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+Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Les Rois Frères de Napoléon Ier
+ Documents inédits relatifs au premier Empire
+
+Author: Baron Du Casse
+
+Release Date: December 4, 2009 [EBook #30604]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Christine P. Travers and
+the Online Distributed Proofreading Team at
+http://www.pgdp.net (This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
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+[Note au lecteur de ce fichier digital:
+
+Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été
+corrigées. Les différentes orthographes n'ont pas été standardisées,
+de même pour les noms propres et les noms de villes.]
+
+
+
+
+LES ROIS
+
+FRÈRES DE NAPOLÉON Ier
+
+
+DOCUMENTS INÉDITS
+
+RELATIFS AU PREMIER EMPIRE
+
+
+PUBLIÉS PAR
+
+LE BARON DU CASSE
+
+
+
+
+PARIS
+
+LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE et Cie
+
+108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
+
+Au coin de la rue Hautefeuille
+
+
+1883
+
+_Tous droits réservés._
+
+
+
+
+OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:
+
+
+_Mémoires du roi Joseph_, 10 vol. in-8º avec album de 20 batailles
+gravées. Perrotin, éditeur.
+
+_Histoire des négociations relatives aux traités de Mortefontaine,
+de Lunéville et d'Amiens_, 3 vol. in-8º. Dentu.
+
+_Mémoires du prince Eugène_, 10 vol. in-8º. Michel Lévy.
+
+_Vandamme et sa correspondance_, 2 vol. in-8º.
+
+_Arrighi de Casa Nova, duc de Padoue_, 2 vol. in-8º.
+
+_Précis des opérations de l'armée de Lyon en 1814_, 1 vol. in-8º.
+
+_Précis des opérations de la guerre d'Orient en 1854_, 1 vol. in-8º.
+
+_Opérations en Silésie, 1806 et 1807_, 2 vol. in-8º avec atlas.
+
+_Mémoires pour l'histoire de la campagne de 1812_, 1 vol. in-8º.
+
+_Histoire anecdotique du coup d'État_, 1 vol. in-8º.
+
+_Souvenirs d'un officier du 2e zouaves_ (attribué à tort au général
+Cler), 1 vol. in-12.
+
+_Le duc de Raguse devant l'histoire_, 1 vol. in-8º.
+
+_Les erreurs militaires de M. de Lamartine_, 1 vol. in-8º.
+
+_Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon Ier _, 1 vol. in-12.
+
+_Histoire anecdotique de l'ancien théâtre_, 2 vol. in-8º.
+
+
+ROMANS:
+
+
+_Rambures_, 1 vol. in-8º.
+
+_Du soir au matin_, 1 vol. in-8º.
+
+_Quatorze de dames_, 1 vol. in-12.
+
+_Les suites d'une partie d'écarté_, 1 vol. in-12.
+
+_Le conscrit de l'an VIII_, 1 vol. in-12.
+
+_Le marquis de Porzaval_, 1 vol. in-12.
+
+_M. Putau_, 1 vol. in-12.
+
+_Les variétés militaires_, 1 vol. in-18.
+
+_Les origines_, 1 vol. in-18.--Etc., etc., etc.
+
+Sous presse: _Le Panthéon fléchois._
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+
+Dans les premières années du second empire, commença à paraître à la
+librairie Perrotin un ouvrage en dix volumes qui fit sensation dans
+le monde littéraire et politique, les _Mémoires du roi Joseph_, qui
+donnaient sur l'empereur Napoléon Ier, sur son règne et sur
+l'histoire de cette grande époque des aperçus entièrement nouveaux.
+Des documents importants et irrécusables corroborant les faits se
+trouvaient en grand nombre dans ces dix volumes, et, malgré le
+succès de l'_Histoire du Consulat et de l'Empire_ de M. Thiers, les
+_Mémoires du roi Joseph_ furent accueillis avec une haute faveur
+dans les régions élevées et savantes.
+
+Peu de temps après l'entière publication de cet ouvrage, en parut un
+autre du même auteur et du même genre, _Mémoires et correspondance
+du prince Eugène_, également en dix volumes.
+
+Ces deux publications historiques capitales, faites avec
+impartialité, donnèrent la pensée au gouvernement impérial de réunir
+en un magnifique ouvrage toutes les lettres écrites ou dictées par
+Napoléon Ier, et de livrer à la publicité un admirable monument
+d'histoire moderne. Malheureusement, le nombre considérable des
+lettres et des documents collectionnés dans les archives du
+gouvernement et dans les archives des particuliers fit rejeter
+l'idée de joindre à ces lettres de l'empereur les réponses et des
+notes explicatives.
+
+Immédiatement après la mort du dernier des frères de Napoléon Ier,
+en 1860, parut également un ouvrage en sept volumes intitulé:
+_Mémoires du roi Jérôme._
+
+On serait en droit de penser que la collection de ces quatre grandes
+publications est de nature à donner l'idée la plus complète de tous
+les faits historiques qui s'accomplirent sous le premier empire, et
+qu'ils mettent entièrement à jour la politique du grand empereur. Il
+n'en est cependant pas réellement ainsi.
+
+Il faut du temps pour débarrasser l'histoire de ses langes.
+
+Tel document publiable à une époque éloignée aurait eu des
+inconvénients à être publié à une époque plus rapprochée. Mais ce
+qui ne pouvait voir le jour il y a quelques années peut paraître
+aujourd'hui.
+
+Tout n'a donc pas été inséré dans les quatre ouvrages publiés sous
+le deuxième empire. Nous pouvons affirmer néanmoins que rien n'a été
+changé dans les documents qui se trouvent aux Mémoires _Joseph_ et
+_Eugène_, et que l'auteur s'est borné à supprimer quelques phrases
+et à les remplacer par des points; qu'un certain nombre des lettres
+de Napoléon Ier a été supprimé dans la correspondance de l'empereur,
+principalement celles écrites au roi Louis, père de Napoléon III.
+Quant aux _Mémoires du roi Jérôme_ publiés sous la direction de son
+fils, le prince Napoléon, et sans nom d'auteur, nous croyons savoir
+que cet ouvrage est loin d'avoir la moindre prétention à la vérité
+historique.
+
+Récemment, un volume intitulé: _Napoléon et le roi Louis_ a paru. Il
+renferme la collection presque complète des lettres de l'empereur au
+troisième de ses frères.
+
+Ces ouvrages, qui ont une grande valeur historique, ne font pour
+ainsi dire qu'effleurer plusieurs des grands faits du premier
+empire. Ainsi, dans l'histoire du règne du roi Louis, les démarches
+faites pour changer en royauté la république batave, les
+négociations entreprises pour mener à bien la mission de M. de
+Labouchère à Londres, sont à peine indiquées. Cela vient de ce que
+l'empereur traçait ses intentions à ses agents, à ses ministres, à
+ses frères à grands traits, laissant souvent à ces derniers le soin
+des moyens à prendre pour l'exécution de sa volonté.
+
+Nous avons eu la pensée de recourir à la correspondance diplomatique
+de cette époque pour compléter, autant que possible, l'histoire des
+frères de Napoléon Ier qui est aussi l'histoire de la plupart des
+États de l'Europe. En outre, nous joindrons à ces documents un grand
+nombre des lettres ou portions de lettres omises à dessein dans les
+ouvrages publiés sous le second empire, puis des pièces curieuses
+relatives à ces souverains et complètement inconnues.
+
+Cet ouvrage, sorte de complément de ceux qui déjà ont paru, et
+intitulé: _Les rois frères de Napoléon_, comprend un grand nombre de
+documents inédits relatifs au premier empire.
+
+
+
+
+LES FRÈRES
+
+DE NAPOLÉON Ier
+
+
+
+
+I.
+
+LE ROI JOSEPH
+
+(1797-1808).
+
+
+Jusqu'au jour où la politique et la raison d'État vinrent se mettre
+en travers de ses affections naturelles, l'empereur Napoléon Ier se
+montra un frère dévoué, principalement avec Joseph son aîné, qui, à
+la mort de leur père, Charles Bonaparte, était devenu le chef de la
+famille. Né en janvier 1768, Joseph avait dix-huit mois de plus que
+son second frère Napoléon, né lui-même en août 1769. Lors de la
+perte qu'ils firent de leur père, l'un avait donc 17 ans, l'autre 15
+ans et demi.
+
+Jeté de bonne heure au milieu des affaires publiques, devenu un
+personnage politique important, à l'âge où l'on sort à peine de
+l'adolescence, un général renommé à l'âge où l'on ceint à peine une
+épée, Napoléon, de fait le chef de sa famille, voulut associer ses
+frères à sa grandeur. Une fois à la tête du gouvernement, il les
+porta aux premières charges de l'État; empereur, il voulut pour eux
+des trônes, et, pour les y asseoir, prononça la déchéance des
+anciennes familles royales de l'Europe. Mais si l'ambition dominait
+tout chez ce grand capitaine, chez ce puissant génie, ses frères
+n'avaient pas le même amour des grandeurs. Deux d'entre eux, Joseph
+et Louis, esprits modérés et éclairés, n'acceptèrent des couronnes
+qu'après beaucoup d'hésitation, bien plus pour céder aux exigences
+de leur frère, devenu le maître du monde, que pour obéir à leurs
+propres instincts. L'un d'eux, Lucien, se montra toujours rebelle à
+cet égard aux volontés de Napoléon. Il entendait vivre à sa guise,
+sans se plier aux vues de l'empereur. Enfin, le quatrième, Jérôme,
+léger de caractère, ami du plaisir, acceptait volontiers la tutelle
+fraternelle, à la condition de pouvoir puiser sans cesse dans le
+trésor impérial.
+
+Nous allons exposer les relations de Napoléon avec ses frères à
+différentes époques de leur carrière, en rétablissant certaines
+parties de leur correspondance omises à dessein dans les ouvrages
+publiés jusqu'à ce jour.
+
+Commençons par Joseph, l'aîné des Bonaparte, successivement roi de
+Naples et d'Espagne.
+
+Nous croyons inutile de parler des premières années de Joseph
+Bonaparte. Nous allons le prendre au moment où il commença à entrer
+dans la vie politique et à jouer un rôle dans la diplomatie.
+
+À la suite de sa brillante campagne de 1796 en Italie, le général
+Bonaparte, déjà tout-puissant, fit nommer Joseph ambassadeur dans
+les États romains. Celui-ci se rendit à Rome à la fin de 1797.
+Conformément aux instructions de son frère et du Directoire, il fit
+tous ses efforts pour maintenir l'harmonie entre le gouvernement
+pontifical et la France. Il n'y put réussir. Les relations entre les
+deux États s'envenimèrent par la nomination d'un général autrichien
+(Provera), trois fois prisonnier de l'armée de Bonaparte, comme
+commandant de la troupe pontificale. Les justes plaintes de Joseph à
+cette occasion enhardirent d'une autre part les révolutionnaires
+romains, qui se figurèrent que nous ne pouvions faire autrement que
+de les soutenir dans leurs tentatives pour renverser le gouvernement
+pontifical. Cet état de choses amena l'échauffourée du 7 décembre,
+qui coûta la vie au jeune et brillant général Duphot, et nécessita
+le départ de Rome du ministre de la légation de France. Joseph,
+pendant son séjour dans la ville éternelle, échangea avec son frère
+une correspondance intéressante; nous connaissons les lettres de
+Napoléon par le recueil officiel publié sous le second empire; les
+dépêches de Joseph, au contraire, n'ont été imprimées ni dans les
+_Mémoires du roi Joseph_ ni ailleurs; nous choisissons les plus
+curieuses pour les donner ici.
+
+
+I.
+
+ Rome, 24 fructidor an V (10 septembre 1797).
+
+ JOSEPH AU GÉNÉRAL EN CHEF BONAPARTE.
+
+ J'ai reçu, citoyen général, la lettre à laquelle étaient jointes
+ plusieurs pièces relatives à l'arrestation de MM. Angeloni,
+ Bouchard, Oscarelli[1], Vivaldi, etc. Les informations que j'ai
+ prises sur eux, depuis que je suis à Rome, sont conformes à l'idée
+ qu'on en donne dans les lettres qui vous ont été envoyées par le
+ citoyen Monge; ils ont manifesté le désir et le projet de changer le
+ gouvernement romain. S'ils ont senti et pensé comme les Brutus et
+ les grands hommes de l'antiquité, ils ont parlé comme des femmes et
+ agi comme des enfants; le gouvernement les a fait arrêter. Comme ils
+ n'avaient point de plan déterminé, on n'a rien trouvé chez eux qui
+ pût les accuser; mais on en avait trouvé cinquante réunis à la villa
+ Médicis; mais la ville entière connaissait les projets dont ils se
+ vantaient sans avoir aucun moyen de les mettre à exécution.
+
+ [Note 1: Trois conspirateurs que le général Bonaparte voulait
+ que l'on surveillât, tout en empêchant le gouvernement du
+ pape de les molester.]
+
+ Quelques-uns d'entre eux, et précisément ceux qui, par leurs
+ talents, paraissent être les chefs, étaient munis de certificats
+ honorables de la commission des Arts[2]; mais ces certificats et la
+ liaison qu'ils ont eue avec les commissaires français, loin d'être
+ cause de leur arrestation, l'ont suspendue durant quelques instants,
+ et l'on n'a procédé contre eux qu'après que le citoyen Cacault eut
+ déclaré que les certificats des commissaires prouvaient pour le
+ passé et non pour l'avenir; qu'ils ne pouvaient d'aucune manière
+ être regardés comme des actes de garantie pour des faits ignorés et
+ absolument étrangers aux commissaires et à tout autre individu
+ français.
+
+ [Note 2: Il y avait à Rome une commission des arts présidée
+ par Monge et qui, à l'exception de son président, se montrait
+ un peu encline à favoriser les projets des ennemis du
+ gouvernement pontifical.]
+
+ Depuis cet événement, on est convaincu dans Rome que les Français
+ n'ont aucun rapport avec ce qui s'est passé, et aucun d'eux n'a
+ éprouvé le moindre désagrément qui puisse le faire croire.
+
+ Cependant, j'ai voulu pressentir quelles étaient les intentions du
+ gouvernement sur les individus arrêtés, et surtout sur ceux auxquels
+ vous croyez devoir prendre un certain intérêt: le secrétaire
+ d'État[3] m'a assuré que Corroux et son frère n'ont point été
+ arrêtés; que le juif Ascarelli venait d'être mis en liberté; qu'il
+ croyait que Vivaldi allait l'être bientôt; que, quant à Angeloni et
+ Bouchard, qui sont les plus compromis, avant la sentence définitive
+ je serais informé de l'état du procès, et que le gouvernement se
+ prêterait à ce que les Français paraîtront désirer.
+
+ [Note 3: C'était alors le cardinal Doria, hostile à la
+ France.]
+
+ Je ne pense pas que le système de sang ou d'extrême rigueur qui a
+ prévalu dans quelques États voisins prenne ici; il y a bien quelques
+ prêtres influents du caractère des persécuteurs des Albigeois, mais
+ ils n'osent pas encore se livrer à l'ardeur de la persécution. Le
+ secrétaire d'État, homme doux et honnête, les surveille. Tant qu'il
+ pourra quelque chose, je ne crains pas les scènes de sang; mais il
+ n'a pas, je pense, tout le crédit qu'il mérite.
+
+ Il est inutile que j'entre dans plus de détails: il suffit que je
+ vous assure que je ne perdrai pas de vue le sort des personnes
+ arrêtées.
+
+
+II.
+
+ Rome, 3 vendémiaire an VI (24 septembre 1797).
+
+ JOSEPH BONAPARTE, AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE, AU GÉNÉRAL EN CHEF
+ BONAPARTE.
+
+ Hier au soir, le pape[4] a été indisposé; on espérait cependant
+ qu'il serait en état d'aller aujourd'hui, jour de dimanche, à
+ Saint-Pierre; mais la fièvre l'a saisi avec des attaques
+ d'apoplexie; il a reçu le viatique à trois heures après midi. Il est
+ dans ce moment dans un état presque désespéré, et l'on craint qu'il
+ ne résiste pas au redoublement de demain.
+
+ [Note 4: Pie VI.]
+
+ Cet événement peut en faire naître plusieurs d'une nature bien
+ différente, selon les impulsions que l'on donnera à l'opinion et aux
+ affaires de cette ville.
+
+ Vous connaissez, citoyen général, les instructions qui m'ont été
+ données par le Directoire; mais sa situation, celle de la France et
+ de l'Italie ne sont plus les mêmes.
+
+ Si les républicains qui existent à Rome, et dont quelques-uns sont
+ encore arrêtés, s'ébranlent pour tenter un mouvement qui les
+ conduise à la liberté, il est à craindre que Naples ne profite d'un
+ instant d'oscillation pour faire enfin un mouvement réel et pousser
+ ses troupes jusqu'à Rome. Dans ce cas, nul doute que le succès ne
+ fût pour les partisans de la coalition dans Rome.
+
+ Naples ne tentera jamais ce mouvement s'il craint d'être prévenu par
+ les troupes françaises. Il serait donc à désirer que vous puissiez
+ faire filer des forces du côté d'Ancône. Dans toutes les
+ hypothèses, leur présence dans un point avoisiné de Rome aura une
+ influence morale ou absolue.
+
+ Les cardinaux dont on parle le plus pour les porter au pontificat
+ sont: Albani, Gerdil, piémontais, et Caprara[5]. Le premier paraît
+ avoir le plus d'influence, il est le centre de la faction impériale;
+ Provera, qui, lui, est envoyé ici par le nonce Albani, est un de ses
+ moyens, et il les emploie tous. C'est un homme d'un extérieur
+ séduisant: du tact, de l'usage, point d'instruction, point de talent
+ transcendant, c'est le doyen des cardinaux.
+
+ [Note 5: Albani, neveu du pape Clément XI;--Gerdil, cardinal,
+ et l'un des membres les plus savants et les plus illustres du
+ Sacré Collège;--Caprara, cardinal, archevêque de Milan qui,
+ en 1805, le 28 mai, sacra Napoléon roi d'Italie dans la
+ cathédrale de Milan.]
+
+ Le cardinal Gerdil passe pour un saint homme, et un théologien
+ consommé. C'est le choix des prêtres non titrés et des dévotes.
+
+ Caprara a des talents. Ennemi du pape actuel, il réunit autour de
+ lui les suffrages d'une partie des mécontents du gouvernement
+ d'aujourd'hui. L'Espagne paraît le porter. On croit en général qu'il
+ réunit aussi le voeu de la France.
+
+ Il est impossible qu'avant la réception de votre lettre, je demande
+ officiellement la liberté des prisonniers et l'éloignement du
+ général Provera; cette mesure me sera dictée par les circonstances,
+ si je les juge de nature à l'exiger.
+
+ Placé plus au centre des grands intérêts, vous serez plus à même de
+ me faire connaître quelles doivent être les intentions du
+ gouvernement et quels moyens il peut mettre en usage pour les
+ remplir.
+
+ Si le pape prolonge son existence, votre lettre me sera extrêmement
+ utile: dans l'hypothèse contraire, je vous enverrai un exprès en
+ poste. Je vous prie de me faire renvoyer sur-le-champ le courrier
+ porteur de la présente.
+
+ Il serait peut-être à propos que, pour tous les événements, vous
+ m'envoyassiez quelques officiers.
+
+
+III.
+
+ Rome, 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797).
+
+ JOSEPH, AMBASSADEUR, ETC., AU GÉNÉRAL EN CHEF BONAPARTE.
+
+ J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 8 vendémiaire par mon
+ courrier de retour.
+
+ Vous êtes déjà instruit du rétablissement de la santé du pape.
+
+ Le général Provera, que l'on attendait ici depuis longtemps, est
+ encore à Trieste, d'où le consul romain annonce au secrétaire d'État
+ son prochain départ.
+
+ J'ai eu une longue conférence avec le cardinal Doria; je lui ai
+ annoncé la volonté précise du gouvernement français de ne pas
+ souffrir au commandement des troupes du pape un général autrichien.
+ Aujourd'hui, il a dû lui écrire pour lui donner l'ordre de suspendre
+ sa marche. Ma déclaration verbale a été un coup de foudre pour lui;
+ je l'ai accompagnée de tous les raisonnements qui en font sentir la
+ justice, et me suis plaint de plusieurs faits qui décèlent la
+ malveillance tacite des meneurs secrets de la cour de Rome. Vous
+ remarquerez que, depuis le ministère du cardinal Rusca, rien n'a
+ changé que lui-même, son esprit y est resté; il dirige tous les
+ travailleurs, commis et autres employés. Le cardinal Doria ne tient
+ point essentiellement à la faction ennemie de la France; c'est un
+ homme dont les manières françaises et la bonne foi ne peuvent plaire
+ ni aux cardinaux ni à ses coopérateurs dans le ministère. Son
+ élévation à ce poste est une preuve qu'il reste encore à Rome une
+ partie de l'ancienne politique ténébreuse de cette cour: elle met en
+ avant un homme honnête et loyal, incapable de soupçonner les
+ intentions perfides de ceux qui gouvernent sous son nom, en le
+ faisant agir dans leur sens, et, lorsqu'ils ne peuvent pas y
+ réussir, en lui faisant forcer la main par le pape, qui déteste son
+ secrétaire d'État.
+
+ Les meneurs réels de la cour de Rome sont un monsignor Barberi,
+ procureur fiscal, l'intime des cardinaux Rusca, Albani; Zelada,
+ secrétaire d'État lors du massacre de Basseville; Sparziani, premier
+ commis du secrétaire d'État Rusca, resté dans la même place sous le
+ cardinal Doria; c'est le rédacteur de la correspondance au nonce
+ Albani, que vous fîtes intercepter avant la dernière campagne contre
+ Rome; c'est à cet homme qu'étaient adressées les lettres du comte
+ Gorri-Rossi de Milan, dont vous m'avez envoyé les copies.
+
+ Je n'ai point encore réclamé officiellement les Romains détenus
+ depuis deux mois; j'ai épuisé tous les moyens de douceur auprès du
+ secrétaire d'État. Vous concevez, citoyen général, d'après ce que je
+ vous ai dit ci-dessus de la puissance réelle de ce ministre, que je
+ n'ai dû rien obtenir: ce n'est que par des démarches fortes et
+ officielles que l'on peut faire rentrer dans le devoir, amener à des
+ principes de modération les meneurs et les travailleurs subalternes;
+ c'est ce que je n'ai point encore cru devoir faire, d'après votre
+ silence et celui du ministre des relations extérieures[6], que j'ai
+ consulté sur cet article.
+
+ [Note 6: Talleyrand.]
+
+
+IV.
+
+ Rome, 5 frimaire an VI (25 novembre 1797).
+
+ JOSEPH BONAPARTE, ETC., AU GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE D'ITALIE.
+
+ J'ai reçu votre lettre du 24 brumaire. Le général Provera est parti
+ le lendemain du jour de la réception de votre dépêche, sans que
+ j'aie eu besoin de faire pour cet effet de nouvelles démarches
+ auprès du gouvernement de Rome; il s'est retiré à Naples.
+
+ Les détenus pour opinion politique ont été presque tous mis en
+ liberté. Je vous ai déjà écrit à ce sujet.
+
+ Le cardinal secrétaire d'État sort à l'instant de chez moi; il se
+ plaint de la municipalité d'Ancône, qui a publié l'espèce de
+ manifeste dont vous trouverez ci-joint une copie. Le pape a été très
+ alarmé de sa lecture, et il a ordonné à son ministre de vous
+ dépêcher un courrier et un autre à Paris pour réclamer la
+ restitution d'Ancône; il serait possible que la dépêche dont ce
+ courrier sera porteur vous parvienne avant la présente.
+
+ L'officier cisalpin chargé des dépêches du ministre des relations
+ extérieures n'a éprouvé aucune difficulté pour la reconnaissance de
+ la nouvelle République.
+
+ Le secrétaire d'État vient de me donner lecture de la lettre qu'il a
+ écrite à ce sujet au ministre des relations extérieures de la
+ République cisalpine, et, à dire le vrai, Sa Sainteté lui en avait
+ donné l'ordre le premier de ce mois, d'après les instances du
+ cardinal et ce que je lui en avais dit moi-même dans la dernière
+ audience.
+
+ Vous saurez sans doute que le duc de Parme s'est enfin décidé à
+ consentir au projet d'échange auquel l'Espagne paraît tenir
+ beaucoup: c'est M. le comte de Valde Pariso, ministre d'Espagne près
+ l'infant, qui le mande à M. le chevalier Azara. Il est à désirer que
+ la détermination de ce prince ne soit pas trop tardive, et que l'on
+ soit à temps pour traiter avec le roi de Sardaigne.
+
+ Je ne vous envoie pas encore votre courrier, n'ayant rien de très
+ pressant à vous marquer.
+
+
+Après son retour à Paris en décembre 1797, à la suite du meurtre du
+général Duphot, Joseph reçut du Directoire l'offre de l'ambassade de
+Berlin qu'il refusa pour entrer au conseil des Cinq-Cents dont il
+venait d'être nommé membre par le collège du département du Liamone
+(Corse). Napoléon étant parti pour l'expédition d'Égypte, les deux
+frères entrèrent de nouveau en correspondance.
+
+Le 25 juillet 1798, Napoléon, étant au Caire, eut connaissance par
+des lettres de Paris des bruits qui couraient sur Joséphine. Il en
+éprouva un violent chagrin et écrivit à son frère Joseph la lettre
+ci-dessous qui n'a pas été insérée dans la correspondance de
+l'empereur et ne l'a été qu'en partie dans les _Mémoires du roi
+Joseph_. La voici tout entière:
+
+
+ Tu verras dans les papiers publics le résultat des batailles et la
+ conquête de l'Égypte qui a été assez disputée pour ajouter une
+ feuille à la gloire militaire de cette armée. L'Égypte est le pays
+ le plus riche en blé, riz, légumes, viande, qui existe sur la terre;
+ la barbarie y est à son comble. Il n'y a point d'argent, pas même
+ pour solder les troupes. Je puis être en France dans deux mois.--Je
+ te recommande mes intérêts.--J'ai beaucoup de chagrin domestique,
+ car le voile est entièrement levé. Toi seul me restes sur la terre,
+ ton amitié m'est bien chère, il ne me reste plus pour devenir
+ misanthrope qu'à la perdre et te voir me trahir... C'est une triste
+ position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même
+ personne dans un seul coeur... Tu m'entends.
+
+ Fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit près de
+ Paris ou en Bourgogne; je compte y passer l'hiver et m'y enfermer,
+ je suis ennuyé de la nature humaine! J'ai besoin de solitude et
+ d'isolement, les grandeurs m'ennuient, le sentiment est desséché. La
+ gloire est fade. À 29 ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus
+ qu'à devenir bien vraiment égoïste! Je compte garder ma maison,
+ jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n'ai plus que de quoi
+ vivre! Adieu, mon unique ami; je n'ai jamais été injuste envers toi!
+ Tu me dois cette justice malgré le désir de mon coeur de l'être...
+ Tu m'entends! Embrasse ta femme, Jérôme.
+
+
+Au mois d'octobre 1802, Napoléon, qui déjà songeait à faire
+participer avec lui ses frères aux affaires de l'État, écrivit à
+Joseph une courte lettre dans laquelle se reflètent ses pensées sur
+son frère aîné. La voici; elle n'a pas encore été publiée.
+
+
+ J'estime qu'il est utile à l'État et à moi que vous acceptiez la
+ place de chancelier, si le Sénat vous y présente. Je jugerai le cas
+ que je dois faire de votre attachement et de vous, par la conduite
+ que vous tiendrez.
+
+
+Dans le premier volume des _Mémoires du roi Joseph_, on trouve un
+fragment historique que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait écrit
+pendant son séjour en Amérique. Il comprend la période qui s'écoule
+de la naissance de Joseph à son arrivée à Naples (1806). À la page
+97, il est question de la mort du duc d'Enghien. On a supprimé de ce
+fragment les lignes suivantes que nous rétablissons:
+
+
+ Ma mère était tout en larmes, et adressait les plus vifs reproches
+ au premier consul qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que
+ c'était une action atroce dont il ne pourrait jamais se laver, qu'il
+ avait cédé aux conseils perfides de ses propres ennemis, enchantés
+ de pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page si horrible. Le
+ premier consul se retira dans son cabinet, et peu d'instants après
+ arriva Caulaincourt qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné de la
+ douleur de ma mère qui se hâta de lui en apprendre le sujet. À cette
+ fatale nouvelle, Caulaincourt se frappa le front et s'arracha les
+ cheveux en s'écriant: «Ah! pourquoi faut-il que j'aie été mêlé dans
+ cette funeste expédition!»
