'ordre a été rétabli, on a fait arrêter les hôtes des + maisons d'où ont été lancées les pierres contre la force armée.</p> + +<p>Tous les rapports attestent que les gendarmes français qui ont donné + lieu à ce désordre ont eu le premier tort; plusieurs témoins + certifient que la dispute a été provoquée par eux, et que l'effet en + a été d'autant plus prompt et d'autant plus funeste qu'ils étaient + depuis longtemps haïs des bourgeois à cause de leurs vexations et de + leur insolence.</p> + +<p>Le colonel de Bongars<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a><a href="#footnote108" title="Lien vers la note 108"><span class="smaller">[108]</span></a>, envoyé sur les lieux par Votre Majesté, + est parti hier et lui transmettra un rapport plus circonstancié sur + ces événements.</p> + +<p class="date">Cassel, 8 septembre 1808.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> Napoléon lui répondit, le 14 septembre, qu'il fallait punir +le gendarme français, mais surtout l'allemand qui avait été cause de +l'émeute; qu'on l'assurait que la police était mal faite en +Westphalie; que bientôt il aurait des émeutes plus sérieuses, et que +si les gendarmes français lui étaient inutiles, il n'avait qu'à les +renvoyer en France.</p> + +<p>Étant à Erfurt, l'empereur donna l'ordre de désigner pour la +Westphalie, comme ministre de famille, le baron de Reinhard, +diplomate distingué, qui se rendit immédiatement de Coblentz à Paris +pour y recevoir du duc de Cadore, ministre des relations +extérieures, les instructions les plus détaillées et les plus +précises. Le baron de Reinhard arriva à Cassel à la fin de décembre +1808. Il trouva le corps diplomatique composé des ministres dont les +noms suivent: de Wurtemberg, baron de Geinengen; de Saxe, comte de +Schœnburg; de Bavière, comte de Leichenfeld; de Hollande, +chevalier de Huygens; de Darmstadt, baron de Moronville; de Prusse, +M. Kuster; du prince primat, comte de Beust; du grand-duc de Bade, +baron de Seckendorff, chargé aussi des affaires de Francfort; +d'Autriche, comte de Grüne; de Russie, prince de Repnin.</p> + +<p>Un peu avant l'arrivée de Reinhard, le roi Jérôme, blessé des actes +arbitraires et du sans-façon des agents français, même infimes, +expédia son aide de camp, le général Girard, à l'empereur, avec les +deux lettres ci-dessous, datées du 11 décembre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, le général Girard, mon aide-de-camp, aura l'honneur de + remettre cette lettre à Votre Majesté; je le charge de passer au + dépôt du 1<sup>er</sup> régiment des chevau-légers<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a><a href="#footnote109" title="Lien vers la note 109"><span class="smaller">[109]</span></a> pour tâcher de + remonter les hommes à pied; j'espère que Votre Majesté est plus + contente de mon régiment.</p> + +<p>J'ai écrit plusieurs fois à Votre Majesté, et je n'ai pas reçu un + mot de réponse; j'espère cependant qu'elle n'est pas fâchée contre + moi, car je n'ai rien fait pour cela, et qu'au contraire le but de + toutes mes actions est de vous plaire.</p> + +<p>Ma santé est tout-à-fait rétablie, on me conseille cependant de + changer d'air pendant quelques semaines; si Votre Majesté n'est pas + de retour à Paris en janvier et qu'elle l'approuve, j'irai passer + huit jours à Amsterdam, à la fin du mois de janvier.</p> + +<p>Sire, en m'abstenant de toutes réflexions, j'ai l'honneur de mettre + <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> sous les yeux de Votre Majesté plusieurs notes plus + arbitraires l'une que l'autre, en la priant de vouloir bien mettre + ses décisions sur chacune d'elles et de me les faire connaître.</p> + +<p>J'espère que Votre Majesté voudra bien arrêter les prétentions, tous + les jours plus fortes, de ses agents en Westphalie, dont les titres + très-subalternes de quelques-uns ne modèrent pas des mesures + humiliantes pour moi et d'après la continuation desquelles, il me + serait impossible de gouverner plus longtemps ce pays.</p> +</div> + +<p>Habituellement, l'empereur ne répondait pas aux justes réclamations +de ce genre que lui adressaient ses frères. C'est ce qui eut lieu +encore dans cette circonstance et força Jérôme à envoyer de nouveau +à Paris, au commencement de février, un autre de ses aides de camp, +le général Morio.</p> + +<p>Dès son arrivée à Cassel, Reinhard avait envoyé au duc de Cadore +(Champagny) de longues lettres publiées au 3<sup>e</sup> volume des Mémoires +du roi Jérôme.</p> + +<p>Champagny lui répondit de Paris, les 21 et 26 janvier 1809:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monsieur, j'ai reçu les différentes dépêches que vous m'avez fait + l'honneur de m'adresser depuis le n<sup>o</sup> 1 jusqu'au n<sup>o</sup> 6 + inclusivement. J'ai eu soin de rendre compte à Sa Majesté Impériale + des détails les plus intéressants qu'elles renfermaient.</p> + +<p>Vous êtes chargé, Monsieur, d'appeler l'attention de Sa Majesté le + roi de Westphalie sur la rédaction des gazettes qui se publient dans + ses États. Il est important qu'elle soit confiée à des hommes + habiles et sûrs qui, lisant avec soin les gazettes de Vienne et de + Presbourg, s'attachent à réfuter et à combattre surtout par l'arme + toute puissante du ridicule les articles de ces gazettes qui + pourraient être dirigés contre la France ou la Confédération du + Rhin. Ceux qui prêtent des idées de guerre à l'Autriche, se plaisent + à faire une longue énumération de ses forces militaires, ignorant + apparemment ou plutôt feignant d'ignorer que la France a encore + 150,000 hommes en Allemagne, qu'un même nombre de troupes françaises + se trouve en Italie, que la Confédération du Rhin peut mettre au + premier signal 120,000 hommes sur pied, que la conscription qui + s'organise en ce moment donnera 80,000 hommes de nouvelles levées, + et qu'enfin la retraite des Anglais permet à Sa Majesté Impériale de + disposer en cas de besoin d'une grande partie des troupes qui se + trouvent en Espagne.</p> + +<p>En vous faisant connaître les intentions de Sa Majesté Impériale, je + suis sûr que vous ne négligerez rien pour en assurer la complète et + parfaite exécution. Je vous prierai seulement de vouloir bien + m'instruire <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> des mesures qui seront prises à cet égard par + le gouvernement westphalien.</p> + +<p>J'ai reçu, Monsieur, vos dépêches des 13 et 15 janvier n<sup>o</sup> 8 et 9. + Sa Majesté les a eues l'une et l'autre sous les yeux et a lu la + seconde avec plaisir. Son intention est que vous entriez dans les + plus grands détails sur toutes les parties de l'administration du + royaume de Westphalie, que vous parliez de la conduite du Roi, de + celle des ministres, des opérations du gouvernement. Elle veut être + informée de tout avec la plus grande exactitude afin de pouvoir + éclairer et guider, si besoin est, la marche d'un gouvernement qui + l'intéresse à tant de titres. Elle me charge de vous dire que vos + dépêches ne seront point vues, et qu'on ignorera la source des + renseignements que vous aurez donnés et dont elle croira faire + usage. La délicatesse qui vous fait craindre d'employer les chiffres + aurait l'inconvénient extrême de gêner votre franchise. Sa Majesté + veut donc que vous écriviez souvent en chiffres; dès que vous vous + en servirez habituellement, cela paraîtra tout simple; qui, + d'ailleurs, peut y trouver à redire? et comment même le saura-t-on, + à moins qu'on ne viole le secret de vos dépêches, et qu'on ne prouve + ainsi combien la précaution de chiffrer est nécessaire?</p> + +<p>Dans les cas graves, s'il en survenait, et pour faire connaître des + actes très importants du gouvernement du Roi, vous expédieriez des + courriers extraordinaires.</p> + +<p>Sa Majesté désire encore qu'à vos dépêches vous joigniez des + bulletins non signés, et contenant les nouvelles de société, les + bruits de la ville, les rumeurs, les anecdotes vraies ou fausses qui + circulent, en un mot une sorte de chronique du pays propre à le bien + faire connaître.</p> + +<p>Une autre lettre que vous recevrez en même temps que celle-ci, vous + instruit des intentions et vous transmet les ordres de Sa Majesté + relativement aux Français qui sont ou qui voudraient entrer au + service du Roi.</p> +</div> + +<p>Ainsi, il ressort bien nettement de ces deux lettres de Champagny à +Reinhard que l'empereur voulait avoir auprès de Jérôme, comme auprès +de ses frères Joseph et Louis, sous le nom de ministres de famille, +des hommes chargés d'une sorte d'espionnage politique et +particulier.</p> + +<p>À dater de la réception des ordres de Champagny, la correspondance +entre lui et Reinhard ne fut plus interrompue.</p> + +<p>Reinhard écrit de Cassel, le 3 février 1809:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Monseigneur, Votre Excellence peut être assurée que dans tout ce qui + dépendra de moi, son intention sera remplie, et je ne cesserai point + <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> d'insister auprès du gouvernement westphalien pour que la + mesure proposée reçoive sa prompte exécution.</p> + +<p>M. d'Esterno, ministre du roi à Vienne, ayant demandé un congé pour + affaires de famille, on a saisi cette occasion pour y envoyer M. le + baron de Linden, ministre de Westphalie près le prince Primat, et + qui est regardé ici comme une des colonnes de la diplomatie + Westphalienne. M. de <i>Linden</i> connaît déjà Vienne; il s'y est rendu + sous le prétexte de terminer un procès. Sa mission est secrète, et + ce n'est pas M. de Furstentein qui m'en a fait la confidence. + Cependant il m'a fait lecture d'une lettre écrite de Munich et de + Vienne que j'ai facilement reconnue comme étant l'ouvrage de cet + agent. Elle m'a paru écrite avec justesse. M. de Linden attribue en + grande partie les faillites qui ont eu lieu en Autriche, à ce que + les spéculations en denrées coloniales que plusieurs maisons avaient + faites, sur la foi de l'engagement pris par leur gouvernement de + prohiber l'entrée des marchandises anglaises, avaient été trompées + par l'admission dans le port de Trieste d'une très grande quantité + de ces marchandises. Il fait un tableau qui me paraît assez vrai de + la fermentation guerrière qui s'est emparée des têtes autrichiennes, + et de la faiblesse du gouvernement qui, incapable de diriger le + mouvement des esprits, risque d'en être compromis et d'y céder + peut-être, s'il ne le partage point, et donne la mesure de son + incapacité et de son irrésolution à ses propres sujets s'il le + partage. Il dit que deux députés des insurgés espagnols ont été + admis récemment à Trieste. Il ajoute que les États des différentes + provinces ont été convoqués pour délibérer sur une solde à accorder + aux milices, et que comme on avait promis à la France que cette + milice n'en aurait point, la curiosité publique attendait le + gouvernement à la tournure qu'il donnerait à sa proposition.</p> + +<p>Quant à M. le comte de Grüne, nommé par la cour de Vienne pour + résider à Cassel, il déclare qu'il est prêt à partir, mais que + n'ayant pas encore reçu ses lettres de rappel, du poste de + Copenhague, il est obligé d'attendre que sa première mission soit + terminée dans les règles. M. de Grüne attendra; son gouvernement + attendra; il n'y a que la France qui soit prête.</p> +</div> + +<p>Nous arrivons maintenant aux curieux bulletins prescrits par +l'empereur et dans lesquels se reflètent les petites intrigues de la +cour de Westphalie:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, ce 5 février 1809.</p> + +<p>Monsieur le comte de <i>Wernigerode</i>, grand-maréchal du Palais, part + demain pour Marseille.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> «Eh bien! grande-maîtresse, dit-il en riant il y a quelques + jours à Madame la comtesse de Truchsess, je pars; tâchez de mettre + ce temps à profit, je resterai un mois, et si vous ne l'empêchez, je + reviendrai!»—«Un mois! grand Maréchal! c'est bien court, mais nous + verrons.» Le mois ne sera pas mis à profit; car Madame la Comtesse + aussi part aujourd'hui pour aller revoir Monsieur son père, en + attendant que son mari la rejoigne pour son voyage d'Italie. Ce + voyage et la démission acceptée de Madame la grande-maîtresse se + trouvent dans le <i>Moniteur Westphalien</i> d'hier. Voici un mois de la + vie de Madame de Truchsess.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">5 février 1809.</p> + +<p>La semaine dernière a vu se renouveler dans l'intérieur du palais + les tracasseries qui avaient déjà eu lieu avant l'arrivée de la + légation française à Cassel. M<sup>me</sup> de Launay, fille de M. Siméon, + ayant profité au premier bal masqué de la liberté du déguisement, + avait fait quelques plaisanteries à M. de Pappenheim. Ces choses, + fort innocentes d'elles-mêmes, furent le lendemain rapportées à la + Reine, non telles qu'elles avaient été dites, mais empoisonnées et + commentées avec la charité qu'on a dans les cours, en sorte que le + lendemain il n'était bruit que des propos de M<sup>me</sup> de Launay et du + mécontentement de la reine contre elle.</p> + +<p>M. Siméon en fut aussi affligé que sa fille: il alla trouver le roi + à qui il se plaignit décemment de <i>M<sup>me</sup> de Truchsess</i>, auteur de ces + bruits. Le Roi s'emporta contre elle; il dit que c'était une + <i>faiseuse d'histoires</i>, qu'elle mentait, que son père mentait, que + son frère mentait, et qu'il n'y avait que le mari qui valût quelque + chose dans la famille.</p> + +<p>Le soir, la grande-maîtresse ayant paru devant le roi, en fut + froidement accueillie: elle pleura, jeta les hauts cris, s'évanouit. + En dernier résultat, elle a offert sa démission qui a été acceptée + avec plaisir par le roi, mais (on croit) avec peine par la reine qui + lui est fort attachée.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Truchsess joint à de la beauté beaucoup de grâce et de + séduction dans l'esprit. Elle était l'ornement d'une cour qui + pourtant n'est pas dépourvue de beautés, mais son goût pour + l'intrigue et pour les tracasseries gâte toutes ses heureuses + qualités. Il paraît que le but secret de toutes ses manœuvres + était de regagner le cœur du roi. On ne peut expliquer que de + cette manière plusieurs parties de sa conduite qui, sans cela, + paraîtraient hors de toute mesure. Il est vrai qu'on ne serait pas + juste non plus, si on la jugeait d'après ce qu'en disent ses + ennemis.</p> + +<p>Son goût pour écrire ne peut être ni aussi vif ni aussi actif qu'on + le suppose: il y a certainement eu dans sa conduite beaucoup de + choses étourdies qu'on a revêtues de fausses couleurs; comme elle + maltraitait <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> tout le monde, tout le monde la traitait avec + rigueur, et souvent d'innocentes plaisanteries ont pu être données + pour un secret désir de perdre ce qui l'entourait. Quoi qu'il en + soit, comme elle passait presque toutes ses journées en tête-à-tête + avec la reine à qui elle avait persuadé qu'il n'était pas de sa + dignité de vivre avec les autres dames, on disait que pour charmer + l'ennui de cette solitude, elle amusait la reine en lui racontant + des histoires et des anecdotes qui n'avaient pas tout-à-fait pour + objet de mettre les Français en grand crédit auprès de Sa Majesté.</p> + +<p>Elle annonce qu'elle accompagnera son mari qui part sous peu de + jours pour l'Italie. Mais elle est si redoutée qu'on n'ose se livrer + à la joie, et en effet il se pourrait qu'elle se décidât, pour le + plaisir de désoler ses ennemis, à ne pas désemparer.</p> + +<p>Avant-hier, 3 février, il y a eu bal masqué à la cour. La reine y a + dansé dans un quadrille polonais composé de toutes personnes de + l'intérieur. Comme le nombre de celles présentées à la cour est très + borné, on était convenu d'admettre au bal beaucoup d'étrangers. + L'ordre était de ne se point démasquer: le roi s'y est fort amusé, + il s'est travesti plusieurs fois; la reine a paru également prendre + part au divertissement où on a pu voir que le génie et la variété + des travestissements étaient entièrement dirigés vers le but de + plaire à Leurs Majestés.</p> +</div> + +<p>La comtesse de Truchsess, grande-maîtresse de la maison de la reine, +était jolie et intrigante. Elle avait été bien, disait-on, avec le +jeune roi. La reine l'aimait beaucoup. On l'appelait plaisamment sa +gouvernante. M. de Truchsess était un brave homme qui, renvoyé dans +ses terres à cause des intrigues de sa femme, fut remplacé à la +cour, dans ses hautes fonctions, par le colonel Salha. L'ancien +capitaine de frégate Salha était de Marseille, où il avait de la +famille et des intérêts. Voilà ce qui explique les deux bulletins de +Reinhard, du 5 et 6 février, et le troisième du 16 du même mois.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">16 février 1809.</p> + +<p>M<sup>me</sup> la comtesse de Truchsess avait donné sa démission le 3 au soir. + Le lendemain en s'éveillant, elle la trouva acceptée sur sa table de + nuit. On prétend qu'elle ne s'y attendait pas. Le dimanche après, 5 + février, il y eut cercle et bal à la Cour; on prétend qu'elle avait + demandé à y être reçue dans son rang de grande-maîtresse. Elle fut + invitée: quant au rang, on lui déclara qu'elle aurait celui de femme + de grand dignitaire: elle vint pourtant. En entrant dans la grande + salle, à chaque pas qu'elle faisait en avant, on aurait dit qu'elle + allait en faire <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> un autre en arrière. Sa figure décomposée + travaillait à prendre une contenance: elle aborda en hésitant les + premières dames; elle se remit après quelques saluts qui lui furent + rendus. Pour entrer dans la salle du bal où étaient le roi et la + reine, les dames furent appelées par classes: les dames du palais; + les dames des grands dignitaires; M<sup>me</sup> de Truchsess allait entrer + seule: elle hésita. Enfin il s'en trouva une seconde; les dames des + ministres d'État; les dames des ministres étrangers; les dames + présentées; les demoiselles invitées. Il y en avait d'assez + vieilles; malgré cela, le bal était fort beau.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Truchsess joua son rôle admirablement pendant le reste de la + soirée. Le surlendemain, son mari en donna une chez elle; les + billets portaient qu'il y aurait un violon. C'était pour ouvrir sa + maison, dont l'ameublement venait d'être achevé. Du corps + diplomatique on n'avait invité que le ministre de France avec sa + femme, et celui de Bavière avec la sienne, parente de M<sup>me</sup> de + Truchsess, et qui, la veille, avait porté un toast à: «<i>ce qui vient + d'arriver</i>.» Il y eut un violon et point de bal; des tables de jeu + et point de jeu; des groupes et point de conversation; un souper + pourtant, car on mangea beaucoup pour sortir d'embarras. À en croire + M<sup>me</sup> de Truchsess, elle était enchantée de ce que cela s'était enfin + arrangé: elle projetait le voyage d'Italie, de Naples surtout où + elle trouverait ses parents (avec lesquels elle était encore + brouillée la veille); celui de Paris sûrement, si la Cour y était; + celui de Kœnisgsberg où son mari a des terres. <i>Elle craignait + seulement qu'on ne le pressât trop de revenir.</i> En attendant, on la + pressait de partir, et elle choisit pour son départ le jour où M. + Siméon donna un bal masqué auquel le roi et la reine ont assisté.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Launay avait reçu du Roi un cadeau de quelques schaals et + d'une robe magnifique. Le jour du bal de son père, la Reine lui fit + un accueil extrêmement gracieux. Sous tous ces rapports, son + triomphe fut complet. L'assemblée n'était pas nombreuse, mais elle + était choisie. La gaieté, l'élégance, le bon goût y régnaient.</p> + +<p>Le jour même du départ de M<sup>me</sup> de Truchsess, le roi envoya + l'intendant-général de la liste civile pour faire l'inventaire des + meubles de son palais. Cet hôtel avait été occupé par le ministre + des finances qui, pour faire place à M<sup>me</sup> de Truchsess, alors en + faveur, avait été obligé de l'<i>évacuer en vingt-quatre heures</i>; + aussi M. D'Albignac, grand-écuyer, dit-il au roi: «<i>Vive ce départ, + il vous donne quatre-vingts mille livres de rente.</i>»</p> + +<p>Les fêtes du carnaval se terminèrent par un grand bal masqué donné + par le maréchal du palais. Mille billets avaient été distribués: + neuf cents personnes au moins furent présentes; le roi avait envoyé + des billets aux notables de Münden, petite ville à quelques lieues + de Cassel, qui s'était distinguée dernièrement par la promptitude et + l'activité des <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> secours qu'elle avait portés à un village + incendié. Ils arrivèrent soixante-quinze en dix voitures: ils se + crurent transportés dans un monde enchanté; un d'eux avait perdu son + billet, et son désespoir était de penser à ce que dirait le roi de + son impolitesse lorsqu'il s'apercevrait de son absence. Le roi et la + reine furent reçus par des bergers et des bergères portant des + guirlandes, et formant un berceau sous lequel passèrent Leurs + Majestés. Le bal fut ouvert par un quadrille espagnol. Il est + impossible de peindre la variété, l'élégance et le mouvement de + cette fête. M. le général Du Coudras fit jouer des pantins avec un + talent unique. La reine avait arrangé une foire. Dans une douzaine + de boutiques, ses dames distribuaient de petits cadeaux. La reine + avait une cassette remplie de bijoux; elle était d'une gaieté + délicieuse; quelques-uns prétendaient que sans s'en douter elle se + réjouissait de n'avoir plus <i>de gouvernante</i>. Le bal se prolongea + jusqu'à cinq heures du matin.</p> + +<p>Comme on avait engagé tout le monde à faire quelques folies, les + membres du corps diplomatique s'étaient réunis pour représenter un + jeu d'échecs, et, puisqu'il devait y avoir un roi battu, on était + convenu de prendre le costume de mameluck. Seize enfants devaient + faire les pions. Cependant à la Cour on trouva avec raison que dans + une telle foule un tel nombre d'enfants pourrait avoir des + inconvénients, et le projet fut abandonné. Le ministre de France, + invité par une députation de ses collègues à se mettre à la tête + d'une mascarade représentant un bey d'Égypte avec son harem, y + consentit. La procession se présenta devant le Roi et la Reine; + quelques présents, quelques vers furent offerts et agréés: tout se + passa en pantomime; le Roi trouva l'exécution noble: elle parut + faire plaisir généralement.</p> + +<p>À une heure, quelques personnes choisies se rendirent au souper dans + l'appartement de la Reine: dans ce nombre furent les ministres de + France et de Hollande. Les épouses des autres ministres y furent + invitées sans leur mari. Cette distinction fut très-sensible à ces + derniers. Le ministre de Saxe s'en plaignit à M. de Furstenstein; + celui de Bavière avait fait un voyage exprès, dit-on, pour ne point + risquer d'être exclu du souper. M. de Furstenstein a répondu qu'il y + avait eu erreur. D'autres sans doute et avec raison ont cru y voir + une distinction faite en faveur des ministres de famille; mais comme + la Cour ne s'est point expliquée à cet égard, les préférences et les + exclusions ont l'apparence d'être personnelles.</p> +</div> + +<p>Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le roi, ne recevant pas de +réponse de l'empereur relativement à ses justes réclamations à +l'égard des agents français en Westphalie et désirant mettre son +frère bien au courant de la situation financière du pays, lui +expédia son premier aide de camp, le général Morio, avec la lettre +ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> <p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 3 février 1809.</p> + +<p>Sire, j'envoie auprès de Votre Majesté le général Morio, mon premier + aide de camp; il a été un de mes ministres, il était présent à tous + mes conseils d'administration, et connaît très bien la situation de + mon royaume. Votre Majesté pourra avoir de lui tous les + renseignements qu'elle désirera prendre sur l'état du trésor, comme + sur les autres parties d'administration.</p> + +<p>Je ne puis prendre de biais avec Votre Majesté ni la tromper en + aucune manière dans une circonstance aussi majeure, mais il est + certain que le royaume de Westphalie ne peut résister plus de 6 mois + au mauvais état des finances.</p> + +<p>Quant à moi, Sire, je me trouverai toujours bien partout où je serai + placé par Votre Majesté, si je conserve toute son amitié.</p> +</div> + +<p>L'empereur était peu porté à aimer et à estimer les officiers qui +quittaient son service pour celui de ses frères; il répondit à +Jérôme, le 11 février 1809:</p> + +<p class="lettre">Je suis étonné que vous m'envoyiez le général Morio, qui est une + espèce de fou. Vous trouverez bon que je ne le voie pas. Quant à la + situation de votre trésor et de votre administration, cela ne me + regarde pas. Je sais que l'un et l'autre vont fort mal. C'est une + suite des mesures que vous avez prises et du luxe qui règne chez + vous. Tous vos actes portent l'empreinte de la légèreté. Pourquoi + donner des baronnies à des hommes qui n'ont rien fait? Pourquoi + étaler un luxe si peu en harmonie avec le pays et qui serait seul + une calamité pour la Westphalie par le discrédit qu'il jette dans + l'administration? Tenez vos engagements avec moi, et songez qu'on + n'en a jamais pris qu'on ne les ait remplis. Ne doutez jamais du + reste de tout l'intérêt que je vous porte.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 18 février 1809.</p> + +<p>Dans une dépêche précédente<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a><a href="#footnote110" title="Lien vers la note 110"><span class="smaller">[110]</span></a> j'ai rendu compte des recettes et + des dépenses présumées de la liste civile. Quant aux finances de + l'État, on m'assure que le déficit de l'année passée est de douze + millions et qu'une crise est inévitable, peut-être dans six mois. Il + est certain que les Juifs ont prêté de l'argent. On parle de trois + millions. Pour remplir <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> le déficit, on s'occupe surtout à + pousser l'exploitation du sel aussi loin qu'elle peut aller. On + compte sur un grand débit en Hollande. Avant la dernière levée, le + Roi entretenait huit mille hommes de troupes. On parle d'une forte + réduction dans sa garde. Si la guerre a lieu, on ne doute pas que le + désir du Roi d'être appelé à l'armée ne soit rempli. L'on s'en + promet des moyens de faire de grandes économies pendant son absence.</p> + +<p>Sa Majesté Impériale a voulu que je lui rendisse compte de la + conduite des ministres. Le premier en ligne est M. <i>Siméon</i>: il + réunit à l'amour du travail et à la probité des connaissances, des + talents et de l'amabilité. Il est peut-être le seul qui avant de + fléchir devant la volonté suprême ose se permettre quelquefois des + représentations, qui ne sont pas toujours bien accueillies. En + public, il a constamment été traité avec une grande distinction, et + l'on croit que la faveur lui est revenue. Son département marche. Le + général <i>Eblé</i><a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a><a href="#footnote111" title="Lien vers la note 111"><span class="smaller">[111]</span></a> est infatigable au travail. Il se trouve, + dit-il, au milieu d'un chaos à débrouiller, de fripons à déjouer; + entravé par une triple administration, celle de l'armée, de la garde + et des troupes françaises, il ne sort presque point, mais tout son + extérieur montre une santé fortement dérangée; s'il continue ainsi, + le travail le tuera dans un an.</p> + +<p>Le comte de <i>Furtenstein</i> a grandi depuis que je l'ai vu à Dresde. + Il est de tous les ministres le plus constamment près de la personne + du Roi. Son ministère lui laisse encore quelques loisirs pour les + plaisirs. Il a les formes aimables et il se met peu à peu au niveau + de sa position. On s'aperçoit de temps en temps, même dans des + occurrences de routine, que le chef et les employés ont besoin + d'expérience. On rend justice à la droiture de son caractère. Les + soins à prendre pour sa famille font partie de ses occupations. Ce + qui le justifie, c'est que les sœurs sont aimables, les + beaux-frères des hommes de mérite.</p> + +<p>M. <i>Bulow</i> était employé dans l'administration prussienne à + Magdebourg. Sa probité est intacte, mais on le dit peu capable de + sortir de la route ordinaire. Il serait peut-être à sa place si les + affaires étaient à la leur. Mais il les y fera venir difficilement. + On l'accuse de ne point aimer les Français; est-ce par aversion ou + seulement parce qu'il est ministre des finances?</p> + +<p>M. <i>de Volfradt</i><a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a><a href="#footnote112" title="Lien vers la note 112"><span class="smaller">[112]</span></a> est un homme de bien et de mérite, un peu + doucereux et probablement sans énergie comme son ancien maître. + L'organisation de son ministère l'occupe tout entier. Il est encore + à l'épreuve et c'est ce que le Roi lui-même, dit-on, lui a déclaré.</p> + +<p>Parmi les prétendants à la place de ministre, on nomme toujours + <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> M. Pothau<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a><a href="#footnote113" title="Lien vers la note 113"><span class="smaller">[113]</span></a> pour l'intérieur, M. Bercagny pour les + finances ou la justice. On prétend que M. de Truchsess visait à + celui des relations extérieures.</p> + +<p>Parmi les membres du corps diplomatique, le ministre de Bavière a + une réputation de malignité et d'orgueil; celui de Hollande, de + petites finaceries et d'économie batave; celui de Saxe, bon, souple, + né courtisan, tremble d'avoir des affaires; celui de Wurtemberg, + poli et réservé, laisse dans le doute si sa nullité est de nature ou + de calcul; celui de Darmstadt, avec de la mesure, a une tournure de + franchise et de loyauté militaire; le chargé d'affaires de Prusse, + avec ses profondes révérences et son très modeste extérieur, est + vrai représentant d'un roi de Prusse: d'ailleurs il est instruit, + honnête homme, on se loue ici de sa conduite.</p> + +<p>M. <i>Bercagny</i>, sans avoir le titre de ministre d'état, l'est + peut-être plus que les autres: les talents, les connaissances + administratives, la finesse, l'activité ne lui manquent point; on + craint seulement que cette dernière qualité ne l'entraîne à faire + naître des affaires pour rendre sa place plus importante. On + attribue au Roi un penchant naturel pour faire, sous tous les + rapports, l'essai et l'usage de son pouvoir; et le mérite de M. + <i>Bercagny</i> sera d'autant plus grand, s'il reste fidèle à + l'institution de la police qui est de prévenir les occasions de + punir. Tous les Westphaliens ne sont pas contents, tous ne sont pas + fidèles, mais ils ne conspirent point. Ce sont plutôt des indices + que des faits qui donnent lieu à ces remarques; mais on craint dans + une matière aussi grave des événements possibles qui pourraient + changer la marche sage et mesurée du gouvernement, ou le + développement d'un système qui pourrait le dénaturer.</p> + +<p>On parle ici d'un parti allemand et d'un parti français; parmi les + Allemands il existe un parti de l'ex-électeur et un parti du roi; + mais si dans le parti du roi on distingue un parti allemand et un + parti français, on commet une erreur qui pourrait conduire à des + conséquences fâcheuses. Le vrai parti français sera celui qui, + comptant sur l'inébranlable solidité du nouvel ordre de choses, se + reposera sur le temps pour acquérir de la fortune et des + distinctions et ne voudra pas recueillir dans une première année ce + qui doit être le fruit d'une longue carrière de travail et de + fidélité.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Champagny à Reinhard.</p> +<p class="date">Paris, le 23 février 1809.</p> + +<p>Monsieur, S. M. l'Empereur et Roi a eu sous les yeux vos dépêches + <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> des 3, 5 et 9 février, n<sup>os</sup> 13, 14 et 15, et les deux + bulletins y joints, et m'a donné un ordre qu'il m'est agréable de + remplir, celui de vous témoigner sa satisfaction pour ces dépêches + et de vous mander qu'il les a lues avec intérêt.</p> + +<p>Bien que les dépenses du roi n'aient pas été aussi grandes que vous + l'avez dû croire, ignorant que le Roi ne touchait point son + traitement de prince français, comme elles ont de beaucoup dépassé + sa liste civile, l'Empereur lui a écrit pour lui en témoigner son + mécontentement; mais le Roi s'en excuse en niant la vérité du + reproche. Sa Majesté sent combien il est nécessaire d'inspirer à ce + prince un esprit d'économie et elle vous charge de profiter des + occasions que le Roi, s'entretenant avec vous, vous fournira pour le + faire, avec l'à-propos et la mesure qui vous sont propres.</p> + +<p>Du reste, S. M. croit utile que vous sachiez que ce que le Roi vous + a dit d'une question que l'Empereur lui aurait faite à votre sujet + et de sa réponse n'est qu'une forme plus aimable donnée par ce + prince à un compliment auquel vous ne sauriez mieux répondre qu'en + redoublant d'attention et de vigilance.</p> + +<p>Quant aux doutes que ma lettre du 25 janvier vous avait laissés, Sa + Majesté me charge de vous faire connaître que les Français employés + dans le palais au service du Roi et naturalisés Westphaliens, tels + que M. le comte de Fürstenstein et autres qui peuvent être dans le + même cas, n'étant plus Français sont libres d'accepter les + décorations qui leur sont données. Tous les autres n'en peuvent + accepter sans l'autorisation de Sa Majesté I. et R.</p> + +<p>Sa Majesté vous recommande de voir souvent M. Siméon et le général + <i>Eblé</i> pour connaître leur opinion et leur position et la lui faire + connaître.</p> +</div> + +<p>Des symptômes assez sérieux commençaient à faire prévoir une prise +d'armes de l'Autriche et il était à craindre que des troubles ne +vinssent à éclater en Westphalie. Jérôme, prévenu par divers +rapports et par quelques correspondances, en écrivit à l'empereur. +On trouvera aussi plus loin, à la date du 24 février, une lettre de +Reinhard à ce sujet, adressée à M. de Champagny.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 23 février 1809.</p> + +<p>Sire, j'envoie à Votre Majesté, par courrier extraordinaire, deux + dépêches chiffrées que j'ai reçues hier, non pas d'un agent + secondaire, mais d'un homme jouissant d'une grande fortune en ce + pays qui m'est entièrement dévoué et qui a des relations intimes + avec les personnes les plus distinguées de Vienne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> Bien que je pense que Votre Majesté soit déjà instruite + d'une partie des détails contenus dans ces dépêches, j'ai cru ne pas + devoir les lui laisser ignorer et j'y joins un état des forces de + l'Autriche.</p> + +<p>Les régiments westphaliens, dont j'ai annoncé le départ à Votre + Majesté, sont arrivés à Mayence. Il y a eu quelques déserteurs parce + qu'on leur a fait croire sur la route qu'ils allaient être désarmés + à Mayence et envoyés dans les Îles. Je vais les remplacer sur le + champ et porter cette division à 8000 hommes<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a><a href="#footnote114" title="Lien vers la note 114"><span class="smaller">[114]</span></a>.</p> + +<p>J'ai donné le commandement de cette division au général Morio que je + veux mettre à même de prouver à Votre Majesté ses véritables + sentiments.</p> + +<p>Sous ses ordres seront les généraux de brigade Weber et Boerner et + le chef d'état-major Hersberg.</p> + +<p>Je viens d'ajouter une seconde compagnie d'artillerie.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 19 mars 1809.</p> + +<p>Sire, quoique bien persuadé que Votre Majesté soit instruite de tous + les projets de l'ennemi, je ne crois pas devoir me taire sur le + rapport qui vient de m'être fait par des officiers de ma maison, + ayant, pour leurs affaires personnelles, des relations étroites en + Hanovre.</p> + +<p>D'après ce rapport «il paraît que les Anglais ont formé le projet de + débarquer 30 à 40 mille hommes sur les côtes de Hanovre pour + attaquer ce pays et pénétrer en Hollande.»</p> + +<p>J'annonce avec satisfaction à Votre Majesté que la levée de la + conscription se fait avec le plus grand zèle dans la majeure partie + de la Westphalie et principalement dans les départements de l'Elbe + et de l'Ocker dont l'esprit est excellent.</p> + +<p>Quant au pays de l'ancienne Hesse, il est décidément mauvais et je + désirerais bien que Votre Majesté m'autorisât à répartir dans cette + partie de mon royaume un des régiments français qui sont à + Magdebourg, afin de dissiper les esprits remuants et de contenir les + malveillants.</p> + +<p>Si Votre Majesté consent à cette demande, j'enverrai en remplacement + à Magdebourg un régiment westphalien de même force.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté de me répondre sur cet objet.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> <p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, le 24 février 1809.</p> + +<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> m'a fait part des nouvelles qu'il a + reçues de Vienne et qui ont déterminé le Roi à envoyer hier un + courrier à Sa Majesté l'Empereur. Il m'a parlé aussi d'une lettre de + M. <i>Hesstinger</i> à Darmstadt, qui, ayant à écrire à M. <i>Pothau</i>, + l'informe en confidence du mécontentement général qui, d'après les + renseignements parvenus à M. <i>Hesstinger</i> et qu'il dit avoir fait + connaître à Votre Excellence, régnerait en Westphalie et qui selon + lui pourrait amener une explosion générale. M. de <i>Furstenstein</i> m'a + dit qu'il n'attachait pas une grande importance à cet avertissement; + que la police était parfaitement faite en Westphalie; que le peuple + était bon; que les nobles étaient fidèles; que le Roi était aimé et + qu'il était d'ailleurs exactement informé de tout ce qui se passait + dans son royaume. Quoique je partage à plusieurs égards cette + opinion de M. de <i>Furstenstein</i>, je me réserve cependant, + Monseigneur, de revenir sur cet objet sous le double rapport des + faits et des réflexions qui s'y rapportent.</p> +</div> + +<p>On voit que M. Reinhard, moins optimiste que M. de Furstenstein, +était aussi plus clairvoyant. On touchait aux aventures de Schill, +du duc de Brunswick et à la guerre avec l'Autriche.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, ce 28 février 1809.</p> + +<p>J'ai annoncé à Votre Excellence que j'aurais quelques détails à + ajouter au compte que j'ai rendu dans ma lettre n<sup>o</sup> 17 de l'audience + particulière que j'ai eue de Sa Majesté westphalienne. M. le comte + <i>de Furstenstein</i> était venu me dire que je n'aurais qu'à m'adresser + au chambellan de service et que le Roi me recevrait immédiatement. + Je suppose, ajouta-t-il, que vous avez quelque chose de particulier + à dire à Sa Majesté. «Non, dis-je, il ne s'agit que de communiquer + les vues de l'Empereur concernant l'organisation du contingent + westphalien: je suis un ignorant qui ira prendre une leçon chez un + maître consommé dans l'art militaire.» Sur cela M. <i>de Furstenstein</i> + m'apprit que le Roi avait mal dormi.—C'est qu'on veille un peu tard + (il y avait eu deux nuits de bal pour l'anniversaire de la + Reine).—Oui, dit M. <i>de Furstenstein</i>, le Roi travaille souvent + fort avant dans la nuit.</p> + +<p>Lorsque j'arrivai, M. le comte <i>de Furstenstein</i> était avec le Roi. + Je fus introduit dès qu'il fut sorti. Ce n'est, dit le Roi, qu'une + circulaire, <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> qu'une note diplomatique. Quand je l'eus + informé que le même courrier m'avait apporté l'ordre de proposer aux + princes de Waldeck et de la Lippe quelques changements relatifs à + l'organisation de leur contingent, le Roi me cita l'exemple de + quelques soldats westphaliens enrôlés dans le pays de Schauenbourg. + «J'ai fait dire au prince, ajouta-t-il, que s'il ne les rendait pas, + j'enverrais des gendarmes pour les faire chercher et que je pourrais + bien le faire venir lui-même. (Le prince vint en effet à Cassel pour + s'excuser.) Ces petits princes m'ont proposé de m'envoyer des + ministres, je n'en ai pas voulu.»</p> + +<p>Par une transition un peu brusque le Roi me parla ensuite des + comptes de M. <i>Jollivet</i>, où se trouve porté jusqu'à l'herbe qui + croît sur la place Frédéric et sous les croisées du château sur les + bords de la Fulde.</p> + +<p>Il paraît que cet article et plusieurs autres que Sa Majesté me cita + avec une irascibilité qui m'a paru légitime, s'étaient trouvés + compris dans la moitié des domaines réservée à Sa Majesté l'Empereur + et qu'ils avaient été évalués à une certaine somme dont M. + <i>Jollivet</i>, par une raison de devoir aussi très légitime, demandait + le remboursement. «J'aurais pu envoyer ces beaux comptes à + l'Empereur; mais je n'ai pas voulu faire tort à M. <i>Jollivet</i> dans + l'esprit de mon frère: Cependant, je sais que M. <i>Jollivet</i> est mon + espion. À quoi bon écrire à Paris que j'ai donné un diamant, que + j'ai couché avec une belle? Un ministre ne doit point s'occuper de + ces bagatelles; il doit mander que le Roi se porte bien, que la + Westphalie marche dans le système de la France, et voilà tout. Que + résulte-t-il de cet espionnage? Cela peut donner un instant + d'humeur; des frères peuvent se brouiller un instant et peut-être + cela m'est-il déjà arrivé; mais ils se réconcilient. J'aime et je + respecte l'Empereur comme mon père; l'Empereur dans un moment de + vivacité peut me faire quelques reproches, mais ensuite on + s'explique et l'on sait mauvais gré à celui qui a été la cause de la + brouillerie.—Votre Majesté, dis-je, a daigné me dire qu'elle était + contente de moi; j'ose me flatter qu'elle l'est encore et je la + supplie surtout de croire que ma conduite tendra constamment à + entretenir les sentiments d'amour qui lient les deux augustes + frères.—Oui, dit le Roi, et puis revenant aux comptes de M. + <i>Jollivet</i>, et puis l'apostrophant et évitant avec une adresse + admirable de me donner le droit de m'expliquer ce vous qui semblait + cependant me regarder aussi: si vous mandez jusqu'à ce qui se passe + dans ma cuisine, je vous traiterai comme le ministre de Bavière, + comme le ministre de Wurtemberg, et non comme ministre de famille; + je ne vous admettrai chez moi que dans les occasions de cérémonie + (le Roi, me demandai-je, aurait-il lu mon dernier bulletin? Il était + parti par cette voie peu sûre d'Hanovre); d'ailleurs M. <i>Jollivet</i> + n'a jamais été accrédité près de moi; je pourrais le regarder comme + étranger; je pourrais <span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> même, s'il voulait me tracasser, le + prier de partir; cependant c'est un honnête homme, c'est un brave + homme, mais il se noie dans les détails. Si vous étiez chez le roi + de Bavière, chez le roi de Wurtemberg (toujours M. <i>Jollivet ou + moi</i>?) alors, à la bonne heure, il faudrait tout observer, tout + écrire; mais tout ce que mon frère voudra savoir je le lui écrirai + moi-même, et pour être bien avec l'Empereur il faudra être bien avec + moi.» Je saisis ces dernières paroles: «Sire, Votre Majesté me fait + la leçon; elle prêche un converti, et je la prie d'être convaincue + que ce que je désire ardemment, c'est d'obtenir et de mériter sa + confiance.» Cette conversation, Monseigneur, qui dura près d'une + demi-heure et dans laquelle je me sais gré de m'être restreint à ce + peu de mots que l'abondance et peut-être une intention préméditée du + Roi me permirent de placer, m'a paru devoir être rapportée parce + qu'elle peint et le caractère du Roi et ma situation. J'ai eu + pendant un instant le projet de dire à M. de <i>Furtenstein</i> qu'il + n'avait qu'à consulter Wicquefort ou Burlamaqui, pour se convaincre + que l'idée que le Roi se faisait des devoirs d'un ministre était un + peu trop étroite, mais j'ai réfléchi que la sagacité de Sa Majesté + s'était prémunie contre toute objection. C'est parce qu'il est frère + de l'Empereur que le Roi trouve qu'il est inutile qu'on écrive ce + que sa confiance le porterait au besoin à écrire lui-même. C'est + parce qu'il est frère de l'Empereur que Sa Majesté impériale veut + être informée de tout; et dans cette différence d'opinion mon devoir + est tracé, il consiste à obéir à mon souverain.</p> + +<p>Cependant, depuis cette audience, j'ai pris occasion de demander à + plusieurs personnes qui m'ont parlé de l'état des finances, et même + à M. <i>Bercagny</i>, si personne n'avait proposé au Roi de mettre la + véritable situation de ses affaires sous les yeux de Sa Majesté + impériale? Qu'il me semblait que c'était là le seul moyen de sortir + d'embarras et d'éviter de grands inconvénients; enfin qu'instruire + l'Empereur était rendre le plus grand service au Roi. M. <i>Bercagny</i> + m'a répondu qu'il croyait qu'un enchaînement malheureux de + circonstances avait empêché que cela ne se fût jamais fait d'une + manière détaillée et lumineuse; que M. <i>Beugnot</i>, l'homme le plus + propre à faire un pareil exposé, s'en étant chargé et étant tombé + malade, avait trouvé Sa Majesté impériale partie pour Bayonne; que + depuis le Roi n'avait envoyé à Paris que des aides-de-camp et qu'en + général il était difficile de trouver ici un homme capable de + répondre, sous ce rapport, à l'attente de l'Empereur.</p> + +<p>Le lendemain de mon audience, M. de <i>Bulow</i>, ministre des finances, + me dit: Votre visite d'hier va nous coûter encore quelques + millions.—Je répondis qu'il n'y avait dans les intentions de Sa + Majesté impériale rien qui dût amener ce résultat.—Mais le Roi l'a + dit.—Au contraire, dans ce que le Roi a dit vous pourriez y trouver + une épargne; car si le contingent doit toujours être de 25,000 + hommes et qu'il soit question <span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> de former deux divisions + westphaliennes; le Roi se proposant de demander, dans la même + proportion, une diminution des troupes françaises à votre solde, y + gagnerait tout ce que, selon lui, un pareil nombre de troupes + westphaliennes coûte de moins.</p> + +<p>C'est depuis quelques jours, Monseigneur, que les doléances sur + l'état des finances westphaliennes me parviennent de toutes parts. + Tous les ministres et un grand nombre de conseillers d'État m'en ont + parlé, à l'exception de M. <i>de Furstenstein</i> qui s'en tient à la + politique et qui, du reste, voit tout en couleur de rose. C'est que + peu à peu les états de recette et de dépense de l'année passée se + complètent, que le bilan se fait et que l'abîme est devant les yeux. + Il peut s'être glissé dans les renseignements que j'ai déjà transmis + à Votre Excellence, des inexactitudes de détail; mais les résultats + sont certains. Pour l'année courante, le ministre des finances + espère 38 millions; il en promet 36. Sur cette somme, il faudra pour + les troupes westphaliennes 13 à 14 millions que le ministre de la + guerre espère de réduire à onze ou à douze; pour les troupes + françaises huit millions. Or les autres dépenses sont évaluées par + le budget:</p> + +<table border="0" cellpadding="2" summary="Dépenses."> +<colgroup> + <col width="10%"> + <col width="40%"> + <col width="20%"> + <col width="5%"> + <col width="20%"> + <col width="5%"> +</colgroup> +<tr> +<td colspan="2">Dette publique, intérêts,</td> +<td class="right">3,700,000</td> +<td>fr.</td> +<td rowspan="2" class="right">4,500,000</td> +<td rowspan="2">fr.</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2">Amortisation,</td> +<td class="right">800,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="4">Liste civile,</td> +<td class="right">5,000,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="4">Conseil d'État,</td> +<td class="right">322,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="4">Ministère de la justice et de l'intérieur,</td> +<td class="right">5,000,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="ind1em">—</td> +<td colspan="3">des finances, du commerce et du trésor,</td> +<td class="right">8,463,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="ind1em">—</td> +<td colspan="3">du secrétaire d'État et des rel. ext.,</td> +<td class="right">1,090,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="ind1em">—</td> +<td colspan="3">de la guerre,</td> +<td class="right">20,000,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="4"> </td> +<td class="right">—————</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2"> </td> +<td colspan="2" class="right">Total,</td> +<td class="right">44,375,000</td> +<td>fr.</td> +</tr> +</table> + +<p>On porte à un million la dette flottante de la liste civile. Si + celle-ci doit encore puiser dans le trésor public, voilà le tonneau + des Danaïdes; et comment dès cette seconde année les économies du + Roi peuvent-elles faire rentrer la dépense dans les limites qui ont + été si fortement excédées?</p> + +<p>Les sujets de la Westphalie payent 19 à 20 francs par tête. De tout + temps cette proportion était en Allemagne; en temps de guerre, sans + commerce et sans la possibilité d'établir un système productif et + bien combiné d'impositions indirectes, elle pourra difficilement se + maintenir, au moins il sera impossible de la dépasser. Et que + pourra-t-on attendre de la ressource des emprunts?</p> + +<p>Dans ma dépêche n<sup>o</sup> 16 j'ai informé Votre Excellence qu'on comptait + beaucoup sur le débit des sels westphaliens en Hollande. Depuis + quelques jours MM. <i>Vanhal</i> et <i>Grellet</i>, négociants d'Amsterdam, + sont arrivés ici. Il s'agit, autant que je puis en juger dans ce + moment, d'une espèce <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> de traité de commerce, en vertu + duquel ces maisons feraient des avances en argent qui leur seraient + remboursées par des sels, des cuivres, des fers et d'autres minéraux + qu'ils auraient la faculté d'extraire de la Westphalie. L'avance + dont on parle est de 6 millions. Le ministre de Hollande a présenté + ces négociants à M. le comte de <i>Furstenstein</i>; hier ils ont eu avec + le ministre des finances une conférence où leurs propositions ont + été acceptées; aujourd'hui le tout sera soumis à l'approbation de Sa + Majesté. Ils se sont présentés chez moi pour me demander des lettres + de recommandation pour les agents français à Brême par où + l'exportation doit se faire en suivant le Weser. Je leur ai promis + ces lettres; mais je les ai prévenus que mon devoir serait de rendre + compte de cette transaction à mon gouvernement. Ils m'ont dit que M. + <i>de Furstenstein</i> se proposait de m'en parler.</p> + +<p>M. le baron de Linden, ministre plénipotentiaire de Westphalie près + le prince-primat, vient d'être nommé ministre plénipotentiaire à + Berlin. M. <i>Siméon</i> fils, qui depuis trois mois y était arrivé comme + chargé d'affaires, a été nommé ministre plénipotentiaire à Darmstadt + et chargé d'affaires à Francfort. Le Roi a fait cette distinction + parce qu'il est survenu que le prince-primat n'avait point encore + accrédité de ministre auprès de la cour de Westphalie. M. <i>de + Norvins</i>, secrétaire général du ministère de la guerre, a été nommé + chargé d'affaires près la cour de Bade. On dit que M. <i>d'Esterno</i> + par ordre du Roi a dû retourner à Vienne. Lorsque M. <i>de + Furstenstein</i> me parla du retard de l'arrivée du comte de Grüne, je + lui demandai si ce retard avait influé sur la permission donnée à M. + <i>d'Esterno</i> de s'absenter de son poste? Il me répondit que non. M. + <i>de Linden</i>, de son côté, est sur le point de quitter Vienne. Ses + dernières lettres annoncent que les troupes autrichiennes se mettent + en mouvement, que la guerre est résolue à Vienne, que l'archiduc + <i>Charles</i> commandera en Allemagne une armée qu'on dit être de + 120,000 hommes et qui pourra être de 130,000; que l'archiduc <i>Jean</i> + commandera 100,000 hommes du côté de l'Italie; l'archiduc + <i>Ferdinand</i> l'armée de Bohême.—C'est ainsi que la destinée poursuit + sa marche et que les décrets de la providence s'exécutent, lorsque + l'heure de la chute des empires a sonné!</p> +</div> + +<p>La guerre avec l'Autriche devenant de jour en jour plus probable, +l'empereur voulut avoir des notions certaines sur le contingent +westphalien, et fit envoyer l'ordre au baron Reinhard de lui faire +connaître exactement l'état des troupes de Jérôme. Vers le +commencement de mars, le ministre adressa, sur ce sujet, à M. de +Champagny, une très longue lettre que nous allons analyser.</p> + +<p>M. Reinhard s'étant adressé, pour avoir des renseignements exacts, +<span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> à M. de Norvins, alors secrétaire-général au département +de la guerre, et le général Eblé, ministre, ayant refusé de +communiquer les états de situation, M. de Norvins avait tiré de sa +mémoire les chiffres et les notions d'où il résultait: que l'armée +westphalienne était forte de 12 à 13 mille hommes dont 500 +officiers, présents sous les drapeaux, que sur ce nombre 7000 +étaient en marche et en Espagne, et 2500 à Cassel; que le matériel +d'artillerie, fort pauvre, consistait en dix-huit bouches à feu +données par l'empereur; que le général Morio venait d'acheter +vingt-deux caissons et leurs attelages, que les généraux étaient +pour la plupart vieux, usés, incapables, etc. La lettre de Reinhard +se terminait ainsi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le général <i>Eblé</i>, Monseigneur, est venu m'entretenir de ses + chagrins et de ses sollicitudes. Il craint, malgré toute la + persévérance de son travail, de n'être pas en état de mettre de + l'ordre dans l'administration et dans l'organisation de l'armée + westphalienne et de remplir l'attente de S. M. I. Le Roi, dit-il, + n'est pas toujours disposé à s'occuper des détails. Beaucoup + d'heures se perdent à attendre dans l'antichambre. On est distrait + et l'on ne donne pas assez d'attention à ce qui n'amuse pas assez. + Souvent même une chose a été convenue et le lendemain c'est à + recommencer, parce que M. le comte de Bernterode (Du Coudras) + peut-être s'y est opposé. Au conseil d'État (et ceci ce n'est pas le + général Eblé qui me l'a dit) le ministre de la guerre, qui n'est pas + orateur, fait sa proposition. Un orateur, par exemple le général + Morio, parle contre avec éloquence. Le général Eblé hausse les + épaules et se tait. Souvent l'éloquence l'emporte. Souvent aussi le + roi dit: Morio, vous n'y êtes pas!—Mais voici ce que le général + Eblé m'a raconté, et ce qui lui a fait de la peine.</p> + +<p>Au dernier conseil, le comte de Hardenberg, grand-veneur, dit, au + sujet d'une certaine affaire: Je m'arrangerai là-dessus avec le + ministre de la guerre—Ce n'est pas cela, dit le roi en plein + conseil, vous êtes grand-officier et c'est au ministre de la guerre + à s'arranger avec vous. Il semble que si cette maxime est bonne, il + faudrait au moins pour la proclamer attendre que le temps et l'usage + l'eussent consacrée?</p> + +<p>M. <i>d'Albignac</i>, grand-écuyer, en déplorant comme le général Eblé + les désordres des finances, l'impossibilité de continuer les + dépenses de la cour sur le pied où elles sont, est réduit à la + nécessité de se renfermer dans un respectueux silence après s'être + fait dire souvent: «Ce ne sont point là vos fonctions.» Il m'a + exprimé le désir ardent de voir le Roi appelé à l'armée. Il ne voit + que ce seul moyen d'espérance et presque de salut. Au retour + d'Erfurt, m'a-t-il dit, le Roi était un tout autre <span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> homme. + Ses conversations avec l'Empereur l'avaient changé, mais huit jours + après, les femmes, la Reine, les intrigants l'avaient de nouveau + circonvenu.—Et comment fait, lui demandai-je, le trésorier-général + M. Du Chambon qui paraît être un très honnête homme?—Il se désole + et puis il s'étourdit, dit-il.</p> + +<p>Il est de mon devoir, Monseigneur, non d'accuser M. <i>de Bulow</i>, + ministre des finances, mais de dire que beaucoup de personnes + l'accusent. Aux yeux de M. <i>Jollivet</i>, c'est un ennemi des Français, + qui n'est jamais de bonne foi. Aux yeux de M. <i>d'Albignac</i>, c'est un + Prussien qui nous trahit et qui dans cette vue augmente le désordre + et favorise les dépenses. Aux yeux du Roi lui-même, m'a-t-on dit, + c'est un homme qui ment avec un sang-froid imperturbable.</p> + +<p>Le général <i>Eblé</i> aussi m'a dit que sa conduite commençait à lui + inspirer des doutes; qu'ils étaient convenus de faire en commun au + Roi des représentations sur l'état des finances et sur + l'impossibilité de faire ou de continuer certaines dépenses; mais + qu'au moment décisif M. <i>de Bulow</i> avait fléchi et qu'il avait fini + par dire qu'il y avait moyen de trouver de l'argent. M. <i>de Bulow</i> + est celui des ministres que je connais le moins, et qui, quoique je + ne laisse pas de causer souvent avec lui, se tient assez en réserve + avec moi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 10 mars 1809.</p> + +<p>J'étais déjà informé que le Roi ne touchait point son traitement de + prince français; mais je n'ai point rectifié cette erreur, parce + qu'elle se rectifiait d'elle-même: quant à la dépense de la liste + civile que j'ai portée à 13 millions en treize mois, je l'ai évaluée + ainsi sur l'autorité de deux ministres d'État. D'autres + renseignements, comme j'ai eu l'honneur de l'écrire à Votre + Excellence, la restreignaient à dix ou douze millions. J'ai ensuite, + dans une autre dépêche, porté le déficit du trésor public pendant + l'année passée à douze millions. Le déficit est entre le trésor + public et la liste civile, et celui du trésor public, proprement + dit, n'est que de six millions.</p> + +<p>Que le Roi soit parvenu à porter la recette de sa liste civile, au + moins pour l'année passée, à sept millions et demi, jusqu'à huit + millions, c'est ce qui m'a été assuré de trop de côtés, pour que je + puisse légitimement en douter. On m'a cité comme non compris dans + l'arriéré des six millions du trésor public:</p> + +<table border="0" cellpadding="2" summary="Arriéré."> +<colgroup> + <col width="5%"> + <col width="45%"> + <col width="20%"> + <col width="25%"> + <col width="5%"> +</colgroup> +<tr> +<td class="top">1<sup>o</sup></td> +<td colspan="2">Obligations souscrites par le Roi et remises à la caisse + d'amortissement de Paris,</td> +<td class="right">1,500,000</td> +<td>fr.</td> +</tr> +<tr> +<td class="top"><span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> 2<sup>o</sup></td> +<td colspan="2">Restitutions et charges concernant les domaines + réservés à Sa Majesté l'Empereur,</td> +<td class="right">1,500,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">3<sup>o</sup></td> +<td colspan="2">Emprunts du Roi,</td> +<td class="right">2,000,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">4<sup>o</sup></td> +<td colspan="2">Dette flottante de la liste civile d'après l'autorité + d'un ministre d'État (le général Eblé) (un million); + d'après d'autres renseignements,</td> +<td class="right">500,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +<td class="right">————</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +<td class="right">5,500,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3">En y ajoutant la liste civile et supplément,</td> +<td class="right">7,500,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="3"> </td> +<td class="right">————</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2"> </td> +<td>Le total sera de</td> +<td class="right">13,000,000</td> +<td>fr.</td> +</tr> +</table> + +<p>D'après le même calcul le total du déficit du trésor public et de la + liste civile sera de 11,500,000 fr. à 12 millions.</p> + +<p>Il se peut que dans cette évaluation même il y ait encore quelque + double emploi, et que, par exemple, une partie de l'emprunt ait été + employée à éteindre des obligations, et je suis d'autant plus porté + à croire que ma première évaluation a été exagérée, que le Roi, + ayant la réputation d'être vrai, aurait certainement dédaigné de + nier ce qui aurait été d'une parfaite exactitude.</p> + +<p>J'étais, je l'avouerai, un peu effrayé, lorsqu'après avoir évalué, + en vertu d'informations qui dataient de la fin de décembre et du + commencement de janvier, à deux millions seulement l'excédant des + dépenses de la liste civile, j'appris de plusieurs côtés qu'elles + avaient monté en totalité à une somme de 13 millions. Mon devoir me + pressa d'en informer Sa Majesté, et en ce moment-ci je préfère de + répondre promptement à la lettre de Votre Excellence déjà trop + retardée, par des éclaircissements encore incomplets, plutôt que + d'attendre ceux que des recherches ultérieures pourraient me + fournir, et que je me réserve de transmettre. L'administration + directe des finances de la Westphalie est entre les mains des + Allemands qui, par plus d'un motif que je dois ou respecter ou + excuser, se tiennent vis-à-vis de moi dans une réserve qui ne m'a + pas encore permis de chercher à puiser abondamment dans les sources + d'informations dont ils sont dépositaires, et je ne dois pas + brusquer une confiance qui ne m'est pas refusée, mais qui n'ose pas + passer les bornes du devoir ou de la circonspection. D'un autre + côté, tant que je conserverai l'espérance d'obtenir mes + renseignements de la persuasion qui devrait être celle de tout + Westphalien, que c'est l'identité d'intérêt, que c'est l'amitié pour + le souverain et pour le pays qu'il gouverne, qui les réclament pour + en faire le meilleur usage, je répugnerai à employer des moyens dont + le moindre inconvénient est d'offrir peu de garantie pour + l'exactitude.</p> + +<p>Je n'ose pas non plus me flatter, Monseigneur, que le Roi me + fournisse des occasions fréquentes de lui donner des conseils + d'économie; à l'exception d'une seule occasion dont je me suis + emparé, je n'ai encore <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> eu l'honneur de voir Sa Majesté que + dans les cercles de cour, et Votre Excellence aura pu se convaincre + par la conversation dont je lui ai rendu compte et dont sa dépêche + vient de me donner la clef, que dans l'opinion de Sa Majesté, des + communications de cette nature avec le ministre de France + sembleraient déroger à une intimité à laquelle le Roi attache un + prix si légitime. Peut-être votre correspondance ultérieure, + Monseigneur, m'ouvrira-t-elle quelques facilités à cet égard, + peut-être pourrai-je saisir quelque circonstance où faisant + connaître au Roi les sentiments de mon âme, je le disposerai à + m'accorder une confiance que je m'étais préparé d'avance à ne point + espérer après un séjour de deux ou trois mois seulement. Quelque + délicate que puisse être ma mission, je n'y vois point de devoirs + incompatibles, mais seulement des devoirs de première et de seconde + ligne: ils sont tous dans ce que Sa Majesté, avec une bonté qui m'a + pénétré d'admiration, a daigné me faire répondre au sujet du + compliment que m'a fait Sa Majesté westphalienne.</p> + +<p>L'économie personnelle du roi, insuffisante sans doute pour remédier + à la pénurie des finances de l'État, aurait cependant sur leur + amélioration une influence incalculable, et cette vérité est + tellement sentie, qu'il y a peu de jours, un des plus estimables + conseillers d'État m'a dit que si, en doublant la liste civile, on + pouvait établir la certitude d'un ordre parfait et invariable, et + celle d'intéresser le roi aux finances de l'État autant qu'aux + siennes propres, on ferait le marché le plus avantageux pour la + Westphalie.</p> + +<p>Les discussions relatives à la négociation de l'emprunt ou du traité + hollandais ne sont pas encore terminées. Avant-hier, en allant chez + M. le comte de Furstenstein, je rencontrai l'un des négociants qui + avait rendez-vous chez ce ministre pour la même heure: il me dit que + la négociation avait rencontré quelques difficultés, qu'elle faisait + jaser, qu'on prétendait que les intérêts monteraient à onze ou douze + pour cent (d'autres disent treize), tandis qu'ils ne seraient que de + six. Les deux manières de compter au reste peuvent se concilier. + L'emprunt, m'a-t-on dit, doit se faire réellement à 6 pour cent + d'intérêts; mais les prêteurs auront en même temps, pour le compte + du gouvernement, la régie de l'extraction et de la vente des sels et + métaux dont ils seront nantis, et sous ce rapport, il leur sera + alloué des provisions et des frais. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, + le besoin d'argent pour le trésor de Westphalie est impérieux et + urgent. Les difficultés qui se sont élevées semblent prouver qu'on + ne veut pas y procéder légèrement. Le crédit de la Westphalie, le + commerce de Hollande y sont intéressés; les deux rois en désirent le + succès; quant à moi j'attends toujours qu'on m'en parle. L'emprunt + sera de six millions de francs.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 10 mars 1809.</p> + +<p>Depuis les fêtes de l'anniversaire de la reine, il n'y a point eu de + cercle à la cour. Au second bal, Sa Majesté en valsant avec le roi + se trouva mal. Elle eut une suffocation qui cependant passa + heureusement et ne laissa point de suite. Dans la semaine passée, la + reine pendant quelques jours se tint enfermée dans ses appartements. + Le roi a souffert et souffre encore d'un rhumatisme auquel il était + déjà sujet l'année passée: un peu de fièvre s'y joint vers la nuit. + Il y a eu quelques concerts dans l'intérieur.</p> + +<p>M. le comte de <i>Bernterode</i> (général du Coudras) donna quelques + jours un bal pour la fête de M<sup>me</sup> la comtesse: on tira un feu + d'artifice dans la cour; la maison étant située au milieu de la + ville, le roi, pour maintenir les règlements de police, condamna M. + de <i>Bernterode</i> à une amende de 25 frédérics, et M. <i>Bercagny</i> fut + condamné à la même amende pour avoir été témoin de l'infraction, et + ne s'y être pas opposé. M<sup>me</sup> de Bernterode ce jour-là reçut de la + Reine un beau présent consistant en colliers et en pendants + d'oreille de perles et d'améthystes.</p> + +<p>Le Moniteur westphalien d'hier annonce que M. le comte de + <i>Truchsess</i> étant obligé de résider sur ses terres, près de + Kœnigsberg, Sa Majesté avait accepté la démission qu'il avait + donnée de sa place de grand-chambellan. Il y avait encore des + personnes qui croyaient aux revenants. Toutes les personnes de la + cour se louent de l'affabilité de la reine, depuis que M<sup>me</sup> de + <i>Truchsess</i> est partie. On s'étonne comment avec tant d'esprit cette + dame a pu trouver le secret de ne point laisser un seul ami.</p> + +<p>M. le comte et M<sup>me</sup> la comtesse de <i>Boehlen</i>, tous deux attachés à + la cour, vont la quitter pour résider dans leurs terres. M. de + <i>Boehlen</i> avait la direction de la garde-robe que le valet de + chambre, Louis, chassé il y a quelque temps, avait exploitée à son + profit. M. de <i>Boehlen</i> était absent depuis deux mois.</p> + +<p>Hier, dit-on, les officiers de la garde ont été convoqués pour être + avertis de se tenir prêts à entrer en campagne. On en infère que le + roi lui-même se dispose à partir pour l'armée.</p> + +<p>Un événement extraordinaire arriva dernièrement à Brunswick. Le + valet de chambre du général de Helleringen, commandant du + département de l'Ocker, entre en plein jour dans l'appartement de + son maître assis devant une table de manière à lui tourner le dos; + il s'en approche, passe une corde autour du cou du général et + cherche à l'étrangler. Le général se lève, lutte avec l'assassin et + se débarrasse de la corde. Celui-ci <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> sort, rentre et tire à + bout portant un coup de pistolet dont le général est blessé. Dans + l'intervalle on accourt et l'assassin est saisi. Il est en prison et + l'on ne conçoit pas encore la cause de cet attentat.</p> + +<p>M. le baron de <i>Keudelstein</i> (<i>La Flèche</i>) est en ce moment à + Brunswick pour se concerter avec les autorités de cette ville, sur + les réparations à faire au château que le roi a promis d'habiter + pendant quatre mois de l'année.</p> + +<p>Sous le rapport de l'industrie, comme sous plusieurs autres, la + ville de Cassel est bien en arrière de celle de Brunswick. On cite + des habitants de la première des traits de paresse qui sont + incroyables. Les artisans refusent d'augmenter le nombre de leurs + ouvriers, du moment où ils ont assez d'ouvrage pour gagner leur + subsistance journalière. Il s'agissait de faire faire des galons, il + y en avait de différentes largeurs. Ceux à qui on proposa la + fourniture la refusèrent en entier, uniquement par la raison que des + galons de petite largeur leur donnaient trop de peine, quoique du + reste ils eussent les métiers et les instruments nécessaires pour + les faire.</p> + +<p>La reine a fait l'acquisition d'une petite maison de campagne sur le + chemin de Napoléonshœhe où elle se propose d'établir une vacherie + suisse.</p> + +<p>Le second jour de la fête il y eut à Napoléonshœhe un petit opéra + intitulé le <i>Retour d'Aline</i>, où joua M. le comte de Furstenstein. + Le feu d'artifice fut contrarié par la neige et par quelques + accidents.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 16 mars 1809.</p> + +<p>Impatient d'éclaircir la question si embrouillée de l'état des + finances westphaliennes, je me suis prévalu du nouveau titre que les + intentions de Sa Majesté l'empereur me donnaient auprès de M. + <i>Siméon</i>. Je lui ai fait part des informations que j'avais + recueillies à ce sujet, et je lui ai demandé les siennes. Voici la + réponse de M. <i>Siméon</i>: il y a eu pour l'année passée excédant et + déficit à la fois. Le budget, rédigé encore sous M. <i>Beugnot</i>, avait + évalué les recettes à 23 millions. Les dépenses des ministères + avaient été réglées en conséquence: elles devaient être, par + exemple, de 5 millions pour le ministère de l'intérieur et de la + justice. Mais M. <i>Bulow</i> trouva que l'évaluation avait été trop + forte et qu'il fallait la réduire à 18 millions. Chaque ministère + subit en conséquence une réduction proportionnelle. Celui de + l'intérieur et de la justice ne devait recevoir que 3 millions ½; + cependant comme au bout de l'année les recettes se trouvèrent avoir + monté à 22 millions, il y eut un excédant de 4 millions. Mais + l'administration peu économique du <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> général Morio et + l'excédant des dépenses que causait l'entretien des troupes + françaises, avaient produit dans le département de la guerre un + déficit qui absorba non seulement l'excédant de 4 millions, mais + bien au-delà. La liquidation des dépenses de ce département n'étant + pas encore achevée, on ne peut connaître le montant précis du + déficit.</p> + +<p>Ayant dit à M. <i>Siméon</i> que la source des renseignements qui + portaient le déficit des finances de l'État à 6 ou même à 12 + millions remontait au conseiller <i>Malchus</i>, directeur de la caisse + d'amortissement, il m'a répondu que M. <i>Malchus</i> était l'ennemi + déclaré de M. de <i>Bulow</i>, et qu'on avait tort d'ajouter une foi + entière à ce qu'il disait au désavantage de son antagoniste.</p> + +<p>Quant à M. de <i>Bulow</i> lui-même, M. <i>Siméon</i> m'en a dit beaucoup de + bien, il a ajouté que quand il y aurait des reproches à lui faire, + il serait absolument impossible de le remplacer dans le moment + actuel; mais il m'a confirmé ce qui m'avait déjà été rapporté des + préventions qui ont été inspirées au roi contre la véracité et même + contre la probité de ce ministre.</p> + +<p>M. <i>Lefebvre</i><a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a><a href="#footnote115" title="Lien vers la note 115"><span class="smaller">[115]</span></a> et moi ayant cherché des occasions d'entretenir + M. de <i>Bulow</i> directement de la situation des finances, ce ministre + s'est fortement récrié contre l'imputation d'un déficit de l'année + passée. Il a assuré que tout ce qui concernait cet exercice était + parfaitement en règle et assuré; mais il a confirmé en même temps + tout ce que j'ai déjà écrit sur le déficit de l'année courante. Il a + ajouté que quant aux dépenses de la liste civile, c'était autre + chose, et que cela ne le regardait ni pour le passé, ni pour + l'avenir. Cependant il a soutenu que le roi n'avait rien pris sur + les budgets des dépenses de l'État. Enfin il m'a remis la note + ci-jointe sur les finances de 1808. Elle est, dit-il, le résumé du + tableau qui sous peu sera mis sous les yeux du public.</p> + +<p>Votre Excellence a maintenant sous les yeux un tableau officiel et + ostensible qui ne coïncide nullement avec les autres renseignements, + au moins jusqu'à ce qu'on puisse juger de quoi s'est composée la + recette. Je crois, Monseigneur, devoir terminer là mes informations + préliminaires, et ne reprendre cette matière que lorsque le temps et + les circonstances m'auront permis d'y apporter un plus grand jour. + Ma position ne me permet pas d'établir en ce moment une espèce de + confrontation qui d'ailleurs ne pourrait donner que des résultats + incomplets. Votre Excellence me permettra seulement de lui soumettre + les observations suivantes.</p> + +<p>M. de <i>Bulow</i> m'a dit lui-même qu'une rentrée de 12 millions sur + l'emprunt forcé de 20 millions s'était trouvée assurée au premier + janvier, et qu'il comptait sur la totalité des 20 millions. Tous les + autres <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> témoignages ne portent la recette qu'on peut + espérer de l'emprunt forcé qu'à 8 ou 9, tout au plus à 10 millions: + ainsi dans cette circonstance, au moins, il paraît hors de doute ou + que M. de <i>Bulow</i> se serait trop flatté, ou qu'il n'aurait pas dit + la vérité. M. <i>Siméon</i>, qui d'ailleurs ne paraît s'être occupé des + finances que par aperçu, croit à la probabilité d'un déficit de 5 à + 6 millions pour l'année passée; M. <i>Jollivet</i> en assure l'existence + et le porte à 6.</p> + +<p>Si la recette de 29,700,000 fr. se compose effectivement de revenus + réels et imputables à l'année 1808, il est à présumer que la crainte + du déficit de l'avenir, causé par les dépenses du département de la + guerre, aura fait exagérer le mauvais état des finances, même pour + le passé, surtout aux yeux des Allemands; que cette clameur générale + qui s'est élevée, se sera égarée dans son objet, et qu'elle aura été + en partie artificielle pour décréditer M. de Bulow.</p> + +<p>Quant aux paiements arriérés qui existent réellement dans plusieurs + parties et qui, par exemple, dans quelques branches de l'instruction + publique, comprennent jusqu'à huit mois, outre que cet arriéré peut + avoir des causes locales, M. de <i>Bulow</i> m'a dit qu'il en existait + sans doute, puisque les rentrées, quoique assurées, n'étaient pas + encore toutes réalisées, mais que positivement ces rentrées feraient + face à tout.</p> + +<p>J'ai fait observer à ce ministre que puisque les revenus de l'année + avaient si heureusement excédé l'estimation, c'était preuve que la + Westphalie avait de grandes ressources, et qu'on pouvait espérer + que, son système financier étant actuellement organisé, elle + supporterait même une forte augmentation de dépenses.</p> + +<p>M. de <i>Bulow</i> m'a répondu que la constitution avait fait tarir + plusieurs sources de revenu; qu'on ne pouvait pas compter dès les + premiers moments sur un succès complet des opérations nouvelles; que + les provinces les plus riches étaient surchargées de frais + d'entretien des gens de guerre, qu'elles s'en ressentaient déjà au + point de faire craindre qu'elles ne pourraient bientôt plus payer + leurs impositions; et tout-à-coup il s'est rejeté sur le chapitre + des dépenses que causaient les troupes françaises. On dit, a-t-il + ajouté, que je suis l'ennemi des Français: mais je suis ministre des + finances, je dois défendre les intérêts qui me sont confiés, et + lorsque je vois, d'un côté, les soldats français logés et nourris + chez les habitants, les transports faits par réquisition; lorsque + d'un autre je vois accourir ici tant de Français qui cherchent à + faire une fortune rapide et accaparer toutes les places et tous les + profits, m'est-il permis de rester indifférent?</p> + +<p>Il me reste à dire, Monseigneur, que lorsque j'ai évalué les + dépenses de l'année courante à 45 ou 46 millions, les nouveaux + régiments qui se lèvent, et les dépenses qu'exige la mise en + activité du contingent entier, n'y étaient pas compris, et que le + tableau de la totalité des dépenses <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> qui a été mis sous les + yeux du roi monte à 52 millions. Vous voyez toujours, Monseigneur, + cette alternative: ou bien il n'y a point eu d'arriéré pour l'année + passée, mais le déficit de l'année courante sera d'autant plus fort; + ou bien il y a eu du déficit l'année passée, et celui de l'année + courante sera d'autant moindre; et l'intérêt de ce pays-ci c'est de + soutenir que les dépenses de l'armée et de la guerre sont les seules + causes de désordre. Quant aux dépenses de la liste civile, rien n'a + contredit jusqu'à présent les renseignements que j'ai transmis.</p> + +<p>Dans cette situation des choses, l'opération qui se fait avec la + Hollande pourrait être un véritable bienfait. Hier l'approbation de + Sa Majesté hollandaise est arrivée, et le traité ne tardera pas à + être conclu. Il est vrai que les conditions seront un peu onéreuses. + Les voici: intérêts 6 pour cent et en outre un et demi pour cent en + loterie; commission 2 pour cent; frais de l'opération, au moins 5 + pour cent; les frais, disent les prêteurs, seront de première mise: + ils n'auront pas besoin d'être renouvelés, quand l'opération + durerait pendant vingt ans. L'emprunt actuel sera de 3 millions de + florins en actions de 1000 florins pour lesquelles on s'inscrira à + la bourse d'Amsterdam. Les Hollandais recevront les denrées au lieu + du dépôt; ils se chargeront de leurs transports aux frais de la + Westphalie. Sa Majesté le roi de Hollande en permettra l'importation + et le débit.</p> + +<p>D'un autre côté, on a calculé que le prix des sels en Hollande était + en ce moment quadruple de celui qu'ils ont aux lieux de dépôt en + Westphalie, et comme ils font l'objet principal de l'opération + entière, on a trouvé que six mille lafts suffiraient à peu près pour + couvrir l'emprunt.</p> + +<p>M. le comte de <i>Furtenstein</i>, comme je le prévoyais, ne m'a parlé de + rien. Cependant les négociants hollandais étant revenus pour me + demander des lettres de recommandation pour les agents français à + Bremen, j'ai d'autant moins hésité à leur confirmer ma promesse, que + Votre Excellence étant instruite depuis 15 jours de cette opération, + se trouvera en mesure de faire parvenir ses ordres soit à moi, soit + à M. Legau.</p> + +<p>Les négociants hollandais m'ont dit que le succès de cette opération + avait éprouvé ici beaucoup de difficultés. On prétend que la + jalousie contre M. de <i>Bulow</i> en a été la cause; que les préventions + du roi contre ce ministre viennent de M. de <i>Furstenstein</i> et de M. + <i>Bercagny</i>, et que le projet de placer des Français à la tête des + finances et de l'intérieur existe toujours. Sa Majesté I. et R. m'a + recommandé de lui faire connaître l'opinion et la situation de M. + <i>Siméon</i> et de M. le général <i>Eblé</i>. J'ai déjà en partie satisfait à + cet ordre, voici ce qu'il me reste à ajouter.</p> + +<p>La situation de M. <i>Siméon</i> s'est beaucoup améliorée: il a regagné + du crédit et de l'influence. Son fils, que le roi n'avait pas trop + bien traité, <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> a obtenu un poste plus avantageux. Il paraît + certain qu'on avait proposé au roi un projet d'après lequel le + directeur de la haute police aurait été une espèce de premier + ministre, et que le roi l'a rejeté. L'opinion de M. <i>Siméon</i> sur le + roi est celle de tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Il rend + une justice entière à son cœur et à son esprit: il admire la + droiture et la noblesse de l'un, la sagacité et la pénétration de + l'autre; il ne dissimule point quelques défauts de caractère ou + d'inexpérience. Le roi lui paraît trop impérieux sans être toujours + ferme. Les idées qu'il se fait des droits et des devoirs de la + royauté lui paraissent encore ou incomplets ou erronés; il craint + qu'entouré par trop de médiocrités dans son intérieur, le roi ne se + laisse trop aller à des ministres, et qu'il ne lui soit difficile + d'acquérir ce coup d'œil de monarque qui embrasse l'ensemble, et + qui sait mettre toutes les choses à leur véritable place. Quant aux + finances, M. <i>Siméon</i> pense aussi que la Westphalie ne pourra pas + supporter à la longue les charges qui pèsent sur elle en ce + moment-ci; sur les dépenses de la liste civile, il s'en rapporte à + la voix publique.</p> + +<p>Le général <i>Eblé</i> se plaint de ce que le roi, dans son cabinet, ne + donne pas toujours aux détails des affaires la même attention qu'il + leur donnerait au conseil d'État. Il trouve de la difficulté à + concilier toujours ses devoirs comme ministre de la guerre en + Westphalie et comme général français dans des questions concernant + les frais d'entretien, ou la conduite des troupes auxiliaires. Il + m'a avoué que cette considération avait influé aussi sur la demande + qu'il avait faite à M. le comte de <i>Hunebourg</i> d'être employé + activement en cas de guerre. Il m'a chargé surtout de faire + connaître à Sa Majesté I. et R. sa fidélité de tous les temps et son + entier dévouement. Il évalue les dépenses accessoires à faire pour + mettre le contingent sur le pied ordonné par Sa Majesté à 3 millions + sur lesquels M. de <i>Bulow</i> lui a accordé un acompte de 500,000 fr.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—Le roi, il y a quelques jours, demanda au général <i>Eblé</i> un + état de situation de ses troupes. Le général le lui porta. Il n'est + pas exact, dit le roi.—Mais, Sire, il est conforme aux états qui se + trouvent dans mes bureaux.—Enfin le roi insista, et le ministre fut + obligé d'y faire différents changements dont le résultat était une + différence de 7 à 800 hommes au plus.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 17 mars 1809.</p> + +<p>Le roi est sorti hier pendant quelques minutes en voiture. Le temps + était pluvieux; il devait aller le soir au spectacle en grande loge. + Mais un accès de fièvre assez forte l'a pris. On croit que c'est une + suite des douleurs de ses rhumatismes.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> S. M. depuis quelque temps n'avait pas l'air d'une parfaite + santé.</p> + +<p>Le Roi, à cause de son indisposition, n'avait pas non plus reçu la + cour dimanche dernier. Le même jour, il fit publier dans le palais + un ordre par lequel les entrées journalières auprès de Leurs + Majestés furent restreintes aux grands officiers et aux personnes de + service du jour. Depuis cet ordre, on a vu paraître pour la première + fois en fracs, dans les soirées de la ville, les personnes attachées + au palais et M. le comte de <i>Furstenstein</i>. On assure que M<sup>me</sup> de + X... jouit en ce moment de la confiance du roi. Elle attend son mari + qui sera, dit-on, nommé aide de camp de S. M.</p> + +<p>Depuis quelque temps, M<sup>me</sup> de X... paraît rarement dans les sociétés + ou les quitte à neuf heures. On <i>prétend qu'elle ne s'est point + encore rendue</i>. Si elle se fait désirer longtemps, et si la passion + du roi est assez forte pour ne point chercher à se distraire + ailleurs, elle aura bien mérité de ce jeune prince.</p> + +<p>M. de <i>Marinville</i>, secrétaire intime du roi, qu'on dit être employé + aussi pour une certaine partie des plaisirs de S. M., est devenu + gardien de la cassette du roi, à la place de M. <i>Duchambon</i>, dont + les représentations quelquefois un peu importunes avaient déplu. + Cependant M. <i>Duchambon</i> reste trésorier général de la couronne. M. + le comte de <i>Lerchenfeld</i>, ministre de Bavière, a fait, il y a + quelques jours, pour la troisième fois depuis deux mois, une course + qui paraît encore devoir aboutir à Francfort. L'objet de la première + était un rendez-vous, moitié d'amour, moitié de politique, avec M<sup>me</sup> + la <i>princesse de la Tour et Taxis</i>. Il en revint malade. Dans la + seconde il avait vu le <i>prince-primat</i>. Il en revint rempli de + fausses nouvelles qu'il débita avec beaucoup d'assurance, même à M. + le comte de <i>Furstenstein</i>, et qui se trouvèrent démenties trois + jours après. On ne sait pas encore ce qu'il rapportera de la + troisième. Cependant, comme le gouvernement westphalien ne s'est + point formalisé de ces voyages hors du pays où il est accrédité, il + y a lieu de croire qu'ils ont été autorisés, et que le roi est au + moins en partie dans le secret de ces absences.</p> + +<p>La foire de Cassel a commencé lundi dernier: elle durera quinze + jours. Elle est fréquentée par un assez grand nombre de marchands.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 21 mars 1809.</p> + +<p>M. <i>Bercagny</i> m'a parlé longtemps contre M. de <i>Bulow</i> et ne m'a pas + caché qu'il avait accusé ce ministre auprès du roi lui-même. Voici + les principaux, ou plutôt les seuls griefs que M. <i>Bercagny</i> ait + articulés. M. <i>Beugnot</i> était dans l'usage de laisser dans les + caisses départementales tous les fonds nécessaires aux dépenses + locales. Il entretenait souvent <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> S. M. de la pénurie du + trésor et de la nécessité de ménager les ressources de la + Westphalie. M. de <i>Bulow</i> n'eut rien de plus pressé que de se faire + valoir par l'abondance avec laquelle il savait faire affluer + l'argent au trésor; il y fit venir celui réservé par M. <i>Beugnot</i>; + il en fit l'étalage aux yeux de S. M. En attendant, un grand nombre + d'employés dans les départements ne furent pas payés. Les juges de + paix, les officiers de police furent laissés dans la misère. Les + plaintes arrivèrent aussi de tous côtés; il fallut à grands frais + renvoyer l'argent. M. de <i>Bulow</i> a accumulé aussi les recettes + communales avec celles du trésor public. Enfin M. de <i>Bulow</i> est un + charlatan, un intrigant du grand genre. Le roi s'est moins contenu + dans ses dépenses, parce qu'on lui a persuadé que cela était moins + nécessaire. M. <i>Bercagny</i> craint que M. de <i>Bulow</i> ne parvienne à se + faire renvoyer par une boutade; qu'alors il ne soit regretté et il + ne dissimule point que ce n'est que son grand cordon de la légion + d'honneur qui le protège. «Mais, dis-je à M. <i>Bercagny</i>, M. de + <i>Bulow</i> a obtenu un excédant dans les recettes de l'an + passé?»—«Excédant, dit M. <i>Bercagny</i> en haussant les épaules...», + mais il n'entra dans aucun détail. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, + M. <i>Bulow</i> peut avoir été faible; il peut avoir osé se permettre ce + qu'un conseiller d'État français pourrait prendre sur lui; il peut + avoir succombé à l'envie de plaire et de faire autrement que son + prédécesseur; aujourd'hui du moins son langage a changé, et il dit + hautement que si les dépenses continuent sur le pied actuel, il ne + reste qu'à mettre la clef sous la porte.</p> + +<p>L'affaire de l'emprunt hollandais n'est point encore terminée. On + parle sourdement d'un projet de banque territoriale ou plutôt d'une + banque à billets hypothéqués sur des immeubles. Je persiste à penser + que, même aux conditions onéreuses que j'ai fait connaître, + l'opération de l'emprunt est bonne pourvu qu'on n'en abuse pas. Elle + serait détestable si, pour obtenir beaucoup d'argent à la fois, elle + dépouillait le royaume de ses produits bruts, si l'on encombrait les + marchandises de la Hollande et si l'on anticipait ainsi peut-être + sur les revenus de plusieurs années.</p> + +<p>Je suis convaincu, Monseigneur, que vous rendrez justice à la + sollicitude avec laquelle je m'appesantis sur l'état des finances. + C'est le côté faible du pays, et j'ose ajouter du roi. Le pays peut + être sauvé d'embarras imminents; il en est temps encore; le roi peut + être sauvé d'une situation pénible, d'un découragement qui déjà le + gagne et du regret de céder à la nécessité tandis qu'on est digne + d'acquérir la gloire d'une résolution libre et généreuse.</p> + +<p>Votre Excellence peut prévoir aussi deux événements dont l'un ou + l'autre, ou tous les deux peut-être, peuvent arriver dans l'espace + d'un mois: le départ du Roi pour l'armée et un changement important + dans les projets. Dans les deux cas, je croirai devoir me prévaloir + de l'autorisation <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> qui m'a été donnée de vous en informer, + Monseigneur, par un courrier extraordinaire.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 29 mars 1809.</p> + +<p>J'ai reçu la dépêche par laquelle Votre Excellence me charge de + donner communication à la cour de Cassel de la disposition que Sa + Majesté impériale a faite du grand duché de Berg, en faveur du fils + aîné de S. M. le roi de Hollande. Je me suis acquitté de cet ordre, + et j'ai adressé une copie de l'acte à M. le comte de <i>Furstenstein</i>.</p> + +<p>J'ai demandé au général <i>Eblé</i> dans quelle intention le roi avait + ordonné, dans l'état de situation de ses troupes, que le + prince-connétable lui avait demandé, les changements dont j'ai parlé + dans le post-scriptum de mon n<sup>o</sup> 24. Ce ministre m'a dit que ce + n'était point dans la vue de porter un plus grand nombre d'hommes + effectifs que celui qui existait réellement, mais dans celle de + montrer que son armée entière était, jusqu'aux moindres détails, + organisée sur le modèle français, et en état de marcher.</p> + +<p>Les monnaies, Monseigneur, m'amènent naturellement aux finances, + mais ce sera, je l'espère, pour en sortir au moins pour quelque + temps. J'ai trouvé l'occasion de prendre connaissance d'une pièce + authentique et officielle qui ne laisse aucun doute sur le déficit + des finances de l'État. C'est un rapport fait par une commission + spéciale du conseil d'État sur les dépenses de l'armée et sur les + moyens de les réduire à une proportion convenable avec les revenus. + Dans ce rapport, les dépenses de l'armée pour l'année courante sont + évaluées comme suit:</p> + +<table border="0" cellpadding="2" summary="Troupes."> +<colgroup> + <col width="75%"> + <col width="20%"> + <col width="5%"> +</colgroup> +<tr> +<td>Troupes westphaliennes,</td> +<td class="right">14,250,000</td> +<td>fr.</td> +</tr> +<tr> +<td>Troupes françaises,</td> +<td class="right">7,990,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td>Arriéré du dépar<sup>t</sup> de la guerre pour l'année passée,</td> +<td class="right">6,000,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td> </td> +<td class="right">—————</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td> </td> +<td class="right">28,240,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td>En y ajoutant les autres dépenses de l'État, telles que + je les ai déjà fait connaître dans mon n<sup>o</sup> 19,</td> +<td class="right">24,375,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td> </td> +<td class="right">—————</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td>La dépense totale sera de</td> +<td class="right">52,615,000</td> +<td>fr.</td> +</table> + +<p>Dans les dépenses de la guerre ainsi énoncées, se trouvent comprises + celles de la conscription nouvelle et de la levée des deux nouveaux + régiments.</p> + +<p>À l'égard de l'arriéré de 6,000,000 le rapport s'exprime ainsi: + «Quand il serait vrai qu'une partie de ce déficit sera couverte par + un excédant dans les recettes, etc.». Mais d'un autre côté le + général <i>Eblé</i> estime que l'arriéré ira à 7 millions et au-delà.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> En évaluant en conséquence l'arriéré de l'État entre 5 et 6 + millions, et l'arriéré de la liste civile, tel que je l'ai énoncé + dans mon n<sup>o</sup> 22, entre 4 et 6 millions, l'arriéré total de l'année + passée sera toujours entre 10 et 12 millions, et rien ne m'autorise, + jusqu'à présent, à me départir de cette estimation. Or, Monseigneur, + les recettes présumées de l'année devant monter au plus à + 38,500,000, l'arriéré de l'État pour l'année sera de 14,000,000.</p> + +<p>Je reviens au rapport qui a été soumis à Sa Majesté, mais sur lequel + il n'a été et dans les circonstances actuelles il n'a pu être pris + aucune détermination. Ce rapport met en principe que, dans la + proportion des recettes de l'État, les dépenses de la guerre ne + peuvent excéder 13 millions. Il prouve par des faits que, dans le + système allemand, l'entretien de 25,000 hommes ne coûterait que 10 à + 11; et que dans le système prussien il ne coûterait que 8 millions. + Il recherche les causes qui augmentent les dépenses pour l'armée + westphalienne, et il indique les moyens de les réduire. Les causes + d'augmentation, il les trouve principalement en ce qu'une armée de + 25,000 hommes pour l'entretien et l'administration a été organisée + entièrement sur le pied de l'armée française, qui est de 600,000 + hommes; en ce que la garde par son nombre, par ses dépenses et par + son administration séparée, est hors de proportion avec le reste de + l'armée et avec les moyens du royaume (la garde est de 2473 hommes, + elle coûte, selon le rapport, 1,800,000 fr.; les frais de première + mise des deux nouveaux régiments en coûtent autant); en ce que + toutes les fournitures se font par entreprise et rien par économie; + en ce que le matériel et le personnel de l'armée n'étant point + séparés, il n'existe aucun contrôle pour les dépenses, et que les + facultés du ministre de la guerre le plus probe, le plus actif, ne + sauraient suffire à une pareille surveillance, etc., etc. Les moyens + de réduction seraient de rendre le soldat allemand à ses anciens + usages pour le pain, pour l'habillement, pour les masses, de + rétablir surtout l'usage des retenues, ce qui produirait l'épargne + de plus d'un tiers sur la solde.</p> + +<p>Le général <i>Eblé</i> pense que la dernière conscription de 7000 hommes + suffira à peine pour remplir tous les cadres, le vide qu'a laissé la + désertion, et les nouveaux corps accessoires devenus nécessaires + pour organiser les deux divisions conformément aux vues de Sa + Majesté I. et R. Sa modestie est telle, que malgré son travail + infatigable, quoiqu'il ne se permette presque pas un seul moment de + distraction, il craint que ses moyens ne soient au-dessous de sa + place; qu'on ne lui fasse ce reproche, et que tandis que ses + camarades vont recueillir de la gloire sous les yeux de l'empereur, + il n'ait à lutter infructueusement dans une situation difficile et + peut-être ingrate. Ce qui l'afflige surtout, c'est qu'il croit + remarquer que le roi n'a pas assez confiance en lui. Je l'ai + <span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> rassuré sur tous les points: je lui ai fait sentir qu'au + moins le roi ne lui refuserait pas la confiance de l'estime. Je l'ai + consolé par mon propre exemple, et en effet, Monseigneur, c'est la + même nuance de caractère de Sa Majesté qui, pour le général <i>Eblé</i> + et pour moi, produit les mêmes effets. Elle ne nous empêchera pas de + sentir, d'aimer et d'admirer ses excellentes qualités, et pour ce + qui me concerne personnellement, s'il est certain que plus de + confiance de la part de Sa Majesté me rendrait plus heureux, je dois + dire en même temps que la manière dont la plupart des personnes qui + approchent du jeune monarque se conduisent à mon égard ne me laisse + rien à désirer.</p> + +<p>L'affaire de l'emprunt hollandais est terminée. Les deux négociants + sont partis sans me demander de lettres pour M. Lagau. Ils doivent + revenir. Ils devaient fournir sur-le-champ 2 millions d'argent + comptant; ils sont allés chercher un troisième.</p> + +<p>M. de Moronville, ministre de Darmstadt près cette cour, est parti + ce matin en congé. Il sera chargé de conduire à l'armée l'un des + fils du grand-duc. Son départ laisse des regrets à ceux qui l'ont + connu.</p> + +<p>La police a recueilli plusieurs indices de menées secrètes qui ont + lieu en ce moment, dans une partie de la Westphalie, sous les + auspices de l'ancien électeur. Il y a des émissaires, des affiches, + des promesses pour les militaires qui voudraient quitter le service + de la Westphalie. L'effet de ces manœuvres est suffisamment + neutralisé par la marche imposante des troupes françaises qui + successivement traversent ce pays. Le 25<sup>e</sup> régiment d'infanterie et + deux régiments de cuirassiers ont passé par Cassel.</p> +</div> + +<p>On était à la veille de la singulière aventure du major prussien +Schill et des soulèvements de quelques parties du nouveau royaume. +La police avait vent de quelques trames en cours de préparation, +mais ne tenait nullement le fil de la machination.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 29 mars 1809.</p> + +<p>Le Moniteur westphalien fait mention aujourd'hui d'une excursion que + le roi fit dernièrement pour Münden où Sa Majesté alla voir un yacht + que le roi de Hollande lui avait envoyé. La modestie du roi n'a pas + permis qu'on y parlât des bienfaits qu'il a répandus sur sa route. + Il s'est entretenu familièrement avec des habitants de la ville et + de la campagne qui étaient accourus pour le voir. Il a fait + manœuvrer un bataillon westphalien qui se trouvait là; et comme + c'était un jour de dimanche, il lui a fait distribuer 25 frédérics + qui ont été reçus aux cris de: Vive le Roi! Il rencontra, au retour, + des conscrits cheminant gaiement <span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> et criant: <i>Vivat der + König!</i> d'aussi loin qu'ils purent l'apercevoir, il les encouragea + et leur fit également donner une petite gratification.</p> + +<p>D'un autre côté, M. le colonel Bongars<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a><a href="#footnote116" title="Lien vers la note 116"><span class="smaller">[116]</span></a> épargna dernièrement au + roi quelques frédérics, sous prétexte d'avoir mal entendu. Le roi, + un soir, voulant aller à l'Orangerie avec la reine, et ne trouvant + aucune de ses voitures prêtes, commanda qu'on fît avancer le premier + cocher qu'on trouverait: il ordonna ensuite au colonel Bongars de + donner à cet homme 25 frédérics; M. Bongars en donna 5.</p> + +<p>La santé de Sa Majesté paraît assez bien rétablie: la reine à son + tour a été incommodée pendant quelques jours.</p> + +<p>Il y a eu concert et cercle jeudi passé à la cour, pour la première + fois depuis un mois.</p> + +<p>M. de <i>Lerchenfeld</i>, ministre de Bavière, est désolé de l'habitude + que le roi a prise depuis quelques semaines de donner à souper aux + personnes attachées au palais, les jours d'assemblée chez ce + ministre. Il parle de faire un quatrième voyage de plus longue durée + que les autres, et dans lequel il emmènerait sa femme. On prétend + que le souper auquel celle-ci avait été invitée par la reine, sans + son mari, et où elle manqua seule de toutes les femmes des autres + ministres, a donné lieu à ces soupers qui désolent M. de + <i>Lerchenfeld</i>.</p> + +<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> vient de se fiancer avec la fille + aînée de M. le comte de <i>Hardenberg</i>, conseiller d'État et + grand-veneur. Ce mariage paraît bien assorti et d'une bonne + politique. Il attachera au roi une famille considérée, mais dont la + fortune a beaucoup souffert, et qui n'avait pas la réputation + d'aimer beaucoup les Français.</p> + +<p>Le général <i>Eblé</i> aussi attend M<sup>lle</sup> Freteau pour l'épouser: elle + appartient à une famille infiniment respectable de l'ancienne robe + de Paris, mais elle n'a, dit-on, que 18 ans, et le général Eblé en a + plus de cinquante. Et son ministère?</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 15 avril 1809.</p> + +<p>Le Moniteur westphalien d'hier donne des nouvelles du voyage de LL. + MM.; on dit aujourd'hui que leur retour n'aura lieu que le 23.</p> + +<p>Avant-hier a passé un courrier extraordinaire venant du + quartier-général de M. le duc d'<i>Auerstaedt</i> et portant des dépêches + pour le roi. Le département des relations extérieures ayant reçu + hier de Stuttgard, par estafette, la nouvelle qu'un corps + considérable a passé l'Inn près de <i>Braunau</i>, je présume que les + dépêches de ce courrier auront donné à Sa Majesté connaissance de + cet événement important. Voilà donc la <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> guerre commencée! + Si la justice de notre cause et le nom de Napoléon doivent déjà + faire pressentir, même à nos ennemis, que les arrêts de la destinée + seront accomplis; si déjà la grande catastrophe qui se prépare + n'appartient plus au domaine de l'incertitude, qui ne peut plus + tomber que sur les événements qui l'amèneront, c'est cependant avec + un frémissement involontaire qu'on entend retentir au loin ce + premier coup de canon; nouveau signal de la fureur aveugle, de la + mort et de la chute d'un empire!</p> + +<p>Un courrier westphalien, renvoyé de Vienne par M. d'<i>Esterno</i>, a + porté la nouvelle de l'entrée dans cette capitale du ministre + anglais et la proclamation de l'<i>archiduc Charles</i>, aussi remplie + d'illusions que d'impostures. M. d'<i>Esterno</i> explique ce qui y est + dit des troupes étrangères qui, dans une union intime, vont + combattre à côté des armées autrichiennes, par un débarquement que + les Anglais vont faire à Trieste.</p> + +<p>Il n'est pas douteux, Monseigneur, que parmi ces frères allemands + qui, encore en rangs paisibles, attendent leur délivrance, + l'Autriche ne compte surtout un grand nombre de Westphaliens. Des + faits dont j'ai déjà rendu compte, des renseignements venant de + Vienne, et de nouvelles correspondances interceptées, en offrent la + preuve. Du reste, les événements qui pourraient faire quitter à ces + rangs leur attitude paisible ne sont guère dans l'ordre des + probabilités, et les derniers placards d'insurrection dont j'ai + rendu compte à Votre Excellence, sont, ainsi que ceux qui les + avaient précédés, restés sans effet.</p> + +<p>À la suite de l'attentat de <i>Stendal</i>, plusieurs habitants de cette + ville ont été arrêtés. J'apprends qu'un d'eux s'est tué dans sa + prison; mais ce qui donne une nouvelle importance à cette affaire, + ce sont les révélations faites par un homme, porteur de + correspondances suspectes, revenant de Berlin, et arrêté à + Magdebourg. C'est un paysan des environs de Bielefeld qui avait + entrepris le second voyage, sur l'instigation de quelques anciens + baillis de son canton. Il fut adressé deux fois au major <i>Blücher</i> + et au major <i>Schill</i>, tous deux au service actuel de Prusse. Ce fut + le major <i>Schill</i>, le même qui avait acquis quelque célébrité dans + la dernière guerre, qui le fit loger et nourrir gratis, et habiller + à neuf. Dans sa seconde course, dès qu'il fut entré sur le + territoire prussien, et qu'il se fut annoncé comme porteur d'un + message pour le major <i>Schill</i>, il fut escorté de poste en poste par + des hussards du corps de cet officier, excepté la dernière station + qui précède Berlin. Il portait des billets du major <i>Schill</i> + adressés à quatre baillis, billets insignifiants en apparence, mais + qui expriment l'espérance de se revoir bientôt. En même temps, le + major, qui se croit sans doute un héros, envoye son portrait aux + quatre baillis. Le major Blücher avait remis au messager une espèce + de lettre circulaire où il exhorte au courage et à la persévérance.</p> + +<p>Un fait, Monseigneur, qui avait déjà frappé mon attention, lorsque + <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> je l'ai lu dans les papiers allemands et que j'ai relu + hier dans la feuille du <i>Publiciste</i> d'avril, me paraît avoir un + rapport assez marqué avec l'événement de <i>Stendal</i> et avec la + déposition de ce paysan. Le voici: «Berlin, 27 mars. Le 16, les + hussards de <i>Schill</i> sont partis inopinément de cette capitale pour + aller prendre des cantonnements dans les environs, du côté de + Lichtenberg. On croit que ce corps est chargé d'observer les + traîneurs des troupes qui traversent actuellement la moyenne Marche + et d'empêcher qu'elles ne s'écartent de la route militaire pour se + répandre dans les campagnes et y commettre des excès<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a><a href="#footnote117" title="Lien vers la note 117"><span class="smaller">[117]</span></a>.»</p> + +<p>J'ai fait part de cette circonstance à M. <i>Siméon</i> qui était venu + m'informer de l'arrestation faite à Magdebourg. Elle lui a paru + d'autant plus remarquable que le prisonnier avait aussi déposé qu'il + avait rencontré, en revenant de Berlin, ces hussards qui s'étaient + soigneusement informés du nombre de troupes qui pouvaient être à + Magdebourg.</p> + +<p>Le préfet du département de l'Elbe avait adressé son rapport au + ministre de l'intérieur qui l'a reçu cacheté du sceau du cabinet du + roi. Il est en conséquence probable que Sa Majesté aura déjà pris + connaissance des faits, et l'on attribue à cette circonstance + l'ordre qu'a reçu avant-hier M. <i>Bercagny</i> de se rendre à Brunswick. + Le ministre de la justice, de son côté, y a adressé son rapport, et + il a déjà donné des ordres pour l'arrestation provisoire des quatre + baillis et de quelques autres personnes compromises. On se demande, + Monseigneur: serait-il possible que le gouvernement prussien eût + connaissance de ces manœuvres et y connivât, ou bien est-ce l'or + anglais qui, à l'insu de ce gouvernement, entraîne à une conduite + aussi criminelle des hommes inconsidérés et présomptueux? Si cette + dernière hypothèse est fondée, elle prouve dans quel état déplorable + de déconsidération et d'impuissance doit être tombé un gouvernement + dont les chefs de la force armée osent se permettre des actes qui + peuvent compromettre jusqu'à l'existence de leur patrie.</p> + +<p>Ce qui indispose particulièrement en ce moment-ci un grand nombre + d'habitants de la Westphalie, c'est la contribution personnelle + portée à 4,400,000 francs, et destinée à entrer dans la caisse + d'amortissement. On la perçoit actuellement pour l'année passée; + dans un mois elle devait être perçue pour l'année courante; c'est du + moins ce qu'on m'a assuré. Cet impôt, qui est une espèce de + capitation, est reconnu par l'administration même comme ayant été + assis sur des bases entièrement fautives, et les inconvénients qu'a + fait découvrir sa perception, sont si graves, que, malgré le besoin + extrême qu'on a d'accélérer les rentrées, on est obligé de s'occuper + des moyens d'y remédier en changeant le principe de l'imposition. + Dans le même temps, un décret royal a accumulé <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> le paiement + de deux douzièmes de la contribution foncière, en ordonnant qu'à + l'avenir les douzièmes seraient payés d'avance.</p> + +<p>Des réclamations lamentables ont été adressées ici de Marbourg + depuis qu'on y a appris que l'université était menacée de sa + dissolution. Les autres universités se montrent plus résignées à + leur sort, parce qu'il était plus prévu. On espère que Sa Majesté se + laissera fléchir, et que la suppression de Marbourg n'aura pas lieu, + du moins en ce moment-ci.</p> + +<p>Le ministre des finances attend d'un jour à l'autre le retour d'un + des négociants hollandais avec lesquels il a négocié l'emprunt de 6 + millions. Il craint que la déclaration de guerre ne nuise à cette + opération, et même il vient de me dire qu'il n'y compte plus. Il se + plaint aussi des effets momentanés d'une opération financière du + gouvernement français qui, dit-il, a soutiré, dans l'espace de dix + jours, à la Westphalie seule, plus de 6 millions, et qui entrave + singulièrement la perception des impôts. Cet embarras est passager, + mais il survient dans un moment où déjà l'on n'est pas trop à son + aise.</p> + +<p>Depuis le départ de M. le comte de <i>Furstenstein</i>, le + secrétaire-général des relations extérieures, autorisé par ce + ministre, me communique assez exactement les nouvelles qui arrivent + à son département; et j'en sais d'autant plus de gré à M. de + <i>Furstenstein</i> que l'époque est plus importante. C'est dans ces + communications que j'ai trouvé aussi la solution de ce qui avait été + une énigme pour moi, c'est-à-dire la cause de cette froideur dont + j'ai dit un mot à Votre Excellence dans mes n<sup>os</sup> 29 et 30. Sous la + même date que celle de votre lettre à laquelle était jointe la copie + de la lettre de Sa Majesté à l'empereur d'Autriche, M. de + <i>Wintzingerode</i> avait rendu compte de plusieurs communications + confidentielles que Votre Excellence lui avait permis de prendre; et + quoique le texte même de la lettre de l'empereur soit assurément une + chose plus précieuse que l'extrait un peu informe qu'en avait fait + M. de <i>Wintzingerode</i>, je ne sais quelle jalousie avait fait croire + qu'il était de la dignité du roi de recevoir de pareilles + communications plutôt par le ministre de Westphalie que par le + ministre de France. Je sais que M. de <i>Furstenstein</i> s'est expliqué + dans ce sens. Comme à son retour j'aurai des remercîments à faire à + ce ministre, je saisirai l'occasion pour faire un premier essai, en + abordant cette matière délicate.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 20 avril 1809.</p> + +<p>J'ai reçu la lettre de Votre Excellence du 10 avril, par laquelle + elle me charge de faire souvenir Sa Majesté westphalienne et M. le + prince de Waldeck des arrangements au moyen desquels il leur sera + facile de <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> couvrir les avances que le trésor public a + faites pour leurs contingents; je me suis empressé d'exécuter vos + ordres.</p> + +<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> est revenu de Brunswick hier. Le roi, + qui n'est point allé à Magdebourg, est attendu aujourd'hui. Le + courrier qui lui a été expédié de Strasbourg, par Sa Majesté + l'empereur, a passé par Cassel le 17 au soir. Il s'est rencontré + avec le courrier de l'armée venant de Donawert et chargé par Sa + Majesté d'un paquet de monseigneur le prince de <i>Neufchatel</i>. On + croit que ce papier renferme les instructions concernant le + commandement qui a été confié à Sa Majesté et dont on dit qu'elle + est extrêmement satisfaite, après l'extension qui paraît y avoir été + donnée.</p> + +<p>Des lettres récentes de Hollande annoncent <i>que l'emprunt sera + rempli</i>. Seulement sa concurrence avec quelques opérations + financières qui en ce moment ont lieu en Hollande même, retardera un + peu l'entière exécution de celle qui concerne la Westphalie; cette + nouvelle est très heureuse, car la pénurie du trésor public à Cassel + se fait de plus en plus péniblement sentir.</p> + +<p><i>P. S.</i>—LL. MM. sont revenues aujourd'hui à midi: elles ont fait + leur entrée au bruit du canon. On fixe au 25 le nouveau départ du + roi, en conséquence des instructions plus récentes venues de + Strasbourg.</p> +</div> + +<p>Vers le mois de mars 1809, lorsque la guerre avec l'Autriche parut +imminente, une rumeur sourde se répandit au centre de l'Allemagne, +dans la Hesse électorale, dans le duché de Brunswick, dans la +Vieille-Marche et dans la plupart des départements du royaume de +Westphalie. Le gouvernement français avait su, dès le mois d'août +1808, par la lettre interceptée de Stein au prince de Wittgenstein, +qu'il existait un vaste réseau d'associations politiques occultes, +n'attendant qu'une occasion, un signal, pour faire éclater un +soulèvement contre nous. Les mesures prises par Napoléon pour +l'abolition des sociétés secrètes n'eurent qu'un résultat, celui de +les rendre plus prudentes, plus dissimulées et, partant, plus +dangereuses.</p> + +<p>La Prusse était le foyer principal de ces sociétés et cela se +comprend; l'Empereur n'avait-il pas réduit ce royaume à sa plus +simple expression? n'avait-il pas ruiné ses finances? anéanti ses +armées? ne soulevait-il pas chaque jour des difficultés nouvelles +pour retarder l'évacuation de ses places fortes et pour maintenir +ses armées françaises dans les provinces laissées par le traité de +Tilsitt au roi Frédéric-Guillaume III?</p> + +<p>Voici quel était au commencement d'avril l'état des troupes +françaises <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> et de la confédération ainsi que de leurs +emplacements. En Westphalie, huit à neuf mille hommes de l'armée de +Jérôme; à Magdebourg, un régiment français et un westphalien; dans +les villes fortes de Stettin, de Glogau, de Custrin, dix mille +soldats français vivant chez l'habitant; la division hollandaise +Gratien, à Lunebourg, au nord-est du Hanovre; à Stralsund dans la +Poméranie suédoise, deux bataillons du duc de Mecklembourg-Schwerin +et un de Mecklembourg-Strelitz (treize cents hommes).</p> + +<p>Lorsque Napoléon partit pour se mettre à la tête de la Grande Armée, +il prescrivit la formation d'un 10<sup>e</sup> corps pour être placé sous les +ordres de son frère Jérôme, et composé des troupes westphaliennes en +Allemagne, de la division Gratien, des troupes saxonnes du colonel +Thielmann. Ce 10<sup>e</sup> corps avait mission de couvrir la Westphalie, la +Saxe, et la partie orientale de l'Allemagne. Il pouvait être +renforcé par l'armée de réserve du vieux duc de Valmy (quartier +général à Dessau), chargée d'empêcher les Autrichiens de prendre à +revers les corps de Napoléon opérant sur le Danube.</p> + +<p>Le 3 avril 1809, dans la nuit, une centaine de militaires allemands +ayant pour chef un M. de Katt, ancien capitaine aux hussards de +Schill, venant de Spandau, ville prussienne, pénétrèrent dans la +petite place de Stendal, se formèrent en bataille sur le marché, +prirent les chevaux et les armes des gendarmes westphaliens, et +pillèrent les caisses. Le 4, à huit heures du matin, ils se +dirigèrent sur Bourgstadt, cherchant, mais inutilement, à entraîner +les paysans, dont un très petit nombre les suivit.</p> + +<p>Cette singulière et intempestive levée de boucliers était la +conséquence d'un plan d'insurrection générale suscitée par les +sociétés secrètes, insurrection à la tête de laquelle se trouvaient +le major Schill, le duc de Brunswick-Oels, le capitaine de Katt. Ce +dernier, n'ayant pas eu la patience d'attendre le signal du +soulèvement, brusqua la prise d'armes, espérant entraîner le +gouvernement prussien à déclarer la guerre à la France, pendant que +Napoléon était encore en Espagne et allait se trouver aux prises +avec l'Autriche. L'échauffourée ridicule de Katt fut désavouée par +le gouvernement prussien, et n'eut d'autre suite que de compromettre +le major Schill et de hâter son mouvement, ainsi que nous le verrons +plus loin.</p> + +<p>Pendant que Napoléon, traversant l'Espagne et la France en toute +hâte, courait se mettre à la tête de sa grande armée, en Allemagne, +le roi Jérôme quittait Cassel le 9 avril avec la reine pour visiter +les <span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> deux départements de l'Ocker et de l'Elbe, et les +villes de Brunswick et de Magdebourg. Reinhard rendit compte de ce +voyage par une lettre en date du 15 avril:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Leurs Majestés sont arrivées dimanche dernier au soir à Weende, + domaine royal près de Gœttingen. Elles y ont passé la nuit. Le + lendemain elles ont couché à Seesen dans la maison de M. Jacobsohn, + président du Consistoire juif. M. Jacobsohn est un négociant très + estimable et très estimé; il a formé à Seesen, à ses frais, pour les + jeunes gens de sa nation, un établissement d'instruction qui se + distingue par la nouveauté de l'objet et par les bons principes qui + le dirigent.</p> + +<p>On dit que la Reine en arrivant à Brunswick s'est trouvée + incommodée. On n'apprend pas encore que le Roi soit parti pour + Magdebourg. Immédiatement après leur arrivée à Brunswick, LL. MM. + ont envoyé ici des ordres pour faire venir des lits et plusieurs + valets de chambre et de pied. M<sup>me</sup> la baronne de Keudelstein et M<sup>me</sup> + d'Otterstedt qui, il y a un mois, croyait déjà être parvenue au + terme de sa grossesse, ont accompagné la Reine. Les personnes + principales qui sont avec le Roi sont: M. le comte de Furstenstein, + M. Cousin de Marinville, M. le baron de Keudelstein, M. Bongars. M. + le comte de Willingerode, grand-maréchal du Palais, revenu le 10 de + Marseille et de Paris, est aussi allé rejoindre Sa Majesté.</p> +</div> + +<p>À peine de retour dans sa capitale, Jérôme fut informé par son +ministre de la police de la fermentation que l'on remarquait dans +les différentes provinces de son royaume. Inquiet pour la reine, +sentant qu'il serait beaucoup plus fort pour résister à l'orage, +lorsque sa femme serait à l'abri de tout danger, ayant bientôt +d'ailleurs à se mettre à la tête du 10<sup>e</sup> corps, il crut devoir se +séparer momentanément de la princesse qu'il envoya rejoindre +l'impératrice Joséphine de qui elle était tendrement aimée.</p> + +<p>Catherine arrivée à Francfort écrivit de cette ville, le 26 avril +1809, à Napoléon:</p> + +<p class="lettre">Sire, le Roi rend compte à Votre Majesté des motifs qui le portent à + veiller à ma sûreté en m'envoyant auprès de S. M. l'Impératrice; + l'insurrection qui s'augmente de moment en moment et qui est + générale dans tout le Royaume, la nécessité où le Roi se trouve de + ne point diviser le peu de forces qu'il a pour veiller à ma sûreté + m'ont engagée à consentir à me séparer de lui dans un moment aussi + critique; si ce n'était pour lui laisser la liberté nécessaire de + veiller à sa propre sûreté et à celle de ses États, je n'aurais pu + m'y décider et j'aurais pour moi la confiance <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> dans les + succès de Votre Majesté, mais c'est un sacrifice nécessaire à la + sûreté et à la tranquillité du Roi.</p> + +<p>À peine la reine avait-elle quitté Cassel qu'une conspiration à la +tête de laquelle était un des colonels de la propre garde de Jérôme +fut découverte par le plus grand des hasards. M. de Dœrnberg, le +principal conjuré qui trahissait son souverain, quoiqu'il fût comblé +de ses bienfaits, devait pénétrer la nuit dans le palais du Roi, +l'enlever, ce qui eût été très facile, et le livrer aux Anglais.</p> + +<p>M. Reinhard rendit compte des événements de Cassel à l'Empereur par +une notification en date du 26 avril envoyée par le comte de +Fürstenstein, et par une lettre du 29 au duc de Cadore. Voici ces +deux documents:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bercagny à Reinhard.</p> +<p class="date">26 avril 1809.</p> + +<p>Le samedi, 22 avril, le gouvernement fut averti que plusieurs + rassemblements de paysans se formaient sur les hauteurs de + Napoléonshœhe, ainsi qu'à Homberg, et dans divers autres villages + environnant Cassel. Le Roi envoya de suite quelques détachements de + sa garde pour dissiper ces attroupements et faire rentrer les + paysans dans le devoir, mais ceux-ci excités par quelques + malveillants, parmi lesquels on distinguait le sieur Dœrnberg, + colonel des chasseurs de la garde, qui s'était mis à leur tête, et + quelques autres personnes moins marquantes, refusèrent obstinément + d'obéir. On fut obligé de les y contraindre par la force; plusieurs + des insurgés furent tués, et un grand nombre amenés prisonniers à + Cassel. Le lundi 24, tout était entièrement disparu.</p> + +<p>Il paraît que cette insurrection, préparée depuis longtemps par des + agents secrets de l'électeur, devait être générale; mais les mesures + promptes et vigoureuses prises par le gouvernement l'ont arrêtée + dans sa naissance. Les insurgés avaient peu de fusils, et n'étaient + armés, pour la plupart, que d'instruments aratoires. On les avait + entraînés par l'espoir du pillage et la menace d'incendier leurs + maisons s'ils refusaient de marcher. On s'était efforcé de leur + persuader que tout était disposé en Westphalie pour une révolution, + et qu'ils allaient être appuyés par des armées prêtes à entrer dans + le royaume; mais bientôt, revenus de leur égarement, ils se sont + empressés de rentrer dans leurs foyers et de reprendre leurs + travaux. Les rapports qui arrivent aujourd'hui des divers points où + l'insurrection avait éclaté annoncent que la tranquillité est + rétablie partout. Quelques-uns des principaux moteurs sont arrêtés; + et <span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> il paraît que S. M. aura la consolation de n'avoir + qu'un petit nombre de coupables à punir.</p> + +<p>Les habitants de Cassel, loin de prendre aucune part à ces + désordres, ont saisi cette circonstance pour donner des preuves + particulières de leur dévouement à leur souverain; et toutes les + classes de citoyens ont sollicité la faveur de servir Sa Majesté, et + d'être employés à maintenir la tranquillité dans la ville, et à la + défendre si elle était attaquée.</p> +</div> + +<p>Le soussigné, en adressant, d'après l'ordre du Roi, la présente +communication à Son Excellence M. Reinhard, envoyé extraordinaire et +ministre plénipotentiaire de France, saisit cette occasion pour lui +renouveler les assurances de sa haute considération.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p> +<p class="date">Cassel, 29 avril 1809.</p> + +<p>Ce fut une estafette, envoyée par le roi de Wurtemberg à la reine + déjà partie, qui apporta le bulletin de la bataille du 21 + (Landshut); une autre estafette envoyée par le roi de Wurtemberg à + son ministre près cette cour, porta le bulletin de la bataille du 22 + (Eckmuhl), et un courrier de retour, du ministre de Bavière, apporta + celui du 23, écrit sur le champ de bataille de Ratisbonne. Il serait + impossible de peindre l'impression produite par des événements qui + semblent éclipser jusqu'aux miracles d'Austerlitz et d'Iéna, et déjà + j'apprends que ceux qui espéraient différemment disaient + aujourd'hui: <i>Dieu le veut.</i></p> + +<p>Ni les nouvelles, Monseigneur, ni les troupes qui étaient déjà en + nombre suffisant, n'ont été nécessaires pour dissiper les + attroupements du 22 et du 23; mais ce sont nos victoires seules qui + détruiront jusqu'à la pensée d'une révolte dans les esprits les plus + mal intentionnés. C'est le feu du ciel qui est tombé ainsi sur tous + les projets déloyaux et insensés.</p> + +<p>Un régiment hollandais venant d'Altona, et l'avant-garde de deux + mille hommes venant de Mayence avec six canons, sont entrés hier à + Cassel.</p> + +<p>J'ai annoncé à Votre Excellence l'arrestation de deux anciens + serviteurs de l'Électeur dont les noms avaient été mis, par les + meneurs des rebelles, au bas d'une proclamation. Ce sont MM. de + Lenness et de Schmeerfeld, homme d'un âge déjà avancé. Il ne s'est + point trouvé de preuves contre eux; mais comme anciennement suspects + ils ont été conduits à Mayence où ils seront détenus en prison. + Plusieurs officiers des cuirassiers ont été arrêtés ou destitués. + C'est le seul régiment qui se soit mal conduit, et dans lequel il y + ait eu des défections. Plusieurs autres arrestations ont eu lieu, + celle d'un curé par exemple qui avait <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> béni des drapeaux, + celle de la femme d'un officier qui avait envoyé à son mari par la + poste une écharpe pour le garantir en cas de danger. D'autres ont + déjà été relâchés. Une centaine de paysans a péri. Cent cinquante + environ ont été entassés dans les prisons de Cassel. Le comte et la + comtesse de Bœhlen de la Poméranie ci-devant suédoise, l'un + chambellan, l'autre dame de la reine, ont reçu l'ordre de quitter + Cassel dans les vingt-quatre heures et de rendre leurs décorations. + Ce qu'on sait du motif, c'est que le Roi a reproché à M. de + Bœhlen de s'être promené au parc à huit heures du soir avec un + inconnu, et d'avoir dit en le quittant: Je désire que ce plan + réussisse.</p> + +<p>La dame à l'écharpe de garantie demeurait à Homberg, petite ville où + il y a un chapitre protestant de dames nobles. L'abbesse était + sœur de l'ex-ministre Stein. La sœur d'un ex-ministre de + l'Électeur en était aussi. Cette petite ville était le foyer de + l'insurrection. Les chanoinesses ont été arrêtées et conduites à + Cassel.</p> + +<p>M. le comte de Furstenstein m'a adressé par ordre du Roi une note + concernant cette insurrection. J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous + en transmettre ma copie, ainsi que celle de ma réponse.</p> + +<p>Je n'ai rien à ajouter pour le moment aux causes qui ont amené cet + événement, et dont ma correspondance a rendu compte à Votre + Excellence. Mais il faut sans doute vous entretenir des fortes et + pénibles impressions qu'ils ont produites et des conséquences qui + peuvent en résulter. Qu'un attentat qui paraît avoir eu pour objet + la personne sacrée du Roi ait profondément affecté l'âme généreuse + et confiante de ce jeune monarque; que les Français qui l'entourent + après avoir craint pour lui et pour eux-mêmes, indignés, exaltés, se + fassent un mérite exclusif de leur fidélité; que les défiances, les + soupçons s'étendent au delà des bornes légitimes; que beaucoup + d'Allemands consternés ne se croient pas assez protégés par le + sentiment de leur innocence; que liés avec des coupables par des + relations de famille ou de société, ils craignent de paraître + coupables eux-mêmes; qu'il en résulte un état d'anxiété, voilà ce + qui n'est que trop naturel.</p> + +<p>Mais quelles sont les maximes qu'adoptera désormais le gouvernement? + Sera-ce la sévérité ou la clémence que la politique conseillera de + faire prévaloir? Des passions subalternes et quelques intérêts + particuliers ne s'empareront-ils pas de la circonstance pour amener + des changements, soit dans les personnes, soit dans le mode de + l'administration?</p> + +<p>M. Bercagny, dont la place en ce moment acquiert une grande + importance, m'a parlé à ce sujet dans un sens qui me paraît + extrêmement sage. Il m'a dit qu'il avait calmé lui-même des + mouvements trop fougueux de quelques Français, et qu'il sentait + toute l'importance qu'il y avait à ce qu'il ne s'établît point de + scission ni de <span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> distinction entre les sujets ou les + serviteurs de Sa Majesté sous le rapport de la nation à laquelle ils + appartiennent.</p> + +<p>J'en étais là, Monseigneur, lorsqu'il m'a été annoncé de la part de + Sa Majesté qu'Elle me recevrait en audience particulière pour lui + remettre la lettre par laquelle Sa Majesté l'empereur des Français, + roi d'Italie, lui annonce l'heureux accouchement de S. A. I. madame + la vice-reine d'Italie, lettre que j'avais reçue avant-hier. Je + reviens de cette audience. Le Roi m'a témoigné son étonnement de ce + que le courrier qu'il avait envoyé au quartier-général impérial + n'était pas encore revenu. Il m'a ensuite parlé des événements du + jour; et je lui ai dit que toute la conduite qu'il a tenue dans ces + circonstances pénibles, que surtout tous les actes qui portent + l'empreinte de l'impulsion de son propre esprit et de son caractère, + ont dû lui attirer l'amour et l'admiration, et c'est très + certainement l'effet qu'ils ont produit sur moi. En effet sa + résolution de monter à cheval et de se montrer du côté même où l'on + avait vu paraître les rebelles au moment où dans leurs + rassemblements on le disait déjà prisonnier; celle de ne point + quitter sa résidence au moment terrible où rien ne semblait encore + garantir la fidélité de ses gardes; son allocution aux officiers; + les deux proclamations qu'il a dictées; les mots qu'il a dits et + dont j'ai cité quelques-uns; tout cela est vraiment royal. Il est + certain, m'a dit Sa Majesté, que sans la découverte de M. de + Malmsbourg, je me trouvais surpris. Les rebelles devaient arriver + dans la nuit, les conjurés entraient dans mon appartement sans + obstacle et sans défiance; et croiriez-vous qu'il y avait une foule + de gens qui savaient le complot, et qui ne se croyaient pas obligés + de le révéler. Cependant, a ajouté Sa Majesté, l'Allemand par son + caractère n'est pas traître.—C'est une manière de voir fausse et + criminelle, ai-je répondu, par laquelle ceux dont parle Votre + Majesté se sont fait illusion à eux-mêmes, et cependant oserais-je + dire à Votre Majesté, à présent que le danger est passé, que les + espérances coupables ne renaîtront plus, que le sentiment même qu'on + peut supposer en avoir été la cause, une certaine ténacité + d'attachement, tournera au profit de votre règne, et que plus le + temps et les événements s'éloigneront du passé, plus la fidélité à + Votre Personne et à Votre Dynastie deviendra inébranlable et + assurée.</p> + +<p>On ne peut, Monseigneur, arrêter sa pensée sans frémir sur les + malheurs qui seraient tombés sur ceux-là même qui, dans leur + aveuglement, désiraient peut-être le succès de l'insurrection. + Aujourd'hui en punissant les perfides d'action et les traîtres, il + sera facile d'être généreux envers les coupables d'intention ou + d'égarement. J'apprends que l'intention de Sa Majesté est de publier + une amnistie générale pour tous les paysans. Les autres seront mis + en jugement, et même à l'égard de ceux-ci, il paraît que l'intention + du Roi est de faire prévaloir la clémence.</p> + +<p>Sa Majesté a fait la réponse la plus terrible et la plus sublime aux + <span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> manifestes d'insurrection de l'Autriche, en se servant du + courage et du dévouement de ces mêmes Allemands, qu'on voulait + séduire, pour écraser les armées autrichiennes. Il y aura solidarité + de destinée, et ce sera une glorieuse récompense de la fidélité des + uns, lorsqu'elle obtiendra le pardon ou repentir des autres. J'ose + avouer à Votre Excellence que lorsque j'ai vu le Roi déjà porté à + pressentir que tel serait le système qu'adopterait son auguste + frère, je me suis abandonné moi-même à ces beaux pressentiments.</p> + +<p>Sa Majesté m'a fait l'honneur de me parler de son voyage prochain à + Hambourg. Je désirerais beaucoup, Monseigneur, de recevoir vos + ordres pour savoir si de préférence je dois suivre le Roi ou rester + à Cassel. Jusqu'à présent rien n'annonce que l'intention de Sa + Majesté soit de se faire accompagner par les membres du corps + diplomatique, et s'il m'est permis d'opter, je ne quitterai point + cette résidence. Mais il peut arriver des cas où des instructions + éventuelles seraient pour moi d'un grand prix pour diriger ma + conduite.</p> +</div> + +<p>Ainsi, le mois d'avril 1809 avait vu se produire, en Westphalie: la +ridicule équipée du capitaine de Katt à Stendal, et la conspiration +plus sérieuse du colonel de Dœrnberg. Le 28, commença la +singulière course du major de Schill, et bientôt après l'entreprise +désespérée du duc de Brunswick-Oels. Les affaires de Schill et du +duc de Brunswick sont rapportées longuement et très exactement dans +le quatrième volume des Mémoires du roi Jérôme. Nous n'en ferons pas +l'historique, nous nous bornerons à donner quelques lettres et +bulletins qui y ont trait:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 3 mai 1809.</p> + +<p>Le mariage du comte de Furstenstein avec M<sup>lle</sup> de Hardenberg a été + célébré dimanche dernier au palais. La société a été peu nombreuse, + la corbeille riche et magnifique. Il y a eu souper et bal. Le lit + nuptial a été dressé dans une pièce attenante à la salle du + conseil.—M. de Gilsa, ancien grand-écuyer de l'électeur, père de + treize enfants vivants, et n'ayant d'autre moyen d'existence que les + appointements des places que son épouse et lui remplissent à la + cour, a profité de cette circonstance pour demander au Roi la grâce + de son gendre, le sieur de Buttlar, compris dans l'art. 1<sup>er</sup> du + décret du 29. S. M. la lui a promis.—La sœur de M<sup>me</sup> de Stein + soutient son rôle d'héroïne. Elle ne sort point; elle provoque son + supplice. Elle est du reste vieille, laide, contrefaite. Une sœur + de M<sup>me</sup> de Gilsa, dignitaire du même chapitre, a refusé la + permission que le Roi avait donnée à son frère de la prendre chez + lui.—Le <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> Roi a fait plusieurs nominations d'officiers pour + remplacer ceux qui ont été destitués ou arrêtés.—On a trouvé parmi + les papiers Dœrnberg un paquet cacheté et portant l'inscription: + <i>à ouvrir après ma mort</i>. On dit que ce paquet ne renferme que des + lettres d'amour, dont quelques-unes de M<sup>me</sup> de P. Cet homme, peu de + jours avant sa défection, avait fait venir sa femme et ses trois + enfants qui résident à Brunswick et qui se trouvent aujourd'hui dans + la misère. Quatre mille francs que le roi lui avait donnés se sont + trouvés intacts dans son secrétaire. Il paraît que ce n'est pas sans + combats intérieurs qu'il s'est chargé du rôle de traître; il y a + dans sa conduite présomptive délire et inconséquence.—Pendant la + crise, la ville de Cassel paraissait plus calme qu'à l'ordinaire. Le + peuple semblait apathique, mais il montrait une grande incrédulité + sur nos victoires.—Quelques mauvais sujets avaient excité des + mouvements dans une commune du département du Harz. Ils furent + arrêtés, et le préfet manda au ministre de l'intérieur qu'il avait + pris les mesures les plus efficaces pour empêcher que la contagion + ne gagnât le département de la Werra. C'était dans ce dernier + département qu'était le foyer de l'insurrection.—Le baron de Wendt, + aumônier du Roi, envoyé dans les communes catholiques de la Hesse, + qui en effet n'ont pas remué, dit à son retour qu'il les avait + exhortés à ne point se mêler de ces affaires, à labourer leurs + champs et à laisser faire les autres. Il n'y entendait pas malice.</p> + +<p>MM. de Malsbourg et de Coninx, conseillers d'État, allant l'un et + l'autre dans ses terres, l'un vers Paderborn pour calmer les + esprits, furent arrêtés tous les deux et coururent quelques dangers. + Le second fut sauvé par une ancienne femme de chambre de sa femme, + qu'il rencontra voyageant en compagnie avec un étudiant. Elle lui + fit prendre le rôle et le costume de son amant, et ce fut sous son + escorte qu'il revint à Cassel.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">15 mai 1809.</p> + +<p>Un membre du Conseil d'État disait dernièrement qu'il fallait + chasser tous les Allemands de la Wesphalie.—Un chef du département + des relations extérieures a proposé gravement au ministre de Saxe de + troquer le royaume de Wesphalie.—M. de Wolfradt, ministre de + l'intérieur, ayant obtenu par le canal de M. Bercagny un emploi pour + un Allemand qu'il lui avait recommandé, lui exprima sa + reconnaissance avec un tel élan de sensibilité qu'il alla jusqu'à + lui baiser la main. Je suis d'autant plus touché de cette faveur, + ajoute M. de Wolfradt, que c'est la première que vous ayez accordée + à un Allemand. M. Bercagny, furieux, lui répondit: Monsieur, si tout + autre qu'un ministre d'État m'avait fait un pareil compliment, je + l'aurais jeté hors de la porte.—La <span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> commission spéciale a + condamné à mort un maréchal-des-logis des cuirassiers convaincu + d'avoir assisté à l'enlèvement d'une caisse par les paysans + révoltés. Elle a condamné à la même peine un jeune homme de vingt-un + ans, officier du même régiment. Il a été exécuté avant-hier. Il + avait demandé de commander lui-même l'exercice pour son exécution. + On eut le tort de le lui permettre; il mourut avec beaucoup de + courage.—La gendarmerie avait ramassé quatre-vingt-treize conscrits + qui avaient déserté après la publication du premier décret + prononçant la peine de mort contre ce crime; à cause des + circonstances actuelles, ils furent tous condamnés. Assemblés sur le + lieu de l'exécution, on leur déclara que deux seulement seraient + fusillés, et que le sort en déciderait. Cette clémence, tempérée par + une sévérité nécessaire, a produit un très bon effet. + Malheureusement, le sort se montra injuste, là où le Roi s'était + montré si bon, il tomba au sort les deux plus doux, peut-être les + plus innocents de la troupe.—M. de Buttlar, gendre de M. de Gilsa, + a obtenu sa grâce. Il n'a perdu que son emploi, et a été conduit en + France. Il sera détenu pendant deux ans.—Le Roi fait souvent passer + la revue des troupes. Il se promène beaucoup à cheval et quelquefois + à pied dans le beau parc de Cassel qui a été interdit au public + pendant certaines heures de la journée et de la soirée.—On avait + fait espérer à un des régiments de cuirassiers français qui + traversaient la Wesphalie que le Roi le passerait en revue. Le + régiment attendit pendant deux heures à la pluie à la porte de + Cassel, et la revue n'eut pas lieu. Quelqu'un en parla à Sa + Majesté:—J'étais, dit le Roi, embarrassé de décider à qui + j'accorderais la droite. Si c'était aux cuirassiers, j'affligerais + ma garde, et elle n'avait encore rien fait pour la mériter.</p> +</div> + +<p>Nous allons faire connaître de quelles forces disposait le roi +Jérôme à cette époque critique:</p> + +<p>Du 10<sup>e</sup> corps dont il avait le commandement et qui était composé: +1<sup>o</sup> de trois mille cinq cents hommes en garnison sur l'Oder ou dans +la Poméranie; de quatre cents hommes (général Liebert) à Stettin; de +onze cents hommes (général Coudras) à Stralsund; de deux mille +hommes à Custrin; de la division westphalienne d'Albignac à la +poursuite de Schill; de la division hollandaise Gratien également en +marche sur Stralsund, et recevant des ordres tantôt de son +souverain, tantôt de Jérôme; de la division westphalienne de la +garde (deux mille cinq cents combattants), commandée par les +généraux du Coudras comte de Bernterode, Bongars pour les gardes du +corps, colonel comte de Langenswartz pour les grenadiers à pied, +major Fulgraff pour les chasseurs à pied, colonel Wolff pour les +chevau-légers, <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> prince de Philipsthal pour les chasseurs +carabiniers, envoyés à Halberstadt. Quartier général à Cassel, chef +d'état-major général le général Rebwell. La division westphalienne +de la ligne avait ses trois régiments d'infanterie à Magdebourg, +1<sup>er</sup>, 5<sup>e</sup>, 6<sup>e</sup>; le régiment de cuirassiers à Halberstadt. La +division Gratien forte de deux brigades, d'un régiment de +cuirassiers et de trois compagnies d'artillerie, était à Stralsund +où elle détruisit les bandes de Schill. Enfin à Cassel et à +Magdebourg se trouvaient encore, sous le colonel Chabert, des +détachements français et du régiment Grand-Duché de Berg envoyé de +Mayence lors des troubles, environ trois mille hommes.</p> + +<p>Tout cela composait bien un corps d'environ seize mille combattants, +mais la garnison de Magdebourg en immobilisait cinq mille, mais +l'empereur redemandait dans toutes ses lettres le renvoi du régiment +Grand-Duché de Berg, mais la division hollandaise ne devait pas +tarder à recevoir de son roi l'ordre de rentrer en Hollande à cause +du débarquement des Anglais aux bouches de l'Escaut, en sorte que, +par le fait, Jérôme ne pouvait mettre en ligne plus de huit à neuf +mille hommes, en y comprenant deux mille Saxons à Dresde sous les +ordres du colonel Thielmann.</p> + +<p>Il y avait bien aussi à Dessau, sous le nom de Corps d'observation +de l'Elbe, deux divisions aux ordres du duc de Valmy, mais ce +dernier avait défense de disposer d'un homme sans l'ordre formel de +l'empereur, à moins que ce ne fût pour la défense de Mayence.</p> + +<p>Cependant le duc de Brunswick-Oels, secondé par l'Autriche, était +parvenu à lever à ses frais, en Bohême, une légion qui, revêtant +l'uniforme noir, prit le nom de: <i>Armée de la Vengeance</i>, et le duc +dépossédé de Hesse leva également une autre légion de sept à huit +cents hommes portant l'uniforme vert.</p> + +<p>Vers le milieu de mai 1809, ces deux légions, soutenues par quelques +troupes autrichiennes, s'établirent vers Neustadt, Gabel et Rümburg +sur la frontière de Bohême, menaçant la Saxe. À cette nouvelle, +notre allié, le roi de Saxe, se retira à Leipzig, au nord-ouest de +ses États, vers la Westphalie, demandant à Jérôme de marcher à son +secours, affirmant que la Prusse avait déclaré la guerre, que +l'avant-garde de Guillaume marchait sous les ordres de Blücher. +Napoléon, recevant cette nouvelle de son frère Jérôme, répondit que +les Prussiens n'étaient pour rien dans cette levée de boucliers, que +le 10<sup>e</sup> corps suffisait pour tenir tête à l'ennemi du côté de +Dresde, ville qu'il fallait occuper et garder. Il défendit au duc de +Valmy de déplacer ses divisions.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> Sur les ordres de Jérôme, le colonel Thielmann, avec ses +deux mille Saxons, se porta de Dresde sur la frontière de la Lusace, +livra quelques combats au duc de Brunswick dans les montagnes, le +chassa de Zittau et de Rümburg. Mais voyant l'ennemi manœuvrer +pour gagner les défilés de Leitmeritz et de Tœplitz et se porter +sur Dresde par la route de Dippoldiswalde, il se hâta de se replier +sur la capitale du royaume pour la défendre. En effet, un corps +autrichien de six mille hommes, commandé par le général Am-Ende, +s'était rendu à Leitmeritz pour appuyer le duc. Le 10 juin, les +Autrichiens et les bandes de Brunswick, ayant opéré leur jonction, +marchèrent sur Dresde. Le 11, ils y entrèrent. Thielmann, se voyant +trop inférieur en force pour lutter dans la ville, préféra tenir la +campagne. Il avait pris la résolution de se replier sur le 10<sup>e</sup> +corps, lorsque dans la nuit du 11 au 12 juin il crut pouvoir essayer +de surprendre les bivouacs du duc. Après un combat des plus vifs, la +cavalerie autrichienne de Am-Ende força les Saxons à se replier sur +Leipzig par Wilsdruf. Thielmann ne fut pas d'abord poursuivi, le +général autrichien ayant voulu recevoir du gouvernement de la Bohême +l'autorisation de se porter sur Leipzig. Le 19, cette autorisation +étant arrivée permit aux deux alliés de suivre Thielmann qu'ils +rencontrèrent près de la ville. La lutte ne fut pas longue, le +colonel saxon avait trop peu de monde, il passa l'Elster et se +replia par Lutzen sur la Saale. Le 22, il fut joint à Weissenfels +par les troupes du roi Jérôme. Ce dernier, ayant à Cassel le +régiment grand duc de Berg et sa garde (trois mille hommes), expédia +l'ordre à Albignac et à Gratien, l'un à Domitz, l'autre à Stralsund, +de le venir joindre à marches forcées à Sondershausen, en descendant +l'un par Magdebourg, l'autre par Brunswick. Lui-même avait +l'intention de se porter sur Sondershausen avec sa garde, et de là +sur Dresde. Mais les opérations contre Schill n'ayant pas permis à +ses deux généraux de se mettre en marche pour la Westphalie avant +les premiers jours de juin, le Roi modifia ses projets primitifs. +Cependant, en apprenant le 15 juin l'entrée à Dresde des +Autrichiens, il fit partir le 16 ses troupes, et le 18 il se mit +lui-même en marche après de nouveaux ordres envoyés à Albignac et à +Gratien.</p> + +<p>L'empereur ne plaisantait pas pour ce qui avait trait aux affaires +de la guerre. Il écrivait à Eugène, le vice-roi d'Italie: «Mon fils, +la guerre est une chose sérieuse»; à Joseph, à Naples: «Les états de +situation de mes troupes sont les romans que je lis avec le plus de +plaisir». Aussi les négligences de Jérôme à cet égard <span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> lui +étaient-elles très sensibles. Le 16 juin 1809, il manda au prince de +Neufchatel:</p> + +<p class="lettre">Mon cousin, écrivez au roi de Westphalie, commandant le 10<sup>e</sup> corps + d'armée, que je n'ai aucune situation, que je ne reçois aucun + rapport, que j'ignore où sont mes troupes, que depuis dix-sept jours + que l'affaire de Schill s'est passée, je n'en ai pas encore reçu de + rapport officiel; que si, comme commandant du 10<sup>e</sup> corps, il ne + correspond pas fréquemment avec vous et ne vous rend pas compte de + tout ce qui intéresse ce corps d'armée, je me verrai obligé d'y + nommer un autre commandant.</p> + +<p>Jérôme crut de sa dignité de mener avec lui à l'armée, non seulement +un grand nombre d'équipages, de gens de cour, chambellans et autres, +mais même les ministres plénipotentiaires étrangers accrédités +auprès de sa personne. Averti de cette circonstance par les lettres +de Reinhard, Napoléon, qui aimait à voir faire la guerre +sérieusement, comme il la faisait lui-même, trouva fort mauvaise +cette manière d'agir de son frère.</p> + +<p>Cependant le 21 juin, les divisions Albignac et Gratien après des +marches rapides se joignirent aux autres troupes de Jérôme qui se +trouva ainsi à la tête d'une douzaine de mille hommes. Le 22, +Albignac rallia les Saxons sur la Saale à Weissenfels, et les +opérations commencèrent.</p> + +<p>Nous donnerons plus loin quelques lettres de M. Reinhard relatives à +cette campagne de Saxe pendant laquelle il ne quitta pas le quartier +général du Roi, campagne qui mécontenta fort l'empereur; mais avant, +analysons rapidement les événements militaires.</p> + +<p>Le 24 juin, Jérôme, ayant rallié les troupes du 10<sup>e</sup> corps et étant +arrivé de sa personne à Querfurt, passa la Saale et poussa l'ennemi +sur Leipzig qu'il évacua le lendemain. Le Roi entra le 26 à Leipzig, +pendant que le général d'Albignac continuait à pousser les +Autrichiens sur Dresde. Un petit engagement eut lieu à Waldheim, et +pendant la nuit le duc de Brunswick se séparant de Kienmayer avec +ses bandes fila sur Chemnitz au sud-est pour gagner Bayreuth et la +Westphalie, tandis que les landwehr de Kienmayer se ralliaient sur +Dresde, et que lui-même avec ses troupes régulières prenait la route +de Bayreuth. Le 29, tout le 10<sup>e</sup> corps étant concentré à Waldheim, +Jérôme marcha sur Dresde. Le 30, le colonel Thielmann commanda +l'avant-garde du 10<sup>e</sup> corps, et le général d'Albignac pénétra à +Dresde où le Roi fit son entrée le 1<sup>er</sup> juillet.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> À Dresde, Jérôme apprit que ses États paraissaient peu +tranquilles, qu'une expédition anglaise semblait menacer les côtes +de la Hollande, et que le duc de Brunswick se dirigeait sur la +Westphalie. Ces nouvelles le déterminèrent à abandonner Dresde où +l'empereur voulait qu'il se maintînt. Le 4, il quitta cette ville, +faisant engager fortement le roi de Saxe à rentrer dans sa capitale.</p> + +<p>Reinhard écrivit à Champagny, de Mersebourg et de Leipzig le 26 +juin, et de Dresde le 1<sup>er</sup> juillet, les deux lettres suivantes:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Mersebourg, 26 juin 1809.</p> + +<p>Le Roi est arrivé à Querfurt avant-hier matin à onze heures (24 + juin); hier, à dix heures du matin, il est arrivé à Mersebourg.</p> + +<p>La division du général Gratien, le régiment de Berg et une grande + partie de la garde marchent avec Sa Majesté. La totalité de ces + troupes est entre 6 et 7,000 hommes; celles du général d'Albignac, + en y comprenant les Saxons, montent au même nombre dans lequel il y + a 1,300 chevaux. L'artillerie des deux corps est de 52 pièces; celle + des Hollandais surtout est très belle et parfaitement tenue. Le + corps hollandais et environ 800 Français, répartis entre les deux + divisions, sont ce que nous avons de mieux en officiers et en + soldats. D'après des renseignements qu'on a lieu de croire exacts, + les forces du duc d'Oels montent en tout à 9,080 hommes. Sa bande + noire, qui s'appelle la <i>Légion de la Vengeance</i>, est une mauvaise + troupe; quelques escadrons d'Uhlans, du régiment de Blankenstein, + méritent un peu plus de considération. Le 23, le duc d'Oels fit un + mouvement en avant, et les troupes saxonnes furent obligées de + reculer jusqu'à Weissenfels. Ce mouvement avait pour objet de + masquer la retraite. En effet, dès le 24, l'ennemi évacua Leipsig où + nos troupes sont entrées hier au soir à deux heures. Ce matin toutes + nos troupes se sont portées en avant: le Roi partira à onze heures.</p> + +<p>On a intercepté une lettre où l'archiduc Charles reproche au duc + d'Oels les excès commis en Saxe par sa troupe, qui doit, dit-il, + être entièrement soumise aux lois de la discipline autrichienne, + aussi longtemps qu'elle aura besoin d'être soutenue par les + Autrichiens. Déjà le duc d'Oels était subordonné au général + autrichien Am-Ende, et c'est à celui-ci qu'il adressa la députation + de Dresde qui était venue à sa rencontre.</p> + +<p>Le général Gratien a présenté hier au Roi les principaux officiers + de sa division; Sa Majesté s'est entretenue pendant longtemps avec + eux. Il <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> règne une grande activité au quartier-général. Le + général d'Albignac a été fidèle à l'ordre de ne rien hazarder. + Depuis que les ennemis se retirent, quelques personnes pensent qu'il + aurait pu se porter sur leur derrière: il valait encore mieux ne + commettre aucune imprudence.</p> + +<p>La ville de Cassel est tranquille. Cependant, le général Eblé a pris + occasion d'un mouvement qui a eu lieu à Carlshaven contre des + gendarmes, pour écrire en deux mots au Roi: que jamais la Westphalie + n'a été aussi près d'une insurrection générale. Une preuve des + manœuvres clandestines qui continuent à y avoir lieu, c'est qu'on + a arrêté dernièrement une voiture chargée d'armes et de poudre à + canon au moment de son passage par Homberg. Dans une lettre + interceptée de l'électeur de Hesse, il est dit qu'on ne fera rien de + bon aussi longtemps que cet entêté de roi de Prusse ne se déclarera + point. Il est certain que les matières combustibles sont entassées + partout; mais toutes les étincelles ne seront point propres à y + mettre le feu.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Leipzig, le 26 au soir.</p> + +<p>Le Roi est entré à Leipzig à deux heures du soir, à cheval et à la + tête de ses troupes. Il ne reste plus de doute sur la retraite des + ennemis et sur la difficulté qu'il y aura à les atteindre. Sa + Majesté partira demain: le corps diplomatique ne le suivra pas + immédiatement.</p> + +<p>Ce soir le Roi m'a fait entrer dans son cabinet: il m'a répété que + depuis Sundershausen il n'avait pas eu le temps d'écrire à S. M. + l'Empereur. Comme il a paru attacher quelque intérêt à ce que + j'écrivisse, j'expédierai cette lettre par estafette jusqu'à + Stuttgard.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Dresde, ce 1<sup>er</sup> juillet 1809.</p> + +<p>Le Roi partit de Leipzig le 28 à onze heures du matin: la division + hollandaise l'avait précédé la veille. Sa Majesté passa la nuit à + Grimma. Le lendemain 29, le quartier-général devait être transporté + à Waldheim, petite ville située dans un défilé. Le Roi était en + arrière, et nos voitures l'avaient cette fois précédé, lorsqu'à une + demi-lieue de Waldheim nous rencontrâmes le général d'Albignac qui + ordonna aux bagages de rebrousser chemin. Les ennemis ayant fait un + mouvement sur leur gauche s'étaient portés sur Chemnitz. Le + quartier-général fut établi à Hartha, village en arrière de + Waldheim. Hier à deux heures de l'après-midi, le Roi est arrivé à + Nossen d'où il est parti ce matin à cinq heures. À dix heures, Sa + Majesté a fait son entrée à Dresde à la tête de ses gardes et des + cuirassiers saxons, au bruit des canons du rempart et des cloches de + la ville. Elle s'est logée au palais de Brühl.</p> + +<p>Les ennemis avaient quitté Dresde avant-hier. Le général Kienmayer, + arrivé depuis quelques jours, avait établi un camp. Ce camp a été + levé hier et il n'est pas douteux que dès demain les ennemis seront + rentrés <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> dans les frontières de la Bohême. Nos hussards + leur ont déjà enlevé quelques chariots. À la tête de la colonne qui + s'est montrée à Chemnitz et qui avant-hier encore poussait des + patrouilles d'uhlans jusqu'à Penig, où est le duc d'Œls. Il a peu + de troupes réglées avec lui: sa bande noire qui s'est très mal + comportée partout, et ce qui est à la solde de l'électeur de Hesse, + paraît en composer la partie principale. Cependant, la retraite vers + la Bohême de ce corps qui avant-hier encore se trouvait en quelque + sorte sur nos derrières, ne paraît pas bien constatée. Du reste, il + est peu probable qu'il risquera de prolonger son incursion. Quand le + duc d'Œls qui n'est point, comme on l'avait dit, entièrement + subordonné au général autrichien, mais qui est considéré comme une + espèce d'allié, voudrait, en profitant de l'absence du roi, se jeter + dans la Westphalie, ce serait probablement parce que ses alliés + voudraient en être quittes; il serait abandonné par les troupes + autrichiennes et il ne lui resterait qu'une bande moins dangereuse + que celle de Schill. Ce nouveau libérateur de l'Allemagne, ivre de + tabac et de bière et de quelques vivat de la populace de Leipzig, + voulait enrôler sous ses drapeaux tous les étudiants de cette + université. On lui a ri au nez. Par représailles il a levé une + contribution de 6,000 thalers à Leipzig et de 5,000 à Dresde. Les + Autrichiens se sont partout conduits avec beaucoup de ménagements. + Leur retraite au reste, et même quelques bruits que nous avons + trouvés ici circulant, semblent prouver qu'il s'est déjà passé + quelque événement important sur le Danube, et c'est vers ce côté-là + que nous ne cessons de tourner nos regards.</p> + +<p>Il y a eu le 28 un petit engagement entre les troupes du général + d'Albignac et celles du duc d'Œls, en avant de Waldheim. Il + paraît que c'était une affaire de reconnaissance et que le tout + s'est réduit à quelques blessés de part et d'autre. Le général + d'Albignac a repris le commandement de la cavalerie et c'est le + colonel Thielmann, qui déjà avait remplacé le général Dyherrn dans + le commandement des troupes saxonnes, qui commande aujourd'hui + l'avant-garde. Le prince de Hesse a été commandant de la ville de + Dresde. Sous les Autrichiens c'était le prince de Lobkowiz, + commandant les milices de Bohême.</p> + +<p>Je vous ai déjà parlé, Monseigneur, d'un mouvement qui avait éclaté + à Carlshaven: il a été dissipé par quelques gendarmes. Celui qui a + eu lieu à Marbourg a été plus sérieux: quatre ou cinq cents paysans + sont entrés dans la ville, mais ils en ont été promptement chassés + par la garde départementale. Cet événement a donné lieu à + l'arrestation d'un inconnu qui se nommait Ermerich, qui résidait à + Marbourg depuis trois mois, et qu'on dit avoir été colonel en + Angleterre. M. Lefebvre m'a envoyé et j'ai l'honneur de vous + transmettre la copie d'une lettre qu'on a trouvée dans ses papiers. + C'est un homme de soixante-quatre ans: il nie encore tout.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> Ces mouvements, Monseigneur, ont été sans doute la cause + d'une certaine inquiétude que vous aurez pu remarquer dans la + dernière conversation du roi dont j'ai eu l'honneur de rendre compte + à Votre Excellence. Du reste, quelque vastes que puissent être les + vues des meneurs, il est certain que les paysans n'ont pu être + séduits que par des causes locales; c'est la contribution + personnelle qui a occasionné le petit désordre de Carlshaven; ce + sont les droits de consommation qui ont conduit les paysans à + Marbourg et l'on me mande que ce sont eux-mêmes qui ont arrêté et + livré l'inconnu dont je vous ai parlé. Ce qui doit rassurer + entièrement, c'est que 1,500 hommes de l'armée de réserve se sont + rendus à Marbourg du moment où une lettre du préfet de la Werra + avait donné à Hanau connaissance de ce mouvement.</p> + +<p>Le roi avait expédié de Leipzig un de ses officiers d'ordonnance au + roi de Saxe pour l'inviter à revenir dans ses États. Cet officier + est revenu avant-hier. Je ne connais point directement le résultat + de sa mission; mais le ministre de Saxe croit savoir que l'intention + de sa Majesté n'est point de revenir aussi promptement que nous + l'espérions. Le roi lui a encore hier écrit par un autre officier.</p> + +<p>J'apprends qu'on suppose réellement au duc d'Œls le projet de se + porter en Westphalie. Le général Bongars a été détaché de Nossen + avec deux régiments de cuirassiers et un bataillon français pour se + mettre à sa poursuite.</p> + +<p>Le roi m'a dit que l'empereur présumait qu'il aurait pris position à + Erfurt. Il m'a dit que dans quinze jours il comptait être à + Hambourg. Au quartier-général et même dans les propos du comte de + Furstenstein, il n'est question que d'aller en Bohême. À Cassel, on + attend Sa Majesté dans cinq ou six jours en vertu de la promesse que + Sa Majesté a donnée. Le roi a dit lui-même que depuis son absence, + tout est en stagnation et en désordre.</p> + +<p>Le roi a voulu que les ministres étrangers l'accompagnassent, + d'après le principe qu'il nous a exprimé hier qu'ils n'étaient + attachés qu'à sa personne. Il n'en est pas moins vrai que de temps + en temps nous nous sentons ici un peu déplacés et nous le serions + bien davantage s'il s'agissait d'entrer en Bohème. Quant à moi je + n'ai d'autre volonté que de connaître mon devoir et vos ordres. + Jusque-là mon devoir est certainement de ne point m'éloigner du + frère de l'empereur; et s'il s'agissait réellement de s'avancer en + Bohême, le mot que le roi lui-même m'a dit sur la position à prendre + à Erfurt suffirait peut-être pour me faire écouter. Un jour, nous + avions été abandonnés au milieu des bagages. Nous fîmes au comte de + Furstenstein des représentations concernant notre considération et + notre sûreté: elles ont été écoutées et nos trois voitures suivront + désormais immédiatement celle du roi.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> Cependant l'expédition d'Am-Ende et du duc de Brunswick se +rattachait à une autre opération sur la Bavière et sur la Bohême. Le +général autrichien Radiwowitz avec 10,000 hommes, occupant Bayreuth +le 10 juillet, coupa la route de Ratisbonne au Danube, tandis +qu'Am-Ende entrait à Dresde.</p> + +<p>L'empereur, à cette nouvelle, envoya le duc de Valmy à Strasbourg, +et le remplaça à la tête de son corps d'armée, qui devint <i>réserve +de l'armée d Allemagne</i>, par Junot, qu'il destina à opérer de +conserve avec le roi Jérôme.</p> + +<p>Le duc d'Abrantès eut ordre de rétablir la route de Ratisbonne, puis +de pénétrer en Bohême avec son corps et le 10<sup>e</sup>. Arrivé le 27 juin à +la tête de ses troupes, il porta la division Rivaud sur Nuremberg, +dont elle chassa les Autrichiens et les força à se replier vers la +Bohême par Bayreuth et Hof.</p> + +<p>Le même jour, 27 juin, Kienmayer avait pris le commandement des deux +corps autrichiens, Am-Ende et Radiwowitz, et les avait portés sur +Hof et sur Bayreuth.</p> + +<p>Pendant ce temps, Junot poussa l'ennemi vers le nord par Nuremberg, +Jérôme le poussa vers le sud sur la même route, mais bientôt le duc +d'Abrantès se trouvant seul en présence des 25,000 hommes de +Kienmayer fut obligé de se replier sur Amberg. Le 10 juillet, +Jérôme, auquel Junot a donné pour lieu de réunion Hof afin d'agir de +concert, ne trouve plus les troupes du duc d'Abrantès, et seul à son +tour, devant les forces imposantes de l'adversaire, il opère sa +retraite par Schleiz sur Leipzig pour couvrir son royaume.</p> + +<p>Jérôme était resté trop ou trop peu de temps à Dresde. En se mettant +immédiatement à la poursuite des Autrichiens d'Am-Ende, ne les +quittant pas, opérant sur le sud et Junot sur le nord, ils prenaient +peut-être l'ennemi entre deux feux. En se maintenant à Dresde, il +obéissait aux ordres de l'empereur, qui attachait avec raison à la +conservation de cette capitale une grande importance.</p> + +<p>Nous allons continuer à donner quelques lettres écrites par Reinhard +pendant les premiers jours de cette campagne.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Freyberg, ce 4 juillet 1809.</p> + +<p>Le roi est parti de Dresde ce matin à huit heures: il est arrivé ici + à deux. Le colonel Thielmann s'est porté en avant de Pirna, le + général Bongars doit se trouver en avant de notre côté, puisque le + roi a appris hier que le duc d'Œls se retirait en grande hâte + vers la Bohême. <span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> À notre arrivée à Freyberg on disait qu'il + n'était qu'à cinq lieues de distance de Marienberg. On assurait à + Dresde qu'il avait reçu trois courriers qui le rappelaient en + Bohême. L'intention du roi ce matin était de passer ici la journée + de demain.</p> + +<p>Le chef de l'état-major m'avait déjà dit qu'avant d'entrer dans ce + pays ennemi, le roi attendrait les ordres de Sa Majesté Impériale. + M. le comte de Furstenstein m'ayant dit ensuite que nous allions à + Freyberg et de là probablement à Altenbourg, je lui ai témoigné mon + extrême satisfaction de ce que cette marche coïncidait si bien avec + les vues de l'empereur que je ne connaissais au reste que par le roi + lui-même; que sans nous éloigner de l'ennemi nous nous approchions + ainsi de la contrée où nous pourrions donner la main au corps du duc + d'Abrantès, et même des frontières westphaliennes. M. de + Furstenstein m'a répondu que Sa Majesté l'empereur ne paraissait pas + supposer que le roi pût disposer d'une aussi grande force; qu'au + reste Sa Majesté n'entrerait point en Bohême avant d'avoir connu les + intentions de son auguste frère. J'ai saisi cette occasion pour + assurer M. de Furstenstein que mon inclination autant que mon devoir + me prescrivait de suivre le roi partout où il irait.</p> + +<p>À Dresde, le roi est allé à l'opéra le jour de son arrivée: le + lendemain on a chanté un <i>Te Deum</i> dans toutes les églises. Pendant + ce temps il y a eu cercle à l'hôtel de Brühl et Sa Majesté s'est + fait présenter les officiers civils et militaires du roi de Saxe. + Hier elle a passé en revue les troupes qui se trouvaient à Dresde. + Le ministre de Saxe en Westphalie a négocié pour le compte du roi un + emprunt de 80,000 francs destinés à là solde des troupes. Il s'est + rendu utile pendant la marche par les moyens d'informations qu'il a + procurés.</p> + +<p>Je n'ai point encore entretenu Votre Excellence des inquiétudes du + ministre de Hollande qui en effet ne paraissent point être sans + fondement. De tous les ministres qui accompagnent le roi, M. de + Huygens seul n'a point encore eu l'honneur de dîner avec Sa Majesté; + mais ce qui l'a surtout affligé c'est qu'un certain article du + journal de l'empire, où la Hollande est représentée comme la source + de tous les bruits faux et malveillants contre la France, a été + réimprimé par ordre du roi dans la gazette de Leipzig<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a><a href="#footnote118" title="Lien vers la note 118"><span class="smaller">[118]</span></a>. Le + lendemain M. de Huygens prit occasion de l'autorisation qu'il avait + reçue de suivre Sa Majesté pour se plaindre de la publication de cet + article qui ferait une peine extrême à son maître. Quoi qu'il en + soit, d'après les informations que j'ai pu obtenir, ce qui <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span> + en ce moment s'est interposé entre les deux frères, c'est un peu + d'humeur qui se dissipera, et il n'est guère probable que les choses + iront jusqu'au rappel de M. de Huygens, comme celui-ci paraît le + craindre. Quant au rappel de M. Munchhausen, il est certain que le + roi de Hollande l'avait demandé: il l'a dit lui-même à ce ministre + qu'il a toujours bien traité et qu'il traite bien même, à son + départ. Ce ne fut qu'à la dernière audience qu'il lui demanda s'il + ne devinait point le motif qui lui avait attiré ce que Sa Majesté + avait cru devoir faire? M. de Munchhausen ayant répondu que cela lui + était impossible, le roi ne s'en est point expliqué davantage.</p> + +<p>Le Conseil privé de Dresde avait envoyé un M. de Manteufel pour + recommander le sort de la Saxe à l'empereur d'Autriche. Cette + démarche, qui pouvait être excusable de la part d'un conseil + municipal, ne l'est point de la part d'un conseil de ministres + d'État. Aussi, à l'audience de dimanche, le roi en a-t-il hautement + exprimé sa surprise et son indignation. Il a dit que si cela était + arrivé dans un autre pays que la Saxe dont le souverain était connu + par sa loyauté et son attachement à la cause commune, les suites + pourraient en être très graves; mais que sûrement le roi de Saxe + serait celui qui se montrerait le plus péniblement affecté de cette + mission déplacée. À côté de l'ordre du jour de Sa Majesté + westphalienne que j'ai transmis à Votre Excellence avec ma dernière + expédition, était affichée partout une proclamation de Sa Majesté + saxonne dont j'ai l'honneur de joindre ici la traduction quoique je + doive supposer que M. de Bourgoing vous l'aura déjà envoyée<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a><a href="#footnote119" title="Lien vers la note 119"><span class="smaller">[119]</span></a>. Le + roi a été plus content de sa réception à Dresde que de celle qu'on + lui avait faite à Leipzig: cette dernière ville en sa qualité de + ville de commerce a son esprit d'égoïsme, sa manufacture de fausses + nouvelles, sa populace oisive et souffrante. À Dresde, d'ailleurs, + la proclamation du roi de Westphalie avait déjà produit un bon + effet. Depuis que la Prusse n'est plus comptée au nombre des + puissances, les Saxons, peu flattés dans tous les temps de partager + leur souverain avec les Polonais, affectent par une sorte + d'opposition de se montrer attachés à l'Autriche; mais le génie de + cette nation polie, spirituelle et énervée, diffère essentiellement + de celui des Autrichiens; aussi n'ai-je nullement partagé + l'inquiétude du roi sur la fidélité des troupes saxonnes. Un homme + de lettres, Adam Muller, un des coryphées de cette école moderne qui + fait dépendre le salut de l'Europe du rétablissement du + catholicisme, connu d'ailleurs à Dresde et en Allemagne par un cours + de lectures publiques où l'on trouve de l'esprit de néologisme et + des paradoxes, avait servi de secrétaire au prince de Lobkowiz. Il a + reçu l'ordre de quitter la Saxe et s'est rendu à Berlin.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> M. le colonel Clary, chargé par le roi d'Espagne de porter + à S. M. westphalienne l'ordre de la Toison d'or, a obtenu la + permission d'accompagner, de suivre le roi dans cette campagne: il a + suivi le quartier-général depuis Sondershausen. Le roi, de son côté, + vient d'instituer une décoration de médailles d'or et d'argent pour + récompenser, parmi les sous-officiers et les soldats de son armée, + le mérite et les services militaires. Une pension de 100 fr. est + attachée à la médaille d'or et une de 50 fr. à la médaille d'argent. + Je n'ai pu prendre copie du décret d'institution qui aura déjà paru, + vu qu'il paraîtra dans le <i>Moniteur westphalien</i>.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Ce 4 au soir.</p> + +<p>Le corps du duc d'Œls tient encore entre Schauberg et Zwickau. + Avec les milices et les uhlans on le croit encore fort de 6 à 7,000 + hommes. Ce partisan a enlevé toutes les armes à feu qu'il a pu + saisir dans cette contrée où la liberté de la chasse fait attacher + du prix à de bons fusils. Le général Bongars est à Leipzig, ce qui + probablement a fait dire ce matin à Dresde que le duc d'Œls était + à Halle. Des avis de la frontière parlent du corps de l'électeur de + Hesse comme devant venir se joindre à celui du duc d'Œls. Il + parait que c'est le corps qui avait pénétré dans Bayreuth et que + l'approche du général Rivaud, qui, le 28, était à Wurtzbourg, aura + forcé de rentrer en Bohème. Le roi s'est informé des routes de la + Bohême, de la Franconie et de la Thuringue: laquelle prendra-t-il?</p> + +<p>M. de Malsbourg, écuyer de S. M. envoyé à Francfort auprès du roi de + Saxe depuis notre entrée à Dresde, et le retour de M. de Courbon + nous fera connaître sans doute la résolution définitive de ce + souverain. M. Bigot, officier d'ordonnance, est parti hier pour le + quartier général impérial, où M. Guériot, parti de Leipzig dix-huit + heures après l'expédition de mon estafette du 26, doit déjà être + arrivé.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Freyberg, ce 5 juillet 1809.</p> + +<p>J'ai reçu la lettre du 22 juin par laquelle Votre Excellence + m'accuse réception de mes lettres n<sup>os</sup> 51 et 52, et me transmet les + ordres que Sa Majesté Impériale a daigné me faire réitérer dans + cette occasion. Je m'efforcerai, Monseigneur, dans ma position + actuelle, de les remplir de mon mieux, quelque indigne que je sois + de rendre compte des opérations militaires. Heureusement le ministre + de Saxe, remplissant les fonctions de chef d'espionnage, est assez + au courant des mouvements dont on fait un grand mystère au + quartier-général à nous autres profanes du corps diplomatique. Le + ministre des affaires étrangères porte l'habit et prend quelquefois + le langage d'officier d'ordonnance; il ne nous appartient plus et + c'est presque de vive force que j'ai été obligé d'emporter + avant-hier un moment de conversation avec lui. Le roi <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> + l'avait chargé en ma présence de me communiquer les bulletins; il ne + l'a pas fait; le chef d'état-major m'avait promis la communication + de ses rapports: je me suis lassé de les demander. Comme au reste + ces informations parviendront à Sa Majesté Impériale par un autre + canal et que Votre Excellence pourra lire les bulletins un peu plus + tard dans le moniteur westphalien, il n'y a point d'inconvénients et + je suis même très éloigné de me plaindre d'une situation qu'il était + facile de prévoir et qui ne me rend responsable que de mes propres + erreurs.</p> + +<p>C'est par le ministre de Saxe que j'ai appris que les troupes + saxonnes détachées à la poursuite du général Kienmayer, qui s'était + retiré au-delà de Peterswalde avec 3,000 hommes environ de troupes + réglées, avait ordre de se rapprocher d'ici et que le général + Bongars était à Leipzig. J'ai pensé que ce pourrait être pour aller + à la rencontre du roi de Saxe; d'autres disent que c'est pour se + procurer plusieurs objets qui manquent à ses cuirassiers; d'autres + qu'une partie de sa cavalerie a eu ordre de se rendre à Cassel. + J'apprends que le général Bongars aussi doit se rapprocher de nous. + La position de Freyberg est plus centrale en effet; cependant + <i>Dresde, où n'est restée aucune troupe, sera de nouveau livrée aux + incursions ennemies</i>.</p> + +<p>Le roi, depuis qu'il est à l'armée, a donné tout son temps à ses + occupations: il a fait presque toute la route à cheval. Le général + Rewbell, chef de l'état-major, et le comte de Bernterode du Coudras, + capitaine de ses gardes, sont habituellement auprès de lui; le comte + de Furstenstein ne quitte point sa personne. Le général + Klosterlerod, les colonels Chabert, de Lepel, Verdun, de Borstel, de + Schlosheim, Zeweinstein, de Laville, Villemereuil, le prince de + Salm, font le service du quartier-général. MM. de Soudressons, l'un + maréchal de la cour, l'autre préfet du palais, M. de Marinville, + secrétaire du cabinet, et deux pages composent le reste de sa suite.</p> + +<p>Aux membres du corps diplomatique, s'est joint depuis hier au soir + le ministre de Prusse, qui, quoique à peine rétabli, s'est mis en + route immédiatement après avoir reçu de Berlin l'ordre de suivre Sa + Majesté.</p> + +<p>Il n'est plus douteux que le corps ennemi a été constamment plus + faible que le nôtre et qu'en y comprenant la Landwehr il n'a jamais + dépassé 10,000 hommes. Une mésintelligence constante a régné entre + les Autrichiens et le corps du duc d'Œls.</p> + +<p>Le général Rewbell se plaint de la jalousie qui règne chez nous, + entre les Saxons, les Hollandais et les Westphaliens. En Saxe, on + prétend que les Autrichiens ont tenu une meilleure discipline que + les nôtres sans exception. Cependant il n'y a point d'excès graves; + les gardes par besoin ont, dit-on, enlevé ou échangé quelques + chevaux. Le <span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> comte de Bernterode a fait couper la queue à + un cheval qu'il se destinait. Le général Rewbell l'a fait rendre.</p> + +<p>Le général d'Albignac a beaucoup perdu de sa réputation. Le général + Gratien avait offert son concours à Dœmitz pour ne laisser + échapper aucun ennemi: l'autre a voulu avoir seul la gloire et + l'ennemi s'est échappé. Le ministre de Hollande m'a assuré que + Gratien avait reçu à Rostock l'ordre de ne point attaquer Schill et + de revenir, mais que c'était cet ordre en poche qu'il avait marché + sur Stralsund. Les généraux hollandais se distinguent par leur tenue + et leur maturité dans une position difficile. Le régiment de Berg + (officiers et soldats) est mal discipliné. Rewbell se plaint du + comte de Bernterode qui, dit-il, ne fait que des bévues. Le général + Allix se plaint du général Rewbell pour avoir laissé son parc + d'artillerie à Dresde sans aucune troupe pour le protéger. Comme + notre marche est devenue un peu incertaine, les soldats commencent à + penser qu'on n'a pas grande envie de se battre.</p> + +<p>Le général Royer a fait enlever de Marbourg le nommé Ermerich et les + autres prisonniers, probablement pour les mettre à l'abri d'un coup + de main de quelque bande insurgée. M. Siméon les a réclamés; + j'apprends qu'ils vont être ramenés à Cassel.</p> + +<p>Pour donner à Votre Excellence une idée de l'esprit de cette ville, + je ne saurais mieux faire que de transcrire quelques passages de la + correspondance de M. Lefebvre.</p> + +<p>Le roi a visité ce matin les bâtiments où se fait la fonte ou + l'amalgame du minerai. J'avais parlé à M. de Furstenstein de M. + Werner comme d'un homme du mérite le plus distingué et comme du + premier minéralogiste de l'Allemagne. Mais un chef des mines qui ne + savait pas le français a conduit Sa Majesté, et le prince de Salm a + servi d'interprète.</p> + +<p>Les généraux hollandais, le général d'Albignac et le colonel + Thielmann se sont réunis ici aujourd'hui; on attend demain le + général Bongars et un régiment hollandais venant de Magdebourg.</p> + +<p>Le roi nous a dit qu'il avait fait écrire au général Kienmayer pour + lui demander si le duc d'Œls était à la solde de l'Autriche: que + dans le cas contraire il ne pourrait le traiter que comme un + aventurier.</p> + +<p>La gazette de Leyde, en imprimant l'article dont j'ai parlé dans mon + numéro précédent, l'accompagne d'une réfutation. M. de Huygens vient + de demander à M. de Furstenstein, comme le seul moyen de rendre + justice et satisfaction à Sa Majesté hollandaise, que la réfutation + aussi soit imprimée dans les gazettes qui sont sous l'influence du + gouvernement westphalien. Ce ministre l'a promis.</p> + +<p>Depuis que je suis au quartier-général j'ai envoyé toute ma + correspondance à Votre Excellence par estafette, mon n<sup>o</sup> 55, le 24 + juin, de Querfurt à Francfort; mon n<sup>o</sup> 56, le 26 à minuit, de + Leipzig à Stuttgard. <span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> Un officier saxon, que le roi avait + retenu et qui est parti de Dresde le 2 juillet au matin pour + Francfort, s'est chargé, sous les auspices de M. de Furstenstein et + sous l'enveloppe de ministre de Westphalie à Francfort, de mon n<sup>o</sup> + 57. Je me propose d'envoyer la présente expédition par estafette, de + Chemnitz, où nous allons demain matin, à Stuttgard: c'est un détour + sans doute, mais je n'ose pas encore m'écarter de la route de + Francfort, dans l'incertitude où je suis sur l'état des affaires en + Franconie.</p> + +<p><i>P.-S.</i></p> +<p class="date">Ce 5 au soir.</p> + +<p>Un courrier du roi, revenant de Cassel, m'apporte à l'instant, de la + part de M. Lefebvre, la dépêche que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'adresser le 26 du mois passé. Je me félicite, + Monseigneur, d'avoir pressenti et prévenu les intentions de S. M. + Impériale. Votre Excellence aura pu se convaincre que je n'ai jamais + été incertain sur le parti que j'avais à prendre, quoique dans un + temps où il n'était point question de s'éloigner des frontières de + la Westphalie et où l'on assurait que l'on n'entrerait point en + Saxe, j'ai cru devoir chercher quelque expédient pour ne rien + préjuger sur les ordres de Sa Majesté l'empereur quels qu'ils + puissent être.</p> + +<p>Je me suis empressé de communiquer à M. le comte de Furstenstein et + les bulletins que M. Lefebvre avait déjà copiés pour les faire + imprimer à Cassel, et le contenu de votre dépêche. J'ai dit à ce + ministre que, quoiqu'il n'y soit question que du langage ostensible + que j'avais à tenir, il en résultait cependant que déjà la marche du + roi répondait parfaitement aux vues de Sa Majesté Impériale, et que + la réponse confidentielle et positive que Sa Majesté allait recevoir + pouvait en quelque sorte être prévue. M. de Furstenstein a paru + incertain s'il convenait que le roi entrât personnellement en + Bohême. Comme il s'agit aujourd'hui de trois corps, l'opération aura + besoin d'être concertée: on ne courra plus le risque de s'aventurer, + et si le roi entre en Bohême, il y paraîtra d'une manière glorieuse + et digne de sa personne. C'est du reste à Chemnitz qu'il faudra + prendre une résolution, et la lettre de Votre Excellence ne pouvait + arriver plus à propos. Le courrier de M. Bourgoing, en remettant + votre paquet à M. Lefebvre, a dit de vive voix qu'on disait à + Francfort que le roi de Saxe en partirait mercredi 6, mais qu'il + n'irait que jusqu'à Leipzig. J'ai informé M. de Furstenstein de ce + oui-dire, mais je n'ai pu deviner ce que signifiait le sourire avec + lequel il l'a reçu. Il signifiait à peu près qu'on n'était pas très + content de Sa Majesté saxonne et qu'on ne croyait pas à son retour.</p> + +<p>Lorsque j'ai annoncé au ministre de Saxe que toutes les + contributions levées par des bandes ou patrouilles autrichiennes + seraient restituées aux dépens des pays héréditaires, il m'a demandé + en riant si les <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> dépenses occasionnées par la présence des + troupes amies retomberaient aussi sur l'Autriche. Il a ajouté aussi + qu'il espérait que je représenterais à Sa Majesté impériale mon + maître combien cette marche était coûteuse pour la Saxe. Il m'a paru + que cette observation lui avait déjà été faite de Francfort, et sa + position en effet est délicate.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Schleiz, ce 12 juillet 1809.</p> + +<p>À peine mes collègues et moi avions-nous fait partir un exprès de + Werdau pour porter à Géra nos paquets, d'où ils ont été expédiés par + une estafette à Francfort, que nous apprîmes par hasard, comme à + l'ordinaire, que le roi allait partir, non pour Géra, mais pour + Reichenbach. Ce départ fut annoncé le 10, à onze heures du matin; il + eut lieu à midi. D'après tout ce que j'ai pu recueillir depuis, le + motif de ce changement subit de détermination était qu'on avait + appris vaguement que le duc d'Abrantès s'était retiré et même qu'il + avait éprouvé un échec. Quoiqu'il se soit passé trois jours depuis + que ce prétendu événement aurait eu lieu, tout ce qui me paraît + constaté, c'est que le duc d'Abrantès ne s'avance point à notre + rencontre, qu'il n'y a point eu de jonction, ni peut-être de + communication directe entre les deux corps. Le roi au reste dit + positivement que le duc d'Abrantès est sous ses ordres; il a même + assuré avant-hier que c'était lui-même qui avait donné à ce général + l'ordre de se retirer pour serrer d'autant plus sûrement l'ennemi + entre les deux corps. Cette manière ingénieuse de justifier + éventuellement la retraite du duc d'Abrantès est un trait de + générosité, et c'est par la même impulsion que le roi a fait son + mouvement en avant<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a><a href="#footnote120" title="Lien vers la note 120"><span class="smaller">[120]</span></a>.</p> + +<p>Lorsqu'on fut arrivé à Reichenbach, on afficha un ordre du jour qui + défendit à toutes les voitures de suivre l'armée, à l'exception de + celles du roi et de celles qui auraient une permission expresse du + chef de l'état-major. Après une conversation avec M. le comte de + Furstenstein dans laquelle ce ministre nous répéta que le roi + verrait toujours avec plaisir que nous le suivissions, rien ne fut + changé à l'égard de l'ordre donné pour les voitures du corps + diplomatique, et le lendemain matin, 11 juillet à quatre heures, on + se mit en marche pour Plauen. Dans la journée d'hier, les ennemis + tenaient encore à Hof; il y eut même une affaire de reconnaissance + avec un détachement du général d'Albignac, contre lequel les ennemis + firent sortir de Hof trois escadrons et deux bataillons d'où l'on + inféra qu'ils y étaient en force. Ce n'est qu'hier au soir ou dans + la nuit passée qu'ils ont évacué cette ville. Cependant au moment de + notre entrée à Plauen, un détachement de sept hussards noirs parut + encore à Œlsnitz à deux lieues de Plauen.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> Aujourd'hui, le roi a voulu partir de Plauen à trois heures + du matin: il n'a pu en sortir qu'après quatre heures, à cause des + bagages et des colonnes qui défilaient. À midi, son quartier-général + s'est trouvé établi à Schleiz. Trois trains d'artillerie, tous les + généraux, tous les corps, excepté les Saxons et le colonel + Thielmann, sont réunis ici. Les Saxons mêmes, qui de Marienberg + devaient se porter à Dresde, ont eu ordre de se rapprocher de nous. + Le général Bongars nous avait joints à Reichenbach.</p> + +<p>Ce matin, la nouvelle était que le général Klenau avec 3,000 hommes + était venu de Bohême joindre le général Kienmayer. Cette nouvelle + par plusieurs raisons paraît apocryphe.</p> + +<p>Nous voici maintenant sur la grande route de Géra et de Hof, ainsi + que sur la route de Iéna. Le roi reviendra-t-il à son premier projet + dont il me parla à Werdau? Ou se portera-t-il de nouveau sur Hof? + C'est ce que nous n'apprendrons peut-être que demain matin.</p> + +<p>Sa Majesté a reçu à Reichenbach les dépêches de Sa Majesté le roi de + Saxe portées par un officier. Ce souverain n'a pas encore jugé à + propos de quitter Francfort; et il est à peu près décidé maintenant + qu'il n'y aura point d'entrevue. On dit que c'est le mouvement que + les Autrichiens avaient fait sur Chemnitz qui l'a fait changer de + résolution. Le roi qui avait constamment tenu S. M. saxonne au + courant de sa marche et des points où l'entrevue pourrait avoir + lieu, paraît avoir reçu cette nouvelle avec un certain déplaisir. Il + a dit à l'officier que peut-être dans deux ou trois jours ses + promenades en Saxe finiraient par l'ennuyer et qu'alors il + retournerait à Cassel. Sa Majesté vient d'expédier pour sa capitale + un courrier chargé, comme on croit, d'y annoncer son arrivée + prochaine.</p> + +<p>Ce matin, avant de partir de Plauen, le roi m'a dit qu'il avait reçu + des nouvelles de S. M. Impériale; que le passage du Danube avait eu + lieu, et que déjà 3,000 Autrichiens avaient été faits prisonniers. + Le capitaine Gueriot, étant parti du quartier-général impérial le 4, + la veille du passage, a appris les nouvelles subséquentes en route + par un officier wurtembergeois.</p> + +<p>Le ministre de Prusse, toujours malade et invité par nous tous à + retourner, a pris à Reichenbach le parti de s'en aller à Géra. Le + ministre de Saxe, tombé malade aussi, est resté à Plauen. Ce matin, + le roi a chargé M. le comte de Furstenstein, en notre présence, + d'annoncer à M. de Schœnbourg qu'il pouvait retourner à Cassel. + Ce ministre ayant dit également au ministre de Hollande que rien + n'empêchait les autres membres du corps diplomatique de partir + aussi, je pense que notre retour pour notre résidence ordinaire ne + sera plus guère différé.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> Weimar, 13 juillet 1809.</p> + +<p>Hier au soir les ministres de Bavière et de Hollande se rendirent au + quartier du roi pour demander à M. de Furstenstein une explication + positive sur les intentions de Sa Majesté concernant notre départ. + Je n'avais pas voulu les accompagner, parce qu'il m'avait paru qu'il + me convenait d'être le dernier à demander cette explication et que + M. de Furstenstein jugerait peut-être convenable de me la donner de + son propre mouvement.</p> + +<p>Mes collègues trouvèrent ce ministre accompagnant Sa Majesté dans + une promenade au jardin, bien mal entretenu, du prince de + Reuss-Schleiz. Il n'y avait qu'un jeu de quilles, le roi y joua avec + gaîté. Dans ce moment arriva le major Sand, annonçant qu'il avait + rencontré l'ennemi en avant de Plauen; que les tirailleurs l'avaient + poursuivi, lui avaient tué six chevau-légers; qu'il estimait de + 10,000 hommes les deux colonnes qu'il avait vu descendre des + hauteurs et qu'à neuf heures du matin l'ennemi était entré à Plauen.</p> + +<p>Le ministre de Wurtemberg vint m'annoncer cette nouvelle; je montai + au château. Bientôt le général Rewbell vint au-devant de moi. «Que + nous sommes heureux, dit-il, d'être sortis de ce mauvais trou de + Plauen! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, lorsque je vis cette + position détestable. Encore dans la marche de ce matin, l'ennemi + avait diverses routes pour nous couper; par l'une, à moitié chemin + entre Plauen et Schleiz, il tombait sur le milieu de notre colonne: + il nous anéantissait par l'autre, à la jonction de la grande route; + à notre route de traverse, il nous devançait ou nous empêchait de + prendre position.» Cela est fort heureux sans doute, mais pourquoi + les cheveux du chef de l'état-major ne se dressent-ils que lorsqu'on + est déjà arrivé dans la position qu'il a dû reconnaître, indiquer et + ordonner?</p> + +<p>Un instant après, le major Borstell nous annonça que l'ordre du roi + était que toutes les voitures sortissent à l'instant de la ville + pour être parquées à un quart de lieue de la ville, et que nous + avions à nous dépêcher. Je répondis qu'avant tout j'avais besoin de + consulter M. le comte de Furstenstein pour savoir si je devais me + séparer de ma voiture; que ne croyant pas pouvoir la laisser en + ville, je pourrais me trouver obligé d'en sortir aussi, et que + jusque-là je priais que l'ordre ne me fût point appliqué.</p> + +<p>M. de Furstenstein parut. Nous l'entourâmes tous; mais je ne crus + devoir parler que pour moi. Je dis à ce moment qu'attendu l'ordre + concernant les voitures, j'étais prêt à envoyer la mienne à + l'instant même à Cassel, sous la conduite d'un domestique éprouvé, + <i>ainsi que tout ce qu'elle renfermait</i>, et à suivre Sa Majesté avec + plaisir, par devoir et par dévouement; seulement que je devais dans + ce cas prier Sa <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> Majesté de me donner les moyens de + l'accompagner (le roi avait promis de me prêter une de ses + calèches). M. de Furstenstein alla sur le champ en parler au roi et + revint immédiatement nous annoncer que, dans les circonstances + actuelles, Sa Majesté trouvait bon que nous retournassions à Cassel. + Je demandai en conséquence qu'il nous fût permis de prendre congé de + Sa Majesté. Nous fûmes admis sans délai: il était dix heures:</p> + +<p>«Eh bien! Messieurs, dit le roi, vous voulez partir?—Votre Majesté, + répondis-je, veut que nous partions.—Oui, dit le roi, vous + m'embarrasseriez.» Il parla ensuite de la situation des choses: «Je + m'attendais, nous dit-il, à être attaqué à deux heures (c'est ce que + nous avait déjà dit le général d'Albignac). J'irai au devant d'eux, + c'est-à-dire je chercherai à les attirer dans la position que j'ai + choisie, où je réponds d'eux, et où je pourrai tenir pendant trois + jours contre 20 et même 30,000 hommes. Il faut espérer que le duc + d'Abrantès les suit: je ne sais ce qu'il fait; il s'endort, je crois + (ce n'est qu'à Iéna que nous avons appris que le duc d'Abrantès + était entré à Bayreuth le 6; il paraît certain qu'aucune + communication directe et suivie n'existe entre le roi et ce + général). S. M. nous parla ensuite de la position de Plauen et du + bonheur de l'avoir quittée, à peu près dans les mêmes termes que le + général Rewbell; Elle nous congédia en nous invitant à partir + promptement. Le roi nous avait proposé de prendre la route de + Saalfeld; je proposai celle de Neustadt, de Kahla et de Iéna. C'est + cette dernière que nous avons prise. Nous sommes partis de Schleiz à + minuit; nous sommes arrivés à Weymar ce soir à deux heures, sans le + moindre accident et surtout sans la moindre inquiétude. En effet, + comme on ne saurait douter que le passage du Danube n'ait eu lieu, + les ennemis qui depuis plusieurs jours pouvaient en connaître le + résultat devaient chercher, dans ce moment de confusion où je les + suppose, à éloigner le corps du roi de leurs frontières; ils ne se + porteront pas en avant de Plauen, mais longeant la Bohême et + cherchant même à gagner Dresde, ils se tiendront sur la défensive. + Le roi, de son côté, avant d'entreprendre quelque chose de décisif, + attendra les nouvelles du Danube.</p> + +<p>Le ministre de Bavière nous a déjà quittés pour se rendre à + Francfort. Les ministres de Wurtemberg et de Hollande sont ici avec + moi. Ce dernier voyageait dans la voiture du ministre de Saxe, où il + laissa tous ses effets. M. de Schœnbourg, avec la fièvre et sans + chevaux, n'ayant pu quitter Plauen, nous sommes inquiets de ce qui + lui sera arrivé.</p> + +<p>Je me propose d'attendre ici un ou deux jours; M. le colonel Clary + aussi doit venir nous joindre: ensuite je continuerai ma route pour + Cassel.</p> + +<p>C'est ainsi, Monseigneur, que s'est terminé pour nous ce voyage + militaire où, je l'avoue, nous nous sentions tous, sans exception, + un peu <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> déplacés et où moi, personnellement, je crains + d'autant plus de l'avoir été que je ne puis espérer d'avoir été + capable de vous transmettre sur les événements de la campagne, et, à + leur défaut, sur les mouvements des troupes, des notions dignes de + fixer l'attention de Sa Majesté Impériale.</p> +</div> + +<p>On comprend qu'en lisant les dépêches de Reinhard, l'empereur ait +trouvé assez mauvais la manière dont le jeune roi menait ses troupes +et exécutait ses ordres, aussi lui écrivit-il de Schœnbrunn, le +17 juillet à six heures du soir:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, le major-général m'a mis sous les yeux votre lettre du 7 + juillet. Je ne puis que vous répéter que les troupes que vous + commandez doivent être toutes réunies à Dresde. Il n'y a à la guerre + ni frère de l'empereur ni roi de Westphalie, mais un général qui + commande un corps.</p> + +<p>Dans les 18,000 hommes dont vous faites le compte, vous ne comprenez + pas la brigade La Roche, qui est d'un millier de dragons. Vous + pouvez y joindre en outre le 22<sup>e</sup> de ligne.</p> + +<p>Pendant la durée de l'armistice, les Saxons peuvent se recruter de + quelques milliers d'hommes et remonter leur cavalerie.</p> + +<p>Vous pouvez attirer à vous tous les Hollandais, de sorte que vous + puissiez vous présenter à l'ouverture des hostilités avec 25,000 + hommes sur les frontières de la Bohême, ce qui obligera l'ennemi à + vous opposer une pareille force, et, comme le théâtre de la guerre + sera nécessairement porté de ce côté, nous serions bientôt en mesure + de nous joindre par notre gauche ou par notre droite.</p> +</div> + +<p>Jérôme, arrivé à Cassel le 19 juillet 1809, écrivit à Napoléon le +20:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire de + Schœnbrunn en date du 14. La retraite du duc d'Abrantès sur le + Danube m'avait forcé de prendre position à Schleitz et de quitter + l'offensive, l'ennemi étant dès lors très supérieur à moi. J'étais + dans cette position lorsque j'appris la nouvelle des grandes + victoires de Votre Majesté et le débarquement des Anglais. Je jugeai + dès lors que je n'avais pas à craindre que le corps autrichien + m'attaquât. Je n'étais pas assez fort pour le poursuivre en Bohême, + ce qui me décida à me porter tout d'un coup sur la Baltique par deux + marches de onze lieues chacune. J'arrivai le 17 à Erfurt; l'ennemi + ne fit pas un seul pas pour me suivre et il ne le pouvait, d'après + la défaite de l'armée autrichienne. Le 18, j'ai appris l'armistice; + cela m'a fait persévérer dans ma marche sur le Hanovre, puisque je + n'avais rien à craindre pour la Saxe pendant six semaines, et que + dans les quinze jours réservés pour la dénonciation de <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> + l'armistice, j'avais le temps de me reporter du Hanovre sur les + frontières de la Bohême. J'ignorais totalement que Votre Majesté pût + tenir à ce que j'occupasse Dresde, et, craignant même qu'elle n'y + désapprouvât mon séjour, je n'y étais resté que le temps nécessaire + pour faire rafraîchir mes troupes. La division hollandaise, qui est + réduite presque à rien (les quatre régiments d'infanterie n'ayant + pas 900 bayonnettes chacun et le régiment de cavalerie n'ayant que + 280 chevaux), est restée à Erfurt pendant que le général Gratien est + occupé à régler l'armistice avec le général autrichien qui est à + Plauen. Je compte faire rejoindre cette division à Hanovre, quand + j'aurai la certitude que les Anglais débarquent en force, ce qui me + paraît bien douteux d'après tous les événements.</p> + +<p>D'après les intentions de Votre Majesté, j'ai donné l'ordre au + régiment de ligne français et aux chevau-légers polonais qui sont + dans les forteresses de l'Oder de rejoindre mon armée à Hanovre; + mais je ferai observer à Votre Majesté que ces villes vont se + trouver presque sans garnison.</p> + +<p>J'augmente mes troupes tant que je puis; mais, je puis l'assurer à + Votre Majesté (et elle peut s'en convaincre par les rapports de + toutes les personnes qui connaissent la situation actuelle de la + Westphalie), ce royaume ne peut aller encore quatre mois tel qu'il + est, comme je l'ai déjà écrit à Votre Majesté que je ne trompe + jamais. Depuis trois mois, la liste civile, les ministres et les + fonctionnaires publics ne sont pas payés et n'ont reçu que de + faibles à-comptes sur leurs traitements, et la solde des troupes + sera suspendue dans deux mois si Votre Majesté ne change pas l'état + du royaume. Cependant, il est impossible d'y mettre plus d'ordre et + d'économie que je ne le fais. Aucun budget n'est atteint, mais les + rentrées réelles sont bien loin des recettes présumées. Enfin la + Westphalie ne peut se soutenir si elle continue à payer le restant + de la contribution de guerre, ce qui fait sortir annuellement 7 + millions de numéraire de la circulation.</p> + +<p>La Westphalie ne peut exister sans la France; mais aussi la + Westphalie peut être d'une très grande utilité au système politique + de Votre Majesté.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté de croire que tout ce que je lui dis là n'est + que la stricte et exacte vérité.</p> +</div> + +<p>Les explications données par le roi Jérôme à Napoléon ne +convainquirent nullement ce dernier et ne le firent pas changer +d'avis, car le 27 juillet 1809, M. de Champagny, alors auprès de +l'empereur à Vienne, écrivit à Reinhard la lettre suivante:</p> + +<p class="lettre">Sa Majesté m'avait chargé de vous faire connaître combien Elle avait + été affligée du résultat de l'expédition du 10<sup>e</sup> corps d'armée en + Saxe et <span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> en Franconie. Elle me charge encore de vous écrire + une seconde fois sur ce sujet. Si des fautes ont été commises, si le + résultat n'a pas été, comme l'empereur l'avait espéré, d'enrichir la + réputation militaire de son auguste frère, l'empereur pense que + c'est moins le tort de Sa Majesté westphalienne, dont la jeunesse ne + peut faire supposer une grande expérience, que celui des personnes à + qui Elle avait accordé sa confiance. L'empereur veut donc que vous + parliez à M. le comte de Furstenstein, à M. le général Rewbell et à + M. le général d'Albignac, et que vous leur fassiez entendre que, + s'ils ne veulent point être l'objet du mécontentement et de la + sévérité de Sa Majesté, ils doivent s'attacher à ce que l'influence + qu'ils exercent ait pour résultat d'amener dans la marche des + affaires, soit militaires, soit civiles, le sérieux et la suite + qu'elles exigent. L'abandon de la Saxe et de Dresde, le retour à + Cassel lorsque l'objet de la campagne n'était pas rempli, le cortège + du corps diplomatique avec une armée où l'empereur ne veut que des + soldats, sont des choses que l'empereur désapprouve. Ce serait un + malheur qui nous affligerait tous que l'empereur remît en d'autres + mains le commandement de ce corps d'armée<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a><a href="#footnote121" title="Lien vers la note 121"><span class="smaller">[121]</span></a>. Que tous les amis du + roi (et qui le connaît lui est sûrement attaché) se réunissent donc + pour prévenir ce malheur et concourent à donner aux affaires et + surtout aux opérations militaires une direction plus ferme. Vous + savez quel prix l'empereur met à la gloire militaire, et tout ce qui + pourrait porter la plus légère atteinte à celle des armes + françaises, plus que toute autre chose affecterait vivement Sa + Majesté.</p> + +<p>Au mécontentement causé à l'empereur par la conduite un peu légère +de son frère, pendant la campagne de Saxe, vint bientôt se joindre +le mécontentement que lui firent éprouver la question financière en +Westphalie et le non acquittement des obligations de ce pays envers +la France. Et cependant!... Un État miné dès l'origine et ne +parvenant à se procurer des ressources pour son existence +journalière qu'à l'aide de subterfuges pouvait-il faire face à des +exigences pareilles à celles qu'imposait Napoléon? N'était-ce pas +demander des choses impossibles à ce pays?... Revenons un instant à +la question de finance.</p> + +<p>Le 21 juillet M. Jollivet écrivait de Cassel:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le mal est empiré depuis que, par une dépêche du 4 avril dernier, + j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence de l'état financier de + ce pays-ci et des dispositions peu courtoises du gouvernement + westphalien <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> relativement aux intérêts de Sa Majesté + Impériale et à ceux de ses donataires.</p> + +<p>Par un ordre particulier du roi, la caisse d'amortissement a cessé + ses paiements envers l'empereur.</p> + +<p>En conséquence, les bons de caisse délivrés en paiement de la dette + reconnue par le traité de Berlin du 22 avril 1808, et montant à + 500,000 fr. par mois, n'ont point été acquittés pour les mois de mai + et de juin derniers.</p> + +<p>Ceux du mois de juillet, dont le dernier est échu hier et que Son + Excellence le ministre du trésor public à Paris vient d'adresser au + sieur Brichard pour en faire le recouvrement, ne le seront pas + davantage: on a été obligé de les protester.</p> + +<p>Il en sera de même du mois d'août et des suivants. En un mot, le + gouvernement ne fait ni ne paraît vouloir faire aucune disposition + pour sortir de cette léthargie.</p> + +<p>Dès le premier refus, je me suis empressé de réclamer auprès de Sa + Majesté le roi de Westphalie. Le roi m'a répondu qu'il avait rendu + compte à Sa Majesté l'empereur de l'impossibilité où il se trouvait + de faire honneur à cette dette, que l'empereur, connaissant sa + situation, avait trouvé bon cet ajournement et qu'il était inutile + que j'insistasse là-dessus.</p> + +<p>De son côté, M. Malchus, directeur de la caisse d'amortissement, + craignant d'être accusé d'avoir mal défendu sa caisse, a donné et + fait agréer sa démission. On lui savait, de plus, très mauvais gré à + la cour d'avoir concouru avec moi à la conclusion du traité de + Berlin.</p> + +<p>Il est remplacé par M. de Malsbourg, auparavant directeur du trésor + public, place dont celui-ci a cru devoir donner sa démission, parce + que, n'y ayant habituellement de fonds que jusqu'à concurrence de la + moitié ou du tiers des sommes nécessaires au service, il a trouvé + moins affligeant de passer à la caisse d'amortissement où il n'y a + plus maintenant à se défendre contre personne, et qui n'est + aujourd'hui qu'une espèce de réservoir où puise le ministre des + finances pour ajourner, s'il est possible, la catastrophe.</p> + +<p>Il faut qu'en ce moment la crise soit bien violente, puisque la + liste civile, qui a le pas sur tous les autres services, est + arriérée d'un mois et demi, et que le roi s'est trouvé obligé, dans + l'expédition qu'il vient de faire en Saxe pour repousser les + Autrichiens, d'emprunter 70,000 fr. d'un banquier saxon.</p> + +<p>Quinze jours ou trois semaines avant l'ouverture de cette campagne, + le roi avait détaché M. le commandant Rewbell pour Bremen et + Hambourg. On ignorait l'objet de cette mission qui a été tenu fort + secret. Mais des lettres de commerce, venues de Hambourg à Cassel et + Francfort, en ont fait connaître le but. Il s'agissait de proposer + aux magistrats <span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> de ces deux villes de recevoir garnison + française ou de s'en exempter à prix d'argent. Ces magistrats ont + refusé, ne voulant obéir qu'à un ordre formel de S. M. l'empereur + que M. Rewbell n'a pu leur montrer.</p> + +<p>Hier matin, Sa Majesté le roi de Westphalie a annoncé qu'il venait + de recevoir l'ordre de Sa Majesté Impériale de former à Hanovre un + camp de 15,000 hommes pour couvrir l'embouchure de l'Elbe et du + Weser et d'envoyer des garnisons à Bremen et à Hambourg.</p> + +<p>Il est assez vraisemblable que, dans la pénurie extrême d'argent où + l'on se trouve ici, M. Rewbell, s'il n'y a pas nécessité urgente d'y + laisser des garnisons, s'empressera de renouer la négociation + manquée il y a six semaines. C'est du moins l'opinion de l'un des + ministres du roi de qui je tiens ces détails et qui m'a ajouté qu'on + espérait en tirer 5 à 6 millions, soit à titre d'emprunt, soit tout + autrement, attendu qu'il ne fallait plus compter sur l'emprunt de + Hollande qui, en effet, a manqué totalement.</p> + +<p>Cette dernière circonstance avait déterminé le ministre des finances + à proposer la suppression de plusieurs monastères de religieuses et + la vente de leurs biens. Elle a été effectuée moyennant 2,200,000 + fr.; mais le banquier Jacobson, qui les a achetés, a retenu sur le + prix une somme de 1,200,000 fr. en reste de 1,500,000 fr. qu'il + avait prêtés au roi et qui ne figurent point dans ma dépêche du 4 + avril dernier, parce que cet emprunt avait été tenu fort secret et + qu'il n'a percé qu'à l'occasion de la vente des monastères dont il + s'agit.</p> + +<p>Ces monastères n'ont donc aidé le trésor royal westphalien que + jusqu'à concurrence d'un million.</p> + +<p>Le ministre des finances vient encore d'en mettre d'autres en vente; + mais personne ne se présente pour les acheter, et, s'il les vend, ce + ne pourra être qu'à très vil prix.</p> + +<p>Tandis que les sources tarissent de toutes parts, le roi ne néglige + point d'augmenter sa liste civile. Par décret du 1<sup>er</sup> juin dernier, + Sa Majesté y a ajouté les biens de l'ordre teutonique, non sans + opposition de plusieurs de ses ministres et de son Conseil d'État; + mais il a fallu céder, parce que (a très bien observé le roi) ce + n'est pas à l'État, mais au prince qu'il a été dans l'intention de + Sa Majesté l'empereur de donner les biens de l'ordre teutonique + supprimé par son décret du 24 avril précédent.</p> + +<p>On présume ici que le revenu des biens de l'ordre teutonique situés + en Westphalie s'élève de 3 à 400,000 fr. par an.</p> + +<p>J'ai fait connaître à Votre Excellence l'espèce de guerre à mort + qu'ont vouée aux domaines impériaux le ministre des finances + westphaliennes et les divers agents sous ses ordres. Sa conduite, à + cet égard, est un véritable dévergondage. Il n'y a pas jusqu'à des + pots de vin, qui autrefois et très abusivement se prélevaient sur + les fermiers lors du renouvellement <span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> des baux à loyer et + des adjudications de dîmes, qu'il ne veuille aujourd'hui faire + revivre au profit du trésor public westphalien, et cela sur les + domaines impériaux, nonobstant le traité de Berlin qui les fait + passer dans la main de Sa Majesté Impériale et dans celle des + donataires qu'Elle a bien voulu en gratifier, francs et quittes de + toutes dettes et charges.</p> + +<p>Ci-inclus la copie de la lettre du directeur impérial à Cassel, du + 20 de ce mois, qui rend compte à son supérieur de cette nouvelle + prétention et des moyens dont le ministre des finances a usé envers + les agents inférieurs pour la faire réussir.</p> + +<p>Je vais tâcher, s'il en est temps encore, de prévenir le mal qui + peut en résulter. Mais j'ai peu d'espérance de détruire ou de + modifier une influence qui s'accroît dans la même proportion que les + besoins du chef de l'État; et je persiste à croire que le remède ne + peut venir que de l'exercice de la toute-puissance de Sa Majesté + Impériale.</p> + +<p>Cette opinion est fondée sur ce que les alentours du roi ont, depuis + plus de six mois, tellement bercé Sa Majesté de l'idée que le + royaume de Westphalie ne pouvait supporter une distraction d'un + revenu de 7 millions en faveur des donataires de l'empereur, que le + roi lui-même a fini par croire que la force des choses amènerait + l'anéantissement de cette disposition du traité de Berlin, d'où + résulte, comme si la chose était déjà arrivée, défaut absolu de + protection, et, de la part du ministre des finances, malveillance + entière aussitôt qu'il s'agit de l'intérêt de Sa Majesté l'empereur + et de ses donataires.</p> + +<p>En conséquence, les domaines impériaux sont impitoyablement frappés + de toutes sortes de réquisitions; les fermiers en réclament la + déduction sur leurs fermages. Déjà quelques tribunaux l'ont + prononcée ainsi.</p> + +<p>Le S<sup>r</sup> Barrois, directeur général de ces domaines, qui a succédé au + S<sup>r</sup> Ginoux, craint la contagion de cet exemple et n'ose aller en + avant. Pendant cette incertitude, le recouvrement est ralenti; le + roi lui-même garde et ne veut pas rendre des domaines de Sa Majesté + Impériale qui sont entrés dans des dotations; les donataires se + plaignent de tous côtés de ne rien recevoir; le directeur général ne + peut faire connaître à chacun d'eux leur vraie situation + relativement au gouvernement westphalien, sans risquer d'en voir + naître un éclat qui pourrait ne pas se trouver dans la politique de + l'empereur.</p> + +<p>En un mot, les choses à cet égard prennent à bas bruit une tournure + si grave que le S<sup>r</sup> Barrois a résolu de se rendre demain à Hanau, + près de Villemanzy, ou pour faire accepter sa démission, ou pour en + obtenir un plan quelconque de conduite qui le mette à l'abri de tout + reproche de négligence.</p> + +<p>Tels sont, Monseigneur, les renseignements qu'il me fallait ajouter + à ceux contenus dans ma dépêche du 4 avril dernier, afin que Votre + <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> Excellence se trouve en mesure, si elle le juge + nécessaire, de les mettre sous les yeux de Sa Majesté Impériale.</p> + +<p><i>P. S.</i> J'oubliais de dire ici que la liste civile recevait en ce + moment un nouvel accroissement par le sequestre des domaines du + prince de Kaunitz-Rittberg, de Vienne, situés au comté de Rittberg + enclavé dans le royaume de Westphalie. Le revenu n'en est point + encore connu.</p> + +<p>J'apprends à l'instant: 1<sup>o</sup> que les monastères achetés par le + banquier Jacobson lui ont été vendus comme produisant un revenu de + 28,000 thalers faisant 108,780 fr., et que dans la quinzaine il les + a loués 34,000 thalers faisant 132,090 fr.;</p> + +<p>2<sup>o</sup> Que ce bon marché le détermine à se mettre sur les rangs pour + acheter les autres biens qui sont à vendre.</p> +</div> + +<p>Après la réception des dépêches du duc de Cadore relatives à la +campagne de Saxe et au mécontentement de l'empereur, M. Reinhard, +assez embarrassé pour jouer le rôle délicat qui lui était imposé, +eut plusieurs conversations avec les personnes faisant l'objet des +lettres de Champagny et répondit au ministre des relations +extérieures de France les deux lettres suivantes, datées de Cassel +les 4 et 8 août 1809:</p> + +<div class="lettre"> +<p>La dépêche chiffrée par laquelle Sa Majesté daigne me faire + connaître, pour mon instruction seule, le jugement qu'Elle a porté + de l'expédition de Sa Majesté westphalienne en Saxe et m'ordonne de + nouveau de l'instruire de tout ce qui est propre à faire apprécier + le gouvernement de la Westphalie auquel Elle prend un si vif + intérêt, me laisse dans la ligne qui m'avait été tracée jusqu'à ce + moment par les instructions de Votre Excellence.</p> + +<p>La seconde dépêche, qui me charge de faire connaître directement à + M. le comte de Furstenstein et à MM. les généraux Rewbell et + d'Albignac le mécontentement de Sa Majesté, me fait sortir de cette + ligne: elle m'impose de nouveaux devoirs et une responsabilité + nouvelle.</p> + +<p>Dès hier et avant-hier je me suis acquitté des ordres qui m'ont été + donnés auprès de M. le comte de Furstenstein et de M. le général + d'Albignac. Le général Rewbell est absent. Dès hier et avant-hier je + me suis occupé des éléments d'un nouveau rapport à soumettre à Votre + Excellence sur l'état actuel de la Westphalie. Mais plus la + circonstance me paraît grave et importante, et plus, Monseigneur, je + sens le besoin de me recueillir afin que le rapport que j'ai à faire + soit digne d'être mis sous les yeux de Sa Majesté impériale, non + seulement par sa scrupuleuse fidélité, mais encore par l'exactitude + de ses aperçus. Les reproches que Sa Majesté impériale adresse aux + personnes désignées ne sont que trop fondés; mais si l'on peut + espérer qu'ils produiront sur <span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> leur conduite personnelle un + effet salutaire, il n'en résulterait peut-être pas encore une + amélioration très sensible dans la marche des affaires générales, + puisque l'influence de ces personnes sur le Roi n'est qu'indirecte, + partielle et intermittente. Comme il s'agit avant tout d'épargner un + chagrin pénible au roi, chagrin qui affligerait profondément et ses + serviteurs (et, comme le dit avec vérité Votre Excellence, tous ceux + qui le connaissent lui sont attachés), je n'ai point hésité, et + d'après votre lettre même, et de l'aveu de M. le comte de + Furstenstein, à en entretenir M. Siméon et M. le général Eblé.</p> + +<p>Toutes ces conversations, Monseigneur, n'ont encore amené aucun + résultat de détermination: elles n'en amèneront peut-être aucun de + fait, puisqu'en dernière analyse, tout dépend de la volonté du Roi + qui est forte et absolue, sans être ferme et constante.</p> + +<p>Dans cet état de choses, quelques jours encore me paraissent + nécessaires pour laisser fermenter et éclaircir les sensations et + les idées; et ce sera dans le courant de la semaine prochaine que + j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence une expédition où, + je l'espère, Votre Excellence trouvera au moins de mon côté la + preuve de l'absolu dévouement avec lequel j'ai à cour de servir Sa + Majesté l'Empereur, mon bienfaiteur et mon maître.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Le 8 août 1809.</p> + +<p>J'ai à vous rendre compte des conversations que j'ai eues d'après + les ordres de Sa Majesté impériale avec M. le général d'Albignac et + M. le comte de Furstenstein. Le premier allait partir pour son + expédition, lorsque j'ai saisi une occasion qui se présentait à + propos pour le faire prier de passer chez moi. Après lui avoir parlé + en termes généraux de la commission dont j'étais chargé, je lui ai + montré la lettre de Votre Excellence. M. d'Albignac en a été + profondément affligé. «Je ne me mêlerai point, a-t-il dit, de ce qui + regarde les autres personnes qui ont aussi encouru le mécontentement + de Sa Majesté impériale. Pour moi, je dirai que je ne suis que + soldat et que je ne sais qu'obéir. D'ailleurs, comment ai-je pu + devenir l'objet des reproches de Sa Majesté l'Empereur, moi qui + pendant toute la campagne n'ai vu le roi que trois ou quatre fois et + pendant autant de quarts d'heure?—Vous avez, ai-je répondu, été + chargé de l'expédition contre Schill, votre nom a paru souvent et + pendant que vous commandiez l'avant-garde, il a paru souvent seul + dans les bulletins de l'expédition en Saxe. Sa Majesté impériale a + dû penser, en conséquence, que vos conseils avaient influé sur la + conduite des affaires.—Des conseils, a dit M. d'Albignac, le roi + n'en reçoit de personne, c'est l'homme le plus absolu que je + connaisse.—Et cependant, ai-je repris, comment se fait-il qu'il y + ait eu tant d'ordres et de contre-ordres dont vous vous plaigniez + vous-même? D'où vient ce système vacillant dont Sa Majesté impériale + se plaint avec <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> tant de raison?» M. d'Albignac a gardé le + silence. «Le roi, ai-je dit, a le coup d'œil vif, prompt et + juste; il le sait, peut-être s'y fie-t-il trop, et de là ce qu'il y + a de prompt et d'absolu dans ses volontés. Peut-être ses idées + manquent-elles quelquefois de liaison. L'objet n'a pas été considéré + sur toutes ses faces; la justesse de son esprit le lui fait + apercevoir, et de là cette versatilité. Avec un esprit comme le sien + il y a de la ressource, et cette versatilité même donne les moyens + d'influer sur ses déterminations.—Oui, quand on y est, ou qu'il + n'est pas trop tard; mais, a-t-il ajouté avec le mouvement d'un + homme pénétré, comment me justifier, lorsque je ne le pourrais qu'en + accusant le Roi? Encore une fois je ne suis que soldat et je ne fais + qu'obéir.—Cela ne vous sauvera pas; encore une fois, le roi est + jeune et vous avez sa confiance.—Le roi a déclaré qu'il ne + reconnaîtrait aucune supériorité: d'ailleurs comment pourrais-je + m'en arroger, moi dont l'avancement trop rapide pour mon mérite ne + me donne aucun droit de prétendre à aucune supériorité ni + d'expérience ni de lumières?—Oui vous étiez tous dans ce cas, et le + sentant vous-même et pouvant prévoir la responsabilité qui pèserait + sur vous, pourquoi n'avez-vous pas engagé Sa Majesté à emmener le + général Eblé?—Je l'ai désiré, demandez au général Eblé ce que je + lui ai dit à ce sujet avant de partir? Que me reste-t-il à présent, + qu'à me faire tuer ou à rentrer dans l'armée de l'empereur comme + simple lieutenant de cavalerie.—Mais pensez donc au roi, vous lui + êtes attaché: nous avons à craindre tous un coup sensible qui + pourrait le frapper.—Monsieur, m'a dit le général d'Albignac, j'en + suis au désespoir, mais je vous le répète, je n'ai point + d'influence; aucun de nous n'en a et n'en aura.»—Il s'est levé en + me serrant la main et les larmes aux yeux pour aller se mettre à la + tête de son détachement.</p> + +<p>Le général d'Albignac, Monseigneur, a la réputation d'un homme franc + et d'un honnête homme. Il s'est souvent prononcé contre des abus et + surtout contre l'excès des dépenses, lors même qu'elles concernaient + son propre département. Il brûlait d'ambition de se faire une + réputation militaire et il est profondément affecté de l'avoir + manqué, autant que je puis me permettre de juger. Je crains que + malgré l'esprit qu'il a, ses moyens ne répondent pas à ses désirs. + Son caractère, d'ailleurs, est d'une véhémence qui souvent avoisine + la brutalité, et lorsque dans sa dernière campagne contre Schill il + s'est trouvé aux prises avec le flegme allemand, ou avec les + formalités des employés civils, son emportement quelquefois n'a plus + connu de bornes: de là des plaintes et des reproches réciproques; et + tandis que le général d'Albignac ne voyait dans les autorités + civiles que des partisans de l'ennemi et des traîtres, celles-ci + trouvaient en lui un despote dont le pays avait à souffrir plus que + de l'ennemi. La jalousie de métier l'avait brouillé avec le général + Gratien: il <span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> s'en est corrigé, et pendant la campagne de + Saxe, je lui ai entendu faire l'éloge de l'expédition de Stralsund; + mais une forte animosité a éclaté entre lui et le général Rewbell. + On s'est querellé même en présence du roi, voilà du moins un choc + d'où pouvait jaillir la lumière, et il semble que le roi qui l'a + souffert souffrirait aussi des conseils.</p> + +<p>Je dis à M. de Furstenstein que j'avais reçu deux dépêches de Votre + Excellence: que dans la première S. M. I. me faisait connaître pour + mon instruction seule qu'elle n'approuvait pas la manière dont avait + été conduite l'expédition en Saxe; que j'aurais renfermé + scrupuleusement en moi-même cette communication, si par la seconde + dépêche je n'avais point été chargé d'une commission pénible: que Sa + Majesté pensait que si des fautes avaient été commises, il fallait + moins les attribuer au roi qu'aux personnes auxquelles il accordait + sa confiance. «Cela, me dit M. de Furstenstein en m'interrompant, ne + peut me concerner en aucune manière: je suis tout à fait étranger + aux affaires militaires.»—«Je demande pardon à Votre Excellence, + les vues de Sa Majesté s'étendent plus loin, et les personnes à qui + je suis chargé de parler sont les généraux d'Albignac et Rewbell, et + M. le comte de Furstenstein.»—«Pour les affaires civiles je ne m'en + mêle pas plus que des affaires militaires, et je me tiens exactement + renfermé dans mes fonctions. D'ailleurs, le roi ne souffre pas qu'on + lui donne des conseils et il chasserait celui qui l'oserait. Je suis + attaché à Sa Majesté, je cherche à la servir fidèlement, mais je + n'ai aucune influence.»—«Sa Majesté suppose avec raison de + l'influence à celui qui est constamment auprès de la personne du roi + et qui vit dans une certaine intimité avec Sa Majesté. L'influence, + d'ailleurs, consiste ou à donner des conseils ou à empêcher l'effet + de ceux qui ne seraient pas bons, à provoquer certaines mesures ou à + s'y opposer.»—«Mais comment peut-on croire que je donne des + conseils perfides, moi qui donnerais ma vie pour le roi?»—«J'ose + dire que personne ne le croit; mais (voyant que je n'avançais point) + je dois vous demander, monsieur le Comte, la permission de vous + montrer, comme j'y suis autorisé, la lettre de M. de Champagny.»</p> + +<p>La lecture de cette lettre fit une forte impression sur M. de + Furstenstein. «Si j'ai eu le malheur, dit-il, de déplaire à Sa + Majesté impériale, il ne me reste qu'à donner ma démission.»—«Non: + il ne suffirait pas de ne s'occuper ici que de soi-même puisqu'il + s'agit de nous réunir tous pour épargner un chagrin au roi, et je + prie Votre Excellence de me seconder comme je la seconderai autant + que cela est en moi.»—«Monsieur Reinhard, ce que vous savez depuis + hier, le roi le sait depuis trois jours; je savais aussi que Sa + Majesté impériale est mécontente de moi, et depuis deux jours j'en + suis malade, mais comment faire? Le roi écrira à l'empereur: il le + priera de lui dire ce qu'il veut qu'il fasse, et il fera tout ce que + Sa Majesté impériale voudra.»—«Cela est très <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> bien: + l'empereur est le frère aîné ou, pour me servir d'une expression de + Sa Majesté elle-même, le père du roi. L'empereur est celui auquel + personne au monde ne peut se comparer, enfin il est le maître. Mais + dès ce moment il existe ici deux hommes qui appartiennent au roi et + qui appartiennent aussi à l'empereur: c'est M. Siméon et M. le + général Eblé. Pourquoi ne se concerterait-on pas avec eux dans une + circonstance aussi importante?» M. de Furstenstein n'est point entré + dans cette idée: du moins il ne lui a pas donné de suite et il m'a + paru que c'était parce que, comme MM. Siméon et Eblé eux-mêmes, il + n'en attendait pas beaucoup de succès. «Pourquoi, continuai-je, le + roi n'a-t-il pas emmené pour l'expédition de Saxe le général + Eblé?»—«Le général Eblé était trop nécessaire ici. D'ailleurs, si + le roi n'a été entouré que de jeunes officiers, ce n'est pas sa + faute, il avait demandé des officiers de mérite à Sa Majesté + impériale<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a><a href="#footnote122" title="Lien vers la note 122"><span class="smaller">[122]</span></a>. On a, m'a dit ensuite M. de Furstenstein, fait + beaucoup de faux rapports à l'empereur. «Par exemple?»—M. de + Furstenstein après un moment d'hésitation: «Par exemple on a mandé + que le roi avait écrit une lettre inconvenante au général Kienmayer + (mais vous n'y étiez plus alors), tandis que le roi n'a point écrit, + mais qu'il a seulement envoyé un officier avec un message verbal; + (après un moment d'hésitation encore) on a aussi mandé que le roi + amenait avec lui six voitures attelées de six ou huit + chevaux.»—«Moi je n'ai parlé que des voitures du corps + diplomatique, et j'ai dit que nous en avions trois.»—«Le roi, + Monseigneur, n'avait que deux calèches, l'une pour lui et l'autre + pour ses valets de chambre. Les fourgons appartenant à la bouche, + etc. pouvaient être au nombre de quatre, mais indépendamment de + cela, le train était hors de proportion avec le corps d'armée. En + Saxe, il fallait 1,800 chevaux de réquisition: celle qui parvint à + Gotha, pendant que nous y étions, était encore de 1,300. Les + Hollandais surtout avaient un train énorme.»</p> + +<p>Ma conversation avec M. de Furstenstein s'est prolongée pendant près + d'une heure. Sans égard pour les chevaux attelés, je me sentais + pressé d'obtenir quelque chose, et qui nous aurait vus aurait dit + que c'était moi qui recevais les reproches. Le ton de M. de + Furstenstein devenait quelquefois confidentiel, mais sans abandon, + et surtout il n'est entré dans aucun détail d'explication ni de + justification. Le général d'Albignac avait été surpris à + l'improviste: il n'avait pris conseil que de ses sentiments. M. de + Furstenstein s'était préparé: il avait pris conseil d'autrui.</p> +</div> + +<p>Suit dans la lettre de Reinhard le portrait du comte de Furstenstein +inséré au liv. XIII (4<sup>e</sup> volume) des Mémoires de Jérôme.</p> + +<div class="lettre"> +<p><span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> Pour ce qui concerne le général Rewbell, Monseigneur, je ne + l'ai guère vu qu'à la cour, et, pendant la campagne de Saxe, on + disait ici généralement qu'il s'était distingué en Silésie. Pendant + tout l'hiver dernier il avait été écarté, lorsque le comte de + Bernterode avait la faveur: quand elle lui est revenue, il n'a + montré que de la morgue et de la fatuité. Il faut voir les hommes en + position pour les juger.</p> + +<p>Je venais, Monseigneur, d'achever ce paragraphe, lorsqu'on est venu + me dire, encore sous grand secret, que le général Rewbell avait + écrit au roi pour demander une indemnité pour sa troupe, à laquelle + il avait promis, lui Rewbell, le pillage de la ville de Brunswick. + La ville de Brunswick, Monseigneur, où se tient en ce moment une + foire célèbre depuis plusieurs siècles et qu'un usage sacré met plus + éminemment en ce moment sous la protection du droit des gens, la + ville de Brunswick, seconde ville du royaume, seconde résidence du + roi, s'était conduite avec une sagesse admirable pendant les + derniers événements. Dans une population de 30,000 hommes, aucun + habitant n'avait manqué à son devoir; la populace même n'avait pas + commis le moindre désordre. Le duc d'Œls avait respecté les lieux + où avait vécu son père il n'avait rien exigé, il n'avait compromis + personne. Après son départ les proclamations qu'il avait fait + afficher furent arrachées sur-le-champ; et le général Rewbell avait + promis le pillage de cette ville aux troupes westphaliennes!</p> + +<p>Il faut rendre justice au roi: il a été profondément affecté de + cette inconcevable démence. Le conseil des ministres s'est occupé + hier de la rédaction d'un décret qui destitue le général Rewbell et + le déclare incapable à jamais de servir Sa Majesté. Le général + Bongars a été envoyé pour prendre le commandement de sa troupe. Le + décret n'a point encore été signé: il sera probablement adouci si le + général Rewbell dans l'intervalle est encore parvenu à bien mériter + contre le duc d'Œls. M. Siméon voulait qu'on se bornât à la + destitution. Les autres ministres ont insisté pour la sévérité + entière, et je jurerais, Monseigneur, que dans leur âme ils n'ont + été guidés que par l'horreur que leur inspirait son action.</p> + +<p>Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de mes conversations + avec M. Siméon et avec M. le général Eblé. Ces deux ministres + confirment ce que m'ont assuré les deux premiers interlocuteurs, que + personne n'exerce une influence directe et soutenue sur l'esprit du + roi; que ses volontés changent souvent, mais qu'elles sont toujours + absolues. Malheureusement, il n'y a point là de contradiction, même + apparente. Tout s'explique par l'idée exagérée que le roi se fait de + la puissance souveraine, par le désir de régner seul, par son âge et + par ses habitudes. Avec un jeune prince comme lui, personne n'a + d'influence, et tout le monde en a. Croyant toujours agir d'après + lui-même, il n'agit <span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> que d'après des inspirations prises au + hasard, et comme la plupart de ses résolutions sont plutôt dictées + par un aperçu prompt et rapide que par l'étude et la réflexion, la + justesse même de son esprit le rend vacillant, lorsqu'à une idée qui + lui paraissait bonne il en trouve à substituer une qui lui paraît + meilleure. En vain les bien intentionnés voudraient-ils se + concerter, le roi se défie des concerts: la malveillance s'en + prévaudrait, ce serait le moyen de tout perdre. Avoir des volontés, + c'est à ses yeux avoir du caractère, tandis que trop souvent c'est + en manquer. «L'empereur aime que l'on ait du caractère», voilà son + refrain lorsqu'on lui représente les conséquences d'une certaine + manière de penser et d'agir qui semblerait blesser ses rapports + personnels avec son auguste frère; tant il est vrai que lors même + qu'un esprit mal entendu d'indépendance ou d'opposition semble + diriger sa conduite, le roi ne s'y livre que dans la persuasion + d'être d'accord avec la pensée secrète de l'empereur.</p> + +<p>Pour moi, dans toutes les occasions soit publiques, soit + particulières, où j'ai l'honneur d'approcher Sa Majesté, je n'ai + reconnu que des preuves d'une vénération profonde dont le roi est + pénétré pour Sa Majesté impériale. Jamais je n'ai aperçu en lui un + mouvement qui ne fût dicté par le respect, ou par la confiance, ou + par l'orgueil de lui appartenir. Je me suis convaincu que tout ce + qui paraîtrait contraire à ces sentiments intimes ne vient que d'une + erreur de l'esprit et que cette erreur s'est déjà affaiblie. + J'oserais dire que les fautes commises dans l'expédition de Saxe ont + été prévues et en quelque sorte expiées par l'aveu qu'il m'a fait à + Leipzig, que, si au lieu de vingt-quatre ans il en avait eu trente, + il ne l'aurait pas entreprise.</p> + +<p>C'est à cette pensée, c'est à cette conviction que l'expérience + s'acquiert et ne s'anticipe point que, comme Sa Majesté impériale + l'a déjà fait avec tant de sagesse dans la lettre que Votre + Excellence m'a écrite, il convient de le ramener. Le roi prend trop + la mesure de sa supériorité sur ceux qui l'entourent habituellement. + Il lui en coûte de reconnaître celle de l'âge, de l'expérience et + des études, et parce que souvent son résumé vaut mieux qu'un long + rapport, qu'une longue discussion, parce que les qualités éminentes + qu'un roi possède sont bientôt représentées par la flatterie comme + les seules qu'un roi doive posséder, Sa Majesté méconnaît la + longueur du chemin et la grandeur des efforts qu'il lui restait à + faire pour arriver à la perfection. Elle m'a dit deux fois en + voyage: «Depuis que je ne suis plus à Cassel, tout y va mal: la tête + y manque». Elle l'a dit sans amour-propre, parce qu'elle le croyait + et parce que dans un certain sens elle avait raison. Les + circonstances pénibles où elle s'est trouvée et où elle se trouvera + encore pourront devenir une source de biens. La sagesse de Sa + Majesté impériale saura y puiser le remède de l'avenir.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> La gloire militaire intéresse directement et éminemment Sa + Majesté impériale. Une autre crise se prépare pour ce royaume par + l'état des finances auquel Sa Majesté impériale est aussi + directement intéressée. Si la paix qui paraît prochaine doit donner + le repos aux peuples d'Allemagne, si elle doit consolider la + Confédération du Rhin, ce bienfait encore ne peut émaner que des + mains de Sa Majesté l'empereur. Tout ce que je me permettrai + d'ajouter, Monseigneur, c'est que je suis convaincu de la nécessité + de venir au secours des intentions et des mesures du roi et qu'aucun + des sujets de Sa Majesté impériale qui sont ici ne saurait remplir + dans toute son étendue et sous tous les rapports de convenance une + si haute mission.</p> + +<p><i>P. S.</i>—Votre Excellence trouvera dans le moniteur westphalien du 8 + une lettre du ministre de l'intérieur au préfet de Brunswick: elle + fait allusion au décret de destitution du général Rewbell; mais ce + décret n'est point encore imprimé. Il avait été envoyé à + l'imprimerie, composé et traduit: M. de Bercagny ayant attendu + jusqu'à minuit l'ordre positif d'insertion ne voulut pas passer + outre. Le considérant est très fort et presque infamant contre cet + officier; le dispositif a été restreint à la destitution. On dit + qu'hier il est arrivé à Minden à quatre lieues de Cassel, et que de + là il a écrit à Sa Majesté.</p> + +<p>Le général Bongars écrit que les troupes dont il venait de prendre + le commandement se livrent à des excès et au pillage dans le pays de + Hanovre, et que les habitants en sont exaspérés. Le duc d'Œls + doit avoir passé Nienbourg. Le général Gratien a reçu un courrier du + roi de Hollande: on croit que son corps a été rappelé à cause du + débarquement des Anglais.</p> +</div> + +<p>Nous avons dit que le 27 juin le duc de Brunswick s'était séparé de +ses alliés et avait pris la route de la Westphalie. Lorsque +l'armistice de Znaïm fut conclu, le gouvernement autrichien lui fit +dire de cesser les hostilités. Il refusa, ne se regardant pas comme +engagé par les mesures du cabinet de Vienne, et résolu à tenir seul +la campagne. Le roi Jérôme mit à ses trousses le général Rewbell. Le +duc se dirigea de Plauen sur Zwickau, espérant faire soulever les +anciens États et au pis aller donner la main aux Anglais. Le 22 +juillet il se mit en marche de Zwickau sur Leipzig, adressa une +allocution aux officiers d'abord, aux soldats ensuite de sa légion, +pour leur faire savoir qu'il était décidé à persévérer dans son +entreprise, les laissant libres de déposer les armes s'ils le +voulaient. Un petit nombre se retira, mais il lui resta une troupe +dévouée et résolue de près de 3,000 combattants, dont 700 cavaliers +avec quelques bouches à feu.</p> + +<p>Le 25 juillet, il parut devant Leipzig sans avoir été inquiété. +<span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> Le 26, il poursuivit sa route sur Brunswick par Halle et +Halberstadt.</p> + +<p>Cette marche était audacieuse et pleine de danger. En effet, la +division hollandaise Gratien était à Erfurth, à vingt lieues sur sa +gauche; les Saxons de Thielmann à Dresde; au nord, la garnison de +Magdebourg; enfin, la division Rewbell de Westphalie, ancienne +d'Albignac, forte de 6,000 hommes, était entre Brême et Celle, dans +le Hanovre, prête à se porter aux bouches du Weser ou de l'Elbe, sur +la route même que le duc devait tenir pour gagner la mer. En +apprenant la marche en avant de la légion noire, Thielmann partit de +Dresde, Gratien partit d'Erfurth, tous deux se réunirent en arrière +de Leipzig. Rewbell, sur l'ordre de Jérôme, se concentra à Celle et +s'avança sur Brunswick. Le 29 juillet, le duc s'approcha +d'Halberstadt. Le 5<sup>e</sup> de ligne westphalien aux ordres du colonel +comte de Willingerode (Meyronnet, grand maréchal du palais de Jérôme +et un de ses favoris, envoyé de Magdebourg à Hambourg), venait +d'arriver à Halberstadt. Surpris par le duc d'Œls qui enfonça les +portes de la ville à coups de canon, le régiment, après une +résistance honorable de trois heures, fut fait prisonnier ainsi que +son colonel blessé pendant l'action. Les officiers furent remis aux +mains des Anglais, les soldats renvoyés, à l'exception de 300 qui +grossirent les rangs de la légion. À la suite de ce succès, +Brunswick hâta sa marche sur la capitale de ses anciens États. Il +adressa deux proclamations aux habitants, mais sans effet. À son +approche les autorités avaient quitté la ville. Le 1<sup>er</sup> août, +Gratien et Thielmann ralliés entraient à Halberstadt, et Rewbell +s'avançant par la route de Brunswick atteignait Œlpern. Le duc +marcha résolument à la rencontre de Rewbell, lui tendit habilement +une embuscade, le battit et le força à passer l'Oker. Le malheureux +général westphalien parvint à rallier les débris de sa division aux +forces de Gratien et de Thielmann à Wolfenbuttel (deux lieues de +Brunswick). Le duc ayant à quelques lieues derrière lui les 10,000 +hommes de Gratien, Thielmann et Rewbell, et personne devant lui, se +hâta de gagner de vitesse ses ennemis et d'atteindre les bouches du +Weser. Il parvint avec beaucoup d'habileté à entrer au petit port +d'Elsfleth, sur le Weser, à six lieues de Brême, et à se rembarquer +avec sa légion, après avoir fourni la course la plus audacieuse. Le +14 août il débarqua en Angleterre où il fut accueilli avec la plus +haute distinction.</p> + +<p>Tous les événements qui avaient eu lieu en Westphalie n'étaient pas +de nature à satisfaire Napoléon qui crut devoir enlever à son +<span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> frère le commandement du 10<sup>e</sup> corps. Prévenu par le +major-général et fort attristé de cette décision, Jérôme écrivit de +Napoléonshœhe, le 25 août 1809, à l'empereur:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Sire, le major-général, par sa lettre du 13, me fait connaître + l'ordre de Votre Majesté du 11, qui forme un 8<sup>e</sup> corps aux ordres du + duc d'Abrantès et m'ôte le commandement de la Saxe et des troupes + saxonnes.</p> + +<p>«Votre Majesté a voulu par là m'ôter réellement tout commandement + militaire; car 6,000 recrues westphaliennes et quelques dépôts qui + se trouvent dans la place de Magdebourg, etc... ne sont pas + susceptibles de me mettre à même de faire la guerre activement et + même de défendre Magdebourg que les Prussiens ne manqueraient pas + d'attaquer si les hostilités recommençaient, car ils y ont beaucoup + d'intelligences.</p> + +<p>«Il ne me restera donc que le chagrin de ne pouvoir prendre part à + la guerre si elle a lieu.»</p> +</div> + +<p>L'année 1809 s'écoula assez tristement pour le jeune roi à qui +Napoléon n'écrivait plus et à l'égard duquel il montrait en toute +circonstance une froideur, disons même une raideur souvent peu +justifiée et qui causait un véritable chagrin à Jérôme.</p> + +<p>Le ministre Reinhard continuait, par ses bulletins directs à +l'empereur, par ses lettres au duc de Cadore, à relater tout ce qui +se passait, tout ce qui se disait en Westphalie.</p> + +<p>Le 10 août, il envoya à Paris le bulletin suivant:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Les gazettes ont annoncé que le roi étant à Grimma avait retiré de + l'eau un soldat de sa garde qui se noyait dans la rivière de Mulde. + Voilà ce qui s'est passé. Les gardes du corps traversaient la + rivière tout près du pont pour faire abreuver leurs chevaux. En + revenant, deux ou trois chevaux perdirent terre ou se couchèrent; + les cavaliers tombèrent dans l'eau. Le roi se trouvait à quelque + distance causant avec le ministre de Hollande. Dès l'instant où l'on + entendit des cris, le roi se jeta dans une nacelle avec les + ministres de Hollande et de Bavière. Arrivé sur les lieux, il trouva + les hommes déjà retirés. Toute la cour était accourue; M. de + Furstenstein et quelques autres étaient sur le pont. Le ministre de + Hollande, en homme prudent, quitta la nacelle. Le roi seul avec + celui de Bavière s'obstina à remonter la rivière. M. de Furstenstein + du haut du pont lui cria de ne point s'exposer.—«Ah! voilà, dit le + roi, la diplomatie qui s'en mêle; envoyez-moi une note.»—Après + avoir passé le pont très habilement, le courant poussa la nacelle + contre un pilier où elle resta collée. Enfin, les officiers du roi + de droite et de gauche entrèrent dans la rivière. Le roi sauta hors + du bateau ayant de <span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> l'eau jusqu'aux genoux. Peut-être ce + jeu n'avait-il pas été sans danger; mais le roi, dans ce moment, + était si gai, si bon, si aimable, que l'impression que cette scène + me donna ne me laissa pas penser aux inconvénients qu'elle pouvait + avoir.—À l'époque de son mariage, M. de Furstenstein rompit une + liaison avec M<sup>me</sup> de P. On prétend que dans cette occasion, il fit + l'éloge de sa vertu au roi, ce qui inspira à ce dernier le désir + d'en triompher. Depuis cette époque, toutes les distinctions furent + pour elle. Des négociations, dit-on, furent entamées. Le roi partant + pour la Saxe promit de revenir dans dix jours. Après son retour, on + disait qu'un contrat avait été signé et que ce contrat était un peu + cher, lorsqu'on vit M<sup>me</sup> de P. partir pour Weymar. Elle est revenue + depuis le retour de la reine. Son mari, premier chambellan, avait + reçu, il y a quelques jours, une mission pour Aix-la-Chapelle. Il en + est déjà revenu et l'on peut encore croire à la vertu de M<sup>me</sup> de + P.—La petite maison de la reine est achetée, on en évalue l'achat à + 100,000 thalers et l'on trouve cette dépense un peu forte, parce + qu'il est incertain que la reine y mettra jamais les pieds.—Le roi + étant allé déjeuner dernièrement dans une maison de campagne du + banquier Jordis dit en sortant au jardinier: «Cette maison + m'appartient.» Le marché fut conclu pour 30,000 thalers. Elle en + avait coûté 7,000 à M. Jordis. On estime les améliorations à 5,000. + On a déjà tracé une allée qui y conduit depuis la grande route. + Quoique la distance ne soit pas grande, il faudra encore acheter le + terrain par où passera l'allée.—Une caisse venant de Paris, + contenant pour le roi des bijoux d'une valeur considérable et + adressée à M. Cousin de Marinville, avait été remise à un homme de + la poste allant au quartier général. Sa voiture s'étant rompue, il + remit à un maître de poste la caisse dont il ignorait la valeur. + Celui-ci l'expédia pour Plauen où elle tomba directement aux mains + du général Kienmayer.</p> + +<p>Le roi annonça lui-même le sort du général Rewbell à sa femme. Elle + était à folâtrer avec les dames de la cour, lorsque le roi lui dit: + Betty, j'ai à vous parler. Elle fut atterrée; elle demanda s'il n'y + avait aucune grâce à espérer? Tout ce que je puis vous dire de + consolant, dit le roi, c'est qu'il vaudrait mieux pour vous et pour + lui que votre mari fût mort. Elle fut ramenée à la ville. M<sup>me</sup> + Rewbell est américaine, jolie, naïve, ne sachant contraindre ni + dissimuler aucun de ses mouvements. Quelques jours auparavant elle + avait été désolée d'une petite disgrâce qui lui était attribuée. Le + roi lui ayant retiré ses entrées pendant quelques jours pour avoir, + sans sa permission, passé la nuit en ville où elle était allée pour + voir ses enfants, elle ne put se pardonner les larmes que cet ordre + un peu inhumain lui avait fait verser. Le roi lui a fait conseiller, + dit-on, de se rendre provisoirement à Bernterode, terre du général + Ducoudras.—Le général alla, il y a peu de jours, <span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> annoncer + à M. Siméon que le roi lui avait fait don de la terre de + Bernterode.—«Mais elle est donnée. Le roi veut l'acheter à tout + prix, il veut que vous vous occupiez des formalités du contrat.»—Le + directeur de l'instruction publique, dans sa dernière expédition à + Gœttingue, avait défendu aux étudiants de porter des bonnets + d'une certaine forme et couleur, ainsi que des moustaches, signes de + ralliement des associations (<i>Bundsmannschaften</i>). Depuis cette + époque, les étudiants portent des bonnets de femme et des chapeaux + de paille. Ils envoyent leurs moustaches coupées au pro-recteur. Des + plaisanteries pareilles ont été de tout temps l'effet de pareilles + défenses, mais on dit que près de 400 étudiants des pays étrangers + ont pris l'engagement de quitter Gœttingue à la fin du trimestre + suivant et de se rendre à Heidelberg.—Le spectacle allemand vient + d'être congédié, il sera remplacé par un ballet venant de Paris.</p> +</div> + +<p>Le même jour, 10 août 1809, Reinhard écrivit à Champagny:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai d'autant moins hésité à confier à M. Lefebvre la mission qui va + le conduire auprès de Votre Excellence, qu'outre l'importance des + circonstances qui m'a paru la rendre nécessaire, il m'avait témoigné + le désir de faire ce voyage qu'il croit pouvoir devenir utile à ses + intérêts personnels.</p> + +<p>Je m'en rapporte avec une entière confiance au compte qu'il vous + rendra, Monseigneur, de la situation des choses de ce pays-ci. + L'étude que nous en avons faite nous a été commune et nos aperçus + ont rarement différé. La nécessité indispensable de venir au secours + des affaires éprouve un grand obstacle par le caractère du roi. Les + ménagements à employer sont du ressort de la sagesse et de la + prévoyance; mais la question est de savoir si, malgré tous les + ménagements, ce caractère permettrait le succès d'une mesure + quelconque dont le but ou l'effet serait de restreindre son + autorité.</p> + +<p>J'avoue que je l'ai pensé. Il a reçu la leçon des événements. Des + crises pénibles menacent son royaume: il s'agit de maintenir la + gloire d'une couronne.</p> + +<p>Cependant, l'opinion des personnes qui approchent Sa Majesté de plus + près et plus souvent que moi, la conversation même que vient d'avoir + avec elle M. Lefebvre, prouvent qu'il est difficile de calculer ce + que serait capable de faire ou de sacrifier un roi absolu de + vingt-cinq ans dont les passions seraient irritées ou qui se + croirait blessé dans sa dignité. Sous ce rapport, il est aisé de + pressentir l'effet pénible que pourrait avoir pour nous deux le + voyage de M. Lefebvre, si, je ne dis pas en conséquence, mais à la + suite de ce voyage, il arrivait des événements qui ne seraient point + agréables à Sa Majesté.</p> + +<p>Je ne saurais non plus dissimuler à moi-même ni à Votre Excellence + <span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> que, par les ordres que j'ai eu à exécuter en vertu de + votre dépêche du 27 juillet, ma position a changé et qu'elle est + devenue plus délicate que jamais.</p> + +<p>Je dois peut-être à l'opinion que le roi a de mon intégrité de + n'avoir point déplu et de n'avoir été soupçonné que légèrement. Je + devrai à mon entière soumission aux ordres de l'empereur, à la + maxime qui sera toujours sacrée pour moi, de dire la vérité telle + que je l'aperçois, telle que je la vois, à l'étude constante de + faire mes rapports (<i>sine ira et studio</i>), la continuation de la + protection et de la bienveillance de Sa Majesté impériale.</p> +</div> + +<p>M. Reinhard ayant fait connaître au ministre des relations +extérieures de Westphalie que l'empereur avait été fort mécontent de +ce que la cour diplomatique avait suivi le roi pendant la campagne +de Saxe, le comte de Furstenstein lui écrivit le 10 août 1809:</p> + +<div class="lettre"> +<p>L'empereur n'a point approuvé que MM. les membres du Corps + diplomatique aient suivi le roi en Saxe. Aucune invitation formelle + ne les avait engagés à cette démarche: ils avaient été laissés + libres d'agir d'après les instructions de leurs cours respectives. + Sa Majesté pensait alors que son absence de Cassel serait de très + courte durée et qu'elle ne serait pas obligée de passer de sa + personne les frontières pour chasser l'ennemi de la Saxe, mais les + ministres furent congédiés aussitôt que les opérations militaires + firent sentir que leur présence était déplacée. Je restai auprès du + roi pour recevoir et expédier d'après ses ordres le travail des + ministres qui arrivait journellement de Cassel. Je ne suis point + militaire et je suis absolument étranger à tout ce qui s'est passé + dans cette campagne.</p> + +<p>Les affaires intérieures ont fixé l'attention de S. M. I. et elle + voit avec déplaisir leur affligeante situation. La cause ne peut + m'en être imputée. Ministre secrétaire d'État et des relations + extérieures, je n'ai point d'administration et je n'exerce point de + contrôle sur mes collègues. Je ne conçus jamais l'ambition d'être un + ministre dirigeant, je n'en ai point le talent, et le caractère + connu de S. M. ne permet pas de croire que personne puisse en avoir + l'influence. La crise actuelle ne provient que de causes étrangères + à la manière d'administrer. Elle se trouvé dans les troubles qui ont + agité l'État, la misère qui y règne depuis longtemps et l'extrême + rareté du numéraire. Les charges du royaume sont fortes et le + département de la guerre seul absorbe plus de la moitié des revenus. + Le moment actuel n'admet point un système d'économie dans cette + partie de l'administration, et les dépenses ne peuvent qu'augmenter. + Dans cet état de choses Votre Excellence jugera facilement des + entraves que doit éprouver le gouvernement dans sa marche.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> Cette sorte de justification du comte de Furstenstein +n'était pas exacte sur tous les points. Les ministres étrangers +avaient suivi Jérôme en Saxe pour obéir à la volonté de ce prince et +ne l'avaient quitté qu'à son retour à Cassel. La crise financière +n'était pas la conséquence des troubles intérieurs du royaume, mais +des exigences de l'empereur à l'égard de ce malheureux pays. +Napoléon, d'ailleurs, ne pouvait pardonner à Jérôme quelques +dépenses inutiles, quelques générosités intempestives.</p> + +<p>M. Lefebvre, premier secrétaire d'ambassade, envoyé auprès de +l'empereur, étant arrivé et ayant remis sa dépêche, le duc de Cadore +écrivit, le 21 août 1809, à Reinhard:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. Lefebvre arrivé ici le 18, m'ayant remis vos dépêches du 8 et du + 10 août, n<sup>os</sup> 70 et 71, et vos trois lettres non numérotées du 6 et + du 9, je les ai envoyées le jour même à Sa Majesté l'empereur et + roi.</p> + +<p>Sa Majesté me donne l'agréable commission de vous mander qu'Elle les + a lues avec attention et avec intérêt.</p> + +<p>Elle me charge aussi de vous faire connaître qu'en sa qualité + d'auteur et de garant de la Constitution du royaume de Westphalie, + Elle imputera les violations que cet acte aurait éprouvées aux + ministres dont le devoir non seulement est d'en suivre, mais encore + d'en maintenir religieusement les dispositions, et que, <i>si contre + le vœu de la Constitution la liste civile est accrue</i>, Elle en + rendra responsables les ministres des finances et du trésor public.</p> + +<p>Il convient, Monsieur, que vous tourniez l'attention de ces + ministres sur ce genre de responsabilité auquel ils n'ont peut-être + pas songé; mais vous choisirez pour le faire l'occasion et la forme + qui vous paraîtront propres à remplir cet objet sans alarmer la + susceptibilité du roi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 1<sup>er</sup> septembre 1809.</p> + +<p>M. Lefebvre est revenu à Cassel le 29 au soir, ayant achevé son + voyage en moins de six jours. Il m'a remis les deux dépêches du 21. + Sa Majesté impériale en daignant me faire connaître qu'Elle a lu mes + rapports avec attention et intérêt m'a accordé une récompense dont + je n'ai jamais senti l'inestimable valeur plus profondément que dans + les circonstances actuelles. Je me réserve, Monseigneur, de vous + rendre compte de l'exécution de vos ordres concernant + l'accroissement de la liste civile. Pour aujourd'hui, je me borne à + vous informer d'un objet qui m'a attiré la visite de M. de Bercagny. + «Le roi, m'a-t-il dit, est blessé du décret impérial qui établit une + ligne de douanes françaises au travers <span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> de ses États; il + aurait désiré qu'au moins le ministre de France eût été chargé d'en + donner connaissance. Il a donné ou va donner l'ordre de s'opposer à + l'établissement de cette ligne et sa volonté est dans ce moment + tellement forte que toute représentation serait inutile. Si j'avais + su cela par le roi, a ajouté M. de Bercagny, mon devoir serait de me + taire; mais je l'ai su indirectement, puisque la police doit savoir + tout, je crains qu'il n'en résulte un nouveau sujet de malaise pour + Sa Majesté.» J'ai remercié M. de Bercagny de sa confidence, et j'ai + dit que s'il ne s'agissait que d'une question de forme, je + m'empresserais de demander à 'Votre Excellence l'ordre de faire au + roi la communication officiel du décret impérial; mais que + j'apprendrais avec peine que l'opposition portât sur le fond. + J'apprends au reste que la ligne des douanes est déjà établie.</p> + +<p>J'ai oublié de dire dans mon avant-dernière dépêche que, pendant les + deux jours que j'ai passés à Napoléonshœhe, le roi s'est abstenu + de me parler d'aucun autre objet que de ce qui se rapportait + immédiatement à la solennité du jour, et que je n'ai pas cru qu'il + m'appartînt de prendre l'initiative.</p> + +<p>Il paraît que l'ordre donné par Sa Majesté Hollandaise au général + Gratien de revenir en Hollande avec sa division, le refus de Sa + Majesté le roi de Westphalie d'autoriser formellement le départ de + ce général, et les incertitudes qui en sont résultées dans la marche + de la division, sont devenus un nouveau sujet de discussion entre + ces deux frères. M. Huygens a été chargé de remettre au roi une + lettre de son souverain, qu'on dit écrite avec une sensibilité + voisine de l'amertume.</p> + +<p>M. de Gilsa, ci-devant grand écuyer de l'électeur de Hesse et + continué dans les fonctions du même département sous les ordres du + grand écuyer d'aujourd'hui<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a><a href="#footnote123" title="Lien vers la note 123"><span class="smaller">[123]</span></a>, vient d'être nommé envoyé + extraordinaire de Westphalie auprès de Sa Majesté le roi de + Hollande, aux appointements de 36,000 fr. et sa femme conservant + ceux de dame d'honneur. C'est un homme de bien, père de treize + enfants vivants, et très heureux de sa mission qu'il n'a acceptée + qu'après avoir confessé au roi qu'il allait faire ses premières + armes en diplomatie. On dit que M. Girard, général, est nommé + ministre du roi à Munich, en remplacement de M. Schœll.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, 8 septembre 1809.</p> + +<p>Le roi est parti mardi dernier pour faire un voyage aux mines du + Harz; il s'est fait accompagner par les ministres des finances et de + la <span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> justice. M. le comte de Furstenstein, après avoir + annoncé au corps diplomatique que le voyage ne serait que de cinq ou + six jours, a profité de l'absence de Sa Majesté pour passer quelques + jours dans les terres du comte de Hardenberg, son beau-père.</p> + +<p>Avant-hier, à quatre heures du matin, est arrivé un courrier du roi + portant ordre de faire marcher sur-le-champ à Hanovre les + chevau-légers de la garde et les chasseurs carabiniers. Dans le même + temps s'est répandu dans le public le bruit que les Anglais avaient + fait une descente à Brême. Ce bruit était faux, mais on continue à + parler d'une affaire que le général Bongars aurait eue avec les + Anglais. Le ministre de la guerre ne paraît avoir aucune + connaissance d'un pareil événement et il ignore les motifs de + l'ordre donné pour la marche des troupes. On croit en même temps, et + avec un peu plus de vraisemblance, à un voyage du roi à Hanovre et à + Hambourg.</p> + +<p>Le Harz et ses mines sont un objet très intéressant et pour la + curiosité et pour l'administration. Le travail des mines entretient + une population de 30,000 âmes; cependant le produit en est presque + nul, du moins lorsqu'on porte en compte le prix du bois nécessaire à + leur exploitation. Ce n'est que parce que cette denrée se trouve à + portée et qu'il serait difficile d'en faire un autre emploi que le + produit des mines peut être regardé comme avantageux, même sous le + simple rapport du revenu. Du reste, le nouveau mode d'administration + qui n'est en activité que depuis peu de mois, et les améliorations + qu'il sera possible de faire, suffisent pour faire attendre de ce + voyage des résultats utiles et importants.</p> + +<p>Je suis informé que M. de Bulow a proposé au Conseil des ministres + un projet d'emprunt à faire aux villes de Hambourg et Brème et il + paraît que ce voyage aux mines du Harz est lié à ce projet. Dans le + public on dit qu'il s'agit de les vendre et M. de Bercagny n'est pas + éloigné de croire à cette mesure qui pourrait dépopulariser ses + antagonistes et compromettre leur responsabilité. Selon toute + apparence, il s'agit d'hypothéquer les revenus des mines pour cet + emprunt, qui ne réussira point, à moins d'employer une sorte de + violence. Il y a dans tout ceci quelque chose qu'on me cache, ainsi + qu'au public. On dit même que le comte de Furstenstein s'est opposé + au projet en question, et, d'après toutes ces données, je soupçonne + qu'il s'agit d'une chose qu'on prévoit qui pourrait déplaire à Sa + Majesté impériale.</p> + +<p>Le départ de M. de Bulow m'a empêché de lui parler à fond sur la + liste civile; je devais avoir avec lui un rendez-vous qui aura lieu + après son retour. Mais je me suis déjà entretenu avec M. Siméon qui, + plus d'une fois, m'avait témoigné son regret de ce que la liste + civile dépassait la ligne constitutionnelle.</p> + +<p>M. Pothau a fait imprimer un mémoire en réfutation du rapport du + <span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> ministre des finances sur l'administration des postes. + Celui-ci s'est plaint au roi de ce que son rapport fait par ordre et + dans la supposition qu'il ne serait pas publié a été imprimé par M. + Pothau. Le rapport et la réponse étant en contradiction absolue sur + tous les faits et sur tous les principes, une commission du Conseil + d'État composée de MM. de Martens et de Malsbourg a été nommée pour + vérifier les uns et pour discuter les autres.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">Cassel, le 15 septembre 1809.</p> + +<p>Le roi est revenu de son voyage hier au soir à huit heures. Sa + Majesté quittant le Harz avait passé par Goslar, Brunswick et + Hildesheim et s'était arrêtée pendant trois jours à Hanovre.</p> + +<p>Comme vraisemblablement je ne verrai, avant le départ de cette + lettre, aucune des personnes de la suite de Sa Majesté, je dois m'en + rapporter provisoirement aux paragraphes du moniteur westphalien, ne + connaissant encore que quelques détails du séjour que le roi a fait + à Gœttingen.</p> + +<p>Une fermentation nouvelle avait éclaté parmi les étudiants de cette + université. Le cheval d'un gendarme avait été heurté par celui d'un + étudiant allant au galop et trop mauvais cavalier apparemment pour + pouvoir le retenir. L'étudiant se sentant poursuivi se sauva dans + une maison: le gendarme le pistolet à la main le prit au collet et + le conduisit en prison. Tous les étudiants prirent le parti de leur + camarade, la police prit celui du gendarme; des rapports, des + estafettes furent envoyés à la capitale. Il fut décidé que le + gendarme serait déplacé, mais qu'en même temps il serait avancé en + grade. Le gendarme avant de quitter Gœttingen ne manqua pas de + s'y montrer avec les marques de son nouveau grade; grande rumeur + parmi les étudiants. Des listes furent colportées; 400 jeunes gens + signèrent l'engagement de quitter l'université après l'expiration du + semestre d'études.</p> + +<p>Le roi fit appeler le pro-recteur: il lui parla avec beaucoup de + bonté et de condescendance, et le chargea d'être l'interprète auprès + des étudiants. Il convint que le gendarme avait eu tort; à la + remarque du pro-recteur qu'il avait été avancé en grade, il répondit + que c'était une mesure du gouvernement, étrangère à la question: il + dit que son âge le rapprochait un peu de la jeunesse des étudiants + pour pouvoir se mettre à leur place; qu'il voulait que l'université + de Gœttingen fût la première de l'Allemagne; que ces complots de + départ étaient ridicules, et que quand 200 s'en iraient, il serait + assez puissant pour en attirer 400 autres.</p> + +<p>Les déclarations de Sa Majesté, transmises par le pro-recteur, + avaient <span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> produit le meilleur effet, lorsque les étudiants + apprirent que six d'entre eux venaient d'être relégués. C'étaient + ceux qui avaient colporté les listes de départ; alors les jeunes + têtes se rallumèrent, et l'on dit qu'une centaine d'étudiants + étrangers a déjà quitté l'université pour n'y plus revenir.</p> + +<p>Il paraît que le projet était d'aliéner pour douze ans les mines du + Harz soit à la ville d'Hambourg si l'emprunt réussissait, soit au + banquier Jacobson, et que le roi a voulu attendre à Hanovre le + résultat de la négociation avec Hambourg. Si cela est, la marche des + troupes westphaliennes sur cette ville s'explique assez. Quand de + pareils projets pourraient réussir dans les circonstances actuelles, + ce seraient toujours des palliatifs ruineux, peut-être même + illégitimes, sans le concours des États que le roi voudrait + convoquer, mais auxquels les ministres ne savent que proposer.</p> + +<p>Le général Berner, officier de mérite, est revenu d'Espagne. Le + général Morio, tombé devant Girone malade d'une fièvre putride, et + transporté à Perpignan, est allé se rétablir à Montpellier. Le + ministre de Bavière est revenu de sa campagne dans un état de santé + tellement délabré qu'il reste peu d'espoir de sa guérison. Le + général Rewbell s'est embarqué à Emdem avec sa famille pour + Baltimore. La vente de son mobilier n'a point suffi pour payer ses + dettes. M. de Furstenstein s'est rencontré dans la terre de son + beau-père avec M. de Hardenberg, l'ancien ministre d'État prussien. + Ils n'auront pu se trouver ensemble longtemps: car immédiatement + après le départ du premier, un courrier était venu l'appeler auprès + du roi, à Hanovre.</p> +</div> + +<p>En septembre 1809, le roi et la reine firent un voyage aux mines du +Hartz. Jérôme, de retour, écrivit de Napoléonshœhe à l'empereur +le 20 du même mois:</p> + +<p class="lettre">«Sire, je suis de retour d'un voyage que j'ai fait dans le Harz; + j'ai en même temps visité deux régiments de mes troupes qui sont à + Hanovre. La misère est portée à un tel point dans tout le royaume + (personne ne pouvant être payé) que si Votre Majesté ne vient à son + secours, il ne peut aller encore deux mois; comme j'ai déjà eu + l'honneur de l'annoncer à Votre Majesté, les troupes ne sont plus + entièrement soldées et si je n'avais eu la faculté de les mettre + dans les villes hanséatiques et dans le Hanovre, je serais hors + d'état de les nourrir. Malgré tous les soins que je porte à mon + administration, je crois qu'il est impossible de la soutenir plus + longtemps, et je prie Votre Majesté de me permettre de me retirer en + France. Là, comme ailleurs, je m'efforcerai de lui prouver qu'elle + n'a personne qui lui soit plus entièrement dévoué que moi. Toutes + les mesures que Votre Majesté croira devoir <span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> prendre pour + fixer le sort de mes États, je les approuverai et les seconderai de + tout mon pouvoir.»</p> + +<p>On voit que par son système l'empereur Napoléon I<sup>er</sup> rendait +impossible le règne de ses frères dans les États qu'il leur avait +octroyés. Joseph en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en +Westphalie, sombraient sous la question financière.</p> + +<p>Nous continuons à donner quelques lettres ou extraits de lettres de +Reinhard au duc de Cadore.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, ce 21 septembre 1809.</p> + +<p>J'avais à entretenir M. le ministre des finances du domaine de + Rittberg, et la conversation étant tombée sur d'autres objets, + l'occasion de m'acquitter de l'ordre que Votre Excellence m'avait + donné par sa dépêche du 21 s'est présentée naturellement. M. de + Bulow me parla de la mission de M. de Bocholtz<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a><a href="#footnote124" title="Lien vers la note 124"><span class="smaller">[124]</span></a> dont il prétend + n'avoir eu aucune connaissance: il me parut douter si M. de Bocholtz + serait l'homme propre à donner sur l'état des finances des + renseignements aussi exacts et aussi complets qu'on pouvait le + désirer. Il pensait, et j'étais fort de son avis, que le meilleur + parti à prendre serait de se conduire dans l'hypothèse où la + Westphalie serait réduite à ses propres ressources, et qu'en + dernière analyse tout dépendait de l'esprit de sagesse de son + gouvernement. «D'ailleurs, lui dis-je, avant de se relâcher sur des + engagements que le gouvernement westphalien a contractés envers la + France et qu'il paraît être en ce moment dans l'impossibilité de + remplir, Sa Majesté impériale serait en droit de s'informer des + causes qui ont amené cet état de détresse; et s'il résultait de ces + informations qu'une partie des revenus de l'État a été détournée de + sa véritable destination; que ceux de la liste civile, par exemple, + ont été étendus au-delà des limites légitimes, elle pourrait pour + intervenir faire valoir son titre d'auteur et de garant de la + Constitution.»—«Il me semble, me dit alors M. de Bulow, que vous + avez quelque chose à me dire, et je vous prie de me le faire sans + détour. Auriez-vous à me faire une communication de la nature de + celles que vous avez été chargé de faire à quelques + militaires?»—«Point du tout, lui dis-je, les circonstances ne se + ressemblent point, mais puisque vous le savez déjà, je vous dirai + que je suis prévenu qu'en sa qualité d'auteur et de garant de la + Constitution du royaume de Westphalie, Sa Majesté imputera les + violations que cet acte aurait éprouvées aux ministres, et que cette + disposition pourrait s'appliquer particulièrement aux accroissements + donnés à la liste civile.»—«En faisant serment d'obéissance à mon + souverain, me répondit M. de Bulow, j'ignorais que <span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> j'étais + encore responsable envers un autre souverain; mais cette + responsabilité même, je n'ai point à la craindre, et il est certain + que sous mon administration, il n'est pas sorti du Trésor un seul + denier en augmentation de la liste civile.»—«Cet autre souverain, + repris-je, est l'auteur et le garant de la Constitution en vertu de + laquelle le roi règne et les ministres président à l'administration. + Sa Majesté l'empereur a le droit d'en surveiller le maintien autant + et plus encore que s'il s'agissait de l'exécution d'un traité.» M. + de Bulow entendit cela,—«mais, dit-il, en vertu de mon serment je + suis obligé de ne rien laisser ignorer au roi, et vous me permettrez + de lui donner connaissance de notre conversation.»—«Si vous croyez, + répliquai-je, que le devoir vous y oblige, je ne saurais m'y + opposer. Je vous prie seulement de considérer qu'il est de notre + intérêt commun que cet avertissement, qui en temps et lieu peut + produire un excellent effet, n'en produise pas un mauvais, et que la + susceptibilité du roi soit ménagée. En conséquence la confidence que + j'ai l'honneur de vous faire est livrée à votre sagesse et à votre + discernement.»—«Connaissez-vous le roi, me demanda M. de + Bulow?»—«Je crois le connaître assez, quoique moins bien que + vous.»—«Eh bien! croyez-vous qu'il souffre qu'on lui résiste?»—«Et + quand on résiste la Constitution à la main.»—«Et même la + Constitution en main. Il y avait un temps, m'a dit M. Siméon, où le + roi disait ne vouloir gouverner que par la Constitution, mais il a + changé de langage.» Après ces préliminaires, M. de Bulow entra en + matière. Après m'avoir répété, ce dont je l'assurais, que je ne + doutais pas que le roi n'avait jamais touché du trésor public que + les prorata de cinq millions, à l'exception cependant du mois + d'octobre et du mois de novembre 1807, antérieurs à l'administration + de M. de Bulow, il me fit l'énumération des autres articles qui + composent aujourd'hui la liste civile. La voici:</p> + +<table border="0" cellpadding="2" summary="Liste civile."> +<colgroup> + <col width="5%"> + <col width="70%"> + <col width="20%"> + <col width="5%"> +</colgroup> +<tr> +<td class="top">1<sup>o</sup></td> +<td>Intérêts des capitaux donnés par Sa Majesté l'empereur.</td> +<td class="right">500,000</td> +<td>fr.</td> +</tr> +<tr> +<td class="top">2<sup>o</sup></td> +<td>Domaines de la couronne.</td> +<td class="right">350,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">3<sup>o</sup></td> +<td>Ordre Teutonique.</td> +<td class="right">300,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">4<sup>o</sup></td> +<td>Redevance d'un pour cent des fiefs déclarés allodiaux.</td> +<td class="right">400,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">5<sup>o</sup></td> +<td>Sept domaines repris sur des donataires français.</td> +<td class="right">250,000</td> +<td> </td> +</tr> +<tr> +<td class="top">6<sup>o</sup></td> +<td>Domaines réclamés par le roi pour compléter un million + de revenus en sus de la liste civile.</td> +<td class="right">650,000</td> +<td> </td> +</tr> +</table> + +<p>«Or, dit M. de Bulow, tous ces articles ont constamment été + étrangers à mon administration, et la Constitution ne dit pas que ce + que Sa Majesté tient d'une autre source doive être défalqué des cinq + millions de la liste civile. Quant aux domaines de la couronne, la + dignité du roi exige qu'il y en ait. Le produit de ceux dont Sa + Majesté jouit est peu considérable, et nous nous promettons bien + qu'Elle se désistera de la prétention des 650,000 francs, dont Elle + n'a pas encore joui, et qu'il paraît qu'on a portés en compte + lorsqu'on a fait monter les revenus de <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> la liste civile à + 7,500,000 francs. Les biens de l'Ordre Teutonique et les redevances + pour les fiefs déclarés allodiaux ont été attribués au roi par des + décrets rendus au Conseil d'État, les uns parce que le texte du + décret impérial ne paraissait pas au moins s'opposer à ce que le roi + se les appropriât, et les autres parce que Sa Majesté trouvait juste + d'être indemnisée des avantages dont Elle aurait profité en cas de + mouvance. Les deux décrets ont été rendus contre mon avis, mais je + n'ai pu pousser plus loin mon opposition, parce que ni l'un ni + l'autre objet n'étaient encore entrés dans mes attributions. Quant + aux sept domaines pris sur plusieurs donataires impériaux, j'ignore + s'ils seront remplacés ou restitués soit en nature, soit en argent. + Mais cet article encore n'est point de ma compétence.» Je n'ai rien + à ajouter, Monseigneur, à la justification de M. de Bulow, si ce + n'est qu'il a porté plus bas l'évaluation des articles n<sup>os</sup> 3 et 4, + que je ne l'ai fait dans ma lettre n<sup>o</sup> 71, d'après l'assertion de M. + Siméon. Celle des redevances, en effet, ne peut guère être connue + que par approximation, et il est possible que les biens de l'Ordre + Teutonique, en ce moment où il reste des pensions et des indemnités + à payer, ne rapportent à la liste civile que le revenu net tel que + l'a estimé M. de Bulow. Ce que M. de Bulow m'a dit sur les finances + de l'État est vague et n'ajoute rien aux aperçus que Votre + Excellence connaît déjà. Il se nourrit encore de la gloire de son + excédant de cinq millions de l'année passée. Pour l'année courante + il n'en espère que trente au lieu de trente-huit. Cependant il est + convenu que l'absence des troupes françaises causait au trésor un + grand soulagement, et que l'épargne qui en résultait pouvait + balancer et au-delà les pertes que les incursions ennemies avaient + causées à la Westphalie. Il m'a dit que la contribution personnelle + pour l'an 1808 était rentrée, mais qu'on n'avait pu mettre encore en + recouvrement celle pour l'an 1809. De là vient la détresse pour la + caisse d'amortissement que cette contribution est destinée à + alimenter. Malheureusement les fonctionnaires publics, surtout ceux + du culte et de l'instruction publique, ne sont pas payés davantage + que les créanciers de l'État, et le ministre de la guerre continue à + se plaindre amèrement de ce que ses ordonnances ne sont pas + acquittées.</p> + +<p>Malgré tous ces embarras le ministre des finances, qui a la + réputation d'espérer toujours, persiste à dire que les ressources de + la Westphalie sont assez grandes pour suffire à un état de dépenses + bien ordonné et au paiement des dettes et de leurs intérêts. Ce qui, + plus que tout autre chose, lui paraît être hors de proportion avec + les revenus, c'est l'état militaire. Le projet concernant les + sémestriers a été adopté par le roi; mais comme le décret entier, + qui embrasse plusieurs objets d'administration militaire, présente + un ensemble de dispositions liées entr'elles, il faut en attendre + l'adoption définitive. M. de Bulow a fait imprimer <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> le + compte des recettes et des dépenses de l'année passée. Ce compte, + qui ne renferme que les mouvements du trésor public, ne peut être + contrôlé que par celui du ministère des finances dont le ministre + promet aussi la publication; et ce ne sera que lorsque cette + dernière publication aura paru que mes recherches dirigées par des + données certaines pourront me conduire à un résultat digne d'être + soumis à Votre Excellence.</p> + +<p>M. de Bulow m'a parlé aussi de l'emprunt qui se négocie en ce moment + à Hambourg. Il s'agissait, m'a-t-il dit, de le conclure sur les + mêmes bases que celui qui avait été projeté en Hollande, à + l'exception des sels cependant dont Hambourg n'a pas besoin. Or, ces + sels étaient l'objet principal de la négociation hollandaise. Quoi + qu'il en soit, il est en ce moment question du produit des mines + dont il paraît qu'on propose d'aliéner l'exploitation pour un temps + déterminé. M. de Bulow prétend être étranger à cette affaire qui se + traite aujourd'hui directement par le cabinet et par l'entremise du + banquier Jordis, homme sans fortune, sans crédit et sans + considération. «Je ne connais, ajouta M. de Bulow, que deux manières + de traiter cette affaire: ou bien qu'un banquier connu et estimé se + mette à la tête et donne l'exemple en souscrivant pour une somme + importante, ou bien qu'un agent avoué présente au nom du + gouvernement les sûretés, offre les conditions et traite sous les + auspices de la foi publique,» M. de Bulow ne croit point au succès + de cet emprunt.</p> + +<p>Le public ne sait pas encore bien s'expliquer le dernier voyage du + roi à Hanovre, et je ne suis pas plus instruit à cet égard que le + public. Le passage du duc d'Œls et ses conséquences peuvent y + être entrés pour quelque chose. On parle aussi de quelques + fournitures, de souliers par exemple, faites ou commandées dans + cette occasion. Le général Bongars et le banquier Jordis y sont + venus de Hambourg rendre compte de leur négociation. Dans le public + on s'attendait à une prise de possession. Sa Majesté a été très + satisfaite de la cordialité avec laquelle Elle a été reçue par les + habitants du Harz. À Brunswick on a cru s'apercevoir d'une froideur + qui contrastait avec la joie que les habitants de cette ville + avaient témoignée dans d'autres occasions. Au moment de son arrivée + à Brunswick le roi ordonna au ministre des finances de payer tous + les arrérages. «J'ai prévenu les ordres de Votre Majesté, répondit + M. de Bulow, tout est payé.» En effet, il avait fait arriver + d'avance tout l'argent des caisses des environs.</p> + +<p>Dans la conversation que le roi eut avec M. Lefebvre après son + retour de Vienne, Sa Majesté ne manqua pas de lui reparler de ses + soupçons contre M. Jollivet. Ces soupçons, Monseigneur, je l'avoue, + sont pénibles pour moi, et je prie Votre Excellence de croire que, + même au risque de les attirer sur moi, je désirerais que le roi ne + les ait pas conçus. M. Jollivet remplit parfaitement son devoir dans + l'administration <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> qui lui est confiée, et si notre position + est délicate, nous ne pouvons tous les deux prendre pour règle de + conduite que notre dévouement à S. M. I. Du reste cette matière ne + me paraît point être de nature à me permettre de m'en expliquer + jamais avec M. Jollivet.</p> + +<p>M. de Bercagny doit aller à Mayence au devant de sa femme que le roi + lui a ordonné de faire venir. Il parait que dans ces derniers temps + plusieurs circonstances ont nui à M. de Bercagny dans l'esprit de S. + M., et si cette diminution momentanée de son influence peut + l'engager à faire un retour sur lui-même et à se prescrire des + règles fixes et équitables pour sa conduite, il en résultera un + grand bien. Malheureusement je viens d'apprendre un trait qui m'en + fait désespérer. La haute police prétend savoir d'après plusieurs + indices que feu M. de Müller avait eu connaissance de la + conspiration de Dœrnberg. J'oserais, moi, donner un démenti + formel à cette assertion au nom de M. de Müller dans la tombe, non + seulement à cause de la connaissance que j'avais de son caractère, + mais encore d'après toute sa manière d'être dans les circonstances + d'alors. Quoi qu'il en soit, la haute police ne peut vouloir + fouiller ainsi dans la cendre des morts qu'avec le projet de + déterrer quelqu'accusation contre les vivants; et lorsqu'elle aura + tiré le voile qui couvre encore le mystère, on verra que M. de + Bercagny, et deux ou trois associés qui le valent, sont les seuls + serviteurs vraiment fidèles et nécessaires de Sa Majesté.</p> +</div> + +<p>On a vu que l'empereur avait fait établir en Westphalie (où les +marchandises anglaises commençaient à être introduites) une ligne de +douanes. Jérôme s'était opposé à cette mesure. Reinhard écrivit à +l'empereur le 25 septembre 1809:</p> + +<p class="lettre">«Il est pénible pour moi d'avoir à revenir sur ce qui se passe en + Westphalie, relativement à la nouvelle ligne de douanes dont Elle a + ordonné l'établissement; mais je ne crois pas pouvoir me dispenser + de mettre sous vos yeux, Sire, le nouveau rapport qui m'est fait par + M. Collin, afin que Votre Majesté puisse donner les ordres qu'Elle + jugera convenable sur cet important objet.»</p> + +<p>D'après l'ordre de l'empereur, Cadore écrit à Reinhard, de Vienne, +le 3 octobre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Sa Majesté l'empereur avait ordonné en Westphalie l'établissement + d'une nouvelle ligne de douanes, pour s'opposer avec plus + d'efficacité à l'introduction des marchandises anglaises. Les + brigades de Neukirchen et d'Alfaugen (?) ayant été obligées, le 9 + septembre, de cesser leurs fonctions, il s'est introduit sur leurs + postes, du 9 au 13 inclusivement, plus de trois cents voitures de + marchandises anglaises, escortées pour la plupart par des gendarmes + westphaliens et des paysans armés. J'ai <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> l'honneur de vous + envoyer une copie du rapport qui rend compte de ces faits et qui a + été mis sous les yeux de l'empereur.</p> + +<p>«Sa Majesté vous charge de faire les plus vives instances pour que + le gouvernement de Westphalie cesse de s'opposer à l'établissement + de cette ligne de douanes. Sa Majesté use de son droit de + protecteur, en prenant des mesures pour fermer tout accès au + commerce de l'Angleterre dans les États de la Confédération. Elle a + été étonnée de ce que, dans les moyens qu'elle prenait pour faire la + guerre à l'Angleterre, la Westphalie était le pays où elle éprouvait + des obstacles. Je vous prie, Monsieur, de m'informer du résultat de + vos démarches.»</p> +</div> + +<p>Quelques mois plus tard, Champagny écrivait encore à ce sujet (de +Paris, le 8 février 1810):</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Je viens d'être instruit par Son Excellence le Ministre des + finances qu'un mouvement séditieux a eu lieu en Westphalie contre le + service des douanes impériales. Le 15 novembre dernier, à la suite + d'une saisie faite par les préposés de Cuxhaven, pour contravention + au décret du 29 octobre précédent, de dix-neuf petites embarcations + chargées de sucre, café et autres denrées, les objets saisis + composant le chargement de trente-trois voitures furent conduits à + Bremerlehe, sous l'escorte d'un détachement de cuirassiers + westphaliens. Le convoi arriva en bon ordre, mais l'heure ne permit + pas d'opérer immédiatement le chargement sur bateau pour Brême. On + mit donc provisoirement les marchandises en magasin à Bremerlehe + même, avec d'autant plus de confiance que l'escorte était forte, + qu'il y avait dans la ville une garnison westphalienne et qu'on + pouvait ainsi espérer secours et protection en cas de tentatives + d'enlèvement de la part du peuple, mais cette garnison, cédant à + l'impulsion de la multitude, qui ne tarda point à manifester ses + mauvaises intentions, fut la première à favoriser le pillage et + enleva elle-même des marchandises.</p> + +<p>«Les soldats de l'escorte prirent part aussi à ce pillage au lieu de + s'y opposer, et une patrouille envoyée par le commandant et les + préposés ne put empêcher qu'une partie des marchandises (480 bûches + de bois de teinture, 64 sacs et un tonneau de sucre rafiné, ainsi + que 4 sacs de café) ne fût enlevée.</p> + +<p>«Je vous prierai, monsieur le baron, de vouloir bien porter ces + faits à la connaissance du gouvernement westphalien et de demander + que les auteurs de ce désordre soient recherchés et punis. Vous + voudrez bien me faire part du résultat de vos démarches à cet + égard.»</p> +</div> + +<p>Le ministre des finances du royaume de Westphalie, M. de Bulow, +était, en sa qualité d'allemand, en butte à la haine du parti +français. Reinhard, dans ses lettres et dans ses bulletins, laisse +pressentir sa prochaine disgrâce.</p> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, le 28 septembre 1809.</p> + +<p>«La cour est revenue de Napoléons-Hœhe à Cassel mardi dernier. + Quoique la détermination en ait été prise subitement, elle a été + suffisamment motivée par le temps froid et pluvieux qui ne cessait + de rendre le séjour de Napoléons-Hœhe malsain et désagréable.</p> + +<p>«L'exemple de la France et de la Hollande, où les gardes nationales + ont montré une si noble ardeur à marcher contre un ennemi déjà en + présence, avait inspiré à M. Bercagny l'idée de faire paraître + devant le roi, le jour de sa fête, la garde nationale de Cassel. + Comme elle est composée d'un corps d'arquebusiers en uniformes, et + du reste de la bourgeoisie qui n'en a point, il s'agissait de donner + des uniformes à toute la garde. Une souscription devait être ouverte + en faveur de ceux qui n'avaient pas assez de fortune pour s'en + procurer de leurs propres moyens. On espérait que quatre ou cinq + cents hommes pourraient se présenter en uniforme le jour où le roi + les passerait en revue. Dimanche dernier, M. Bercagny vint + m'entretenir de son projet comme d'une chose qui plairait sûrement à + l'empereur. Il en exposa les avantages avec enthousiasme. Il était + sûr que tous les départements s'empresseraient d'imiter la cour et + la capitale. «J'ai proposé au roi, me dit-il, d'ordonner que toute + la cour prît l'habit de garde national; il est vrai que Sa Majesté + me répondit que cela ne prendrait point, et que ce ne serait qu'un + habit de plus.» Je convins avec M. Bercagny que son idée était + excellente; cependant je l'avertis de n'y point mettre trop de + chaleur, parce que le flegme allemand n'aimait point à être trop + pressé.</p> + +<p>«Le lendemain matin, je vis passer dans la rue et j'entendis des + cris qui me parurent être des <i>vivat</i>; voilà, dis-je, M. Bercagny + qui a donné de bonne heure à boire à sa garde nationale; je me + trompais. La bourgeoisie assemblée par le maire avait refusé de se + mettre en uniforme, et les cris que j'entendais étaient des cris + d'opposition.</p> + +<p>«Il paraît que la crainte vague de prendre un engagement dont on ne + connaissait pas assez ni l'objet ni le terme, et une jalousie déjà + existante entre les arquebusiers et le reste de la garde ont été la + cause de ce refus qui heureusement n'a heurté que les espérances + trop vives de M. Bercagny. Le gouvernement, qui ne s'était pas + encore prononcé, s'est décidé sagement à ne donner pour le moment + aucune suite à cette affaire. Je suis persuadé qu'on pourra la + reprendre avec succès, si l'on y met le temps nécessaire, et + peut-être aussi en la faisant manier par des personnes plus + populaires que M. Bercagny. Le roi ce jour-là vint en ville sans + escorte et sans garde, et cette démarche simple prouva <span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> aux + gens qui étaient déjà tentés de crier à la révolte, qu'il était + étranger à cet incident et qu'il n'y mettait aucune importance.</p> + +<p>«Il paraît que les troupes westphaliennes ont quitté la ville de + Hambourg et qu'elles sont revenues à Hanovre. Le cinquième régiment, + le même qui s'était trouvé à Halberstadt, est revenu de Magdebourg à + Cassel. On dit que le nombre d'hommes sous les armes dont il est + composé n'excède pas encore 800.</p> + +<p>«La négociation du général Bongars et du banquier Jordis paraît + avoir abouti à deux cent mille francs pour accélérer le départ des + troupes. J'ai une lettre d'Hambourg où il est question de dix-sept + cent mille francs, mais je crois qu'il y a un zéro de trop. Quant à + l'emprunt, le sénat de Hambourg propose toujours des conditions + telles que le conseil du roi a dû nécessairement les refuser.</p> + +<p>«M. de Bulow affirme que les recettes vont en ce moment assez bien; + cependant à Brunswick encore, il s'était trop pressé en annonçant + que tout avait été payé. M. de Wolfradt ne manqua pas de montrer au + roi une lettre du préfet qui assurait le contraire. M. de Bulow + répondit qu'il avait fallu quelques jours pour exécuter les ordres + donnés; M. de Wolfradt soutient que c'est encore un mensonge. M. de + Bulow à contre lui un très fort parti composé à peu près de la + totalité des Français et même de plusieurs Allemands. Il est accusé + de fournir au roi tout l'argent qu'il demande pour ses dépenses, ce + qui est faux et absurde; d'augmenter à dessein le désordre et la + détresse des finances, pour amener des troubles et la ruine de + l'État, ce qui est chimérique. On a dit au roi qu'il avait profité + de sa place pour payer ses dettes. Il en avait: elles provenaient de + ses ancêtres, il en a toujours mis l'état sous les yeux de Sa + Majesté, en prouvant que sa fortune réelle les excédait de beaucoup. + On m'assure que depuis qu'il est ministre elles n'ont point été + diminuées. «Je ne tiens point à ma place, me dit dernièrement M. de + Bulow, mais j'y resterai aussi longtemps que le roi voudra me la + conserver, parce que je suis certain que je serais remplacé par un + imbécile ou par un fripon.» On est au reste généralement persuadé + qu'il ne se soutiendra plus longtemps. La tournure que prendra + l'affaire des postes, où la famille de M. de Furstenstein fait cause + commune, peut en décider, car, quoiqu'il soit plus que probable que + M. de Bulow a raison dans le fond, il paraît avoir exagéré quelques + détails. On dit que le roi pense encore de temps en temps à M. + Hainguerlot.</p> + +<p>«Les ordres pour le mouvement des troupes continuent à être donnés à + l'insu de M. le ministre de la guerre. Il en est de même des + nominations militaires, sur lesquelles on dit que le comte de + Bernterode exerce une plus grande influence. On cite la nomination + d'un colonel pour le sixième régiment. C'est un certain Laruelle ne + sachant ni l'allemand ni le français et recommandable seulement pour + avoir le même <span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> bon ton que M. de Bernterode. On craint une + nomination pareille pour le premier régiment. Le comte Bernterode, + ajoute-t-on, veut se faire nommer inspecteur général de l'armée. Le + général Bœrmer est négligé. Les officiers allemands sont dégoûtés + de tant de passe-droits. Il convient de citer mon autorité: c'est le + général d'Albignac. Mais ce que j'ai dit du peu d'influence du + général Eblé, je le tiens de ce ministre lui-même à qui je n'ai pu + m'empêcher de dire qu'un homme de son mérite était assez fort pour + lutter et pour l'emporter. Encore un trait que m'a raconté le + général Eblé. Dans un groupe de courtisans à Napoléons-Hœhe, il + était question de Sa Majesté l'empereur et du roi de Hollande. Et + nous aussi, dit, en se frottant le menton, le comte de Bernterode, + nous nous raccommoderons.</p> + +<p>«L'esprit des départements ne s'est pas encore amélioré. Aucune + dépense n'est payée; les impôts ne rentrent qu'à force d'exécutions + militaires. Voilà le refrain. À Brunswick, on vend le portrait, on + porte les couleurs du duc d'Oels, on y attend les Anglais. On ne les + attendra plus quand la paix sera signée.</p> + +<p>«On a fait des réparations au palais. On allait y bâtir une salle de + spectacle; mais on a trouvé que le local ne s'y prêtait point et + l'on se borne à continuer la construction de celle de + Napoléons-Hœhe. D'un autre côté, on prend quelques mesures + d'économie; la table du maréchal a été restreinte à douze couverts. + Le palais de Brunswick n'est pas encore achevé et il paraît certain + que la cour ne s'y rendra point pendant l'hiver prochain.»</p> +</div> + +<p>Le 12 octobre Reinhard envoie de Cassel la lettre suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Le 3 octobre, l'avant-veille de mon départ, s'est passé à Cassel un + événement dont il est de mon devoir de rendre un compte détaillé à + Votre Excellence. Le ministre des finances était ce jour-là à dîner + avec quelques autres ministres et conseillers d'État chez le grand + veneur, M. le comte d'Hardenberg, revenu le même jour de sa + campagne. Pendant le dîner il reçoit un billet de sa femme; il se + lève de table, disant qu'un événement désagréable arrivé dans son + intérieur l'oblige de se rendre chez lui. On se perd en conjectures, + on envoie pour savoir de ses nouvelles; il fait dire qu'une affaire + survenue avec la police l'empêche de revenir. Voici le fait.</p> + +<p>«Le sieur Schalch, commissaire général de la haute police à Cassel, + avait proposé au valet de chambre de M. de Bulow de lui procurer + l'entrée du cabinet de son maître. Le domestique en informa non M. + de Bulow, mais Madame, qui lui ordonna d'accepter la proposition en + se faisant donner une promesse par écrit. Le sieur Schalch la donna + signée de son nom et scellée du sceau de la haute police. Un nommé + Dumoulin, d'une famille prussienne et commis dans les bureaux de M. + de <span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> Bulow, était chargé d'examiner et d'enlever les + papiers. Le jour où M. de Bulow allait dîner chez M. de Hardenberg + paraît une occasion favorable. Le valet de chambre introduit le + sieur Dumoulin dans le cabinet du ministre et M<sup>me</sup> de Bulow le + surprend assis au bureau de son mari, examinant ses papiers. M. de + Bulow arrive, et, muni du billet du sieur Schalch, se rend + immédiatement chez le roi. Il représente à Sa Majesté que l'attentat + qui vient d'être commis ne concerne point sa personne, mais celle du + roi, que les papiers qui se trouvaient dans le cabinet d'un ministre + d'État ne sont pas les siens, mais ceux du roi; qu'en conséquence il + n'a rien à demander personnellement, et qu'il appartient entièrement + à Sa Majesté de faire justice.</p> + +<p>«Le roi se montre indigné; il donne sur le champ l'ordre de faire + arrêter les sieurs Schalch et Dumoulin. Le premier est mis au + castel; le second s'étant réfugié, dit-on, chez M. Bercagny, est + réclamé par le préfet de Cassel. M. Bercagny répond qu'il ne sait + pas où est ledit Dumoulin, et que d'ailleurs un ordre du préfet ne + suffirait pas pour le faire mettre en prison. L'ordre en conséquence + est expédié par le ministre de la justice; le sieur Dumoulin aussi + est conduit au château. J'appris ces faits le lendemain de M. de + Coninx qui avait assisté au dîner. M. de Bulow me les confirma en + masse; il me répéta ce qu'il avait dit au roi. Du reste il avait + l'air modestement heureux d'un homme qui avait déjoué un complot + dangereux et qui avait été plus fin que ses ennemis.</p> + +<p>«Le même jour, au spectacle, j'entendis M. le général Eblé demander + au ministre de l'intérieur qui n'est nullement ami du ministre des + finances: «Que pensez-vous de l'affaire de M. de Bulow?»—«Je pense, + dit M. de Wolfradt, que M. Schalch n'a pas agi sans l'autorisation + de M. Bercagny, et que M. Bercagny n'a pas agi sans.......» Ici la + phrase fut interrompue. M. Lefebvre, pendant mon absence, ayant + écrit jour par jour tout ce qui s'est passé à la suite de cet + événement, je ne saurais mieux faire, Monseigneur, que de vous + envoyer l'extrait des notes qu'il m'a remises lors de mon retour. + Votre Excellence jugera facilement de la satisfaction que cet + événement a produite, et peut-être, dans aucune circonstance, un + esprit de parti qui ne devrait pas exister ne s'est montré plus + ouvertement et plus mal à propos que dans celle-ci. Le sieur + Dumoulin s'obstinant dans son refus de répondre, le ministre de la + justice avait ordonné de lui mettre les menottes. M. de Wolfradt + vient de me dire qu'aujourd'hui, au lever du roi, plusieurs Français + l'ont interpellé pour savoir si le fait était vrai, et qu'ils en + jettent les hauts cris.</p> + +<p>«Faut-il remonter aux causes de cet attentat? Ma correspondance + antérieure en a dit assez pour me dispenser ici de fatiguer Votre + Excellence par des conjectures; mais je dois citer un fait qui m'a + été rapporté en confidence. Dans une conversation sur la querelle + qui existe entre <span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> M. Pothau et M. de Bulow, quelqu'un + demanda au premier pourquoi il était si difficile d'entamer un homme + ennemi des Français et contre lequel il s'élevait de si fortes + préventions? «Ah! dit M. Pothau, si nous pouvions nous procurer deux + pièces que nous savons être dans son cabinet, nous prouverions bien + qu'il est traître, mais il faudrait une autorisation.»</p> + +<p>«Quoi qu'il en soit, Monseigneur, la doctrine professée par le sieur + Schalch, et dans son interrogatoire et dans une lettre qu'il a + écrite au ministre de la justice, est aussi celle de M. Bercagny, + qui donnait une trop grande latitude à quelques expressions du roi + sur une attribution de surveillance générale contre laquelle tous + les ministres protestent depuis un an, et voudrait même insinuer que + cette doctrine est conforme à l'opinion de Sa Majesté. Si j'avais + réussi, disait M. Bercagny, encore ce matin (je cite M. de + Wolfradt), j'aurais obtenu un grand cordon; j'ai échoué....... Mais + abstraction faite de la moralité de l'entreprise, un directeur de la + haute police doit-il échouer ainsi?</p> + +<p>«Le sieur Schalch est natif de Schaffouse; c'est un homme d'une + réputation tarée; on m'en a raconté un trait qui mériterait non le + cordon, mais la corde. Un autre Suisse avait reçu d'un oncle une + traite qui ne suffisait point à ses besoins; il s'en plaignit. Eh + bien! dit le sieur Schalch, ajoutez un zéro!—Il sera destitué et + banni du royaume.</p> + +<p>«La direction de la haute police va rentrer provisoirement dans les + attributions du ministère de la justice. Les commissaires généraux + de police seront subordonnés aux préfets. M. Bercagny sera préfet de + police à Cassel. Le décret qui crée une direction séparée de la + haute police subsiste. Si la nécessité l'exige, un nouveau directeur + pourra être nommé. M. Siméon m'a dit qu'à présent les plaintes + contre M. Bercagny pleuvaient et qu'il en résultait en toute + hypothèse que c'était un homme qui n'avait exercé son emploi que + dans la vue de se faire une fortune dans deux ans. Le roi est très + prévenu contre M<sup>me</sup> de Bulow; il l'appelle un monstre, pour avoir + joué un rôle insidieux qui dégradait son caractère de femme. Que ce + soit elle ou non, il est certain que ce rôle qu'elle a joué ou + qu'elle s'est laissé attribuer a quelque chose qui répugne à la + délicatesse. Mais sans le flagrant délit, comment obtenir la preuve?</p> + +<p>«J'ai oublié d'informer Votre Excellence que M. B. Huygens, ministre + de Sa Majesté hollandaise, est rappelé et qu'il a été nommé + conseiller d'État. On dit qu'il ne sera remplacé que par un chargé + d'affaires.»</p> +</div> + +<p>Par suite de cette maladresse de la police dans l'affaire Bulow, +Bercagny fut remplacé dans ses fonctions par le général Bongars, +chef de la gendarmerie, le commissaire général Schlach fut expulsé +<span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> du royaume, et une scission eut lieu dans le cabinet. Le +parti allemand représenté par Bülow, plus puissant que jamais, après +Siméon, entra en lutte avec le parti français représenté par le +comte de Fürstenstein et M. de Salha, devenu comte de Hœne et +ministre de la guerre. Mais Bülow par son influence, Siméon par son +talent, étaient autrement forts que MM. Le Camus et de Salha, +ministres assez médiocres.</p> + +<p>Revenant sur l'affaire relative à M. Hainguerlot, Reinhard écrivit +le 17 octobre 1809, de Brême, où il se trouvait, au duc de Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«La dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire sous + la date du 9 a été envoyée à Cassel par estafette par M. Durand. M. + Lefebvre me l'a expédiée par un courrier. J'ai trouvé tous les + cachets intacts. Je dois vous rendre compte, Monseigneur, du fait + qui m'a donné lieu d'écrire le mot concernant M. Hainguerlot. Je + tiens de M. Lefebvre que M. Courbon lui a dit que lorsqu'au mois + dernier le roi l'expédia pour Vienne auprès de Sa Majesté + l'empereur, le roi qui était seul dans son cabinet appela devant lui + M. de Marinville, son secrétaire intime, et lui demanda: «Avez-vous + écrit ce que je vous ai dit au sujet de M. Hainguerlot?» Et que M. + de Marinville lui répondit: «Oui, Sire;» qu'après un moment de + silence, Sa Majesté lui dit: «Non, toute réflexion faite, ne + l'écrivez point.»</p> + +<p>«Cette circonstance m'avait été racontée à l'époque à peu près de la + rédaction de ma dépêche et il paraît en effet que, dans la crise où + était alors la situation de M. de Bulow, le nom de M. Hainguerlot + avait été prononcé, non dans le public, non par des personnes de + l'administration, mais très dans l'intérieur de la cour; et voilà + comment, étant loin d'y attacher toute l'importance que la chose + méritait, j'ai été conduit à écrire la phrase en question. Si j'ai + écrit: <i>on dit</i>, je ne saurais justifier ce mot dans toute son + exactitude, j'aurais dû écrire: <i>il paraît</i>. Comme toutes les + circonstances du fait qui a été raconté par M. de Courbon à M. + Lefebvre ne sont plus présentes à ma mémoire, j'engage ce dernier, + qui ne verra point cette réponse, à vous en rendre compte + directement dans une lettre particulière; et je me borne à lui + écrire, comme je me bornerai à lui dire, qu'une phrase que je vous + avais écrite au sujet de M. H. vous avait engagé à me demander + quelques éclaircissements à ce sujet.</p> + +<p>«Je me permettrai seulement d'ajouter, Monseigneur, que, si dans la + circonstance dont je parle, le souvenir de M. Hainguerlot s'est + présenté dans l'esprit de Sa Majesté, le souvenir d'autres + particularités que j'ignore s'y est présenté aussi et l'a emporté; + que ce fait est antérieur à <span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> la nomination de M. Girard + pour Carlsruhe où M<sup>me</sup> Girard<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a><a href="#footnote125" title="Lien vers la note 125"><span class="smaller">[125]</span></a> s'est rendue quinze jours après + le départ de son mari, et que, si le nom de M. Hainguerlot a été + prononcé après cette époque, il est plus que douteux que le roi en + ait donné la moindre occasion.»</p> +</div> + +<p>Le 18 octobre, M. Reinhard manda de Cassel au duc de Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«L'attention de Sa Majesté a été si souvent appelée sur les finances + de la Westphalie, que ce n'est pas sans un sentiment de répugnance + qu'on se voit obligé de ramener sans cesse sa réflexion sur ce + triste tableau. Des réformes de valets ont eu lieu dans l'intérieur + du palais, mais on ne peut raisonnablement se flatter d'en attendre + une amélioration dans les finances. Quelques réductions partielles + ne forment point un système complet d'économie. Ce qu'une sage + administration doit se prescrire, c'est de ne point charger sa + dépense au delà des forces de son budget. Mais, Monseigneur, + l'économie est une vertu dont le goût viendra tard ici; elle choque + les penchants d'un jeune roi né avec de nobles et généreuses + inclinations qui met la libéralité au premier rang des qualités d'un + souverain, et qui, comme il m'a fait l'honneur de me le dire à + moi-même, n'a d'abord vu dans la royauté que le plaisir de donner. + Toutefois, Sa Majesté impériale peut être sous ce rapport sans + inquiétude. Tous les ministres sont d'accord pour combattre le + penchant du roi à des dépenses peu proportionnées avec les forces de + l'État. Le ministre des finances, éveillé par le dernier et sérieux + avertissement qu'il a reçu, ne souffrira aucune application des + revenus publics à des objets qui ne seraient pas autorisés par la + Constitution. M. de Bulow est un homme franc, plein de ressources, + et peut-être, quoi qu'on en publie, celui de tous les ministres qui + est le mieux à sa place.</p> + +<p>«Le roi, sur la demande de la ville de Brême, a supprimé une foule + de droits aussi injustes qu'onéreux que s'étaient arrogés sur le + commerce les commandants qui avaient été successivement stationnés + dans cette ville. Il a également réduit au-dessous des demandes et + des espérances du sénat les dépenses de table du général qui y + commande; enfin si Sa Majesté s'est vue dans l'obligation d'envoyer + une partie de ses troupes vivre momentanément chez ses voisins, il + est du moins de la justice de déclarer que la conduite de ces + troupes a été partout exempte de reproches.</p> + +<p>«Le chargé d'affaires qui doit remplacer M. le ministre de Hollande + étant arrivé hier, M. le chevalier de Huygens se propose de demander + demain son audience de congé et de quitter Cassel vers le + commencement de l'autre semaine.»</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> Lefebvre, qui remplaçait Reinhard à Cassel pendant le +voyage de ce dernier à Brême, écrivit, le 20 octobre, au duc de +Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«M. Reinhard, en me faisant passer la réponse ci-jointe à la dépêche + que je lui avais transmise à Brême d'après vos ordres, m'écrit qu'il + aurait bien désiré que j'eusse pris sur moi de l'ouvrir et que la + chose principale regardait M. Hainguerlot; que Sa Majesté impériale + a été frappée d'un passage de la correspondance qui le concerne: «On + dit que le roi pense de temps, en temps encore à M. Hainguerlot;» + que Votre Excellence désire quelques éclaircissements sur ce qui a + donné lieu à cette phrase; enfin M. Reinhard me mande qu'il répond à + Votre Excellence, en lui racontant le fait autant qu'il peut se le + rappeler. Mais, comme c'est à moi que la chose a été communiquée + dans le temps, il m'engage à vous en écrire, Monseigneur, dans une + lettre particulière.</p> + +<p>«Voici les faits aussi exacts que je puis me les rappeler moi-même:</p> + +<p>«Je m'entretenais un jour avec M. Siméon (et non avec M. de Courbon, + comme M. Reinhard m'écrit qu'il l'a mandé à Votre Excellence), je + m'entretenais, dis-je, avec M. Siméon des finances de ce pays, du + parti qui devenait tous les jours plus violent contre M. de Bulow et + de la complaisance avec laquelle le roi commençait à écouter les + accusations contre ce ministre; je demandai alors à M. Siméon à qui + il pensait que pût être remise une commission si difficile dans le + cas où Sa Majesté se déciderait à retirer le portefeuille à M. de + Bulow. «Je ne vois, dit-il, personne ici qui ait les épaules assez + fortes pour un tel fardeau. Tous ceux qui crient contre le ministre + actuel auraient lieu de crier bien davantage contre son successeur. + On dit que l'on a fait demander il y a quelque temps l'abbé Louis à + Sa Majesté impériale; mais le roi s'accommoderait mal de l'humeur + dure et de l'esprit exact de l'abbé Louis. Le roi voudrait bien sans + doute qu'il lui fût permis de faire venir Hainguerlot, mais + l'empereur ne souffrirait jamais cet homme ici.» Voilà, Monseigneur, + dans quel sens la chose a été dite, et celui aussi dans lequel doit + être entendue la phrase de M. Reinhard. Cette phrase ne veut point + dire que le roi pense à appeler M. Hainguerlot, mais qu'il + l'appellerait s'il ne savait point qu'il s'exposerait au + mécontentement et qu'il encourrait la disgrâce de Sa Majesté + impériale.</p> + +<p>«Si, après cette explication, Votre Excellence voulait me permettre + d'ajouter quelque chose de moi-même, je n'hésiterais point à + l'assurer que, quel que puisse être un reste d'attachement que le + roi conserve pour cette famille, jamais ce prince, rempli de + reconnaissance comme il l'est et de vénération pour son auguste + frère, ne se permettrait une telle démarche dans l'état de discrédit + où est tombé M. Hainguerlot, et après <span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span> que Sa Majesté + impériale a fortement exprimé sa volonté de ne le point souffrir + auprès de la personne du roi. Sa Majesté a sans doute un sentiment + très vif de l'indépendance, je dirai même une volonté passionnée + d'être et de paraître roi. Ce prince semble blessé de tout ce qui + arrête son autorité ou lui indique qu'elle a des bornes. C'est là + son côté faible. Plus on va et plus on rencontre en lui une + disposition prompte à se raidir contre tout ce qui peut indiquer un + pouvoir hors de lui. Mais en avouant cela il faut aussi convenir que + cet esprit d'indépendance fléchit sans résistance devant la volonté + de Sa Majesté impériale dans tout ce qui peut intéresser la gloire + de ses armes et tendre à l'accomplissement de ses hauts desseins, et + il paraît que ce n'est de la part de ce prince ni soumission forcée, + ni résignation née du calcul de sa faiblesse, mais que cette + obéissance, en tant qu'elle se rapporte à des choses de quelque + haute importance, est le résultat d'un système puisé autant dans les + sentiments de reconnaissance et de vénération dont il m'a toujours + paru pénétré pour Sa Majesté impériale que dans le sentiment d'un + intérêt commun.»</p> +</div> + +<p>L'empereur, qui voulait tout savoir, avait auprès de son frère +Jérôme deux hommes chargés de lui faire connaître tout ce qui se +passait en Westphalie, M. Reinhard, sous le nom d'ambassadeur de +famille, le comte Jollivet, chargé de liquider la partie financière +concernant la France. Jérôme, espionné jusque dans l'intérieur de +ses appartements par les agents secondaires des agents de son frère, +ayant découvert par hasard à quelles menées il était en butte, +écrivit le 20 octobre, de Cassel, à l'empereur qui avait cessé de +répondre à ses lettres:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Sire, malgré l'oubli total dans lequel Votre Majesté paraît décidée + à me laisser, puisque je ne reçois aucune réponse à mes lettres, je + ne puis m'empêcher de lui faire part de la conduite scandaleuse que + l'un de ses agents se permet de tenir, non seulement vis-à-vis de + moi et de mon gouvernement, mais encore par rapport à mes affaires + particulières. Votre Majesté aura de la peine à croire que, depuis + un mois, quatre de mes domestiques, tant de la chambre que de la + bouche et des écuries, ont été renvoyés parce qu'ils ont été + convaincus d'être les espions du comte Jollivet.</p> + +<p>«Enfin, Sire, le scandale est porté à un point tel qu'il n'est plus + de la dignité de votre frère de le souffrir! Moi-même j'ai surpris + un de mes huissiers feuilletant mes papiers sur mon propre bureau, + et l'ayant sommé de me déclarer qui lui faisait commettre une action + aussi criminelle, il m'a déclaré, en se jetant à mes pieds, que + depuis un an il était payé par le comte Jollivet qui lui avait dit + que c'était par ordre <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> de l'empereur! C'est le nom de Votre + Majesté qu'on employait pour engager à une pareille action! C'est un + agent de Votre Majesté que j'ai toujours comblé de bontés qui la + faisait commettre! Loin de donner de l'éclat à une pareille action, + je l'ai étouffée et me suis contenté de renvoyer ces domestiques + infidèles en laissant même ignorer au comte Jollivet la cause de + leur renvoi.</p> + +<p>«Mais, Sire, c'est à Votre Majesté que je m'adresse pour demander le + rappel de M. Jollivet; il est impossible que Votre Majesté veuille + mon déshonneur à ce point! Je serais indigne de vous appartenir si + je souffrais chez moi et avais l'air de ménager plus longtemps un + homme aussi méprisable. Je prie Votre Majesté de croire que, malgré + la triste situation dans laquelle je me trouve et l'abandon total + dans lequel elle me laisse, elle n'a personne qui lui soit plus + tendrement attaché que moi.»</p> +</div> + +<p>Ne recevant pas de réponse de l'empereur, Jérôme se décida à lui +écrire de nouveau le 30 octobre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Sire, malgré l'abandon dans lequel me laisse Votre Majesté et que + je n'ai rien fait pour m'attirer, je vous demanderai de la prier de + décider de ma situation qui est tout-à-fait fausse comme roi de + Westphalie. Daignez décider, Sire, si je dois me conduire comme + sujet ou comme souverain. Le choix de mon cœur est et sera + toujours d'être sujet de Votre Majesté, je n'aime ni l'allemand ni + l'Allemagne, et je suis tout français. Cependant, je ne puis être + ces deux choses à la fois et Votre Majesté conviendra avec moi que + lorsque des douaniers viennent à main armée et de force s'établir + chez un souverain sans que celui-ci en ait la moindre connaissance + par traité, ni par notification officielle, à moins qu'il ne fût un + lâche et un malheureux proscrit, il a dû les renvoyer; quand même je + n'aurais été, Sire, que gouverneur pour Votre Majesté, certes vos + ministres et vos conseillers d'État n'auraient pas établi dans mon + gouvernement des lignes de douanes sans ma participation; d'autant + plus, Sire, que ce n'est pas au milieu du pays d'Osnabruck que l'on + peut espérer d'empêcher la contrebande, mais sur les frontières. + Voilà cependant, Sire, le crime que l'on ose m'imputer à vos yeux; + et, pour avoir fait ce que tout homme eût fait à ma place, ce que + Votre Majesté eût certainement fait elle-même, on ose dire que je ne + vous aime pas, que je ne suis pas français! Comme si mon pays + n'était pas la France, et que je ne respectasse pas dans Votre + Majesté mon frère et mon bienfaiteur!</p> + +<p>«Sire, je suis de votre sang et, aussi longtemps que Votre Majesté + laissera sur ma tête la couronne qu'elle a daigné y poser, je ne + saurais agir autrement que ne doit le faire un roi, frère de + l'empereur. Tout m'impose l'obligation d'être jusqu'au dernier + souffle de ma vie lié à <span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> votre système politique, à celui + que vous avez créé pour votre famille et pour la France, mais, + m'asseyant vous-même sur un trône, vous avez entendu que je serais + indépendant pour les affaires intérieures du royaume que vous me + donniez. Je le répète, Sire, je n'aime ni l'Allemagne ni l'allemand, + mais, dans toutes les circonstances de ma vie, je suivrai la route + de l'honneur que Votre Majesté m'a si bien tracée.</p> + +<p>«J'ai désiré sans doute d'avoir un peuple à gouverner; je l'avoue à + Votre Majesté, je préférerais vivre en particulier dans son empire à + être comme je suis souverain sans nation. Votre nom seul, Sire, me + donne l'apparence du pouvoir, et je le trouve bien faible quand je + songe que je suis dans l'impossibilité de me rendre utile à la + France, qui, au contraire, sera toujours obligée d'entretenir cent + mille bayonnettes pour étayer un trône sans importance.</p> + +<p>«Je finis, Sire, avec la conscience intime que, quels que soient les + torts dont on cherche à me noircir, Votre Majesté ne peut pas + persister, avec réflexion, à me croire coupable d'indifférence et + d'ingratitude.»</p> +</div> + +<p>Peu de temps après, le roi obtint la permission de se rendre à +Paris. Lefebvre, chargé de remplacer Reinhard, écrivit de Cassel, le +10 novembre 1809, au duc de Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Je n'ai pas rendu compte à Votre Excellence, dans ma dernière + dépêche, d'un entretien que le général Eblé a eu avec Sa Majesté, la + veille même de son départ pour Paris. Je n'en connaissais alors que + ce qui m'avait été rapporté par M. Siméon, qui m'avait demandé le + secret, et j'ai mieux aimé attendre de savoir tous les détails par + le ministre de la guerre lui-même, pour n'avoir rien à mander que + d'exact à Votre Excellence.</p> + +<p>«Elle a pu voir, par la correspondance de M. Reinhard, que depuis + longtemps le général Eblé éprouve des dégoûts. Il cherchait + l'occasion de demander au roi la permission de se retirer en France, + lorsque le roi qui en avait appris quelque chose, je ne sais + comment, ni par qui, lui dit, il y a quelques semaines: «Eh bien! + général, on prétend que vous voulez nous quitter?»—«Cela est vrai, + Sire, répondit le général Eblé; j'ai déjà eu l'honneur de dire à + Votre Majesté qu'on ne pouvait bien servir deux maîtres à la fois, + j'ai cru longtemps que je pourrais concilier mes devoirs envers + l'empereur, mon souverain, et Votre Majesté; je vois malheureusement + que cela est impossible.»—«Mais qu'espérez-vous donc? Le sénat? + Est-ce que vous êtes sûr de l'obtenir?»—«Sûr, non pas, Sire, mais + mes services passés me donnent le droit de prétendre à cette + honorable récompense, et les bontés de l'empereur, celui de + l'espérer.»—«Vous pourriez vous tromper dans vos espérances, ce que + je vous offre est plus sûr, vous êtes marié, votre femme <span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span> + est ici, la voilà grosse; restez avec moi, j'aurai soin de vous, + d'elle et de vos enfants. Je ne vous demande point aujourd'hui votre + dernier mot, pensez-y; nous en reparlerons.»</p> + +<p>«Le jour du départ de Sa Majesté, le général Eblé étant allé prendre + ses ordres, le roi lui dit: «Eh bien! voulez-vous toujours me + quitter?»—«Mes raisons sont toujours les mêmes, Sire, répliqua le + ministre.»—«Vos raisons!... reprit le roi, avec un air de bonté: + croyez-moi, restez avec moi. Je remettrai, puisque vous le voulez, + votre lettre à l'empereur, mais je ne veux pas que vous me quittiez. + Je n'ai pas mérité ce procédé. Après tout, rien ne presse, n'est-il + pas vrai?»—«Non, Sire.»—«Attendez mon retour et nous verrons + après.» Le général Eblé m'a dit qu'il y avait consenti et que les + choses en étaient demeurées là. C'est ce que m'a aussi confirmé M. + Siméon.</p> + +<p>«La cause des dégoûts de M. le général Eblé n'est peut-être pas + aisée à assigner, Monseigneur. D'après tout ce que j'ai pu + recueillir de lui-même, il paraît que l'impossibilité de faire ici + tout le bien qu'il aurait désiré est la plus forte. D'un côté il se + plaint des envahissements tous les jours plus grands de M. le comte + de Bernterode, qui s'est créé, dit-il, comme un second ministère, et + a élevé, pour ainsi dire, autel contre autel. À cet objet de plainte + se rattachent aussi, si j'ai bien jugé, les ordres que, sans les lui + communiquer, le roi adresse souvent de son cabinet aux généraux ou + chefs de corps employés hors de ses États. Ces ordres contrarient + souvent ceux donnés par le ministre. De là, selon lui, versatilité + dans les dispositions générales ou de détail, confusion dans les + mouvements des troupes, et déconsidération de son autorité. Enfin il + paraît que l'inexactitude du trésor public à acquitter les + ordonnances de la guerre dérange sans cesse les plans du général + Eblé, ruine ses dispositions et s'oppose à l'économie sévère qu'il + serait si essentiel d'établir dans toutes les parties du service + dont il est chargé. Ces raisons peuvent être vraies au fond, + Monseigneur, mais il est également certain que sa retraite porterait + un grand préjudice aux intérêts de Sa Majesté. Le général Eblé est + un homme laborieux, exact, sévère et qui sera très difficilement + remplacé ici. Il a rétabli l'ordre dans le département de la guerre, + où avant lui il n'y avait que pillage. De grandes économies ont été + faites sur toutes les parties; d'autres ne peuvent manquer d'avoir + lieu, s'il continue de garder le portefeuille; enfin tout ce qu'avec + des moyens bornés, mais distribués avec sagesse et intelligence, on + a pu obtenir, a été obtenu.</p> + +<p>«Peut-être aussi, et je ne craindrais pas de le dire à M. le général + Eblé, y aurait-il un peu d'ingratitude de sa part à quitter ainsi le + service du roi. Sa Majesté a pour lui (et il en convient lui-même) + la plus haute estime; jamais il n'a cessé d'être traité avec tous + les égards dus à son âge et à son expérience. Il a même éprouvé peu + de ces négligences <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> qui sont si fort dans le caractère du + roi, je dirai plus, il est vraisemblable (et je n'en veux pas faire + une accusation contre ce ministre) que le crédit du général comte de + Bernterode n'aurait pas été porté aussi loin, si le général Eblé, + comme l'a exprimé M. Reinhard dans sa correspondance, avait su + défendre son travail devant le roi ou réclamé avec plus d'insistance + contre l'abus de ce pouvoir étranger. Mais enfin, de quelque manière + qu'on envisage la chose, le chagrin de ne pas faire tout le bien + qu'on voudrait n'est pas un motif suffisant de retraite, et je + conserve encore l'espérance, qu'au retour du roi, M. le général Eblé + se laissera aller à prendre une autre détermination.</p> + +<p>«La reine a fait toutes ses dispositions pour partir, dans le cas où + elle serait appelée par le roi à Paris, ce qu'elle paraîtrait + désirer vivement.»</p> +</div> + +<p>À la suite de conversations sur le royaume de Westphalie, Napoléon +ayant demandé à Jérôme une note sur ce que l'on pourrait faire pour +tirer ses États de la position précaire dans laquelle ils se +trouvaient, Jérôme lui écrivit le 6 décembre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Le royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec le Hanovre, + Fulde, Hanau et tous les petits princes enclavés dans son + territoire, l'empereur ne lui donne point un débouché quelconque + pour son commerce;</p> + +<p>«Si l'empereur ne fait point la remise de la contribution arriérée, + que les faibles revenus de l'État empêchent d'acquitter, ainsi que + celle des domaines dont l'empereur n'a point encore disposé et qui + se montaient, à mon départ de Cassel, à 400,000 francs.»