+
+ Vingt ans se sont écoulés depuis cet événement et je me souviens
+ très bien que plusieurs des personnes qui cherchent aujourd'hui à se
+ laver d'y avoir pris part, s'en vantaient alors comme d'une fort
+ belle chose, et approuvaient hautement cet acte. Pour moi, j'en fus
+ très peiné à cause du respect et de l'attachement que je portais au
+ premier consul; il me parut que sa gloire en était flétrie.
+
+ Quelques jours après, ma mère me dit qu'elle avait été assez
+ heureuse pour faire parvenir à une dame que le prince affectionnait,
+ son chien et quelques effets qui lui avaient appartenu.
+
+ J'arrive maintenant au grand et important événement qui plaça la
+ couronne impériale sur la tête du premier consul; il s'écoula
+ plusieurs mois entre son élection et le couronnement. Pendant ce
+ temps, l'empereur, voulant entourer le trône de toute la dignité et
+ de tout le respect nécessaire au pouvoir monarchique, rétablit
+ l'ancienne étiquette et la fit observer avec soin. Dès ce moment je
+ cessai d'avoir des relations aussi intimes avec lui, et pendant
+ quelque temps je me trouvai par mon grade et par mes fonctions
+ relégué dans le salon d'attente le plus éloigné de ses appartements.
+
+ Je n'en murmurai point et je concevais parfaitement que cela dût
+ être ainsi. Mais il ne manqua pas de gens, courtisans ou autres,
+ qui, sous le masque de l'intérêt, blâmèrent cette manière d'être de
+ Napoléon à mon égard.
+
+
+En 1805, pendant que l'empereur Napoléon combattait les empereurs
+d'Autriche et de Russie en Allemagne, Joseph, resté à Paris avec
+pleins pouvoirs de son frère, écrivit le 19 novembre à ce dernier la
+lettre ci-dessous, omise dans la _Correspondance_ et les _Mémoires_:
+
+
+ Jérôme est parti hier. J'avais dû lui donner lors de son premier
+ départ, il y a vingt jours, quarante mille francs. J'ai dû lui en
+ procurer soixante mille avant-hier, pour qu'il pût partir. Il lui
+ aurait été impossible sans cette somme de quitter Paris. Si Votre
+ Majesté veut faire donner l'ordre de me rembourser cette somme de
+ cent mille francs, elle me fera plaisir, parce que je ne suis pas
+ dans le cas d'en faire longtemps l'avance à Jérôme. Je suis honteux
+ d'entretenir Votre Majesté d'un si petit détail.
+
+
+Napoléon trouva fort mauvais ce qu'avait fait Joseph et lui répondit
+de Schoenbrunn, le 13 décembre 1805, la lettre suivante, également
+omise:
+
+
+ Mon frère, j'ai lieu d'être surpris que vous ayez tiré des mandats
+ sur un préposé de ma liste civile. Je ne veux rien donner à Jérôme
+ au-delà de sa pension; elle lui est plus que suffisante et plus
+ considérable que celle d'aucun prince de l'Europe. Mon intention
+ bien positive est de le laisser emprisonner pour dettes, si cette
+ pension ne lui suffit pas. Qu'ai-je besoin des folies qu'on fait
+ pour lui à Brest? C'est de la gloire qu'il lui faut et non des
+ honneurs. Il est inconcevable ce que me coûte ce jeune homme pour ne
+ me donner que des désagréments et n'être bon à rien à mon système.
+ Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
+
+ Votre très-affectionné frère.
+
+
+Joseph, voyant que son frère s'était mépris en partie sur ce qui
+avait été fait à l'égard de Jérôme, écrivit de Paris le 22 décembre
+1805:
+
+
+ Sire, j'ai reçu la lettre de Votre Majesté du 22 frimaire,
+ relativement à Jérôme. V. M. a été induite en erreur, je ne me suis
+ pas permis de tirer des mandats sur aucun des préposés de sa liste
+ civile, seulement j'ai demandé à M. Lemaître, préposé du trésorier,
+ s'il trouvait des inconvénients à avancer à Jérôme quatre mois de sa
+ pension; sur son hésitation, je lui ai dit que si M. Estève le
+ trouvait mal, je ferais remettre cette somme dans sa caisse
+ sur-le-champ. Voilà le fait. V. M. est trop juste pour ne pas voir
+ que je n'ai rien pris sur moi qui pût lui déplaire. Jérôme ne
+ pouvait partir sans argent et mon intendant n'avait pas un sol que
+ je puisse lui donner dans ce moment, au-delà des quarante mille
+ francs que je lui ai donnés précédemment.
+
+ Je me suis plaint tout le premier au ministre de la police du
+ journaliste qui avait parlé des honneurs qu'on lui rendait. Sur mon
+ ordre, le ministre a fait défense aux autres journalistes de copier
+ cet article qui effectivement n'a pas été répété depuis.
+
+ J'ai fait la même plainte au ministre de la marine qui m'a dit qu'il
+ avait une lettre de Jérôme qui démentait les assertions du
+ journaliste et qu'il était très satisfait de lui[7].
+
+ [Note 7: Jérôme, en effet, avait été reçu à Brest avec
+ beaucoup d'éclat. Il était difficile qu'il en fût autrement.
+ N'était-il pas le frère de l'empereur? Peut-être ce dernier
+ aurait-il été fort mécontent si son frère n'avait pas été
+ reçu avec les honneurs dus à son rang.]
+
+ Je suis, etc.
+
+
+Jusqu'alors aucun différend un peu sérieux ne s'était élevé entre
+les deux frères. Napoléon écrivait avec quelque rudesse à son aîné,
+mais toujours en lui montrant une grande affection. Ce fut quelque
+temps après la création de l'empire et les succès de la campagne de
+1805, lorsque la politique fut en jeu, que survint la première
+mésintelligence sérieuse.
+
+Napoléon, une fois sur le trône, voulut mettre une couronne sur la tête
+de Joseph et songea à fonder le royaume de Lombardie. L'aîné des
+Bonaparte, peu ambitieux de sa nature, refusa obstinément, donnant pour
+prétexte que son frère n'ayant pas d'enfant de son mariage avec
+Joséphine, il ne voulait pas aliéner ses droits sur la couronne de son
+propre pays. En vain l'empereur essaya-t-il de le faire revenir sur
+cette résolution, Joseph s'obstina, et le royaume d'Italie ayant été
+fondé, le beau-fils de Napoléon, le prince Eugène de Beauharnais, en fut
+nommé vice-roi par l'empereur. Toutefois, ce n'était qu'une étape dans
+les vastes projets du conquérant. Immédiatement après la bataille
+d'Austerlitz et le traité de Presbourg, dès qu'il eut lancé de son camp
+impérial de Schoenbrunn (27 décembre 1805) le manifeste par lequel il
+déclarait à la face de l'Europe que les Bourbons de Naples avaient cessé
+de régner sur cette partie de l'Italie, Napoléon nomma Joseph son
+lieutenant-général dans le sud de la Péninsule, mit sous ses ordres
+l'armée française destinée à faire la conquête de ce royaume, bien
+décidé, une fois que son frère serait à Naples, à mettre la couronne des
+Deux-Siciles sur sa tête. Il laissa donc d'abord Joseph faire la
+conquête et entrer à Naples; puis, ce prince ayant demandé à avoir
+auprès de lui pour les attacher à son service deux personnes qui lui
+inspiraient une grande confiance, une véritable amitié, les conseillers
+d'État Miot de Mélito et Roederer, l'empereur les lui envoya. Avant
+d'expédier le premier, il le fit venir dans son cabinet et lui dit:
+
+
+ Vous allez partir pour rejoindre mon frère. Vous lui direz que je le
+ ferai roi de Naples, qu'il restera Grand Électeur et que je ne
+ changerai rien à ses rapports avec la France; mais dites-lui bien
+ aussi qu'il ne faut ni hésitation ni incertitude. J'ai dans le
+ secret de mon sein un autre tout nommé pour le remplacer, s'il
+ refuse. Je l'appellerai Napoléon. Il sera mon fils. C'est la
+ conduite de Joseph à Saint-Cloud, son refus d'accepter la couronne
+ de Lombardie, qui m'a fait nommer Eugène mon fils. Je suis résolu à
+ en faire un autre s'il m'y force encore. _Tous les sentiments
+ d'affection cèdent maintenant à la raison d'État. Je ne connais pour
+ parents que ceux qui me servent._ Ce n'est point au nom de Bonaparte
+ qu'est attachée ma famille, c'est au nom de Napoléon. Je n'ai pas
+ besoin d'une femme pour avoir un héritier. C'est avec ma plume que
+ je fais des enfants[8]. Je ne puis aimer aujourd'hui que ceux que
+ j'estime. Tous ces liens, tous ces rapports d'enfance, il faut que
+ Joseph les oublie; qu'il se fasse estimer; qu'il acquière de la
+ gloire; qu'il se fasse casser une jambe; qu'il ne redoute plus la
+ fatigue; ce n'est qu'en la méprisant qu'on devient quelque chose.
+ Voyez, moi, la campagne que je viens de faire, l'agitation, le
+ mouvement m'ont engraissé. Je crois que si tous les rois de l'Europe
+ se coalisaient contre moi, je gagnerais une panse ridicule.
+
+ [Note 8: Nous adoucissons l'expression de l'empereur. Celle
+ dont il se servit en parlant au futur ministre de Naples ne
+ saurait être écrite. Cette conversation, recueillie par Miot
+ de Mélito au sortir de son audience de départ, se trouve
+ telle quelle dans le manuscrit de cet homme d'État.]
+
+ Je donne à mon frère une bonne occasion. Qu'il gouverne sagement et
+ avec fermeté ses nouveaux États; qu'il se montre digne du trône que
+ je lui donne. Mais, ce n'est rien d'être à Naples où vous le
+ trouverez sans doute arrivé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de
+ résistance; il faut conquérir la Sicile. Qu'il pousse cette guerre
+ avec vigueur; qu'il paraisse souvent à la tête de ses troupes; qu'il
+ soit ferme, c'est le seul moyen de s'en faire aimer. Je lui
+ laisserai 14 régiments d'infanterie, 5 brigades de cavalerie, à peu
+ près 40,000 hommes. Qu'il m'entretienne cette partie de mon armée,
+ c'est la seule contribution que je lui demande. Surtout, qu'il
+ empêche X..... de voler. Je veux que ce qu'il fera payer aux peuples
+ du royaume de Naples tourne au profit de mes troupes et ne vienne
+ pas engraisser des fripons. Ce qui a été fait dans les États
+ vénitiens est épouvantable. Ce n'est point une affaire terminée.
+ Qu'il le renvoie donc à la première preuve qu'il aura de
+ malversation.
+
+ Quant à Roederer, je n'ai pas voulu le refuser à mon frère. C'est un
+ homme d'esprit qui pourra lui être utile. Il est déjà assez riche.
+ Que mon frère ne laisse pas déshonorer son caractère.
+
+ Vous avez entendu, je ne puis plus avoir de parents dans
+ l'obscurité. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seront plus de
+ ma famille. _J'en fais une famille de rois qui se rattacheront à mon
+ système fédératif._
+
+
+Ce discours familier tenu par Napoléon à l'ami, à l'un des futurs
+ministres de Joseph, nous paraît résumer la pensée intime de
+l'empereur et la ligne de conduite qu'il était décidé, dès ce jour,
+à suivre avec ses frères. Nous allons voir du reste qu'il ne s'en
+écarta plus.
+
+Les recommandations relatives à X....., l'empereur les adressa à son
+frère à plusieurs reprises, notamment dans une lettre datée du 2
+mars 1806. Dans cette dépêche, un passage supprimé dans les
+_Mémoires du roi Joseph_ a été rétabli dans la _Correspondance de
+l'empereur_ (page 146, 12e volume). Le voici: «Soyez inflexible pour
+les voleurs. X..... est haï de toute l'armée; vous devez bien vous
+convaincre aujourd'hui que cet homme n'a pas l'élévation nécessaire
+pour commander des Français.»
+
+L'empereur, dans une autre lettre à Joseph, exigea que ce dernier
+fit rendre les millions pris dans les États vénitiens. Cette lettre,
+en date du 12 mars, contient le passage suivant:
+
+
+ «X..... et Solignac ont détourné six millions quatre cent mille
+ francs, il faut qu'ils rendent jusqu'au dernier sou.» En la
+ recevant, Joseph, très-lié avec X....., le fit venir et lui demanda
+ de restituer de bonne grâce les millions qu'il avait détournés.
+ X..... ne paraissait pas disposé à ce sacrifice. «Écoute, lui dit le
+ roi de Naples, prends garde; tu connais mon frère, il te fera
+ fusiller. Si donc tu ne veux pas rendre l'argent, embarque-le avec
+ toi sur le navire américain en ce moment dans le port de Naples et
+ file dans le Nouveau-Monde. Si tu veux rendre, je te promets de te
+ faire donner par l'empereur une partie de ce que tu restitueras.»
+ X..... consentit enfin. Quelque temps après eut lieu la prise de
+ Gaëte. Reynier était fort embarrassé dans les Calabres. Joseph
+ demanda à X..... de s'y porter avec 30 mille hommes. X..... commença
+ par refuser si on ne lui laissait pas la faculté d'agir dans ce pays
+ comme bon lui semblait. En vain Joseph lui promit de lui faire
+ donner par l'empereur lui-même une grosse somme, il voulut rester
+ libre de faire ce qui lui conviendrait.
+
+
+Cela n'empêchait pas Napoléon de rendre justice au mérite de X.....;
+aussi écrivait-il au prince Eugène, le 30 avril 1809, après la
+bataille de Sacile: «X..... a des talents militaires devant lesquels
+il faut se prosterner. Il faut oublier ses défauts, car tous les
+hommes en ont, etc.» Mais revenons à Joseph.
+
+Pendant presque tout le règne à Naples du frère aîné de l'empereur,
+les relations entre les deux souverains furent affectueuses, surtout
+pendant l'année 1806. De temps à autre, néanmoins, Napoléon lançait
+dans ses lettres quelques mots de blâme à Joseph. Ainsi, le 24 juin
+1806, il lui écrit de Saint-Cloud la lettre ci-dessous, omise dans
+la _Correspondance_ et aux _Mémoires_:
+
+
+ J'ai reçu votre lettre du 15 juin. Je vous prie de bien croire que
+ toutes les fois que je critique ce que vous faites, je n'en apprécie
+ pas moins tout ce que vous avez fait[9].
+
+ [Note 9: C'était en quelque sorte un exorde à la lettre fort
+ dure que l'empereur devait écrire à son frère en date du 12
+ novembre 1807, relative à la Sicile.]
+
+ Je vois avec un grand plaisir la confiance que vous avez inspirée à
+ toute la saine partie de la nation.
+
+ Je ne sais s'il y a beaucoup de poudre à Ancône et à Civita-Vecchia,
+ mais j'ai ordonné que, s'il y en avait, on vous en envoyât
+ sur-le-champ.
+
+ Le roi de Hollande est arrivé à La Haye, il a été reçu avec grand
+ enthousiasme.
+
+ Je vous ai déjà écrit pour l'expédition de Sicile qu'il fallait
+ débarquer la première fois en force.
+
+ Je vous prie de mettre l'heure de départ de vos lettres, afin que je
+ voie si l'estafette fait son devoir, etc.
+
+
+La reine Julie n'avait pu encore rejoindre son mari avec ses
+enfants; le roi l'attendait avec impatience, et l'empereur désirait
+son départ. Joseph lui écrivit la lettre suivante:
+
+
+ Ma chère Julie, j'ai reçu ta lettre du 11; je sais que ta santé
+ n'est pas bonne, pourquoi t'obstines-tu à aller le dimanche et le
+ lundi aux Tuileries? tu dois rester chez toi et ne t'occuper que du
+ rétablissement de ta santé; tu sais que rien ne lui est plus
+ nuisible que les veilles et la contrariété; reste donc chez toi avec
+ tes filles et ta soeur et tes nièces, amuse-toi avec elles, fais des
+ contes à Zénaïde, à Lolotte et à Oscar[10] et pense que c'est tout
+ ce que tu peux faire de mieux pour elles, pour toi et pour moi,
+ puisque tu rattrapes par là ta santé.
+
+ [Note 10: Depuis roi de Suède.]
+
+ Tout va bien ici, la ville est tranquille, je m'occupe beaucoup des
+ affaires et je vois avec plaisir que ce n'est pas sans succès; je
+ ferai l'expédition de Sicile dès que j'en aurai les moyens, mais tu
+ ne dois avoir aucune inquiétude pour moi. Cela fait, s'il entrait
+ dans les arrangements de l'empereur de marier Zénaïde ou Charlotte
+ avec Napoléon[11] au lieu d'un étranger, je m'estimerai heureux si,
+ par l'adoption de notre neveu, l'empereur réunissait sur lui seul
+ toutes ses affections, sans que mon honneur en fût blessé; je
+ demanderai d'être, moi, l'organe de sa volonté au Sénat; par ce
+ moyen je reviendrai vivre avec toi à Mortefontaine, et je
+ m'arracherai, avec plaisir, à cette vie que je ne mène que pour
+ obéir à l'empereur, soit qu'il me voulût à la tête d'une armée, soit
+ que s'y mettant lui-même, il me laissât le soin d'être l'organe de
+ sa volonté à Paris comme il l'a déjà fait une fois. Je crois que
+ l'intérêt de toute la famille, de l'empereur surtout, qui reste seul
+ exposé aux complots ennemis, toutes ces affections de mon coeur se
+ trouveraient réunies dans ce projet.
+
+ [Note 11: Fils aîné du roi Louis.]
+
+ Il est plus que probable que nous n'aurons pas de garçons; d'après
+ cela, qu'y a-t-il de plus glorieux pour moi que de centraliser avec
+ l'empereur toutes nos affections sur le même enfant qui devient
+ aussi le mien? Je crois que tu pourrais en dire deux mots à
+ l'empereur, s'il t'en offre l'occasion.
+
+ Je le répète, il ne doit pas rester seul à Paris, la Providence m'a
+ fait exprès pour lui servir de sauvegarde, aimant le repos, pouvant
+ supporter l'activité, méprisant les grandeurs et pouvant porter leur
+ fardeau avec succès; quelles que soient les brouilleries qui ont
+ existé entre l'empereur et moi, il est vrai de dire, ma chère amie,
+ que c'est encore l'homme du monde que j'aime le mieux. Je ne sais
+ pas si un climat, des rivages en tout semblables à ceux que j'ai
+ habités avec lui m'ont rendu toute ma première âme pour l'ami de mon
+ enfance, mais il est vrai de dire que je me surprends pleurant mes
+ affections de 20 ans comme celles de quelques mois; si tu ne peux
+ pas venir tout de suite, envoie-moi Zénaïde; je donnerais tous les
+ empires du monde pour une caresse de ma grande Zénaïde et une
+ caresse de ma petite Lolotte; quant à toi, tu sais bien que je
+ t'aime comme leur mère et comme j'aime ma femme; si je puis réunir
+ une famille dispersée et vivre dans le sein de la mienne, je serai
+ content et je m'adonne à remplir toutes les missions que l'empereur
+ me donnera, comme général, gouverneur, pourvu qu'elles soient
+ temporaires, et que je conserve l'espoir de mourir dans un pays où
+ j'ai toujours voulu vivre.
+
+ Je ne sais pas pourquoi je n'écris pas ceci à l'empereur, mais ce
+ sera la même chose si tu lui donnes cette lettre à lire, et je ne
+ vois pas pourquoi je ne lui donnerais pas mon âme à voir tout comme
+ à toi-même.
+
+
+Le 28 juillet 1806, Napoléon, dans une autre lettre, reproche au roi
+Joseph sa trop grande douceur et termine par cette phrase: «Ce
+serait vous affliger inutilement que de vous dire tout ce que je
+pense.» Et un _post-scriptum_: «Au milieu de tout cela, portez-vous
+bien, c'est le principal.»
+
+Le 9 août, Napoléon dit à son frère, au milieu d'une longue lettre:
+«Votre correspondance est régulière mais insignifiante.» Le 12
+novembre 1806, ayant appris que Joseph montrait quelquefois ses
+lettres à ses amis, il termine celle qu'il lui écrit ce jour-là de
+la manière suivante: «Peut-être ai-je tort de vous dire cela, mais
+si vous montrez mes lettres pour des choses indifférentes, j'espère
+que celle-ci sera oubliée par vous, immédiatement après que vous
+l'aurez lue.»
+
+L'idée favorite de Napoléon était d'imposer à l'Europe un système
+fédératif de rois pris dans sa famille. Il avait placé successivement
+Joseph sur le trône de Naples, Louis sur le trône de Hollande, Jérôme
+sur celui de Westphalie. Roi d'Italie, il avait fait son beau-fils,
+Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un seul de ses frères, Lucien,
+persistait à se montrer rebelle à l'attrait du pouvoir suprême,
+préférant au sceptre une vie de famille douce et paisible. Depuis 1803,
+il vivait à Rome dans une sorte d'exil, marié à une femme qui lui
+convenait, mais que Napoléon ne voulait pas reconnaître pour sa
+belle-soeur. Un mot sur l'existence de Lucien jusqu'à son entrevue avec
+l'empereur à Mantoue, en 1807.
+
+Lucien était né à Ajaccio le 21 mars 1775. Obligé de se réfugier en
+France par suite de la proscription que Paoli avait fait prononcer
+contre la famille Bonaparte, Lucien, dont la mère était complètement
+ruinée, sollicita et obtint un emploi dans l'administration des
+subsistances de l'armée des Alpes-Maritimes, et, peu de temps après,
+la place de garde-magasin des subsistances militaires de
+Saint-Maximin, dans le département du Var. Reçu membre et bientôt
+élu président de la Société populaire de cette ville, Lucien épousa
+Mlle Christine Boyer, qui appartenait à une famille peu aisée mais
+très honorable du pays. Nommé à la fin de 1795 commissaire des
+guerres, il fut envoyé deux ans et demi après, par le département de
+Liamone, au Conseil des Cinq-Cents en qualité de député de la Corse.
+
+Lucien n'avait alors que vingt-trois ans: l'âge légal exigé par la
+Constitution était vingt-cinq ans; mais la commission chargée de la
+vérification des pouvoirs, soit par sympathie pour le nouveau
+membre, soit par considération pour le général Bonaparte qui venait
+de conquérir l'Italie, passa sur l'illégalité de sa nomination.
+
+Lucien était né orateur: quelques jours lui suffirent pour faire
+apprécier la puissance de sa parole. Il combattit avec force et
+succès le Directoire, et ne cessa de signaler à la France les
+conséquences inévitables des violations journalières faites à la
+Constitution. Ce fut lui qui fit accorder des secours aux veuves et
+aux enfants des soldats morts sur le champ de bataille, qui fit
+repousser l'impôt que le gouvernement voulait établir sur le sel et
+sur les denrées de première nécessité, et qui décida le Conseil, le
+22 septembre 1798, à renouveler son serment de fidélité à la
+Constitution de l'an III. Convaincu qu'il sauvait la République en
+arrachant le pouvoir aux hommes du Directoire, Lucien, qui venait
+d'être porté à la présidence des Cinq-Cents, seconda de toutes ses
+forces le projet de son frère Napoléon. Ce fut lui qui décida, par
+l'énergie de son caractère et la puissance de sa parole, le succès
+des journées du 18 et du 19 brumaire. Nommé membre du Tribunat,
+institué par la constitution consulaire, et peu de temps après
+ministre de l'intérieur en remplacement de Laplace, Lucien déploya
+dans cette nouvelle position toutes les ressources de son esprit, et
+marqua son ministère par plusieurs actes importants. Ce fut sous son
+administration que les préfectures furent définitivement organisées
+et que les arts et les sciences, négligés par le gouvernement
+directorial, attirèrent de nouveau l'attention et la sollicitude du
+pouvoir. Envoyé en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire
+de la République, il décida Charles IV à s'allier étroitement à la
+France, força le Portugal à signer, le 29 novembre 1801, le traité
+de Badajoz, conclut avec les deux pays plusieurs conventions très
+avantageuses à la France, et prit enfin une part importante à la
+création du royaume d'Étrurie et à la cession faite à la France des
+duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla.
+
+Rentré en France au commencement de 1802, Lucien fut chargé par son
+frère de présenter le Concordat à la sanction du Tribunat; il
+prononça, à cette occasion, un discours remarquable, dont la sagesse
+et la modération furent louées par tout le monde. Le 18 mai suivant,
+il fit adopter le projet d'institution de la Légion d'honneur; son
+discours, plein de vues supérieures, obtint les applaudissements de
+toute l'assemblée. Lucien fut nommé grand officier et membre du
+grand conseil d'administration de l'ordre et enfin membre du Sénat.
+Peu de temps après, l'Institut national, réorganisé sous ses
+auspices par décret du 3 février 1803, l'élisait membre de la
+classe des langues et de la littérature.
+
+Lucien aimait réellement la République; il y voyait le salut de la
+France et le seul gouvernement compatible avec les circonstances.
+Ses vues différaient de celles du premier consul, et plus d'une fois
+cette différence avait provoqué de violentes discussions entre les
+deux frères. Également tenaces, également convaincus de la
+supériorité de leurs idées, Napoléon et Lucien défendirent leurs
+opinions politiques avec la même force; et, comme on devait le
+prévoir, n'ayant pu se convaincre mutuellement, ils se brouillèrent.
+Une affaire de famille acheva de séparer les deux frères. Lucien
+avait perdu sa femme, à peine âgée de vingt-six ans. Il voulait
+épouser Mme Alexandrine de Bleschamp, alors une des femmes les plus
+belles et les plus spirituelles de Paris, veuve de M. Jouberthon,
+mort à Saint-Domingue où il avait suivi l'expédition du général
+Leclerc. Le premier consul, soit qu'il prévît les grandes destinées
+réservées à ses frères et soeurs, soit qu'il eût des vues secrètes
+pour Lucien, voulut s'opposer au mariage de son puîné; mais Lucien
+épousa malgré lui la femme qu'il avait choisie. La rupture fut alors
+complète entre les deux frères. Lucien quitta la France au mois
+d'avril 1804, et alla se fixer à Rome, où il fut accueilli avec la
+plus haute bienveillance par le vénérable Pie VII.
+
+L'empereur cependant n'avait pas renoncé à faire rentrer dans son
+système le seul de ses frères qui s'obstinât à ne pas s'y associer.
+Il fit faire officieusement par Joseph des avances à Lucien,
+lorsqu'à la fin de 1807, il se rendit lui-même à Milan pour ceindre
+la couronne de fer. Joseph, ayant vu Lucien à Modène, écrivit de
+cette ville à l'empereur, le 11 décembre 1807:
+
+
+ J'ai rencontré Lucien à Modène; il était fort empressé de se rendre
+ auprès de vous, surtout d'après les dispositions de bonté dans
+ lesquelles je lui ai dit que vous étiez pour lui et pour celle de
+ ses enfants en âge d'être établie. Il vient vous en remercier et il
+ est décidé à l'envoyer à Paris dès que vous le jugerez nécessaire.
+
+ Il persiste dans les assurances qu'il m'avait déjà données à mon
+ passage à Rome que, content de son état, il ne désirait en sortir
+ qu'autant que cela pourrait être utile aux vues de Votre Majesté sur
+ sa dynastie et compatible avec le devoir qu'il s'est imposé de ne
+ point abandonner une femme qu'il ne dépend plus de lui aujourd'hui
+ de ne pas avoir, qui lui a donné quatre enfants et dont il n'a qu'à
+ se louer infiniment depuis qu'il vit avec elle.