</p> +</div> + +<p>La cession du Hanovre par la France fut décidée en principe, et +Jérôme dut croire que cette augmentation de territoire, de +population, de revenus, viendrait en dédommagement des exigences de +son frère. Le comte de Fürstenstein qui, sur de nouvelles instances +du roi, venait d'être nommé par l'empereur grand'croix de la Légion +d'honneur, fut chargé de traiter de la remise avec le duc de Cadore, +mais lorsqu'on arriva à la cession, on fut bien obligé de +reconnaître que les avantages de cette cession n'en compensaient pas +les inconvénients. L'empereur, en annexant à la Westphalie la +province du Hanovre, se réservait d'en distraire des territoires +ayant quinze mille habitants, et un revenu de quatre millions cinq +cent soixante mille francs, exempts de tous impôts pendant dix +années. Les agents stipulèrent en outre: que les six dotations +instituées dans le royaume de Jérôme, en vertu du traité de Berlin, +du 22 avril 1808, et toujours contestées par le jeune roi, seraient +remises aux donataires <span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> ainsi que le montant des revenus +s'élevant à près de trois cent mille francs; les dettes du pays de +Hanovre seraient à la charge de la Westphalie; l'arriéré de la +contribution de guerre due à la France serait arrêté à seize +millions et acquitté par le versement à la caisse du domaine +extraordinaire de cent soixante bons de cent mille francs avec +intérêt à cinq pour cent et payables par dixième d'année en année; +le contingent militaire du royaume serait porté à vingt-six mille +hommes, dont quatre mille de cavalerie et deux mille d'artillerie; +jusqu'à la fin de la guerre maritime, la Westphalie s'engagerait à +<i>entretenir</i> six mille hommes de troupes françaises, en outre des +douze mille cinq cents qui lui étaient imposés par le traité de +Berlin. Pour que le mot <i>entretenir</i> ne pût donner lieu à de fausses +interprétations, le duc de Cadore en envoyant ses instructions au +baron Reinhard, chargé de la remise du Hanovre, lui manda: +«L'expression <i>entretenir</i> dont le traité s'est servi, en parlant +des dix-huit mille cinq cents hommes de troupes françaises, étant +peut-être trop générale et par cette raison point assez précise, ce +qui pourrait donner lieu à des difficultés, le procès-verbal devra +en fixer le sens et dire: qu'<i>entretenir</i>, c'est solder, nourrir, +habiller ces troupes et pourvoir à tous leurs besoins quelconques, +comme le trésor public de France solde, nourrit, entretient les +troupes des armées qui restent en Allemagne.»</p> + +<p>Reinhard se conforma à cet ordre du ministre, mais cela ne parut pas +suffisant à l'empereur qui refusa de sanctionner le traité parce +qu'il n'y était pas spécifié que les troupes françaises entretenues +par la Westphalie auraient les prestations du pied de guerre. +Toutefois cette difficulté fut promptement aplanie.</p> + +<p>Sans doute par cette annexion les États de Jérôme acquéraient un +territoire assez considérable, une population de près de trois cent +mille âmes, une zone maritime importante entre les embouchures de +l'Elbe et du Weser. La Westphalie prenait rang en tête des États de +la Confédération, mais l'obligation d'entretenir dix-huit mille +hommes au lieu de douze, la dette hanovrienne considérable, laissée +à la charge de la Westphalie, annulaient et au-delà les avantages. +On reconnut bientôt que le nouveau territoire coûterait dix millions +de plus qu'il ne rapporterait. Ainsi donc, loin d'alléger les +charges pécuniaires des États de son frère, l'empereur augmentait +ses embarras. Le traité fut cependant signé le 14 janvier par le +comte de Fürstenstein et le duc de Cadore.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> Le 20 décembre, Reinhard, resté à Cassel pendant le voyage +du roi, adressa à Champagny la lettre ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Un courrier du roi, expédié le 14 décembre 1809, a confirmé la + nouvelle du départ prochain de Sa Majesté, et les ordres concernant + sa réception dans ses États et dans sa capitale. Le roi se propose + d'arriver à Marbourg le 24, où tous les ministres d'État seront + obligés de se rendre (Marbourg est éloigné de Cassel de neuf bons + milles d'Allemagne). Le lendemain, Sa Majesté déjeunera à Wabern, + village à trois milles de Cassel, où se trouve un château royal. Le + 26, il y aura audience du corps diplomatique. Un appartement dans le + palais se prépare pour la réception du grand maréchal nommé en + remplacement du comte Willingerode. La curiosité cherche en vain à + deviner le nom de ce nouveau dignitaire. Le général Launay, gendre + de M. Siméon, les barons Dumas et Damas entreront au service + militaire de Sa Majesté. Le général Morio est déjà arrivé, revenant + d'Espagne, et rétabli de sa maladie. Le conseil d'État s'assemble + fréquemment pour préparer les projets de loi qui seront présentés + aux États. Puisqu'on croit savoir aujourd'hui que là reine restera à + Paris, on présume qu'après quelque séjour à Cassel le roi y + retournera aussi, et qu'il accompagnera Sa Majesté impériale dans + son voyage en Espagne.</p> + +<p>«Le roi trouvera ses sujets impatients de son heureux retour et + pleins d'espérances dans les résultats de son absence, qu'ils + pourront appeler heureuse aussi, puisque Sa Majesté reviendrait avec + de nouveaux moyens de prospérité pour ses États, avec de nouvelles + idées de bienfaisance et de gloire, puisées dans cette source + intarissable d'où nous voyons émaner toutes les conceptions + créatrices, tous les actes conservateurs qui appartiennent au siècle + de Napoléon.</p> + +<p>«Déjà quelques passages des lettres écrites par le roi ont fait + présager combien la Westphalie aura à se féliciter de son voyage, et + déjà ces présages se trouvent en partie confirmés par le discours + adressé au Corps législatif de France par M. le ministre de + l'intérieur.</p> + +<p>«J'essaierais en vain, Monseigneur, de vous peindre l'impression que + propagent au loin ces paroles d'immense valeur prononcées par la + bouche impériale, ces discours qui en sont les commentaires et qui + déroulent le passé et l'avenir; mais qu'il me soit permis de saisir + un mot qui appartient à la sphère où Sa Majesté impériale a bien + voulu essayer l'emploi de mes faibles moyens. Il est dit que les + villes Anséatiques conserveront leur indépendance, et qu'elles + serviront en quelque sorte de moyens de représailles envers + l'Angleterre. Cette idée, j'ose le dire, était constamment devant + notre esprit. De là la distinction que nous proposions de faire + entre le temps de paix et le temps de guerre, de là cette + proposition de laisser dans leurs rapports à venir une certaine + <span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> latitude, un certain vague qui permettrait de les modifier + selon les circonstances; mais l'impression lumineuse nous manquait: + elle a été trouvée et le problème est résolu.»</p> +</div> + +<p>Nous continuerons à faire connaître les lettres les plus importantes +de Reinhard et ses bulletins, comme offrant le résumé le plus +curieux et le plus impartial de l'histoire de la Westphalie et de +son jeune souverain.</p> + +<p>Le 17 janvier 1810, il écrit de Cassel à Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. de Marinville est arrivé samedi dernier. Il a annoncé que le + retour de M. le comte de Furstenstein ne pourrait guère avoir lieu + que vers la fin de cette semaine. Il en est résulté que le jour de + l'ouverture des États, dont les membres sont réunis ici depuis le + 1<sup>er</sup> janvier, n'a pu être encore déterminé. En attendant, le Conseil + d'État, dont les séances ont été fréquentes pendant quelque temps, + et les départements ministériels, ont préparé leur travail, le + compte du ministre des finances s'imprime, et ceux qui en ont déjà + connaissance en disent beaucoup de bien.</p> + +<p>Ces premiers jours qui se sont écoulés depuis le retour de LL. MM. + ont été ceux d'une satisfaction réciproque, et en même temps ceux + d'une attente générale des éclaircissements qu'on recevra sur les + destinées de la Westphalie, soit par ce qui aura été conclu à Paris, + soit par ce qui sera annoncé et proposé à l'assemblée des États. Je + partage cette attente, Monseigneur, et jusqu'à ce qu'elle soit + remplie je me vois restreint à vous faire le simple récit des + événements du jour.</p> + +<p>Le roi a accordé le titre de comte à MM. de Bulow et de Wolfradt, + ministres d'État; à M. de Lepel, son premier écuyer d'honneur, le + même qui l'avait accompagné à Paris, et à M. de Pappenheim, son + premier chambellan. MM. de Leist, conseiller d'État et directeur de + l'instruction publique, de Coninx, conseiller d'État et directeur + des domaines, et Marinville, secrétaire intime du cabinet, ont + obtenu le titre de baron.</p> + +<p>Le roi s'est chargé de transmettre à Sa Majesté impériale la lettre + par laquelle M. le général Eblé lui demande son agrément pour donner + sa démission de la place de ministre de la guerre. Il paraît que M. + le général d'Albignac, grand écuyer, sera chargé, par intérim, du + portefeuille.</p> + +<p>Le général de Bernterode, malade depuis longtemps, et dont la + maladie avait empiré dans ces derniers temps, a été forcé de + demander un congé de quelques mois pour se rendre en France, et pour + tâcher de rétablir sa santé. C'est M. le général de Launay, gendre + de M. Siméon, qui le remplace par intérim dans ses fonctions.</p> + +<p> <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> C'est aussi par intérim que M. le général Morio est chargé + des fonctions de grand maréchal. Il occupe un appartement dans le + palais.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p> +<p class="date">Cassel, le 24 janvier 1810.</p> + +<p>M. le comte de Furstenstein est arrivé samedi dernier. Il a paru le + lendemain au bal masqué de la cour. C'est là, et hier, chez le + ministre de Russie, que j'ai eu l'honneur de le rencontrer. Chez moi + il a fait sa visite par cartes, et je ne l'ai point trouvé lorsque + je suis allé la lui rendre en personne. Il en résulte que je ne sais + pas un mot de ce que M. de Furstenstein a pu porter de Paris. Il est + vrai que les lieux où nous nous sommes rencontrés, n'étaient guère + favorables à une conversation d'affaires, mais ce ministre, très + poli d'ailleurs et très aimable avec moi, ne paraissait avoir nulle + envie d'entretenir une pareille conversation.</p> + +<p>Il est possible que le roi ait ordonné de garder le secret des + arrangements convenus jusqu'au jour de l'ouverture des États. Ce + jour, avant le retour de M. de. Furstenstein, avait été fixé au 28, + dimanche prochain, et les membres des États l'attendent avec + impatience. Sur cent membres, soixante-seize seront présents à la + session. Treize étaient morts dans l'intervalle; les autres sont + absents par congé ou pour cause de maladie. Les membres des comités + ont déjà été élus, et depuis huit jours ils sont entrés en + communication avec les ministres pour préparer le travail.</p> + +<p>M. Pichon<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a><a href="#footnote126" title="Lien vers la note 126"><span class="smaller">[126]</span></a> est arrivé quelques jours avant M. de Furstenstein. + M. de Norvins<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a><a href="#footnote127" title="Lien vers la note 127"><span class="smaller">[127]</span></a> aussi est revenu.</p> + +<p> Pour ne rien laisser en arrière sur cet objet, je dirai que dans la + conversation que Sa Majesté eut avec moi au mois de mars dernier, et + dont je rendis compte à Votre Excellence, le roi, parmi ses autres + griefs contre M. le comte Jollivet, me cita celui d'avoir refusé de + dîner à la table de son grand maréchal, et d'avoir dit qu'il n'était + point fait pour cela. Le roi m'assura que ce refus avait été porté à + la connaissance de Votre Excellence, et que vous l'aviez + désapprouvé; qu'ensuite M. Jollivet avait sollicité comme une grâce + d'être admis à la table du grand maréchal.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> <p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p> +<p class="date">Cassel, 30 janvier 1810.</p> + +<p>L'ouverture des États du royaume a eu lieu avant-hier. La cérémonie + a été belle et imposante. Le roi a prononcé le discours du trône + lentement, avec précision et noblesse. Les auditeurs n'en ont pas + perdu une seule parole.</p> + +<p>Le discours dont j'ai l'honneur de vous adresser un exemplaire est, + comme me l'assure M. le comte de Furstenstein, entièrement l'ouvrage + du roi, à quelques changements près relatifs seulement au style et + au poli des phrases. Il est certain du moins que ni M. Siméon, ni + aucun autre ministre, ne l'a rédigé, et ceux qui en attribuent la + rédaction à M. de Bruyère assurent que le paragraphe où le roi parle + de la distinction qu'on voudrait faire entre sa personne et entre la + France lui appartient exclusivement.</p> + +<p>La manière dont le roi parle de ses relations avec son auguste frère + agrandit le roi lui-même et montre sous le jour le plus vrai et le + plus beau les intérêts de sa personne et ceux de sa politique. + J'ajouterai qu'on m'a assuré que ce que Sa Majesté professe ici + solennellement devant tout son peuple est une maxime que, depuis son + retour de Paris, on lui a entendu répéter souvent dans ses + conversations et pendant le travail de son cabinet.</p> + +<p>M. le comte de Furstenstein m'a dit que conformément aux intentions + de Sa Majesté Impériale la réunion du pays de Hanovre à la + Westphalie ne serait point encore annoncée au public. Il m'a dit + aussi que la dette contractée pour l'entretien des troupes + westphaliennes en Espagne était comprise dans les arrangements + conclus à Paris. Néanmoins je n'ai pas manqué de lui adresser copie + de la lettre par laquelle Votre Excellence m'informe que cette dette + monte aujourd'hui à la somme de 581,043 fr. 66 c.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p> +<p class="date">Cassel, 2 février 1810.</p> + +<p>Le discours du roi a déjoué l'attente générale, en ce qu'il n'a + point annoncé littéralement les arrangements conclus à Paris. Comme + on était généralement persuadé que le retard de l'ouverture des + États était causé par le retard du retour du ministre des relations + extérieures, on en a inféré que le roi lui-même avait espéré de + pouvoir faire connaître à cette époque des détails qui intéressent + tout le royaume; et comme on croit être certain de la réunion du + pays de Hanovre à la Westphalie, <span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span> on se persuadera que ce + silence provisoire pourrait avoir rapport avec des négociations + entamées avec l'Angleterre.</p> + +<p>Le roi est revenu de ce voyage avec une certaine fraîcheur de bonté + et de contentement. Son temps est partagé, comme par le passé, entre + le travail et les plaisirs. Dernièrement, il fut question, au + Conseil d'État, des embarras que causait le système adopté pour les + corvées. Le roi déclara qu'il en apercevait bien les véritables + causes; que c'était l'intérêt des propriétaires qui était parvenu à + laisser incomplètes et à rendre vagues les dispositions de la loi; + que de là naissait une multitude de procès et que le but qu'on + s'était proposé était manqué. Il ajouta que le devoir d'un roi était + de considérer les masses et non les individus et qu'il veillerait à + ce qu'à l'avenir ses intentions fussent mieux remplies. Le roi avait + raison.</p> + +<p>Les spectacles, les promenades à Napoléons-Hœhe et à Schönfeld, + petite campagne achetée il y a quelque temps du banquier Jordis; les + bals, les bals masqués surtout, auxquels le roi et la reine prennent + également plaisir, remplissent les soirées de Leurs Majestés. La + reine a eu, dit-on, récemment un double chagrin: elle désirait qu'on + payât ses dettes, ce qui n'a point été accordé. Elle voulait, le + jour de l'ouverture des États, paraître sur le trône avec le roi, + qui lui fit l'observation que dans une cérémonie de cette nature + cela ne serait pas conforme à l'usage. Elle fut placée sur un + fauteuil en face du trône. Dans ses apparitions publiques, un + certain embarras, que les uns prennent pour de l'orgueil et que ceux + qui connaissent mieux Sa Majesté n'attribuent qu'à la timidité, n'a + point encore quitté la reine. Dans les petites réunions, elle se + montre charmante, pleine d'esprit et d'amabilité.</p> + +<p>Le roi montre une grande satisfaction de la réunion du pays de + Hanovre. Quelques-uns de ses conseillers pensent que les avantages + et les charges de cet agrandissement se compenseront peut-être + pendant longtemps encore; ils craignent la masse des dettes dont le + pays est accablé, la misère dont les sources pourront être taries + difficilement pendant la durée de la guerre, la diminution des + revenus par la séparation des domaines, peut-être aussi la nécessité + de partager les emplois avec les survenants hanovriens. Quelques-uns + ont pensé que pendant un certain temps il faudrait donner au Hanovre + une administration séparée.</p> + +<p>Il parait être question de le séparer en quatre départements; + d'autres prétendent qu'il serait avantageux de ne le diviser qu'en + deux. Quoi qu'il en soit, une accession de territoire qui étendra le + royaume de Westphalie jusqu'à la mer, entre deux rivières + navigables, une population de 600,000 âmes de plus, une jeunesse + propre au service militaire et laissée en réserve depuis plusieurs + années: voilà certainement des avantages suffisants pour faire + considérer désormais la Westphalie comme une puissance.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> M. le général Éblé a remis hier au général d'Albignac sa + signature du ministère. Le roi lui avait exprimé le désir de le + conserver jusqu'à ce que toutes les dispositions concernant les + troupes françaises dont l'arrivée est attendue fussent prises. Il a + cédé à la représentation que lui fit le général Éblé qu'il vaudrait + peut-être mieux les accoutumer d'emblée à la signature du chef qui + doit le remplacer. Cependant le général d'Albignac ne paraît pas + être destiné à le remplacer définitivement, et les amis même de ce + dernier qui lui ont conseillé d'accepter le portefeuille par intérim + comme une distinction honorable, pensent que ses forces et son + caractère naturellement fougueux pourraient ne pas suffire à + soutenir longtemps un pareil fardeau. Aussi le décret royal dit-il + seulement que le général d'Albignac aura la signature en l'absence + du ministre, dont la démission définitive reste subordonnée à + l'agrément de Sa Majesté Impériale qu'il se propose d'aller + solliciter en personne. Il n'y a qu'une voix sur le compte du + général Éblé et sur la perte peut-être irréparable que ferait en le + perdant la Westphalie. Cette opinion, le roi la lui a exprimée + lui-même, et ce ministre m'a témoigné encore hier combien il en + était touché, mais il en revient toujours à son refrain qu'il ne lui + est pas possible de servir deux maîtres.</p> + +<p>Depuis le retour du roi, on croit remarquer dans M. Siméon un + chagrin mal caché qu'on attribue généralement à ce qu'il avait + véritablement espéré de recevoir dans cette circonstance quelque + témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale. J'ignore + s'il s'en est ouvert à quelqu'un. Pour moi déjà, depuis quelque + temps, il a fallu me résigner à le trouver plus réservé, et j'ai + pensé que ce pouvait être en partie parce que depuis la restriction + des fonctions de M. Bercagny il se regardait un peu comme ministre + de la police. Depuis que son fils et son gendre se trouvent placés + au service de Westphalie, il doit se regarder comme y étant attaché + lui-même par des liens plus étroits, et quelques personnes pensent + qu'il pourrait finir par s'y attacher tout à fait. Le roi continue à + le traiter avec une grande distinction, sans peut-être avoir pour + lui une très haute estime. Son caractère flexible, que d'autres + appellent faible, une urbanité qui ne dépare point, mais qui fait + trop ressortir ses cheveux gris, la diminution d'un ascendant qui + plie sous la dépendance toujours croissante de sa situation peuvent + en être la cause. Cependant, M. Siméon, qui de tous les Français est + certainement celui qui a le mieux réussi en Westphalie, m'a toujours + paru et me paraît encore, à cause de ses défauts mêmes, le plus + propre à réussir. Sans connaître un mot de la langue, sans avoir + rapproché en aucune manière ses idées et ses habitudes du génie + allemand, le calme et l'équité de son caractère, sa manière de + penser libérale, l'ensemble de ses lumières et de ses connaissances + ont suffi pour lui donner, presque par instinct, ce discernement de + ce qui convient ou ne convient <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> pas dans les circonstances + actuelles, ce tact du milieu à garder entre deux extrêmes, cette + propension à maintenir l'équilibre parmi les passions, les opinions + et les intérêts opposés qui le font chérir et respecter par tous, et + surtout par les Allemands.</p> + +<p>M. le comte de Bulow n'a point encore cessé d'être l'objet des + soupçons et de la haine de la plupart des Français employés en + Westphalie. M. de Bercagny, quoique simple préfet de police de + Cassel, continue à travailler directement et fréquemment avec le + roi. Depuis que dans les départements les commissaires de police ont + été subordonnés aux préfets, la marche des affaires s'est évidemment + simplifiée et est devenue plus aisée. On n'entend parler ni de + désordres, ni de mauvaises dispositions. Il n'en paraît être resté + quelques traces que dans ce malheureux département de la Werra. M. + Delius, préfet d'Osnabruck, dont l'innocence a été pleinement + reconnue, a été renvoyé à son poste.</p> + +<p>M. le comte Jollivet annonce son départ pour le 1<sup>er</sup> avril. Depuis + quelque temps, il se montre peu, et l'on se montre peu chez lui. Les + dispositions du roi à son égard ne paraissent pas avoir changé. À la + première audience, après le retour du roi, après que Sa Majesté + m'eut dit un mot sur mon voyage de Hambourg, elle se tourna vers M. + Jollivet: «Et vous, Monsieur, dit-elle, pendant ce temps-là, vous + n'avez pas bougé!» On prétend, au reste, que l'affaire de l'huissier + surpris en fouillant les papiers du roi a été éclaircie, et que ce + n'est plus M. Jollivet qui est soupçonné, mais M. Bercagny. Il m'a + toujours paru qu'il ne pouvait pas y avoir la moindre raison de + soupçonner M. Jollivet<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a><a href="#footnote128" title="Lien vers la note 128"><span class="smaller">[128]</span></a>.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">12 février 1810.</p> + +<p>Depuis le retour du roi, il y a eu deux bals parés et deux bals + masqués à la cour, et un bal masqué chez M. le comte de + Furstenstein. Celui d'hier, qui s'est donné au palais, a été + extrêmement brillant. On avait répandu à tort qu'on n'y serait point + admis en domino; mais ce bruit s'étant accrédité, on a vu paraître + d'autant plus de masques de caractère. La cour a paru d'abord en jeu + de piquet, mascarade plus savante que spirituelle; mais bientôt de + ce pêle-mêle fantasque sortit une belle ordonnance de rivières et de + villes dansantes. Le roi de Trèfle se changea en rivière du Weser, + et les villes d'Hameln et de Hanovre vinrent fraterniser avec celles + de Brunswick et de Magdebourg. Une élite de dames de la cour, + changeant de masque une troisième fois, reparurent en Égyptiennes + pour former un quadrille avec le roi. Dans la foule, des chevaliers + teutoniques étaient en templiers, M<sup>me</sup> Dumas en <span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span> + jardinière, M. Hugot en paysan, M. de Bercagny en innocent; les + membres des États en dominos modestes formaient une espèce de + parterre. Le jour de l'ouverture des États et de la représentation + de <i>Revanche</i>(?), le roi se retira du bal vers minuit et alla passer + la nuit à Schœnfeld<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a><a href="#footnote129" title="Lien vers la note 129"><span class="smaller">[129]</span></a>. <i>On n'a pas remarqué qu'une dame de la + cour se fût absentée.</i> Hier matin, le roi a paru au cercle de la + cour dans le costume de l'ordre de la couronne de Westphalie. C'est + un habit français de couleur grise qui fait ressortir la couleur du + ruban de l'ordre, avec des brandebourgs et des broderies en argent. + Les décorations ne sont toujours pas encore arrivées de Paris. Un + chapitre de l'ordre est annoncé pour le 15. Au bal masqué que donna + M. de Furstenstein, M. Mollerus, chargé d'affaires de Hollande, + affecta de se faire passer pour le roi, et il y réussit assez. M. de + Norvins, tout fier d'être pris sous le bras par Sa Majesté, se + croyait déjà sûr pour le lendemain d'une place de ministre + plénipotentiaire. On dit que le roi a trouvé la conduite de M. + Mollerus impertinente. Pour M. de Norvins, il n'est pas même sur la + liste des chevaliers de l'ordre.....</p> + +<p>Le ministre de Russie avec sa famille est parti aujourd'hui pour + Weimar où l'on célébrera dans quelques jours la naissance de la + Grande-Duchesse. Son absence sera de quinze jours. Le public de + Cassel, toujours bénévole, répandait, dès avant son départ, qu'il + partait en vertu d'une déclaration de guerre entre la France et la + Russie. M. de Rechberg, chargé d'affaires de Bavière à Berlin, nommé + ministre plénipotentiaire en Westphalie, est attendu ici d'un jour à + l'autre.</p> + +<p>Le prince Repnin donnait chez lui des assemblées deux fois par + semaine. Elles languissaient d'autant plus, que presque jamais on + n'y voyait paraître les dames de la cour. À cet égard, le prince + Repnin paraît avoir hérité du guignon de M. Lerchenfeld, et Sa + Majesté se plaît quelquefois à faire éprouver de pareilles + contrariétés. Dernièrement, ce fut le tour du ministre de France, + qui avait invité les ministres et plusieurs membres des États à un + dîner donné à l'occasion du retour du comte de Furstenstein. À cinq + heures, M. de Furstenstein et M. Siméon envoyèrent dire que le roi + les avait nommés pour aller dîner avec lui à Schœnfeld.</p> + +<p>Depuis le commencement de cette année s'est établi à Cassel un + casino où l'on se réunit pour la lecture de feuilles politiques et + littéraires de France et d'Allemagne. Toute la ville de Cassel y a + pris part. C'est le premier établissement de ce genre formé dans + cette capitale qui, sous le rapport de la civilisation littéraire, + si l'on peut s'exprimer ainsi, ne paraît pas appartenir au nord de + l'Allemagne.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">23 février.</p> + +<p>Le bal masqué chez M. Siméon a surpassé les autres en élégance. La + cour y a paru en double mascarade, d'abord en <i>Mariage de Figaro</i>, + et après le souper en <i>Caravane du Caire</i>. Le roi, en costume de + Figaro, a dansé, au son des castagnettes, une danse espagnole avec + M<sup>me</sup> de Boucheporn<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a><a href="#footnote130" title="Lien vers la note 130"><span class="smaller">[130]</span></a> et distribuait des fleurs. Le général + Hammerstein et la comtesse de Bochholz (ornée des diamants de la + reine) représentaient le comte et la comtesse Almaviva. M<sup>me</sup> + Delaunay<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a><a href="#footnote131" title="Lien vers la note 131"><span class="smaller">[131]</span></a> a reçu du roi, dans cette occasion, un beau collier de + diamants: elle est heureuse de sa grossesse et de l'arrivée de son + mari.</p> + +<p>Dimanche prochain, nouveau bal masqué chez M. le comte de Bochholz. + Les membres des États, gravement assis, en dominos, ont l'air de + dresser actes de toutes ces merveilles pour en faire le récit après + le retour dans leurs foyers. (<i>Prælia conjugibus loquenda.</i>)</p> + +<p>Dans le premier bal paré de la cour, qui eut lieu après le retour du + roi, on avait envoyé des billets d'invitation à quelques dames de la + ville, de réputation un peu équivoque. Le roi s'étant fait présenter + la liste ne voulut point qu'elles fussent admises. Il resta + inexorable, et les chambellans furent obligés d'avertir les dames en + question qu'il y avait une méprise dans l'envoi des billets. M<sup>me</sup> + Delaunay, dans ses invitations, a été moins scrupuleuse.</p> + +<p>Un des frères de M. de Furstenstein, arrivé d'Amérique dans l'été + dernier, est reparti pour Amsterdam où il doit se rembarquer. Un + autre frère, qui est chambellan du roi, l'a accompagné. On suppose + que ce voyage de M. Lecamus concerne les anciennes relations du roi + avec M<sup>lle</sup> Paterson<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a><a href="#footnote132" title="Lien vers la note 132"><span class="smaller">[132]</span></a>.</p> + +<p>On parle d'un prochain voyage du roi pour Paris à l'occasion du + mariage de Sa Majesté l'Empereur. On prétend même que le jour en est + fixé au 18 mars.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">9 mars 1810.</p> + +<p>Le mercredi des Cendres a commencé par un déjeuner splendide à la + cour, lequel a terminé à six heures du matin le bal masqué qui a + fait la clôture du carnaval. En remontant, il faudrait rendre compte + d'un bal masqué chez M. de Pappenheim, qui n'a pas eu lieu, parce + que la <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> reine était incommodée; d'un bal masqué et paré + chez M. le général d'Albignac; d'un bal chez le ministre de Russie; + d'un bal masqué chez M. le comte de Bochholz. Il faudrait faire + l'éloge d'un quadrille chinois, d'un ballet des quatre parties du + monde; d'un superbe ballet, les Noces de Gamache, dans lesquels le + roi et la reine ont figuré. Il faudrait montrer la reine en vieille + juive, en sauvage américaine, en paysanne de la Forêt-Noire; le roi + changeant de dominos et de masques en véritable caméléon; les plus + belles dames de la cour déguisant leurs attraits sous l'accoutrement + de vieilles laides. Il faudrait faire mention de l'appétit + merveilleux des masques du Mardi-Gras et de la fureur avec laquelle + ils ont dévasté les buffets royaux; et en se réjouissant avec les + marchands qui ont vendu jusqu'à leurs fonds de boutique, il faudrait + gémir en même temps avec ceux qui, faisant leurs comptes en Carême, + s'aperçoivent avec effroi de ce que leur a coûté le carnaval.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p> +<p class="date">Cassel, 12 mars 1810.</p> + +<p>La députation hanovrienne ne sera présentée que demain. Tous ceux + qui la composent, et qu'on dit être au nombre de soixante, ne sont + pas encore arrivés. En conséquence, le roi ne partira + qu'après-demain.</p> + +<p>Aujourd'hui s'est faite par M. de Leist, et au nom du roi, la + clôture de la session des États. Le Code de procédure a été la + dernière loi qui leur a été proposée.</p> + +<p>Le cortège qui, cette fois, suivra Leurs Majestés à Paris est très + nombreux et très brillant. La reine n'avait emmené que M<sup>mes</sup> de + Bochholz et de Lœwenstein; hier sont parties M<sup>mes</sup> de + Keudelstein, Morio et de Pappenheim; aujourd'hui M<sup>me</sup> de Boucheporn. + M. de Marinville et le comte de Meerveldt ont déjà précédé le roi.</p> + +<p>Hier a eu lieu la distribution de l'ordre de Westphalie. Tout s'est + passé conformément au programme imprimé dans le <i>Moniteur + Westphalien</i>. Le roi a prononcé un petit discours plein de + convenance et de dignité. Celui de M. le comte de Furstenstein sera + probablement imprimé, et j'aurai l'honneur, Monseigneur, de vous + l'envoyer. Plus de cent chevaliers ont reçu la croix et prêté le + serment à genoux devant l'Évangile qui, à la vérité, n'était qu'un + missel catholique. C'était peut-être une supercherie de la part de + Mgr l'évêque de Wend, mais les protestants (et le plus grand nombre + des chevaliers était de cette confession) ne s'en sont pas + formalisés.</p> +</div> + +<p>Dans une autre lettre au même personnage, du 28 avril, Reinhard +parle des abus commis par des officiers de la cour:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Il existe ici, outre le beau parc de Napoléons-Hœhe, un parc plus +<span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> près de la ville qui, de tout temps, a été ouvert au +public. Que la reine ait fait entourer de barrières une partie de +celui de Napoléons-Hœhe et qu'elle l'ait réservé pour ses +promenades particulières, rien de plus naturel, et personne n'y a +trouvé à redire. Mais le parc, qui est au bas de la ville, est +devenu presque tout à fait inaccessible au public. Depuis quelque +temps, les voitures en sont totalement exclues; en été, il n'est +ouvert que pendant les heures les plus chaudes de la journée, et +même alors tous les sentiers en sont interdits. C'est que M. le +grand veneur veut protéger les couvées de perdrix.</p> + +<p>Un lièvre ne peut-il plus arriver au marché que muni d'un certificat +d'origine? C'est que M. le grand veneur veut procurer au roi +quelques écus de revenu sur les produits de la chasse.</p> + +<p>À quatre lieues de Cassel sont les bains d'Hof-Geismar, appartenant +au roi, assez fréquentés autrefois, et qui les jours de dimanche et +de fête servaient de lieu d'amusement à toute la population à la +ronde. Il y avait deux chambres de bain à bassins: c'étaient les +deux plus agréables; mais l'une d'elles a été couverte de planches +parce que M. l'intendant de la maison voulait y placer l'argenterie +dont il n'y existe pas encore une seule pièce. Un restaurateur à +privilège exclusif est allé s'y établir l'année dernière: il a +rançonné cruellement tous les étrangers. Après avoir fait déserter +tout le monde, il a fini par faire banqueroute. Son successeur, déjà +banqueroutier, rançonnera, fera déserter et finira de même. C'est +que M. l'intendant de la maison veut avoir la gloire d'en tirer un +gros bail, sans compter peut-être le pot de vin. Une troupe +française et une troupe allemande jouaient alternativement dans la +même salle. La troupe allemande ne laissait pas de faire des +recettes, lorsque la troupe française allait jouer à +Napoléons-Hœhe. La troupe allemande a été renvoyée. Il n'y a plus +de bonne musique, mais il y a un mauvais ballet. Le parterre est +désert et le public est mécontent, mais toutes ces loges ont été +prises par abonnement, parce que le roi l'a désiré. On dit que le +roi y dépense 400,000 francs et qu'ils ne couvrent pas les frais. +Mais M. de Bruyère, directeur du spectacle, avait trouvé que les +Allemands, mauvais observateurs des règles de l'unité, changeaient +trop souvent de décorations.</p> + +<p>La raideur des habitants de Cassel, leur peu d'empressement à +construire des maisons et leur avidité à hausser le prix des loyers +avaient déplu au roi. Pour les en punir, sur le conseil de M. le +général d'Albignac, on y a mis en garnison deux régiments, outre la +garde, qui est déjà assez nombreuse. Il en résulte que les habitants +sont écrasés et que les loyers ont renchéri. Cependant on a exempté +d'imposition et de logement de gens de guerre les maisons nouvelles +qui seraient bâties, et il est question de renvoyer les régiments.</p> + +<p>Les foires sont un élément assez important du commerce d'Allemagne. +<span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> Les époques où elles ont lieu dans les différentes villes +sont combinées. De Brunswick, les marchands vont à Cassel, de Cassel +à Francfort, de Francfort à Leipzig. Malgré l'absence de la cour, la +dernière foire de Cassel a été assez fréquentée et les marchands +n'ont pas été mécontents de leurs ventes. Mais ces marchands, malgré +le débit qu'ils ont trouvé, jurent de n'y point revenir. C'est que +tous leurs profits sont absorbés par les impôts, mis d'abord pour le +roi, ensuite pour la ville, enfin et surtout pour M. de Bercagny.</p> + +<p>M. de Bercagny ne néglige aucun petit profit. Tous les joueurs de +vielle, les aveugles, joueurs de violon sont obligés de lui payer +quatre sols par jour, et la musique des rues ne désempare pas. Les +meneurs d'ours et de singes sont de plus assujettis au droit de +patentes. Il y a eu dernièrement au conseil d'État une grave +discussion de plusieurs heures sur tous ces objets d'industrie.</p> + +<p>Un misérable pamphlet sur le duc d'Œls, écrit en style de +gargotte, est colporté par une vieille femme à Brunswick. Le général +Bongars en fait une conspiration: il en importune le roi jusque dans +Paris et provoque toute sa sévérité. Il arrache à la faiblesse de M. +Siméon un projet de décret sur les cartes de sûreté.</p> + +<p>Il s'agit de donner de la considération aux gendarmes. Un gendarme +abuse de son pouvoir à Gœttingue: on lui sacrifie l'Université, +et quatre cents étudiants étrangers la quittent. Cependant, il y a +peu de jours, un gendarme passa la mesure à Marbourg. Il perce de +son sabre un conscrit qui fumait et qui n'avait pas obéi assez vite +au commandement d'ôter sa pipe. Il paraît qu'on a l'intention de +faire fusiller le meurtrier, mais il y a conflit de juridiction, et +l'on ne sait pas encore qui l'emportera de M. Siméon ou de M. le +général d'Albignac. On m'a dit que M. Siméon avait adressé +dernièrement au roi un rapport très véhément contre MM. d'Albignac +et Bongars. C'est peut-être un malheur que M. Siméon ait perdu +beaucoup de sa considération. Il paraît que son influence se +trouvera à peu près circonscrite dans les fonctions de son +ministère.</p> + +<p>Le roi a écarté M. de Marinville de son cabinet. On dit qu'il a +trouvé des infidélités à lui reprocher. M. de Norvins a demandé et +obtenu son congé. C'est un homme d'esprit et de talent, mais d'une +vanité et d'une prétention excessives. On assure que dans cette +occasion le roi a énoncé une maxime qui me paraîtrait très +dangereuse. Il ne veut, dit-on, avancer que des Français qui, ne +tenant plus à la France par aucun lien, lui soient entièrement +attachés et ne puissent attendre leur fortune que de sa protection. +Ce serait vouloir n'attirer en Westphalie que des aventuriers, et +nous n'en manquerons point; c'est la maxime contraire qu'il serait à +désirer que le roi suivit.</p> + +<p>Ceux qui sont revenus de Paris, et quelques autres dont on annonce +<span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> le retour prochain, ne paraissent pas avoir été satisfaits +de leur voyage. On cite quelques mots de Sa Majesté Impériale sur le +luxe des habits, sur la rapidité des avancements. Ces mots ont +retenti à Cassel. Qui les aurait dits ici aurait été accusé de +mécontentement ou d'envie. Cependant, tous les Allemands aiment M. +Siméon, tous les Allemands regrettent amèrement la perte du général +Éblé. Qu'ils voient à côté du roi des Français dignes de l'estime et +de la confiance, et capables de quelque indulgence pour les +habitudes nationales, et ils les porteront aux nues.</p> + +<p>Je n'ai point encore parlé à Votre Excellence de M. Pichon. Il +s'occupe beaucoup de l'étude des finances du pays: il énonce +quelquefois au conseil d'État des idées saines et qui porteront +fruit. Mais il ne doit pas trop se presser; il a le désir du bien, +mais il est jeune, il est vif, quelquefois tranchant, et il manque +encore d'expérience.</p> +</div> + +<p>On voit par le tableau tracé dans cette lettre que l'Empereur était +parfaitement au courant de ce qui se passait en Westphalie à tous +les points de vue. Le bulletin suivant du 19 mai 1810 est relatif +aux intrigues du trop célèbre marquis de Maubreuil avec la baronne +de Keudelstein.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Avant-hier, la poste de Cassel a distribué des lettres qu'on dit au + nombre de seize, timbrées de Paris et renfermant une <i>Épître à + Blanche</i>. Parmi les personnes qui ont reçu cet envoi se trouvent le + préfet de la police, M<sup>me</sup> la comtesse de Furstenstein, le ministre + de France et son secrétaire de légation, M<sup>me</sup> la comtesse de + Schœnbourg, amie de Blanche, enfin Blanche elle-même et son mari, + M. Laflèche, baron de Keudelstein, qui, heureusement, se trouvait en + voyage.</p> + +<p>Il est inutile de caractériser cette production qui se trouve jointe + à ce bulletin. Elle est calomnieuse en toute hypothèse et elle ne + peut inspirer que de l'indignation.</p> + +<p>Quant à l'auteur de ces envois, les soupçons ne peuvent se porter + que sur un M. de Maubreuil, amant de Blanche ou de Jenny, sa + belle-sœur, ou de toutes les deux. On prétend que l'auteur des + envois ne peut être celui des vers, puisque M. de Maubreuil n'en + fait point. On soupçonne un M. de Boynest, aide des cérémonies + renvoyé par le roi; mais on dit que s'il fait des vers il en fait de + plus mauvais que ceux de l'épître. On se souvient que M. de Norvins + en fait d'assez bons; mais on le croit trop homme de bien pour + prostituer son talent dans une pareille circonstance. «<i>L'indigne + amant de ta sœur</i>,» c'est M. de Courbon. Pendant le carnaval + passé, dans un des bals de la cour, lorsque tout le monde se fut à + peu près déjà retiré, M. de Maubreuil, qui était alors officier aux + gardes, fit une scène publique à M. de Courbon, en lui reprochant sa + liaison avec M<sup>me</sup> Jenny Laflèche. Son emportement ayant passé + <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span> toutes les bornes de la décence, le colonel Laville, + chargé de la police du palais, le mit aux arrêts; le duel qui devait + s'ensuivre fut empêché par ordre supérieur, et M. de Maubreuil reçut + pour voyager un congé indéfini, équivalant à une démission. On + prétend que ce M. de Maubreuil qui, d'ailleurs, ne manque pas de + courage, est un terrible amant, et qu'il avait pour coutume de + s'introduire le sabre en main chez quiconque osait adresser la + parole aux dames qui étaient ou qu'il lui prenait fantaisie de + déclarer ses maîtresses.</p> + +<p>Le prince Repnin avait fait venir de Iéna le docteur Starke, pour + accoucher sa femme. En arrivant, il trouva d'abord à accoucher M<sup>lle</sup> + Delaitre, actrice du théâtre westphalien. Il se trouva ensuite + pressé de partir pour accoucher M<sup>lle</sup> Jægermann, actrice du théâtre + de Weimar. On prétend que les deux petits princes des deux actrices + sont d'une plus noble extraction que le petit prince russe.</p> + +<p>M<sup>me</sup> Blanche ne sort point depuis qu'elle est revenue de Paris. Elle + avait annoncé qu'elle resterait chez elle pendant deux mois. <i>Et + c'était avant la lettre!</i></p> +</div> + +<p>Dans une autre lettre au duc de Cadore, du 26 mai, Reinhard revient +sur la pénurie des finances westphaliennes. «La dette publique de la +Westphalie, écrit-il, sans y comprendre celle du Hanovre, monte, +telle qu'elle est à peu près constatée, à 93 millions; celle du +Hanovre, les répétitions à faire au nom de S. M. l'Empereur, la +feront monter à 180 au moins; et, le Hanovre compris, les revenus du +royaume de Westphalie ne pourront jamais être portés beaucoup au +delà de 40 millions.» Et il ajoute:</p> + +<p class="lettre">Sans parler de ce que, dans les circonstances actuelles, tant de + sources de profits et de revenus sont obstruées, l'État, toujours + pressé par des besoins impérieux, ne peut rien faire pour soulager + ceux qu'il voit dans la détresse; il est même obligé de revenir sur + des soulagements qu'il avait annoncés, et toute sa ressource est + dans les efforts qu'il fait pour répartir également le fardeau. + C'est ainsi qu'après avoir reconnu qu'il valait infiniment mieux + payer par abonnement les frais de table des officiers; après avoir + assigné 1,200 francs par mois au général de division, 700 au général + de brigade, 60 au capitaine et 50 au lieutenant, on a réparti sur la + totalité du département de l'Elbe des dépenses qui, pour la seule + ville de Magdebourg où trois cents maisons restent désertes, montent + par mois à 22,000 francs. On sera obligé d'employer le même + expédient à Brunswick, où le préfet a déclaré que les frais de + logement et d'entretien des gens de guerre amèneraient + l'impossibilité absolue de payer les impôts ordinaires. C'est ainsi + qu'après un décret royal qui proclame une amnistie pour les + conscrits réfractaires dont le nombre <span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> avait été très grand + pendant les troubles de l'année passée, le général d'Albignac, + annonçant aujourd'hui que cette amnistie s'applique aux peines et ne + s'étend pas aux amendes, exige de ceux mêmes qui sont rentrés sous + les drapeaux ces amendes qui, pour les seuls districts de la Fulde + et de Paderborn, montent à la somme de 323,000 francs. Encore ces + amendes sont-elles exigées d'après l'ancien tarif qui en fixait le + minimum à 250 francs, tandis que le nouveau tarif l'a fixé à 100, + après qu'on eût reconnu l'impossibilité de faire payer une plus + forte somme à des paysans pauvres et ruinés.</p> + +<p>Reinhard termine cette lettre en rappelant les éloges que certaines +feuilles publiques «et surtout les gazettes littéraires de +Gœttingue et de Halle très répandues en Allemagne» donnaient au +roi pour tout le bien qu'il avait fait à ces universités:</p> + +<p class="lettre">Leist me disait dernièrement: «C'est par l'université de + Gœttingue et par l'éclat qu'ils lui ont donné, que Georges II et + son ministre, M. de Münchhausen, ont acquis l'estime dont ils + jouissaient auprès de leurs contemporains et qui a été transmise à + la postérité.» Pour ce qui concerne M. de Münchhausen, + l'établissement de l'université de Gœttingue faisait l'occupation + de sa vie entière; pour Georges II, les contemporains et la + postérité l'ont sans doute jugé d'après d'autres données encore; + mais il n'en est pas moins vrai que ce que le Roi a fait pour + Gœttingue remplit une des pages les plus honorables et les plus + ineffaçables de son histoire.</p> + +<p>Une lettre au duc de Cadore du 4 juin donne des détails sur la +répugnance des Hanovriens à fournir des soldats au roi de +Westphalie. Reinhard pense qu'il «faudra user de quelques +précautions pour amener à se soumettre une population qui s'obstine +à ne point renoncer à l'espérance de rentrer sous la domination +anglaise.» Il annonce, d'après le n<sup>o</sup> 66 du <i>Moniteur Westphalien</i>, +une nouvelle vente de 6 couvents dont la valeur était estimée à +2,200,000 francs. «Après les couvents viendra le tour des chapitres; +en attendant, ce sont les capitaux qui s'en vont, et la caisse des +économats restera bientôt à sec.»</p> + +<p>Le 12 juin, il revient sur cette grave question des finances +westphaliennes:</p> + +<p class="lettre">Un décret royal daté de Rouen<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a><a href="#footnote133" title="Lien vers la note 133"><span class="smaller">[133]</span></a> met à la disposition du ministre + des finances une somme de 250,000 fr. à prendre sur le produit de la + <span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> vente prochaine des couvents et à négocier en attendant à + un demi pour cent par mois et à un pour cent de commission pour + servir à l'indemnité des donataires impériaux dépossédés auxquels + s'applique l'article 5 du traité du 14 janvier. L'emploi de cette + somme ne peut avoir pour objet que de leur payer les revenus + arriérés; et cette disposition ne saurait être regardée comme un + arrangement définitif. Du reste, M. de Bulow exprime dans ses + dernières lettres son regret extrême d'avoir échoué dans l'ensemble + de son projet concernant l'acquisition des domaines impériaux. Mais + il lui reste toujours la ressource d'allécher les grands donataires + par sa fidélité à s'acquitter de ses engagements envers ceux de + 4,000 fr. et au-dessous; et, sous ce rapport, le refus de céder à la + Westphalie la totalité des domaines me paraît être un bienfait pour + les possesseurs des petites donations.</p> + +<p>Le lendemain, il revenait sur le même sujet:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je viens de recevoir la visite de M. Malchus et je lui fais une + amende honorable. Nous avons causé longtemps ensemble et j'en ai été + fort content.</p> + +<p>Il m'a d'abord donné des éclaircissements satisfaisants sur tous les + objets de réclamation relatifs à son administration. Le solde de ce + qui nous revenait sur les postes et sur les douanes a été + entièrement réglé et acquitté, sans même que l'administration + française ait eu besoin de faire usage de la lettre que je lui avais + écrite. Il m'a expliqué ce qui pouvait avoir donné lieu aux + prétentions des fermiers dont parlait votre lettre du 8 mai. Pour + les charges extraordinaires de guerre les fermiers avaient été + imposés à un tiers et les propriétaires à deux tiers. Après la prise + de possession du Hanovre le gouvernement westphalien déchargea les + domaines et laissa à la charge des fermiers le tiers, comme un impôt + personnel qui ne peut ni ne doit être à celle des donataires. Quant + aux fonds destinés à l'entretien des troupes françaises, cet objet + aussi, d'après l'attestation même de M. le général Brugères, paraît, + pour le moment, entièrement en règle.</p> + +<p>M. Malchus m'a entretenu de l'état du pays et de l'esprit de ses + habitants. Il croit entrevoir encore des ressources qui ne + permettent pas de désespérer de son rétablissement. L'esprit de la + noblesse et des classes qui tenaient immédiatement à elle par un + intérêt commun lui paraît incorrigible; en effet ce sont des + souverains détrônés.</p> + +<p>De deux projets de division territoriale que M. Malchus avait + envoyés au Roi, S. M. a approuvé celui que M. Malchus préférait + lui-même, et il croit que cette approbation a été donnée sous les + auspices de S. M. Imp. On a essayé de lever par enrôlement + volontaire les deux régiments de cavalerie que M. le général + Hammerstein est chargé d'organiser dans le Hanovre; mais on doute + que ce mode réussisse; et il faudra plus tard avoir recours à la + conscription.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> La lettre suivante, du 9 juillet, est relative à +l'abdication du roi Louis de Hollande:</p> + +<div class="lettre"> +<p>La nouvelle de l'abdication de Sa Majesté le Roi de Hollande m'a été + donnée par le ministre de Russie dont le collègue à Amsterdam avait + chargé d'une lettre pour le Prince Repnin le courrier qu'il + expédiait pour Saint-Pétersbourg. La veille, M. de Bercagny était + venu m'en parler comme d'un bruit qui se répandait, et plutôt pour + sonder la légation française, si elle en était déjà instruite, que + pour lui communiquer franchement les circonstances de cet événement + qui était déjà parvenu à sa connaissance.</p> + +<p>En effet, M. de Gilsa, ministre de Westphalie en Hollande, avait + envoyé M. de Trott, son secrétaire de légation, chargé de ses + dépêches et porteur des proclamations qui ont été publiées dans + cette circonstance. M. Hugot l'avait sur-le-champ envoyé au-devant + du Roi; mais M. de Trott lui avait raconté le fait. J'ai été, je + l'avoue, peiné de cette réserve mal entendue qui m'exposait à + apprendre un événement de cette nature par le canal du ministre de + Russie qui, au reste, lui-même ne paraît l'avoir appris que par + quelques lignes écrites à la hâte et ne renfermant aucun détail.</p> + +<p>Il paraît que Sa Majesté Westphalienne avait fait préparer, il y a + déjà quelque temps, un appartement aux bains de Neudorf, pour le Roi + de Hollande. Quoiqu'on soit convaincu ici que le projet de se rendre + aux bains de Neudorf n'avait rien de commun avec la résolution que + Sa Majesté Hollandaise a prise depuis, on croit cependant à la + possibilité de son exécution. On parle d'une visite que Madame mère + se propose de faire à son fils à Cassel. Les gens sensés voient avec + douleur que des conseils maladroits ou perfides aient empêché le Roi + de Hollande de concilier avec Sa Majesté Impériale le désir qu'il + avait de faire le bien de son royaume; ils regardent comme un grande + erreur de l'esprit la prétention de vouloir s'isoler dans une lutte + générale; ils pensent que dans un vaste plan de campagne, chacun + doit garder le poste qui lui est assigné; que s'écarter des idées + directrices, c'est compromettre le succès de l'ensemble; et que le + pouvoir qui méconnaîtrait sa source serait un effet qui ne voudrait + pas dépendre de sa cause. M, de Trott inculpe les conseils de MM. + Mollerus et Huygens. Ce dernier est un esprit étroit qui, se noyant + dans de petits détails, est peu capable de s'élever à des idées + générales. J'avoue que je le croyais peu susceptible de prédilection + pour un système quelconque, et encore moins la présomption téméraire + d'influer sur une détermination importante.</p> +</div> + +<p>La lettre suivante, du 13 juillet, se rapporte au même objet:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je venais d'achever ma dépêche que je me proposais de faire partir + <span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> aujourd'hui par le courrier ordinaire, lorsque le Roi m'a + envoyé M. le baron de Boucheporn, maréchal de sa cour, pour + m'inviter à me rendre au nouveau bâtiment des écuries où je + rencontrai Sa Majesté qui désirait de me parler. M. de Boucheporn + revenait d'Amsterdam par Deventer et Osnabruck; il venait de + descendre de voiture et de rendre compte au Roi de son voyage.</p> + +<p>Sa Majesté, m'ayant aperçu, me fit l'honneur de m'appeler, et me + permettant de l'accompagner dans sa promenade, me dit qu'Elle avait + envoyé M. de Boucheporn d'Aix-la-Chapelle à Amsterdam, pour porter + au Roi, son frère, une lettre contenant une commission que Sa + Majesté l'Empereur lui avait donnée, et dont il était inutile de me + parler, puisqu'Elle avait déjà envoyé la copie de cette lettre à Sa + Majesté Impériale; que M. de Boucheporn avait trouvé le Roi parti, + et qu'il était parti lui-même d'Amsterdam après le retour de M. le + colonel Richerg que le Roi son frère avait envoyé à l'Empereur pour + lui donner connaissance de son abdication; qu'en route il avait eu + des nouvelles du voyage du Roi à Deventer et à Osnabruck, d'où il + s'était rendu directement à Cassel, et que tous les renseignements + qu'il avait recueillis semblaient indiquer que le Roi de Hollande + s'était embarqué.</p> + +<p>M. de Boucheporn a raconté à Sa Majesté les détails suivants: le Roi + avait fait jusqu'à onze heures du soir une partie de jeu avec + quelques dames, parmi lesquelles était madame de Huygens: en se + levant il leur avait dit adieu avec une expression qui ne les a + frappées qu'après l'événement. Après avoir embrassé son fils, il + monta dans une voiture de place, pour se rendre à Amsterdam. Arrivé + à son palais, il fit le triage de ses papiers; il en brûla beaucoup, + il en emporta d'autres; il emporta aussi ses ordres, excepté celui + de France, et il écrivit sa démission de la dignité de connétable. + Personne (c'est du moins ce dont M. de Huygens a chargé M. de + Boucheporn d'assurer Sa Majesté) n'avait été mis dans le secret. Le + Roi doute même si M. Mollerus, qui est ici, a pu être instruit de + quelque chose par son père.</p> + +<p>À Osnabruck, la trace du voyage ultérieur semble se perdre. Le Roi a + envoyé un courrier à Neudorf pour s'assurer positivement si son + frère est arrivé; mais il lui paraît impossible que, si cela était, + on eût ignoré à Cassel un fait qui ne pouvait plus être caché depuis + que l'officier qui courait après avait publié que le comte de + Saint-Leu, c'était le Roi de Hollande.</p> + +<p>Sa Majesté ne m'a point dit sur quels renseignements se fonde la + crainte où elle paraît être que son frère ne se soit embarqué. + Lorsque M. Boucheporn passa par Osnabruck, on devait y savoir déjà, + par le retour des postillons, si la direction que la voiture a prise + la rapprochait <span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> ou l'éloignait des bords de la mer. Je dois + ajouter que le Roi m'a nommé Batavia et qu'il a paru se rappeler que + les pensées de son frère se portaient quelquefois vers cette colonie + éloignée.</p> + +<p>Voilà, Monseigneur, les notions que Sa Majesté m'a commandé de + transmettre à Votre Excellence. Elle se propose d'adresser, demain + ou après-demain, un courrier à Sa Majesté Imp. Ce courrier suivra de + près le mien, et portera la confirmation entière de ce qui ne paraît + déjà guère douteux, que Sa Majesté Hollandaise ne s'est point rendue + à Neudorf.</p> +</div> + +<p>En apprenant le départ du roi de Hollande et en recevant copie de la +lettre que son frère Jérôme lui avait adressée, Napoléon écrivit à +ce dernier le 13 juillet, de Rambouillet, la lettre suivante, omise +aux <i>Mémoires de Jérôme</i> et à la <i>Correspondance</i> de l'Empereur:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, j'ai reçu votre courrier. Je vous remercie des + communications que vous me faites. Votre lettre au Roi de Hollande + est fort, bien, et vous avez bien exprimé ma pensée. Je ne crains + qu'une chose pour le Roi; c'est que tout cela ne le fasse passer + pour fou, et il y a dans sa conduite une teinte de folie. Si vous + apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à + revenir à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre + la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait + entrevoir d'Amsterdam que le Roi pourrait se rendre en Amérique, et + qu'il s'est procuré à cet effet un passeport par un officier qu'il + aurait envoyé à Londres. S'il vous est possible de vous opposer à ce + projet insensé, même par la force, faites-le. J'ai envoyé Lauriston + prendre le grand duc de Berg à Amsterdam pour le ramener à Paris.</p> + +<p><i>P. S.</i> La famille avait besoin de beaucoup de sagesse et de bonne + conduite. Tout cela ne donnera pas d'elle une bonne opinion en + Europe. Heureusement que j'ai tout lieu de penser que l'Impératrice + est grosse.</p> +</div> + +<p>N'osant pas recevoir dans ses États le Roi Louis, sans en avoir reçu +l'autorisation de Napoléon, Jérôme écrivit à ce dernier de +Napoléonshœhe, le 28 juillet 1810:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, j'ai reçu hier soir les premières nouvelles du roi de Hollande + contenues dans deux lettres, l'une du 16 et l'autre du 21 juillet.</p> + +<p>Dans la première, il me dit que non seulement son intention n'a pas + été en abdiquant de se soustraire à l'autorité de Votre Majesté, + mais au contraire qu'il désire savoir si vous lui permettez d'aller + vivre en particulier à Saint-Leu. Je prie Votre Majesté de me faire + connaître ses intentions afin que je puisse lui répondre à ce sujet.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> Dans la seconde, il m'exprime le désir de vendre pour cinq + cent mille francs de diamants qu'il possède, ce qui prouve qu'il est + loin d'avoir emporté beaucoup d'argent. Comme il m'est impossible de + disposer d'une pareille somme, je ne pourrai que lui répondre + négativement.</p> + +<p>Dans le cas où Votre Majesté trouverait convenable qu'il retournât à + Saint-Leu, après la saison des eaux, approuvera-t-elle que je + l'engagea passer par Cassel?</p> + +<p>Je compte partir dans trois jours avec la reine pour Hanovre où + j'espère recevoir la réponse de Votre Majesté.</p> +</div> + +<p>Jérôme partit le 31 juillet de Cassel pour se rendre à Hanovre et +visiter les nouvelles provinces annexées à son royaume. D'après une +lettre de Reinhard, du 3 août, il paraît y avoir reçu un bon +accueil. Il célébra la fête de l'empereur à Hanovre même, et le +lendemain le roi écrivait à son frère:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je suis arrivé avant-hier à Hanovre de mon retour des côtes; + le pays que j'ai parcouru est susceptible de grands accroissements + sous le rapport du commerce; un canal pour joindre l'Elbe et le + Weser pourra être commencé et fini dans trois années. La position de + mes États me rend entièrement maître du commerce de ces deux + fleuves, et l'Oste et la Gueste peuvent, avec quelques travaux, + recevoir et abriter même pendant l'hiver des bâtiments de cinq cents + tonneaux et des frégates. La position de Cuxhaven permet d'en faire + un port très essentiel, surtout pendant l'hiver; il peut avec + quelques dépenses offrir un refuge à une frégate, mais j'observe à + Votre Majesté qu'il faut une année de travail.</p> + +<p>J'ai passé en revue à Wenden les 2<sup>e</sup> et 9<sup>e</sup> de cuirassiers, à + Lunebourg le 3<sup>e</sup> et à Hanovre le 12<sup>e</sup>. Il est impossible, Sire, de + trouver une division mieux tenue pour les hommes ainsi que pour les + chevaux. J'ai été reçu par ces braves gens avec enthousiasme. Je les + ai fait manœuvrer.</p> + +<p>J'ai également passé la revue d'une de mes brigades d'infanterie; + elle était forte de 4,500 hommes. Ils se conduisent très bien et + sont tous fiers de se trouver les compagnons des Français, avec + lesquels ils vivent en frères. Le service, d'après le rapport du + général Morand, se fait avec exactitude et aucun homme ne déserte.</p> + +<p>Je ne puis assez supplier Votre Majesté de diminuer les troupes + françaises. Je sais bien, Sire, qu'il est de toute justice que ces + troupes soient dans mes États puisque c'est la teneur du traité, + aussi ce n'est que comme une faveur que je fais cette demande à + Votre Majesté, et surtout d'après l'état d'épuisement où je vois le + pays.</p> + +<p>Je prie Votre Majesté d'agréer avec bonté l'expression de mon tendre + et inviolable attachement.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> Les trois lettres suivantes, des 24, 28 et 30 septembre, +mentionnent la démission du général d'Albignac, ministre de la +guerre, qui venait, quelques mois auparavant, de remplacer le +général Eblé. Cette démission, offerte avec l'espoir qu'elle serait +refusée, fut acceptée sur-le-champ, et le général Salha nommé à la +place d'Albignac. Reinhard trace le portrait suivant du nouveau +ministre:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, le 30 septembre 1810.</p> + +<p>Il me paraît certain que parmi les Français qui sont à son service + en Westphalie, le Roi n'aurait pas pu faire un meilleur choix que + celui de M. le général Salha. C'est un homme d'un jugement mûr et + solide, d'un caractère ferme, et qui se distinguait à la cour par la + dignité de sa conduite. Il y paraissait plus estimé qu'aimé, + quoiqu'il porte dans sa physionomie et dans ses yeux quelque chose + qui invite à l'attachement. Pour ce qui concerne ses talents + administratifs, il faut l'attendre à l'épreuve. Il y a peu de temps + qu'ayant fait l'acquisition de la terre de Hœne, le Roi lui + accorda des lettres patentes de comte.</p> +</div> + +<p>Le nouveau ministre de la guerre allait, comme tous ses +prédécesseurs, se trouver en face d'une situation financière fort +compromise. Le même jour, 2 octobre, Champagny écrivait à ce propos +à Reinhard deux lettres fort pressantes; il réclamait surtout +impérieusement le paiement de l'arriéré de solde dû aux troupes +françaises que la Westphalie devait entretenir. Reinhard s'empressa +d'aller trouver les ministres, et, dans une dépêche du 8 octobre, il +rend compte au duc de Cadore de son entrevue avec eux:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je leur ai dit que toute réponse autre que celle qui énoncerait les + mesures prises pour acquitter sur-le-champ les sommes qui restent + dues serait un <i>non</i>. Ils m'ont assuré que sur le budget de 747,000 + francs par mois, pour l'entretien des troupes françaises, 600,000 + francs avaient constamment été payés: qu'ainsi l'arriéré pour six + mois n'allait pas à un million. Cependant il résulte du tableau + ci-joint des dépenses faites pour le ministère de la guerre sous + l'administration du général d'Albignac que pendant ces six mois, sur + 5,231,044 francs qui auraient dû être payés, il n'a été payé que + 3,617,409 francs. Ce qui laisserait un déficit de 1,613,687 francs.</p> + +<p>Votre Excellence me rend la justice de croire que je n'ai rien + négligé pour obtenir que cet objet fût mis entièrement en règle. + Aussi en sentais-je toute l'importance. La réception de vos lettres, + aussi pressantes que multipliées, a été suivie immédiatement de la + transmission par écrit de vos réclamations au ministre des relations + extérieures, et <span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> quelquefois en même temps au ministre de + la guerre directement. En outre j'ai saisi toutes les autres + occasions qui se présentaient pour entretenir de vive voix et ces + deux ministres et celui des finances. M. le général d'Albignac me + disait encore en partant que c'était sur ce budget de 747,000 + francs, si le ministre des finances l'avait payé en entier, qu'il + avait espéré de faire des économies pour payer 100,000 fr. + d'à-compte pour la solde arriérée des troupes westphaliennes en + Espagne; comment se ferait-il donc, s'il était vrai qu'on eût payé + sur ce budget 600,000 francs par mois, que la solde des troupes + françaises en Westphalie soit arriérée de près de quatre mois? Mais + la preuve qu'on n'a payé qu'environ 517,000 francs par mois est dans + le tableau des dépenses du général d'Albignac.</p> + +<p><i>À dix heures du soir</i>, M. le comte de Bulow s'était fait annoncer + chez ma femme, sans doute pour être présent lorsque la réponse du + gouvernement westphalien me serait apportée. Je l'ai reçue. J'ai + conduit M. de Bulow dans mon cabinet, et je l'ai lue devant et avec + lui. M. de Bulow m'a dit qu'il ne doutait pas que Sa Majesté + Impériale y verrait la bonne volonté du Roi; que faire quelque chose + au-delà était absolument impossible; que ce qu'on promettait de + faire était d'une difficulté extrême; mais qu'il en avait calculé la + possibilité et qu'il en répondait. J'ai dit à M. de Bulow que + j'allais la transmettre telle que je la recevais, et qu'il dépendait + de Sa Majesté Imp. de décider si elle renfermait un <i>oui</i> ou un + <i>non</i>.</p> + +<p>«Mais comment, a dit M. de Bulow, nous payons et nous payons tout, + et Sa Majesté Impériale ne nous demande que cela.»—«Elle vous + demande de payer sur-le-champ le mois tout en entier, tous les mois + suivants en entier.»—«Mais payer sur-le-champ l'arriéré serait + impossible, sans faire manquer les services suivants et encourir de + nouveau le mécontentement de l'Empereur.»—«Puisqu'il ne s'agit que + d'un million, pourquoi ne l'empruntez-vous pas, et même + provisoirement sur les budgets des ministères?»—«Nous ne pouvons + pas emprunter, personne ne veut nous prêter; et emprunter sur les + budgets des ministres ce serait désorganiser tous les + services.»—«Sa Majesté l'Empereur vous a fait déclarer, dès le mois + d'avril, que le trésor public de France ne ferait aucune avance pour + cette dépense. En laissant en arrière un million ce serait donc le + trésor public de France qui serait obligé de faire l'avance. + Croyez-vous que Sa Majesté Impériale reviendra sur une détermination + qu'Elle a prise?»—«Le trésor de France n'aura besoin de faire + aucune avance. Les troupes ont reçu la moitié de leur solde échue. + Elles vont recevoir la solde entière des mois suivants: elles sont + logées, nourries, habillées; un arriéré de la solde de six mois et + plus est presque d'usage, même en France. Je vous proteste que les + troupes sont et seront contentes.»—«Enfin, <span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> M. le comte, + c'est à Sa Majesté Impériale à prononcer. Mais en toute hypothèse, + gare l'inexactitude à remplir les engagements solennels que vous + contractez pour l'avenir!»</p> + +<p>Je n'ai rien à ajouter, Monseigneur, pour l'engagement de payer + cette dette, sans objection, sans réserve, le oui est positif; mais + c'est un million qui reste en arrière.</p> +</div> + +<p>Cependant un autre désastre menaçait le royaume de Westphalie. +L'empereur ayant échoué dans toutes ses intentions de paix avec +l'Angleterre revint résolu de ne s'en rapporter qu'à sa puissance +pour la stricte observation du blocus continental, cette mesure +pouvant, d'après lui, amener la Grande-Bretagne à merci. Il décida +donc qu'il annexerait à la France non seulement la Hollande, mais +aussi les embouchures des principales rivières du Nord, la majeure +partie du Hanovre et un peu de la Westphalie, en donnant à son frère +de ridicules compensations territoriales.</p> + +<p>Le duc de Cadore lui remit le 11 octobre 1810 une note qui se trouve +<i>in extenso</i> à la page 491 du 4<sup>e</sup> volume des <i>Mémoires de Jérôme</i>; +et quelques jours plus tard, le 25 octobre 1810, après avoir reçu +les ordres de l'empereur, il fit tenir au ministre du roi de +Westphalie à Paris la note suivante dont il envoya le même jour une +copie à Reinhard avec la courte lettre qui la précède:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'adresse aujourd'hui à M. le comte de Wintzingerode, par ordre + exprès de Sa Majesté, la lettre dont je joins ici copie.</p> + +<p>Vous direz à M. le comte de Furstenstein qu'il recevra par le + Ministre du Roi à Paris la réponse à la note qu'il vous avait + remise. Vous ne lui cacherez point que vous en avez connaissance; et + si elle ne lui était pas encore parvenue, vous lui feriez lire la + lettre que j'ai l'honneur de vous adresser et qui est cette réponse.</p> + +<p>Vous répéterez à M. le comte de Furstenstein ce que j'ai écrit à M. + de Wintzingerode, que le Roi peut toujours continuer d'administrer + le Hanovre; mais que l'Empereur ne se tient plus pour engagé<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a><a href="#footnote134" title="Lien vers la note 134"><span class="smaller">[134]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Note à M. le Comte de Wintzingerode, ministre de Sa Majesté le roi +de Westphalie. Cette note a été soumise à l'approbation de +l'empereur; la dernière phrase soulignée est de la main de Sa +Majesté.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je me suis empressé de porter à la connaissance de Sa Majesté + <span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> l'Empereur et Roi la note en date du 6 de ce mois par + laquelle Votre Excellence demande au nom de sa cour que l'acte + dressé le 11 mars pour la remise du Hanovre soit approuvé et + confirmé par Sa Majesté Impériale et Royale.</p> + +<p>Deux articles de cet acte, l'un relatif à l'entretien des troupes + françaises en Westphalie, l'autre concernant les domaines réservés + dans le Hanovre et les revenus de ces domaines, ayant été rédigés de + manière à paraître susceptibles d'une interprétation abusive et + totalement contraire à l'esprit du traité de Paris, Sa Majesté + voulut être rassurée par des déclarations positives et précises + faites au nom du Roi, déclarations que je fus chargé de demander et + qui furent aussi demandées par le ministre de Sa Majesté à Cassel.</p> + +<p>Sur le premier objet, la déclaration du gouvernement westphalien ne + laissa rien à désirer.</p> + +<p>Mais relativement aux domaines, au lieu de déclarer «que leurs + revenus devant, pendant l'espace de dix années, à compter du jour de + la remise du Hanovre, rester identiquement les mêmes, aucune loi + générale ou particulière du royaume de Westphalie, aucun acte du + gouvernement westphalien dont l'effet serait de changer la nature + des dotations ou d'en diminuer et réduire les revenus, ne pourraient + leur être, et ne leur seraient, dans aucun cas, et sous aucun + prétexte, appliqués avant l'expiration de ces dix ans,» le ministère + westphalien ne s'est exprimé que d'une manière indirecte, en termes + vagues et plus propres à confirmer qu'à détruire les craintes que + l'article de l'acte de remise avait inspirées; et toutes les + instances du ministre de France à Cassel n'ont pu en obtenir une + déclaration plus franche et plus conforme à la juste attente de Sa + Majesté l'Empereur et Roi.</p> + +<p>Pendant que le gouvernement westphalien semblait ainsi vouloir se + ménager les moyens d'éluder un de ses principaux engagements, un + autre plus essentiel encore n'était pas exécuté.</p> + +<p>La solde et les masses des troupes françaises en Westphalie + n'étaient pas acquittées. Des réclamations multipliées et presque + journalières lui ont été adressées et l'ont été sans fruit. Loin de + satisfaire à un engagement qu'il devait regarder comme doublement + sacré, il n'en promet pas même l'accomplissement. Il n'annonce que + l'impuissance absolue où il dit être de le remplir.</p> + +<p>Par l'effet de ces deux circonstances, Sa Majesté l'Empereur et Roi, + loin de pouvoir approuver et confirmer l'acte de remise du Hanovre, + se voit à regret dans la nécessité, non de reprendre et de retirer + au Roi l'administration du Hanovre, mais de regarder le traité si + avantageux pour la Westphalie, par lequel il lui avait donné ce + pays, comme rompu par le fait de la Westphalie elle-même; et <i>en + conséquence se <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> croit en droit de disposer à l'avenir du + Hanovre comme le voudrait la politique de la France</i>.</p> +</div> + +<p>En lisant cette note comminatoire, le roi Jérôme comprit les +intentions de son frère. Toutefois, il donna des ordres à ses +ministres, surtout au comte de Fürstenstein, pour que l'on rassurât +Reinhard. Ce dernier écrivit le 1<sup>er</sup> novembre au duc de Cadore:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sur l'article de l'identité des revenus des domaines hanovriens + pendant dix ans, M. de Furstenstein a protesté que jamais + l'intention du gouvernement westphalien n'avait été de tergiverser + ou d'éluder; et que la preuve qu'on avait attaché aux termes de sa + note du 29 juillet le même sens que je leur avais supposé dans ma + note du même jour, était qu'on n'avait pas contredit la mienne. Il a + ajouté que sans doute la lettre de Votre Excellence au comte de + Wintzingerode affligerait beaucoup le Roi; mais Sa Majesté Impériale + le trouverait toujours soumis à ses volontés.</p> + +<p>Dans la même conférence, j'ai fait connaître à M. de Furstenstein + les intentions de Sa Majesté l'Empereur concernant le titre de + colonel-général de la garde westphalienne. Ce ministre m'a répondu + qu'en effet il se rappelait que déjà, il y a quatorze ou quinze + mois, le Roi en avait eu des indications et qu'il était convaincu + que Sa Majesté se conformerait entièrement à cet égard à la manière + de voir de Sa Majesté Impériale.</p> + +<p>M. de Furstenstein m'a cité aussi quelques traits d'une conversation + que vous eûtes, Monseigneur, avec M. le Comte de Wintzingerode et où + vous parliez de différentes dépenses du Roi qui paraissent avoir été + remarquées comme inutiles ou excessives par Sa Majesté l'Empereur. + On a reproché au Roi, m'a dit ce ministre, d'avoir fait restaurer + son palais et de vouloir bâtir une ville. Il s'agit d'une rue + nouvelle de vingt maisons dont la liste civile ferait les + avances.—Les dépenses, quelles qu'elles soient, a continué M. de + Furstenstein, concernent uniquement la liste civile, et sont par + conséquent étrangères aux engagements contractés par le trésor + public du royaume. Cela est vrai, Monseigneur, cependant la remarque + faite par Sa Majesté Impériale ne porte point à faux, puisqu'un peu + plus d'économie dans les dépenses de la liste civile, soit celles + que Votre Excellence a citées, soit d'autres, aurait dispensé de la + nécessité de songer à aliéner une somme de 2,500,000 francs de + capitaux, pour payer des dettes urgentes.</p> + +<p>J'ai revu hier au soir M. le comte de Furstenstein. Il m'a dit que + le Roi avait reçu ma communication avec une résignation entière; et + que Sa Majesté répondait directement à Sa Majesté Impériale<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a><a href="#footnote135" title="Lien vers la note 135"><span class="smaller">[135]</span></a>; + <span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> qu'à cet effet il expédierait aujourd'hui un courrier dont + il m'a invité à profiter.</p> +</div> + +<p>Cependant malgré la détresse des finances, malgré les charges +nouvelles que les envahissements de l'empire français allaient faire +peser sur le nouveau royaume, on songeait à y faire de grosses +dépenses militaires: le roi, frappé des travaux défensifs accomplis +à Anvers, voulait mettre Cassel, sa capitale, à l'abri d'un coup de +main en l'entourant de murailles et de larges fossés, qui +serviraient en même temps comme de réservoir pour recevoir le trop +plein des eaux de la Fulda. Il avait commencé à grands frais la +formation d'un camp de troupes westphaliennes. Ce dernier projet +surtout irrita l'empereur, et l'on dut se hâter d'annoncer au +<i>Moniteur Westphalien</i> que le camp était dissous. En annonçant ce +résultat au ministre (13 octobre), Reinhard revenait sur l'entretien +des troupes françaises en Westphalie stipulé par le traité du 14 +janvier, mais que le gouvernement du roi Jérôme se déclarait +incapable d'assurer pour l'année 1811.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Il est à remarquer que l'engagement contracté par ce traité comprend + tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la paix maritime, et qu'ainsi + c'est mal à propos qu'on affecte de mettre en question si + l'intention de Sa Majesté Impériale sera de faire séjourner ses + troupes en Westphalie au-delà de l'année courante: quoi qu'il en + soit, le Conseil des Ministres avait proposé une rédaction qui + déclarait d'une manière bien plus positive encore cette + impossibilité vraie ou prétendue; mais le Roi s'y est opposé. Ce + qui, m'a dit M. de Furstenstein, augmentera encore les embarras, + c'est qu'en Hanovre on pouvait entretenir les troupes françaises du + produit d'une contribution de guerre que le Roi a laissée subsister + pour l'année courante, mais qu'il faudra nécessairement faire cesser + pour l'année prochaine. Aussi ceux des ministres qui, dans le temps, + avaient conseillé au Roi de ne point accepter le pays d'Hanovre aux + conditions proposées, prétendent aujourd'hui que tous les embarras + de la Westphalie viennent de cette réunion, et M. de Furstenstein + m'a dit lui-même que, quelqu'avantageuse qu'il la crût sous le + rapport de la politique, il commençait cependant à se repentir du + traité du 14 janvier.</p> + +<p>Je reprends ma conversation avec M. de Bulow: «Tant que je serai + ministre du Roi, mon devoir sera de faire marcher l'administration + qui m'est confiée, et de conserver au trésor les moyens de payer les + dépenses sans lesquelles il n'y aurait plus de gouvernement.» Ceci + me conduisit à lui demander si toutes les dépenses étaient + nécessaires <span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span> et légitimes? M. de Bulow protesta que dans + toutes il mettrait la plus stricte économie; que pour celles du Roi + il avait sa liste civile qui sans doute n'était pas dans une + proportion exacte avec les revenus du royaume et qui l'engageait à + entretenir sa cour avec un éclat peu nécessaire en Allemagne; que le + luxe auquel on s'était habitué avait encore l'inconvénient de faire + sortir beaucoup d'argent du royaume; qu'en dernière analyse, ce + n'était pas le Roi qui en profitait, mais l'intendant de la liste + civile, marchand failli avec tous les fripons dont il était entouré; + que sans la démarcation tracée entre les revenus du Souverain et + ceux de l'État, il était sûr que Sa Majesté se serait contentée de + moins et serait également heureuse. Je lui demandai si au moins la + liste civile n'empiétait pas sur les revenus de l'État? Je lui + rappelai la responsabilité dont je l'avais entretenu dans une autre + occasion, et je le priai de me dire s'il était vrai que tous les + fonds des relations extérieures se versaient dans la caisse du + trésor de la couronne et que M. de Furstenstein les tirait par une + ordonnance en bloc. M. de Bulow me dit que pour lui les ordonnances + de M. de Furstenstein le mettaient en règle et qu'il me priait d'en + parler à ce dernier; enfin qu'il était ministre du Roi et qu'il ne + pouvait pas se croire soumis à une double responsabilité. Le + lendemain, M. Siméon, envoyé sans doute par M. de Bulow, revint sur + cet objet et m'assura que la seule dépense où la liste civile avait + empiété sur le trésor public était que le Roi avait fait indemniser + les propriétaires des cinq domaines dont M. de La Flèche s'était + emparé, sur le produit d'une vente de couvents, et que par un + arrangement qui datait encore du temps de M. Beugnot, beaucoup trop + magnifique dans ses arrangements financiers, il avait été convenu + que le produit des économats au-delà de la somme de 500,000 francs, + qui serait versée à la caisse d'amortissement, tournerait au profit + du Roi.</p> + +<p>Par un mouvement spontané, M. de Bulow me dit encore que, si le Roi + voulait l'écouter, il se ferait des idées différentes sur la nature + de sa royauté, et qu'il ne se croirait pas dans la même position que + par exemple un Roi de Danemark. Je lui répondis qu'il me semblait + cependant, et que plusieurs circonstances prouvaient qu'à cet égard + les idées du Roi s'étaient beaucoup rectifiées. «Oui, dit-il, aussi + sa position est-elle devenue plus difficile, et quoiqu'assurément je + n'aie pas la mission de vous dire cela, savons-nous ce que nous + allons devenir?»</p> + +<p>Dans toute cette conversation, Monseigneur, M. de Bulow m'a montré + beaucoup d'adresse, beaucoup d'incohérence, l'envie de résister, le + désir de plaire; enfin comme son caractère, elle n'a pas été d'un + seul jet. Il m'avait parlé de la pesanteur du fardeau qu'il avait à + supporter. «Oui, lui dis-je, j'admire et j'aime la facilité avec + laquelle <span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> vous le supportez. Sans compliment, je ne connais + personne qui soit capable d'en faire autant. Vous marchez à travers + les difficultés en vous jouant; mais, au nom de Dieu, ne vous jouez + pas à l'Empereur.» Ce mot, Monseigneur, l'affligea et il me répondit + ce que le respect le mieux senti dut lui inspirer.</p> + +<p>M. de Bulow réunit à un vrai talent un travail infatigable et + l'adresse d'un homme du monde à beaucoup de désintéressement + personnel. Il veut faire sa place de la manière dont il l'a conçue. + Il se persuade qu'il la quittera sans regret, lorsqu'il ne la croira + plus tenable. Il n'est pas homme à grandes conceptions, soit que les + difficultés du moment l'absorbent, soit qu'il pense que l'heure n'en + est pas encore venue. L'espèce d'empire qu'en dépit de tant + d'ennemis acharnés il exerce sur le Roi, me paraît reposer sur des + motifs honorables à tous les deux. M. de Bulow connaît les Allemands + et les Français: il tient des uns et des autres. Nous pourrions + facilement trouver un ministre plus traitable; mais en + trouverions-nous un aussi facilement qui nous ménageât, pendant + aussi longtemps, autant de moyens?</p> + +<p>Quant aux recettes, M. Pichon pense qu'il ne serait pas absolument + difficile de les augmenter de quatre ou cinq millions. Il prétend, + par exemple, que les droits de consommation rendent huit millions au + lieu de sept, et qu'on pourrait aisément trouver deux millions de + plus sur le prix du sel vendu dans l'intérieur et surtout dans + l'étranger. Il dit que le ministre des finances convient de la + possibilité d'augmenter les recettes; mais qu'il ne veut y venir + qu'à la dernière extrémité.</p> + +<p>On a renoncé définitivement au projet de rendre plus productive la + contribution personnelle qui ne rendra que 2,500,000 francs. Mais + comme, d'après les nouveaux calculs de M. Malsbourg, la caisse + d'amortissement aura besoin de 6,500,000 francs, on se propose de + trouver quatre millions par une espèce d'imposition de guerre; et + c'est ce qui occupe en ce moment la section des finances.</p> +</div> + +<p>Sur cette double question financière et militaire, Champagny +répondait le 12 novembre à Reinhard:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai reçu et mis sous les yeux de l'Empereur les deux dernières + dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser.</p> + +<p>Sa Majesté Impériale s'est arrêtée principalement au compte que vous + rendez de vos conversations avec les ministres des finances et de la + guerre, avec le ministre secrétaire d'État sur la composition de + l'armée westphalienne. Sa Majesté n'a pu s'empêcher de remarquer que + tandis que le Roi et les ministres renouvelaient leurs + protestations, les choses n'en restaient pas moins toujours dans le + même état. Souvent l'Empereur a répété au Roi son frère qu'il ne + devait point avoir de régiments de cuirassiers, parce que cette arme + est trop dispendieuse, que les chevaux <span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> du pays n'y sont + pas propres; et que d'ailleurs des régiments de cavalerie légère et + de lanciers, plus faciles à lever et d'un entretien moins + dispendieux, conviendraient beaucoup mieux au système militaire de + l'Empire ainsi qu'aux intérêts du trésor westphalien. Cependant le + Roi ne paraît point avoir suivi ce conseil: il multiplie inutilement + les cadres et les armes, et se voit entraîné par là à de nouvelles + dépenses.</p> + +<p>Lorsque Sa Majesté Impériale a envoyé 18,000 Français en Westphalie, + son but a été en partie de dispenser le Roi d'entretenir un trop + grand nombre de troupes et tant d'officiers sur la fidélité desquels + on ne peut point compter. Les troupes westphaliennes sont en effet + les moins sûres de la confédération; et on les a vues se battre + contre nous avec ardeur, par l'effet d'une haine ancienne qu'ils ont + contractée en servant dans les rangs anglais. Sa Majesté Impériale + ne veut plus en envoyer en Catalogne: ce serait recruter les bandes + ennemies. Les Rois de Bavière et de Saxe, le Grand-Duc de + Hesse-Darmstadt, dont les États sont anciennement constitués, + peuvent avec plus de raison compter sur la fidélité des leurs; + cependant ils ne s'amusent point à créer de nouveaux corps, et ne + cherchent au contraire qu'à faire reposer tranquillement leurs + troupes.</p> + +<p>En définitif l'intention de Sa Majesté Impériale est que le Roi + renonce à ses régiments de cuirassiers et qu'il n'augmente point des + troupes qu'il ne peut nourrir et sur lesquelles il ne peut se fier.</p> + +<p>Au reste Sa Majesté Impériale ne prend à cela qu'un intérêt + d'affection pour le Roi et de sollicitude pour un État qu'Elle a + fondé. Ce qui lui importe, et ce qu'Elle veut, c'est que l'on tienne + les engagements pris avec Elle et que la solde de ses troupes soit + payée, tant pour le présent que pour l'arriéré.</p> + +<p>Sa Majesté Impériale a vu avec déplaisir que le gouvernement + westphalien cherchât à s'attribuer une espèce de droit d'inspection + sur les troupes françaises stationnées en Westphalie, en demandant à + nos généraux des états de situation des corps sous leurs ordres. Sa + Majesté Impériale a blâmé ceux de ses généraux qui se sont prêtés au + vœu du gouvernement westphalien. Aucune autorité étrangère ne + peut exercer d'inspection sur les troupes françaises.</p> + +<p>La Westphalie s'est engagée à entretenir jusqu'à la fin de la guerre + maritime un corps de dix-huit mille cinq cents Français; et pour + remplir cet engagement, elle n'a pas besoin de connaître la position + exacte de ces troupes. Il suffit que le nombre fixé ne soit point + excédé, ce qu'on reconnaîtra toujours facilement par les états de + récapitulation que fournira l'état-major général.</p> +</div> + +<p>Poussé dans ses derniers retranchements, à bout de patience, +<span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> aussi bien que ses frères Joseph et Louis, en présence du +système de l'Empereur, le roi Jérôme écrivit la lettre suivante, +digne, vraie et respectueuse, à laquelle il ne reçut aucune réponse, +comme pour celle du 30 octobre:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, mon désir le plus prononcé est de tenir tous les engagements + que j'ai pris envers Votre Majesté, et tous mes efforts ne tendront + jamais qu'à ce but, mais je la prie de me permettre quelques + observations qui me sont dictées par la situation affligeante où je + me trouve et qu'il ne peut être dans les desseins de Votre Majesté + de prolonger.</p> + +<p>Votre Majesté n'a point ratifié l'acte de cession du Hanovre et + cependant, tandis que je suis privé des diverses branches des + revenus publics de cette province, je me vois chargé des frais de + son administration et de l'entretien de 6,000 cavaliers français + qui, au terme des traités, doivent être soldés et nourris par elle. + Il est impossible que Votre Majesté ait voulu m'imposer les charges + sans me donner les moyens d'y subvenir. Ce poids entier retombe + maintenant sur mes anciennes provinces et elles sont hors d'état de + le porter. Je prie Votre Majesté de prendre en sérieuse + considération la situation de la Westphalie et de me faire connaître + positivement ses intentions. Si elle daigne se faire remettre sous + les yeux ma lettre du 31 octobre dernier, elle y verra relativement + au Hanovre l'exposé sincère de mes sentiments; s'il convient aux + desseins politiques de Votre Majesté de m'ôter ce qu'elle m'a donné, + je suis prêt à satisfaire à tous ses désirs, à me contenter de + toutes ses volontés, à m'imposer moi-même et de bon cœur, comme + un gage de ma reconnaissance envers elle, tous les sacrifices qui + pourraient lui être utiles ou seulement agréables, c'est là ce que + je répéterai à Votre Majesté dans tous les instants de ma vie, mais + si elle me laisse dans le rang où elle m'a fait monter, qu'elle ne + me prive pas des moyens de m'y maintenir avec honneur et sûreté, + qu'elle me permette de faire parvenir jusqu'à elle les souffrances + de mes peuples, et qu'elle me laisse l'espérance de les voir + soulager à mes sollicitations.</p> + +<p>Oui, Sire, je le répète, les douanes, les forêts, les postes, toutes + les principales branches des revenus publics du Hanovre sont entre + les mains des agents de Votre Majesté, et tandis que cette province + m'est étrangère puisque le traité par lequel elle m'est cédée n'est + point ratifié, je me vois contraint d'en salarier les + administrations et d'y entretenir les troupes qui ne doivent être + qu'à sa charge.</p> + +<p>J'ose penser qu'il suffit de ce simple exposé des faits pour que + Votre Majesté prenne à cet égard une détermination que je sollicite + avec ardeur, et cet objet étant pour moi et pour mon pays de la plus + haute importance, j'expédie cette lettre à Votre Majesté par un + courrier extraordinaire.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> Les observations présentées à l'empereur et au duc de +Cadore étaient si vraies, les réclamations du gouvernement +westphalien si justes que le ministre des relations extérieures de +France crut devoir mettre sous les yeux de Napoléon un long mémoire +daté du 24 décembre 1810 et duquel il ressort: Que le +sénatus-consulte qui avait réuni à l'empire la plus grande partie du +département du Wéser enlevait à la Westphalie 23 mille sujets et 5 +millions 460 mille francs de revenus; que les parties du Hanovre +destinées à être données en compensation à la Westphalie suffiraient +pour le nombre de sujets et pour les revenus, si les contributions +pouvaient être maintenues, mais que le gouvernement westphalien +tenait pour impossible le maintien de la contribution de guerre; que +les domaines encore disponibles n'existaient pas, qu'il n'y avait +donc d'autre moyen d'indemniser le roi que de diminuer les troupes +françaises entretenues par la Westphalie et de faire remise au pays +des revenus et des contributions arriérés. Le mémoire du duc de +Cadore demandait que la France prît à sa charge la dette du Hanovre, +et la Westphalie celle de la province du Wéser, que le contingent +westphalien fût fixé à 20 mille hommes.</p> + +<p>Ces conclusions ne furent pas adoptées par l'empereur. Le roi très +abattu des dernières mesures prises par son frère, envoya à Paris M. +de Bulow pour y remplacer le baron de Mulcher et discuter ses +intérêts.</p> + +<p>L'année 1811 commença à Cassel sous de tristes auspices pour le +jeune roi et ses malheureux États. Jamais la fable du loup et de +l'agneau n'avait reçu une application plus vraie. Après avoir fait +valoir des prétextes de toute nature, Napoléon auprès duquel la +raison politique l'emportait sur toute considération, décidé à ne +pas laisser le Hanovre à son frère, lui fit savoir, par son agent, +qu'il enlevait cette province à la Westphalie, ainsi qu'une partie +du département du Wéser, pour les réunir à la France, attendu que +les conditions du traité n'ayant pas été exécutées par le Roi, il +considérait ce traité comme rompu de fait. L'empereur daignait +promettre des compensations qui furent illusoires comme d'habitude. +Un décret en date du 22 janvier ordonna la prise de possession +immédiate du territoire annexé, et le versement dans la caisse de +l'empire français de tous les revenus de ces territoires depuis le +1<sup>er</sup> janvier. En vertu de l'article 3, une partie du duché de +Lunebourg était cédée au Roi, mais avec cette restriction que les +revenus, les domaines affectés à <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> des dotations étaient +exceptés de la cession. D'après ce devis, le Hanovre semblait +n'avoir jamais fait partie du royaume de Westphalie. On cédait, en +compensation du département du Weser, une partie d'une province déjà +annexée depuis un an aux États de Jérôme. Ce dernier ne voulut pas +d'abord accepter cette compensation fictive et chargea à part le +comte de Bulow, son ministre des finances, de négocier et d'obtenir +des dédommagements réels.</p> + +<p>Pendant que M. de Bulow essayait d'entrer en arrangement avec le +gouvernement français, Reinhard, toujours à Cassel et à l'affût de +toutes les nouvelles, de tous les événements importants ou non, qui +se passaient dans ce malheureux pays, continuait à rendre compte +directement à l'Empereur ou à son ministre, le duc de Cadore.</p> + +<p>Voici quelques-unes des dépêches et des bulletins de l'ambassadeur +français à Cassel.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p> +<p class="date">29 janvier 1811.</p> + +<p>Le cérémonial du dernier bal a fait une trop grande sensation et + dans le corps diplomatique, et dans la ville, pour que je puisse me + dispenser de demander à ce sujet les ordres de Votre Excellence. + Déjà au bal précédent le premier chambellan avait exigé que les + dames se tinssent debout, tandis que M. de Furstenstein leur disait + de s'asseoir. Cette fois, le Roi lui-même, qui plus que jamais + s'occupe d'étiquette, a coupé le nœud. M. de Furstenstein devait + annoncer cette décision aux femmes des ministres; et le hasard + voulut que ma femme fût seule présente. Il ne le fit cependant pas, + disant que ce n'était pas l'usage de la cour de France. Quant au + privilège d'être seul assis que le Roi a accordé à ce ministre, Sa + Majesté le fonde sur ce qu'ayant le collier de l'ordre, M. de + Furstenstein est son <i>cousin</i> et doit être assimilé aux grands + dignitaires. C'est une manière d'éluder la difficulté, et M. de + Furstenstein sans porter le titre de prince en aura tous les + privilèges. J'ignore encore si le ministre saxon, qui n'existe qu'à + la cour et pour la cour et dont la femme courant après toutes les + fêtes et après toutes les faveurs s'est trouvée absente, avait été + prévenu de tout ce qui arriverait. Il m'avait demandé en entrant ce + que j'avais résolu de faire pour le souper et j'avais répondu que + nous serions debout et les femmes assises. La femme du ministre de + Prusse était malade. Votre Excellence voit au reste que, même dans + ces occasions-là, le Roi a soin de distinguer le ministre de France. + Pour cette fois, je m'abstiendrai entièrement d'énoncer dans la + société mon opinion sur ce qui s'est <span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> passé, précisément + parce que j'attends les instructions de Votre Excellence.</p> + +<p>Je n'avais appris toutes ces circonstances que vers la fin du + souper. M. Jacoulé a fait une terrible grimace en voyant assis M. le + comte de Furstenstein, qui d'ailleurs avait l'air plutôt confus que + glorieux de la distinction qui lui était accordée.</p> +</div> + +<p>Lorsque l'Empereur eut pris connaissance de la dépêche de Reinhard +et de la nouvelle mesure d'étiquette introduite à la cour de son +frère pour M. Lecamus devenu comte de Furstenstein, il fut choqué de +cette innovation et écrivit le 20 février au duc de Cadore la lettre +ci-dessous, omise à la <i>Correspondance de Napoléon I<sup>er</sup></i>:</p> + +<p class="lettre">Monsieur le duc de Cadore, je vous renvoie trois portefeuilles de + votre correspondance. Qu'est-ce que cette prérogative de M. de + Furstenstein de s'asseoir aux cercles de la cour de Cassel devant le + corps diplomatique et les grands de l'État? Demandez des + renseignements plus détaillés que cela. Il n'y a pas d'objections à + ce que le Roi exige que les femmes se tiennent debout quand il + danse. En général, un Roi ne doit pas danser, si ce n'est en très + petit comité. Cependant, cet usage ne choque aucune convenance. Mais + vous devez charger mon ministre de s'opposer formellement à ce que + le comte de Furstenstein soit appelé <i>cousin</i> et s'assoie devant le + corps diplomatique et les grands de l'État. Cette prérogative ne + peut appartenir à qui que ce soit en Westphalie, parce qu'elle est + contraire à toute idée reçue, et que je ne veux pas qu'elle existe. + Personne en France ne s'asseoit à la cour parmi les princes du sang. + Les maréchaux ne s'asseyent pas. Quant aux grands dignitaires, cela + tient au <i>décorum</i> de l'Empire, et quels sont les grands + dignitaires? Lorsque le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, le Vice-Roi + d'Italie, qui sont revêtus de grandes dignités, s'asseyent, il est + juste que les premiers grands du plus grand Empire du monde qui leur + sont assimilés s'asseyent; mais il est absurde de donner ce + privilège dans une petite monarchie. Cela est contre l'opinion de + toute l'Europe, et il y a dans cette conduite un peu de folie. Il + faut donc que mon ministre fasse connaître au ministre des Relations + extérieures de Westphalie que mon intention n'est pas de souffrir + ces aberrations du Roi, et que j'exige qu'il ne soit donné aucune + suite à cette innovation. Parlez de ceci à M. de Wintzingerode et à + M. de Bulow. Faites-leur connaître que le Roi ferait bien mieux de + modeler son étiquette sur celle de la Cour de Saxe que de faire à sa + tête et de se faire tourner en ridicule. Parlez sérieusement à M. de + Wintzingerode là-dessus; il devrait donner des conseils à sa cour + sur ce, etc., etc.</p> + +<p>L'empereur, non content de sa dépêche au duc de Cadore, écrivit +<span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> lui-même à son frère le même jour 10 février. Le roi +Jérôme répondit le 17 du même mois une lettre respectueuse, dans +laquelle il ne laisse pas de faire ressortir les injustices dont on +s'est rendu coupable à son égard. Cette lettre, que voici, ne se +trouve pas aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire, + en date du 10 février; tout ce qu'elle contient est vrai, seulement + j'aurais désiré qu'on ne laissât pas ignorer à Votre Majesté que le + soir où le comte de Furstenstein a été assis, <i>je n'y étais pas</i>, + que c'était dans un salon particulier et que c'était une erreur du + préfet qui n'avait pas senti que les ministres étrangers pouvant + entrer, ce n'était plus <i>un salon particulier</i>; cela ne s'est jamais + fait et ne <i>se fera plus</i>. Quant au titre de cousin, comme ayant le + grand collier de l'ordre, je ne le donne qu'en écrivant une lettre + de chancellerie de l'ordre, pour <i>rassembler</i> le chapitre ou faire + une <i>promotion</i>, mais jamais je n'ai eu assez peu de sens ni + d'esprit pour ne pas sentir que si j'eusse pu faire comme on l'a dit + à Votre Majesté, j'aurais mérité les petites maisons.</p> + +<p>Je le répète, Sire, je ne fais jamais un pas sans avoir Votre + Majesté en vue, sans désirer de lui plaire, et surtout sans + ambitionner qu'elle puisse dire: jamais mon frère Jérôme ne m'a + donné de chagrin. C'est bien le fond de ma pensée, Sire, et si je me + trompe, un conseil paternel de Votre Majesté est plus que suffisant, + non seulement pour me faire changer, mais pour me convaincre que + j'avais tort. Pourquoi donc Votre Majesté est-elle si avare de ses + conseils? et pourquoi suis-je le seul qui lui inspire assez peu + d'intérêt pour qu'elle ne veuille pas m'écrire ce qui peut lui + déplaire? Dans les circonstances critiques où je me trouve, Votre + Majesté n'a pas même daigné me dire: faites <i>ce que je désire, cela + me sera agréable</i>; c'est par le moniteur que j'apprends que je perds + <i>le quart de mes États</i> et <i>le tiers de mes revenus</i>, et le débouché + de mes rivières, sans qu'un seul mot de Votre Majesté vienne me + rassurer et me dire: c'est telle ou telle conduite que vous devez + tenir; avouez, Sire, que Votre Majesté est bien sévère pour moi qui + n'ai jamais désiré et ne désirerai jamais que de contribuer à votre + contentement.</p> + +<p>Je finis, Sire, car je me vois, par l'abandon de Votre Majesté, + entouré d'écueils sur lesquels je ne pourrai manquer de me perdre, + si elle persiste dans cette indifférence pour moi. Que Votre Majesté + se mette un instant à ma place, souverain d'un pays ruiné, accablé + sous le faix des charges extraordinaires, auquel on dit: je vous + prends le quart de vos États, de vos revenus, et cependant je ne + vous ôte aucune charge, ni vous donne aucun dédommagement, que + feriez-vous, Sire? ce que je fais, vous laisseriez prendre, vous ne + vous opposeriez à rien; <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> au contraire, mais en conscience + vous ne feriez pas comme le roi de Hollande, qui a dit à ses sujets: + je cède une partie de mes États, parce que l'on me les demande.</p> + +<p>Je vous prie, Sire, au nom de votre ancienne amitié pour moi, de me + diriger et ne pas m'abandonner, car vous seriez fâché un jour + d'avoir perdu un être qui vous aime plus que sa vie.</p> +</div> + +<p>À peine cette lettre était-elle partie que le jeune roi, avide +d'étiquette et toujours prêt à singer le gouvernement impérial, +donnait encore prise aux critiques fort justes et aux boutades +souvent un peu sévères de Napoléon qui, tout en ayant pour lui une +affection réelle, le traitait en fort petit personnage. Le 49 +février, Jérôme avait mis à l'ordre de son armée le règlement +suivant:</p> + +<p class="lettre">1<sup>o</sup> Trois de nos aides de camp seront désignés chaque trimestre pour + faire le service auprès de Notre Personne; 2<sup>o</sup> le ministre de la + guerre fera mettre leur nom à l'ordre du jour de l'armée; 3<sup>o</sup> + lorsqu'un de nos aides de camp de service arrivera, soit dans une + division, soit dans une place forte ou à l'armée, l'ordre qu'il + transmettra de notre part, par écrit ou verbalement, sera + obligatoire. Cependant, les gouverneurs, les généraux et les + commandants de place pourront, dans les circonstances qu'ils + jugeront importantes, exiger que l'aide de camp leur transmette par + écrit l'ordre qu'il aura été chargé de leur signifier, et il ne + pourra alors s'y refuser; 4<sup>o</sup> l'aide de camp de service en mission, + recevra, soit à l'armée, soit dans les divisions ou les places + fortes, les honneurs que l'on rend au plus haut grade militaire.</p> + +<p>Puis, croyant être très agréable à son frère, il adressait (5 mars) +une proclamation maladroite aux populations que lui enlevait le +décret du 22 janvier 1811:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Habitants du territoire westphalien, réunis à l'empire français!</p> + +<p>Les circonstances politiques m'ayant déterminé à vous céder à Sa + Majesté l'empereur des Français, je vous dégage du serment de + fidélité que vous m'avez prêté. Si quelquefois vos cœurs ont su + apprécier les efforts constants que j'ai faits pour votre bonheur, + je désire en recueillir la plus douce récompense en vous voyant + porter à Sa Majesté l'empereur et à la France le même amour, le même + dévouement et la même fidélité dont vous m'avez si souvent donné des + preuves, et particulièrement dans les circonstances critiques des + dernières années.</p> + +<p>Mes vœux les plus ardents sont et seront toujours de vous voir + jouir, sous votre nouveau maître, d'un bonheur aussi parfait que le + mérite votre caractère brave et loyal.</p> +</div> + +<p>L'empereur trouva fort mauvaise la mesure prise pour les aides de +<span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> camp et critiqua beaucoup de passages de la proclamation, +ainsi qu'on le verra dans les lettres suivantes:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Champagny à Reinhard.</p> +<p class="date">Paris, le 19 mars 1811.</p> + +<p>Sa Majesté m'ordonne de vous communiquer quelques réflexions qu'elle + a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Elle a + relevé certaines expressions de la proclamation du roi aux habitants + de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Ces mots: <i>je vous + cède</i> lui ont paru inconvenants. On ne cède pas des hommes comme on + cède un troupeau de moutons, ou du moins on ne le leur dit pas. + Cette autre phrase: <i>ayez pour l'empereur l'amour que vous avez pour + moi</i>, semble présomptueuse. Ces pays ont-ils été assez longtemps + sous la domination westphalienne pour lui être bien profondément + attachés? Je ne parle pas du rapprochement entre l'empereur et le + roi dont Sa Majesté a lieu de se formaliser.</p> + +<p>Mais ce qui a paru plus étrange à l'empereur, c'est un ordre du roi + de Westphalie que Sa Majesté a vu dans une gazette et par lequel ce + prince exprime sa volonté que ses aides de camp auxquels il donne + des missions commandent partout où il n'est pas, et de préférence à + toute autorité existante. Sa Majesté voit dans cette disposition le + bouleversement de tout ordre public. Des aides de camp qui sont plus + que des ministres et qui exercent, partout où le Roi n'est pas, une + autorité sans limites! Jamais l'empereur n'a remis entre les mains + de personne un pouvoir aussi discrétionnaire. Sa Majesté a beaucoup + employé ses aides de camp qui, formés par elle, étaient dignes de + toute confiance; mais elle ne leur donnait que des missions + d'informations dans lesquelles ils n'avaient aucune autorité à + exercer.</p> + +<p>Faites ces réflexions, Monsieur, aux ministres du Roi, mais avec + réserve et ménagement. L'empereur les accuse de ces erreurs que + l'inexpérience du Roi peut, quels que soient son esprit, son tact et + ses lumières, lui faire quelquefois commettre et qui devraient être + évitées par des ministres qui joignent à l'habitude des affaires la + connaissance de la manière dont on doit les traiter. L'empereur est + persuadé qu'une représentation juste sera toujours écoutée par son + auguste frère dont il connaît et le bon esprit et le désir de faire + tout bien.</p> +</div> + +<p>Reinhard répondit à Champagny, le 24 mars 1811:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Votre Excellence m'a communiqué quelques réflexions que Sa Majesté + impériale a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. + <span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> Sa Majesté a trouvé inconvenantes certaines expressions de + la proclamation du Roi aux habitants de la partie de la Westphalie + cédée à l'empire. Cette proclamation, Monseigneur, m'a toujours pesé + sur le cœur; elle a été rédigée dans le cabinet de Sa Majesté. + Les ministres n'ont pu obtenir que le changement de quelques + phrases; et encore n'ont-elles pas été changées au gré de leurs + désirs. L'intention du Roi était bonne; il voulait montrer en même + temps et sa déférence pour son auguste frère, et l'accord parfait + avec lequel tout s'était passé. Mais l'amour-propre s'en est mêlé et + dès lors on n'a pas voulu toucher à la part qu'il s'était faite. + Quant à moi, ne voulant pas analyser les expressions qui m'avaient + frappé, j'avais prié M. le comte de Furstenstein d'engager le Roi à + ne point faire de proclamation. Quelques jours après, Sa Majesté me + demanda si je l'avais lue; je répondis que oui et que même M. le + comte de Furstenstein me l'avait montrée avant l'impression. Sur le + reste, je gardai le silence, et il me parut que le Roi comprenait ce + que ce silence voulait dire.</p> + +<p>Quant aux pouvoirs extraordinaires donnés aux aides de camp de Sa + Majesté, on m'avait assuré que cette mesure avait été discutée et + arrêtée au conseil d'État, et que plusieurs personnes s'en étaient + affligées. Mais, je ne crois point qu'elle ait été publiée dans + aucun papier westphalien; et la gazette dans laquelle Sa Majesté + impériale l'a lue m'est restée inconnue. Je viens d'en parler à M. + le comte de Furstenstein qui m'a dit que c'était un ordre du jour + qu'il me communiquerait.</p> + +<p>Je me suis, en effet, déjà acquitté auprès de ce ministre de la + commission dont Votre Excellence m'a chargé pour les ministres du + Roi, et je crois l'avoir fait entièrement dans l'esprit de vos + instructions. Déjà hier, j'avais dit au Roi que dans les dépêches + que le courrier m'avait portées, j'avais trouvé des expressions + pleines d'amitié et d'estime pour Sa Majesté. Le Roi me répondit que + j'étais moi-même témoin de tout ce qu'il faisait, et qu'il me + rendrait juge de ses intentions et de ses sentiments. C'est par la + même route que je suis entré en matière avec M. le comte de + Furstenstein. «Mais, ai-je ajouté, plus Sa Majesté impériale rend + justice au caractère et au bon esprit de son auguste frère, et plus + elle est naturellement disposée à imputer à ses ministres ce que + peut-être elle ne trouve pas digne de son approbation dans les actes + de ce gouvernement, et je suis convaincu, Monsieur le Comte, qu'elle + a entièrement raison.» M. de Furstenstein m'a répondu par son + refrain ordinaire que je ne connaissais pas assez le caractère du + Roi, qui ne se laissait pas conseiller.—«Je juge, lui ai-je dit, du + caractère du Roi, par la manière dont il s'est constamment montré à + mes yeux. Toutes les fois que j'ai eu l'honneur de m'entretenir avec + lui, je lui ai trouvé de la mesure, de la justesse, de la prudence, + enfin beaucoup de pouvoir sur lui-même. Il se peut, à la vérité, que + le maintien qu'il prend vis-à-vis <span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> du ministre de France ne + soit pas exactement le même que celui qu'il a vis-à-vis de ses + serviteurs qui lui sont directement subordonnés; mais avec un + cœur et un esprit comme le sien, il y a constamment de la + ressource. On peut laisser passer un premier mouvement, et je suis + persuadé qu'avec un peu d'insistance et de courage, la vérité et la + raison finiront toujours par être écoutées.» Après avoir parlé ainsi + en thèse générale, M. de Furstenstein m'a demandé si quelque acte + particulier du gouvernement avait donné lieu à ces réflexions. Je + lui ai cité ceux dont il s'agit. M. de Furstenstein m'a beaucoup + remercié. Il m'a dit sous combien de rapports il était intéressé à + ce que le Roi méritât l'approbation constante de Sa Majesté + impériale, et avec un certain élan il a ajouté qu'il se promettait + bien de ne point laisser échapper cette occasion pour faire sentir à + Sa Majesté que les ministres n'avaient pas si grand tort d'oser + quelquefois lui faire des représentations. Au sujet de la + proclamation, il m'a assuré que le Roi s'y était déterminé d'après + une lettre de M. de Malchus qui lui avait écrit: <i>que M. le général + Compans le désirait</i>, et qu'en s'y refusant, le Roi aurait craint + d'être accusé de susceptibilité. Il m'a demandé si Sa Majesté + impériale en témoignait un fort mécontentement; je lui ai répondu + qu'au contraire elle avait à cœur sur cet objet de ne point + blesser la sensibilité du Roi, et qu'en m'autorisant à en dire + quelques mots à ses ministres, elle me recommandait de le faire avec + beaucoup de réserve et de ménagement.</p> + +<p>Votre Excellence se rappellera peut-être qu'en lui rendant compte, + au mois d'août 1809, de la situation des choses d'alors, je terminai + ainsi une de mes dépêches: «Tout ce que je me permettrai d'ajouter, + c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des + intentions et des mesures du Roi, et qu'aucun des sujets de Sa + Majesté impériale qui sont ici (j'y comprenais alors M. Siméon et M. + le général Eblé) ne pourrait remplir dans toute son étendue et sous + tous les rapports de convenance une aussi haute mission.»</p> + +<p>La sagesse de Sa Majesté impériale a certainement mieux senti que + moi tous les inconvénients que devait avoir une mesure pareille à + celle que je voulais indiquer. Aujourd'hui, elle aurait encore celui + d'être tardive dans un sens et prématurée dans un autre. Mais j'ai + la persuasion qu'elle est devenue moins nécessaire. En comparant le + Roi tel qu'il était il y a deux ans, avec ce qu'il est aujourd'hui, + je suis convaincu qu'il a gagné, si j'ose m'exprimer ainsi, surtout + en docilité. Mais ses ministres craignent tous un premier mouvement + et quelque résolution subite, difficile à rétracter, d'un souverain + dont ils dépendent. Il a trop su les habituer à céder à sa volonté + fortement prononcée. Il leur manque d'oser revenir à la charge. Pour + leur donner un courage qu'ils n'ont point, je ne connais qu'un seul + moyen: c'est d'être assurés à tout événement de la protection de Sa + Majesté impériale. Cette assurance <span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> de protection resterait + un secret entre le ministre de France et celui des ministres du Roi + auquel elle daignerait accorder une aussi haute preuve de confiance; + un seul suffirait.</p> + +<p>Mais lequel? M. le comte de Hœne, très honnête homme, n'est qu'un + troisième commis. Il prend à la lettre toutes les paroles du Roi. Il + n'entend pas ce qu'on voudrait lui faire comprendre. De tous les + ministres, il est celui qui se tient le plus en garde contre la + légation française. M. le comte de Wolfradt, très honnête homme + aussi, est trop timide et trop peu adroit; il ne sait pas assez la + langue française. M. le comte de Furstenstein est l'homme du Roi; + pour lui, il suffit du ressort de la responsabilité. M. le comte de + Bulow a trop une marche et une manière à lui; mais on peut compter + sur lui dans des circonstances déterminées. M. Siméon est un peu sec + quelquefois, et toutes les affaires ne sauraient être de son + ressort; mais il apportera à toutes de la maturité et de + l'expérience, et c'est précisément ce dont il s'agit ici. Sa qualité + de Français, son âge, son bon sens et la modération de son esprit + peuvent le faire croire capable de prendre de l'ascendant sur le + Roi, sans perdre sa confiance et sans en abuser; et comme le Roi + n'aime point à consulter, il y aurait deux maximes de gouvernement à + établir. L'une, que l'exécution de toute mesure quelconque partît de + celui des ministres qu'elle concerne, et l'autre, que lorsque des + actes quelconques émanent directement du cabinet, les ministres + eussent le temps de faire des représentations lorsqu'ils le + jugeraient nécessaire.</p> +</div> + +<p>Sans nous arrêter sur une lettre du 24 mars où Reinhard raconte +divers incidents survenus à la cour de Cassel, nous extrayons d'une +lettre adressée par le même à Champagny (23 mars) une conversation +que Reinhard eut avec le roi. Le ministre des finances de +Westphalie, M. de Bulow, avait été envoyé à Paris pour tâcher +d'obtenir des adoucissements à la triste condition faite par +l'empereur au malheureux royaume. Après un préambule que nous +omettons, Reinhard s'exprime ainsi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le comte de Furstenstein, ai-je dit, m'a laissé dans le doute si M. + de Bulow doit <i>terminer</i> et revenir, ou signer et revenir. Il n'y a + rien à signer, a dit le Roi. Lorsque toutes les conditions sont + dictées par une seule des parties et qu'elles sont avantageuses à + une seule, ce n'est pas un traité. Que l'empereur ordonne: tout ce + qu'il ordonnera sera fidèlement exécuté; mais qu'il ne demande pas + que je me déshonore.—«Cependant, Sire, l'empereur offre des + avantages à Votre Majesté: d'abord ses domaines en Westphalie non + encore donnés; ensuite l'arriéré des revenus du Hanovre.»—«Oui, dit + le Roi, les domaines non donnés et <i>non destinés</i>, ce qui les réduit + à un revenu de 2 ou 300,000 fr. <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> tout au plus, tandis que + je perds 12 millions et 600,000 âmes. Les revenus arriérés du + Hanovre sont peu de chose: deux ou trois millions tout au plus, + peut-être rien.»—«Encore, Sire, sont-ce là des avantages que Votre + Majesté n'obtiendra qu'en signant, et qui constituent la + réciprocité.» Alors le Roi s'est récrié sur ce qui s'est passé à la + suite du traité concernant le Hanovre, et je l'ai interrompu en + disant que c'était toujours avec peine que je rappelais à Sa Majesté + que sa manière de voir et celle de Sa Majesté impériale sur la + cession du Hanovre étaient différentes.»—«Mais tout cela n'était + qu'un prétexte, m'a dit le Roi, parlons franchement: rien ne sortira + de ce cabinet.»—«Parlons franchement, Sire, supposons que ce ne + soit qu'un prétexte; mais Votre Majesté connaît le <i>motif</i>. + L'empereur a changé d'intention, parce que les circonstances lui en + ont fait la loi; il en a changé quant au Hanovre et quant aux villes + anséatiques. La politique de l'empereur ne reste pas stationnaire; + Votre Majesté marche à côté de lui: voudrait-elle rester en + arrière?»—«Eh bien, que l'empereur me dise son motif et qu'il ne + fasse pas valoir seulement le prétexte.»—«Et quand ce prétexte, + Sire, serait un caprice, pourquoi n'aimeriez-vous pas à y + déférer?»—«Oui, si c'était de frère à frère, alors l'empereur sait + bien que tout est à sa disposition, tout mon royaume, ma vie même; + mais <i>tout cela se traite diplomatiquement et je ne puis céder</i>. Je + viens d'écrire à Bulow mon dernier mot: les domaines de l'empereur + non donnés; et quant aux 12,500 hommes de troupes françaises, que la + Westphalie se charge de leur nourriture et <i>la France de leur solde + et de leur entretien</i>, afin que je puisse montrer un avantage à mon + peuple.»—«Je suis fâché, Sire, que ce soit votre dernier mot, car + le duc de Cadore m'a écrit que l'empereur a dit aussi le sien. Du + reste, Sire, officiellement je n'ai rien à dire, ce n'est que par + forme de bon office et dans les intérêts même de Votre Majesté; et + comme M. de Furstenstein m'a dit que M. de Bulow serait ici dans + deux ou trois jours, au fond toutes mes réflexions sont tardives et + inutiles.»—«Furstenstein vous a dit que Bulow revenait? Bah, + Furstenstein ne sait rien, c'est moi seul qui conduis toute la + négociation, qui écris toutes les lettres de mon cabinet.» Ainsi, + Monseigneur, je dois croire que M. de Bulow est encore à Paris, et + Votre Excellence jugera si, à lui ou à son maître, on pourra faire + passer le Rubicon. Si c'est à lui, sans le consentement du Roi, il + est perdu.</p> + +<p>Je dois vous dire, Monseigneur, le secret de la pensée et de la + conduite du Roi. Il m'a dit à moi-même que Sa Majesté impériale + avait accusé le roi Louis, son frère, de lâcheté pour avoir cédé par + un traité une partie de son royaume. Aussi répondit-il aux instances + de tous ses ministres:—«Vous ne savez ce que vous dites, je ne + signerai pas, l'empereur me mésestimerait.»</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> La conversation épuisée sur ce point, Reinhard aborda +ensuite un sujet plus délicat. Le roi s'était fait livrer des +lettres où le secrétaire général du département des finances, nommé +Provençal, appelait M. de Bulow «le messie, le sauveur de la +Westphalie». Ce Provençal et un autre commis de M. de Bulow avaient +été aussitôt destitués «comme Prussiens». Reinhard estimait «que ces +lettres étaient bien sottes, mais que le roi venait de trahir le +secret de l'ouverture des lettres». C'est sur ce point qu'il amena +l'entretien:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Après cet objet terminé, il y a eu quelques moments de silence, et + j'attendais le Roi; craignant d'être congédié, j'ai rompu le + silence, d'autant plus qu'avec beaucoup de bonté, le Roi m'avait + invité à lui parler à cœur ouvert.—«Dans une si belle + circonstance, Votre Majesté aura quelque grâce à faire d'<i>hier + matin</i>.» Le Roi m'a fait répéter ma phrase:—«Ah! vous parlez de ces + lettres! Ce sont des bêtises, vous sentez bien que ce n'était qu'un + prétexte, et je n'ai fait qu'exécuter un dessein que j'avais depuis + trois mois. J'avais aussi peu envie de me mettre en colère que vous + en avez à présent. Ce Provençal et ce Sigismond sont des Prussiens. + Depuis six mois, j'avais donné une décision qui renvoyait les + Prussiens de mon service: «Je ne veux avoir à mon service que des + Westphaliens et des Français.»—«Des Prussiens, Sire, que M. de + Bulow a pris à Magdebourg.»—«Non, qu'il a fait venir de Berlin.» + Cela est vrai, quant à Sigismond, homme d'un grand talent, mais + d'une mauvaise réputation. M. Provençal, dont M. de Bulow ne se + servait que pour la rédaction, est un ancien ministre protestant. M. + de Bulow l'en raillait quelquefois, et de là ces expressions en + style de bible qui avaient tant déplu au Roi. M. de Furstenstein a + donné cette explication au roi, moi-même je l'ai confirmée; aussi + ces lettres ne sont-elles plus qu'un prétexte.—«Ce Sigismond est un + espion; il a écrit à Berlin des lettres <i>que Linden m'a renvoyées</i> + et pour lesquelles je pourrais le faire pendre. Mais cela irait plus + haut, et je ne veux pas en faire une affaire. Imaginez-vous qu'il + rendait compte de chaque conscrit, du mouvement de chaque compagnie, + enfin de tout ce qui se fait chez moi.»—«Ce n'étaient donc pas des + lettres particulières?»—«Oui, particulières; mais vous sentez + qu'elles allaient à une autre adresse. Quant à l'autre, je savais + que Bulow avait une correspondance secrète, qu'il ne se servait ni + de ma poste ni de mes courriers; qu'on lui envoyait son valet de + chambre qui remettait les lettres à la poste de Giessen. J'ai voulu + savoir ce que c'était; il y a eu 39 numéros, je les ai tous lus. + J'envoyais dans le pays du grand-duc de Hesse des gendarmes + déguisés; je faisais prendre et copier les lettres, et puis on leur + donnait cours. On y parlait de tout ce que je faisais, vrai ou faux, + n'importe. Je ne pouvais pas (je vous en demande pardon), pis... + sans que Bulow n'en <span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span> fût informé.» Ceci, Monseigneur, est + la seconde version: hier le Roi disait que c'était la direction + générale des postes à Paris qui lui avait envoyé ces lettres, parce + qu'elle en avait été indignée. Le fait est que M. de Bercagny tient + ses décacheteurs de lettres à sept lieues d'ici; que d'autres ont + été ouvertes à Giessen, et que la lettre à <i>Messie</i> avait été remise + au secrétaire du cabinet du Roi, il y a deux jours.</p> + +<p>«On parle d'intrigues, a dit le Roi, j'en ris. Si je laissais faire, + les Français écraseraient les Allemands, et les Allemands + chasseraient les Français.»—«Cela est vrai, Sire, Votre Majesté + tient assez l'équilibre; mais elle est placée trop haut pour ne pas + voir autrement ce qui se passe au-dessus d'elle que ceux qui sont + placés à distance. Ceux-ci, voyant certains hommes approcher souvent + et journellement de votre personne, leur attribuent une influence + qu'ils n'ont pas.»—«Ah, Bercagny! Il est officier de la maison... + Bercagny! je n'ai aucune confiance en lui. Vous savez ce que j'en + pense, c'est un bavard; il couche toutes les nuits avec des filles. + Il va jouer au reversi avec mes chambellans, pour faire dire qu'il + va au palais, et va chez Brugnière pour faire croire qu'il entre + dans mon cabinet. Il fait comme le duc de Richelieu qui faisait + arrêter sa voiture à la porte des honnêtes femmes, pour qu'on dit + qu'il couchait avec elles.—Sire, c'est au moins celui qui remue le + plus.—Jamais je n'ai rien pu savoir de lui sur la police.—Je suis + enchanté que Votre Majesté confirme mon opinion; il m'a paru que, + dans certaines crises, sa police n'était pas merveilleuse.—<i>Aussi, + ce n'est pas par lui que j'ai eu ces lettres.</i>»</p> + +<p>La conversation est ensuite tombée sur M. de Bulow. Le Roi m'a dit + que les Français ne lui en voulaient pas, puisqu'aucun d'eux ne + désirerait, ni n'était capable d'avoir sa place.—«Il y en a + quelques-uns cependant, et à vous dire vrai, Sire, depuis deux ans + que je suis ici, j'ai vu M. de Bulow l'objet d'un acharnement + perpétuel.»—«Ce sont plutôt les Allemands. Du reste, c'est un homme + à grands moyens.»—«Sire, M. de Bulow a une certaine légèreté dont + j'ai été quelquefois dans le cas de me plaindre moi-même; il sent sa + supériorité dont il abuse peut-être quelquefois. Du reste, il est + homme d'honneur et fidèle serviteur.»—«Le croyez-vous?»—«Oui, + Sire.»—«Croyez que pour changer de serviteurs, il faut que je me + retourne plus d'une fois sur mon oreiller. D'ailleurs, c'est un + homme difficile à remplacer.»—«Oui, Sire, il fait aller sa machine, + et ce n'est pas une chose aisée en Westphalie. (J'aurais voulu, + Monseigneur, rengainer ce mot qui, je m'en apercevais, ne faisait + pas une bonne impression.) Votre Majesté ne peut s'occuper de tous + les détails.»—«Il le faut pourtant, car je veux voir clair.» Le Roi + l'a ensuite accusé de n'avoir pas fait à Paris aussi bien qu'il + aurait pu faire.—«Cependant, Sire, tout son intérêt y <span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span> + était.»—«D'ailleurs, il y avait un ennemi, si je l'avais su, je ne + l'aurais pas envoyé.»</p> + +<p>Dans cette conversation, le Roi a passé en revue tous ses serviteurs + à peu près, Français et Allemands, et sur presque tous, il disait à + peu près ce que j'en pense. «M. Pichon, avocat et écolier, croit + qu'il sera ministre des finances; ce serait une plaisanterie. M. + Pothau, c'est un pauvre homme; il m'a dit lui-même que s'il était + placé au Trésor, il serait un homme perdu et que même il ne voulait + rien pour les postes, que sa véritable place était au tribunal + d'appel. Le général Morio! J'en ai été mécontent comme ministre de + la guerre, peu content comme général en Espagne, pas trop content + comme capitaine de la garde, mais il est excellent grand écuyer; il + a diminué le nombre de mes chevaux, en me donnant deux attelages de + plus, et il a déjà fait une économie de 200,000 francs. La Flèche: + il me fait perdre 150,000 fr. dont il a dépassé son budget, sans + rime ni raison; je l'épargne parce qu'il m'est personnellement + attaché, mais je ne puis payer cette dette qui me ruine, ou du moins + ne puis la payer qu'en deux ou trois ans. Furstenstein ne prend + jamais l'initiative; il m'est personnellement dévoué, l'empereur + lui-même l'a distingué en l'admettant à sa table; c'est un homme + modeste qui ne demande qu'à être auprès de ma personne, qui se + contenterait de tout, et qui est si peu remuant qu'il ne fait même + pas tout ce qu'il devrait faire dans sa place.»</p> + +<p><i>P. S.</i>—J'adresse à Votre Excellence la décision du Roi concernant + ses aides de camp en mission, telle que M. de Furstenstein me l'a + transmise. Il n'y est pas question d'autorités civiles; il faut + qu'il y ait là-dessous quelque malentendu que je ne puis encore + expliquer.</p> +</div> + +<p>Le duc de Cadore mit en note au bas de cette lettre de Reinhard, de +sa main:</p> + +<p class="lettre">(<i>Note du Ministre.</i>) L'empereur veut qu'on fasse connaître à M. + Reinhard que l'ordre du jour du Roi du 19 janvier 1811 est absurde + dans tous les points et contraire à tous les usages, ainsi qu'à + toutes les règles observées dans tous les pays. L'empereur n'est pas + content de cette conversation de M. Reinhard.</p> + +<p>Une lettre de Champagny, adressée de Paris le 3 avril, accentua +encore davantage ce sentiment de désapprobation. Après avoir essayé +de se justifier, Reinhard continue de tenir le ministère au courant +de tout ce qui se passait en Westphalie. Il lui écrivit le 11 avril:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai fait hier à M. le comte de Furstenstein la question + confidentielle que j'avais annoncée à Votre Excellence dans mon + numéro 220. Ce ministre m'a répondu que Sa Majesté impériale avait + été prévenue par <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span> le Roi de la démission donnée à M. de + Bulow immédiatement après l'événement par un courrier parti le même + jour (par conséquent le 9); que depuis un certain temps déjà, le Roi + n'avait plus en lui la même confiance, et qu'avant tout il voulait + voir clair dans ses finances, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir. + J'ai dit que sans doute le Roi était le maître de donner ou de + retirer sa confiance; qu'au reste M. de Bulow, ayant l'honneur + d'être décoré du grand cordon de la Légion, appartenait sous ce + rapport un peu à Sa Majesté l'empereur et méritait quelques égards. + Cela m'a conduit à dire un mot du traitement qu'on fait éprouver à + ses employés. La réponse a été la même que le Roi avait fait donner + à M. de Bulow par M. Siméon. Je ne vous parlerai plus de ces + détails, Monseigneur. Quand une fois on est engagé à marcher à + petits pas dans ce petit labyrinthe, on n'en sort plus, à moins de + faire un pas d'homme pour le franchir.</p> + +<p>J'avais cru devoir différer ma visite chez M. de Bulow jusqu'après + ma conversation avec M. de Furstenstein. J'y suis allé. Cet + ex-ministre m'a dit qu'il attachait beaucoup de prix à ma visite, + parce qu'il avait désiré de m'entretenir de sa conduite depuis son + retour, afin de ne point paraître sous un faux jour aux yeux de mon + gouvernement. Il m'a fait un récit abrégé de sa longue conversation + avec le Roi, du langage dont il s'est servi pour lui démontrer la + nécessité de signer la convention, du tableau qu'il a fait à Sa + Majesté des règles de conduite, des moyens de garantie et des + ressources pour l'avenir; enfin de ce que le salut du Roi et du + royaume était dans un plan d'économie sévère et dans une soumission + entière à Sa Majesté l'empereur; des explications, des épanchements + et des assurances qu'il a obtenus de la bouche du Roi, et des + illusions sur le retour entier de sa confiance qu'il se faisait en + sortant de cette conversation au moment où l'on arrêtait ses + employés. «Au Conseil des ministres, a-t-il ajouté, j'ai exposé les + désavantages et les avantages de deux projets de convention que j'ai + rapportés de Paris, les instructions du Roi et les volontés de Sa + Majesté impériale. Le Roi ne semblait écouter que moi. Lorsqu'il a + été question de signer, j'ai prié d'en être dispensé. Je craignais + d'être renvoyé à Paris et de rester une seconde fois en butte à mes + ennemis. J'ai proposé M. de Wintzingerode; il a été arrêté que je + signerais ici et que je ne retournerais pas à Paris.»</p> + +<p>Quand nous en étions là, M. Siméon est arrivé. M. de Bulow s'est + plaint alors avec amertume de la nuée d'espions de police qui + entouraient sa maison, qui, montre et tablettes en main, notaient + ouvertement tous ceux qui entraient et qui sortaient, enfin qui + avaient l'air de le garder comme un criminel. Il a dit que M. Siméon + étant ministre de la police, lui, devenu particulier, ne pouvait + regarder ces indignités que comme autorisées par M. Siméon. Nous lui + avons conseillé d'ignorer <span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> ces incidents, dont sûrement le + Roi n'était pas instruit. Aussi je les ignore, a-t-il dit, et ce + n'est que mon estime pour vous qui m'a engagé à en parler. M. Siméon + lui a promis de reparler au Roi de ce qui concernait ses employés.</p> + +<p>J'ai fait part à M. de Bulow, devant M. Siméon, de la question que + j'avais faite à son sujet à M. de Furstenstein. M. de Bulow m'a + interrompu. «Quoique je me tienne infiniment honoré, m'a-t-il dit, + par la décoration que Sa Majesté l'empereur a daigné m'accorder, je + ne crois cependant appartenir qu'au Roi seul.»—«Par cette + décoration donnée par Sa Majesté l'empereur, ai-je répondu, vous + appartenez un peu à son intérêt, et s'il eût été possible qu'une des + inculpations qu'on vous a faites fût fondée, Sa Majesté impériale + n'aurait pu y rester indifférente. Quant à moi qui ai l'honneur de + porter la même décoration dans un grade inférieur, je vous dois une + considération qui s'accorde parfaitement avec l'estime que m'inspire + votre mérite, et voilà le motif de la visite que j'ai cru devoir + vous faire publiquement, et comme particulier, et comme ministre de + France.»</p> + +<p>Quand M. Siméon fut parti, j'ai demandé à M. de Bulow comment le Roi + avait pu être induit à croire à la rétrocession de la ville de + Lunebourg? J'ai en effet, a-t-il dit, à me justifier à cet égard + auprès de vous, et il m'a expliqué la chose comme il m'a assuré + l'avoir expliquée à Votre Excellence. Il m'a parlé ensuite du prix + infini qu'il attachait à pouvoir se dire dans sa retraite que mon + gouvernement lui rendait justice, et que les efforts qu'on ferait + peut-être pour le dénigrer à ses yeux ne produiraient aucun effet. + Enfin il m'a protesté combien il se sentait heureux d'être soulagé + du fardeau qui l'avait accablé et que dans aucune hypothèse il ne + désirerait reprendre.</p> + +<p>J'ai trouvé, Monseigneur, M. de Bulow dans un état d'exaltation qui + lui donnait de la fierté et presque de la raideur; mais, au degré + près, je l'ai trouvé le même qu'il s'est toujours montré. Ce qui est + certain à mes yeux, c'est que M. de Bulow est un homme qui a + profondément la conscience de la pureté de ses intentions et de sa + conduite.</p> +</div> + +<p>M. de Bulow avait été disgracié pour avoir consenti à signer à Paris +les conventions qui démembraient le royaume de Westphalie; le bruit +courut même un moment qu'il avait été arrêté par ordre du roi. Il +n'en était rien. Reinhard s'y opposa d'ailleurs de toute son +autorité. Plusieurs de ses lettres du mois d'avril sont tout +entières consacrées à ces incidents. Celle du 13 se termine ainsi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je ne crois pas, Monseigneur, que les événements et mes idées sur + l'avenir aient acquis assez de maturité pour que dès aujourd'hui je + puisse mettre sous vos yeux le tableau de la situation nouvelle des + <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> choses. Je me bornerai en conséquence à compléter mon + récit de ce qui s'est passé et à vous peindre l'attitude actuelle + des personnes influentes.</p> + +<p>M. de Bulow a dit au Roi, dans sa conversation, que pour être roi de + ses sujets, il devait se considérer uniquement comme vice-roi de + l'empereur; que quelque désavantageuse que fût la convention à + signer, elle renfermait une garantie précieuse de la convention du + royaume; que le royaume avait en lui-même les moyens financiers + nécessaires pour se maintenir, mais que ces moyens ne pouvaient être + réalisés que <i>par une économie et un ordre sévères</i>; que les deux + conventions contenaient la volonté immédiate de Sa Majesté + impériale; que si les conditions en étaient peu avantageuses, elles + l'étaient plus que celles que plusieurs autres États avaient + obtenues; que quand Sa Majesté impériale aurait voulu favoriser le + Roi davantage, elle n'aurait pas pu le faire dans le moment actuel; + que les espérances pour l'avenir restaient entières, etc.</p> + +<p>Celui des griefs du Roi que M. de Bulow m'a cité consistait en ce + <i>qu'il se faisait trop aimer et qu'il se faisait un parti</i>. Il a été + question de lettres interceptées. M. de Bulow a justifié celles dont + il avait connaissance; son désir jusqu'au dernier moment était de + mettre sous les yeux du Roi la liasse de celles qu'il avait reçues + et surtout toutes les lettres numérotées de M. Provençal.</p> + +<p>Dans la courte conversation qu'il a eue avec moi, avant sa + catastrophe, il ne m'a point montré l'espérance décidée de parvenir + à effacer toutes les préventions du Roi; mais aux personnes avec + lesquelles il vivait dans une grande intimité, il a dit qu'il + croyait être sûr d'en venir à bout. Après la conversation même, il + en est sorti rayonnant.</p> + +<p>Le Roi, dans cette conversation, avait-il déjà le projet déterminé + de renvoyer le lendemain M. de Bulow? Forcé par l'avis unanime de + son Conseil à signer la convention, a-t-il voulu marquer son + mécontentement en disgraciant le négociateur? Je ne crois ni l'un ni + l'autre. C'est par un retour sur la conversation qui venait d'avoir + lieu, que les vérités fortes qu'il avait entendues lui auront fait + une impression douloureuse, de même que quelquefois on ne sent pas + une blessure au moment où le coup a été porté. Ceux dont l'intérêt + était de forger le fer pendant qu'il était chaud l'auront ensuite + entraîné d'un mouvement accéléré.</p> + +<p>Il me paraît certain que les lettres interceptées ont été le levier + le plus puissant dont s'est servi M. de Bercagny pour n'y voir qu'un + moyen d'information. Le Roi a manqué d'impassibilité; il a reproché + publiquement jusqu'à des lettres d'amour à un jeune officier. + Cependant, dans tout ce qui a transpiré, on ne cite absolument rien + qui ait <span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> pu réellement blesser la dignité du Roi ou qui + prouve que des secrets de son palais aient été trahis.</p> + +<p>Le Roi n'a cru et n'a voulu agir que par lui-même. Il a blâmé + quelques maladresses de M. de Bercagny; mais pour ne point le faire + soupçonner de partialité, il lui avait adjoint MM. de Bongars et de + Gilsa. Il a voulu que l'ensemble des mesures fût regardé comme étant + émané de sa volonté suprême.</p> + +<p>M. Siméon s'est conduit avec fermeté et sagesse. Il a fait au roi + des représentations et ne s'est arrêté qu'à la limite où il aurait + cru ou manquer de soumission, ou risquer de se perdre lui-même. Il a + dit hautement sa pensée et ses sentiments à ses collègues et surtout + à M. de Furstenstein. Il n'a point abandonné M. de Bulow. C'est dans + le rapport, à la suite duquel le sieur Hortsmann a été relâché, + qu'il a fait voir au Roi le néant de tous les fantômes dont on + l'avait entouré et dont celui du cocher déguisé n'est qu'un faible + échantillon. Le Roi a chargé M. de Furstenstein de dire à M. Siméon, + s'il croyait devoir lui donner des conseils, qu'il ne lui en + demandait pas.—N'importe, les conseils ont produit leur effet.</p> + +<p>M. de Furstenstein était prévenu de tout ce qui devait arriver, mais + il n'a point voulu s'en mêler. Il a dit qu'il se trouvait bien comme + il était, et qu'il n'avait rien contre M. de Bulow; il a détourné le + Roi de faire mettre les scellés sur ses papiers. Vis-à-vis de moi, + il a pris le langage d'un homme qui défend les mesures de son + maître.</p> + +<p>Il n'en est pas de même de M. Hugot, son secrétaire général. Les + passions grossières de cet homme qui n'est ni aimé, ni estimé, le + poussent à l'excès de l'absurdité. Il a quelque talent pour la + rédaction et la mémoire des lois françaises et westphaliennes; il + est nécessaire à M. de Furstenstein, mais l'aversion du Roi contre + lui, la tournure de son esprit et de sa personne lui interdisent à + jamais l'espoir de sortir de son rang subalterne. Sa méchanceté est + gratuite; elle est l'effet du caractère haineux et vindicatif d'un + prêtre.</p> + +<p>M. de Wolfradt a vu ces événements avec douleur; il est resté + passif. Le public s'obstine à croire que son tour viendra bientôt. + M. le comte de Hœne est nul. M. Morio se cache. M. Pichon, + pendant la crise, a évité toutes les sociétés, et surtout la mienne. + M. de Malmsbourg ayant laissé dans la caisse d'amortissement un fond + de 3,500,000 francs pour commencer les paiements au premier juillet, + le public attend son successeur à l'épreuve.</p> + +<p>M. de Bercagny est plus aimable et plus spirituel que jamais; il a + donné hier un dîner de vingt couverts. Le nommé Savagner, son + secrétaire général, est un scélérat que lui-même avait été obligé de + chasser et qu'il a repris après le renvoi de Schalch. Soit pudeur, + soit bon esprit, M. de Bercagny pèse au Roi. Il avait eu le projet + de le nommer <span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span> préfet d'Hanovre. M. de Wolfradt effrayé l'en + détourna, tandis que M. Siméon ne demandait pas mieux; ou bien y + aurait-il de la dissimulation?</p> + +<p>M. de Malchus devait son entrée au Conseil d'État à M. de Bulow. Il + est revenu de Paris, accusant le ministre d'avoir voulu le perdre. + Il ne s'est point montré chez moi depuis le retour de la transaction + avec M. le général Compans. Il a vécu depuis quelque temps dans + l'intimité de M. de Bercagny. Il a juré à M. de Bulow de n'avoir + point contribué à sa chute. Il a affecté de s'opposer à sa + nomination définitive, et ce n'est que depuis hier qu'il a accepté + le titre d'Excellence.</p> + +<p>M. de Malchus passe pour être un bon travailleur, mais se perdant + dans les détails et incapable de saisir un ensemble. Le Roi ne + l'estime et le public ne l'aime point. On le dit sans âme et + ambitieux à l'excès avec un extérieur calme et simple.</p> + +<p>L'emprunt forcé devant être employé aux dépenses courantes, on ne + prévoit pas d'embarras pendant les six mois prochains. Les + obligations westphaliennes sont fortement tombées pendant la semaine + dernière. Celles à 4 <span class="smaller"><sup>0</sup>/<sub>0</sub></span> sont au-dessous de 40; mais ce n'est qu'un + signe de l'impression profonde qu'ont faite les circonstances qui + ont accompagné la disgrâce de M. de Bulow.</p> + +<p>Cette disgrâce, Monseigneur, fait le triomphe d'un parti: ce + parti-là n'est point le parti français auquel, à peu d'exceptions + près, appartiennent tous les bons serviteurs du Roi. Par une assez + sage distribution des places, le Roi a pourvu à ce que, pour le + moment, les vainqueurs ne pussent pas trop abuser de la victoire. + Les conséquences se développeront plus tard.</p> + +<p>Aussi, tout en présageant que, par les derniers événements, la + situation de la Westphalie s'est détériorée, quand ce ne serait que + parce que, dans cette disette de talents, il y aura un homme de + talent de moins, je regarde les derniers arrangements comme les + moins mauvais qu'on ait pu faire dans cette circonstance. <i>Mais il + est à désirer que le Roi se défasse de M. de Bercagny.</i></p> + +<p>J'ai de forts indices pour soupçonner que ma dépêche, où je traçais + tout le plan qui s'est réalisé depuis, a été livrée par celui de mes + valets que j'avais chargé de la porter à Mayence, et qui depuis est + devenu l'espion de ma maison. Comme je n'ai rien à cacher, et que le + moment actuel ne paraît point propice pour faire un éclat, je le + garderai pendant quelques jours encore. Mais si j'obtenais la + certitude ou plutôt la preuve de la trahison de la dépêche, + suffirait-il de le chasser?</p> +</div> + +<p>Après les petites intrigues d'intérieur du gouvernement westphalien, +revint la grosse question des finances. L'empereur ordonna, à cette +époque, au prince d'Eckmülh de réclamer de la Westphalie la +<span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> réparation des importantes fortifications de Magdebourg et +l'approvisionnement de siège de cette place. Or, c'était une dépense +de trois millions, et Napoléon avait décidé le 29 janvier que cette +dépense serait couverte par le produit des droits imposés aux +denrées coloniales. Reinhard fut chargé de réclamer du gouvernement +de Jérôme l'exécution de la mesure relative à Magdebourg. Il fit des +démarches auprès du comte de Furstenstein et auprès du roi, puis il +répondit le 7 mai au duc de Bassano qui avait remplacé le duc de +Cadore au ministère des relations extérieures:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. le comte de Furstenstein, en me disant que la demande + d'approvisionnements de siège pour Magdebourg serait le coup de + grâce pour les finances westphaliennes, ajouta que du budget des + finances pour l'année 1811 qui, après plusieurs séances, avait été + arrêté dans le conseil d'administration de dimanche, résultait un + déficit de 14 millions, et que pour l'année prochaine, ce déficit + serait incalculable. M. Pichon vient de me donner le commentaire de + ces paroles.</p> + +<p>Voici ce que M. Pichon m'a dit: le déficit de l'année 1811 est de 14 + millions au moins; selon lui, il sera de 18, et en toute hypothèse, + il le sera en ajoutant les frais d'approvisionnements de Magdebourg. + L'arriéré de 1810 est de 9 millions, ce qui fait en total 27 + millions. Il s'agissait de couvrir ce déficit. Le travail sur cet + objet a été renvoyé samedi, à 7 heures du soir, à l'examen d'une + commission présidée par M. de Malchus, laquelle s'est séparée à + minuit. M. Pichon a passé la nuit à travailler.</p> + +<p>Pour couvrir le déficit, on emploiera d'abord le produit de + l'emprunt forcé qui sera de huit millions. M. Pichon dit que cette + somme rentrera en entier, puisqu'elle sera levée sur les rôles de + l'emprunt forcé de 1808, et que les contribuables seront dans + l'alternative de payer ou de s'en aller. Or, ces rôles ont été faits + dans l'assurance que l'emprunt forcé serait payé une seule fois, et + les contribuables ont cru alors payer la totalité. Il se trouve + aujourd'hui que, parce qu'on avait évalué par erreur à 20 millions + l'emprunt forcé qui, dans la réalité, n'en a produit que dix, les + contribuables n'en ont payé que la moitié.</p> + +<p>Les intérêts de la dette exigibles à la caisse d'amortissement + jusqu'à la fin de 1811 sont de dix millions. Ces dix millions ne + seront pas payés. M. de Malchus proposait de les capitaliser. L'avis + de M. Pichon était de nantir la caisse d'amortissement, pour le + paiement de ces intérêts, d'une valeur de dix millions en domaines + nationalisés par le décret du 1<sup>er</sup> décembre 1810, et d'admettre les + coupons d'intérêts à l'achat de ces biens. <i>S'il y avait une + garantie</i>, m'a dit M. Pichon, on pourrait calculer que les + possesseurs de coupons perdront vingt pour cent tout au plus.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> Les neuf millions restant du déficit seront rejetés sur + l'année prochaine.</p> + +<p>On croit obtenir pour l'année prochaine une augmentation de quatre + millions dans les impôts.</p> + +<p>On évalue à 40 millions la totalité des domaines nationalisés + disponibles. Avec ce fonds, tant qu'il durera, on pourra encore + marcher. Il y a encore moyen de trouver des acheteurs. Un M. + Godefroi, négociant à Hambourg, a fait sonder les dispositions de M. + Malchus pour un achat de quatre à cinq millions.</p> + +<p>Et que deviendront, ai-je demandé à M. Pichon, les + obligations?—Elles n'auront plus de cours, elles tomberont à néant. + Voilà donc table rase pour le grand livre!</p> + +<p>Il faut maintenant, a continué M. Pichon, que le Roi, connaissant + parfaitement l'état de ses finances, s'y conforme. Il est impossible + d'entretenir une armée westphalienne de 30,000 hommes, qu'on compte + augmenter encore. Le Roi dit que Sa Majesté l'empereur le veut + ainsi. Vous avez dit le contraire, que faut-il croire?—Le Roi, + ai-je répondu, ne m'a jamais dit que Sa Majesté le voulait ainsi, + mais seulement qu'elle ne désapprouvait pas son état militaire + actuel. Cette approbation me paraît conditionnelle. L'obligation de + remplir ses engagements envers la France est la première; qu'ensuite + le Roi entretienne une armée si ses finances peuvent y suffire, Sa + Majesté impériale, sans doute, n'a aucun motif pour s'y opposer. Je + dois dire cependant que la conduite des troupes westphaliennes en + Espagne n'a pas donné une haute opinion de la confiance qu'on peut y + placer; mais, à dire vrai, je doute que vous déterminiez Sa Majesté + à diminuer son armée. Le Roi, à cet égard, ressemble à un joueur qui + poursuit une grande chance, laquelle doit ou l'enrichir ou le + ruiner. Une fois engagé, il peut se croire obligé à doubler la mise.</p> + +<p>Le Roi, a poursuivi M. Pichon, persiste à exiger que sa liste civile + soit de six millions: cela est impossible. D'ailleurs vous n'ignorez + pas que ses revenus ne se bornent point à cette somme, et que par + différents moyens il a su les augmenter encore considérablement. + Tels sont les capitaux ci-devant hessois qui d'après le traité de + Berlin ont une destination particulière. Tels sont les domaines + impériaux dont il s'est emparé et dont le trésor public a fourni ou + doit fournir l'indemnité. Les revenus de ses propres domaines ne + sont pas compris non plus dans les six millions. Enfin la liste + civile doit 600,000 francs à la caisse d'amortissement.</p> + +<p>Voici, Monseigneur, ce que j'ai appris de M. Pichon sur cette dette. + À la fin de l'année dernière (probablement à l'époque où il y avait + à mettre au courant l'arriéré de la solde et de la masse des troupes + françaises), le trésor se trouvant sans fonds pour payer la liste + civile se fit <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> avancer 400,000 francs par la caisse + d'amortissement. «Il y a eu depuis, dit M. Pichon, une reculade pour + le remboursement.» Il paraît donc que le trésor s'étant acquitté + envers la liste civile, la dette envers la caisse d'amortissement + est restée à la charge de celle-ci. À quelle époque cela a-t-il eu + lieu? Je l'ignore. J'ignore également comment de 400,000 francs la + dette est montée à 600,000 francs.</p> + +<p>J'ai dit, Monseigneur, dans une lettre antérieure, qu'avec 3,200,000 + fr. en caisse, M. de Malsbourg se proposait de payer au premier + juillet les coupons d'intérêt à bureau ouvert, et que c'était là que + le public attendait M. Pichon. Je sais qu'avec son air de + nonchalance ordinaire, M. Morio parlant du déficit de M. de Laflèche + a dit que c'eût été un bon moment pour restreindre les dépenses et + pour devenir sage; mais la liste civile ayant réussi à faire un + emprunt de 4,500,000 francs, on ne songeait qu'à bâtir et à faire + des folies; qu'ainsi était le Roi, que dès qu'il avait de l'argent + comptant, cela s'écoulait entre ses mains. Or personne n'a pu me + dire où et comment la liste civile a fait un emprunt de 4 ou 500,000 + francs. Je poursuis.</p> + +<p>J'ai conseillé au Roi, m'a dit M. Pichon, de mettre son budget sans + réserve sous les yeux de l'Empereur et de lui dire: Sire, voilà où + j'en suis, conseillez-moi, aidez-moi. Le Roi n'a pas voulu..... + Enfin le Roi se perd, si l'Empereur ne vient pas à son secours, s'il + n'interpose pas son autorité.</p> + +<p>Ensuite M. Pichon me disant que sa place <i>actuelle</i> était sans + responsabilité, et me rappelant ce que je lui avais dit dans le + temps, que comme garant de la Constitution westphalienne, Sa Majesté + Impériale s'en prendrait à la responsabilité des ministres, m'a + demandé si à ce sujet j'avais fait une notification par écrit. J'ai + répondu que non, mais que dans plusieurs circonstances j'avais + rappelé à tous et un chacun cette responsabilité.—Mais, a dit M. + Pichon, si les ministres n'agissent que par ordre du Roi? Le Roi + doit avoir au moins le même pouvoir dont jouit un maréchal ou un + gouverneur général.—Cela peut, ai-je répondu, n'être que + comminatoire; mais aussi cela peut un jour tomber sur la tête de + quelqu'un comme un coup de foudre.—Cela m'est égal, a dit M. + Pichon, je dirai toujours la vérité au Roi: je viens de la lui dire + fortement sur l'état déplorable des finances de sa maison: je lui + demanderai la permission d'aller à Paris. Là je lui dirai à quelles + conditions je pourrai le servir. Ses bienfaits m'ont mis au niveau + de mes dépenses. D'ailleurs avant tout je reste français: jamais je + ne prêterai un serment qui puisse me perdre cette qualité.</p> + +<p>M. Pichon, Monseigneur, jouit en ce moment de la confiance presque + exclusive du Roi. Ce que cette conversation m'a démontré, c'est + qu'il se regarde déjà comme ministre des finances, mais qu'il se + fait encore illusion. M. Pichon est plein de franchise. Il est + infatigable au travail, <span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> son caractère honnête, ses + connaissances sont vastes, ses vues étendues; mais son esprit est + souvent faux, et son ambition égale sa présomption. Il m'a accusé + d'avoir voulu l'écarter des affaires: il a méconnu les conseils de + l'amitié. Son impatience et une malheureuse inquiétude, que lui + avaient donnée ses premières dépenses, l'ont jeté dans une fausse + route. En le plaignant, en prévoyant qu'il court à sa perte, mon + opinion est et doit être aujourd'hui qu'il n'y a que M. Pichon qui + parmi les aspirants que peut offrir la Westphalie puisse être + ministre des finances. Il est l'auteur des projets dont l'exécution + va commencer; l'impulsion est donnée, il est français, il fera + prévaloir toutes les idées d'administration française. Il dira au + Roi la vérité ou ce qu'il croira tel, par instinct et sans + réfléchir. Il s'opposera souvent à ses volontés: ses collègues + s'accoutumeront à ses vues et à sa manière d'être. Si le Roi me + consultait, ce qu'il ne fera point assurément, jamais je ne lui + dirais qu'il faut nommer M. Pichon, je ne veux pas avoir M. Pichon + sur mon âme; mais quand il l'aura nommé, je lui dirai que c'est là + ce qu'il fallait faire pour être conséquent.</p> + +<p>Du reste, Monseigneur, si Votre Excellence se fait rendre compte de + ma correspondance, elle trouvera que M. Pichon ne m'a appris rien de + nouveau sur le <i>déficit</i>, et qu'après l'écart concernant la caisse + d'amortissement, on rentre dans l'ornière de M. de Bulow.</p> + +<p>Mais cet écart, Monseigneur, ne peut pas laisser d'entraîner des + conséquences funestes. Dans la stagnation actuelle de toutes les + affaires, avec le bas prix des grains dans un état agricole qui + tirait de leur exportation la plus grande partie de son numéraire, + avec la vigueur qu'il faudra employer pour faire rentrer les impôts, + et ce qui reste à percevoir de l'emprunt forcé, la cessation absolue + du paiement des intérêts de la dette publique, événement inouï en + Allemagne, accroîtra nécessairement à un degré difficile à calculer + les embarras et la misère. On combinera avec cette mesure + l'isolement du Roi et le camp de Catharinenthal (qui au reste n'est + composé que de quelques bataillons de la garde). Mais le Roi en + partant pour Paris<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a><a href="#footnote136" title="Lien vers la note 136"><span class="smaller">[136]</span></a> laissera-t-il entre les mains de M. de + Bongars un pouvoir sans contrôle? Hélas! faudra-t-il prévoir des + malheurs que peuvent causer dans la nouvelle crise qui menace la + Westphalie des mesures qui ne seraient point guidées par la sagesse?</p> +</div> + +<p>Dans une autre lettre du 17 mai, Reinhard rapporte un entretien +qu'il eut avec le roi, au sujet de l'approvisionnement à Magdebourg, +et le refus absolu que Jérôme opposa à toutes ses demandes sur ce +chapitre. Cependant le séjour que le roi fit à Paris lors des fêtes +pour <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> le baptême du roi de Rome fit fléchir ses résolutions +qui semblaient si fermes. Comme le dit Reinhard: «On a toujours +remarqué que le roi rapportait de Paris des maximes saines et des +résolutions parfaites, qui ne durent pas toujours» (lettre à +Bassano, du 8 juillet); et il ajoute: «On a dû discuter au conseil +des ministres les moyens d'approvisionnement. On tâchera de trouver +des fonds pour l'acquisition des objets les plus pressants, qu'il +faudra payer comptant. On se procurera les grains par voie de +réquisition, et au moyen de bons payables en deux ans.»</p> + +<p>La même lettre jette un jour assez curieux sur la haute police en +Westphalie:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Depuis que la haute police est à peu près détachée de la préfecture, + celle-ci prend son essor contre les contraventions à ses règlements + dans les rues et dans les cabarets. Comme elle tire ses fonds + principaux des amendes et d'autres revenant-bons qu'elle s'est + créés, son industrie s'exerce de mille manières. Elle a pour maxime + de laisser vieillir ses règlements pour faire donner dans le piège + plusieurs contrevenants à la fois. Alors les amendes pleuvent sur de + malheureux paysans ou ouvriers qui expient un délit commis par + ignorance par la perte du gain d'une semaine. La haute police, de + son côté, ne respecte pas davantage la liberté personnelle. Une + circulaire récente du général Bongars ordonne à tous les maires du + royaume de faire arrêter sur-le-champ toute personne qui leur + paraîtra suspecte. C'est le besoin de créer des contraventions et + des délits qui se commettent par des employés français; la règle est + de les renvoyer en France, lorsqu'ils s'en sont rendus coupables + d'une manière trop éclatante, afin d'en soustraire la connaissance + aux tribunaux du pays. C'est ainsi que dernièrement le chef du + bureau de recrutement au ministère de la guerre fut renvoyé en + France pour des malversations énormes. Cela peut n'être pas très + légal et peut avoir d'autres inconvénients encore; mais cela est + conforme à la prudence.</p> + +<p>P. S.—Le retour de M<sup>me</sup> Savagner n'a rien de commun avec la + disgrâce de son mari. Voici le fait. M. de Bercagny demandait à M. + Savagner des rapports très importants: celui-ci en demandait à ses + subalternes. L'un de ces hommes, voyant qu'on cherchait absolument + des indices de conspiration, imagina d'en forger une dans laquelle + il impliqua plusieurs personnages importants. Ce manège ayant duré + pendant quelques mois, le Roi eut enfin l'esprit de se douter que M. + Bongars et M. Bercagny étaient pris pour dupes. L'homme aux rapports + fut arrêté, menacé, confronté avec son commettant et finit par + <span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> avouer qu'il avait inventé toute la conspiration pour se + faire valoir. Sur cela le Roi a résolu de supprimer la préfecture de + police et l'on me dit que M. de Bercagny sera créé chambellan, ayant + la surintendance du spectacle<a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a><a href="#footnote137" title="Lien vers la note 137"><span class="smaller">[137]</span></a>.</p> +</div> + +<p>Quelques jours après, nouvelle arrestation! C'est une lettre de +Reinhard à Bassano, de Cassel, 15 juillet 1811, qui nous l'apprend:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Il s'est passé il y a trois jours un événement qui a beaucoup occupé + l'attention du public à Cassel. M. Savagner, secrétaire général de + la préfecture de police, a été arrêté pendant la nuit de jeudi + dernier, dans son lit, et ses papiers ont été visités. Le lendemain + on lui a signifié sa destitution et son bannissement de la + Westphalie. Il doit partir demain.</p> + +<p>Il existe plusieurs versions sur la cause de cette disgrâce. On + l'attribue à des malversations découvertes, à des propos offensants + tenus sur la personne du Roi (et en effet quelques personnes ont + subi des interrogatoires à ce sujet); à la dénonciation faite par M. + Savagner d'une prétendue conspiration qui s'est trouvée sans + fondement; enfin à des poursuites dirigées contre lui par le + gouvernement français pour d'anciennes malversations commises en + France.</p> + +<p>La lettre du Roi, adressée à ce sujet au ministre de l'Intérieur et + que j'ai lue, porte: que le sieur Savagner ayant, par des pratiques + hautement repréhensibles, cherché à surprendre notre religion et à + abuser de la confiance que nous accordons à toutes les autorités + instituées par nous, Nous ordonnons, etc.</p> +</div> + +<p>Une affaire d'une autre nature vint à cette époque (juillet 1811) +indisposer l'empereur contre les agents du roi de Westphalie. Un +certain Hermann, commissaire à Magdebourg, fît, le 9 de ce mois, un +rapport à M. de Sussy sur la conduite du préfet de Magdebourg.</p> + +<p>Napoléon prit connaissance de cette pièce et la transmit au duc de +Bassano avec la lettre suivante omise à la <i>Correspondance</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Trianon, 20 juillet 1811.</p> + +<p>Je vous envoie une lettre du sieur Hermann, commissaire à Magdebourg + pour la réception des marchandises coloniales provenant de la + Prusse. Vous y verrez quelle est la conduite du préfet de + Magdebourg. Parlez-en au ministre de Westphalie; écrivez à mon + ministre à Cassel de porter plainte contre le préfet de Magdebourg; + chargez-le d'exprimer <span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> à cette cour tout mon mécontentement + que dans une ville que j'ai conquise et où sont mes troupes, on + tienne une conduite aussi contraire à mes intérêts; qu'on n'aurait + point osé se comporter ainsi dans un pays ennemi.</p> +</div> + +<p>Voici maintenant le rapport du sieur Hermann, en date de Magdebourg, +9 juillet 1811:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Permettez-moi d'appeler un moment votre attention sur un objet dont + j'ai déjà eu l'honneur de vous entretenir plusieurs fois. C'est le + défaut d'emplacement et la mauvaise volonté de M. le comte de + Schullembourg, préfet de cette ville.</p> + +<p>Cet administrateur a témoigné cette mauvaise volonté dans toutes les + occasions depuis le premier jour où il a été question de faire ici + l'entrepôt des marchandises coloniales. À chaque demande j'ai + éprouvé un refus. Pour chaque grenier de la douane, pour chaque + emplacement il m'a fallu faire intervenir l'autorité du gouverneur + de Magdebourg et le préfet a semblé prendre à tâche de jeter par là + de l'odieux sur l'opération dans la ville, et de la rendre + désagréable au gouvernement de Cassel.</p> + +<p>Le 4 de ce mois, me voyant à la veille de manquer tout à fait + d'emplacement, j'ai été voir M. le préfet pour lui demander une + église convenable: il me l'a refusée sous un prétexte. Je lui en ai + proposé trois autres: il me les a refusées sous d'autres prétextes. + Tout avec lui est embarras. Enfin, voulant éviter de faire usage de + l'autorité militaire, j'ai écrit à M. le préfet la lettre que vous + trouvez ci-jointe. Il m'a répondu le lendemain. Il est impossible en + lisant sa lettre de se dissimuler que M. le préfet est plein d'un + venin secret qu'il ne peut s'empêcher de répandre lorsqu'il s'agit + de la France. En réponse je lui ai adressé le numéro 3 et j'ai tâché + de lui faire sentir le plus doucement possible combien ses + observations étaient déplacées. Il m'a répliqué par le numéro 4. Il + est impossible de faire une proposition plus absurde à un + commissaire de Sa Majesté l'Empereur, de lui prescrire des + conditions d'une manière plus impérative. J'ai répondu à cela par + une lettre n<sup>o</sup> 5 et il a fini par m'envoyer celle n<sup>o</sup> 6, dans + laquelle il se plaît encore à s'escrimer contre les fonctionnaires + publics qui lui ont, dit-il, souvent manqué de parole.</p> + +<p>Je pourrais encore laisser à M. le préfet la consolation de se + démener contre les Français et les fonctionnaires publics de la + France, mais il me déclare positivement, dans sa lettre n<sup>o</sup> 4, que + dans aucun cas il ne peut plus rien faire pour l'opération dont je + suis chargé, c'est-à-dire qu'il ne me donnera plus aucun + emplacement. L'église Sainte-Catherine que je me suis vu forcé de + prendre est une des plus petites de la ville. <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> Elle est + dans un grand éloignement, elle est voûtée en dessous, et par + conséquent a besoin d'être ménagée. Elle ne contiendra pas les + 10,000 quintaux métriques environ qu'il me reste à faire débarquer + de l'arrondissement de Stettin; mais il me faudrait deux églises + encore pour mettre à couvert les 40,000 quintaux métriques qui + doivent venir de Kœnigsberg. Par la mal-façon du préfet, + aujourd'hui déjà il a fallu suspendre le déchargement et il ne + pourra être repris qu'après-demain, parce que l'église ne peut être + évacuée plus tôt. Les Prussiens ne se plaignent pas d'un si petit + retard; mais si, à l'arrivée des barques de Kœnigsberg, il y + avait un retard de quinze jours seulement, ils auraient droit, ce me + semble, de demander un dédommagement.</p> + +<p>Ayez la bonté, je vous prie, Monsieur le comte, de faire un rapport + à ce sujet à Sa Majesté l'Empereur et de la supplier de vouloir bien + charger son ministre à Cassel de demander au gouvernement + westphalien qu'il soit adressé ordre au préfet de Magdebourg de + mettre à ma disposition les emplacements qui me seront nécessaires + et de mettre à cela autant de bonne volonté qu'il en a mis de + mauvaise jusqu'à présent; autrement je ne puis répondre de rien. Le + préfet semble prendre à tâche de forcer le général à user de + l'autorité militaire pour pouvoir crier à la tyrannie. Le général ne + se soucie pas de se faire trop de querelles avec le gouvernement + westphalien. En conséquence je risque de rester avec les bateaux en + panne sur l'Elbe sans pouvoir rien mettre à terre.</p> + +<p>Je crains aussi qu'en faisant tant de bruit pour une église on + n'indispose la canaille et qu'elle ne cherche à mettre le feu à + quelque magasin. Je crois qu'il serait bon de faire quelques + largesses aux pauvres de la paroisse de l'église Sainte-Catherine. + Si vous m'y autorisez, je leur ferai donner 2 ou 300 écus, ce qui + est beaucoup moins que le loyer que coûterait un pareil emplacement, + et lorsque je serai forcé de demander une autre église, les pauvres + de la paroisse qui s'attendront aussi à un bienfait s'en réjouiront + au lieu de s'en affliger. Il n'y a pas un meilleur moyen de répondre + aux sarcasmes du préfet.</p> +</div> + +<p>Envoyé à Brunswick pendant la foire importante qui se tenait chaque +année dans cette grande ville, pour observer les dispositions des +habitants, Reinhard y séjourna quelques semaines, rendit compte de +ce qu'il avait observé et reprit, à son retour à Cassel, sa +correspondance avec le duc de Bassano.</p> + +<p>Au commencement de décembre 1811, les bruits de guerre avec la +Russie ayant pris une certaine consistance, le roi Jérôme crut +devoir adresser une longue lettre à son frère, pour mettre sous ses +yeux le tableau fidèle de la situation de ses États. Il lui écrivit +donc de <span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> Cassel le 5 décembre une lettre<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a><a href="#footnote138" title="Lien vers la note 138"><span class="smaller">[138]</span></a>, où Jérôme +donnait à son frère, dans un langage cette fois vraiment noble et +élevé, presque prophétique, des avertissements auxquels Napoléon +répondit par cette lettre sèche et dure (10 déc. 1811), qui n'est ni +dans la <i>Correspondance</i>, ni aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Mon frère, je reçois votre lettre du 5 décembre. Je n'y vois que + deux faits: 1<sup>o</sup> que les propriétaires à Magdebourg, à Hanovre + abandonnent leurs maisons pour ne pas payer les surcharges que vous + leur imposez;—2<sup>o</sup> que vous croyez n'être pas sur de vos troupes et + que vous m'avertissez de ne pas compter sur elles. Quant au premier + objet, il ne me regarde pas. Je vous ai constamment recommandé + d'avoir pour principe de contenir les ennemis de la France, de ne + point leur donner une excessive confiance, d'assurer la place + importante de Magdebourg en accordant plus de confiance aux généraux + qui y commandent, enfin de mettre de la suite et de l'économie dans + le système des finances de la Westphalie.</p> + +<p>Quant au second objet, c'est ce que je n'ai cessé de vous répéter, + depuis le jour où vous êtes monté sur le trône: peu de troupes, mais + des troupes choisies et une administration plus économique auraient + été plus avantageuses à vous et à la cause commune. Quand vous aurez + des faits à m'apprendre, j'en recevrai la communication avec + plaisir. Quand, au contraire, vous voudrez me faire des tableaux, je + vous prie de me les épargner. En m'apprenant que votre + administration est mauvaise, vous ne m'apprenez rien de nouveau.</p> +</div> + +<p>L'empereur n'en prit pas moins en sérieuse considération ce que +Jérôme lui écrivait, car il manda le même jour, 10 décembre 1811, à +son ministre des relations extérieures:</p> + +<p class="lettre">Monsieur le duc de Bassano, je vous envoie pour vous seul une lettre + du roi de Westphalie que vous me renverrez. Tirez-en la substance, + non sur la forme d'une lettre du Roi, mais comme extrait d'une + communication de la Cour de Cassel. Vous enverrez cet extrait à mon + ministre à Cassel, et vous le chargerez d'avoir des conférences avec + les ministres du Roi, pour connaître les faits, ce qui a donné lieu + à cette opinion qui paraît être celle du Roi, enfin quel est le + remède. Si les troupes ne sont pas sûres, à qui en est la faute? Le + Roi lève trop de troupes, fait trop de dépenses et change trop + souvent ses principes d'administration. Mon ministre fera vérifier + les faits à Magdebourg, à Hanovre; la France <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> ne tire + cependant rien de ces pays. Vous lui recommanderez d'avoir des + conférences sérieuses avec les ministres du Roi, de bien asseoir son + opinion sur ces différentes questions et de vous les faire + connaître.</p> + +<p>Les lettres qui suivent présentent un intérêt moins général:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 19 décembre 1811.</p> + +<p>La haute police du royaume déploie en ce moment une activité assez + grande. La nomination des commissaires de police, même dans les + petites villes, qui jusqu'à présent avait appartenu au ministère de + l'intérieur, sera désormais du ressort de la haute police. Elle fait + tenir par la gendarmerie jusque dans les bourgs et dans les villages + des registres où le nom et la fortune de presque tous les habitants + se trouvent inscrits et où il y a une colonne d'observations. + Plusieurs arrestations, dit-on, ont eu lieu, soit ici, soit + ailleurs. Quelques employés des postes surtout ont été ou arrêtés ou + renvoyés, soit pour avoir favorisé des correspondances suspectes, + soit pour s'en être permis eux-mêmes qui ne convenaient point. Un + jeune étudiant de Gœttingue a été conduit à Cassel pour avoir + écrit une lettre où il racontait avec une inexpérience enfantine + l'histoire du transparent. Comme il n'a que dix-huit ans, qu'il + n'est venu à l'Université que depuis six semaines et qu'il a de bons + témoignages concernant la régularité de sa conduite et son assiduité + aux études, il a été relâché avant-hier après une détention de + quinze jours. Ils s'appelle Westphal et est natif de Berlin. Le + ministre de Prusse avait intercédé en sa faveur. On nomme aussi + quelques personnes, du reste insignifiantes, dont on a examiné les + papiers.</p> + +<p>Il paraît, cependant que, dans certaines circonstances, le zèle de + la haute police passe un peu la mesure. Un baron d'Elking, natif de + Brème, dont le père avait été syndic de cette ville, arrivé ici avec + ses propres chevaux et deux domestiques, ayant pris des chambres + dans une maison particulière et averti qu'il fallait se munir d'une + carte de sûreté, avait envoyé son chasseur chez M. de Bongars, qui + connaissait sa famille, pour demander cette carte et pour lui + annoncer sa visite pour le lendemain. La commission fut mal faite + et, au milieu de la nuit, M. d'Elking fut obligé de quitter son lit + et fut conduit à la police. Il semble que, dans ce cas, ce sont + d'abord les propriétaires qui sont responsables, qu'ensuite, + lorsqu'il s'agit de simples éclaircissements, la police en prenant + ses précautions pourrait attendre le jour pour se les faire donner. + Quoi qu'il en soit, M. d'Elking s'étant présenté chez moi comme + sujet français et m'ayant raconté ce fait, j'ai cru devoir dire au + <span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> commissaire général de police que si pareille chose + arrivait encore à un sujet français, je serais obligé de m'en + plaindre à sa cour et à la mienne.</p> + +<p>On croit ici que la haute police, en redoublant en ce moment de + surveillance, suit les directions de M. le maréchal prince d'Eckmuhl + et que ces mesures sont liées à celles de l'arrestation du sieur + Becker à Gotha.</p> +</div> + +<p>Le 24 décembre, le général Morio, grand écuyer, fut assassiné dans +les écuries du Roi par un maréchal-ferrant: Reinhard rendit compte +de cet événement et de la mort du général par une lettre en date du +25, dont nous extrairons un passage:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Le général Morio est tombé victime d'une vue sage et dictée par + l'esprit de justice qui l'avait porté à employer dans son + administration des ouvriers allemands, concurremment avec les + ouvriers français. Il avait adjoint un maréchal ferrant d'Hanovre à + son assassin qui, blessé encore par un refus d'augmentation de + gages, demanda et obtint son congé. Cet homme était au service du + Roi depuis sept ans: il paraît qu'il se sentit humilié, soit de + rester ici sans emploi, soit de rentrer en France. On avait toujours + remarqué quelque chose de sournois dans son caractère; aussi le + général, tombant du coup, s'écria: «C'est Lesage qui me tue.»</p> + +<p>Comme en histoire naturelle on croit utile de faire la description + de certains monstres, on doit attacher quelqu'intérêt à connaître + l'action monstrueuse de cet homme dans ses motifs et dans ses + développements. Il est né à Tarascon, pays, dit-on, fertile en + contrebandiers et où les assassins ne sont nullement inconnus. On + ignore s'il a joué un rôle dans la Révolution; mais au service du + Roi il s'est toujours bien conduit; aussi n'avait-on pas fait la + moindre difficulté de lui accorder le certificat de bonne conduite + qu'il demandait pour rentrer en France. On lui offrit des frais de + voyage qu'il refusa avec hauteur, mais le lendemain il revint dire à + M. de Saint-Sauveur qu'il avait réfléchi sur ce qu'on trouverait son + refus insolent et qu'il accepterait l'indemnité. Il possédait une + paire de pistolets: il en acheta une seconde sous le prétexte qu'on + volait du fer dans son atelier, ou plutôt ce vol était véritable, et + ce fut le général Morio qui donna l'ordre de lui fournir des armes. + Chargé de chaînes, voici ce qu'il a déclaré au général Bongars dans + son interrogatoire:</p> + +<p>«Depuis plus d'un mois, j'étais déterminé à tuer ou le général Morio + ou M. de Gilsa et ensuite à me tuer moi-même; mais c'est depuis le + 19 que ma résolution était de les tuer l'un et l'autre, Gilsa parce + qu'il a donné le mauvais conseil, Morio le premier parce qu'il l'a + exécuté. <span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> Depuis le 19, le général Morio se trouva + plusieurs fois à portée de mon pistolet; mais je voulais attendre + qu'ils fussent réunis. Lorsque j'ai voulu tirer le second coup sur + Gilsa, j'ai trouvé dans mon point de mire M. de Saint-Sauveur qui + est honnête homme, c'est ce qui a sauvé Gilsa.» Son second coup n'a + point été tiré contre M. de Saint-Sauveur, mais contre un + palefrenier qui l'a échappé par un miracle. La balle s'est coupée en + deux contre une petite clef qu'il avait dans sa poche et qui s'est + dessinée sur sa chair.—«Mais comment, dit M. de Bongars, avez-vous + pu commettre un pareil crime pour une bagatelle?»—«Mon honneur a + été outragé; vous, dans ce cas, lui auriez demandé raison; et il + aurait été obligé de vous la faire. Moi, on m'aurait jeté dans un + cul de basse-fosse et chassé du royaume. Ainsi ne pouvant le tuer + par devant je l'ai tué par derrière.»—«Mais il ne mourra pas,» dit + M. de Bongars.—«Il mourra, dit le scélérat, j'ai vu le trou où la + balle est entrée.»</p> + +<p>On a trouvé chez lui le testament qu'il avait annoncé. Il y est dit + que Morio et Gilsa étant deux coquins qui trompaient le Roi, il a + voulu en faire justice. «Lorsque je ferrais seul les chevaux, + disait-il encore, pas un clou ne portait à faux; depuis que ce + misérable Allemand m'est adjoint, il y a toujours six chevaux au + moins qui couchent sur la litière.»</p> + +<p>Depuis qu'il est arrêté, il n'a voulu ni manger ni boire. «Les + formalités de mon procès, dit-il, seront assez longues pour me + donner le temps de mourir de faim et de n'être pas déshonoré par la + mort sur l'échafaud.» Il a mangé depuis.</p> + +<p>Tous, Français et Allemands trouvent un adoucissement au chagrin que + cause cette catastrophe en ce que l'assassin n'est pas un Allemand. + Tous frémissent de l'idée des conséquences qu'aurait pu entraîner le + même coup si l'on avait pu l'attribuer à l'esprit de parti.</p> + +<p>La dissection du cadavre a montré la balle dans la moelle épinière + même. Aussi le général s'est-il cru mort du premier moment. Toute la + partie inférieure de son corps était sans sentiment. Dans son + testament, qu'il a dicté et signé, il a légué les trois quarts de + son bien à sa femme enceinte et l'autre quart à ses frères qui sont + sans fortune.</p> +</div> + +<p>La mort tragique du général Morio causa un vif chagrin au jeune roi; +dans un bulletin expédié à Paris par Reinhard, le 9 janvier 1812, il +est question de la somme dépensée au service funèbre.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Depuis la mort du général Morio on regarde comme les hommes les plus + influents les généraux Bongars et Allin. Le roi lui-même a dit à ce + dernier qu'il espérait qu'il remplacerait Morio. C'est un excellent + officier d'artillerie, du reste très sourd au physique et au moral + et ne connaissant que ses mathématiques. Son nom, très probablement, + reparaîtra quelquefois dans ma correspondance.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> Le roi est toujours inquiet des conspirations. M. Bongars + doit avoir découvert à Brunswick un embaucheur et fait arrêter un + fermier chargé de fournir les fonds. Il est très vrai que sur les + revenus des dotations hanovriennes il n'y a que 300,000 francs de + payés, et que le reste est assigné sur des marchés conclus dont le + produit n'est pas encore tout à fait disponible. À plus forte + raison, je ne puis croire au paiement du premier terme du capital. + On se flatte ici que l'indemnité pour la nourriture de nos troupes + sera imputée sur les 2,400,000 francs dus en 1812 pour la + contribution de guerre, et c'est ainsi qu'on fait les fonds pour la + dette la plus pressée. J'en ai la preuve sous les yeux.</p> + +<p>On se montre une liste des cadeaux faits par le roi depuis + l'incendie du château. La voici: la maison et mobilier au comte de + Bochholtz, 100,000 francs; la maison et mobilier au comte de + Lœwenstein, 80,000 francs; gratification aux cinq ministres sur + le produit des bulletins des lois, 50,000 francs; à M<sup>me</sup> Morio: en + or, 36,000 francs, plus un médaillon en diamants avec les portraits + du roi et de la reine, 10,000 francs, enterrement du général Morio, + 20,000 francs; sur le budget du ministre de l'intérieur, loterie de + bijoux à Catharinenthal, 25,000 francs; à la reine, en perles, + 36,000 francs; budget du grand écuyer, 850,000 francs.</p> +</div> + +<p>Quelques jours après l'envoi de ce bulletin, le 23 janvier 1842, +Reinhard terminait une longue lettre au duc de Bassano par les deux +phrases suivantes omises aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Il paraît que depuis les dernières représentations faites lors de + l'enterrement du général Morio, le roi boude le corps diplomatique. + Entre les bals masqués qui se donnent chez les ministres de Sa + Majesté, il y en a de masqués et de parés à la cour même, dont les + ministres étrangers sont exclus. Cela fait beaucoup de peine au + ministre d'Autriche qui a été mon principal instigateur (?), mais + qui n'en aime pas moins à savoir où passer ses soirées.</p> + +<p>Le public de Cassel, qui a entendu parler des dernières libéralités + du roi et qui est témoin des plaisirs du Carnaval, prétend que la + cour jette l'argent par les fenêtres parce que le roi sait que + Cassel ne sera pas longtemps sa résidence.</p> +</div> + +<p>En même temps que ces lettres et ces bulletins de Reinhard étaient +mis sous les yeux de l'empereur, ce dernier recevait de son frère +une dépêche en date du 11 janvier (<i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol. +5<sup>e</sup>, page 179), dans laquelle le roi, exposant la situation précaire +des finances de son royaume, implorait un dégrèvement. On conçoit +que les rapports du ministre de France à Cassel n'étaient pas de +nature à engager Napoléon à satisfaire au désir du roi de +Westphalie.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> Vers cette époque la guerre avec la Russie devenait de jour +en jour plus probable. Napoléon manda à tous les princes de la +Confédération qu'ils eussent à préparer leur contingent. Jérôme +s'empressa de seconder de tout son pouvoir, dans ses États, les +intentions de son frère.</p> + +<p>Le 17 janvier 1812, Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano:</p> + +<div class="lettre"> +<p>On lit déjà dans le <i>Moniteur westphalien</i> quelques nominations qui + semblent indiquer que l'armée va être mise sur le pied de guerre. Le + roi a nommé deux payeurs-généraux et plusieurs officiers + d'ordonnance parmi lesquels on cite MM. de Lowenstein et de + Badenhausen, chambellans, et un comte de la Lippe. Le prince de + Hesse-Philippsthal dont le mariage avec sa nièce va se célébrer + aujourd'hui sera un des aides-de-camp de Sa Majesté. On dit dans le + public que le quartier général du roi sera à Erfurth. Le général de + Hammerstein se dispose à partir pour prendre le commandement de + l'avant-garde. Tous les officiers, toute la cour, s'il était + possible, voudraient joindre l'armée.</p> + +<p>Il y a eu pendant le Carnaval six bals masqués chez les ministres du + roi et les grands officiers, deux bals masqués et deux bals parés à + la cour, dans ce qu'on appelle l'intérieur, et un bal paré aussi + dans l'intérieur chez M. de Furstenstein. Le roi a défendu que le + dernier bal masqué qui devait se donner hier au théâtre eût lieu, + attendu que le carême a commencé.</p> + +<p>La remise des cinq dotations, montant à un revenu de 145,000 francs + dont le roi s'était emparé en 1809 et que plusieurs traités avec la + France l'avaient forcé de rendre, a enfin été effectuée. J'avais + annoncé dans mes numéros 263 et 264 que le roi s'en était indemnisé + pour une somme de 3 millions d'obligations provenant de créances du + roi d'Angleterre sur le pays d'Hanovre dont M. Pichon avait fait + cadeau à Sa Majesté; mais il y a eu double indemnité. La direction + des domaines de l'État a cédé au roi pour 2 millions de biens du + clergé de Hildesheim; elle a reçu en échange une dotation qui devait + être restituée, et c'est elle qui ensuite l'a rendue au donataire. + Un contrat formel a été passé à ce sujet entre le roi et M. Malchus. + En récompense ce ministre a reçu du roi, le 9 de ce mois, 20,000 + francs de sa cassette et 100,000 francs en obligations de l'emprunt + forcé, bonnes à employer comme argent comptant dans l'acquisition de + la terre de Marienborn dont M. Morio n'avait pas consommé l'achat. + La manière dont les intérêts de M<sup>me</sup> Morio ont été stipulés dans + cette occasion m'est encore inconnue. À ces faits qui, ainsi que + plusieurs dont j'ai déjà fait mention, sont tous connus du public, + il faut en ajouter d'autres qu'on ne croit ici pouvoir expliquer que + par la supposition que le roi a cessé entièrement de prendre intérêt + à la situation de son royaume. Il a donné au sieur Roulland, son + deuxième <span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> chirurgien, 100,000 francs en obligations, pour + lui faire, dit-il, 4,000 francs de revenu. Cet homme, à qui le roi + n'avait presque jamais adressé la parole, est tombé des nues. Un + comte de Blumenthal, ancien maire de Magdebourg, ensuite chambellan, + retiré dans ses terres, enfin revenu à Cassel pour s'y établir, a + reçu 12,000 francs.</p> + +<p>Je regarde, Monseigneur, ces dernières prodigalités comme l'effet de + l'impression qu'ont fait sur l'esprit du roi les communications + récentes que j'ai été chargé de faire. Il se raidit en se punissant + lui-même contre les reproches trop fondés qui lui ont été adressés. + Il regarde la Westphalie comme perdue pour lui. Il met toutes les + chances dans son armée et dans le commandement qu'il espère obtenir. + Tous ses regards se tournent sur la Prusse et sur la Pologne; mais + l'impression que tout cela fait sur le public et sur tous ses + serviteurs honnêtes est inexprimable. Le public date cet abandon ou + le laisse aller de l'incendie du château. D'un autre côté, il n'est + que trop vrai que depuis l'entrée au ministère de M. de Malchus, + depuis le travail du budget qui a mis à nu son impuissance et la + disproportion entre les recettes et les dépenses, le désordre et la + corruption se répandent d'une manière effrayante dans toutes les + branches de l'administration.</p> + +<p>Les administrations militaires subalternes en sont surtout + infectées. M. Pichon garde le silence depuis qu'il habite le palais + le mieux meublé de Cassel; mais au moins il travaille. Les + conseillers d'État allemands sont tous sans la moindre influence. + L'abattement est dans toutes les âmes.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 30 janvier 1812.</p> + +<p>Si tout ce que je viens d'alléguer tend à prouver que la Westphalie + en ce moment possède encore des moyens pour faire ce que lui + prescrit une politique sage et dévouée en ne désorganisant point le + service accoutumé et régulier des fournitures à faire aux troupes + françaises, Votre Excellence d'un autre côté est assez informée par + mes rapports journaliers que la détresse des finances westphaliennes + est réelle, qu'elle va en croissant, et qu'un surcroît d'avances à + faire les épuiserait totalement dans un avenir très prochain. Pour + faire juger Votre Excellence à quel point on se procure ici des + ressources, je n'ai qu'à citer ce que je tiens de Sa Majesté + elle-même, que les domaines de l'État se vendent à neuf et à huit + fois le revenu. Une dépréciation pareille aurait probablement lieu + si l'on se pressait de vendre à la fois une trop grande quantité des + produits des mines qui peuvent être encore disponibles. Le banquier + Jacobson avec lequel on a conclu les derniers marchés <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span> + parait avoir fait une spéculation dans l'hypothèse d'une guerre + prochaine. C'est la même hypothèse qui a fait monter assez + considérablement le prix des grains.</p> + +<p>Un observateur placé hors de la Westphalie, mais dans le voisinage, + que j'avais interrogé sur la disposition des esprits et que je crois + digne de confiance, m'écrit: «Je suis sûr, comme vous, qu'il n'y a + pas encore de danger pressant. Il n'y a ni foyer de mécontents, ni + point de ralliement, ni chef de parti; au contraire, il n'y aurait + ni plainte, ni élan si on montrait de la confiance aux nouvelles + grandes familles et si on allégeait les impôts; aussi longtemps que + régnera une parfaite cordialité, une tranquille aisance, il n'y a + rien à craindre dans ce qui est soumis au grand empereur. On admire, + on craint, on respecte dans les petites souverainetés autrichiennes + (j'excepte Coethen). On aime et on se tranquillise; mais c'est la + Westphalie où le mécontentement est bien grand. L'idée qu'on a du + luxe, de la pompe asiatique de la cour, au lieu d'en imposer, aliène + les esprits. On ne croit pas à la pureté des mœurs. On exagère + sans doute dans les contes qu'on en fait; mais tout cela attire une + grande mésestime, et puis les impositions toujours nouvelles + occasionnent des plaintes aussi toujours nouvelles et mènent au + désespoir. Les pays de Hesse, Paderborn ne sont pas riches du tout. + Ils n'ont pas de ressources, ils n'ont que des pleurs. Si le cœur + compatissant du roi savait la pure vérité, tout changerait bientôt + de face. De plus, on s'imagine que le maître actuel pourra recevoir + une autre destination. Le manque d'héritier augmente les + inquiétudes. Si on fait des contes dangereux en parlant + d'insurrections qui éclateront, on ne peut nier qu'il y en a des + germes. Peut-être si on avait à faire à d'autres pays qu'à + l'Allemagne, ce serait bien pire; mais vous savez que le Germain est + tranquille, patient, ami de l'ordre, peu fait pour les révolutions; + seulement il ne faut pas le pousser à bout.</p> + +<p>Si le roi, au lieu de se dédire des fournitures, avait dit: «Tous + les fonds de l'État sont insuffisants aux dépenses courantes; mais + le moment presse; voilà ma liste civile de six millions. J'en + consacre un pour l'entretien des troupes de mon frère. Plus de bals + masqués, plus de cadeaux pour les costumes jusqu'à ce que j'aie + pourvu à l'essentiel. L'emploi des capitaux qui m'ont été cédés par + l'empereur sera pour l'armée.» Mais au lieu de cela on montre une + avidité scandaleuse pour faire payer d'avance le cadeau de 400,000 + francs qu'on a fait offrir par la ville à la reine; et on laisse là + des casernes à moitié achevées. On se fait remplacer par des + domaines de l'État les cinq domaines qu'il a fallu restituer aux + donataires impériaux; et dans la crise la plus importante on vit + dans une dissipation de dépenses et d'amusements qui fait dire dans + la ville de Cassel et dans tout le royaume que le roi n'agit ainsi + que parce qu'il se voit au dernier jour de son règne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> Il est douloureux, Monseigneur, d'avoir à dire ces vérités, + mais je serais coupable en les dissimulant.</p> +</div> + +<p>Continuant ses investigations sur la conduite et les libéralités du +jeune roi, M. Reinhard adresse encore au duc de Bassano les lettres +suivantes:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, le 20 février 1812.</p> + +<p>J'ai reçu en même temps une lettre pour M. le ministre de la guerre + de Westphalie où Monseigneur le major général de la grande armée + demande l'état de situation du contingent westphalien qu'il évalue + environ à 21,000 hommes, 3,400 se trouvant à Dantzig et 600 en + Espagne. M. le comte de Hœne m'a dit que les troupes mises sur le + pied de guerre atteignaient de bien près ce nombre. Il a observé, au + reste, qu'il fallait porter à 1,200 celui des troupes qui se + trouvaient en Espagne, savoir: un bataillon de 600 hommes en + Catalogne et un régiment de cavalerie légère de 600 hommes à l'armée + du Midi. Je lui ai demandé si le roi regardait son contingent comme + devant être composé en entier de Westphaliens?—«Sans doute, a-t-il + répondu, puisque nous n'avons aucune autorité sur les 12,500 hommes + de troupes françaises.»—«Je ne fais, ai-je dit, cette question que + pour mon instruction particulière, elle n'a point d'autre objet.» Du + reste, M. le comte de Hœne ne m'a point dissimulé que le mot + <i>contingent</i> dont la France avait soin de se servir en parlant de + l'armée westphalienne ne lui paraissait pas d'un heureux augure pour + le désir du roi d'obtenir un commandement particulier.</p> + +<p>On se flatte de faire réussir à Francfort la négociation d'un + emprunt de deux millions contre un dépôt de la valeur de trois + millions en produit des mines. Il est aussi question d'une vente de + sels à l'extérieur pour la valeur d'un million. M. Pichon prévoit un + déficit de vingt millions, seulement pour les six premiers mois de + cette année.</p> + +<p>Le roi a envoyé, le jour des noces du prince de Hesse-Philippsthal, + à la mariée une corbeille magnifique et au prince, dit-on, un + portefeuille contenant deux cent mille francs en obligations. Je ne + saurais encore garantir ce dernier fait qui s'est accrédité dans le + public, sans doute pour rester en proportion des autres libéralités.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, 27 février 1812.</p> + +<p>L'emprunt de deux millions négocié à Francfort pour le gouvernement + westphalien par le banquier Jordis au moyen d'un dépôt en produits + des mines paraît avoir réussi, on dit même qu'il pourra être porté à + trois millions. Je n'en connais encore les conditions que très + imparfaitement. On ne croit point qu'elles soient fort avantageuses, + mais les besoins étaient urgents. On me fait espérer positivement + qu'une partie <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> de cet argent sera employée à remplir les + obligations contractées envers la France, et particulièrement à + payer les 400,000 francs sur la contribution de guerre échus au 31 + janvier.</p> + +<p>Le roi continue à faire des donations entre vifs, en obligations qui + lui appartiennent sur l'État. M. le comte de Furstenstein a encore + reçu deux cent mille francs le jour de la fête de la reine. M. + Malchus a fait pour M. Siméon l'acquisition d'une terre dont il + paraît que le roi avancera les fonds et qui a été adjugée à 168,000 + francs. Ces obligations sont au porteur. Elles ne sont qu'au cours + de 44; mais il paraît que le roi autorise quelquefois à les faire + valoir davantage en acquisitions de domaines. M. Pichon a remis au + roi, il y a peu de temps, pour 500,000 francs de ces obligations; il + vient d'en signer d'autres pour 600,000 qui seront mises à la + disposition de Sa Majesté. Voilà la raison pourquoi le système d'un + grand livre à inscriptions et transferts n'a pas été adopté. Le roi + se croyait dévoilé par cette formalité; cependant le secret n'en est + pas mieux gardé et les libéralités qui se font n'en peuvent pas + moins être constatées. Le roi se regarde en ce moment (ce sont les + expressions de plusieurs de ses serviteurs) comme un gouverneur qui + va quitter sa province et qui se débarrasse des effets qu'il ne peut + ou ne veut pas emporter.</p> +</div> + +<p>Dans une lettre du 12 mars 1812, Reinhard donne encore un exemple de +la prodigalité du roi:</p> + +<p class="lettre">Le roi a donné à la fille du conseiller d'État Coninx, ancien + intendant des domaines royaux, une dot de deux cent mille francs en + obligations. Abstraction faite de tout ce qu'on peut dire pour ou + contre les motifs qu'il a pour faire de tels dons, provenant d'une + telle source, il est au moins certain qu'ils ont une influence + funeste sur le crédit des papiers de l'État, puisque ceux qui + reçoivent des obligations n'ont rien de plus pressé que de s'en + défaire. Le domaine acquis par M. Malchus s'appelle Marienrode et + non Marienborn. Son acquisition n'a rien de commun avec les intérêts + de M<sup>me</sup> Morio. Il paraît aussi que les cinq domaines enlevés aux + donataires impériaux et cédés par le roi à l'État ne seront pas + restitués en nature, mais en argent.</p> + +<p>Peu de temps après, Jérôme fut appelé <i>incognito</i> à Paris par +Napoléon. Il rentra bientôt à Cassel, et eut la satisfaction +d'annoncer que son frère lui avait confié le commandement en chef de +toute la droite de la grande armée (60,000 hommes); les +Westphaliens, sous les ordres de Vandamme, composaient le 8<sup>e</sup> corps.</p> + +<p>Ce n'est pas ici le lieu de raconter la part honorable que prit +Jérôme aux opérations qui signalèrent le début de la mémorable +<span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> campagne de 1812; on en trouvera tous les éléments dans +les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, et dans un volume intitulé <i>Mémoire +pour servir à la campagne de 1812</i><a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a><a href="#footnote139" title="Lien vers la note 139"><span class="smaller">[139]</span></a>. Il suffit de dire qu'à la +suite de dissentiments avec l'empereur, Jérôme fut relevé de son +commandement. Citons cependant la lettre qu'avant cet événement il +écrivait de Grodno le 5 juillet à sa femme, la reine Catherine, +qu'il avait laissée à Cassel, régente du royaume:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Ta dernière lettre est du 22, je ne l'ai reçue qu'hier. Tu vois que + je suis arrivé à Grodno avec ma cavalerie légère. J'ai aussi été + obligé d'y rester quelques jours qui n'ont fait de mal à personne.</p> + +<p>L'empereur est entré à Vilna le même jour que je suis entré à + Grodno. Ainsi, il ne pourra qu'être, j'espère, satisfait de son aile + droite. Ma cavalerie est à vingt ou trente lieues en avant, mais les + Russes ayant quelques jours de marche, nous ne pouvons les attaquer, + et, à l'exception de quelques convois et quelques Cosaques, nous ne + faisons qu'user nos souliers.</p> + +<p>L'armée russe, par les savantes manœuvres de l'empereur, est + entièrement coupée en trois; aussi, je ne sais pas trop où elle se + réunira, à moins que ce ne soit derrière leurs marais ou la Dwina, + encore je doute que celle de Bagration, qui m'est opposée, puisse y + parvenir; du moins, je ferai tout pour tâcher de l'empêcher.</p> + +<p>Tu sais sans doute que la diète de Varsovie s'est déclarée diète + générale du royaume de Pologne et a proclamé son existence, etc.</p> + +<p>Je jouis de la meilleure santé; l'empereur ne s'est jamais si bien + porté; il est dans son centre; il n'a même pas besoin de jouer + serré; il pelotte en attendant partie, et je crois qu'il finira + quand cela lui conviendra, car c'est bien le cas de dire que même + sur l'opinion il peut ce qu'il veut.</p> + +<p>J'ai été obligé d'ôter à Vandamme le commandement du 8<sup>e</sup> corps; il + en faisait de toutes les couleurs, pillant, volant, donnant des + soufflets, des coups de pied à tout le monde, etc. C'est incroyable + la haine que son nom inspire dans ce pays, les habitants en ont une + frayeur inconcevable. Je présume que l'empereur le renverra chez lui + ou lui donnera un commandement sur les derrières.</p> + +<p>Je compte partir aujourd'hui et j'espère dans quelques jours + rejoindre l'empereur, cela me rendra bien heureux.</p> +</div> + +<p>La veille du jour où il allait être relevé de son commandement, il +écrivait encore à sa femme de Mir, 13 juillet 1812, midi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je répondrai cette fois, ma chère Toinette, à ta lettre du 27, sur + tous <span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> les points, c'est ce que je fais toujours; mais tu + prétends que je déchire tes lettres avant ou sitôt après les avoir + lues.</p> + +<p>1<sup>o</sup> Il n'est pas douteux que les ministres ne doivent te communiquer + les rapports qu'ils m'adressent; il me semble même que c'est ce + qu'ils font, puisque je les reçois presque toujours et par toi et + par eux.</p> + +<p>2<sup>o</sup> M. Siméon a pu tenir dans sa maison le conseil des bâtiments, + puisque ce n'est qu'une affaire de maison, qui n'a rien de commun + avec l'État; mais pour tenir ce conseil, il fallait le convoquer; et + pour le convoquer, il a fallu que Boucheporne, qui fait les + fonctions de secrétaire du cabinet, prît tes ordres; car il n'y a + que le secrétaire du cabinet qui puisse convoquer un conseil + d'administration de la maison. Il ne faut pas te gêner et le dire + clairement à M. Siméon.</p> + +<p>3<sup>o</sup> M. Siméon <i>ne peut</i> tenir un conseil des ministres chez lui: 1<sup>o</sup> + parce qu'il faut prendre tes ordres pour le rassembler; 2<sup>o</sup> parce + que c'est directement défendu par une instruction, tous les conseils + <i>doivent être tenus dans mon palais</i>.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Il doit te rendre compte de tout ce qu'il fait et reçoit, comme + il le ferait pour moi, et je ne conçois pas comment il a pu se + permettre de donner une permission, soit aux conseillers d'État, + soit aux ministres de France et d'Autriche, sans prendre tes ordres; + tes rapports avec moi ne l'empêchent nullement de te rendre compte + <i>de tout, il faut l'exiger</i>. À l'âge de M. Siméon, on n'est plus + dirigé que par deux passions: l'avarice et l'ambition; il faut + réprimer la dernière, et pour cela, il suffit d'un peu de fermeté.</p> + +<p>Je ne veux pas des plans que l'on m'a envoyés. Je veux, puisqu'il + faut dépenser huit à dix millions en six ans, que l'on construise + sur l'emplacement de la rue Royale, où demeure la comtesse d'Oberg, + un peu plus en arrière. Donnes-en l'ordre à Moulard pour qu'il se + fasse faire le plan. J'espère que pour cette fois j'ai répondu à + toutes les affaires.</p> + +<p>Maintenant parlons de nous:</p> + +<p>Tu ne dois pas t'étonner si tu reçois de mes nouvelles beaucoup plus + rarement, car je suis aux frontières de l'ancienne Pologne, + poursuivant le prince Bagration qui se retire avec 80,000 hommes. Il + y a deux jours que 3,000 hommes de cavalerie de mon avant-garde ont + eu un engagement sérieux avec l'arrière-garde ennemie ici-même; les + Polonais se sont battus comme des diables, et s'ils avaient eu la + patience d'attendre l'arrivée des cuirassiers et des hussards, + l'ennemi n'aurait pas emporté ses oreilles; mais ils ont voulu aller + toujours en avant, et comme l'ennemi était beaucoup plus fort, ils + n'ont pu que lui faire beaucoup de mal, mais sans aucun résultat.</p> + +<p>Dans peu de jours, les Russes auront évacué toute l'ancienne + Pologne, <span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> ce qui est inconcevable; le pays est assez beau, + mais il faut y être obligé pour y rester, car c'est au bout du + monde.</p> + +<p>Tu as sans doute reçu mes lettres de Grodno, etc.; les postes vont + très doucement, et je crois même être à peu près le seul qui reçoive + aussi souvent des nouvelles de chez moi.</p> + +<p>Je vais partir pour Nesvig, assez jolie petite ville de Pologne; car + celle-ci est assez misérable.</p> +</div> + +<p>À quelques jours de là, la situation avait bien changé, et c'était +sur un autre ton que Jérôme écrivait à Napoléon, de Tourets, 17 +juillet, à 8 h. du matin:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, je reçois à Touretz la lettre que V. M. m'a fait l'honneur de + m'écrire en date d'hier. J'ai quitté Nesvig, ayant été prévenu que + les Autrichiens allaient y arriver.</p> + +<p>La manière dont j'ai reçu l'ordre d'être sous le commandement du + prince d'Eckmühl sans en avoir été prévenu ni par V. M., ni par le + prince de Neufchâtel; la lettre dure que V. M. m'a écrite en date du + 10, dans laquelle elle me disait que je n'avais qu'à m'en aller, + qu'elle ne mettait point d'obstacle à mon départ; l'extrême inimitié + que le prince d'Eckmühl m'a toujours portée; le mésentendu qui avait + existé entre ce prince et moi avant l'arrivée de V. M. à l'armée, et + enfin le malheur que j'avais de ne m'attirer que des reproches et de + ne jamais réussir à contenter V. M. malgré ma bonne volonté; tout + m'a fait croire qu'Elle voulait que je quittasse le commandement + comme Elle semblait me le dire dans sa lettre du 10.</p> + +<p>Dieu m'est témoin, sire, que jamais une mauvaise idée n'est entrée + dans mon âme et que vous et l'honneur avez toujours été mes seuls + guides.</p> + +<p>Actuellement, il dépend de V. M. d'achever de me perdre ou de me + sauver, puisqu'ayant remis le commandement depuis trois jours, ayant + fait avec ma garde des marches rétrogrades et annoncé que V. M. + m'appelait sur un autre centre, je ne puis plus retourner. V. M. + pourrait, la retraite du prince Bagration s'effectuant sur Mogouir, + me donner un commandement sur les côtes en cas de descente des + Anglais et de mouvement dans cette partie, ou enfin toute autre + destination qu'il lui plaira. J'espère encore que dans une + circonstance comme celle-ci d'où dépend le sort de toute ma vie, + elle ne m'abandonnera pas.</p> +</div> + +<p>Le 28 juillet, nouvelle lettre du roi à la reine, écrite de +Bialistok:</p> + +<div class="lettre"> +<p>J'ai reçu ce matin à Bialistok tes lettres du 17 et du 20 en même + temps. Tu peux bien penser que, si je retourne, c'est que je dois le + <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span> faire, c'est que je ne puis faire autrement, sans me + déshonorer. Comment, moi qui commande l'aile droite, composée de + quatre corps d'armée, on m'ordonne, en cas de réunion ou de + bataille, d'être sous les ordres d'un simple maréchal qui ne + commande qu'un seul corps? L'empereur a bien senti que ce ne pouvait + être, car c'eût été m'afficher aux yeux de toute l'Europe, comme un + homme incapable, et n'eût-on pas dit avec raison: Quand il s'agit de + parades et de marches, le roi est assez bon pour commander; mais + quand il s'agit de se battre, il doit et ne peut qu'obéir? Il eût + autant valu me donner un coup de pistolet que de me déshonorer de la + sorte. Et de quelle manière je reçois cet ordre par le prince + d'Eckmühl! Cet ordre est daté du 6. Je reçois des lettres de + l'empereur et du prince de Neufchâtel des 6, 7, 8, 9, 10 et 11, et + on ne m'en dit pas un mot; on ne me le fait pas même soupçonner, et + c'est lorsque je me bats avec l'ennemi, lorsque je fais le reproche + au prince d'Eckmühl de ce qu'il perd du temps, et lui mande que s'il + veut faire deux marches de tel côté, Bagration était à nous; c'est + alors, dis-je, pour toute réponse qu'il m'envoie l'ordre qui me met + sous ses ordres. Tu sens bien que je n'ai pu que le transmettre à + mes généraux et me retirer. L'empereur n'eût pas fait autrement. Je + ne pouvais autrement agir sans me déclarer incapable aux yeux de + l'armée et de l'Europe; je n'ai pas mis la moindre humeur dans ma + conduite et l'empereur ne pourra, lorsqu'il sera de sang-froid, que + me rendre justice, et sentir qu'il a de grands torts vis-à-vis de + moi dans cette circonstance.</p> + +<p>Bref, l'essentiel en ce moment, ce que l'<i>empereur désire le plus</i>, + c'est qu'il n'y ait pas le moindre éclat, et que cela paraisse une + chose simple; d'ailleurs, rien ne l'est effectivement davantage, on + veut que je serve, moi qui commande la droite, sous les ordres d'un + maréchal; je ne le veux ni ne le peux vouloir, voilà tout; je me + retire, c'est tout simple.</p> + +<p>Du reste, c'est mon armée seule qui a eu quelques engagements, qui a + arrêté l'ennemi; il n'y a pas eu un coup de fusil tiré depuis mon + départ, et je crains bien qu'il n'y en ait pas de sitôt, car les + Russes ont déclaré vouloir toujours se retirer.</p> + +<p>À mon retour, je t'en dirai davantage; tu dois toujours bien dire + qu'ayant demandé à revenir chez moi, l'empereur l'a trouvé tout + simple, les premières opérations étant terminées.</p> + +<p>Je t'écrirai demain plus en détail après le retour du baron de + Sorsum que j'ai envoyé auprès de l'empereur.</p> +</div> + +<p>Cependant Reinhard, resté à Cassel, continuait de tenir l'empereur +et le duc de Bassano au courant de ce qui se passait en Westphalie: +le 2 mai il expédiait le bulletin suivant:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> Cassel, 2 mai 1812.</p> + +<p>On parle beaucoup à Cassel de la nomination, à la place du receveur + général du département de la Fulde, d'un sieur Alexandre, économe de + la maison des pages du roi. C'est le père d'une demoiselle fort + jeune et fort jolie qui, après avoir épousé pour la forme, dit-on, + un Escalonne, employé aux postes de l'armée, est partie pour le + quartier général de Kalisch. Son départ ayant coïncidé avec celui du + roi, le public voit en elle la maîtresse de camp de Sa Majesté.</p> + +<p>On dit que les gardes-du-corps vont revenir, attendu qu'ils sont + trop peu nombreux pour servir en ligne et qu'ils jouissent de + distinctions que Sa Majesté impériale n'a accordées à aucun corps de + sa propre garde. Leur colonel, M. le chevalier Wolf, vient d'être + nommé général de brigade.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">30 juin 1812.</p> + +<p>M. le comte de Pappenheim, premier chambellan du roi, frère du + ministre de Darmstadt à Paris, était atteint depuis plusieurs + semaines d'un dérangement d'esprit qui, après quelques accès de + fureur, a amené un abattement assez voisin de l'imbécillité. Il a + été conduit à Paris. Sa femme, dame du palais, est partie pour une + terre que M. de Waldener, son père, possède dans le département du + Bas-Rhin. Les uns attribuent la maladie de M. de Pappenheim à des + causes physiques, les autres à des causes morales. Ce n'était jamais + un homme d'un grand esprit; mais il paraît avoir été élevé dans des + principes sévères dont on dit que l'ambition de devenir grand + chambellan l'avait fait dévier, en connivant à certains arrangements + qui concernaient M<sup>me</sup> de Pappenheim.</p> + +<p>M<sup>me</sup> la baronne de Bigot est partie pour aller joindre son mari, + ministre du roi, à Copenhague. Un voyage qu'elle avait fait à Paris, + sans la permission de Sa Majesté, et quelques démarches qu'elle y + fit, dont le roi eut connaissance, avaient déplu. Après son retour, + elle avait été exclue de la cour: néanmoins, elle semblait préférer + l'état d'abandon où sa disgrâce la plaçait à Cassel à l'honneur de + faire les affaires du roi en Danemark, lorsque tout à coup M. Siméon + reçut les pleins pouvoirs de son mari pour le divorce. M. de + Furstenstein lui ayant mandé que le roi, justement irrité de la + conduite et des liaisons affichées de M<sup>me</sup> Bigot, ne voulait point + qu'elle allât à Copenhague écrire les dépêches de son mari, ses amis + lui ont conseillé de partir sur le champ, et, par l'intercession de + M. Siméon, M. Bigot a consenti à la recevoir.</p> + +<p>La demoiselle Alexandre, mariée Escalonne, qui avait précédé de peu + de jours le roi partant pour Glogau, est revenue subitement avec sa + mère, pendant qu'on était encore occupé à expédier d'ici des cadeaux + que le roi, disait-on, lui destinait. On ne sait pas encore comment + expliquer cette séparation soudaine, lorsque M<sup>me</sup> Escalonne + paraissait <span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> encore jouir d'une faveur trop prononcée pour + faire croire que le moment était arrivé où Sa Majesté s'en + dégoûterait. M<sup>me</sup> Morio, qui la semaine dernière avait reçu une + invitation pour être du voyage de Napoléons-Höhe, s'en étant excusée + parce qu'elle était au terme de sa grossesse, avait été contrainte + de s'y rendre par ordre de la reine, et ce ne fut que sur une + attestation des médecins qu'elle obtint la permission de retourner à + Cassel.</p> + +<p>D'un autre côté, M. le comte de Bochholtz s'étant trouvé absent de + Cassel, lors du retour de la reine de Dresde, a reçu avis que + pendant l'été il ne serait jamais du voyage. En conséquence, il est + retourné dans ses terres. On dit que M<sup>me</sup> la comtesse de + Lœwenstein, dame du palais, est la seule qui ait obtenu du roi la + promesse qu'elle le suivrait dans le cas où il serait roi de + Pologne. Ce qui est certain, c'est que M<sup>me</sup> de Lœwenstein se + distingue de ses compagnes par ses moyens, par son ton et par son + esprit de conduite. Quoi qu'il en soit, il est douteux si M. de + Bongars fera tarir les pleurs que la crainte d'être délaissées en + Westphalie fait verser à certaines dames de la cour, qui, ayant + attaché leur sort et celui de leur mari au roi, ne prévoient point + quelle existence pourrait compenser celle qu'elles perdraient dans + le cas où leurs appréhensions se vérifieraient.</p> + +<p>M. Siméon vient de me prévenir confidentiellement que d'après une + invitation reçue de S. M. l'impératrice la reine partira pour Dresde + ce soir à onze heures. M. de Collignon, son écuyer, ayant été chargé + de la précéder de quelques heures pour féliciter Leurs M. I., je + profite de son départ pour transmettre de mon côté la nouvelle du + voyage de la reine à V. Exc. M. Siméon en donnera demain matin + connaissance officielle au Corps diplomatique.</p> + +<p>Il est arrivé avant-hier un nouveau courrier du roi. Sa M. n'a point + ratifié le projet de vente du domaine de Barby, dont l'ancien + fermier avait offert 1,050,000 en argent comptant. L'administration + est embarrassée de ce refus qui fait manquer une ressource sur + laquelle on avait compté. M. le Ministre des finances a convoqué + hier la section du conseil d'État pour proposer plusieurs projets + d'augmentation de recettes et particulièrement de la contribution + foncière. Il s'occupe aussi d'une vente d'une partie considérable + des dîmes appartenant à l'État. Il se pourra aussi qu'on ait recours + à un emprunt forcé qui serait le troisième depuis l'avènement du + roi. Mais plusieurs personnes regardent ce projet comme + impraticable. La suspension du paiement des intérêts de la dette du + premier semestre ne paraît pas douteuse: on en proposera + probablement pour la seconde fois la capitulation.</p> + +<p>La reine écoute avec une grande attention les rapports qui lui sont + faits. Elle montre beaucoup d'application au travail. Elle paraît + saisir avec discernement le nœud des affaires. Cette espèce + d'initiation ne peut <span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> avoir que des suites très heureuses. + Tout ce que j'apprends à ce sujet confirme la haute idée que j'ai + toujours eue de ses moyens intellectuels.</p> + +<p>M. le comte de Schulembourg, préfet de Magdebourg, le même qui, à la + suite de quelques différends qu'il avait eus avec le général + Michaud, avait été éloigné pendant quelque temps de ses fonctions, + vient d'être nommé conseiller d'État en remplacement de M. de + Henneberg, décédé. On ne sait pas encore qui lui succédera.</p> + +<p>On dit que le général comte de Wellingerode reviendra de l'armée. M. + le général Allin a été nommé général de division. On dit ici que le + roi lui confiera ou lui a confié le commandement de toute + l'artillerie du corps d'armée qu'il commande.</p> +</div> + +<p>Le 19 mai nouvelle lettre au duc de Bassano. Lettre importante sur +les finances de la Westphalie:</p> + +<div class="lettre"> +<p>La question insoluble qui cause l'embarras du gouvernement + westphalien, réduite aux termes les plus simples, est toujours + celle-ci: les dépenses de la Wesphalie étant de soixante millions et + les recettes étant de quarante, comment porter la recette à vingt + millions de plus, puisqu'on ne veut ou ne peut pas réduire la + dépense?</p> + +<p>La dépense de la guerre, en y comprenant tous les frais d'entrée en + campagne, est de vingt-huit millions, peut-être de trente. Quand + même la volonté expresse du roi ne défendrait pas d'y faire des + retranchements, les circonstances actuelles doivent interdire à tout + homme sensé d'en proposer. Si, dans le cours de la seconde moitié de + l'année, les événements doivent amener en tout ou en partie cette + diminution sur laquelle compte M. de Malchus, il est au moins + démontré qu'elle arrivera trop tard pour influer efficacement sur la + crise du mois de juin.</p> + +<p>Il est encore interdit de faire tomber la diminution des dépenses + sur la liste civile qui est de six millions, telle qu'elle était en + 1810, lorsque le royaume comptait onze départements.</p> + +<p>J'ai déjà indiqué combien les ressources qu'offriront les recettes + extraordinaires consistant uniquement en vente des domaines + resteront au-dessous de ce qu'elles devaient produire pour ramener + l'équilibre.</p> + +<p>Il paraît qu'on a reconnu l'impossibilité d'un troisième emprunt + forcé dans lequel d'ailleurs, de toute nécessité, il faudrait + recevoir ce qui n'est pas encore rentré des obligations du dernier.</p> + +<p>Reste l'augmentation des recettes ordinaires.</p> + +<p>S. M. veut que tous les traitements soient réduits de moitié, à + l'exception de la liste civile et des traitements militaires. C'est + cette proposition qui a été discutée pendant quatre heures, dans un + conseil des <span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> ministres qui s'est tenu samedi dernier. De + fortes objections y ont été faites. On a dit que quand cette mesure + pourrait s'appliquer aux traitements un peu considérables, la plus + grande partie des traitements, à cause de leur modicité, ne pourrait + y être assujétie sans les plus graves inconvénients, ni même sans + danger pour la morale et pour la tranquillité publique; qu'à la + vérité les traitements des juges étaient un peu plus considérables + en Westphalie qu'en France; mais que c'était d'après des + considérations importantes et sur la demande expresse des États + qu'on les avait augmentés, parce qu'en Allemagne, de génération en + génération, des familles entières, sans fortune, mais riches d'une + considération héréditaire, ne vivaient que de leurs emplois, que la + désolation et la misère qui résulteraient de la diminution de ces + traitements aliéneraient du gouvernement cette classe de ses + serviteurs les plus immédiatement en contact avec le peuple, enfin + que l'épargne qu'on pourrait faire par ce moyen ne monterait + peut-être pas à 500,000 francs, qu'au reste, il convenait d'en faire + le calcul, et c'est ce dont a été chargé M. le Ministre des + finances.</p> + +<p>Pour ce qui concerne la liste civile, on a remarqué que dans une + aussi grande détresse, si les ministres, les conseillers d'État, les + autres fonctionnaires supérieurs devaient faire un aussi grand + sacrifice, il serait assez étonnant que les officiers de la cour, + pour des fonctions honorables sans doute, mais peu pénibles, + conservassent la totalité de leurs larges traitements; que cette + liste civile, qui constitutionnellement ne devrait être que de cinq + millions, en y comprenant les revenus des domaines de la couronne, + était déjà dans une proportion trop forte avec les revenus du + royaume; qu'elle avait ensuite été portée à six millions, lorsqu'en + 1810 le royaume se trouva composé de onze départements; + qu'aujourd'hui le royaume étant réduit à huit départements, elle + restait toujours la même; qu'il fallait ajouter à ces six millions + près d'un million d'autres revenus que la couronne s'était + successivement appropriés, ce qui portait la proportion de la liste + civile avec la totalité des revenus de l'État au sixième. Enfin, on + a demandé si, lorsqu'on allait retrancher le nécessaire aux juges, + aux curés, aux instituteurs publics, on pourrait, avec justice, + laisser subsister à la charge de l'État une dépense de 400,000 + francs pour le spectacle français. C'est jeudi prochain que le + ministre des finances donne son avis et ses moyens au conseil des + ministres. M. Pichon, de son côté, prépare un travail sur le même + objet.</p> + +<p>M. Pichon, partant de la supposition qu'on ne puisse pas diminuer + les dépenses, en conclut avec beaucoup de logique qu'il faudra donc + hausser les recettes jusqu'au niveau des besoins. La base de son + travail sera donc une augmentation d'impôts de douze à quinze + millions. Il soutient que, pour imposer un pays, il n'est pas + nécessaire de connaître <span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> les localités, que sans y avoir + égard les nouveaux départements allemands après leur réunion ont été + sur le champ assimilés à la France; que les premiers fonctionnaires + sont des Français ne connaissant pas même la langue; qu'on peut + augmenter les impôts à volonté, pourvu que la répartition soit + égale; que la règle et l'uniformité feront tout et que c'est là ce + qui manque à la Westphalie. Il a dit à la reine qu'il allait lui + révéler tout le secret de l'artifice par lequel ses serviteurs + détournaient le roi de l'augmentation des impôts: qu'entre eux ils + disaient: le roi est dissipateur, toute augmentation de recette sera + dévorée et s'engloutira surtout dans la dépense pour l'armée, tandis + qu'ils disaient au roi: si vous augmentez les recettes, l'empereur + est là qui en profitera pour étendre les ressources qu'il tire de + votre royaume.</p> + +<p>À cela on répond que les maximes d'ordre et d'uniformité peuvent + être bonnes pour un état de choses permanent, tranquille et prospère + et non lorsqu'on est tellement talonné par le besoin qu'on ne peut + marcher qu'au jour la journée; qu'en semant l'alarme partout, M. + Pichon fait tarir les ressources disponibles; que si les charges + locales pour l'entretien, pour le passage des troupes, les + réquisitions, la suspension du paiement des intérêts ou leur + capitalisation peuvent être regardées comme des impôts inégalement + répartis, ils pourvoient à la nécessité du moment et permettent + d'attendre celui où l'on pourra employer le seul remède qui sera la + réduction des dépenses; que parmi ces charges il en est de plusieurs + millions que la Westphalie supporte sans qu'elles entrent dans le + compte des recettes générales; qu'ainsi, en les remplaçant par des + impôts réguliers, uniformes, on ne se procurerait pas une ressource + disponible: que tout impôt a sa nature qu'il était dangereux et + impossible d'excéder, et que mille faits semblent prouver que dans + la plupart des impôts la Westphalie est déjà parvenue à ce maximum; + qu'en Westphalie une contribution foncière de 11,500,000 francs + équivaut exactement au taux de cette même contribution telle qu'elle + est établie en France; et qu'en général il est absurde de prendre + pour exemple la France riche de mille moyens qui manquent à ce + royaume.</p> + +<p>Comme, d'après la connaissance que j'ai de ce pays-ci, il m'est + impossible de croire à l'efficacité du remède héroïque que propose + M. Pichon, je ne pourrais, en croyant à ses pronostics, que + rétracter entièrement ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans mon + n<sup>o</sup> 336: que je croyais qu'au milieu des difficultés la Westphalie + pourrait cependant aller sans secousses jusqu'à la fin de l'année, + et dès lors il faudrait vous faire prévoir des troubles et des + désordres qu'il me semble important d'éviter dans les circonstances + actuelles. Néanmoins, je ne me rétracterai point encore et, + quelqu'illusion que puisse se faire à certains égards M. le ministre + des finances, je me tranquilliserai par l'assurance <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> avec + laquelle encore aujourd'hui il m'a dit que le résultat du travail + qu'il proposerait au conseil prouverait la possibilité de surmonter + la crise de juin et les embarras de l'année.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Du 22.</p> + +<p>Dans le conseil des ministres qui s'est tenu hier, M. le ministre + des finances a prouvé que dans les quatre premiers mois de l'année + il avait, par des moyens tant ordinaires qu'extraordinaires, fait + rentrer plus de dix-sept millions (ce qui joint aux trois millions + et demi qui étaient en caisse au 1<sup>er</sup> janvier fait près de vingt-un + millions), et que d'après cette proportion, la recette serait de + cinquante-un millions au bout de l'année, sur cinquante-neuf + millions de dépenses. Il est convenu, à la vérité, que dans les + circonstances actuelles il ne se flattait point de pousser le + produit des ventes des domaines aussi loin qu'il l'avait espéré; + mais il a assuré que néanmoins il ferait face aux besoins du mois de + juin. Il a proposé des moyens d'augmentation des impôts pour trois + millions, moitié sur la contribution directe, moitié sur les impôts + indirects. Une partie des dépenses locales qu'en 1810 le trésor + public avait prises à sa charge, sera en même temps de nouveau + rejetée sur les communes. Quant à la contribution foncière, il a + démontré qu'au taux de douze millions, elle était portée plus haut + en Westphalie qu'en France, puisqu'en Westphalie, outre les dîmes + qu'on payait encore partout, il y avait encore quatre millions de + revenus des domaines impériaux situés dans le ci-devant Hanovre qui + en étaient exempts en vertu des traités. Enfin, il a calculé qu'en + charges locales non comprises dans les recettes du trésor, la + Westphalie payait au moins dix millions par an.</p> + +<p>M. Pichon, sans avoir l'air de trop désapprouver les projets du + ministre des finances, s'est tenu sur la réserve. La diminution des + traitements a été trouvée inadmissible d'une commune voix. Le tout a + été adressé à la reine par un courrier qui est parti ce matin. On + attend maintenant la décision du roi.</p> +</div> + +<p>La nouvelle de la disgrâce du roi fit éprouver un grand chagrin à la +reine; suivant le désir de Jérôme, elle ne divulgua pas cette +affaire, mais elle ne put dissimuler sa tristesse. Tout le monde en +fut frappé, et Reinhard écrivit le 23 juillet de Cassel:</p> + +<p class="lettre">La reine est toujours triste et inquiète. Le maréchal de la cour lui + demanda dernièrement si elle n'ordonnerait pas une petite fête dans + son intérieur pour le jour anniversaire de son mariage. Pour toute + réponse, elle fondit en larmes. Dans le 4<sup>e</sup> bulletin, elle a cru + trouver je ne sais quelle intention dans ce passage: «Le roi de + Westphalie est arrivé à Grodno avec les 7<sup>e</sup> et 8<sup>e</sup> corps et avec le + corps du prince Poniatowsky», puisqu'on désignait le corps polonais + par le nom de son chef, tandis <span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> que les deux autres corps + n'étaient désignés que par leurs numéros. Elle a fait part de sa + peine à tous ses ministres qui se sont efforcés en vain de lui + prouver qu'elle se chagrinait sans raison.</p> + +<p>Déjà la reine Catherine avait reçu la lettre du roi en date du 15. +Bientôt elle en reçut une nouvelle de Bialistock du 28 juillet, 8 h. +du matin; c'est à cette dernière que fait allusion Reinhard dans la +lettre suivante au duc de Bassano:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, le 30 juillet 1812.</p> + +<p>Aux inquiétudes habituelles de la reine paraît se joindre, depuis + quelques jours, un nouveau sujet d'alarme. Elle paraît craindre que + la retraite du général Vandamme n'ait produit une impression + fâcheuse sur l'esprit de S. M. imp., avec d'autant plus de raison + que c'était le roi lui-même qui avait demandé que ce général fût mis + à la tête des troupes westphaliennes, et cette crainte est partagée + par les ministres de S. M. On sait que Monseigneur le prince + d'Eckmühl est arrivé à Minsk où l'on s'attendait que le roi + dirigerait sa marche. On lit dans quelques gazettes que les Saxons + se joindront au corps du prince de Schwartzemberg; on est incertain + si les Polonais, dont on dit que deux régiments s'avançant avec trop + de précipitation contre des Cosaques soutenus par l'infanterie russe + ont reçu un léger échec, se trouvent encore sous son commandement; + on croit même savoir que l'une des deux divisions westphaliennes a + reçu une destination nouvelle. Hier, la reine ne vint au spectacle + qu'à huit heures, et le public accoutumé à ces retards attendait + qu'on commençât, avec sa résignation habituelle. Cette fois, + cependant, le retard avait été causé par une lettre du roi que M. de + Pothau venait de lui porter et dont la reine n'a point communiqué le + contenu. Déjà il lui était échappé de dire <i>combien il serait + fâcheux que le roi ne fût pas bien avec S. M. l'empereur ou qu'il + revint de l'armée</i>; et la pensée même de cette possibilité avait + effrayé.</p> + +<p>Déjà, après son dernier retour de Paris, le roi s'expliquait sur le + compte du général Vandamme avec moins de faveur qu'auparavant; à + peine arrivé à l'armée, on apprenait qu'il y avait eu entre eux une + explication assez vive, mais qui avait été suivie d'une + réconciliation. On craint ici que l'inconséquence et les prétentions + de certains officiers ne sachant pas distinguer entre leur position + de cour et leurs devoirs comme militaires n'aient entraîné le roi + toujours trop accessible à des impressions qui touchent à son + amour-propre, et l'on sent profondément combien il aurait mieux valu + supporter, même, au besoin, quelques légers désagréments de la part + d'un homme qu'on avait choisi soi-même que de s'attirer un nouveau + reproche de versatilité et d'inconstance.</p> +</div> + +<p>Reinhard attribuait à la tristesse de la reine une cause (le +différend <span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> du roi avec Vandamme) qui n'était pas la +véritable. Cette princesse connaissait l'affaire du prince +d'Eckmuhl. Aussi, malgré son désir de voir le roi de retour à +Cassel, elle ne se faisait pas illusion sur les conséquences +fâcheuses que pouvait avoir ce retour.</p> + +<p>Par le fait, l'empereur, mécontent d'abord de la détermination de +son frère, finit par reconnaître sans doute que les torts étaient du +côté de Davoust, car il lui fit écrire une lettre de blâme par le +major général et laissa Jérôme agir à sa guise, lui recommandant +seulement le silence sur cette affaire. Toutefois, la nouvelle ne +tarda pas à s'en répandre en Westphalie et le duc de Bassano +l'annonça à Reinhard par la lettre suivante, en date du 31 juillet +1812, écrite de Vilna:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je ne vous envoie pas les bulletins, parce qu'il est impossible au + moment où ils arrivent d'en faire plus d'une ou deux copies qui ont + une destination marquée; mais je vous enverrai, désormais, de + courtes notices, indépendamment de celles que vous recevez + régulièrement.</p> + +<p>Les pressentiments de la reine se réalisent: le roi a eu, en effet, + des torts qui le mettent dans une position très pénible. Lorsque son + armée s'est trouvée réunie à celle du prince d'Eckmühl, ainsi que + l'armée polonaise, le maréchal a eu le commandement de toutes les + forces qui se trouvaient ainsi rassemblées. Une armée de 120,000 + hommes exigeait un chef d'une grande expérience, et tous les + avantages de cette nature appartenaient certainement au prince + d'Eckmühl. Le roi a aussitôt déclaré que s'il n'avait pas le + commandement, il se retirerait. Les représentations de Sa Majesté, + qui n'aurait pu céder à des considérations et à des affections + particulières sans exposer de si grands intérêts, n'ont pas produit + d'effet. Le roi a oublié que, lorsqu'il demanda à servir, il fut + bien entendu qu'il ne serait pas roi à l'armée, et il a persisté à + l'être. Il va partir, et il a dû recevoir à Varsovie l'ordre de + retourner à Cassel.</p> +</div> + +<p>Arrivé à Varsovie au commencement d'août 1812, le roi Jérôme écrivit +à la reine:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Je reçois à Varsovie ta longue lettre de conseils du 26; je te + remercie pour ton intention; mais je croyais n'avoir jamais laissé + douter que je ne suis pas de ceux qui se <i>déshonorent</i>, et que je ne + fais que ce que je dois faire. Je trouve aussi qu'il est un peu + hasardé à toi, ma chère amie, de parler si longuement sur une + question que tu ne connais nullement, et j'avais le droit de penser + t'avoir inspiré assez de confiance pour te <i>rassurer entièrement</i> + sur ma conduite qui n'est jamais dirigée ni par l'humeur, ni par un + coup de tête.</p> + +<p>L'empereur ne m'a jamais ôté le commandement de mes troupes, ni + <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span> des Saxons, ni d'aucun autre de mes corps; ainsi tu vois + que ce que tu me dis sur ce sujet dans ta lettre du 23 est encore un + des cent mille contes absurdes qui se débitent à Cassel, de même que + la destruction du 2<sup>e</sup> régiment de cuirassiers, qui n'a pas donné + (encore aujourd'hui) <i>un seul coup de sabre</i>, il n'y a que la + cavalerie légère polonaise qui ait pu atteindre la cavalerie ennemie + qui se retirait et qui, <i>depuis</i> mon départ, est entièrement hors + d'atteinte.</p> + +<p>Je ne veux pas faire davantage le grondeur, quoique j'en aurais + sujet, car tu ne sais peut-être pas que M. Pothau, qui ne se doute + de rien, écrit au comte de Furskeinstein que rien n'a transpiré de + la dépêche du roi apportée par l'estafette, mais <i>qu'il a remarqué + que la reine était triste</i>, ce qui est justement le contraire de mes + intentions et de celles de l'empereur qui veut que tout ceci n'ait + pas le moindre éclat.</p> + +<p>L'empereur a bien senti que je ne pouvais rester après l'ordre + inconcevable qu'il m'avait donné, car c'est <i>alors que je me serais + déshonoré</i>, puisque j'aurais dit moi-même à toute l'Europe: «Je ne + suis bon que pour passer des revues et des parades, mais lorsqu'il + faut se battre, je sens que je dois obéir et, quoique commandant la + droite et quatre corps d'armée, je suis sous les ordres d'un + maréchal qui n'en commande qu'un seul.»</p> + +<p>D'ailleurs, l'affectation à ne parler, dans les bulletins, que du + prince Poniatowski, la manière de dire: le roi est arrivé à Grodno, + comme on l'aurait dit de Louis XIV, lorsqu'il allait avec toute sa + cour au siège de Philipsbourg, prouve seulement que l'empereur ne me + voulait plus à l'armée.</p> + +<p>Et à te parler franchement, je te dirai que je crois que l'empereur + me voulait donner d'abord le trône de Pologne, <i>que je ne désire + nullement</i>, et que dans ce moment il a changé de pensée, et comme je + commandais les Polonais, il était fâché de me voir où j'étais et où + j'ai été très bien pour lui.</p> + +<p>Actuellement, il faut tout simplement dire que j'ai demandé à + revenir chez moi, ne pouvant supporter l'inconstance du climat, et + que l'empereur l'a permis.</p> + +<p>Je t'envoie l'article à mettre dans le <i>Moniteur</i> et surtout prends + garde de laisser paraître de la tristesse, car alors on fera cent + contes, qui ne seront plaisants ni pour l'empereur, ni pour moi, ni + pour toi.</p> + +<p>Quant à l'article finances, pour l'année prochaine, j'y mettrai tant + d'ordre que cela ira, j'en réponds.</p> + +<p>Je voulais que tu vinsses à Brunswick; mais j'ai réfléchi que cela + fera un grand dérangement pour toute la maison, une grande dépense + et beaucoup d'embarras par rapport aux chevaux, surtout dans ce + moment de récolte.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> Le ministre de l'intérieur doit se préparer à venir + m'attendre à Halle; je lui enverrai l'ordre par le courrier Viantex, + car celui que tu m'as envoyé va très doucement.</p> + +<p>Tu dois faire pour le 15 août ce que tu me disais dans ta dernière + lettre; tu dois aussi recevoir les félicitations le matin et donner + audience au ministre de France et à sa femme les premiers. Tout le + monde doit être en grande tenue, bien entendu que les hommes ne + doivent pas avoir le manteau qui ne sert que dans une cérémonie du + Trône.</p> + +<p>Tu peux faire dîner avec toi M. et M<sup>me</sup> Reinhard, avec la grande + maîtresse, la dame de service et le ministre de la justice.</p> + +<p>Tu donneras la droite au ministre de France, la gauche au ministre + de la justice, etc.</p> + +<p>Je te presse sur mon cœur et aurai grand bonheur à t'embrasser, + mais ce ne pourra être avant le 18.</p> + +<p><i>P. S.</i>—Je me hâte d'ouvrir ma lettre pour t'annoncer une dépêche + de l'empereur, <i>très satisfaisante</i>. S. M. paraît s'être convaincue + que je pouvais faire autrement, m'engage à retourner dans mes États + avec mes gardes du corps, mais <i>met</i> pour <i>condition que rien ne + transpirera</i>, et que je dirai, et tu dois le dire toi-même, que ma + santé n'a pu supporter le climat.</p> + +<p>Je t'envoie un article pour le <i>Moniteur</i>; en conséquence, aie bien + soin de songer que la continuation de l'amitié de l'empereur <i>est + attachée à ce que l'on croie</i> que c'est cette seule raison qui me + <i>fait quitter</i>.</p> +</div> + +<p>Le 4 août, Reinhard manda de Cassel:</p> + +<p class="lettre">La reine a reçu hier un paquet de M. de Marinville, à Varsovie, qui + lui apprend que les Russes ont quitté le camp retranché de Dryssa et + se sont retirés de la Dwina. Elle n'a point voulu montrer la lettre, + disant qu'elle contenait encore autre chose. On ignore si dans le + même paquet il y avait des lettres du roi. Le secrétaire-général des + relations extérieures, M. Hugot, a reçu une lettre de M. le comte de + Furstenstein datée de Novogrodek. Ce fait a transpiré et n'a pas + causé peu de surprise. M. Siméon s'explique à ce sujet avec beaucoup + de réserve. Du reste, j'ai lieu de croire que si quelqu'un est + instruit ici de la véritable situation du roi, concernant son + commandement, c'est tout au plus la reine.</p> + +<p>M. Reinhard était dans l'erreur, l'affaire du roi était le secret de +la comédie; tout le monde à Cassel la connaissait, mais évitait d'en +parler. La reine, malgré les lettres rassurantes de son mari, ne +pouvait surmonter le chagrin que lui faisait éprouver son brusque +<span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> retour. Elle lui avait même écrit à ce sujet une lettre +des plus fortes, le 30 juillet, en apprenant ce qui s'était passé.</p> + +<p>On aurait tort de croire, malgré les prétendues lettres de Napoléon +à Jérôme, malgré celles que ce dernier écrivait à sa femme, que +l'empereur pardonna facilement à son frère son coup de tête. Il lui +tint bien longtemps rancune, il ne se remit entièrement bien avec +lui qu'en 1815, à Waterloo; il refusa constamment de lui donner des +commandements de quelque importance. Il cessa presque entièrement sa +correspondance avec lui et, le 31 juillet 1813, il écrivit au major +général la lettre ci-dessous qui nous paraît caractéristique<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a><a href="#footnote140" title="Lien vers la note 140"><span class="smaller">[140]</span></a>:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Napoléon à Berthier.</p> +<p class="date">Mayence, 31 juillet 1813.</p> + +<p>Mon cousin, répondez au roi de Westphalie que jamais il n'aura aucun + commandement dans l'armée française si: 1<sup>o</sup> il ne fait connaître + qu'il désapprouve la conduite qu'il a tenue l'année passée en + quittant l'armée sans ma permission et qu'il en est fâché, et 2<sup>o</sup> si + en prenant du service dans mon armée, il ne se soumet à obéir à tous + les maréchaux commandant des corps d'armée, que je n'aurais pas + spécialement mis sous ses ordres; ne devant avoir d'autre grade dans + mon armée que le grade de général de division, et ne devant + commander de droit, en cas de circonstances imprévues, qu'à des + généraux de division.—Que ce qui vient d'arriver en Espagne fait + connaître de plus en plus l'importance de tenir à ces principes; que + la guerre est un métier, qu'il faut l'apprendre; que le roi ne peut + pas commander, parce qu'il n'a jamais vu de bataille; que le roi + d'Espagne à qui j'ai fait dans le temps de semblables observations, + en est aux regrets et aux larmes de ne pas les avoir + comprises.—Vous ajouterez que, vu toutes les difficultés qui ont eu + lieu pour la convocation, j'ai pris le parti d'en faire un ordre du + jour; qu'il m'a paru urgent de décider ainsi cette affaire, vu que + déjà des détachements destinés pour Cassel étaient partis de + Mayence.—Faites d'ailleurs remarquer au roi que j'ai pris un ordre, + parce qu'un ordre est un ordre d'un général en chef, et que la + Westphalie et le roi lui-même font partie de mon armée; que c'est + par un ordre que j'ai réglé ce qui est relatif à Leipzik, et + qu'enfin c'est de cette manière que j'opère, surtout sur le + territoire allié.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—Cet ordre ne doit pas être publié.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> Mais reprenons la suite des faits, dont cette lettre nous a +détournés. Le 12 août, Reinhard annonçait au duc de Bassano +l'arrivée du roi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Avant-hier, à sept heures du matin, le canon a annoncé au public + l'heureuse arrivée de S. M. le roi, qui avait eu lieu dans la nuit + au palais de Napoléons-Höhe.</p> + +<p>S. M. le roi a reçu le même jour, à son lever, les officiers de sa + maison. Toutes les personnes qui jouissent des grandes entrées ont + eu la faveur d'y être admises. Le soir, tous les habitans de Cassel + ont illuminé leurs maisons.</p> + +<p>Par décret royal, daté de Varsovie le 2 août, M. le colonel baron de + Borstel a été nommé général de brigade, chargé du commandement de la + 1<sup>e</sup> brigade de la 1<sup>re</sup> division des troupes westphaliennes.</p> + +<p>Le colonel Lageon du 7<sup>me</sup> régiment d'infanterie de ligne a été nommé + chef d'état-major de la garde royale.</p> + +<p>Après avoir copié ces articles du <i>Moniteur westphalien</i>, qui sont + les seuls concernant le roi et le royaume qui ont paru depuis le + retour de S. M., je continue les rapports que j'ai à faire à V. + Exc., et qui ne seront encore guère plus importants.</p> + +<p>Le roi se porte bien. Il a reçu toute sa cour avec autant + d'affabilité que de gaieté. Il y a eu spectacle à Napoléons-Höhe + avant-hier et hier dans les appartements intérieurs. Hier matin, S. + M., après avoir déjeuné à sa petite maison de Schœnfeld, est + venue en ville. Elle est entrée dans son palais, s'est rendue chez + son peintre, et de là au château incendié. Son architecte a fait + trois plans de construction d'un nouveau palais: le premier se + rapporte à la reconstruction de l'ancien château; le deuxième + transforme en palais royal le palais actuel des États; d'après le + troisième on construirait un palais entièrement nouveau hors de + l'enceinte de la ville. Dans les deux premiers on a suivi des vues + d'économie, il ne s'agirait guère que d'une dépense de trois ou + quatre millions. On m'a dit que le roi encore hier s'était expliqué + dans le même sens qu'il m'avait parlé, il y a quelques mois, et + qu'il avait déclaré qu'il n'habiterait plus l'ancien château; mais + qu'en attendant que ses moyens lui permettent d'en bâtir un nouveau, + il le ferait arranger pour y donner de grandes audiences dans des + occasions solennelles.</p> + +<p>Je n'ai encore vu ni le roi, ni personne de sa suite, excepté le + chambellan comte d'Oberg et le comte de Furstenstein. Ce dernier m'a + parlé de la maladie que le roi avait eue à Varsovie et dont il était + maintenant rétabli. Comme je ne me croyais pas en ce moment chargé + de prendre aucune initiative, notre conversation s'est promptement + détournée sur des sujets indifférents. M. de Furstenstein avait le + maintien modeste; il ne portait même aucune décoration.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> Ces deux courtisans se sont beaucoup plaints des Polonais, + de leur esprit de désordre et de pillage, de la haine qu'ils + portaient aux Allemands et de la perfidie avec laquelle ils + accusaient les autres des excès qu'ils commettaient eux-mêmes. Ce + langage où peut-être ils n'avaient pas entièrement tort me paraît + avoir été tenu avec intention.</p> + +<p>Voilà, monseigneur, tout ce que m'ont appris mes communications + directes. Voici ce que j'ai appris indirectement:</p> + +<p>Le roi, ou ne parle point du tout à ceux qui étaient restés à Cassel + de ce qui s'est passé et a amené son retour, ou il leur dit qu'il + est au mieux avec S. M. l'empereur, que surtout le dernier courrier + qui a déterminé son départ accéléré de Varsovie, lui en a porté + l'assurance et que bientôt on en verra les preuves. La reine même, + depuis le retour du roi, a beaucoup pleuré pendant deux jours.</p> + +<p>Aujourd'hui a été tenu le premier conseil des ministres. J'ignore + encore ce qui s'y est passé; mais, d'après ce qui s'est traité au + conseil d'administration qui s'est tenu après, je vois qu'entre + autres choses, il y a été question de la lettre que j'avais remise + hier concernant les diverses réclamations du domaine extraordinaire. + Le roi veut que l'état de ses finances soit débrouillé dans trois + mois: c'est ce qu'il a déjà voulu souvent.</p> + +<p>Quant à ceux qui sont revenus avec lui, tous le blâment et tous + cherchent à se disculper. Le général Chabert fait valoir une lettre + qu'il a écrite au roi, en commun avec le général Allin, pour amener + S. M. à des résolutions plus sages. Ils n'ont pas laissé ignorer le + contenu de celle qu'a portée au roi ce courrier par lequel il dit + avoir reçu de si heureuses assurances.</p> + +<p>Le courrier dit être parti du quartier général impérial deux jours + après M. de Brugnières (secrétaire du cabinet du roi), et avoir été + obligé de se cacher vingt-quatre heures dans des marais. Arrivé + auprès du roi, il a été fort étonné de ne point trouver M. de + Brugnières. Voilà ce que raconte le général Chabert qui le croit + pris. M. de Furstenstein dit qu'il arrivera incessamment.</p> +</div> + +<p>La fin de l'année 1812 fut triste pour le roi Jérôme que son frère +continua à battre froid. Revenu dans ses États, il y trouva plus que +jamais les embarras financiers et la misère, l'empereur lui +demandant toujours de nouveaux sacrifices et opposant aux justes +réclamations du gouvernement westphalien une fin de non recevoir qui +se traduisait par la morale de la fable du loup et de l'agneau.</p> + +<p>La correspondance de M. Reinhard avec Napoléon et avec le duc de +Bassano mettra les lecteurs au courant de ce qui se passa dans le +petit royaume de Jérôme, royaume voué à une dissolution prochaine.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span> Quant à l'armée levée avec tant de soin et au prix de tant +de sacrifices par le roi, il n'en devait plus être question; à la +retraite de Russie, après les batailles où cette armée avait +illustré son drapeau, elle fut anéantie complètement.</p> + +<p>Nous allons donner les lettres ou les extraits de lettres les plus +essentielles omises aux Mémoires de Jérôme:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 8 août 1812.</p> + +<p>Dans mes numéros précédents, j'ai informé V. Exc. que + progressivement, d'abord la Reine, ensuite ses principaux + serviteurs, enfin le public avaient reçu des alarmes sur la + situation du Roi.</p> + +<p>Cependant, avant-hier encore, Elle fit défendre à M. Hugot par M. + Pothau de parler à qui que ce soit de la lettre du ministre + westphalien à Dresde et Elle engagea M. Siméon à faire passer au Roi + un projet de constitution espagnole envoyé par M. de Wintzingerode, + en disant que cette pièce l'intéresserait. Mais en refusant ses + confidences à M. Siméon, Elle les avait faites à d'autres et je + savais depuis hier que M. de Marinville attendait le Roi à Varsovie + le 29 et très positivement le 30.</p> + +<p>Ce matin, après avoir reçu vos dépêches du 27 et du 31 juillet, je + me suis rendu chez M. Siméon, et me prévalant de l'autorisation de + communiquer les nouvelles que je recevais du gouvernement + westphalien, je lui ai fait remarquer cette expression «le corps que + commandait le Roi de Westphalie» qui se trouve dans votre dépêche du + 27. M. Siméon de son côté avait à m'apprendre qu'hier, dans la nuit, + Messieurs d'Oberg et Schlikler, chambellans de S. M., étaient + arrivés et avaient porté à la Reine la nouvelle du retour prochain + du Roi. Il m'a montré en même temps un bulletin qui aurait déjà dû + paraître aujourd'hui et qui paraîtra demain dans le moniteur + westphalien où il est dit que le Roi revient pour cause de santé.</p> + +<p>Je me suis alors permis, Monseigneur, de mettre M. Siméon au fait du + véritable état des choses qu'il ne pressentait que trop. J'ai ajouté + que ce serait lui seul à qui je ferais cette révélation en le + laissant le maître de l'usage qu'il voudrait en faire auprès de la + Reine. Il m'a répondu qu'il ne lui en dirait rien pour ne point + l'affliger davantage.</p> + +<p>M. Siméon, depuis l'arrivée des chambellans, n'avait point vu la + reine, mais Elle avait montré la lettre du Roi au maréchal du + Palais, M. de Boucheporn. Il paraît, m'a dit M. Siméon, que la Reine + lui avait écrit fortement, puisque dans sa lettre le Roi dit qu'il + est très bien avec S. M. l'empereur; qu'après avoir chassé au loin + le prince Bagration, <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> l'objet de sa campagne est rempli et + qu'il ne lui reste plus rien à faire; que d'ailleurs sa santé ne + supporte point le climat et quant aux finances qu'il les + raccommodera aisément dans l'espace de deux ans.</p> + +<p>On sait aussi, j'ignore si c'est par la lettre du Roi ou par le + rapport des chambellans, qu'une espèce de dyssenterie obligeant S. + M. de voyager à petites journées, Elle n'arrivera ici que le 18. + Plusieurs personnes à la suite du Roi ont écrit à leur femme, + entr'autres le général Chabert; mais toutes les lettres sont sans + date.</p> + +<p>Je m'empresse, Monseigneur, de vous donner ces nouvelles + préliminaires d'un retour causé par des circonstances où il doit + être si difficile au roi de se dissimuler ses torts à lui-même.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 10 août 1812.</p> + +<p>La journée d'hier ne nous a rien appris de nouveau. Quoiqu'on soit + informé que le retour du roi ne doit avoir lieu que le 18, on se + flatte, et moi surtout j'espère qu'il reviendra pour le 15. Au moins + ce serait ce que le roi pourrait faire de plus conforme à l'opinion + qu'il paraît désirer lui-même que le public prenne de sa situation + actuelle. M. le comte de Bocholtz, qui est revenu de sa campagne et + qui pendant cette semaine ainsi que M. Siméon encore sera du voyage + de Napoléonshöhe, m'a offert de demander à la reine ses intentions + concernant la célébration de la fête du 15, afin que de mon côté je + puisse prendre mes arrangements en conséquence. J'ai appris depuis + par M. Siméon qu'il y aurait ce jour-là grande audience du corps + diplomatique le matin, et le soir cercle, spectacle et souper.</p> + +<p>Du reste, Monseigneur, quelles que puissent être les dispositions du + roi, en revenant dans ses États, et sans m'inquiéter de ce qui dans + ces circonstances pourrait rendre pénible ma position personnelle, + c'est précisément le moment actuel qui semble m'imposer le devoir + indispensable de remettre sous les yeux de V. Exc. l'état où se + trouve la Westphalie.</p> + +<p>Après avoir sacrifié le bien-être de son royaume à la création d'une + armée qu'on ne lui demandait pas et qui, tout compris, monte au + nombre de 36,000 hommes, le roi par sa déplorable inconsistance perd + aujourd'hui le fruit de tous ses soins et se voit rejeté loin de + toutes ses espérances. Il trouvera son trésor épuisé, ses sujets + accablés, ses ministres désolés, sa considération entamée, le crédit + anéanti, les ressources de l'avenir dévorées d'avance.</p> + +<p>J'aime à me persuader que la facilité avec laquelle dans l'espace de + deux ans le roi espère rétablir ses finances est la preuve d'une + résolution <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> fortement prise et non d'une présomption + naturelle à son âge; mais alors même, combien de victoires aura-t-il + à remporter sur ses goûts et sur ses habitudes, et combien aura-t-il + à regretter de s'être privé légèrement de tant de moyens qui + auraient suffi pour conserver l'aisance à son royaume et la + splendeur à son trône, et qui n'existent plus! Comment réussira-t-il + à s'affectionner pour ses États qu'il a si souvent paru trouver trop + étroits pour son ambition!</p> + +<p>Mais en admettant que son désir de bien faire ait pris un nouveau + degré d'énergie, comment et par qui sera-t-il secondé? Et quand il + existerait autour de lui des hommes dignes de sa confiance, comment + se préservera-t-il à l'avenir des mauvais conseils et des influences + funestes qu'il lui sera si difficile d'éviter, parce qu'il se croit + au-dessus de leur atteinte?</p> + +<p>Déjà ceux qui dans cette campagne paraissent avoir joui de la + confiance particulière de S. M. ne sont pas ceux que l'opinion + publique aurait désignés de préférence. M. le général Chabert, + quoique très bon pour dresser des recrues, n'avait pas fait ses + preuves pour remplir la place de chef d'état-major, ni le comte de + Wickenberg, homme sans talents et sans éducation, n'avait été jugé + capable de jouer un premier rôle dans de grandes opérations + militaires. Quant à M. de Furstenstein qui doit son existence de + favori à son dévouement sans doute, mais avant tout à son + infériorité, il est certain qu'en se désolant autant qu'il en est + capable, il n'aura jamais osé sortir de sa nullité.</p> + +<p>Revenu dans sa résidence, qui le roi retrouverait-il? M. Siméon, bon + dans sa partie, sage dans ses vues et dans ses conseils, mais sans + fermeté et paralysé par son âge et par sa position? Messieurs de + Höne et de Wolfradt, pleins d'excellentes intentions, mais sans + coup-d'œil, incapables d'énergie ou de conquérir une confiance + qu'ils n'ont point? M. de Malchus, homme sans conceptions et sans + entrailles, indifférent au mépris et à la haine qui le poursuivent? + M. Pichon, capable de bouleverser l'État pour satisfaire son + ambition ou pour faire triompher un avis mal dirigé, dont la + conduite rend de plus en plus suspects les motifs de son zèle, dont + le caractère et la moralité paraissent tourmentés d'une crise + constante et violente et qui, jouissant d'une très grande influence + et n'ayant encore réussi qu'à porter la confusion dans la + comptabilité dont il fait et refait journellement le système, a + toujours pour ressource de dire qu'on ne l'a pas écouté? Enfin, M. + de Bongars dont les mains manient la police comme un enfant + manierait un rasoir, qui pour augmenter les fonds de son département + assujettit toute l'université de Göttingue à se munir de cartes de + sûreté, établit à Brunswick trois maisons de prostitution à la fois, + à Hanovre des maisons de jeu où vont se réunir toutes les servantes + et qui expose le royaume au danger <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> continuel de passer de + la terreur au désespoir et du désespoir à la révolte?</p> + +<p>Je ne vous retrace point, Monseigneur, le tableau des finances; vous + savez que je n'ai point osé porter ma prévoyance plus loin que la + fin de l'année. Vous savez à quel prix on s'est procuré des + ressources insuffisantes. Puisse S. M. I. daigner jeter un regard de + commisération sur ce malheureux pays et ne point abandonner un jeune + roi, dont les défauts en partie proviennent de ses qualités, aux + difficultés de sa position, à l'amertume de ses chagrins et aux + erreurs de son âge!</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 15 août 1812.</p> + +<p>J'ai reçu hier au soir la circulaire de Votre Excellence, du 7, qui + nous fait connaître les dernières nouvelles de l'armée et qui nous + fait présager les nouveaux succès du grand mouvement en avant qui + s'est préparé sous les plus heureux auspices.</p> + +<p>M. Brugnière est revenu: je ne l'ai point vu encore; mais j'apprends + qu'il n'a pas même pu pénétrer jusqu'à Wilna, de manière que son + courrier seul avait des dépêches à rapporter et qu'on conçoit + comment il a pu ne pas se presser de revenir. Il a raconté avec + indignation des médisances que les Polonais se sont permises sur le + compte du roi et que M. le comte de Furstenstein m'a répétées. Non + seulement ils l'accusaient de s'être fait donner de l'argent en + Pologne, chose qui n'est nullement dans le caractère de Sa Majesté, + mais l'insolence a été poussée à Varsovie au point d'envoyer un + commissaire dans les écuries où étaient les chevaux du roi pour + chercher s'il ne s'en trouvait point qui appartinssent aux Polonais. + Sur la plainte du roi, ce commissaire a été mis aux arrêts, où il + est resté pendant un mois. On sait en effet qu'il y a dans le + caractère national des Polonais une disposition à l'ingratitude et à + la jalousie contre les étrangers quels qu'ils soient et que c'est de + gaîté de cœur qu'ils aiment à nuire, surtout à ceux aux pieds + desquels ils se prosternent pendant la faveur, lorsqu'ils croient + s'apercevoir que la faveur s'en est détournée.</p> + +<p>Tous les bruits de débarquement, soit d'Anglais, soit de Suédois ou + de Russes, se sont tout à coup calmés. On assure aujourd'hui que la + Suède a levé l'embargo qu'elle avait mis sur les bâtiments français + et qu'après avoir touché deux mois de subsides des Anglais elle leur + a déclaré qu'ils demandaient des choses trop difficiles.</p> + +<p>M. Pichon me dit que son successeur est déjà nommé et désigné et que + ce sera M. Dupleix, de retour de son emploi d'intendant de l'armée + Westphalienne. Il revenait d'une conversation qu'il avait eue avec + le <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> roi, après un conseil d'administration où il avait + présenté l'état de distribution du mois de septembre. Je sais qu'en + allant à ce conseil M. Pichon entrevoyait encore la possibilité de + rester, mais qu'en sortant elle l'avait abandonné. Quant à M. + Dupleix, sa réputation est celle d'un homme actif et intelligent, + mais il n'a pas au même degré celle d'intégrité.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, le 16 août 1812.</p> + +<p>En adressant à V. Exc. le n<sup>o</sup> 194 du Moniteur westphalien, contenant + le programme de la fête qui s'est donnée hier à Napoléonshöhe, + j'ajouterai quelques détails qui ne s'y trouvent point.</p> + +<p>Avant la réception du corps diplomatique, Leurs Majestés m'ont reçu + en audience particulière. Le teint du roi est un peu hâlé; il paraît + avoir maigri un peu; du reste, il jouit d'une bonne santé. En + entrant, j'ai dit que je venais féliciter S. M. de l'anniversaire de + la naissance de l'empereur, son frère, et y joindre tous mes vœux + pour la gloire de S. M. impériale et pour le bonheur de son auguste + maison. Le roi m'a prévenu qu'il m'enverrait une lettre pour S. M. + impériale que je devais faire passer par l'estafette. Je ne l'ai + point reçue encore. En parlant des nouvelles de l'armée, il a dit + qu'on voyait que l'armée du prince Bagration était plus forte que + l'empereur ne l'avait supposé. Il n'a été question, en aucune + manière, des événements qui ont précédé ou causé son retour. Le + front du roi était un peu voilé: le mien l'était peut-être un peu + aussi. Je crois que tous les deux nous cherchions à cacher un + sentiment pénible. On avait reçu, la veille, une lettre de M. Bigot + à Copenhague. Le roi s'est expliqué sur la conduite du prince royal + de Suède en des termes qui prouvaient combien il sentait tout ce + qu'elle avait d'inconséquent et d'inconcevable. J'en ai profité pour + abonder dans son sens. M. Bigot avait mandé que le duc d'Œls et + Dörnberg étaient arrivés à Stockholm; et le roi m'a appris que ce + dernier avait été à Prague et avait demandé deux millions pour faire + soulever la Hesse à l'ancien électeur qui avait répondu que, tant de + fois trompé, il les donnerait lorsqu'il serait rétabli à Cassel. La + reine m'a chargé très expressément de transmettre à S. M. impériale + ses félicitations et ses expressions d'attachement et de respect.</p> + +<p>Tous les membres du Conseil d'État sont venus me porter leurs + félicitations. J'ai trouvé peu disposées à converser les personnes + revenues avec le roi. En général, le sentiment de la situation où le + roi s'est placé paraissait tellement dominer toute la cour, qu'on + peut dire que dans ce beau jour la joie ne battait que d'une seule + aile. L'illumination n'avait pas été commandée, mais toutes les + autorités et un grand nombre de particuliers ont illuminé de leur + propre mouvement.</p> + +<p>Depuis le retour du roi, je n'ai point encore trouvé l'occasion de + <span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> parler à M. Siméon; mais M. Pichon a eu avec moi une + conversation qui m'a paru sensée. Il m'a dit que le roi nourrissait + dans son intérieur un sentiment profond de chagrin et d'amertume, et + que pour son bonheur et son avenir il paraissait importer + extrêmement que ce sentiment fût adouci; que malheureusement, soit + légèreté, soit faiblesse, les personnes qui l'entouraient de plus + près avaient, dans les circonstances comme celles où il se trouve + maintenant, quelquefois l'air de lui donner raison ou du moins ne + lui donnaient pas entièrement tort; que son amour-propre s'en + prévalait et s'en raidissait; qu'il fallait en ce moment qu'aucun de + ses vrais serviteurs ne le flattât ou ne l'entretînt dans des + illusions, et qu'il appartenait à S. M. impériale seule de tempérer + pour le guérir une juste sévérité par la tendresse, par l'indulgence + et par la générosité.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p> +<p class="date">Cassel, 26 août 1812.</p> + +<p>Tandis que les changements résolus dans le ministère paraissent + provisoirement ajournés, il en est arrivé un dans l'intérieur du + palais auquel on ne s'attendait pas. M<sup>me</sup> la baronne d'Otterstadt, + dame du palais, sœur du comte de Zeppelin, ministre des relations + extérieures à Stuttgard, confidente unique de la reine, a donné et + reçu sa démission. Elle va quitter Cassel dans 3 ou 4 jours.</p> + +<p>Son mari, inspecteur général des forêts, espèce d'aventurier, le + plus circonspect et le plus fin des hommes en théorie et le plus + étourdi en pratique, avait reçu, il y a quelque temps, la défense de + paraître à la cour, hors les jours des grandes audiences. M<sup>me</sup> + d'Otterstadt qui, de son côté, avait reçu plusieurs dégoûts, demanda + que cette défense fût levée et menaça, dit-on, de donner sa + démission que le roi s'empressa d'accepter.</p> + +<p>M. de Furstenstein dit que M. d'Otterstadt s'était mêlé de choses + sales, c'est-à-dire il s'était entremis dans une correspondance + entre le prince royal de Wurtemberg et M<sup>me</sup> Blanche Laflèche, + baronne de Keudelstein. Un certain Delorme, porteur de la + correspondance, fut arrêté par le commissaire de police de Mayence, + sur la réquisition de M. de Bongars. Après la lecture des lettres, + le roi fit expédier à M<sup>me</sup> Blanche, qui est actuellement à Gênes, + l'ordre de ne point revenir et de renvoyer son chiffre, marque + distinctive des dames du palais. Il ne paraît point qu'elle ait de + pension et on craint que les secours qui servaient à élever les + enfants à Paris ne soient supprimes.</p> + +<p>Le public, se souvenant d'anciennes médisances, attribue la disgrâce + <span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> de M<sup>me</sup> d'Otterstadt à des papiers trouvés dans le + portefeuille du général comte de Lepel, mort à Mojaisck.</p> + +<p>La reine, dit-on, en annonçant cette démission à la grande + maîtresse, fondait en larmes: en public, elle s'est contenue. M<sup>me</sup> + d'Otterstadt était son amie d'enfance, elle remplissait toutes ses + heures solitaires; et ce qu'on ne conçoit pas, c'est que M<sup>me</sup> + d'Otterstadt ait pu remplir un vide. C'est une femme sans éducation, + sans esprit, sans amabilité, mais bonne et tellement réservée que + c'est à elle qu'il faut attribuer l'ignorance presque absolue où la + reine est restée sur <i>les inconstances du roi</i>. Si la reine éprouve + jamais le besoin de remplacer cette confidente, elle n'en pourra + choisir aucune qui convienne au roi autant que M<sup>me</sup> d'Otterstadt + sous ce rapport, si ce qui est incroyable est vrai, que la reine + soit jalouse jusqu'à l'emportement et que son calme ne soit que + l'effet de sa sécurité, le départ de cette dame pourra amener des + suites d'une grande influence sur le caractère de la reine et sur + les relations de l'intérieur du palais.</p> + +<p>M<sup>me</sup> d'Otterstadt tenait de la cour de Wurtemberg une pension de + 3,000 francs dont le roi s'était chargé et qu'il a doublée. Elle va + se retirer provisoirement à Francfort. Le ministre de Wurtemberg est + fort affecté de ce déplacement.</p> + +<p>Le jour de la disgrâce de M<sup>me</sup> d'Otterstadt, M<sup>me</sup> la comtesse de + Lowenstein, après quelques jours d'absence, a reparu à la cour avec + une robe neuve et tellement élégante qu'elle a fait le désespoir des + dames du palais. M<sup>me</sup> de Lowenstein poursuit la marche honorable + qu'elle s'est tracée pour parvenir à une faveur exclusive. Le + premier but qu'elle aura à atteindre sera d'être nommée dame + d'atour.</p> + +<p>On l'a vue dernièrement se promener à Napoléonshöhe entre le comte + et la comtesse de Blumenthal, tandis que leur fille se promenait + avec le général Wolf dans une entrevue d'épreuves. M<sup>lle</sup> de + Blumenthal, peu jolie au reste, venait d'atteindre sa seizième + année: ses parents, dit-on, s'étaient empressés de faire hommage au + roi de ses prémices, le général Wolf devait l'épouser en + conséquence. C'est un juif baptisé: la généalogie ne pouvait pas + faire obstacle, plus de seize quartiers y étaient. Mais cet officier + déclara qu'il ne croyait pas que M<sup>lle</sup> de Blumenthal pût lui + convenir. Bon père, M. de Blumenthal, chambellan du roi, avait été + maire de Magdebourg; il paraît que c'est en cette qualité qu'il a + obtenu la croix de la Légion d'honneur.</p> + +<p>M<sup>me</sup> la comtesse de Pappenheim est revenue à la cour et est logée + vis-à-vis le palais, dans le dernier appartement qu'a occupé le + grand maréchal. Son mari est toujours à Paris, entre les mains du + docteur Pinel.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> <p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p> +<p class="date">Cassel, 4 septembre 1812.</p> + +<p>C'est M<sup>me</sup> la comtesse de Lowenstein qui depuis le retour du roi a + joui des faveurs de Sa Majesté. Il y a eu, dit-on, une petite + distraction en faveur de M<sup>lle</sup> Alexandre, mariée Escalonne, revenue + du camp de Pologne. Mais M<sup>me</sup> de Lowenstein a pris son mal en + patience et le roi lui est revenu. Cette dame se distingue par son + esprit de conduite: malgré cela elle réussira difficilement à rendre + le roi constant.</p> + +<p>On annonce l'arrivée d'une Polonaise dont le logement en ville est + déjà préparé. Un officier polonais, qui s'était attaché au roi comme + officier d'ordonnance et qui était venu avec M. Brugnière, étant + reparti, on croit qu'il sera allé au devant de sa compatriote.</p> + +<p>M<sup>mes</sup> Blanche et Jenny Laflèche, femmes de l'ex-intendant de la + liste civile et de son frère le chambellan, partent pour se rendre à + Gênes par Paris. Il est incertain si elles reviendront. À la cour on + prétend qu'à la suite d'un engagement pris avec le prince royal de + Wurtemberg, M<sup>me</sup> Blanche ira habiter les bords du lac de Constance. + Cette famille est extrêmement déchue. Le conseiller d'État est un + étourdi, le chambellan est un mauvais sujet. Cependant les dames ont + toujours conservé une amie ardente en M<sup>me</sup> la comtesse de Schomberg, + femme du ministre de Saxe.</p> + +<p>On parlait pendant quelques jours d'une espèce de disgrâce où était + tombé M. le comte de Furstenstein. Il n'en est rien et il est + certain qu'il occupera le magnifique hôtel qui sera délaissé par M. + et M<sup>me</sup> Pichon. Ce qui est vrai, c'est que le roi avait insisté de + nouveau pour que M<sup>me</sup> de Furstenstein demandât une place de dame du + palais et qu'elle et son mari s'y sont de nouveau refusés.</p> + +<p>Le comte de Pappenheim a été atteint à Paris de plusieurs attaques + d'apoplexie qui font espérer que sa fin sera prochaine. On ne croit + point que M<sup>me</sup> de Pappenheim doive revenir à la cour de Westphalie + et l'on assure que M. de Waldener son père s'y oppose. Quant au + comte de Wellingerode, on le dit entièrement abandonné des médecins.</p> + +<p>On avait préparé pour M<sup>me</sup> la duchesse de Rovigo l'appartement de la + comtesse de Pappenheim; mais à la porte de la ville on avait oublié + de dire que cette dame était absente. M<sup>me</sup> la duchesse, déclarant + qu'elle n'aimait pas la société des femmes, alla descendre à + l'auberge de la Maison-Rouge où l'aubergiste ne voulut pas la + recevoir, ni même, dit-on, la laisser reposer dans son salon. Sur + ces entrefaites, M. de Bongars survint, et sur la plainte de M. + Bourienne il en fit le rapport <span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> au roi qui ordonna la + punition de l'aubergiste, telle qu'elle est énoncée dans l'arrêté + ci-joint du commissaire de police.</p> + +<p>La manière dont l'aubergiste a raconté à M. Siméon comment la chose + s'était passée est un peu différente. Du reste, depuis longtemps cet + homme était signalé comme n'aimant pas les Français. Son ancienne + enseigne étant <i>à l'Électeur</i>, après l'avoir ôtée, il n'en mit point + d'autre et son auberge ne fut connue que sous le nom de la + Maison-Rouge.</p> + +<p>La femme du ministre de Prusse n'a point obtenu la permission de + prendre avant son départ congé de la reine.</p> + +<p>Le musicien Rode et le danseur Duport sont ici. Le premier a déjà + joué devant la cour et donnera un concert au public. Duport, dit-on, + ne dansera point pour avoir fait dire dans une gazette de Berlin + qu'il se rendait à Cassel sur une invitation du roi.</p> + +<p>Pendant les courses de la cour sur la Fulde et sur le Weser, elle + est escortée sur les deux rives par des gardes du corps et des + lanciers. On prétend que c'est parce que M. de Bongars rêve toujours + encore conspiration.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 18 septembre 1812.</p> + +<p>Voici comment, dans le dernier voyage de Brunswick, le roi a raconté + confidentiellement à l'un de ceux qui l'y ont accompagné les motifs + de son départ de l'armée.</p> + +<p>L'aile droite de la grande armée avait une destination particulière + et séparée, celle de couper le corps de Bagration. Cette destination + a été remplie. Après que ce but fut atteint, Sa Majesté l'empereur + jugea à propos de renforcer le centre. Des corps furent détachés de + l'armée que le roi avait commandée jusqu'alors. Dès lors, cette + armée séparée fut subordonnée à la direction générale et la présence + du roi devint sans objet. Sa Majesté l'empereur a senti parfaitement + que le roi ne pouvait être sous le commandement de personne et c'est + d'accord avec lui que le roi est revenu.</p> + +<p>J'ai eu plusieurs fois occasion de dire à Votre Excellence un mot + sur les irrégularités qui se commettent en Westphalie dans la vente + des domaines de l'État. Mais celles qui se commettent dans la vente + des dîmes dans le district de Hildesheim sont tellement publiques, + tellement indécentes et paraissent tellement constatées que je dois + en faire une mention particulière. Je savais déjà par M. Pichon que, + soit qu'il voulût seulement se procurer des renseignements, soit + qu'il eût réellement le projet de faire une acquisition très + profitable, il s'était adressé à un homme en place dans ce pays-là, + pour s'informer du prix courant <span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> des dîmes et pour lui + donner la commission d'en acheter. Cet homme lui répondit qu'aucune + vente ne se faisait en public et que le beau-frère de M. de Malchus + engageait tous les amateurs à s'adresser directement au ministère + des finances où on leur ferait de meilleures conditions. Cela n'est + pas très légal, cependant cela pouvait s'excuser par la pénurie du + trésor et par le besoin où l'on était de se procurer de l'argent + promptement et à tout prix. Mais j'ai su depuis par une source très + authentique que toute cette transaction dont l'objet se monte à près + de deux millions est exclusivement entre les mains de deux + beaux-frères et d'un parent de M. de Malchus, dont l'un fait + l'estimation des dîmes, l'autre en conclut les marchés et le + troisième en reçoit le prix.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 28 septembre 1812.</p> + +<p>Vendredi dernier, le roi me fit encore appeler dans son cabinet. Il + n'est pas besoin de dire que la victoire de Mojaisk, la part qu'y + ont eue les troupes westphaliennes, le problème de l'entrée ou + paisible ou sanglante dans Moscou furent le thème principal de cet + entretien qui ensuite est devenu aussi vague que la conversation + précédente dont j'ai rendu compte à Votre Excellence. Cependant, un + des ministres du roi m'a fait la confidence que le roi avait voulu + me sonder sur certaines dispositions ou intentions de Sa Majesté + impériale qu'assurément je ne m'étais jamais vanté de connaître. + Quoi qu'il en soit, cette fois encore je suis resté fidèle à la + maxime de ne point prendre l'initiative sur les choses délicates qui + concernent la campagne que Sa Majesté a faite en Pologne; et comme + le roi de son côté n'a pas pris l'initiative, j'ignore s'il a inféré + de notre conversation que j'étais instruit de quelque chose ou que + je ne savais rien. Du reste, quelque effort que fasse le roi pour + cacher la situation intérieure de son âme, il me paraît certain que + plus les événements de la campagne sont glorieux et plus l'idée d'en + être éloigné le tourmente. Aussi croit-on s'apercevoir que Sa + Majesté souffre et maigrit; et je vous avoue, Monseigneur, + qu'attaché comme je le suis à ce prince doué de tant d'heureuses + qualités et reconnaissant de la bienveillance qu'il m'a souvent + témoignée, je ne puis que me sentir attristé et de sa situation qui + à la fois lui impose la gêne de voiler ses torts et lui ôte les + moyens de les réparer, et de la mienne qui me défend de lui donner + des conseils qu'on ne me demande point ou de lui témoigner un + intérêt dont on ne veut pas être censé avoir besoin. Aussi, + Monseigneur, serait-il bien heureux pour moi le jour où interprète + de la bonté généreuse de Sa Majesté impériale, je pourrais lui + porter la seule consolation capable de guérir sa blessure.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 19 octobre 1842.</p> + +<p>Tandis qu'une salle de spectacle se construit au palais du roi, le + lieu des séances du Conseil d'État a été transporté dans le palais + des États où sera aussi logée une partie des artistes au service du + roi qui habitaient jusqu'à présent le garde-meuble. Ce même palais + renferme une bibliothèque et plusieurs collections assez + intéressantes ou curieuses. Ces dernières ont déjà beaucoup diminué, + on dit qu'elles vont être transportées on ne sait où. Il se trouvait + au château de Napoléonshöhe la bibliothèque à l'usage personnel de + l'ancien Électeur, très bien choisie et composée de livres de prix; + elle pourrit aujourd'hui dans un galetas du garde-meuble, entassée + dans des corbeilles et à la merci du premier venu.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 21 novembre 1812.</p> + +<p>La cour est revenue mardi dernier du voyage de Catharinenthal. Elle + a assisté le même jour en grande loge à la 1<sup>re</sup> représentation de + l'opéra de la Vestale donné avec une magnificence qui approchait + bien près de celle de Paris. Seulement le théâtre a paru un peu trop + étroit pour le char triomphal attelé de quatre chevaux blancs.</p> + +<p>La petite salle de spectacle construite dans l'intérieur du château + a été inaugurée avant-hier. Le roi a acheté autour de cette + résidence provisoire plusieurs maisons nouvelles dont on a déjà + démoli et déblayé l'intérieur. Ces changements continuels, ces + dépenses très considérables pour agrandir et embellir un local qui + n'en est pas susceptible et qui ne doit servir que par intérim, la + célérité nuisible avec laquelle le roi veut que les ordres qu'il + donne à cet égard soient exécutés, désolent l'intendant de sa + maison, mais le roi dit que c'est là sa jouissance. Néanmoins cet + intendant assure que la totalité des budgets pour la maison de S. M. + où les écuries seules absorbent 12 à 1,300,000 francs n'excède pas + la somme de 4,700,000 francs. À la vérité ces constructions et les + dépenses de la cassette n'y sont pas comprises. La répugnance de la + reine surtout à faire réparer l'ancien palais incendié et à revenir + l'habiter paraît invincible.</p> + +<p>Quant au budget de l'État, M. de Malchus, dit-on, se propose de ne + le soumettre au roi qu'au mois de décembre. Pour le moment le trésor + est assez à l'aise, principalement parce que la solde de plusieurs + mois n'a pas encore été payée à l'armée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> Je reçois à l'instant la lettre de V. Exc. du 11 novembre, + avec la lettre jointe de M. le duc de Rovigo. J'aurai l'honneur d'y + répondre incessamment.</p> +</div> + +<p>Les lettres et bulletins de ce genre donnaient beaucoup d'humeur à +Napoléon qui voyait son jeune frère gaspiller l'argent pour des +futilités, tandis qu'il eût voulu que tout fût consacré alors à +entretenir la guerre et à faire de nouveaux armements; cela explique +en quelque sorte la fin de non recevoir qu'il opposait aux demandes +incessantes et justes de la Westphalie.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 16 décembre 1812.</p> + +<p>Sire, j'apprends à l'instant le passage de Votre Majesté par Dresde, + je m'empresse de lui exprimer mon désir bien naturel sans doute + d'aller en personne lui présenter les expressions de mon tendre et + inviolable attachement.</p> + +<p>Je serai heureux si Votre Majesté veut me permettre d'aller passer + quelques jours auprès d'elle.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 17 décembre 1812.</p> + +<p>Un décret royal a aboli la charge de grand maître de la reine: celle + du chevalier d'honneur y a été substituée. On la croyait + généralement destinée à M. de Maupertuis, et tout annonce que la + famille Fursteinstein s'en flattait. Elle a été, dit-on, + désorientée, lorsqu'il y a quelques jours, le roi déclara que ce ne + serait point M. de Maupertuis. On nomme aujourd'hui M. le comte de + Busche, ancien ministre de Westphalie à Saint-Pétersbourg. On dit + que M<sup>me</sup> Mallet, première lectrice de la Reine, a repris un certain + ascendant et qu'il y a eu une explication de la reine avec le roi. + Quelques indices pourraient même faire penser que le roi de + Wurtemberg est intervenu. Il est du moins certain qu'il a écrit + dernièrement une lettre au roi, son gendre. En même temps, M. de + Gemmingen, ministre de Wurtemberg, a été appelé subitement à + Stuttgard; il est parti ce matin. Plusieurs personnes pensent qu'il + ne reviendra point; quant à lui, il ne paraît se douter de rien. Les + motifs qui avaient dicté au roi de Wurtemberg le choix d'un ministre + bonhomme, mais sans esprit et sans influence, peuvent avoir été très + bons sous plusieurs rapports: ils ont cependant eu ce résultat + fâcheux pour la reine qu'elle s'est un peu trop abandonnée <span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span> + elle-même; cette apathie éternelle, vraie ou apparente, a quelque + chose qui nuit et qui fait de la peine; et c'est déjà un mal que le + mieux qu'on puisse dire de cette princesse soit qu'elle ne fait + point de mal.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 18 décembre 1812.</p> + +<p>Sire, je m'empresse d'adresser à Votre Majesté, à l'occasion de la + nouvelle année, mes félicitations et l'expression sincère de mes + sentiments inaltérables. Je serais particulièrement heureux, sire, + si Votre Majesté me permettait d'aller l'assurer de vive voix de mon + tendre et inviolable attachement.</p> + +<p>J'attends la réponse de Votre Majesté avec bien de l'impatience.</p> +</div> + +<p>L'empereur ne permit pas à son frère de se rendre à Mayence pour son +passage. Le jeune roi, de plus en plus affecté de sa disgrâce auprès +de son frère, resta à Cassel, qu'il allait à la fin de 1813 +abandonner sans retour.</p> + +<p>À la fin de décembre 1812, l'empereur ayant désiré avoir des notions +vraies et confidentielles sur plusieurs des ministres et des +principaux personnages du royaume de Westphalie, M. Reinhard envoya +à Paris, sur chacun de ces personnages, des aperçus curieux et +sincères.</p> + +<p>Nous allons faire connaître ce qui concerne les plus en vue de ces +hommes d'État:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Cassel, 29 décembre 1812.</p> + +<p>1<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Wolfrath</span>, ministre de l'intérieur, grand croix de + l'ordre de Saxe, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p> + +<p>Il a commencé sa carrière comme avocat à Brunswick où, par + l'intégrité de son caractère, il s'attira la faveur du dernier duc + qui le nomma d'abord conseiller de la cour, ensuite directeur de la + chancellerie de justice, et à la fin, ministre. À la formation du + royaume, il fut nommé ministre de l'intérieur. Quelque grand et + sincère que fût jadis son attachement à la maison de Brunswick, on + ne peut pas lui reprocher la moindre bévue politique depuis la mort + de son ancien maître. Il est un des plus fidèles serviteurs du roi + de Westphalie dont l'intérêt ainsi que celui du royaume lui sont les + plus sacrés. Il est seulement à plaindre que, par une ancienne + habitude, il soit encore trop attaché aux anciens usages et formes + dont il lui est presque impossible de se défaire. C'est lui qui est + cause que tant d'anciennes choses se <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> conservent encore, + lesquelles, d'après la constitution, ne devraient plus exister. On + lui reproche aussi une lenteur terrible dans les expéditions qui se + font à ses bureaux. Son principe est que les règlements français sur + l'administration intérieure sont excellents pour la France, mais + moins bons pour les peuples d'Allemagne.</p> + +<p>Il voudrait admettre partout des restrictions qui produisent un + mélange affreux. Il est un des plus grands admirateurs de + l'empereur. Ceux qui le connaissent particulièrement soutiennent + qu'il l'aime encore plus qu'il n'ose le dire, de crainte de paraître + par là trop bon français et de perdre l'affection du roi qui ne veut + apercevoir en ses ministres que des gens qui lui soient uniquement + attachés. C'est par cette raison même que son influence sur les + préfets, sous-préfets, maires de canton et maires de commune n'a + jamais été avantageuse pour le gouvernement français. Il a toujours + cru devoir leur faire sentir à toute occasion le grand avantage de + n'être pas soumis aux droits réunis, à l'enregistrement, etc. M. de + Wolfrath est un de ceux qui pour faire aimer le gouvernement + westphalien sacrifieraient tout autre intérêt. Les Français attachés + à la Westphalie l'estiment assez à l'égard de son caractère, mais + ils lui reprochent aussi sa lenteur et son entêtement de conserver + tant d'anciennes formes.</p> + +<p>2<sup>o</sup> M. le baron <span class="smcap">Malchus</span>, comte de <span class="smcap">Marienrode</span>, ministre des finances, + commandeur de l'ordre de la Couronne.</p> + +<p>Il y a seize ans qu'il n'était que gouverneur des enfants de M. de + Brabeck, près de Hildesheim, par l'intercession duquel il obtint la + place de syndic auprès du chapitre dans cette ville.</p> + +<p>Lorsque le pays de Hildesheim, en conformité du traité de + Ratisbonne, fut occupé par les Prussiens, M. Malchus révéla à la + commission prussienne le secret de tous les capitaux que le chapitre + avait eu soin de soustraire aux perquisitions des organisateurs. En + récompense de ce service, le roi de Prusse le nomma conseiller de la + guerre et des domaines en la chambre des domaines à Halberstadt. À + l'époque de la fondation du royaume de Westphalie, M. Malchus + s'empressa de mettre le gouvernement en état de s'emparer de + plusieurs capitaux également inconnus. Le roi le nomma conseiller + d'État, sur la proposition de M. de Bulow, ministre des finances. M. + Malchus sut bientôt gagner la confiance du roi, tantôt par des + propositions financières, tantôt par des sommes qu'il savait faire + entrer dans la caisse royale par ses recherches. Il fut nommé à + plusieurs commissions extraordinaires, entre autres à l'organisation + du pays d'Hanovre. Après cette organisation, il fut envoyé à Paris + pour obtenir quelques avantages dans les domaines. Enfin, lorsque M. + de Bulow fut déposé de la place de ministre des finances, M. Malchus + l'obtint, au grand étonnement de toute la cour qui avait désigné le + conseiller d'État Pichon pour successeur <span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span> du comte de + Bulow. M. Malchus n'avait jamais été aimé de personne. Sa nomination + de ministre fit une impression désagréable sur tous les employés au + service. Il fut regardé comme une sangsue qui n'épargnerait rien + pour se confirmer dans l'opinion du roi et qui n'oublierait pas non + plus son intérêt particulier.</p> + +<p>Le roi le nomma ministre des finances, du trésor et du commerce; il + continua à être à la tête de ces trois départements sans aucun + contrôle; mais cela ne dura pas longtemps. Il fut nommé, au grand + dépit de M. Malchus, un intendant général du trésor public, en la + personne de M. Pichon, conseiller d'État. Tout le monde + applaudissait à cette nomination qui faisait d'autant plus de + plaisir que M. Pichon réunissait tous les suffrages et qu'il était + généralement connu pour le meilleur intendant et le plus + désintéressé serviteur du roi.</p> + +<p>J'ai déjà cité dans l'histoire de l'esprit public le désordre qui + règne dans les finances. Les cabales et intrigues qui commencèrent + entre M. Malchus et M. Pichon le mirent à son comble. Celui-ci + voulait introduire l'administration du trésor purement sur le pied + français, tandis que celui-là y voulait conserver les formes + adoptées et se réserver d'y mettre du sien à son aise. M. Pichon, + dégoûté de toutes ces tracasseries, demanda enfin au roi d'être + nommé ministre du trésor. Le roi refusa cette prière, et M. Pichon + donna sa démission qui fut acceptée, au grand triomphe de M. Malchus + et au grand dépit du public. M. Pichon va s'en retourner en France. + Il a la satisfaction d'être le plus estimé Français qui ait été au + service de la Westphalie.</p> + +<p>M. Malchus est un homme dont l'égoïsme dépasse toute idée. Pourvu + qu'il réussisse en ses projets particuliers, il servira tout aussi + bien le dey d'Alger que le roi d'Angleterre. Sa souplesse l'aidera à + se pousser partout. Comme il ne doute point que la fin de son + ministère ne soit très proche, il a eu soin de se mettre en état + d'attendre l'avenir sans inquiétude. Il s'est mis en possession du + beau domaine de Marienrode qu'il vient d'acheter au roi, lequel pour + preuve de sa satisfaction, lui a fait encore un cadeau de 120,000 + francs. Le public est étonné que M. Malchus ait pu payer la somme + énorme de presque un million de francs le domaine de Marienrode. + Tout le monde sait qu'il n'a jamais eu de fortune. On dit qu'il a + gagné par les manœuvres de papiers publics dont il réglait les + chances.</p> + +<p>M. Malchus a pour habitude de relancer sur la France les demandes + qu'il fait au peuple westphalien. Les besoins de l'armée lui servent + toujours de prétexte, et comme cette armée, dit-il, n'existe que + pour l'empereur Napoléon, c'est à celui-ci que les Westphaliens + doivent s'en prendre.</p> + +<p>Il est vrai qu'il est difficile d'avoir toujours à sa disposition + les sommes dont le roi a besoin pour couvrir les frais énormes que + le luxe <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span> de la cour et ses autres dépenses exigent. Mais il + n'est pas moins vrai que les mesures de M. Malchus ne sont calculées + que pour les besoins du moment et qu'il est bien loin d'établir un + système financier tel que la Westphalie l'exigerait.</p> + +<p>3<sup>o</sup> <span class="smcap">M. Siméon</span>, ministre de la justice, commandant de la Légion + d'honneur, grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, grand commandeur + de la couronne de Westphalie.</p> + +<p>Il est le plus estimé de tous les ministres. La partie judiciaire va + si bien en Westphalie qu'on croirait que le code Napoléon y est déjà + introduit depuis dix ans.</p> + +<p>M. Siméon est réputé très bon français. Il est à plaindre qu'il ne + soit pas à la tête des autres parties de l'administration. Il est + président de la commission du Sceau des Titres.</p> + +<p>4<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Furstenstein</span>, ministre des relations extérieures, + secrétaire d'État, grand commandeur de l'ordre de la Couronne, + grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, de l'Éléphant, de + l'Aigle-Noir, des Séraphins, de l'Aigle-d'Or wurtembergeois.</p> + +<p>Il a le surnom de Furstenstein de la dotation d'une partie de biens + considérables du ci-devant ministre hanovrien Dide de Furstenstein + que le roi lui a conférés. Au commencement de sa nomination, on ne + doutait point qu'il ne serait le premier favori du roi et le + <i>factotum</i> dans le gouvernement. Il est réellement un des premiers + favoris du roi; mais quant à son autorité, il ne l'emploie jamais + qu'aux affaires qui regardent son ministère, de manière que ses plus + proches parents ne puissent compter sur sa protection. Il a épousé + la fille du comte de Hardenberg, grand veneur westphalien.</p> + +<p>5<sup>o</sup> Le prince Ernest de <span class="smcap">Hesse-Philipsthal</span>, grand officier de la + Couronne, grand-croix de l'Aigle-Noir.</p> + +<p>Il est le fils du prince Adolphe de Hesse Philipsthal Barchfeld, + prince apanage de l'ancienne maison de Hesse Philipsthal et dont la + fortune a été toujours très médiocre. Il s'est marié avec une + princesse de Hesse Philipsthal d'une autre ligne collatérale de + l'ancienne maison régnante.</p> + +<p>Le grand chambellan est un homme sans prétention, loyal et beaucoup + estimé. Il ne peut pas briller par l'étendue de son esprit, mais il + ne manque pas d'instruction. Son attachement au roi de Westphalie + est hors de contestation. Il aimerait également la France s'il y + vivait. Sa sœur est mariée avec le comte Laville-sur-Illion, + gouverneur du palais de résidence. L'un et l'autre ne peuvent pas + être comptés pour des gens qui signifient grand'chose.</p> + +<p>6<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Hardenberg</span>, grand veneur, grand-croix de l'ordre + des Deux-Siciles, commandeur de l'ordre de la Couronne, Hanovrien de + naissance.</p> + +<p>Il était ci-devant bailli hanovrien à Rotenkirchen et, dans le + dernier <span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> temps de l'Électorat, gouverneur du château royal + à Hanovre. Sa fortune est très grande et ses revenus seraient très + grands, s'il était possible d'introduire l'ordre dans son économie. + Malgré ses biens immenses, il n'a jamais d'argent et il emprunte à + tout le monde.</p> + +<p>Il a deux frères, dont l'un, le comte de Hardenberg, était autrefois + président d'une cour de justice et membre de la commission du + gouvernement à Hanovre; et l'autre, gentilhomme à la cour de + Hanovre.</p> + +<p>L'aîné de ces deux frères a épousé une fille naturelle du dernier + duc de Courlande, et se trouve à présent à sa terre de Rannewitz en + Mecklembourg. Il a sollicité très vivement la place du premier + président de la cour impériale, à Hambourg; aussi, la commission du + gouvernement l'a proposé. N'ayant pas réussi en ce projet à Paris, + il a, à présent, l'intention d'aller à Vienne où son frère, le + ci-devant gentilhomme, a établi un bureau de banquier.</p> + +<p>Tous ces trois frères étaient connus autrefois pour être animés d'un + esprit entièrement dévoué à l'Angleterre. Le banquier viennois se + détachait le premier de ce sentiment, croyant avoir raison de se + plaindre qu'on ne l'avançât pas d'après son mérite. Le grand veneur + suivit cet exemple à l'époque de la fondation du royaume de + Westphalie. Il a déclaré publiquement son convertissement politique + en donnant sa fille pour épouse à M. Lecamus, depuis comte de + Furstenstein. Le comte de Hardenberg de Rannewitz, piqué de ce qu'on + n'a pas voulu de lui, conserve encore son dévouement à l'Angleterre. + Sa fille est mariée au jeune comte de Platen, neveu de M. le comte + de Munster, résidant aussi en Mecklembourg. Le voyage de M. de + Hardenberg à Vienne m'a paru, au commencement, un peu suspect; mais + je ne doute plus, d'après les renseignements que j'ai eu l'occasion + de me procurer, qu'il n'ait d'autres intentions qu'à voir s'il + pourra s'associer avec son frère le banquier.</p> + +<p>7<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Bochholz</span>, grand officier de la Couronne, grand + maître des cérémonies, conseiller d'État, grand aigle de la Légion + d'honneur, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p> + +<p>Il est natif de Munster où son père était autrefois prévôt du + chapitre. Il passe pour le plus riche particulier attaché à la cour.</p> + +<p>Son inclination innée pour l'Autriche est encore très vive. Il n'a + jamais cru le trône de France bien affermi qu'après le second + mariage de l'empereur. Il est honnête homme et incapable de malices + quelconques.</p> + +<p>8<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Biedersee</span>, conseiller d'État, commandeur de l'ordre de la + Couronne, Prussien de naissance.</p> + +<p>Il était ci-devant président de la régence de Halberstadt, et l'est + maintenant de la cour d'appel à Cassel. Il est honnête homme, mais + un peu égoïste. Son ancien attachement à la Prusse s'effaça sitôt + qu'il se trouva dans une position à ne plus avoir à craindre pour + <span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> sa subsistance. La seule pensée d'un changement de + gouvernement le fait trembler, puisqu'il craint d'en souffrir des + pertes particulières. Ce n'est que cette peur qui lui inspire de la + répugnance contre la France. Il passe pour un homme instruit, juste + et très appliqué. La cour d'appel jouit, sous sa présidence, d'une + parfaite réputation. Il n'est pas riche et ne pourra vivre sans être + employé.</p> + +<p>9<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Leist</span>, conseiller d'État, directeur général de + l'instruction publique, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est + le fils d'un ci-devant bailli hanovrien qui demeure encore à + Ebstorf, près de Lunebourg.</p> + +<p>Il s'est appliqué, dès sa première jeunesse, tellement aux sciences, + qu'il fut déjà jugé un savant avant d'avoir fréquenté l'université + de Göttingue où, ses études finies, il s'établit comme professeur en + droit. Sa renommée de savant lui attira l'attention des ministres de + Bulow et de Wolfrath qui le proposèrent au roi pour conseiller + d'État en la section de la justice et de l'intérieur. Sa + connaissance en écoles et universités lui procura la direction + générale de l'instruction publique.</p> + +<p>Il a le grand mérite d'avoir banni des universités westphaliennes + tous ces ordres, associations et agrégations qui s'y étaient + manifestés parmi les étudiants, et lesquels y causaient les plus + grands désordres.</p> + +<p>Il a su insinuer également d'une manière très adroite aux + professeurs qu'il ne leur convient pas du tout de se mêler des + affaires de politique. Les universités de Marbourg et de Göttingue + me paraissent être entièrement métamorphosées depuis deux ans. MM. + les professeurs, instruits que la police de M. de Leist les observe + partout, se gardent bien de n'ouvrir leur cœur qu'aux personnes + de la plus intimé connaissance, de sorte qu'il est impossible que + les élèves soient entichés de la fièvre de fronder et se préparer + leur propre malheur, comme à Heidelberg.</p> + +<p>M. de Leist est un homme d'une ambition sans bornes: il est plein de + cette présomption dont les professeurs allemands sont si facilement + saisis. C'est son faible de s'entendre louer, et quiconque sait + toucher adroitement cette corde disposera bientôt de M. de Leist. Sa + nomination de conseiller d'État l'éblouissait tellement que dès ce + jour-là son ancien vrai attachement au gouvernement hanovrien + changea en une haine si forte qu'il ne sut trouver des propos assez + durs pour témoigner sa répugnance. Il s'imagina longtemps que le roi + de Westphalie n'avait pas besoin de la protection de la France. Sa + fausse politique l'a séduit même quelquefois, au point de concevoir + les ridicules idées que le gouvernement westphalien ne fût point + obligé de recevoir des préceptes de l'empereur.</p> + +<p>Le public l'accuse de fausseté en ses principes et prétend qu'il + serait <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> capable de sottises encore plus grandes, pourvu que + le roi les prît pour marques d'attachement à sa personne.</p> + +<p>M. de Leist craint beaucoup que le royaume ne soit incorporé + incessamment à l'empire. L'on a remarqué qu'il parle avec + enthousiasme de la France, depuis que le roi est revenu de l'armée.</p> + +<p>Il a pour épouse la fille d'un ci-devant secrétaire du ministère + hanovrien, M. Klackenbring, qui est mort en démence. Sa fortune est + médiocre; son frère unique est secrétaire-général de la préfecture à + Göttingue.</p> + +<p>10<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Meerveldt</span>, conseiller d'État, maître-général des + requêtes, commandeur de l'ordre de la Couronne. Il est natif du pays + de Paderborn et fut ci-devant sacristain de la cathédrale de + Hildesheim, place à laquelle ne pouvaient arriver que les nobles + d'un certain nombre de quartiers.</p> + +<p>Il est lié avec la famille des comtes de Meerveldt, en Autriche, + sans cependant les connaître personnellement. M. de Meerveldt est un + des plus honnêtes hommes qui entourent le roi. Son aversion pour les + Prussiens en a fait un bon serviteur westphalien. Il fait ses + fonctions avec une exactitude ponctuelle et s'est fait estimer de + tout le monde. Sa fortune est très considérable; il n'est pas marié. + Son attachement au roi de Westphalie est sincère. Il aime moins la + France parce qu'il croit que le roi, son maître, a des raisons de se + plaindre de la France.</p> + +<p>11<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Schulte</span>, conseiller d'État, membre de la commission du + sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est + Hanovrien; son bien de souche est à Burgoittensen, petit endroit + dans le département des Bouches de l'Elbe. Sa fortune est une des + plus considérables du royaume.</p> + +<p>Ayant achevé ses études à Göttingue, il fut employé comme auditeur + et puis comme conseiller à la chancellerie de la justice à Stade, + capitale de l'ancien duché de Bremen.</p> + +<p>Ensuite, il fit un voyage en Angleterre et obtint d'être nommé + conseiller à la Chambre des domaines, à Hanovre. Du temps de + l'occupation française, sous le gouvernement du général Lasalcette, + il fut nommé membre de la commission du gouvernement, résidant à + Hanovre. À l'époque de la réunion du pays d'Hanovre à la Westphalie, + M. de Schulte fut fait conseiller d'État, à cause de sa fortune + qu'on voulut qu'il mangeât à Cassel.</p> + +<p>On ne peut pas lui disputer de l'esprit et de l'instruction; mais il + serait difficile de trouver un homme plus froid et plus fier que + lui. Son aversion pour la France s'est adoucie un peu depuis que ses + biens sont en France. Il est, néanmoins, très sujet à caution, et + quand les circonstances <span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> exigeraient jamais de mettre en + sûreté les personnes disposées à soutenir les projets des Anglais ou + des séditieux quelconques, je serai d'avis de ne point oublier M. de + Schulte.</p> + +<p>Il s'est marié trois fois: sa première femme fut une demoiselle de + Bothmer, d'Hanovre, dont il a eu une fille; celle-ci étant morte, il + épousa une demoiselle de Busche Munch, fille du feu chambellan de + Busche, à Hanovre, qui est morte en couches; à présent, il a pour + troisième femme la fille du ci-devant général de Wangenheim.</p> + +<p>M. de Schulte a touché à chaque mariage des dots considérables, de + sorte que sa fortune en a considérablement grossi. Son oncle est le + général anglais de Schulte, qui a pour résidence la terre de + Burgoittensen.</p> + +<p>12<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Hardenberg</span>, conseiller d'État, chevalier de la + Couronne, grand-croix de l'ordre de Sainte-Anne.</p> + +<p>Il est le frère du ministre-chancelier de Hardenberg, à Berlin, dont + il partage toujours les maximes et principes. Sa carrière ancienne + fut celle des baillifs hanovriens. Il eut le beau bailliage de + Grohude, près de Hameln, dont il est encore fermier général. Ses + finances sont ordinairement très embrouillées. Ayant pour femme la + sœur du feu ministre hanovrien, de Steinberg, il partageait + l'attachement général de tous les Hanovriens à leur gouvernement; + mais cet attachement a cessé depuis qu'il est persuadé que le pays + d'Hanovre ne sera plus rendu à l'Angleterre.</p> + +<p>Il ne voudrait pas que le royaume soit réuni à la France: voilà le + seul point qui lui fasse de la peine. Je réponds cependant qu'il + n'entreprendra jamais rien contre la France.</p> + +<p>13<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Malsbourg</span>, conseiller d'État, président de la section des + finances, commandeur de l'ordre de la Couronne. Hessois de + naissance, il fut ci-devant conseiller intime de l'Électeur de + Hesse. Ses compatriotes l'aimaient assez.</p> + +<p>En l'absence du ministre des finances, c'est lui qui en tient le + portefeuille. Il est un homme droit et de bonne volonté, mais dans + l'esprit duquel les nouvelles formes ont encore bien de la peine + d'entrer aisément. Il n'est pas marié; sa fortune est médiocre. + Étant avec ses amis intimes, il aime à laisser passer le temps passé + devant son imagination: il le regrette de temps en temps; mais il + est trop honnête homme pour n'être pas un fidèle serviteur du roi.</p> + +<p>14<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Witzleben</span>, conseiller d'État, directeur général + des eaux et forêts, chevalier de l'ordre de la couronne.</p> + +<p>Il est natif du pays de Nassau et fut ci-devant grand veneur à la + cour de Hesse-Cassel. Il fait son service avec exactitude et jouit + de la réputation d'un bon homme. Du reste, c'est un homme qui ne + s'occupe <span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> que de son métier et qui est très insignifiant + par rapport à la politique.</p> + +<p>Son ancienne carrière était celle de professeur en droit des gens, à + Göttingue, où il était beaucoup estimé. Il est parfait honnête homme + et jouit aussi à la cour d'une très bonne réputation. Le + gouvernement français pourra compter sur la justesse de ses + principes et son zèle à lui être utile.</p> + +<p>15<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Patje</span>, conseiller d'État, président de la + Chambre des comptes, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p> + +<p>Il commença sa carrière comme secrétaire à la Chambre des domaines, + à Hanovre. Ses talents et son application le distinguèrent bientôt + si avantageusement que le roi d'Angleterre le fît venir à Londres + pour concerter avec lui les mesures financières qu'il eut + l'intention d'introduire. Aussi est-il resté fidèle à la partie des + finances jusqu'à la fin de l'existence de l'électorat d'Hanovre.</p> + +<p>Lorsque les Français vinrent occuper le pays d'Hanovre en 1803, et + qu'une députation des membres des États fut chargée du gouvernement, + le ministère nomma M. Patje membre de cette députation, dans le + dessein de faire surveiller par lui la conservation des droits + royaux pendant l'occupation française. Les manières insinuantes et + la connaissance parfaite du pays lui attiraient la faveur et la + bienveillance de tous les généraux et des autorités français, + prussiens, russes, hollandais, espagnols, etc., qui venaient occuper + le Hanovre. Ses relations avec le prince de Ponte-Corvo tinrent + d'une vraie amitié.</p> + +<p>Pendant la courte apparition que M. de Munster fit dans le Hanovre + en 1805, M. Patje fut nommé conseiller intime du cabinet. En 1809, + le gouverneur général Lasalcette le nomma président de la commission + du gouvernement qui remplaça la députation des membres des États, et + ce fut en cette qualité qu'il se présenta au roi de Westphalie à + l'époque où le Hanovre fit partie de son royaume.</p> + +<p>Le roi témoigna beaucoup de confiance à M. de Patje, ce qui fut + cause d'une métamorphose totale qui s'opéra sur le système politique + qu'il avait adopté fidèlement jusqu'alors. D'un très fidèle partisan + anglais, M. Patje devint tout à coup l'ennemi déclaré du + gouvernement des insulaires. Il s'est dévoué si entièrement à la + Westphalie qu'il a oublié même que le royaume tient son existence de + l'empereur. La perte des domaines qu'il a administrés depuis plus de + trente ans lui cause bien du chagrin. Il trouve injuste cette + privation des revenus si considérables et voit avec dépit les + donataires français se mettre en possession de ces domaines sans + lesquels il s'imagine que le roi ne pourra subsister.</p> + +<p>M. de Patje se trouve en ce moment-ci à Hambourg où il travaille + <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> avec M. le comte de Chaban à la séparation de la dette + publique entre la France et la Westphalie.</p> + +<p>Il est de l'âge d'environ soixante-dix ans. Sa fortune est très + considérable; il n'a qu'une petite-fille, M<sup>lle</sup> de Wense, pour + héritière. Son beau-fils, M. de Wense, ancien capitaine hanovrien, + vit en particulier à Hildesheim.</p> + +<p>16<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Berlepsch</span>, conseiller d'État, chevalier de + l'ordre de la couronne.</p> + +<p>Hanovrien et ancien président de la cour de justice aulique à + Hanovre. Il a joué un rôle assez singulier à l'époque de la + Révolution française. Sa prédilection pour les révolutions en + général fut si marquée, et ses mesures si inconsidérées commencèrent + à devenir tellement choquantes qu'il fut destitué de sa place et + rayé de la liste des membres des États. M. de Berlepsch alla se + plaindre de cet attentat contre le gouvernement hanovrien à la + chambre de justice de Wetzlar. Le procès a duré jusqu'à la réunion + du pays à la Westphalie où M. de Berlepsch fut nommé d'abord préfet + à Marbourg, puis conseiller d'État. Il est encore aujourd'hui un + terrible raisonneur, surtout quand il s'agit de censurer les mesures + du gouvernement. Quoiqu'il soit assez connu et qu'on n'ait rien à + craindre de ses exploits, je crois pourtant qu'il serait utile de + contenir sa langue, s'il devenait sujet français. Sa fortune est + assez considérable. Il s'est séparé de sa femme qui pendant quelque + temps fît quelque figure par ses poésies, et laquelle s'est remariée + à un nommé Harns, fermier dans les environs de Göttingue.</p> + +<p>M. de Berlepsch a l'esprit enjoué et caustique: on se divertit à + l'entendre radoter.</p> + +<p>17<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Reineck</span>, conseiller d'État, membre de la commission du + sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet de + Cassel.</p> + +<p>Il était autrefois conseiller de régence à Aroldsen dans le pays de + Waldeck. C'est un homme qui réunit beaucoup d'adresse à autant + d'instruction. Son administration du département va très bien; il + jouit d'une bonne réputation dans Cassel, mais on dit généralement + qu'il a une grande aversion pour la France. Je ne le connais pas + assez pour en juger avec certitude. On m'a assuré que c'est lui qui, + pour confirmer les Westphaliens dans la confiance de leur + gouvernement, donna toujours des couleurs sombres à la position des + sujets français. On l'accuse d'être cause, par ce tableau, de la + peur panique qu'a éveillée la possibilité d'être réuni à l'empire.</p> + +<p>18<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Schulenbourg</span>, conseiller d'État du service + extraordinaire, grand-aigle de la Légion d'honneur, grand-croix des + ordres de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge.</p> + +<p>Sa carrière est assez connue. D'ancien général de la cavalerie + prussienne <span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> et ministre d'État, il s'est laissé faire + d'abord général de division et puis conseiller d'État westphalien, + parce que sa terre de Kehnert est située dans le royaume. Il y vit + très retiré, rongeant son dépit contre le monde entier et ne pouvant + pas encore concevoir comment il se soit fait que la Prusse ait pu + succomber à la France. Il ne s'occupe que de l'exploitation de ses + biens et ne voit presque personne. Il ne sera jamais dangereux pour + la France.</p> + +<p>19<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Reimann</span>, conseiller d'État du service extraordinaire, + chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet du département de + l'Oker, à Brunswick.</p> + +<p>Il est né Prussien et était ci-devant employé à la Chambre des + domaines à Minden en qualité de conseiller des guerres. Lorsque la + Prusse prit possession du pays de Paderborn, c'est M. de Reimann qui + fut chargé de l'organisation de ce pays. Il s'en est acquitté + parfaitement, à la satisfaction du gouvernement et de la province. À + l'avènement du roi de Westphalie, il fut nommé préfet et + l'administration de son département pouvait servir de modèle à tous + les autres. Il est à présent à Brunswick où sa présence fut jugée + nécessaire pour mettre un terme aux querelles qui s'étaient établies + entre les Français et les Westphaliens. Il a su trouver les moyens + de parvenir à son but. M. de Reimann est un homme éclairé qui sait + très bien que le sort de la Westphalie dépend de notre empereur. Il + ne s'est jamais compromis ni par des expressions, ni par des faits + inconsidérés.</p> + +<p>20<sup>o</sup> M. le comte <span class="smcap">de Lepel</span>, général de brigade, conseiller d'État, + président de la section de la guerre, chevalier de l'ordre de la + Couronne.</p> + +<p>Il est ancien Hessois et a été déjà général au service de l'électeur + de Hesse.</p> + +<p>Il n'y a pas de doute que M. de Lepel est beaucoup attaché au roi de + Westphalie; mais il est très douteux qu'il ait les mêmes sentiments + pour l'empereur.</p> + +<p>À l'occasion de la séparation des départements hanséatiques, il + s'est permis de si fortes expressions et a pris aussi dans la suite + si peu de précautions en parlant de la France en général, qu'il est + impossible de lui accorder la moindre confiance. Il est détesté à + Cassel pour ses manières rudes et outrageantes. Son orgueil et la + façon dont il en use avec ses subordonnés lui ont attiré une haine + générale. Le roi lui veut du bien. On se disait pendant quelque + temps que la reine ne se sentait aucun éloignement à le voir, mais + ce bruit s'est bientôt perdu.</p> + +<p>21<sup>o</sup> M. <span class="smcap">de Dohm</span>, conseiller d'État du service extraordinaire, + commandeur de l'ordre de la Couronne.</p> + +<p>Cet ancien ministre prussien s'est fait connaître assez en Allemagne + par le nombre considérable des commissions dont son ancien + gouvernement <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> l'a chargé. Son système en ce temps-là était + entièrement anti-français. Enragé de ce que la Prusse n'ait pas fait + la guerre à la France en 1805, il ne manqua pas de mettre en + mouvement tout ce qui dépendait de lui pour faire réussir celle de + 1806. L'issue de cette guerre le força de quitter le service + prussien et d'embrasser celui de la Westphalie puisqu'il avait tout + son bien dans ce royaume. Le roi de Westphalie le traita avec + beaucoup de bonté, il le nomma même ambassadeur à la cour de Dresde. + M. de Dohm ne pouvait cependant résister à l'envie de se retirer du + service. Il obtint la permission du roi de s'en aller dans sa terre + près de Nordhausen où il mène aujourd'hui encore la vie la plus + retirée. Il n'est que Prussien, les autres nations lui sont + indifférentes; il n'aime pas du tout les Anglais. S'il était + possible de rendre à la Prusse son ancienne grandeur, il serait le + premier à y contribuer. Cette espérance échouée, on peut considérer + M. de Dohm comme un être innocent qui ne fera aucun mal. Son rôle + est fini, son âge avancé demande ce repos qu'il a trouvé.</p> +</div> + +<p>L'année 1813, qui devait être la cinquième et la dernière du règne +de Jérôme, s'annonça à ce prince sous de tristes auspices.</p> + +<p>Dans les premiers jours de janvier, Napoléon fit savoir à son frère +qu'il devait réunir à Magdebourg, la place la plus importante de ses +États, un des points essentiels de la base d'opération ou de défense +des armées françaises, des approvisionnements considérables pour une +forte garnison et pour le ravitaillement d'armées d'opération.</p> + +<p>Jérôme, tout en protestant de son désir de remplir les volontés de +l'empereur, fit valoir le dénûment complet de la Westphalie, qui +avait fait des sacrifices énormes depuis 1811, son épuisement total, +l'impossibilité absolue de rien faire si on ne lui venait en aide, +soit en lui remboursant ses avances à l'empire français, soit en lui +donnant quelques millions. Longtemps Napoléon fit la sourde oreille, +puis il accorda de mauvaise grâce un faible et ridicule secours de +500,000 francs, réduit à 250,000, dont l'envoi présenta de longues +difficultés. Cet argent arriva trop tard.</p> + +<p>La correspondance diplomatique roula d'abord sur l'affaire de +Magdebourg, et comme le baron Reinhard, dans presque toutes ses +dépêches, dans ses bulletins à l'empereur et au ministre des +relations extérieures, duc de Bassano, laissait percer une sorte de +critique sur la conduite de Jérôme, sur ses dépenses inutiles, sur +le luxe de la cour de Westphalie, enfin sur les aventures galantes +du jeune roi, Napoléon, dont toutes les idées étaient alors tournées +à la <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> conservation de ses conquêtes, au maintien de son +influence en Europe, ne pardonnait pas à son frère la légèreté de sa +conduite, disant, non sans quelque raison, que si le roi de +Westphalie trouvait bien de l'argent pour bâtir des châteaux, des +salles de spectacle, et pour faire des cadeaux à ses maîtresses, aux +dames de sa cour, à ses favoris, il en devait trouver, <i>a fortiori</i>, +pour des dépenses de première nécessité, d'où dépendait l'existence +de ses États.</p> + +<p>Le fait est, néanmoins, qu'un léger sacrifice d'argent de la part de +Napoléon, une bonne division française envoyée à Cassel, eussent +suffi, selon toute apparence, pour sauver Cassel et la Westphalie.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 2 janvier 1813.</p> + +<p>Ce que la seconde dépêche me charge de faire connaître + particulièrement à la cour de Westphalie, je l'ai déjà fait entrer + dans une conversation provisoire que j'ai eue avec M. le comte de + Furstenstein au moment de son départ pour Catharinental. Ce ministre + m'a assuré qu'une économie sévère et beaucoup de retenue pendant + l'hiver et le carnaval entraient dans les plans du roi. Il est + certain, Monseigneur, que depuis l'éloignement de M. + Laflèche-Keudelstein qui vient de partir pour Paris par congé, comme + on dit, mais très probablement pour ne point revenir, on aperçoit + plus d'ordre et de sagesse dans l'administration et l'emploi des + fonds de la liste civile; et qu'en ce moment, la seule dépense + importante, d'une inutilité reconnue, consiste dans ce que fait le + roi pour embellir et pour agrandir l'habitation provisoire qu'il + occupe depuis l'incendie du château. Mais, ce sur quoi j'insisterai + beaucoup et que je présenterai comme un devoir indispensable à + remplir et comme un titre à acquérir à l'approbation de Sa Majesté + impériale, c'est l'armement et l'approvisionnement de la place de + Magdebourg, et, certes, il est impossible que le roi ne sente pas + que, dans les circonstances actuelles, il lui convient davantage de + construire un arsenal qu'un palais.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le duc de Bassano à Reinhard.</p> +<p class="date">Fontainebleau, 26 janvier 1813.</p> + +<p>J'ai mis sous les yeux de Sa Majesté vos dépêches des 18 et 20 de ce + mois, n<sup>os</sup> 418 et 420. Elle est satisfaite des démarches que vous + avez faites et du compte que vous en rendez.</p> + +<p>Je vous envoie la copie d'un décret sur l'approvisionnement de la + place de Magdebourg. Cet approvisionnement doit être pour 15,000 + hommes <span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> et 2,000 chevaux pendant un an, tant en vivres + qu'en effets d'habillement, pour une garnison de cette force et pour + un hôpital extraordinaire de 2,000 malades.</p> + +<p>Dans la rigueur du droit, cet approvisionnement devrait être fait + par le royaume de Westphalie; mais Sa Majesté veut ménager les + moyens du roi afin qu'il ne néglige pas la formation de son + contingent. Elle prend en conséquence à sa charge la moitié de + l'approvisionnement de Magdebourg.</p> + +<p>Elle laisse le roi le maître de faire lui-même et par ses agents + cette moitié de l'approvisionnement qui serait payé comptant à + proportion des versements. Elle a pensé que le roi pourrait trouver + quelque avantage à se charger de cette opération en employant ou des + moyens de crédit ou des revirements commodes pour ses finances, ou + tout autre expédient qui lui conviendrait.