+
+ Quelles que soient les observations que je lui aie faites; quelque
+ fortes que m'aient semblé les raisons que je lui ai données, je n'ai
+ pu en tirer autre chose sinon qu'il avait mis son honneur à ne
+ désavouer ni sa femme, ni ses enfants, et qu'il lui était impossible
+ de se déshonorer, ne fût-ce qu'à ses propres yeux. Du reste, prêt à
+ saisir tous les moyens qu'il vous plairait de lui offrir pour sortir
+ de l'état de nullité dans lequel il est. Il trouve juste que vous ne
+ lui donniez aucun droit à l'hérédité en France, puisque vous ne
+ reconnaissez pas les enfants nés de son mariage; mais qu'il lui
+ semblait que dans un établissement étranger, les considérations
+ politiques n'étaient pas les mêmes et que votre indulgence pourrait
+ bien laisser partager cet établissement, quel qu'il fût, à sa femme
+ et à ses enfants.
+
+ Sur ce qu'il m'a dit qu'ils étaient sur le point de se mettre en
+ route pour aller se jeter à vos pieds, je l'en ai dissuadé et l'ai
+ engagé à envoyer un courrier qui suspendît leur départ.
+
+ Je suis fâché de n'avoir pas autre chose à vous apprendre; mais Dieu
+ est grand et miséricordieux et je reconnais tous les jours davantage
+ qu'avec autant de bonté que moi, vous avez tant de ressources dans
+ l'esprit que tout ce dont vous vous mêlez doit réussir. Je fais bien
+ des voeux pour cela.
+
+
+À la réception de cette lettre, Napoléon fit dire à Lucien de se
+rendre à Mantoue où lui-même irait le trouver.
+
+Les deux frères se revirent après quatre ans de séparation.
+Napoléon, nous l'avons dit, regrettait l'éloignement de Lucien et
+par raison politique et par esprit de famille. Il n'avait pas
+renoncé à obtenir de lui une modification dans sa ligne de conduite,
+en s'adressant de nouveau à son ambition. Mais il voulait d'abord le
+détacher de sa femme comme il l'avait fait pour Jérôme, époux de
+l'Américaine Patterson.
+
+Les deux frères arrivèrent à Mantoue le 13 décembre 1807, presque au
+même moment. À peine arrivé, Lucien se rendit au palais et monta à
+l'appartement de l'empereur, qui vint au-devant de lui en lui
+tendant la main avec émotion. Lucien la baisa, puis les deux frères
+s'embrassèrent. Restés seuls, Napoléon aborda franchement la
+conversation et fit connaître ses projets sans le moindre détour. Le
+royaume d'Italie fut offert à Lucien; mais celui-ci, sans dire qu'il
+accepterait dans aucun cas, fit observer à son frère que, roi de ce
+pays, il exigerait immédiatement l'évacuation des troupes françaises
+et suivrait la politique qui lui semblerait la plus profitable à la
+nation italienne. C'était suffisamment dire qu'il régnerait pour lui
+et non suivant les vues de Napoléon; cela ne pouvait convenir à
+l'empereur. Celui-ci lui offrit alors le grand-duché de Toscane.
+Sans se prononcer sur cette proposition, Lucien répondit que, s'il
+devenait duc de Toscane, il marcherait sur les traces de Léopold,
+dont la mémoire était restée si chère aux Toscans. En d'autres
+termes, il déclarait cette fois encore qu'il ne gouvernerait que
+dans l'intérêt de ses sujets. Du reste, dans la pensée de Napoléon,
+l'offre de la Toscane, comme celle de la couronne d'Italie, était
+subordonnée à la condition que Lucien divorcerait avec Mme
+Alexandrine de Bleschamp. Lucien repoussa cette demande avec
+indignation. Napoléon s'emporta; dans sa colère, il brisa une montre
+en disant qu'il saurait briser de même les volontés qui
+s'opposeraient à la sienne; il alla même jusqu'à menacer Lucien de
+le faire arrêter; Lucien répondit avec dignité à cette menace: «Je
+vous défie de commettre un crime.» Peu d'instants après, les deux
+frères se séparèrent, Lucien pour retourner à Rome, Napoléon pour se
+rendre à Milan.
+
+À la suite de cette entrevue et de cette scène violente, Napoléon
+écrivit à Joseph:
+
+
+ Mon frère, j'ai vu Lucien à Mantoue, j'ai causé avec lui pendant
+ plusieurs heures; il vous aura sans doute mandé la disposition dans
+ laquelle il est parti. Ses pensées et sa langue sont si loin de la
+ mienne que j'ai eu peine à saisir ce qu'il voulait; il me semble
+ qu'il m'a dit qu'il voulait envoyer sa fille aînée à Paris près de
+ sa grand'mère. S'il est toujours dans ces dispositions, je désire en
+ être sur-le-champ instruit, et il faut que cette jeune personne soit
+ dans le courant de janvier à Paris, soit que Lucien l'accompagne,
+ soit qu'il charge une gouvernante de la conduire à Madame. Lucien
+ m'a paru être combattu par différents sentiments et n'avoir pas
+ assez de force de caractère pour prendre un parti. Toutefois, je
+ dois vous dire que je suis prêt à lui rendre son droit de prince
+ français, à reconnaître toutes ses filles comme mes nièces,
+ toutefois qu'il commencerait par annuler son mariage avec Mme
+ Jouberthon, soit par divorce, soit de toute autre manière. Dans cet
+ état de choses, tous ses enfants se trouveraient établis. S'il est
+ vrai que Mme Jouberthon soit aujourd'hui grosse, et qu'il en naisse
+ une fille, je ne vois pas d'inconvénient à l'adopter, si c'est un
+ garçon, à le considérer comme fils de Lucien, mais non d'un mariage
+ avoué par moi, et celui-là je consens à le rendre capable d'hériter
+ d'une souveraineté que je placerais sur la tête de son père,
+ indépendamment du rang où celui-ci pourra être appelé par la
+ politique générale de l'État, mais sans que ce fils puisse prétendre
+ à succéder à son père dans son véritable rang, ni être appelé à la
+ succession de l'Empire français. Vous voyez que j'ai épuisé tous
+ les moyens qui sont en mon pouvoir de ramener Lucien (qui est
+ encore dans sa première jeunesse), à l'emploi de ses talens pour moi
+ et la patrie, je ne vois point ce qu'il pourrait actuellement
+ alléguer contre ce système. Les intérêts de ses enfants sont à
+ couvert, ainsi donc j'ai pourvu à tout. Le divorce une fois fait
+ avec Mme Jouberthon et Lucien établi en pays étranger, Mme
+ Jouberthon ayant un grand titre à Naples ou ailleurs, si Lucien veut
+ l'appeler près de lui, pourvu que ce ne soit pas jamais en France
+ qu'il veuille vivre avec elle, non comme avec une princesse sa
+ femme, et dans telle intimité qu'il lui plaira, je n'y mettrai point
+ d'obstacle, car c'est la politique seule qui m'intéresse; après cela
+ je ne veux point contrarier ses goûts ni ses passions. Voilà mes
+ propositions. S'il veut m'envoyer sa fille, il faut qu'elle parte
+ sans délai, et qu'en réponse il m'envoie une déclaration que sa
+ fille part pour Paris et qu'il la met entièrement à ma disposition,
+ car il n'y a pas un moment à perdre; les événements se pressent, et
+ il faut que mes destinées s'accomplissent. S'il a changé d'avis, que
+ j'en sois également instruit sur-le-champ, car j'y pourvoirai d'une
+ autre manière, quelque pénible que cela fût pour moi, car pourquoi
+ méconnaîtrais-je ces deux jeunes nièces qui n'ont rien à faire avec
+ le jeu des passions dont elles ne peuvent être les victimes? Dites à
+ Lucien que sa douleur et la partie des sentiments qu'il m'a
+ témoignées m'ont touché, et que je regrette davantage qu'il ne
+ veuille pas être raisonnable et aider à son repos et au mien. Je
+ compte que vous aurez cette lettre le 22. Mes dernières nouvelles de
+ Lisbonne sont du 28 novembre. Le prince-régent s'était embarqué pour
+ se rendre au Brésil; il était encore en rade de Lisbonne; mes
+ troupes n'étaient qu'à peu de lieues des forts qui ferment l'entrée
+ de la rade. Je n'ai point d'autre nouvelle d'Espagne que la lettre
+ que vous avez lue. J'attends avec impatience une réponse claire et
+ nette surtout pour ce qui concerne Lolotte.
+
+ Votre affectionné frère.
+
+ _P.-S._--Mes troupes sont entrées le 30 novembre à Lisbonne, le
+ prince royal est parti sur un vaisseau de guerre, j'en ai pris cinq
+ et six frégates. Le 2 décembre, tout allait bien à Lisbonne. Le 6
+ décembre, l'Angleterre a déclaré la guerre à la Russie. Faites
+ passer cette nouvelle à Corfou. La reine de Toscane est ici. Elle
+ veut s'en aller à Madrid.
+
+ Milan, 20 décembre à minuit 1807.
+
+
+À l'époque où cette lettre fut écrite, l'empereur commençait à se
+préoccuper des affaires d'Espagne. L'héritier présomptif du trône,
+Ferdinand, fils de Charles IV, lui avait fait faire des ouvertures
+pour obtenir la main d'une Bonaparte. Napoléon avait eu l'idée de
+donner à ce prince, prêt à se jeter dans ses bras, la fille de
+Lucien. C'est ce qui explique la lettre ci-dessus.
+
+Au reçu de cette lettre, Joseph écrivit à Lucien qui lui répondit et
+dont il envoya la lettre à l'empereur le 31 décembre avec celle-ci:
+
+
+ Sire,
+
+ Je vous envoye la réponse que j'ai reçue de Lucien, il veut mener sa
+ fille lui-même jusqu'à Pescara où il la remettra à la personne que
+ vous aurez chargée de la conduire à Milan. J'ai fait inutilement
+ l'impossible pour obtenir davantage de lui, pour son propre bien,
+ pour celui de sa famille, et pour répondre aux vues paternelles de
+ Votre Majesté.
+
+ Sa femme n'est pas décidément enceinte, ce que l'on avait dit n'est
+ pas vrai.
+
+
+Bientôt, en vertu des ordres de l'empereur, eut lieu l'expédition de
+Rome et la prise de possession de la ville éternelle par les troupes
+du général Miollis, le Saint-Père s'étant refusé à observer le
+blocus continental. Lucien se trouvait encore à Rome. Il écrivit à
+Joseph pour le prier de demander à l'empereur l'autorisation de se
+retirer près de Naples. Joseph manda à l'empereur le 4 février 1808:
+
+
+ Je reçois vos lettres du 26. Nos troupes sont entrées à Rome. Lucien
+ me demande à se retirer dans une campagne aux environs de Naples
+ avec sa famille; il me dit qu'il n'est pas en sûreté à Rome, que la
+ populace croit qu'il a été décidé par Votre Majesté, lors de son
+ entretien avec elle à Mantoue, que les États du Pape lui seraient
+ donnés. Je lui réponds qu'il ne m'est pas possible d'y voir sa
+ femme, que je l'y verrai avec mes nièces si cela est utile à sa
+ santé, que je croyais devoir vous en écrire, que les troupes
+ françaises étant à Rome, je ne voyais pas ce qu'il avait à craindre
+ s'il voulait y rester.
+
+
+Le 11 mars, l'empereur répondit de Saint-Cloud à Joseph:
+
+
+ Mon frère, Lucien se conduit mal à Rome, jusqu'à insulter les
+ officiers romains qui prennent parti pour moi, et se montrer plus
+ romain que le pape. Je désire que vous lui écriviez de quitter Rome
+ et de se retirer à Florence ou à Pise. Je ne veux point qu'il
+ continue à rester à Rome, et s'il se refuse à ce parti je n'attends
+ que votre réponse pour le faire enlever. Sa conduite a été
+ scandaleuse, il se déclare mon ennemi et celui de la France; s'il
+ persiste dans ces sentimens, il n'y a de refuge pour lui qu'en
+ Amérique. Je lui croyais de l'esprit, mais je vois que ce n'est
+ qu'un sot. Comment à l'arrivée des troupes françaises pouvait-il
+ rester à Rome? Ne devait-il pas se retirer à la campagne? Bien plus,
+ il s'y met en opposition avec moi. Cela n'a pas de nom. Je ne
+ souffrirai pas qu'un Français et un de mes frères soit le premier à
+ conspirer et à agir contre moi avec la prêtraille.
+
+ Votre affectionné frère.
+
+
+L'empereur exigea que son frère Lucien quittât Rome pour aller
+s'établir avec les siens à Florence, et Joseph fut chargé de veiller
+à ce changement de résidence qui eut lieu à la fin d'avril 1808.
+
+Lucien, fatigué des tracas que lui suscitait Napoléon, fut sur le
+point de se rendre en Amérique avec les siens. Il fit part de ce
+projet à l'empereur et à Joseph. Ce dernier lui répondit le 15 mai
+1808:
+
+
+ J'ai reçu ta lettre, mon cher Lucien, j'espère que la réponse que tu
+ auras attendue de l'empereur te fera changer de résolution et que tu
+ pourras rester en Europe. Je fais des voeux pour que cela soit ainsi
+ et que tu sois plus heureux dans tes relations directes que tu ne
+ l'as été par mon intermédiaire.
+
+ S'il en était autrement et que tu partisses réellement, ce qui me
+ paraît un événement déplorable, tu ne dois pas douter que je ne
+ remplisse tes vues. Je t'embrasse bien tendrement avec ta famille et
+ j'espère que l'immensité des mers ne m'ôtera pas la possibilité de
+ t'embrasser en réalité bientôt.
+
+
+Ce projet, abandonné alors, fut repris par Lucien en août 1810. Le
+10 de ce mois, il s'embarqua pour l'Amérique avec sa famille à bord
+du trois-mâts l'_Hercule_, frété par lui pour le voyage. Le bâtiment
+avait à peine dépassé la Sardaigne que, rencontré par les croisières
+anglaises, il fut capturé. Lucien et les membres de sa famille,
+déclarés prisonniers de guerre, furent conduits à Malte où ils
+arrivèrent le 24 août, puis transférés en Angleterre où ils
+débarquèrent le 28 décembre. Ils furent relégués à Ludlow
+(principauté de Galles).
+
+Pendant son règne à Naples, Joseph eut encore à supporter, à
+plusieurs reprises, des rebuffades de son frère; ainsi le 12
+novembre 1807, à propos de l'expédition de Sicile, Napoléon lui
+écrivit de Fontainebleau:
+
+
+ Mon frère, je vois par votre lettre du 3 que vous avez 74,000 hommes
+ soit Français, soit Napolitains, soit Suisses; et cependant, avec
+ ces forces, vous n'êtes pas maître de Reggio et de Scylla; cela est
+ par trop honteux. Je vous réitère de prendre Reggio et Scylla; si
+ vous ne le faites pas, j'enverrai un général pour commander mon
+ armée, ou je retirerai mon armée du royaume de Naples. Quant aux
+ polissons que vous avez autour de vous, qui n'entendent rien à la
+ guerre et qui donnent des avis de l'espèce que je vois dans les
+ mémoires qu'on me met sous les yeux, vous devriez m'écouter de
+ préférence[12]. Quand votre général est venu me trouver à Warsovie,
+ je lui ai déjà dit alors: comment souffrez-vous que les Anglais
+ s'établissent à Reggio et à Scylla? Vous n'avez à combattre que
+ quelques brigands; et les Anglais communiquent avec eux et occupent
+ les points les plus importants du continent d'Italie. Cela me
+ révolte. Cette occupation d'ailleurs tranquillise les Anglais sur la
+ Sicile; ils n'ont rien à craindre tant qu'ils ont ces deux points,
+ et dès lors leurs troupes de Sicile peuvent entreprendre impunément
+ tout ce qu'elles veulent. Mais il paraît, vous et vos généraux, que
+ vous vous estimez heureux que les Anglais veuillent bien vous
+ laisser tranquilles dans votre capitale. Ils ont 8,000 hommes et
+ vous en avez 74,000. Depuis quand les Français sont-ils si moutons
+ et si inertes? Ne répondez à cette lettre qu'en m'apprenant que vous
+ avez fait marcher des troupes et que Reggio et Scylla
+ m'appartiennent. Avec l'armée que vous avez, je voudrais non
+ seulement défendre le royaume de Naples et prendre Reggio et Scylla,
+ mais encore garder les États du Pape et avoir les trois quarts de
+ mes troupes sur l'Adige. Du reste, vous n'avez des brigands dans le
+ royaume de Naples que parce que vous gouvernez mollement. Songez que
+ la première réputation d'un prince est d'être sévère, surtout avec
+ les peuples d'Italie. Il faut aussi en chercher la cause dans le
+ tort qu'on a eu de ne point captiver les prêtres, en ce que l'on a
+ fait trop tôt des changemens; mais enfin, cela n'autorise pas mes
+ généraux à souffrir qu'en présence d'une armée aussi puissante les
+ Anglais me bravent. Je ne me donne pas la peine de vous dire comment
+ il faut disposer vos troupes; cela est si évident. Parce que le
+ général Reynier a eu un événement à Meida[13], ils croient qu'on ne
+ peut aller à Reggio qu'avec 100,000 hommes. Il est permis de n'être
+ pas un grand général, mais il n'est pas permis d'être insensible à
+ un tel déshonneur. Je préférerais apprendre la mort de la moitié de
+ mes soldats et la perte de tout le royaume de Naples, plutôt que de
+ souffrir cette ignominie. Pourquoi faut-il que je sois obligé de
+ vous dire si fortement une chose si simple?--Quand vous enverrez
+ 10,000 hommes à Reggio et à Scylla, et que vous en conserverez 6,000
+ à Cassano et à Cosenzia, que diable craignez-vous de toutes les
+ armées possibles de l'Angleterre? Quant à Naples, la moitié de vos
+ gardes suffit pour mettre la police dans cette ville, et pour la
+ défendre contre qui que ce soit. Je suppose que vous n'aurez pas
+ laissé Corfou sans le 14e, et que vous avez fait exécuter
+ ponctuellement les ordres que je vous ai donnés. Vous avez une
+ singulière manière de faire. Vous tenez vos troupes dans les lieux
+ où elles sont inutiles, et vous laissez les points les plus
+ importants sans défense.--Votre femme est venue me voir hier. Je
+ l'ai trouvée si bien portante que j'ai été scandalisé qu'elle ne
+ partît point, et je le lui ai dit, car je suis accoutumé à voir les
+ femmes désirer d'être avec leurs maris.
+
+ [Note 12: Joseph avait envoyé à son frère plusieurs mémoires
+ dans lesquels était traitée la question de l'expédition de
+ Sicile, et où étaient exposées les difficultés qu'elle
+ présentait.]
+
+ [Note 13: Le général avait été repoussé et avait subi un
+ petit échec sans importance.]
+
+ Votre affectionné frère.
+
+ _P. S._--Ne me répondez pas à cette lettre que Reggio et Scylla ne
+ soient à vous.
+
+
+Ces reproches, peu mérités par Joseph et que son frère lui adressait
+pour l'exciter à terminer la conquête de la Sicile, n'empêchaient
+pas Napoléon de lui écrire quelques jours plus tard, le 22 du même
+mois, pour lui annoncer son arrivée à Milan et lui faire connaître
+son désir de le voir. Dès l'année précédente, l'empereur, voyant
+combien ses lettres, souvent acerbes, produisaient d'effet sur son
+frère et lui faisaient de peine, lui avait écrit la lettre du 24
+juin 1806 que nous avons donnée plus haut.
+
+Le 17 février 1808, Napoléon adressa de Paris à Joseph la lettre
+suivante[14]:
+
+ [Note 14: Inutile de dire que ces lettres ne se trouvent ni
+ dans la _Correspondance_ de l'empereur ni dans les _Mémoires_
+ de Joseph.]
+
+
+ Mon frère, je reçois votre lettre du 11. Je ne conçois pas que vous
+ n'ayez pas voulu recevoir les cardinaux et que vous ayez eu l'air
+ d'aller contre ma direction. Je ne vois pas de difficulté que le
+ cardinal Ruffo de Scylla, archevêque de Naples, soit envoyé à
+ Bologne; que le cardinal qui commandait les Calabrais soit envoyé à
+ Paris et que ceux que vous ne voudrez pas garder soient envoyés à
+ Bologne. Mais il faut d'abord envoyer quelqu'un à Gaëte pour y
+ recevoir leur serment, et ensuite les faire conduire en Italie.
+
+ _P.-S._--Je suis surpris que les prêtres à Naples osent bouger.
+
+
+Le blâme contenu dans cette dépêche devint beaucoup plus vif
+quelques jours après, lorsque Napoléon apprit par un rapport du
+général Miollis, commandant les troupes françaises à Rome, que
+Salicetti, le ministre de la police de Naples, avait osé contrevenir
+à ses ordres. Aussi, le 25 mars, envoya-t-il, par courrier
+extraordinaire, à son frère Joseph, la lettre suivante, où son
+mécontentement est exprimé de la façon la plus rude:
+
+
+ Je ne puis qu'être indigné de cette lettre de Salicetti[15]. Je
+ trouve fort étrange qu'on répande qu'on mettra en liberté à
+ Terracine des hommes que j'ai ordonné qu'on conduise à Naples. Il
+ faut avouer qu'on est à Naples bien bête ou bien malveillant. Ces
+ contre-ordres et cette ridicule opposition font sourire la cour de
+ Rome et sont plus nuisibles à Naples qu'ailleurs. J'ai envoyé les
+ cardinaux napolitains à Naples pour y prêter le serment à leur
+ souverain légitime. Cette formalité est nécessaire pour que je les
+ reconnaisse pour cardinaux. Si vous redoutiez leur présence à
+ Naples, il fallait les envoyer à Gaëte et préposer quelqu'un pour
+ recevoir leurs serments. Après cela, vous pouviez en faire ce que
+ vous vouliez. Je ne voyais pas d'inconvénient à les laisser à
+ Naples. Tant de faiblesse et d'ineptie, je ne suis pas accoutumé à
+ les voir où je commande; mais enfin s'il y avait de l'inconvénient à
+ recevoir leur serment à Naples, il n'y en a point à Gaëte. Si vous
+ avez voulu montrer à l'Europe votre indépendance, vous avez choisi
+ là une sotte occasion. Ces prêtres sont des gens contre lesquels je
+ me fâche pour vous. Vous pouvez bien être roi de Naples, mais j'ai
+ droit de commander un peu où j'ai 40,000 hommes. Attendez que vous
+ n'ayez plus de troupes françaises dans votre royaume pour donner des
+ ordres contradictoires aux miens, et je ne vous conseille pas de le
+ faire souvent. Rien, je vous le répète, ne pouvait m'être plus
+ désagréable que de voir contredire ouvertement les mesures que je
+ prends pour mettre Rome à la raison. Si c'est Roederer ou Miot qui
+ vous a donné ces conseils, je ne m'en étonne pas, ce sont des
+ imbéciles. Mais si c'est Salicetti, c'est un grand scélérat, car il
+ a trop d'esprit pour ne pas sentir combien cela est délicat. Le
+ _mezzo termine_ de retenir les cardinaux dans une place frontière
+ était si simple.
+
+ [Note 15: Lettre du ministre Salicetti au général Miollis,
+ datée de Naples le 13 mars 1808.]
+
+
+Cette lettre de Napoléon, datée du 25 mars, fut une des dernières
+que l'empereur écrivit à son frère Joseph à Naples. Au commencement
+de mai l'empereur demanda à son frère Louis de renoncer à la
+couronne de Hollande pour prendre celle d'Espagne. Louis ayant
+rejeté cette proposition, Napoléon résolut de placer Joseph sur le
+trône de Charles IV et de donner celui de Naples à Murat, son
+beau-frère. Il écrivit à Joseph de se rendre à Bayonne, ce que
+celui-ci fit dans les premiers jours de juin, tout en regrettant
+d'abandonner le royaume de Naples et le beau ciel d'Italie.
+
+
+(1808-1814).
+
+Jusqu'au jour où, contraint par son frère, Joseph consentit à
+échanger le royaume de Naples contre celui de Madrid, les différends
+entre Napoléon et lui eurent peu d'importance. Napoléon avait pour
+son aîné la plus réelle affection; Joseph aimait et admirait
+Napoléon. Néanmoins, si le premier prétendait faire servir à ses
+vastes projets toutes les forces vives des États dont il avait doté
+son frère, ce dernier, pas plus que Louis, et même parfois Jérôme,
+ne voulait consentir à abandonner entièrement les intérêts de son
+peuple pour épouser complètement ceux de la France. Le blocus
+continental tuait le commerce de la nation hollandaise qui ne vivait
+que par le commerce; les levées, en Espagne, et l'entretien
+dispendieux d'une armée nationale ou d'une nombreuse armée
+française, n'allaient pas tarder à épuiser la Péninsule déjà ruinée
+par son ancien gouvernement. Pour faire sortir de l'abîme ces deux
+pays, il fallait de l'argent. Or, Napoléon n'en voulait pas donner
+aux rois ses frères, et entendait au contraire que la majeure partie
+de leurs contributions vint augmenter le trésor français. Il les
+mettait donc dans la position la plus précaire. Ils étaient obligés
+de résister aux exigences du souverain de la France, non seulement
+par amour-propre royal, non seulement pour conserver un peu de
+l'affection de leurs sujets, mais encore parce qu'ils ne pouvaient
+pas faire autrement, les sources de la prospérité étant taries.
+
+Nous allons voir Joseph aux prises avec des difficultés
+insurmontables et réduit aux plus dures extrémités, désirant, dès la
+première année de son séjour à Madrid, quitter l'Espagne, regrettant
+Naples où il avait fait un peu de bien, s'était acquis de grandes
+sympathies et n'osant, comme le fit Louis, abdiquer, pour ne pas
+paraître abandonner un frère qui, enivré de ses victoires,
+commençait à soulever contre lui l'Europe, dont il voulait, en
+quelque sorte, faire la vassale de la France.
+
+La junte assemblée à Bayonne et ouverte le 15 juin 1808, sous la
+présidence de M. Azanza, ayant adopté pour l'Espagne la constitution
+qui lui avait été présentée, ses membres, à la suite de cette mise
+en scène, persuadèrent facilement à Joseph que la nation tout
+entière accueillerait avec enthousiasme le nouveau souverain, frère
+du plus grand génie, du plus puissant monarque du monde. Le nouveau
+roi franchit la frontière et entra en Espagne par Saint-Sébastien
+dans les premiers jours de juillet 1801[16], plein de confiance et
+d'espérance. Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'on l'avait induit en
+erreur et que les sentiments de la nation étaient loin d'être tels
+que les lui avaient décrits à Bayonne des gens intéressés à le
+tromper, ou à se tromper. Cela ressort de différents passages des
+lettres de Joseph à l'empereur, passages omis dans les _Mémoires_ de
+ce prince. Ainsi, dans une lettre en date de Miranda, 14 juillet
+1808, il écrit à Napoléon: «_Il y a des assassins sur la route._»
+Dans une autre de Burgos, 18 juillet, on lit:
+
+ [Note 16: Dans leur dernière entrevue à Bayonne, et au moment
+ de se séparer de Joseph, Napoléon détacha de sa poitrine une
+ petite croix d'officier de la Légion d'honneur qu'il portait
+ sur son uniforme des chasseurs de sa garde, et qu'il avait
+ pendant les campagnes de 1805, de 1806, de 1807, à
+ Austerlitz, à Iéna, à Friedland. Il la donna à son frère qui
+ la porta toujours et, à sa mort, la donna à son exécuteur
+ testamentaire, M. Louis Maillard, auquel il ordonna de la
+ prendre immédiatement après son décès; ce qui fut fait.]
+
+
+ On n'a pu trouver un guide en offrant de l'or à pleines mains. Il y
+ a peu de jours, un orfèvre de Madrid a poignardé de sa propre main
+ trois Français dans un seul jour; à Miranda, avant-hier, un seul
+ homme a arrêté une voiture dans laquelle se trouvaient un Espagnol
+ et trois Français. Ces trois derniers ont été poignardés et n'ont
+ point été dépouillés. Ce dernier fait s'est passé sur la grande
+ route.