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, le 28 janvier 1813.</p> + +<p>Le roi n'a pas tardé à faire répondre à ma note du 14 janvier, + concernant l'approvisionnement de la place de Magdebourg.</p> + +<p>Avant de recevoir cette réponse, j'avais reçu une lettre de M. le + ministre, directeur de l'administration de la guerre, qui, en me + chargeant d'employer tous mes soins pour que les mesures les plus + promptes soient prises pour approvisionner au complet la place de + Magdebourg, m'envoyait un état des denrées nécessaires pour + l'approvisionnement d'un an pour 15,000 hommes et 500 chevaux. Je me + suis empressé de faire passer cet état avec une nouvelle note à M. + le comte de Furstenstein, et ce ministre le tenait déjà lorsque je + suis arrivé pour lui parler de la sienne.</p> + +<p>Votre Excellence trouvera la copie de cette note ci-jointe. Elle + n'est qu'une répétition des mêmes offres que le roi avait déjà + faites à M. le comte de Narbonne, sans avoir égard à l'état de la + question, telle que je l'avais posée d'après vos ordres; et ce que + mon devoir était surtout de ne pas laisser passer sans + contradiction, c'est la demande renouvelée de 3,770,000 francs<a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a><a href="#footnote141" title="Lien vers la note 141"><span class="smaller">[141]</span></a> + qu'on prétend avoir dépensés en 1811 pour l'entretien des troupes + françaises, en sus de la compensation qu'on avait obtenue: + arrangement sur lequel, d'après les intentions connues de Sa Majesté + impériale, il n'y avait plus à revenir.</p> + +<p>Toutes ces considérations m'ont engagé à prier ce ministre de + <span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> reprendre sa note. M. de Furstenstein m'a répondu que la + forte résolution du roi de tenir religieusement ce qu'il promettait + le déterminait à ne rien promettre au-delà de ce qu'il pourrait + tenir; que sa note disait exactement les mêmes choses que le roi + avait déjà écrites à Sa Majesté l'empereur; que les 3,700,000 francs + ne comprenaient pas seulement l'excédent des avances faites en 1811, + mais encore d'autres sommes que la Westphalie avait à réclamer, + telles que la part qui lui avait été promise dans le produit des + denrées coloniales séquestrées à Magdebourg, etc.; que ce n'était + pas précisément au paiement de cette somme que le roi tenait, mais à + un secours, à une avance quelconque de la part de la France, soit en + argent comptant, soit en moyens de crédit. J'ai néanmoins insisté à + ce qu'il reprit sa note. Je l'ai engagé de nouveau à en parler au + roi et ajoutant que quoique je ne pusse me flatter d'avoir sur + l'esprit de Sa Majesté une influence égale à la sienne, je + n'hésiterais pas à lui demander une audience pour le même motif. M. + de Furstenstein m'y a beaucoup encouragé, non sans protester contre + l'influence que je supposais qu'il avait sur l'esprit du roi. Dans + ma conversation, j'étais surtout parti de ce point, que le roi avait + calculé les offres qu'il faisait et pour la recomposition de son + contingent et pour l'approvisionnement de Magdebourg, sur les moyens + tant ordinaires qu'extraordinaires qui étaient à sa disposition: + qu'ainsi il n'y avait pas impossibilité absolue de porter plus haut + l'approvisionnement de Magdebourg; mais qu'il s'en suivrait + seulement que le roi ne pourrait pas employer à la formation de son + contingent la totalité des sommes qu'il voulait y consacrer; que dès + lors il s'agissait de savoir lequel de ces deux objets était pour le + moment le plus important et le plus pressé, et que j'avais lieu de + penser que Sa Majesté l'empereur attachait la plus haute importance + à l'approvisionnement le plus prompt et le plus complet de + Magdebourg, tandis que le roi préférerait peut-être employer ses + plus grandes dépenses pour la réorganisation de son armée. J'aurai + tout-à-l'heure à rendre compte à Votre Excellence du résultat qu'a + produit ce raisonnement.</p> + +<p>De chez M. de Furstenstein, je suis allé chez M. le ministre des + finances qui, tandis que le premier m'avait fait les démonstrations + accoutumées d'une bonne volonté impuissante, m'a parlé en vrai + ministre des relations extérieures. Il m'a entretenu de tous les + sacrifices faits par la Westphalie, de toutes les conventions, de + toutes les promesses faites et non tenues par la France, de ses + efforts pour porter le budget de 1813 à 44 millions de revenu qu'il + aurait réduit à 40, si avant de le mettre sous les yeux du roi il + avait connu le 29<sup>e</sup> bulletin, de l'impossibilité de rester ministre + des finances, en admettant des demandes aussi vagues et aussi + illimitées que les nôtres. Au milieu de tout cela, je lui ai parlé + de l'approvisionnement de Magdebourg. M. de Malchus <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> m'a + dit qu'il s'engageait formellement qu'au 5 février il y aurait à + Magdebourg un approvisionnement complet pour trois mois et pour + 15,000 hommes, conformément à l'état envoyé par M. le comte de + Cessac, et qu'en outre M. le ministre de la guerre se chargeait, par + le moyen de ses fournisseurs ordinaires, d'un autre + approvisionnement de deux mois. À l'objection que j'ai faite que je + savais que cet approvisionnement n'avait été dans les derniers temps + que pour 2,400 hommes, il a répondu que cela regardait M. le + ministre de la guerre; mais M. le comte de Höne m'a promis depuis, + sur sa responsabilité, que cet approvisionnement de deux mois serait + pour 12,500 hommes et même pour 15,000. Le roi a chargé M. de + Malchus exclusivement de tout ce qui concerne le nouvel + approvisionnement de Magdebourg; mais comme le marché que M. de Höne + a fait avec des fournisseurs tient encore, il paraît que ce sera sur + les fonds qui restent à la disposition du ministre de la guerre que + sera pris cet approvisionnement de deux mois. Le budget de ce + ministre pour 1813 est de 19,400,000 francs, dont 17 millions pour + les troupes westphaliennes et 200,000 francs par mois pour + l'entretien des troupes françaises. La vanité de M. de Malchus l'a + fait convenir qu'il avait fait des épargnes pendant l'année passée, + et sans elles, m'a-t-il dit, le roi n'aurait pas pu faire les offres + qu'il a faites à l'empereur. Quant à M. de Höne, il prétend que + toutes les épargnes qu'il a pu faire sur la solde ont été absorbées + par le matériel qu'il a fallu fournir à l'armée entrant en campagne + et par la formation des nouveaux régiments.</p> + +<p>Tel était, Monseigneur, l'état des choses, lorsque M. Balthazar, + aide de camp de M. le duc de Feltre, est arrivé. La lettre qu'il m'a + portée de la part de Son Excellence indiquait quatre objets + principaux de sa mission: l'approvisionnement de la place de + Magdebourg, le complétement de sa garnison, la formation de nouveaux + cadres et de nouveaux corps westphaliens et, en outre, la formation + à Magdebourg de nouveaux magasins considérables qui puissent + alimenter une armée nombreuse pendant plusieurs mois.</p> + +<p>Comme épisode tenant au sujet, je dois dire à Votre Excellence que + j'étais chargé par M. le duc de Feltre de présenter M. Balthazar à + la cour de Westphalie, et de lui faciliter les moyens de parvenir + jusqu'au roi avec lequel il serait bien qu'il eût une conversation. + Je m'acquittai de ce double devoir en prévenant en même temps le + chambellan de service que je présenterais M. Balthazar à l'audience + du corps diplomatique qui devait précisément avoir lieu hier matin; + et M. de Furstenstein que je désirais que Sa Majesté accordât à cet + officier une audience particulière. Le roi fit dire à M. Balthazar + de s'adresser au ministre de la guerre. J'insistai: M. Balthazar + ajouta qu'il avait non seulement une lettre à remettre à Sa Majesté, + mais encore des choses particulières <span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> à lui dire sur des + mesures non patentes encore qu'on prenait en France. En attendant + que M. de Furstenstein négociât, nous allâmes chez le ministre de la + guerre que nous engageâmes de son côté à obtenir une audience pour + M. Balthazar.</p> + +<p>À mon retour chez moi, je trouvai M. Siméon que le roi m'envoyait + extra-officiellement pour confirmer son refus de voir M. Balthazar, + pour me dire d'aller passer au cabinet et pour me prévenir de la + réponse que Sa Majesté allait faire à M. le duc de Feltre. J'avais + pensé que l'embarras de répéter à M. Balthazar toutes ses + déclarations précédentes et la crainte d'être trop pressé par cet + officier étaient les seules causes de ce refus; mais Sa Majesté ne + m'a pas laissé ignorer que si elle accordait des audiences à un aide + de camp de l'empereur, il n'en était pas de même d'un major aide de + camp du ministre de la guerre. Et puisque dans un moment aussi grave + le roi n'oublie point l'étiquette, il faudra bien, Monseigneur, dire + un mot sur une petite contestation qui s'est élevée pendant que M. + de Narbonne était ici. Le roi avait choisi le seul jour ou je + pouvais espérer voir ce général à dîner chez moi, pour nous faire + inviter à la table du maréchal de la cour. Je refusai, comme une + lettre de M. le duc de Frioul m'en donnait le droit; mais comme M. + de Furstenstein à qui nous avions dit nos raisons et qui s'était + chargé de la négociation revint pour me dire que je ferais plaisir + au roi en y allant, je déclarai que j'y voyais un ordre de Sa + Majesté et je me rendis à la table du maréchal en laissant à la + mienne ceux de mes convives que les ordres du roi ne m'avaient pas + enlevés. Nous eûmes ensuite l'honneur de faire au cercle la partie + de Leurs Majestés, d'assister au spectacle de la cour et de souper à + la table de la reine.</p> + +<p>Je reviens à mon sujet. Dans la conférence avec M. le comte de Höne, + M. Balthazar a reçu l'assurance d'un approvisionnement de + Magdebourg, au moins pour cinq mois, et de 18,000 hommes qui au 1<sup>er</sup> + mai seraient à la disposition de Sa Majesté impériale. Quant aux + magasins à former pour des armées, M. de Höne, ainsi que les autres + ministres, en a déclaré l'impossibilité. Ce ministre n'a vu aucune + difficulté à ce que le roi fît entrer dès à présent à Magdebourg le + 9<sup>e</sup> régiment ainsi que plusieurs dépôts qui pourraient y recevoir + leurs conscrits, il y a même vu des avantages. Mais étant allé le + soir même en parler à Sa Majesté, il a trouvé que le roi avait de la + répugnance à donner ces ordres immédiatement. Je ne doute au reste + aucunement que ces ordres ne soient donnés dès que Sa Majesté + l'empereur l'exigera.</p> + +<p>Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de ma conversation + avec le roi. Sa Majesté m'a fait lecture de sa lettre à M. le duc de + Feltre où, après avoir commencé par renouveler ses premières offres, + elle déclare que, si Sa Majesté l'empereur le préfère, le roi fera + l'approvisionnement de Magdebourg pour un an et pour 20,000 hommes; + mais <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> qu'alors il ne pourra mettre à la disposition de + l'empereur que 6,000 hommes d'infanterie et 800 chevaux. «Je me + chargerai ensuite, a-t-il ajouté, d'entretenir de mes propres moyens + une force suffisante (de 4 à 5,000 hommes) pour la sûreté de ma + personne et pour celle du pays, mais il me faudrait alors une + garantie que ces troupes resteront à ma disposition et ne pourront + m'être enlevées par aucun ordre.» Le roi parlait d'abord d'une + convention, ensuite d'une promesse officielle et enfin d'une + garantie quelconque.</p> +</div> + +<p>La Westphalie n'avait pas assez de ressources pour faire à +Magdebourg de grands approvisionnements et pour mettre en même temps +sur pied une armée d'une vingtaine de mille hommes. Il fallait +opter. L'empereur devait évidemment préférer qu'un de ses +boulevards, Magdebourg, fût en état de faire une longue défense; +Jérôme, qui savait bien que Napoléon finirait toujours par faire +l'approvisionnement, était naturellement plus enclin à se créer une +armée qui pût le défendre lui et son royaume.</p> + +<p>Vers cette époque les armées ennemies gagnant du terrain vers le +Nord, Jérôme commença à être inquiet pour la reine et désira son +départ pour Paris. M. Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano.</p> + +<p>Ayant eu à cette époque plusieurs conversations d'un certain intérêt +avec le roi, le ministre en rendit compte par la lettre suivante au +duc de Bassano, datée de Cassel 1<sup>er</sup> mars 1813, 3 heures après midi.</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Oui, a dit le roi, il y va de votre propre intérêt et je vous en + avertis. Lorsque la Westphalie succombera de misère et que les + habitants aimeront mieux se faire tirer des coups de fusil que de + donner leur dernier morceau de pain, c'est à vous qu'on reprochera + de n'en avoir pas fait connaître la véritable situation. Votre + devoir est de dire la vérité, même au risque de déplaire, d'être + rappelé, d'être disgracié: après trois mois on vous rendra justice.»</p> + +<p>À ce discours qui a été très long, j'ai répondu que Sa Majesté + impériale connaissait par moi et sans moi la situation de la + Westphalie: que, lorsqu'il s'agissait de remplir mon devoir, je ne + manquais ni de franchise, ni de fermeté; qu'assurément je n'avais + rien dissimulé et de ce que le roi m'avait dit, et de ce que je + pensais moi-même sur l'insuffisance des moyens de la Westphalie; + qu'avant tout il importait de bien convaincre Sa Majesté l'empereur + que toutes les ressources quelconques de ce pays étaient + consacrées..... Ici le roi m'a coupé la parole.—«Eh! vous voyez + bien, avec plus de trois mois d'approvisionnement pour Magdebourg, + avec mon contingent entier à réorganiser, avec 40,000 hommes de + troupes françaises dans le royaume.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> Je n'ai peut-être pas tort, Monseigneur, en considérant + cette attaque personnelle que le roi m'a faite, comme une espèce de + riposte à la lettre que j'avais écrite avant-hier à M. de + Furstenstein. Aussi c'est avec calme que j'invoque le témoignage de + toute ma correspondance avec Votre Excellence. Mais je me permettrai + une seule observation. Quant au passé, je dirai avec vous, + Monseigneur, qu'il est sans remède, mais quant au présent il serait + possible que Sa Majesté impériale, frappée de quelques notions de + détails que j'ai cru de mon devoir de donner, par exemple d'une + réserve du trésor qui existait à la fin de l'année, de la + prédilection du roi pour sa garde, des projets des fournisseurs, de + leur intelligence avec des protecteurs, etc., en conclût que le roi + ne veut pas faire en ce moment tout ce qu'il peut, ou que ses + ministres sacrifient la célérité et l'ensemble du service à leur + intérêt personnel. Je dois répéter ici, et je crois fermement que + les circonstances sont devenues trop graves pour ne point les + absoudre de cette accusation et que ce qui peut rester à leur charge + est d'une faible importance en comparaison des dépenses immenses et + simultanées qu'exige le moment actuel. Je dois particulièrement + rendre au ministre de la guerre la justice d'assurer que, si c'est + lui qui semble ralentir les opérations et qui passe des marchés + onéreux, c'est précisément lui qui est le moins soupçonné de + concussions ou de vues intéressées: que c'est un très honnête homme, + très laborieux, très dévoué à l'empereur et au roi; mais que c'est + un homme faible, susceptible de recevoir toutes les impressions + qu'on lui donne, et seulement au niveau de sa place lorsque les + événements le sont aussi. Enfin les fournisseurs refusent et + voudraient être en dehors de leurs marchés, quelque avantageux + qu'ils puissent être: et ce n'est pas là une grimace! Je crois que + c'est tout dire.</p> +</div> + +<p>Extrait d'une lettre du roi arrivée le 6 mars à 6 heures du soir, et +adressée à l'ambassadeur de Cassel à Paris:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Les événements se pressent. La grande armée va être réunie derrière + l'Elbe. 30,000 hommes et 3,000 chevaux sont à l'entour de + Magdebourg. Passé le 15 mars, si l'empereur ne m'envoie pas + d'argent, il me sera impossible de les nourrir. <i>Il faudra qu'ils + soient à discrétion chez l'habitant.</i> Qu'en arrivera-t-il? Trois + mois d'approvisionnement viennent d'être faits par la Westphalie. Le + quatrième est sur le point d'être achevé.</p> + +<p>Les contributions, entre autres, du département de l'Elbe ne + rentrent presque plus. Si l'empereur ne nous fait pas payer quatre + millions à compte sur ce qu'il nous doit, la marche du gouvernement + se trouvera arrêtée <i>tout-à-coup</i>, et les suites en sont + incalculables.</p> + +<p>Mon peuple est bon: tant qu'il aura quelque chose, il le donnera. + Mais quand chaque sujet se trouvera <i>vis-à-vis de rien</i>, n'ayant + plus que <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> le choix de mourir de faim ou d'un coup de fusil, + il n'est pas douteux qu'il ne préfère courir la dernière chance.</p> +</div> + +<p>Le roi ayant obtenu de l'empereur de faire partir la reine +Catherine, Reinhard écrivit de Cassel le 8 mars 1812 au duc de +Bassano:</p> + +<div class="lettre"> +<p>D'après ce que le roi m'avait dit hier sur le départ de la reine, je + ne m'attendais pas à lire dans le moniteur westphalien d'aujourd'hui + que la reine partait pour Paris sur l'invitation de Sa Majesté + impériale, et que ce départ aurait lieu après-demain. Le roi m'avait + dit que Sa Majesté l'empereur l'autorisait à faire partir la reine, + lorsque l'empereur Alexandre ou Kutusoff serait à Berlin ou à + Dresde. Il est vrai que, par son courrier de retour, le prince + vice-roi l'avait informé que, les Russes passant l'Oder en force et + ayant déjà sur la rive gauche 80 pièces de canon, il se décidait à + quitter la position de Berlin pour n'être pas coupé par sa droite.</p> + +<p>Le préfet du palais, Boucheporn, partira demain avec une partie du + service; mesdames de Bocholtz, de Furstenstein, de Pappenheim, + d'Oberg, la princesse de Philippsthal, M. le comte de Busche, + chevalier d'honneur, M. le comte d'Oberg, premier écuyer d'honneur + de la reine, seront du voyage. Il y a en ce moment conseil des + ministres.</p> + +<p>On dit que c'est hier au soir que le roi, étant au spectacle, a reçu + une lettre par le prince vice-roi, portée par un officier + d'ordonnance de Sa Majesté impériale allant en courrier à Paris. + Après le spectacle, M. Pothau a été appelé et les ordres ont été + donnés. M. de Furstenstein assure que le roi n'a point reçu de + lettre du vice-roi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, le 11 mars 1813.</p> + +<p>La reine est partie hier après midi, à deux heures, par la route de + Wetzlar. Le roi l'a accompagnée jusqu'à Wabern. La princesse de + Philippsthal a obtenu la permission de rester, comme venant de se + relever de ses couches et se trouvant encore indisposée. Le baron de + Boucheporn, maréchal de la cour, l'a précédée: il a dû arriver à + Paris quelques jours avant Sa Majesté.</p> + +<p>Ce sont les nouvelles que M. Athalin avait portées de Berlin et du + quartier général du vice-roi qui ont amené la détermination de ce + prompt départ. Le roi m'a dit lui-même que deux heures avant + l'arrivée de M. Athalin, lorsque j'avais eu l'honneur de voir Sa + Majesté, il n'en avait pas encore eu la pensée. Le lendemain matin, + le passeport d'un inspecteur des postes qui me fut porté pour être + visé m'en donna le premier soupçon qui fut converti en certitude + quelques minutes après, <span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> lorsque je reçus le moniteur + westphalien annonçant que la reine partait sur l'invitation de Sa + Majesté impériale.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 24 mars 1813.</p> + +<p>Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté en date du 14 courant et + je m'empresse de lui envoyer ci-jointe la copie du décret que j'ai + signé et fait expédier depuis le 20. Elle y verra que tout ce + qu'elle désire est fait, mais, Sire, je vous supplie de ne pas + laisser succomber par le manque de quelques millions un pays tel que + le mien, qui vous est d'une si grande utilité.</p> + +<p>Le déficit sur les revenus du mois passé pour les départements de + l'Elbe, de la Saale et de l'Oder est de trois millions, ce mois-ci + il sera du double: nous sommes au 24 et 500,000 francs ne sont pas + encore rentrés; cependant, Sire, confiant dans la parole de Votre + Majesté, mon armée s'organise, tout se fait et se livre, mais le + mois prochain rien ne pourra être payé, si Votre Majesté ne vient à + mon secours.</p> + +<p>À la fin de la semaine prochaine, 10 bataillons d'infanterie, plus + 2,000 cavaliers bien montés et équipés et 24 pièces de canon + pourront partir avec moi pour Brunswick et se porter jusque sur + l'Elbe si Votre Majesté le désire.</p> +</div> + +<p>M. Reinhard écrit tantôt que le roi ne veut pas de commandement, +tantôt que le roi désire un commandement.</p> + +<p>Le roi Jérôme désirait ardemment un commandement assez important +pour que cette position le mît en relief. Doué d'une grande +confiance en son aptitude militaire, et d'un amour-propre excessif, +il ne mettait pas en doute qu'il ne fût aussi capable que le prince +Eugène et tous les maréchaux de l'empire, sans en excepter un seul, +de gagner des batailles et de rappeler la victoire sous nos +drapeaux. Mais telle n'était pas l'opinion de l'empereur qui, tout +en appréciant la bravoure et les belles qualités militaires de +Jérôme, était loin de lui reconnaître le génie nécessaire à un chef +d'armée. En 1854, lors de la guerre d'Orient, sous le second empire, +le vieux prince crut un instant que son neveu lui donnerait le +commandement en chef de son armée, attendu, disait-il, que lui seul +en France avait l'habitude de la grande guerre et des grands +commandements et était en état de remuer des masses.</p> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> <p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p> +<p class="date">Cassel, 14 avril 1813.</p> + +<p>Sire, je viens d'apprendre l'arrivée de Votre Majesté à Mayence et + m'empresse d'envoyer auprès d'elle mon ministre des finances, il est + plus à même que personne de faire connaître à Votre Majesté notre + situation financière; elle est telle, Sire, que, depuis le 11, + toutes les ordonnances qui ne sont pas pour la solde et les + traitements ont été suspendues au trésor, et qu'à la fin du mois, je + dois opter entre le paiement de l'armée ou celui des fonctionnaires + publics. La suppression du paiement des ordonnances tirées par les + ministres a fait un tel mauvais effet que l'habillement et le + harnachement, la livraison des chevaux ont été totalement suspendus.</p> + +<p>Je vous supplie, Sire, de ne point nous laisser tout à fait écrouler + et de nous envoyer quelques millions afin de nous soutenir; quel + chagrin pour moi, Sire, de me voir détruit par celui même qui m'a + créé!</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 12 avril 1813.</p> + +<p>Le roi, informé par moi que M. le maréchal duc de Valmy envoyait + quatre bataillons à Wetzlar sur les confins de la Westphalie et du + grand duché de Berg, a désiré que M. le maréchal en envoyât deux + autres à Marbourg et m'a chargé de lui faire connaître ce désir.</p> + +<p>Le roi a passé la journée d'hier à Napoléonshöhe: le temps était + magnifique. Le soir il y a eu spectacle et souper: la réunion était + nombreuse. On disait que le roi avait voulu montrer qu'il n'avait + pas fait emballer les meubles de ce château et qu'il avait voulu + faire déballer aux dames peureuses leurs manteaux de cour.</p> +</div> + +<p>On commençait à craindre les conspirations en Westphalie, +principalement à Cassel, que l'ennemi savait fort mal gardé, et +autour du roi, déjà à cette époque hors d'état de défendre sa +résidence et son royaume.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard à l'Empereur.</p> +<p class="date">Cassel, 8 mai 1813.</p> + +<p>Le roi m'a fait communiquer par le général Bongars un rapport du + sieur Delagrée, chef d'escadron de la gendarmerie westphalienne, + concernant plusieurs mesures de précaution et de sévérité que M. le + maréchal, <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> prince d'Eckmühl, a prescrites au général + Bourcier revenu à Hanovre après avoir vu le maréchal à Minden.</p> + +<p>Le roi m'ayant fait appeler ensuite m'a fait lecture de la lettre + qu'il se proposait d'envoyer à M. le maréchal. Sa Majesté déclare au + prince qu'elle ne peut croire que de pareils ordres aient été donnés + et qu'elle les regarde comme entièrement contraires aux intentions + de Votre Majesté. Elle pense que si des mesures de sévérité sont + nécessaires dans son royaume, elles doivent être prises par le + souverain qui a déjà établi des commissions militaires à Wanfried + (où quelques habitants avaient livré à l'ennemi quelques chevaux et + un gendarme), à Lichtenau près Paderborn (où des voitures du roi et + des voyageurs français avaient été insultés). Elle fait entendre que + de pareils procédés pourraient la conduire à prendre un parti + extrême, etc., etc.</p> + +<p>J'ai cherché, Sire, à dissuader le roi de l'envoi de cette lettre. + Les ordres du prince semblaient dater de la fin d'avril: peut-être + renoncerait-il de lui-même à leur exécution. Il me paraissait + préférable de notifier au général Bourcier que, s'il y avait des + mesures à prendre, des coupables à punir dans son royaume, le roi + s'en chargerait. Mais le roi me répondit que cette manière d'agir ne + serait point généreuse, qu'elle compromettrait le général Bourcier + qui était subordonné au maréchal; que, d'ailleurs, des troupes + françaises étaient déjà arrivées à Hanovre et qu'il voulait que le + prince s'expliquât catégoriquement sur les ordres qu'il avait + donnés. Sa Majesté a désiré en même temps que je rendisse compte de + cet incident à Votre Majesté. La lettre du roi au maréchal a dû + partir hier par courrier; j'ignore si elle est partie. Quant à la + ville de Hanovre et aux Hanovriens, l'enquête portera-t-elle sur + leurs vœux et sur leurs espérances, ou sur leurs démonstrations + et sur leurs actions? Tous les rapports de la police semblent les + absoudre d'actions criminelles: l'ordre public n'a été troublé nulle + part; les démonstrations mêmes ont été ou contenues ou réprimées; et + si, dans une effervescence d'opinions, la responsabilité cesse + d'être personnelle, la fidélité et l'obéissance ne suffiront plus + pour discerner l'innocent du coupable.</p> +</div> + +<p>Le roi Jérôme écrivit de Cassel, au commencement de juin 1813, au +général Dombrowski à Wittemberg de se rendre à Hersfeld le 10 juin, +et il lui dit:</p> + +<p>«D'après les instructions que j'ai reçues de S. M. l'empereur, vous +devez diriger vos deux bataillons d'infanterie et votre artillerie +de Hersfeld par Rothembourg à Eschwege et vos deux régiments de +cavalerie de Hersfeld sur Kreutzbourg, afin qu'ils puissent s'unir à +moi et chasser l'ennemi de l'autre côté de l'Elbe.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> Le duc de Valmy, auquel Dombrowski soumit cette lettre en +demandant des ordres à son chef immédiat, écrivit à l'empereur pour +avoir ses ordres. Ce dernier manda à Berthier le 10 juin: «Le roi de +Westphalie a écrit la lettre ci-jointe au général Dombrowski. +Écrivez à ce général pour lui faire connaître la marche qu'il doit +suivre.» Et en post-scriptum: «Écrivez au roi de Westphalie pour lui +faire connaître l'inconvenance d'employer mon nom pour changer la +direction de la marche des troupes; que cela peut mettre les +généraux dans l'embarras; que c'est contraire à toutes les formes; +que personne n'a le droit de prendre mon nom et de supposer que j'ai +donné des ordres quand ce n'est pas.»</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p> +<p class="date">Cassel, le 2 juin 1813.</p> + +<p>On dit que les ennemis annoncent le projet de faire une pointe sur + Cassel. Enflés par quelques succès, il ne serait pas en effet + impossible qu'ils poussassent leur témérité à ce point. Il est vrai + qu'avec ce qui est parti pour Minden nous aurions 4 à 5,000 hommes + d'infanterie et environ 1,000 chevaux à leur opposer: mais quelles + troupes et comment dirigées? Si cela continue, de surprise en + surprise, ou même avertis mais mal informés, sans prudence, sans + ensemble, nous serons détruits en détail.</p> + +<p>Depuis plus de trois mois que le roi est à Napoléonshöhe, je n'ai eu + l'honneur d'approcher de Sa Majesté qu'une seule fois. Mais M. de + Furstenstein continue à être invisible: son cabinet est au salon de + service. M. Siméon est toujours, M. de Höne, M. de Bongars sont tour + à tour du voyage. M. de Höne avait été malade: il est retourné + aujourd'hui à Napoléonshöhe. Il doit, dit-on, proposer au roi de + mettre toutes ses forces disponibles sous les ordres du général + Teste. Il est à prévoir que cette proposition ne sera point agréée. + Le roi paraît se trouver de nouveau dans un de ces accès de dégoût + où, se livrant à l'apathie, il cherche des distractions dans des + plaisirs dont le secret n'est pas assez gardé pour ne point faire + une impression fâcheuse sur le public. Je ne méconnais point ce + qu'en ce moment la situation du roi a de pénible sous tant de + rapports que je connais et peut-être sous quelques rapports que + j'ignore: mais le travail et le dévouement surmonteraient facilement + des peines qu'on ne se serait pas attirées soi-même, et ce sont ces + dernières qui sont poignantes et qui découragent. Au milieu de tout + cela, on se croit trop petit souverain avec deux millions d'âmes: on + s'en sépare d'affection et d'intérêts. On est jaloux des conseils, + on s'impatiente <span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> de la vérité. Voilà près de cinq ans + depuis que Sa Majesté impériale a daigné me confier la mission de + Westphalie; et laissant à part ce qui doit être imputé à des + événements qui n'ont pas dépendu du gouvernement de ce royaume, je + ne puis me dissimuler, je ne puis, quelque chagrin que j'en aie, + dissimuler à Votre Excellence qu'en principes d'administration, en + talents et en connaissances, en moralité surtout, les choses y sont + toujours allées en empirant.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bulletin.</p> +<p class="date">Cassel, 20 mai 1813.</p> + +<p>Une semaine passée en voyage à Napoléonshöhe me met à portée d'en + décrire les usages et de rendre compte du genre habituel de vie que + le roi a adopté dans cette résidence d'été.</p> + +<p>Le costume de voyage est un petit uniforme bleu, brodé en argent, + pantalon bleu et bottes à l'écuyère. On garde ce costume jusqu'à + l'heure du dîner excepté les dimanches et jeudis, jours où tous ceux + qui ont les grandes entrées paraissent au lever du roi.</p> + +<p>La semaine de voyage commence dimanche au soir et finit le dimanche + suivant après le spectacle. Les invités sont rarement au-dessus du + nombre huit, quatre hommes et quatre femmes. <i>Rarement les femmes et + les maris sont invités ensemble.</i> Dans la semaine passée, nous + étions au nombre de six. Le ministre de la guerre, le baron de + Schulte, conseiller d'État, la comtesse de Furstenstein, madame la + comtesse de Jagow, femme d'un chambellan du roi, madame Chabert, + femme du capitaine de la garde, madame de Schlicher, dame du palais, + étaient de semaine.</p> + +<p>Le lever a lieu vers les dix heures. À 11 heures, déjeuner; à 6 + heures ½, dîner. Il n'y a rien de recherché, ni dans les plats, ni + dans les vins; la table est bien servie, mais sans profusion. Le roi + déjeune et dîne seul: il est cependant d'usage d'inviter une fois à + dîner et une fois à déjeuner à la table de S. M. les personnes du + voyage. Le déjeuner eut lieu à Schönfeld, petite maison de campagne + du roi située entre le parc de Cassel et Napoléonshöhe, et le dîner + à Mouland, petit village chinois bâti par l'ancien électeur et dont + les maisons, encore en état de servir, viennent d'être réparées et + remeublées avec une simplicité élégante.</p> + +<p>Après le déjeuner, jusqu'à deux heures, promenade devant le château + et entretiens du roi avec les personnes qu'il fait appeler. Après 2 + heures, le roi se retire, ou bien il y a promenade en voiture. + Pendant la semaine dernière, le roi a passé deux revues, l'une des + grenadiers de sa garde et l'autre des cuirassiers: il a présidé une + fois son conseil <span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> d'État. Il est allé deux fois à Cassel + pour voir les travaux de son palais.</p> + +<p>Lorsque le temps le permet, le roi dîne en plein air ou dans un + petit pavillon du jardin de la reine. Après le dîner, on reste + devant le château avec ou sans le roi. À 9 heures on se réunit soit + dans les appartements de Sa Majesté, soit dans la petite salle de + spectacle. Ces jours passés, il y avait un petit concert de trois ou + quatre musiciens et jeu ou spectacle. Le jeu dominant, c'est le + whist. Le genre de spectacle que le roi préfère, c'est la comédie. + La petitesse de la salle de l'intérieur ne permet pas de donner de + grandes pièces qui sont réservées pour le dimanche.</p> + +<p>À 10 heures du soir, tout est fini et le roi se retire. Le roi est + toujours aimable: on dirait cependant qu'il est devenu plus grave. + L'ordre et la décence règnent partout. La table du maréchal est de + dix-huit à vingt personnes.</p> + +<p>La princesse de Löwenstein étant dans son huitième mois de grossesse + a cessé de paraître à la cour. Elle vint cependant dimanche en robe + du matin et partit le lendemain après avoir déjeuné avec le roi. + Cette dame, par beaucoup d'esprit de conduite, s'est fait une + existence à part qui ressemble un peu à celle d'une favorite en + titre. Aucune des dames invitées ne pouvait avoir de prétentions.</p> + +<p>On dit que le roi se souvient encore quelquefois de madame Escalonne + qui avait été avec lui pendant sa dernière campagne de Pologne.</p> + +<p>Sa Majesté prenait depuis quelques jours des bains pour lesquels on + faisait venir l'eau de Pyrmont.</p> +</div> + +<p>Le danger devenant de jour en jour plus imminent pour la Westphalie +et pour Cassel, Reinhard, sur les instances de Jérôme, envoya au +général Lemoine une dépêche pour qu'il vint à Cassel avec sa +division. Cette mesure fut désapprouvée par Napoléon, qui fit écrire +à Reinhard de Dresde, le 10 août 1813, par M. de Bassano:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Dresde, 30 août 1813.</p> + +<p>L'empereur a pris lecture de votre lettre du 27, qui annonce que + vous avez invité le général Lemoine à se porter avec son corps sur + Cassel. Sa Majesté n'approuve point cette démarche: les + circonstances n'exigent point un pareil mouvement; et la présence du + corps du général Lemoine sur le Weser est trop nécessaire pour qu'il + doive se déplacer légèrement. Ce général a ses instructions: il faut + dans votre correspondance avec lui vous borner à l'instruire de + l'état des choses et des nouvelles qui vous parviennent.</p> +</div> + +<p>Le même jour, l'empereur écrivit de Dresde à Berthier: «Mandez à +Lemoine de ne pas aller du côté de Cassel, de rester à Minden pour +faire exercer ses troupes et former sa petite division. Que son +premier <span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> but doit être de couvrir Wesel et qu'il est +autorisé également à se porter sur Magdebourg si le général +Lemarrois se trouvait avoir une garnison trop faible; enfin qu'il +doit avoir de la troupe en observation sur le Weser; mais qu'il ne +doit pas se remuer légèrement.»</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, 12 septembre 1813.</p> + +<p>Le roi me dit à l'instant qu'il envoie un courrier à Sa Majesté + impériale avec les nouvelles qu'il a reçues du côté de Brunswick. Ce + ne sont à la vérité que des rapports de gendarmes, mais ils viennent + de différents côtés: ils s'appuient et se confirment. Il paraît + qu'un corps ennemi, qu'on porte à 15,000 hommes avec 16 pièces de + canon et dans lequel se trouve de la cavalerie anglaise venant de + Domitz, a passé l'Elbe le 9. On annonçait en même temps pour le 11 + le passage d'un autre corps destiné à occuper Haarbourg, le prince + d'Eckmühl étant revenu à Hambourg. Le roi transmet ces nouvelles + directement à Sa Majesté impériale et lui demande des ordres + éventuels.</p> + +<p>Le général Lemoine doit avec son corps arriver aujourd'hui à + Brunswick dont des patrouilles ennemies, depuis quelques jours, se + sont approchées jusqu'à quatre lieues. Monseigneur le major général, + en m'annonçant que Sa Majesté impériale n'avait point approuvé la + lettre que j'avais écrite à ce général pour l'engager à venir + couvrir Cassel, m'écrivit qu'il <i>était nécessaire sur le Weser</i>. + J'ignore en conséquence si le mouvement qu'il fait sur Magdebourg où + il est appelé par le général Lemarrois est conforme aux intentions + de Sa Majesté. Je n'ai reçu de lettres, depuis plusieurs jours, ni + de l'un ni de l'autre de ces généraux. J'ignore si le général + Lemoine a emmené toutes les troupes, hors celles qui sont sous les + ordres du général Laubardière et qui sont peu considérables.</p> + +<p>En ce moment, Monseigneur, je suis moins rassuré que dans les jours + du mois d'avril dernier, dans le cas où l'ennemi menacerait la ville + de Cassel qui est certainement un point très important sous les + rapports militaire et politique. Le roi pense que l'ennemi ne peut + se hasarder à ce point, et ses raisonnements sont fort justes; mais + nous vivons d'une crise pleine d'événements imprévus et je voudrais + au moins voir le roi entouré, outre ses hussards, de quelque + infanterie française<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a><a href="#footnote142" title="Lien vers la note 142"><span class="smaller">[142]</span></a>.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> Nous voici arrivé au moment de l'entrée à Cassel du général +Tchernischeff et à l'évacuation de cette ville par Jérôme.</p> + +<p>Cet épisode, raconté tout au long et dans les plus grands détails +par le roi dans sa lettre du 4 octobre 1813 au ministre duc de +Feltre, dans l'espèce de précis historique que M. Hugot fit alors +avec M. Reinhard, l'est également dans une lettre du roi à +l'empereur. Ce dernier document n'ayant pas trouvé place aux +<i>Mémoires de Jérôme</i>, nous allons le donner ici, mais nous le ferons +précéder de la dépêche suivante de M. Reinhard, laquelle contient +une assez singulière conversation du roi:</p> + +<p class="lettre">Dès le 12, après avoir reçu des nouvelles alors exagérées des forces + ennemies qui avaient passé à Danneberg, le roi envoya un courrier à + Sa Majesté l'empereur pour demander des ordres éventuels sur ce + qu'il devait faire, si l'ennemi menaçait sa capitale. Ayant appris + les passages du côté de Dessau, que les rapports annonçaient comme + étant ceux d'un corps d'armée entier, Sa Majesté me dit qu'elle + n'avait point reçu et que probablement elle ne recevrait pas + d'ordres de l'empereur, et me demanda ce que je pensais qu'il + convenait de faire. Après plusieurs préambules, le roi me pressant + toujours, je conclus qu'il faudrait se retirer quand le danger + serait imminent et certain. «Mais, dit le roi d'un air assez + délibéré, si je faisais comme les petits princes, si je restais? Mon + intention est de rester.»—«Mais Votre Majesté s'exposerait.»—«Sans + doute, dit le roi, il faudrait que l'ennemi le voulût.» Je changeai + de conversation et quelque temps après je revins à la circonstance. + Je citai le grand-duc de Toscane qui en 1799 avait voulu rester, et + qui en 24 heures reçut l'ordre de partir. «Sa position, dit le roi, + était différente de la mienne.»—«Oui, dis-je, peu de semaines + auparavant, il avait payé deux millions pour sa neutralité.» + J'ajoutai que, si l'ennemi permettait aux petits princes de rester, + c'était dans l'espérance qu'ils embrasseraient ce qu'ils appellent + la cause commune; «et c'est, dis-je, ce que Votre Majesté ne peut ni + ne voudra faire.» La conversation en resta là, et je crus + m'apercevoir que le roi était satisfait de ce que je venais de dire. + Néanmoins, quelque soit l'intention avec laquelle il a mis cette + idée en avant, elle m'a paru trop extraordinaire pour que je puisse + me dispenser d'en rendre compte à Votre Excellence. Du reste, on + prend au château des précautions à tout événement. Il y a même trois + chevaux sellés pour le roi qui y entrent toutes les nuits.</p> + +<p>Il est difficile d'admettre que la possibilité de rester dans ses +États fût jamais passée par la tête du roi. Son attachement à la +France et <span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> à son frère, la rectitude de son jugement, la +loyauté de son caractère ne permettent pas de le supposer. Jérôme a +dit depuis que Tchernischeff lui avait proposé de rester et qu'il +avait repoussé avec indignation cette proposition<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a><a href="#footnote143" title="Lien vers la note 143"><span class="smaller">[143]</span></a>; mais ce qui +ne permet pas d'admettre non plus que les souverains ligués contre +Napoléon aient pu avoir cette pensée, c'est que le but avéré du +général russe était de faire Jérôme prisonnier à Cassel.</p> + +<p>Voici maintenant la lettre du roi, de Wetzlar, 29 septembre 1813.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Sire, le 24, j'appris que l'ennemi était entré à Mulhausen, avec + 4,000 chevaux, 2,000 chasseurs et 16 pièces de canon; en même temps + le général Lemarrois annonçait au ministre de France que 3 régiments + d'infanterie russe, 800 chevaux et 12 pièces de canon avec lesquels + une division s'étaient battue à Wollmerstadt se dirigeaient sur + Brunswick. Il ne me parut plus douteux qu'ils ne voulussent faire + une tentative sur Cassel. J'en prévins le duc de Valmy et l'engageai + à faire passer par Cassel sa 34<sup>e</sup> colonne de marche forte de 3,200 + hommes, en lui observant que, si mes craintes n'étaient pas fondées, + cette colonne ne perdrait qu'un jour de marche et que, s'il en + arrivait autrement, elle servirait soit à repousser l'ennemi de + Cassel où j'étais décidé à l'attendre, soit à assurer ma retraite en + cas de nécessité. Le 26, le général Bastineller qui observait dans + le Harz les mouvements de l'ennemi m'annonça qu'il se portait au + nombre de 7,000 hommes sur Eschwege, et le général Zandt qui était + en position à Gœttingen me rendit compte en même temps que + l'ennemi était entré en force dans Brunswick. Cependant, comptant + sur l'arrivée de la colonne française que j'avais demandée au duc de + Valmy, je fis mes dispositions de défense. Je donnai ordre au + général Bastineller d'appuyer sa gauche à Witzenhausen et sa droite + à Melsungen afin que l'ennemi ne pût intercepter la route de + Francfort en passant le gué qui est près de ce dernier endroit.</p> + +<p>Le général Bastineller ne put exécuter assez promptement ce + mouvement, l'ennemi étant en forces devant lui. Il me rendit compte + que 800 chevaux et 4 pièces de canon étaient parvenus à tourner sa + droite et se hâtaient d'arriver sur Cassel. Le 27, je lui donnai + l'ordre de prendre position en avant de Cassel. Le même ordre fut + donné au général Zandt, mais l'ennemi les gagna de vitesse, renversa + le même jour à 11 heures du soir les avant-postes qui étaient à Elsa + et à Kauffungen et hier 28, à 4 heures du matin, j'en reçus la + nouvelle. Je fis sur-le-champ prendre les armes au peu de troupes + que j'avais avec moi. J'envoyai 25 hussards, 2 compagnies de + chasseurs de la garde pour reconnaître l'ennemi, <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> au milieu + duquel ils se trouvèrent un quart d'heure après être sortis de la + ville. Le brouillard était si épais que l'on pouvait à peine se voir + à deux pas. Ce détachement se replia sur la porte de Leipsick en + assez bon ordre, quoiqu'il eût perdu la moitié de son monde par + l'artillerie ennemie. Deux pièces de canon que j'avais placées à la + porte de Leipsick ripostaient vivement à l'ennemi dont les boulets + traversaient la ville, mais ces deux pièces furent démontées en peu + de temps et après une demi-heure de combat. Pendant ce temps, je + faisais barricader le pont qui communique du faubourg à la ville. À + peine cette opération fut achevée que l'ennemi enfonça la porte à + coups de canon et vint braquer une pièce vis-à-vis du pont, ouvrit + la prison d'État qui en est près et fit sortir tous les prisonniers. + Je perdis sur ce point beaucoup de monde. Une partie de mes + hussards, ne sachant point encore monter à cheval et n'étant point + équipés, me demandèrent des fusils et défendirent ce pont, ma + dernière ressource.</p> + +<p>Pendant ce temps, 400 chevaux avaient passé la Fulde à gué et + venaient par la porte de Francfort. Le moment était critique, je me + mis à la tête de mes gardes du corps, de deux escadrons de hussards, + je fis longer la rivière à mes grenadiers de la garde pour s'emparer + du gué. Je sortis par la porte de Francfort. À peine avais-je fait + deux cents pas qu'un peloton d'avant-garde m'annonça que l'ennemi + était en bataille devant lui. Je m'avançai de suite au galop pour le + reconnaître, mais le brouillard était si épais que je me trouvais au + milieu de lui à pouvoir faire le coup de sabre; je le fis charger + aussitôt par le 2<sup>e</sup> escadron de hussards pendant que je le faisais + tourner par sa droite par les gardes du corps, afin de le rejeter + sur les grenadiers qui occupaient déjà le gué. Cela me réussit, il + fut mis en déroute et les grenadiers en tuèrent un bon nombre. Ce + mouvement força l'ennemi d'évacuer la partie de la ville qu'il + occupait du côté de la porte de Leipsick, craignant que je ne le + prisse à dos en passant moi-même le gué, ce que j'étais loin de + vouloir faire, étant convaincu que cette avant-garde allait être + fortement soutenue.</p> + +<p>Après avoir ainsi dégagé la ville, je pris position à une demi-lieue + en arrière avec mes gardes du corps, mon bataillon de grenadiers et + 400 hussards, les seuls qui fussent en état de se tenir à cheval et + de donner un coup de sabre. J'attendis dans cette position, depuis + 10 heures que le combat avait cessé jusqu'à 3 heures, espérant à + chaque instant, mais en vain, voir déboucher les colonnes des + généraux Zandt et Bastineller. Ne les voyant pas paraître, je + renforçai les postes de la ville par une compagnie de chasseurs + carabiniers et deux pièces d'artillerie et, comme l'ennemi remontait + la Fulde pour arriver à Wabern avant moi, je me repliai sur Jesberg, + décidé à m'y tenir et à attendre la colonne française que je ne + doutais pas que le duc de Valmy m'envoyât. Quel fut mon étonnement + en recevant à 10 heures du soir, par le retour <span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> de mon + courrier, une lettre en réponse à la mienne, par laquelle le duc de + Valmy m'annonce ne pouvoir prendre sur lui une pareille mesure. Dans + cet état de choses, il ne me restait d'autre parti à prendre, ne + pouvant point tenir chez moi ni compter sur des secours, que de me + retirer vers Coblentz, mais je ne passerai point le Rhin avant de + connaître les intentions de Votre Majesté.</p> + +<p>Je réunirai mes troupes à Wetzlar. J'aurais préféré rester avec + elles à Marbourg, mais l'esprit public y étant très mauvais, la + désertion se mettrait parmi le peu de soldats qui me restent.</p> + +<p>Il est bien entendu, Sire, que si j'apprenais que quelque corps + français marchât pour me soutenir, je pourrais rentrer à Cassel dans + peu de temps.</p> + +<p>Mon régiment de hussards français s'est conduit pendant toute la + journée d'hier avec beaucoup de valeur; j'ai dû malheureusement en + perdre beaucoup qui, n'ayant pas l'habitude du cheval, tombaient en + chargeant l'ennemi.</p> +</div> + +<p>La correspondance de Reinhard et celle de M. de Malartie, son +secrétaire de légation, du 10 octobre au 10 novembre 1813, feront +connaître les événements qui eurent lieu en Westphalie pendant le +dernier mois du règne de Jérôme, la rentrée du roi dans sa capitale +et sa retraite définitive.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Malartie au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Coblentz, le 10 octobre 1813.</p> + +<p>La lettre ci-jointe de M. le baron Reinhard instruira Votre + Excellence de la résolution qu'il a prise de me faire partir hier + matin pour Coblentz, afin que je fusse à portée de l'informer de la + marche du roi et de l'époque présumée de son retour dans la + capitale.</p> + +<p>Je suis arrivé ici hier à midi; ce matin à 8 heures j'ai vu M. le + comte de Furstenstein et le préfet du département.</p> + +<p>Déjà beaucoup de serviteurs du roi sont retournés à Cassel. Je + citerai entre autres le directeur général des postes, le préfet de + police, le ministre des finances, l'intendant général du Trésor, + l'intendant de la maison du roi.</p> + +<p>Le roi a des nouvelles du général Allix qui a dû quitter Cassel + avant-hier pour suivre le général Czernischeff. Sa Majesté a envoyé + un courrier au général Allix pour lui ordonner de s'arrêter, mais je + ne crois pas que le général ait besoin d'instructions à cet égard. + Il n'a avec lui que 4,000 hommes et, si je me rappelle bien les + conversations que nous avons eues souvent ensemble en pesant + l'hypothèse que malheureusement <span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> nous avons vue se + réaliser, son plan est de prendre position en avant de Göttingen, + près d'Heiligenstadt, peut-être même du côté d'Halbertstadt; de + s'éclairer avec le plus grand soin et de manœuvrer de manière à + couvrir Brunswick et Cassel contre des attaques d'ennemis qui ne + peuvent réussir que dans des coups de main et qui doivent être + eux-mêmes tout étonnés de leurs succès passagers. Je fais seulement + des vœux pour que la santé du général Allix se soutienne. Mais ce + sont les mouvements de la grande armée et ceux du prince de la + Moskowa qui décideront du sort ultérieur de la Westphalie.</p> + +<p>Je ferai mon possible, Monseigneur, pour recueillir des détails + exacts sur ce qui s'est passé à Cassel pendant l'occupation. Jusqu'à + présent les rapports sont ou exagérés ou contradictoires. Le roi + s'est montré bien douloureusement affecté de la conduite de quelques + personnes qu'il avait comblées de bienfaits, et qui ont paru en + avoir perdu le souvenir: mais on ne sait encore rien de positif.</p> + +<p>Il est pour moi extrêmement délicat, Monseigneur, d'avoir à parler à + Votre Excellence de la position gênée où se trouve le roi à + Coblentz. Le bruit est que S. M. part ce soir et l'on fait des + préparatifs dans sa maison. D'un autre côté, M. de Furstenstein a + dit positivement à M. Duntzau et à moi que le roi ne partait point + encore. Il m'a dit de plus que S. M. avait écrit à M. le duc de + Valmy qu'il voulait savoir sur combien de troupes françaises il + pouvait compter pour se maintenir dans son royaume et pour ne plus + être exposé à en sortir. Je lui ai demandé si le roi avait des + nouvelles de l'empereur. Oui, m'a-t-il répondu. «S. M. a de + l'empereur une lettre du 4. L'empereur ne lui parle point de + l'événement de Cassel. Il l'ignorait encore. Le roi ne peut pas + concevoir cela.» Je n'avais rien à dire, Monseigneur, je me suis tu.</p> + +<p>M. Duntzau, préfet de Coblentz, que je connaissais d'ancienne date, + m'a paru sentir parfaitement l'importance de tous les différents + devoirs qui lui sont imposés dans la circonstance présente. Sa + douceur et son aménité lui ont procuré le bonheur de plaire au roi.</p> + +<p>M<sup>me</sup> la princesse de Löwenstein, la comtesse de la Ville-Illion, + M<sup>me</sup> de Furstenstein, M<sup>me</sup> Chabert sont ici. Ces dames dînent avec + le roi et S. M. passe la soirée avec elles et les officiers de sa + maison.</p> + +<p>Du reste, le roi vit d'une manière fort retirée.—J'ai dit à M. de + Furstenstein que je suivrai ses conseils pour savoir si je devais + demander que S. M. m'admît à l'honneur de lui faire ma cour.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Du 13, à dix heures du matin.</p> + +<p>Le roi vient de partir. M. Duntzau a accompagné S. M. jusqu'aux + frontières du département et est revenu enchanté de toute + l'amabilité dont il a été comblé.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> Le roi compte coucher à Wetzlar. Je le suivrai dans la + journée. Je suis parti d'auprès de M. de Reinhard sans argent et + sans voiture. Il faut que je m'occupe un peu de moi-même. + D'ailleurs, il n'y a plus de chevaux à la poste. M<sup>me</sup> de Löwenstein, + M<sup>me</sup> de la Ville-Illion, M<sup>me</sup> de Furstenstein restent ici pour le + moment. M. Siméon partira dans quelques jours pour Paris. Ce + respectable vieillard ne quitte le roi qu'avec un regret qui fait + autant d'honneur au souverain qu'au ministre. Surtout, quoique + depuis longtemps il songeât au repos, ce n'était pas dans une + circonstance critique qu'il eût voulu se séparer du roi dont il a vu + poindre la jeunesse et auquel il a rendu tant de services + essentiels. Le roi sentira peut-être trop tard que M. Siméon était + un des appuis de son trône. Le peuple n'en est pas à le sentir. Je + ne sais, mais la vieillesse de M. Siméon, de longtemps encore, + n'approchera de la caducité, et si l'empereur rendait au ministre + qu'il avait prêté à son frère l'honneur de siéger au conseil, il est + à croire qu'il trouverait en lui un serviteur d'autant plus éclairé + qu'un séjour de six ans en Allemagne a dû augmenter la masse de ses + connaissances et donner à ses réflexions un nouveau poids.</p> + +<p>M. de Wolfradt sera son successeur.</p> + +<p>On m'a assuré, mais je ne voudrais pas garantir cette assertion, que + M. de Czernischeff avait un plan exact du château qu'habitait le + roi, qu'il est arrivé sans guide jusqu'à la chambre de Sa Majesté, + et qu'il a dit que si un gendarme ne s'était pas échappé de ses + mains il prenait le roi dans son lit<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a><a href="#footnote144" title="Lien vers la note 144"><span class="smaller">[144]</span></a>.</p> +</div> + +<p>À cette date s'arrête, dans les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, ce qui est +relatif à ce prince en Westphalie.</p> + +<p>Les mémoires ne reprennent qu'en 1814. Il nous a été possible, à +l'aide de la correspondance diplomatique, de combler cette lacune.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, le 18 octobre 1813.</p> + +<p>Le roi a nommé le général Allix son lieutenant, parce qu'il ne croit + pas pouvoir se mettre en personne à la tête de 4,000 hommes. Il + regrette d'être revenu. Si l'ennemi marche de nouveau contre Cassel, + ou si les troupes qui sont ici ont ordre de marcher ailleurs, il se + retirera d'un pays mûri partout pour la révolte, et en attendant, + lorsque tout est désorganisé, lorsque le service de S. M. I. exige + qu'on ne s'occupe que de rassembler toutes les parties éparses pour + pourvoir aux besoins les <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> plus urgents de l'armée, il ne + médite que des projets de vengeance! Ses premiers dignitaires sont + arrêtés, exilés pour n'avoir pas toujours porté l'ordre, pour + n'avoir pas suivi sa personne, etc. La commission nommée par + Czernischeff, composée des hommes les plus estimables, + fonctionnaires du roi, se dévouant à la circonstance, mais + absolument incapables d'en sentir les difficultés, et commettant des + fautes graves de forme, qu'on convertit en crimes de lèse-majesté, + seront traduits à une commission militaire; son intention, j'en suis + persuadé, est de faire grâce, mais il veut qu'ils soient condamnés à + mort.</p> + +<p>Ces pensées tout à fait étrangères au moment, qui exige d'autres + soins, l'absorbent lui et son lieutenant. M. Siméon voulait revenir, + c'est le roi qui n'a pas voulu, parce qu'il craignait d'en être + contrarié. Toutes les prisons sont pleines. La terreur règne, et le + seul excès criminel qui ait été commis l'a été par un étranger + portant en poche un brevet de duc.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, le 19 octobre 1813.</p> + +<p>Il a fallu interrompre ma lettre d'hier pour me livrer aux visites, + aux rapports, aux lamentations qui de toutes parts affluent autour + de moi. Depuis les ministres du roi jusqu'aux particuliers, personne + ne connaît le but de cette commission militaire appelée à juger la + commission de Cassel nommée par l'autorité du conseil municipal sous + l'autorisation du général russe. Pour m'éclairer enfin, je me suis + décidé à aller directement chez le général Allix, unique moteur de + cette mesure, puisque le roi l'a prise sur ses rapports et puisque + c'est encore sur son rapport qu'elle a été maintenue hier au conseil + des ministres.</p> + +<p>Après une conversation de deux heures qui est devenue d'autant plus + vive que je comprenais moins le général Allix se tournant toujours + dans un cercle vicieux et n'osant pas prononcer le mot qui + trancherait la difficulté, il s'est trouvé que tandis que d'après + l'unanimité des rapports je n'avais vu dans tout ce qui s'est passé + le 30, lors de la reddition de la ville, que la peur des bourgeois, + craignant de voir leur ville et leurs maisons incendiées et + convaincus de l'absurdité de défendre une place ouverte avec moins + de 300 hommes de troupes, le général Allix posait en fait que Cassel + avait été en pleine révolte. Ce fait posé, il n'y avait plus rien à + dire, et la commission militaire était de droit. Mais malheur à + l'homme capable de sacrifier en ce moment la vie d'une vingtaine + d'hommes respectables et, par l'effet que cette procédure peut + produire sur un peuple exaspéré, celle des Français dans le cas + d'une seconde retraite, peut-être la sûreté du roi, peut-être les + ressources les plus précieuses pour la grande armée à un + amour-propre irrité.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Et que c'est là l'unique cause qui a fait établir comme + principe la révolte de Cassel, le général Allix lui-même m'en a + donné la conviction intime. Il m'est impossible, Monseigneur, + d'entrer dans des détails dont la discussion entraînerait des + journées entières: je dois pour cette fois me prévaloir de ma + qualité d'honnête homme et d'homme de sens et demander à être cru + sur ma parole. Aussi ne suivrai-je pas plus loin le général Allix. + Je dirai seulement que tandis qu'il soutient que cette procédure est + nécessaire pour l'exemple, je soutiens, moi, que les hommes dont il + s'agit, eussent-ils mérité de perdre la tête, ce n'est pas le moment + de les mettre en jugement.</p> + +<p>Si après cela je disais que le général Allix a montré du zèle et du + caractère en défendant la ville et surtout en s'empressant d'y + rentrer, il faudrait dire aussi que le général Allix a laissé à une + lieue de la ville, sous la garde d'une sentinelle, six canons que + l'ennemi a enlevés le 28 avec leurs munitions, et que le + commandement de 4 à 5,000 hommes de troupes françaises lui inspire + des projets d'un écervelé.</p> + +<p>Avant d'aller voir le général Allix, j'avais vu M. de Marienrode, + qui m'a montré sur toutes ces affaires la même manière de penser que + moi. Je lui ai demandé s'il avait déjà commencé l'envoi des trois + cents quintaux de farine par jour demandés pour Erfurth. Il m'a + répondu qu'il en avait fait la répartition entre les départements en + omettant ceux qui dans ce moment étaient hors d'état d'y contribuer, + mais qu'il ne lui avait pas encore été possible de faire commencer + les livraisons.</p> + +<p>Les contributions ne rentrent plus, les contribuables demandent + qu'on aille les chercher. Depuis son retour le roi n'a pu réunir + cent mille francs dans son trésor. Les préfets craignent de donner + des nouvelles des mouvements de l'ennemi. La présence du roi et le + devoir de garder sa personne et sa capitale paralysent l'activité de + nos troupes. Il ne les commandera point, il ne s'en séparera point. + J'apprends cependant que M. le duc de Feltre a écrit au comte de + Salha que ces troupes doivent être sous les ordres immédiats du roi. + J'ai trouvé le roi beaucoup plus calme aujourd'hui qu'hier, comme + s'il avait reçu des nouvelles de S. M. I. Il en recevait en ma + présence du général Amey qui lui annonce l'entrée de Tettenborn à + Brême le 15. Un bataillon suisse s'y est rendu par capitulation. Il + sera conduit en France. Un second bataillon s'est retiré avec le + général Lauberdière sur Leipzig.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, le 24 octobre 1813.</p> + +<p>Le roi m'a fait appeler hier soir à onze heures. Le colonel + Lallemand venait d'arriver. Il avait laissé S. M. l'empereur le 18 + sortant de Leipzig à la tête de sa garde impériale. Il était arrivé + à Erfurth au <span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> milieu des troupes qui revenaient. Il s'était + glissé à Gotha à travers les cosaques. Il m'a porté votre lettre du + 6 octobre, que je conserverai éternellement comme le mouvement le + plus touchant et le plus honorable de votre bienveillance et de + votre intérêt.</p> + +<p>L'intention du roi est de se retirer à Marbourg après avoir reçu des + nouvelles de S. M. impériale, à moins qu'il ne soit forcé de le + faire plus tôt. Il a distribué les 8,000 hommes en colonnes mobiles, + en gardes pour sa personne, et en garnison pour Cassel. Il est à + craindre que les événements ne permettent pas à Sa Majesté impériale + de les lui laisser plus longtemps. Prévenu par M. de Feltre qu'elles + devaient être sous son commandement immédiat, il en a donné le + commandement sous ses ordres au général Rigaut, qui est ici. Le + général Allix, blessé de se le voir ôter, a fait de nouvelles + folies. Elles ont indisposé le roi qui lui a donné sa démission; cet + homme pourrait devenir notre perte; en ce moment, il est nécessaire + de l'écarter de toute influence politique.</p> + +<p>Aucun mouvement sérieux ni combiné n'a éclaté en Westphalie. Mais + nous sommes cernés partout. Un nouveau corps de 10,000 hommes avait + dirigé, dit-on, sa marche sur Cassel. Il l'a suspendue. Les cosaques + occupent toute l'autre rive de la Werra. Il en arrive des + patrouilles nocturnes jusqu'à quelques portées de fusil de la ville. + L'ennemi est devant Minden; on s'y est fusillé au pont, mais il ne + paraît pas assez nombreux.</p> + +<p>Que dire? que faire? Ah! si nous pouvions avoir un mot de S. M. + impériale. Nous savons du moins qu'elle se porte bien. Ma conduite + est simple. C'est de partager la destinée du roi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cassel, ce 25 octobre 1813.</p> + +<p>Le roi, décidé à quitter Cassel, soit à cause des inconvénients de + la guerre, soit à cause des embarras de l'administration auxquels il + ne peut remédier, informé en outre ce matin par le général Rigaut + que l'ennemi est réuni en force à Duderstadt, prendra demain la + route d'Arolsen et ensuite celle de Paderborn et de Lippstatt, au + lieu de la route de Wabern et de Marbourg qu'il était résolu de + prendre encore ce matin. Je précéderai S. M. de quelques heures, + surtout parce qu'avec ses troupes et à cheval elle prendra une route + peu praticable pour les voitures. Cette lettre partira après notre + départ et je l'écris au clair, parce qu'il serait possible que + lorsqu'elle rencontrera Votre Excellence, elle ne se trouvât pas à + portée de ses archives. Mon cœur est oppressé, mais le courage et + la confiance ne m'ont point abandonné.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> <p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Arnsberg, dans le grand-duché de Darmstadt, 28 octobre 1813.</p> + +<p>J'envoie cette lettre sous le couvert de M. le duc de Valmy; et + comme, lorsqu'elle parviendra à Votre Excellence, vous aurez reçu + celles que, depuis notre retour à Cassel, je vous avais adressées + par l'entremise de M. d'Hédouville, je ne remonterai dans mon récit + qu'à la veille du second départ du roi de sa capitale. Ce ne sera + même qu'un très court résumé, en attendant la direction que Votre + Excellence me donnera pour les rapports qu'il me reste à lui faire.</p> + +<p>Dès que le roi eut appris par le colonel Lallemand les événements + militaires jusqu'au 18 et l'arrivée du prince de la Moskowa à + Buttelstadt, il se décida d'autant mieux à partir de Cassel, que + d'un côté il se sentait favorisé par l'embarras de ses finances + auquel il ne pouvait remédier, et que d'un autre côté les rapports + qu'il recevait mettaient hors de doute qu'un nouveau corps ennemi + aussi nombreux était en marche sur Cassel.</p> + +<p>Dans la matinée du 26, jour du départ, le canon fut distinctement + entendu à Cassel à deux et à six heures. À six heures, le roi partit + de Napoléonshöhe à cheval, précédé et entouré des troupes qu'il + avait désignées pour former sa garde, et qui étaient composées d'un + bataillon d'infanterie légère, de 2 à 300 grenadiers de la garde, de + 60 gardes d'honneur, d'une compagnie de cuirassiers, d'une de + dragons, tous Français, et d'environ cent gardes du corps, + Westphaliens.</p> + +<p>Les premières mesures avaient été prises pour se retirer par + Marbourg. Le roi préféra ensuite la route directe de Cologne ou de + Dusseldorf par les montagnes. Celle qui conduit de Napoléonshöhe à + Arolsen étant impraticable pour les voitures, le roi, comme je n'ai + pas l'habitude du cheval, m'engagea à prendre la route de poste et + me chargea de dire au prince de Waldeck qu'il désirait d'être reçu + sans cérémonie et de pouvoir être à Arolsen comme s'il était chez + lui. J'avouerai, Monseigneur, que je ne trouvai aucune difficulté à + porter la cour de Waldeck à se conformer aux désirs de S. M. Le roi + prétend savoir que, lors de la première apparition des Russes, le + prince a fait avec eux un traité de neutralité. Quoi qu'il en soit, + la peur de se compromettre et le malaise où l'arrivée du roi mettait + cette petite cour se sont montrés par plusieurs traits, dont + quelques-uns dans d'autres circonstances mériteraient d'être + relevés.</p> + +<p>Nous trouvâmes à Arolsen les ministres de Saxe et de Darmstadt. Le + premier, qui y était avec sa famille, paraissait décidé à ne point + retourner encore en Saxe, le second manifestait le désir de se + rendre promptement auprès de son maître.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> Le 27, le roi partit à 7 heures du matin par Jadsbrogne + pour Bridsove dans l'ancien duché de Westphalie, route de neuf à dix + lieues, par des chemins presqu'impraticables. Aujourd'hui, S. M. est + arrivée par Meschede à Arnsberg, capitale du même duché. Demain, + elle se rendra à Iserlohn, dans le grand-duché de Berg, sept lieues; + après demain, sept lieues, à Hagen, où elle attend ses équipages qui + viennent par Paderborn, Lippstadt et Hamm. Le 31, on ira à Lennep, + neuf lieues, et le 1<sup>er</sup> novembre à Cologne.</p> + +<p>Les trois journées depuis Cassel ont été fatigantes pour les + troupes, aussi l'infanterie est-elle restée à Meschede. Ce sera à + Hagen que les troupes se trouveront toutes réunies.</p> + +<p>Le roi n'a eu, à ma connaissance, de nouvelles directes de Cassel + que par une seule lettre du général Rigaut. Ce général n'avait plus + laissé d'avant-poste qu'à Liebenau; il comptait évacuer Cassel + aujourd'hui en se retirant par Paderborn; c'est par cette route que + s'est retiré tout ce qui n'a pas suivi le roi. Les ministres sont + partis comme nous, mardi 26, mais à six heures du soir. Le + lendemain, M. de Malartie est arrivé avec eux à Paderborn. Une + escorte de 250 hussards Jérôme-Napoléon les accompagnait; dès qu'ils + ont été passés, les paysans ont commencé à commettre des excès; + quelques Français ont été pillés.</p> + +<p>Le général Allix est parti pour la France.</p> + +<p>Le 25, le prince d'Eckmuhl était encore à Ratsbourg. Le 21, le + général Lauberdière était rentré à Bremen.</p> + +<p>J'expédierai, Monseigneur, cette lettre d'Iserlohn et j'y ajouterai, + s'il y a lieu, ce que la journée de demain pourra apporter de + remarquable.</p> + +<p>Le roi n'ayant reçu à Iserlohn aucune nouvelle et la poste n'étant + pas partie, je continue ma lettre d'ici, où S. M. est arrivée à + quatre heures du soir. Ses équipages l'avaient jointe à Hagen. Elle + avait fait à cheval, heureusement, par un temps assez beau, toute + cette route, où nous avons passé par les chemins les plus + abominables que j'aie jamais rencontrés.</p> + +<p>Le général Wolff et le colonel Verges, partis le 24 d'Eisenach d'où + ils ont encore ramené 50 cavaliers du beau régiment des + chevau-légers, sont arrivés aujourd'hui de Cassel, qu'ils avaient + quitté dans la matinée du 27. Alors tout y était calme; le général + Rigaut ne paraissait pas encore disposé à partir et l'ennemi, qui + s'était avancé contre lui, paraissait avoir pris une autre + direction.</p> + +<p>Le comte Beugnot est arrivé de Dusseldorf pour prendre les ordres du + roi. Ce matin encore, l'intention de S. M. était de se rendre + directement à Cologne; j'ignore si elle en a changé. Comme demain + les troupes doivent se réunir et se reposer à Elberfeld, il est + possible que le roi passe aussi la journée dans cette vallée si + remarquable par les <span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> enchantements que l'industrie et la + liberté du commerce y avaient produits.</p> + +<p>Le roi étant en correspondance suivie avec M. le duc de Valmy et ne + m'ayant pas prévenu de l'envoi de ses courriers ni de ses officiers, + dont l'un a été expédié au roi de Naples, je dois d'un côté supposer + Votre Excellence déjà instruite du voyage de S. M., et les cinq + jours depuis notre départ de Cassel s'étant passés en route, sans + événements et sans nouvelles, j'ai d'un autre côté jugé inutile de + prendre une voie extraordinaire pour vous transmettre des détails + sans intérêt.</p> + +<p>J'apprends à l'instant que M. le comte Beugnot est reparti + subitement pour Dusseldorf et qu'il doit revenir demain, j'en + conclus que le roi aura pris la résolution de partir pour + Dusseldorf, où il pourra en même temps très convenablement laisser + ses troupes.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Ce 31.</p> + +<p>M. le comte Beugnot est retourné hier à Dusseldorf, parce que dans + les circonstances actuelles et chargé de l'approvisionnement de + Wesel, il ne peut guère s'en absenter. Le roi passera la journée + ici. Il est un peu incommodé, mais demain il se rendra droit à + Cologne.</p> + +<p>J'ai reçu des nouvelles de M. de Malartie de Lippstadt. Il est parti + de Cassel le 26 après les ministres et après avoir mis ordre à tout + ce dont je l'avais chargé. Il a prouvé que si, lors de la première + surprise, il n'avait pas encore l'habitude du danger, il lui avait + été très facile de la prendre; et j'ai lieu d'être satisfait sous + tous les rapports de sa conduite.</p> + +<p>J'ai reçu aussi de M<sup>me</sup> la princesse de Detmold une lettre qui est + un document très convenable de son dévouement à la Bavière et à la + cause de S. M. l'empereur. Les deux officiers français dont j'ai + parlé à Votre Excellence, chargés d'organiser le contingent de la + Lippe et partis de Cassel le 20, ne sont arrivés à Detmold que le + 25. Votre Excellence pensera sûrement qu'en ce moment leur mission a + cessé d'être utile.</p> + +<p>Le roi paraît persuadé que le général Rigaut a évacué Cassel le 27. + S. M. craint qu'il ne se soit trop pressé.</p> + +<p>J'éprouverai, Monseigneur, un bonheur extrême en recevant les + premières nouvelles qui m'annonceront votre heureuse arrivée à + Mayence. J'attends soit à Cologne, soit auprès du roi, si S. M. + quitte cette ville, les ordres que vous aurez la bonté de me faire + parvenir.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cologne, le 3 novembre 1813.</p> + +<p>Le roi est arrivé à Cologne le 1<sup>er</sup> à quatre heures du soir; je l'ai + suivi de près. Hier sont arrivés les comtes de Höne, de Wolfradt, de + <span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> Marienrode, M. de Bongars, etc., qui avaient pris la route + de Paderborn. M. de Malartie, qui était avec eux, est arrivé ce + matin. Je viens de voir le roi après M. de Rumigny, auquel S. M. + était très impatiente de parler. Elle avait reçu hier une lettre de + M. le duc de Valmy, écrite au nom de S. M. impériale, et qui lui + annonçait que M. le duc de Tarente allait prendre le commandement + des troupes sur toute la ligne du Rhin depuis Mayence jusqu'à Wesel. + Le roi m'a dit qu'il attendrait certainement M. le maréchal à + Cologne, mais informé par M. de Rumigny que S. M. impériale partait + pour Paris, il m'a montré un grand désir de la suivre dès que M. le + duc de Tarente aurait pris le commandement. Ce sera une chose à + concerter entre S. M. et S. Exc.</p> + +<p>Quant à la mission de M. de Rumigny, il n'est que trop douteux s'il + pourra la remplir dans toute son étendue. Le roi m'a dit que le + général Amey, réuni au général Lauberdière, a quitté Minden, que les + avant-postes et l'arrière-garde du général Rigaut ont déjà été + attaqués par les Russes à Lippstadt, j'ignore quel jour, + probablement le 31, et que le prince d'Eckmuhl ayant demandé à se + retirer sur le Rhin, l'ennemi lui a répondu qu'il fallait se rendre + prisonnier. M. de Rumigny écrit en ce moment à Votre Excellence, + chez moi. Il continuera ensuite sa route par Wesel. Les affaires de + la conscription avaient conduit M. le préfet de la Roer à Cologne. + Le roi l'a trouvé ici. Les lettres dont M. de Rumigny est porteur + pour lui lui ont été remises. Il les a lues en notre présence, et à + chaque paragraphe il a dit que c'était fait.</p> + +<p>Le roi a congédié la plupart de ses gardes du corps qui l'avaient + suivi jusqu'à Cologne. Avant de quitter Cassel, il leur avait laissé + la liberté de le suivre ou de rester. Cependant en route, lorsqu'on + approchait du Rhin, plusieurs, même les officiers, avaient déserté. + Les Westphaliens qui restaient avaient demandé la permission de + retourner chez eux. Refusée d'abord, elle vient de leur être + accordée.</p> + +<p>Le roi attend décidément M. le duc de Tarente à Cologne. Si, comme + on nous l'assure, l'ennemi est à Montabaur, il est à craindre que M. + le maréchal ne s'arrête à Coblentz.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cologne, le 5 novembre 1813.</p> + +<p>Le roi est parti ce matin à neuf heures pour Aix-la-Chapelle. J'ai + vu S. M. hier en sortant d'une longue conférence qu'elle avait eue + avec M. le duc de Plaisance, qui était arrivé la veille et lui avait + porté une lettre de S. M. impériale. Il résulte de ce que le roi m'a + dit que S. M. impériale ne désire point qu'il choisisse le moment + actuel pour se <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> rendre à Paris, et qu'elle préfère que le + roi établisse sa résidence provisoirement dans l'un des quatre + départements du Rhin. Le roi, après avoir conféré avec M. le préfet + de la Roer, s'est décidé pour Aix-la-Chapelle. Dans le commencement + de sa conversation avec moi, S. M. disait qu'elle y passerait deux + ou trois jours; vers la fin, elle a parlé de trois semaines ou d'un + mois, et comme l'ordre a été donné d'y louer pour le roi une maison + entière, je ne doute point que son intention ne soit d'y attendre + les directions ultérieures de son auguste frère.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Bassano à Reinhard.</p> +<p class="date">Mayence, le 4 novembre 1813.</p> + +<p>Je n'apprends qu'en ce moment que S. M. l'empereur a écrit de + Westphalie au roi par M. le duc de Plaisance, que son intention est + que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Save, + de la Roer ou du Rhin-et-Moselle et qu'elle y fasse venir la reine. + Les dispositions de S. M. à cet égard sont précises, et elle désire + que le roi ne s'en écarte point. Elles sont déterminées par des + considérations telles que si le roi ne s'y conformait pas, + l'empereur serait obligé de prendre, même envers sa personne, des + mesures pour en assurer l'exécution. S. M. juge convenable que vous + vous expliquiez avec le roi à ce sujet, en mettant dans cette + explication toutes les formes et tous les ménagements possibles. Le + but sera rempli si le roi est bien persuadé des intentions bien + positives de l'empereur.</p> + +<p>L'empereur a été également mécontent de ce que le roi a fait et de + ce qu'il n'a pas voulu faire. Il ne veut pas donner à Paris et à la + France le spectacle d'un roi détrôné qui, dans son malheur, n'a pas + la consolation d'avoir laissé des amis dans le pays qu'il a + gouverné. Il ne permet pas au roi de venir à Mayence. Le roi n'ayant + jamais voulu suivre les conseils de l'empereur ni faire aucune des + choses qui importaient si entièrement à son intérêt et à celui de sa + couronne, ses entrevues avec S. M. ne pouvaient, d'après de telles + dispositions, qu'être pénibles et sans objet.</p> + +<p>La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris, a déplu à + l'empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux + chagrins dans sa position actuelle, en faisant venir la reine près + de lui.</p> + +<p>S. M. a su récemment, et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement, + que la reine s'occupe avec des gens d'affaires à acheter pour le roi + des maisons de plaisance aux environs de Paris, et notamment le + château de Stains. D'après le statut de famille, un prince sur un + trône étranger ne peut rien posséder en France sans la permission de + l'empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Ils sont + d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement + comment un <span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span> roi dans sa position, et lorsque la France + n'est occupée que des sacrifices à faire pour soutenir l'honneur + national, se livre à des projets qui lui sont personnels.</p> + +<p>Ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, c'est que ni + le roi ni la reine ne fassent parler d'eux. Moins ils feront de + bruit, mieux cela vaudra. Le roi est à sa place dans un département + voisin de ses États. Il serait, par exemple, d'une manière très + convenable au château de Bruhl. La manière d'être la plus simple et + l'attitude la plus modeste sont les convenances impérieuses du + moment. S. M. fait sans doute une grande différence entre le roi de + Westphalie et le roi d'Espagne; cependant elle a voulu que ce + dernier ne vînt point à Paris, restât à Mortefontaine, n'y vît ni + les ministres, ni les sénateurs, ni aucun des fonctionnaires + publics, et se tînt dans l'incognito le plus complet.</p> + +<p>S. M. m'a ordonné d'entrer avec vous dans ces détails pour votre + gouverne. Elle a pour but que le roi sache bien à quels désagréments + il s'exposerait en s'écartant de ses volontés. Usez du reste de ces + communications avec prudence et pour prévenir des fautes contre + lesquelles S. M. devrait sévir; mais ayez soin de n'aigrir ni + humilier personne. S. M. s'en repose sur votre tact et votre + excellent esprit.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Cologne, le 6 novembre 1813.</p> + +<p>Le courrier qui m'a apporté les deux dépêches de Votre Excellence, + datées du 4, m'a trouvé à ma campagne, où j'étais allé ce matin avec + l'intention de revenir ce soir. Ma lettre d'hier vous aura informé, + Monseigneur, que le roi est parti hier pour Aix-la-Chapelle. + J'ajouterai qu'il avait envoyé le maréchal de sa cour pour y louer + une maison pour un mois, aux conditions dont il était convenu avec + M. le préfet du Roer et, comme il paraît, après avoir fait tomber M. + le duc de Plaisance d'accord avec lui sur la convenance de ce + séjour. Quant à la reine, le roi m'avait dit lui-même que S. M. + impériale lui avait écrit qu'il était le maître de la faire venir + auprès de lui s'il voulait.</p> + +<p>Ce qui m'importe le plus, Monseigneur, c'est d'être assuré que le + roi ne quittera pas Aix-la-Chapelle avant que je ne me sois acquitté + auprès de S. M. des ordres que j'ai reçus de Votre Excellence. + Malgré la certitude qui paraît résulter des données que je viens + d'exposer, je serais parti cette nuit même si M. le préfet de la + Roer, précédé d'un courrier, ne partait pas demain matin, et dans + l'impossibilité où je prévois que je serais d'aller plus vite que + lui, je suis convenu avec lui de lui remettre une lettre pour M. de + Furstenstein, que son courrier portera dès le moment de son arrivée, + et qui, je n'en doute point, produira l'effet que je désire, dans le + cas même, si improbable qu'il soit, où le <span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> roi, changeant + encore de résolution, aurait voulu quitter Aix-la-Chapelle + après-demain.</p> + +<p>Par ce moyen, je gagnerai la journée de demain pour remplir l'autre + commission dont Votre Excellence m'a chargé. Attendu la difficulté + de trouver des hommes propres aux genres d'informations que vous + demandez, je regrette infiniment de n'avoir pas reçu vos ordres + seulement deux fois vingt-quatre heures plus tôt. J'aurais alors pu + retenir quatre ou cinq gendarmes westphaliens, gens éprouvés et + Allemands, que le roi a congédiés et qui ont repassé le Rhin hier. + Je fais en ce moment prendre des informations pour connaître tous + les Westphaliens de cette classe, ou à peu près, qui peuvent encore + se trouver à Cologne. Je laisserai M. de Malartie ici pour suivre + cet objet pendant mon absence à Aix-la-Chapelle, où peut-être je + trouverai moi-même une partie de ce que je cherche.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, le 9 novembre 1813.</p> + +<p>Hier, après mon arrivée, je suis allé voir M. le comte de + Furstenstein; il me suffisait d'avoir encore honoré le roi. Je me + suis borné à dire à son ministre que les instructions de S. M. I. + étaient positives sur deux points: le premier que le roi élirait + pour sa résidence quelque château situé dans un des trois + départements de la Roer, de la Save et de Rhin-et-Moselle, et le + second que S. M. fit venir la reine auprès d'elle. M. de Furstentein + m'a dit que le roi me recevrait à son lever.</p> + +<p>Je m'y suis rendu, il n'y a point eu de lever. Le général Wolff + venait d'arriver de Mayence. À onze heures j'ai obtenu d'être + annoncé et le roi m'a fait dire qu'il me recevrait à une heure.</p> + +<p>Il est deux heures. Le roi m'a reçu avec une espèce de cérémonial. + Je suis entré en matière en lui disant exactement ce que j'avais + déjà dit à M. de Furstenstein; j'ai ajouté que, d'après ce que S. M. + m'avait dit elle-même, ce que renfermait la lettre de Votre + Excellence devait déjà en grande partie lui être écrit. Le roi m'a + répondu que quant au choix de sa résidence, le général Wolff, parti + de Mayence soixante heures après ma dépêche, lui avait porté des + propositions différentes, et qu'il lui était impossible de faire + venir la reine aux avant-postes. J'ai insisté sur les deux points; + j'ai dit que les instructions de S. M. I. à cet égard étaient + positives et dictées par des considérations de la plus haute + importance et que j'avais l'ordre de le déclarer. J'ai répliqué à + plusieurs observations que le roi avait faites, comme par exemple + qu'il était toujours souverain, et peut-être le seul souverain resté + fidèle, qu'on voulait attenter à sa liberté personnelle, aux droits + qu'un mari avait sur <span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> sa femme, etc. J'y ai répliqué, + dis-je, avec modération, et par des raisonnements fort aisés à + trouver, mais le roi s'est emporté de plus en plus.—«Au surplus, + a-t-il continué, c'est une affaire de famille entre l'empereur et + moi; et si l'empereur vous charge de me dire quelque chose, + adressez-vous à M. le comte de Furstenstein.»—«C'est à Votre + Majesté, ai-je dit, que j'ai été chargé de faire connaître les + volontés de l'empereur, et puisque c'est une affaire entre lui et V. + M., elle ne voudra pas y faire intervenir un tiers. Il me suffit au + reste que V. M. ait bien entendu la mission dont j'étais chargé, et + il ne me reste qu'à rendre compte de la réponse qu'elle vient de me + faire. Mais V. M. me permettra-t-elle de lui dire qu'il est + impossible que ce qu'elle a entendu de moi et ce qui est si + pleinement dans les convenances politiques et dans les vôtres, sire, + ait produit sur elle l'effet que je vois?»</p> + +<p>Alors le roi m'a dit: «Oui, j'ai le cœur plein d'amertume et je + ne le montre qu'à vous. Je sais qu'on traite en ce moment de mon + royaume, qu'on en traite sans moi, et peut-être on l'a déjà cédé. + J'ai demandé comment le roi le savait. L'empereur l'a dit, ou à peu + près, au général Wolff, et je le sais encore par d'autres sources. + Comment l'empereur justifiera-t-il ce procédé envers un souverain et + frère si fidèlement dévoué, aux yeux de l'Europe?»—J'ai répondu + qu'aux yeux de l'Europe le roi ne pouvait jamais avoir raison contre + l'empereur, que supposé qu'il fût vrai, qu'il fallût céder, ce que + le frère de l'empereur perdait, l'empereur le perdait également, et + que c'était peut-être le moment de lui rappeler que dans d'autres + époques il m'avait souvent témoigné que la couronne lui pesait.</p> + +<p>Dans une autre occasion, je me suis permis de lui dire qu'en ce + moment S. M. ne devait pas s'étonner si S. M. I. considérait moins + ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Ce mot a + changé la tournure de la conversation.—«Oui, a dit le roi, + l'empereur est dans un moment malheureux; il est contrarié, je le + sens; aussi n'écrivez rien qui puisse déplaire. Je ne défends que + mes droits personnels.»—Quant aux propositions portées par le + général Wolff, le roi m'a parlé du château de Pont où S. M. I. lui + permettrait de se rendre lorsqu'il le demanderait. «Cette retraite, + m'a-t-il dit, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi, qui + préfère Aix-la-Chapelle; pour appeler la reine près de lui, c'est le + château de Laeken (près Bruxelles) qui réunit toutes les + convenances; jamais mon intention n'a été de me rendre en ce moment + à Paris, etc.»</p> + +<p>La poste me presse, Monseigneur, je n'ai ici ni estafette ni + courrier hors celui que m'offre le roi. Je réserve pour demain + plusieurs particularités.</p> + +<p>En résumé, je dois dire que le roi me paraît décidé à ne point faire + <span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> venir la reine à Aix-la-Chapelle. Quant au séjour de Pont, + ses objections m'ont paru faibles; mais j'ai écarté toute discussion + à ce sujet comme étant étrangère à ma mission.</p> + +<p>J'ai dit au roi tout ce qui pouvait se dire dans les limites de ma + mission et dans la situation actuelle de son âme. J'ai d'ailleurs pu + me convaincre que ce qu'il avait appris par d'autres sources ne lui + permettait point de se méprendre sur l'esprit de mes instructions et + qu'il n'ignorait pas même ce qui concerne la nécessité éventuelle + des mesures à prendre contre sa personne.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.</p> + +<p>À peine ma lettre de ce jour avait-elle été envoyée à la poste pour + Mayence, que le roi m'a fait appeler pour me dire qu'un de ses + courriers avait rencontré S. M. I. à Verdun, et qu'il lui avait + parlé. Il paraît que l'intention du roi est d'aller à Pont, comme + d'après ce que S. M. m'a dit hier. Elle en avait reçu la proposition + de S. M. l'empereur par le général Wolff. Quant à moi qui ne connais + que mes ordres, je ne puis faire autre chose que de les répéter au + comte de Furstenstein et de mettre sur sa responsabilité personnelle + ce qui pourrait se faire de contraire aux instructions de S. M. I. + dans une circonstance où le roi m'assure que des indications + postérieures qu'il a reçues de S. M. I. ont rendu mes instructions + superflues. Ce ministre sort de chez moi. Je dois rendre justice à + sa manière de voir, à ses alarmes, à ses efforts. Je porterai cette + lettre à S. M., qui est pressée d'envoyer son courrier; je la lui + lirai, je la conjurerai d'attendre au moins une lettre de son + auguste frère, qui ne saurait tarder. Dieu veuille que nous soyons + écoutés.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.</p> + +<p>Il était évident que le roi avait différé de me recevoir pour se + recueillir après les nouvelles que lui a portées le général Wolff et + pour prendre une détermination préalablement à son entretien avec + moi. Je me flattais qu'il aurait renoncé au château de Laeken et que + la seule question importante serait de savoir si S. M. I. consentait + à ce que le roi restât à Aix-la-Chapelle. Je ne prévoyais aucune + difficulté sur le voyage de la reine. M. de Furstenstein avait déjà + parlé à Cologne de la proposition d'habiter le château de Brühl. + Deux considérations importantes <span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span> ont empêché le roi de + l'occuper: l'une qu'il n'est qu'à la distance d'une petite lieue des + bords du Rhin, et qu'il aurait fallu une force armée pour mettre S. + M. à l'abri des incursions des partisans; l'autre que le château + n'est pas meublé et se ressent fortement de l'abandon total où l'a + laissé le prince d'Eckmuhl depuis qu'il en est possesseur. Si le roi + était venu l'habiter, ma maison de campagne, ancienne dépendance de + ce château, aurait servi d'avant-garde, et je me serais trouvé fort + heureux d'être le voisin et en quelque sorte le vassal de Sa + Majesté.</p> + +<p>Lorsque j'ai parlé au roi de quelque château dans les trois + départements indiqués et voisin de ses États, il m'a parlé de + châteaux voisins de Paris. «C'est précisément des châteaux voisins + de Paris que l'empereur ne veut pas que l'on habite en ce moment-ci. + L'empereur sait qu'on s'y occupe déjà des acquisitions de châteaux + pour V. M., ce qu'il trouve irrégulier à cause du statut de famille + et inconvenable dans les circonstances actuelles.»—«Le statut de + famille, me répondit le roi, n'a pas empêché le roi d'Espagne + d'habiter Mortefontaine.»—«Mais il l'aura acquis de l'agrément de + l'empereur et il l'habite sans voir personne et dans le plus grand + incognito; c'est même ce que je suis chargé de représenter à V. + M.»—«Sans voir personne? Le roi d'Espagne va seulement coucher + toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour + s'amuser. Jamais je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle: 500 + cosaques peuvent arriver par Dusseldorf, rien ne les en empêche. La + place de la reine n'est pas aux avant-postes, tandis qu'à Laeken + elle est à quatre-vingts lieues du Rhin.» J'ai répondu que les + cosaques n'arriveraient point plus facilement à Aix-la-Chapelle qu'à + Laeken. «Oui, c'est comme quand on était à Dresde, on disait qu'ils + ne passeraient pas l'Elbe. Si l'empereur veut que je fasse venir la + reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'impératrice?»—«Parce que + l'impératrice est chez elle et que la reine est chez l'empereur, + qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut pas la recevoir + malgré lui.»—«Eh! bien, je lui ordonnerai d'aller chez elle; je la + suivrai, mais ce sera moi seul qui commanderai à ma femme. Je sais + que je suis sous la puissance du plus fort; mais on sait que j'ai du + caractère; je m'exposerai plutôt à une esclandre, et il faudra que + celui qu'on m'enverra pour me forcer soit bien ferme sur ses + étriers. Que l'empereur attende encore quinze jours, et il verra ce + qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois + des traîtres (comme ce roi de Suède) affermis sur leur trône, et moi + seul, constamment resté fidèle, je perds le mien. On m'a fait des + propositions pour rester à Cassel; je les ai rejetées; l'empereur le + sait, il l'a dit au général Wolff. (Si Votre Excellence a reçu ma + dépêche n<sup>o</sup> 527 du 22 septembre, elle y aura trouvé le récit d'une + conversation avec le roi qui semble s'y rapporter.) Je pourrais + passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes États, et + j'y serais <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> bien reçu!» Je me suis borné à répondre que S. + M. serait bien malheureuse séparée de l'empereur comme une branche + de son tronc<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a><a href="#footnote145" title="Lien vers la note 145"><span class="smaller">[145]</span></a>.</p> + +<p>C'est lorsque le roi me vantait les services qu'il avait rendus à S. + M. I. que je lui ai dit qu'en ce moment l'empereur considérait moins + ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Soit + adresse, soit promptitude, le roi a pris pour un assentiment ce qui + était un reproche, et je n'ai pas jugé convenable de contrarier le + changement de ton qui s'en est suivi.</p> + +<p>J'ai pensé, Monseigneur, qu'il importait à Votre Excellence de + connaître à fond les dispositions actuelles de l'âme du roi. Je puis + l'assurer qu'elle était telle antérieurement à sa conversation avec + moi; peut-être même était-ce son dessein de me la montrer exaltée; + d'ailleurs il s'est assez dit des paroles (le roi lisait des lettres + que lui a portées le général Wolff) pour m'expliquer ce qui se + passait en lui. Je l'ai laissé calme, écartant l'attitude du roi + vis-à-vis du ministre, parlant de son auguste frère avec des + expressions et des sentiments où j'ai retrouvé sa raison et son + cœur et espérant tout d'un délai de quelques jours.</p> + +<p>Le roi me disait hier qu'il était toujours roi, toujours souverain. + «Souverain, ai-je répondu, V. M. ne l'est pas ici.»—«Oui, je le + suis ici, et même plus qu'à Cassel.» J'ai résolu de ne plus aller à + la cour que lorsque le roi me ferait appeler. Je me suis défendu à + Cassel de l'habitude des salons de service dont M. de Furstenstein + est le pilier. Il paraît qu'il a voulu me la faire prendre hier, + mais il me trouvera indocile. Ces petites considérations n'influent + certainement pas sur ma manière de traiter les affaires; mais depuis + Cologne les choses ont été poussées assez loin pour qu'il soit bon + que Votre Excellence en soit informée. La manière dont ce favori + était avec le roi pendant le dernier voyage était assez curieuse. Il + boudait visiblement à cause des disgrâces que le roi aurait fait + éprouver à son frère et à la famille de son frère; il prenait même + la liberté de contredire et d'aller quelquefois en voiture lorsque + le roi voulait impitoyablement qu'il allât à cheval. Le roi le + caressait en l'agaçant. Pendant les repas il lui lançait des + boulettes de pain; il l'appelait traître et perfide. Enfin la paix a + été faite.</p> + +<p>Il paraît que tous les officiers restés en arrière sont actuellement + réunis autour du roi. Les généraux Lajou, Zandt, comte de Wittenberg + et plusieurs autres officiers sont arrivés après avoir quitté le + <span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> général Rigaut à Elberfeldt. Ils espèrent tous d'entrer au + service de S. M. I. et je crois qu'en général l'acquisition sera + très bonne. Ce sont des Français, à l'exception de six ou huit + Allemands dont la fidélité a été éprouvée par les événements.</p> + +<p>De tous ces officiers, le seul qui m'ait paru jouer un rôle + maussade, c'est le capitaine-général de gardes.</p> + +<p>Le prince de Löwenstein, pauvre prince, pauvre mari, pauvre + officier, est auprès du roi en qualité de premier chambellan, à + cause de la princesse son épouse, seule dame à la suite de S. M. Le + comte de Furstenstein la craint, et il la dit très méchante, très + intéressée, et il peut avoir raison; il croit qu'il sera bien + difficile de l'éloigner du cœur du roi, et en effet c'est la + seule femme de la cour qui se soit toujours conduite avec adresse et + en poursuivant un but qu'elle est parvenue à atteindre.</p> + +<p>Le roi a fait vendre à Cologne, au plus vil prix, un assez grand + nombre de chevaux, parmi lesquels était un bel attelage de six + chevaux qui ont été vendus pour 1,900 fr. On a vu avec regret que + dans ces ventes on avait compris les chevaux des gardes du corps, + que le roi renvoyait après leur avoir fait ôter leurs uniformes, que + plusieurs étaient hors d'état de remplacer par d'autres habits, et + sans leur faire payer la solde qu'il avait cependant touchée du + trésor. C'est désespérés de ce délaissement et se proposant de le + publier partout que ces jeunes gens sont partis.</p> + +<p>Le général Bongars est encore ici, quoique réduit à une parfaite + nullité. Il avait amené cinq gendarmes qu'il a été obligé de mettre + à la disposition du comte de Malsbourg, grand écuyer. J'en ai + demandé quelques-uns au roi, pour m'en servir pour la commission + dont Votre Excellence m'a chargé. Le roi me les a refusés, disant + qu'il en avait besoin pour escorter ses bagages. Toutes les + communications entre les deux rives du Rhin étant déjà à peu près + rompues, je crains que M. de Malartie ne trouve beaucoup de + difficultés pour remplir les vues de Votre Excellence. Les + correspondances de commerce sont les meilleures; je lui ai indiqué + quelques maisons, mais je me suis convaincu qu'il vaudra mieux + profiter des nouvelles qu'elles reçoivent pour leur compte que + d'effaroucher leur pusillanimité en leur demandant des services + directs. M. le duc de Tarente m'a promis aussi de faire connaître à + M. de Malartie ce qui parviendrait à sa connaissance. Ici nous + sommes sans nouvelles, le roi lui-même n'en a point.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p> + +<p>Je viens de recevoir un billet officiel de M. le comte de + Furstenstein <span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> qui me prévient que le roi partira cette nuit + pour Pont-sur-Seine. J'ai l'honneur d'en transmettre la copie à + Votre Excellence, ainsi que celle de ma réponse. C'est tout à fait + malgré moi que j'ai écrit dans cette circonstance pénible et + délicate, mais le roi m'y a forcé. Si je n'eusse pas répondu au + billet de M. de Furstenstein, il aurait pris tout ce qui s'était + passé verbalement pour de vaines paroles. Il a fallu employer pour + le retenir, s'il était possible, le seul moyen qui me restait.</p> + +<p>Voilà, Monseigneur, ma mission terminée. Peut-être les circonstances + nouvelles justifieront-elles l'impatience du roi. Mais il est + malheureux qu'il n'ait pas voulu sentir ce qu'il devait au moins aux + apparences pour montrer le prix qu'il mettait à sa couronne. C'est + là encore ce que je m'étais efforcé de lui représenter; mais, + pénétré de l'idée qu'on traitait de la cession de son royaume, il + s'est surtout irrité, non contre la proposition de résider dans un + des trois départements désignés, mais contre le motif comme étant + voisin de ses États.</p> + +<p>Je n'ai rien à ajouter à ma lettre d'hier. Je ne prendrai pas congé + du roi, à moins que S. M. ne me fasse appeler.</p> + +<p><i>P. S.</i>—J'apprends par le ministre de la guerre (car je ne suis + point allé aujourd'hui à la cour et je n'ai point vu M. de + Furstenstein) que le roi laisse ici sa maison avec tous les + services, sous la direction de M. le comte Marienrode (Malchus).</p> + +<p>Le nombre des officiers venus avec le roi ou venus le joindre, et + devant toucher leur solde, est de quatre-vingt-treize. Ils seront + tous payés jusqu'au 1<sup>er</sup> novembre. M. Höne estime à soixante-dix le + nombre de ceux qui demanderont à servir en France.</p> + +<p>On attendait aujourd'hui les ennemis à Deutz, vis-à-vis de Cologne.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Copie du billet de M. de Furstenstein.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p> + +<p>J'ai l'honneur de prévenir V. Exc. que le roi mon maître se mettra + en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine, + appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé + convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a><a href="#footnote146" title="Lien vers la note 146"><span class="smaller">[146]</span></a>.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Reinhard au comte de Furstenstein.</p> +<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p> + +<p>Je viens de recevoir le billet que V. Exc. m'a fait l'honneur de + <span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> m'écrire pour me prévenir que S. M. le roi se mettra en + route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine + appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé + convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur. Après les + communications verbales que j'ai eu à faire à V. Exc. et après la + connaissance que j'ai eu l'honneur de donner directement à S. M. des + intentions de l'empereur mon maître, il ne me reste qu'à répéter que + les volontés de S. M. I., telles que M. le duc de Bassano me les a + fait connaître par une dépêche du 4 novembre envoyée par courrier, + sont positives sur deux points; le premier que S. M. s'établisse + dans un château des départements de la Sarre, de la Roer ou du + Rhin-et-Moselle; et le second qu'elle y fasse venir la reine. Cette + dépêche ajoute que les intentions de S. M. impériale sont + déterminées par des considérations telles que, si le roi ne s'y + conformait pas, l'empereur serait obligé de prendre des mesures pour + en assurer l'exécution.</p> + +<p>Mon devoir, Monsieur le comte, se bornait à faire bien entendre à S. + M. que telles sont les volontés de son auguste frère. Je ne puis + m'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications + directes que le roi a pu recevoir depuis. Après avoir satisfait, + dans cette circonstance pénible, autant qu'il était en moi, à ma + responsabilité et à ma conscience, il ne me reste qu'à rendre compte + à mon gouvernement de la détermination que le roi a prise.</p> +</div> + +<p>Le brusque départ de Jérôme de l'armée en 1812, après l'ordre secret +de l'empereur dont le prince d'Eckmülh s'était si brutalement +prévalu, avait irrité Napoléon contre son frère au point de +l'empêcher d'avoir pour lui les mêmes égards qu'autrefois.</p> + +<p>Les lettres du baron Reinhard, empreintes d'une grande vérité, ses +rapports secrets n'étaient pas de nature à ramener l'harmonie entre +les deux frères. Napoléon n'écrivait plus que très rarement, et pour +les affaires de politique et de guerre, à Jérôme. Il lui refusait +les moyens de soutenir, de sauver la Westphalie, ne s'attachant qu'à +la conservation des places-fortes (comme celle de Magdebourg) qui +pouvaient jouer un grand rôle dans son système.</p> + +<p>À la fin de 1813, la désobéissance du roi aux ordres qu'il lui avait +fait donner par le duc de Bassano pour sa résidence, ordres dont +Jérôme s'était affranchi, malgré tout ce qu'avait pu faire et écrire +l'empereur, le froissa de plus en plus. Les choses en arrivèrent à +ce point que ce dernier ne voulut recevoir à Paris ni son frère ni +la reine Catherine, qu'il aimait et estimait beaucoup.</p> + +<p>Jérôme partit d'Aix-la-Chapelle avec quelques personnes de sa +<span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span> suite le 11 novembre 1813, malgré les représentations du +baron Reinhard, pensant bien que Napoléon n'userait pas de violence +pour le retenir. Il passa quelques instants au château de +Pont-sur-Seine chez Madame Mère et rejoignit sa femme chez le roi +Joseph, au château de Mortefontaine, près Senlis.</p> + +<p>Le 29 novembre, il fit demander à l'empereur de le recevoir. +L'empereur refusa. Alors Jérôme, qui avait fait l'acquisition du +joli château de Stains, près Saint-Denis, une des causes, on l'a vu, +qui avaient mécontenté l'empereur, fut avec sa femme y fixer sa +résidence.</p> + +<p>Napoléon quitta Paris pour se rendre à l'armée. L'impératrice +Marie-Louise lui ayant témoigné le désir de voir Jérôme, il lui +défendit de recevoir le roi et la reine de Westphalie. L'impératrice +adressa le 4 février 1814 à Joseph, lieutenant-général du royaume, +la lettre ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Paris, 4 février 1814.</p> + +<p>Mon cher frère, je reçois à l'instant une lettre de l'empereur du 2 + qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun + prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public ni + incognito.</p> + +<p>Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les + regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la + sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli">Votre affectionnée sœur,</span><br> +Signé: <span class="smcap">Louise</span>.</p> + +</div> + +<p>Joseph, ayant demandé à Napoléon quelques jours plus tard de lui +faire connaître ses intentions à l'égard de Jérôme, reçut la lettre +suivante:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Nogent-sur-Seine, le 21 février 1814.</p> + +<p>Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je + l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation + que je donne à tous les princes français; vous le ferez connaître au + roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme + hollandais. Le roi Jérôme donnera des congés à toute sa maison + westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester + en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou + quatre aides-de-camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, + tous Français; et pour la reine deux ou trois dames françaises pour + l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa + dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des + lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. + Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen + et l'autre tiers au lycée de Paris. <span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span> Immédiatement après, + le roi et la reine seront présentés à l'impératrice et j'autorise le + roi à habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle + lui appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine + continueront à porter le titre de roi et de reine de Westphalie, + mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi + se rendra à mon quartier-général, d'où mon intention est de + l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département + et de l'armée, si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux + avant-postes, de n'avoir aucun train royal, aucun luxe; pas plus de + quinze chevaux; de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas + un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé.—J'écris au + ministre de la guerre et je lui ferai donner des ordres. Il + pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa + maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de + cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de + selle; un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou + trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il + faut qu'il fasse de bons choix d'aides-de-camp; que ce soient des + officiers qui aient fait la guerre et puissent commander des + troupes, et non des hommes sans expérience comme les <i>Verduns</i>, les + <i>Brugnères</i> et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait + tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le ministre de la + guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.</p> + +<p class="sig">Votre affectionné frère.</p> +</div> + +<p>La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements pendant le +mois de mars 1814 empêcha sans doute Jérôme de se rendre à l'armée +de Lyon. Il se trouvait encore à Paris lors du départ de +l'impératrice pour Blois le 29 mars. Il la suivit, ainsi que +Catherine qui ne voulut pas la quitter, et n'abandonna Marie-Louise +que quand cette princesse se fut remise elle-même avec le roi de +Rome aux mains de son père l'empereur d'Autriche, à Orléans, le 9 +avril. Le 10, la reine Catherine revint à Paris pour voir le prince +royal de Wurtemberg, son frère, qui, à Cassel, avait été comblé par +elle et par son mari. Le prince ne voulut pas la recevoir, et le +vieux roi leur père fit demander à Catherine par son ambassadeur, le +comte de Wintzingerode, d'abandonner son mari. Indignée d'une telle +proposition, la reine répondit par un refus énergique à cette +singulière ouverture.</p> + +<p>Elle ne trouva un bon accueil qu'auprès de son parent l'empereur +Alexandre. La proposition du roi de Wurtemberg à sa fille ayant fait +comprendre à cette vertueuse princesse ce que l'on tramait contre +<span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> elle et contre son mari, elle ne songea plus qu'à +rejoindre ce dernier. Jérôme de son côté partit pour la Suisse et de +là gagna Trieste, dans les États autrichiens. La reine Catherine +quitta l'hôtel du cardinal Fesch dans la nuit du 17 au 18 avril, +accompagnée du comte de Fürstenstein et de la comtesse de Bocholz. +Des voitures de suite portaient ses domestiques et ses bagages. Elle +se dirigea vers Orléans. Arrivée la nuit à Étampes, elle y trouva un +message de son mari la prévenant que, menacé par le parti royaliste, +il avait cru prudent de s'éloigner au plus vite et qu'il se rendait +à Berne, où il lui donnait rendez-vous. Catherine continua sa route.</p> + +<p>En passant à Dijon, elle rencontra l'empereur conduit à l'île +d'Elbe, y reçut ses derniers embrassements et gagna Nemours le 21. +Le 22 avril, en arrivant au relai de Frossard, elle fut arrêtée et +complètement dévalisée par le marquis de Maubreuil, l'ancien +officier aux chevau-légers westphaliens, l'ancien écuyer du roi +Jérôme, l'amant de Blanche Carrega. Forcée de revenir une fois +encore à Paris, la malheureuse princesse ne put se réunir que plus +tard à son mari.</p> + +<p>Tous deux se trouvaient à Trieste avec le jeune prince dont la reine +venait d'accoucher (frère aîné de la princesse Mathilde et du prince +actuel Jérôme-Napoléon) lorsqu'on apprit dans cette ville, au mois +de mars 1815, le débarquement de l'empereur sur les côtes de France +et son retour à Paris.</p> + +<p>Trompant la surveillance de la police autrichienne, Jérôme, décidé à +rejoindre à tout prix son frère, s'embarqua sur un petit navire, et +à la suite de mille dangers, après avoir vu Murat à Naples, il +parvint auprès de Napoléon qui, cette fois, l'accueillit avec +bienveillance et lui donna le commandement de la 6<sup>e</sup> division (2<sup>e</sup> +corps, général Reille) par une décision impériale en date du 3 juin. +Le général de division Guilleminot, un des meilleurs officiers +d'état-major de l'armée, fut désigné pour remplir les fonctions de +chef d'état-major de la division Jérôme. L'ex-roi de Westphalie +reçut deux jours plus tard la lettre suivante de Napoléon:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Au prince Jérôme.</p> +<p class="date">Paris, 5 juin 1815.</p> + +<p>Mon frère, j'ai reçu votre lettre; je ne puis pas consentir à ce que + vous paraissiez à l'armée française entouré d'Allemands. De tous + ceux <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> qui sont avec vous, vous n'en pouvez conserver qu'un + qui sera votre écuyer<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a><a href="#footnote147" title="Lien vers la note 147"><span class="smaller">[147]</span></a>. Je leur donnerai des grades et des + traitements en France. Envoyez au ministre de la guerre leurs états + de service. Vous aurez un maréchal de camp pour premier + aide-de-camp, et deux chefs de bataillon et quatre capitaines pour + aides-de-camp; vous n'avez pas besoin d'officiers d'ordonnance.</p> +</div> + +<p>Après la bataille de Waterloo (18 juin), pendant laquelle le prince +Jérôme déploya une grande énergie et la plus brillante valeur, ce +prince, fortement contusionné par une balle, fut un instant investi +par son frère du commandement en chef des débris de l'armée, dont il +rallia quelques tronçons. Il vint ensuite à Paris. Là, traqué, +recherché, il fut sauvé par Fouché, ministre de la police, qui, +sachant le danger qu'il courait et étant lié avec lui, lui procura +les moyens de passer à l'étranger et de rejoindre la reine.</p> + +<p>De la fin de 1815 à la fin de 1847, Jérôme resta en exil +quasi-prisonnier tantôt en Wurtemberg, tantôt sur le sol autrichien, +puis dans les États pontificaux, enfin à Florence, en Suisse et en +Belgique. Sa femme lui donna une fille (la princesse Mathilde) en +1820 et un fils (le prince Napoléon-Jérôme) en 1823. Il blâma la +conduite de ses neveux les deux fils du roi Louis dans l'affaire des +Romagnes contre le pape, de qui sa famille avait reçu le plus +sympathique accueil.</p> + +<p>Voici, relativement à cette affaire, quatre lettres qui nous ont +paru intéressantes. Elles sont adressées par Jérôme à ses neveux les +princes Napoléon et Louis (ce dernier depuis l'empereur Napoléon +III), au roi Louis leur père, à la reine Hortense et à la duchesse +de Rovigo, avec laquelle l'ex-roi était resté en relation +épistolaire.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme aux princes Napoléon et Louis.</p> +<p class="date">Rome, 25 février 1831.</p> + +<p>Mes chers neveux, cette lettre vous sera remise par le baron de + Stölting, qui vous entretiendra de toute la position actuelle. C'est + avec le plus profond chagrin que j'ai appris qu'envisageant mal + votre position et celle de toute votre famille, vous vous êtes + laissé entraîner au milieu du mouvement. Que dirait l'empereur s'il + pouvait voir ses neveux, destinés <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> à être un jour le + soutien de sa dynastie, payer l'asile que le saint-père accorde à + toute sa famille en s'armant contre ce même souverain et en + compromettant ainsi le sort de ses parents!</p> + +<p>Songez, mes chers neveux, au chagrin, à l'affliction de votre père + et mère, de votre respectable grand'mère, si vous persistiez dans + une démarche où un moment d'enthousiasme a pu vous entraîner, mais + que la raison comme la politique vous font une loi d'abandonner.</p> + +<p>Je vous en conjure, écoutez la voix d'un vieux soldat et d'un oncle + qui vous aime comme ses propres enfants et qui ne vous conseillerait + pas une démarche contraire à l'honneur ni à votre caractère d'homme.</p> + +<p>Songez que ce n'est que de cette manière que vous devez entrer dans + la carrière des armes; le temps viendra peut-être où vous pourrez le + faire avec honneur, et alors, si vous persistiez dans votre + démarche, vous vous ôteriez tout moyen de reparaître un jour sur la + scène politique avec honneur, et vous vous attireriez la malédiction + de vos parents.</p> + +<p>Adieu, mes chers neveux, je nourris l'espoir que vous ne vous + refuserez pas à suivre les conseils d'un oncle qui vous chérit + tendrement.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme au comte de Saint-Leu.</p> +<p class="date">Rome, 26 février 1831.</p> + +<p>Mon cher frère, aussitôt que M. Bressieux m'a rendu compte de la + position de vos enfants à Spoletto, je n'ai pas balancé à faire une + démarche que vous eussiez faite à ma place pour mes enfants. Je me + suis, sans perdre de temps, rendu chez le pape et le secrétaire + d'État; j'ai été vraiment touché de la manière dont Sa Sainteté et + son ministre ont envisagé la question; ils étaient non seulement au + courant de tout, mais encore m'ont appris que le prince Louis avait + eu la veille un petit engagement à Otricoli, et que le fils du + prince de Canino s'était enfui de la maison paternelle.</p> + +<p>J'ai représenté à S. S. que les princes se rendaient au-devant de + leur mère, lorsqu'à Peruggia, ils ont été reconnus et se sont laissé + entraîner par l'enthousiasme populaire, mais sans préméditation de + leur part ni sans plan arrêté, puisqu'ils se trouvent manquer des + objets les plus nécessaires. J'ai prié S. S. de me donner des + passeports pour le baron de Stölting, que j'ai expédié sur-le-champ + avec une lettre pour les princes que vous trouverez ci-jointe, ainsi + que pour les colonels Armandi et Sircognani que je connais + particulièrement. Je fais remettre en même temps aux princes les + fonds nécessaires pour retourner à Florence, ayant appris par M. + Bressieux qu'ils en étaient dépourvus.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> J'espère, mon cher frère, avoir rencontré votre approbation + en accomplissant ce que j'ai considéré comme mon devoir, quelle + qu'en puisse être l'issue. Le cardinal a écrit une lettre dont le + baron de Stölting a été également chargé.</p> + +<p>Madame, qui est très affligée de ce qui se passe, me charge de vous + dire qu'elle n'écrit pas par ce courrier, mais que sa santé est + bonne.</p> +</div> + +<p>Le prince Jérôme écrit le même jour à la reine Hortense deux mots +dans le même sens.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à la duchesse de Rovigo.</p> +<p class="date">Rome, 15 mars 1831.</p> + +<p>..... Les troupes du pape sont à Civita-Castellana au nombre de + 2,000 hommes, que l'on peut compter comme autant de troupes pour les + constitutionnels. L'enthousiasme depuis Bologne jusqu'à Otricoli est + incroyable; s'il y avait des armes, déjà 60,000 hommes seraient en + ligne.</p> + +<p>Vous serez bien étonnée, chère duchesse, de savoir que c'est ce même + Sircognani que vous ayez vu si souvent faire votre partie d'écarté + qui est le héros du jour. C'est lui qui fait trembler Rome et qui, + probablement avant une dizaine de jours, y entrera. On aime le + saint-père, qui le mérite sous tous les rapports; mais on exècre le + gouvernement des prêtres, lesquels, s'ils venaient à triompher, + commettraient les plus horribles cruautés. Pendant un instant qu'ils + ont cru à l'entrée des Autrichiens, ils ne parlaient que de pendre, + fusiller et confisquer. Qu'arrivera-t-il de tout cela, Dieu seul le + sait!</p> + +<p>Quant à moi, je me tiens absolument éloigné de tout ce mouvement et + suis un observateur impartial, qui voit, entend et juge sans jamais + émettre une opinion. Lorsque le temps viendra de se montrer avec + honneur, ce ne sera jamais que comme Français, d'autant plus qu'il + m'est clairement démontré que c'est à notre belle patrie que chacun + en veut. J'espère qu'elle sortira triomphante de cette lutte et + apprendra au monde que c'est elle qui doit donner la loi et non la + recevoir.</p> + +<p>La mère de mes neveux (la reine Hortense) s'est rendue à Bologne + pour les conduire en Suisse.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Jérôme à la duchesse de Rovigo.</p> +<p class="date">Rome, 31 mars 1831.</p> + +<p>C'est avec un bien vif chagrin que vous et votre famille aurez + appris <span class="pagenum"><a id="page484" name="page484"></a>(p. 484)</span> la mort de notre cher Napoléon; il a expiré à Forli + le 17, par suite d'une rougeole méconnue. Son frère le prince Louis + seul était auprès de lui, sa malheureuse mère n'étant arrivée que le + lendemain. Elle est à Ancône avec le seul fils qui lui reste; où + ira-t-elle? je l'ignore. Depuis un mois, les communications directes + avec les Marches étant interrompues, c'est par suite de tous ces + troubles que les lettres de Pompeï ne vous seront pas parvenues.</p> + +<p>Les insurgés se sont battus contre les Autrichiens devant Forli avec + quelque avantage; ils ont fait une capitulation avec le cardinal + Benvenuti qui se trouve à Ancône, mais cette capitulation n'a pas + été ratifiée. À Modène, on fusille, on pend, on exile, on confisque. + Le pape, qui est bon, voudrait accorder un pardon entier, mais il y + a des cardinaux tellement énergumènes que l'on peut douter si le + pape et son secrétaire d'État pourront faire ce qu'ils désirent tous + deux, pardonner.</p> + +<p>Les constitutionnels sont exaspérés contre la France, qui les a + sacrifiés, à ce qu'ils disent. Le fait est qu'il ne reste guère à + cette armée d'insurgés qu'à se faire tuer, si l'on n'intervient en + leur faveur, au moins en négociation. Quant à moi, je soupire après + ma patrie, car il est affreux de ne savoir sur quoi ni sur qui + s'appuyer.</p> +</div> + +<p>Dans une lettre du 12 avril au duc de Rovigo, le roi écrit: «Il est +certain que le fameux Sircognani a trahi les siens pour 10,000 +piastres et un passeport; on assure qu'Armandi et Bussy en ont fait +autant et ont sacrifié ce malheureux Zucchi qui s'est fié à de +pareilles canailles. Du reste, ils n'ont que ce qu'ils méritent.»</p> + +<p>Jérôme, comme ses frères Joseph et Louis, n'approuva pas les coups +de tête de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne. Il +ne cessa, surtout depuis la révolution de Juillet et la mort de la +reine (29 novembre 1835 à Lausanne), de revendiquer ses droits de +Français et l'autorisation de rentrer dans sa patrie.</p> + +<p>Il obtint enfin de revenir à Paris à la fin de 1847 et allait +recevoir une rente viagère de cent mille francs, lorsque la +révolution de 1848 jeta hors de France la dynastie de Juillet.</p> + +<p>L'ex-roi Jérôme et son fils s'empressèrent d'envoyer au gouvernement +provisoire leur adhésion à la République.</p> + + +<h3><span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> <span class="smcap">Conclusion.</span></h3> + +<p>Nous avons dit que pendant sa longue carrière, si mouvementée, si +singulière, le dernier des frères de Napoléon I<sup>er</sup> semble avoir été +condamné par le destin à des vicissitudes plus extraordinaires +encore que celles des autres frères de Napoléon.</p> + +<p>Depuis l'abandon de ses États en 1813, il avait passé par toutes les +phases du malheur, conservant toujours une certaine dignité et de la +générosité dans le caractère. La révolution de 1848 allait le faire +remonter aux plus hautes dignités.</p> + +<p>Son neveu le prince Louis-Napoléon ayant été élu président de la +République, Jérôme devint un des principaux personnages de l'État, +et pour que rien ne parût manquer à l'originalité de cette destinée +unique de l'ancien souverain, il occupa, pendant les douze ans qui +s'écoulèrent de 1848 à l'époque de sa mort en 1860, les positions +les plus bizarres.</p> + +<p>Le président lui rendit son grade de général de division, grade +auquel il avait été nommé en 1806, il y avait quarante-deux ans, en +sorte qu'il devint le plus ancien divisionnaire des armées +européennes. Il eut ensuite le poste de gouverneur des Invalides, +gardien des cendres de son frère déposées à l'hôtel des vieux +soldats. Quelques mois plus tard, le prince Louis, cédant aux +suggestions d'un membre de la famille Bonaparte et croyant être +agréable à son oncle, lui envoya le bâton de maréchal de France. À +la formation du Sénat, il eut la présidence de ce premier corps de +l'État.</p> + +<p>Ainsi, de roi, Jérôme était devenu général, maréchal, sénateur. +Singulières transformations pour une tête couronnée!</p> + +<p>Marié régulièrement à une noble Florentine, la marquise Bartholini, +qui vint habiter avec lui en France, il se trouvait avoir eu trois +femmes, dont deux existaient encore.</p> + +<p>Lorsque le prince Louis mit la couronne sur sa tête, Jérôme devint +prince impérial et fut placé sur les marches du trône. Il reçut à +Paris son fils et son petit-fils Messieurs Patterson Bonaparte, que +l'empereur Napoléon III avait appelés en France et dont le dernier, +<span class="pagenum"><a id="page486" name="page486"></a>(p. 486)</span> beau et brillant jeune homme, entra dans notre armée où il +ne tarda pas à se distinguer.</p> + +<p>Enfin, avant sa mort, Jérôme fit un voyage en Bretagne, revit la +baie de Concarneau, dîna dans la ville de pêcheurs, ayant à ses +côtés la mère du matelot (Furic) qui avait sauvé le vaisseau <i>le +Vétéran</i>, à laquelle il assura une pension sur sa cassette +particulière. Il put assister au mariage de l'empereur, à la +naissance du prince impérial et à l'union de son fils avec la +vertueuse princesse Marie-Clotilde.</p> + +<p>Enfin, dernier bonheur, il put voir la France impériale redevenue la +puissance prépondérante du monde, après les guerres d'Orient et +d'Italie, et il échappa à la douleur d'assister à ses défaites de +1870 ainsi qu'à la chute de sa dynastie par la mort de Napoléon III +et du jeune prince impérial.</p> + +<p>Certes, nous le répétons, jamais destinée ne fut plus singulière que +celle de cet homme dont le caractère offre un si étrange mélange de +défauts et de qualités, et qui, malgré ses fautes, montra en mainte +occasion un caractère fier et chevaleresque.</p> + + + + +<h2><span class="pagenum"><a id="pageib" name="pageib"></a>(p. i)</span> APPENDICE<br> + + +<span class="smaller">CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE<br> + +RELATIVE À LA HOLLANDE<br> + +PENDANT LE RÈGNE DU ROI LOUIS<br> + +De juin 1806 à juillet 1810.</span></h2> + + +<h3><span class="smcap">Année 1806.</span></h3> + +<p>Cette correspondance étant très volumineuse, nous l'avons analysée +en partie, principalement celle de 1806 à 1808, ne donnant <i>in +extenso</i> que les pièces importantes. Cette correspondance eut lieu +entre M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des affaires +étrangères de France, le général Dupont-Chaumont, puis le comte de +la Rochefoucauld, tous deux ministres de famille de l'empereur +auprès du roi Louis; l'amiral Werhuell, ambassadeur du roi de +Hollande à Paris; M. de Roëll, ministre des affaires étrangères de +Hollande, et en 1810 avec le maréchal duc de Reggio, commandant +l'armée du Nord.</p> + +<p>Dans sa première lettre, datée du 15 juin 1806, Dupont-Chaumont fait +part au duc de Cadore des dispositions bienveillantes, pour le roi +Louis et la reine Hortense, du corps diplomatique. «L'esprit public, +dit-il, un peu étonné d'abord de la promptitude des événements, +commence à revenir, la population vit en bonne intelligence avec le +soldat français. Une garde d'honneur s'organise pour recevoir Leurs +Majestés.» Le 23 juin, Dupont envoie des détails sur cette +réception. Bientôt l'ambassadeur ayant obtenu un congé pour <span class="pagenum"><a id="pageiib" name="pageiib"></a>(p. ii)</span> +venir en France, M. Serrurier, chargé d'affaires, prend l'intérim. +Le 29 juillet, l'empereur écrit de Paris à son frère la première +lettre de reproche ci-dessous.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Saint-Cloud, 29 juillet 1806.</p> +<p class="adresse">Au roi de Hollande.</p> + +<p>Je lis dans les journaux que vous suspendez toute exécution à mort + dans votre royaume. Si cela est, vous avez fait une grande faute. Du + droit de faire grâce ne dérive pas la nécessité de reviser tous les + procès. C'est une manie d'humanité déplacée. Le premier devoir des + rois, c'est la justice.</p> +</div> + +<p>Dans une lettre du 10 août, Serrurier fait connaître au ministre le +désir des Hollandais d'un accroissement de territoire, et, dans une +autre en date du 14, il raconte la tentative d'insoumission d'un +bâtiment de la flotte hollandaise, lorsque le serment de fidélité au +nouveau roi a été exigé des matelots. Le 17 septembre, le duc de +Cadore reçoit une note sur la composition de l'armée hollandaise, +forte de 12 à 15,000 combattants disponibles. Le roi semble décidé à +porter à 25,000 hommes l'effectif de ses troupes, mais par des +enrôlements volontaires. Il ne veut pas entendre parler de la +conscription comme le désirerait l'empereur. Cet usage est +antipathique à la Hollande.</p> + +<p>Le 13 décembre, Dupont-Chaumont rend compte au duc de Cadore d'une +conversation qu'il vient d'avoir avec le roi et dont voici la +substance: Le roi, écrit-il, se plaint de l'opinion de l'empereur +qui semble l'accuser de montrer peu de zèle pour le succès de ses +armées.—La grande plaie est le mauvais état des finances.—Son +gouvernement est ruiné par les dépenses antérieures, les +anticipations d'impôts. On lui conseille de suspendre le paiement +des rentes; mais il désapprouve ce moyen, d'ailleurs inefficace. Il +voudrait que l'empereur envoyât en Hollande un financier expérimenté +qui prît connaissance des choses et en rendit compte. Il espère +porter l'armée à 25,000 hommes, c'est-à-dire 18,000 prêts à +combattre; mais c'est à peine suffisant pour défendre le pays contre +une invasion anglaise.</p> + +<p>Le 14 décembre, Dupont transmet à Cadore une plainte portée contre +les douaniers français qui, sans ordres, ont franchi la frontière +batave, pillé une maison, chassé les habitants à coups de fusil. Le +roi est affecté de ces désordres. Dupont déclare qu'il est temps de +faire un exemple pour mettre fin à ces exactions. Le duc de Cadore, +<span class="pagenum"><a id="pageiiib" name="pageiiib"></a>(p. iii)</span> par ordre de l'empereur, répond que les plaintes du +gouvernement hollandais <i>ne sont pas fondées</i>.</p> + +<p>Cependant, le décret sur le blocus continental ne tarde pas à être +connu en Hollande.</p> + +<p>L'empereur en recommande la stricte application. Le 28 décembre, +Dupont fait connaître: que les Hollandais mettent beaucoup +d'hésitation à le faire exécuter; que les villes maritimes sont +plongées dans le désespoir; que le roi est dans le plus grand +embarras; que le parti anglais se remue et intrigue; que le frère de +l'empereur est souffrant.</p> + +<p>Ici commence réellement la mésintelligence entre l'empereur et le +roi Louis. Nul doute que sans le blocus continental, les deux +souverains eussent vécu à peu près d'accord, malgré les exigences +politiques de Napoléon.</p> + +<p>À la fin du même mois de décembre 1806, le 29, Dupont transmet de +nouveau à Cadore des plaintes du gouvernement hollandais +relativement à des fraudes nombreuses qui ont lieu à Flessingue, au +préjudice du trésor, sous le couvert de la marine française. Il fait +connaître également les ennuis que cause au roi la question de la +<i>défense de Flessingue</i> et le peu d'accord qui existe entre les +généraux français. L'empereur, décidé à donner tort à son frère, à +ne pas accueillir ses représentations, commence à songer au +remplacement du général Dupont-Chaumont, qui lui paraît beaucoup +trop dans les intérêts du gouvernement de Louis.</p> + + +<h3><span class="smcap">Année 1807.</span></h3> + +<p>Le 8 janvier 1807, le ministre de Hollande se plaint de nouveau des +douaniers français qui ne cessent de violer le territoire batave. Le +22, Dupont atteste que la situation des esprits s'améliore et +annonce que le roi va écrire à l'empereur, relativement à la +question du blocus. Le 26, Werhuell mande à Cadore qu'une députation +va être envoyée à l'empereur en Prusse. Dupont annonce le 5 février +1807 le retour de la reine à La Haye, le bon effet produit par sa +présence. Le lendemain 6, Cadore engage le gouvernement hollandais à +envoyer la députation par Varsovie ou Berlin à Clarke, qui lui +donnera les moyens d'arriver jusqu'à l'empereur à Feinkestein.</p> + +<p>Le 14 avril, Dupont déclare à Cadore que la majorité du conseil +<span class="pagenum"><a id="pageiv" name="pageiv"></a>(p. iv)</span> des ministres paraissait tenir pour le parti anglais et +s'efforçait de faire admettre au roi que la Hollande avait intérêt à +se détacher de l'alliance française. Le 26, il écrit qu'en l'absence +du roi le conseil a supprimé la <i>Gazette française</i> pour que le +résultat des conférences eût moins de retentissement en France, et +qu'on élaborait secrètement un projet de régence. Le 7 mai, +l'ambassadeur fait connaître la mort du prince royal et le départ du +roi et de la reine. Quatre jours plus tard, il déclare qu'en +l'absence de Sa Majesté, la France ne saurait compter sur les +ministres de Hollande.</p> + +<p>Le 9 juin, il annonce que la reddition de Dantzig met fin aux +inquiétudes du roi, lequel est estimé de tous les partis. Le 23, le +ministre de France fait connaître qu'une escadre anglaise paraît +vouloir menacer Stralsund, et que le maréchal Brune en a reçu avis. +Le 12 juillet, Cadore écrit à Dupont de faire connaître au +gouvernement hollandais que tout navire de la marine française +entrant à Flessingue devra faire connaître à la douane son +chargement. Le 8 août, le cabinet français presse Dupont d'obtenir +de la Hollande de faire terminer <i>à ses frais</i> les travaux de +Flessingue. Le 10 août, l'ambassadeur de France prévient que +plusieurs divisions anglaises sont sorties du 20 au 26, que d'autres +sont prêtes également à quitter les ports de la Grande-Bretagne, que +la totalité de ces forces est évaluée à 40,000 hommes et que les +troupes hollandaises se sont rapprochées de Brune. Le 14 août, +l'empereur fait écrire à Dupont qu'il est informé que des +communications fréquentes ont lieu entre la Hollande et +l'Angleterre, qu'il fasse connaître aux ministres du roi que si +toute relation de commerce et de correspondance ne cesse pas entre +les deux pays, des troupes françaises entreront en Hollande. Le +gouvernement du roi Louis, à cette menace, demande une note écrite; +Dupont la refuse. Les ministres déclarent que si des infractions aux +ordres du roi concernant l'Angleterre ont existé, cela ne pouvait +avoir eu lieu que par surprise; que les pouvoirs des ministres +n'allant pas au-delà de l'exécution des lois existantes, il allait +être expédié un courrier à Sa Majesté, absente, pour prendre ses +ordres. Le 19 août, Cadore écrit de nouveau à Dupont que les +plaintes contre les douaniers français ne paraissent nullement +fondées. Ainsi, d'une part, menaces de l'empereur et refus de ses +ministres d'admettre les griefs de la Hollande contre les agents +français; d'autre part, assurance que l'on fait tout ce que l'on +peut faire pour l'exécution du blocus. Les plaintes de la France +continuent. <span class="pagenum"><a id="pagev" name="pagev"></a>(p. v)</span> Le gouvernement du roi Louis y répond en +imposant les bâtiments français qui remontent l'Escaut à destination +d'Anvers. L'empereur, furieux, ordonne le remboursement des droits +perçus et défend d'en payer à l'avenir. Nouvelle note des ministres +hollandais pareille à la première (24 août). Le 31 août, le chargé +d'affaires écrit à Cadore que le roi a appris avec douleur les +plaintes de son frère, et qu'il rend un décret pour une surveillance +plus sévère; le même jour on annonce que les finances sont dans le +plus mauvais état. Le 4 septembre, Dupont fait connaître la +publication du décret royal contre le commerce avec l'Angleterre et +déclare que toute la responsabilité doit tomber sur M. Goguel, +ministre des finances.</p> + +<p>Cette correspondance acerbe continue entre les agents des deux +gouvernements.</p> + +<p>La question du blocus paraissant terminée, le ministre de France en +soulève une nouvelle. Il écrit à l'ambassadeur de Hollande: +«L'empereur a éprouvé un vif mécontentement, en apprenant que les +malades français avaient été renvoyés des hôpitaux de la Hollande +sous prétexte d'économie; il ne peut voir dans cette mesure qu'une +manœuvre du parti anglais, et si malgré la bonne volonté du roi +les fonctionnaires hollandais continuaient à agir de la sorte, +l'empereur, <i>usant du droit de conquête</i>, sera contraint de faire +régir la Hollande par une administration française.» M. de Cadore ne +dit pas que les finances de la Hollande sont obérées par les +exigences de la France, par l'entretien des troupes françaises; que +l'empereur ne rembourse aucune avance et ruine les États dont il a +imposé la royauté à son malheureux frère.</p> + +<p>Aux plaintes injustes de l'empereur, le gouvernement batave répond: +qu'on a admis dans les hôpitaux autant de malades que ces +établissements en pouvaient contenir; qu'à Middelbourg on a établi +un nouvel hôpital; qu'à Flessingue, qu'à Walcheren on a fourni aux +troupes tous les objets nécessaires; que, vu l'obération des +finances, on n'avait pu créer de nouveaux établissements; que depuis +les plaintes du gouvernement impérial, le roi avait donné l'ordre de +fournir aux soldats et marins français malades tout ce dont ils +auraient besoin; que les hospices hollandais, dans cette saison, ne +pouvaient suffire aux malades nationaux. Bientôt le gouvernement +français adresse, par l'entremise de Dupont, de nouveaux reproches à +la Hollande. «Les facilités qu'on accorde au commerce anglais, écrit +M. de Cadore à l'ambassadeur, ont accru le mécontentement de +<span class="pagenum"><a id="pagevi" name="pagevi"></a>(p. vi)</span> l'empereur, qui trouve cette condescendance honteuse au +moment où les Anglais brûlent les bâtiments hollandais à Batavia. +Vous devez insister pour que sans délai il soit mis un terme à cet +état de choses, et déclarer qu'au besoin l'empereur enverra 30,000 +hommes en Hollande pour en garder les côtes.» Il est permis de +croire que l'empereur en voulait venir là d'abord, puis à +l'annexion. Le 24, Dupont fit connaître la réponse des ministres à +sa note. «Le conseil déclarait que déjà il avait été répondu que les +infractions aux lois prohibitives de tout commerce avec l'Angleterre +ne pouvaient être attribuées qu'à un défaut de surveillance des +employés, dont plusieurs avaient été déjà incarcérés.» C'était +donner un prétexte à l'empereur pour faire exercer la surveillance +par ses propres agents. Cela ne devait pas tarder à avoir lieu. Le 6 +octobre, Cadore fait dire au ministre de Hollande que la frontière +du côté de la France étant un foyer de contrebande et donnant un +débouché aux marchandises anglaises, l'empereur prend des mesures +sévères pour y mettre fin. Le 16, il fait savoir à ce même ministre +que l'empereur, informé que des marchandises anglaises sont reçues +par l'Elbe et le Weser, a donné l'ordre de visiter tout bâtiment +naviguant sur ces fleuves, et veut que des mesures analogues soient +prises en Hollande. Le 26, Cadore apprend que le roi a rendu un +décret prohibant toute navigation le long des côtes depuis le +Dollart jusqu'au Weser, étant bien résolu à prendre toutes les +mesures de réciprocité avec la France.</p> + +<h3><span class="smcap">Année 1808.</span></h3> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Dupont.</p> +<p class="date">Paris, 14 janvier.</p> + +<p>Monsieur, Sa Majesté l'empereur et roi vient d'apprendre avec autant + de mécontentement que de surprise, que l'on reçoit dans les ports de + Hollande des bâtiments suédois, chargés de marchandises que l'on + tente de faire passer en France, et que pour expliquer des procédés + aussi étranges on allègue une raison bien plus étrange encore, + savoir que la Hollande et la Suède ne sont point en guerre. Sa + Majesté n'a pu comprendre que des relations de paix continuées + jusqu'à présent entre la Hollande et la Suède, aient pu paraître une + chose si naturelle et si simple que vous ayez négligé d'en rendre + compte. Quand bien même l'alliance qui subsiste entre la France et + la Hollande, quand les liens <span class="pagenum"><a id="pagevii" name="pagevii"></a>(p. vii)</span> plus étroits qui unissent les + deux états auraient pu permettre à la Hollande de considérer comme + amie une puissance ennemie de la France, le continent tout entier + n'est-il pas uni aujourd'hui dans un même vœu, dans un même + intérêt, dans une même cause? La Suède n'est-elle pas seule exceptée + de ce concert général? N'est-elle pas la seule alliée de + l'Angleterre? N'est-elle pas en cette qualité l'ennemie du + continent? Et la Hollande a-t-elle pu la regarder comme amie, sans + abandonner en quelque sorte la cause commune? L'intention de Sa + Majesté est que: dans les vingt-quatre heures qui suivront la + réception de cette lettre, la Hollande <i>déclare la guerre</i> à la + Suède et traite les Suédois et leur commerce comme ennemis. Sa + Majesté vous charge d'en faire la demande dans les termes les plus + précis et d'insister sur une réponse immédiate et catégorique. Vous + voudrez bien m'informer sur le champ de cette réponse.</p> + +<p>P. S.—L'empereur, Monsieur, se rappelle que les troupes + hollandaises se sont battues à Stralsund contre les Suédois, et + n'admet point cet état de paix de la Hollande avec la Suède. Il vous + ordonne en conséquence de requérir l'arrestation des bâtiments + suédois qui sont dans les ports de Hollande et le séquestre des + marchandises qu'ils ont apportées. Son intention est aussi que les + Suédois soient arrêtés comme prisonniers de guerre et que les agents + de cette nation soient renvoyés. Dans le cas où la Hollande + refuserait de se mettre en guerre contre la Suède, l'empereur vous + ordonne de quitter La Haye.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Dupont.</p> +<p class="date">Paris, 16 janvier.</p> + +<p>Monsieur, le 4 décembre dernier, un convoi de cinq bâtiments + hollandais, escorté par trois chaloupes canonnières de Sa Majesté le + roi de Hollande, a mouillé à l'embouchure du Weser. Le 5 au matin, + le convoi ayant appareillé, il fut tiré de la batterie de Carlestadt + deux coups de canon à poudre pour indiquer que le convoi ne pouvait + la dépasser sans avoir arraisonné. Les canonnières assurèrent leur + pavillon, mais le convoi n'en continua pas moins sa route. Alors la + batterie tira à boulets et ce ne fut qu'au huitième coup que les + bâtiments mouillèrent. Au même instant quatre autres navires de la + même nation, qui entraient dans le fleuve escortés pareillement par + une canonnière, jetèrent l'ancre auprès du premier convoi. Le + capitaine de l'une des deux canonnières descendit à terre pour se + plaindre du procédé du commandant de la batterie. La réponse du + commandant fut qu'il n'agissait que conformément à ses instructions, + d'après lesquelles tout bâtiment, sans exception, devait être + assujetti à la visite. Le capitaine hollandais demanda cette + déclaration <span class="pagenum"><a id="pageviii" name="pageviii"></a>(p. viii)</span> par écrit. On la lui donna et il retourna à + bord après avoir donné sa parole qu'il ne mettrait point à la voile + sans avoir rempli les formalités requises; mais dix minutes après il + leva l'ancre et se rendit à Brolke. On lui écrivit pour se plaindre + de sa conduite et pour réclamer les bâtiments qui étaient montés à + la faveur de son escorte en forçant le passage. Il répondit qu'il + n'avait fait que suivre très scrupuleusement les instructions qui + lui avaient été données d'après les ordres de Sa Majesté le roi de + Hollande.</p> + +<p>Le 6 du même mois, un autre convoi hollandais escorté par des + canonnières, descendit le Weser et mouilla à l'embouchure du fleuve. + Le mauvais temps empêcha d'aller à bord. Le 7 au matin, il + appareilla et partit malgré le feu de la batterie. Ces faits, dont + il a été rendu compte à Sa Majesté l'empereur, ont excité son + mécontentement. Elle vous charge d'en porter plainte au gouvernement + hollandais et de demander que les capitaines et officiers de la + marine marchande soient tenus de se conformer à toutes les + ordonnances de police maritime rendues dans les pays occupés par les + armées françaises. S'il en était autrement, Sa Majesté se verrait + dans la nécessité de faire punir les personnes qui chercheraient à + enfreindre ses ordres.</p> + +<p>Vous voudrez bien me faire connaître, Monsieur, l'effet que + produiront les représentations que vous êtes chargé d'adresser à cet + égard au gouvernement près duquel vous êtes accrédité.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 25 janvier.</p> + +<p>Je m'empresse, par suite des ordres de ma cour, de répondre à la + note que V. Excellence a adressée à mon prédécesseur M. le ministre + Brantven, en date du 5 janvier dernier, et par laquelle elle l'a + honoré de la communication des mesures que Sa Majesté l'empereur et + roi avait prescrites dans son décret du 19 décembre concernant le + blocus de l'Angleterre et des îles de la Grande-Bretagne.</p> + +<p>Déjà, avant la réception de cette note, le ministre de France + résidant à La Haye avait officiellement communiqué les dispositions + dudit décret, et Sa Majesté s'était aussitôt déterminée à adopter de + pareilles mesures. Elle chargea, par un ordre de cabinet du 8 de ce + mois, son ministre des finances de considérer comme propriété + anglaise et de déclarer par cela même de bonne prise tout vaisseau + ou bâtiment quelconque <i>sans exception</i>, qui, après avoir été visité + par des bâtiments de guerre anglais, ou avoir été dans un port + anglais, ou avoir payé le moindre droit au gouvernement anglais, + serait pris par des vaisseaux de <span class="pagenum"><a id="pageix" name="pageix"></a>(p. ix)</span> guerre ou des corsaires + hollandais, et le même ordre rendit le ministre des finances + responsable de la stricte exécution de cette mesure.</p> + +<p>Ces dispositions convaincront V. Excellence combien le roi est + pénétré de la nécessité de s'opposer avec la plus grande énergie aux + vexations toujours croissantes des ministres britanniques, et + combien il désire de seconder de toutes ses forces les mesures que + son très auguste frère l'empereur croit devoir prendre pour les + combattre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 30 janvier.</p> + +<p>Par suite des ordres que je viens de recevoir de ma cour, je + m'empresse de communiquer à V. Excellence les nouvelles mesures que + le roi a ordonnées pour empêcher toute relation entre son pays et la + Suède.</p> + +<p>Elles sont contenues dans le décret du roi, en date du 18 de ce + mois, dont ci-joint la copie.</p> + +<p>En priant V. Excellence de porter ces dispositions sous les yeux de + l'empereur et roi, j'ose me flatter que Sa Majesté y verra une + nouvelle preuve que le roi mon maître est plus que jamais disposé à + traiter en ennemis tous les états qui seraient en guerre avec la + France, et à concourir de tous ses moyens au succès des vastes + projets que son auguste frère médite pour les forcer à accepter à la + fin des conditions de paix compatibles avec la sûreté et l'honneur + des puissances de l'Europe.</p> + +<p class="center">Décret du roi de Hollande daté d'Utrecht, 18 janvier.</p> + +<p>Louis Napoléon, par la grâce de Dieu et la constitution du royaume, + roi de Hollande, connétable de France.</p> + +<p>Sur les informations que les mesures ordonnées pour le blocus des + Îles Britanniques ne seraient pas suivies avec la même rigueur par + rapport à quelques bâtiments suédois, et considérant que la guerre + existe entre ce pays et la Suède comme avec l'Angleterre;</p> + +<p>Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:</p> + +<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p> + +<p>Tout bâtiment suédois qui pourrait s'être introduit dans les ports + du royaume sera sequestré immédiatement, de même que toute + marchandise appartenant à cette nation.</p> + +<p class="center">Article 2.</p> + +<p>Tout Suédois qui aurait rempli précédemment des fonctions + diplomatiques ou d'agent commercial, et qui pourrait se trouver + encore dans <span class="pagenum"><a id="pagex" name="pagex"></a>(p. x)</span> ce royaume, sera tenu d'en sortir immédiatement + après la publication du présent décret.</p> + +<p class="center">Article 3.</p> + +<p>Tous les Suédois qui pourraient se trouver dans les ports ou + quelques autres endroits du royaume, seront arrêtés immédiatement et + traités comme prisonniers de guerre.</p> + +<p class="center">Article 4.</p> + +<p>Les mesures actuellement en vigueur pour le blocus des Îles + Britanniques seront également et sans exception applicables à la + Suède.</p> + +<p class="center">Article 5.</p> + +<p>Nos ministres des finances et de la justice et police sont chargés + de l'exécution du présent décret qui sera publié partout où besoin + sera.</p> + +<p>Donné à Utrecht le 18 janvier de l'an 1808, de notre règne le + troisième.</p> + +<p class="sig smcap">Louis.</p> +</div> + + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 2 février.</p> + +<p>Je suis expressément chargé de communiquer officiellement le décret + ci-joint à V. Excellence et de l'inviter à vouloir bien en donner + immédiatement connaissance à Sa Majesté impériale et royale. Sa + Majesté le roi de Hollande se flatte que son auguste frère verra + dans les dispositions de ce décret une éclatante preuve de son + invariable volonté de concourir de tous ses moyens aux mesures qui + peuvent hâter le moment si désiré de la paix, et un touchant + témoignage de son amour pour sa personne, de sa confiance absolue + dans sa haute sagesse. Je ne m'attacherai point à faire valoir + l'étendue des nouveaux sacrifices que ce rigoureux décret impose à + mon pays. On sent facilement qu'il entraînerait sa ruine totale si + la guerre était prolongée. Dans des circonstances aussi impérieuses, + Sa Majesté, irrévocablement déterminée à rendre impossible toute + communication de ses sujets avec l'ennemi, vient de prohiber le + commerce que les habitants de la Zélande faisaient sur les côtes + anglaises, quoique par sa nature ce commerce, tout à l'avantage de + la Hollande, fût extrêmement nuisible à l'Angleterre. Sa Majesté a + voulu que son peuple renonçât à des bénéfices qui ne pouvaient se + concilier avec le système actuel de la guerre. Il n'échappera pas + sans doute à V. Excellence que les mesures adoptées ne laissent aux + Anglais aucun moyen possible de communiquer avec la Hollande, + puisque le roi a également ordonné de séquestrer même les navires + qui, quoique non visités, auraient abordé dans un port britannique.</p> + +<p>Sa Majesté a cru que la nation, pour qui la paix devenait le + premier, <span class="pagenum"><a id="pagexi" name="pagexi"></a>(p. xi)</span> le plus pressant des besoins, devait l'acheter par + les plus rigoureux sacrifices, bien convaincue que le génie de son + illustre frère y mettra bientôt un terme, et que sa justice et sa + générosité sauront honorablement dédommager la Hollande de ses + privations et de ses pertes.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Dupont à Cadore.</p> +<p class="date">La Haye, 8 février.</p> + +<p>Les travaux se poursuivent à Amsterdam pour la réception du roi. + L'occupation de l'hôtel de ville, où se trouvent la banque et tous + les grands dépôts, a étonné d'abord et fait baisser les fonds, parce + que le moment a été mal choisi. Mais on peut attendre pour l'avenir + d'heureux résultats, s'il résiste aux difficultés que lui attire le + passage du gouvernement par Utrecht, et la contrariété dans les + habitudes, si puissantes dans ce pays.</p> + +<p>La sévérité du blocus a éprouvé de légères atteintes; des bâtiments + chargés de poisson salé se sont présentés à Amsterdam et y ont été + refusés. Ils sont entrés à Anvers où ils ont vendu leur cargaison + parce qu'ils étaient en règle; mais des Américains chargés de + marchandises ou peut-être de denrées coloniales et appartenant à des + Hollandais, ont ému la sensibilité du gouvernement et obtenu + l'entrée des ports. Vraisemblablement ils n'étaient pas chargés de + marchandises prohibées. Aussi ne cité-je ces faits que pour répondre + à l'observation officielle qui m'a été faite par Son Excellence le + ministre des affaires étrangères, que son gouvernement avait été au + delà des mesures prises par la France, en fermant ses ports à toute + espèce de navires.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Dupont à Cadore.</p> +<p class="date">La Haye, 13 février.</p> + +<p>J'ai l'honneur de vous écrire par un retour de courrier qui m'a été + dépêché par S. Excellence le vice-amiral Decros, avec une lettre de + l'empereur pour Sa Majesté le roi de Hollande.</p> + +<p>Le gouvernement hollandais s'est depuis quelques jours + ostensiblement relâché de la sévérité du décret du 23 janvier, en + ordonnant aux commandants militaires de ne plus repousser les + bâtiments qui se présenteraient dans les rades et les ports; d'y + placer des sauvegardes et d'attendre des ordres.</p> + +<p>Il y a encore de l'humeur et du mécontentement à Amsterdam. On + l'attribue à la transformation de la maison de ville en palais + royal; mais la stagnation des affaires et un peu de misère dans la + classe des <span class="pagenum"><a id="pagexii" name="pagexii"></a>(p. xii)</span> ouvriers en est peut-être la véritable cause. + Toujours faut-il convenir que le roi n'est aidé ni servi par + personne dans son projet de changer sa résidence. Ce qui fait naître + des difficultés sans nombre et propage les murmures de la multitude. + La demande que vient de faire l'empereur arrive à propos pour + occuper les oisifs et imprimer un mouvement utile dans les ports. + J'avais, dans mes conversations non officielles, l'année dernière, + observé aux ministres du roi que l'on négligeait bien la marine, et + surtout à l'époque du dernier licenciement des marins: on objectait + la pénurie des finances. Aujourd'hui que les matelots ont été + dispersés par la misère, et qu'il y en a beaucoup d'enlevés par + l'Angleterre, il serait difficile de compléter les équipages, s'il + est nécessaire d'armer un certain nombre de vaisseaux.</p> +</div> + +<p>Ici doivent prendre place deux longues lettres de l'amiral Werhuell +et dont nous allons donner la substance. Dans la première, l'amiral, +au nom du roi, demande que l'artillerie de la ville de Flessingue +soit rendue à la Hollande, puisque la ville a été cédée à la France +le 6 février. L'empereur s'y oppose et fait dire qu'il comptera avec +la Hollande.</p> + +<p>Dans la seconde lettre, le roi fait rappeler à l'empereur +l'engagement du gouvernement français de rembourser à la Hollande le +prix des frais d'équipement des recrues hollandaises appelées à +faire partie de la grande armée. L'empereur se borne à répondre que +ce déboursé doit rester à la charge de la Hollande (singulier +exemple de bonne foi!).</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld<a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a><a href="#footnote148" title="Lien vers la note 148"><span class="smaller">[148]</span></a>.</p> +<p class="date">Paris, 16 mars.</p> + +<p>J'ai l'honneur de vous faire part d'une décision de Sa Majesté + impériale relativement aux Français qui se trouvent actuellement au + service de S. M. le roi de Hollande.</p> + +<p>Tous les sujets de S. M. impériale actuellement au service de S. M. + le roi de Hollande et qui auront prêté serment comme sujets du roi, + cesseront d'être considérés comme Français, et pourront demeurer + <span class="pagenum"><a id="pagexiii" name="pagexiii"></a>(p. xiii)</span> au service du roi en se munissant d'une autorisation + spéciale de S. M. l'empereur.</p> + +<p>Vous voudrez bien informer de cette décision le gouvernement près + duquel vous êtes accrédité.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a><a href="#footnote149" title="Lien vers la note 149"><span class="smaller">[149]</span></a> à Cadore.</p> +<p class="date">La Haye, 17 mars.</p> + +<p>Ce serait peut-être ici la place de tracer à V. Excellence un + tableau succinct de l'état où je retrouve les affaires au moment de + mon retour en Hollande; mais l'ambassadeur, que j'apprends être + arrivé à deux ou trois journées de La Haye, remplira à cet égard les + vues de V. Excellence beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Je me + bornerai à lui annoncer que le roi est fort occupé en ce moment des + moyens de remplir les vues de son auguste frère relativement à la + marine. M. Roëll, dans une assez longue conversation où le hasard + nous engagea hier, s'exprima à cet égard de la façon la plus + satisfaisante. Il paraît que le roi veut pousser ses préparatifs + dans le silence, et réserve une surprise générale à l'empereur. Je + trahis un peu Sa Majesté et M. Roëll, par cet avis, mais c'est mon + métier et l'on devra me le pardonner.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 21 mars.</p> + +<p>Depuis quelque temps le commerce que la Hollande fait par les + rivières le Weser et l'Elbe avec le nord de l'Allemagne et les pays + avoisinants, éprouve de fortes entraves de la part des douaniers + français établis à l'embouchure de ces rivières et sur les côtes.</p> + +<p>Ces douaniers empêchent le passage des productions des fabriques + hollandaises en se fondant sur les dispositions de l'article 2 du + décret impérial du 2 août dernier, qui assimile aux marchandises + anglaises toute marchandise quelconque de la nature de celles que + l'Angleterre peut produire ou fournir, à moins qu'elles ne viennent + de la France. Comme c'est presque l'unique commerce que la Hollande + a conservé depuis que ses ports sont entièrement fermés, le roi, mon + maître, m'a chargé de porter cet objet à la connaissance de V. + Excellence, en la priant de le mettre sous les yeux de S. M. + impériale.</p> + +<p>Le roi se plaît à croire que son très auguste frère daignera + ordonner <span class="pagenum"><a id="pagexiv" name="pagexiv"></a>(p. xiv)</span> que les dispositions du décret susdit, évidemment + rendu dans l'intention de nuire à l'ennemi commun, ne soient pas + applicables aux marchandises hollandaises; mais que celles-ci + puissent entrer sans obstacle, toutesfois qu'elles seront duement + munies de certificats d'origine, délivrés par les magistrats des + lieux où elles auront été fabriquées, ou d'où elles auront été + expédiées, ou moyennant telles autres mesures de précaution que S. + M. impériale jugera convenable d'admettre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Paris, 31 mars.</p> + +<p>Sa Majesté l'empereur et roi est informée qu'il est arrivé à + Amsterdam deux bâtiments américains chargés de denrées coloniales et + venant d'Angleterre. Sa Majesté est pareillement informée que cent + cinquante autres bâtiments américains sont maintenant en chargement + à Londres où ils prennent aussi des denrées coloniales dans le + dessein de les transporter en Hollande. En conséquence, Sa Majesté + vous charge, M. l'ambassadeur, de redoubler d'attention et de + vigilance, de prendre toutes les précautions et de faire toutes les + démarches nécessaires, pour que des bâtiments américains ainsi + chargés de contrebande, ne pénètrent point en Hollande, ou n'y + pénètrent pas du moins impunément. Vous devez partir de ce principe + que tout bâtiment américain chargé de denrées coloniales est + suspect, ces dernières ne pouvant pas être apportées des États-Unis, + puisqu'il existe un embargo général et qu'aucun bâtiment n'en peut + sortir.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 13 mai.</p> + +<p>Avant-hier soir, il y eut cercle à la cour, et dans une longue + conversation que j'eus avec le ministre des affaires étrangères, je + lui observai que c'était à regret que je ne voyais pas ici dans la + direction générale des affaires l'esprit que je désirais y trouver, + que ce n'était pas assez pour la Hollande de prendre les mesures qui + lui étaient demandées pour l'intérêt commun, mais qu'il fallait les + faire exécuter avec le zèle qui en assurait le succès. Je lui citai + plusieurs preuves de mon assertion, en lui démontrant l'inconvenance + et appuyant sur le mal que la Hollande se ferait, si les choses ne + changeaient pas entièrement de face. Le ministre me parut abonder + dans mon sens et m'a parlé comme regardant le sort de la Hollande + dans les mains de l'empereur, et comme <span class="pagenum"><a id="pagexv" name="pagexv"></a>(p. xv)</span> n'attendant que de + lui le bonheur de sa patrie. J'ignore si M. Roëll rendit compte au + roi de notre conversation, mais hier Sa Majesté me fit prier de + venir lui parler.</p> + +<p>Je me rendis au palais à quatre heures, et restai avec S. M. jusqu'à + six heures. Le roi m'engagea de lui parler franchement sur tout ce + que je voyais, en me priant même de ne rien lui cacher. J'eus donc + l'honneur de lui répéter tout ce que j'avais dit la veille au + ministre. J'allai même plus loin, en communiquant au roi des faits + dont j'avais trouvé plus convenable de ne pas parler à M. Roëll. + J'observai à S. Majesté que l'attachement qu'on lui portait pouvait + beaucoup lui servir pour diriger l'opinion publique; que lorsqu'on + verrait que sa conduite est véritablement française, et qu'il est + mécontent de celui qui n'en a pas une prononcée dans le même sens, + alors en peu de temps le gouvernement prendrait la même direction; + qu'il ne m'appartenait pas de me mêler du choix de ses agents, que + je ne devais connaître que le résultat de leurs travaux; mais + qu'avec les moyens personnels qu'il avait, il me paraissait + impossible que Sa Majesté ne distinguât pas, quand elle le voudrait, + celui qui la sert dans l'une ou l'autre ligne.</p> + +<p>Le roi eut la bonté de me traiter avec toute sorte d'indulgence en + me promettant de lui parler aussi franchement; il se plaignit de sa + position, des peines qu'il était obligé de se donner pour arriver + malheureusement à de bien petits résultats. Il me répéta combien le + peuple qu'il gouvernait était à plaindre, et en même temps combien + il était difficile de le diriger, puisque n'étant pas susceptible + d'enthousiasme, les chiffres devenaient la seule base de leur + opinion. Cependant, le roi me demanda ce qu'il devait faire. Il me + répéta que son désir était de deviner, s'il était possible, les + désirs de l'empereur, et il m'autorisa non-seulement à le prévenir + de ce qui pourrait se faire de répréhensible, mais même encore me + promit de faire généralement tout ce que je pourrais croire utile + aux vues de l'empereur. C'est maintenant à votre Excellence de me + faire connaître les ordres de S. M. impériale et royale. Je ne puis + douter de la vérité des intentions que le roi m'a manifestées; mais + il dépend de l'empereur d'en acquérir la certitude. Je tous promets + de porter dans ma mission l'œil le plus vigilant, et de tout + faire pour opérer ici un changement de système. J'aime à me flatter + qu'aidé du roi, j'y parviendrai. V. Excellence sait ce qu'il y a à + faire. Moi je n'envisage que le plaisir, en faisant mon devoir, + d'être utile à l'empereur. Je suis en mesure d'exécuter ses ordres, + soit qu'ils portent sur les choses ou les personnes. J'attends donc + avec impatience la réponse de V. Excellence. Je ne puis finir ma + dépêche sans vous répéter à quel point j'ai été content de ce que le + roi m'a fait l'honneur de me dire.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagexvi" name="pagexvi"></a>(p. xvi)</span> <p class="center smcap">Roëll à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Amsterdam, 19 mai.</p> + +<p>J'ai mis sous les yeux du roi mon maître la lettre que V. Excellence + m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui au sujet de quelques + vaisseaux nouvellement entrés dans les ports de ce royaume malgré + les lois prohibitives à cet égard.</p> + +<p>Sa Majesté n'a pu voir qu'avec peine se renouveler une plainte + qu'elle se flattait d'avoir entièrement écartée par les dispositions + prises relativement à la fermeture des ports. Cependant, n'ayant + point de raisons suffisantes pour révoquer en doute la véracité des + informations parvenues à V. Excellence au sujet des bâtiments + susdits, elle s'est empressée d'expédier aussitôt un courrier + extraordinaire pour se faire rendre un compte exact sur cette + affaire, et, sans attendre le résultat des recherches, elle a décidé + que non-seulement les bâtiments indiqués par V. Excellence devront + se remettre en mer sans aucun délai, mais aussi que la clôture des + ports, précédemment décrétée, sera maintenue avec la plus grande + rigueur, et l'entrée défendue à tout bâtiment marchand, quels que + soient son pavillon et sa cargaison, et sans avoir égard à d'autres + considérations quelconques, si ce n'est celle du gros temps, à + l'exception cependant d'un seul, parti d'ici depuis dix-huit mois + pour Canton, avec la promesse positive de S. Majesté de ne trouver + aucun empêchement pour la rentrée dans nos ports, et au sujet duquel + elle se propose d'entretenir verbalement V. Excellence, en vous + faisant part de cette détermination du roi, par laquelle il se + flatte d'avoir détruit jusqu'à la' possibilité de tout abus + ultérieur. Je suis chargé particulièrement de vous communiquer en + même temps que si, d'un côté, S. Majesté n'a pu voir qu'à regret une + plainte quelconque faite de la part de son auguste frère, elle a su, + d'un autre côté, apprécier la nouvelle preuve de franchise et de + loyauté que V. Excellence vient de donner dans la manière dont elle + a dirigé la démarche à laquelle les informations reçues l'ont + obligée.</p> + +<p>S. Majesté est si éloignée de se plaindre de la démarche même + qu'elle désire au contraire, que si, contre son gré, il y avait + encore à l'avenir quelque chose qui puisse être désagréable à son + auguste frère, et qu'il soit en son pouvoir de prévenir ou de faire + cesser, V. Excellence veuille, sans délai et sans réserve, faire + parvenir par mon organe ses informations à cet égard à la + connaissance de S. Majesté, laquelle, tout pénible que soit dans ce + moment pour ses sujets l'état où son royaume se trouve, est trop + convaincue que les sacrifices actuels sont le seul moyen <span class="pagenum"><a id="pagexvii" name="pagexvii"></a>(p. xvii)</span> + de voir renaître les avantages d'une paix prompte et durable, pour + ne pas persévérer avec une constance inébranlable dans toutes les + mesures dont ils sont la conséquence.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 23 mai.</p> + +<p>Le roi m'entretint l'autre jour de la décision de S. M. impériale et + royale sur les Français qui étaient à son service. Il me dit qu'il + ne voulait parler à aucun de cet objet, qu'il lui suffirait de leur + avoir fait écrire une lettre pour connaître le parti qu'ils + voulaient prendre. Sa Majesté me parut très froide, ayant même peu + d'intérêt pour eux. Les Français sont de leur côté mécontents; + plusieurs m'en ont parlé dans des ternies très convenables; et + maintenant qu'il s'agit de prendre un parti définitif, presque tous + ne voudraient pas perdre leur véritable patrie pour en adopter une + nouvelle. La gloire et l'attachement pour l'empereur les appellent; + la reconnaissance et le devoir les retiennent. Ils craignent d'être + mal vus de l'empereur s'ils quittent le service de la Hollande, et + cependant plusieurs ne peuvent se décider à signer qu'ils consentent + à n'être plus Français. Ce qui me paraît certain, c'est que + plusieurs de ces messieurs ont cru obéir à S. M. impériale et royale + en venant ici et n'ont jamais imaginé s'éloigner entièrement de la + France. V. Excellence conçoit bien que je n'ai rien répondu de + positif et que je me suis borné à leur dire qu'il m'était impossible + de les conseiller dans une circonstance aussi délicate. Les + Hollandais, jaloux des Français, cherchent à leur donner + continuellement des désagréments et ceux-ci ne sont pas soutenus par + le roi. Dans cette position je voudrais connaître le désir de + l'empereur afin de leur faire prendre la ligne qu'il ordonnera. Le + général Demarçay, qui commandait l'artillerie, vient encore de + quitter le service de la Hollande, n'y pouvant plus tenir.</p> + +<p>Ayant une occasion sûre pour faire passer cette dépêche en France, + j'en profite pour parler à V. Excellence de la contrebande qui se + fait en Zélande. Il paraît que l'île de Walcheren est principalement + le point sur lequel se dirigent les contrebandiers. À mon passage à + Anvers, on m'en parla déjà, et l'on ne me cacha point que par + l'Escaut il s'introduisait beaucoup de marchandises anglaises, mais + que l'on accusait davantage les autorités hollandaises qui + paraissaient se prêter à ce commerce illicite. Depuis que je suis en + Hollande, les principaux agents du gouvernement avouent la + difficulté et presque l'impossibilité d'empêcher entièrement ce + genre de commerce en Zélande, mais aussi les mêmes agents prétendent + que les douaniers et même les autorités françaises favorisent ceux + qui leur font partager les bénéfices de ce <span class="pagenum"><a id="pagexviii" name="pagexviii"></a>(p. xviii)</span> commerce. Le + résultat me paraît être une impossibilité reconnue de guérir ce mal. + Ne serait-il pas possible qu'en coupant le nœud de la difficulté + l'empereur y remédiât en réunissant l'île de Walcheren à la France, + et Sa Majesté ne pourrait-elle pas porter cette réunion jusqu'à la + Meuse? Alors la frontière deviendrait telle qu'il serait facile de + la garder, et le Brabant hollandais, habité par des catholiques, se + trouverait heureux d'être réuni à l'empire français. Votre + Excellence sait, à quel point l'intolérance est portée dans ce pays: + ce qui ne paraît point devoir diminuer, le roi venant de placer + l'ex-ministre de l'intérieur, M. Mollerus, à la tête des cultes. + Cette intolérance fera donc toujours Français tous les catholiques + hollandais. Quant à une indemnité à donner à la Hollande, l'empereur + peut à cet égard être aussi généreux qu'il lui conviendra. Je + soumets ces observations à V. Excellence comme le moyen que je + croirais le plus sûr d'aplanir les difficultés qui surviennent tous + les jours et qui tiennent à la position de la frontière.</p> + +<p>Au sujet de la contrebande, le roi vient dans l'instant de m'envoyer + un secrétaire du cabinet pour me communiquer une liste que S. M. + impériale et royale lui a envoyée d'une certaine quantité de maisons + ou d'individus hollandais accusés de faire la contrebande. S. + Majesté y a fait joindre la réponse du ministre des finances avec + copie de l'interrogation que l'on a fait subir aux prévenus. Il en + résulte qu'un d'eux est mort depuis un an, deux autres sont aux + galères depuis quatre ans et tous les autres sont innocents. Quant à + cette dernière partie, je ne puis m'empêcher d'observer à V. + Excellence que l'interrogatoire peut être très exact, mais qu'il est + fait de manière à ne trouver aucun coupable, puisque tous ces + individus ont été appelés et que l'on s'est contenté de leur + demander ce qu'ils avaient fait, et d'envoyer ensuite leur réponse. + Il est cependant possible que d'autres recherches aient été faites; + c'est ce que je tâcherai d'apprendre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 9 juin.</p> + +<p>D'après ce que j'apprends par MM. les consuls, il y a encore une + communication avec l'Angleterre, mais elle paraît peu considérable + et vient des petits ports qui ne sont pas surveillés. C'est + principalement par la Zélande que l'on suppose que les passagers + peuvent s'embarquer pour l'Angleterre et s'introduire en Hollande. + Il est certain que le comte de Bentinck a été arrêté au moment où il + s'embarquait à Cathvyck, et qu'il n'a été relâché que sur + l'exhibition d'un ordre du roi; il a fait un voyage en Angleterre et + en est revenu il y a deux jours. On dit qu'il était envoyé pour + faire un arrangement qui permît à une certaine quantité <span class="pagenum"><a id="pagexix" name="pagexix"></a>(p. xix)</span> de + bateaux hollandais de pêcher le hareng. J'en ai parlé à M. Roëll qui + m'a assuré n'en être pas instruit. Ce M. de Bentinck doit, dit-on, + être grand écuyer.</p> + +<p>Le ministre des affaires étrangères a envoyé hier et avant-hier la + circulaire à tous les Français au service de la Hollande, pour + connaître le parti décisif qu'ils voulaient prendre. Cette liste est + d'environ 500 personnes dont il paraît que la plus grande partie + réclamera les bontés de l'empereur pour rentrer au service du roi, + sans perdre leur qualité de Français. L'autorisation donnée par S. + Majesté pour la sortie des beurres et fromages n'a pas atteint son + but. Aucun négociant n'a voulu donner la caution exigée. J'ai + appris, de mon côté, aux maisons qui se sont adressées à moi que + j'ignorais absolument les motifs qui avaient décidé le roi à prendre + cette mesure. Il me semble que, par son effet, elle doit être + regardée comme nulle.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Berthier.</p> +<p class="date">Bayonne, 22 juin.</p> + +<p>S. M. impériale voulant donner au commerce de la Hollande toutes les + facilités compatibles avec l'exécution des grandes mesures adoptées + contre l'Angleterre, a consenti à autoriser le commerce de cabotage + sur les côtes de l'Allemagne septentrionale depuis l'embouchure de + l'Ems jusqu'au canal de Holstein. Les bâtiments destinés à ce + commerce suivront la côte, escortés par des chaloupes canonnières de + la marine hollandaise. Ils ne pourront transporter aucune espèce de + denrées coloniales, bien moins encore des marchandises anglaises.</p> + +<p>Cette navigation a pour objet d'établir par le canal de Holstein une + communication avec la Baltique, d'où la Hollande pourra tirer des + bois de construction, des chanvres et autres approvisionnements + nécessaires à sa marine.</p> + +<p>V. A. S. jugera sans doute convenable d'instruire les généraux + français commandant dans le nord de l'Allemagne des intentions de S. + M. pour qu'ils ne mettent point d'obstacle à une navigation + autorisée par elle.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Paris, 9 juillet.</p> + +<p>Monsieur l'ambassadeur, j'ai reçu vos deux dépêches numérotées 13 et + 14. Il m'en est parvenu d'autres qui sont encore dans le + portefeuille de S. Majesté et auxquelles je répondrai plus tard.</p> + +<p>Je dois aujourd'hui vous recommander, d'après les ordres de + l'empereur, <span class="pagenum"><a id="pagexx" name="pagexx"></a>(p. xx)</span> de ne point perdre de vue les instructions qui + vous ont été données et de veiller avec un soin constant à + l'exécution des mesures du blocus. Vous ne cesserez de faire sentir + au gouvernement hollandais, au roi même, quand vous en trouverez + l'occasion, combien il importe de ne laisser à l'Angleterre aucun + débouché pour ses marchandises sur le continent. Il faut attaquer + son commerce, puisque son commerce est la source de ses revenus, + puisque c'est là qu'elle puise les moyens de prolonger la guerre. + Toutes les puissances de l'Europe se sont réunies dans le même but, + et le succès des mesures qu'elles ont prises ne peut être douteux, + si partout on les fait exécuter avec persévérance et sévérité.</p> + +<p>S. M. impériale a été informée que des smoggleurs, sortant + journellement des ports de la Hollande, entretiennent des + communications avec les Anglais qu'ils instruisent de tout ce qui se + passe à Flessingue et dans l'Escaut. Vous appellerez l'attention du + gouvernement hollandais sur ces manœuvres qui peuvent avoir des + conséquences dangereuses et qu'il importe de prévenir. Les + smoggleurs qui communiquent avec les Anglais doivent être considérés + et traités comme espions.</p> + +<p>Il est un autre objet que S. Majesté recommande à vos soins, c'est + de faire en sorte que les Français de l'âge de la conscription qui + cherchent à se réfugier en Hollande ne puissent y être admis, et que + ceux qui y seront trouvés soient immédiatement anotés et remis aux + autorités françaises. Vous voudrez bien m'instruire du résultat des + démarches que vous aurez faites dans le terme des directions que je + suis chargé de vous transmettre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Werhuell.</p> +<p class="date">Bayonne, 12 juillet.</p> + +<p>Lorsque S. Majesté, usant d'un juste droit de représailles, eut + déclaré les îles Britanniques et leurs colonies en état de blocus, + la presque totalité des puissances du continent, également blessées + par les prétentions exagérées de l'Angleterre, se réunirent + successivement à S. Majesté et résolurent, d'un commun accord, de + suspendre toute communication entre leurs États et les îles + Britanniques. Votre gouvernement adopta le premier les mesures qui + avaient été prises par l'empereur.</p> + +<p>Aujourd'hui l'Angleterre ne compte plus qu'une puissance amie sur le + continent. Tous les ports de l'Europe, à l'exception des ports de + Suède, sont fermés à son commerce. Les États-Unis d'Amérique ont + renoncé à toute communication commerciale avec elle, et il ne lui + reste plus de débouchés pour ses marchandises, de moyens + d'approvisionnement pour sa marine que dans ses propres colonies et + dans le Brésil, qui ne lui offre que de bien faibles ressources. + Plus son commerce est gêné, plus <span class="pagenum"><a id="pagexxi" name="pagexxi"></a>(p. xxi)</span> elle met d'activité, de + soin et d'adresse pour verser sur le continent, par le moyen de la + contrebande, ses marchandises et les denrées coloniales dont ses + magasins sont encombrés. Simulation de pavillon, papiers faux, + certificats d'origine publiquement contrefaits, tout est employé; + et, sans une surveillance active et continuelle de la part de toutes + les puissances du continent, les grandes mesures qu'elles ont + adoptées n'étant qu'imparfaitement exécutées n'obtiendront point + tout l'effet qu'on devait en attendre. Il ne suffit pas de fermer + tout débouché au commerce de l'Angleterre, et puisqu'elle est + séparée des autres puissances du continent en refusant de + reconnaître les principes du droit maritime qui les régit, il faut + maintenir l'interdiction qu'elle a prononcée elle-même, et que le + continent rompe toute communication avec elle. S. Majesté, en me + chargeant d'appeler l'attention de votre gouvernement sur ces deux + objets, se persuade que le roi son frère se fera un plaisir de + seconder ses vues et prendre les mesures les plus propres à déjouer + les tentatives de la contrebande, et à empêcher toute communication + quelconque entre ses sujets et les Anglais.</p> + +<p>Je prie V. Excellence de vouloir bien porter à la connaissance de sa + cour les communications que j'ai l'honneur de lui adresser + aujourd'hui.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Bayonne, 19 juillet.</p> + +<p>Dans une de vos dernières dépêches, vous avez énoncé une idée qui a + fixé l'attention de S. Majesté. Vous parliez de la difficulté de + prévenir le versement des marchandises de contrebande de Hollande en + France, difficulté qui tenait principalement à la nature des + frontières actuelles entre les deux États, et qui ne cesserait que + lorsque la frontière de l'Europe française aurait été portée jusqu'à + la Meuse. Sa Majesté n'a point méconnu la justesse de vos + observations, et elle entrevoit volontiers un arrangement avec le + roi son frère pour parvenir à une rectification de frontières qui + faciliterait l'action des douanes et aurait le grand avantage de + donner à la France une ligne non interrompue de limites naturelles. + Il est loin des idées de S. M. de demander des cessions gratuites à + la Hollande; elle ne veut même faire aucune proposition d'échange + avant de savoir si elle pourrait convenir au roi.</p> + +<p>Je vous invite en conséquence, Monsieur l'ambassadeur, à vouloir + bien sonder l'opinion du gouvernement hollandais à cet égard, vous + vous attacherez surtout à connaître quelles indemnités la Hollande + désirerait, dans la supposition où elle nous céderait soit les + territoires à la gauche de la Meuse, soit même tout ce qui est à la + gauche du Vaal. Le plus important pour la France est d'obtenir une + frontière fixe <span class="pagenum"><a id="pagexxii" name="pagexxii"></a>(p. xxii)</span> et bien définie, ce qu'elle trouve dans la + Meuse et encore plus dans le Vaal, soit que la Zélande fasse ou ne + fasse point partie de la cession.</p> + +<p>La Hollande peut trouver une compensation dans les pays d'Allemagne + qui sont encore à la disposition de Sa Majesté. Le grand-duc de Berg + est dans cette classe. Les souverains des petits États qui touchent + à la Hollande pourraient, au moyen d'arrangements particuliers, être + transportés ailleurs. Je ne vous en dis point davantage, Monsieur + l'ambassadeur, j'attends que vous m'ayez fait connaître les + dispositions dans lesquelles vous aurez trouvé le ministère + hollandais. Votre premier soin doit être de découvrir ses vues, de + savoir ce qui peut être à sa convenance, et, lorsque vous m'en aurez + instruit, j'aurai l'honneur de prendre et de vous faire connaître + les intentions de Sa Majesté; mais ne faites aucune proposition + directe.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 20 juillet.</p> + +<p>Les circonstances actuelles de l'Europe et les liens étroits qui + unissent la Hollande à la France, joints à la haute bienveillance + dont Sa Majesté l'empereur honore son auguste frère le roi, mon + maître, ont naturellement fait naître dans le cœur de tout bon + Hollandais le désir de voir son pays partager les nouveaux liens qui + rapprochent d'autres États encore plus intimement de la France. + Lorsque la Hollande confia ses destinées au monarque chéri qui la + gouverne, elle voulut, en croyant assurer par là son intégrité, son + indépendance et son bonheur, prouver à la fois d'une manière + éclatante sa vive affection pour la France et son profond respect + pour le plus magnanime des monarques de l'univers. Constamment + animée de ces sentiments et fortement pénétrée de tout ce qu'elle + doit à l'alliance sacrée qui l'unit au peuple français, la Hollande + serait flattée d'en resserrer encore les liens, et l'on se persuade + d'atteindre ce but, si S. M. impériale et royale daignait regarder + comme un nouvel hommage de dévouement à son auguste personne le + désir de voir le royaume de la Hollande admis dans la confédération + du Rhin.</p> + +<p>Le poste éminent et honorable que Votre Excellence occupe auprès de + Sa Majesté la met plus que personne à même de savoir si l'expression + officielle de ce vœu de mon souverain ne déplairait point à + l'empereur. J'attacherais beaucoup de prix à être instruit par Votre + Excellence des intentions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi + à cet égard, et je m'estimerais très heureux si j'avais l'honneur + d'être choisi par mon souverain pour être auprès du magnanime + protecteur de la Confédération rhénane l'organe d'une demande + inspirée par le respect, la reconnaissance et un amour sans bornes.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagexxiii" name="pagexxiii"></a>(p. xxiii)</span> Me reposant sur la noblesse de caractère qui illustre + Votre Excellence et qui m'a inspiré depuis longtemps une confiance + illimitée, j'ose la prier de regarder ma demande comme n'ayant pas + été faite, si elle croit qu'elle ne serait pas agréable à S. M. + l'empereur.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 8 août.</p> + +<p>J'ai pu enfin m'acquitter jeudi dernier des ordres de l'empereur. Je + suis parvenu, après bien de vaines tentatives, à rejoindre M. Roëll + qui était au Loo depuis huit jours. J'ai parlé au ministre de l'idée + d'échanger le Brabant jusqu'à la rive gauche de la Meuse, et plus + encore du Vaal, contre des pays en Allemagne qui restaient à la + disposition de S. M. impériale et royale, en y comprenant le + grand-duché de Berg. J'ai fait sentir au ministre combien le système + des douanes souffrait de la mauvaise frontière qui existait + maintenant entre la Hollande et la France, combien nos agents + avaient rejeté souvent sur les autorités hollandaises les atteintes + portées aux lois françaises, et combien les deux gouvernements + avaient d'exemples du résultat désagréable de ce genre de + discussion; que l'empereur, en se donnant de ce côté une frontière + naturelle, ne voulait rien faire qui fût contre les intérêts du + royaume de Hollande; que c'était dans cette idée que Sa Majesté ne + fixait pas un échange, mais désirait avant tout savoir ce que le roi + de Hollande jugerait équivaloir à la partie de son royaume qu'il + devait céder. M. Roëll commença par me dire qu'il lui était + impossible de répondre à une proposition aussi inattendue, que le + roi pouvait seul donner une décision dans cette circonstance. Il me + laissa cependant entendre qu'il était personnellement contre cette + idée, et son opinion me parut basée sur cinq points principaux:</p> + +<p>Le 1<sup>er</sup> était la difficulté ou presque l'impossibilité de s'entendre + sur les travaux de mer indispensables dans les îles pour garantir le + midi de la province de Hollande, travaux sur lesquels les ingénieurs + d'un même gouvernement avaient déjà bien de la peine à être du même + avis, et sans lesquels la Hollande courrait les plus grands dangers.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Le ministre regarde le cours des rivières comme la seule + richesse de ce pays, et par conséquent le tharvlweg du Vaal comme + ruineux pour la Hollande.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Il estime le revenu du Brabant à cinq millions de florins, et + regarde que ce revenu augmente journellement.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Son opinion est que pour pouvoir sauver sa patrie il est + nécessaire que le revenu territorial soit augmenté de cinq à six + millions, ou au moins de moitié, et qu'un échange amènerait + difficilement cet avantage; <span class="pagenum"><a id="pagexxiv" name="pagexxiv"></a>(p. xxiv)</span> qu'il verrait donc avec peine + le roi perdre d'anciens sujets sans acquérir la certitude que la + Hollande y gagnerait une existence stable et indépendante.</p> + +<p>5<sup>o</sup> Enfin M. Roëll m'a fait sentir qu'il y avait eu de grandes + discussions lorsqu'il s'agit, l'année dernière, de l'échange de + Flessingue, et qu'il ne savait pas jusqu'à quel point le roi + pourrait même traiter seul cet objet.</p> + +<p>Je répondis à ces observations:</p> + +<p>1<sup>o</sup> Que l'on pourrait laisser à la Hollande les îles; que par + conséquent les travaux de mer resteraient dans ses mains.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Que le cours de la petite Meuse serait seul perdu pour la + Hollande, et que ses deux ports principaux, Amsterdam et Rotterdam, + lui resteraient toujours ainsi que sa navigation intérieure.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Que je regardais le revenu du Brabant comme très exagéré; qu'au + surplus ceci était une affaire de détail à laquelle je n'avais pas à + répondre puisqu'il ne s'agissait que d'asseoir le principe + d'échange, mais nullement de discuter la valeur des objets proposés.</p> + +<p>4<sup>o</sup> Que je venais de répondre à sa quatrième observation, et + qu'enfin la cinquième me paraissait d'autant moins fondée qu'une + fois la chose arrêtée du commun accord des deux parties et à leur + avantage réciproque, l'on prendrait la forme que l'empereur jugerait + nécessaire.</p> + +<p>Votre Excellence sentira que cette conversation nous mena très loin. + Le ministre rappela les sacrifices de la Hollande, en me faisant + entendre que le roi s'attendrait dans cette circonstance à une + augmentation de territoire, et que Sa Majesté préférerait un moins + grand avantage à un échange qui lui assurerait des revenus plus + considérables. Je suis tombé d'accord avec le ministre sur la + position malheureuse de ce pays, qui souffrait plus que le reste du + continent des mesures nécessitées par les circonstances; mais en + même temps je lui ai rappelé que le gouvernement n'avait rien fait + pour mériter les bontés particulières de l'empereur, puisque son + esprit était mauvais, sa direction habituellement vicieuse, et que + ce n'était qu'en insistant et par la crainte que l'on pouvait + l'amener à des mesures et à une conduite dont il cherchait à + s'écarter dans toutes les occasions; que j'en étais habituellement + témoin, et que certainement ce n'était pas ainsi que l'on acquerrait + le droit d'attendre une existence indépendante du souverain qui + pouvait tout; que le gouvernement hollandais était d'autant plus + répréhensible que c'était de lui seul que venaient les torts, + puisque le pays était bon et souffrait avec une résignation qui lui + faisait le plus grand honneur. M. Roëll m'a répété qu'il me priait + de regarder comme une simple conversation ce qu'il venait de me + dire, attendant les ordres du roi pour me communiquer sa réponse. Il + m'a témoigné son embarras d'en parler à Sa Majesté et m'a demandé + quelque chose par écrit: ce que j'ai refusé. <span class="pagenum"><a id="pagexxv" name="pagexxv"></a>(p. xxv)</span> On annonce + l'arrivée du roi pour jeudi. J'imagine qu'alors j'aurai l'honneur de + le voir et de savoir la détermination de Sa Majesté. On dit que le + roi donnera des fêtes pour le jour de saint Napoléon. Rien n'est + cependant encore connu. Je verrai M. Roëll aujourd'hui et pourrai + peut-être rendre compte à Votre Excellence de ce qu'il m'aura dit à + ce sujet.</p> + +<p>La côte est bien gardée. On a arrêté dernièrement plusieurs + passagers venant d'Angleterre. Il n'entre pas de marchandises. Nous + avons cependant assez régulièrement les nouvelles de Londres, et les + journaux du 28 sont en ville. Les nouvelles qu'ils contiennent sont + bien tristes sur l'Espagne. J'aime à les croire fausses. Je ne doute + pas que l'empereur reçoive tous ces journaux. Si Sa Majesté les + désirait, je puis les avoir sans me compromettre.</p> + +<p>Votre Excellence sait combien je surveille la fermeture des ports, + et elle doit supposer combien les mesures prises et exécutées + doivent être contraires à la majeure partie des habitants + d'Amsterdam. C'est donc avec une véritable peine que j'apprends que + les mêmes mesures ne sont pas exécutées partout avec la même + sévérité. J'ai la certitude positive qu'il entre à Brême une énorme + quantité de marchandises anglaises et que l'on ne fait rien pour + l'empêcher. Les négociants hollandais se plaignent alors d'un poids + qu'ils supportent seuls. Je ne puis rien répondre aux preuves qu'ils + me présentent et ma position devient désagréable. Je suis aussi + fâché de voir dans les journaux français l'arrivée dans nos ports de + navires américains chargés de denrées coloniales. Le prétexte qu'ils + ne sont pas entrés en Angleterre n'en est pas un admis ici, et l'on + a la certitude que beaucoup de navires ont des journaux doubles, et + que l'on imite si bien en Angleterre les signatures et les papiers + que les prétendus signataires ne peuvent pas même les reconnaître.</p> + +<p>J'apprends à l'instant que M. Roëll est encore à Utrecht. Je ne puis + donc rien mander de plus à Votre Excellence.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 11 août.</p> + +<p>J'arrive dans l'instant de chez le roi qui est à Amsterdam depuis + hier soir. Sa Majesté m'a fait écrire par son ministre des affaires + étrangères de me rendre à son palais, à deux heures. J'ai exécuté + cet ordre et n'ai pas été peu étonné en entrant dans le cabinet du + roi d'y trouver M. Roëll, ce qui n'était jamais arrivé depuis que je + suis en Hollande, Sa Majesté m'ayant entretenu toujours seul. J'ai + donc pensé qu'il s'agissait d'une réponse officielle à l'ouverture + que j'avais été chargé de faire <span class="pagenum"><a id="pagexxvi" name="pagexxvi"></a>(p. xxvi)</span> au sujet de l'échange + proposé par l'empereur comme rectification des frontières, et je ne + me suis pas trompé dans mon pressentiment. Le roi m'a répété + absolument tout ce que M. Roëll m'avait dit il y a quelques jours, + m'a déclaré son éloignement pour la cession proposée par l'empereur. + Sa Majesté m'a annoncé que, dans son opinion, cette proposition + était aussi désavantageuse pour lui personnellement que pour le pays + qu'il gouverne; qu'il serait perdu aux yeux des Hollandais; + qu'ainsi, s'il en était le maître, il ne pouvait l'accepter; qu'il + ne pouvait renoncer à d'anciens sujets; qu'enfin il m'enverrait une + réponse par écrit qui développerait plus en détail les différents + points de vue sous lesquels il envisageait cette affaire. J'ai eu + l'honneur d'observer au roi que l'avantage de la Hollande consistait + dans l'échange qui serait fait; qu'ainsi il paraissait difficile à + Sa Majesté de prévoir qu'il serait désavantageux à son royaume + puisqu'il n'était pas connu; que, quant à lui personnellement, il me + semblait que dans la position où étaient les finances de l'État, il + ne pouvait lui être préjudiciable d'admettre un principe qui aurait + pour but de les améliorer et de sauver son pays qui, de son propre + aveu, marchait journellement à sa ruine. J'ai eu la douleur + d'entendre le roi me tenir un langage d'indépendance absolument + nouveau. J'imagine que S. M. s'y est crue obligée en présence de son + ministre. J'ai répondu avec la dignité que j'ai cru qui convenait à + l'ambassadeur de l'empereur, mais en même temps avec tout le respect + que je dois à tant d'égards au frère de mon souverain. Je n'ai dit + que ce que je voulais dire; mais j'ai fait sentir au roi que d'aller + au devant d'une idée qui paraissait agréable à l'empereur ne me + paraissait pas devoir être si éloigné de sa pensée, surtout + lorsqu'elle était présentée par ma cour avec une modération qui + prouvait son intention de ne faire aucun tort à la Hollande. Je n'ai + voulu entrer dans aucun autre développement. M. Roëll était présent, + c'était une raison de plus de ne pas aller plus loin. J'aurai donc + l'honneur d'adresser à Votre Excellence la réponse du roi, si elle + me parvient avant le départ du courrier. Je n'étais pas heureux + aujourd'hui, car il m'est survenu un autre objet sur lequel je n'ai + pu tomber d'accord avec le roi. Il a été question des soldats de sa + garde que Sa Majesté a licenciés et de la pension que l'empereur + exige qui soit faite à ces soldats. Le roi m'a dit que ces + militaires étaient partis parce qu'ils ne voulaient plus rester à + son service; qu'ainsi il n'était tenu à leur donner aucune pension; + qu'il leur avait fait demander s'ils avaient de quoi vivre en + France; qu'ils avaient répondu affirmativement et avaient ajouté + qu'ils étaient très contents. J'ai eu l'honneur d'observer au roi + qu'ils avaient tenu un autre langage dans ma chancellerie où ils + s'étaient plaints de leur licenciement, en disant qu'ils ne + partaient que parce qu'ils ne voulaient pas devenir Hollandais. Sa + Majesté me dit les avoir fait parler, et me cita le général de Brac, + grand maréchal du palais, <span class="pagenum"><a id="pagexxvii" name="pagexxvii"></a>(p. xxvii)</span> comme ayant été chargé de + s'assurer qu'ils partaient entièrement de leur consentement. Le roi + sonna aussitôt, fit appeler M. de Brac qui dit qu'ils avaient tous + répondu qu'ils quittaient à regret le service du roi; mais que dès + qu'ils devaient devenir Hollandais pour y rester, ils préféraient + retourner dans leur patrie. J'ajoutai alors que cette réponse + cadrait parfaitement avec le dire des soldats, puisqu'ils n'avaient + quitté le service du roi que pour obéir à l'option qui leur avait + été faite. J'eus l'honneur de prendre congé de Sa Majesté, qui reste + encore quelques jours dans sa capitale, et qui donnera lundi, jour + de saint Napoléon, un concert et un bal. Le même jour j'ai engagé + dans un grand dîner les ministres du pays et étrangers, ainsi que + les chefs des autorités civiles et militaires.</p> + +<p>P. S. Le roi ne m'ayant rien envoyé, je suis obligé de fermer ma + dépêche. J'imagine que Sa Majesté expédiera un courrier à + l'empereur.</p> + +<p>P. S. J'ouvre ma dépêche pour envoyer à Votre Excellence la note de + M. Roëll.</p> +</div> + +<p>Le duc de Cadore remit cette lettre à l'empereur après l'avoir fait +suivre de la note ci-dessous:</p> + +<p class="lettre">Je renouvelle au sujet de cette lettre l'observation déjà faite que + M. de Larochefoucauld a été au delà de ses instructions lorsqu'il a + fait la proposition directe d'un échange sur lequel il était + seulement chargé de connaître les dispositions du gouvernement + hollandais.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 15 août.</p> + +<p>Je n'ai que le temps, avant le départ du dernier courrier, d'envoyer + à Votre Excellence la réponse officielle du roi transmise par M. + Roëll. Je l'ai déjà trouvée plus mesurée que ce que j'avais entendu + quelques heures auparavant, et j'ai su que le roi avait senti la + position fausse dans laquelle il s'était placé, ainsi que moi, + lorsqu'il me parla devant son ministre. J'ai eu l'honneur de revoir + Sa Majesté avec laquelle j'eus une longue conférence, et je dois à + la vérité d'assurer à Votre Excellence que je l'ai trouvée + absolument différente dans son opinion, du moins dans la manière de + l'exprimer. Le roi m'a dit que son idée, en rendant M. Roëll témoin + de sa réponse, était, dans une affaire aussi majeure, qu'elle fût + connue de son ministre. Je lui ai observé que ceci ne me paraissait + pas être le meilleur moyen d'atteindre son but; car son ministre + pouvait me répondre s'il ne s'agissait uniquement que de me faire + connaître sa détermination; mais que, me faisant l'honneur de + m'appeler, je devais supposer que Sa Majesté voulait discuter la + <span class="pagenum"><a id="pagexxviii" name="pagexxviii"></a>(p. xxviii)</span> proposition, ce qui devenait inutile dès que sa réponse + était concertée d'avance. Nous avons repris l'objet en question; + nous en avons discuté les avantages pour la Hollande ainsi que les + désavantages, et j'ai vu que la répugnance du roi à cet échange + tenait plutôt à l'impossibilité où il se croyait de céder une partie + de ses sujets, et au doute qu'il avait que cette proposition plût ou + convînt à la nation qu'à aucune autre raison; qu'ainsi il ne pouvait + pas le demander, mais qu'il ne s'y opposerait pas et en serait + peut-être bien aise, si le résultat était un avantage dont ce pays + ne peut se passer. Le roi m'a dit avoir écrit à l'empereur. Je puis + ajouter à Votre Excellence que plusieurs personnes m'ont parlé de + cette affaire, quelques-unes comme la désirant, regardant que leur + patrie a besoin de possessions en Allemagne pour se soutenir pendant + la guerre; d'autres comme espérant de la générosité de l'empereur un + avantage pour ce pays; enfin d'autres comme jugeant nécessaire de + faire une cession qui convenait à l'empereur, et par cela mériter + ses bontés et échanger l'opinion que l'on suppose à S. M. impériale + et royale sur la Hollande. Enfin, comme j'ai eu l'honneur de vous le + mander dans une de mes dépêches précédentes, l'on commence à sentir + que l'on ne peut plus rien attendre que de la France. Le résumé de + cette dépêche est donc que l'empereur peut faire l'échange s'il le + désire, et que Sa Majesté attirera à elle tout ce pays-ci si elle + juge devoir l'aider à sortir de la crise où la stagnation du + commerce le met. Le roi m'a traité avec beaucoup de bonté la + dernière fois que j'ai eu l'honneur de le voir. Je lui ai rappelé + différents griefs pour telle ou telle affaire particulière que + j'avais eu à traiter. Sa Majesté a eu la bonté de m'en éclaircir + plusieurs. J'espère, dans ce voyage, avoir fait quelques pas vers le + but que je me propose; il y a certainement du mieux. Il n'entre pas + de bâtiments, et c'est beaucoup. Je désire pouvoir bientôt mander à + Votre Excellence que ce mieux est devenu un bien. Je n'épargne rien + pour y parvenir. Je vais aller au <i>Te Deum</i> que le roi fait chanter + à sa chapelle.</p> + +<p>Dans mon premier numéro j'aurai l'honneur de vous rendre compte de + la manière dont la journée se sera passée<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a><a href="#footnote150" title="Lien vers la note 150"><span class="smaller">[150]</span></a>.</p> + +<p>M. le général Brunot, aide de camp du roi, vient d'être nommé grand + écuyer.</p> + +<p>M. le comte de Turkheim Montmartin, ministre de la cour de + Wurtemberg, vient d'obtenir son rappel, M. de Munch, son secrétaire + de légation, vient d'arriver. Il restera chargé d'affaires, en + attendant une nouvelle nomination.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagexxix" name="pagexxix"></a>(p. xxix)</span> <p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 18 août.</p> + +<p>Je me suis rendu le 15 de ce mois à la chapelle du roi où j'ai + entendu la messe et ensuite le <i>Te Deum</i> chanté pour la fête de + l'empereur. Le roi y a assisté; mais la cour n'était pas en grande + cérémonie, et le service ordinaire était simplement présent. Le roi + a travaillé avec ses ministres dans la matinée. J'ai ensuite donné + un grand dîner à tous les ministres du roi, aux grands officiers du + royaume et du palais, aux premiers fonctionnaires publics, civils et + militaires, et à tout le corps diplomatique. De toutes les personnes + qui entourent le roi, M. le maréchal de Brac et M. de Heckeren, + grand veneur, se sont seuls rendus à mon invitation. Au dessert, le + ministre des affaires étrangères a, d'après l'offre que je lui en ai + faite, porté le toast de l'empereur et y a joint l'expression de son + désir que S. M. impériale et royale veuille bien penser au bonheur + de sa patrie. Tout le monde était obligé de se rendre de très bonne + heure à la cour, ce qui m'a forcé de réunir en un seul toast: au + roi, à la paix maritime et au bonheur de la Hollande.</p> + +<p>Quant aux gazettes anglaises, je n'avais pas été plus loin avant + d'avoir la réponse de Votre Excellence; mais hier j'ai pris de plus + amples informations. On m'offre les papiers, les notes des + ministères, les ordres donnés dans les différents ministères, etc.; + mais pour cela l'on demande près de 3,000 fr. par mois; pour les + gazettes seulement moitié, ou un peu plus. Alors deux fois par + semaine vous pourriez les recevoir, et je les enverrais par exprès + jusqu'à Anvers, pour que cette correspondance fût à l'insu du + gouvernement hollandais qui pourrait bien l'empêcher. Je ne + paraîtrais nullement, et Votre Excellence peut s'en rapporter à ma + prudence et être sûre que je ne ferais rien qui puisse blesser le + moins du monde le système général. Répondez-moi, je vous en prie, le + plus promptement possible en m'indiquant la latitude que je puis + prendre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Paris, 26 août.</p> + +<p>J'ai reçu votre dépêche du 18 août, n<sup>o</sup> 27. Je vois avec + satisfaction que vous avez heureusement terminé l'affaire des deux + prises conduites à Helvoët-Huyr, et avec regret que le roi ait + l'intention d'insister désormais sur le principe même qui avait fait + naître la difficulté. Je sens bien tout l'inconvénient qu'il y + aurait à admettre ce principe et c'est ce que vous devez vous garder + de faire. Mais il y a de plus pour le combattre des raisons solides. + Si la Hollande était neutre, elle aurait en <span class="pagenum"><a id="pagexxx" name="pagexxx"></a>(p. xxx)</span> cette qualité + des obligations pour lesquelles le droit qu'elle réclame lui + pourrait être nécessaire. Mais elle est alliée de la France et son + alliée à perpétuité, son alliée envers et contre tous. Non seulement + les deux pays ont les mêmes amis et les mêmes ennemis, mais dans + l'un et l'autre les règlements concernant la navigation des neutres + sont entièrement et parfaitement les mêmes. La nature des choses + veut donc que lorsqu'il s'agit, soit de poursuivre l'ennemi commun, + soit d'empêcher les prévarications des neutres, les deux + territoires, quoique distincts, soient considérés comme un seul et + même; et, comme il ne peut être dans l'intention du gouvernement de + Hollande de protéger ses propres ennemis, il est évident qu'il ne + peut empêcher les opérations des armateurs français et vouloir les + enlever à leurs juges naturels, sans aller lui-même contre ses vues + autant que contre son intérêt. Telles sont les considérations que + vous aurez à faire valoir lorsque l'occasion s'en présentera.</p> + +<p>Des deux offres qui ont été faites relativement aux papiers anglais, + je n'accepte que celles qui regardent les gazettes. Je vous prie de + vouloir bien donner vos soins à me les procurer avec exactitude. + Vous pouvez, comme vous le proposez et si vous le jugez utile, les + envoyer par exprès à Anvers. Toutes les avances que vous aurez + faites pour cet objet vous seront remboursées à votre première + demande.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore au ministre de la marine.</p> +<p class="date">Paris, 26 août.</p> + +<p>Au moment où je recevais la lettre que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois, il m'en parvenait une de M. + de Larochefoucauld où il m'annonce qu'il a terminé, selon vos désirs + et les siens, l'affaire des deux prises conduites par des corsaires + français à Helvoët-Huyr. Le roi a passé sur la violation du + territoire hollandais reprochée aux deux corsaires, mais en + déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères, + que, si dans cette occasion il se désistait de son juste droit, + c'était uniquement pour donner une nouvelle preuve de sa constante + déférence à ce que paraissait désirer S. M. l'empereur, son auguste + frère; mais que cette condescendance ne pourrait jamais tirer à + conséquence et qu'à l'avenir tous les cas de même nature seront + décidés suivant les statuts et les lois du royaume.</p> + +<p>Les Hollandais ont constamment soutenu et soutiennent que tout + étranger, même d'un pays leur allié, qui fait des prises dans leurs + eaux, viole leur territoire, ou, ce qui est la même chose, attente à + leur souveraineté et commet un délit dont la connaissance appartient + exclusivement au souverain offensé et dont la première conséquence + est de <span class="pagenum"><a id="pagexxxi" name="pagexxxi"></a>(p. xxxi)</span> rendre la prise illégale et nulle. Il faut + l'avouer, ce ne sont pas les Hollandais seuls qui ont professé cette + doctrine. Elle a été celle de toutes les puissances maritimes dans + les dernières guerres. Elle me semble admise par nos propres + ordonnances, et c'est en vertu de ce principe que nous-mêmes nous + avons exigé et obtenu de diverses cours, et naguère encore du + Danemarck, des indemnités pour des bâtiments français pris dans + leurs eaux.</p> + +<p>Sa Majesté le roi de Hollande, se montrant jaloux de son droit et + annonçant la résolution de ne s'en point désister à l'avenir, il me + paraîtrait désirable, pour éviter désormais des discussions + désagréables, qu'il fût enjoint aux corsaires de ne saisir dans les + eaux de la Hollande, à une distance des rivages moindre que la + portée du canon, aucun bâtiment sous pavillon neutre (car pour les + prises sous pavillon ennemi, il ne s'élèverait, je présume, aucune + difficulté, ou elles seraient aisément aplanies), ou du moins de ne + pas conduire dans les ports hollandais les bâtiments saisis à une + moindre distance, et cela sous peine d'être privés de l'intervention + et de l'appui du gouvernement français.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 août.</p> + +<p>J'ai eu l'honneur, dans un de mes numéros, d'informer Votre + Excellence que j'avais un moyen d'envoyer en Angleterre une personne + qui pourrait me rendre compte de la véritable situation de ce pays + et sonder ses intentions. Je prie Votre Excellence de me mander + simplement si S. M. impériale et royale désire que je conserve ce + moyen ou si elle veut que je l'abandonne. Ne voulant pas + compromettre ma cour, je retarde de donner une réponse, prétextant + mon désir de voir l'issue de quelques événements avant de ne rien + entreprendre; mais ceci a ses bornes, et je craindrais que la + personne regardât ce retard prolongé comme une manière de se jouer + d'elle; ce qui me priverait d'un agent qui est bon et m'a déjà été + souvent utile. Je demande donc simplement à Votre Excellence un oui + ou un non sur cet article.</p> + +<p>On a attendu ici le roi le 1<sup>er</sup> septembre; Sa Majesté donnera le 2 + un grand bal pour son jour de naissance. Le ministre des affaires + étrangères a invité le corps diplomatique à un grand dîner pour le + même jour.</p> + +<p>Il y a quelques jours que les Anglais vinrent à Zandvoort, près de + la côte, à quatre lieues d'ici, demander du poisson. Sur le refus + que l'on fit de leur en donner, ils tirèrent sur ce village environ + 80 coups de canon. Le dommage, que l'on avait dit être très + considérable, est presque nul.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagexxxii" name="pagexxxii"></a>(p. xxxii)</span> Je viens d'être informé que le roi venait d'accorder la + libre sortie de tous les produits de la Hollande. Le ministre Roëll, + qui sort de chez moi et à qui j'en ai parlé, m'a assuré l'avoir + aussi entendu dire, mais n'en rien savoir positivement. Il m'a + simplement informé qu'il savait que l'on s'était adressé au roi pour + l'engager à donner un écoulement à la garance et aux avoines qui + étaient tombées en baisse par la quantité prodigieuse qu'il y en + avait dans le pays. Je ne doute pas que le roi n'ait mis des bornes + à cette permission, qui paraîtrait bien vague et dangereuse quant à + ses conséquences.</p> + +<p>On commence à organiser le commerce de cabotage le long de la côte + du Nord. On est informé ici que l'on charge des bâtiments en Russie + pour la Hollande, et le commerce espère dans ce nouvel essai + éprouver quelques adoucissements à la triste position dans laquelle + il se trouve réduit.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Roëll à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 28 septembre.</p> + +<p>J'avais l'honneur de m'adresser il y a peu de jours à Votre + Excellence pour la solliciter de se servir de toute son influence + auprès de S. M. impériale et royale afin d'obtenir à ce royaume un + accroissement de territoire, en dédommagement des sacrifices énormes + que les habitants ont déjà faits depuis longtemps et font encore + pour la cause commune. J'osais me flatter alors que S. M. impériale + et royale serait convaincue elle-même, d'un côté, de la nécessité + absolue de cet agrandissement, sinon pour nous tirer d'affaire, au + moins pour nous soulager dans l'état pénible où nous nous trouvons; + et que, d'un autre côté, elle serait si intimement persuadée de la + stricte observation du système de blocus dans ce royaume, que + lorsque l'occasion s'en présenterait, elle daignerait manifester son + contentement à ce sujet, comme elle l'a déjà fait une fois, il y a + quelques semaines, à l'ambassadeur Werhuell par l'organe de Votre + Excellence.</p> + +<p>J'étais donc loin de prévoir alors que, si peu de temps après, je + serais dans le cas de m'adresser à Votre Excellence sur le coup si + terrible qui vient de nous frapper dans le décret impérial du 16 de + ce mois, contenant une prohibition de faire entrer en France des + denrées coloniales venant de l'Espagne ou de la Hollande, et une + confiscation de tous les bâtiments qui entreraient dans la Suède; + décret qui, en supposant une facilité d'introduction de ces denrées + dans ce royaume et par là même une communication commerciale avec + l'ennemi, a fait la sensation la plus pénible parmi les habitants, + et a presque entièrement détruit l'espoir qu'ils avaient de trouver + dans les dispositions bienveillantes de <span class="pagenum"><a id="pagexxxiii" name="pagexxxiii"></a>(p. xxxiii)</span> S. M. + l'empereur et roi envers leur patrie une garantie puissante du prix + qu'ils recevraient un jour des sacrifices auxquels ils se sont + assujettis avec tant de résignation.</p> + +<p>En effet, que faut-il de plus pour succomber entièrement sous le + triste sentiment de sa destruction que de se voir assimilé sous + certains rapports à une nation qui, au lieu de reconnaître ce grand + et salutaire but de l'empereur et roi dans la part qu'il prend à + l'amélioration de leur existence, pousse l'ingratitude et + l'aveuglement assez loin pour se déclarer son ennemi ouvert, et de + s'y voir assimilé non seulement dans une communication de + gouvernement à gouvernement, mais dans une pièce qui, par sa nature + même, devait être publique, et par là à la face de l'Europe entière.</p> + +<p>Et, si tel est l'effet de ce décret sur la nation, quel ne doit donc + pas être celui qui en résulte auprès de l'auguste frère du souverain + qui l'a rendu? Que V. Excellence veuille juger elle-même. Avoir + satisfait à toutes les demandes qui ont été faites de la part de S. + M. impériale et royale, avoir été même au delà de ses désirs en + allant encore plus loin qu'en France même, et être dénoncée après + cela indirectement, comme manquant de bonne foi, à l'univers entier, + voilà des choses dont l'effet peut bien se sentir mais ne pas se + décrire.</p> + +<p>Comme le roi mon maître écrit lui-même à S. M. impériale et royale, + je crois ne devoir pas occuper plus longtemps l'attention de V. + Excellence sur l'effet que le décret dont il s'agit vient de + produire ni sur les observations à faire sur son contenu, puisque M. + le chevalier Bourdeaux, qui aura l'honneur de remettre cette lettre + à V. Excellence, est chargé de faire des représentations à ce sujet. + Je me borne donc à la prier qu'elle veuille bien les recevoir comme + officielles, et qu'ajoutant foi à tout ce que pourra lui dire M. + Bourdeaux sur la manière dont le blocus s'observe dans ce royaume, + elle veuille bien intercéder auprès de S. M. impériale et royale + pour que le décret soit modifié de manière à ce qu'il n'en reste + aucune impression désavantageuse ni pour le roi ni pour ses sujets, + ou que du moins il plaise à S. Majesté de faire voir par un + témoignage public de son contentement et de sa bienveillance à notre + égard, que le but du décret n'a rien qui doive inspirer de la peine + ou de l'inquiétude aux habitants de ce royaume.</p> + +<p>Qu'avant de finir V. Excellence me permette de lui transmettre + encore une seule réflexion particulière: c'est que, d'après ma + manière de voir, un sentiment pareil à celui dont j'ai parlé + ci-dessus ne saurait manquer d'être toujours mis à profit par + l'ennemi pour faire naître un mauvais esprit là où il n'existe pas, + et que c'est même une raison de plus pour ceux qui ont de bonnes + dispositions de souhaiter de voir écarter tout ce qui peut produire + un effet si peu désirable.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagexxxiv" name="pagexxxiv"></a>(p. xxxiv)</span> <p class="center smcap">Cadore à Roëll.</p> +<p class="date">Erfurth, 12 octobre.</p> + +<p>M. le chevalier Bourdeaux m'a remis la lettre que vous m'avez fait + l'honneur de m'écrire. Je lui ai procuré sans délai une audience de + l'empereur, et il a eu l'honneur de remettre à S. Majesté la lettre + de S. Majesté le roi de Hollande. J'avais précédemment entretenu S. + M. l'empereur du sujet de la mission de M. le chevalier Bourdeaux et + je lui avais lu la lettre que vous m'avez adressée. Je suis autorisé + à vous déclarer que rien ne serait plus mal fondé que la supposition + qu'on aurait voulu comparer et mettre sur la même ligne les peuples + de la Hollande et de l'Espagne, un peuple patient, soumis, éclairé, + qui supporte avec courage de grands sacrifices, et des hommes + aveugles, égarés par l'ignorance et la violence de leurs passions, + et qui repoussent dans leur délire le bien qui leur est offert. Le + décret qui vous a donné lieu de faire cette supposition est tout à + fait étranger aux affaires politiques. Il a été proposé par le + ministre des finances, discuté au conseil d'État; c'est un décret + d'administration intérieure dicté par les intérêts de cette + administration. L'empereur en a plus particulièrement fait connaître + les motifs au chevalier Bourdeaux. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit + Sa Majesté, M. Bourdeaux en rendra compte au roi. J'ajoute seulement + que, dans le moment où nous cherchons à établir par des bâtiments + qu'on a appelés <i>aventuriers</i> des relations directes avec nos + colonies, on ne doit pas être étonné que nous cherchions à + décourager les importations des denrées coloniales qui sont faites + par les étrangers. Sa Majesté l'empereur m'a annoncé l'intention de + répondre à Sa Majesté le roi et de charger M. le chevalier Bourdeaux + de cette réponse<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a><a href="#footnote151" title="Lien vers la note 151"><span class="smaller">[151]</span></a>.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 décembre.</p> + +<p>J'avais été surpris d'apprendre que Sa Majesté avait terminé + l'affaire de la prise de <i>l'America</i> au moment même où je recevais + la réponse de V. Excellence et avant que ma dernière note ait pu + parvenir au ministre; mais m'étant aperçu depuis longtemps que + toutes les dépêches de <span class="pagenum"><a id="pagexxxv" name="pagexxxv"></a>(p. xxxv)</span> V. Excellence étaient ouvertes + avant de m'être remises, je me suis assuré que celle-ci avait eu le + même sort. Il devient donc plus que probable que les ministres + hollandais auront craint de continuer une opposition devenue inutile + et auront engagé le roi à prendre une décision conforme au désir de + l'empereur. Au reste, V. Excellence n'entendra plus parler de cette + affaire, le vice-consul ayant touché les fonds.</p> +</div> + +<p>Nous terminerons cette curieuse correspondance diplomatique relative +aux affaires de la Hollande en 1808, par deux lettres, écrites les 3 +et 24 septembre d'Amsterdam par le prince Dolgorouki, ministre de +Russie en Hollande, à M. le comte de Romanzoff, ministre des +relations extérieures de Russie; toutes deux avaient été copiées à +la poste. Ainsi, M. de Larochefoucauld avait trouvé moyen d'obtenir +des copies de dépêches étrangères importantes. On a vu, par la +lettre précédente, que le gouvernement hollandais agissait du reste +de la même manière à l'égard de la France.</p> + +<div class="lettre"> +<p>Avant-hier le roi de Hollande arriva vers les huit heures du soir à + Amsterdam et y fut reçu aux plus vives acclamations d'une foule de + peuple immense. Des inquiétudes sur l'état de sa santé, le bruit + qu'on s'était plu à répandre qu'il avait été mandé à Paris pour + assister à une réunion de famille, et plus que cela, un passage mal + rédigé du programme de la fête à célébrer le 2 de ce mois, avaient + fait craindre qu'il n'y viendrait pas, et cette crainte redoubla + l'expression de la joie qu'on a éprouvée à le revoir. La journée + d'hier lui a prouvé à quel point il était aimé; des gens de + différents partis et d'opinions opposées se sont empressés de se + rendre à la cour, et l'on a remarqué qu'il y avait au moins deux + fois plus de monde qu'à la fête du 15 août. Ce jour-là le roi + portait l'ordre de Hollande et celui de la Toison d'or; mais hier il + n'était décoré que du seul ordre de Saint-André. S. Majesté me dit + au cercle diplomatique: «Monsieur le prince Dolgorouki, j'aurai bien + des choses à vous dire la première fois que nous causerons ensemble. + Mon ministre m'a transmis tout ce que l'empereur Alexandre lui a dit + à mon sujet, et j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance; je + n'ai pu aussi qu'être très flatté de la manière dont S. M. + l'empereur a bien voulu distribuer les cordons de Hollande que + j'avais mis à sa disposition; aussi, pour célébrer ma fête, je n'ai + pas cru pouvoir mieux faire que de me décorer de l'ordre de mon + frère Alexandre. J'ai un secret pressentiment que c'est à lui que + nous devons la paix générale. C'est le plus beau rôle à jouer que + celui de pacificateur du monde, et ce rôle lui est réservé. Je fais + continuellement des vœux pour qu'il éloigne de nous toute idée de + guerre.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagexxxvi" name="pagexxxvi"></a>(p. xxxvi)</span> M. Roëll me souffla à l'oreille que M. de Six<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a><a href="#footnote152" title="Lien vers la note 152"><span class="smaller">[152]</span></a> avait + dîné chez l'empereur, mon maître; qu'il avait apprécié cette + distinction, qu'il en était tout glorieux et qu'on avait été + enchanté ici de ses dernières dépêches.</p> + +<p>Le roi revint ensuite à moi pour m'annoncer que le bataillon de + Gorcum serait prêt dans quatre jours. Il m'engagea à être indulgent, + ajoutant qu'il aurait voulu faire davantage, mais que le temps + manquait et qu'il avait pensé qu'il serait plus utile d'en presser + le départ avant la mauvaise saison.</p> + +<p>Le ministre de la guerre, faute de logement, a donné hier un grand + dîner dans une auberge. M. Roëll, moins mal logé, a invité chez lui + le corps diplomatique. Les envoyés de Danemark et de Bavière, tous + deux très malades, n'y sont pas venus. S. Majesté voulait dîner avec + les ministres de famille, mais le baron de Munchhausen, envoyé de + Westphalie, eut seul cet honneur, dont l'ambassadeur de France n'a + pas pu profiter, étant attaqué d'une inflammation de la vessie.</p> + +<p>Le bal de la cour a été très nombreux et très brillant; les quatre + nouvelles dames du palais ont été présentées. Le roi a paru très + gai, très bien portant et a fort bien supporté les fatigues de cette + journée qui a été terminée par un souper de quatre cents couverts, + auquel cependant il n'assista point. Ma femme et moi nous fûmes + placés à la table de S. Majesté, dont le grand maréchal fit les + honneurs. Le palais, ainsi que les principaux édifices de la ville, + ont été illuminés; les théâtres furent ouverts gratis et 20,000 + florins furent distribués aux pauvres.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Deuxième lettre.</p> + +<p>Le <i>Moniteur</i> du 13 septembre nous rapporte le discours du comte + Regnault de Saint-Jean-d'Angély relatif à la conscription de 1810. + Déjà, y est-il dit, les côtes de France, de Russie, d'Italie, + d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-Bretagne.</p> +</div> + +<p>Comme dans ce passage il n'est pas fait mention des côtes de la +Hollande, on ignore si cette omission provient de ce que les côtes +hollandaises sont censées appartenir à la France, ou bien qu'on ne +les croit pas entièrement interdites à la Grande-Bretagne. Cette +dernière supposition acquiert un plus haut degré de probabilité par +un nouveau décret de l'empereur, qui défend d'introduire en France +les denrées coloniales qu'on pourrait vouloir y faire passer +d'Espagne, de Portugal ou de Hollande. Les bons Hollandais, +scrupuleux observateurs des lois et des ordonnances de leur pays, +voient avec douleur <span class="pagenum"><a id="pagexxxvii" name="pagexxxvii"></a>(p. xxxvii)</span> que l'empereur les assimile ainsi +aux Espagnols et aux Portugais, avec lesquels ils n'ont rien de +commun. Car il est bien certain qu'il n'y a aucun rapport ni aucune +relation entre la Hollande et l'Angleterre, à moins qu'on ne regarde +comme tels l'arrivée ou le départ de quelques individus qui, de +temps à autre, parviennent, au risque de leur vie, à se soustraire à +la vigilance des douaniers et des gardes-côtes, ce qui est très rare +et ne pourra jamais être empêché par des mesures plus strictes que +celles qu'on emploie maintenant. Il y a quelque temps qu'un +particulier s'étant jeté dans une nacelle à Sendvaart pour passer en +Angleterre, fut tué d'un coup de fusil par un douanier hollandais. +Un autre particulier, plus heureux, après s'être tranquillement +promené le long des dunes de Schvesingen, s'est précipité à la mer +et a gagné un cutter anglais à la nage. Ces faits prouvent bien à +quel point est poussée la surveillance, puisqu'on est obligé de +recourir à des moyens si violents pour s'y soustraire. Enfin, comme +je l'ai déjà dit, il n'y a ici ni marchandises ni gazettes +anglaises, sinon de loin en loin, et par pièces et morceaux, et le +plus souvent arrivant par Anvers.</p> + +<p>L'existence de la Hollande paraît à tous égards péricliter de plus +en plus. Onze cent millions de dettes qui absorbent annuellement +quarante millions d'intérêt, et les fortes impositions que le défaut +de commerce met dans l'impuissance d'acquitter, doivent +nécessairement amener dans peu une banqueroute générale. Le manque +de numéraire commence déjà à se faire sentir, ainsi que celui des +lingots d'or et d'argent regardés comme marchandises.</p> + +<h3><span class="smcap">Année 1809.</span></h3> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">De Larochefoucauld au duc de Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 23 janvier 1809.</p> + +<p>Monsieur, j'ai l'honneur d'accuser réception à V. Excellence de la + lettre par laquelle elle m'enjoint de notifier à la cour de Hollande + l'intention de S. M. impériale et royale que le roi son auguste + frère imite son exemple en ne recevant pas, de la cour de Rome, les + cierges bénits qu'elle est dans l'usage d'envoyer aux différentes + cours catholiques.</p> + +<p>J'ai exécuté à cet égard les ordres de V. Excellence, et j'aurai + l'honneur <span class="pagenum"><a id="pagexxxviii" name="pagexxxviii"></a>(p. xxxviii)</span> de lui transmettre la réponse que je + recevrai du gouvernement hollandais.</p> +</div> + +<p>Le 13 février, le ministre de Hollande prévient le ministre de +France que le roi ne recevrait pas les cierges bénits, se plaint de +la froideur polie du roi à son égard et ajoute:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Il est vrai qu'ignorant les intentions de l'empereur j'ai cru devoir + me mettre en mesure d'exécuter tels ordres qu'il plairait à ma cour + de me donner; j'ai donc désabusé le commerce et presque la totalité + des Hollandais de la fausse idée que l'empereur était la cause de + leurs malheurs et voulait leur ruine.</p> + +<p>J'ai séparé ce que l'on devait attribuer à la force des événements + de ce qui tenait à la conduite blâmable du gouvernement hollandais; + j'ai assuré que la multiplicité des décrets dont on se plaignait + n'était pas ordonnée par l'empereur, comme on cherchait à le faire + croire; enfin j'ai prouvé à la saine partie de la nation que son + véritable intérêt était d'être attachée à mon souverain, la Hollande + ne pouvant attendre de salut que des bontés de l'empereur. Je crois + pouvoir assurer à V. Excellence que j'ai pleinement réussi.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 6 février.</p> + +<p>Monsieur, nos occupations sont maintenant bien tristes en Hollande. + La plus grande partie des provinces méridionales de ce royaume est + submergée et les détails qui nous arrivent journellement sont loin + d'être rassurants, etc.</p> + +<p>Le roi qui, comme j'ai eu l'honneur de le mander à V. Excellence, + est parti il y a près de quinze jours, après s'être arrêté 24 heures + à Utrecht, a été jusqu'à la ville de Gorcum. Il paraît que dans + cette dernière ville S. Majesté a couru de grands dangers et que les + ordres qu'elle a donnés, ainsi que le courage, que la présence du + souverain impose toujours, ont fortement contribué à garantir de + l'inondation la partie de la ville de Gorcum située dans la province + de Hollande. La partie gueldroise de cette ville était déjà sous + l'eau, et ce n'est qu'à force de monde qu'on a pu préserver la digue + qui sépare les deux parties de cette même ville. Je regrette + qu'après avoir terminé ce voyage, qui fait d'autant plus d'honneur + au roi que sa santé est délicate, S. Majesté n'ait pas cru devoir + revenir dans sa capitale. Le roi est resté à Utrecht où il est + depuis plusieurs jours et où il a fait venir une grande partie de sa + maison. Tous les ministres ont été appelés avant-hier. D'un autre + <span class="pagenum"><a id="pagexxxix" name="pagexxxix"></a>(p. xxxix)</span> côté, la prorogation des séances du Corps législatif, + qui retient à Amsterdam les plus riches propriétaires, ne leur avait + fait aucun plaisir, et l'absence du roi leur fait craindre que + l'époque fixée au 15 mars ne soit encore insuffisante...</p> + +<p>Il existe donc un mécontentement qui balance les justes éloges que + l'on se plaît à rendre à la conduite personnelle du roi.</p> +</div> + +<p>Le ministre terminait cette lettre en se plaignant de ce que le roi +avait voulu recevoir un Français alors en Hollande, M. Faypault, +ancien préfet, sans qu'il soit présenté à son audience par lui, +comte de Larochefoucauld, ministre de France. L'empereur fit +répondre, le 24 février, que le roi son frère pouvait, à cet égard, +agir comme bon lui semblait<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a><a href="#footnote153" title="Lien vers la note 153"><span class="smaller">[153]</span></a>.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center">Dépêche secrète.</p> +<p class="center smcap">Werhuell à Roëll.</p> +<p class="date">Paris, 3 février 1809.</p> + +<p>La situation déplorable de la Hollande est connue et appréciée à + Paris.—On voudrait y porter remède pourvu qu'on n'enfreignit pas le + système du blocus.—Il y a d'ailleurs défaut de confiance dans le + gouvernement hollandais. Il faudrait demander quelles sont les + intentions précises de l'empereur sur le blocus.—En se bornant aux + mesures prises en France, on obtiendrait une amélioration réelle. Ce + qu'on a fait en plus a paru illusoire et suspect.—Une convention + fixe devrait stipuler les moyens de surveillance. Il ne pense pas + qu'on se contente d'une surveillance purement hollandaise. On + voudrait y adjoindre sans doute temporairement une inspection + française; à ce prix on pourrait obtenir l'abaissement des tarifs + sur divers objets et faciliter l'échange entre les deux pays.—Le + cabotage pourrait se faire sous protection de bateaux armés.—Il + faudrait dresser une liste d'objets sur lesquels porterait + l'abaissement des tarifs, pour les présenter dans un mémoire étendu + sur la situation de la Hollande.—Le point délicat est l'inspection + française de la surveillance; mais il croit qu'il n'y a rien à faire + sans cela.</p> +</div> + +<p>Cette dépêche étant parvenue au roi par l'entremise de son ministre +des affaires étrangères, Sa Majesté écrivit au-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagexl" name="pagexl"></a>(p. xl)</span> <p class="date">Amsterdam, 20 février 1809.</p> + +<p>Nous renvoyons le rapport ci-joint à notre ministre des affaires + étrangères pour répondre au maréchal Werhuell de donner la note + diplomatique d'après laquelle il a fait sa dépêche, parce qu'il + m'est impossible de croire que le maréchal soit assez jeune homme + pour ne pas sentir que ce n'est pas dans ce sens qu'on doit écrire. + Quelle que soit son opinion, c'est la nôtre qu'il doit embrasser.</p> + +<p>Il est là pour la faire valoir et la défendre, et pour ne jamais + donner tort à son pays, quelque chose qui s'y fasse. Notre ministre + susdit lui fera connaître de plus que nous avons particulièrement + marqué la phrase: <i>Car Sa Majesté l'empereur ne souffrira pas qu'on + se serve, etc.</i>, phrase qui peut appartenir au ministre de + l'empereur de dire, mais qui n'appartient à qui que ce soit d'autre + de nous adresser, et principalement à un Hollandais, quand cela + vient de notre ambassadeur, cela nous paraît tout à fait + incompréhensible.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 13 février.</p> + +<p>Sa Majesté est arrivée hier d'Utrecht à 7 heures du matin. On + m'assure que le roi n'est pas incommodé des fatigues qu'il a + souffertes dans ses différentes courses. Enfin il est pénible de + voir que, lorsque le pays est si bien disposé, le gouvernement le + soit aussi peu à rendre justice aux Français, ce qui m'oblige à + réclamer très souvent pour des objets qui ne devraient pas faire la + moindre difficulté. Le gouvernement hollandais est inquiet; mille + choses me le prouvent. Non seulement l'on m'a fait plusieurs + questions, mais encore l'on s'est adressé à d'autres personnes que + l'on supposait instruites. L'ambassadeur n'écrit rien et son silence + étonne et afflige.—Si le gouvernement attend avec impatience et + crainte ce que l'empereur décidera, les vrais Hollandais ne sont pas + moins tourmentés de l'incertitude de leur situation politique. Les + têtes sages regardent l'absence de la reine comme une preuve de + l'instabilité de leur position. Plusieurs personnes marquantes m'en + ont parlé souvent dans ce sens. Elles craignent pour leur patrie + tant que leur souveraine n'est pas au milieu d'eux, comme un gage + des bontés de Sa Majesté impériale et royale pour la Hollande. Cette + opinion est générale, elle occupe tous les amis de l'indépendance de + ce pays-ci, qui savent et reconnaissent qu'ils ne peuvent avoir + d'autre système politique que celui de la France et qui voient à + regret que leur gouvernement dépasse souvent les hautes conceptions + de l'empereur sans jamais en atteindre le but.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagexli" name="pagexli"></a>(p. xli)</span> Décret de l'empereur (3 mars) cédant en toute souveraineté +au prince Napoléon-Louis, fils aîné du roi de Hollande, le +grand-duché de Berg et Clèves, qui lui était rétrocédé par Murat par +suite du traité de Bayonne du 15 juillet 1808<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a><a href="#footnote154" title="Lien vers la note 154"><span class="smaller">[154]</span></a>.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 28 février.</p> + +<p>Votre Excellence connaît tout l'empressement que le roi mon maître a + mis à concourir aux mesures du blocus des Îles Britanniques + décrétées par S. M. impériale et royale. Elle sait également que Sa + Majesté n'a pas borné ses dispositions à celles qui existaient à ce + sujet en France, mais que, pour ôter à ses sujets jusqu'à la + possibilité même d'entretenir des relations de commerce avec + l'ennemi, elle a cru devoir fermer pendant quelque temps ses ports à + toute espèce de navigation et suspendre l'exportation des produits + du sol et de l'industrie nationale, même pour les ports neutres et + amis.</p> + +<p>En imposant à son peuple des sacrifices dont l'histoire n'offre + guère d'exemple, Sa Majesté a donné la plus éclatante preuve de la + pureté de ses intentions et de son dévouement à la personne de S. M. + impériale et royale. Mais un système qui ôte à un peuple commerçant + tous les moyens de faire le commerce ne saurait être suivi que + pendant un très court espace de temps, et Sa Majesté est maintenant + convaincue de l'impossibilité d'y persister davantage sans que la + ruine d'un très grand nombre de ses sujets n'en soit le résultat + inévitable.</p> + +<p>N'ayant cependant et ne pouvant même avoir d'autre volonté que celle + d'entrer dans les mesures que son auguste frère a conçues pour le + continent, Sa Majesté a réfléchi sur les moyens de concilier les + dispositions du blocus avec les besoins de son peuple, et elle s'est + déterminée à adopter pour son pays toutes les mesures que le + gouvernement français a prises ou pourrait prendre encore durant + cette guerre à l'effet d'empêcher les communications avec + l'Angleterre et avec les possessions britanniques dans les deux + Indes, mais à accorder aussi à ses nationaux les mêmes avantages que + S. M. impériale et royale laisse au commerce français.</p> + +<p>Chargé d'avoir l'honneur d'informer V. Excellence des dispositions + <span class="pagenum"><a id="pagexlii" name="pagexlii"></a>(p. xlii)</span> que Sa Majesté compte introduire avec le commencement du + mois prochain, je m'en acquitte par la présente et profite en même + temps de l'occasion pour lui exprimer de nouveau les vœux de ma + cour, qu'il plaise à S. M. impériale et royale de supprimer le + décret du 16 septembre dernier et de rétablir les relations du + commerce entre les deux pays sur le même pied où elles étaient avant + cette époque. Le roi m'a autorisé à donner les assurances les plus + positives qu'il emploierait tous les moyens qui sont en son pouvoir + à surveiller la stricte exécution des mesures adoptées pour empêcher + toute communication avec l'ennemi. L'organisation actuelle des + douanes hollandaises, au sujet de laquelle V. Excellence m'a demandé + quelques renseignements que j'ai l'honneur de lui adresser + ci-joints, offre à cet effet bien des ressources. Sa Majesté les + augmentera de toute manière et elle recevra avec reconnaissance les + projets d'amélioration que le gouvernement français voudra bien lui + soumettre.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 6 mars.</p> + +<p>On a reçu plusieurs fois des nouvelles du roi. Sa Majesté, le jour + même de son départ, a été au Loo, d'où elle a fait quelques petites + excursions. Elle est partie trois jours après pour Zvol et l'on + suppose qu'elle continuera sa tournée pour l'Over-Yssel et que + peut-être elle reviendra par le Brabant. Le roi voyage avec le + ministre de l'intérieur et celui des cultes. Sa Majesté est en outre + accompagnée des officiers de sa maison que j'ai eu l'honneur de + désigner à V. Excellence dans mon dernier numéro. On assure que le + roi est bien portant et content de son voyage. Le ministre de + Wesphalie a reçu un courrier du roi Jérôme. Il est en conséquence + parti sur-le-champ pour rejoindre Sa Majesté le roi de Hollande. Les + communications entre ces deux cours sont très fréquentes. V. + Excellence sait mieux que personne que Varel<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a><a href="#footnote155" title="Lien vers la note 155"><span class="smaller">[155]</span></a> est rendu à S. A. + le duc d'Oldenbourg; M. Berger, qui était chargé ici de suivre cette + négociation, est sur le point de repartir. Il doit remettre + aujourd'hui à M. Roëll une boîte avec le portrait du duc. Je + rappellerai à V. Excellence la nécessité d'empêcher que cette + restitution ne nuise à l'ensemble des mesures prises pour empêcher + la contrebande. Varel peut devenir très nuisible s'il n'est pas bien + gardé. On m'a assuré qu'il serait occupé par des troupes françaises: + de cette manière, tout est bien. <span class="pagenum"><a id="pagexliii" name="pagexliii"></a>(p. xliii)</span> Dans le cas contraire, + il deviendrait indispensable de surveiller la communication entre + Varel et Helgoland. On s'occupe ici d'un nouveau cérémonial, + malheureusement les grands officiers de la couronne qui sont chargés + de ce travail sont peu propres à remplir sur cet objet les + intentions du roi. Aucun n'a connu les cours étrangères et, par + conséquent, ne peut juger du bien ou des inconvénients de telles ou + telles étiquettes. Au reste nous avons grand besoin d'un changement, + car rien n'est fixé. Il y a quelques jours, le corps diplomatique + avait été invité au bal du roi par le chambellan de service, et l'on + apprit par le ministre des affaires étrangères, à 6 heures du soir, + que le bal n'aurait pas lieu le même jour, à 8 heures; et la note + officielle qui annonçait ce changement prévenait aussi qu'une + audience diplomatique qui devait précéder le bal était ajournée, + tandis que personne n'avait connaissance de cette audience.</p> + +<p>Je regrette de n'avoir pu remplir les ordres de V. Excellence, + relativement à l'article qu'elle m'avait chargé de faire insérer + dans la gazette hollandaise la plus répandue; mais il avait paru + dans la <i>Gazette royale</i>, deux jours auparavant, un article que j'ai + l'honneur de vous envoyer. Il avait été publié par ordre du roi, + d'après, ce que l'on assure, les informations venues à Sa Majesté + par M. Jacobson, son ministre près S. A. I. le prince Primat. Les + différents rédacteurs ont eu peur que l'on ne regardât cet article + comme une réfutation de celui de la <i>Gazette royale</i>, et, comme ils + sont sujets à une censure sévère, ils ont demandé qu'on les garantît + de ce qu'on pourrait leur dire à ce sujet. J'ai pensé que cela ne + remplissait pas le but de V. Excellence, et je me suis contenté de + faire passer, par une main sûre, ce même article à Hambourg, où il + sera rendu public et d'où il reviendra en Hollande sans que l'on + puisse soupçonner qu'il vienne de moi. Au surplus, j'ai employé des + personnes si sûres, que je puis répondre que personne n'a + connaissance de ce que j'ai fait et voulu faire.</p> + +<p>On répandait hier en ville que la véritable raison du départ du roi + était une entrevue que Sa Majesté devait avoir avec le roi de + Westphalie. On disait aussi que le baron de Münchhausen n'était + parti que pour rejoindre son souverain.</p> + +<p>On croit ici à la guerre. Les lettres de Paris et celles de Vienne + en contiennent l'assurance. On ne peut plus placer aucun papier sur + cette dernière place, à quel taux que ce soit. On parle aussi d'une + expédition du Danemark contre la Suède, et l'on assure qu'une + immense quantité de marchandises anglaises et coloniales trouve un + débouché en Russie. Au reste, toutes ces nouvelles sont des <i>on dit</i> + que V. Excellence peut apprécier mieux que personne. Ce qui n'est + pas une chose incertaine, c'est la position affreuse de la Hollande + et la nécessité de s'occuper de <span class="pagenum"><a id="pagexliv" name="pagexliv"></a>(p. xliv)</span> son sort. Toute la ville + assure que le retour de la reine est très prochain, et cette idée + plaît généralement.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">23 mars.</p> + +<p>Le dernier décret de l'empereur au sujet du grand-duché de Berg a + été l'objet de toutes les conversations et chacun s'est permis d'en + tirer des conséquences. On aurait désiré que la Hollande retirât + quelques avantages présents de cette donation.</p> + +<p>Je n'ai pas à me plaindre maintenant de la marche des affaires, + elles se traitent mieux qu'elles ne le faisaient anciennement, et, + depuis quelque temps, je crois que la contrebande continue et + qu'aucun bâtiment n'est admis dans les ports; mais cette situation + ne peut durer longtemps. Le besoin d'exportation se fait sentir tous + les jours davantage, et on me parle souvent du décret qui empêche + l'entrée en France des denrées coloniales et autres. Je rappelle + souvent cet objet à Votre Excellence, mais j'y suis forcé, étant + continuellement pressé de solliciter les bontés de l'empereur à ce + sujet.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">30 mars.</p> + +<p>... Le roi m'a paru peiné d'avoir appris que l'empereur croyait que + les communications de la Hollande avec l'Angleterre étaient + rétablies. Il me dit que faisant autant, il était fâché de voir la + même opinion subsister encore. Il me fit ensuite l'honneur de + m'annoncer que S. M. impériale et royale n'ayant pas répondu à son + projet d'exportation, elle regardait ce silence comme une + approbation et donnait des ordres en conséquence.—Je dois avoir + l'honneur d'affirmer à Votre Excellence que, quoique j'exerce la + plus grande surveillance sur ce qui se passe dans les ports de la + Hollande, je ne me suis aperçu d'aucune entrée de bâtiments chargés + de marchandises prohibées; que certainement il se fait quelque + contrebande surtout par la Frise et Helgoland, mais que cette + introduction est si peu considérable que tous les articles défendus + n'éprouvent aucune baisse à la bourse. Enfin je ne puis que répéter + la satisfaction que j'ai éprouvée de trouver le roi dans de bonnes + dispositions et de m'être aperçu que Sa Majesté paraissait sentir + que les choses n'avaient pas été jusqu'à présent comme nous avions + lieu de le désirer et qu'il était dans l'intention de changer ce qui + pouvait avoir déplu à l'empereur. Il est possible que je me flatte + et que cette bonne direction <span class="pagenum"><a id="pagexlv" name="pagexlv"></a>(p. xlv)</span> ne soit pas de longue durée. + J'espère le contraire et ferai mon possible pour entretenir le roi + dans cette nouvelle marche.—Votre Excellence aura vu, dans les + papiers anglais, la défense de laisser en Angleterre les beurres, + les fromages et les genièvres venant de Hollande. Ceci me paraîtrait + prouver que les mesures contre l'introduction des marchandises + anglaises sont bien exécutées dans ce pays-ci.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 11 avril.</p> + +<p>J'ai reçu les ordres les plus pressants du roi mon maître, de + communiquer confidentiellement à Votre Excellence les inquiétudes + dans lesquelles Sa Majesté se trouve au sujet des préparatifs + secrets qui se font actuellement dans les ports de l'Angleterre et + qui pourraient bien être dirigés contre les côtes de la Hollande.</p> + +<p>Ce qui paraît autoriser cette idée, c'est que depuis quelque temps + les Anglais prennent et amènent nos pêcheurs, qu'ils s'approchent + plus constamment et plus près des côtes, qu'enfin, depuis quelques + jours, ils reconnaissent les côtes et sont occupés à sonder partout + où elles présentent des facilités pour un débarquement.</p> + +<p>Les forces que le roi a de disponibles pour s'opposer à un projet de + débarquement quelconque sont extrêmement faibles; il ne reste à Sa + Majesté que ses gardes et deux bataillons qu'elle a donné l'ordre de + concentrer et de faire camper pour en tirer le meilleur parti en cas + de besoin. Elle fait armer en même temps la garde nationale, mais + elle ne se dissimule pas combien peu elle doit se reposer sur ces + deux ressources, et que son pays serait essentiellement exposé si + elle ne peut pas augmenter son corps d'armée, n'ayant d'ailleurs + pour la garde des côtes que quelques canonniers et quelques hussards + de distance en distance.</p> + +<p>Je prie Votre Excellence de mettre cet état de choses sous les yeux + de S. M. l'empereur, qui saisira d'un coup d'œil tous les dangers + de la Hollande, et accueillera, je l'espère, les sollicitations du + roi pour que les troupes hollandaises, actuellement dans le nord de + l'Allemagne, puissent rejoindre le pays et contribuer à sa défense. + Le roi m'a chargé de demander cette faveur avec d'autant plus + d'instance qu'elle regarde que la réunion de ces troupes à celles + qui lui restent lui donnera à peine les forces suffisantes pour + faire une résistance convenable à une attaque éventuelle<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a><a href="#footnote156" title="Lien vers la note 156"><span class="smaller">[156]</span></a>.</p> + +<p>Le roi mon maître, en me donnant les ordres ci-dessus énoncés, m'a + envoyé en même temps deux lettres pour son très auguste frère, et + m'a <span class="pagenum"><a id="pagexlvi" name="pagexlvi"></a>(p. xlvi)</span> enjoint de solliciter une audience particulière de Sa + Majesté pour avoir l'honneur de les lui remettre. Je serais très + flatté si Votre Excellence voudrait en faire part à S. M. impériale + et royale et m'obtenir cette grâce.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 23 mai.</p> + +<p>Les nouvelles entraves qu'éprouve de toutes parts le commerce + hollandais m'imposent le devoir de renouveler à Votre Excellence + avec les plus vives instances les démarches que j'ai déjà eu + l'honneur de faire plus d'une fois pour obtenir de S. M. l'empereur + et roi que les relations commerciales entre la France et la Hollande + soient rétablies sur le même pied où elles étaient avant les mesures + prohibitives émanées de France dans le mois de septembre dernier.</p> + +<p>Votre Excellence sait que l'implacable ennemi de la prospérité + hollandaise vient de déclarer de nouveau en état de blocus tous les + ports de la Hollande. Il empêche également la sortie des bâtiments + neutres chargés de productions hollandaises, et comme la saison où + nous sommes entrés permet à ses nombreuses croisières d'observer + toute l'étendue de nos côtes d'un bout à l'autre, le peu de commerce + qui restait encore à ce pays est par là entièrement détruit.</p> + +<p>L'inimitié entre les deux nations est à son comble, et si + l'Angleterre pouvait anéantir aujourd'hui toute la Hollande, elle y + emploierait tous ses moyens et regarderait la destruction de son + ancienne rivale comme la plus grande conquête remportée sur + l'industrie des autres nations.</p> + +<p>Il paraît que ce nouvel acharnement est une suite de la sévérité + avec laquelle le roi a fait exécuter dans les ports de son royaume + les mesures du blocus. Les Anglais ont cru devoir s'en venger. Mais + le peuple hollandais, habitué depuis longtemps aux plus grands + sacrifices, toujours ferme et inébranlable dans ses principes, ne + ralentira pas ses efforts pour la cause commune. Il aime à nourrir + l'espoir qu'il trouvera dans ses relations avec la France une + compensation à ses pertes.</p> + +<p>Le roi mon maître, plaçant dans cet état de choses, comme toujours, + sa confiance entière dans l'amitié de son très auguste frère, se + flatte que S. M. impériale et royale voudra bien prendre en + considération qu'il est impossible que la Hollande reste entre deux + prohibitions, et désire vivement qu'elle accorde la suppression du + décret du 16 septembre dernier qui pèse si fâcheusement sur les + liaisons commerciales entre les deux pays et est si nuisible à leurs + intérêts réciproques.</p> + +<p>Votre Excellence connaît particulièrement la fâcheuse impression et + les funestes résultats que ce décret a produits en Hollande; je la + prie <span class="pagenum"><a id="pagexlvii" name="pagexlvii"></a>(p. xlvii)</span> donc instamment de vouloir profiter de la première + occasion favorable pour mettre le contenu de cette lettre sous les + yeux de S. M. impériale et royale et d'honorer ma demande de son + appui.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 30 avril.</p> + +<p>Les affaires continuent à suivre une bonne direction, et je commence + à croire que véritablement l'intention du gouvernement hollandais + est changée. Le roi envoya hier à son ministre des affaires + étrangères le décret relatif à la sortie et à l'entrée des + marchandises indiquées dans ce décret. Il lui enjoignait de me le + communiquer; une fois le principe admis, je crois que la rédaction + des articles doit prévenir tous les abus.</p> + +<p>N'ayant reçu aucune réponse de Votre Excellence au sujet de ce + décret, je dois supposer que S. M. impériale et royale y donne son + assentiment. Je n'ai donc pas cru devoir discuter le principe, mais + prendre simplement toutes les précautions possibles pour que le + système général de l'empereur ne souffre aucune atteinte. J'ai lieu + d'espérer que le gouvernement hollandais sera sévère, qu'il punira + de la manière la plus forte toute espèce de fraude. Je lui ai fait + entendre qu'il était indispensable pour le bien du commerce que + cette sévérité ne souffrît aucune exception, et je crois l'avoir + persuadé.</p> + +<p>Le roi, par un décret du 2 de ce mois, vient de séparer + l'administration des douanes du ministère des finances.</p> + +<p>Sa Majesté a nommé M. Van Meuwen, conseiller d'État dans la section + des finances, son administrateur général des douanes. M. Van Meuwen + est du Brabant. L'opinion générale me paraît être qu'il mettra du + zèle et de l'exactitude dans ses fonctions. Quant à ses moyens, ils + sont peu connus, du moins des personnes à qui j'en ai parlé. Je sais + de la manière la plus positive que ce décret du roi a été pris dans + l'intention d'entrer dans les vues de l'empereur et que Sa Majesté + l'a décidé sans en parler à ses ministres; celui des finances n'en + ayant été informé que lorsque le nouveau directeur général des + douanes est venu lui porter la lettre du roi qui lui annonçait sa + nomination.</p> + +<p>Sa Majesté est attendue aujourd'hui pour dîner. Demain, il y a bal à + la cour, et, dans peu de jours, je crois que le roi ira en Zélande + et retournera à Utrecht.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 8 mai.</p> + +<p>Je prie Votre Excellence de vouloir bien, lorsque l'occasion s'en + présentera, <span class="pagenum"><a id="pagexlviii" name="pagexlviii"></a>(p. xlviii)</span> parler à l'empereur du décret du 16 octobre + qui interdit en France l'entrée de toutes les denrées coloniales + venant de la Hollande. Ce décret, indépendamment qu'il affecte + beaucoup le roi, nuit essentiellement au commerce de ce pays, qui ne + trouve pas de débouché pour les objets qu'il a encore en magasin. Il + a de plus l'inconvénient d'habituer les Hollandais à un commerce de + contrebande qui s'établit du côté du grand-duché de Berg.</p> + +<p>J'ai de plus la certitude qu'il serait très agréable au roi que + l'empereur reconnût, et, plus encore, portât, ne fût-ce qu'un + instant, l'ordre que Sa Majesté a fondé. Si Votre Excellence pouvait + être autorisée à m'écrire quelques mots à ce sujet, je crois que + cela ferait grand plaisir au roi.</p> + +<p>Le roi s'occupe maintenant à mettre la Zélande en état de défense. + Sa Majesté avait donné ordre que l'on désarmât l'île de Gorée; mais + sur les représentations qui ont été faites au roi, Sa Majesté a + rapporté cette décision, et la batterie de Borschin, jugée une des + plus importantes de la Zélande, vient d'être augmentée. Le colonel + Domrat, aide-de-camp du roi, commande le génie dans cette partie de + la Hollande.</p> + +<p>Les camps ne sont pas encore établis. Les troupes sont cantonnées + dans les environs de Naarden et de Wesesp, c'est-à-dire très près + d'Amsterdam. Le général Tarayre est toujours destiné à commander le + camp qui doit être de 25,000 hommes. La division hollandaise qui + était à Brême, Hambourg, etc., est en marche pour se rendre à + Gœttingue. Elle n'a laissé qu'environ 3,000 hommes pour garder + les positions qu'elle occupait.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 12 mai.</p> + +<p>Le roi est arrivé avant-hier à 4 heures du matin. J'ai eu l'honneur + de voir Sa Majesté le même jour. Je l'ai trouvée en parfaite santé + et point fatiguée de ses voyages, malgré la chaleur étouffante qu'il + fait ici depuis trois semaines. Il paraît que le projet du roi est + de rester peu de jours à Amsterdam. Sa Majesté doit aller à + Southdeck et au Loo, mais elle reviendra souvent dans sa résidence + où sa présence ne peut produire qu'un bon effet. Le roi a été à + Flessingue. Il me semble que Sa Majesté m'a dit qu'elle avait écrit + à l'empereur. Elle a admiré notre flotte qui est maintenant composée + de dix vaisseaux de ligne; mais elle n'a pas été contente ni de + l'état dans lequel elle a trouvé la place ni de l'attitude de notre + amiral qui, à ce que j'ai appris, n'a rendu au roi que les honneurs + de prince français, mais pas ceux dus à son rang, ce qui m'a fait + d'autant plus de peine que, dans les circonstances présentes, le roi + <span class="pagenum"><a id="pagexlix" name="pagexlix"></a>(p. xlix)</span> marchant franchement au même but que l'empereur, il est + utile et nécessaire d'entourer Sa Majesté d'une force d'opinion dont + elle a besoin pour maintenir la tranquillité qui règne dans son + royaume, et que la bonne intelligence entre les deux cours et la + grande déférence pour le roi est l'arme la plus forte que l'on + puisse mettre dans les mains de Sa Majesté. J'ai donc soin de + rejeter et d'oublier tout ce qui s'est passé, même ce qui pourrait + encore me blesser, pour défendre le roi, dès que l'on cherche à + attaquer quelques-unes de ses actions. J'ai rendu compte à Votre + Excellence des pamphlets et des libelles qui ont circulé ici. De + très mauvais propos ont été dits et répétés à Amsterdam et des + lettres anonymes ont été écrites au roi. Sa Majesté a méprisé toutes + ces attaques indirectes. Une seule femme qui répandait ces libelles + a été arrêtée et est encore maintenant dans les mains de ta justice. + L'exemple de la Westphalie a, je crois, fait une grande impression + sur le roi. J'ai eu l'honneur de causer longtemps avec Sa Majesté, + sur ce sujet; je l'ai trouvée telle que je pouvais le désirer, et + bien franchement le frère de l'empereur. Le point sur lequel le + gouvernement hollandais doit avoir les yeux le plus ouverts est + l'Ost-Frise où il règne le plus mauvais esprit. Heureusement les + Anglais ne cherchent pas à y débarquer, car il est triste de penser + qu'ils y seraient reçus à bras ouverts. Plusieurs propositions + d'actes de sévérité ont été faites au roi, mais S. M. les a très + sagement écartées. Elle ne se fait pas illusion sur la position de + l'Ost-Frise et sur la contrebande qui s'y fait depuis cet hiver. + Mais ce malheur momentané, et qui n'a pas de grandes conséquences, + ne peut pas entrer en comparaison avec le danger d'exciter des + troubles, qu'il serait peut-être ensuite difficile d'apaiser. La + Hollande est dépourvue de troupes. La formation de la garde + nationale a souffert de grandes difficultés. Il deviendrait donc + impossible d'employer de grands moyens de répression dans un pays où + il n'y a plus d'esprit public. Le roi se contente de diminuer le mal + autant que possible, en attendant une époque plus heureuse pour + l'extirper entièrement. Les finances sont toujours l'objet de la + plus grande sollicitude; le commerce diminue, les moyens + s'affaiblissent, et j'ignore comment l'on fera ici si cet état de + choses doit durer longtemps. Nous aurions besoin en Hollande d'une + preuve d'approbation de l'empereur, et d'un de ces mots que S. M. + impériale et royale sait dire si à propos pour donner du courage et + de la force aux gouvernements et de l'espérance aux habitants. V. + Excellence ne doute pas que l'espoir de nos ennemis soit dans le peu + de confiance qu'ils croient que nous devons avoir dans la Russie. Il + est donc malheureux que nous n'ayons pas ici un ministre de cette + nation plus prononcé. Le prince Dolgorouki, sans tenir ouvertement + une conduite opposée à notre cour, n'est pas tel que je pourrais le + désirer, et sa manière de partager nos succès équivaut à un regret + d'être forcé de <span class="pagenum"><a id="pagel" name="pagel"></a>(p. l)</span> les admirer. Il élève habituellement des + doutes sur le résultat de la campagne. Maintenant ses prétendues + inquiétudes sont portées sur Schill, qu'il regarde comme pouvant + détruire l'armée française. Heureusement, comme je crois déjà avoir + eu l'honneur de vous le mander, il ne jouit ici d'aucune espèce de + crédit. Ainsi ses paroles ont peu de poids; mais le petit effet + qu'elles produisent est mauvais. Il a déjà reçu, je crois, une forte + réprimande de sa cour: une seconde serait très bien placée.</p> + +<p>Les troupes hollandaises sont maintenant campées à quelques lieues + d'ici. Les camps d'Harlem et de La Haye sont regardés comme + l'avant-garde de celui qui couvre Amsterdam. Tous sont sous le + commandement du général Tarrane, capitaine des gardes. Un autre + capitaine des gardes commande la cavalerie.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 13 mai.</p> + +<p>Je profite de l'occasion de M. de Vaux, qui est appelé au quartier + général de S. M. impériale et royale, pour faire parvenir cette + dépêche à Votre Excellence.</p> + +<p>Depuis quelques jours il s'est répandu ici plusieurs pamphlets + écrits dans un très mauvais esprit: ils ont été saisis par la + police. Celui que l'on répandait avec la plus grande profusion était + une espèce de manifeste du prince d'Orange qui, rappelant aux + Hollandais leur ancienne splendeur et le bonheur dont ils + jouissaient sous son gouvernement, les invitait à le rappeler au + milieu d'eux, promettant d'y venir sur le champ et de les défendre, + aidé par les Anglais, contre les dangers qu'ils pourraient redouter. + Ces pamphlets n'ont produit aucune fermentation; mais l'opinion + publique est bien molle et l'absence du roi fait un bien mauvais + effet. On est étonné et fâché de voir le voyage du roi se prolonger + dans des circonstances aussi importantes. Le roi perd dans l'opinion + publique, et je crains que les personnes qui entourent Sa Majesté ne + l'engagent à s'éloigner de sa capitale que pour lui nuire et le + perdre. J'ai de fortes raisons de croire qu'ils me craignent, et ils + caressent les anciennes idées du roi, en ne lui faisant voir + d'indépendance que lorsqu'il est éloigné des Français. Je me fais + rendre compte de tout ce qui se passe, et si je voyais le moindre + danger, je me rendrais sur le champ auprès du roi pour déjouer les + mauvais esprits qui l'entourent. Tout est tranquille ici. La + garnison d'Amsterdam est au camp de Naarden. La garde du roi est + même partie, et le palais, ainsi que la ville, n'a plus qu'un + bataillon de vétérans qui occupent tous les postes. Le ministère est + dans de très bonnes dispositions et je l'y maintiendrai. <span class="pagenum"><a id="pageli" name="pageli"></a>(p. li)</span> V. + Excellence peut donc être bien tranquille; je lui écris aujourd'hui + à la hâte et aurai l'honneur de lui rendre un compte plus détaillé + au premier moment.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 mai.</p> + +<p>Malheureusement, malgré toutes les peines que je prends et tout le + désir que j'ai de voir régner une bonne harmonie entre le + gouvernement hollandais et ma cour, je me trouve forcé de rendre + compte à V. Excellence d'un nouvel incident qui fait suite à ceux de + même nature que j'ai supportés depuis quinze mois et dont je n'ai + pas parlé; mais celui-ci devient plus grave par la grandeur de + l'événement auquel il a rapport et par l'effronterie que l'on a eue + d'en faire un article de la Gazette royale d'aujourd'hui.</p> + +<p>V. Excellence sait peut-être que le dimanche est en Hollande le jour + que l'on passe ordinairement à la campagne, comme le seul dont les + négociants puissent disposer. J'étais invité dans les environs de la + ville et je devais partir samedi soir. Ayant appris qu'il devait y + avoir un <i>Te Deum</i> à la cour, j'écrivis samedi à M. Roëll qu'ayant + des projets de campagne, je désirais savoir si le Corps diplomatique + était invité au <i>Te Deum</i>, pour régler ma marche d'après sa réponse. + Le ministre me répondit d'abord qu'il allait s'en informer + positivement. Deux heures après il m'écrivit un billet par lequel il + me prévenait que M. le baron de Pallandt, chambellan de service, + venait de lui mander que mon invitation était déjà expédiée. Je + restai donc en ville, ignorant si le <i>Te Deum</i> aurait lieu le matin + ou le soir, et ne voulant pas en aucun cas y manquer. La matinée se + passa sans recevoir aucune lettre de la cour, enfin à une heure et + demie M. de Pallandt m'envoya un valet de chambre pour me prévenir + que le <i>Te Deum</i> venait d'être chanté, et pour me demander si je + n'avais pas reçu d'invitation. Je répondis au valet de chambre que + je n'avais rien reçu, et que probablement elle n'avait pas été + expédiée. J'écrivis ensuite à M. Roëll pour me plaindre d'un pareil + oubli, et de la manière leste et peu convenante dont il avait été + réparé. Le ministre me répondit une lettre d'excuse dans laquelle il + s'efforça de m'assurer qu'il n'y avait eu aucune intention de me + manquer, mais un simple oubli. Le roi me fit appeler à la cour. Je + me rendis aux ordres de Sa Majesté. Elle voulut bien me témoigner + ses regrets, me dit des choses obligeantes, m'assura avoir fortement + réprimandé les auteurs de cette faute, et quoique j'aie trouvé le + roi enclin à prendre le parti de son chambellan, je n'ai pas eu à me + plaindre. Je rappelai seulement à Sa Majesté combien j'avais + supporté de petites <span class="pagenum"><a id="pagelii" name="pagelii"></a>(p. lii)</span> choses de ce genre, et combien il me + paraissait nécessaire qu'elle voulût bien y mettre ordre. Le roi + partait ce matin. J'eus donc l'honneur de prendre congé de Sa + Majesté. Ma conférence se termina en parlant au roi de plusieurs + affaires qui se traitaient à présent et après avoir renouvelé à Sa + Majesté l'assurance de mon zèle à faire valoir la marche nouvelle + qu'elle avait prise, et je ne parlai plus de l'affaire du matin. + Mais tout à l'heure, en lisant la Gazette royale, je lis: «Il a été + chanté hier dans la chapelle royale, en présence de toute la cour, + un <i>Te Deum</i> en l'honneur des étonnantes victoires de l'armée + française. Son Excellence l'ambassadeur de France devait y assister, + mais une indisposition l'en empêcha.»</p> + +<p>J'écrivis sur le champ au ministre des affaires étrangères la lettre + dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. Excellence, et j'aurai + celui de vous faire part de la réponse du ministre dès qu'elle me + sera parvenue. Je me décidai ensuite à démentir le fait inséré dans + la Gazette. V. Excellence trouvera bon, j'espère, que je sois + fortement blessé d'être ainsi récompensé de la conduite plus que + modérée que je tiens en Hollande, elle approuvera que je n'aie pas + laissé croire aux Hollandais, qui me voient journellement, que je + n'aie pas voulu assister au <i>Te Deum</i> chanté pour des événements + aussi marquants et qui intéressent aussi directement mon souverain + et mon pays. Je prendrai cette occasion d'avoir l'honneur de vous + assurer que tout ce qui est fait ici en l'honneur de nos victoires + l'est d'une manière peu conforme à la grandeur des événements. Le + canon fut tiré il y a trois jours pour notre entrée à Vienne, mais + personne n'en fut informé que par la gazette. Car les ordres furent + donnés de le tirer à six heures du matin et absolument à une + extrémité de la ville. Il n'y eut aucune fête à la cour, aucune + audience extraordinaire; enfin le <i>Te Deum</i> fut chanté hier + simplement à la chapelle du roi. Il n'y avait que deux ou trois + dames du palais et les personnes qui tiennent au service personnel + du roi. Le Corps diplomatique n'y était même pas invité. Je devais + être le seul admis à faire ma cour au roi dans cette circonstance + marquante. Que V. Excellence veuille bien ajouter à ceci que les + bulletins de notre armée ne sont pas publiés en Hollande tels qu'ils + sont réellement, mais que l'on en donne uniquement un extrait, ayant + soin d'en ôter tout ce qu'ils contiennent de réflexions politiques. + Quant à M. de Pallandt, dont je viens d'avoir l'honneur de vous + parler, ce chambellan est une des personnes qui professent les + opinions les plus opposées à la France et à l'empereur. Il se vante + d'influencer le roi et de le diriger d'après ses opinions. Tous les + Français en sont et en ont toujours été mécontents. Enfin il serait + trop long de répéter à V. Excellence tous les propos qu'il a tenus + dans toutes les circonstances qui se sont présentées.</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageliii" name="pageliii"></a>(p. liii)</span> Les justes observations faites à l'empereur sur le triste +sort de la Hollande, non seulement par les agents de ce malheureux +pays, mais par ceux de la France, finirent par être écoutées. +Napoléon, par un décret daté d'Ebersdorf, 4 juin 1809, rapporta +celui du 16 septembre 1808. En voici la teneur:</p> + +<p class="lettre">Les relations commerciales entre la France et la Hollande seront + rétablies sur le même pied qu'avant notre décret du 16 septembre + 1808.</p> + +<p>Cette nouvelle, parvenue à Amsterdam le 16 juin 1809, répandit la +joie dans le royaume. Le duc de Cadore l'annonça à Larochefoucauld +par la lettre suivante, du 5 juin:</p> + +<div class="lettre"> +<p>M. l'amiral Werhuell m'avait adressé au nom de sa cour de nouvelles + instances pour la révocation du décret du 16 septembre. J'ai + entretenu Sa Majesté de cet objet et elle a bien voulu rétablir les + relations entre les deux pays sur le pied où elles étaient + antérieurement.</p> + +<p>Je n'ai point laissé ignorer à M. Werhuell que l'empereur avait été + déterminé par ce que vous avez mandé de l'exactitude avec laquelle + les mesures contre le commerce anglais étaient exécutées depuis un + certain temps. Sa Majesté a été très surprise et même peu satisfaite + d'apprendre que M. Janssins, l'un des ministres du roi, ait été + chargé d'une mission (sans doute publique) auprès de S. A. S. Madame + la grande-duchesse de Toscane, qui n'est point <i>souveraine</i>.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 6 juillet.</p> + +<p>J'ai eu l'honneur de mander à V. Excellence que les bâtiments + américains continuaient à entrer dans les ports de la Hollande. Le + roi n'a pas encore pris de résolution formelle à cet égard, mais on + assure que le décret qui autorise l'arrivée de ces bâtiments est + déjà rendu et qu'il sera bientôt public.</p> + +<p>Il y a trois jours qu'une scène fort désagréable arriva au Texel. Un + corsaire français s'empara de deux navires américains. Les + stationnaires hollandais se rendirent sur les prises, en arrachèrent + le pavillon français et empêchèrent le capitaine du corsaire de + communiquer avec ses prises. V. Excellence verra par le rapport + ci-joint les détails de cet événement. Comme je n'ai pas encore de + réponse de V. Excellence à ma dépêche du 19 juin, je me suis borné à + écrire à M. Roëll la lettre dont je joins une copie. Je n'ai pas + voulu aller plus loin, mais il est pénible de voir mes espérances + s'évanouir chaque jour davantage. Les <span class="pagenum"><a id="pageliv" name="pageliv"></a>(p. liv)</span> affaires, au lieu de + prendre une tournure satisfaisante, empirent à chaque instant. La + contrebande augmente d'une manière effrayante. La mauvaise marche du + gouvernement reprend un nouvel essor, et l'on dirait que l'acte de + bonté de l'empereur n'a servi qu'à réveiller une conduite aussi + blâmable qu'insensée. Le commerce souffre beaucoup et désapprouve + tout ce qui se passe maintenant. De fortes représentations ont été + faites, mais malheureusement tout est inutile, et nous sommes + retombés dans la même position que l'été dernier.</p> + +<p>Le roi est au Loo. Sa Majesté voit ses ministres tous les 15 jours + ou toutes les trois semaines. Elle est entourée des dames du palais + et des officiers de sa maison, et s'occupe dans la matinée des + affaires et de l'arrangement de ses jardins. Le soir, il y a concert + ou spectacle. Personne n'est admis au Loo que les Hollandais qui y + sont invités, et je regarde ces voyages prolongés comme une des + causes de ce dont j'avais à me plaindre. Le roi y est livré à + quelques personnes qui abusent de sa bonté. Les ministres mêmes ne + sont pas là pour faire des observations à Sa Majesté, et les + affaires y sont décidées sans cet ensemble qui est indispensable + dans la direction d'un gouvernement.</p> + +<p>Des nouvelles que je reçois dans le moment me forcent à reparler à + V. Excellence de l'affaire arrivée dernièrement au Texel. Un second + corsaire français vient d'adresser au consul général un rapport qui + est absolument conforme à celui que j'envoie à V. Excellence; mais + des lettres d'un des armateurs, qui est au Helder, ajoutent que les + Hollandais maltraitent les Français qui sont à bord des prises, + qu'ils les empêchent de venir à terre, tandis qu'ils accordent cette + permission aux Américains; qu'enfin les papiers de ces prises + viennent d'être envoyés au directeur général des douanes ou au + ministre de la marine; qu'ainsi il deviendra très difficile de + réfuter l'objection qui sera faite que ces navires ont été pris dans + les eaux du royaume de Hollande. Il est au reste prouvé que ces + bâtiments ont été visités par les Anglais, et constant que tous les + Américains sont escortés par des bricks anglais jusqu'à la passe du + Texel. M. le général Knobelsdorff, ministre de Prusse, sort de chez + moi. Il est venu m'apporter une lettre que son souverain lui écrit + au sujet de l'emprunt; par cette lettre le roi, croyant très + difficile de l'effectuer, me prie de certifier à l'empereur + l'impossibilité de trouver cette ressource en Hollande. J'ai répondu + au ministre que M. de Nieburg, chargé de cet emprunt, m'avait assuré + qu'il avait contracté un engagement avec une maison de commerce + d'Amsterdam, que cet engagement était soumis à l'approbation de la + cour de Prusse et à l'autorisation du roi de Hollande; que depuis + cette époque je n'avais plus entendu parler de cette affaire, et que + j'attendais, pour témoigner au roi le désir de l'empereur que cet + emprunt s'effectuât, que M. de Nieburg m'eût assuré que cette + opération était prête, sauf cet agrément. <span class="pagenum"><a id="pagelv" name="pagelv"></a>(p. lv)</span> Je priai donc M. + de Knobelsdorff de répondre à S. M. le roi de Prusse que je ne + pouvais écrire à S. M. impériale et royale dans le sens qu'il + désirait, que dans le cas où le roi de Hollande refuserait de + permettre cet emprunt, ce que je suis loin de supposer.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 6 juillet.</p> + +<p>J'annonçais à Votre Excellence, par le dernier courrier, que j'étais + informé que S. M. le roi de Hollande avait pris une résolution qui + permettrait l'entrée des ports de son royaume aux navires + américains. V. Excellence en trouvera ci-joint la traduction, ainsi + que celle d'une seconde résolution prise le même jour, 30 juin, qui + augmente de six articles ceux autorisés par le décret du 31 mars + dernier. Ces deux résolutions ont été sanctionnées à mon insu, et + jusqu'à ce moment elles ne me sont pas parvenues officiellement. Le + ministre ne m'en a même jamais parlé; probablement il ne les + connaissait pas lui-même. Quant à la première de ces résolutions, je + l'ai passée sous silence, ayant voulu attendre les ordres de + l'empereur avant d'agir, et, ne m'étant pas formellement opposé à + l'entrée des navires américains, il eût été inconséquent, avant + d'avoir reçu de nouvelles instructions, de faire une levée de + boucliers contre un décret qui admet ces bâtiments. J'ai été plus + embarrassé sur le second objet. Si S. M. le roi de Hollande n'eût + pas été le frère de l'empereur, ma conduite eût été si ferme et si + positive, que le décret eut été rapporté. Mais les circonstances + m'ont paru mériter des ménagements, et le respect pour tout ce qui + tient à l'empereur m'a retenu. Je me suis donc contenté de demander + un rendez-vous au ministre par la lettre dont copie est ci-jointe, + et lui ai donné trois jours pour qu'il puisse me répondre et qu'il + ait le temps de prévenir le roi de cette conférence. Le but + principal de cet entretien est de savoir si le roi a consulté S. M. + impériale et royale, ce dont je doute beaucoup. Si cependant je me + trompe, et que l'empereur ait trouvé bon l'introduction des sucres, + cafés et cotons, dès ce moment je n'ai plus rien à dire; mais dans + le cas contraire, il me paraît impossible de permettre l'entrée en + France de ces denrées coloniales avant d'y être autorisé. Je viens + donc provisoirement de prescrire aux consuls de ne délivrer aucun + certificat d'origine pour les six nouveaux articles, avant le jour + où je dois avoir une explication avec M. Roëll. Le prétendu serment + exigé du capitaine américain est un article de forme qui ne sert à + rien, car quel peut être le capitaine qui fasse saisir son bâtiment, + pour ne pas affirmer qu'il n'a pas été en Angleterre et qu'il n'a + été visité par aucun bâtiment de cette nation? Je ne puis pas non + plus me fier au <span class="pagenum"><a id="pagelvi" name="pagelvi"></a>(p. lvi)</span> gouvernement hollandais, car j'ai de + fortes raisons de croire que des navires avec licences anglaises ont + été admis, et j'ai acquis la certitude que des bricks anglais + escortaient tous les américains qui sont entrés en Hollande dans le + mois dernier. Ce fait est tellement avéré que tout le commerce et la + marine en sont informés.</p> + +<p>Pour me rendre raison de cette nouvelle mesure prise par le roi, je + suppose que les Hollandais auront renouvelé leurs plaintes de voir + les productions de leurs colonies vendues à vil prix en Angleterre, + et qu'ils auront obtenu de Sa Majesté cette dernière résolution qui + va inonder la France et l'Allemagne de ces articles, surtout depuis + que S. M. impériale et royale a rapporté le décret du 16 septembre, + car avec la meilleure volonté, il est très difficile aux consuls de + n'être pas souvent trompés sur l'origine des articles qui leur sont + présentés, et en outre, ces derniers objets étant autorisés par le + roi, il leur sera impossible de les refuser. C'est pour couper court + à ces inconvénients que je me suis décidé à enjoindre aux consuls de + n'autoriser l'entrée en France d'aucun des objets qui me paraissent + en entière opposition avec les intentions de l'empereur, et qui le + sont avec mes anciennes instructions qui m'enjoignent d'empêcher + l'entrée en Hollande de navires américains chargés de denrées + coloniales, et même de déclarer que je quitterais le royaume si le + gouvernement hollandais persistait dans cette conduite.</p> + +<p>Si S. M. impériale et royale eût été à Paris, je ne me serais pas + porté à cette mesure, qui a quelque chose de désagréable pour le + roi, mais d'un autre côté j'ignore ce qui s'est passé en Autriche + depuis dix jours. L'empereur est peut-être encore plus éloigné de + nous, et avant que je ne puisse recevoir les ordres de V. + Excellence, les magasins d'Anvers seront remplis de denrées + coloniales. Il me paraît difficile ensuite de remédier à cet + inconvénient, tandis qu'en conservant les choses en <i>statu quo</i>, + l'empereur peut décider, et si je n'ai pas agi conformément à ses + instructions, le tort ne retombe que sur moi, et les affaires + reprennent leur marche ordinaire. J'envoie cette dépêche par + estafette à M. le comte Beugnot, afin qu'elle parvienne plus + promptement à V. Excellence.</p> + +<p>La bourse d'Amsterdam est dans une grande agitation. Ces nouvelles + résolutions donnent beaucoup d'inquiétude. Quelques propriétaires ou + consignataires des bâtiments américains sont contents, mais la + grande majorité des négociants fera de grandes pertes si l'admission + des Américains est maintenue. Hier on ne pouvait rien vendre; les + denrées sont à vil prix.</p> + +<p>Quant à la contrebande, V. Excellence verra par un rapport de M. + Sadet, que le gouvernement hollandais ne la surveille que très + faiblement. En tout les affaires prennent une marche bien + désagréable et qui, je vous assure, m'afflige beaucoup. Le roi est + parti de Loo le 3 de <span class="pagenum"><a id="pagelvii" name="pagelvii"></a>(p. lvii)</span> ce mois, il a été à Harlem, a dîné + chez le préfet, a acheté à la foire de cette ville une quantité de + marchandises, a paru à un bal qu'une des personnes les plus riches + de la ville donnait, et est reparti le lendemain matin pour Loo. Je + devais être à ce bal; mais des affaires m'ayant appelé ici, je n'ai + pu y assister. Pour me résumer, j'ai donc l'honneur de prévenir V. + Excellence que si j'apprends que l'empereur n'a aucune connaissance + des dernières résolutions du roi, je ferai suspendre la délivrance + des certificats d'origine pour les articles compris dans la dernière + décision, jusqu'à ce que je reçoive les ordres de S. M. impériale et + royale, et j'en informerai M. Roëll.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Vienne, 17 juillet.</p> + +<p>Monsieur l'ambassadeur, le décret par lequel le roi de Hollande a + ouvert les ports de son royaume aux navires et aux productions des + États-Unis a causé à S. M. l'empereur un vif déplaisir.</p> + +<p>C'est pour ainsi dire au moment même où la Hollande obtenait de Sa + Majesté une faveur qu'elle avait ardemment désirée, qu'elle a pris + elle-même une mesure contraire aux vues et aux intérêts de la + France, autant qu'elle est favorable aux desseins de l'ennemi.</p> + +<p>Sa Majesté vous charge de demander la révocation instante, immédiate + de ce décret. Elle vous charge de faire connaître que la Hollande ne + doit pas se flatter de pouvoir tenir en fait de commerce maritime + une ligne de conduite qui ne soit pas entièrement conforme à celle + de la France et du reste du continent; qu'elle doit être + indissolublement unie à la France, partager son sort, sa bonne et sa + mauvaise fortune, n'avoir d'autre système que celui de la France, le + suivre sans déviation; qu'autrement, si elle veut séparer sa cause + du continent, l'empereur, à son tour, se séparera d'elle.</p> + +<p>Sa Majesté veut que vous mettiez la plus grande énergie dans votre + langage, ce que vous saurez faire en gardant tous les égards que + vous avez pour le roi et que vous lui devez. Mais il faut que tous + les ministres et tous ceux qui ont la confiance du roi sentent que + non seulement un refus, mais de simples hésitations, pourraient + avoir les conséquences les plus sérieuses. Vous iriez même s'il le + fallait (mais je suppose que cela ne sera pas nécessaire), vous + iriez, dis-je, jusqu'à déclarer que si la Hollande ne se remet pas + sur le champ sur le même pied que la France, et ne rentre pas dans + son système pleinement et sans réserve, vous ne pouvez pas garantir + qu'elle ne cessera pas d'être considérée comme alliée et comme amie, + ni répondre de la continuation de l'état de paix.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagelviii" name="pagelviii"></a>(p. lviii)</span> <i>P. S.</i>—Cette lettre écrite, j'ai reçu celle que vous + m'avez adressée le 6 de ce mois. J'en ai rendu compte à Sa Majesté, + qui approuve la mesure que vous avez prise de défendre aux consuls + français de donner des certificats d'origine pour les objets dont le + roi de Hollande vient de permettre l'introduction.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Roëll à Larochefoucauld.</p> +<p class="date">Amsterdam, 8 août.</p> + +<p>Je me suis fait un devoir de mettre sous les yeux du roi les + différentes réclamations que V. Excellence m'a fait l'honneur de + m'adresser au sujet de plusieurs navires capturés par des corsaires + français; je me suis également empressé de soumettre à Sa Majesté + les observations contenues dans la lettre de V. Excellence du 31 + juillet, relativement à la marche adoptée depuis quelque temps en + Hollande de renvoyer sur un simple ordre du roi l'équipage français + des prises qu'on regarde comme irrégulières.</p> + +<p>La mesure contre laquelle V. Excellence a cru devoir réclamer a été + provoquée par les excès des corsaires qui, se comportant en vrais + pirates, s'arrogent le droit de s'emparer de tous les navires sans + distinction, à l'embouchure de nos rivières et dans les eaux mêmes + de la Hollande, sans aucun respect pour la souveraineté + territoriale. C'est ainsi que le 1<sup>er</sup> du mois passé, le corsaire <i>le + Furet</i> s'est emparé d'un navire popembourgeois, de <i>Trree + Gebroeders</i>, capitaine <i>Jennis Pieters</i>, chargé de sel, venant de la + Norvège; les déclarations unanimes des gardes-signaux des côtes ne + laissent aucun doute que cette prise n'ait été faite dans les + limites du royaume. Le lendemain, les corsaires <i>l'Hébé et la + Revanche</i> ont conduit au Texel cinq autres bâtiments sous pavillon + neutre, chargés de sel et destinés pour des ports hollandais. Les + prises ont été également faites à l'embouchure de nos rivières.</p> + +<p>Quelque extension que l'on veuille donner aux droits de la guerre, + ils ne pourront jamais servir à justifier la violation des droits + sacrés d'une puissance amie et alliée, et toutes les fois que des + armateurs se permettent des voies de fait dans l'enceinte de la + juridiction maritime d'un état, le souverain territorial a le droit + de punir et de réprimer leurs excès.</p> + +<p>Leurs prises étant par elles-mêmes des actes d'hostilité, ils ne + peuvent plus invoquer la protection des formes légales, mais ils + doivent être soumis à l'action immédiate du gouvernement qui peut + sans aucune forme de procédure leur faire lâcher prise. De même + lorsque les corsaires s'avisent de surprendre des bâtiments sortants + ou entrants <span class="pagenum"><a id="pagelix" name="pagelix"></a>(p. lix)</span> avec permission, le pouvoir exécutif a + également le droit de connaître administrativement de ces prises.</p> + +<p>D'après ces principes avérés par les publicistes les plus éclairés, + c'est donc à tort que les corsaires français se plaignent d'une + mesure que leurs propres désordres ont provoquée. Aussi Sa Majesté + a-t-elle décidé qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le passé ni de + soumettre les affaires déjà terminées à un nouvel examen.</p> + +<p>Cependant, pour donner une nouvelle preuve de se rendre autant que + dépendra d'elle aux vœux de V. Excellence, Sa Majesté a bien + voulu ordonner qu'à l'avenir la discussion sur la validité des + prises conduites dans les ports de Hollande sera portée au Conseil + pour les affaires maritimes et de commerce (Raad van Indication), et + que même dans le cas où les corsaires viendront à être accusés + d'avoir violé le territoire du royaume, la prise ne sera adjugée que + sur une décision motivée du dit Conseil, qui déclare la prise bonne + et légitime, ou qui condamne le corsaire, après avoir mis les + intéressés à même de faire valoir leurs droits.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 23 août.</p> + +<p>Par ma lettre particulière du 19 de ce mois, j'ai eu l'honneur de + prévenir V. Excellence que Sa Majesté est arrivée le 17 ici. Depuis + cette époque le roi n'a vu personne. On dit que la santé de Sa + Majesté est un peu altérée. Elle s'occupe journellement de la + défense du pays. Quinze cents soldats de la garde, après être restés + vingt-quatre heures à Amsterdam, sont retournés au camp où ils + étaient lorsqu'ils furent envoyés à Berg-op-Zoom. On attend au même + camp la division du général Gratien qui doit maintenant être entrée + en Hollande, en revenant d'Hanovre.</p> + +<p>Les gardes nationales s'organisent ainsi que quelques corps de + volontaires; mais les bourgeois hollandais ont de la peine à devenir + soldats. Demain douze compagnies de 100 hommes chacune doivent + sortir de la ville pour aller aux lignes. Cet essai donnera une idée + de la possibilité d'utiliser cette milice. On se plaint de la + manière dont ces compagnies ont été formées. Les officiers ont + choisi les hommes sans aucun égard pour leur famille ni pour leur + âge, mais uniquement en consultant leur passion. Il y a donc une + foule de réclamations dont plusieurs ont été écoutées.</p> + +<p>On parle d'un décret que le roi doit prendre, par lequel Sa Majesté + recevra tous les navires américains en faisant recharger les + marchandises déposées dans les magasins royaux. Mais V. Excellence + sera <span class="pagenum"><a id="pagelx" name="pagelx"></a>(p. lx)</span> surprise d'apprendre que les magasins sont vides, que + tout a été rendu aux propriétaires ou consignataires; qu'ainsi cette + décision, qui paraît être très forte, n'aura aucun but réel. Les + cafés et les sucres qui ont été apportés par des bâtiments + américains ont probablement été tous reconnus production de l'île de + Java. La ligne de douaniers français qui cerne dans ce moment la + Hollande a fait un grand effet en bourse. Les marchandises ont + beaucoup baissé. Les premières qualités de café de 3 et 4 sont + tombées à 50 c. Les cotons ont éprouvé la même baisse. Il devient + impossible d'exporter aucune denrée coloniale, même en Allemagne, et + le commerce est dans une crise fâcheuse.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 17 septembre.</p> + +<p>Rien ne finit, et malgré les demandes que j'ai faites au ministre de + me donner une réponse, je ne puis en obtenir. Le roi a, dit-on, + envoyé un courrier à l'empereur. J'ignore si la lettre de Sa Majesté + est relative aux objets dont je suis chargé, car cette démarche du + roi ne m'a pas été annoncée officiellement. Je ne puis donc avoir + rien de nouveau à transmettre à V. Excellence; il m'est pénible de + ne pas pouvoir exécuter les ordres de l'empereur. Il est vrai que + dans les circonstances présentes qui servent de prétexte à la + mauvaise volonté du gouvernement hollandais, je ne le presse pas + autant que je l'eusse fait dans un autre moment. Cependant la + Hollande paraît ne plus rien avoir à craindre, et les nombreux + changements qui se font dans l'organisation militaire ne tiennent + pas à la défense du pays, mais à la volonté du roi. Depuis la + descente des Anglais, l'on a formé la garde nationale dans les + principales villes du royaume. La levée des deux régiments a été + décrétée, mais les moyens de défense sont bien peu de chose et la + volonté bien faible. En tout je ne vois pas de possibilité que la + Hollande reste comme elle est maintenant. Il n'y a aucun ensemble + dans le gouvernement et aucune tenue dans aucun système suivi. Il + n'existe donc qu'un amour-propre mal placé qui l'empêche de devenir + français.</p> + +<p>Dans une des dernières conférences que j'eus avec M. Roëll, lorsque + je lui parlais du système du gouvernement hollandais, je lui dis que + je voyais d'autant moins d'espoir de le ramener à une marche plus + raisonnable, que jusqu'à présent je ne pouvais pas deviner la base + du principe qui le faisait agir avec aussi peu de mesure, puisque + continuellement il nuisait à ses plus chers intérêts. Pressé de + s'expliquer, ce ministre me répondit qu'étant ministre, il ne lui + était pas permis de satisfaire à ma demande, mais que le jour où il + ne le serait plus il me <span class="pagenum"><a id="pagelxi" name="pagelxi"></a>(p. lxi)</span> dirait le mot de l'énigme. Je + désirerais donc que M. Roëll quittât le ministère, car il me semble + que ce changement procurerait plus de lumières que nous n'en avons + obtenu pendant tout le temps de son administration.</p> + +<p>M. le comte d'Hunebourg vient d'envoyer au roi le chef de bataillon + Leclerc. Il est encore à Harlem et il se chargera de cette dépêche. + Je ne doute pas qu'il ne rapporte des assurances faites pour plaire. + Mais les faits jusqu'à présent répondent bien faiblement aux + paroles.</p> + +<p>M. le baron de Gilsa, récemment nommé envoyé extraordinaire de S. M. + le roi de Westphalie, a eu l'honneur de remettre au roi ses lettres + de créance. C'est un homme entièrement nouveau dans la carrière + diplomatique.</p> + +<p>Espérons que je serai dans quelque temps assez heureux pour pouvoir + adresser à V. Excellence un rapport satisfaisant. Croyez, je vous + prie, que je le désire vivement, mais que je doute d'en venir à ce + point avant que l'empereur n'ait jeté un regard sur la Hollande, et + que S. M. impériale et royale n'ait trouvé un moyen de tarir la + source du mal.</p> + +<p>Il paraît que Sa Majesté rappelle le maréchal Dumonceau et que le + général Brune commandera les troupes hollandaises en Zélande. On + assure que le roi ne veut pas que ce maréchal serve sous les ordres + du prince de Ponte-Corvo. Il doit y avoir en Zélande environ 10,000 + hommes. Dans le reste du royaume il y a peut-être de 3 à 4,000 + hommes. Mais depuis que le général Krayenhoff est ministre, Sa + Majesté fait de nombreuses promotions. L'état-major de l'armée et le + corps d'officiers ne sont pas en proportion des hommes. Je crois que + l'on pourrait cependant porter l'armée à 20,000 hommes; mais il + serait difficile d'aller plus loin, le recrutement se faisant avec + beaucoup de peine.</p> + +<p>Le ministre de la marine est dans une position moins bonne, car à + l'exception des chaloupes canonnières il n'y a pas d'armement. Les + équipages ont été licenciés. Cependant la Hollande pourrait en trois + mois armer neuf ou dix vaisseaux de ligne, mais il n'y a pas + d'argent. Enfin, soit par une cause, soit par une autre, il en + résulte que la Hollande n'a sous les armes qu'environ 14,000 hommes, + quelques gardes nationales non exercées, deux vaisseaux de ligne ou + trois, en comptant le <i>Chatam</i>, qui est en rivière de Meuse, + quelques bricks, goëlettes et des chaloupes canonnières. Il en reste + en outre les douaniers et gardes-chasse.</p> + +<p>Je reçois à l'instant la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur + de m'écrire d'Altenbourg le 4 de ce mois.</p> + +<p>Je vais notifier à M. de l'Angle le décret de S. M. Impériale et + royale.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagelxii" name="pagelxii"></a>(p. lxii)</span> <p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 28 octobre.</p> + +<p>J'arrive de Loo où je devais aller parler au roi, comme j'ai eu + l'honneur d'en prévenir V. Excellence. J'ai communiqué à Sa Majesté + les intentions formelles de l'empereur. J'ai dit au roi que son + auguste frère demandait que la division hollandaise fût portée dans + l'île de Sud-Beveland à 16,000 hommes, et que 200 chaloupes + canonnières, péniches, etc., fussent dirigées vers le même point + pour employer ces forces à agir dans l'île de Walkeren et en chasser + les Anglais. Sa Majesté m'a répondu que le corps de troupes + hollandaises, maintenant sous les ordres de M. le maréchal + Dumonceau, était sur le papier de beaucoup de plus de 16,000 hommes, + mais que les maladies régnaient tellement dans l'armée, que presque + la moitié des régiments se trouvait dans les hôpitaux; que toutes + ses troupes étaient aux ordres de l'empereur, qu'il n'avait par + conséquent qu'à indiquer les postes qu'elles devaient occuper: que + si dans l'île de Sud-Beveland il ne se trouvait que 3,000 hommes, + cela venait uniquement de l'intention du roi de diminuer, par ce + moyen, le nombre des maladies, mais que les troupes étaient si près + de ce point, qu'en peu de jours elles pouvaient y être portées. Le + roi ajoute que les deux seuls régiments qui avaient été distraits de + ce corps d'armée avaient été envoyés, l'un en Ost-Frise pour y + réprimer la contrebande, et l'autre en Nord-Hollande pour que ce + point intéressant ne fût pas entièrement dégarni; qu'ainsi Sa + Majesté allait donner ses ordres pour que 10,000 hommes effectifs, + commandés par M. le maréchal Dumonceau, se dirigeassent et agissent + conformément aux ordres qu'ils recevraient de M. le maréchal duc + d'Istrie.</p> + +<p>Que, quant aux chaloupes canonnières, etc., ce n'étaient pas autant + les bâtiments qui manquaient que les marins qui étaient impossibles + à trouver; que le roi ne pouvait donc porter en Zélande que 100 + petits bâtiments qui y seraient rendus sous peu de jours, Sa Majesté + venant de donner des ordres positifs pour remplir à cet égard les + intentions de l'empereur.</p> + +<p>Nous en vînmes ensuite à la seconde dépêche de V. Excellence, dont + je dis le contenu au roi, en observant à Sa Majesté que j'étais + chargé d'insister formellement sur la demande que la question des + eaux ne fût plus mise en avant, que tous les navires capturés par + des corsaires français fussent jugés par les tribunaux français; que + toutes les prises trouvées en contravention aux décrets de + l'empereur fussent reconnues bonnes et valables; enfin j'ajoutai que + la contrebande était portée à un <span class="pagenum"><a id="pagelxiii" name="pagelxiii"></a>(p. lxiii)</span> point qui avait fixé + les regards de S. M. impériale et royale, que l'empereur prétendait + qu'elle fût réprimée par des moyens efficaces, et qu'il avertissait + que si les choses ne changeaient pas, il se verrait forcé non + seulement de faire occuper les passes par ses troupes, mais même de + faire saisir par elles les denrées coloniales qui, entrées en + contrebande, se trouvaient déposées dans les magasins d'Amsterdam.</p> + +<p>Je passai ensuite au système général, à la conduite des ministres du + roi, à l'inexécution des décrets de Sa Majesté, enfin à la manière + extrêmement opposée à la France dont toutes les affaires se + traitaient en Hollande; j'observai au roi la nécessité de changer + entièrement de marche et de revenir à des principes qui seuls + pouvaient sauver la Hollande. Pour donner plus de force à ce que je + venais de dire, je crus devoir lire à Sa Majesté une partie de la + dépêche de V. Excellence; alors elle sentit que loin d'ajouter aux + ordres de l'empereur, je cherchais toujours les moyens de les lui + rendre moins sévèrement.</p> + +<p>Le roi me répondit que quant à la question du territoire, il serait + perdu aux yeux de son peuple s'il l'admettait; que l'empereur + n'aurait pas dû lui faire une demande à laquelle il ne pouvait pas + accéder, et que celle-ci était de ce nombre. Je répondis au roi que + Sa Majesté ne devait pas perdre de vue que les demandes de + l'empereur n'étaient que le résultat de tout ce qui avait été fait à + l'égard de nos corsaires et de leurs prises; qu'ainsi ce n'était pas + seulement comme question de droit qu'il fallait l'envisager, mais + encore comme question de fait, et que, sous ce dernier point de vue, + Sa Majesté ne pouvait pas se dissimuler, et m'avait avoué elle-même, + que l'on avait ici commis de grandes fautes. Le roi ne put nier ce + point, mais il revenait toujours sur l'impossibilité d'accéder au + désir de l'empereur, sur la manière dont ce serait trahir ses + devoirs que d'abandonner une partie des droits de son peuple, enfin + sur la décision récente du Conseil d'État.</p> + +<p>Quant à la contrebande, Sa Majesté me dit qu'elle espérait beaucoup + des nouveaux ordres donnés par elle à ce sujet, et qu'elle prendrait + encore de nouvelles mesures si celles-ci n'étaient pas suffisantes; + qu'elle exigerait des certificats d'origine pour les denrées + coloniales venant d'Ost-Frise, et qu'elle tirerait même une ligne de + douanes qui séparerait l'Ost-Frise du reste de la Hollande, si la + chose devenait indispensable. Sa Majesté se récria fortement contre + l'idée de faire exécuter en Hollande les décrets de l'empereur, + contre celle de voir des troupes françaises venir faire la police à + Amsterdam, enfin contre la volonté d'influencer et de diriger même + la conduite de ses ministres. Elle me dit qu'elle voyait bien que + tout ceci lui était personnellement adressé, que ses ministres + n'étaient que ses agents et qu'ils ne faisaient que ce qu'elle + voulait (je citai à cette occasion quelques exemples du <span class="pagenum"><a id="pagelxiv" name="pagelxiv"></a>(p. lxiv)</span> + contraire qui embarrassèrent le roi), qu'ainsi c'était l'attaquer + directement que de parler d'eux; que si l'empereur voulait réunir la + Hollande, il n'avait qu'à le dire sur le champ, parce qu'il voyait + parfaitement bien que c'était là le but de toutes les demandes qui + lui étaient faites. Enfin, dans la chaleur de la discussion, le mot + d'abdication sortit de la bouche du roi. J'observai à Sa Majesté que + dans tout ce que j'avais eu l'honneur de lui dire, il n'avait été + nullement question de réunion, mais seulement de précaution pour + empêcher les abus qui s'étaient trop souvent reproduits. La + conférence fut longue, mais à la fin le roi sentant, je crois, la + force de mes observations et l'impossibilité de m'éloigner du + véritable but de la question, me pria simplement de ne pas exiger + une réponse officielle et positive avant qu'il eût écrit à + l'empereur. Je crus devoir consentir à la demande de Sa Majesté, et + la priai simplement de me remettre sa lettre qui servirait de preuve + que j'avais exécuté les ordres qui m'avaient été donnés. J'ai donc + l'honneur, Monsieur le comte, de vous expédier en courrier M. + Amelin, attaché à mon ambassade, qui rapportera la réponse de + l'empereur et les ordres de V. Excellence.</p> + +<p>Dans cette conversation, ce que j'ai observé plus particulièrement, + et ce que le roi ne m'a pas caché, est sa crainte qu'en Hollande on + le croie Français, et qu'on le regarde uniquement comme un agent de + l'empereur. J'ai cherché à en venir à persuader à Sa Majesté que + c'était sa qualité de frère de l'empereur d'où dépendait le maintien + de sa couronne et l'obéissance de ses peuples; que toute sa force ne + venait que de son auguste frère; que le bonheur de la Hollande était + attaché à la manière dont il était personnellement avec l'empereur, + de qui seul elle pouvait attendre son existence; que j'étais si loin + d'admettre la crainte d'être accusé de partialité envers la France, + que je savais au contraire que la saine partie de ses entours, de + ses ministres et de son peuple voyait avec peine tout ce qui se + faisait contre les intentions de l'empereur, calculant que la + Hollande marchait ainsi à sa ruine; et que Sa Majesté se tromperait + fortement si elle voulait juger de l'opinion publique sur celle de + quelques personnes placées près d'elle, dont la seule idée et le + seul désir étaient de lui plaire, et qui, par cette raison, + abondaient dans les assertions qu'elles croyaient lui être + agréables. Je finis par dire au roi que je croyais bien connaître la + Hollande et l'esprit de ses habitants, et que j'étais certain que + les mêmes personnes qui le flattaient aujourd'hui, seraient demain + contre lui, si l'empereur n'était pas aussi puissant. Le roi ne me + répondit rien, mais son système m'a paru enraciné et difficile à + détruire. V. Excellence en sentira facilement toutes les + conséquences. Au surplus, je désirerais que cette dernière partie de + ma dépêche ne fût pas regardée comme officielle, le <span class="pagenum"><a id="pagelxv" name="pagelxv"></a>(p. lxv)</span> roi + m'ayant parlé confidentiellement de ses idées et de son système. + J'ai l'honneur d'en rendre compte à Votre Excellence, comme le + croyant nécessaire au bien de la mission dont je suis chargé.</p> + +<p>Au reste, j'ai parlé aux différents ministres, que j'ai trouvés tous + au Loo; mais, en abondant dans le système français, ils m'ont fait + observer qu'ils ne pouvaient qu'obéir aux ordres et aux décrets du + roi, dont ils exécutaient la teneur avec toute l'exactitude + possible, et il fut répondu à toutes mes observations et à mes + avertissements par des assurances de redoubler de zèle. J'ai parlé + fortement et ne leur ai rien caché.</p> + +<p>Le ministre de la marine m'a dit que les contrôles de son ministère + ne montaient qu'à 5,000 hommes employés à la marine, et qui, par + conséquent, ne formaient même pas les équipages de 200 petits + bâtiments demandés par l'empereur, dont chacun devait être monté par + 28 hommes, car il faut déduire des contrôles les malades, les + employés aux chantiers, etc. Maintenant, il n'existe pas, en + Hollande, un seul vaisseau de ligne en armement, et les magasins + sont dépourvus de fer et de goudron. Votre Excellence a vu, dans une + dépêche précédente, l'état du ministère de la guerre. L'intérieur + souffre beaucoup, puisque les finances sont au-dessous de zéro. Il + est sûr que les lignes de douanes nuisent au commerce et aux + ressources du gouvernement, mais je croirais que le rapport des + décrets de l'empereur ne doit pas être un encouragement, mais une + récompense.</p> + +<p>Lorsque je pris congé du roi, Sa Majesté ne me cacha pas sa grande + inquiétude et son impatience de recevoir la réponse de l'empereur; + elle me pria même de la lui porter au Loo, pour en causer avec elle. + J'ai donc l'honneur de vous prier, monsieur le comte, de me + réexpédier M. Amelin le plus tôt possible.</p> + +<p>J'ai laissé le roi encore un peu faible, mais bien rétabli. La + fièvre a quitté Sa Majesté depuis cinq jours.</p> +</div> + +<p>L'empereur n'accepta pas le compromis offert par l'ambassadeur au +sujet de la juridiction des prises, et fit donner l'ordre à +Larochefoucauld de revenir à sa première proposition.</p> + +<p>La lettre de Cadore en date du 12 octobre se termine ainsi:</p> + +<div class="lettre"> +<p>Vous déclarerez que la volonté de Sa Majesté est que tout bâtiment + qui sera trouvé avoir contrevenu à ses décrets soit déclaré de bonne + prise, et que si l'on ne pourvoit pas efficacement, en Hollande, à + la répression de la contrebande, non seulement elle fera occuper les + passages des troupes, mais encore, elle enverra des colonnes mobiles + saisir jusque dans Amsterdam les marchandises anglaises.</p> + +<p>Sa Majesté y est, en effet, bien déterminée. Elle est décidée à ne + point <span class="pagenum"><a id="pagelxvi" name="pagelxvi"></a>(p. lxvi)</span> souffrir que la Hollande trahisse la cause commune. + Il serait, m'écrit-elle, préférable de voir la Hollande en alliance + ouverte avec l'Angleterre que de la voir favoriser sourdement son + commerce et la guerre qu'elle fait contre nous.</p> + +<p>Sa Majesté rend toute justice aux intentions du roi son frère. Elle + sait que ses intentions sont droites; mais elle reproche à ceux qui + devraient les seconder de tout leur pouvoir de n'être occupés qu'à + les rendre vaines, de la sorte que si elle devait en juger par la + marche du gouvernement, elle en prendrait une idée tout opposée. Les + ministres ne lui semblent pas prévoir quel doit être le résultat + final de leur conduite. Elle veut que vous les avertissiez et que + vous leur fassiez comprendre que ce résultat sera la perte de leur + existence.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 23 novembre.</p> + +<p>Hier, il y eut cercle diplomatique au palais. Le roi m'y parla de + quelques affaires particulières, et Sa Majesté m'engagea à revenir + le soir pour causer avec elle sur des objets plus importants. Elle + me prévint en même temps qu'elle venait de recevoir des lettres de + M. le duc de Feltre.</p> + +<p>En sortant de l'audience, je rencontrai M. le colonel Leclerc, + aide-de-camp de M. le ministre de la guerre, et c'est par lui que + j'ai l'honneur d'envoyer cette lettre à Votre Excellence.</p> + +<p>Je me rendis chez le roi à sept heures, et fus, sur-le-champ, + introduit dans le cabinet de Sa Majesté, avec laquelle je restai + près de trois heures. Le roi me dit qu'on lui demandait une + augmentation de troupes et de bâtiments pour l'expédition de + Walcheren, mais qu'il lui était impossible de fournir un contingent + plus considérable; que, d'après l'état des situations reçu le matin + de Mauchaunu, Dumonceau et Dewinter, les forces de terre sous les + ordres du premier étaient de 10,000 hommes, en y comprenant les + corps et les renforts qui sont en marche, et que le second mandait + avoir sous les yeux 100 chaloupes ou bateaux canonniers, qu'il en + attendait encore quelques-uns, indépendamment des 300 petits + bâtiments armés dont il est question dans la réponse de M. Roëll. Le + roi m'assura qu'il lui était impossible de faire davantage; que, + sans de graves inconvénients, il ne pouvait dégarnir la côte, qui + était à peine défendue, et que, quant à sa garde, elle était + nécessaire à Amsterdam, dont elle composait la garnison; que Sa + Majesté se trouvait dans une position bien fâcheuse, sa capitale + étant remplie de gens sans emploi et sans pain, l'hiver étant au + moment d'augmenter la misère, et le roi obligé de doubler les impôts + pour combler le déficit; <span class="pagenum"><a id="pagelxvii" name="pagelxvii"></a>(p. lxvii)</span> qu'à ce tableau alarmant, il + fallait ajouter que les rentiers n'étaient pas payés, et qu'il + n'avait pas le premier sou pour faire face aux dépenses courantes; + que je devais donc en sentir que s'il dégarnissait Amsterdam du peu + de troupes qui y étaient maintenant, sa personne ne serait pas en + sûreté, qu'il existait un grand mécontentement dont il était fort + inquiet.</p> + +<p>Je répondis au roi que ce n'était pas le moment de revenir sur les + causes de son malheur, mais plutôt de chercher les moyens d'y + remédier; que l'empereur était mécontent du système général de la + Hollande, du peu de ressources qu'elle offrait, et de la mauvaise + volonté que l'on mettait à coopérer à l'expédition projetée; que le + maréchal Dumonceau, sous prétexte d'être obligé de demander des + ordres, ajournait l'exécution de ceux qu'il recevait; qu'il + annonçait souvent avoir fait ce que, deux jours après, il écrivait + n'avoir pu exécuter, et que Sa Majesté devait sentir combien il + était indispensable de donner à ce maréchal des ordres assez + illimités pour qu'il fût autorisé à obéir sur-le-champ à M. le + maréchal duc d'Istrie. Après une longue discussion, le roi m'assura + qu'il allait donner de nouveaux ordres et que j'y pouvais compter.</p> + +<p>Nous en vînmes ensuite à une augmentation de troupes, et, tout en + entrant dans les inquiétudes du roi, je lui dis cependant qu'il + fallait faire quelque chose, et qu'il ne pouvait pas renvoyer + l'aide-de-camp du ministre de la guerre avec un refus. Nous + entrâmes, à ce sujet, dans des discussions trop longues pour être + répétées à Votre Excellence, et, après de grands efforts, je parvins + à décider le roi à mettre aux ordres de l'empereur, si Sa Majesté + l'exigeait, un bataillon qui gardera la côte. Le roi me dit qu'il + ferait remplacer ce bataillon par une partie de sa garde; que, quant + au corps d'élite, il ne consentirait jamais à le diviser, et que je + devais sentir l'impossibilité que Sa Majesté restât à Amsterdam à la + merci de la populace. Enfin, le roi me témoigna le désir de voir + l'empereur et l'empressement qu'il aurait eu d'aller à Anvers si Sa + Majesté Impériale et Royale y était venue, mais qu'il craignait de + se trouver dans la même ville que la reine. Autorisé par cette + phrase, je crus pouvoir revenir sur ce sujet, dont j'avais déjà + parlé au roi l'année dernière, et je cherchai à le ramener à une + conduite plus convenable pour lui et plus avantageuse pour la + Hollande; mais je perdis mon temps et mes paroles. Sans répondre aux + vérités que je lui disais, Sa Majesté se contenta de me répondre + qu'elle irait plutôt au bout du monde que de se rapprocher de la + reine, que jamais il ne voulait en entendre parler, qu'il ferait à + la Hollande tous les sacrifices excepté celui-là, etc., etc. Enfin, + après avoir parlé longtemps sur ce sujet, le roi persista dans son + désir de voir l'empereur, désir que Sa Majesté doit exprimer dans la + lettre qu'elle écrit à son auguste frère.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagelxviii" name="pagelxviii"></a>(p. lxviii)</span> Le reste de la conférence fut employé en plaintes de Sa + Majesté sur son affreuse position, sur son désir de quitter la + Hollande, s'il ne parvenait pas à regagner l'amitié de l'empereur; + sur son opinion prononcée qu'il devait être Hollandais, et que, tant + qu'il serait roi, il devrait défendre ses sujets; sur l'idée qu'on + l'accusait d'être Français, et qu'il devait ne pas le paraître; + enfin, sur l'échafaudage d'un système faux et désastreux, mais + tellement enraciné dans la tête de Sa Majesté que je crois qu'il + n'existe, peut-être, que l'empereur qui puisse l'en faire revenir. À + cette malheureuse opinion, j'ai trouvé mêlé un grand attachement à + l'empereur; l'intention, si Sa Majesté quittait la Hollande, d'aller + trouver son auguste frère, de faire tout ce qu'il voudrait et de + demeurer le plus fidèle de ses sujets. J'ai pu facilement pénétrer + que le roi exprimait ce qu'il pensait, et que Sa Majesté était + vraiment malheureuse. J'ai cherché à détruire le système du roi; je + lui ai représenté ses entours comme autant d'intrigants qui avaient + surpris sa religion; qui, n'osant pas lui dire d'être anti-Français, + avaient su lui persuader qu'il devait être Hollandais, pour parvenir + au même but. J'ai répété au roi que, couronné par l'empereur, il + devait suivre le système politique et commercial de la France; que, + sans les bontés de Sa Majesté Impériale et Royale, la Hollande + périssait au milieu de son opulence et de ses richesses; que jamais + gouvernement n'avait été dans une position plus alarmante par le + tableau même que Sa Majesté venait de me faire, et que, d'après son + opinion, l'empereur ne pourrait sauver la Hollande que lorsqu'il + serait assuré que ce gouvernement lui serait utile au lieu de + contrecarrer continuellement toutes ses dispositions. Le roi + m'écouta avec bonté, et j'oserai même dire avec amitié. Il ne nia + pas les faits que j'avançais ni les accusations que je portais; mais + il en revenait à son premier principe: qu'il serait perdu s'il avait + l'air d'être l'agent et l'instrument de l'empereur.</p> + +<p>Sa Majesté me témoigna une grande peine de ne pas recevoir de + réponse de l'empereur, une grande inquiétude sur sa position et une + grande peine de la suite des événements qui se préparaient.</p> + +<p>Maintenant, Votre Excellence est bien au fait de la cause de tout ce + qui arrive dans ce pays-ci. Depuis longtemps, j'ai eu l'honneur de + vous les faire pressentir. Il fallait la position présente et l'aveu + du roi pour que j'osasse vous le dire plus clairement. Quant au + remède, l'empereur peut seul le trouver, et il ne m'appartient pas + d'émettre mon opinion à cet égard. Dans le cas où le roi irait à + Paris et où Sa Majesté me demanderait de l'accompagner, je prierais + Votre Excellence de me mander ce que je dois faire.</p> + +<p>Lorsque la conférence fut terminée, le roi me prévint qu'il avait + été informé que l'empereur admettait en France les bâtiments + américains chargés de coton; qu'ainsi, il avait annoncé au commerce + que, lorsqu'il <span class="pagenum"><a id="pagelxix" name="pagelxix"></a>(p. lxix)</span> lui serait prouvé que l'empereur avait + donné une telle permission, il en permettrait l'entrée en Hollande, + pourvu que les marins prouvassent qu'ils n'ont pas été en + Angleterre, et l'origine des cotons. Je prie Votre Excellence de me + donner des nouvelles à cet égard.</p> + +<p>Le roi m'a demandé plusieurs fois si M. Amelin était de retour, et + m'a paru très inquiet de ce retard.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">25 novembre.</p> + +<p>Le maréchal Werhuell, arrivé à Amsterdam depuis trois jours, a eu + avec le roi une longue conférence, dans laquelle rien n'a été + décidé.—Son but était de rendre compte de l'audience particulière + que l'empereur lui avait accordée, et d'engager le roi à venir à + Paris.—L'ambassadeur l'a mis au courant de la situation des + choses.—On prépare les voitures de voyage du roi.—La contrebande + diminue un peu, depuis que le roi a défendu que l'on délivrât des + passeports d'intérieur pour toutes les marchandises qui viennent + d'Ost-Frise; mais les magasins d'Amsterdam sont pleins de denrées + coloniales et de marchandises anglaises. La communication avec + l'Angleterre est très fréquente, et des passagers viennent + habituellement de l'autre côté du Rhin. Les derniers arrivés disent + que l'on peut compter sur l'évacuation de l'île de Walcherem, les + Anglais n'ayant pas 2,000 hommes en état de se battre.</p> + +<p>Le roi se plaint de la conduite des corsaires français, qui ont pris + deux bûcherons en dedans des limites.</p> + +<p>Je n'ai rien pu répondre à Sa Majesté, mais je n'ai pas blâmé les + corsaires, les dernières instructions de Votre Excellence + m'enjoignant de ne plus reconnaître de limites en dedans desquelles + les corsaires ne devaient pas exercer une police sévère contre les + navires chargés de marchandises prohibées.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">27 novembre.</p> + +<p>Le roi est revenu hier d'Harlem, a reçu le Corps législatif, a + annoncé officiellement son départ pour Paris.</p> + +<p>Il a eu une dernière entrevue avec le roi, qui lui a dit qu'il + s'était décidé à partir sur ce que le maréchal Werhuell lui avait + annoncé le désir que l'empereur avait témoigné de le voir; qu'il + n'avait été arrêté dans ce voyage que par la peine de se rendre dans + la ville que la <span class="pagenum"><a id="pagelxx" name="pagelxx"></a>(p. lxx)</span> reine habitait, et que son intention + première était d'aller loger chez Madame-Mère.</p> + +<p>J'observai au roi combien cette démarche me paraissait + précipitamment adoptée, et je pris la liberté d'en dire les + inconvénients à Sa Majesté, qui me parut décidée à aller à + Saint-Leu.</p> + +<p>Le roi trouve qu'il ne peut revenir sans apporter une preuve + éclatante de son rapprochement avec l'empereur.</p> + +<p>—Il emmène M. Roëll, qui se dit malade d'avance.</p> + +<p>—M. Mollerus, homme d'esprit, très prononcé dans un système opposé + à la France, ce qui est connu depuis longtemps. M. Roëll est nommé + président du conseil des ministres, et chargé du portefeuille des + affaires étrangères.</p> + +<p>On est généralement fâché, dans le gouvernement, du départ du roi. + On craint que Sa Majesté ne change de marche; mais la généralité des + habitants d'Amsterdam espère beaucoup des résultats de ce voyage.</p> + +<p>Le roi lui-même est parti tourmenté. La position de Sa Majesté est + certainement pénible. La Hollande souffre, et l'esprit public n'est + pas aussi bon qu'il pourrait l'être. Je vois cependant de grandes + ressources si la cause est complète, mais de nouveaux malheurs si + elle n'était pas entière.</p> + +<p>Le 5 décembre 1809, le ministre duc de Cadore écrit à La + Rochefoucauld en lui envoyant le discours de l'empereur au Corps + législatif, annonçant d'autres destinées pour la Hollande.—Il + prescrit à l'ambassadeur d'observer l'effet produit sur les diverses + classes de la population, et d'en rendre un compte impartial à + l'empereur, en indiquant les mesures à prendre pour satisfaire aux + vœux légitimes des Hollandais.</p> + +<p>—Quels avantages ils désirent voir assurer à leur pays; de quels + maux ils souhaitent d'être garantis? Quel est enfin l'arrangement + auquel ils sont prêts à souscrire?</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Rapport du duc de Cadore à S. M. l'Empereur et Roi.</p> +<p class="date">6 décembre 1809.</p> + +<p>Le roi de Hollande a fait appeler ce matin le ministre des + relations. Il lui a témoigné sa profonde douleur de la communication + que venait de lui faire Sa Majesté l'empereur de ses vues sur la + Hollande et de l'ordre déjà donné à 40,000 hommes de troupes + françaises d'y entrer pour en opérer la réunion avec le grand + empire. Sa Majesté le roi paraissait, en effet, dans un abattement + voisin du désespoir. Ce n'était pas son propre sort qu'elle + déplorait. Elle avait éprouvé sur le trône tous les soucis et les + inquiétudes de la royauté, et le mal non moindre <span class="pagenum"><a id="pagelxxi" name="pagelxxi"></a>(p. lxxi)</span> de son + isolement loin de son auguste frère, de sa famille, de la France, et + dans un pays contraire à sa santé. À la voix de son frère, elle + descendrait volontiers du trône, et elle demandait même avec + instance que l'empereur y plaçât ou la reine ou toute autre personne + investie de sa confiance. Ce n'était donc que pour l'intérêt de la + France, pour l'intérêt de l'empereur, que le roi de Hollande + réclamait la conservation de l'indépendance nominale qui avait été + laissée jusqu'à ce jour à ce pays. Elle est l'objet de tous les + vœux des Hollandais; pour la conserver, ils feraient les plus + grands sacrifices, et c'est pour elle qu'ils paient, en imposition, + les trois quarts de leurs revenus. La réunion, opérée contre leur + vœu, excitera un mécontentement général. Sans doute, les + Hollandais se soumettront à la force; mais l'action de cette force + sera continuellement nécessaire pour les maintenir dans la + soumission. Il faudra, désormais, qu'une armée française réside dans + le pays. La confiance perdue éloignera les capitaux, anéantira + l'esprit d'industrie qui a donné à ce pays une existence presque + miraculeuse. Il deviendra à la charge de la France, loin de lui être + utile, et l'Angleterre profitera de toutes les pertes que fera la + Hollande.