+
+
+Le 21 juillet, le lendemain de son arrivée à Madrid et de la prise
+de possession du palais de l'Escurial, Joseph mandait à l'empereur:
+«Vous vous persuaderez que les dispositions de la nation sont
+unanimes _contre tout ce qui a été fait à Bayonne_[17].» Il entre
+ensuite dans les détails caractéristiques suivants:
+
+ [Note 17: À propos de ce qui avait été convenu à Bayonne,
+ nous ne devons pas oublier de mentionner ici un article
+ secret, le XIe, du traité de renonciation de Charles IV à la
+ couronne d'Espagne; le voici:
+
+ S. M. le roi Charles IV disposera _comme bon lui semblera_
+ des diamants de la couronne d'Espagne qui étaient à son usage
+ et à celui de la reine.]
+
+
+ Il y avait 2000 hommes employés dans les écuries royales. _Tous_, à
+ la même heure, ont tenu le même langage et se sont retirés. Je n'ai
+ pas trouvé un seul postillon dans toutes les écuries, à compter
+ d'hier matin à 9 heures. Les paysans brûlent les roues de leurs
+ voitures, afin de n'être pas obligés aux transports. Les domestiques
+ mêmes, des gens qui étaient soupçonnés de vouloir me suivre, les ont
+ abandonnés, etc., etc.....
+
+
+Bientôt l'empereur comprit qu'il devait se rendre lui-même en
+Espagne et y prendre le commandement de ses armées, s'il voulait
+pacifier ce malheureux pays soulevé de toutes parts contre les
+Français et où l'Angleterre allait faire débarquer des troupes.
+Partout on assassinait les Français, et des généraux, profitant du
+pillage auquel se livrait souvent le soldat, exigeaient des
+indemnités, prélevaient des impôts à leur profit.
+
+Ainsi on lit dans une lettre de Joseph à son frère, en date du 28
+janvier 1809:
+
+
+ J'envoie au maréchal Bessières, pour être employé dans un
+ commandement où il puisse vivre comme un autre officier, le général
+ La R..... qui exigeait 10,000 francs par mois en sus de ses
+ appointements, pour vivre à Madrid, et qui a eu la sottise de
+ frapper à toutes les portes pour cela. Voici la lettre qu'il a
+ écrite au corrégidor. Je l'ai remplacé par le général Blondeau qui
+ sera plus modeste.
+
+
+Joseph crut devoir quitter Madrid pour se rapprocher de la France
+dont il attendait des renforts. Napoléon entra dans la Péninsule,
+prit la direction des affaires militaires. Le roi le rejoignit avec
+sa garde, mais l'empereur ne voulut pas avoir son frère près de lui
+à l'armée et le relégua sur les derrières, puis à Burgos. Cette
+façon d'agir choqua Joseph et ses ministres. Il s'en plaignit dans
+une lettre pleine de noblesse écrite à son frère le 10 novembre, de
+Miranda[18]. Il ne put rien obtenir et fut sur le point de revenir
+en France abandonnant le trône des Espagnes. Il se résigna à
+attendre pour ne pas être le premier à jeter la pierre à Napoléon.
+Ce dernier entra à Madrid le 4 décembre 1808, et changeant de
+nouveau de politique à l'égard de son frère et de l'Espagne, dans la
+pensée secrète de s'emparer de ce royaume et d'en annexer les
+provinces du Nord, il proposa à Joseph de lui donner la couronne
+d'Italie. Ce dernier, fatigué de ces changements perpétuels, refusa,
+eut plusieurs conférences avec l'empereur et revint dans sa capitale
+où il fit une entrée solennelle le 22 janvier 1809.
+
+ [Note 18: _Mémoires du roi Joseph_, vol. V, p. 265.]
+
+Dès son retour à Paris, Napoléon montra de nouveau de la défiance à
+son frère Joseph, recommença à lui reprocher sa façon de gouverner,
+mais sans vouloir le mettre à même, en lui en donnant les moyens, de
+sortir de l'impasse dans laquelle il le tenait. Le 9 février 1809,
+Joseph lui écrivit:
+
+
+ Vous écoutez sur les affaires de Madrid ceux qui sont intéressés à
+ vous tromper, vous n'avez pas en moi une entière confiance. Et plus
+ loin: Je serai roi comme doit l'être le frère et l'ami de Votre
+ Majesté, ou bien je retournerai à Mortefontaine[19] où je ne
+ demanderai rien que de vivre sans humiliation et de mourir avec la
+ tranquillité de ma conscience, etc.
+
+ [Note 19: Le château et le ravissant parc de Mortefontaine,
+ près Senlis, dans l'Oise, appartenaient alors à Joseph
+ Bonaparte qui en aimait beaucoup le séjour. C'est là
+ qu'habitait habituellement la reine Julie, sa femme.]
+
+
+Les choses restèrent dans cet état en Espagne jusqu'au milieu de
+1809; mais alors elles prirent, pour le roi, une tournure des plus
+fâcheuses, ainsi que cela résulte des lettres de Joseph à sa femme,
+la reine Julie. Nous donnerons plus loin ces intéressantes lettres;
+mais, avant, un mot encore sur les exactions de quelques généraux
+français en Espagne et sur quelques affaires de l'époque, relatives
+à Joseph. Le 24 février 1810, il écrit de Xérès au prince de
+Neufchâtel:
+
+
+ La lettre de Votre Altesse me fait croire que l'empereur me croit
+ instruit d'une contribution de quinze cent mille francs levée par le
+ général Loison, j'aurais désiré savoir en son temps si l'empereur
+ l'a ordonnée et je prie S. M. de réprimer un pareil abus de pouvoir,
+ si elle ne l'a pas autorisée. Tous mes efforts échoueront contre des
+ vexations semblables que se permettraient des généraux particuliers;
+ le général Kellermann est aussi dans ce cas; l'ordre est impossible
+ si des généraux de division font ce que je ne me permettrais pas de
+ faire et S. M. I. et R. est trop juste pour le vouloir.
+
+ Tout est ici au mieux; les provinces de l'Andalousie sont pacifiées,
+ parce que la justice y règne et que je n'ai qu'à me louer des
+ généraux qui y sont.
+
+ Je prie Votre Altesse d'agréer mon sincère attachement.
+
+ Les ordres ont été donnés au général Loison pour les 100,000 francs.
+
+
+Le 2 mars il prévient l'empereur qu'il fait venir près de lui sa
+femme et ses enfants et ajoute:
+
+
+ Kellermann, Ney, Thiébaud sont des gens qui ruineront le pays qu'ils
+ doivent administrer, etc.
+
+
+Tout en signalant les officiers qui se permettaient des exactions,
+Joseph aimait à rendre justice aux gens honnêtes. Ainsi le 21 avril
+1810, il écrit de Madrid au général Reynier:
+
+
+ Je reçois la lettre et le rapport que vous avez bien voulu
+ m'adresser le 13. J'ai donné l'ordre de vous renvoyer tous vos
+ détachements, ils sont en marche. Je suis très reconnaissant de tous
+ les soins que vous vous donnez pour le meilleur service public et
+ reconnais bien, dans vous, les principes d'un _honnête homme_ et
+ l'intérêt d'un ami.
+
+
+Le lendemain 24, dans une longue lettre à l'empereur, Joseph signale
+encore les autres généraux pillards. Il dit: «Il n'y a pas de
+doublons exportés par Ney ou par Kellermann qui ne coûte une tête
+française.» De son côté dans une lettre à Berthier, datée du 17
+septembre 1810 et qui se trouve à la _Correspondance_, Napoléon
+signale Kellermann et Ney. Enfin, le 27 octobre, il ordonne à
+Berthier de demander au ministre d'Espagne des notes précises sur
+les abus reprochés à Kellermann.
+
+Lors du mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise, le
+roi d'Espagne écrivit et fit porter par son chambellan les deux
+lettres suivantes:
+
+
+ Monsieur mon frère,
+
+ Connaissant la bienveillance dont Votre M. I. et R. a honoré M.
+ Azanza, duc de Santa-Fé, je l'ai nommé mon ambassadeur
+ extraordinaire pour porter à V. M. mes félicitations à l'occasion du
+ mariage de V. M. I. et R. et de S. A. I. et R. Mme l'archiduchesse
+ Marie-Louise.
+
+ V. M. me connaît trop intimement pour ne pas deviner à l'avance tous
+ les mouvements de mon coeur, je suis toutefois bien aise de saisir
+ cette circonstance solennelle pour assurer V. M. I. de la joie que
+ j'ai éprouvée par l'heureux lien qu'elle contracte dans la vue de
+ perpétuer le bonheur de tant de nations. V. M. trouvera ainsi le
+ bonheur que la nature accorde au commun des hommes.
+
+ Je supplie V. M. I. et R. d'agréer ces voeux et de les regarder dès
+ aujourd'hui comme des présages qui ne la tromperont pas, ce sont
+ ceux de son premier ami à qui le coeur de V. M. I. est plus connu
+ qu'elle ne pense.
+
+ Je prie V. M. d'agréer l'hommage de ma tendre amitié.
+
+ De V. M. I. et R.,
+ Le bon et affectionné frère.
+
+
+ JOSEPH À MARIE-LOUISE.
+
+ Grenade, le 28 mars 1810.
+
+ Madame ma soeur, je prie Votre Majesté impériale d'agréer mes
+ félicitations les plus sincères, à l'occasion de son mariage avec S.
+ M. l'empereur des Français, roi d'Italie. Je fais des voeux bien
+ vifs pour le bonheur d'une union d'où dépend le bonheur de tant de
+ nations.
+
+ Ne pouvant jouir, par moi-même, de l'avantage de présenter à V. M.
+ I. et R. l'expression de mes sentiments, je supplie V. M. d'agréer
+ tout ce que lui dira de ma part M. le duc de Santa-Fé que j'ai
+ chargé de cette honorable mission. Veuillez, Madame ma soeur,
+ etc.[20].
+
+ [Note 20: Joseph, ainsi que Louis, avait vu avec peine le
+ divorce de Joséphine. L'un et l'autre, néanmoins, n'avaient
+ pas cru pouvoir se dispenser d'écrire aux nouveaux époux des
+ lettres de congratulation.]
+
+
+Le 2 mai, Joseph écrivit de Séville au duc de Feltre, ministre de la
+guerre de Napoléon:
+
+
+ Monsieur le duc, j'ai reçu la lettre par laquelle vous me proposez,
+ de la part de S. M. I. et R., de faire entrer en Espagne le régiment
+ espagnol formé à Avignon. Je juge cette opération fort utile; elle
+ détruira la croyance, généralement répandue, que les régiments
+ espagnols sont destinés à servir au delà des Pyrénées, et cette
+ croyance rend difficile la formation de tout nouveau corps. Je vous
+ prie, Monsieur le duc, de remercier S. M. I. et R. et de vouloir
+ bien hâter l'envoi en Espagne de ce régiment[21].
+
+ [Note 21: Le roi avait appris que le ministre de la guerre de
+ Napoléon, cédant à ses désirs motivés, lui renvoyait un des
+ régiments espagnols que l'on avait fait venir en France. Il
+ attachait avec raison un grand prix à cette mesure.]
+
+ Nos affaires devant Cadix vont bien; la tranquillité se rétablit
+ dans ces provinces. Le 4e corps est entré à Murcie. Le 2e corps a
+ battu l'ennemi qu'il avait devant lui entre Merida et Badajoz.
+
+ Vous connaissez, Monsieur le duc, l'ancien et sincère attachement
+ que je vous ai voué.
+
+ Votre affectionné.
+
+
+Le 8 février 1810, pendant son voyage en Andalousie, Joseph, croyant
+être très agréable à Napoléon, lui écrivit de Séville:
+
+
+ Sire, je m'empresse de vous annoncer que je viens de recevoir, des
+ mains de l'évêque et du chapitre de cette ville, les aigles perdues
+ à Baylen. Je les envoie à V. M. par un officier.
+
+
+L'empereur se borna à faire répondre à son frère par le
+major-général, auquel il adressa, le 26 avril 1810, la lettre
+ci-dessous:
+
+
+ Mon cousin, écrivez au roi d'Espagne que je suis instruit qu'il veut
+ envoyer les aigles retrouvées à Baylen, par le général Dessolles;
+ que cela ne m'est pas agréable, qu'il doit charger de cette mission
+ un simple officier, un capitaine ou un lieutenant-colonel, mais non
+ un officier du grade du général Dessolles qui est nécessaire en
+ Espagne.
+
+ Si le général Dessolles était déjà parti, prévenez le général
+ Belliard, pour qu'il le retienne et l'empêche de passer Madrid en
+ lui faisant connaître mes motifs.
+
+
+Au commencement de l'année 1810, la situation, en Espagne,
+s'améliorait, grâce aux efforts du roi. Joseph pacifiait
+l'Andalousie, mais, tandis qu'il entrait en vainqueur dans les
+riches cités de cette belle province, l'empereur, sous prétexte que
+le royaume de son frère lui coûtait trop cher et qu'il fallait en
+finir, en faisant administrer les provinces pour le compte de la
+France, rendit le 8 février un décret en vertu duquel le pays fut
+partagé en grands gouvernements administrés par des généraux
+français. Il retira donc le commandement des troupes à Joseph qui
+devint par le fait un roi sans armée, sans finances, sans autorité.
+Macdonald prit le commandement des troupes en Catalogne, Kellermann
+en Aragon, Masséna en Portugal, Soult en Andalousie; Joseph resta à
+la tête de l'armée du Centre (19,000 hommes à peine). Il fut donc
+réduit à ce faible corps, à sa garde et au gouvernement de la
+province de Madrid, n'ayant plus le droit de s'immiscer dans les
+affaires des autres gouvernements de son propre royaume. À partir de
+ce moment, le règne de ce malheureux prince ne fut plus qu'un long
+martyr dont ses lettres à la reine Julie pourront donner une idée.
+
+Des abus criants et sans nombre suivirent de près cette organisation
+nouvelle ou plutôt cette désorganisation complète de l'Espagne,
+ainsi qu'on devait s'y attendre. Les commandants d'armées ne
+voulurent pas se porter secours entre eux et prétendirent agir
+seuls. Tous ne s'inquiétèrent plus que de leur seul intérêt, levant
+des contributions, pillant comme Kellermann ou refusant toute
+obéissance au roi, comme le fit le duc de Dalmatie, ainsi que nous
+le prouverons un peu plus loin.
+
+Nous allons faire connaître maintenant quelques lettres inédites de
+Joseph à sa femme.
+
+
+ Madrid, le 21 janvier 1809.
+
+ Ma chère amie, je reçois ta lettre du 16. J'ai fait écrire au père
+ de Mme de Fréville que je le ferai employer ici, il peut amener sa
+ fille avec lui si cela lui convient, il ne me convient pas qu'elle
+ t'accompagne, elle ne pourrait pas être ici une de tes dames, sa
+ qualité d'espagnole serait loin de lui être favorable, ce n'est pas
+ dans ses rapports avec ce pays.
+
+ Toutes les femmes de militaires qui te sont attachées seront bien
+ ici avec toi; si tu peux faire à moins de mener Mme de Magnitot, tu
+ feras bien de ne pas la conduire avec toi; M. Franzemberg, ton
+ secrétaire, ne sera pas ici officier de la maison pas plus qu'il ne
+ l'était à Naples; quoique Ferri et Des Landes le soient devenus,
+ ils étaient dans les affaires depuis longtemps.
+
+ Si tu pars bientôt tu ne verras pas le mariage de.......[22]. Mme
+ Bernadotte y veillera.
+
+ [Note 22: Les mots manquants dans cette lettre et les
+ suivantes ont été entièrement effacés par le temps et surtout
+ par l'humidité, lorsqu'en 1814 les papiers du roi Joseph
+ furent enterrés dans le parc de Prangins.]
+
+ N'amène que les petites Clary et les personnes dont tu as besoin
+ avec toi, tu trouveras ici trois mille familles de Français que je
+ ne puis pas employer et qui sont très malheureux et regrettent les
+ positions dont elles étaient pourvues à Naples.
+
+ Fais en sorte que Laulaine, Bernardin de St-Pierre, Andrieux,
+ Chardon, Lécui, pour ce qui lui est personnel, n'éprouvent aucun
+ retard dans le payement de leur pension, le reste suivra le cours de
+ mes affaires financières qui me forcent à payer de préférence les
+ choses les plus pressées.
+
+ Tout ce que je t'écris de ces dames, c'est pour qu'ici tu n'aies pas
+ de sujets de dégoût en arrivant, pas plus qu'elles. Je t'embrasse
+ avec mes enfants.
+
+ Pour M. Franzemberg, il faut que chacun sache à quoi s'en tenir. Il
+ est des opinions du pays que je ne veux pas heurter pour quelques
+ individus.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrilejos, le 3 juillet 1809.
+
+ Ma chère amie, les affaires allaient ici très bien, mais la
+ mésintelligence qui s'est mise entre Soult et Ney, au fond de la
+ Galice, me fait prévoir des malheurs.
+
+ Le maréchal Jourdan est dégoûté et demande à se retirer. Je ne le
+ remplacerai pas, quel que soit le successeur que l'empereur lui
+ donne.
+
+ Je t'embrasse, ma chère amie, avec Zénaïde et Charlotte; je me porte
+ bien.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Waldemoro, le 6 août 1809.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu votre lettre du 26, je me porte bien. Les
+ 40,000 hommes qui sont devant moi ont repassé le Tage dont ils ont
+ brûlé les ponts. Le 1er corps poursuit les Anglais, Soult avec
+ 50,000 hommes marche à eux, je ne doute pas aujourd'hui qu'il ne
+ soit arrivé sur le Tiétar où je l'espérais le 28. Je l'ai débarrassé
+ à Talaveyra de dix mille Anglais, il n'en aura pas plus de vingt
+ mille, à compter d'aujourd'hui, et il aura pour cela ses 50,000
+ Français et 20,000 que lui amène le maréchal Victor qui suit le
+ mouvement de l'ennemi.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Malaga, le 5 mars 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14 février dont était porteur
+ (_nom illisible_). Elle me confirme dans mon opinion que tu dois me
+ rejoindre le plus tôt possible avec mes enfants et avant le
+ commencement des chaleurs, donc le plus tôt que tu pourras. Dans le
+ cas où, malgré ta bonne santé, tu ne pourrais pas partir aussitôt
+ que je le désire et qu'il convient, j'espère que tu ne souffriras
+ pas que personne prenne ta place, le contre-coup en serait trop
+ sensible et préjudiciable ici. Cette nation, qui aujourd'hui
+ m'accueille avec un enthousiasme que tu ne conçois pas, est
+ tellement fière qu'elle serait humiliée si nous ne restions pas à
+ notre place, sois plutôt malade et évite toute occasion; mais
+ mieux.............. que toute cette scène d'étiquette commence.
+
+ Porte avec toi tout ce que nous possédons à Paris réalisé en effets
+ sur l'étranger; tout papier sûr est bon pour nous, qu'il soit à
+ quelle échéance qu'il soit, n'importe sur quelle place de l'Europe,
+ pourvu qu'il soit bon. Renvoie-moi le courrier et dis-moi les
+ personnes que tu préfères que je t'envoie à ta rencontre. Tu
+ arrangeras l'affaire des papiers, il faut des papiers au porteur,
+ les échéances comme les papiers des banques de Paris, Londres,
+ Vienne, ou actions réalisables et qu'on peut garder à volonté.
+
+ Dispose de toute autre chose dont je ne parle pas, comme tu
+ l'entendras le mieux; rapporte-moi les papiers que Lance t'apporta;
+ au moins ceux que tu jugeras plus nécessaires, prends des
+ précautions pour que tu puisses demander et ravoir les autres, donne
+ à Fesch tout ce que tu voudras.
+
+ Je suis arrivé ici hier, à travers des chemins jugés impraticables;
+ la manière dont j'ai été reçu ici surpasse toute idée; si on me
+ laissait agir librement, ce pays serait bientôt heureux et
+ tranquille. Amène Roederer, il me serait bien utile et même
+ nécessaire, il s'en retournerait bientôt à Paris. M. Lapommeraye
+ peut venir........... coûte .............. qu'il connaît bien.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Andujar, le 6 avril 1810.
+
+ Ma chère amie, M. le duc de Santa-Fé[23] part dans l'instant, il est
+ instruit de tout ce qui me regarde, même des affaires particulières
+ qui nous intéressent, crois tout ce qu'il te dira, je désire que
+ tout ce que nous possédons en France puisse être réalisé en effets
+ sans échéances fixes sur l'étranger, Nicolas (Clary) pourrait nous
+ servir dans ce cas. Je serai à Madrid avant toi, si je suis instruit
+ à temps de ton départ à Paris. Je t'embrasse avec mes enfants.
+
+ [Note 23: Le duc de Santa-Fé, grand d'Espagne, dévoué à
+ Joseph.]
+
+ Tu verras quels sont les présents que je compte faire pour le
+ mariage et tu m'en parleras.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Cordoue, le 10 avril 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 19 et 21. Gaspard et M.
+ (nom illisible) sont arrivés depuis. Je n'ai rien à dire sur des
+ mesures qui te sont ordonnées par des médecins; mais M. Deslandes te
+ dira quelles sont mes idées sur tout ce que je possède en France. Tu
+ fais bien d'établir ta nièce avec le fils de M. Clément, puisqu'il
+ te convient et qu'il la demande. Tu feras bien de donner à Tascher,
+ Marcelle[24], ils se conviennent ainsi qu'à leurs parents. Mme
+ Salligny m'écrit; je t'ai écrit deux fois que je pensais qu'elle ne
+ devait pas te suivre à Madrid où elle ne serait pas convenablement,
+ nulles raisons véritables l'y appellent; elle est veuve, elle a une
+ fortune indépendante, elle a sa mère, je ne sais pas comment elle
+ pourrait se plaire à Madrid où ses relations la placeraient toujours
+ dans une fausse position. Je ne dois pas donc te dissimuler que ce
+ sont des dispositions inébranlables, ma position est déjà assez
+ difficile sans y ajouter d'autres embarras de tous les instants,
+ ainsi que ceux qui me viendraient d'elle[25].
+
+ [Note 24: Marcelle Clary, nièce de la reine Julie. Tascher
+ épousa la princesse de la Ligne.]
+
+ [Note 25: Joseph ne voulait pas que la reine Julie menât de
+ France des dames d'honneur, surcroît de dépenses, et ayant à
+ lui en donner à Madrid.]
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 16 mai 1810.
+
+ Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis
+ le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu
+ feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour
+ qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui
+ donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut
+ achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour
+ moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en
+ charge.
+
+ Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas pourquoi
+ tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta nièce et que
+ ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune homme à tous
+ autres n'importe la fortune, etc.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 16 juillet 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa
+ cousine[26] m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se
+ marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me
+ disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de
+ rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne
+ faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que
+ le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles
+ fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends
+ donc que Mlle Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien. Je
+ m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer de
+ parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi
+ d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris.
+
+ [Note 26: L'impératrice Joséphine.]
+
+ Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les
+ affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une
+ vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots
+ illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse
+ avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir
+ ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je
+ suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. _Si on veut
+ que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne
+ doit pas espérer cela de moi._ J'ai des devoirs de coeur et de
+ besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais
+ jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader
+ pour le bien de ma famille.
+
+ J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai
+ jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour
+ vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne.
+ _Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon
+ coeur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins aux
+ remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long. Tu
+ me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je suis
+ toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de Deslandes,
+ renvoies-le moi_ (Deux lignes effacées). _Je suis obligé de venir au
+ secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien et où la
+ misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des généraux
+ français administrent mes provinces, renvoyent mes employés et que
+ Madrid est le rendez-vous où tous les malheureux aboutissent et où
+ s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état de choses me
+ serait encore plus pénible toi et mes enfants étant ici, et que je
+ n'aurai plus la ressource d'errer avec un quartier-général. Tout
+ cela peut être réparé d'un mot de l'empereur, qu'il trouve bon que
+ je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende l'administration de mes
+ provinces et qu'il croye plus à ma probité qu'à celle de Ney ou de
+ Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il faut que je m'établisse
+ d'une façon définitive_ à Madrid, il faut que je sache comment je
+ pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le sais pas; l'Andalousie est
+ absorbée par l'armée, les pays épuisés par les insurgés, l'empereur
+ ne sait rien, il faut qu'il connaisse ma position, qu'elle change sa
+ justice ou que je la fasse changer par ma retraite des affaires; tu
+ dois donc venir en Espagne avec la connaissance de ce que veut
+ l'empereur avec le projet d'y rester ou résolue à la quitter pour la
+ vie privée. Il n'y a personne à Paris à qui je puisse écrire.
+ L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais chargé de mes affaires.
+ Quand tu en seras partie, il n'y aura plus aucun moyen de
+ communication. Il est donc bon que tu saches bien avant de partir ce
+ qu'il nous importe de savoir et que nous ne pourrons plus savoir
+ après.
+
+ Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin[27], quelque déplorable
+ que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à
+ la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des
+ habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La
+ guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me
+ laisser faire.
+
+ [Note 27: Lucien était alors prisonnier des Anglais.]
+
+
+(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont
+illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les
+mémoires de Joseph.)
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 29 août 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras
+ reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu
+ sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort
+ avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il
+ faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du
+ trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et
+ comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le
+ nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les
+ provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre ainsi plus
+ longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir.
+
+ Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai
+ besoin.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 1er septembre 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu
+ M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de
+ nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu
+ ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires,
+ lorsque cette lettre arrivera dans tes mains.
+
+ Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait
+ aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône
+ d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais
+ que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs
+ principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme
+ et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions
+ que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste
+ ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux,
+ parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant
+ me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix
+ intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la
+ nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette
+ grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait
+ qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance
+ entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de
+ ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera
+ un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle
+ province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en
+ vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir,
+ si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais
+ pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je
+ voudrais une retraite absolue.
+
+ Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple,
+ cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de
+ cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans
+ ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler
+ d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me
+ faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même
+ au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce
+ que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour
+ en sortir; mon âme se trouve dégradée et je préfère la mort à cet
+ état.
+
+
+À cette lettre, qui n'est pas aux mémoires de Joseph, se trouvait
+jointe la lettre du roi d'Espagne à l'empereur en date du 31 août
+1810 (_Mémoires de Joseph._ Vol. VII, p. 325).
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 9 septembre 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20, j'attends toujours le
+ résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'empereur, depuis
+ le départ d'Almenara. D'une manière ou d'une autre ces choses
+ doivent être changées, elles ne peuvent pas rester longtemps dans
+ l'état où elles se trouvent, je fais ici une triste figure et j'en
+ mériterais la honte si je permettais qu'elles se prolongent plus
+ longtemps qu'il ne faut pour connaître la volonté de l'empereur.
+
+ 1º Roi d'Espagne, je ne puis l'être que tel que la constitution du
+ pays m'a proclamé.
+
+ 2º Retiré de toutes affaires publiques en France ou dans un autre
+ pays, il me convient de connaître même sur cet article la volonté de
+ l'empereur.
+
+ 3º Retourner en France conservant quelque prérogative publique, il
+ faut que je sache quels sont mes devoirs et mes droits avant de
+ prendre un parti; je ne veux me décider qu'en pleine connaissance de
+ tout cela, je n'ai ni crainte, ni ambition, ni ressentiment, je sais
+ que la politique fait tout, ainsi je pardonne tout; mais si en
+ m'enlevant le trône d'Espagne, on m'offre un état politique en
+ France, je veux le connaître.
+
+ 4º Je ne veux aucun trône étranger. Je me réserve à me déterminer
+ pour une retraite absolue si ce qu'on me propose en France ne me
+ paraît pas convenable; ce à quoi je suis bien déterminé aujourd'hui;
+ c'est: 1º de ne pas rester ici sur le pied où je suis, 2º de ne pas
+ accepter un trône étranger, 3º de rendre mon existence en France
+ compatible avec mon honneur et la volonté de l'empereur et l'intérêt
+ de la nation, si mon existence semi-politique peut encore lui être
+ utile, sans cependant vouloir jamais me mêler d'administration
+ d'aucun genre et vouloir jamais paraître à la cour. Si ce qu'on me
+ propose ne me convient pas, retraite obscure et absolue; mais les
+ demi-jours, les fausses positions ne sont pas dignes ni de mon nom
+ ni de mon âme, ni supportables avec mon esprit.