</p> + +<p>Le roi voudrait, au prix de tout son sang, détourner tant de maux. + Il accédera, si l'intention de l'empereur est qu'il règne encore, à + un arrangement propre à donner à son auguste frère l'assurance que + la Hollande marchera désormais dans le système de la France. Il + propose de céder à la France tout ce qui est sur la rive gauche de + la Meuse, espérant que l'empereur voudrait le dédommager par + quelques concessions en Allemagne, et il indique le grand duché de + Berg. Il consentirait à avoir auprès de lui un agent de l'empereur, + sans caractère ou revêtu d'un titre propre à déguiser ses véritables + fonctions, lequel agent serait chargé de l'avertir des actes de son + administration qui pourraient être contraires aux intentions de + l'empereur, et il se conformerait aux indications de cet agent. + Enfin, il offre d'annuler, dès ce moment, les modifications + apportées au tarif de ses douanes, de rapporter ses décrets sur la + noblesse; enfin, de révoquer d'autres actes de son administration + qui auraient pu blesser l'empereur. Mais il croit ne pouvoir étendre + sa condescendance jusqu'à <i>prononcer la banqueroute et + l'établissement de la conscription</i>. Il offre de faire faire par la + Hollande les recrutements qui pourront lui être demandés.</p> + +<p>Ces propositions doivent être faites au ministre des relations par + le ministre et l'ambassadeur du roi de Hollande; elles seraient même + rédigées par écrit. Les idées énoncées dans ce rapport ne sont qu'un + premier jet; il est possible que quelques heures de méditation les + étendent ou les modifient.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + <span class="pagenum"><a id="pagelxxii" name="pagelxxii"></a>(p. lxxii)</span> <p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 12 décembre.</p> + +<p>J'ai eu l'honneur d'expédier hier à Votre Excellence le courrier + Lourdet avec la réponse aux demandes qu'elle m'a adressées. Le peu + de temps que j'ai eu pour la rédiger ne m'a pas donné la possibilité + d'entrer dans le détail des moyens d'exécution qui n'ont pu qu'être + indiqués, ni de parler des ressources immenses que présente ce pays; + elles sont tellement considérables que, la confiance une fois + rétablie, et malgré la dette, il peut encore offrir à la France de + grands avantages, et lui fournir même du numéraire si l'empereur le + désirait; mais je crois qu'il faut le rassurer, principalement sur + son incorporation, car les fonds que l'on réalise iront en + Angleterre; le change est déjà monté de 3% et le papier anglais est + recherché.</p> + +<p>Votre Excellence sait peut-être déjà que quelques feuilles + hollandaises ont osé retrancher du discours de l'empereur l'article + qui regarde ce pays, et que celles qui ont rendu compte fidèlement + de tout le discours sont défendues. Cet ordre a été donné par le + ministre de la justice et de la police. M. de Styrum, préfet du + département, a ordonné que la <i>Gazette de Harlem</i> laissât l'article + en blanc.</p> + +<p>L'inquiétude est grande; les fonds de tous les pays baissent. Tous + les yeux sont tournés vers moi, et tous les esprits se livrent à des + conjectures qui sont loin de les rassurer.</p> + +<p>Le 15 décembre 1809, l'amiral Werhuell écrit au duc de Cadore que + c'est avec une véritable douleur que le roi a vu l'empereur et son + ministre parler au Corps législatif de changements prochains en + Hollande. Sa Majesté espère que l'empereur n'a en vue que des + changements propres à consolider un trône qui est son ouvrage.—Il + aime à croire, d'ailleurs, que l'empereur fera connaître promptement + tous les changements projetés.</p> +</div> + +<p>Le 16 décembre, Larochefoucauld résume en quatre questions et +réponses la lettre du ministre en date du 5 décembre:</p> + +<p>1<sup>o</sup> Quels sont les vœux des Hollandais?</p> + +<p>Maintenir leur nationalité; éviter les banqueroutes des deux tiers, +la conscription et l'occupation française.</p> + +<p>2<sup>o</sup> Quels avantages désirent-ils?</p> + +<p>Le duché de Berg en échange de la Zélande et du Brabant.</p> + +<p>3<sup>o</sup> Quels maux veulent-ils éviter?</p> + +<p>Tout système qui serait en opposition avec celui de la France.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagelxxiii" name="pagelxxiii"></a>(p. lxxiii)</span> 4<sup>o</sup> À quel arrangement souscriraient-ils?</p> + +<p>À voir différer un tiers et plus de la dette, et à tous ceux qui +conviendraient à l'empereur s'ils obtenaient les trois points +indiqués plus haut.</p> + + +<h3><span class="smcap">Année 1810.</span></h3> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Napoléon à Clarke.</p> +<p class="date">Paris, 5 janvier.</p> + +<p>Donnez l'ordre au maréchal Oudinot de se rendre à Anvers, pour + prendre le commandement de l'armée du Nord.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p> +<p class="date">Paris, 20 janvier.</p> + +<p>Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la lettre + que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 courant, + et Sa Majesté m'a chargé de vous témoigner qu'elle n'était pas + satisfaite d'apprendre que vous eussiez fait revenir sur territoire + français les troupes que vous aviez envoyées à Bréda et à + Berg-op-Zoom. L'empereur me charge, à cette occasion, de vous + réitérer les observations que je vous ai faites, par ma lettre du + 11, sur les mesures que vous aviez prises, relativement à ces deux + places. Sa Majesté pense que Votre Excellence aurait dû commencer + par y faire entrer ses troupes et en prendre possession après; + c'était la meilleure manière de parvenir à votre but. Quant aux + moyens à employer pour réussir, Votre Excellence doit comprendre que + c'est au général en chef, qui est sur les lieux, à faire les + dispositions convenables pour bien remplir les vues du gouvernement, + et qu'on ne peut lui prescrire des mesures de détail qu'il est dans + ses attributions de combiner et de faire exécuter de la manière la + plus propre à en assurer le succès.</p> + +<p>Relativement aux gardes nationales, je vois, par la lettre de Votre + Excellence, qu'elle n'a fait revenir que la division Gouvion, et que + deux bataillons ont été placés à Malines et à Bruxelles. L'intention + de l'empereur est que Votre Excellence dispose de toutes les gardes + nationales de l'armée du Nord, même de celles qui sont à Bruxelles, + pour les placer en entier sur le territoire hollandais, où vous + devez aussi <span class="pagenum"><a id="pagelxxiv" name="pagelxxiv"></a>(p. lxxiv)</span> porter votre quartier général. Vous voudrez + donc bien donner vos ordres en conséquence, et vous occuper de + remplir avec activité les intentions de l'empereur. Votre Excellence + verra, d'ailleurs, que ces dispositions ne changent rien aux mesures + prescrites par ma lettre du 18, dont je vous confirme le contenu en + son entier, en vous invitant à ne rien négliger pour en assurer + l'exécution.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke au Roi de Hollande.</p> +<p class="date">Paris, 20 janvier.</p> + +<p>Sire, Sa Majesté l'empereur et roi m'a chargé de faire connaître de + nouveau à Votre Majesté la peine que lui a causée la manière dont + les choses se sont passées en Hollande, relativement à l'entrée + demandée pour ses troupes dans les places de Bréda et de + Berg-op-Zoom. Le mauvais effet que produit en Hollande et en France + un pareil éclat ne peut échapper à Votre Majesté, et je dois croire + qu'elle en souffre autant que l'empereur. Il est malheureusement + devenu le résultat inévitable des ordres de Votre Majesté aux + commandants de place, et cette mesure ne pouvait produire, dans + aucun cas, un bon effet.—La lettre close qui a été présentée à + Berg-op-Zoom, au général Maison, contenant un ordre particulier de + Votre Majesté de ne remettre la place à qui que ce fût sans un ordre + du ministre de la guerre ou du roi lui-même, a dû nécessairement + frapper l'empereur, en annonçant que Votre Majesté s'était depuis + longtemps décidée à opposer de la résistance à l'exécution des + mesures que Sa Majesté Impériale pourrait avoir à prendre au sujet + de ces villes. J'espère, toutefois, que Votre Majesté aura pris + enfin le parti que la sagesse et la réflexion ont dû lui dicter, en + révoquant les ordres qu'elle avait donnés, pour éviter une + résistance inutile. Elle sentira que l'empereur ne peut revenir sur + des dispositions arrêtées après mûres réflexions, et fondées sur de + grandes vues politiques, dont l'accomplissement est nécessaire au + repos de l'Europe. Les maux qu'une résistance plus longtemps + prononcée causerait à la Hollande elle-même doivent être, aux yeux + de Votre Majesté, un motif déterminant pour l'engager à fléchir en + cette matière. Le seul parti, aujourd'hui, est de prendre les + mesures les plus précises pour éviter les fâcheux résultats que ses + premiers ordres ont dû produire, et terminer promptement une lutte + aussi inégale qu'elle serait nécessairement désastreuse pour les + États de Votre Majesté.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p> +<p class="date">Paris, 25 janvier.</p> + +<p>Votre Majesté trouvera ci-joint, en original, la dépêche que je + reçois <span class="pagenum"><a id="pagelxxv" name="pagelxxv"></a>(p. lxxv)</span> à l'instant du maréchal duc de Reggio, en date du + 28. Elle répond à la mienne du 20, qui lui avait transmis les + derniers ordres de Votre Majesté. Le maréchal a pris toutes les + mesures nécessaires pour les exécuter, et a dû se rendre, le 24, de + sa personne à Berg-op-Zoom. Il envoie une copie de l'ordre du roi de + Hollande, adressé au gouverneur de Berg-op-Zoom, dont il résulte que + l'entrée de nos troupes ne souffrira pas de difficultés, mais que + les dispositions ultérieures ordonnées par Votre Majesté pourront + éprouver des obstacles. Le duc de Reggio assure, d'ailleurs, qu'il + les lèvera tous. Cependant, il attendra de nouveaux ordres pour la + prise de possession et le serment à exiger des autorités. Il doit + les attendre à Breda, où il se rendra en sortant de Berg-op-Zoom; + mais il pense qu'il devrait revenir ensuite à Anvers, dont la + position est la plus centrale pour pouvoir diriger les opérations le + long de la Meuse. Votre Majesté remarquera, parmi les dispositions + prises par le duc de Reggio pour la répartition de ses troupes, + qu'il a disposé de la division Lamarque en entier et d'un bataillon + de la division Chambarland, quoique ces sept bataillons fussent + compris dans le décret du 22, qui ordonne leur licenciement. Je + supplie Votre Majesté de vouloir bien me faire connaître ses + intentions à cet égard, de même que sur les autres objets de la + lettre du maréchal duc de Reggio qui exigent une décision.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p> +<p class="date">27 janvier.</p> + +<p>J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté, en original, la + dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, datée + de Berg-op-Zoom, le 24 courant, par laquelle il annonce son arrivée + dans cette ville de même que l'entrée du général du Roure à Breda. + Votre Majesté remarquera que le général hollandais qui commande à + Berg-op-Zoom a refusé de laisser prendre possession de la place, en + alléguant les ordres du roi. Le duc de Reggio n'en a pas moins fait + toutes ses dispositions pour exécuter les premiers ordres de Votre + Majesté; mais il en attend encore avant d'effectuer la prise + définitive de possession, et, d'ici à l'époque où il pourra les + recevoir, il aura réuni les troupes dont il a besoin pour consommer + cette entreprise.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p> +<p class="date">28 janvier.</p> + +<p>Monsieur le maréchal. Vous trouverez ci-joint une copie du décret de + Sa Majesté l'empereur, daté des Tuileries, le 20 janvier, et que Sa + <span class="pagenum"><a id="pagelxxvi" name="pagelxxvi"></a>(p. lxxvi)</span> Majesté vient de me faire connaître. L'intention de + l'empereur est que vous fassiez une proclamation, pour faire + connaître que vous prenez possession militaire des pays situés entre + la Meuse et l'Escaut; que les troupes hollandaises, de même que les + troupes françaises, ne devront obéir qu'à vos ordres, et que telle + est la volonté de l'empereur.</p> + +<p>Vous devez parler très haut aux militaires hollandais et savoir ce + qu'ils prétendent faire. La mise des places en état de siège + annulera, par le fait, la possibilité de tout acte inconsidéré de la + part des autorités civiles. L'empereur veut que vous vous empariez + des magasins à poudre et des munitions de guerre et de bouche. Votre + Excellence annoncera l'arrivée prochaine de 60,000 Français et fera + former des magasins pour leur subsistance.</p> + +<p>Sans rien écrire à ce sujet, Votre Excellence fera entendre que la + sûreté des frontières de France obligera peut-être l'empereur à + réunir définitivement à la France la partie de la Hollande située + entre la Meuse et l'Escaut, et qu'en attendant, il est de l'intérêt + des habitants de bien se comporter.</p> + +<p>L'empereur permet, monsieur le maréchal, que je vous confie, sous le + secret, qu'en réalité, son intention est de faire prendre d'abord + <i>possession militaire</i> des pays en question, et d'en faire prendre + après <i>possession civile</i>, ce qui, toutefois, ne pourra avoir lieu + avant que vous receviez de nouveaux ordres. Sa Majesté a arrêté + irrévocablement dans sa pensée <i>la réunion à la France des pays + compris entre la Meuse et l'Escaut</i>; mais, en ce moment, elle veut + que vous vous borniez à en prendre la possession militaire entière + et absolue.</p> + +<p>Vous devez avoir l'œil sur les magasins de marchandises anglaises + et de denrées coloniales, afin que la saisie puisse s'en effectuer + au premier ordre et à la fois; il faudra marcher contre les + rassemblements de contrebandiers hollandais et leur donner des coups + de fusil, s'il en est besoin.</p> + +<p>Le 7 février, une division française du 4<sup>e</sup> corps de l'armée + d'Allemagne doit arriver à Dusseldorf et doit continuer + immédiatement sa route pour être sous vos ordres. Vous devez laisser + peu de monde à Anvers et sur la rive gauche de l'Escaut, et, dès que + les chaloupes et bateaux canonniers français qui sont dans nos + canaux pourront servir, vous les ferez venir et vous vous en + servirez. Enfin vous ferez, monsieur le maréchal, des règlements + sévères pour tous les objets qui en sont susceptibles. Vous ne + parlerez jamais de réunion d'une manière absolue, mais seulement de + possession militaire. Vous ferez publier et afficher partout le + décret ci-joint.</p> + +<p>Un de vos premiers soins sera de mettre garnison dans toutes les + places où il doit y en avoir. Vous notifierez aux généraux + hollandais que leurs troupes font partie de l'armée de l'empereur, + et vous donnerez <span class="pagenum"><a id="pagelxxvii" name="pagelxxvii"></a>(p. lxxvii)</span> la plus grande attention à les placer + dans des endroits où elles ne puissent pas nuire. Vous veillerez + surtout à ce qu'elles ne repassent pas en Hollande, et, au moindre + soupçon, vous les ferez désarmer. Vous ferez ces notifications aux + maréchaux hollandais, que vous appellerez à votre quartier général.</p> + +<p>L'intention de l'empereur est que toutes les gardes nationales de + l'armée du Nord et les autres troupes qui en dépendent se dirigent + sur votre quartier général. L'empereur m'ordonne de vous réitérer + l'ordre de tenir toutes vos troupes réunies, en vous conformant, + d'ailleurs, à ce qui vous est prescrit par mes dépêches de ce jour.</p> + +<p>Le général Vandamme reçoit l'ordre de se rendre sans délai à + Berg-op-Zoom, pour servir sous vos ordres dans l'armée du Brabant.</p> + +<p><i>P.-S.</i>—M. le capitaine Markey, mon aide-de-camp, est chargé de + remettre mes dépêches à Votre Altesse.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Palais des Tuileries, 20 janvier 1810.</p> +<p class="center smcap">Décret.</p> + +<p>Voulant pourvoir à la sûreté des frontières du nord de notre empire, + et mettre à l'abri de tout événement nos chantiers et arsenaux + d'Anvers;</p> + +<p>Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:</p> + +<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p> + +<p>Il sera formé une armée sous le nom d'<i>Armée de Brabant</i>.</p> + +<p class="center">Art. 2.</p> + +<p>Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et l'Océan formeront + le territoire de la dite armée.</p> + +<p class="center">Art. 3.</p> + +<p>Toutes les troupes françaises et alliées, de terre et de mer, qui se + trouvent dans cet arrondissement, feront partie de l'armée de + Brabant.</p> + +<p class="center">Art. 4.</p> + +<p>Les places de guerre situées entre la Meuse et l'Escaut seront mises + en état de siège.</p> + +<p class="center">Art. 5.</p> + +<p>Les commandants militaires et les autorités françaises et + hollandaises se conformeront aux présentes dispositions.</p> + +<p class="center">Art. 6.</p> + +<p>Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent + décret.</p> + +<p class="sig"><span class="pagenum"><a id="pagelxxviii" name="pagelxxviii"></a>(p. lxxviii)</span> <span class="smcap">Napoléon</span>, etc., etc.</p> + +<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p> + +<p>Toutes les marchandises anglaises existant dans les villes et places + situées entre la Meuse et l'Escaut sont confisquées.</p> + +<p class="center">Art. 2.</p> + +<p>Le produit de la vente de ces marchandises sera employé moitié à + réparer les dégâts faits à Flessingue, et moitié à indemniser les + habitants des pertes qu'ils ont essuyées par le bombardement.</p> + +<p class="center">Art. 3.</p> + +<p>Toutes les marchandises coloniales seront mises sous séquestre.</p> + +<p class="center">Art. 4.</p> + +<p>Nos ministres de la police et des finances sont chargés de + l'exécution du présent décret.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + +<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p> +<p class="date">29 janvier.</p> + +<p>Votre Majesté trouvera ci-joint une lettre du maréchal duc de + Reggio, du 26 courant, datée de Berg-op-Zoom, par laquelle il rend + compte de l'opposition toujours soutenue du gouvernement hollandais, + qui a refusé de laisser prendre connaissance des magasins de la + place: le duc de Reggio, après avoir fait sortir les troupes qui + appartenaient au corps du maréchal Dumonceau, a dû, dès le + lendemain, déposséder le gouverneur et s'emparer des magasins.</p> + +<p>En attendant que cette opération fût consommée, le maréchal duc de + Reggio a fait faire une reconnaissance de la place qui lui a procuré + quelques renseignements. 240 bouches à feu se trouvent dans la + place, et, en approvisionnements de siège, de quoi nourrir 2,000 + hommes pendant six semaines. Du reste, il n'y a ni manutention, ni + hôpitaux, ni casernes, ni fournitures, et le duc de Reggio pense + qu'il est instant de régler sans délai tout ce qui tient aux + administrations, ainsi que d'assurer tous les services de l'armée + qui sera en Hollande.</p> + +<p>À cette lettre est joint un croquis de la place de Berg-op-Zoom, + avec un précis de ce qu'on a pu voir de cette place, les ingénieurs + hollandais ayant refusé toute espèce de renseignements.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p> +<p class="date">31 janvier.</p> + +<p>J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre du duc de + Reggio, datée de Breda, le 28 janvier. Il rend compte qu'à + Berg-op-Zoom comme à Breda, la prise de possession des magasins + d'artillerie, du <span class="pagenum"><a id="pagelxxix" name="pagelxxix"></a>(p. lxxix)</span> génie et des subsistances a eu lieu le + 27, comme il l'avait annoncé. Les gouverneurs de ces places ont + persisté dans leur opposition jusqu'au dernier moment; ils n'ont + cédé qu'à la force. Ils ont ensuite refusé tous deux de remplir + aucune fonction et attendent une nouvelle destination de la part de + leur souverain.</p> + +<p>Le duc de Reggio demande maintenant des instructions positives, + relativement aux autorités du pays et aux habitants; le décret que + je lui ai envoyé le 28 lèvera les obstacles qu'il craint de + rencontrer de leur part.</p> + +<p>Le maréchal fait observer que les bataillons de gardes nationales + qui font sa principale force sont diminués par la désertion et fort + éloignés de l'instruction et de la discipline que la circonstance + exigerait. En outre, ils sont presque nus, ce qui contribue à les + décourager. Les démarches faites à ce sujet au ministre directeur + n'ont pas même obtenu de réponse. Le duc de Reggio insiste avec + force sur la nécessité d'apporter un prompt remède à cet état de + choses, dont la fâcheuse influence ne saurait échapper à la sagesse + de Votre Majesté.</p> + +<p>Une autre lettre du même, en date du 26, rend compte de la désertion + qui a eu lieu à Namur dans les bataillons de la Meurthe et de la + Moselle, dont il a été déjà rendu compte à Votre Majesté. Le + maréchal ajoute que le départ pour Lille de la majeure partie des + officiers a désorganisé ces bataillons, et qu'on doit peu compter + sur eux dans une circonstance difficile.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p> +<p class="date">1<sup>er</sup> février.</p> + +<p>Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre + Excellence, par une dépêche du 28 janvier, dont le capitaine Markey, + mon aide-de-camp, a été porteur, les intentions de l'empereur + relativement à la prise de possession des places hollandaises + situées entre la Meuse et l'Escaut. Aujourd'hui, je suis chargé par + Sa Majesté de vous envoyer l'ordre de prendre possession militaire + de toutes les places situées entre le Rhin et l'Escaut. Pour cet + effet, il sera nécessaire que Votre Excellence commence par + s'assurer des points qui couvrent sa gauche: ce sont les forts de + Steenbergen, de Wilehelmstadt, de Klundoert et les villes de + Gertruydenberg et Heusden, qu'il faudra faire occuper par des + détachements. Bois-le-Duc et le fort de Crèvecœur doivent être + pris en même temps, et cette mesure préliminaire étant consommée, + l'arrivée prochaine de la division du 4<sup>e</sup> corps destinée à passer + sous vos ordres vous permettra de suivre votre opération par la + droite. Cette division, qui sera à Dusseldorf, doit être dirigée de + Dusseldorf sur Venloo, <span class="pagenum"><a id="pagelxxx" name="pagelxxx"></a>(p. lxxx)</span> d'où elle marchera directement sur + Grave et de là sur Nimègue, qui doivent être pareillement occupés, + de même que le fort de Schenk. Quand vous aurez, par là, votre + droite et votre, gauche assurées, vous pourrez continuer votre + marche en avant, pour aller occuper, sur votre gauche, la Zeelande + ainsi que les îles de Josée et de Worms, ce qui vous conduira à + prendre possession de Zérickée, de la Brille, d'Helvoest-Lyns et de + Dordrecht. Vous aurez alors, en avant de votre route, le + Bommel-Waard et la place de Garcum à occuper, au moyen de quoi votre + grand mouvement se trouvera terminé, et vous aurez votre droite au + fort de Schenk près du Rhin et votre gauche à l'île de Gorée. Il + sera nécessaire de procéder, dans ces différentes places, de la même + manière qu'à Breda et à Berg-op-Zoom, en y nommant un commandant + militaire français et en renvoyant les troupes hollandaises qui + pourraient s'y trouver en garnison dans des endroits où elles ne + puissent pas nuire. Il faudra aussi s'emparer des magasins + d'artillerie et des subsistances, et déclarer les places en état de + siège pour annuler entièrement l'action des autorités civiles. + Toutes ces opérations doivent être consommées successivement, mais + avec beaucoup d'ensemble et de célérité pour en faciliter + l'exécution, et je prie Votre Excellence de vouloir bien m'informer + sans délai des mesures que vous aurez prises pour remplir, à cet + égard, les intentions de l'empereur.</p> +</div> + +<p>Le 2 février 1810, en présence des exigences du duc de Reggio +exécutant les ordres de l'empereur, un conseiller d'État du roi +Louis, le chevalier Elout, adressa au maréchal la lettre ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Breda, 2 février.</p> + +<p>Monsieur le duc, chargé d'une mission auprès de Votre Excellence, + j'ai appris avec regret que Votre Excellence se trouvait à Anvers. + Privé d'un entretien que j'avais désiré vivement, il est toutefois + de mon devoir de faire connaître à Votre Excellence l'objet spécial + de la mission qui m'a été confiée, et dont j'ai l'honneur de + m'acquitter par celle-ci.</p> + +<p>Je n'ai pas besoin d'entrer en beaucoup de détails; mais je dois, + cependant, prendre la liberté de rappeler à Votre Excellence que, + quoique l'on n'a pas cru pouvoir accorder à sa demande d'être mise + en possession d'une partie du territoire hollandais, on n'a pas + hésité un moment, lorsque Votre Excellence a témoigné le désir d'y + mettre les troupes de Sa Majesté l'empereur et roi en cantonnement, + à recevoir ces troupes dans les places fortes de Breda et de + Berg-op-Zoom, comme celles d'une puissance amie et alliée, ainsi que + le dictaient les ordres du roi, mon maître, qui étaient connus + d'avance à Votre Excellence et qui doivent être la seule règle de + conduite pour tout fonctionnaire hollandais. Le gouvernement + hollandais se reposait ainsi, avec toute la confiance <span class="pagenum"><a id="pagelxxxi" name="pagelxxxi"></a>(p. lxxxi)</span> + possible, sur les assurances données par Votre Excellence, qu'elle + désirait d'être admise sur ce point que les places resteraient sous + les ordres de leurs gouverneurs respectifs, et que l'administration + civile serait intacte.</p> + +<p>Il vous sera donc facile, monsieur le maréchal, de sentir la vive + douleur qu'a dû éprouver mon gouvernement lorsqu'il a été informé + qu'on avait pris possession de la ville et du territoire de + Berg-op-Zoom au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon; qu'il avait + été exigé des autorités constitutives de se considérer comme sujets + de ce monarque; qu'il avait été interdit d'administrer la justice au + nom du roi, leur souverain légitime; qu'on avait enfin donné les + ordres les plus précis aux receveurs de ne pas disposer des deniers + publics sans un ordre du gouvernement français, douleur qui est + accrue par ce qui est arrivé à Bréda.</p> + +<p>La gloire de bien servir son maître est si naturelle, et tellement + inhérente à tout Français, que je croirais manquer à Votre + Excellence d'en presser le devoir; que Votre Excellence juge donc si + les sentiments de tout homme d'honneur ne doivent pas s'accorder + avec ce devoir même! Qu'ainsi, il lui est impossible de se départir + de la fidélité qu'il doit à son souverain, et dont ce souverain peut + seul le dégager.</p> + +<p>Votre Excellence sent profondément (j'en ai la conviction intime) + l'état cruel et pénible où se trouvent les bons et fidèles + serviteurs du roi, en se voyant pressés de violer leurs serments et + de manquer ainsi à leurs devoirs les plus chers et les plus sacrés + et se rendre par là méprisables aux yeux de tout homme de bien, + sentiment de mépris que partagerait Votre Excellence elle-même qui + est trop pénétrée, sans doute, de la noblesse des sentiments d'amour + et de fidélité que je viens de professer pour vouloir attribuer les + difficultés qu'elle aurait pu avoir rencontrées de la part de ces + individus à d'autre cause qu'à ses sentiments.</p> + +<p>«Je crois pouvoir ajouter encore avec confiance, que d'après les + intentions manifestées par l'empereur lui-même et les ordres les + plus positifs du roi, que Votre Excellence a prouvé, par sa conduite + antérieure, connaître à fond que l'entrée des troupes françaises sur + le territoire hollandais ne peut être considérée que sous un point + de vue militaire, mais jamais comme devant signifier la prise de + possession au nom de Sa Majesté l'empereur et roi, et qu'encore pour + cette raison aucun habitant ne doit ni ne peut se considérer comme + sujet de Sa Majesté l'empereur Napoléon, mais que tous sans + exception ne désirent respecter que les ordres qui leur seront + donnés de la part de Sa Majesté le roi de Hollande dans les formes + usitées et légitimes.</p> + +<p>«Je dois insister plus spécialement encore sur ce qui regarde + l'administration des finances. Votre Excellence doit sentir le grand + embarras <span class="pagenum"><a id="pagelxxxii" name="pagelxxxii"></a>(p. lxxxii)</span> et la stagnation funeste que doivent faire + naître les ordres donnés à ce sujet, ce dont les suites sont + incalculables dans ce royaume.</p> + +<p>«J'ose donc prier Votre Excellence qu'elle veuille se rendre aux + représentations que j'ai l'honneur de lui faire d'après mes + instructions et de donner les ordres pour que les conditions posées + en principe par Votre Excellence elle-même soient respectées, et + qu'il ne soit rien exigé d'un sujet hollandais qui serait contraire + à son devoir, mais qu'il lui soit permis d'attendre sur toutes + choses les ordres de son roi, et que Votre Excellence veuille faire + révoquer le plus tôt possible les ordres donnés aux receveurs + généraux, en un mot que tout ordre qui n'émane pas des principes + militaires relativement au cantonnement, soit révoqué et mis hors + d'effet.</p> + +<p>«Je viens d'exposer l'objet de ma mission, Monsieur le duc, et me + fondant sur votre caractère personnel autant que sur la haute + qualité dont Votre Excellence est investie, j'ose espérer que le + gouvernement hollandais ne se sera pas flatté en vain que Votre + Excellence se rendrait à une demande juste dans sa nature, + intéressante dans ses conséquences et peu faite sans doute pour + inspirer les moindres appréhensions.</p> + +<p>«Je prie Votre Excellence de m'en donner l'assurance afin que je + puisse communiquer à mon gouvernement un résultat qu'il attend avec + confiance et qui sera propre à conserver et à augmenter la bonne + harmonie entre les individus des deux nations intimement liées.</p> + +<p>«J'ai chargé Monsieur Siberg, auditeur du roi, de remettre cette + dépêche à Votre Excellence et de me rapporter la réponse qu'elle + voudra me faire parvenir. Agréez, Monsieur le duc, l'assurance de ma + haute considération.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le Ministre de la guerre de Hollande à Oudinot.</p> +<p class="date">Amsterdam, 3 février.</p> + +<p>«Monsieur le duc, les ordres que j'ai reçus du roi mon maître et que + M. de Byland, son aide de camp, m'a apportés, ont fait cesser en + effet l'obligation pénible où j'étais de lutter contre les mesures + de Votre Excellence, et maintenant que je me trouve autorisé à vivre + en harmonie avec elle, je n'aurai rien de plus à cœur que de + faire de mon côté tout ce qui peut tendre à la maintenir.</p> + +<p>«Je sens que les troupes françaises qui vont occuper la partie du + royaume située entre la Meuse et l'Escaut auront besoin d'y trouver + des moyens de subsistance. Ce service est assuré, pour les troupes + hollandaises, par l'entrepreneur général des vivres, qui fournit à + tous leurs besoins. J'ai proposé à Sa Majesté de le charger aussi de + la nourriture <span class="pagenum"><a id="pagelxxxiii" name="pagelxxxiii"></a>(p. lxxxiii)</span> des troupes françaises, et j'attends les + ordres qu'elle voudra bien me donner à cet égard. Si, dans + l'intervalle, Votre Excellence juge à propos de requérir + l'intervention des autorités locales, j'ai l'honneur de la prévenir + que cette mesure serait étrangère à mon département et ressortirait + entièrement du ministère de l'intérieur.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">De La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 15 février 1810.</p> + +<p>«Croyant qu'il peut être agréable à Votre Excellence d'avoir + quelques détails sur l'opinion générale et sur la situation des + esprits en Hollande, je vais avoir l'honneur de vous faire part de + mes observations.</p> + +<p>«L'esprit public est généralement bon, c'est-à-dire que la masse de + la nation est susceptible de prendre telle direction qu'il plaira à + son gouvernement de lui donner. Le Hollandais aime sa patrie et fera + de grands sacrifices pour elle. Il prend donc une part très réelle à + ce qui intéresse la chose politique et l'honneur national.</p> + +<p>«Le grand penchant qui existe pour l'Angleterre ne tient qu'au + besoin de commerce et aux ressources avantageuses que l'on retire + des relations avec ces insulaires. Mais favorisez le commerce, + montrez de l'intérêt pour la Hollande, faites-lui entrevoir une + prospérité future et une protection présente, dès lors vous verrez + la Hollande devenir Française, car elle ne tient à l'Angleterre ni + de cour, ni de goût, mais uniquement d'intérêt, et parce que, + n'étant pas heureuse sous la direction française, elle croit que ce + qui lui est opposé doit être pour elle un bien. Il existe ici trois + opinions plus ou moins opposées les unes aux autres. Celle du + commerce et des gens à argent qui n'admettent et qui n'aiment que ce + qui leur procure un avantage; celle des propriétaires fonciers, de + l'ancienne noblesse et de leurs agents, qui furent attachés à la + maison d'Orange, qui en conservent des souvenirs, qui jusqu'à + présent penchaient pour l'Angleterre, en éloignant tout ce qui était + Français, mais que l'on peut faire revenir à des sentiments plus + raisonnables avec de la douceur et avec de la fermeté; enfin, celle + des Patriciens et de la masse du public qui suit ordinairement la + direction du gouvernement et dont l'on peut facilement disposer en + se rendant maître de leurs chefs. Le gouvernement est composé de la + seconde classe, d'une partie de la troisième et de quelques + individus de la première qui, pour obtenir des avantages personnels, + ont quitté la droite ligne du commerce pour devenir courtisans. + Cette seconde classe s'était tellement emparée de l'esprit du roi + que Sa Majesté croyait en avoir besoin et qu'ils avaient su se + rendre indispensables. Ils avaient travaillé <span class="pagenum"><a id="pagelxxxiv" name="pagelxxxiv"></a>(p. lxxxiv)</span> l'esprit + public, et soit par séduction, soit par peur ou par désir d'obtenir + des emplois, soit enfin par des grâces, des décorations, ils étaient + parvenus à rendre la Hollande anti-française. Les honnêtes gens + souffraient et même quelques voix ont osé se faire entendre, mais + elles ont été étouffées, et l'homme qui voulait se prononcer était + si maltraité qu'il ôtait à tous les autres le désir et même la + pensée de suivre un exemple qui le ruinait lui et les siens. Enfin, + l'opinion publique était altérée; on gémissait en secret des fautes + du gouvernement, mais il avait soin de rejeter le mal sur + l'empereur. Le roi passait pour une victime de son dévouement à sa + nouvelle patrie et pour n'être traité froidement par son auguste + frère que parce qu'il défendait la Hollande<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a><a href="#footnote157" title="Lien vers la note 157"><span class="smaller">[157]</span></a>. Enfin, toutes les + apparences étaient contre ce pays-ci, et il fallait se donner la + peine d'examiner le mal de bien près et avec soin pour découvrir + qu'il était uniquement au gouvernement, ou plutôt à quelques + personnes qui avaient dû faire prendre la marche qui favorisait + leurs intérêts particuliers. Ces vérités sont connues de tout le + monde, elles sont même avouées des agents du gouvernement qui ne + nient pas le mal, mais qui prétendent n'en être pas la cause et qui + la rejettent sur tel ou tel autre individu.</p> + +<p>«L'empereur a donc atteint un premier but bien intéressant qui est + celui d'avoir ouvert les yeux à tous les partis; et chacun voit à + présent que le mal qui les accable vient de la marche vicieuse du + gouvernement. On rend toute la justice qui est due aux intentions du + roi; mais ceux mêmes qui ont conseillé Sa Majesté sentent la faute + qu'ils ont commise ou plutôt ils en craignent les effets. Mais que + Votre Excellence me permette de lui observer combien il serait + dangereux de se fier trop vite à un pareil repentir. Sûrement, il ne + faut punir personne; mais il faut éloigner des gens trop marquants, + qui ne peuvent prêcher sans honte un système opposé à celui qu'ils + ont professé publiquement. L'éloignement peut n'être que momentané; + mais il est indispensable pour asseoir le gouvernement dans de bons + principes et pour lui faire prendre une marche dont il ne doit plus + s'écarter. C'est un point très intéressant; mais, je le répète, il + faut une certitude de stabilité. Sans cela, il n'y a plus de + Hollande et je prie Votre Excellence de vouloir bien en être + persuadée. Mais ici nous avons atteint ce point si le roi est bien + convaincu de l'indispensable nécessité de suivre une marche + invariable; si Sa Majesté s'entoure de gens de talent et de + conduite, qu'elle daigne accueillir avec sa bonté ordinaire toutes + les opinions, mais en laissant le temps à ceux qui ont professé + l'ancienne doctrine de se reconnaître et d'ouvrir les yeux. Enfin + si, à son retour, le roi se prononce <span class="pagenum"><a id="pagelxxxv" name="pagelxxxv"></a>(p. lxxxv)</span> comme celui de + Westphalie paraît l'avoir fait; si l'empereur est sûr que Sa Majesté + réunira à une pensée ferme un plan de conduite fixe; si enfin le + système de la France est suivi, et qu'en Hollande le plus grand + malheur et le plus grand désavantage ne soit plus d'être français, + alors ce pays peut se rétablir. L'esprit public qui est bon et qui + n'a été gâté que par quelques individus se remettra. Le commerce et + les capitalistes, voyant qu'ils ne sont plus maltraités, mais que + l'on assimile les premiers aux négociants français, tandis que l'on + protège les seconds dans leurs rapports avec les cours étrangères, + verront leurs intérêts se rapprocher de S. M. impériale et royale et + la béniront. La noblesse bien traitée, favorisée de quelques ordres + et titres, employée selon les preuves qu'elle donnera de son zèle et + de son attachement à la nouvelle direction, se verra forcée, pour + obtenir des avantages de la cour, de prêcher la seule doctrine qui y + sera admise. Enfin, les Patriciens, amis de leur pays, qui ne + désirent que son bien, et qui sont à présent malheureux, se + rallieront facilement au gouvernement quand ils verront une + certitude de stabilité, et ils attireront après eux la masse du + public qui sent son mal et qui a besoin de le voir finir. Mais que + Votre Excellence ne se dissimule pas à quel point ce mal est porté. + Chacun gémit et se plaint. Le commerce est au moment d'éprouver des + pertes considérables. Les propriétaires qui ont tous des rentes sur + l'État sont ruinés par la chute des effets publics. La saisie des + marchandises a jeté l'alarme dans la seconde et la troisième classe + du peuple. Tout ce qui tient à la cour et au gouvernement craint + pour son existence personnelle. Enfin, les auteurs du mal + s'enveloppent de la misère publique. Ils ne parlent que de la nation + en général, que de son affreuse position, et ils se sauvent sous le + nom de la Hollande, tandis qu'eux seuls sont auteurs du mal dont + tout le monde est puni. Je ne voudrais pas, Monsieur le duc, que + Votre Excellence crût qu'il entre aucune personnalité dans ce que + j'ai l'honneur de lui mander. Ce ne serait même pas mon opinion de + faire une réaction. Je la croirais nuisible, et la Hollande a besoin + d'être tenue, mais en même temps d'être menée doucement et sans + secousse. Toute inquiétude trop forte lui ôte la confiance et nuit + au bien général; mais il faut lui inspirer cette confiance, la bien + convaincre que ce qui sera établi durera, que les lois qu'on lui + donnera seront stables et que son gouvernement ne variera plus. + Enfin, il faut, pour la lui inspirer, commencer par lui en faire + sentir la possibilité; et jamais avec les mêmes agents on ne croira + à une pareille marche. On regardera toute condescendance comme une + feinte, et l'on sera sûr d'être en butte à de nouveaux tiraillements + si nuisibles à l'intérêt général. Je le répète donc, la difficulté + n'est pas d'obtenir tout ce que l'empereur voudra, et même de voir + tout le monde <span class="pagenum"><a id="pagelxxxvi" name="pagelxxxvi"></a>(p. lxxxvi)</span> l'adopter avec empressement, mais le but + à atteindre est de s'assurer que cela durera et que l'esprit du + gouvernement est changé, car sans cela la confiance ne se rétablira + pas, et alors les finances, objet si essentiel et question si + délicate à traiter, ne pourront être réglées de manière à sauver la + Hollande d'une banqueroute complète. Je regarde donc que l'esprit + est bon, qu'il est prêt à tout, que le ministère même verra son + éloignement sans peine, croyant la chose nécessaire, et que + l'empereur gagnera tous les cours et attirera la Hollande à lui, si, + en la traitant comme la France, il oblige son gouvernement à devenir + et à rester français.</p> + +<p>«Quant à l'opinion des individus qui composent le gouvernement, elle + est dans ce moment-ci toute française en apparence. Tout le monde + avoue qu'il n'y a pas un autre système à suivre. Tout le monde a + peur et est devenu souple. On ne prononce plus le nom de l'empereur + qu'avec respect, et chacun craint son juge; mais cet esprit du + gouvernement est l'effet du moment. C'est le même individu qui tient + publiquement un langage raisonnable et qui, comme homme public, + professe cette religion, parle tout différemment quand, revenu dans + les cercles particuliers, dans sa famille ou chez ses amis, il peut + émettre sa véritable opinion. Le ministère est composé de Messieurs + Roëll, Mollerus, Van der Heim, Cambier, Hugenpoth, Van Capellen, + Krayenkoff et Apellius. Le premier, Votre Excellence le connaît; + elle peut le juger; mais cependant je dois lui observer qu'il est + haineux et vindicatif, qu'il a toujours tourné en dérision tout ce + qui était français, et que, sans avoir une mauvaise opinion + prononcée, il est un de ceux qui ont nui à un changement de système. + Le second est fin, adroit, instruit. Il a toujours été attaché à + l'Angleterre, où ses enfants étaient encore employés il y a peu de + temps. Il se met rarement en avant, mais il fait mouvoir d'autres + personnes et d'autres ministres, notamment M. Roëll. Sa conversation + est à présent dans une bonne direction. Il regrette, je crois, + d'avoir peut-être contribué à la perte de son pays. C'est un chef à + caresser, à bien traiter, mais à éloigner du timon des affaires, + parce que tout le monde le regarde comme une des personnes qui a le + plus dirigé le roi en sachant adroitement obtenir la confiance de Sa + Majesté et en faire un mauvais usage. M. Van der Heim, + officiellement, paraît être Français; mais c'est un homme réservé, + ne manquant pas de moyens, n'énonçant jamais une opinion et sachant + obtenir par des voies indirectes ce qu'il n'oserait pas demander + d'une manière positive. Il fait tout en dessous et l'on ne peut s'y + fier. Son ministère est celui où il règne le plus mauvais esprit, et + je crois qu'il en est cause. Cependant on pourrait tirer parti de + ses talents. Il se rallierait à un gouvernement dont il se verrait + forcé de suivre la <span class="pagenum"><a id="pagelxxxvii" name="pagelxxxvii"></a>(p. lxxxvii)</span> marche. Monsieur Cambier est un + honnête homme, attaché à son pays, loyal dans son système modéré, + sur qui l'on pourrait compter s'il avait pris un engagement. Il + n'est pas Français de goût, parce qu'il est malheureux de la crise + où se trouve sa patrie, et qu'en convenant des torts que l'on a eus, + il trouve la punition forte, et, si j'ose le dire, il se plaint + qu'une nation tout entière souffre d'une mauvaise direction à + laquelle elle ne pouvait rien. Je connais peu M. Cambier, mais je le + regarde comme un homme estimable et bon à employer.</p> + +<p>«M. Hugenpoth, ministre de la police, est un jeune homme qui était + petit avocat à Arnheim, sortant de finir de bonnes études. Il n'est + donc rien en politique et étonné d'occuper un poste auquel il aurait + pu peut-être convenir plus tard, mais qui dans ce moment-ci est + au-dessus de ses moyens. Le ministre de l'intérieur, Van Capellen, + était préfet de l'Ost-Frize, et, en cette qualité, a protégé + ouvertement la fraude, la contrebande. Les plaintes devinrent si + fortes qu'il fut rappelé et nommé successivement aux places de + conseiller d'État et de ministre. Il est allié à de bonnes familles. + Il a des opinions peu prononcées, mais mauvaises. C'est au reste un + jeune homme qui est conduit et qui suit l'impulsion du reste du + gouvernement. M. le général Krayenkoff est un topographe instruit et + voilà tout. Il paraît certain qu'il a été choisi par le roi, faute + d'autres personnes qui professent la même opinion et qui fussent + propres à être ministre de la guerre. Enfin M. Appelius, qui était + secrétaire du cabinet, est bon financier sans avoir peut-être les + qualités nécessaires pour être ministre; c'est un homme à employer; + il avait une opinion très prononcée contre la France; mais je dois + dire que dans plusieurs circonstances il s'est bien conduit et + notamment dans l'affaire de l'emprunt de Prusse.</p> + +<p>«Par les détails que je viens d'avoir l'honneur de donner à Votre + Excellence, elle voit que le ministère est faible, et que deux ou + trois hommes mènent le gouvernement. Quant au conseil d'État, il est + composé de gens instruits et propres à remplir les places qu'ils + occupent. Ils sont décidés presque généralement à suivre une bonne + ligne, et, à quelques individus près, on peut y compter. Le Corps + législatif, composé de propriétaires et de nobles, est absolument de + l'opinion du gouvernement et du roi dont il attend honneur et + faveur. Ainsi, il sera ce que Sa Majesté voudra. Quant à la cour, + qui contribue beaucoup à établir l'opinion des sociétés, elle est + généralement dans le plus mauvais esprit. C'est des antichambres du + roi que partaient les propos les plus ridicules contre la famille de + leur souverain. C'était la mode de critiquer l'empereur et son + gouvernement, de répandre les plus mauvaises nouvelles et de s'en + réjouir, de tourmenter tous les Français sans exception: et encore + depuis le départ du roi, le même esprit a régné et il perce dans + toutes les occasions, mais cette classe de la société a + <span class="pagenum"><a id="pagelxxxviii" name="pagelxxxviii"></a>(p. lxxxviii)</span> cru plaire. Elle a tenu cette conduite par ton et + d'un seul mot, elle changera si elle est sûre de flatter en prenant + un autre système.</p> + +<p>«Votre Excellence voit donc que l'on peut réparer facilement tout le + mal, que l'on peut faire marcher le gouvernement et rétablir les + finances, parce que le Hollandais viendra volontairement au secours + de son gouvernement quand il reprendra confiance. Elle voit que + l'opposition tient à l'ancienne marche, qu'il n'existe pas de + résistance, que l'éloignement que l'on manifeste contre la France + tient au malaise où l'on se trouve, enfin que la Hollande est dans + la main de l'empereur et que Sa Majesté Impériale et Royale peut en + faire ce qu'elle voudra et même s'attirer l'affection d'un peuple + qui attend tout de sa justice et de sa bonté.</p> + +<p>«Avant-hier, plusieurs courriers de Paris ont ranimé la confiance. + On a répandu que le roi s'était promené avec l'empereur, que tout + était arrangé, que la Hollande restait indépendante et que le roi + arriverait incessamment. Les fonds ont monté en deux heures de 20 à + 50 p. 100; hier ils sont retombés presque au point où ils étaient + avant cette hausse subite. On est cependant inquiet de ce qui se + passe dans le Brabant où l'on se plaint de nos troupes, surtout à + Dorp, où l'on accuse le général français d'une sévérité qui + indispose, et contre lequel on m'a porté des plaintes dont je n'ai + pas voulu me charger. Ce qui console un peu le commerce, c'est la + quantité d'argent qui arrive d'Angleterre. C'est, je crois, une des + guerres les plus avantageuses que nous puissions faire, et je serais + d'avis de fermer les yeux sur l'entrée des bâtiments qui ne + rapportent que des guinées de Londres.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 28 février 1810.</p> + +<p>«Lorsque j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, dans + mes derniers rapports, que l'on travaillait l'esprit public, que + l'on cherchait à gagner les troupes, que l'on discutait dans le + conseil des ministres les projets les plus absurdes; quand enfin je + me plaignais des membres du gouvernement et surtout du ministre de + la guerre, j'avais déjà de forts indices du projet insensé qui avait + été arrêté de défendre Amsterdam contre les troupes de l'empereur. + Je ne pouvais cependant avancer un fait aussi extravagant avant + d'avoir acquis la certitude que ce n'était ni la peur ni l'esprit de + parti qui faisaient circuler ces bruits, mais qu'ils étaient + réellement fondés. Je cherchai donc à acquérir des preuves, et, + occupé depuis trois semaines de cet objet, ce n'est qu'hier que j'ai + obtenu le dernier renseignement qui m'était nécessaire. Tous les + ministres sont liés par serment de ne rien dire de ce qui se passe + <span class="pagenum"><a id="pagelxxxix" name="pagelxxxix"></a>(p. lxxxix)</span> dans les conférences. Les ministères sont composés de + gens discrets et qui craignent de perdre leur emploi; enfin, je n'ai + aucun des moyens d'argent qui m'eussent été si utiles pour lutter + contre des gens si mal intentionnés, et je ne pouvais me fier aux + propos d'un public qui adopte sans discernement tout ce qui flatte + ou tout ce qui est opposé à son désir ou à son intérêt. Je me + contentais donc de garder le plus grand secret sur mes premiers + renseignements, de rire d'une pareille folie sans avoir l'air de là + croire possible, de voir peu les ministres, de ne pas leur parler + d'affaires, mais de faire suivre leurs moindres démarches et d'avoir + un compte exact des propos qu'ils tenaient. J'appris successivement + les discussions qui eurent lieu, les marchés faits par les + ministères de la guerre et de la marine, la raison qui avait + déterminé l'arrivée des troupes dans la capitale; enfin, je + m'assurai que l'on travaillait la nuit aux fortifications des lignes + et ouvrages avancés, qu'avant-hier on avait encore fait venir de + l'artillerie et des munitions et qu'une grande quantité d'ouvriers + avaient été enrôlés. Alors, sûr de mon fait, je fis demander une + conférence à M. Mollerus, et, après lui avoir énuméré tous les + ordres qui avaient été donnés et lui avoir montré que j'étais au + fait de tout, je lui remis la lettre dont j'ai l'honneur d'envoyer + copie à Votre Excellence.</p> + +<p>«Le ministre fut visiblement déconcerté. Je lui parlai avec force, + je lui reprochai une conduite aussi monstrueuse, tant par son + inconséquence que par ses résultats; enfin je lui signifiai la + responsabilité du conseil des ministres et de tous ses membres, si + tous les préparatifs n'étaient pas sur le champ détruits et annulés. + Je finis par obliger M. Mollerus à me dire la vérité, et il m'avoua + tout ce que j'avançais en me disant qu'il ne pouvait pas me répondre + sans avoir assemblé ses collègues et pris leur avis. Son embarras et + son inquiétude prouvaient assez combien la position où il se + trouvait lui paraissait pénible. Il ne me cacha donc rien; mais, + dans ses réponses, il chercha à me faire entendre que le conseil + n'agissait que par des <i>ordres supérieurs</i>. Je repoussai une + pareille idée et je lui dis même que quand il me montrerait l'ordre + du roi, je croirais encore que l'on a surpris et imité la signature + de Sa Majesté; que la chose n'était pas possible et que je ne + regardais cette défense de leur conduite que comme un moyen de + sortir d'embarras. Alors le ministre, voyant que je le prenais sur + ce ton, m'assura que ce n'était pas cela qu'il voulait dire et se + tira de cette conférence en m'assurant qu'il allait assembler ses + collègues et qu'il me donnerait ce matin la réponse à la lettre que + je venais de lui remettre. J'aurai donc l'honneur de la joindre à + cette dépêche.</p> + +<p>«Je viens d'envoyer M. de Caraman porter la lettre ci-jointe à M. le + duc de Reggio, et j'expédie à Paris M. Hamelin qui aura l'honneur de + vous remettre ce paquet. Je le recommande ainsi que M. de Caraman + <span class="pagenum"><a id="pagexc" name="pagexc"></a>(p. xc)</span> aux bontés de l'empereur pour les places d'auditeurs que + j'ai sollicitées pour eux et auxquelles ils ont quelques droits pour + les services qu'ils ont déjà rendus.</p> + +<p>«Au reste, la plus grande tranquillité règne ici. On ne se doute pas + du projet de défense. Quand j'aurai la réponse des ministres, je + ferai circuler adroitement quelques bruits qui paralyseront les + projets du ministère. Mais il serait intéressant qu'au moins + provisoirement nous eussions un ou deux hommes sûrs qui pussent + combattre le mauvais esprit et qui me missent au courant de ce qui + se passe. Le Moniteur du 22 a été donné dans toutes les mains. Il a + jeté l'alarme, et le premier jour les fonds publics ont baissé, mais + 24 heures après on s'est rassuré, et les papiers de l'État que je + regarde comme le thermomètre de l'opinion publique sont maintenant + plus hauts qu'ils n'étaient avant cette crise.</p> + +<p>«Depuis que j'ai commencé cette dépêche, j'ai reçu encore une foule + de renseignements. On parle déjà du projet extravagant du ministre + de la guerre. J'attends la réponse du Conseil pour arrêter la + conduite que j'aurai à tenir. Peut-être si les choses vont trop loin + et si les préparatifs ne cessent pas malgré la promesse que l'on + doit m'en donner, peut-être, dis-je, sera-t-on obligé d'ôter au + général Krayenkoff tout moyen d'exécuter son indigne projet. Il + n'est pas douteux que l'on fabrique des cartouches de calibres, que + toute la nuit des caissons ont passé dans la ville. Mais les + honnêtes gens commencent à prendre une couleur et j'espère arrêter + le mal. Votre Excellence peut être bien sûre que je ne me laisserai + pas intimider. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de bien + remplir le poste qui m'est confié par l'empereur.</p> + +<p>«J'attends le bourgmestre et le commandant supérieur de la garde + nationale. Je vais les engager à s'assurer de l'esprit public et à + maintenir les mauvais sujets. Je voudrais qu'une députation partît + pour Paris, chargée de prévenir le roi de l'abus qu'on fait de sa + confiance et du crime que l'on commet en se servant de son nom pour + agir d'une manière aussi coupable.</p> + +<p>«Je viens de voir le bourgmestre d'Amsterdam. Il m'a dit ne rien + savoir officiellement du projet de défense; mais il m'a assuré avoir + fait de nombreuses réclamations contre la quantité de poudre qui + entre dans la ville et contre le nombre de troupes que l'on y + réunissait. Il porte la garnison à 3,200 hommes, dont une partie + logée chez les bourgeois. Le commandant supérieur de la garde + nationale ainsi que le bourgmestre m'ont assuré de leur dévouement à + leur pays et se sont engagés à calmer les esprits et à prévenir le + mal.</p> + +<p>«Voici la réponse du ministère hollandais dont vous trouverez, + Monsieur le duc, une copie cotée n<sup>o</sup> 3. Ils déclarent leur projet de + <span class="pagenum"><a id="pagexci" name="pagexci"></a>(p. xci)</span> défense, mais s'engagent à suspendre tous les travaux. Je + surveillerai avec soin la conduite des ministres et j'aurai + l'honneur de vous faire connaître la suite de cette affaire. Je vais + redoubler d'activité et crois pouvoir vous répondre de rendre + inutiles les projets de ces malveillants.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">De la Rochefoucauld au duc de Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 1<sup>er</sup> mars 1810.</p> + +<p>«Les travaux paraissent suspendus et les ordres ont été donnés + d'arrêter ceux qui allaient commencer; on avait fait abattre la nuit + des arbres qui gênaient la défense; les cartouches se fabriquaient + dans l'intérieur du palais, et il était temps d'arrêter les excès où + l'on paraissait vouloir se porter. Le principal instrument que l'on + a employé est le ministre de la guerre qui prétendait se faire un + nom en défendant la ville et en prenant l'Angleterre pour retraite. + Ses deux collègues les ministres des finances et de la police + appuyaient ses opinions exagérées. Il y eut dans le Conseil + plusieurs scènes scandaleuses où le général Krayenkoff déclara avoir + des ordres supérieurs et ne vouloir rien discuter avec les autres + ministres. Il s'absenta même pendant plusieurs jours du Conseil. M. + Tovent (dont j'ai oublié de parler à Votre Excellence dans mon + numéro 120) soutint fortement son opinion contre celle du ministre + de la guerre; il fut appuyé par M. Mollerus. Quant au ministre de la + marine, il déclara ne vouloir rien faire sans un ordre écrit de ses + collègues. Le ministre de la police proposa de m'inviter à sortir + d'Amsterdam, mais cette sotte motion fut étouffée. Enfin, on me fit + parvenir des avis qui devaient, d'après ces Messieurs, m'effrayer et + me faire partir. On parla dans le public de venir casser mes vitres + et mille sottises de ce genre. Je n'y ai pas pris garde; je ne + changeai pas de marche ni de conduite, et maintenant ces bruits sont + presque apaisés. Je dois dire à Votre Excellence que j'ai été fort + content de toutes les personnes que j'ai avec moi. J'ai trouvé du + zèle, du dévouement pour le service de l'empereur et de + l'attachement pour moi. Je désirerais que Votre Excellence voulût + bien saisir une occasion favorable de parler à l'empereur de M. + Serrurier qu'une place de maître des requêtes rendrait heureux, si + un avancement dans la carrière diplomatique n'était pas possible. Le + consul général a mis une activité au-dessus de son âge; enfin tous + les Français qui sont ici se sont bien conduits. J'ai trouvé aussi + dans les négociants et les capitalistes une masse de bonne volonté à + laquelle je ne m'attendais pas. Des personnes du gouvernement que je + ne puis nommer en ce moment se sont bien montrées. Enfin j'ai été + content de l'ensemble d'Amsterdam et de la <span class="pagenum"><a id="pagexcii" name="pagexcii"></a>(p. xcii)</span> Hollande, et + j'ai acquis la certitude que le mal ne tient qu'à quelques individus + et qu'en établissant ici un gouvernement sage et ferme, l'empereur + sera promptement convaincu des ressources que Sa Majesté Impériale + et Royale peut tirer de ce pays.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke au Roi de Hollande.</p> +<p class="date">Paris, 28 avril.</p> + +<p>«Sire, S. M. Impériale m'a renvoyé la lettre que Votre Majesté lui a + adressée relativement à l'exécution du traité, et m'a chargé d'avoir + l'honneur de répondre aux différentes observations qu'elle contient.</p> + +<p>«L'empereur m'a fait connaître ses intentions d'une manière qui ne + peut laisser aucune incertitude. L'intention de Sa Majesté est que + toutes les conditions du traité soient ponctuellement exécutées, et + d'après cela, Votre Majesté jugera elle-même que plusieurs de ses + demandes ne pourront être admises.—Les embouchures des rivières + devant être occupées par les troupes, il en résulte nécessairement + qu'elles peuvent être cantonnées dans les villes de l'intérieur, à + portée des ports, puisque ceux-ci seraient insuffisants pour loger + le nombre de troupes mentionnées et qu'elles deviendraient beaucoup + plus à charge au pays et à ces ports même s'il fallait les réunir + dans un petit nombre d'endroits. Cette mesure tend donc au + soulagement des habitants comme à celui des troupes. Elle ne paraît + ne devoir contrarier en rien les vues de Votre Majesté. Quant au + nombre de troupes hollandaises à employer à la garde des ports de la + Hollande, il est hors de doute que celles qui sont en Espagne ne + sauraient y être comprises sans changer tout à fait l'une des + stipulations du traité; mais ces troupes n'en serviront pas moins à + assurer l'exécution des lois et la police intérieure, but pour + lequel elles ont été principalement créées. Les fonctions dont elles + sont chargées, en exécution du traité, ne peuvent préjudicier à leur + utilité pour l'intérieur du pays.</p> + +<p>«Quant à ce qui est relatif au quartier général du corps + d'observation de la Hollande, l'empereur permet que la désignation + en soit faite d'accord avec Votre Majesté, et, pourvu qu'il soit + placé dans un point central, c'est tout ce que le bien du service + exige. Ainsi l'on n'insistera nullement pour qu'il soit établi dans + l'un des deux lieux de la résidence de Votre Majesté, et le duc de + Reggio a reçu à cet égard les instructions nécessaires. Il + s'entendra facilement pour cela avec le ministre de la guerre de + Votre Majesté.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à La Rochefoucauld.</p> +<p class="date">Paris, 7 mai 1810.</p> + +<p>«Monsieur l'ambassadeur, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la + <span class="pagenum"><a id="pagexciii" name="pagexciii"></a>(p. xciii)</span> dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 + avril et dont M. de Caraman était porteur. Sa Majesté, d'autant plus + sensible aux désagréments de votre position qu'ils paraissent être + une suite de votre zèle même pour son service, a voulu les faire + cesser en vous accordant le congé que vous avez vous-même désiré. + Vous pouvez donc profiter de ce congé aussitôt que vous aurez fait + les arrangements que vos intérêts particuliers peuvent nécessiter; + car je dois vous prévenir que l'intention de S. M. est de ne point + vous faire retourner en Hollande et de ne point vous y donner de + successeur. Mais cela ne doit y être connu qu'après votre retour à + Paris. M. Serrurier restera comme chargé d'affaires, et vous voudrez + bien le présenter en cette qualité.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 16 avril 1810.</p> + +<p>«Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire + le 6 de ce mois, elle m'invite à lui rendre compte de l'effet que le + traité du 16 du mois dernier a produit ici. Tout le monde, M. le + duc, en a été attéré. Chacun reconnaît l'impossibilité de son + exécution et l'on regarde que l'on a voulu terminer la crise pénible + où l'on se trouvait sans calculer la suite des événements; enfin, + les bons Hollandais sont découragés, les faibles se taisent et les + intrigants se soutiennent. On avait répandu très imprudemment que le + traité était effectivement fort désavantageux à la Hollande, mais + qu'il existait des articles secrets qui atténuaient en grande partie + ceux rendus publics et que le roi apportait ces heureux changements + ainsi que l'indemnité accordée par l'empereur. Cette espérance + trompeuse a contribué puissamment à empêcher tout l'effet que l'on + pouvait espérer du retour du roi. Sa Majesté a été reçue sans aucune + preuve de satisfaction de la part d'aucune classe des habitants de + sa résidence, et le même souverain que l'on aurait regardé, il y a + deux mois, comme le sauveur de la patrie, a maintenant perdu cette + popularité qui lui serait si nécessaire. La confiance, au lieu de + renaître, s'éloigne du gouvernement. Les fonds publics ont baissé de + 15 p. 100, et le change sur l'Angleterre a éprouvé une hausse qui + effraie les gens sensés. On croit généralement que l'État présent + est un provisoire, et, comme j'ai eu souvent l'honneur de l'observer + à Votre Excellence, dès que l'on ne voit pas de salut, le + découragement augmente le mal et le gouvernement se trouve paralysé. + Je crois juger avec la plus grande impartialité; je fais tous mes + efforts pour oublier deux ans de désagréments et de dégoûts, mais je + ne vois rien de changé. Je n'aperçois point la moindre petite chose + qui dénote un retour sincère à une autre marche. Les mêmes hommes + entourent le <span class="pagenum"><a id="pagexciv" name="pagexciv"></a>(p. xciv)</span> roi, et c'est avec eux et par eux que Sa + Majesté emploie tous ses moments et tous ses moyens à chercher le + bien de son peuple. Je ne doute pas que l'envie de plaire à + l'empereur ne soit sincère; je veux même bien croire que la + nécessité est sentie; mais ce n'est pas assez, il faut réorganiser + pour rendre cette Hollande utile à la France ou, sans cela, elle est + nuisible. Un traité n'est rien s'il n'est pas exécuté, et, pour se + mettre dans le cas de remplir ses engagements, il faut que le + gouvernement puisse marcher. Peut-être mes moyens sont-ils mauvais; + mais je les abandonnerais sans regret si je voyais qu'ils fussent + remplacés par d'autres plus efficaces; mais si l'ancienne routine + recommence, tout est fini, et ce pays malheureux ne peut plus + supporter une nouvelle crise. Je connais trop la Hollande pour + n'être pas sûr que les agents qui ont négocié ou signé le traité + savaient très bien que leur patrie ne pouvait pas remplir les + engagements qu'ils contractaient.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 21 avril 1810.</p> + +<p>«Votre Excellence aurait de la peine à se faire une idée de la + manière dont les opinions changent en Hollande, depuis que l'on voit + ce qui se passe; chacun est intimidé du présent et effrayé de + l'avenir; et les mêmes hommes qui ne voulaient pas entendre parler + de réunion en parlent aujourd'hui comme d'une chose désirable. Je + suis étonné moi-même de tout ce que l'on vient de me dire, et, + lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence que le dégoût + et le découragement s'empareraient promptement des Hollandais si + dans les premiers moments ils n'entrevoyaient pas un but + tranquillisant, je n'ai fait que lui prédire une vérité qui se + vérifie tous les jours. Les honnêtes gens sans fortune se taisent, + font leur devoir sans âme et sans zèle; ceux qui ont une existence + indépendante du gouvernement se retirent ou cherchent à obtenir leur + démission, et l'on se dit tout bas que cette réunion, si effrayante + il y a quatre mois, peut seule sauver les débris de ce pays. J'ai eu + l'honneur de vous prévenir, Monsieur le duc, qu'un associé de la + maison Hope était parti pour l'Angleterre avec toute sa famille. + Hier j'ai signé les passeports de la famille Hope, dont le père est + déjà à Londres, et qui, sous prétexte d'aller en Suisse, est assurée + vouloir le rejoindre. Enfin, M. Labouchère, troisième associé de + cette maison, dont la femme et les enfants sont chez nos ennemis, + s'y rendra sûrement incessamment. Beaucoup d'argent passe en + Angleterre, l'on cache le reste.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagexcv" name="pagexcv"></a>(p. xcv)</span> <p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 27 avril 1810.</p> + +<p>«J'envoie M. de Caraman à Paris. Je le charge de remettre cette + dépêche à Votre Excellence et de rester à sa disposition aussi + longtemps, Monsieur le duc, que vous le jugerez convenable. J'ai + donc l'honneur de prier Votre Excellence de lui donner ses ordres.</p> + +<p>«M. de Caraman est chargé de prévenir sa famille que le roi vient de + refuser à son frère, capitaine d'artillerie au service de la + Hollande (qui se trouve à Paris par congé uniquement pour épouser sa + cousine), la permission de conclure ce mariage. Sa Majesté avait + cependant eu à Paris la bonté de le permettre, et ce n'était que + d'après cette assurance verbale que les choses avaient été aussi + loin. Maintenant ce jeune homme se trouve obligé, ou de perdre son + emploi, ou de renoncer à une alliance aussi convenable + qu'avantageuse. Je ne cacherai pas à Votre Excellence que la peine + que j'en éprouve se trouve doublée par la persuasion où je suis que + les soins que j'ai toujours pris de M. de Caraman contribuent à lui + procurer ce désagrément.</p> + +<p>«Ma position empire puisqu'elle se prolonge. Je n'ai pas encore vu + le roi ni la reine à qui cependant j'ai eu l'honneur d'écrire et qui + sûrement n'a pu me recevoir. Tout le corps diplomatique dit + hautement qu'il n'est pas admis chez le roi à cause de moi. Depuis + le retour du roi, aucun ministre, sans en excepter M. Roëll, n'est + venu chez moi et aucune personne attachée à la cour n'a osé s'y + présenter. Chacun assure qu'il serait disgracié s'il me voyait et + l'on me fuit pour ne pas en courir le risque. On répand à plaisir + que tout le mal de la Hollande vient de moi et l'on cherche à + rejeter sur mes rapports la position de ce pays, mais l'on commence + à voir trop clair pour que je craigne cette accusation. Je puis même + dire que je suis estimé ici et que l'on rend justice à ma + modération. Enfin, Monsieur le duc, tout le monde sait que je n'ai + pas été reçu chez LL. MM. Je suis l'objet de toutes les + conversations et l'on en tire la triste conséquence que l'empereur + est mal avec le roi. Je puis cependant affirmer que je n'ai pas eu + un tort, que j'ai une patience qui ne tient qu'à mon profond respect + pour l'empereur et au sentiment de mon devoir; enfin je n'ai rien + fait pour mériter cet étrange traitement; mais que Votre Excellence + ne pense pas que je ne puisse supporter ces dégoûts; j'ai un + caractère trop prononcé pour rien craindre tant que j'ai les bontés + de l'empereur; je suis donc prêt à tout et j'exécuterai dans tous + les temps et dans toutes les positions ce que Sa Majesté l'empereur + et roi m'ordonnera.</p> + +<p>«J'ai reçu ce matin la dépêche chiffrée de Votre Excellence + relativement <span class="pagenum"><a id="pagexcvi" name="pagexcvi"></a>(p. xcvi)</span> à l'emprunt de Prusse; j'entends + parfaitement le point que je ne dois point dépasser, mais je + voudrais que Votre Excellence voulût bien me mander si je puis + écrire soit au ministre de Prusse, soit à la maison de commerce, que + je suis autorisé à déclarer que l'empereur approuvera l'emprunt, + etc., etc., et aller jusqu'à dire que Sa Majesté l'empereur et roi, + dans aucun cas, ne priverait les bailleurs de fonds de leurs + hypothèques. On a ici la plus grande confiance dans l'empereur, et, + pour verser des fonds, on n'attend qu'une déclaration de ce genre + que je pourrais, je crois, tourner de manière à rassurer sans + engager ma cour. Si Votre Excellence veut m'honorer d'une prompte + réponse, je terminerai cet objet, car le temps presse et je + craindrais que cette affaire ne réussît pas si elle traîne encore + quinze jours. La reine a reçu le 24 les différents corps de l'État. + Depuis ce temps, Sa Majesté a de la fièvre et n'avait vu presque + personne. Au reste, tout se passe au palais de la manière la plus + convenable. Ce matin, M. le chevalier de Téran, ministre d'Espagne, + a remis au roi ses lettres de créance.</p> + +<p>«Le général Desaix est arrivé à la Haye avec une partie de sa + division.</p> + +<p>«On m'assure que l'amiral de Winter, un des hommes les mieux + pensants et que l'on aurait pu employer avec le plus de succès pour + l'armement de la marine, va partir pour l'Espagne.</p> + +<p>«Le général Vichery, le seul Français qui soit encore à la cour, + vient de perdre le gouvernement de la cour.</p> + +<p>«Les fonds baissent et sont à 23 ½.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 7 mai 1810.</p> + +<p>«Votre Excellence sait à combien de plaintes amères la conduite que + tiennent les corsaires français dans les ports de la Hollande a + donné lieu depuis quelque temps.</p> + +<p>«Le roi, mon maître, ne pouvait certainement fournir une preuve plus + convaincante de son intérêt qu'en donnant à ces corsaires asile et + protection, et en déférant, comme il l'a fait, à la seule décision + de son très illustre frère le jugement de toutes les difficultés + qui, en cas de doute, naîtraient au sujet de la validité des prises + faites par ces corsaires sur les côtes de la Hollande.</p> + +<p>«Mais si le roi a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de + sa déférence pour son très illustre frère, il se tient aussi + persuadé que Sa Majesté Impériale et Royale ne permettra pas que ces + corsaires outrepassent les bornes du respect qu'ils doivent au + souverain chez lequel ils reçoivent asile et protection, en + commettant des faits <span class="pagenum"><a id="pagexcvii" name="pagexcvii"></a>(p. xcvii)</span> aussi révoltants que ceux que je + suis chargé de dénoncer à Votre Excellence.</p> + +<p>«J'ai déjà eu l'honneur de vous observer dans une note antérieure + que ce n'est point en haute mer que ces corsaires s'emparent des + bâtiments qu'ils conduisent dans les ports de la Hollande, mais que + c'est à l'entrée des mêmes ports, dans les passes de nos rivières, + et quand, pour la plupart du temps, ils ont déjà les pilotes à leur + bord. Ils ont aujourd'hui inventé un nouveau moyen de prendre ces + navires sans aucun risque; ils établissent les canots de leurs + bâtiments le long des côtes pour mettre en mer quand un navire + marchand approche de nos ports, dont alors ils s'emparent et le font + échouer. Cette manœuvre ne peut manquer d'attirer une plus grande + attention de l'ennemi sur nos côtes, et, si cela continue, nos + pauvres pêcheurs et les villages qui avoisinent la mer en + éprouveront les suites les plus fâcheuses.</p> + +<p>«D'autres se placent à l'embouchure de nos rivières comme vaisseaux + de garde et se permettent de visiter tous les navires qui entrent. + Ce ne sont donc plus des gens qui remplissent le but de la course, + mais qui exercent pour ainsi dire une police des côtes et des + postes, fonctions qui ne sont dans aucun cas de leur compétence et + ne peuvent certainement l'être aujourd'hui où les employés de Sa + Majesté Impériale et Royale concourent avec ceux du roi mon maître à + surveiller les mesures de blocus et l'exécution des lois + prohibitives. Ce qui ajoute à l'inconvenance de la conduite de ces + corsaires, ce sont les violences répréhensibles qui, très souvent, + accompagnent la visite des bâtiments. C'est ainsi que tout récemment + deux de ces corsaires qui s'étaient mis en station tout près de la + Brielle, ayant visité un navire qui entrait et n'ayant rien trouvé à + son bord qui pût donner lieu à la confiscation, ont extorqué au + capitaine tout son numéraire, au point qu'étant venu au bureau de la + douane, il ne put acquitter les droits ordinaires d'entrée, quoique + très modiques.</p> + +<p>«Le roi mon maître croirait faire tort aux principes justes, + généreux et bienveillants de son très illustre frère s'il admettait + les moindres doutes sur l'attente que S. M. Impériale mettra à + réprimer des excès qui ne peuvent jamais avoir son approbation. Je + prie Votre Excellence de mettre cet exposé sous les yeux de Sa + Majesté et de contribuer par ses bons offices à obtenir qu'il soit + prescrit à ces corsaires une manière de se conduire plus analogue à + leur mission et plus compatible avec ce qu'ils doivent à un + souverain qui leur accorde asile et protection.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le Major général au Ministre de la guerre.</p> +<p class="date">Middelburg, 12 mai 1810.</p> + +<p>«L'empereur, Monsieur le duc, expédiant un officier en Hollande, + <span class="pagenum"><a id="pagexcviii" name="pagexcviii"></a>(p. xcviii)</span> m'a ordonné d'adresser moi-même, directement pour plus + de célérité, des instructions à M. le maréchal duc de Reggio. Je + prie Votre Excellence de prendre connaissance de ces instructions + dont je joins ici copie.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Instructions données à Monsieur le Maréchal duc de Reggio.</p> +<p class="date">Middelburg, 12 mai 1810.</p> + +<p>«L'empereur m'ordonne, Monsieur le duc, de vous faire connaître que + vous ne devez rendre aucun compte de ses troupes à S. M. le roi de + Hollande ni au ministère hollandais; que les corsaires doivent vous + faire des rapports de tout ce qui vient à leur connaissance; que les + marchandises anglaises doivent être poursuivies et saisies partout, + même <i>dans les rades</i>; enfin, que Sa Majesté ne veut souffrir aucun + commerce de la Hollande avec l'Angleterre. L'intention de Sa Majesté + est que, dans toutes les occasions, vous vous en expliquiez dans ce + sens et que vous répétiez dans la conversation que, si la Hollande + n'arme pas au plus tôt les neuf vaisseaux qu'elle doit fournir + d'après le traité, elle rendra le traité nul.</p> + +<p>«L'empereur vous recommande, Monsieur le duc, d'écrire au ministre + de la guerre tous les jours sur tout ce qui parviendra à votre + connaissance.</p> + +<p>«Toute prise qui serait faite par les corsaires ou les douanes de + l'empereur ne doit être relâchée que par son ordre et la décision + doit en être soumise au jugement de Sa Majesté; l'expérience donne + lieu de penser à l'empereur que les bons procédés sont insuffisants + envers le gouvernement hollandais et qu'il est indispensable d'avoir + recours aux menaces pour le faire marcher.</p> + +<p>«Telles sont, Monsieur le maréchal, les instructions que Sa Majesté + m'a ordonné de vous adresser directement. J'en donne connaissance à + Son Excellence le ministre de la guerre.»</p> +</div> + +<p>M. de La Rochefoucauld s'était rendu à Anvers lors du passage de +l'empereur dans cette ville. Le 12 mai, une dépêche du duc de +Bassano lui enjoignit de partir pour Amsterdam et de laisser au +gouvernement hollandais une note pour demander: 1<sup>o</sup> La remise des +vingt-un bâtiments américains avec leurs cargaisons, qui en +exécution du traité appartenaient à la France; 2<sup>o</sup> L'armement +immédiat des vaisseaux que la Hollande s'était engagée à fournir; +3<sup>o</sup> La cessation de son commerce avec l'Angleterre; 4<sup>o</sup> Le paiement +capital et intérêts de la dette de la Zélande comme dette +hollandaise.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagexcix" name="pagexcix"></a>(p. xcix)</span> L'ambassadeur français avait ordre en outre de déclarer +son départ (en vertu d'un congé) huit jours après son retour, de +présenter M. Serrurier comme chargé d'affaires, et de prévenir les +consuls que toutes les prises, même celles faites dans les rades, +devaient être jugées à Paris.</p> + +<p>La tendance du gouvernement de l'empereur ressort assez clairement +des dépêches qui précèdent. Il est impossible de ne pas voir que +Napoléon est prêt à saisir le premier prétexte, ou même à en faire +naître un, pour briser le royaume de Hollande et réunir ce pays à la +France.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Roëll.</p> +<p class="date">Amsterdam, 13 mai 1810.</p> + +<p>«Une nouvelle insulte plus grave que toutes les précédentes vient + d'être faite à la livrée de l'ambassadeur de l'empereur.</p> + +<p>«Aujourd'hui, vers deux heures, le cocher de l'ambassadeur, en + livrée, revenant d'entendre la messe, traversait la place du Palais; + à l'endroit où cette place se resserre entre le palais et l'église, + il fut assailli par une foule de gens du peuple qui insultèrent avec + de fortes injures sa livrée, qu'ils déclarèrent reconnaître pour + celle de l'ambassadeur de France, et voulurent l'en dépouiller avec + force. Cette insulte n'avait été provoquée par aucune querelle, et + le cocher ne connaissait aucun des assaillants. Au moment où il se + défendait de l'attaque de l'un d'eux, il reçut d'un autre un violent + coup à la tête, et comme leur nombre grossissait à chaque instant, + dans l'impossibilité de se défendre contre tant d'assassins, cet + homme courut vers la sentinelle du palais, et lui demanda + protection; mais celle-ci, fidèle à sa consigne qui ne lui + permettait pas de se mêler de choses étrangères à la garde du + château, lui tourna le dos et refusa de l'entendre. Il s'adressa + alors au sergent de garde qui, sur le récit qu'il lui fit, se prêta + à l'accompagner jusqu'à ce que sa présence eut dissipé + l'attroupement.</p> + +<p>«Voilà, monsieur, le fait tel qu'il s'est passé, en plein jour, + devant le palais, et à la vue de deux cents témoins et de la garde. + Je m'abstiens de réflexions; elles sont assurément bien inutiles. + Sur un pareil événement, je ne doute pas que Votre Excellence ne + partage l'indignation qu'il excitera dans tous les esprits honnêtes. + Le droit des gens et les usages reçus dans toutes les cours vous + dicteront ce que vous avez à proposer à votre gouvernement dans + cette circonstance. Pour moi, je me borne à informer Votre + Excellence et à lui demander une satisfaction éclatante et telle + qu'elle mette fin pour jamais à de pareilles indignités.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagec" name="pagec"></a>(p. c)</span> «Je ne ferai partir qu'après-demain la dépêche par laquelle + je dois instruire ma cour de ce fait; et j'attacherai, Monsieur, + j'aime à vous le déclarer, une satisfaction toute particulière à + pouvoir lui dire que la punition n'a été ni moins prompte ni moins + éclatante que l'insulte, et que cette affaire est terminée comme il + convient à nos deux gouvernements.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 15 mai 1810.</p> + +<p>«J'ai eu l'honneur d'écrire d'Anvers à Votre Excellence, et de la + prévenir que Sa Majesté impériale et royale, après m'avoir permis + d'aller lui faire ma cour, m'avait donné ordre de la suivre à + Berg-op-Zoom. L'empereur n'ayant pas eu le temps de me parler + m'emmena dans la Zélande, d'où je suis revenu avant-hier soir. J'ai + rendu compte à Sa Majesté de tout ce qui se passe en Hollande, et je + n'ai rien caché à l'empereur sur la position où se trouve ce + royaume. J'ai eu la satisfaction de voir Sa Majesté impériale et + royale approuver ma conduite, et elle m'a donné les ordres qui ont + été communiqués à Votre Excellence par M. le duc de Bassano. J'ai + rempli dès hier les intentions de l'empereur, en demandant que la + totalité des cargaisons des vingt-un américains fût remise à M. le + directeur des douanes impériales nommé pour les recevoir.</p> + +<p>«J'ai porté plainte de la lenteur des armements.</p> + +<p>«Hier, j'ai reçu une lettre de M. Roëll qui, en m'assurant de + l'indignation que le roi a éprouvée en apprenant l'insulte faite à + ma livrée, me prévient des ordres sévères donnés par Sa Majesté pour + punir les coupables. Je ne donnerai plus de suite à cette affaire + qui, bien certainement, en restera là.</p> + +<p>«J'ai eu l'honneur de remettre hier au roi la lettre de l'empereur + que Votre Excellence m'avait envoyée. Mon audience a été très + courte. De là je passai dans les appartements de la reine que je + trouvai bien souffrante. Sa Majesté a une fièvre continue qui + l'affaiblit de jour en jour. Je l'ai trouvée extrêmement changée, + quoiqu'il n'y eût qu'un an que j'ai eu l'honneur de la voir. La + reine ne m'a rien dit de particulier, mais il circule dans les + entours de la cour des bruits qui feraient croire que Sa Majesté est + loin d'être heureuse.</p> + +<p>«Malgré les immenses ressources qui existent dans ce pays-ci, + l'embarras du gouvernement ne diminue pas. La commission chargée + depuis six semaines d'un rapport général sur la position de la + Hollande et sur les moyens d'y remédier n'a pas encore terminé ce + pénible travail. On s'attend à une réduction de moitié sur la rente. + Ce sera, à mon <span class="pagenum"><a id="pageci" name="pageci"></a>(p. ci)</span> opinion, une mesure indispensable; mais dans + l'état de choses, elle n'atteindra pas le grand but que l'on s'en + propose. Je persiste à croire que si cette réduction est suffisante + sur le papier, elle ne peut sauver la Hollande qu'autant qu'elle + serait jointe à un système opposé à celui que l'on suit ici. Au + reste le malheur agit en raison inverse du gouvernement, et chacun + commence à se convaincre qu'il n'y a de salut que dans l'empereur, + et que d'être gouverné par Sa Majesté serait le plus grand bonheur.»</p> +</div> + +<p>Il est permis de supposer que l'ambassadeur avait deviné l'intention +de l'empereur, de réunir la Hollande à la France.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Louis à Napoléon.</p> +<p class="date">Amsterdam, 16 mai.</p> +<p class="adresse">Sire,</p> + +<p>La situation de ce pays s'aggrave de jour en jour; le traité n'est + plus suivi. Dans cette position malheureuse, je viens demander à + Votre Majesté impériale sa dernière volonté. Ma soumission lors du + traité du 16 mars lui a prouvé combien je m'en rapportais + entièrement à elle. Actuellement, je la supplie de croire que si je + ne demande qu'à voir ce pays hors des tourments et des souffrances + de sa position actuelle, c'est par la fin de la défaveur de Votre + Majesté impériale, et en connaissant précisément la volonté de Votre + Majesté, que j'ai dû et voulu seulement atteindre ce but. Je supplie + donc instamment Votre Majesté de me faire savoir ses intentions. Si, + au contraire, je le croyais hors d'état de pouvoir supporter les + conditions nouvelles qu'on exige de lui, je le dirai franchement à + Votre Majesté et me soumettrai sans hésitation à tout ce qu'il + plaira à Votre Majesté d'ordonner.</p> + +<p>«Je supplie Votre Majesté impériale de recevoir cette lettre; et, + puisqu'un accident malheureux est cause du malheur dont je suis + menacé de ne plus recevoir de lettres de Votre Majesté, de ne pas + m'ôter à moi tout moyen de faire parvenir mes plaintes à Votre + Majesté, et à elle-même le seul moyen d'écouter ma justification.»</p> +</div> + +<p>L'empereur répondit le 20 mai; sa lettre, omise dans la +correspondance publiée sous le second empire, est au texte de ce +livre.</p> + +<p>Le lendemain du jour où l'ambassadeur de France en Hollande écrivait +sa lettre du 18 mai à Cadore, ce dernier lui mandait: que l'empereur +ayant appris l'insulte faite à sa livrée lui ordonnait de partir +immédiatement sans même présenter le chargé d'affaires, lui +annonçant que Werhuell recevait l'ordre de quitter Paris, regrettant +<span class="pagenum"><a id="pagecii" name="pagecii"></a>(p. cii)</span> que ce renvoi tombât sur l'amiral dont l'empereur +appréciait les bons services.</p> + +<p>Ainsi, il devint de la dernière évidence que l'empereur saisit le +premier prétexte pour arriver à ses fins; que ni la soumission de +son frère, ni les concessions du gouvernement hollandais n'ont pu +détourner, lui faire abandonner ses projets de réunion du pays à la +France. Depuis longtemps, Napoléon cherche à son frère Louis une +querelle d'Allemand, et il est permis de se demander si Lucien n'a +pas été le mieux inspiré des frères Bonaparte, en se faisant une +existence en dehors de celle imposée par l'empereur aux membres de +sa famille. Il nous paraît très positif que l'insulte faite à la +livrée de l'ambassadeur de France par un homme du peuple ne saurait +entrer en ligne de compte pour la retraite d'un ambassadeur, surtout +lorsque toute satisfaction est offerte.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Berthier à Oudinot.</p> +<p class="date">Lille, 23 mai 1810.</p> + +<p>«L'empereur m'ordonne de vous faire connaître, Monsieur le maréchal, + qu'il est fort mécontent de la conduite des habitants d'Amsterdam et + qu'il se verra forcé, d'ici à fort peu de temps, de faire entrer de + nouvelles troupes en Hollande. Sa Majesté vous recommande d'avoir + les yeux sur tout ce qui se passe à Amsterdam et dans le pays; son + intention est que vous n'ayez aucune relation avec le peuple et que + vous ne souffriez pas qu'aucun officier de votre armée en ait.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 25 mai 1810.</p> + +<p>«Votre Excellence sera sûrement étonnée que ce soit encore moi qui + lui écrive, mais depuis quatre jours j'attends une réponse du + ministre pour savoir si le roi me recevra à Harlem, où Sa Majesté + est maintenant. J'ai cru que, dans les circonstances présentes, plus + peut-être que dans toute autre, je devais ne pas partir sans avoir + pris les ordres du roi, qu'une irrégularité de formes aurait un air + de légèreté qui ne conviendrait pas; mais si la journée + d'aujourd'hui se passe dans le même silence, je préviendrai M. Roëll + que devant me trouver à Paris à l'époque où S. M. impériale et + royale y arrivera, je me vois forcé de quitter la Hollande sans + avoir eu l'honneur de faire ma cour au roi. Il est donc plus que + probable que je partirai après-demain. Je verrai en passant M. le + duc de Reggio qui est à Utrech.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageciii" name="pageciii"></a>(p. ciii)</span> «D'après un rapport que je reçois de M. Gohier, il paraît + qu'un de nos corsaires vient de faire une prise importante, par la + nature des papiers trouvés à bord, qui prouvent les intelligences + suivies qui existent entre les côtes et les Anglais. Je ne doute pas + que ce ne soit à l'insu de la police. Le seul reproche à lui faire + est de l'avoir ignoré depuis si longtemps qu'elle en est avertie. M. + Serrurier vous rendra compte de la suite de cette affaire.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i> J'apprends à l'instant qu'il y a eu du bruit à Rotterdam, + que nos troupes ont été insultées, mais qu'elles se sont conduites + avec la plus grande sagesse. J'envoie à Votre Excellence la + proclamation du bourgmestre. Ceci est, comme le reste, l'effet des + mauvais propos que l'on souffre, et même que l'on protège. Cet + esprit du gouvernement se cache sous des notes et des paroles, mais + agit en dessous, car je réponds que le pays n'est pas mauvais, et + que, bien dirigé, l'empereur en serait parfaitement content.</p> + +<p>«Je suis aussi informé par M. le consul général que cette prise, si + intéressante par les renseignements qu'elle donnera, est retenue au + Texel, malgré les demandes formelles qui ont été faites. Je vais + écrire à M. Roëll pour l'engager à prier le roi d'ordonner que sous + aucun prétexte l'on arrête les prises faites par les corsaires + français.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p> +<p class="date">Utrecht, 26 mai 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, j'ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence de tout + ce qui s'est passé en Hollande depuis que j'y suis; mais ma position + devient tous les jours plus délicate, tant vis-à-vis du roi que + vis-à-vis du pays, si Votre Excellence ne me donne pas très + promptement une règle de conduite fixe pour ce qui concerne les + marchandises anglaises ou denrées coloniales existant chez le + particulier.</p> + +<p>«Je ne suis point embarrassé pour celles qui seront arrêtées + cherchant à s'introduire dans le pays.</p> + +<p>«Plusieurs bâtiments hollandais, chargés de marchandises anglaises + ou denrées coloniales, ont été arrêtés par les douaniers français à + Harting, en Frise; mais les douanes hollandaises ont de suite + réclamé ces marchandises comme ayant été saisies, il y a plusieurs + mois, par les douaniers hollandais et qu'on dit appartenir au roi.</p> + +<p>«Des négociants d'Amsterdam se présentent journellement à ces + magasins pour y acheter ces marchandises, d'après les règlements du + royaume.</p> + +<p>«Enfin, les marchandises anglaises ou denrées coloniales, vendues + précédemment et légalement, circulent dans l'intérieur de la + Hollande, <span class="pagenum"><a id="pageciv" name="pageciv"></a>(p. civ)</span> et comme rien ne les signale des marchandises + achetées par contrebande, il doit en résulter beaucoup d'abus qu'il + n'est pas facile de distinguer.</p> + +<p>«Les rapports que je reçois journellement me font connaître que la + contrebande se faisait dans ce pays avec la plus grande facilité, et + je suis même porté à croire (sans cependant l'assurer) que les + douaniers hollandais ne sont point étrangers à ce brigandage; aussi + j'exerce une grande surveillance sur leur conduite.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p> +<p class="date">Paris, 27 mai 1810.</p> + +<p>«J'ai été profondément affligé de la communication que Votre + Excellence a bien voulu me faire par son office du 26 de ce mois. Je + ne tâcherai pas d'excuser un fait qui, s'il a eu lieu, mérite la + plus sévère punition, et j'ose d'avance assurer Votre Excellence que + le roi, mon maître, ne reposera pas jusqu'à ce qu'on ait trouvé les + moteurs de cette fâcheuse affaire, pour leur faire éprouver tout ce + que la sévérité des lois inflige en pareil cas, afin de montrer à + tout l'univers combien Sa Majesté est éloignée de souffrir qu'on + fasse les moindres insultes, dans ses États, aux sujets de son + auguste frère et surtout aux personnes attachées à son ambassadeur.</p> + +<p>«Il me paraît cependant que le récit que l'on a fait à Sa Majesté + impériale est considérablement exagéré. Je prie Votre Excellence de + permettre que je lui communique les renseignements qui me sont venus + de la Hollande, par voie directe, relativement à cette affaire.</p> + +<p>«Un des domestiques de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France se + trouvait devant l'église catholique. Sa grande livrée attira + l'attention de quelques jeunes gens de la plus basse classe du + peuple qui, peu habitués à une pareille magnificence, en + témoignèrent leur étonnement et ajoutèrent peut-être quelques + observations de leur genre. Le domestique se crut offensé, leur + imposa silence et les menaça même de les frapper; ces menaces furent + bientôt suivies de voies de fait auxquelles les autres ripostèrent. + La foule s'étant insensiblement augmentée, le domestique crut + prudent de se retirer; il s'adressa alors à un factionnaire pour + qu'il le conduisît chez lui; mais celui-ci, ne pouvant s'éloigner de + son poste, lui indiqua la garde qui était tout près, où il s'est + rendu et a trouvé tout le secours qu'il demandait, l'officier + commandant lui ayant donné un sous-officier pour l'accompagner à + l'hôtel.</p> + +<p>«Ces détails présentent l'affaire sous un tout autre jour; j'ai cru + devoir le faire connaître à Votre Excellence, et j'espère qu'elle + aura <span class="pagenum"><a id="pagecv" name="pagecv"></a>(p. cv)</span> bientôt elle-même la conviction que ce fait ne mérite + pas l'importance que l'on semble vouloir y attacher.</p> + +<p>«Je supplie, en attendant, Votre Excellence d'employer ses bons + offices auprès de Sa Majesté impériale pour que cette affaire n'ait + pas de suites fâcheuses, et pour que Sa Majesté suspende toute + mesure précipitée de vengeance qui ne pourra que jeter les plus + vives alarmes en Hollande, et aggraver infiniment la fâcheuse + position où se trouve déjà le roi, de voir attirer de nouveau, sur + son pays, le mécontentement de son auguste frère pour une affaire + qui est si loin d'être approuvée par aucune classe de la nation + hollandaise.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 28 mai 1810.</p> + +<p>«Le courrier que Votre Excellence a dépêché à M. le comte de La + Rochefoucauld, le 25 de ce mois, est arrivé ce matin au moment où + l'ambassadeur venait de monter en voiture. Après avoir pris lecture + de ses dépêches et m'avoir donné ses dernières instructions sur leur + contenu, l'ambassadeur, n'y voyant qu'un motif de plus pour + accélérer son départ, s'est aussitôt mis en route. Il doit être en + ce moment à Utrecht, chez le maréchal duc de Reggio, avec qui il + avait à s'aboucher; et, si ses calculs ne sont pas dérangés par des + accidents, il se flatte d'avoir l'honneur de saluer Votre Excellence + dans la journée du 2 juin.</p> + +<p>«En conséquence de vos ordres, Monseigneur, également en date du 25 + de ce mois, je me suis rendu chez le ministre des affaires + étrangères et lui ai remis la lettre de Votre Excellence, qui + m'accrédite auprès du gouvernement hollandais comme chargé + d'affaires de S. M. impériale et royale. J'ai dit à M. Roëll que, + sur le compte que j'avais eu l'honneur de rendre à Votre Excellence, + de l'outrage fait à l'ambassadeur de l'empereur dans la personne + d'un de ses gens, et, d'après le retard apporté à la satisfaction + demandée par l'ambassade, satisfaction qui n'a été accordée dans + aucune circonstance analogue de cet hiver, Sa Majesté, justement + irritée, avait ordonné à M. le comte de La Rochefoucauld de quitter + sur le champ Amsterdam; que, de plus, elle avait décidé de + n'entretenir désormais qu'un chargé d'affaires de France en + Hollande, comme de n'admettre qu'un chargé d'affaires d'Hollande en + France. Je lui ai également fait connaître que Sa Majesté avait + résolu de prendre des mesures pour que les malveillants d'Amsterdam + ne pussent pas se flatter de l'offenser impunément; enfin, j'ai + demandé que l'ancien bourgmestre fût rétabli dans sa place, et que + tous ceux qui ont fait partie du rassemblement qui a insulté les + gens de l'ambassadeur fussent remis au pouvoir de Sa Majesté.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagecvi" name="pagecvi"></a>(p. cvi)</span> «À cet énoncé des instructions de l'empereur, M. Roëll a + paru attéré. Il a cherché à disculper son gouvernement, en me + rappelant la note qu'il m'avait adressée le 14 à l'ambassade, en + réponse à mon office du 13 à ce sujet, note, m'a-t-il dit, où il + n'avait pu retracer que bien faiblement la vive indignation que le + roi avait ressentie, et où il annonçait que la police allait faire + les enquêtes nécessaires. Je répondis au ministre qu'il ne + m'appartenait pas d'élever des doutes sur les sentiments du roi dans + cette circonstance; que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait, + mais du fait en lui-même, et que l'expression stérile de + l'indignation était insuffisante après tout ce que l'ambassadeur + avait éprouvé, dans ce genre, depuis plusieurs mois; que dans les + usages de toutes les cours, une injure publique, à laquelle la + considération du gouvernement était attachée; que l'honneur français + avait toujours été, sur ce point, d'une sensibilité extrême, et que + l'on ne pouvait pas se croire autorisé, sans doute, à redouter moins + à cet égard du souverain actuel de la France que de ses + prédécesseurs; que si la bonne volonté eût été ce qu'il annonçait, + le gouvernement aurait autorisé le ministre des affaires étrangères + à se rendre chez l'ambassadeur et à lui déclarer qu'il avait ordre + de s'entendre avec lui sur le genre de satisfaction qu'il pourrait + désirer. Je lui fis observer que, cependant, rien de semblable + n'avait été fait, que pas un individu n'était arrêté, pas une + enquête ordonnée, et que le gouvernement, qui se plaint toujours + d'avoir des ennemis, lui avait donné cette occasion de plus de + l'accuser de n'avoir de complaisance que pour les ennemis de + l'empereur.</p> + +<p>«M. Roëll m'ayant demandé mon sentiment sur ce qu'il y avait à faire + dans cette occasion pour apaiser l'empereur, je lui dis qu'il ne me + convenait pas de donner des conseils, que ce n'était point là ma + mission, que cette affaire avait été trop négligée pour pouvoir être + arrangée par la voie des négociations, et qu'il me paraissait + qu'elle devait désormais être traitée directement entre le roi et + l'empereur; que pour moi, je me bornais à lui transmettre mes + ordres. Toute cette discussion fut très vive; contre son ordinaire, + M. Roëll était extrêmement ému; je vis même un moment des larmes + dans ses yeux. Il me recommanda les intérêts de sa malheureuse + patrie, me dit que son système personnel avait toujours été de + s'attacher à l'empereur, et de tout placer en lui comme de tout + attendre de lui; mais il avoua que cette manière de voir n'était pas + générale dans tous les ministères, et en défendant son département, + il laissa fort à découvert celui de la police dont la conduite lui + parut à lui-même si mauvaise qu'il n'essaya pas même de la défendre.</p> + +<p>«M. Roëll me demanda de lui remettre mes demandes par écrit afin + qu'il pût les soumettre au roi. Je le fis; je le prévins que je + faisais repartir demain, dans la matinée, le courrier de Votre + Excellence, et je <span class="pagenum"><a id="pagecvii" name="pagecvii"></a>(p. cvii)</span> le priai de me mettre à même de lui + transmettre les déterminations où le gouvernement hollandais + s'arrêterait dans cette circonstance.</p> + +<p>«Je dois à la nation hollandaise de dire que, dans cette occasion, + elle a manifesté un sentiment général de révolte contre une pareille + infamie et que tous les honnêtes gens d'Amsterdam ont vu cet + événement comme on l'a pu voir à Paris. M. Roëll est revenu + plusieurs fois sur ce que son caractère personnel et l'esprit de son + département ne permettaient pas de douter sur la manière dont il + voyait cette affaire; et il me semblait attacher un fort grand prix + à ce que Votre Excellence en prit cette opinion.</p> + +<p>«Je crois assurément ce ministre incapable d'avoir aucune part à + tout ceci; le grand tort de M. Roëll, et peut-être le seul, est + d'être faible et de ne savoir pas s'exposer à déplaire et à perdre + même sa place pour servir son souverain.</p> + +<p>«Il est certain, Monseigneur, que M. de La Rochefoucauld ne vous a + rien dit de trop à cet égard, que depuis trois mois plus + particulièrement, l'erreur et l'inexactitude semblent présider à + toutes les délibérations du gouvernement hollandais; qu'il est sans + armée, sans marine, sans argent et sans crédit; qu'aucune + stipulation importante du traité ne s'exécute; que la confiance et + le respect des peuples s'aliènent tous les jours, et que tous les + espoirs se tournent vers l'heureuse France et vers son monarque; que + ces provinces si prospères autrefois, et maintenant si déchues, + n'attendent désormais que de lui seul leur salut; que le parti + français s'accroît de tous les hommes éclairés qui ne voient pas + suivant leurs passions, mais suivant leurs intérêts, et que les plus + opposés à la France d'inclination y sont revenus par conviction et + par système.</p> + +<p>«M. Roëll m'écrit à l'instant pour me demander de venir le voir + demain, à 11 heures, et pour me prier de ne point faire partir mon + courrier avant cette entrevue. Je ne fermerai donc ma dépêche qu'en + sortant de chez M. Roëll.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">Ce 29 mai, à midi.</p> + +<p>«Je quitte M. Roëll. Ce ministre m'a dit qu'il avait fait part au + roi de la lettre que Votre Excellence lui avait fait l'honneur de + lui adresser, des communications que je lui avais faites et de mes + demandes. M. Roëll m'a annoncé que le roi avait appris avec une + extrême douleur la manière dont Sa Majesté l'empereur, son auguste + frère, avait ressenti l'insulte faite à son ambassadeur; que son + intention avait toujours été de faire punir les coupables que toutes + les recherches n'avaient pu faire découvrir. L'intention du roi, m'a + dit le ministre, est que cette affaire soit entamée dès ce moment + devant le tribunal des échevins de cette ville, et poursuivie par le + grand bailli comme accusateur public. Demain ou après, le + gouvernement publiera une déclaration solennelle de son désir de + donner une satisfaction éclatante à l'empereur et de <span class="pagenum"><a id="pagecviii" name="pagecviii"></a>(p. cviii)</span> + punir exemplairement les coupables. Sa Majesté, a ajouté M. Roëll, + ne serait pas même éloignée d'accorder une récompense à celui qui + découvrirait les coupables.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Roëll à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 mai 1810.</p> + +<p>«Ce n'est qu'avec un sentiment de profonde douleur que le roi, mon + maître, a appris les motifs qui ont déterminé Sa Majesté impériale + et royale à rappeler auprès d'elle son ambassadeur en Hollande et à + déclarer qu'il n'y aurait plus d'ambassadeur de Hollande à Paris, + mais que les affaires seraient désormais traitées réciproquement par + des chargés d'affaires dans les deux pays.</p> + +<p>«Le roi était si éloigné de pouvoir s'imaginer que l'insulte qu'on + se plaint avoir été faite à un des domestiques de M. le comte de La + Rochefoucauld aurait pu provoquer une pareille mesure, que Sa + Majesté s'était au contraire flattée que le gouvernement français + aurait vu dans la conduite de celui de Hollande une preuve non + équivoque de son désir de donner toute la satisfaction que l'insulte + exigeait. Si l'on eût fait envisager ce qui a eu lieu sous son + véritable point de vue, je me tiens persuadé que Sa Majesté + impériale et royale, tout en insistant sur la recherche et la + punition des coupables, n'aurait vu dans le retard qui a eu lieu à + cet égard qu'une suite naturelle des circonstances et nullement un + manque de zèle à donner la satisfaction demandée, à laquelle au + contraire le gouvernement hollandais devait être porté aussi bien + par intérêt que par conviction.</p> + +<p>«Voici le cas, et que maintenant Votre Excellence juge. Dimanche 13 + de ce mois, un des gens de l'ambassadeur passe, ce qui est dit, dans + le voisinage du palais. On lui demande s'il appartient à l'ambassade + de France, et, sur sa réponse affirmative, on lui applique des + coups. Un attroupement se forme aussitôt; la personne en question + s'adresse à la sentinelle voisine: celle-ci ne se croyant pas + autorisée à se mêler de l'affaire, il rentre dans le corps de garde, + demande du secours et l'obtient, de manière que l'attroupement se + disperse aussitôt.</p> + +<p>«Tel est, Monsieur le Duc, en peu de mots, le récit du fait tel + qu'il se trouve dans l'office, qui m'a été adressé le même soir par + M. le secrétaire de l'ambassade, en l'absence de l'ambassadeur. + Votre Excellence sentira que je n'ai rien de plus empressé que de + demander aussitôt des renseignements au ministre de la police qui, + n'ayant reçu aucune information sur ce qui venait de se passer, + selon l'office de M. Serrurier, prit sans délai toutes les mesures + pour avoir des renseignements nécessaires <span class="pagenum"><a id="pagecix" name="pagecix"></a>(p. cix)</span> et pour + atteindre, d'après cela, ceux qui se seraient trouvés suspects de + l'attentat.</p> + +<p>«Je fis part de tout ceci à M. Serrurier, le lendemain matin, + lorsqu'il me fit l'honneur de passer chez moi, en lui faisant sentir + en même temps la difficulté qu'il y aurait à trouver aussitôt qu'il + serait à désirer les coupables que la personne insultée elle-même + disait ne point connaître. Je lui observai cependant que, par le + concours de la légation avec le ministère de la police, je me + flattais qu'on finirait par en venir à bout.</p> + +<p>«Le même jour, j'adressai à l'ambassadeur l'office suivant que sans + doute il aura eu soin de porter à la connaissance de Votre + Excellence, et dont le contenu lui aura pu faire voir l'indignation + qu'éprouva le roi à la nouvelle de ce qui venait d'arriver et le + désir de Sa Majesté de donner aussi promptement que possible la + satisfaction demandée, qui était la punition des coupables. Mais + pour parvenir à cette punition, il fallait d'abord les atteindre; + pour les atteindre, il fallait les connaître, et pour les connaître, + il fallait l'assistance de celui qui se disait la personne lésée. À + cet effet, le grand bailli de la capitale, dans les attributions de + qui seul, et non dans celles du bourgmestre (dont les fonctions sont + simplement et purement administratives), est compris tout ce qui + regarde le maintien du bon ordre, a fait demander dès les premiers + jours, chez lui, la personne en question, afin d'avoir d'elle-même + quelques notions précises sur l'endroit et l'heure où le fait devait + avoir eu lieu, ainsi que sur les circonstances qui devaient l'avoir + accompagné. Ses instances, à cet effet, ayant été vaines, j'ai été + prié d'en entretenir l'ambassadeur et de demander à Son Excellence + s'il y avait des difficultés, de sa part, à ce que cet homme se + rendît chez le grand bailli à l'effet indiqué. Son Excellence + m'ayant assuré qu'elle ne s'y opposerait en aucune manière, et + connaissance de ceci ayant été donnée de ma part au grand baillif, + celui-ci a fait demander depuis, à différentes reprises, que la + personne indiquée voulût se rendre auprès de lui, mais jusqu'ici, + sans le moindre succès, ayant été répondu de sa part, encore hier + matin, qu'il se trouvait trop occupé ce jour-là pour venir, ainsi + qu'il constate par le procès-verbal de la personne chargée de lui + parler.</p> + +<p>«Voilà donc plus de quinze jours d'écoulés que l'ambassadeur de + France se plaint d'un attentat commis envers un de ses gens et dont + elle demande avec raison une satisfaction éclatante, sans qu'on ait + pu parvenir encore à obtenir que cette personne veuille fournir à + l'autorité compétente les notions si nécessaires pour réussir dans + les perquisitions.</p> + +<p>«Que faut-il penser, Monsieur le duc, d'une pareille conduite? Elle + a causé au roi un sentiment d'autant plus pénible que le retard de + la <span class="pagenum"><a id="pagecx" name="pagecx"></a>(p. cx)</span> satisfaction demandée devait naturellement donner lieu à + l'opinion qu'on n'attachait point de prix à la découverte du + coupable, dont cependant le contraire est prouvé par tout ce qui a + déjà été mis en œuvre pour y parvenir.</p> + +<p>«Je n'occuperai pas davantage pour le moment l'attention de Votre + Excellence sur cette malheureuse affaire. Je me bornerai à l'inviter + de mettre ce que j'ai eu l'honneur de lui communiquer sous les yeux + de S. M. impériale et royale, dont le roi se flatte que la religion, + éclairée par le vrai exposé de ce qui a eu lieu, ne voudra pas faire + exécuter une détermination qui ne saurait être attribuée qu'à des + informations moins exactes sur l'affaire dont il s'agit et à l'égard + de laquelle le roi se flatte que son auguste frère finira par lui + rendre la justice que les expressions contenues dans mon office, du + 15 de ce mois, à l'ambassadeur de France ne sont point de vaines + paroles, mais extrêmement conformes à ses sentiments.</p> + +<p>«En conséquence, je prie Votre Excellence de vouloir engager + l'empereur et roi à consentir que non seulement la légation + française en Hollande soit remplie de nouveau par un ministre de + premier rang, mais aussi que l'ambassadeur de Hollande à Paris + puisse continuer à y exercer provisoirement ses fonctions actuelles, + dans lesquelles il a eu le bonheur de se rendre, en même temps, + utile à son souverain et agréable à celui auprès duquel il est + accrédité.</p> + +<p>«En attendant, je me fais un plaisir d'assurer Votre Excellence que + la personne à laquelle Sa Majesté daignera confier les fonctions de + chargé d'affaires en Hollande sera toujours agréable au gouvernement + hollandais qui ne manquera pas d'ajouter foi et créance entière à + tout ce qu'elle sera dans le cas de lui dire de la part de son + souverain. Quant à moi, en particulier, Votre Excellence peut se + tenir persuadée que M. Serrurier rencontrera dans la question des + affaires qui lui seront demandées toutes les prévenances auxquelles + a droit de s'attendre l'agent d'une puissance aux intérêts de + laquelle ceux de ma patrie sont si intimement liés, et dont la + bienveillance est sans doute le plus ferme fondement de notre + prospérité.</p> + +<p>«Avant de finir cette lettre, je suis chargé de relever un passage + qui se trouve dans la note par laquelle Votre Excellence a fait + connaître à l'ambassadeur Werhuell les intentions de Sa Majesté + impériale, savoir, celui où il est dit que si l'on n'eût pas renvoyé + l'ancien bourgmestre, qui était un homme sage, l'affaire en question + n'aurait pas eu lieu. Sans doute, Monsieur le duc, le bourgmestre + Van-de-Poll est un homme éclairé et sage, dont le roi a toujours su + apprécier les mérites, mais ses fonctions, comme je l'ai déjà + observé plus haut, n'étant que purement administratives et n'ayant + rien de commun avec la police, il est difficile de se persuader que, + s'il fût resté en place, il aurait été en état de prévenir <span class="pagenum"><a id="pagecxi" name="pagecxi"></a>(p. cxi)</span> + des injures quelconques que des malintentionnés se seraient avisés + de faire. Et quant à la démission de ce magistrat, qui paraît avoir + été représentée à Votre Excellence comme un renvoi, il suffira + d'entendre le bourgmestre même pour être convaincu que, bien loin de + pouvoir être considérée comme telle, cette démission n'a été que la + suite d'instances réitérées de sa part, faites déjà avant le départ + du roi pour Paris, mais auxquelles le bourgmestre a renoncé alors + sous la condition expresse que Sa Majesté ne se refuserait pas à lui + accorder sa démission et son repos aussitôt qu'elle pourrait + entrevoir le terme de son absence, de sorte que le roi, en la lui + accordant à cette époque, n'a fait que remplir les engagements + contractés avant son départ, et je doute si aucun moyen pour engager + M. Van-de-Poll à reprendre ses fonctions de bourgmestre serait + capable de l'y déterminer.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le roi Louis à l'empereur.</p> +<p class="date">Amsterdam, 31 mai 1810.</p> +<p class="adresse">Sire,</p> + +<p>Je supplie Votre Majesté de vouloir ordonner qu'on s'en tienne au + traité. Ce pays, exaspéré de toutes les manières, est poussé au + désespoir chaque jour davantage. On veut aujourd'hui que je reçoive + des douaniers à Diemer, à Ruysdaal et à Menden, au centre du pays, + et j'invoque l'assurance, que Votre Majesté m'a réitérée plusieurs + fois, qu'elle ne voulait pas dépasser le traité ni entraver le + commerce intérieur à ce point. Sous le prétexte d'ordres supérieurs, + enfreindre un traité si nouvellement conclu, ce n'est point servir + Votre Majesté impériale, quels que soient ses projets; c'est perdre + gratuitement un peuple au désespoir. J'ai reçu et ordonné que l'on + facilitât toutes les mesures de surveillance des douaniers, au + Helder, au Texel, sur toute la côte de Frise, comme à Katuyk, à + Schevelingen, l'île de Voorne, la Brille, Helvact, en un mot, toute + la côte sans exception; mais les villes intérieures et les canaux ne + peuvent y être sujets en aucune manière. Je prie instamment Votre + Majesté de contremander des mesures qui sont trop contraires au + traité qu'elle a prescrit elle-même, comme à tout motif raisonnable + pour pouvoir être exécuté sans les plus fâcheuses conséquences pour + ce pays. Votre Majesté n'a pas l'intention que ses agents soient + cause des plus grands malheurs, elle ne veut pas qu'un pays qui lui + doit l'existence soit perdu à jamais pour s'être sacrifié aux + conditions prescrites par le traité. Je supplie donc Votre Majesté + impériale d'ordonner qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un + gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen + d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes + et qu'il supporte <span class="pagenum"><a id="pagecxii" name="pagecxii"></a>(p. cxii)</span> patiemment un état de guerre qui le + ruine; mais, au contraire, Sire, veuillez calmer des esprits + vivement agités et leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour + eux, en me confiant entièrement à la parole et à la volonté de Votre + Majesté impériale, ne pouvait tromper leur espoir et leur + résignation absolue. Quelle que soit l'indisposition de Votre + Majesté contre son frère, je la prie de répondre au roi de Hollande + et de considérer que c'est dans la plus grande anxiété que le pays + et moi attendons la réponse de Votre Majesté.</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 2 juin 1810.</p> + +<p>«Mes craintes se confirment: de funestes conseils prévalent dans + l'esprit du gouvernement et semblent prêts à l'égarer. On a déclaré + à gens sûrs, de qui je le tiens, qu'on se battrait si on voulait + mettre garnison à Amsterdam. Peut-être n'est-ce qu'un premier + mouvement. Les projets du général Krakuhoff sont remis sur le tapis; + on assure même qu'ils ont été proposés en conseil et que la majorité + des ministres a fait la plus forte opposition. Heureusement, ces + projets extravagants ne s'appuient que sur 3,000 hommes de garde mal + sûrs et dont les chefs y regarderont à deux fois avant de tirer + l'épée.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 3 juin 1810.</p> + +<p>«Le gouvernement hollandais paraît arrêté au projet de s'opposer à + l'occupation d'Amsterdam; en vain les ministres ont-ils supplié le + roi de ne pas livrer sa personne, sa ville et tout son peuple à une + perte certaine, pour satisfaire la passion de quelques furibonds, + ennemis de sa gloire, et qui seront les premiers à l'abandonner + quand ils l'auront compromis. Ces représentations sages n'ont pas + été écoutées, et les conseils violents ont prévalu. Heureusement, + cette lutte scandaleuse, s'il est impossible de l'éviter, ne peut + être longue, ni douteuse, ni sanglante. Le gouvernement hollandais + dispose au plus de 3,000 hommes de garde. Il a fait venir hier, de + La Haye, un bataillon du 5<sup>e</sup> régiment; voilà, avec deux escadrons de + cavalerie, toute son armée. Une partie couvre Harlem et l'autre + Naërdem et les points d'attaque du côté d'Utrecht. Il n'y a pas un + officier habile qui voudra prendre sur lui la responsabilité + horrible de couvrir sa patrie de sang et de la ruiner pour un but + aussi monstrueux et sans aucune espérance de succès. Le général + Travers commande la garde. C'est un homme plein d'honneur, + <span class="pagenum"><a id="pagecxiii" name="pagecxiii"></a>(p. cxiii)</span> attaché à son prince par reconnaissance, mais Français + avant tout. Il ne peut se prononcer qu'au moment; mais sa conduite + n'est pas douteuse, si on lui montre des Français au bout de ses + baïonnettes. Le général Brunot pense de même, et je crois pouvoir + répondre de ces deux officiers. Le maréchal duc de Reggio se croit + sûr du général Dumonceau. Ainsi, point de chef capable pour cette + petite troupe d'enfants perdus que l'on prétend opposer à l'armée + française.</p> + +<p>«La seule chose à craindre est qu'on ne cherche parmi ce désordre à + remuer l'horrible populace d'Amsterdam, et qu'on ne la porte à des + excès qu'il serait sans doute aisé de punir, mais qui pourraient + entraîner de fort grands inconvénients dans une aussi grande ville. + Le moyen le plus sûr de les éviter paraîtrait être que la marche des + corps destinés à occuper Amsterdam fût tellement rapide qu'on n'eût + ni le temps de délibérer ni celui de remuer le peuple. Cette manière + aurait encore l'avantage de fixer les irrésolutions et d'aider aux + gens de cour, retenus par les austérités de la discipline, + incertains encore de ce que l'on veut d'eux et qui se prononceraient + dans un mouvement rapide et décidé.</p> + +<p>«Mais, le premier avantage sans doute de cette rapidité serait + d'arracher l'auguste personne qui se trouve jetée si déplorablement + au milieu des rebelles, aux fureurs de ces conseils, à ses propres + emportements, et de diminuer pour elle les dangers auxquels, dans + son funeste égarement, elle croirait de sa gloire de s'exposer.</p> + +<p>«Ce n'est pas, Monseigneur, sans un profond sentiment de douleur que + je traite une pareille matière, si éloignée de tout ce dont se + devrait composer une correspondance de famille; mais mes premiers + devoirs sont envers l'empereur, et quelque pénibles qu'ils soient, + j'ai juré de les remplir.</p> + +<p>«Votre Excellence concevra que je ne lui écris, comme je le fais, + que sur les avis positifs qui me sont venus d'Utrecht.</p> + +<p>«Les renseignements que je reçois à l'instant par une voie secrète + et sûre, du ministère de la guerre, s'accordent sur les ordres + donnés de défendre les lignes.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 5 juin 1810.</p> + +<p>«Je me suis rendu hier soir chez le roi, d'après l'invitation que + j'en avais reçue. J'ai trouvé Sa Majesté seule. «Je vous ai fait + appeler, Monsieur, me dit le roi, pour m'entretenir sur l'état + général de nos affaires, sur ma position, sur celle du pays que je + gouverne, et sur les moyens d'y porter remède, s'il en est temps + encore. Votre mission sera belle, Monsieur, si vous voulez et si + vous pouvez concourir à ce but.» <span class="pagenum"><a id="pagecxiv" name="pagecxiv"></a>(p. cxiv)</span> J'ai répondu au roi que + j'étais sans instructions sur les objets de discussion que Sa + Majesté pouvait vouloir traiter avec moi; que cette audience, où + elle daignait m'appeler, n'ayant pas été prévue, Sa Majesté ne + devait pas être étonnée de me trouver entièrement au dépourvu sur + les ouvertures qu'elle aurait à me faire; que jusqu'ici je n'avais + été autorisé qu'à transmettre des demandes que Votre Excellence + m'avait chargé d'adresser au ministre des affaires étrangères, et + que j'étais sans pouvoirs et sans direction pour tout ce qui aurait + le caractère d'une négociation ou même d'une discussion; mais que + j'écouterais avec respect et que je transmettrais avec fidélité à + Votre Excellence tout ce que Sa Majesté me ferait l'honneur de me + dire. Ces bases posées, le roi entra en matière.</p> + +<p>«Sa Majesté me retraça d'abord l'état dans lequel elle avait trouvé + le royaume à son avènement à la couronne, les sacrifices immenses + que ce petit pays avait faits à la cause commune, la ruine de son + commerce, l'épuisement de ses finances, les malheurs successifs qui + l'avaient frappé dans ces trois dernières années plus + particulièrement, les efforts qu'il avait faits pour la guerre de + Prusse, le dévouement de ses troupes en Poméranie et en Espagne, les + cessions considérables du dernier traité, et enfin la remise de + toute l'étendue de ses côtes et de la meilleure partie de son + territoire au pouvoir et à la garde de l'armée française.</p> + +<p>«Voilà pour mon pays, me dit le roi, et quant à moi, que veut-on de + plus que de remplir avec fidélité tous mes engagements envers la + France? Sans doute, ils sont grands ces engagements: frère de + l'empereur et son ouvrage, comment a-t-on pu s'imaginer que je + pensasse à m'en séparer par un système d'isolement impossible à + réaliser? et qu'aurais-je donc à attendre des ennemis de mon frère + que mépris et abandon? Je dois tout à ce titre; je lui dois les + respects de mon peuple et la considération de l'Europe, et je sais + que je ne puis rien que par lui. Par quelle fatalité prétend-on donc + toujours me classer parmi les ennemis de sa puissance; puis, que me + veut-on? s'écria brusquement le roi. Je n'ai pas sans doute la + prétention d'avoir signé un traité avec l'empereur, mais, enfin, + j'ai ratifié une convention qui cède à mon frère une partie de mon + territoire déjà si borné et remet à ses troupes la meilleure partie + de l'autre. Est-ce la conduite d'un rebelle? J'ai rempli, de mon + côté, autant que j'ai pu, toutes les conditions du traité, mais + quelle extension la France ne donne-t-elle pas à cette convention? + Un article porte que les douanes seront placées à toutes les + embouchures des rivières. J'ai donné l'ordre de les y recevoir; mais + aujourd'hui on m'annonce des douaniers à Maarchen, Muyden et jusqu'à + Diemen, espèce de faubourg d'Amsterdam, et l'on veut en établir, + aussi bien que des troupes, dans ma capitale. J'ai répondu au + maréchal duc de Reggio qu'il était assurément bien le maître de + donner de pareils <span class="pagenum"><a id="pagecxv" name="pagecxv"></a>(p. cxv)</span> ordres et d'envoyer ses douaniers, mais + que je ne les recevrais pas, puisque cela était contraire aux + stipulations de mon dernier traité. Si l'on veut plus de moi, + pourquoi ne pas le faire connaître par la voie des ambassadeurs + respectifs? C'est pour cet objet plus particulièrement, continua le + roi, que j'ai désiré m'entretenir avec vous, Monsieur; si mes + sacrifices ne suffisent pas encore, qu'on me le dise: je suis prêt à + signer une nouvelle convention, et l'empereur pourra en dicter les + conditions. Je n'ai pas la chimère de traiter d'égal à égal avec mon + frère; il me permettra seulement que je plaide pour mon peuple. Je + souscrirai tout ce qu'il voudra, mais qu'il daigne faire connaître + ses intentions. Une occupation militaire n'est guère compatible avec + la marche d'une bonne administration; l'empereur en jugera. Veut-il + que je montre à l'Europe que je ne rougis pas d'attacher ma couronne + à la sienne par un lien vassalitique ou par un tribut? Je suis prêt + à y souscrire pourvu que l'on conserve à cette bonne nation, que je + chéris, non pas son indépendance, chimère depuis longtemps + abandonnée, mais son administration séparée. Je ferai tout, je + consentirai à tout pour remettre mon peuple et moi dans les bonnes + grâces de l'empereur.»</p> + +<p>«Telle a été, Monseigneur, la substance, et autant que ma mémoire + est fidèle, les expressions du discours du roi. Une extrême + agitation se lisait sur la figure de Sa Majesté, dans ses gestes et + sur toute sa personne. J'écoutai le roi dans le plus profond + silence, et quand Sa Majesté eut cessé de parler, je lui dis que + j'aurais l'honneur de transmettre à Votre Excellence, avec + exactitude et dès ce matin, tout ce que Sa Majesté m'avait fait + l'honneur de me dire, que je prierais Votre Excellence de prendre à + cet égard les ordres de l'empereur et de me les faire connaître, et + que j'aurais tout l'empressement possible à lui faire part de la + réponse que je recevrais.</p> + +<p>«Je croyais mon audience finie et pensais à me retirer; mais le roi + voulut avoir mon opinion et mes conseils. Je répondis qu'il n'était + pas dans ma position de pouvoir lui offrir rien de semblable et lui + répétai que j'étais sans instructions. «Eh bien, me dit le roi, je + ne parle plus au chargé d'affaires, et je cause avec M. Serrurier + confidentiellement. Que pensez-vous et que croyez-vous que je doive + faire?» Pressé dans mon dernier retranchement, il fallut bien + répondre. Je dis au roi que, puisqu'il lui fallait mon opinion + personnelle dégagée de tout caractère officiel, je ne me refusais + pas à la lui donner, puisque aussi bien ce que je lui dirais, + n'étant pas avoué de mon gouvernement ni inspiré par lui, n'avait + dès lors aucune importance politique.</p> + +<p>«Je rappelai donc au roi que j'étais déjà en Hollande à l'époque où + Sa Majesté fut appelée à y régner, et que j'avais été témoin des + fausses routes dans lesquelles Sa Majesté avait été jetée dès les + premiers jours de son règne; que, dans mon opinion, Sa Majesté + aurait dû asseoir son <span class="pagenum"><a id="pagecxvi" name="pagecxvi"></a>(p. cxvi)</span> trône sur le parti français et + ensuite admettre à résipiscence et à pardon tous les gens d'honneur + du parti opposé, mais avec un sage tempérament, de manière à fondre + tous les partis dans celui qui l'avait demandé à l'empereur et lui + était dévoué par système et par besoin; qu'au lieu de cela, Sa + Majesté avait accueilli, caressé le parti opposé aux sentiments + secrets de son cour, aux intérêts de la France et conséquemment aux + siens, puisque son premier besoin est d'être bien avec elle; que de + là était né un système d'opposition à l'empereur, que chaque jour + avait développé davantage, et qu'il avait fait perdre à la Hollande + toute la grâce et tout le prix de ses efforts que l'on n'avait plus, + dès lors, dû attribuer qu'à sa position obligée; que c'était à ce + malheureux système d'opposition, longtemps sourde et depuis à peu + près ouverte, qu'il fallait attribuer le mécontentement de + l'empereur, la perte de ses bonnes grâces et d'une protection sans + laquelle il n'existe pas de Hollande; que de là étaient sorties + toutes les mesures de défiance et de précaution que Sa Majesté avait + cru devoir à la sûreté de son empire, et peut-être cette aliénation + des sentiments de Sa Majesté impériale pour un frère que ce titre + avait élevé si haut et qu'une reconnaissance éternelle devait lui + attacher; que jamais dans son esprit (puisque S. M. exigeait que je + lui exprimasse franchement mes opinions) les titres de frère de + l'empereur et de connétable de France n'auraient dû être séparés de + celui de roi de Hollande, et que c'était dans leur accord qu'il + aurait dû chercher le bonheur de ses sujets. Je lui rappelai toutes + les fausses mesures sur lesquelles l'ambassade avait eu sans cesse à + réclamer, l'affaire des Américains, si dommageable à ceux-là mêmes + qui l'avaient inspirée, la mauvaise impulsion donnée à l'esprit + public, et tant d'autres fautes enfin accumulées sans mesure. Je dis + encore à Sa Majesté que ce dernier traité, sur lequel elle + prétendait s'appuyer, ne s'exécutait pas dans ses stipulations les + plus intéressantes pour la France, la remise des cargaisons + américaines et l'armement des forces maritimes du royaume. Puis, + venant à l'état présent des affaires, je dis au roi que mon opinion + personnelle était qu'il ne restait plus à Sa Majesté, dans la + position où elle s'était placée, que de s'adresser directement à + l'empereur et de se jeter dans ses bras, et de remettre à sa grande + âme ses destinées et celles de son peuple. Le roi m'interrompit ici + pour me protester que c'était son vœu le plus ardent, mais qu'il + n'avait plus la confiance d'écrire à Sa Majesté impériale, de qui + ses lettres n'étaient plus reçues, et qu'il me demandait de faire + parvenir à Votre Excellence, et par elle à l'empereur, cette + expression de ses sentiments et de ses vœux.</p> + +<p>«Le roi m'ayant parlé avec exaspération des douaniers qu'on lui + envoyait chaque jour, sans qu'il en fût prévenu, et de tous les + désordres qu'il prétendait être commis par eux, je demandai à Sa + Majesté si elle <span class="pagenum"><a id="pagecxvii" name="pagecxvii"></a>(p. cxvii)</span> faisait entrer en comparaison ces + dommages particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur que + jetait dans le public le bruit qui s'y répandait que des ordres de + s'opposer aux mouvements des troupes françaises fussent donnés sur + toute la ligne et avec les suites qu'ils pourraient entraîner. Le + roi nia qu'il eût donné l'ordre de tirer sur les Français dont il + n'oublierait jamais, me dit-il, qu'il était le connétable; mais il + insista cependant sur ce point qu'il ne pourrait permettre que des + troupes françaises entrassent dans sa capitale. Il ne pouvait pas + sans doute l'empêcher, mais il regarderait, par ce seul fait, le + gouvernement comme dissous. Sa Majesté demandait que l'empereur + daignât, du moins, comme déjà elle me l'avait demandé, lui faire + connaître ses intentions avant de les faire exécuter.</p> + +<p>«Enfin, le roi me dit qu'il sentait qu'il avait peu à vivre, mais + qu'il désirait assurer l'existence de ses enfants; que, déjà, ils + avaient perdu de bien beaux droits en France, et que, du moins, il + souhaitait leur laisser un héritage quelconque qui leur rappelât la + sollicitude de leur père pour eux.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 8 juin 1810.</p> + +<p>«Prévenu hier par le chambellan de service que le roi me recevrait + ce matin, à 9 heures, je me suis empressé de me rendre aux ordres de + Sa Majesté. Le roi m'a d'abord répété tout ce qu'il m'avait fait + l'honneur de me dire, quatre jours avant, sur la position de son + pays, sur ses sentiments personnels pour l'empereur, et sur le désir + qu'il avait de mettre sa personne, ses enfants et son pays entre les + mains de son auguste frère. Le fond des choses était à peu près le + même; mais la manière était beaucoup meilleure; toute trace de dépit + et de rigueur avait disparu; l'âme du roi, frappée des calamités + qu'entraînerait un système d'opposition ouverte, ébranlée par les + représentations que ses ministres et ses principaux sujets lui ont + faites, et revenue à ses sentiments naturels pour l'empereur et pour + la France, ne semblait occupée que du besoin de se livrer à ce + retour des premières affections des hommes si fortes sur les cours + bien nés. Le ton du roi, je le répète, disait plus encore que ses + paroles, et je dois déclarer avec la même franchise que j'ai mise + dans mes accusations, qu'il est impossible de montrer une résolution + plus absolue aux volontés de l'empereur que Sa Majesté n'en a fait + éclater devant moi dans cette circonstance.</p> + +<p>«Ma position était extrêmement difficile. Je savais bien ce dont il + était désirable, que le roi me chargeât pour Votre Excellence, pour + éviter des malheurs; mais je ne pouvais rien provoquer, n'ayant ni + <span class="pagenum"><a id="pagecxviii" name="pagecxviii"></a>(p. cxviii)</span> pouvoirs ni instructions de l'empereur. Heureusement, + le roi, me parlant des bruits que l'on avait répandus sur un + prétendu projet de défense, fut naturellement amené à se prononcer à + cet égard; quant à ses déterminations, Sa Majesté me dit donc: «Il + m'est à peu près évident que la réunion sera le résultat de tout + ceci. Il n'est ni dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma + position, assurément, de m'y prêter, et l'on ne peut me blâmer de + désirer tout autre arrangement; mais voici, Monsieur, ma résolution + que je vous communique officiellement pour le cas possible, et que + la correspondance du duc de Reggio me fait prévoir. Si des + patrouilles se présentent à mes lignes, on leur dira de s'éloigner, + puisque le traité ne porte pas qu'il n'y aura jamais de garnison + française dans ma capitale. Si un corps de troupes se présente + hostilement, et sans que j'aie rien reçu de l'empereur mon frère, on + fermera les portes et les barrières; mais on ne tirera pas et on se + laissera forcer. Je ne puis faire qu'une résistance passive et + protester contre ce qui aurait lieu en pareil cas sans un + arrangement convenu avec mon frère.» Je tenais beaucoup, + Monseigneur, à avoir cette déclaration du roi, que je ne pouvais + demander, mais que je désirais vivement avoir à transmettre à Votre + Excellence.</p> + +<p>«Le roi revint à me dire que l'empereur ne voulant plus recevoir ses + lettres, il n'osait plus s'adresser directement à Sa Majesté + impériale; mais que la connaissance qu'il avait du caractère de + Votre Excellence le portait à mettre toute sa confiance en elle; + qu'il me priait, en conséquence, de lui expédier un courrier porteur + de ses déterminations dans ces circonstances. «Je suis, m'a dit le + roi, attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille, et + plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à + elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'empereur. Je ne + déserterai point un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu + de ce peuple; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à + souscrire à toute espèce d'arrangement qui me rattacherait plus + fortement à l'empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de + l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me + paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me parût + préférable, mais parce que mon frère le veut ainsi. Je ne demande + qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce + qui lui reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage + qu'ils doivent aux bienfaits de l'empereur. On ne peut pas en + conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y + apporter qu'une résistance morale, et je le promets.»</p> + +<p>«J'ai encore, Monseigneur, une bien faible connaissance des hommes + et il ne m'appartient pas de prétendre lire dans le cœur des + rois; mais ce que je puis assurer, c'est que si jamais la vérité a + un caractère auquel il soit possible de la distinguer, j'ai cru la + reconnaître aux <span class="pagenum"><a id="pagecxix" name="pagecxix"></a>(p. cxix)</span> paroles, au ton et à toute l'expression + de la personne de Sa Majesté au moment où elle me parlait ainsi.</p> + +<p>«Le roi se mit ensuite à parcourir les différends, griefs ou + malentendus qui existaient entre nous. Il me dit, sur l'affaire des + gens de M. le comte de La Rochefoucauld, qu'il avait donné les + ordres les plus sévères, mais que le cocher avait toujours refusé de + comparaître et qu'enfin il était parti pour Paris avec les voitures + de son maître; que cependant il était impossible de commencer une + affaire de ce genre sans la présence de la partie principale et + lésée; qu'il désirait qu'on renvoyât cet homme et qu'aussitôt son + retour cette procédure serait entamée avec éclat et de façon à + satisfaire l'empereur.</p> + +<p>«On accusait, m'a-t-il dit encore, le contre-amiral Lemmers d'avoir + laissé prendre les quatre corsaires français; mais ils l'ont été en + rade ouverte et par négligence, et quand l'escadre s'est avancée au + secours il n'était plus temps. M. Gohier m'a confirmé le fait de la + négligence des corsaires.</p> + +<p>«Quant aux douanes, Sa Majesté désirait que leurs excès fussent + réprimés et qu'elles fussent placées dans les ports et embouchures + des rivières, mais non pas dans l'intérieur où, selon Sa Majesté, + elles ne causent du mal à personne du pays. Elle ne demandait pas + mieux que d'admettre à Amsterdam une espèce d'<i>inspecteur du blocus</i> + qui connaîtrait tout ce qui entre et sort des ports et à la + disposition de qui le roi remettrait ses propres douaniers.</p> + +<p>«Le roi me parlant de la patrouille française arrêtée à Harlem a + prétendu n'avoir fait que ce qu'un général d'une division militaire + fait à l'égard des troupes de sa nation qui, n'étant pas munies + d'ordres à sa connaissance, se présenteraient devant une de ses + places. Sa Majesté a saisi cette occasion pour me manifester toute + l'horreur que lui inspirait la pensée qu'on pût se croire autorisé + de ses ordres pour tirer sur un des Français. Sa Majesté s'exprima à + cet égard très convenablement et comme on pouvait s'attendre du + connétable de France.</p> + +<p>«Je me suis, Monseigneur, dans ce second entretien comme dans le + premier, borné à écouter ce que Sa Majesté m'a dit sans y prendre + une part que mon manque d'instructions m'interdisait. Je me permis + seulement d'engager le roi à envoyer lui-même un agent muni de ses + pleins pouvoirs à Paris; mais Sa Majesté prétendit préférer que je + me chargeasse de ses intérêts auprès de Votre Excellence, et, + d'après ses instances plusieurs fois répétées, j'ai promis au roi + que j'allais expédier à Votre Excellence M. de Caraman. Ce sera donc + lui, Monseigneur, qui aura l'honneur de vous porter cette dépêche et + que je prie Votre Excellence de vouloir charger de la réponse + qu'elle sera autorisée à y faire. J'ai promis au roi que M. de + Caraman serait parti dans quatre heures. L'impatience de Sa Majesté + est extrême et elle m'a répété plusieurs fois <span class="pagenum"><a id="pagecxx" name="pagecxx"></a>(p. cxx)</span> qu'elle ne + pouvait pas exister dans l'insoutenable pensée de la disgrâce de + l'empereur et dans la position où son pays et elle-même se + trouvaient placés.</p> + +<p>«J'écris par M. de Caraman un mot au duc de Reggio pour l'informer + de ce que je juge nécessaire qu'il sache de ce nouvel état de choses + et j'attends, Monseigneur, les ordres de l'empereur et vos + instructions.</p> + +<p>«P.-S. J'ai rempli, Monseigneur, dans cette dépêche, le devoir d'un + historien fidèle. Je suis garant que tout ce qu'elle renferme a été + dit; mais Votre Excellence concevra que ma garantie ne peut aller + plus loin. L'opinion continue de se prononcer et d'appeler à haute + voix sur ce peuple les regards et la protection de l'empereur.</p> + +<p>«Je ne serais pas étonné que M. Walkenaër, homme d'une grande + capacité, chargé de l'emprunt de Prusse et qui a joué dans le temps + un grand rôle en Espagne que votre ministère a cru devoir faire + cesser, fût envoyé demain à Paris, chargé d'une mission du roi + auprès de Votre Excellence.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à l'empereur.</p> +<p class="date">Paris, 8 juin 1810.</p> + +<p>«Votre Majesté trouvera ci-joint sous le n<sup>o</sup> 1 une lettre du + maréchal duc de Reggio, du 1<sup>er</sup> juin, où il rend compte que les + lignes qui environnent Amsterdam sont pourvues de grosse artillerie + avec les munitions et les canonniers nécessaires tandis que les + côtes ne sont point armées sous prétexte que toute l'artillerie est + au pouvoir des Français. Il paraît qu'on n'a pas abandonné les + anciens projets de défense et que si nos troupes voulaient entrer à + Amsterdam il pourrait y avoir quelque soulèvement. Le duc de Reggio + annonce aussi l'arrestation faite sur la côte de deux individus + venant d'Angleterre dont il m'a envoyé l'interrogatoire; je l'ai + fait passer au ministre de la police générale.</p> + +<p>«Sous le n<sup>o</sup> 2 est une seconde lettre du duc de Reggio, du 2 juin, + dans laquelle il donne des détails sur l'émeute qui a eu lieu à + Rotterdam le 23 mai. Il paraît qu'elle a été préméditée et qu'elle + pourrait facilement se renouveler si quelque circonstance y donnait + lieu. Votre Majesté remarquera ce que mande le duc de Reggio au + sujet de la gendarmerie et le grand besoin qu'il en aurait. Il + sollicite fortement à cette occasion l'avancement du capitaine de + gendarmerie Linas qui est auprès de lui.</p> + +<p>«Enfin, sous le n<sup>o</sup> 3, Votre Majesté trouvera un rapport et résumé + général de la reconnaissance militaire des côtes du département + d'Amsterland et de partie de celles de Zélande, faite par le + capitaine <span class="pagenum"><a id="pagecxxi" name="pagecxxi"></a>(p. cxxi)</span> Daupias, adjoint à l'état-major général, avec + une analyse des observations qu'il a faites sur ces pays-là. Cette + pièce mérite attention par l'importance des objets qu'elle traite et + je supplie Votre Majesté de vouloir bien en prendre lecture d'autant + plus qu'elle est peu susceptible d'analyse.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p> +<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire savoir qu'elle ne + songe point à faire occuper Amsterdam<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a><a href="#footnote158" title="Lien vers la note 158"><span class="smaller">[158]</span></a> par ses troupes et que ce + n'est pas son intention, qu'il ne faut donc pas le faire ni même le + laisser craindre aux Hollandais. Mais en même temps elle nous charge + de déclarer que si l'on faisait en Hollande les moindres préparatifs + guerriers, ces préparatifs ne pourraient être regardés que comme une + insulte à la France, que vous avez pour ce cas l'ordre éventuel de + demander vos passeports et de quitter la Hollande, et que toute + attitude hostile attentatoire à la France sera considérée par Sa + Majesté comme une déclaration de guerre.</p> + +<p>«Sa Majesté vous prescrit encore d'insister sur la réparation due + pour l'outrage fait à son ambassadeur, de dire qu'une satisfaction + incomplète ne peut lui suffire, qu'il la lui faut entière et que + sans cela le roi doit renoncer pour toujours à sa protection et à + son amitié.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p> +<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur, Sa Majesté m'ordonne de vous faire connaître que vous + pouvez aller chez S. M. le roi de Hollande ou chez ses ministres + toutes les fois que vous y êtes appelé pour affaires. Mais vous + devez vous abstenir de toute audience diplomatique, prétendant les + jours d'audience, une indisposition et vous abstenant effectivement + de sortir de chez vous de tout le jour.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p> +<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur, Sa Majesté est persuadée que vous ne rendez compte à + personne de ce qui se passe en Hollande et que vous n'en écrivez + qu'à moi seul. Vous savez trop bien que vous permettre à ce sujet la + moindre <span class="pagenum"><a id="pagecxxii" name="pagecxxii"></a>(p. cxxii)</span> correspondance avec tout autre serait une faute + capitale. Mais sans croire que vous puissiez vous écarter de l'une + des règles les plus essentielles que vous ayez à suivre dans la + carrière où sa confiance vous a placé, elle veut que je vous fasse + connaître qu'elle met le plus grand prix à ce que cette règle soit + religieusement observée.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Note pour le maréchal Oudinot.</p> +<p class="date">12 juin.</p> + +<p>«Il semble qu'on ait déjà cherché à répandre des bruits à Amsterdam + qui puissent déplaire au bas peuple de cette ville et le préparer à + un soulèvement; cette partie de la population, composée de matelots, + de porte-faix, etc., etc., est déjà indisposée et serait furieuse si + l'on parvenait à les tromper assez pour les décider à se soulever. + Les autres habitants d'Amsterdam, qui ont des propriétés, voient + avec chagrin et effroi les dispositions du roi qui paraissent être + d'opposer de la résistance à l'occupation de cette ville par les + troupes françaises. Le roi, qui d'abord avait intéressé par ce qu'on + appelait ses malheurs, éloigne de sa personne celles qui semblaient + lui être les plus dévouées par ses caprices continuels et la folie + de sa conduite. Une grande quantité de personnes sont prêtes à se + dévouer à l'empereur et à s'opposer à des démarches qui n'ont jamais + eu leur approbation, mais elles voudraient être avouées et n'avoir + pas à redouter un retour de faveur du roi près l'empereur qui pût + les perdre pour toujours. Une grande partie des ministres seraient + de ce parti. Les généraux Bruneau et Travers, le premier grand + écuyer, le deuxième colonel général des gardes, ne peuvent oublier + qu'ils sont Français et que leur premier devoir est envers leur + patrie. Tous deux d'ailleurs sont mécontents; il y a trois jours que + le général Travers offrit sa démission au roi parce qu'il en avait + été publiquement maltraité à la manœuvre.</p> + +<p>«Un homme intéressant par son nom et son caractère, sensible à la + malheureuse position de son pays, offre, <i>toujours sous condition + d'être avoué</i>, de se mettre à la tête des gens honnêtes et de + cœur et de contenir la populace dans un cas pressant; c'est M. de + Hogendorp. L'amiral de Winter, français de cœur, estimé et chéri + de tous les marins, les empêcherait de se livrer aux excès qu'on en + pourrait redouter, et les ramènerait à des sentiments honnêtes. Son + caractère trop connu paraît l'avoir fait éloigner <i>avant-hier</i> + d'Amsterdam. Il existe fort peu d'enthousiasme pour le roi. Le + peuple ne le salue point et semble n'éprouver aucune satisfaction à + le voir. Il paraît certain qu'il y a trois jours des ordres furent + donnés pour s'opposer militairement à l'entrée de troupes françaises + sur le territoire d'Amsterdam. On désire que les douaniers ne + <span class="pagenum"><a id="pagecxxiii" name="pagecxxiii"></a>(p. cxxiii)</span> viennent dans cette ville que lorsque nous + l'occuperons; on craint que leur arrivée ne donne occasion, <i>saisie + avec empressement</i>, d'animer le peuple.</p> + +<p>«Les bâtiments américains doivent être escortés jusqu'à leur remise.</p> + +<p>«La garde du roi, toute à Amsterdam, est de 3,000 hommes.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le roi Louis à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 14 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur le duc, l'empereur ne veut point que je corresponde avec + lui. Je n'ai plus d'ambassadeur à Paris; il faut donc que je + m'adresse directement à vous lorsqu'il y a des affaires aussi + importantes qu'en ce moment. Je ne vous parlerai point de la + situation du pays, vous la connaissez sans doute assez. J'espérais + que l'exécution serait adoucie et, loin de là, elle s'est aggravée + et s'aggrave tous les jours davantage. Je ne puis me dissimuler + actuellement que le traité n'empêche point que l'existence de la + Hollande ne soit fortement menacée. L'empereur s'en prend à moi de + toutes les disputes et rixes qui arrivent; le nombre des troupes + dans le royaume augmente sans cesse; il faut pourvoir à leurs + besoins dans un moment où les <i>habitants</i> n'ont presque aucun moyen + de pourvoir à leur existence. J'ignore complètement les intentions + de l'empereur. Dans cette position je dois me résigner et chercher + seulement à éviter de nombreux malheurs dans ce pays. Veuillez me + dire, Monsieur le duc, s'il est un moyen de finir complètement et à + jamais tous les démêlés et tracasseries; s'il existe quelque chose + que je puisse faire pour cela, il n'y a rien que je ne fasse, si + j'ai la certitude que tous ces démêlés seront finis à jamais et que + le pays en tirera quelque avantage.</p> + +<p>«Le porteur est reconnu pour être ami et aimé des membres de la + légation française à Amsterdam; je l'ai choisi pour cette raison + pour vous porter cette lettre et vous demander s'il n'y aurait pas + quelque moyen de finir à jamais tous les démêlés et les contrariétés + qui semblent s'augmenter même depuis le traité.</p> + +<p>«Veuillez, Monsieur le duc, prendre intérêt à ma position, à celle + de mon fils et surtout à celle du pays, et croire que si vous pouvez + me faire connaître ce qui peut la rendre supportable ou la terminer + entièrement, ce sera le plus grand service que vous puissiez me + rendre. Dites-moi des choses précises à faire, et non, je vous prie, + des choses générales comme on l'a fait toujours. Croyez que tous les + différents naissent de la difficulté de ma position, et que mon + frère reconnaîtra, trop tard peut-être, combien on est injuste + envers ce pays. Je le répète, Monsieur <span class="pagenum"><a id="pagecxxiv" name="pagecxxiv"></a>(p. cxxiv)</span> le duc, je suis + prêt à tous les sacrifices que l'empereur désire, s'ils peuvent être + utiles à ce pays et éviter les maux qui le menacent encore.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Avis du ministère de la justice et de la police.</p> +<p class="date">Amsterdam, 17 juin 1810.</p> + +<p>«Comme tous les efforts mis en œuvre pour découvrir celui ou ceux + qui se sont rendus coupables d'une grave insulte faite, d'après la + communication officielle de la légation française, à un des + domestiques en livrée de Son Excellence l'ambassadeur, dans les + environs de l'église neuve, le 13 mai de cette année, vers les deux + heures après-midi, ont été jusqu'ici entièrement infructueux, et + qu'il est hors de doute que toutes insultes commises envers des + personnes appartenant à des missions étrangères sont d'autant plus + coupables que, non seulement elles peuvent compromettre comme toutes + les autres le repos public de l'endroit où elles se commettent, mais + qu'elles pourraient être aussi considérées comme (lésives) pour la + puissance à la légation de laquelle ces personnes appartiennent, et + avoir encore par là les suites les plus désagréables;</p> + +<p>«À ces causes, le ministre de la justice et de la police, à ce + spécialement autorisé par le roi, offre une récompense de mille + ducatons à celui qui fera connaître l'auteur ou les auteurs du fait + susdit, de manière qu'ils soient remis entre les mains de la justice + et convaincus du délit, le nom du délateur pouvant rester secret, au + cas que celui-ci le désire.</p> + +<p>«Le ministre susdit fait connaître en sus, par ordre exprès du roi, + le grand mécontentement et indignation de Sa Majesté de ce qui a eu + lieu, sentiments d'autant plus profonds, qu'elle attache un plus + grand prix à l'amitié et à la bienveillance de son auguste frère, et + par conséquent à prévenir tout ce qui pourrait être désagréable à Sa + Majesté impériale et royale. Le ministre saisit en même temps cette + occasion pour avertir et exhorter un chacun de s'abstenir + particulièrement de faire, soit par des paroles soit par des voies + de fait, la moindre chose qui pourrait être lésive à quelque + personne ou personnes appartenant à des missions étrangères, sous + peine d'être puni, selon l'exigence du cas d'après toute la sévérité + des lois.»</p> + +<p class="sig"><span class="min10emli"><i>Le ministre de la justice et de la police</i>,</span><br> + <span class="smcap">Van Hugenpoth.</span></p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p> +<p class="date">Paris, 18 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur, S. M. impériale et royale a eu sous les yeux les dépêches + <span class="pagenum"><a id="pagecxxv" name="pagecxxv"></a>(p. cxxv)</span> que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser du 5 au 10 + de ce mois, et par lesquelles vous rendez principalement compte des + entretiens que le roi a eus avec vous, des explications dans + lesquelles il est entré, des sentiments qu'il a manifestés et des + questions qu'il vous a faites.</p> + +<p>«Sa Majesté me charge de vous faire connaître que vous devez vous + borner à déclarer qu'une satisfaction suffisante, c'est-à-dire + complète et telle que Sa Majesté l'a demandée pour l'outrage fait à + son ambassadeur, doit nécessairement précéder toute discussion + d'affaires entre les deux gouvernements; c'est aussi la réponse que + je ferai à M. le chargé d'affaires de Hollande.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p> +<p class="date">Paris, 23 juin.</p> + +<p>«Monsieur le maréchal, en conformité des ordres de l'empereur, j'ai + l'honneur de prévenir Votre Excellence que l'intention de Sa Majesté + est que vous fassiez sans perte de temps vos dispositions pour + former un camp à Utrecht, et que vous vous teniez prêt à marcher, + avec le 1<sup>er</sup> régiment de chasseurs et les deux autres régiments de + cavalerie à vos ordres (16<sup>e</sup> de chasseurs et 8<sup>e</sup> de hussards) le + 56<sup>e</sup>, le 93<sup>e</sup>, le 24<sup>e</sup> léger et le 18<sup>e</sup> de ligne et avec 12 pièces + de canons, sur Amsterdam, que l'empereur trouve nécessaire + d'occuper. Vous voudrez bien me faire connaître, par le retour de + l'officier chargé de la présente, quand vous serez prêt pour cette + expédition, S. M. se proposant de vous envoyer des ordres sur la + conduite que vous devez tenir.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 23 juin 1810.</p> + +<p>«Votre Excellence pourra voir, par l'office ci-joint de M. Roëll + dont je lui remets copie, l'inquiétude que donne au gouvernement + hollandais l'arrivée de nouveau corps français dans le royaume. J'ai + répondu à ce ministre que j'allais transmettre à Votre Excellence + les observations qu'il m'adressait à cet égard et que je + m'empresserais de lui faire connaître la réponse que je recevrais.</p> + +<p>«M. Roëll est venu me faire ses adieux. Il m'a dit sur la situation + de son pays et les déterminations du roi des choses fort touchantes + que je ne répartirai point à Votre Excellence, parce que je suppose + qu'elle les aura entendues de sa propre bouche au moment où cette + dépêche lui parviendra, le projet de M. Roëll étant de traverser + Paris pour se rendre <span class="pagenum"><a id="pagecxxvi" name="pagecxxvi"></a>(p. cxxvi)</span> aux eaux et de faire une visite à + son passage à Votre Excellence. M. Roëll n'est pas sans doute + chaudement dans le système français et il a des torts en arrière; + mais je lui dois cette justice que, depuis un mois, et + particulièrement dans les affaires de l'insulte faite à + l'ambassadeur et des cargaisons américaines, il a montré beaucoup de + rondeur et les obstacles qui les ont retardées ne sont pas venus de + lui. Les affections ne seront pas, de longtemps peut-être, + françaises en Hollande, mais la conviction et la raison nous + ramènent tous les jours quelques esprits.</p> + +<p>«Le portefeuille des affaires étrangères, dans l'absence de M. + Roëll, est confié à M. Van der Heim, ministre de la marine et des + colonies, déjà connu de Votre Excellence par la correspondance de M. + le comte de La Rochefoucauld. C'est un homme d'une grande + expérience, de beaucoup de droiture et d'honnêteté, mais chez qui + les inclinations, les vues et les idées sont bien anciennement + anglaises, et par là difficiles à déraciner. Son département a été + jusqu'à ce moment le plus mauvais de tous par l'esprit qui y règne. + Votre Excellence va pouvoir bientôt juger de ce que pourra sur son + esprit l'empire des circonstances. J'ai eu hier ma première + conversation avec M. Van der Heim. M'abandonnant à peu près le + passé, il s'est arrêté à l'état présent des affaires et m'a fait sa + profession de foi. Il ne conçoit plus qu'un système et qu'une voie + de salut pour la Hollande, c'est de s'abandonner sans réserve à + l'empereur. M. Van der Heim prétend que le roi lui paraît + entièrement arrêté dans cette résolution, et si je dois l'en croire, + la conviction du ministère à cet égard est tellement unanime, que + l'on ne doit plus craindre la déviation de ce nouveau système. Le + temps apprendra quelle confiance on peut placer dans ces + protestations.</p> + +<p>«Dans une dernière conférence avec M. Roëll, je lui avais dit qu'il + m'était revenu que l'on continuait à Haarlem de visiter les barques + pour s'assurer s'il ne s'y trouvait pas de Français. Je lui avais + fait sentir tout ce que ces précautions ont de ridicule et + d'injurieux pour Sa Majesté l'empereur, qui, s'il eût été dans ses + desseins d'occuper Amsterdam, y aurait fait entrer ses troupes, non + pas furtivement et dans des barques, mais en plein jour et par les + portes, et combien ces mesures étaient peu d'accord avec ce que l'on + m'avait chargé de transmettre. J'avais ajouté à M. Roëll que, s'il + devait me revenir plusieurs faits de ce genre, je serais obligé d'y + voir cette intention d'insulte et cette attitude hostile prévues par + mes instructions. Le roi, m'a dit M. Van der Heim, informé de mes + plaintes, a sévèrement réprimandé les ordonnateurs des visites et + expressément défendu qu'elles eussent lieu à l'avenir. Je + m'assurerai si les intentions du roi sont remplies.