+
+ Je t'embrasse avec mes enfants et t'engage à être aussi contente que
+ je le suis moi, au milieu des contrariétés qui m'assiègent, et
+ j'éprouve bien aujourd'hui que ce lait nourricier d'une bonne et
+ vraie philosophie n'est pas aussi stérile qu'on veut bien le dire,
+ car, content de moi, je le suis de tout, et regarde en pitié
+ _toutes_ les passions étrangères qui s'agitent, sans me blesser,
+ autour de moi.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 7 octobre 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois ta lettre du 17. Je me porte bien,
+ j'attends tes nouvelles et celles de Colette; mes affaires me
+ paraissent aller bien mal à Paris où on ne sait pas le mal que l'on
+ se fait à soi-même. L'avenir prouvera si j'ai raison.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 3 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 9, 10, 12 octobre,
+ renvoie-moi Gaspard avec des nouvelles sur les bruits qui courent
+ ici et qui font présager de nouveaux changements pour moi; dis-moi
+ ce qu'il en est, tu sais tout ce que je t'ai écrit. Si la retraite
+ est possible, je la préfère à un nouveau trône; si cela est
+ impossible, je préfère retourner à Naples plutôt que de faire une
+ nouvelle royauté quelle qu'elle soit.
+
+ La position des affaires ici est horrible et bientôt elle sera
+ irrémédiable. L'empereur n'a rien répondu à tout ce que je lui ai
+ écrit sur un sujet aussi important pour la gloire et le bonheur de
+ deux grandes nations.
+
+ Je t'embrasse avec mes enfants, je me porte bien.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 6 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 12 et 14, je t'ai déjà
+ écrit que c'est toi plus que moi qui peut décider s'il convient que
+ tu viennes ici, ce voyage doit être entrepris ou différé selon que
+ les affaires d'Espagne à Paris s'arrangent ou se brouillent, elles
+ ne peuvent pas rester longtemps telles qu'elles sont, cette crise ne
+ peut pas durer, il faut avancer ou reculer. Si je dois retourner en
+ France, il est inutile que tu viennes en Espagne, si je dois rester
+ en Espagne, il faut y venir. Mais, pour que je puisse y rester, il
+ faut que l'empereur fasse ce que je lui ai écrit par la lettre dont
+ était porteur M. d'Almenara, à laquelle il n'a pas répondu.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 16 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres des 22, 23 et 24, ma position
+ est toujours la même, je suis ici bientôt un être parfaitement
+ inutile; tous les généraux correspondent avec le major-général,
+ prince de Neufchâtel. Les habitants s'exaspèrent tous les jours
+ davantage, le peu de succès que j'avais obtenu est effacé tous les
+ jours. L'empereur ne me répond pas, il ne me reste donc qu'à me
+ retirer des affaires. Ma santé d'ailleurs toujours inaltérable
+ commence à se ressentir de ma position équivoque, ridicule et
+ bientôt déshonorante, si je la supportais plus longtemps.
+
+ Occupes-toi donc de me trouver à louer une grande terre à cent
+ lieues ou soixante lieues de Paris; je suis décidé à m'y rendre et
+ de tout quitter, puisque je ne puis pas faire le bien ici et que
+ tout ce que j'ai dit et fait jusqu'ici devient inutile.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 20 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 28 octobre, ma position est
+ toujours la même. J'attends Azanza pour prendre un parti décisif et
+ finir le rôle honteux qu'on me fait jouer ici depuis mon retour de
+ la conquête de l'Andalousie.
+
+ Je t'embrasse avec mes enfants.
+
+ Lucien a été mené prisonnier à Malte.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 24 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, point d'estafette depuis deux jours. Je n'ai pas de
+ nouvelles directes de Masséna et je ne suis pas sans inquiétude sur
+ son armée. Je me porte bien, j'attends des nouvelles décisives de
+ Paris. Je désire que tu charges James ou mieux encore Nicolas, de
+ savoir s'il serait possible d'acquérir la terre de Montjeu à une
+ lieue d'Autun, après s'être assuré que le château est encore
+ habitable, à moins que tu ne préfères une terre en Provence, je
+ désire un bois de chasse et de l'eau, c'est ce que je trouve à
+ Montjeu; si tu préfères le midi, je te laisse le choix.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 28 novembre 1810.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 4, je me porte bien, les
+ affaires sont ici dans le même état. Je suis toujours sans réponse à
+ tout ce que j'ai écrit. Je ne pense pas pouvoir prolonger cet état
+ humiliant au delà de cette année. Je te prie de remettre à M.
+ Bouchard[28] l'incluse; engage-le à partir sur-le-champ et de me
+ répondre de dessus les lieux. Il faut finir ceci d'une manière ou
+ d'une autre; quoique je te dise que je me porte bien et que cela
+ soit ainsi, cependant ma constitution n'est plus ce qu'elle était et
+ je sens qu'elle ne résisterait pas à cet état de choses qui n'est
+ pas fait pour un homme tel que moi, toute la puissance de l'empereur
+ ne peut pas faire que je reste ici dans la position du dernier des
+ polissons. Tu peux voir par la lettre ci-jointe comment un général
+ français traite mes ministres. Un voleur effréné que j'ai renvoyé
+ d'ici, il y a trois mois, y revient triomphant. Ce misérable a causé
+ le massacre de plus de cent Français, victimes de l'exaspération des
+ habitants de la province de Guadalaxara et Cuença où il commandait
+ une colonne et où il ravageait tout. J'entre dans ces détails pour
+ que tu saches bien qu'on me force au parti que je prends et que je
+ n'en ai pas d'autre à prendre.
+
+ [Note 28: Un des secrétaires du roi, chargé de ses affaires
+ d'intérêt et alors en France.]
+
+ Marius Clary doit être arrivé, j'attendrai la réponse à la lettre
+ que je t'ai écrite par lui avant de partir.
+
+
+La fin de l'année 1810 et le commencement de 1811 ne furent pas plus
+favorables à Joseph; aussi voit-on ses lettres à la reine contenir
+sans cesse les mêmes plaintes, justifiées par la conduite de
+l'empereur à l'égard de l'Espagne.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 8 janvier 1811.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres du 14 et 16, je suis peiné de
+ la perte de Mlle Antoinette qui t'était attachée depuis si
+ longtemps; cette pauvre fille avait eu un grand malheur à mes yeux,
+ celui d'avoir occasionné cet accident qui a eu tant d'influence sur
+ notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni
+ de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois
+ ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi
+ lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec
+ mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de
+ mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment
+ m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu
+ partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux
+ pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en
+ désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton
+ absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous
+ dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810[29] ont anéanti
+ tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans l'esprit
+ d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même situation où
+ je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois ans. J'ai
+ depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me suis vu
+ sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres
+ affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de
+ bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma
+ vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je
+ désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me
+ sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans
+ une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je
+ paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans
+ laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit,
+ attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me
+ paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin.
+
+ [Note 29: Ce décret créait les grands gouvernements à la tête
+ desquels Napoléon mettait ses généraux et humiliait
+ complètement le roi.]
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 6 février 1811.
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que
+ celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai
+ adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir
+ accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits
+ les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un
+ dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les
+ nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on
+ m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu
+ ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus
+ rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que
+ j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est
+ assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis
+ hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à
+ des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la
+ fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu
+ dois penser si je désire que tout cela finisse.
+
+
+Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi,
+après l'exposé fidèle de sa situation, dit:
+
+
+ Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel
+ ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le
+ prolongeais volontairement.
+
+
+Et plus loin:
+
+
+ Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je
+ pouvais faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me conseillent ne
+ connaissent ma position ici, et nécessairement _elle finirait par un
+ événement tragique si elle ne finit pas par mon départ volontaire_.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 24 mars 1811.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai
+ écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même
+ état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le
+ permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me
+ rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans
+ quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour
+ cela.
+
+ Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à
+ Mortefontaine pour ne plus vous quitter.
+
+
+L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort
+justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne.
+Sa belle-soeur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le comte
+de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il n'entrait pas
+encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser la Péninsule
+sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que tout autre. La
+guerre devenait imminente avec le Nord, il lui paraissait utile
+d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait son caractère
+loyal, affectueux et son dévouement personnel pour lui. Il fit donc
+écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier répondit à son
+oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7me volume des
+_Mémoires de Joseph_ et dont on a retranché cette phrase:
+
+
+ Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai
+ craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez,
+ après un rhume et une inflammation de poitrine.
+
+
+En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même
+jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à
+quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi:
+
+
+ Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous
+ importuner des sentiments que vous partagez ou _repoussez
+ peut-être_.
+
+
+Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde
+lettre:
+
+
+ Madrid, 24 mars 1811.
+
+ Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra
+ cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un moment. Je
+ vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir. Je suis
+ inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas accusé la
+ réception. La première, du 14 février, portée par M. le chef
+ d'escadron Clouet, la 2me du 19 mars et la 4me du 24.
+
+ Le général Blaniac[30] ne voudrait pas que sa femme vînt le
+ rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que
+ ce n'est pas le moment.
+
+ [Note 30: Un des aides de camp de Joseph, très dévoué à ce
+ prince. Joseph redoutait la venue en Espagne de toutes les
+ femmes des personnes attachées à sa maison, comprenant
+ combien sa position était précaire.]
+
+
+Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement
+possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se
+mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la
+lettre ci-dessous:
+
+
+ Madrid, le 16 avril 1811.
+
+ Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie,
+ par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre
+ et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet
+ qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne
+ ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait
+ que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques,
+ sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe
+ pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et
+ l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au
+ prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la _Toison
+ d'or_ au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait
+ agréée. C'était l'usage autrefois.
+
+ Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel.
+
+
+L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait
+se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se
+hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le
+prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du _roi de
+Rome_.
+
+Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et
+dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux _Mémoires_,
+le passage suivant:
+
+
+ Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux
+ mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes
+ qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin
+ bien vif par l'état presque désespéré dans lequel se trouve le fils
+ de Roederer, par une blessure mortelle qu'il a reçue hier soir, dans
+ une affaire particulière. Je trouvais quelque plaisir à mener ce
+ jeune homme à son père. Le destin en décide autrement.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai
+ écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très
+ longues lettres; celle du 19 mars[31] t'annonçait ma détermination
+ de me mettre en route pour la France; j'étais alors assez malade, je
+ n'ai pas été bien depuis, je suis mieux depuis mon départ de Madrid.
+ Je reçois aujourd'hui une lettre du prince de Neufchâtel qui
+ m'apprend que l'empereur a consenti à me faire un prêt de 500,000
+ francs par mois. J'écris à ce sujet à l'empereur la lettre que tu
+ lui remettras ou lui feras remettre, j'arriverai peu de jours après
+ cette lettre.
+
+ [Note 31: Cette lettre du 19 mars avait été perdue.]
+
+ Je t'ai écrit il y a quelques jours par M. Jappi que tu dois m'avoir
+ renvoyé avec tes lettres.
+
+
+Le même jour qu'il écrivait à la reine Julie les lettres ci-dessus,
+Joseph adressait à son frère celle qu'on va lire, laquelle a été un
+peu tronquée dans les _Mémoires_. La voici intégralement:
+
+
+ Santa Maria de la Nieva, le 25 avril 1811.
+
+ Sire,
+
+ Je suis parti de Madrid le 23 sans avoir reçu aucune réponse aux
+ lettres que j'ai écrites depuis 3 mois à Votre Majesté, à la reine
+ et au prince de Neufchâtel. J'ai retardé tant que j'ai pu mon
+ voyage, mais la nécessité m'a enfin décidé et ce ne sera pas sans
+ peine que les services se soutiendront à Madrid pendant 40 jours,
+ quoique le trésor se trouve déchargé en grande partie de la dépense
+ de ma maison. J'ai dû craindre que Votre Majesté ne se rappelât plus
+ de moi et je n'ai vu de refuge que dans la retraite la plus obscure;
+ aujourd'hui je reçois une lettre du prince de Neufchâtel du 8, qui
+ m'annonce quelque secours; cette lettre me prouve que ma position
+ véritable commence à être connue et il n'est pas douteux que je
+ n'aurai rien à désirer de vous dès que je connaîtrai votre volonté,
+ puisque la mienne sera de m'y conformer autant que cela me sera
+ possible.
+
+ Je retournerai en Espagne si vous jugez ce retour utile, mais je ne
+ puis y retourner qu'après vous avoir vu et après vous avoir éclairé
+ sur les hommes et les choses qui ont rendu mon existence d'abord
+ difficile, puis humiliante et enfin impossible et m'ont mis dans la
+ position où je suis aujourd'hui.
+
+ Je suis prêt aussi à déposer entre les mains de Votre Majesté les
+ droits qu'elle m'a donnés à la couronne d'Espagne, si mon
+ éloignement des affaires entre dans ses vues, et il ne dépendra que
+ de vous de disposer du reste de ma vie, dès que vous aurez assez vu,
+ pour avoir la conviction que vous connaissez l'état de mon âme et
+ celui des affaires de ce pays où je ne pourrai retourner avec succès
+ que nanti de votre confiance et de votre amitié, sans lesquelles le
+ seul parti qui me reste à prendre est celui de la retraite la plus
+ absolue; dans tous les cas, dans tous les événements je mériterai
+ votre estime. Ne doutez jamais de mon dévouement et de ma tendre
+ amitié.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Burgos, 1er mai 1811.
+
+ Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 20 et 22; je t'ai écrit
+ le 16 avril et le 26 d'Almeida. Le voyage est utile à ma santé, je
+ séjournerai ici aujourd'hui pour ôter toute inquiétude que l'on
+ aurait eue en regardant ce voyage comme un départ définitif. J'ai
+ dissipé toutes ces craintes à Valladolid et sur toute la route et
+ j'ai dit que je retournerai dans le mois de juin avec ma famille.
+ Ainsi si les affaires prennent cette tournure à Paris, prépare-toi à
+ venir bientôt en Espagne et le plus tôt est le mieux. Dans ce cas,
+ mon absence ne saurait être trop courte, le bien réel et celui de
+ l'opinion qu'opérerait mon retour, dissiperait bientôt la légère
+ inquiétude occasionnée par mon départ et le bien serait décuple du
+ mal. Il y a beaucoup de choses à faire et plus encore à éviter pour
+ terminer les affaires d'Espagne d'une manière avantageuse aux deux
+ nations; il ne dépendra pas de moi que tout cela ne réussisse. Je
+ serai dans neuf jours à Bayonne, je pourrai peu de jours après
+ recevoir ta réponse à cette lettre. Je désire descendre à
+ Mortefontaine, j'ai avec moi 8 ou 10 personnes et 20 domestiques.
+
+
+Dans cette lettre on voit le roi Joseph renaître à l'espérance; cela
+provenait de ce que ce malheureux souverain, pendant son voyage,
+venait de recevoir de Berthier la nouvelle que l'empereur
+consentirait à lui faire un prêt de 500,000 francs par mois, comme
+il l'annonce à sa femme.
+
+Joseph resta à Paris près de son frère et de sa femme, pendant le
+mois de mai et une partie de celui de juin 1811. L'empereur lui fit
+beaucoup de promesses, ce qui le détermina à retourner en Espagne.
+Dans une circonstance assez secondaire, Napoléon lui fit témoigner
+d'une façon fort dure son mécontentement. Le 11 juin 1811,
+l'empereur écrivit à Berthier:
+
+
+ Saint-Cloud, le 11 juin 1811.
+
+ Mon cousin, je vous prie d'aller voir le roi d'Espagne pour lui
+ parler de la dernière audience diplomatique et de l'indécence avec
+ laquelle s'y sont comportés plusieurs Français portant la cocarde
+ espagnole. Ils sont entrés en forçant la consigne et sachant bien
+ que je ne reçois pas les Français qui sont à _un service étranger_.
+ Heureusement je ne les ai pas vus, je les aurais fait chasser. Vous
+ direz que j'avais entendu, par recevoir les Espagnols, recevoir les
+ trois ministres et quelques chambellans espagnols que le roi a
+ amenés, mais que c'est sur la liste destinée pour le _Moniteur_ que
+ j'ai vu le nom de plusieurs Français, entre autres celui du sieur
+ Tascher qui n'a pas même la permission de porter la cocarde
+ espagnole, et qu'à cette occasion, je ne comprends pas comment on
+ puisse porter une cocarde étrangère sans en avoir l'autorisation;
+ que ce que je désire, c'est que Clary, Miot, Expert et les autres
+ Français portés sur la liste, partent demain et se mettent en route
+ pour Bayonne; que je ne m'oppose pas à ce que le roi en fasse ce
+ qu'il veut en Espagne, mais que je ne puis m'accoutumer à voir des
+ Français venir faire de l'embarras à Paris sous un costume étranger.
+ Le remède à tout, c'est qu'ils partent aujourd'hui ou demain,
+ quoique je ne vois pas quelle nécessité il y avait à ce que le roi
+ mène ce tas de gens avec lui; vous direz également au roi que je ne
+ vois pas d'objection à ce qu'il parte, que quant à mes dispositions,
+ je persiste dans celles dont vous lui avez fait part, que votre
+ lettre doit donc lui servir de règle, que le temps prouvera par la
+ conduite qu'il tiendra si le voyage de Paris lui a été utile et s'il
+ a acquis la prudence nécessaire pour manier ces matières; que, quant
+ à l'argent, je fais donner au roi ces sommes sur les sommes
+ mensuelles que je lui ai promises, mais que c'est bien mal employer
+ son argent que celui destiné à payer les voyages d'un tas de gens
+ inutiles comme Miot, les Expert, etc.....
+
+
+Joseph reçut la visite de Berthier au moment où il partait pour
+l'Espagne. Malgré cette dure leçon, il quitta Paris plein
+d'espérance, croyant avoir la certitude que son frère, selon ses
+promesses, viendrait à son secours, avancerait les fonds nécessaires
+à l'entretien et au salut de la Péninsule. Il ne tarda pas à être
+désabusé, ainsi qu'on va le voir par ses lettres à la reine,
+laquelle ne l'avait pas suivi, attendant pour se rendre à Madrid
+avec ses enfants que les choses eussent pris une meilleure tournure.
+
+Joseph lui écrivit le 23 septembre 1811:
+
+
+ Ma chère amie, je reçois ta lettre du 10. Tu connaîtras ma
+ situation, elle est peu agréable; tu sais que je devais recevoir un
+ secours d'un million par mois, je reçois à peine la moitié, je ne
+ pourrai pas tenir longtemps si cet état de choses dure. Si ta santé
+ te permet de venir, tâche d'obtenir de l'empereur ce qui m'est dû
+ depuis juillet, à raison d'un million par mois, et même une avance
+ de quelques mois, afin que je ne sois pas dans l'inquiétude comme
+ aujourd'hui, lorsque vous serez arrivées.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 1er octobre 1811.
+
+ Ma chère amie, je n'ai pas eu de tes lettres par le dernier
+ courrier, les enfants m'ont écrit que tu étais à Compiègne; il m'est
+ dû près de trois millions de francs sur le prêt que l'empereur m'a
+ promis d'un million par mois à dater du 1er juillet, aussi suis-je
+ dans les plus grands embarras; écris-moi si tu comptes partir, ne te
+ mets pas en route sans être précédée ou accompagnée par six millions
+ au moins, afin que je puisse avoir l'esprit en repos pour quelque
+ temps, faute de quoi il vaut mieux rester à Paris, car, sans argent,
+ sans troupes, sans commandement véritable, il est impossible que ma
+ position se prolonge longtemps; je me porte bien.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 1er novembre 1811.
+
+ Ma chère amie, je n'ai pas reçu de tes lettres par la dernière
+ estafette, j'attends avec impatience de savoir que tu te portes bien
+ et que l'empereur m'envoie effectivement l'argent que je lui ai
+ demandé, sans lequel je ne puis rien faire de bon ici, le million
+ qu'il m'a promis comme avance à dater du 1er juillet et un autre
+ million en remplacement du quart des autres arrondissements.
+
+ Marius Clary a été très malade, mais il est mieux, tu m'as parlé de
+ deux partis pour sa soeur, je ne connais pas le personnel du
+ _civil_, mais, s'il est bon, je le préfère au _militaire_, dont tu
+ me parles.
+
+
+Le roi Joseph avait beaucoup d'affection pour le général Hugo,
+employé à Madrid. Le général vivait en mauvaise intelligence avec sa
+femme, il lui écrivit le 30 janvier 1812:
+
+
+ J'ai lu avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous m'avez écrit, ainsi
+ que Mme Hugo.
+
+ Mon désir le plus constant est que vous vous arrangiez de manière à
+ être heureux, je n'ai rien négligé pour cela, l'attachement que je
+ vous porte m'en a fait un devoir; mais, si mes voeux ne se réalisent
+ pas, je ne dois pas vous cacher que ma volonté est que vous ne
+ donniez pas ici un exemple scandaleux en ne vivant point avec Mme
+ Hugo comme le public a droit de l'attendre d'un homme qui, par sa
+ place, est tenu à donner le bon exemple.
+
+ Quel que soit le regret que j'aurais de vous voir éloigné de moi, je
+ ne dois pas vous cacher que je préfère ce parti au spectacle
+ qu'offre votre famille depuis trois mois.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 1er février 1812.
+
+ Ma chère amie, je n'ai rien de bon à t'écrire après la prise de
+ Valence; la récolte a été mauvaise et le blé est très cher, il y a
+ beaucoup de misère ici; je reçois à peine la moitié de ce qui
+ m'avait été promis à Paris, et je serais impardonnable d'être
+ reparti si j'avais pu prévoir l'avenir qui m'attendait dans ce pays.
+ Les avantages que je pouvais tirer de la reddition de Valence par le
+ grand nombre de soldats qui abandonnent l'insurrection, vont bientôt
+ être perdus par le dénûment où je me trouve et d'argent et de moyens
+ de m'en procurer; quelle sera la fin de tout ceci, je l'ignore et ne
+ veux pas la prévoir: 1º l'unité dans le commandement et dans
+ l'administration; 2º un but fixe et certain offert à toutes les
+ provinces, pourraient encore sauver nos affaires et il faudrait que
+ l'empereur fit encore beaucoup de sacrifices d'argent, sans cela
+ tout ira mal et va déjà si mal que, ne pouvant rien, je dois désirer
+ que cela finisse pour moi le plus tôt possible.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, le 21 février 1812.
+
+ J'ai reçu ta lettre du 28 janvier et 1er février. Je suis fâché
+ d'apprendre que ta santé n'est pas bonne, je n'ai aucune réponse
+ directe aux lettres que j'ai écrites, il est fâcheux que cela soit
+ ainsi; mais il serait encore plus fâcheux pour moi que je crusse
+ mériter d'être traité comme je le suis, je désire que tout ce qui se
+ passe finisse bien, je le désire sincèrement plus que je ne
+ l'espère.
+
+ Ma santé n'est pas très bonne, cependant je serais heureux de penser
+ que la tienne fût de même.
+
+
+ JOSEPH À JULIE.
+
+ Madrid, 7 mars 1812.
+
+ Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14; je n'ai aucune nouvelle de
+ Paris, tu ne me dis rien des événements qui sont arrivés ou dont
+ nous sommes menacés, ma position ici est impitoyable; que je sauve
+ l'honneur, je regrette peu le reste.
+
+ Adieu, ma chère amie, écris-moi la vérité et embrasse nos enfants.
+
+
+Vers cette époque une mesure prise bien tard sans doute, mais enfin
+prise par l'empereur, prêt à partir pour le Nord, rendit un peu de
+courage à Joseph et lui donna quelque espérance. Il apprit que son
+frère plaçait sous son commandement unique toutes les troupes en
+Espagne et lui donnait pour major-général le maréchal Jourdan. Le
+roi se mit immédiatement à la tête de ses armées, mais il s'aperçut
+bientôt de la difficulté qu'il aurait à se faire obéir des
+commandants des divers corps, accoutumés à être indépendants.
+
+Dès qu'il fut entré en campagne, Joseph écrivit à la reine un grand
+nombre de lettres fort importantes. Il lui manda de Valence le 9
+septembre 1812:
+
+
+ Ma chère amie, tu pourras concevoir par la copie ci-jointe
+ l'enchaînement des événements qui m'ont forcé à quitter Madrid, la
+ résistance qu'a éprouvée l'exécution de mes ordres au Nord et au
+ Midi, la précipitation qu'a mis l'armée de Portugal retirée derrière
+ le Duero à attaquer l'armée anglaise avant l'arrivée des secours qui
+ lui étaient annoncés du Nord et du Centre. Masséna arrive; s'il
+ amène des troupes, si on envoie de l'argent, si les généraux qui ne
+ veulent pas obéir et qui s'isolent dans leurs provinces sont
+ rappelés, les affaires se rétabliront bientôt.
+
+ Je me porte très bien, je t'embrasse avec mes enfants, je désire que
+ vous vous portiez aussi bien que moi et vous revoir bientôt, car la
+ vie se passe.
+
+ Si l'empereur ne rappelle pas les généraux du Nord et du Midi, il
+ n'y a rien de bon à espérer dans un état de choses où il faut un
+ commandement prompt, absolu, et où l'impunité encourage à la
+ désobéissance et perpétuera les malheurs jusqu'à la perte totale de
+ ce pays.
+
+
+À cette lettre était jointe la copie de la lettre de Joseph à
+Berthier, en date du 4 septembre, qui ne se trouve pas aux Mémoires
+et que voici. Elle est relative à la bataille de Salamanque.
+
+
+ Valence, le 4 septembre 1812.
+
+ J'apprends par une voie indirecte que le conseil des ministres ayant
+ eu connaissance des résultats de l'action qui a eu lieu le 21
+ juillet dernier aux environs de Salamanque entre l'armée de Portugal
+ et l'armée anglaise, avait donné des ordres pour faire passer en
+ Espagne des renforts et remis à M. le prince d'Essling le
+ commandement de l'armée de Portugal.
+
+ En adressant à V. A. S. mes remerciements de l'empressement qu'elle
+ et le conseil des ministres ont mis à prendre cette mesure, je crois
+ devoir lui communiquer directement un sommaire des événements et de
+ la situation des affaires militaires avant et après cette époque, ma
+ correspondance avec le ministre de la guerre en contient les détails
+ en quelque sorte jour par jour, mais dans la crainte qu'elle ne lui
+ soit pas parvenue, il me paraît utile d'en rassembler ici les
+ principaux faits.
+
+ Le maréchal duc de Raguse ne s'étant pas cru en mesure d'attaquer
+ les Anglais, après qu'ils eurent passé l'Agueda le 12 juin, se
+ retira successivement entre la Tormès et le Duero et finalement
+ passa sur la rive droite de ce fleuve.
+
+ L'armée de Portugal resta dans cette position en rappelant à elle
+ toutes ses divisions.
+
+ L'armée anglaise demeura en observation sur la rive gauche du Duero,
+ et ne fit aucune tentative pour le passer.
+
+ Il était aisé de prévoir que le sort de l'Espagne pourrait dépendre
+ d'une affaire qui paraissait inévitable et qu'il était de la plus
+ haute importance de mettre le duc de Raguse en état de combattre
+ avec les plus grandes probabilités de succès.
+
+ Je pressai des secours de toutes parts, mais mes ordres ne furent
+ pas exécutés, le général en chef de l'armée du Midi[32] se refusa
+ aux dispositions que j'avais prescrites, et ce ne fut qu'après
+ beaucoup d'hésitations que celui de l'armée du Nord se détermina à
+ faire partir sa cavalerie et son artillerie que je lui avais ordonné
+ d'envoyer au duc de Raguse.
+
+ [Note 32: Soult.]
+
+ Réduit par conséquent à mes propres forces, je pris le parti
+ d'évacuer toutes les provinces du Centre; je ne laissai de garnisons
+ qu'à Madrid et à Tolède et je formai un corps de 14,000 hommes avec
+ lequel je partis de Madrid le 21 pour me porter sur le Duero et
+ effectuer ma jonction avec l'armée du Portugal.
+
+ J'appris en route que M. le maréchal duc de Raguse avait déjà passé
+ ce fleuve, le 18, à Tordesillas, que l'armée anglaise s'était
+ repliée sur Salamanque; je continuai à marcher avec la confiance
+ d'opérer très promptement ma jonction sur la rive gauche du Duero.
+
+ Mais au moment où cette jonction allait avoir lieu, je reçus le 25
+ juillet, à Blasca-Sancho, des lettres de M. le maréchal Marmont et
+ de M. le général Clausel qui m'annonçaient qu'il y avait eu le 22
+ une affaire générale; comme ces lettres fixent d'une manière précise
+ les _événements de cette journée où M. le maréchal duc de Raguse, à
+ la veille de recevoir des renforts qu'il attendait depuis un mois,
+ a engagé volontairement une action dont les résultats ont été si
+ graves_, j'en adresse une copie à Votre A. S.[33]
+
+ [Note 33: Marmont s'était empressé de livrer bataille avant
+ l'arrivée de Joseph, ne voulant pas se trouver sous les
+ ordres du roi et se croyant assez fort pour battre seul
+ l'ennemi.]
+
+ L'armée du Portugal faisait sa retraite en toute hâte et sans
+ chercher à s'appuyer des forces que j'avais avec moi, je ne pouvais
+ plus que me retirer et tout ce qui me restait à faire était de
+ tenter de ralentir la poursuite de l'ennemi par ma présence en
+ attirant son attention sur moi.
+
+ Je partis donc le même jour, 25, dans l'intention de me replier à
+ petites journées sur Madrid.
+
+ Le 27 je fus rejoint par un aide de camp (M. Fabier) de M. le
+ maréchal duc de Raguse qui m'apportait des dépêches de lui et du
+ général Clausel. L'un et l'autre me mandait que la poursuite de
+ l'ennemi était ralentie et me témoignaient le désir de se réunir à
+ moi, si je voulais m'approcher d'eux.
+
+ Quoique je sentisse tout le danger de ce mouvement, je ne m'y
+ refusai pas et je me dirigeai sur Ségovie, où je restai quatre jours
+ pour donner le temps à l'armée du Portugal de se porter sur moi;
+ mais elle ne changea pas sa première direction, soit que l'ennemi
+ l'en ait empêchée, soit qu'elle n'ait jamais eu le dessein réel de
+ s'éloigner du Nord. Elle continua sa retraite sur le Duero qu'elle
+ passa et se détacha ainsi totalement de moi.
+
+ En revenant à Madrid, le 3 août, avec le petit corps de troupes que
+ je ramenais, j'avais l'espérance d'être joint par dix mille hommes
+ de l'armée du Midi que, depuis le 9 juillet, j'avais donné l'ordre
+ au duc de Dalmatie d'envoyer à Tolède. Je me flattais aussi que le
+ corps du comte d'Erlon, de la même armée, qui était en Estramadure,
+ aurait fait un mouvement pour se rapprocher du Tage, suivant mes
+ instructions; avec ces ressources j'aurais pu défendre et couvrir la
+ capitale contre un détachement que l'armée anglaise eût fait sur
+ moi, après avoir rejeté l'armée du Portugal sur l'Ebre; mais toutes
+ ces espérances s'évanouirent à la réception d'une lettre du duc de
+ Dalmatie qui refusait positivement d'obéir.
+
+ D'un autre côté, j'apprenais que _l'armée du Portugal s'éloignait de
+ plus en plus du Duero et se retirait sur Burgos_; en même temps tous
+ les rapports annonçaient que lord Wellington se préparait à marcher
+ sur la capitale; toute la population y était en mouvement.
+
+ En effet, l'ennemi ayant passé les montagnes le 8 et le 9, plus de
+ 2000 voitures partaient de Madrid le 10, en se dirigeant vers le
+ Tage.
+
+ Je me portai le même jour de ma personne sur le point où leurs
+ divisions, après s'être retirées des débouchés des montagnes,
+ s'étaient repliées et je fis reconnaître l'ennemi qui les suivait;
+ cette reconnaissance engagea un combat très opiniâtre de cavalerie
+ et dont les résultats furent à notre avantage. L'ennemi perdit trois
+ pièces de canon, beaucoup de morts, de blessés et un assez grand
+ nombre de prisonniers, dont les rapports ne me laissèrent au surplus
+ aucun doute sur le parti que j'avais à prendre.
+
+ Je n'avais avec moi que huit mille hommes de disponibles, le reste
+ escortait le convoi. Je passai le Tage le 12 août au soir.
+
+ Comme j'avais écrit, dès que j'eus la nouvelle de l'affaire du 22
+ juillet, de Ségovie au duc de Dalmatie d'évacuer l'Andalousie et de
+ venir me rejoindre avec toute son armée, mon premier dessein avait
+ été de marcher au devant de cette armée et de me réunir à elle aux
+ débouchés de la Sierra-Morena, mais des nouvelles lettres que je
+ reçus de M. le maréchal duc de Dalmatie (à 5 lieues d'Ocana), ne me
+ laissant rien à espérer du moins pour le moment, je me décidai à me
+ retirer sur Valence.
+
+ En prenant cette résolution j'ai eu en vue deux objets principaux,
+ l'un de mettre en sûreté l'immense population qui m'a suivi, l'autre
+ de protéger et de défendre le royaume de Valence, menacé par un
+ débarquement à Alicante de 13,000 Anglais, Siciliens et Majorcains,
+ qui, réunis aux forces de Freyre et d'O'Donnel, auraient formé un
+ corps de 25 à 30,000 hommes, capable d'inquiéter sérieusement
+ l'armée d'Aragon.
+
+ J'ai été assez heureux pour atteindre ce double but, le convoi est
+ arrivé à Valence et la présence inopinée des troupes que j'amenais
+ avec moi a forcé l'ennemi à se retirer sous Alicante et peut-être à
+ s'embarquer.
+
+ J'ai trouvé ici des nouvelles de France, dont j'étais privé depuis
+ trois mois.
+
+ L'armée se repose d'une route extrêmement fatigante, je fais filer
+ sur les derrières tout ce qui a jusqu'ici embarrassé ma marche et je
+ laisse partir pour la France les familles françaises qui désirent y
+ rentrer.
+
+ S'il arrive des secours de France pour réparer les pertes du 22
+ juillet et contre-balancer les renforts que l'ennemi reçoit de la
+ Méditerranée et de l'Océan, si l'on m'envoie 15 à 20 millions en sus
+ des versements habituels du trésor impérial, si, enfin, instruits
+ par ce qui vient de se passer, les généraux commandant les divers
+ corps de l'armée exécutent mes ordres, au lieu de les discuter, ce
+ qui arrivera lorsque l'empereur leur témoignera son mécontentement
+ et en aura rappelé quelques-uns, je ne doute pas que les affaires
+ d'Espagne se rétablissent.
+
+ Agréez, etc.
+
+ _P. S._ Valence, le 8 septembre 1812. Au moment où je fais partir ce
+ duplicata, je reçois les papiers publics de Paris jusques au 21
+ août; je ne puis cacher à V. A. S. ma surprise sur la manière dont
+ on y rend compte de l'affaire du 22 juillet. Comment M. Fabier, qui
+ a porté la nouvelle de cette action à Paris et qui m'a accompagné à
+ Ségovie _où je suis resté quatre jours_, protégeant la retraite de
+ l'armée du Portugal, a-t-il pu laisser ignorer mon mouvement et le
+ dévouement personnel que j'ai mis à rester seul en présence de
+ l'ennemi, tandis que les débris de l'armée du Portugal passaient de
+ l'autre côté du Duero, ainsi que V. A. S. le voit par les détails
+ contenus dans cette lettre? _Je ne voulais pas m'appesantir sur
+ cette mauvaise foi et cette perfidie. La bataille du 22 a été perdue
+ parce que le maréchal duc de Raguse n'a pas voulu m'attendre, ni
+ attendre les secours qui lui venaient du Nord; ces secours et ceux
+ que je lui amenais étaient en mesure de le joindre le lendemain ou
+ le surlendemain de l'affaire; mais il paraît que, trompé par une
+ ruse de lord Wellington_ qui a fait tomber entre ses mains une
+ lettre au général Castanos, dans laquelle il lui mandait que sa
+ position n'était plus tenable et qu'il était obligé de se retirer,
+ M. le duc de Raguse a cru marcher à une victoire assurée, et une
+ soif désordonnée de gloire ne lui a pas permis d'attendre _un chef_.
+
+
+Une fois encore la reine Julie et ses enfants durent se mettre en route
+pour venir rejoindre le roi Joseph à Madrid, mais ce projet dut être
+abandonné pour l'instant. Le roi fut obligé de quitter sa capitale pour
+chercher à se réunir aux armées de Suchet et de Soult. Tandis que ce
+dernier s'obstinait à rester en Andalousie et que Marmont avec l'armée
+du Portugal se hâtait de livrer inconsidérément, près de Salamanque, la
+bataille des Arapiles, qu'il perdait pour n'avoir pas voulu attendre les
+renforts en marche pour le rejoindre, Joseph ralliait Suchet à Valence,
+apprenait par le plus singulier des hasards les infâmes accusations du
+duc de Dalmatie[34], portait son quartier-général à Valladolid, selon
+les instructions de l'empereur, et écrivait de cette ville, le 3 mai
+1813, à la reine Julie:
+
+ [Note 34: On trouvera un peu plus loin le récit relatif à
+ l'accusation portée par Soult sur Joseph.]
+
+
+ Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 8 avril par des courriers qui
+ portent des lettres de Paris à la date du 16. Je n'ai pas reçu de
+ lettre des enfants, je me persuade toutefois que vous vous portez
+ bien toutes les trois. M. de la Forest[35] part pour les eaux, je
+ pense que tu le verras à Paris, son langage est bon, mais il n'est
+ pas secondé par quelques chefs qui en tiennent un différent. Les
+ troubles du Nord de l'Espagne ne peuvent être attribués qu'à
+ l'erreur dans laquelle on laisse les habitants sur leur sort futur;
+ l'opinion a causé tout le mal et l'opinion continue à être trompée
+ et à causer cette résistance nationale qui occupe une grande partie
+ de nos forces. Du reste, l'opinion générale de toutes les provinces
+ et de toutes les classes est uniforme: la paix..... qui conserve la
+ paix avec la France et qui garantit l'intégrité et l'indépendance de
+ la monarchie.
+
+ [Note 35: Ambassadeur de France à Madrid.]
+
+ Les opérations ne sont pas encore commencées.
+
+
+Le roi Joseph obtint enfin au commencement de 1813 le rappel du
+maréchal Soult. Il fut informé de cette disposition par une lettre
+du duc de Feltre, auquel l'empereur, qui n'écrivait plus directement
+à son frère, avait envoyé la dépêche suivante, datée de Paris, 3
+janvier:
+
+
+ Monsieur le duc de Feltre, le roi d'Espagne demandant qu'on rappelle
+ à Paris le duc de Dalmatie, et ce maréchal le demandant aussi, ou au
+ moins à revenir par congé, envoyez au duc de Dalmatie, par estafette
+ extraordinaire, un congé pour revenir à Paris; le général Gazan
+ prendra le commandement de son corps ou le maréchal Jourdan. Il faut
+ expédier ces ordres par duplicata et triplicata.
+
+ Faites connaître au roi, en lui écrivant en chiffres, que, dans les
+ circonstances actuelles, je pense qu'il doit placer son quartier
+ général à Valladolid, que le 29me bulletin lui aura fait connaître
+ la situation des affaires du Nord qui exigent tous nos soins et nos
+ efforts, qu'il peut bien faire occuper Madrid par une des extrémités
+ de la ligne, mais que mon intention est que son quartier général
+ soit à Valladolid; et que je désire qu'il s'applique à profiter de
+ l'inaction des Anglais pour pacifier la Navarre, la Biscaye et la
+ province de Santander.
+
+
+Nous allons placer ici l'affaire relative au duc de Dalmatie.
+
+Le maréchal était l'homme qui avait le plus contribué au mauvais
+succès des affaires d'Espagne. Depuis qu'il était en Andalousie, se
+trouvant maître des ressources de cette riche province, il ne
+voulait pas quitter Séville et refusait d'obéir aux ordres du roi,
+lequel avait hâte de concentrer ses forces. Dans le but de pallier
+la faute qu'il commettait en n'obéissant pas aux ordres du roi, son
+chef militaire, puisque Joseph commandait toutes les armées dans la
+Péninsule; dans le but d'échapper aux conséquences de son refus de
+joindre ses troupes à celles des autres corps opérant en Espagne, le
+duc de Dalmatie imagina le plus singulier moyen. Il osa accuser le
+roi Joseph de trahir la France et l'empereur et déclarer qu'il était
+de son devoir de ne pas obéir au roi. Il osa envoyer à Napoléon
+lui-même une dépêche dans ce sens.
+
+Voici à cet égard une note copiée au journal du général Desprez,
+colonel, aide de camp de Joseph en 1812, envoyé au duc de Dalmatie
+pour lui porter les ordres du roi, envoyé ensuite à l'empereur, à
+Moscou, pour lui remettre les dépêches de Soult, si singulièrement
+tombées aux mains de Joseph à Valence, ainsi qu'on va le voir.
+
+Le colonel Desprez avait été envoyé à Séville par le roi, porter
+l'ordre au maréchal de partir avec l'armée du Midi pour le joindre.
+
+
+ À peine avais-je quitté l'Andalousie pour revenir près de Joseph,
+ écrit-il, que le duc de Dalmatie s'était occupé de concilier sa
+ propre sûreté avec une désobéissance formelle. Le moyen dont il
+ s'était avisé peut servir à peindre son caractère. Les généraux de
+ division de son corps furent réunis en conseil secret et là, d'une
+ voix émue, il avait annoncé qu'il allait leur faire des révélations
+ aussi pénibles qu'importantes: «J'ai, leur avait-il dit, de fortes
+ raisons de croire que le roi trahit les intérêts de la France. Je
+ sais d'une manière positive qu'il entretient des relations avec la
+ régence espagnole. Son beau-frère, le roi de Suède, lui sert
+ d'intermédiaire. Celui-ci est devenu l'allié des insurgés et déjà
+ 300 Espagnols destinés à former sa garde se sont embarqués à Cadix.
+ Sujet de l'empereur et général français, je dois veiller, avant
+ tout, aux intérêts de mon souverain et à l'honneur de nos armes. Je
+ puis recevoir des ordres qui les compromettront, alors la
+ désobéissance deviendrait un devoir. Dans des circonstances aussi
+ graves, je compte sur votre dévouement à l'empereur et sur votre
+ confiance dans le chef qu'il vous a donné.» Cette démarche avait été
+ habilement conçue dans le cas où le maréchal aurait voulu prendre un
+ parti violent et se trouvait justifiée aux yeux de l'armée.
+ D'ailleurs, il connaissait trop bien le caractère de Napoléon pour
+ craindre que jamais cette excessive défiance lui parût un crime
+ impardonnable. Pour se mettre entièrement à couvert, il avait songé
+ à prévenir le gouvernement français des inquiétudes qu'il avait
+ conçues et des précautions que son dévouement lui avait dictées. Les
+ communications par terre étant interrompues, il fit partir de Malaga
+ un _aviso_ chargé de ses dépêches. À peine le bâtiment était-il
+ sorti du port qu'une corvette anglaise lui avait donné la chasse.
+ Pour échapper à cette poursuite, il était venu se jeter à la côte de
+ Valence. Le capitaine s'étant présenté au duc d'Albuféra, celui-ci
+ prit ses dépêches et les porta au roi; elles furent ouvertes
+ sur-le-champ et on y trouva une longue lettre au ministre de la
+ guerre, où Soult dénonçait formellement celui dont il se disait
+ l'ami le plus dévoué. Je vis cette lettre et il est impossible de
+ concevoir que l'hypocrisie aille plus loin. Après une longue
+ énumération de faits, le maréchal faisait une vive peinture de la
+ douleur qu'il avait éprouvée. Il aurait voulu se dissimuler la
+ vérité, épargner à l'empereur des révélations pénibles, mais le
+ devoir avait parlé plus haut que toute autre considération.
+
+ Cette perfidie consterna Joseph. La haute opinion que le maréchal
+ semblait avoir conçue de son esprit, les protestations de tendresse
+ qu'il en recevait, avaient séduit un homme que l'amour-propre
+ rendait excessivement crédule, mais de ce moment toute illusion fut
+ détruite.
+
+
+Cette note, copiée sur le journal du général Desprez, fut
+communiquée à M. de Presle, le jour même où l'aide de camp du roi
+Joseph, devenu un des généraux les plus distingués de l'armée
+française, partit, en 1830, pour l'expédition d'Alger.
+
+L'empereur ne témoigna aucun mécontentement au duc de Dalmatie, ne
+répondit pas à son frère relativement à cette grosse affaire et se
+borna à autoriser le retour en France du maréchal Soult, comme on
+l'a vu, par sa lettre du 3 janvier 1813, au duc de Feltre. Puis, dès
+qu'il connut le résultat de la bataille de Vittoria (24 juin 1813),
+la retraite des armées d'Espagne sur les Pyrénées, l'empereur envoya
+le même duc de Dalmatie prendre le commandement de ses armées
+d'Espagne, commandement que Joseph se hâta de lui remettre.
+
+Ainsi, le malheureux roi d'Espagne, comme l'avait été deux années
+auparavant le roi de Hollande, n'était en quelque sorte qu'un
+souverain nominatif, sans cesse désavoué par l'empereur, désobéi par
+les généraux mis sous ses ordres, et dont les provinces étaient
+dévastées, pillées par plusieurs de ces mêmes généraux. Napoléon lui
+promettait des subsides et trouvait toujours moyen d'éluder une
+partie de ce qu'il s'était engagé à lui fournir; ne répondait ni à
+ses lettres, ni à ses justes réclamations; ne le défendait même pas
+des injurieuses et sottes accusations que portait contre lui un de
+ses propres maréchaux! Bien plus, il semblait admettre que ces
+accusations pouvaient être fondées, car il plaçait ce même maréchal
+à la tête de ses troupes.
+
+En arrivant à Saint-Jean de Luz, le 1er juillet 1813, Joseph écrivit
+à la reine:
+
+
+ Ma chère amie, M. Melito, que j'ai chargé d'une lettre pour
+ l'Empereur, te fera connaître exactement ma position; je ne pense
+ pas que les affaires d'Espagne puissent se rétablir autrement que
+ par la paix générale, je suis resté ici parce que la frontière est
+ menacée, mais dès que cette première frayeur sera dissipée et que la
+ défensive sera bien assurée, ma présence étant inutile, je désire me
+ retirer soit à Mortefontaine, soit dans le Midi; je suppose que l'on
+ formera ici deux armées, qui devront avoir deux chefs différents, je
+ ne crois pas que j'aie ici rien à faire, dès que la première
+ impression sera passée, et que l'empereur aura pris ses mesures. Je
+ ne dois pas te cacher non plus qu'aujourd'hui même je me sens
+ incapable de monter à cheval par mes anciennes douleurs qui m'ont
+ pris cette nuit, soit à la suite des longues pluies que nous avons
+ essuyées, soit à cause du changement de climat et je n'hésite pas à
+ te dire que sous tous les rapports je dois désirer de me retirer.
+ D'un autre côté je suis ici avec une maison qui me coûte encore
+ trois cent mille francs par mois et je n'ai pas un sol pour la
+ payer. Elle vit, depuis la funeste journée du 21, sur le peu
+ d'argent que chacun de mes officiers ou de mes domestiques avait
+ dans sa poche, et pour te donner une plus parfaite idée de ma
+ position, je t'envoie la lettre que je reçois à l'instant même[36].
+
+ [Note 36: Lettre d'un de ses serviteurs dévoués qui lui
+ demandait un peu d'argent pour subvenir à ses besoins.]
+
+ En me retirant à Mortefontaine, je pourrai y vivre avec mon
+ traitement de France que l'on t'a continué, et si l'empereur veut
+ faire mettre à ma disposition une somme de quelques centaines de
+ mille francs, je pourrai renvoyer tout mon monde avec une légère
+ gratification.
+
+ Si l'empereur n'y pense pas, je compte sur Nicolas Clary. En
+ ajoutant aux cent mille francs que je t'ai prié de lui dire de
+ verser à M. James, encore quatre cent mille francs, je pourrai
+ m'acquitter autant que les circonstances le permettent; je suppose
+ que je serai rendu à Mortefontaine avant la fin du mois. La garde,
+ les troupes espagnoles, les militaires des deux nations qui me
+ suivent pourront être habilement employés par l'empereur, et je ne
+ doute pas qu'ils ne servent bien; il me reste le souci de quelques
+ employés français, mais le nombre en est très restreint. Les
+ réfugiés espagnols sont en plus grand nombre, mais j'ai écrit à
+ l'empereur et fait écrire au ministère et je ne doute pas que l'on
+ n'adopte, en leur faveur, les mêmes mesures qui furent prises dans
+ d'autres temps pour les Bataves, les Belges et les Cisalpins. J'ai
+ perdu quelques-uns des diamants qui restaient, mais j'en ai aussi
+ conservé assez pour couvrir Nicolas des avances qu'il serait dans le
+ cas de me faire encore. Au reste j'espère que je n'aurai pas besoin
+ de recourir à lui pour peu que l'empereur connaisse ma position. Le
+ traitement de prince français sera bien suffisant pour la vie que je
+ dois mener après tant de traverses.
+
+ Je diminuerai la quotité des pensions que je faisais et les
+ répartirai sur les plus malheureux des hommes respectables que j'ai
+ aujourd'hui le malheur de voir partir à pied pour Toulouse, Cahors,
+ Tarbes, sans pouvoir leur donner un sou. Je suis resté avec un
+ napoléon dans ma poche après le massacre de Thibaut[37], je n'ai pu
+ faire vendre à Bayonne de l'argenterie qui y avait été transportée
+ avec des effets usuels, successivement de Madrid pour le palais de
+ Valladolid et de Valladolid pour celui de Vittoria, d'où M. Thibaut,
+ qui était extrêmement soigneux, économe pour mon service, les avait
+ fait transporter. Tout cela se dirigera sur Paris, il y aura de
+ l'argenterie pour cinquante mille écus que M. James peut faire
+ vendre. J'ai fait voeu d'employer cette somme ainsi que toutes
+ celles qui proviendront du peu que j'ai emporté d'Espagne, en faveur
+ des malheureux patients espagnols qui me suivent ou qui m'ont
+ précédé en France.
+
+ [Note 37: Trésorier du roi, tué dans la retraite de
+ Vittoria.]
+
+ J'espère que tu ne désapprouveras rien de tout cela.
+
+ Après tant d'orages, ma chère amie, l'idée du calme me donne quelque
+ soulagement et je ne pense pas sans plaisir que je pourrai m'occuper
+ de mes enfants pendant le peu de temps qui me reste à les voir avant
+ leur établissement.
+
+ L'empereur me trouvera toujours s'il a besoin de moi et, dans tous
+ les cas, s'il est vrai qu'il ne lui reste plus rien de fraternel
+ dans l'âme pour moi, je le forcerai à ne pas rougir d'un frère qui
+ se sera montré impassible dans la bonne comme dans la mauvaise
+ fortune.
+
+ Il me reste à désirer que tu ne te laisses pas affecter par tout
+ ceci, que tu ramènes des eaux une meilleure santé et que tu croyes
+ bien, quelque chose que tu m'aies dite souvent, que je n'ai d'autre
+ ambition que de remplir ce que je crois mes devoirs; cela fait, je
+ préfère et j'ai toujours véritablement préféré la vie privée aux
+ grandeurs et aux agitations publiques, le présent et l'avenir te
+ prouveront ceci.
+
+ Melito est parti avec le peu d'argent qu'il avait dans ses poches;
+ je te prie de lui faire remettre 8000 francs, afin qu'il puisse
+ faire convenablement sa route et revenir m'apporter la réponse de
+ l'empereur le plus tôt possible. Si tu te crois en mesure de lui
+ écrire pour la lui recommander, tu me feras plaisir. C'est le seul
+ homme des anciens amis qui me soit resté attaché jusqu'à la fin. Je
+ voudrais que l'empereur trouvât bon qu'il continuât de porter le
+ titre de comte de Melito que je lui donnai à Naples, où tu te
+ rappelles qu'il servait bien comme ministre de l'intérieur.
+
+ Adieu, etc.
+
+
+ JOSEPH À LA REINE JULIE.
+
+ Bayonne, le 13 juillet 1813.
+
+ Ma chère amie, M. Roederer te donnera de mes nouvelles ou t'écrira;
+ je compte aller prendre les eaux de Bagnères où j'attendrai de tes
+ nouvelles; je viendrai te rejoindre à Mortefontaine ou, si cela
+ contrarie l'empereur, tu viendrais ou tu me donnerais rendez-vous
+ dans une terre que tu aurais fait choisir dans le Midi de la France,
+ tu amènerais nos enfants; je me porte assez bien.
+
+ Les pertes de l'armée se réduisent à des canons, l'ennemi avoue
+ avoir perdu beaucoup plus de chevaux et d'hommes que nous.
+
+ Je laisse l'armée plus forte du double que celle que j'avais à
+ Vittoria.
+
+ Si tu dois venir me rejoindre, il serait bon que Nicolas y vînt avec
+ toi; si je dois venir à Paris, je le verrai à Paris.
+
+
+(1814-1841.)
+
+Joseph n'était pas encore arrivé au port où il espérait se reposer
+des tracas de la vie publique. Le sort lui réservait une autre
+période de tourments.
+
+Revenu des eaux de Bagnères, où sa santé l'avait obligé à un court
+séjour, en août 1813, et installé à Mortefontaine près Paris, le
+frère aîné de l'empereur apprit, dans un entretien qu'il eut avec
+Napoléon, que ce dernier était sur le point de replacer Ferdinand
+VII sur le trône d'Espagne. Après une longue discussion avec
+l'Empereur, il crut devoir lui écrire le 30 novembre 1813:
+
+
+ Sire,
+
+ La réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le
+ rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes
+ conséquences et pour l'Espagne et pour la France. Le prince
+ Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien en faveur de la
+ France; il pourra tout contre elle, son apparition excitera d'abord
+ quelques troubles, mais les Anglais s'en empareront bientôt et dès
+ qu'ils lui auront fait tourner les armes contre la France, il aura
+ avec lui, et les partisans des Anglais et les partisans de la France
+ que nous aurons abandonnés et ceux qui tiennent au système de voir
+ leur pays gouverné par une branche de la maison de France, système
+ si heureusement professé à Bayonne et qui, depuis un siècle, a fait
+ la tranquillité de l'Espagne. Tout homme de bien et de sens qui
+ connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des
+ hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces
+ vérités. Je prie V. M. de faire consulter quelques Espagnols
+ éclairés qui sont en France, entr'autres MM. Aranza, O'Farell, qui
+ étaient ministres, nommés par le prince Ferdinand.
+
+ Quant à moi, Sire, que V. M. daigne un moment se supposer à ma
+ place. Elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé
+ il y a dix ans au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples
+ avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu de traverses de tous
+ les genres, et malgré cela ayant su me concilier l'estime de la
+ nation, persuadé comme je le suis que tant que la dynastie de V. M.
+ régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou
+ par un prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même les
+ seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience sans
+ reproches et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc que
+ présenter ces réflexions à V. M. I. et R., et, dérobant au grand
+ jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille les
+ coups dont il plaira au destin de frapper encore et l'Espagne et
+ moi, et les bienfaits qu'il nous est permis d'espérer de la
+ puissance de votre génie et de la grandeur du peuple français.
+
+
+L'empereur ne répondit pas à cette lettre. Un mois plus tard, le 29
+décembre 1813, Joseph, voyant le territoire suisse violé et la
+France prête à être envahie, écrivit de nouveau à son frère pour se
+mettre à sa disposition. Napoléon lui répondit durement, tout en
+acceptant sa participation à la défense de l'État[38]. À son départ
+pour l'armée, il le nomma son lieutenant-général à Paris.
+
+ [Note 38: Lettre de Napoléon à Joseph, en date du 2 janvier
+ 1814 (_Mémoires du roi Joseph_, vol. 10e, p. 3). On a
+ supprimé dans cette lettre la phrase suivante: «Vous n'êtes
+ plus roi d'Espagne, je n'ai pas besoin de votre renonciation,
+ puisque je ne veux pas de l'Espagne.»]
+
+L'ex-roi de Naples et d'Espagne eut avec son frère, tandis que ce
+dernier était à l'armée, une correspondance longue, suivie, des plus
+importantes, publiée d'abord dans les _Mémoires du roi Joseph_,
+reproduite plus tard dans le grand ouvrage de la correspondance de
+Napoléon 1er (du moins quant aux lettres écrites par l'Empereur à
+son frère).