</p> + +<p>«M. Van der Heim m'a aussi parlé de son département et des efforts + qu'il faisait pour armer ses trois escadres, dont deux étaient à peu + près <span class="pagenum"><a id="pagecxxvii" name="pagecxxvii"></a>(p. cxxvii)</span> disponibles. Il me cita particulièrement celle de + M. l'amiral de Winter, à Helvoët, composée du <i>Royal hollandais</i> et + du <i>Chatam</i>. Je lui demandai s'il regardait comme en effet + disponibles deux vaisseaux à trois ponts qui n'avaient pas 200 + hommes d'équipage, quand il en faudrait plus de 600 pour les faire + manœuvrer. Je venais d'apprendre ce fait d'un officier attaché à + l'état-major de l'amiral. Le ministre parut frappé de l'exactitude + de mes renseignements et se rejeta sur le manque d'argent et la + difficulté des enrôlements, à quoi j'eus encore bien des + observations à lui faire, et il ajouta enfin, qu'au besoin on n'y + mettrait des soldats.</p> + +<p>«M. Van der Heim me témoigna qu'il croyait au roi le désir de + m'entretenir sur les affaires, et m'assura que je serais reçu par Sa + Majesté, toutes les fois que je le souhaiterais, à Haarlem comme à + Amsterdam. Je me montrai extrêmement sensible à cette honorable + facilité qui m'était donnée. Je répétai à M. Van der Heim ce que + j'avais dit à M. Roëll de mon empressement à me rendre aux ordres du + roi, toutes les fois que Sa Majesté me ferait l'honneur de + m'appeler, mais je lui fis sentir qu'il y aurait de l'inconvenance à + ce que j'allasse déranger le roi pour les moindres affaires, et, + j'ajoutai que, pour l'instant, je n'avais de mon côté, rien d'assez + intéressant à communiquer à Sa Majesté pour m'autoriser à profiter + du privilège qu'elle daignait m'accorder. Je me flatte que Votre + Excellence approuvera ma réserve.</p> + +<p>«Je reçois du département des affaires étrangères des plaintes + continuelles contre les douanes françaises. J'ai déjà répondu, et je + vais insister sur ce point, que les douanes n'étant point, comme les + Consulats, placées sous ma surveillance, mais bien sous celle de M. + le Maréchal, duc de Reggio, c'est multiplier très inutilement les + écritures que de m'adresser des réclamations que je ne peux que + transmettre sans prendre aucune part aux décisions qu'elles + provoquent. Mais je dirai en même temps au ministère des affaires + étrangères, que dans les cas où l'on ne pourrait pas s'entendre + entre Utrecht et Amsterdam, et où l'on voudrait s'adresser + officiellement à Sa Majesté impériale et royale, je serai prêt à + transmettre ce qui me serait écrit par le gouvernement hollandais.</p> + +<p>«J'ai reçu hier une lettre de M. Roëll par laquelle il m'annonce + l'envoi d'un mandat de 2,000 florins, pour mon droit aux indemnités + des ministres étrangers dans cette cour, en vertu de l'article 5 du + règlement sur cet objet. Cette indemnité remplace les franchises + dont les ambassadeurs jouissent dans les autres cours, mais qui sont + incompatibles avec le système financier de ce pays. Le règlement + fixe cette indemnité à une somme une fois payée de 4,000 florins + pour les ambassadeurs, 2,000 pour les ministres et 1,000 pour les + chargés d'affaires. On s'était donc trompé en doublant cette somme + pour moi, et plus <span class="pagenum"><a id="pagecxxviii" name="pagecxxviii"></a>(p. cxxviii)</span> encore en oubliant que je l'ai déjà + reçue, il y a deux ans, à l'époque du premier intérim qui suivit le + règlement. Je viens donc de renvoyer au ministre son mandat, en me + bornant à lui rappeler les dispositions de ce même règlement dont on + s'autorise pour me l'offrir. J'ignore s'il y a eu, dans cette + libérale négligence de la caisse des affaires étrangères, des + intentions dont je pourrais me blesser; mais dans tous les cas, j'ai + trouvé plus de dignité à ne pas en montrer le soupçon.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p> +<p class="date">Paris, 25 juin.</p> + +<p>«M. le Maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre + Excellence, par ma lettre du 23 courant, les intentions de + l'empereur, relativement aux forces que vous devez réunir à Utrecht + et je vous ai prévenu que Sa Majesté se proposait de vous envoyer + des ordres sur la conduite que vous auriez à tenir; je viens + aujourd'hui vous les transmettre.</p> + +<p>«Aussitôt que vous aurez réuni à Utrecht assez de troupes pour + marcher sur Amsterdam, vous voudrez bien écrire au chargé d'affaires + de Sa Majesté l'empereur, que les troupes françaises ayant été + insultées, et les portes d'Harlem leur ayant été fermées, vous + demandez réparation de cette offense.</p> + +<p>«Que les Aigles françaises peuvent aller dans tous les pays amis et + alliés;</p> + +<p>«Que, depuis 15 ans, les troupes françaises ont constamment pu + parcourir toutes les parties de la Hollande;</p> + +<p>«Que le traité ne fait exception d'aucun point; que c'est donc un + outrage gratuit que les Hollandais ont fait aux troupes françaises;</p> + +<p>«Que l'empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles + forces entrassent en Hollande.</p> + +<p>«Vous ferez observer en outre que vos instructions ne vous + prescrivaient point d'occuper Amsterdam, où vous n'aviez rien à + faire, mais, que le défi porté aux troupes françaises, en leur + fermant les portes, les intrigues anglaises, tendant à armer les + Hollandais contre les Français, ont provoqué l'ordre que vous avez + reçu de vous présenter devant les portes d'Amsterdam; que c'est aux + Hollandais à voir s'ils veulent nous traiter en amis et alliés, ou + en ennemis; s'ils veulent se livrer aux conseillers perfides qui + s'agitent autour du roi pour perdre leur pays.</p> + +<p>«L'empereur veut que vous vous arrangiez de manière à être devant + Amsterdam deux jours après l'envoi de votre lettre au chargé + d'affaires de France.</p> + +<p>«Sa Majesté me charge encore de vous dire, qu'il n'y a qu'un moyen + <span class="pagenum"><a id="pagecxxix" name="pagecxxix"></a>(p. cxxix)</span> pour la ville d'Amsterdam de prévenir tout embarras; + c'est de recevoir les troupes françaises en triomphe et de leur + donner une fête qui fasse disparaître toutes les acrimonies; + l'empereur ne voulant souffrir dans aucun pays, qu'on ait l'air de + repousser et d'insulter les troupes françaises.</p> + +<p>«Vous voudrez bien me faire connaître, en réponse, les dispositions + que vous aurez prises pour l'exécution des ordres de Sa Majesté.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p> +<p class="date">Paris, 25 juin 1810.</p> + +<p>«Monsieur, ainsi que j'eus l'honneur de vous l'écrire le 9 de ce + mois, Sa Majesté n'avait point l'intention de faire occuper + Amsterdam et n'y avait pas même songé. Mais, une mesure qu'elle + avait jugée inutile, si le gouvernement de Hollande n'eût pas montré + un dessein formel de s'y opposer et n'eût pas fait dans cette vue + des préparatifs, a été rendue nécessaire par ces préparatifs + mêmes<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a><a href="#footnote159" title="Lien vers la note 159"><span class="smaller">[159]</span></a>. Comme chef de la ligue continentale, Sa Majesté doit + constater et maintenir son droit de porter des forces partout où le + bien de la cause commune l'exige. Elle avait d'ailleurs à venger, + outre l'offense faite dans Amsterdam à son ambassadeur et qui n'a + point été réparée, l'outrage que l'on a fait à Haarlem aux Aigles + Impériales, en leur refusant le passage et en menaçant de tirer sur + elles. L'ordre a été en conséquence donné à M. le Maréchal, duc de + Reggio, de se porter sur Amsterdam et d'occuper cette ville. En + l'annonçant au ministre du roi, vous vous attacherez bien moins à + combattre ou à prévenir des idées de résistance, car je ne puis + supposer que l'on en ait aucune de cette espèce, qu'à faire sentir + que le gouvernement de Hollande peut profiter de cette circonstance + pour réparer ses torts et recouvrer les bonnes grâces de Sa Majesté + impériale et royale. Si les troupes françaises arrivent à Amsterdam, + y sont reçues en triomphe, si la ville donne un grand repas aux + soldats, si le roi et la cour donnent l'exemple des prévenances et + des égards envers la France, nul doute que la meilleure intelligence + ne règne aussitôt entre les deux nations, et que l'empereur n'oublie + volontiers des torts <span class="pagenum"><a id="pagecxxx" name="pagecxxx"></a>(p. cxxx)</span> ainsi réparés. Mais, c'est là le + seul moyen de les lui faire oublier, et vous aurez soin de + l'insinuer aux ministres du roi.</p> + +<p>«Après que l'expédition de M. le Maréchal, duc de Reggio, sera + consommée, vous demanderez que tous les canons soit transportés sur + les côtes et qu'on cesse de s'occuper des lignes.</p> + +<p>«Tels sont, Monsieur, les ordres que Sa Majesté me charge de vous + transmettre.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Au roi de Hollande.</p> + +<p>«D'autres troupes entrent par Nimègue. L'empereur qui, par + ménagement pour Votre Majesté, n'avait pas voulu occuper Amsterdam, + s'est maintenant décidé à y faire entrer ses troupes. Il a regardé + comme un défi le projet de défendre cette ville et les lignes qu'on + a fortifiées autour de son enceinte. Rien ne l'indigne comme ce + projet; en vain on essaye actuellement de le désavouer. L'empereur + en trouve la preuve dans ce que Votre Majesté a dit au chargé + d'affaires de France, qu'elle ferait fermer les portes d'Amsterdam, + afin que les Français ne puissent y entrer que par force, quoiqu'on + ne pût leur opposer que cette résistance passive, qui servirait au + moins à constater la violence dont ils useraient; et ici, que Votre + Majesté me pardonne encore de lui dire des choses si pénibles. + L'empereur se récrie sur cette conduite inconvenable, «dit-il, de la + part de mon frère, d'un prince français, de celui qui devrait + regarder comme son premier titre de français, que j'ai élevé, que + j'ai fait roi. Insulter mes Aigles! fermer les barrières devant + elles! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande + jusqu'au Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Sarre, l'Aigle Impériale + est accueillie et honorée, et une telle injure lui serait faite par + la Hollande, conquise par les armes françaises, et dont + l'indépendance est un bienfait de la France!</p> + +<p>«Si cette menace, ajoutait l'empereur, avait été faite par + l'Autriche ou la Russie, la guerre en aurait été la suite. Si + c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg, qui se + fût porté à cette indignité, la perte de son trône en aurait été le + résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai + aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande, + pays malsain, mais il faut punir la folie de ceux qui ont poussé la + témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais + dans ce pays.»</p> + +<p>«Sire, je vous exprime d'une manière vive mais vraie l'indignation + de l'empereur. Je crois qu'il est encore au pouvoir de Votre Majesté + de l'apaiser. Que les troupes françaises soient reçues en triomphe à + Amsterdam; que Votre Majesté soit la première à donner l'exemple + <span class="pagenum"><a id="pagecxxxi" name="pagecxxxi"></a>(p. cxxxi)</span> d'un accueil honorable et amical; que cet exemple soit + suivi; que les Hollandais traitent les soldats français comme des + frères; ils trouveront en eux des amis.</p> + +<p>«Les insultes faites à Rotterdam à des officiers français n'ont pas + moins irrité l'empereur. Il a donné des ordres sévères à l'égard de + cette ville qu'il sait être habitée par des partisans des Anglais. + Le premier écart qu'ils se permettraient serait puni avec rigueur.</p> + +<p>«Tels sont, Sire, les motifs de courroux de l'empereur. Il ne + s'apaisera, et Sa Majesté ne recevra quelque ouverture de la + Hollande, que lorsque les fortifications élevées autour d'Amsterdam + auront été détruites, les canons transportés sur les côtes, les + coupables de l'insulte faite à la livrée de l'empereur punis de + mort, le ministre de la police renvoyé, l'ancien bourgmestre + rappelé. Tel est, Sire, le résumé de ce que m'a dit l'empereur. + J'exprime de nouveau à Votre Majesté l'extrême regret que j'éprouve + à lui communiquer ces douloureux détails.</p> + +<p>«Je dois actuellement lui parler de la mission de M. Valkenaer.</p> + +<p>«Il m'a dit que Votre Majesté offrait de prêter à l'empereur foi et + hommage, comme à son souverain. Sire, cette forme n'est plus de nos + jours, et quant à la dépendance qu'elle exprime, l'empereur, qui la + regarde comme déjà existante de droit et de fait, ne pourrait y voir + une concession. L'empereur, souverain du grand empire, chef de la + ligue continentale, et devenu par la force de ses armes et de son + génie l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le suzerain de + plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du roi + de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des + droits bien plus étendus sur ce pays, que sa position entre la + France et l'Angleterre rend si intéressant pour lui. L'empereur a + même vu dans cette offre la suite de ces fausses idées par + lesquelles il prétend qu'on séduit et qu'on entraîne Votre Majesté, + et qui tendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui + attribuer une indépendance incompatible avec ses devoirs et sa + position.</p> + +<p>«M. Valkenaer m'a aussi parlé du tribut auquel se soumettait Votre + Majesté. Sans doute, M. Valkenaer s'est trompé d'époque; il s'est + cru encore au temps du Directoire. L'empereur, fort d'un revenu de + 800 millions et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni + d'argent, ni de crédit, ni de papier. Ce n'est point de l'argent + qu'il demande à la Hollande, ce sont des vaisseaux et des soldats, + conformément au traité. On m'a dit que Votre. Majesté réclamait à ce + prix le commandement des troupes. Que Votre Majesté me pardonne si, + connaissant le profond mécontentement de l'empereur, je n'ai pas osé + placer cette demande sous ses yeux. L'empereur se plaint de ce + qu'aucune condition du traité <span class="pagenum"><a id="pagecxxxii" name="pagecxxxii"></a>(p. cxxxii)</span> n'est remplie. Lorsque je + lui ai rendu compte des progrès de vos armements, que me faisait + connaître votre chargé d'affaires, il m'objecta qu'il n'y avait pas + un équipage formé. Lorsque je lui ai soumis la liste des bâtiments + américains dont les cargaisons devaient être mises à sa disposition, + il a observé que ces cargaisons n'étaient pas complètes, que la plus + grande partie en avait été détournée, qu'on avait grossi la liste + des prises faites par nos corsaires, comme si la Hollande voulait + s'acquitter à leurs dépens. L'empereur exige que tout soit rendu. + L'empereur reproche au gouvernement hollandais d'avoir donné des + licences et autorisé par là un commerce interlope blâmable en + lui-même et contraire au traité. Tels sont les motifs des nouvelles + dispositions de l'empereur et de l'entrée en Hollande d'une plus + grande masse de troupes françaises. L'empereur dit qu'il n'a pas + voulu laisser égorger les 6,000 Français qu'il y avait placés. Il + dit encore que dans cette occasion il a dû faire taire la voix de la + nature et tous les sentiments de son cœur pour n'écouter que les + intérêts de son peuple en maintenant tous les droits de son trône.</p> + +<p>«Sire, je viens de remplir une tâche pénible, la justice de Votre + Majesté me répond qu'elle ne méconnaîtra pas ce qu'il m'en a coûté. + J'aurais trahi sa confiance et celle de l'empereur si j'avais tenu + un autre langage; mais il m'est consolant de pouvoir ajouter qu'en + donnant à l'empereur la satisfaction qu'il désire, en éloignant les + conseils auxquels il aime encore à attribuer les erreurs et les + torts dont il se plaint, en soumettant à son influence + l'administration de la Hollande, enfin en gouvernant d'après ses + principes et ses vœux, et en restant fermement attachée à son + système, Votre Majesté peut encore reconquérir la bienveillance de + son auguste frère et régner heureux et tranquille en faisant le + bonheur de son peuple, regardé alors comme l'ami et l'allié de la + nation française dont il partagerait les destinées.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p> +<p class="date">Utrecht, 26 juin 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, si, comme S. M. l'empereur paraît l'avoir décidé, je + suis destiné à entrer à Amsterdam, je vous conjure de me mettre à + mon aise pour ma conduite envers le roi de Hollande.</p> + +<p>«Jusqu'alors j'ai, <i>sans m'écarter de mes devoirs et de ma + fidélité</i>, su respecter le sang, et je continuerai dans ces + principes, à moins que je n'aie un ordre contraire de la part de mon + souverain: enfin, désignez-moi dans cette circonstance, si + l'empereur lui-même ne me dicte pas ma règle de conduite.</p> +</div> + +<div class="lettre"> + <span class="pagenum"><a id="pagecxxxiii" name="pagecxxxiii"></a>(p. cxxxiii)</span> <p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 26 juin 1810.</p> + +<p>«Le roi est toujours à Haarlem, attendant le retour de mon courrier + et le résultat du double voyage de M. Valkenaer et de M. Roëll. On + dit que Sa Majesté viendra demain à Amsterdam. J'apprends que l'on + se flatte ici d'une prochaine dislocation des troupes destinées pour + la Hollande. Je désire sans doute, Monseigneur, que S. M. Impériale + juge pouvoir accorder les vœux de ce pays avec les grands + intérêts de son empire, mais ce que j'ai pu acquérir de connaissance + des hommes et des choses, en Hollande, me fait souhaiter que la + distribution des troupes françaises dans ce royaume, et surtout dans + le rayon de sa frontière, n'éprouve pas de changement, jusqu'au + moment où les déterminations de Sa Majesté auront été arrêtées par + elle, mises à exécution, et les garanties données, s'il y a lieu, + car l'esprit du gouvernement est encore, malgré ses protestations, + bien loin de ce que l'on doit désirer.</p> + +<p>«Le roi vient de faire de grandes réformes et qui sont, suivant le + vieux système, tombées presque en entier sur les Français à son + service. On les renvoie avec toutes sortes de dégoûts. Je + maintiendrai en leur faveur l'article du décret par lequel S. M. + l'empereur, en autorisant ses sujets à rester au service de cette + couronne, stipule qu'ils ne pourront être renvoyés sans pension ou + retraite.</p> + +<p>«Le gouvernement est fort occupé de la formation de son budget. Ses + embarras sont excessifs. Le roi a diminué assez considérablement sa + maison, mais cette économie est peu sensible parmi les besoins + extrêmes du moment. L'état des finances du royaume est déplorable au + delà de ce qui peut se concevoir. La ressource ruineuse des arriérés + et des anticipations est épuisée, et l'on ne trouverait pas dix + millions à emprunter. Qu'est-ce, en effet, qu'un État qui n'a pas de + revenu et qui n'a point de crédit pour s'en procurer un artificiel? + ou qui l'a perdu, ce qui est pis encore. Je dis qui n'a point de + revenu, puisqu'il est absorbé en entier par l'intérêt de sa dette. + Je me réserve, Monseigneur, de développer mes opinions à cet égard à + Votre Excellence, lors du rapport que j'aurai l'honneur de lui faire + dans quelques jours sur le budget qui aura été arrêté.</p> + +<p>«On ne parle plus de la défense. Cependant les lignes restent + toujours gardées comme on pourrait faire en présence de l'ennemi. Je + souhaiterais des ordres à cet égard.</p> + +<p>«On annonce un cercle pour demain. J'aurai soin d'être indisposé.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—M. de Caraman arrive. Il m'a redit, Monseigneur, les + instructions verbales dont Votre Excellence l'a chargé pour moi. + Votre <span class="pagenum"><a id="pagecxxxiv" name="pagecxxxiv"></a>(p. cxxxiv)</span> Excellence peut être assurée que je les suivrai à + la lettre. J'attends demain des visites d'affaires. J'aurai + l'honneur d'écrire à Votre Excellence.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">M. Van-der-Heim à Serrurier.</p> +<p class="date">Amsterdam, 28 juin 1810.</p> + +<p>«Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous faire connaître que, + d'après la conversation qu'elle a eue avec vous, elle a ordonné à + son ministre de la police et justice de vous donner connaissance de + l'état de la procédure contre le malheureux qui, excité par l'appât + de gagner la prime promise pour la découverte de l'individu qui a + insulté le cocher de M. l'ambassadeur, s'est dénoncé être le + coupable, afin que vous puissiez être assuré de l'activité avec + laquelle elle se poursuit et laquelle sera encore accélérée aussitôt + le retour dudit cocher.</p> + +<p>«Sa Majesté a dû même forcer l'ancien bourgmestre à rentrer dans la + place qu'il n'avait quittée que sur ses instances réitérées. Elle + désire vivement que vous fassiez parvenir le plus promptement + possible à Sa Majesté impériale et royale la nouvelle assurance que, + se reposant entièrement sur l'équité de Sa Majesté impériale et + royale, le roi n'a été et n'est occupé qu'à chercher tous les moyens + possibles d'exécuter le traité et même de faire de plus tout ce qui + est en son pouvoir, qui soit agréable à l'empereur.</p> + +<p>«C'est dans cette intention que, malgré les difficultés des + finances, il a conservé toutes les troupes sous les ordres du duc de + Reggio et complété les 12,000 hommes. Les marchandises américaines + sont à la disposition des douaniers français.</p> + +<p>«On a mis toute l'activité possible à l'armement de l'escadre, de + sorte qu'à la fin de juillet six vaisseaux de ligne seront en rade; + les trois autres ne pourront l'être qu'au mois d'octobre; tous les + autres bâtiments sont prêts.</p> + +<p>«Le roi vous prie d'engager Mgr le duc de Cadore à faire valoir les + bonnes intentions et les efforts du roi et de le bien assurer que + son unique but est et sera à jamais d'obtenir l'amitié de Sa Majesté + impériale et royale.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 juin 1810.</p> + +<p>«On s'était trompé en m'annonçant qu'il y aurait aujourd'hui grand + cercle à la cour. Sa Majesté recevra, à la vérité, mais un petit + nombre de nationaux et point d'étrangers.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagecxxxv" name="pagecxxxv"></a>(p. cxxxv)</span> «J'avais depuis longtemps le désir d'aller rendre ma + visite de voisinage à M. le maréchal duc de Reggio. J'ai réalisé + hier matin ce projet. Après avoir déjeuné avec M. le maréchal et + passé quelques moments encore avec Son Excellence, je suis monté en + voiture et suis revenu dîner à Amsterdam.</p> + +<p>«Le soir, il y eut cercle chez le grand-chambellan. J'y rencontrai + M. Van-der-Heim qui, apprenant que M. Caraman était arrivé la + veille, vint me demander s'il m'avait rapporté une réponse de + l'empereur aux ouvertures que le roi m'avait chargé de transmettre à + Sa Majesté impériale et royale. Je dis à M. Van-der-Heim que M. de + Caraman ne m'avait rien rapporté, que seulement j'étais instruit que + Sa Majesté impériale et royale gardait un sentiment profond de + l'insulte faite à son ambassadeur et du retard apporté à la + satisfaction que j'avais été chargé de demander, comme aussi de + l'accueil hostile fait à la patrouille française devant Haarlem, et + que Sa Majesté attendait la satisfaction qui lui était due pour ces + graves outrages. M. Van-der-Heim me mit alors en avant la + proclamation publiée au sujet de l'insulte faite aux gens de M. de + La Rochefoucauld et de l'intention où l'on était de suivre cette + affaire aussitôt l'arrivée du cocher. Je répondis que la + proclamation était à la vérité une mesure convenable mais tardive et + surtout insuffisante, que les demandes que j'avais formées de la + remise des coupables et de la réintégration de l'ancien bourgmestre + n'avaient pas eu d'effet jusqu'ici, et que Sa Majesté impériale et + royale n'était satisfaite sur aucun point; comme il m'alléguait que + l'on avait abandonné ici toute espèce d'attitude hostile, je lui + demandai comment je devais donc considérer ce cercle tracé en avant + de l'armée française, ces redoutes, ces canons et tout cet appareil + qui semble annoncer qu'on est en présence d'ennemis. Je lui demandai + si on ferait autre chose en Hollande dans le cas d'une descente des + Anglais. M. Van-der-Heim me répéta ses protestations de l'intention + où est le gouvernement de s'en remettre entièrement à la générosité + de l'empereur et de renoncer à toute attitude qui pourrait offenser + Sa Majesté impériale et royale. Je répondis que dans ces sortes de + choses les paroles ne suffisaient pas et que les faits continuaient + d'être contre le gouvernement.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim me parla sur un ton très amer de la conduite de nos + corsaires qui, selon lui, ne respectaient rien, et me dit que si + cela devait continuer, il serait impossible d'empêcher les paysans + de jeter ces gens à la mer. Je répondis avec hauteur que le jour où + un pareil attentat serait commis serait un jour bien funeste pour la + Hollande et surtout pour les hommes qui, loin de chercher à adoucir + les aigreurs, se seraient montrés zélés à les développer; que pour + moi j'étais tranquille sur le sort des Français en Hollande; que Sa + Majesté impériale et royale trouverait le moyen de faire respecter + ses sujets ou de les <span class="pagenum"><a id="pagecxxxvi" name="pagecxxxvi"></a>(p. cxxxvi)</span> venger, s'ils étaient insultés, + et, pour montrer que je ne souffrirais pas que l'on me parlât, en + Hollande, sur ce ton de menaces, je quittai brusquement M. + Van-der-Heim et allai m'asseoir à la partie qui m'était destinée. M. + Van-der-Heim a de la raideur, mais j'espère lui prouver que j'en + sais trouver aussi, quand les formes de la politesse et de la + modération ne suffisent pas.</p> + +<p>«Plusieurs personnes, parmi lesquelles des ministres étrangers, sont + venues hier à moi pour me demander s'il était vrai que Sa Majesté + l'empereur et roi demandât à la Hollande un emprunt de cinquante + millions. Je vis l'intention et me hâtai de répondre que ce fait + n'était pas à ma connaissance et que j'avais toute raison de ne pas + y croire, que je savais parfaitement que ce que mon souverain avait + toujours demandé à la Hollande n'avait pas été de l'argent, dont Sa + Majesté impériale et royale n'avait assurément pas besoin, mais une + conduite et un système franchement français, et que jamais jusqu'ici + un vœu aussi raisonnable n'avait pu être rempli.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim vient de répondre à la lettre par laquelle je lui + avais renvoyé son mandat. Il prétend qu'il ne me l'a envoyé que + parce que la chambre des comptes avait jugé que cette somme m'était + due, comme étant de nouveau chargé d'affaires. Telle n'est point + certainement l'intention du règlement. Cependant, il est possible + qu'il n'y ait pas eu en ceci d'arrière-pensée. Mais en tout état de + choses, je ne regrette point le refus que j'en ai fait.</p> + +<p>«On me demande à l'instant chez le roi. Demain matin j'aurai + l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de cette nouvelle + audience.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 29 juin 1810.</p> + +<p>«Je me suis rendu hier à quatre heures chez le roi, d'après + l'invitation que j'en avais reçue du chambellan de service. Sa + Majesté m'a témoigné la douleur qu'elle avait ressentie d'apprendre + que M. de Caraman n'eût point apporté de réponse aux ouvertures + qu'elle m'avait chargé de transmettre de sa part à Votre Excellence. + Le roi me dit que s'étant jeté dans les bras de l'empereur et lui + ayant remis son sort, celui de ses enfants et de son pays, il avait + attendu avec confiance les résultats de sa démarche, et qu'elle + était profondément affligée qu'elle n'ait rien obtenu sur le cœur + de son auguste frère. Je répondis au roi qu'en effet je n'avais + point reçu de réponse à la lettre dont j'avais chargé M. de Caraman. + Je répétai à Sa Majesté ce que j'avais dit à son ministre, que + seulement il était à ma connaissance que S. M. l'empereur était + toujours profondément blessé de l'outrage fait à son ambassadeur, + <span class="pagenum"><a id="pagecxxxvii" name="pagecxxxvii"></a>(p. cxxxvii)</span> outrage qui n'était point encore réparé, et de + l'insulte plus récente faite à ses aigles en avant de Haarlem; que + les protestations étaient nécessairement insuffisantes dans des + choses qui touchaient d'aussi près à l'honneur des gouvernements et + que des faits seuls et des réparations éclatantes pouvaient + satisfaire des souverains. Le roi me demanda quelle était donc cette + satisfaction éclatante que désirait l'empereur, ajoutant qu'il la + donnerait, quelle qu'elle pût être, étant déterminé à faire tout + pour apaiser son auguste frère. Je répondis à Sa Majesté qu'elle + trouverait ce moyen de satisfaire S. M. impériale dans les deux + demandes que j'avais eu précédemment l'honneur de lui faire, savoir: + la réintégration de M. Van-der-Poll et la remise des coupables, dans + l'affaire des gens de l'ambassadeur, entre les mains des autorités + françaises. Ici, le roi montra une profonde répugnance à la + réinstallation de M. Van-der-Poll, que Sa Majesté prétendit avoir + demandé sa démission et s'être refusé à rentrer dans sa place. Elle + me déclara que toute autre satisfaction lui serait moins pénible et + serait, dans son opinion, moins avilissante pour son autorité. Sa + Majesté ajouta cependant de suite que si l'empereur l'exigeait, elle + forcerait ce magistrat à reprendre sa place.</p> + +<p>«Le roi vint ensuite à l'affaire de l'ambassadeur. Sa Majesté + m'annonça que la procédure était entamée, que déjà un homme était + venu se déclarer le coupable, que c'était un malheureux dont la + famille était ruinée et que l'on supposait avoir fait cette démarche + pour avoir les mille ducatons promis; que, cependant, on allait + l'examiner, et qu'il serait confronté de suite avec le cocher de + l'ambassadeur aussitôt son arrivée; mais que la présence de cet + homme était indispensable pour les confrontations. Sa Majesté me + pria de l'envoyer au grand bailli aussitôt son retour.</p> + +<p>«Le roi me montra aussi le dessein de renvoyer à Paris M. l'amiral + Verhuell, comme simple particulier, pour porter aux pieds du trône + impérial l'expression de ses sentiments et de ses vœux.</p> + +<p>«Le roi m'ayant parlé de ses lignes, je lui représentai combien + cette attitude était injurieuse pour les armes impériales et le + scandale qu'elle présentait à l'Europe. Sa Majesté me représenta + qu'elle avait renvoyé tous les canonniers qui les occupaient aux + batteries des côtes et qu'elles avaient entièrement perdu de vue ce + qu'on avait pu y voir de menaçant. Elle ajouta qu'elle n'avait + jamais eu la pensée d'arrêter les mouvements des troupes françaises, + mais que le dernier traité, ne portant pas qu'elles occuperaient + Amsterdam, elle se croyait obligée à ne point y donner son + consentement. Que, du reste, l'empereur était assurément bien le + maître d'en user comme Sa Majesté le jugerait convenable. Je + répliquai au roi qu'il était à ma connaissance que Sa Majesté + impériale n'avait aucunement pensé à mettre garnison dans Amsterdam + <span class="pagenum"><a id="pagecxxxviii" name="pagecxxxviii"></a>(p. cxxxviii)</span> à l'époque où l'on prit occasion de cette supposition + pour prendre l'attitude hostile où l'on se trouvait placé vis-à-vis + d'elle.</p> + +<p>«À la suite de cette explication, je quittai le roi, qui me + renouvela la demande instante de transmettre tout de suite à Votre + Excellence le résultat de cette audience et de la prier d'être + encore une fois, auprès de Sa Majesté impériale, l'interprète de ses + déterminations dans ces circonstances. Sa Majesté désire que Votre + Excellence veuille répéter à S. M. l'empereur qu'elle est prête à + souscrire à tous les engagements qu'elle voudra lui prescrire pour + rentrer dans ses bonnes grâces.</p> + +<p>«Je me sers, Monseigneur, autant que je le puis, comme Votre + Excellence peut le concevoir, des expressions mêmes du roi, sans + vouloir y ajouter ou y retrancher, pareilles communications ne + pouvant être rendues avec trop de fidélité. Je ne cacherai point à + Votre Excellence que ces audiences du roi me gênent extrêmement et + que j'aurais souhaité que mon ordre d'être indisposé se fût étendu + jusqu'aux jours où je suis demandé chez Sa Majesté, je sens que je + serais fort à l'aise et traiterais facilement avec un prince de + naissance et de toutes les plus puissantes maisons de l'univers; + mais ce titre si grand, si imposant pour un Français, de frère de + l'empereur, se présente toujours à ma pensée au moment où je discute + avec le roi de Hollande. Il détermine ces ménagements et ces égards + sur lesquels je sais bien que Votre Excellence ne se trompe pas, + mais que S. M. impériale pourrait attribuer à de la faiblesse, et si + je n'avais pas déjà le bonheur de pouvoir montrer à mon souverain + que je ne connais pas ce sentiment quand il y va de son service.</p> + +<p>«Le roi me fait annoncer à l'instant que, par suite de notre + conversation, Sa Majesté vient d'obliger l'ancien bourgmestre à + rentrer dans ses fonctions.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 30 juin 1810, 7 heures du matin.</p> + +<p>«La journée d'hier s'est passée sans communication du gouvernement. + M. Van-der-Heim est parti de grand matin pour Haarlem où j'ai su que + tous les ministres avaient été convoqués en grand conseil. Dans la + journée, il m'est venu de la Bourse beaucoup de gens alarmés que + j'ai rassurés en leur disant qu'à la vérité il se préparait des + événements intéressants pour leur ville, mais que l'on devait tout + attendre de la clémence de S. M. l'empereur, si l'on se conduisait + dans ces circonstances d'une manière convenable envers la France. Je + suis persuadé que le commerce se montrera bien et que le maréchal en + sera content.</p> + +<p>«À quatre heures m'est arrivé un aide de camp de M. le maréchal + <span class="pagenum"><a id="pagecxxxix" name="pagecxxxix"></a>(p. cxxxix)</span> duc de Reggio qui m'apportait la demande que fait le + maréchal d'une satisfaction éclatante pour l'insulte faite devant + Haarlem à ses aigles, et m'annonçait son arrivée devant les portes + d'Amsterdam pour le 4. J'ai envoyé aussitôt chez M. Van-der-Heim, + qui n'était pas encore de retour. Craignant qu'on ne voulût gagner + du temps et m'échapper, j'écrivis à huit heures à M. Van-der-Heim + que je devais absolument le voir le soir même ou aujourd'hui de très + bonne heure, et que l'importance des communications que j'avais à + lui faire était telle que, s'il devait être retenu à Haarlem, + j'irais l'y trouver. Je reçus à minuit une réponse. Il m'annonçait + son retour et m'offrait de me recevoir le lendemain à neuf heures; + j'acceptai. Je ne réexpédierai l'aide de camp du maréchal qu'après + avoir vu M. Van-der-Heim et être convenu de tout avec lui.</p> + +<p>«L'inquiétude pour les fonds a dû s'augmenter parmi ces + circonstances, surtout dans l'ignorance où l'on était des + déterminations de la cour, et je n'y vois pas un très grand mal. Ils + sont tombés à 18, mais en général l'esprit est bon, et tout le monde + désire voir la fin de toutes ces mésintelligences. On demande et + l'on souhaite universellement que les Français soient bien reçus, et + chacun s'y prêtera.</p> + +<p>«J'ai vu hier chez moi le brave de Winter. Il allait partir pour les + eaux, mais sur le bruit de ce qui se préparait, il s'est décidé à + rester. Ce n'est pas un homme à éloigner dans un moment de crise. Je + l'ai engagé à se rendre à Haarlem et à aller y donner de bons + conseils. Il sort à l'instant de chez moi et sera chez le roi dans + deux heures. J'ai été on ne peut plus content de sa conversation, et + son noble caractère ne se dément pas. Voilà les loyales et dignes + inspirations auxquelles je voudrais voir l'esprit du roi livré. Je + ne rencontre pas depuis hier un honnête homme, un homme d'autorité + et de lumières, que je ne l'envoie à Haarlem combattre les mauvais + conseils qui pourraient être donnés au roi.</p> + +<p>«L'amiral souhaite que Sa Majesté l'envoie à Utrecht pour arranger + toutes choses avec le maréchal duc de Reggio, et je le désire avec + lui, car alors je suis bien sûr que les choses se feraient + convenablement. Je témoignerai tout à l'heure à M. Van-der-Heim que + ce choix me serait agréable, et je ne doute pas qu'il ne le fût à + Utrecht.</p> + +<p>«J'ai fait prévenir tous les Français militaires et civils, + autorisés ou non autorisés, de se bien conduire, et j'ai toute + raison de compter sur eux.</p> + +<p>«Je vais suspendre ma dépêche jusqu'au moment de ma conférence avec + M. Van-der-Heim.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="date">À onze heures.</p> + +<p>«Je sors, Monseigneur, de chez le ministre des affaires étrangères. + Je lui ai fait les communications dont M. le maréchal duc de Reggio + m'a chargé pour lui. M. Van-der-Heim m'a répondu que l'occupation + <span class="pagenum"><a id="pagecxl" name="pagecxl"></a>(p. cxl)</span> d'Amsterdam répondait à toutes les satisfactions que je + pouvais exiger. J'ai demandé au ministre quelles étaient les + intentions du roi pour la réception des troupes. Il m'a annoncé + qu'elles étaient toujours telles qu'il avait été autorisé à me les + annoncer; que le roi recevrait les troupes françaises en connétable. + Je dis à M. Van-der-Heim que je désirais savoir en détail ce que Sa + Majesté comptait faire dans cette circonstance, et je le priai de me + le faire connaître. Il m'annonça alors que le roi avait chargé M. le + ministre de la guerre, homme parfaitement bien intentionné, de + régler avec M. le maréchal duc de Reggio tout ce qui concerne + l'entrée des troupes et leur réception. J'applaudis à cette + décision, mais n'en insistai pas moins pour avoir ce soir + communication des déterminations du roi dans cette circonstance si + décisive. J'excitai le zèle de M. Van-der-Heim, en lui disant que + j'attendais beaucoup pour le roi et pour le pays de ses conseils; + qu'il dépendait de lui que j'eusse un bon rapport à faire à S. M. + impériale et les moyens de rendre la nation et le gouvernement + intéressants à l'empereur. M. Van-der-Heim m'a promis de me + rapporter ce soir une réponse positive.</p> + +<p>«J'ai dit à ce ministre que j'apprenais que les canonniers étaient + encore aux pièces hier, malgré l'annonce que le roi m'avait faite de + l'ordre donné de les envoyer sur les côtes. M. Van-der-Heim me + répliqua qu'à la vérité Sa Majesté avait donné cet ordre, mais que + le ministre de la guerre lui avait observé que l'on ne pouvait + renvoyer les canonniers sans emmener le matériel et qu'il craignait + que ce mouvement ne donnât de l'ombrage au maréchal et n'inquiétât + le peuple; qu'on les avait laissés pour cette raison, mais que + toutes les sentinelles avaient été retirées, et l'ordre donné de + laisser tout passer; qu'hier une patrouille française avait + librement traversé les lignes.</p> + +<p>«J'ai dit à M. Van-der-Heim que si l'on jugeait ne pas devoir + déplacer les pièces d'artillerie, je croyais qu'il convenait au + moins de rappeler les canonniers en arrière et de laisser + provisoirement la garde des pièces au peu d'hommes d'infanterie que + l'on jugerait nécessaires pour cela. Il m'a promis d'en faire la + proposition au roi.</p> + +<p>«Demain matin j'espère pouvoir annoncer à Votre Excellence que tout + est arrangé selon les vœux du maréchal et à mon contentement.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Cadore au roi Louis.</p> +<p class="date">2 juillet 1810.</p> +<p class="adresse">«Sire,</p> + +<p>«M. Vekenaer m'a remis la lettre que Votre Majesté m'a fait + l'honneur de m'adresser. Il a aussi laissé entre mes mains celle qui + était <span class="pagenum"><a id="pagecxli" name="pagecxli"></a>(p. cxli)</span> destinée à S. M. l'empereur. Je la lui ai + présentée. L'empereur m'a dit qu'il ne pouvait en prendre + connaissance que lorsque les outrages dont il se plaint auraient été + entièrement réparés. Cela me donne, Sire, une tâche pénible à + remplir. Je dois, pour répondre à la lettre de Votre Majesté et à la + confiance dont elle m'honore, lui faire connaître les sujets de + plaintes de l'empereur son frère. Je ne puis mieux le faire qu'en + empruntant ses propres expressions. Votre Majesté voudra bien se + souvenir que dans ce que j'aurai l'honneur de lui dire, c'est + l'empereur bien plus que moi qui lui parle.</p> + +<p>«L'empereur est profondément mécontent; il se regarde comme outragé + et ne veut entendre à aucun arrangement avec la Hollande et même à + aucun pourparler avant d'avoir eu satisfaction:</p> + +<p>«1<sup>o</sup> Sur l'offense faite par la populace d'Amsterdam à la livrée de + son ambassadeur, sans qu'aucune punition ait été infligée. + L'empereur regarde même comme aggravant l'insulte cette proclamation + tardive qui annonçait à toute l'Europe l'impunité dont avait été + accompagnée cette insulte publiquement faite à un souverain. Elle ne + peut être lavée que par le sang.</p> + +<p>«2<sup>o</sup> Sur le traitement fait à son chargé d'affaires la première fois + qu'il a paru en cette qualité à l'audience de Votre Majesté, et sur + le silence injurieux gardé envers lui, et cela en présence des + ministres de Russie, d'Autriche et de toute l'Europe que l'on + rendait témoin de l'humiliation du représentant de l'empereur; + aussi, et je dois le faire connaître à Votre Majesté, le chargé + d'affaires a reçu la défense de paraître désormais à l'audience de + Votre Majesté.</p> + +<p>«3<sup>o</sup> Le refus fait à une patrouille française de la laisser entrer + dans la ville de <i>Haarlem</i>. Du moment où l'empereur en a été + instruit, il a ordonné au général Molitor de se rendre avec sa + division de Hambourg en Hollande.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 2 juillet 1810.</p> + +<p>«L'amiral de Winter est descendu hier chez moi deux heures après + l'expédition de ma dépêche. Il arrivait d'Haarlem. Il avait trouvé + le roi en conseil délibérant sur les circonstances. L'âme du roi + paraissait livrée à la plus profonde amertume, et l'amiral entra + dans sa douleur pour l'adoucir et donner plus d'autorité aux + conseils qu'il venait offrir. Il dit donc au roi qu'il croyait que + l'on devait attribuer le malheur des circonstances au mauvais + système où le gouvernement s'était jeté dès l'origine, et qu'il s'en + était toujours franchement exprimé, mais qu'il <span class="pagenum"><a id="pagecxlii" name="pagecxlii"></a>(p. cxlii)</span> ne + s'agissait plus du passé, dont on n'était plus le maître, mais de + l'avenir qui nous appartenait encore; qu'en fidèle sujet il venait + offrir au roi sa personne, sa vie et ses loyales opinions; que, soit + que le gouvernement eût des torts envers l'empereur ou qu'il se crût + calomnié auprès de Sa Majesté, ce moment pouvait redresser toutes + les opinions et prouver que le roi était toujours ce qu'il devait + être pour son auguste frère et pour la France, que le roi devait + recevoir les troupes françaises en connétable, les fêter, les + accueillir à la tête de son peuple, de ses troupes et de toutes les + autorités, et que ce jour du 4, qui paraissait à quelques-uns si + calamiteux, pouvait de cette façon devenir un jour de réconciliation + entre les deux souverains et fixer sur la nation hollandaise les + regards bienveillants de l'empereur. L'amiral fut soutenu, à ce + qu'il m'a dit, avec beaucoup de force, par le général Dumonceau, que + le maréchal duc de Reggio venait d'envoyer au roi et dont, depuis + quelque temps, l'ambassade n'avait pas eu à se louer. Il paraît + qu'il s'est bien montré dans ce moment. Les ministres de la guerre + et de la marine, quoiqu'avec moins d'énergie, exprimèrent des + opinions raisonnables, et il n'y eut pas un conseil décidément + mauvais.</p> + +<p>«Le roi déclara à ses ministres et à ses grands officiers ce que + déjà il m'avait fait annoncer par le ministre de la marine, qu'il en + userait dans cette journée en prince français et en connétable, mais + quand on lui demanda le détail de ses intentions, il dit qu'il + prescrirait de faire les choses pour le mieux et de façon à donner à + l'empereur l'opinion qu'il désirait que Sa Majesté prît de son + peuple; et comme on lui demandait encore quelles dispositions il + prescrirait pour son palais et pour sa personne, il montra la + résolution inébranlable de rester dans son pavillon de Haarlem + jusqu'au retour du courrier qu'il venait d'expédier à l'empereur. + L'amiral fit les plus grands efforts pour ébranler cette résolution' + dont il prévoyait tout le mauvais effet. Le roi lui dit que la + fatalité l'entraînait, que rien ne pouvait désormais lui regagner le + cœur de son frère, qu'il était décidé à céder à la destinée et + qu'il resterait à son pavillon de Haarlem jusqu'au retour de son + courrier. L'amiral m'ajouta que Sa Majesté s'était exprimée + confidentiellement sur les déterminations graves que ce courrier + avait dû porter au pied du trône impérial. Il fut impossible + d'amener le roi à se trouver à Amsterdam le jour de l'entrée des + troupes. Du reste, il fut décidé par le roi que le général Bruno + prendrait le commandement des gardes et recevrait le maréchal à leur + tête; que toutes les autorités seraient présentes, que le + bourgmestre, M. Van-der-Poll, qui venait enfin de consentir à + reprendre son poste, ferait toutes les dispositions pour que la + ville eût dans cette grande circonstance l'attitude qu'elle devait + avoir, et qu'enfin une fête serait donnée aux soldats par la garde + et par les citoyens. L'amiral se proposait en me quittant de se + répandre dans <span class="pagenum"><a id="pagecxliii" name="pagecxliii"></a>(p. cxliii)</span> la ville où il est fort connu et + d'inspirer aux citoyens de toutes les classes les sentiments que + l'on devait avoir et montrer dans cette occasion si intéressante. + Cet avis de l'amiral me fut fort utile et le soir, aussitôt que + j'eus appris le retour de M. Van-der-Heim, je me hâtai de me rendre + chez lui. Je lui dis qu'il m'était revenu que le projet du roi était + de rester le 4 à son pavillon de Haarlem, et que je ne pouvais + croire à une détermination qui ôterait à la fête projetée toute la + grâce qu'il était si désirable pour tout le monde de lui donner. M. + Van-der-Heim me répondit que personne autour du roi n'en avait pensé + ainsi et que dans l'état de brisement où était son âme on n'avait + pas cru devoir lui demander encore ce sacrifice qui ne semblait pas + nécessaire pour le bon accueil des troupes; que sûrement le roi s'y + serait déterminé s'il l'eût cru aussi convenable que je le pensais. + Il m'objecta d'ailleurs que le roi, frère de l'empereur et + connétable de France, ne pouvait habiter une ville où il ne + commanderait pas, qu'il y aurait à tout moment conflit d'autorité, + et que Sa Majesté, qui ne serait pas maîtresse de la ville, ne + pourrait répondre des mouvements que la malveillance pourrait + chercher à y faire naître. Je répondis à M. Van-der-Heim que, comme + déjà je le lui avais dit, l'affaire du commandement et du mot + d'ordre était une affaire que je croyais facile à régler entre le + roi et le maréchal, et qu'assurément le roi pouvait, de la part du + maréchal, compter sur les respects et les égards qu'il était à tant + de titres en droit d'en attendre; qu'à la rigueur, si cet objet + présentait des difficultés que je ne prévoyais pas, le roi serait + toujours le maître, après avoir reçu le maréchal et les troupes dont + il est le connétable, de retourner à son pavillon pour y suivre ses + desseins et attendre le retour de son courrier. Je priai M. + Van-der-Heim de retourner cette nuit même à Haarlem ou d'y envoyer + quelqu'un de ses collègues pour représenter toutes ces choses au + roi, représentations qui, à la vérité, venaient de moi, puisque ce + cas n'avait pas été prévu par mes instructions, mais qui m'étaient + inspirées par le désir de voir les choses s'arranger au contentement + général et de la manière qui pourrait rapprocher davantage Sa + Majesté du cœur de son auguste frère. M. Van-der-Heim m'a promis + d'envoyer un courrier cette nuit. J'aurai la réponse dans la + journée. Je vais expédier M. de Caraman à Utrecht pour informer M. + le maréchal. Voici donc, Monseigneur, en résumé l'état des choses:</p> + +<p>«Il n'y aura point de résistance.</p> + +<p>«Les troupes seront reçues en triomphe par la garde, ayant le + général Bruno (Français) à sa tête, et par la bourgeoisie ayant à la + sienne son ancien bourgmestre.</p> + +<p>«Toutes les autorités seront présentes et en grand gala. Une fête + sera donnée aux troupes par la ville.</p> + +<p>«Je tâcherai d'obtenir plus, et surtout la présence du roi. Votre + <span class="pagenum"><a id="pagecxliv" name="pagecxliv"></a>(p. cxliv)</span> Excellence peut être assurée que j'en sens l'extrême + inconvenance et que je ferai tout ce qui pourra dépendre de moi pour + y déterminer Sa Majesté.</p> + +<p>«J'ai, Monseigneur, des excuses à faire à Votre Excellence pour + l'extrême désordre de mes dépêches, depuis ces quinze derniers jours + plus particulièrement, mais je suis obligé d'écrire beaucoup et en + courant, de sortir et de recevoir beaucoup de monde, et c'est à + peine si j'ai le temps de mettre quelque ordre dans mes idées. J'ai + besoin de toute votre indulgence et j'ose la réclamer.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—J'apprends à l'instant un fait que l'amiral de Winter n'a + pas voulu me dire, c'est que la cour a d'abord fort mal accueilli la + chaleur de ses conseils et l'a même assez maltraité, mais que ce + brave homme n'en a pas moins soutenu son noble rôle et ses efforts + pour sauver son pays et son roi du danger des premiers mouvements et + des résolutions irréfléchies. J'ai aussi beaucoup à me louer de M. + de Lagendorp, ancien ministre de la guerre.</p> + +<p>«Je n'ai pas encore de certitude sur ce que feront les + fonctionnaires publics, mais je crois à ce que j'ai annoncé. Je + verrai ce soir le bourgmestre. Je joins ici la pièce oubliée de + l'avant-dernier numéro.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 3 juillet 1810.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, chargé du + portefeuille des affaires étrangères, sort à l'instant de chez moi. + Il était en grand costume et couvert de tous ses ordres. Ce ministre + est venu m'annoncer que le roi avait abdiqué en faveur de son fils + aîné, et que l'acte de son abdication avait été adressé par Sa + Majesté au Corps législatif; que par cet acte la reine était nommée + régente, qu'un conseil provisoire de régence était nommé, qu'il + était composé en grande partie du ministère et des grands officiers; + que deux personnes de marque avaient été dépêchées en courrier, le + premier pour porter cette communication à Sa Majesté l'empereur, et + le second à la reine.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim m'assura que tout ce qui approche la personne du + roi avait tout tenté pour le détourner de cette détermination et + pour l'engager à paraître demain à Amsterdam et à remettre son + projet à un moment plus convenable; mais le roi était demeuré + inébranlable.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim m'annonça encore que le roi était parti cette nuit + sans prendre congé de personne, qu'on croyait qu'il avait traversé + Amsterdam et qu'il était allé se jeter aux pieds de l'empereur. Ce + ministre finit en me disant qu'il était chargé par la régence + provisoire <span class="pagenum"><a id="pagecxlv" name="pagecxlv"></a>(p. cxlv)</span> de me faire part de ce grand événement et de + me déclarer officiellement que le gouvernement et la nation se + remettaient entièrement et avec un abandon absolu à Sa Majesté + l'empereur et roi des destinées de la patrie.</p> + +<p>«J'ai répondu au ministre que je ne pouvais admettre la + communication qu'il voulait me faire sur une détermination qui, par + sa nature, était aussi grave et aurait exigé, à mes yeux, le + concours et l'assentiment de Sa Majesté l'empereur et roi, comme + chef de la famille impériale. M. Van-der-Heim me quitta en + protestant du profond respect et du dévouement de tous les membres + du conseil pour Sa Majesté impériale et royale, comme de leur + intention de se conformer à tout ce qu'elle jugerait propre à + assurer la tranquillité et le bien-être du pays.</p> + +<p>«J'apprends à l'instant qu'une triple proclamation vient d'avoir + lieu. La première est l'acte même d'abdication. On m'assure qu'elle + est conçue dans des termes tout à fait inconvenants; mais je ne puis + rien affirmer jusqu'à ce que j'aie la traduction. Je ne pourrai + peut-être pas me la procurer avant le départ de monsieur de Caraman + que je vais expédier à Votre Excellence en courrier; mais je viens + de l'engager à sortir une seconde fois pour la relire et en prendre + des notes qu'il portera à Votre Excellence; demain je lui en + enverrai le texte. La seconde renferme les adieux du Roi à son + peuple et l'invite à bien recevoir les Français. La troisième est du + conseil de Régence provisoire et prévient de son installation.</p> + +<p>«Depuis cet état de choses, Monseigneur, je ne me considère plus + comme accrédité auprès du gouvernement hollandais, et j'interromps, + dès ce moment, toutes mes communications avec lui.</p> + +<p>«J'informe par monsieur de Caraman le maréchal duc de Reggio de tout + ceci, et le préviens d'être prêt à tout événement, à arriver ici + avec sa cavalerie, si les circonstances exigeaient qu'il brusquât + son entrée. J'apprends que le peuple se précipite en foule pour lire + la triple proclamation. Je vais faire venir le bourgmestre, + l'inviter à veiller sur la ville et le rendre responsable des + désordres qui pourraient arriver cette nuit si la malveillance + pouvait chercher à tirer parti de cet état de choses.</p> + +<p>«Demain l'autorité militaire commencera; je recevrai monsieur le + maréchal et vais attendre en particulier les ordres de l'empereur.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 4 juillet 1810.</p> + +<p>«L'armée impériale a fait aujourd'hui à trois heures son entrée + triomphale à Amsterdam, ayant son maréchal à sa tête. Les choses se + <span class="pagenum"><a id="pagecxlvi" name="pagecxlvi"></a>(p. cxlvi)</span> sont passées très convenablement. Le maréchal fait + partir ce soir un de ses aides-de-camp porteur de cette bonne + nouvelle pour le ministre de la guerre, et j'en profite pour + informer également Votre Excellence. Demain j'aurai l'honneur de lui + donner des détails.</p> + +<p>«J'ai reçu ce matin de M. Van-der-Heim la communication dont copie + ci-jointe. Je n'ai pas cru pouvoir en accuser réception, non plus y + répondre. Je joins également ici le numéro du courant qui renferme + les différentes proclamations du gouvernement. Je n'ai point le + temps de les faire traduire, mais je suppose qu'on le pourra faire + dans les bureaux de Votre Excellence, et au besoin M. de Caraman en + pourrait donner la traduction.</p> + +<p>«La cour, la ville, le gouvernement, la nation entière, tout est aux + pieds de Sa Majesté l'empereur et roi, et implore sa clémence et sa + protection; j'attends les ordres de Sa Majesté impériale et les + directions de Votre Excellence.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p> +<p class="date">Amsterdam, 5 juillet 1810 (au soir).</p> + +<p>«Monseigneur, le roi étant parti sans dire à personne où il allait, + il circule dans le public de cette capitale les bruits les plus + étranges sur le lieu qu'il doit avoir choisi pour sa retraite. Les + agioteurs et les malveillants ont voulu accréditer l'absurde + nouvelle que Sa Majesté était passée en Angleterre, et les moins + déraisonnables en Amérique; mais je suis, de concert avec le + ministre de la police, occupé à détruire cette calomnie et même à la + recherche de ceux qui ont répandu de tels bruits.</p> + +<p>«Je viens d'écrire au ministre de la police que je désirerais + absolument savoir où le roi s'était retiré, avoir des détails sur la + santé de Sa Majesté, enfin des renseignements détaillés sur tout ce + qui s'est passé dans cette singulière circonstance.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">Amsterdam, 6 juillet 1810.</p> + +<p>«Sa Majesté impériale et royale a dû recevoir par M. le maréchal duc + de Reggio le détail de son entrée à Amsterdam, des honneurs civils + et militaires qui lui ont été rendus, des discours qui lui ont été + adressés et des dispositions généralement bonnes qui lui ont été + montrées. Cette circonstance vient à l'appui de ce que j'ai souvent + eu l'occasion de dire à Votre Excellence, que la nation est bien + disposée et <span class="pagenum"><a id="pagecxlvii" name="pagecxlvii"></a>(p. cxlvii)</span> facile à conduire, et que la direction + seule des affaires a été très mauvaise. La ville n'a jamais été plus + tranquille. À la première stupeur succède l'espoir que Sa Majesté + impériale et royale n'abandonnera plus une si bonne nation à + elle-même et qu'elle daignera la placer désormais sous sa protection + et sa direction la plus immédiate que possible. C'est le cri général + de toutes les classes et surtout du commerce. Si l'on rencontre + encore une crainte, c'est de ne pas obtenir à cet égard des + déterminations tout à fait définitives.</p> + +<p>«Le maréchal m'avait fait prévenir par son chef d'état-major de + l'heure où il se présenterait devant les portes. Je suis allé une + demi-lieue au-devant de Son Excellence, que je n'ai pas tardé à + apercevoir à la tête de son état-major et de sa cavalerie. Je suis + alors descendu de voiture, le maréchal a mis pied à terre et nous + sommes entrés dans une cabane de pêcheurs, au pied de la digue, où + nous nous sommes entretenus assez longuement sur l'état où j'avais + laissé la ville et celui où probablement le maréchal allait la + trouver, sur l'abdication et le départ du roi et l'impression que + cet événement avait produit, et enfin sur l'ensemble des affaires. + L'armée avait suspendu sa marche. Après avoir tout concerté pour le + mieux, le maréchal est remonté à cheval, je suis remonté en voiture, + et les troupes françaises ont fait leur entrée comme le portait le + programme. Le maréchal s'est montré particulièrement satisfait de la + conduite du lieutenant général Bruno et du bourgmestre.</p> + +<p>«L'avant-veille de son départ j'avais été averti que Sa Majesté + avait fait des questions sur ses voitures et que le grand écuyer lui + avait répondu dans une bonne intention qu'aucune n'était en état. Je + prévins le jour même le maréchal de cette circonstance par M. de + Caraman, quoique je susse que cet avis ne pouvait rien empêcher, + mais c'était tout ce que je pouvais. Le roi fit acheter une voiture + qu'il alla joindre vers une heure du matin à pied avec le général + Travers. La princesse Dolgorouki, qui habite une maison près du + château, ayant remarqué différents transports de portefeuilles, eut + l'éveil et vit le roi au moment où il traversait un petit fossé pour + aller gagner sa voiture. Personne ne sait positivement quelle route + a suivie Sa Majesté. On assure l'avoir vue au Gueldre, du côté + d'Arnheim; d'autres personnes parlent d'embarquement et d'Amérique.</p> + +<p>«Avant-hier une députation de la régence est allée complimenter le + jeune prince. M<sup>me</sup> de Boubers, sa gouvernante, dit à Son Altesse + royale qu'elle devait saluer, mais ne faire aucune réponse, et + défendit aux officiers attachés à sa personne de l'appeler autrement + que Monseigneur et Votre Altesse royale, jusqu'au moment où elle + aurait reçu des ordres de l'empereur.</p> + +<p>«Je prévoyais depuis quelques jours que quelque grande faute allait + être faite, et c'est pour la détourner qu'outre ce que je pouvais + faire de <span class="pagenum"><a id="pagecxlviii" name="pagecxlviii"></a>(p. cxlviii)</span> démarches officielles, j'avais envoyé à + Harlem l'amiral de Winter et quelques autres braves gens pour + combattre les mauvaises résolutions et donner de bons conseils. + J'avais fait plus; j'avais dit à M. Van-der-Heim, pour l'ébranler et + après avoir épuisé tous les moyens de persuasion, qu'il ne fallait + pas qu'il se fît illusion et que si des déterminations contraires à + la gloire du roi pouvaient prévaloir, jamais Sa Majesté l'Empereur + ne pourrait croire qu'elles eussent eu leur source dans le cœur + de son frère et du connétable de France, et que Sa Majesté en + attribuerait très naturellement le blâme à ses mauvais conseillers. + M. Van-der-Heim me répondit qu'il voyait où allait ce langage, qu'il + avait tout tenté pour amener le Roi à recevoir le maréchal et à + faire les choses comme il convenait, mais que cela fait, il + obéissait à son souverain en honnête homme et sans examiner s'il y + avait du danger attaché à l'exercice de ses devoirs. C'est, je + crois, le 30 juin ou le 1<sup>er</sup> juillet que M. Van-der-Heim me répondit + ainsi, et le Roi partit dans la nuit du 2 au 3 juillet.</p> + +<p>«Le secret de sa proclamation a été gardé par les ministres, et je + n'en ai pu avoir connaissance que lorsque déjà elle était affichée à + tous les coins de rue.</p> + +<p>«La lettre du Roi au Corps législatif est de sept pages et renferme, + dit-on, des choses très fortes. Ses membres se sont engagés par + serment à n'en donner aucune communication. On me l'a promise pour + ce soir ou demain matin: je l'enverrai tout de suite à Votre + Excellence.</p> + +<p>«Je vais dîner aujourd'hui avec le maréchal chez les magistrats de + la ville. J'ai déclaré que j'y paraîtrais comme Français et comme + particulier, mais sans caractère diplomatique.</p> + +<p>«Quelqu'un qui arrive à l'instant de Harlem m'assure que le Roi a + nommé un conseil d'administration avec pouvoir illimité pour vendre + et aliéner le mobilier de la couronne à Utrecht, Soesdyck, + Harlem-le-Loo, etc. Sa Majesté a rendu aussi un décret pour liquider + les deux millions qu'elle a empruntés sur ses domaines de + l'Ost-Frise. Le décret doit être communiqué demain et daté du 30 + juin. Je vais en prévenir M. le maréchal duc de Reggio pour que l'on + fasse suspendre jusqu'au retour des courriers.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—Je joins ici le numéro du courant qui renferme le détail + de l'entrée de nos troupes et de l'accueil qui leur a été fait. On + me fait craindre de ne pouvoir me procurer la copie promise de la + lettre du Roi. J'ai promis au maréchal de lui en donner un double si + je l'obtiens. On y remarque, m'assure-t-on, cette phrase: Je vais + mener le reste de mes jours une vie errante et fugitive. On croit + que Sa Majesté s'est dirigée du côté de Farmurigue. Il y a sur cette + côte beaucoup de navires américains.»</p> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagecxlix" name="pagecxlix"></a>(p. cxlix)</span> Dès que l'empereur connut l'abdication et le départ de +son frère, il ordonna au duc de Cadore de lui préparer un projet de +note à adresser au ministre des affaires étrangères de Hollande, le +baron de Roëll.</p> + +<p>Le duc de Cadore envoya le 5 juillet à Napoléon le projet +ci-dessous:</p> + +<div class="lettre"> +<p>«Dans ma note du... j'ai eu l'honneur de vous exposer quelle avait + été la conduite de la Hollande et combien elle avait nui à la cause + commune en se livrant à un commerce interlope contraire à ses + engagements avec la France, contraire au système que les ordres du + conseil d'Angleterre de novembre 1807 avaient forcé l'empereur + d'adopter, et je montrais à Votre Excellence comment cette suite + d'erreurs où la Hollande a été précipitée par l'Angleterre + nécessitait sa réunion à l'empire.</p> + +<p>«Cependant l'empereur, quoique bien convaincu que tel était l'unique + remède aux maux dont il se plaignait, a cédé aux vœux de son + auguste frère en concluant avec lui le traité du 16 mars qui + conservait l'indépendance de la Hollande et ne lui occasionnait que + les sacrifices indispensables pour le maintien du système et + l'intérêt de la cause continentale. Ce traité aurait pu atteindre + son but si ses clauses avaient été fidèlement observées. Mais aucune + condition n'a été remplie, excepté celles auxquelles le gouvernement + hollandais ne pouvait s'opposer, comme la cession de quelques + provinces qu'occupaient déjà les troupes françaises. De faibles + efforts ont été faits pour armer l'escadre promise et elle n'a pas + encore d'équipage: les cargaisons américaines n'ont été livrées qu'à + moitié et l'on a donné à leur place les prises des corsaires + français. Le commerce interlope a continué; des licences ont été + données pour le favoriser. Le gouvernement a montré le même esprit + de haine et d'opposition à la France. Il a cherché à rendre cette + disposition populaire; la populace de quelques villes a insulté les + soldats français, celle d'Amsterdam a insulté l'empereur, dans sa + livrée portée par le cocher de son ambassadeur, et cet attentat + commis en plein jour est resté impuni. Le chargé d'affaires de + France a été l'objet d'une modification offensante pour le souverain + qu'il représentait. L'aigle impériale, qui dans toute l'Europe est + reçue en triomphe, a été repoussée d'Harlem, insulte qu'aucun + souverain de la terre n'aurait pu faire impunément. Si ces griefs + multipliés ont justement indigné l'empereur, il a encore été plus + touché de la déplorable situation où se trouve la Hollande. Les + douaniers français y sont établis et les douanes françaises sont + fermées au commerce hollandais. Les uns éloignent toutes les + importations du dehors; celles-ci repoussent toute exportation de la + Hollande. La misère la plus profonde doit être le résultat de cet + état <span class="pagenum"><a id="pagecl" name="pagecl"></a>(p. cl)</span> de choses, et cet état ne peut être changé. Pour + l'intérêt de la Hollande, on ne peut sacrifier la cause du + continent. La révocation des ordres du conseil d'Angleterre aurait + pu seule rendre l'indépendance de la Hollande compatible avec + l'intérêt de la France et de l'Europe.</p> + +<p>«L'empereur, lorsque cet intérêt est si violemment blessé, lorsque + les peuples de Hollande éprouvent par leur isolement nécessaire une + si grande misère, ne peut donc tarder de prendre un parti. On + satisfait à toutes les convenances, remédie à tous les maux, celui + de la réunion de la Hollande à l'empire français. Une absolue + nécessité en impose l'obligation. Je dois donc faire connaître à + Votre Excellence que Sa Majesté s'est décidée à <i>rappeler auprès + d'elle son auguste frère</i> à qui les circonstances ont ôté la + possibilité de remplir l'objet pour lequel l'empereur l'avait élevé + sur le trône de Hollande et qui était si bien dans son cœur, + celui de faire le bonheur de la nation hollandaise, en servant les + intérêts de la France.»</p> +</div> + +<p>Cette note résume tous les <i>prétextes</i> saisis par l'empereur pour +expliquer l'annexion de la Hollande. Une des dernières phrases +explique pourquoi Napoléon fit tant d'efforts pour obtenir de son +frère qu'il revînt près de lui en France.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, le général Piré que j'ai envoyé ce matin à Harlem pour + présenter mes hommages au prince royal et me rapporter des nouvelles + de sa santé me rend compte que Son Altesse impériale jouit d'une + très bonne santé. Elle a beaucoup pleuré en apprenant le départ du + Roi, mais elle est tranquille maintenant et ne fait plus de + question.</p> + +<p>«On paraît croire à Harlem que le Roi a pris la route de Brême et + que son intention est de s'embarquer pour l'Amérique avec un + passeport anglais que Sa Majesté s'est procuré en envoyant il y a + quelque temps un officier à Londres.</p> + +<p>«Le général Travers accompagne Sa Majesté ainsi que le contre-amiral + Bloys avec un seul valet de chambre. On assure que le Roi a trompé + ces deux officiers, qu'ils ne savaient rien de ses projets avant son + départ.</p> + +<p>«Le Roi a emporté avec lui tout l'argent qu'il a trouvé dans les + caisses des différents services; on évalue la somme, tant en or + qu'en bijoux, à 600,000 florins, dont 250,000 florins en lettres de + changes<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a><a href="#footnote160" title="Lien vers la note 160"><span class="smaller">[160]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pagecli" name="pagecli"></a>(p. cli)</span> «Sa Majesté voyage dans une mauvaise voiture de poste du + pays.</p> + +<p>«Elle doit avoir fait, la veille de son départ, de fausses + confidences à presque tous les officiers de sa maison pour les + tromper sur les motifs de son absence, particulièrement à son grand + maréchal à qui elle a prescrit quelques dispositions pour sa + réception au palais de Loo, en lui faisant donner sa parole + d'honneur de n'en rien dire à personne.</p> + +<p>«On a reçu au palais de Loo un billet du général Travers qui + annonçait que Sa Majesté faisait un petit voyage et qu'elle + arriverait incessamment, et qu'on ne fût point inquiet. Ce billet + était sans date et sans désignation du lieu où il avait été écrit.</p> + +<p>«Le grand maréchal du palais et le grand écuyer assurent que les + ministres doivent avoir été prévenus la veille du départ du Roi, + attendu qu'un officier appelé Goty ou des Goty a remis dans la nuit + du 2 au 3 au ministre de la guerre et dans le conseil des ministres + qui était assemblé un mot du Roi ainsi conçu: «<i>Je pars, et au + moment où vous lisez ce billet je traverse Amsterdam.</i>» Sa Majesté + n'est point entrée en ville comme elle l'écrivait, mais l'a + seulement tournée.</p> + +<p>«Le Roi a été reconnu par un Juif à Naarden au moment où le général + Travers menaçait un postillon de le tuer s'il ne voulait doubler.</p> + +<p>«Il paraît que le Roi craignait d'être reconnu en relayant.</p> + +<p>«Un courrier venu d'Aix-la-Chapelle doit avoir été chargé par Son + Altesse impériale Madame Mère de dire au Roi: «<i>Dites à mon fils que + je ne lui écris pas parce que j'ai peur que vous ne soyez arrêté en + route</i>, mais que tout est prêt ici pour le recevoir et que j'espère + l'embrasser bientôt.»</p> + +<p>«Le Roi a donné ordre de vendre les propriétés qui lui appartiennent + et même quelques propriétés de la couronne pour payer ses dettes. + L'intendant de la couronne a déjà commencé ses opérations à cet + égard en vertu d'un décret antidaté.</p> + +<p>«Votre Excellence trouvera ci-joint copie de la lettre écrite par le + Roi au Corps législatif avant son départ.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—À l'instant où je fermais ma lettre, je reçois celle + incluse de M<sup>me</sup> de Boubers. Je vous prie d'assurer Sa Majesté de + tout mon zèle et de mes précautions en pareille circonstance. Je + vais même monter en voiture pour Harlem d'où j'aurai l'honneur de + ramener le Roi pour peu que cela me semble nécessaire. Quant à ses + besoins, j'y aurai pourvu de la manière qu'on doit attendre de mon + dévouement. Ci-joint une autre lettre du ministre de la police du + royaume de Hollande; c'est un Orangiste dont j'ai peine à obtenir + les renseignements qui me sont nécessaires.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pageclii" name="pageclii"></a>(p. clii)</span> <p class="center smcap">M<sup>me</sup> de Boubers à Oudinot.</p> +<p class="date">Harlem, 6 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, la situation dans laquelle je me trouve est très + embarrassante. J'attends avec la plus grande impatience les ordres + de Sa Majesté l'Empereur, auquel je vous prie de vouloir faire + connaître la position du prince.</p> + +<p>«Le palais de Harlem, dans lequel il demeure, doit être vendu, ainsi + que toutes les maisons que le Roi son père avait. Tous les mobiliers + d'Amsterdam, de Loo, d'Utrecht, etc., dans peu de jours; le prince + peut être sans asile; je ne pense pas que l'empereur souffre cela, + il est très nécessaire que Sa Majesté en soit informé le plus tôt + possible.</p> + +<p>«On me laisse avec le prince, sans le moindre argent pour lui, + n'ayant pas de quoi envoyer un courrier si la nécessité l'exigeait. + On dit les coffres vides, le Roi ayant emporté tout ce qu'il a pu. + Personne n'est payé ici depuis trois mois, et je ne serai pas + étonnée que d'un moment à l'autre on refuse de fournir la maison du + prince.</p> + +<p>«Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur ordonnerait que le prince + revînt en France, il me serait de toute impossibilité de faire le + voyage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir m'indiquer le moyen de + me procurer les fonds qui me seront nécessaires ou de demander à Sa + Majesté l'Empereur ses ordres à ce sujet.</p> + +<p>«Je n'ai pu entrer dans ces détails avec M. Pirée<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a><a href="#footnote161" title="Lien vers la note 161"><span class="smaller">[161]</span></a> que vous avez + envoyé au prince. Il était entouré de plusieurs personnes de la + cour; ne pouvant lui parler en particulier, j'ai pris le parti de + vous écrire pour vous informer de la situation du prince.</p> + +<p>«Quant aux précautions pour sa sûreté, le général de Bruno, mon + beau-frère, a pris toutes celles qu'il jugeait convenables; mais + dans ce moment c'est une grande responsabilité dont je sens toute + l'importance.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, j'ai déjà eu l'honneur de rendre compte à Votre + Excellence des différentes versions qui circulaient ici sur la + retraite du Roi. Celle qui s'accrédite le plus en ce moment est que + Sa Majesté se rend en Amérique; je n'ai point encore de certitude à + ce sujet, mais je fais faire toutes les diligences nécessaires pour + être bientôt à même de <span class="pagenum"><a id="pagecliii" name="pagecliii"></a>(p. cliii)</span> pouvoir faire connaître à Votre + Excellence le lieu où Sa Majesté s'est retirée.</p> + +<p>«Je viens d'avoir des nouvelles du Prince Royal; Son Altesse se + porte très bien; j'aurai l'honneur d'adresser tous les jours à Votre + Excellence le bulletin de sa santé.</p> + +<p>«L'esprit public de la ville d'Amsterdam est bon et la meilleure + harmonie continue à régner entre les troupes françaises et les + habitants.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 7 juillet.</p> + +<p>«Monseigneur, au reçu de la lettre par laquelle Votre Excellence me + fait connaître l'intention de l'Empereur pour le désarmement des + lignes d'Amsterdam, j'ai de suite donné l'ordre au commandant de + l'artillerie de faire les dispositions nécessaires pour enlever les + pièces qui s'y trouvent et les conduire à Anvers.</p> + +<p>«D'après un état d'armement que je me suis procuré de ces lignes, il + se trouvait au 6 de ce mois 215 pièces de différents calibres en + batteries, tant en bronze qu'en fonte. Des officiers sont occupés en + ce moment à en faire le relevé, que j'aurai l'honneur d'adresser à + Votre Excellence aussitôt qu'il me sera parvenu.</p> + +<p>«J'ai également donné l'ordre de faire démolir tous les ouvrages qui + ont été élevés contre nous.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">7 juillet.</p> + +<p>«Monseigneur, par le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à + Votre Excellence pour lui annoncer mon arrivée à Amsterdam, je l'ai + prévenu que j'avais accepté un dîner qui m'était offert par les + magistrats de cette ville. Ce dîner a eu lieu hier; je me suis rendu + avec tous les généraux, les colonels et officiers supérieurs des + corps et d'état-major. Les ministres, le corps diplomatique et les + chefs des diverses autorités civiles et militaires y avaient été + invités. Le bourgmestre Van-der-Poll qui le présidait en a fait les + honneurs aux Français avec les égards qu'il se plaît à leur marquer + dans toutes les circonstances. Il a été porté un toast à Leurs + Majestés Impériales et Royales qui a été accueilli avec enthousiasme + ainsi que celui de l'armée française. J'ai cru devoir en porter un à + la prospérité de la ville d'Amsterdam.</p> + +<p>«Cette réunion où une apparente cordialité a régné ne peut + qu'ajouter à la bonne opinion que j'ai déjà des magistrats qui + administrent cette ville seulement.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pagecliv" name="pagecliv"></a>(p. cliv)</span> <p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, Votre Excellence a dû voir par toutes les lettres que + j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis mon entrée à Amsterdam, que + je n'ai qu'à me louer, jusqu'à présent, des magistrats de cette + ville et du bon esprit qui anime ses habitants. J'ai donc cru + convenable d'adopter envers eux un système de conciliation que je + crois dans le sens des volontés de l'Empereur; si cependant il en + était autrement, je prie Votre Excellence de me tracer la règle de + conduite que je dois suivre pour remplir les intentions de Sa + Majesté.»</p> +</div> + +<p>Le 9 juillet, un décret impérial en douze articles ordonne la +réunion de la Hollande à la France et nomme le duc de Plaisance +lieutenant général de ce pays. Une circulaire dans ce sens est +envoyée aux divers représentants à Paris des puissances étrangères +pour leur expliquer les motifs qui ont nécessité l'annexion. Le +surlendemain, 11 juillet, M. de Hauterive reçoit l'ordre de partir +pour Amsterdam afin d'y prendre les papiers des relations +extérieures, les archives, et de les rapporter à Paris.</p> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 9 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, n'ayant pu jusqu'à présent avoir aucune communication + officielle avec le gouvernement provisoire institué par le Roi et + que je n'ai pas cru devoir reconnaître avant d'avoir reçu les ordres + de l'Empereur, j'ai pensé que l'état de crise dans lequel cet état + de choses pouvait jeter la capitale exigeait que je prisse la haute + main sur tous les militaires de ce pays et qu'aucun mouvement de + troupes hollandaises ne pût avoir lieu sans mon consentement; j'ai + écrit dans ce sens au ministre de la guerre et au gouvernement + d'Amsterdam pour leur faire connaître mes intentions à cet égard, de + manière que je devienne responsable moi-même des événements qui + arriveraient en attendant la décision ultérieure de l'Empereur, que + j'attends ainsi que le pays avec une grande impatience. Du reste + tout est calme et les fonds gagnent tous les jours.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">10 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, la Hollande est toujours dans le calme dont j'ai eu + <span class="pagenum"><a id="pageclv" name="pageclv"></a>(p. clv)</span> l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans mes + précédents rapports. Ce pays attend avec une grande impatience la + décision de son sort. La majeure partie des habitants croit à la + réunion et à voir consolider la dette au taux où elle est baissée. + Les autres demandent le maintien du gouvernement royal et la + confirmation d'une régence, mais non de celle qui existe; car les + personnages qui la composent sont pour la plupart accusés d'avoir + contribué à la situation actuelle des choses.</p> + +<p>«J'ai eu l'honneur d'aller hier saluer le Prince Royal; je l'ai + laissé bien portant. J'ai consenti à ne point faire transporter Son + Altesse royale à Amsterdam, tant à cause des justes observations que + m'a faites M<sup>me</sup> de Roubers sur la santé de Son Altesse royale que + sur ce que je me suis assuré qu'elle est convenablement à Harlem et + en sûreté. J'ai de Son Altesse royale une garde d'honneur française + qui a son poste au palais et un de mes aides de camp qui fait le + service de concert avec les officiers de la maison. Enfin cela se + passe avec les mesures qu'il fallait apporter en pareille + circonstance.</p> + +<p>«Les fonds n'ont pas varié depuis avant-hier, quoiqu'on ait fait + courir plusieurs bruits plus ridicules les uns que les autres.</p> + +<p>«Par ma dernière dépêche, j'ai mandé à Votre Excellence que je + mettais un régiment à Harlem, celui qui y était destiné viendra + occuper les trois villes les plus près d'Amsterdam, afin d'y être en + masse et comme réserve pour cette ville qui, quoique tranquille, a + besoin de savoir que nous sommes là.</p> + +<p>«Quand Sa Majesté l'Empereur voudra connaître les principaux + contrebandiers de ce pays, il me sera facile de les signaler, car + outre les renseignements que je m'étais déjà procurés tant sur leur + nom que sur la nature et la valeur approximative des affaires qu'ils + ont faites, c'est à qui des bons négociants viendra les dénoncer. Je + crois alors qu'une bonne contribution particulière frappée sur eux + ne serait pas une injustice.</p> + +<p>«Je pense que Votre Excellence n'aura pas manqué de faire connaître + à l'Empereur que l'abdication, les proclamations placardées et le + départ du Roi ont eu lieu avant mon entrée à Amsterdam, et que Sa + Majesté me rend assez de justice pour penser que si je fusse arrivé + à temps j'aurais intervenu et peut-être empêché l'exécution de cet + événement extraordinaire.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Clurke à Oudinot.</p> +<p class="date">10 juillet 1810.</p> + +<p>«Monsieur le Maréchal, j'ai déjà eu l'honneur d'informer Votre + Excellence par une dépêche que je lui ai adressée aujourd'hui par + courrier <span class="pagenum"><a id="pageclvi" name="pageclvi"></a>(p. clvi)</span> extraordinaire que, d'après un décret impérial + rendu à Rambouillet le 9 juillet, la Hollande se trouve dès ce + moment réunie à la France.</p> + +<p>«Je joins ici, Monsieur le Maréchal, ampliation de ce décret + impérial, afin de mettre Votre Excellence à portée de connaître les + dispositions que Sa Majesté impériale et royale a déterminées + provisoirement relativement à l'administration de cette portion de + l'empire.</p> + +<p>«Votre Excellence verra par l'article 5 que l'Empereur a nommé M. le + duc de Plaisance, architrésorier de l'empire, son lieutenant + général, et que Son Altesse impériale doit se rendre en cette + qualité à Amsterdam. Vous voudrez bien, en conséquence, Monsieur le + Maréchal, prendre les ordres de Son Altesse seigneuriale le prince + architrésorier, en sa qualité de lieutenant général de l'Empereur, + pour tout ce qui aura rapport au service de Sa Majesté dans + l'étendue de votre commandement.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Zapffel, chef de bataillon, aide de camp de Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 11 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, j'ai remis hier à dix heures du soir au maréchal duc + de Reggio les dépêches que Votre Excellence m'avait données pour + lui. Je profite du départ d'un aide de camp du maréchal pour vous + donner le peu de renseignements que j'ai pu me procurer jusqu'à + présent. Tout est tranquille en Hollande et principalement à + Amsterdam. Le Prince Royal est à Harlem avec une garde d'honneur + composée d'une compagnie d'élite du 16<sup>e</sup> de chasseurs, sous le + commandement d'un aide de camp du maréchal qui ne perd pas de vue + Son Altesse royale.</p> + +<p>«Le lieu de la retraite du Roi est encore inconnu. Les uns disent + qu'il est parti pour l'Amérique et qu'il s'est embarqué à + Bremen-Lech, les autres assurent qu'il est en Westphalie. Le + ministre de la police dit que Sa Majesté a été vue le 6 à Hanovre. + Le bruit court aussi que le Roi doit avoir une entrevue avec Madame + Mère. Il a emporté tout l'argent qui se trouvait dans les caisses + publiques et pour une très forte somme de lettres de change. Le + ministre de Krayendorf a disparu; on dit qu'il s'est embarqué pour + l'Angleterre. M. le Maréchal s'occupe de le trouver. Il paraît que + l'opinion générale de Hollande n'est pas contraire à la réunion.</p> + +<p>«Ce qui leur déplaît, c'est l'incertitude où ils sont sur leur sort + futur. Ils paraissent aussi craindre le système de la conscription; + ils demandent également si l'Angleterre continuera à leur payer les + intérêts des fonds qu'ils y ont placés et les intérêts se montent, + dit-on, à 40 millions de florins par an.</p> + +<p>«Je n'ai pas encore vu M. Serrurier. L'aide de camp du maréchal + <span class="pagenum"><a id="pageclvii" name="pageclvii"></a>(p. clvii)</span> part à l'instant et je n'ai que le temps de vous + renouveler l'assurance de mon respectueux et bien sincère + attachement.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 11 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, la surveillance sur la côte a été observée avec autant + de scrupule que Sa Majesté peut l'avoir désiré, et qui que ce soit + n'est allé en mer, à ma connaissance, depuis le départ du Roi, à + moins que ce ne soit l'ex-ministre de la guerre, Krayenhof, que je + cherche partout et que je ne puis découvrir, mais sur lequel je n'ai + d'autres indices, sinon qu'il serait depuis plusieurs semaines sur + les côtes pour y travailler à sa carte qu'on sait qu'il levait au + nom du Roi. Je n'ai tant cherché ce fonctionnaire que parce qu'il + passe pour un homme perfide et ennemi de la France, qu'enfin j'ai + toujours supposé que l'Empereur le poursuivrait un jour pour sa + conduite pendant son ministère; au reste, s'il est encore en + Hollande, je ne puis manquer de le découvrir, car j'y ai des + intelligences partout.</p> + +<p>«Ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence par mes + dépêches successives, le Prince Royal est en sûreté et se porte + bien; Son Altesse royale est traitée en prince de sa maison et à la + disposition exclusive de l'Empereur.</p> + +<p>«Je n'ai pas manqué de rassurer le pays par tous les moyens qui sont + en moi et qui peuvent l'amener à voir la réunion d'un œil + tranquille. J'ai constamment parlé dans ce sens, par conséquent dans + celui que vous m'ordonnez au nom de l'Empereur, j'ose même assurer + que ces précautions ont eu leur utilité et que <i>si ce n'est chez les + personnages en places, qui ont peur de les perdre, on trouvera des + applaudissements</i>.</p> + +<p>«Sa Majesté sait sûrement qu'il n'a pas dépendu de moi d'empêcher + que les proclamations du Roi, qui exprimaient si singulièrement ses + dernières volontés, ne fussent rendues publiques, puisque c'est le 3 + qu'il les a fait lui-même placarder dans Amsterdam et mettre dans + les journaux, tandis que je ne suis entré que le 4, mais aussitôt + entré, je me suis occupé à faire arracher ce qui ne l'était pas + encore.</p> + +<p>«Les derniers renseignements que j'ai obtenus sur la marche du Roi, + c'est qu'il aurait traversé le 6 la ville de Hanovre, ce qui me fait + espérer qu'il se retire à Cassel où certains personnages d'ici + assurent qu'il était attendu.</p> + +<p>«L'embargo existe en Hollande depuis que j'y commande, je pense que + celui que vous m'ordonnez ne s'étend pas aux pêcheurs qui, au reste, + sont surveillés, mais qu'on ne pourrait, ce me semble, empêcher de + faire ce métier, sans un grand préjudice, à cette classe nombreuse + <span class="pagenum"><a id="pageclviii" name="pageclviii"></a>(p. clviii)</span> qui n'existe que par ce moyen, cependant je désire à + cet égard une explication de Votre Excellence. On est occupé du + désarmement et de l'importation des pièces; le pays n'a point donné + des signes de mécontentement à cet égard, seulement le ministre de + la guerre a réclamé, et je n'ai, bien entendu, tenu aucun compte de + sa protestation, qu'il ne faisait, au reste, que parce qu'il pense, + que la mesure est de mon invention.</p> + +<p>«Les fonds ont haussé d'une manière sensible à la bourse d'hier.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p> +<p class="date">Amsterdam, 12 juillet.</p> + +<p>«Monseigneur, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, à midi seulement, la + lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser pour + m'annoncer que Sa Majesté l'Empereur avait nommé Son Altesse + seigneuriale le prince architrésorier son lieutenant général en + Hollande, et que l'intention de l'Empereur était que le prince + trouvât partout sur son passage des escortes de cavalerie, depuis + Nimègue jusqu'à Amsterdam. À la réception de la lettre de Votre + Excellence, je me suis empressé de donner des ordres pour + l'exécution des dispositions qu'elle m'a transmises. Comme je n'ai + pas de cavalerie au-delà d'Utrecht, je crains fort que les + détachements que j'ai fait commander ne puissent arriver à temps + pour escorter Son Altesse à son départ de Nimègue; cependant j'ai + ordonné que la troupe mît la plus grande diligence dans sa marche, + afin de se conformer aux désirs de Sa Majesté.</p> + +<p>«Votre Excellence peut être persuadée que tout sera disposé au delà + d'Utrecht pour rendre au prince les honneurs dus à son rang.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">12 juillet 1810.</p> + +<p>«Si l'on en doit croire les entours du Roi, personne autre que les + compagnons de sa fuite n'a été dans la confidence de Sa Majesté, et + tout le monde prétend y avoir été trompé. Beaucoup de MM. les gens + de la cour qui caressaient lâchement les faibles et les erreurs du + Roi l'accusent aujourd'hui avec la même lâcheté, et c'est à qui + renchérira de détails et de chefs d'accusation: ces messieurs sont + fidèles à leur caractère.</p> + +<p>«Il est certain que le Roi avait fait de fausses confidences à ses + officiers, telles que son projet d'aller au Lao, où il avait fait + tout disposer pour le recevoir, et à Aix-la-Chapelle où il s'était + fait annoncer <span class="pagenum"><a id="pageclix" name="pageclix"></a>(p. clix)</span> et qu'il a exécuté son dessein avec une + profondeur de secret dont on n'eût pas cru Sa Majesté capable. On + assure que deux ou trois de ses ministres au plus ont été dans la + confidence; cela me paraît difficile. Mais au moins aucun + fonctionnaire, douteux pour la cour et surtout du parti français, + n'a été admis au secret. J'aurais pu être informé par eux seuls, car + pour les moyens d'argent, cet agent excellent pour arracher les + secrets de bureau n'aurait pu prendre sur des hommes de parti et sur + des ministres, sans doute égarés au moins, mais honnêtes gens hors + de là et supérieurs à de pareilles séductions. Puis la cour était à + Harlem, et l'on avait su, par autorité ou par peur, éloigner encore + une fois de moi tout ce qui aurait pu m'instruire. Cet extravagant + projet d'abdication sans le concours de Sa Majesté impériale et + royale et le scandale de la proclamation n'avaient dû ni pu entrer + dans la pensée de personne, et avec tous j'y ai été pris au + dépourvu. J'ose penser que de beaucoup plus habiles ministres + l'auraient été également, et je crois avoir fait dans cette + circonstance tout ce qui était humainement possible pour détourner + le Roi de mauvaises résolutions et pour lui faire inspirer celles + que je croyais conformes à sa gloire et à son intérêt. J'ai eu le + bonheur d'obtenir du reste tout ce que j'avais été chargé de + demander, mais l'esprit du Roi était hors de ma portée et de mon + pouvoir.</p> + +<p>«Quand j'ai été instruit, il était trop tard pour rien empêcher. Le + mal était fait. J'aurais inutilement montré du ressentiment et mes + cris d'effroi, et j'aurais compromis mon autorité sans rien arrêter. + J'ai préféré en laisser l'odieux à la cour, la responsabilité aux + ministres et me borner à déclarer froidement que mes fonctions + avaient cessé jusqu'au retour de mon courrier.</p> + +<p>«Le résultat de tant de fautes est que le mot de réunion s'articule + enfin tout haut à Amsterdam. C'est par le commerce que ce vœu + commence à se prononcer. Longtemps comprimée par le respect + qu'inspirait une autorité émanée du trône impérial, l'autorité + affranchie par le départ du Roi commence à s'énoncer avec force et + liberté, et, pour peu qu'elle reçoive d'encouragement, elle + deviendra un cri général. Ce n'est pas qu'il n'y ait en Hollande un + sentiment profond de la patrie et un regret amer de ne pouvoir plus + former une nation, mais les gens raisonnables se demandent où est + cette patrie? et ils ne la trouvent ni dans cette marine + hollandaise, jadis si puissante, aujourd'hui nulle, ni dans l'armée + réduite à 10,000 hommes et bientôt sans recrutement, ni dans ses + institutions dégénérées, ni dans ses mœurs si différentes de + celles des premiers confédérés d'Utrecht, ni surtout dans aucune des + circonstances intérieures et extérieures de cet État, et qui lui ont + valu, dans le passé, une épisode brillante, mais passagère, de + prospérité. C'est l'intérêt qui forme les sociétés politiques, et + c'est lui qui les dissout; et c'est parce que les Hollandais ne + trouvent plus dans leur parti social la sûreté, la <span class="pagenum"><a id="pageclx" name="pageclx"></a>(p. clx)</span> + protection et les grands avantages qu'il leur garantissait autrefois + qu'ils sont amenés à en désirer la dissolution et à souhaiter + d'entrer dans cette grande famille qui présente aujourd'hui, + par-dessus toutes les autres, cet attrait et cette garantie à ses + voisins. Beaucoup de négociants sont venus me parler dans cet + esprit. J'ai applaudi à leur zèle et au sentiment juste qu'ils me + montraient de l'état réel de leur patrie. Je leur ai répondu que + j'ignorais l'accueil qu'un pareil vœu recevrait de mon souverain, + mais que j'étais assuré que, quelque décision qui lui fût à cet + égard inspirée par l'intérêt de son empire, Sa Majesté impériale + n'apprendrait jamais sans satisfaction le nom des étrangers qui + plaçaient leurs espérances dans sa protection. J'attendrai pour + répondre plus positivement les instructions de Votre Excellence, et + sur toutes choses j'aurai l'honneur de me concerter avec M. le + maréchal duc de Reggio.</p> + +<p>«Je viens de dire, Monseigneur, que l'intérêt bien entendu était le + principe qui déterminait le sentiment d'une nation sur son + institution, et j'ai expliqué par là comment c'est aujourd'hui le + commerce qui exprime le premier ce vœu de réunion. Je n'ai pas + pour cela prétendu dire qu'il n'y eût pas de nobles exceptions à + cette loi de l'intérêt, et je n'en avais pas besoin, puisque les + exceptions n'ont jamais détruit un principe. Oui, sans doute, il est + partout des âmes privilégiées parmi les hommes qui, indépendamment + de tout calcul, tiennent à leur patrie par un aveugle, mais noble + instinct, et la Hollande, malgré son esprit mercantile, renferme + encore de nobles citoyens. Mon avis est qu'il faut les admirer et + les acquérir, mais qu'ils ne changent rien aux calculs généraux que + l'on doit faire sur une nation.</p> + +<p>«Le nivellement des lignes et l'évacuation du matériel de + l'artillerie sur Anvers ne rencontrent aucune difficulté. Le + ministre de la guerre a d'abord fait quelques représentations, mais + le maréchal n'a pas tardé à lui faire expédier les ordres + nécessaires à cette opération. Tout le monde voit avec plaisir la + destruction de ces lignes, source de tant de chagrins et de fautes. + Elles furent commencées en 1787, à l'occasion des Prussiens qu'elles + n'arrêtèrent pas, et il a fallu la démence de don Quichotte + Krayenhoff pour imaginer qu'elles dussent arrêter les aigles + impériales. Amsterdam ne demande qu'à rester la première banque de + l'Europe et à se livrer tout entière, à l'ombre d'une grande + puissance, à son industrie et à son commerce.</p> + +<p>«Les ministres s'abstiennent de tout acte de régence, et le maréchal + les tient en respect.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—Le ministère de la police se prétend instruit que le Roi a + passé à Hanovre le 6. Depuis là, la trace de Sa Majesté est + incertaine. Quelques-uns prétendent qu'il se rend par Lumbourg à + Altona où les embarquements pour l'Amérique sont faciles. Peut-être + en saurai-je plus demain.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pageclxi" name="pageclxi"></a>(p. clxi)</span> <p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">13 juillet 1810.</p> + +<p>«J'ai reçu hier à midi le courrier que Votre Excellence m'a fait + l'honneur de m'expédier de Rambouillet le 9 de ce mois. J'ai fait + part aussitôt à M. le maréchal duc de Reggio des grandes + dispositions que votre dépêche renferme.</p> + +<p>«De concert nous avons vu les principaux fonctionnaires et nous + sommes satisfaits de la disposition d'esprit dans laquelle le décret + de réunion a été reçu. Déjà comme Votre Excellence le verra par mon + numéro d'hier, le vœu commençait à s'exprimer hautement pour la + réunion, et la nouvelle en a été fort bien accueillie. La réunion + est aujourd'hui considérée par les esprits froids comme le port de + salut de la Hollande, et si l'on a un regret, c'est qu'elle n'ait + pas eu lieu quelques années plus tôt, mais alors les événements + n'étaient pas encore mûrs.</p> + +<p>«Je me suis présenté hier soir chez M. Van-der-Heim; j'y retournerai + ce matin pour concerter tout ce qui a rapport à l'arrivée de + monseigneur l'architrésorier. Le maréchal a donné des ordres pour la + réception de Son Altesse, et nous irons dans sa voiture à une + demi-lieue au-devant d'Elle.</p> + +<p>«Le bourgmestre continue de se conduire fort bien. Il a mieux reçu + que je ne m'y attendais la nouvelle de la réunion. Je savais qu'il + craignait d'en être considéré par ses compatriotes comme + l'instrument. Le maréchal a été également fort content de lui à + cette occasion. M. Van-der-Poll fait toutes ses dispositions pour + bien recevoir le prince. Son exemple a de l'autorité dans Amsterdam + et entraînera toute la magistrature. Je croirais d'un bon effet que + Sa Majesté impériale et royale jugeât devoir faire quelque chose + pour ce magistrat.</p> + +<p>«Le commerce est satisfait. L'article 2, qui déclare Amsterdam la + troisième ville de l'empire, flatte l'orgueil national et adoucit le + chagrin de cesser de former une nation. La mesure de 50 % sur les + denrées coloniales en les laissant aux propriétaires a beaucoup + tranquillisé le commerce et contente tout le monde. Elle donnera + beaucoup au fisc et personne ne s'en plaindra.</p> + +<p>«L'article de la rédaction blesse cruellement les propriétaires de + rentes, mais cette mesure était devenue inévitable. On en gémit plus + qu'on ne s'en plaint, et la certitude de payements réguliers aidera + à adoucir cette plaie. Il faut s'attendre qu'elle produira un vide + sensible dans les contributions à venir, mais l'intention de + l'Empereur étant de les réduire, cet inconvénient sera moins + sensible.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageclxii" name="pageclxii"></a>(p. clxii)</span> «Les Hollandais sont également très frappés de la + magnifique représentation que Sa Majesté impériale leur accorde dans + les trois grands corps de l'État; ils ne s'attendaient pas à plus de + moitié. Cette disposition fait plus de bien encore qu'on n'en avoue. + Elle ouvre la porte à bien des ambitions et à bien des espérances + qui n'osent pas encore éclater parmi les regrets de la patrie, mais + qui germent déjà profondément.</p> + +<p>«En général, tout le monde s'accorde à admirer les sages + dispositions de ce décret de la réunion si promptement conçu et + arrêté.</p> + +<p>«Votre Excellence peut compter sur mon empressement à aider Son + Altesse l'architrésorier de l'empire de ce que je puis avoir acquis + de connaissance du pays et des personnes.</p> + +<p>«Je rendrai un compte journalier à Votre Excellence, comme elle le + demande. Je suis fort aise d'apprendre qu'une estafette va être + établie de Paris à Amsterdam. Elle portera à Votre Excellence un + bulletin de tous les jours. Jusque-là, il n'a pas dépendu de moi que + mes dépêches parvinssent rapidement à Votre Excellence, je ne + pouvais que les envoyer au quartier général et les recommander + fortement.</p> + +<p>«Le cœur de l'amiral de Winter saigne. Ce brave homme regrette + que les fautes de son gouvernement aient amené la réunion de son + pays, et il croyait encore à la possibilité de lui conserver une + administration séparée et de la rattacher inséparablement à la + France. Du reste, c'est un intrépide soldat, un Français de système + déjà depuis quinze ans, admirateur enthousiaste de l'Empereur, et + qui sera consolé quand il verra son pays heureux sous les lois d'un + si grand prince. C'est un de ces hommes dont je parlais hier à Votre + Excellence. Le maréchal le juge comme moi.</p> + +<p>«Je ne réexpédierai mon courrier que ce soir à Votre Excellence. Je + désire pouvoir lui faire connaître les dispositions que le ministère + m'aura montrées, mais je ne doute pas que tant de clémence ne les + touche profondément.</p> + +<p>«J'interromps ma dépêche.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim sort de chez moi. Il était fort ému; il m'a dit + qu'il n'attendait que sévérité de la part de Sa Majesté impériale, + et que le ministère n'en éprouvait, au contraire, dans ces + circonstances si pénibles pour tous, que des marques de grandeur et + de générosité. Il n'avait pas d'expression pour me rendre combien il + était frappé et touché de la grandeur d'un pareil traitement. Tous + ses collègues partageaient ses sentiments et sa reconnaissance. Ils + feront tout, m'a dit M. Van-der-Heim, pour justifier l'estime que Sa + Majesté impériale daigne leur montrer. Tout le monde interroge M. + Janssens et sort charmé de ses réponses.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="pageclxiii" name="pageclxiii"></a>(p. clxiii)</span> «Le palais est préparé pour recevoir le prince + architrésorier, et M. Van-der-Heim m'a dit que le conseil avait + décidé de faire rendre à Son Altesse seigneuriale les plus grands + honneurs qui soient à accorder.</p> + +<p>«Un courrier du prince, descendu chez le maréchal, lui annonce sa + prochaine arrivée. Je dîne chez M. le duc, et, aussitôt que nous + serons avertis de l'approche de Son Altesse seigneuriale, nous + monterons en voiture pour aller au-devant d'elle.</p> + +<p>«M. Van-der-Heim m'a dit qu'il avait eu ici des nouvelles de Hanovre + du Roi; que sa santé était à cette époque bonne; qu'on le supposait + dans le voisinage; que le Roi témoignait le désir d'apprendre si les + Français avaient été bien reçus et si ses ordres à cet égard avaient + été remplis; qu'il ne croyait pas, lui ministre, à un embarquement, + et que Sa Majesté avait, lors de l'abdication, montré à la vérité le + désir d'être en Amérique, mais une juste répugnance à courir la + chance d'être amené en Angleterre. M. Van-der-Heim ajouta avec + sensibilité que le dernier vœu, mais bien ardent de ses anciens + sujets, était que Sa Majesté impériale pût lui pardonner et le + rapprocher d'elle. Il persista dans l'opinion que le Roi n'était + point embarqué; mais je ne pus en obtenir l'aveu qu'il connût le + lieu de sa retraite.</p> + +<p>«Je verrai ce soir et demain beaucoup de fonctionnaires, de + militaires et de négociants, et je remplirai les intentions de Sa + Majesté impériale et royale. La garde est enchantée.</p> + +<p>«<i>P.-S.</i>—On a répandu ici le bruit que Sa Majesté l'Empereur, + indigné des faux rapports qui lui avaient été faits par M. de + Larochefoucauld sur la Hollande, l'avait fait arrêter et conduire au + Temple. Je ne rends compte à Votre Excellence de ce bruit ridicule + que parce qu'il a occupé hier et avant-hier tout Amsterdam.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p> +<p class="date">14 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, l'architrésorier de l'empire est arrivé ce matin; le + maréchal duc de Reggio a fait rendre à Son Altesse seigneuriale tous + les honneurs dus au lieutenant général de Sa Majesté l'Empereur et + Roi, et le gouvernement provisoire avait de son côté fait les + dispositions pour bien recevoir Son Altesse. Le bourgmestre et le + président des ministres l'ont complimentée. Son Altesse a paru + satisfaite de sa réception. Elle est descendue au palais.</p> + +<p>«J'ai reçu ce matin, par un courrier extraordinaire de M. le comte + de Lavalette, l'annonce du décret impérial du 10 de ce mois, qui + ordonne l'établissement d'un service journalier en estafette de + Paris à Amsterdam et d'Amsterdam à Paris. Ce courrier était la + première expédition, et désormais ce service ne souffrira plus + d'interruption. J'ai <span class="pagenum"><a id="pageclxiv" name="pageclxiv"></a>(p. clxiv)</span> fait parvenir sur-le-champ au + prince architrésorier les dépêches qu'elle m'a apportées pour lui. + J'ai aussi fait remettre celle qui était à l'adresse de M. le + maréchal duc de Reggio. L'expédition de l'estafette se fera + désormais de chez le prince.</p> + +<p>«Parmi le tumulte des premières présentations je n'ai pu encore + entretenir bien sérieusement le prince. Je dois ce soir me rendre + chez Son Altesse, après l'expédition de l'estafette, pour parler + affaire avec un peu plus de suite.</p> + +<p>«J'ai annoncé à Son Altesse l'arrivée de M. d'Auterive, chargé d'une + mission spéciale de Sa Majesté impériale. Je proposerai ce soir au + prince les moyens les plus propres à assurer le succès de son + opération. Si des papiers ont dû être soustraits, l'enlèvement en + aura été fait dans ces huit premiers jours, mais ce qui existe sera + conservé, et peut-être sera-t-il possible de retrouver la trace de + ce qui a été enlevé. Je ne puis encore rien garantir à cet égard.</p> + +<p>«La seule affaire importante dont j'ai trouvé le moment de parler au + prince a été le moyen que j'imagine le meilleur pour arriver à la + trace du Roi. M. de La Tour, son médecin, a reçu de M. Van-der-Heim + l'ordre de joindre Sa Majesté. Mais, soit scrupule envers la France, + soit timidité ou tout autre motif, il a refusé jusqu'ici de partir. + M. de La Tour a l'ordre de se rendre à un point quelconque où il + recevra de nouveaux ordres qui le conduisent jusqu'au roi. En + faisant partir le médecin et en le faisant suivre, on trouverait + sûrement la trace de Sa Majesté, à moins que la défiance ne l'ait + fait renoncer à son docteur et changer les indications données. Le + prince archichancelier est entré dans cette idée. Son Altesse a dit + à M. de La Tour que son opinion était que Sa Majesté l'empereur ne + trouverait pas mauvais que le médecin du roi l'attachât à ses pas, + et son projet est de le faire suivre.</p> + +<p>«J'ai causé ce matin avec les principaux personnages et les + ministres. Tout le monde a plus ou moins pris son parti, et toutes + les espérances se trouvent du côté du nouvel ordre de choses. Les + ministres m'ont dit que tout était facile à arranger, excepté les + finances. Leur opinion était que le service de ces six derniers mois + d'exercice provisoire présenterait les plus extrêmes embarras. Ils + se proposaient d'en rendre immédiatement compte au prince + architrésorier.</p> + +<p>«La ville est parfaitement tranquille, et c'est à peine si l'on + s'aperçoit que le pays a changé de domination. Le maréchal a donné + les ordres pour l'embargo et pour empêcher l'émigration.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p> +<p class="date">14 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, le ministre de la marine, président du Conseil des + <span class="pagenum"><a id="pageclxv" name="pageclxv"></a>(p. clxv)</span> ministres, questionné par quelqu'un sur la retraite du + roi, a déclaré qu'il croyait Sa Majesté à Hanovre; sur l'observation + qui lui fut faite que le bruit était généralement répandu dans le + public que Sa Majesté s'était embarquée pour l'Amérique, il répondit + qu'au moment de l'abdication on avait agité dans le Conseil des + ministres la question de savoir où il serait convenable que Sa + Majesté se retirât et, qu'entre autres opinions émises à cet égard, + quelqu'un avait parlé de l'Amérique. Sur quoi le roi avait dit: + «<i>Ah! oui, je voudrais bien être en Amérique.</i>» Mais que l'idée de + la possibilité d'être pris en mer par les Anglais et conduit à + Londres l'avait empêché de s'embarquer et décidé à se retirer à Loo. + Un courrier, expédié au roi par le président de la Régence, s'étant + rendu dans ce château et n'ayant point trouvé Sa Majesté, a si bien + suivi la trace de sa route qu'il l'a atteint à Hanovre où il lui + avait remis ses dépêches. Ce courrier a rapporté que Sa Majesté se + portait bien, qu'elle avait demandé avec beaucoup d'intérêt des + nouvelles de la Hollande et des détails sur la réception des + Français à Amsterdam.</p> + +<p>«Le ministre de la marine a déclaré qu'il n'avait pas de raison de + croire que Sa Majesté avait quitté Hanovre.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p> +<p class="date">Amsterdam, 14 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, S. A. le prince architrésorier de l'empire est arrivé + ce matin en bonne santé. Elle a reçu partout les honneurs dus à son + rang. Elle n'a point tenu la route de Nimègue, ainsi que Votre + Excellence me le mandait, mais bien celle de Mardick et par Gauda.</p> + +<p>«On a remarqué avec satisfaction la garde nationale sous les armes + mêler ses témoignages à ceux des troupes françaises et + ex-hollandaises, ce qui signifie, ainsi que je l'ai prédit, que le + pays sera bientôt à l'unisson des Français. Le bourgmestre, M. Van + der Poll, homme essentiel dans son poste, qui n'a cessé de donner + des garanties sur ses sentiments pour l'empereur, n'a réaccepté son + emploi qu'ensuite de la promesse qu'il pourrait obtenir sa démission + après quinzaine. Il demande qu'on lui tienne parole, mais je compte + insister près du prince pour que ce magistrat respectable soit de + nouveau invité à continuer ses fonctions. Il établit sa demande sur + sa mauvaise santé. Le véritable motif est qu'il n'est pas assez + courageux pour résister aux apostrophes que lui font les Orangistes + de s'être abandonné au système français, qu'enfin il voudrait en se + retirant à la campagne y jouir du repos qu'il réclame.</p> + +<p>«Si l'empereur, dont on apprécie tous les bienfaits de son décret en + faveur de la Hollande, pouvait donner l'espoir d'une visite dans + cette nouvelle partie de son empire, cela donnerait l'élan qu'il + faut pour le <span class="pagenum"><a id="pageclxvi" name="pageclxvi"></a>(p. clxvi)</span> napoléoniser entièrement. Au reste, la + tranquillité règne et personne, je pense, n'osera la troubler.</p> + +<p>«M. le duc de Plaisance étant chargé de l'organisation du pays et + des finances, je crois qu'il serait désormais superflu de m'en + occuper et d'entretenir Votre Excellence d'autres choses que du + militaire.</p> + +<p>«M. le général comte de Lauriston, aide de camp de l'empereur, + recevra, ce matin, Son Altesse le grand-duc, qui sera ensuite + conduit à Amsterdam. Ce prince trouvera ici les mêmes honneurs qu'à + Harlem.</p> + +<p>«Je ne puis m'empêcher de réitérer à Votre Excellence une demande de + quatre généraux de brigade et deux ou trois adjudants-commandants, + de quelques officiers d'état-major et du génie, et enfin d'un + service en chef de santé, et de demander M. le général Maison pour + une de mes deux brigades vacantes et les adjudants-commandants + désignés par mes précédentes; tous sont dans leurs foyers, quand je + pourrais les employer ici utilement.</p> + +<p>«On est occupé à faire la reconnaissance des îles désignées par la + lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 9 de + ce mois. Ci-joint un mémoire sur celle de Schouren dont je vous ai + adressé un exemplaire dans les temps; l'auteur mérite un certain + crédit.</p> + +<p>«Demain je passe en revue la garde et le jour suivant celle de deux + régiments de ligne. Cette troupe prêtera le serment et d'avance je + garantis de l'enthousiasme.</p> + +<p>«Maintenant, mon cher duc, que les intentions de l'empereur seront + remplies relativement à ce pays, ne pourriez-vous pas solliciter en + ma faveur un congé de vingt à vingt-cinq jours? il m'en faudrait 10 + pour l'aller et le retour et le reste pour arranger mes affaires qui + sont en si mauvais état, faire lever les scellés et enfin prendre de + nouveaux termes avec mes créanciers qui me persécutent et troublent + mon repos. Voyez, je vous prie, si vous voulez me rendre ce + service.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p> +<p class="date">14 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, M. le général Lauriston s'est rendu ce matin à Harlem, + près de S. A. S. le grand-duc de Berg, qui lui a été remis par M. le + général Bruno. Toutes les dispositions prescrites par la lettre que + Votre Excellence m'a fait l'honneur de vous écrire le 10 de ce mois, + pour faire escorter le prince jusque sur le territoire français, ont + été exécutées. J'ai également prévenu l'intendant-général du roi que + les domaines appartenant à la couronne ne devaient pas être vendus + et que toute disposition faite à cet égard par ordre de Sa Majesté, + avant l'arrivée du prince architrésorier, serait déclarée nulle, et + je l'ai invité à suspendre l'effet de toutes les ventes qui auraient + pu être faites avant cette époque.»</p> +</div> + +<div class="lettre"> +<span class="pagenum"><a id="pageclxvii" name="pageclxvii"></a>(p. clxvii)</span> <p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p> +<p class="date">Amsterdam, 24 juillet 1810.</p> + +<p>«Monseigneur, je reçois à l'instant de Hambourg les renseignements + suivants sur la route qu'aurait tenue le roi de Hollande. Sa Majesté + doit avoir passé le 5 de ce mois à Osnabruck et le 12 à Dresde, se + rendant aux bains de Tœplitz et de Carlsbaden en Bohême.»</p> +</div> + + +<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2> + + +<ul class="none"> +<li> <span class="ralign">Pages</span></li> + +<li><span class="smcap">Préface</span> +<span class="ralign"><a href="#pageI">I</a></span></li> + +<li>I. <span class="smcap">Le roi Joseph</span> +<span class="ralign"><a href="#page001">1</a></span></li> + +<li>II. <span class="smcap">Le roi Louis</span> +<span class="ralign"><a href="#page086">86</a></span></li> + +<li>III. <span class="smcap">Le roi Jérôme</span> +<span class="ralign"><a href="#page164">164</a></span></li> + +<li><span class="smcap">Appendice.</span> Correspondance diplomatique relative à la Hollande + pendant le règne du roi Louis, de juin 1806 à + juillet 1810 +<span class="ralign"><a href="#pageib">i</a></span></li> +</ul> + + +<p class="p4"><a id="footnote1" name="footnote1"></a> +<b>Note 1:</b> Trois conspirateurs que le général Bonaparte voulait que +l'on surveillât, tout en empêchant le gouvernement du pape de les +molester.<a href="#footnotetag1"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a> +<b>Note 2:</b> Il y avait à Rome une commission des arts présidée par +Monge et qui, à l'exception de son président, se montrait un peu +encline à favoriser les projets des ennemis du gouvernement +pontifical.<a href="#footnotetag2"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a> +<b>Note 3:</b> C'était alors le cardinal Doria, hostile à la France.<a href="#footnotetag3"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a> +<b>Note 4:</b> Pie VI.<a href="#footnotetag4"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a> +<b>Note 5:</b> Albani, neveu du pape Clément XI;—Gerdil, cardinal, et +l'un des membres les plus savants et les plus illustres du Sacré +Collège;—Caprara, cardinal, archevêque de Milan qui, en 1805, le 28 +mai, sacra Napoléon roi d'Italie dans la cathédrale de Milan.<a href="#footnotetag5"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a> +<b>Note 6:</b> Talleyrand.<a href="#footnotetag6"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a> +<b>Note 7:</b> Jérôme, en effet, avait été reçu à Brest avec beaucoup +d'éclat. Il était difficile qu'il en fût autrement. N'était-il pas le +frère de l'empereur? Peut-être ce dernier aurait-il été fort mécontent +si son frère n'avait pas été reçu avec les honneurs dus à son rang.<a href="#footnotetag7"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a> +<b>Note 8:</b> Nous adoucissons l'expression de l'empereur. Celle dont +il se servit en parlant au futur ministre de Naples ne saurait être +écrite. Cette conversation, recueillie par Miot de Mélito au sortir de +son audience de départ, se trouve telle quelle dans le manuscrit de +cet homme d'État.<a href="#footnotetag8"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a> +<b>Note 9:</b> C'était en quelque sorte un exorde à la lettre fort dure +que l'empereur devait écrire à son frère en date du 12 novembre 1807, +relative à la Sicile.<a href="#footnotetag9"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a> +<b>Note 10:</b> Depuis roi de Suède.<a href="#footnotetag10"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a> +<b>Note 11:</b> Fils aîné du roi Louis.<a href="#footnotetag11"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a> +<b>Note 12:</b> Joseph avait envoyé à son frère plusieurs mémoires dans +lesquels était traitée la question de l'expédition de Sicile, et où +étaient exposées les difficultés qu'elle présentait.<a href="#footnotetag12"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a> +<b>Note 13:</b> Le général avait été repoussé et avait subi un petit +échec sans importance.<a href="#footnotetag13"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a> +<b>Note 14:</b> Inutile de dire que ces lettres ne se trouvent ni dans +la <i>Correspondance</i> de l'empereur ni dans les <i>Mémoires</i> de Joseph.<a href="#footnotetag14"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a> +<b>Note 15:</b> Lettre du ministre Salicetti au général Miollis, datée +de Naples le 13 mars 1808.<a href="#footnotetag15"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a> +<b>Note 16:</b> Dans leur dernière entrevue à Bayonne, et au moment de +se séparer de Joseph, Napoléon détacha de sa poitrine une petite croix +d'officier de la Légion d'honneur qu'il portait sur son uniforme des +chasseurs de sa garde, et qu'il avait pendant les campagnes de 1805, +de 1806, de 1807, à Austerlitz, à Iéna, à Friedland. Il la donna à son +frère qui la porta toujours et, à sa mort, la donna à son exécuteur +testamentaire, M. Louis Maillard, auquel il ordonna de la prendre +immédiatement après son décès; ce qui fut fait.<a href="#footnotetag16"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a> +<b>Note 17:</b> À propos de ce qui avait été convenu à Bayonne, nous ne +devons pas oublier de mentionner ici un article secret, le XI<sup>e</sup>, du +traité de renonciation de Charles IV à la couronne d'Espagne; le +voici:</p> + +<p>S. M. le roi Charles IV disposera <i>comme bon lui semblera</i> des +diamants de la couronne d'Espagne qui étaient à son usage et à celui +de la reine.<a href="#footnotetag17"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a> +<b>Note 18:</b> <i>Mémoires du roi Joseph</i>, vol. V, p. 265.<a href="#footnotetag18"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a> +<b>Note 19:</b> Le château et le ravissant parc de Mortefontaine, près +Senlis, dans l'Oise, appartenaient alors à Joseph Bonaparte qui en +aimait beaucoup le séjour. C'est là qu'habitait habituellement la +reine Julie, sa femme.<a href="#footnotetag19"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a> +<b>Note 20:</b> Joseph, ainsi que Louis, avait vu avec peine le divorce +de Joséphine. L'un et l'autre, néanmoins, n'avaient pas cru pouvoir se +dispenser d'écrire aux nouveaux époux des lettres de congratulation.<a href="#footnotetag20"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a> +<b>Note 21:</b> Le roi avait appris que le ministre de la guerre de +Napoléon, cédant à ses désirs motivés, lui renvoyait un des régiments +espagnols que l'on avait fait venir en France. Il attachait avec +raison un grand prix à cette mesure.<a href="#footnotetag21"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a> +<b>Note 22:</b> Les mots manquants dans cette lettre et les suivantes +ont été entièrement effacés par le temps et surtout par l'humidité, +lorsqu'en 1814 les papiers du roi Joseph furent enterrés dans le parc +de Prangins.<a href="#footnotetag22"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a> +<b>Note 23:</b> Le duc de Santa-Fé, grand d'Espagne, dévoué à Joseph.<a href="#footnotetag23"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a> +<b>Note 24:</b> Marcelle Clary, nièce de la reine Julie. Tascher épousa +la princesse de la Ligne.<a href="#footnotetag24"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a> +<b>Note 25:</b> Joseph ne voulait pas que la reine Julie menât de France +des dames d'honneur, surcroît de dépenses, et ayant à lui en donner à +Madrid.<a href="#footnotetag25"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a> +<b>Note 26:</b> L'impératrice Joséphine.<a href="#footnotetag26"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a> +<b>Note 27:</b> Lucien était alors prisonnier des Anglais.<a href="#footnotetag27"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a> +<b>Note 28:</b> Un des secrétaires du roi, chargé de ses affaires +d'intérêt et alors en France.<a href="#footnotetag28"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a> +<b>Note 29:</b> Ce décret créait les grands gouvernements à la tête +desquels Napoléon mettait ses généraux et humiliait complètement le +roi.<a href="#footnotetag29"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a> +<b>Note 30:</b> Un des aides de camp de Joseph, très dévoué à ce prince. +Joseph redoutait la venue en Espagne de toutes les femmes des +personnes attachées à sa maison, comprenant combien sa position était +précaire.<a href="#footnotetag30"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a> +<b>Note 31:</b> Cette lettre du 19 mars avait été perdue.<a href="#footnotetag31"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a> +<b>Note 32:</b> Soult.<a href="#footnotetag32"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a> +<b>Note 33:</b> Marmont s'était empressé de livrer bataille avant +l'arrivée de Joseph, ne voulant pas se trouver sous les ordres du roi +et se croyant assez fort pour battre seul l'ennemi.<a href="#footnotetag33"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a> +<b>Note 34:</b> On trouvera un peu plus loin le récit relatif à +l'accusation portée par Soult sur Joseph.<a href="#footnotetag34"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote35" name="footnote35"></a> +<b>Note 35:</b> Ambassadeur de France à Madrid.<a href="#footnotetag35"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote36" name="footnote36"></a> +<b>Note 36:</b> Lettre d'un de ses serviteurs dévoués qui lui demandait +un peu d'argent pour subvenir à ses besoins.<a href="#footnotetag36"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote37" name="footnote37"></a> +<b>Note 37:</b> Trésorier du roi, tué dans la retraite de Vittoria.<a href="#footnotetag37"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote38" name="footnote38"></a> +<b>Note 38:</b> Lettre de Napoléon à Joseph, en date du 2 janvier 1814 +(<i>Mémoires du roi Joseph</i>, vol. 10<sup>e</sup>, p. 3). On a supprimé dans cette +lettre la phrase suivante: «Vous n'êtes plus roi d'Espagne, je n'ai +pas besoin de votre renonciation, puisque je ne veux pas de +l'Espagne.»<a href="#footnotetag38"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote39" name="footnote39"></a> +<b>Note 39:</b> Voyez la lettre à l'Empereur du 30 novembre 1813.<a href="#footnotetag39"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote40" name="footnote40"></a> +<b>Note 40:</b> Cette lettre est aux <i>Mémoires de Joseph</i>, à sa date (29 +décembre 1813).<a href="#footnotetag40"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote41" name="footnote41"></a> +<b>Note 41:</b> Cette lettre, fort écourtée aux <i>Mémoires de Joseph</i>, +volume 10<sup>e</sup>, page 139, a été complètement supprimée à la +correspondance de l'Empereur.<a href="#footnotetag41"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote42" name="footnote42"></a> +<b>Note 42:</b> Que Marie-Louise pensait que Napoléon se ferait tuer.<a href="#footnotetag42"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote43" name="footnote43"></a> +<b>Note 43:</b> Il voulait parler de Talleyrand, Fouché et autres.<a href="#footnotetag43"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote44" name="footnote44"></a> +<b>Note 44:</b> Pièce annexée.<a href="#footnotetag44"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote45" name="footnote45"></a> +<b>Note 45:</b> Général employé à Paris.<a href="#footnotetag45"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote46" name="footnote46"></a> +<b>Note 46:</b> Intendant de la liste civile.<a href="#footnotetag46"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote47" name="footnote47"></a> +<b>Note 47:</b> Joseph, comte de Survilliers.<a href="#footnotetag47"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote48" name="footnote48"></a> +<b>Note 48:</b> Lucien avait plusieurs enfants. L'aîné, Charles, prince +de Canino, devait épouser Zénaïde, fille du roi Joseph. Le mariage eut +lieu en effet. Il eut un fils, le prince Joseph de Musignano, mort +sous le second empire et de qui l'auteur des <i>Mémoires du roi Joseph</i> +tient les documents à l'aide desquels il a fait son ouvrage. Le prince +de Canino rendit la princesse Zénaïde sa femme fort malheureuse. C'est +lui qui a joué un triste rôle sous la Constituante romaine, lors de +l'assassinat du comte Rossi. Il est mort en 1857.<a href="#footnotetag48"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote49" name="footnote49"></a> +<b>Note 49:</b> Désirée, femme de Bernadotte, était la sœur de la +reine Julie.<a href="#footnotetag49"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote50" name="footnote50"></a> +<b>Note 50:</b> Le frère aîné de Napoléon III, mort dans l'insurrection +des Romagnes, en 1831.<a href="#footnotetag50"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote51" name="footnote51"></a> +<b>Note 51:</b> M. Paterson, qui vint en France, sous le second Empire, +avec son fils, aujourd'hui officier dans l'armée française.<a href="#footnotetag51"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote52" name="footnote52"></a> +<b>Note 52:</b> Une demoiselle Clary.<a href="#footnotetag52"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote53" name="footnote53"></a> +<b>Note 53:</b> Fils de Louis Maillard.<a href="#footnotetag53"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote54" name="footnote54"></a> +<b>Note 54:</b> Lorsque le <i>Mémorial de Sainte-Hélène</i>, dans lequel se +trouve le portrait du roi Louis, parut, la famille Bonaparte et ses +partisans furent loin d'approuver le livre de M. de Lascases. Le bruit +se répandit et s'accrédita que le roi Louis XVIII n'était pas étranger +à cet ouvrage, qui lui avait été soumis par son auteur.</p> + +<p>À cette époque, la reine de Westphalie, Catherine de Wurtemberg, +écrivit de Rome à une de ses amies, le 25 juin 1823, une longue lettre +dans laquelle on lit:</p> + +<p>«Le jugement que vous portez sur l'ouvrage de M. de Lascases +m'enchante. Il est à espérer que tous les gens sensés et dénués de +toute partialité seront de cet avis. Plus je le lis, plus je le +médite, et moins je me rends raison du motif qui l'a engagé à le +publier. Que de gens compromis! que de passions réveillées! que +d'ennemis suscités! et à quelle fin tout cela? Ce qui me paraît encore +plus maladroit de sa part, c'est la bonhomie avec laquelle il assure +que les seuls points sur lesquels il a pu se satisfaire à son aise, +ont été des retranchements; aussi sont-ils fort nombreux et de plus +d'une espèce. C'est sur ce qui touche les personnes surtout qu'il a +élagué avec profusion. Puisqu'il affirme une pareille chose, pourquoi +ne s'est-il pas cru autorisé à taire (si toutefois l'empereur lui a +fait de pareilles confidences) tout ce qui pouvait faire du tort à la +mémoire de l'empereur et à sa dynastie? Mon mari me prie de vous +envoyer la copie de sa lettre à M. de Lascases, en vous priant +toutefois de ne la publier avant que M. de Lascases lui répondît s'il +est dans l'intention de se rétracter. Cependant vous êtes libre de la +faire connaître à vos amis intimes.» Il est à remarquer que le +jugement porté sur Louis par M<sup>me</sup> de Rémusat, qui se fait l'écho des +rancunes de la reine Hortense, s'accorde assez bien avec le jugement +du <i>Mémorial</i>.<a href="#footnotetag54"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote55" name="footnote55"></a> +<b>Note 55:</b> Marmont, dans ses Mémoires, parle des efforts de Louis +pour retirer son frère du marécage, mais il omet la tentative du jeune +officier pour s'emparer du pont.<a href="#footnotetag55"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote56" name="footnote56"></a> +<b>Note 56:</b> Après qu'il eut abdiqué la couronne de Hollande et +pendant son séjour à Gratz, Louis retoucha une seconde édition d'un +roman en trois volumes que déjà il avait publié en 1800, à Paris, sous +le titre de Marie ou les peines de l'amour. C'est un souvenir +mélancolique de ce premier sentiment contrarié par Napoléon.<a href="#footnotetag56"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote57" name="footnote57"></a> +<b>Note 57:</b> L'une de ces brochures était intitulée: <i>Appel au +peuple.</i> Elle fut répandue à profusion en Hollande. Napoléon en fit +rechercher l'auteur. C'était une femme nommée Marie Hulshorft, qui +n'était, de fait, qu'un prête-nom.<a href="#footnotetag57"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote58" name="footnote58"></a> +<b>Note 58:</b> Dans un voyage qu'il fit l'année suivante, Louis ayant +dit à la population de la petite ville d'Edam, réunie autour de lui, +qu'il espérait que les Hollandais oublieraient un jour qu'il n'était +pas né en Hollande, un vieillard lui répondit: «Nous l'avons bien +oublié depuis Leyde.»<a href="#footnotetag58"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote59" name="footnote59"></a> +<b>Note 59:</b> On a souvent dit que le prince Louis-Napoléon, devenu +l'empereur Napoléon III, n'était pas le fils du roi Louis, mais de +l'amiral Verhuell ou de tout autre. Voici des faits positifs et des +dates précises qui prouvent la fausseté de ces assertions:</p> + +<p>Le 4 mai, le roi de Hollande perdit son fils, le prince royal. +Hortense, au désespoir, quitta le royaume et se rendit dans les +Pyrénées, à Bagnères-de-Luchon, où son mari, aussi désolé qu'elle, la +rejoignit le 30 du même mois. Le roi et la reine vécurent deux mois +ensemble à Luchon. Le 20 avril 1808, c'est-à-dire neuf mois après le +séjour des deux souverains dans les Pyrénées, naquit le prince +Louis-Napoléon.<a href="#footnotetag59"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote60" name="footnote60"></a> +<b>Note 60:</b> Cette lettre, si importante pour l'histoire, ne se +trouve pas à la correspondance de l'empereur.<a href="#footnotetag60"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote61" name="footnote61"></a> +<b>Note 61:</b> Voici un trait qui peint la bonté et l'esprit +philosophique du roi Louis. Un jeune prêtre s'était permis contre un +de ses actes une sortie des plus violentes, des plus ridicules et des +plus injustes. Tout le monde demandait une punition exemplaire. Le roi +le fit venir, exigea qu'il lui répétât les propos qu'il avait tenus, +puis il le fit asseoir et lui exposa les motifs de la conduite de son +gouvernement. Le jeune prêtre le quitta confus et persuadé. «Il +m'importait plus de le convaincre que de le punir», dit le roi à ceux +qui demandaient son châtiment.<a href="#footnotetag61"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote62" name="footnote62"></a> +<b>Note 62:</b> L'empereur fut bientôt informé des projets du roi.<a href="#footnotetag62"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote63" name="footnote63"></a> +<b>Note 63:</b> Lettres datées de Paris, 1<sup>er</sup> et 21 février 1810.<a href="#footnotetag63"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote64" name="footnote64"></a> +<b>Note 64:</b> Le maréchal duc de Reggio, comme le duc de Plaisance +plus tard, montra dans sa difficile mission un tact, une convenance, +dont le roi et les Hollandais lui furent toujours reconnaissants.<a href="#footnotetag64"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote65" name="footnote65"></a> +<b>Note 65:</b> Cette lettre n'est pas dans les lettres publiées sous le +second empire, mais elle se trouve à la page 273 du livre de M. +Rocquain (<i>Napoléon I<sup>er</sup> et le roi Louis</i>).<a href="#footnotetag65"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote66" name="footnote66"></a> +<b>Note 66:</b> Le bruit de cette nouvelle exigence du gouvernement +français s'était répandu déjà depuis quelque temps. Le roi avait +demandé une explication catégorique à M. Serrurier, chargé d'affaires +de France. M. Serrurier avait répondu le 16 juin, à M. Roëll, ministre +des affaires étrangères de Hollande, qu'il était chargé par l'empereur +de désavouer le dessein de mettre une garnison française à Amsterdam, +mais que toute attitude hostile serait considérée comme une +déclaration de guerre. Dans cette même lettre, le chargé d'affaires +revenait sur la demande de réparation de l'outrage fait au cocher de +l'ambassadeur.<a href="#footnotetag66"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote67" name="footnote67"></a> +<b>Note 67:</b> Ambassadeur de France à Vienne.<a href="#footnotetag67"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote68" name="footnote68"></a> +<b>Note 68:</b> Ce sénatus-consulte lui donnait un apanage autour de sa +terre de Saint-Leu en dédommagement de la Hollande.<a href="#footnotetag68"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote69" name="footnote69"></a> +<b>Note 69:</b> Dans un petit volume de poésies publié par Louis, à +Lausanne, on trouve les adieux suivants au séjour de Gratz:</p> + +<p class="poem"> + Adieu florissante contrée<br> + Où nul ne comprit tous mes maux,<br> + Mais où, l'âme triste, éplorée,<br> + J'ai souvent rêvé le repos...<br> + Mais rien n'est pour un long usage<br> + Dans ce monde trop incertain;<br> + Le temps est un bac de passage<br> + Où nos pas s'attachent en vain.<br> + Confidents d'un cœur solitaire,<br> + Jeunes arbres, mes seuls amis,<br> + Puisse votre ombre hospitalière<br> + Mieux abriter d'autres proscrits.<a href="#footnotetag69"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote70" name="footnote70"></a> +<b>Note 70:</b> C'est le roi Louis lui-même qui, dans son ouvrage sur la +Hollande, t. III, page 324, nous fait connaître ce fait.<a href="#footnotetag70"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote71" name="footnote71"></a> +<b>Note 71:</b> C'est à cette lettre, transmise par Joseph, que Napoléon +répond en écrivant que Louis a l'esprit faux, etc. (Voir Joseph en +1814).<a href="#footnotetag71"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote72" name="footnote72"></a> +<b>Note 72:</b> Madame Thayer.<a href="#footnotetag72"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote73" name="footnote73"></a> +<b>Note 73:</b> Nous avons eu plusieurs fois recours à ce curieux et +intéressant ouvrage pour la rédaction de notre travail.<a href="#footnotetag73"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote74" name="footnote74"></a> +<b>Note 74:</b> Sur ces derniers faits, voy. le 1<sup>er</sup> vol. de Jung, +<i>Bonaparte et son temps</i>.<a href="#footnotetag74"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote75" name="footnote75"></a> +<b>Note 75:</b> <i>L'Indivisible</i>, de 80 canons, vaisseau amiral; <i>le +Formidable</i>, de 80 (monté par le contre-amiral Linois); +<i>l'Indomptable</i>, de 80 (capitaine Moncontu); le <i>Desaix</i>, de 74 +(capitaine de Lapallière); <i>le Dix-Août</i>, de 74 (capitaine Bergeret); +<i>le Jean-Bart</i>, de 74 (capitaine Meyne); <i>la Constitution</i> (capitaine +Faure); la <i>Créole</i>, frégate (capitaine de vaisseau Gourrige); <i>la +Bravoure</i>, de 18 (capitaine de frégate Dordelin); le lougre <i>le +Vautour</i> (le lieutenant de vaisseau Kerimel).<a href="#footnotetag75"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote76" name="footnote76"></a> +<b>Note 76:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol. I<sup>er</sup>, p. 51.<a href="#footnotetag76"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote77" name="footnote77"></a> +<b>Note 77:</b> Nommé enseigne le 15 janvier par Villaret-Joyeuse, +Jérôme fut confirmé dans ce grade par le premier consul, et il prit +rang dans les cadres à dater du jour de sa promotion.<a href="#footnotetag77"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote78" name="footnote78"></a> +<b>Note 78:</b> Le prince Jérôme a toujours conservé pour le brave +Bergeret, plus tard amiral et mort il y a peu d'années, une affection +véritable et une estime profonde.<a href="#footnotetag78"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote79" name="footnote79"></a> +<b>Note 79:</b> Le prince fit le même voyage cinquante années plus tard, +lorsqu'il parcourut la Bretagne, désireux de revoir avant de mourir le +petit port de Concarneau.<a href="#footnotetag79"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote80" name="footnote80"></a> +<b>Note 80:</b> Le prince le retrouva en 1852 à Concarneau, où il vivait +en retraite.<a href="#footnotetag80"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote81" name="footnote81"></a> +<b>Note 81:</b> Nous devons dire que nulle part nous n'avons trouvé +trace d'instructions secrètes données à Villaret, dans le sens de la +nomination de Jérôme comme lieutenant de vaisseau et commandant du +brick; mais la chose nous paraît si probable et du reste si naturelle, +que nous croyons qu'il en a été ainsi.<a href="#footnotetag81"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote82" name="footnote82"></a> +<b>Note 82:</b> Le contre-amiral Lacrosse était père du sénateur du +second empire. Le prince Jérôme a rappelé bien souvent au baron +Lacrosse cette visite à la Guadeloupe.<a href="#footnotetag82"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote83" name="footnote83"></a> +<b>Note 83:</b> Villeneuve avait été remplacé par Villaret.<a href="#footnotetag83"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote84" name="footnote84"></a> +<b>Note 84:</b> Jérôme avait alors près de lui M. Meyronnet, qu'il +appelle dans toutes ses lettres son lieutenant, un secrétaire +particulier, M. Le Camus, qui joua par la suite un certain rôle ainsi +que Meyronnet en Westphalie, un médecin et le fils du conventionnel +Rewbel, plus tard officier général.<a href="#footnotetag84"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote85" name="footnote85"></a> +<b>Note 85:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol. I<sup>er</sup>, p. 227.<a href="#footnotetag85"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote86" name="footnote86"></a> +<b>Note 86:</b> Georgetown, ville et port de mer des États-Unis, État de +la Caroline du sud, était la résidence du consul général Pichon.<a href="#footnotetag86"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote87" name="footnote87"></a> +<b>Note 87:</b> Remplacé bientôt après par Sottin.<a href="#footnotetag87"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote88" name="footnote88"></a> +<b>Note 88:</b> Toute la correspondance Pichon, toutes les pièces et +documents qui se trouvent au vol. I des <i>Mémoires Jérôme</i> font trop +bien connaître cette affaire pour que nous croyions devoir entrer dans +de plus grands développements. Récemment M<sup>me</sup> Paterson a publié +elle-même des mémoires et des lettres qui ne sont point de nature à +augmenter la sympathie que ses malheurs pouvaient inspirer.<a href="#footnotetag88"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote89" name="footnote89"></a> +<b>Note 89:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, 1<sup>er</sup> volume.<a href="#footnotetag89"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote90" name="footnote90"></a> +<b>Note 90:</b> Tiare envoyée en cadeau au pape.<a href="#footnotetag90"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote91" name="footnote91"></a> +<b>Note 91:</b> Cette lettre du cardinal Fesch, qui ne se trouve nulle +part, semble prouver que le pape ne voulut pas casser le mariage +religieux de Jérôme aux États-Unis. Cet acte fut toujours refusé par +le saint-père et cependant ce dernier, non seulement reconnut le +mariage de Jérôme avec la princesse Catherine, mais il reçut, après +1815, les deux époux avec une bienveillance toute particulière.<a href="#footnotetag91"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote92" name="footnote92"></a> +<b>Note 92:</b> Le général Thurreau était alors ministre de France aux +États-Unis d'Amérique.<a href="#footnotetag92"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote93" name="footnote93"></a> +<b>Note 93:</b> Le ministère de la marine fait dater la nomination de +capitaine de frégate du prince Jérôme de juin 1803; c'est une erreur +que redresse suffisamment la correspondance officielle ainsi qu'on le +verra.<a href="#footnotetag93"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote94" name="footnote94"></a> +<b>Note 94:</b> L'empereur trouva fort mauvais ce qu'avait fait son +frère et écrivit dans ce sens, au ministre de la marine Decrès, une +lettre assez violente qui se trouve au 1<sup>er</sup> vol. des <i>Mémoires de +Jérôme</i>, p. 360.<a href="#footnotetag94"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote95" name="footnote95"></a> +<b>Note 95:</b> Voici le <i>post-scriptum</i> de la dépêche en date du 2 +octobre 1805 de Decrès à Willaumez (de la main du ministre): «Je vous +informe que votre mission n'est connue de personne que de l'empereur, +de moi, du secrétaire intime qui a transcrit les instructions de S. M. +et de vous. Il vous est prescrit de garder le plus grand secret à cet +égard, S. M. vous défendant toute communication à ce sujet avec +quelque personne et sous quelque prétexte que ce puisse être.»<a href="#footnotetag95"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote96" name="footnote96"></a> +<b>Note 96:</b> Ancienne abbaye de Bénédictins d'Allemagne, à 15 lieues +de Minden, sur la rive gauche du Weser.<a href="#footnotetag96"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote97" name="footnote97"></a> +<b>Note 97:</b> Le Camus, créé par le roi comte de Furstenstein, puis +devenu ministre d'État, était un jeune créole que Jérôme avait trouvé +dans un de ses voyages maritimes et dont il avait fait son secrétaire +particulier. Ce Le Camus avait trois sœurs fort jolies dont l'une +épousa le général Morio en premières noces, et en seconde, l'amiral +Duperré, et la seconde, M. Pothau, qui joua un rôle en Westphalie. La +chronique prétendait que Le Camus était toujours prêt à favoriser les +velléités amoureuses de son jeune maître qu'il avait accompagné en +Amérique et dans toutes ses courses. Il devint un des personnages du +royaume et l'empereur, après avoir refusé longtemps à son frère la +faveur de donner à ce ministre le grand cordon de la Légion d'honneur, +finit par avoir la faiblesse de le lui accorder, sur les instances du +roi.<a href="#footnotetag97"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote98" name="footnote98"></a> +<b>Note 98:</b> Ces lettres, des 25 et 28 décembre 1807, se trouvent au +3<sup>o</sup> volume des Mémoires du roi Jérôme; celle de Napoléon, en date du 5 +janvier 1808, manque.<a href="#footnotetag98"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote99" name="footnote99"></a> +<b>Note 99:</b> Jérôme avait une grande antipathie pour Jollivet, parce +qu'il voyait en lui, non sans raison, un espion de Napoléon et que +d'ailleurs ce conseiller d'État s'était montré fort hostile à son +frère Lucien qu'il aimait beaucoup.<a href="#footnotetag99"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote100" name="footnote100"></a> +<b>Note 100:</b> Fils de Salha, embarqué sur le bâtiment commandé par +Halgan.<a href="#footnotetag100"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote101" name="footnote101"></a> +<b>Note 101:</b> Médecin du prince Jérôme sur <i>le Vétéran</i>.<a href="#footnotetag101"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote102" name="footnote102"></a> +<b>Note 102:</b> Napoléon n'aimait pas laisser au service de ses frères +ses bons officiers généraux, aussi ne voulut-il pas abandonner en +Westphalie Lefebvre-Desnouettes, qu'il considérait comme un des +meilleurs officiers de cavalerie légère. Lefebvre-Desnouettes, colonel +des chasseurs de la garde, réfugié en Amérique après Waterloo, périt, +le 22 avril 1822, dans le naufrage du paquebot <i>l'Albion</i>, sur lequel +il s'était embarqué pour la Belgique.<a href="#footnotetag102"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote103" name="footnote103"></a> +<b>Note 103:</b> Cette lettre de Napoléon nous manque. Elle était +relative à M. de Merweld, dont l'empereur croyait avoir à se +plaindre.<a href="#footnotetag103"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote104" name="footnote104"></a> +<b>Note 104:</b> M. Beugnot fut remplacé au ministère des finances de +Westphalie par M. de Bulow, qui passait pour aimer peu les Français.<a href="#footnotetag104"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote105" name="footnote105"></a> +<b>Note 105:</b> Nous ne serions pas étonné que cette pensée des +médailles militaires d'un revenu de 100 à 150 fr. n'ait été l'idée +mère de la médaille créée par Napoléon III à son avènement au trône.<a href="#footnotetag105"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote106" name="footnote106"></a> +<b>Note 106:</b> M. Hainguerlot, banquier enrichi dans les fournitures, +était un ami de Jérôme; sa sœur avait épousé un des aides de camp +du jeune roi. L'empereur n'aimait ni le banquier ni sa famille et +avait fait défense à son frère de le recevoir. Le gendre de M. +Hainguerlot fut, par la suite, un M. de Vatry, brillant officier de +hussards qui, en 1815, à Waterloo, était l'un des aides de camp du +prince Jérôme, et qui ne contribua pas peu, par ses relations et ses +démarches sous le gouvernement de juillet, à aplanir les difficultés +pour le retour en France de la famille Jérôme Bonaparte.<a href="#footnotetag106"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote107" name="footnote107"></a> +<b>Note 107:</b> Lettre publiée aux Mémoires.<a href="#footnotetag107"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote108" name="footnote108"></a> +<b>Note 108:</b> Aide de camp du roi, chef de la gendarmerie.<a href="#footnotetag108"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote109" name="footnote109"></a> +<b>Note 109:</b> Les escadrons de ce régiment, dans lequel servait le +fameux marquis de Maubreuil, étaient alors en Espagne et son dépôt +dans une ville de la Westphalie.<a href="#footnotetag109"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote110" name="footnote110"></a> +<b>Note 110:</b> Publiée dans les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>.<a href="#footnotetag110"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote111" name="footnote111"></a> +<b>Note 111:</b> Avait remplacé Morio à la guerre.<a href="#footnotetag111"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote112" name="footnote112"></a> +<b>Note 112:</b> Ministre de l'intérieur.<a href="#footnotetag112"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote113" name="footnote113"></a> +<b>Note 113:</b> Mari d'une des sœurs de Le Camus.<a href="#footnotetag113"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote114" name="footnote114"></a> +<b>Note 114:</b> Cette division était dirigée sur l'Espagne où elle +périt presque tout entière. Le général Morio, qui la commandait, ne +reconquit pas la faveur impériale, car on assure que ce malheureux +officier s'étant présenté aux Tuileries, à son retour de la Péninsule, +Napoléon lui dit brusquement: «Qui êtes-vous?—Le général Morio.—Vous +général? Dans mon armée vous ne seriez pas caporal.»<a href="#footnotetag114"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote115" name="footnote115"></a> +<b>Note 115:</b> Premier secrétaire remplaçant M. Reinhard en cas +d'absence.<a href="#footnotetag115"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote116" name="footnote116"></a> +<b>Note 116:</b> Chef de la légion de gendarmerie.<a href="#footnotetag116"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote117" name="footnote117"></a> +<b>Note 117:</b> C'était le brusque départ de Schill pour son +expédition.<a href="#footnotetag117"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote118" name="footnote118"></a> +<b>Note 118:</b> Une petite mésintelligence s'était élevée, à la suite +de la course de Schill, entre Jérôme et Louis, le second ayant pris +parti pour Gratien, le premier pour d'Albignac accusé, non sans +raison, de lenteur et de mauvais vouloir par le général hollandais.<a href="#footnotetag118"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote119" name="footnote119"></a> +<b>Note 119:</b> Deux pièces sans nulle importance.<a href="#footnotetag119"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote120" name="footnote120"></a> +<b>Note 120:</b> Reinhard avait vu juste.<a href="#footnotetag120"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote121" name="footnote121"></a> +<b>Note 121:</b> C'est précisément ce qui arriva quelques jours plus +tard.<a href="#footnotetag121"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote122" name="footnote122"></a> +<b>Note 122:</b> Cela était vrai.<a href="#footnotetag122"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote123" name="footnote123"></a> +<b>Note 123:</b> Le général d'Albignac.<a href="#footnotetag123"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote124" name="footnote124"></a> +<b>Note 124:</b> Mission auprès de l'empereur à Paris.<a href="#footnotetag124"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote125" name="footnote125"></a> +<b>Note 125:</b> Sœur du fournisseur et banquier Hainguerlot que +l'empereur n'aimait pas et qui était un des amis du roi Jérôme.<a href="#footnotetag125"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote126" name="footnote126"></a> +<b>Note 126:</b> Le même qui se trouvait consul général aux États-Unis +d'Amérique lors du mariage Paterson.<a href="#footnotetag126"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote127" name="footnote127"></a> +<b>Note 127:</b> L'auteur de l'<i>Histoire de Napoléon</i>.<a href="#footnotetag127"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote128" name="footnote128"></a> +<b>Note 128:</b> Reinhard était dans l'erreur ou ne disait pas ce qu'il +pensait.<a href="#footnotetag128"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote129" name="footnote129"></a> +<b>Note 129:</b> C'était une petite maison près Cassel.<a href="#footnotetag129"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote130" name="footnote130"></a> +<b>Note 130:</b> Très jolie personne, femme d'un préfet du palais.<a href="#footnotetag130"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote131" name="footnote131"></a> +<b>Note 131:</b> Femme du général de Launay, fille de Siméon.<a href="#footnotetag131"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote132" name="footnote132"></a> +<b>Note 132:</b> C'était la vérité.<a href="#footnotetag132"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote133" name="footnote133"></a> +<b>Note 133:</b> Jérôme et la reine se trouvaient alors en France.<a href="#footnotetag133"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote134" name="footnote134"></a> +<b>Note 134:</b> C'est-à-dire que l'empereur laissait purement et +simplement les charges à la Westphalie.<a href="#footnotetag134"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote135" name="footnote135"></a> +<b>Note 135:</b> Lettre du 30 octobre. <i>Mémoires de Jérôme</i>, vol. IV, p. +497.<a href="#footnotetag135"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote136" name="footnote136"></a> +<b>Note 136:</b> Il avait été invité à venir avec la Reine assister au +baptême du Roi de Rome.<a href="#footnotetag136"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote137" name="footnote137"></a> +<b>Note 137:</b> On l'envoya plus tard préfet à Magdebourg.<a href="#footnotetag137"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote138" name="footnote138"></a> +<b>Note 138:</b> Lanfrey en cite un fragment au dernier vol. de son +<i>Histoire de Napoléon</i>, V, 502.<a href="#footnotetag138"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote139" name="footnote139"></a> +<b>Note 139:</b> P. 356.<a href="#footnotetag139"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote140" name="footnote140"></a> +<b>Note 140:</b> Jérôme avait prié Berthier de solliciter pour lui de +l'empereur un commandement.<a href="#footnotetag140"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote141" name="footnote141"></a> +<b>Note 141:</b> Cette somme était due en effet par la France à la +Westphalie.<a href="#footnotetag141"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote142" name="footnote142"></a> +<b>Note 142:</b> Cette importante dépêche ayant été interceptée par +l'ennemi et publiée dans un journal autrichien donna sans doute à +Tchernicheff la pensée de marcher sur Cassel.<a href="#footnotetag142"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote143" name="footnote143"></a> +<b>Note 143:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, 6<sup>e</sup> vol., p. 215.<a href="#footnotetag143"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote144" name="footnote144"></a> +<b>Note 144:</b> Donc aucune proposition n'avait pu être faite au roi +pour conserver sa couronne.<a href="#footnotetag144"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote145" name="footnote145"></a> +<b>Note 145:</b> Le roi a prétendu plus tard avoir reçu des propositions +pour rester dans ses états et avoir répondu entre autres choses: +<i>Quand le tronc est mort les branches tombent.</i> Nous avons fait +connaître plus haut pourquoi nous n'admettons pas que ces propositions +aient été faites, et d'ailleurs le roi n'en parle dans aucune de ses +lettres à l'empereur.<a href="#footnotetag145"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote146" name="footnote146"></a> +<b>Note 146:</b> L'inverse eût été vrai.<a href="#footnotetag146"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote147" name="footnote147"></a> +<b>Note 147:</b> Ce fut le général Wolff.<a href="#footnotetag147"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote148" name="footnote148"></a> +<b>Note 148:</b> M. de la Rochefoucauld venait d'être nommé ministre +plénipotentiaire en Hollande en remplacement du général +Dupont-Chaumont, des services duquel l'empereur n'était pas satisfait, +le trouvant trop dans les eaux de son frère. M. de la Rochefoucauld +arriva à son poste le 19 avril.<a href="#footnotetag148"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote149" name="footnote149"></a> +<b>Note 149:</b> M. Serrurier faisait pour la seconde fois l'intérim, en +l'absence de l'ambassadeur Chaumont parti pour Paris.<a href="#footnotetag149"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote150" name="footnote150"></a> +<b>Note 150:</b> Les ambassadeurs français accrédités auprès des rois +frères de l'empereur prenaient le nom d'ambassadeurs de famille, et +avaient mission de faire connaître à Napoléon toute la conduite privée +et publique des souverains.<a href="#footnotetag150"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote151" name="footnote151"></a> +<b>Note 151:</b> En effet, M. Bourdeaux rapporta au roi une lettre de +l'empereur datée d'Erfurth, 12 octobre, lettre toute de persiflage et +frisant l'impertinence, contenant le refus de remplacer près de lui +l'ambassadeur comte de Larochefoucauld. Les relations entre les deux +souverains ne pouvaient être plus tendues.<a href="#footnotetag151"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote152" name="footnote152"></a> +<b>Note 152:</b> L'ambassadeur de Hollande à Saint-Pétersbourg.<a href="#footnotetag152"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote153" name="footnote153"></a> +<b>Note 153:</b> On voit, d'après cela, qu'il y avait pique entre le roi +et le ministre de France.<a href="#footnotetag153"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote154" name="footnote154"></a> +<b>Note 154:</b> Ce prince Napoléon-Louis était le second fils du roi. +Le premier était mort l'année précédente; le second, celui-ci, mourut +en 1831, de la rougeole, à Forli, ou empoisonné pendant l'insurrection +des Romagnes, où il avait pris parti contre le pape avec son frère, +plus tard l'empereur Napoléon III.<a href="#footnotetag154"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote155" name="footnote155"></a> +<b>Note 155:</b> Varel, ville située près des embouchures du Vezer, à 30 +kil. nord d'Oldenbourg.<a href="#footnotetag155"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote156" name="footnote156"></a> +<b>Note 156:</b> L'empereur refusa de rendre les troupes hollandaises.<a href="#footnotetag156"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote157" name="footnote157"></a> +<b>Note 157:</b> De fait, l'opinion publique était dans le vrai.<a href="#footnotetag157"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote158" name="footnote158"></a> +<b>Note 158:</b> Voir les lettres des 23 et 25 du même mois.<a href="#footnotetag158"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote159" name="footnote159"></a> +<b>Note 159:</b> Après cette lettre le doute n'est plus permis sur les +intentions de l'empereur d'occuper Amsterdam, d'annexer la Hollande, +de forcer son frère à abandonner la partie. Napoléon, on le voit, +profite des moindres causes pour en faire des prétextes à +envahissements. En vain le roi en passe par toutes ses volontés. Une +exigence satisfaite en amène une autre et le gouvernement français ne +craint pas, pour envahir la Hollande, de s'appuyer sur la ridicule +affaire du cocher de l'ambassadeur.<a href="#footnotetag159"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote160" name="footnote160"></a> +<b>Note 160:</b> Ceci était faux; Louis n'avait emporté que mille +florins lui appartenant.<a href="#footnotetag160"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + +<p><a id="footnote161" name="footnote161"></a> +<b>Note 161:</b> Le général Pirée.<a href="#footnotetag161"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER *** + +***** This file should be named 30604-h.htm or 30604-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/0/6/0/30604/ + +Produced by Mireille Harmelin, Christine P. 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