+
+On a omis cependant dans ces deux ouvrages quelques fragments de
+lettres; nous les ferons connaître au fur et à mesure, à leur date.
+
+Joseph, ayant appris que, suivant son exemple et oubliant les
+différends qu'il avait eus avec l'Empereur, Louis venait de se
+mettre à la disposition de Napoléon, écrivit à l'ex-roi de Hollande
+la lettre ci-dessous, datée de Mortefontaine le 2 janvier 1814:
+
+
+ Mon cher frère, tu sais comment je suis ici depuis dix mois. Quinze
+ jours seulement après mon arrivée, l'Empereur me dit qu'il voulait
+ rétablir les Bourbons en Espagne. Il me demanda mon avis réfléchi.
+ Il est contenu dans la pièce nº 1 que je lui ai adressée deux jours
+ après notre entrevue. Il y a huit jours, maman m'a dit que
+ l'Empereur désirait me voir. J'étais alors retenu dans ma chambre
+ par le rhume violent qui m'y retient encore. J'appris en même temps
+ que l'Empereur avait dit aux sénateurs qu'il avait reconnu Ferdinand
+ et accrédité auprès de lui l'ambassadeur Laforest qui était
+ accrédité auprès de moi. J'écrivis alors à l'Empereur la lettre dont
+ ci-joint la copie sous le nº 2[39].
+
+ [Note 39: Voyez la lettre à l'Empereur du 30 novembre 1813.]
+
+ Ma femme la lui remit et il lui dit: _Je suis forcé à ceci._ Les
+ événements me paraissant de plus en plus graves, je lui ai écrit de
+ nouveau hier[40]. Le porteur a reçu la même réponse. Le fait est que
+ je puis tout sacrifier à l'Empereur, à la France et à l'Europe,
+ tout, hormis l'honneur. L'honneur ne me permet pas de me montrer
+ autrement que comme roi d'Espagne, tant que je n'aurai pas abdiqué,
+ ce que je ne puis et ce que je ne veux faire que pour la paix
+ générale et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols par un
+ traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne
+ d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne M. le duc de
+ Cadore.
+
+ [Note 40: Cette lettre est aux _Mémoires de Joseph_, à sa
+ date (29 décembre 1813).]
+
+ Qu'on me traite en roi, ou qu'on me laisse dans l'obscurité.
+
+ Maman qui ne sait rien de tout cela, n'est mue que par un sentiment,
+ celui de la réunion. Je suis très peiné, mon cher Louis, que ces
+ circonstances retardent le plaisir que j'aurai à t'embrasser après
+ tant de désastres.
+
+
+Le roi Joseph était rentré en grâce près de Napoléon, soit que
+l'Empereur le préférât à ses autres frères, soit qu'il eût en lui
+plus de confiance qu'en Louis et en Jérôme. L'empereur continua à
+traiter ces derniers avec rigueur, ne voulant les voir ni l'un ni
+l'autre et écrivant même le 2 février 1814 à l'Impératrice pour lui
+défendre de recevoir le roi et la reine de Westphalie. Ce fait
+résulte de la lettre suivante:
+
+
+ MARIE-LOUISE À JOSEPH.
+
+ Paris, 3 février 1814.
+
+ Je reçois à l'instant une lettre de l'Empereur du 2 février qui me
+ défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte
+ le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito.
+
+ Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les
+ regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la
+ sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,
+
+ Votre affectionnée soeur.
+
+ LOUISE.
+
+
+À la fin de février 1814, seulement, Napoléon voulut bien se
+rapprocher de ses frères Louis et Jérôme. Il écrivit à Joseph, de
+Nogent-sur-Seine, le 21 février, cette curieuse lettre[41]:
+
+ [Note 41: Cette lettre, fort écourtée aux _Mémoires de
+ Joseph_, volume 10e, page 139, a été complètement supprimée à
+ la correspondance de l'Empereur.]
+
+
+ Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie: je
+ l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation
+ que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au
+ roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme
+ hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison
+ westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester
+ en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou
+ quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans,
+ tous Français, et pour la reine, deux ou trois dames françaises pour
+ l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa
+ dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des
+ lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais.
+ Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen
+ et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et
+ la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autorise le roi à
+ habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui
+ appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine
+ continueront à porter le titre de roi et reine de Westphalie, mais
+ ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se
+ rendra à mon quartier-général d'où mon intention est de l'envoyer à
+ Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de
+ l'armée; si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux
+ avant-postes, de n'avoir aucun train royal, de n'avoir aucun luxe,
+ pas plus de 15 chevaux, de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne
+ tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé. J'écris
+ au Ministre de la Guerre et je lui ferai donner des ordres. Il
+ pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa
+ maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de
+ cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de
+ selle, un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou
+ trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il
+ faut qu'il fasse de bons choix d'aides de camp, que ce soit des
+ officiers qui aient fait la guerre, qui puissent commander des
+ troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verdrun, les
+ Brongnard et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait
+ tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le Ministre de la
+ Guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.
+
+ Votre affectionné frère.
+
+
+Dans une autre lettre à Joseph du 7 février, on lit:
+
+
+ Faites donc cesser ces prières de 40 heures et ces _Miserere_; si
+ l'on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la
+ mort. Il y a longtemps que l'on dit que les prêtres et les médecins
+ rendent la mort douloureuse.
+
+
+L'Empereur termine celle du 9 février par ces mots:
+
+
+ Priez la _Madona_ des armées qu'elle soit pour nous, Louis qui est
+ un saint, peut s'engager à lui donner un cierge allumé.
+
+
+Ces deux passages ont été supprimés dans les _Mémoires_ et à la
+correspondance.
+
+La veille, le 8 février, Napoléon avait envoyé à son frère aîné une
+très longue lettre, des plus importantes, qui explique, avec une
+autre du 15 mars, et justifie pleinement la conduite de Joseph au 31
+mars. Plusieurs passages de la lettre du 8 février, relatifs au roi
+Louis, ont été supprimés dans les ouvrages qui ont paru; nous
+croyons devoir rétablir cette lettre _in-extenso_:
+
+
+ Nogent, le 8 février 1814, 4 heures du matin.
+
+ Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à 11 heures du soir; elle
+ m'étonne beaucoup, j'ai lu la lettre du roi Louis qui n'est qu'une
+ rapsodie; cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la
+ question.
+
+ Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez
+ plus en question la fin, qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand
+ cela arrivera je ne serai plus; par conséquent ce n'est pas pour moi
+ que je parle. Je vous ai dit pour l'Impératrice et le roi de Rome et
+ notre famille ce que les circonstances indiquent et vous n'avez pas
+ compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que si le cas arrivait,
+ ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement, je suis persuadé
+ qu'elle-même a ce pressentiment[42].
+
+ [Note 42: Que Marie-Louise pensait que Napoléon se ferait
+ tuer.]
+
+ Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à
+ propos. Du reste je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais
+ m'être expliqué avec vous, mais vous ne vous souvenez jamais des
+ choses et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui
+ vous reflète cette opinion.
+
+ Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de
+ mon vivant, j'ai droit à être cru par ceux qui m'entendent.
+
+ Après cela, si, par des circonstances que je ne puis prévoir, je me
+ portais sur la Loire, je ne laisserai pas l'Impératrice et mon fils
+ loin de moi, parce que, dans tous les cas, il arriverait que l'un et
+ l'autre seraient enlevés et conduits à Vienne, que cela arriverait
+ bien davantage si je n'existais plus. Je ne comprends pas comment,
+ pendant ces menées auprès de votre personne, vous couvrez d'éloges
+ si imprudents la proposition de traîtres si dignes de ne conseiller
+ rien d'honorable; ne les employez jamais dans un cas, même le plus
+ favorable[43]. C'est la première fois depuis que le monde existe,
+ que j'entends dire qu'en France une population de (_illisible_) âmes
+ assiégée ne pouvait pas vivre trois mois. D'ailleurs nul n'est tenu
+ à l'impossible, je ne peux plus payer aucun officier et je n'ai plus
+ rien.
+
+ [Note 43: Il voulait parler de Talleyrand, Fouché et autres.]
+
+ J'avoue que votre lettre du 7 (février) à quatre heures du soir m'a
+ fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que
+ vous vous laissez aller aux bavardages d'un tas de personnes qui ne
+ réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement: si Talleyrand
+ est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à
+ Paris dans le cas où l'ennemi se rapprocherait, c'est trahir; je
+ vous le répète, méfiez-vous de cet homme; je le pratique depuis
+ seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui, mais c'est sûrement
+ le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a
+ abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai
+ donnés, j'en sais plus que ces gens-là.
+
+ S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez
+ instruit avant ma maison: _faites partir l'Impératrice et le roi de
+ Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au Conseil d'État et à
+ toutes les troupes de se réunir sur la Loire_. Laissez à Paris un
+ préfet et une commission impériale, ou des maires.--Je vous ai fait
+ connaître que je pensais que Madame et la reine de Westphalie
+ pourraient bien rester à Paris logées chez Madame. Si le vice-roi
+ est revenu à Paris, vous pourrez aussi l'y laisser, _mais ne laissez
+ jamais tomber l'Impératrice et le roi de Rome entre les mains de
+ l'ennemi_. Soyez certain que dès ce moment l'Autriche, étant
+ désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage, et sous le
+ prétexte de voir l'Impératrice heureuse on ferait adopter aux
+ Français tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient
+ leur suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit.
+
+ Au lieu que, dans le cas opposé, l'esprit national du grand nombre
+ d'intéressés à la révolte rendrait tout résultat incalculable.
+
+ Au reste, il est possible que l'ennemi, s'approchant de Paris, je le
+ battrai, et cela n'aura pas lieu. Il est possible aussi que je
+ fasse la paix sous peu de jours: mais il en résulte toujours par
+ cette lettre du 7 à 4 heures du soir que vous n'avez pas de moyens
+ de défense..... Pour comprendre ces choses je trouve toujours votre
+ jugement faux; c'est enfin une fausse doctrine. L'intérêt même de
+ Paris est que l'Impératrice et le roi de Rome n'y restent pas, parce
+ que l'intérêt ne peut pas être séparé de leur personne et que depuis
+ que le monde est monde je n'ai jamais vu qu'un souverain se laissât
+ prendre dans des villes ouvertes. Ce serait la première fois.
+
+ Ce malheureux roi de Saxe arrive en France, il perd ses belles
+ illusions! (_Deux lignes indéchiffrables._) Dans les circonstances
+ bien difficiles de la crise des événements, on fait ce qu'on doit et
+ on laisse aller le reste. Or, si je vis on doit m'obéir, et je ne
+ doute pas qu'on s'y conforme. Si je meurs, mon fils régnant et
+ l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas
+ se laisser prendre et se retirer au dernier village.....
+
+ Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on
+ en effet de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils
+ et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux de tout finir en les
+ conduisant prisonniers à Vienne. _Je suis surpris que vous ne
+ conceviez pas cela!_ Je vois que la peur fait tourner les têtes à
+ Paris.
+
+ L'Impératrice et le roi de Rome à Vienne ou entre les mains des
+ ennemis, vous et ceux qui voudraient se défendre seraient
+ rebelles!...
+
+ _Quant à mon opinion, je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt
+ que de le voir jamais élevé à Vienne comme un prince autrichien_, et
+ j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être aussi persuadé
+ qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent en
+ être.
+
+ Je n'ai jamais vu représenter _Andromaque_ que je n'aie plaint le
+ sort d'Astyanax survivant à sa maison et que je n'aie regardé comme
+ un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père.
+
+ Vous ne connaissez pas la nation française. Le résultat de ce qui se
+ passerait dans ces grands événements est incalculable.
+
+ Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre (sa dernière lettre
+ me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et vous ferait
+ beaucoup de mal).
+
+
+Voici maintenant la lettre du roi Joseph, en date du 7 février 1814
+(11 heures du soir), à laquelle répond la lettre précédente. Elle a
+été supprimée aux _Mémoires_.
+
+
+ Paris, le 7 février 1814, à 11 heures du soir.
+
+ Sire,
+
+ J'ai reçu les deux lettres de V. M. d'hier. J'ai vu et écrit au duc
+ de Valmy. Il part ce soir pour Meaux. Il m'a communiqué une lettre
+ du duc de Tarente datée du 6. Il était encore à Épernay et n'avait
+ aucune nouvelle de V. M. depuis 4 jours. Il avait abandonné Châlons
+ après s'y être défendu quelque temps. L'artillerie avait été dirigée
+ sur Meaux. L'ennemi était entré à Sézanne. L'intendant et les
+ caisses avaient échappé à l'ennemi.
+
+ Voici l'itinéraire exact de la 9e division d'infanterie de l'armée
+ d'Espagne[44].
+
+ [Note 44: Pièce annexée.]
+
+ J'ai envoyé un aide de camp sur la route de Châlons par Vitry. J'ai
+ chargé le Ministre de la Guerre d'en envoyer un autre sur la route
+ de (_illisible_).
+
+ Le Ministre de la Guerre me mande qu'il avait fait envoyer ce matin
+ 2,000 fusils à Montereau.
+
+ Je lui ai écrit de (_deux mots illisibles_) ce soir.
+
+ J'ai parlé à Louis du projet de le laisser ici. Il me répond par une
+ longue lettre que je prends le parti d'envoyer à V. M. Il me semble
+ que V. M. m'a dit que les princesses devaient suivre l'Impératrice;
+ s'il en était autrement, il faudrait qu'elle l'écrive d'une manière
+ positive. Je fais des voeux pour que le départ de l'Impératrice
+ puisse n'avoir pas lieu. Nous ne pouvons nous dissimuler que la
+ consternation et le désespoir du peuple pourront avoir de terribles
+ et funestes résultats. Je pense avec toutes les personnes qui
+ peuvent apprécier l'opinion, qu'il faudrait supporter bien des
+ sacrifices avant d'en venir à cette extrémité. Les hommes attachés
+ au gouvernement de V. M. craignent que le départ de l'Impératrice ne
+ livre le peuple, de la capitale au désespoir et ne donne une
+ capitale et un empire aux Bourbons. Tout en manifestant ces craintes
+ que je vois sur tous les visages, V. M. peut être assurée que ses
+ ordres seront exécutés pour ma part très fidèlement, dès qu'ils me
+ seront arrivés.
+
+ J'ai parlé au général Caffarelli[45] pour Fontainebleau, ainsi qu'à
+ M. La Bouillerie[46] pour le million de la guerre et les autres
+ objets.
+
+ [Note 45: Général employé à Paris.]
+
+ [Note 46: Intendant de la liste civile.]
+
+ Je ne sais pas jusqu'à quel point ce que j'ai cru remarquer peut
+ paraître convenable à V. M.; mais je puis l'assurer qu'il importe de
+ faire payer un mois d'appointements aux grands dignitaires,
+ ministres, conseillers d'État, sénateurs. On m'en a cité plusieurs
+ dans un véritable besoin et plusieurs seront bien embarrassés pour
+ partir, si le cas se présente, et l'on prévoit qu'ils resteront à
+ Paris.
+
+ J'ai eu la visite de M. le maréchal Brune que je n'ai pu voir; je ne
+ doute pas qu'il ne soit venu offrir ses services, je serais bien
+ aise de connaître les intentions de V. M.
+
+ Jérôme est contrarié que V. M. ne se soit pas encore expliquée sur
+ la demande que j'ai faite pour lui dans deux de mes précédentes
+ lettres.
+
+ On m'assure que M. de Lafayette a été un des premiers grenadiers de
+ la garde nationale qui ait été en faction à l'Hôtel-de-Ville.
+
+ Les barrières seront entièrement fortifiées demain et l'on
+ commencera à y transporter de l'artillerie. Le général Caffarelli a
+ répondu au duc de Conegliano qu'il n'avait pas encore l'autorisation
+ du Maréchal du Palais à qui il avait écrit (_mots illisibles_) la
+ garde impériale fournit un poste de 25 hommes.
+
+ P. S.--Je reçois la lettre de V. M. en date d'aujourd'hui de Nogent.
+ Les dispositions qu'elle prescrit ont déjà été ordonnées et je
+ tiendrai V. M. au courant, à mesure de leur exécution.
+
+
+Après la chute de l'Empire, quelques auteurs de mémoires, des
+historiens mêmes, comme M. de Norvins, ont reproché au roi Joseph
+son départ de Paris et celui de l'Impératrice; ces écrivains ne
+connaissaient pas évidemment la lettre de l'Empereur, du 8 février,
+et ses ordres formels. Joseph, pendant son exil, crut devoir réfuter
+ces assertions. Voici une note à cet égard, écrite tout entière de
+sa main:
+
+
+ Il est faux que nul autre que Joseph eût la copie de la lettre de
+ l'Empereur qui prescrivait le départ (celle du 16 mars 1814). Joseph
+ resta à Paris d'après la proposition qu'il en fit au Conseil, ainsi
+ que les Ministres de la Guerre, de la Marine, le premier inspecteur
+ du génie, afin d'atténuer le mauvais effet que devait produire le
+ départ de l'Impératrice, et pour reconnaître, par eux-mêmes, les
+ forces ennemies qui marchaient sur Paris et ne quitter la ville,
+ pour rejoindre la régente sur la Loire, qu'après s'être assurés de
+ l'incontestable supériorité de l'ennemi. Il est faux que Joseph se
+ soit établi aux Tuileries comme lieutenant de l'Empereur, il se
+ rendit avec les Ministres qui étaient restés avec lui en
+ reconnaissance sur la route de Meaux, passa la nuit au Luxembourg,
+ et le lendemain s'établit hors des barrières de Paris pour être à
+ portée de recevoir les rapports des officiers qui étaient en
+ reconnaissance et prévenir l'exaltation qui pouvait être excitée
+ parmi le peuple par l'arrivée des courriers qui se succédaient à
+ chaque moment. Lorsqu'il fut bien reconnu et _bien évident pour
+ tous_ que l'empereur de Russie, le roi de Prusse et le prince de
+ Schwartzemberg étaient à quelques milles de la ville; que le
+ maréchal de Marmont commandant en chef eut déclaré qu'il ne pouvait
+ pas tenir davantage contre des forces sans nulle proportion avec
+ celles qu'il commandait; que si la nuit arrivait sans qu'on eût pris
+ un parti, il ne répondait pas de pouvoir empêcher les ennemis de
+ s'introduire dans la ville, le roi Joseph, de l'avis des ministres
+ qui se trouvaient avec lui, et pour sauver la capitale des désastres
+ qui la menaçaient de la part de l'ennemi, approuva la proposition de
+ capitulation qui lui était faite par le maréchal Marmont et ne
+ partit que lorsqu'il vit les forces ennemies dans Saint-Denis, et
+ ses partis prêts à s'emparer des ponts sur la Seine, qu'ils
+ occupèrent effectivement peu de temps après son passage et celui des
+ membres du Conseil qui, ayant satisfait à leur mandat, allaient
+ rejoindre la régente sur la Loire où elle devait se rendre en
+ exécution des ordres de l'Empereur.
+
+
+En 1814 se termine le rôle politique de Joseph. Retiré à Prangins,
+en Suisse, sur les bords du lac de Genève, pendant le séjour de
+Napoléon à l'île d'Elbe, il fut assez heureux pour pouvoir le faire
+prévenir que deux misérables avaient juré de l'assassiner. L'un de
+ces hommes fut arrêté, en effet, à son débarquement dans l'île.
+
+Lorsque l'Empereur revint en France, en mars 1815, son frère,
+prévenu, accourut et put le rejoindre à Paris. Après Waterloo, il
+l'accompagna à Rochefort, essaya vainement d'obtenir de lui de
+prendre sa place à l'île d'Aix pendant que lui-même, Napoléon,
+passerait en Amérique. L'Empereur refusa et voulut se confier aux
+Anglais, les considérant comme de nobles et loyaux ennemis. Joseph,
+plus sage et plus heureux, put gagner New-York et se fixa, l'hiver à
+Philadelphie, l'été sur les bords de la Delaware dans une belle
+propriété nommée Pointe-Breeze qu'il acheta.
+
+On a vu quelles étaient les intentions de Joseph en quittant
+l'Espagne (lettre du 1er juillet 1813 à la reine Julie) relativement
+à l'argenterie et aux quelques valeurs que son trésorier, M.
+Thibault, avait pu sauver, et qui étaient parvenues à Bayonne.
+Cependant, par la suite, des ministres espagnols ne craignirent pas
+d'accuser le Roi d'avoir détourné à son profit les diamants de la
+couronne.
+
+Voici la vérité sur ce fait:
+
+Joseph avait, comme roi d'Espagne, une liste civile d'un million par
+mois. Il devait toucher 500,000 fr. de l'Empereur et 500,000 fr. du
+trésor espagnol. La plupart du temps, Napoléon ne payait pas son
+frère; en outre, le trésor d'Espagne étant obéré n'avait pas
+d'argent pour payer les 500,000 fr. mensuels. Dans ce cas, le
+ministre des Finances faisait estimer, par des experts du pays, des
+diamants pour la dite somme, et les remettait aux mains de Joseph.
+Ces diamants lui appartenaient donc bien légitimement, et l'on a vu
+par sa correspondance avec sa femme dans quel état de dénuement le
+malheureux prince était revenu en France. On a vu qu'il n'avait pas
+hésité à emprunter à son beau-frère, Marius Clary, pour pouvoir
+donner de l'argent aux serviteurs qui l'avaient accompagné sur la
+terre de France et leur permettre de se rapatrier; on a vu même
+qu'il n'avait pas voulu détourner, à son profit, une obole de
+l'argent provenant de la vente de l'argenterie de la couronne, ce
+qu'il eût pu faire au lieu d'emprunter pour les Espagnols qui
+l'avaient suivi. L'accusation portée contre lui tombe donc
+d'elle-même. D'ailleurs une partie de ces diamants, en vertu de
+l'article XI du traité de Bayonne, avait été emportée par Ferdinand,
+ainsi que nous l'avons dit plus haut.
+
+L'Empereur Napoléon Ier, pendant les années prospères de son règne,
+alors qu'il était l'arbitre des destinées de l'Europe, avait reçu
+des souverains des lettres auxquelles il attachait une grande
+importance. Il fit faire, dans son cabinet, deux copies de ces 250 à
+300 documents précieux et déposa les originaux aux mains du duc de
+Bassano, secrétaire d'État au département des Affaires étrangères.
+
+En 1815, après Waterloo, avant de quitter l'Élysée pour se rendre à
+la Malmaison, il dit à son frère Joseph, lequel demeurait alors rue
+du Faubourg-Saint-Honoré, 33 (aujourd'hui ambassade d'Angleterre),
+qu'il venait d'envoyer à son hôtel une copie authentique des lettres
+que les divers souverains lui avaient adressées pendant le temps de
+sa prospérité, qu'il le priait de la conserver précieusement. Joseph
+lui ayant fait observer qu'il aimerait mieux avoir les originaux:
+«Non, répondit Napoléon, cela ne vous regarde pas, c'est l'affaire
+de Maret (duc de Bassano), c'est son droit, il sait ce qu'il doit en
+faire.»
+
+De retour à son hôtel, le roi Joseph trouva en effet les copies dans
+son cabinet. Le Prince, se rendant à la Malmaison pour faire ses
+adieux à son frère, chargea son secrétaire, M. de Presle, de diviser
+ses propres papiers, de les mettre avec ces copies de lettres des
+souverains dans des malles au milieu d'effets, et de les envoyer
+chez des personnes où ces documents seraient en sûreté et pourraient
+échapper aux recherches de la police.
+
+Joseph se rendit à Cherbourg, vit son frère à l'île d'Aix, partit pour
+New-York, se fixa sur les bords de la Delaware, et ne s'occupa plus de
+ces papiers. En 1818, Napoléon lui fit dire de Sainte-Hélène, par le
+docteur O'Méara, de publier sa correspondance avec les souverains, comme
+étant la meilleure réponse aux calomnies que l'on répandait sur lui et
+le meilleur moyen d'établir, à l'aide de documents historiques
+incontestables, le parallèle entre sa conduite et celle des souverains
+alliés.
+
+Joseph écrivit à son secrétaire, M. de Presle, alors en Europe, de
+lui expédier les dix caisses dans lesquelles ses papiers avaient été
+placés. Les caisses arrivèrent en Amérique, mais le Roi y chercha
+vainement la copie des lettres des souverains. M. de Presle déclara
+qu'il n'avait plus retrouvé ces copies dans la boîte où il les avait
+cachées, bien que la clef ne l'eût pas quitté. Joseph écrivit en
+Europe, fit démarches sur démarches, aucune n'aboutit.
+
+Maintenant, essayons de suivre la route qu'ont prise les originaux
+et les copies de ces lettres des souverains:
+
+1º _Les originaux_, laissés aux mains du duc de Bassano.
+
+Le duc de Bassano partant pour l'exil, en 1815, fit enfermer ces
+papiers (a-t-il déclaré) dans des caisses en fer-blanc qu'il fit
+cacher dans un château vendu depuis. De retour de l'exil, le duc ne
+retrouva plus l'endroit où les boîtes avaient été enfouies par son
+jardinier. Ce jardinier lui-même était mort.
+
+Il n'en est pas moins positif que ces documents furent en tout ou en
+partie vendus en Angleterre en 1822, à Londres, chez le libraire
+Murray. Les lettres de l'empereur de Russie furent cédées à
+l'ambassadeur, M. de Liéven, pour la somme de 250,000 fr. Ces
+lettres avaient été offertes d'abord au gouvernement anglais qui
+avait refusé d'en faire l'acquisition. On trouvera jointes ici
+plusieurs lettres et notes relatives à ces originaux.
+
+2º Celle des deux copies qui fut emportée par l'empereur Napoléon
+Ier lui fut volée à Cherbourg avec une caisse d'argenterie, sans que
+l'on ait jamais pu découvrir l'auteur du vol.
+
+3º La seconde copie, celle qui fut envoyée au roi Joseph, placée au
+milieu de hardes et effets, dans une des dix caisses où M. de Presle
+avait caché les papiers du roi, subit le sort suivant:
+
+Les dix caisses furent envoyées d'abord de l'hôtel Joseph, les unes
+chez le nommé Legendre, valet de chambre dévoué, alors à
+Villiers-sur-Marne; d'autres, chez M. Madaud, buraliste de loterie,
+rue Saint-André-des-Arts, et beau-frère de M. Bouchard, un des
+secrétaires du roi Joseph; d'autres encore chez différentes
+personnes, parmi lesquelles la comtesse de Magnitaut. Les
+dépositaires de ces papiers ne tardèrent pas, craignant de se
+compromettre, à demander qu'on les leur retirât; on les fît porter à
+l'hôtel de la reine de Suède, rue d'Anjou-Saint-Honoré, 28. C'est de
+là que M. de Presle les expédia à Joseph, en Amérique.
+
+Les caisses des papiers du roi, parmi lesquelles se trouvait celle
+renfermant la copie des lettres des souverains, ont donc été
+transportées de l'hôtel Joseph chez divers, de chez ces diverses
+personnes à l'hôtel de la reine de Suède. C'est évidemment dans l'un
+de ces deux transbordements que ces copies précieuses pour
+l'histoire auront été soustraites.
+
+On avait perdu en quelque sorte le souvenir de cette affaire qui
+avait fait un certain bruit dans le principe, lorsqu'en 1855, un des
+principaux libraires-éditeurs de Paris proposa à un auteur qui
+s'occupait de l'histoire du premier Empire de demander au
+gouvernement de Napoléon III d'acquérir, moyennant une somme assez
+forte, la copie authentique de 150 lettres écrites par des
+souverains à Napoléon Ier.
+
+L'éditeur dit à la personne qu'il avait choisie comme intermédiaire
+dans cette affaire qu'il ne connaissait pas le possesseur de ces
+lettres, qu'on en voulait 500,000 francs, qu'elles étaient cachées
+en France. La personne à qui l'éditeur s'adressa, craignant qu'on
+crût qu'elle avait un intérêt dans cette spéculation, ne voulut
+faire aucune démarche.
+
+Toutefois on peut conclure de ce qui précède:
+
+1º Que les originaux ont été vendus et probablement détruits par les
+intéressés.
+
+2º Que des deux copies volées, l'une existe encore.
+
+Après avoir reçu la lettre par laquelle O'Méara lui faisait
+connaître le désir de l'Empereur qu'on publiât les lettres des
+souverains, le roi Joseph répondit au docteur:
+
+
+ Philadelphie, le 1er mai 1820.
+
+ Monsieur,
+
+ J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 1er mars.
+ Je vous prie de vouloir bien faire vos efforts pour faire parvenir
+ les deux incluses, dont l'une pour l'Empereur, et l'autre pour
+ madame de Montholon, je suis bien fâché des retards qu'elle éprouve
+ à être payée, je lui écris à ce sujet ainsi qu'à l'Empereur.
+
+ Je n'ai pas reçu à Rochefort les lettres dont vous me parlez et dont
+ le comte de Las Cases a aussi parlé à ma femme, j'écris à ce sujet
+ pour savoir à qui ces lettres ont été remises et par qui,
+ malheureusement, je ne les ai pas reçues, je regretterais vivement
+ leur perte. L'ouvrage que vous avez publié a ici un succès
+ prodigieux. J'ai perdu aussi, par l'incendie de ma maison, arrivé le
+ 4 janvier, beaucoup de papiers. Les lettres dont vous me parlez
+ eussent aussi été perdues, mais heureusement elles ne m'avaient pas
+ été remises, j'ai fait, dans cette circonstance, d'autres pertes
+ bien sensibles qui me forcent à me rappeler que j'en ai faites de
+ plus grandes pour n'en avoir pas trop de regrets.
+
+ Veuillez agréer, Monsieur, mon sincère attachement et ma
+ reconnaissance.
+
+ Votre affectionné,
+
+ JOSEPH DE SURVILLIERS.
+
+ P. S.--N'ayant aucun rapport personnel avec la reine d'Angleterre,
+ une lettre de moi me paraîtrait moins convenable que de la part de
+ mon frère Lucien ou de la reine de Naples qui ont eu occasion de la
+ connaître personnellement.
+
+
+Voici maintenant quelques documents relatifs aux lettres des
+souverains, et d'abord une note tout entière de la main du roi
+Joseph envoyée à M. Francis Lieber, littérateur et professeur à
+Boston:
+
+
+ Pointe-Breeze, le 28 mai 1822.
+
+ Je reçois votre lettre du 24 mai. Je la trouve ici à mon retour d'un
+ petit voyage. Je n'ai pas le temps de retrouver ces lettres qui
+ constatent les dates précises, mais vous pouvez être certain du
+ souvenir que ma mémoire me fournit, encore très présent.
+
+ En 1815, avant son départ de Paris, Napoléon avait annoncé à son
+ frère Joseph que, parmi quelques papiers, renfermés dans une caisse
+ qu'il lui enverrait, se trouverait une copie des lettres qui lui
+ avaient été adressées par les divers souverains. Il avait fait faire
+ cette copie par précaution, l'original restant aux archives.
+ Quelques années après, le docteur O'Méara, de retour de
+ Sainte-Hélène, lui fit dire que le désir de l'Empereur était que
+ cette correspondance fût publiée, comme étant la meilleure réponse à
+ toutes les calomnies dont il était l'objet. Mais elle ne fut trouvée
+ dans aucune des dix caisses arrivées aux États-Unis, dans lesquelles
+ on avait réparti les papiers contenus dans la première caisse, en
+ les cachant parmi des livres et des hardes, afin de les soustraire
+ aux investigations de la police de Paris. À la même époque, la
+ maison de Joseph, aux États-Unis, fut la proie des flammes.
+ L'original de la correspondance fut vendu pour trente mille livres
+ sterling à Londres. Elle avait été déposée chez un libraire de cette
+ ville, M. Murray.
+
+ Ceux qui ont dit que Napoléon avait remis cette correspondance à
+ Joseph, à Rochefort, sont dans l'erreur. Joseph n'a rien reçu de
+ Napoléon à Rochefort, ni à l'île d'Aix où il fut le trouver.
+
+ Il ne reste d'espérance que dans la double infidélité de ceux qui,
+ ayant livré l'original à des gens intéressés à les détruire,
+ auraient pu en garder copie, ou bien dans la découverte de la copie
+ annoncée par Napoléon à Joseph avant son départ de Paris, en 1815.
+ S'il en arrive autrement, ce sera une perte de plus que les
+ écrivains consciencieux auront à déplorer.
+
+
+Voici maintenant une autre note extraite du Journal du roi Joseph:
+
+Extrait des notes d'un Américain sur le _Commentaire de Napoléon_,
+par M. le comte de Bonacosci, qu'il avait adressées à celui-ci
+lorsque cet ouvrage parut, et qu'il a depuis adressées à M. le major
+Lee, auteur de l'histoire de Napoléon (en décembre 1834):
+
+
+ L'auteur, Bonacosci, est dans la même erreur que M. de Norvins. Les
+ originaux autographes des lettres des souverains à Napoléon n'ont
+ pas été remis au roi Joseph. L'empereur Napoléon dit au prince peu
+ de jours avant son départ: «Par précaution, j'ai fait faire une
+ copie des lettres des souverains de l'Europe, qui seules peuvent
+ répondre à toutes les calomnies dont ils se servent aujourd'hui
+ contre moi. Maret conserve les originaux, et c'est son droit,
+ conservez ces copies à tout événement.» C'est à Paris et non à
+ Rochefort que cette conversation et la remise de ces titres ont eu
+ lieu. Joseph, en recevant en Amérique la caisse dans laquelle devait
+ se trouver cette copie, l'a cherchée inutilement. Napoléon lui a
+ fait dire par O'Méara, au retour de celui-ci en Europe, de faire
+ publier ces lettres, comme seule et unique réponse à ce débordement
+ d'injures dont on assiégeait alors le captif de Sainte-Hélène.
+ Toutes les recherches ont été infructueuses; les lettres ont-elles
+ été dérobées par les dépositaires ou les détenteurs momentanés de la
+ caisse où elles étaient? Je l'ignore, mais toujours est-il constant
+ que ce ne sont pas celles qui ont été vendues à Londres, puisque ce
+ n'étaient que des copies et que l'on assure que ce furent les
+ lettres autographes qui furent vendues à Londres trente mille livres
+ sterling; elles ont été offertes, par un inconnu venant de Suisse, à
+ M. Murray, imprimeur des plus célèbres de Londres, demeurant
+ _Albermale Street_, pour trente mille livres sterling. Le
+ gouvernement anglais n'en voulut pas. Ce fut le ministre de Russie
+ qui acheta celles qui pouvaient intéresser la Russie.
+
+ Joseph, en quittant son frère à l'île d'Aix pour aller attendre à
+ Royan la nouvelle du passage sans obstacle de Napoléon à travers
+ l'armée anglaise, avant de s'embarquer pour les États-Unis, où ils
+ devaient se retrouver, ne reçut ni lettres, ni paquets d'aucune
+ sorte; des quatre personnes qui l'accompagnaient dans la chaloupe
+ dans laquelle il fit le trajet jusqu'à Rochefort, trois vivent
+ encore et leur mémoire est d'accord avec celle de Joseph sur cette
+ circonstance importante. Si Napoléon a eu l'intention de confier à
+ son frère Joseph des objets dont d'autres se seraient emparés au
+ moment de son départ de l'île d'Aix, Joseph ne peut ni l'assurer, ni
+ le nier, mais ce qui est bien certain, c'est que malheureusement les
+ originaux en question ne lui furent pas remis, pas plus que nulle
+ autre chose, dans cette circonstance.
+
+
+En 1837, le roi Joseph se trouvant en Angleterre, à Londres, et
+ayant eu connaissance par le docteur O'Méara de la vente à la Russie
+d'une partie de la correspondance des souverains, par le libraire
+Murray, fit des démarches pour s'assurer du fait. Il écrivit à un M.
+Charles Philipps très lié avec l'éditeur Ridgway. L'éditeur vit M.
+Murray et répondit la lettre ci-dessous à M. Philipps.
+
+
+ Piccadilly, 4 mars 1837.
+
+ Mon cher Monsieur,
+
+ D'après votre désir j'ai été voir M. Murray, l'éminent éditeur, dans
+ _Albermale Street_, relativement à la correspondance originale de
+ plusieurs souverains d'Europe avec l'empereur Napoléon pendant son
+ règne. Il me dit que vers l'année 1822, les lettres originales des
+ différents souverains de l'Europe adressées à Napoléon pendant
+ l'empire lui furent offertes pour vendre; il refusa l'offre parce
+ que quelques-uns de ses conseillers et amis doutaient de leur
+ authenticité (le duc de Wellington fut un de ceux qui mettaient en
+ question leur originalité), doutes qui à présent ne paraissent pas
+ avoir de fondation, et M. Murray regrette amèrement son refus fondé
+ sur ces doutes.
+
+ M. Murray dit encore que les lettres lui furent présentées comme
+ ayant été gardées par les soins d'un maréchal de France, mais dont
+ il avait oublié le nom, et en lui nommant le duc de Bassano, il dit:
+ «c'est cela!»
+
+ Les lettres écrites par l'empereur de Russie ont été, à la
+ suggestion de M. Murray, offertes pour vendre au prince de Lieven
+ qui a payé dix mille livres sterling pour cette portion de la
+ correspondance.
+
+ À vous bien sincèrement,
+
+ Signé: J. L. RIDGWAY.
+
+
+M. Philipps écrivit alors à un serviteur dévoué du roi Joseph, Louis
+Maillard:
+
+
+ 49, Clanvery Lane, Samedi.
+
+ Mon cher Monsieur,
+
+ J'ai été si occupé durant cette semaine depuis mon retour, que je
+ n'ai pas eu le temps de faire mes respects à M. le Comte[47] comme
+ je le désirais beaucoup. M. Ridgway, comme vous le verrez par
+ l'incluse, a fait quelque chose pour nous pendant mon absence. M.
+ Murray est un homme impraticable, il a refusé de donner par écrit ce
+ que cependant, heureusement pour nous, il avait dit verbalement
+ avant que ne s'élèvent ses scrupules.
+
+ [Note 47: Joseph, comte de Survilliers.]
+
+ M. Ridgway est un homme fort respectable, il est prêt à tout moment
+ d'avouer ce que M. Murray lui a dit et ce que je vous envoie écrit
+ de sa main. M. Ridgway se trouve donc dans cette affaire dans la
+ même position qu'aurait été notre pauvre O'Méara s'il vivait encore.
+
+ Je tâcherai par le moyen d'un ami de savoir ce que le duc de
+ Wellington sait sur ce sujet, et je ne doute pas que s'il peut
+ donner des informations, je puisse les obtenir.
+
+ Il paraît assez clair que le comte avait raison dans ses conjectures
+ et que le maréchal Maret était la personne qui autorisait la vente
+ de la correspondance.
+
+ Avec mes compliments respectueux à M. le Comte.
+
+ À vous sincèrement.
+
+ C. PHILLIPS.
+
+
+Enfin, en 1850, M. Louis Maillard, l'exécuteur testamentaire de
+Joseph, consulté par M. Ingerstoll, ami du roi, sur la question de
+la correspondance des souverains, lui répondit le 29 avril, de
+Doylestown (Amérique), où il se trouvait encore pour la liquidation
+de la succession de l'ancien roi.
+
+
+ J'ai votre lettre du 25, je ne puis mieux y répondre qu'en vous
+ récitant ce que j'ai entendu dire à M. le comte de Survilliers
+ (Joseph) lui-même à diverses fois.
+
+ En 1815, la veille de quitter le palais de l'Élysée pour aller à la
+ Malmaison, l'Empereur me dit qu'il avait envoyé chez moi, rue du
+ Faubourg-Saint-Honoré, où je demeurais alors, les copies des lettres
+ des souverains alliés pour que je les conserve de mon mieux; que les
+ originaux seraient gardés et soignés par le secrétaire d'État, duc
+ de Bassano; je trouvai effectivement ces copies dans mon cabinet de
+ travail et les y laissai avec mes papiers; quelques jours après,
+ lorsque je fus forcé de quitter Paris pour suivre l'Empereur à
+ Rochefort, je recommandai à ma femme et à mon secrétaire, M. de
+ Presle, de ramasser tous mes papiers, de les fermer dans des malles
+ et de les envoyer chez diverses personnes sûres, de connaissance,
+ afin de les sauver des mains de nos ennemis qui allaient entrer dans
+ Paris; mes ordres furent exécutés; mais, peu de temps après mon
+ départ, les amis chez lesquels étaient déposées les malles,
+ craignant les recherches chez eux par la police des Bourbons,
+ prièrent ma femme de faire reprendre ces malles; elles furent
+ portées alors à l'hôtel de la Princesse royale de Suède où elles
+ étaient plus en sûreté. Plus tard, lorsque mon frère, l'Empereur,
+ irrité du cruel traitement qu'il éprouvait à Sainte-Hélène, me fit
+ écrire de publier les lettres des souverains, j'écrivis à M. de
+ Presle, à Paris, de m'envoyer, aux États-Unis, par diverses voies,
+ les malles d'effets et papiers m'appartenant, ce qu'il fit de son
+ mieux, mais je ne trouvai point dans les malles envoyées les copies
+ que je désirais! Depuis je fis faire des recherches, toutes furent
+ inutiles, on m'a dit que l'Empereur avait confié à une autre
+ personne une seconde copie des lettres, mais je ne puis l'affirmer;
+ quant aux lettres originales, si ce que j'ai appris à Londres est
+ vrai, elles ont été vendues; la Russie aurait payé les siennes dix
+ mille livres sterling par son ambassadeur Lieven, et c'est M. le
+ libraire Murray d'Albermale Street qui était chargé de cette
+ négociation dont il a parlé à diverses personnes qui me l'ont
+ rapporté fidèlement.
+
+ Voici, Monsieur, ce que je puis vous dire de plus positif sur cette
+ affaire. M. Menneval se trompe, car M. de Presle, que j'ai vu
+ souvent à Londres, Paris et Florence, m'a toujours dit qu'il n'avait
+ trouvé ni envoyé les copies des lettres des souverains, que
+ plusieurs malles avaient été ouvertes, ainsi qu'il croyait, etc.
+
+
+Pour terminer cette notice relative aux lettres des souverains
+étrangers, nous dirons en deux mots que l'éditeur chargé de faire
+vendre la copie dont il est ici question, étant parvenu à en faire
+parler à Napoléon III, ce dernier voulut le recevoir ainsi qu'un
+membre de la commission de l'ouvrage intitulé _La correspondance de
+Napoléon Ier _. Néanmoins ce souverain ne put causer avec ces deux
+personnes qui, venues à trois reprises différentes, furent
+éconduites chaque fois sans être admises, tant l'Empereur était tenu
+en chartre privée par son entourage. Il y a plus, Sa Majesté ayant
+prescrit que le membre de la commission fût prévenu qu'il était
+libre de s'arranger comme bon lui semblerait pour l'acquisition des
+lettres, jamais cette autorisation de Napoléon III ne lui fut connue
+et il ne sut à quoi s'en tenir qu'après la mise en vente de
+l'ouvrage: _La Correspondance_, lorsqu'il vit l'Empereur à cette
+occasion.
+
+Il ne nous reste plus qu'à faire connaître encore quelques lettres
+du roi Joseph se rattachant à divers sujets.
+
+Nous avons dit que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait été assez
+heureux, à la suite des événements de 1815, pour trouver un refuge
+en Amérique. Les autres frères de Napoléon Ier étaient exilés hors
+de France, dans les États de l'Europe, poursuivis partout par la
+haine des souverains alliés. Jérôme, rejeté tantôt dans les États
+autrichiens, tantôt en Italie, resta plusieurs années sans donner
+signe de vie à l'aîné de ses frères. En 1818, Joseph lui écrivit des
+États-Unis d'Amérique, le 10 juillet:
+
+
+ Mon cher Jérôme, je n'ai jamais eu de tes lettres depuis notre
+ séparation, j'ai fini par penser que tu avais vu dans ma conduite
+ quelque chose qui avait dû te déplaire. Je l'ai mandé à Julie qui
+ m'assure du contraire. Peut-être as-tu été gêné dans ta
+ correspondance avec moi. Quelles que soient les raisons de ton
+ silence, je t'écris pour t'engager à le rompre, bien convaincu,
+ comme je le suis, que tu ne peux pas douter de la tendresse de mon
+ amitié pour toi. Je n'ai pas vu ici ton ancienne amie et son fils,
+ je n'ai pas cru devoir aller à leur rencontre dans la position
+ étrange où je me suis trouvé. J'ai pensé que, dans l'adversité, il
+ vaut mieux manquer par trop de susceptibilité que par trop
+ d'abandon. Mande-moi ce que tu aurais désiré que j'eusse fait, ce
+ que tu désires que je fasse. Je pense que l'arrivée de Zénaïde
+ changera ma position si dans l'abandon où Julie va se trouver après
+ le départ de sa fille aînée, elle suit le conseil que je lui donne
+ de se rapprocher de Vienne, je te la recommande, mon cher frère,
+ ainsi qu'à ta femme, dont elle ne cesse de m'écrire tout le bien que
+ l'on en dit. Les lettres à son père ont été répétées dans tous les
+ journaux. Elles sont dans la mémoire de toutes les mères et de
+ toutes les épouses. Je te prie de lui dire combien, en mon
+ particulier, je serais heureux d'apprendre qu'elle trouve quelque
+ bonheur dans l'approbation d'elle-même. Mille caresses à ton enfant,
+ ne doutez jamais de ma tendre amitié.
+
+
+En 1822, le 2 mars, 10 mars et 24 avril, Joseph écrivit à la reine
+Julie, de Pointe-Breeze, sa résidence d'été:
+
+
+ Ma chère Julie, je t'ai écrit il y a quelques jours en te témoignant
+ mes inquiétudes sur le silence de Lucien[48] et le vôtre au sujet du
+ mariage de Zénaïde.
+
+ [Note 48: Lucien avait plusieurs enfants. L'aîné, Charles,
+ prince de Canino, devait épouser Zénaïde, fille du roi
+ Joseph. Le mariage eut lieu en effet. Il eut un fils, le
+ prince Joseph de Musignano, mort sous le second empire et de
+ qui l'auteur des _Mémoires du roi Joseph_ tient les documents
+ à l'aide desquels il a fait son ouvrage. Le prince de Canino
+ rendit la princesse Zénaïde sa femme fort malheureuse. C'est
+ lui qui a joué un triste rôle sous la Constituante romaine,
+ lors de l'assassinat du comte Rossi. Il est mort en 1857.]
+
+ Écris à Désirée[49] qu'elle se déshonore à jamais si elle reste plus
+ longtemps à Paris, sa place est auprès de son mari; a-t-elle oublié
+ qu'elle est reine de Suède? C'est aussi ton devoir de lui écrire ce
+ qui est. C'est dur, mais c'est la vérité.
+
+ [Note 49: Désirée, femme de Bernadotte, était la soeur de la
+ reine Julie.]
+
+ Ma chère Julie, l'occasion étant retardée, j'ai le temps de t'écrire
+ encore deux mots: j'ai reçu une lettre du cardinal du 29 octobre. Il
+ me dit que lui et Maman pensent que le mariage du fils de Louis
+ serait possible si nous voulions que celle de nos filles qui
+ l'épouserait reste avec mon frère Louis.
+
+ 1º Si Zénaïde épouse Charles, il faut marier Lolotte avec le fils de
+ Louis, par procuration, si on ne peut autrement. Dans ce cas je vous
+ attends bientôt.
+
+ 2º Si le mariage de Charles manque, il faut que Zénaïde épouse le
+ fils de Louis[50] et que, si cela est indispensable, elle reste avec
+ eux quelque temps; dans ce cas, Lolotte épouserait celui des deux
+ fils de Murat que tu choisirais pour son caractère.
+
+ [Note 50: Le frère aîné de Napoléon III, mort dans
+ l'insurrection des Romagnes, en 1831.]
+
+ Ma chère amie, le général Lallemand te remettra cette lettre. Je te
+ le recommande. Il a passé ici quelques jours avec le fils de
+ Jérôme[51]. Pauline n'a pas conservé les mêmes dispositions
+ bienveillantes pour lui. Maman me le recommande et compte faire
+ quelque chose pour lui. Je compte toujours sur le mariage du fils de
+ Louis pour Charlotte et sur celui du fils de Lucien pour Zénaïde.
+
+ [Note 51: M. Paterson, qui vint en France, sous le second
+ Empire, avec son fils, aujourd'hui officier dans l'armée
+ française.]
+
+
+Le prince Charles de Canino et sa femme vinrent, après leur mariage,
+voir le roi Joseph en Amérique et restèrent quelque temps auprès de
+lui. La santé délicate de la reine Julie ne lui permit pas de suivre
+ses enfants. En 1826, des démarches furent faites auprès du roi de
+France pour le retour en Europe de Joseph, par le général Belliard,
+auquel le baron de Damas écrivit le 11 août:
+
+
+ Le baron de Damas a l'honneur de prévenir M. le comte Belliard que,
+ d'après la demande qu'il lui a adressée dans sa lettre du 3 de ce
+ mois, il vient, après avoir pris les ordres du roi, d'autoriser le
+ Ministre de Sa Majesté à Washington à comprendre M. et Mme Charles
+ de Canino sur le passeport de M. le comte de Survilliers, qui pourra
+ débarquer à Anvers ou à Ostende.
+
+ Le baron de Damas saisit avec empressement cette occasion de faire
+ agréer à M. le comte Belliard les assurances de sa haute
+ considération.
+
+
+En apprenant en Amérique que le gouvernement des Bourbons ne mettait
+pas d'obstacle à son retour en Europe, Joseph écrivit le 29
+septembre 1826 à Madame de Villeneuve[52]:
+
+ [Note 52: Une demoiselle Clary.]
+
+
+ Ma chère belle-soeur,
+
+ Je reçois votre lettre du 5 août; je n'ai jamais eu l'intention
+ d'aller à Bruxelles; si l'on m'avait accordé de bonne grâce le
+ séjour de la Toscane, j'aurais été volontiers y faire une visite à
+ ma mère, avec l'espoir de ramener ma femme en Amérique où je suis
+ trop bien pour ne pas désirer d'en faire partager le séjour à Julie.
+
+ Je suis toujours bien reconnaissant, ma chère belle-soeur, des
+ preuves sans cesse renaissantes de votre tendre amitié; Désirée et
+ son mari sont aussi très excellents pour moi; les bons consolent
+ ainsi des indifférents.
+
+
+Pendant son exil en Amérique, le roi Joseph avait pris l'habitude de
+mettre en note, dans une sorte de journal quotidien, tout ce qui se
+passait autour de lui, et lui était personnel. Nous trouvons dans ce
+journal quelques mots relatifs à un homme, M. de Persigny, qui,
+ministre et créé duc par Napoléon III, a marqué sous le second
+Empire. Voici les notes de Joseph, que M. Fialin de Persigny était
+venu trouver à Londres, en avril 1835, pour le déterminer à entrer
+dans une sorte de complot bonapartiste:
+
+
+ M. le vicomte de Persigny, rue d'Artois, nº 48, à Paris, et à
+ Londres à Grillion, hôtel _Albermale Street_, arrive avec un billet
+ de M. Presle à M. Maillard; il est l'auteur du nº 1 de l'_Occident
+ français_, il est âgé de 26 ans et paraît plus jeune encore; il
+ montra un excessif enthousiasme pour la mémoire de l'Empereur et
+ même pour le nom de sa famille, dans l'entretien d'une demi-heure
+ que j'ai eu avec lui avant le dîner. Je me retirai de bonne heure;
+ il causa jusqu'à deux heures du matin avec MM. Sari, Thibaud, etc.
+
+ _5 Avril dimanche._ Je descends à déjeuner, j'ai un long entretien
+ avec M. de Persigny, il paraît plein d'ardeur, il est partisan le
+ plus absolu du caractère et des desseins de l'Empereur, il a pleuré
+ comme un enfant en voyant son écriture; il s'exprime facilement et
+ avec talent, cependant il ne m'est adressé par personne que je
+ connaisse, il se dit de Roanne sur la Loire, sa famille tient aux
+ Bourbons dont il a entièrement abandonné la cause.
+
+ _6 Avril._ Je vais à Londres, j'y mène M. de Persigny, je descends
+ avec Maillard chez le docteur O'Méara.
+
+ _19 Avril_, jour de Pâques. M. le vicomte de Persigny me parle
+ encore de ses projets, je lui en fais sentir l'inopportunité
+ actuelle; il me remet un écrit que je ne lis qu'à ma rentrée dans ma
+ chambre. Je promène avec lui, Sari et Maillard.
+
+ 20. Je fais prendre copie de l'écrit sans signature, je rends
+ l'original à M. de Persigny en lui répétant les mêmes choses, je
+ conviens de l'avantage national du but, mais je ne partage pas ses
+ opinions sur l'efficacité des moyens, ainsi je l'engage à ne pas se
+ compromettre sans espérance raisonnable; ses projets ne m'en
+ présentent aucune.
+
+ 28. M. le vicomte de Persigny est à la maison, je refuse de recevoir
+ l'ami qui lui est arrivé de Paris, je lui déclare que je n'entends
+ pas me prêter à l'exécution de ses projets, à laquelle je répugne
+ invinciblement; tout pour le devoir, rien pour mon ambition, je n'en
+ ai pas d'autre que celle de contribuer au bonheur de la France, si
+ elle m'offre une chance de la servir, mais jamais rien par une
+ minorité factieuse; il dîne et couche à la maison.
+
+ 29. M. de Persigny part après déjeuner, je lui répète longuement les
+ mêmes choses.
+
+
+Joseph était encore à Londres, en 1833, lorsque son neveu
+Louis-Napoléon, le futur empereur Napoléon III, lui envoya un petit
+ouvrage qu'il venait de faire paraître; l'ex-roi lui écrivit à ce
+sujet, le 20 septembre:
+
+
+ Mon cher neveu, j'ai reçu avec ta lettre tes _Considérations sur la
+ Suisse_. Je les ai lues avec un double intérêt. Je regrette que tu
+ ne puisses pas honorablement employer tes talents et ton application
+ à l'étude, au service de la patrie. Charlotte est beaucoup mieux
+ depuis notre séjour à la campagne. Je me trouve par accident en
+ ville aujourd'hui.
+
+ Je te prie de me rappeler au bon souvenir de ta maman et de me
+ croire bien tendrement
+
+ Ton affectionné oncle,
+
+ JOSEPH.
+
+
+Enfin, dans les premiers mois de 1841, Joseph put quitter Londres
+pour habiter la Toscane. Il écrivit à ce sujet au général duc de
+Padoue, son cousin, le 8 mars:
+
+
+ Mon cher Cousin,
+
+ Je vous confirme ma lettre du 3 de ce mois. Je pense que vous avez
+ vu la duchesse de Crès, à laquelle j'écris aussi dans le même sens.
+ Le jeune Maillard vous dira de ma part que ma demande se borne à ce
+ que l'on ne mette pas d'obstacle à mon séjour en Toscane ou en
+ Sardaigne et qu'on légalise le passeport autrichien que vous avez
+ obtenu pour moi l'année passée, avec lequel je pourrai me rendre en
+ Italie par le Rhin et la Suisse.
+
+ Renvoyez-moi donc Adolphe[53] avec le passeport en règle aussitôt
+ que vous le pourrez, il vous donnera des nouvelles plus en détail.
+
+ [Note 53: Fils de Louis Maillard.]
+
+ Agréez ma vieille et constante amitié.
+
+ Votre affectionné cousin.
+
+
+M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, auquel la nièce
+du roi Joseph par sa femme, la maréchale Suchet, duchesse
+d'Albuféra, s'était adressée pour que le roi Louis-Philippe fût
+sollicité afin de permettre au comte de Survilliers (Joseph) de se
+rendre en Italie, écrivit le 9 avril 1841:
+
+
+ Madame la Maréchale,
+
+ Le Roi ne fait pas la moindre objection à ce que M. le comte de
+ Survilliers vienne vivre à Gênes ou à Florence; vous en êtes
+ probablement déjà informée, mais je me donne le plaisir de vous le
+ dire moi-même.
+
+
+À cette lettre était jointe la note ci-dessous:
+
+
+ Note:
+
+ Le gouvernement non-seulement donne son adhésion à ce que M. le
+ comte de Survilliers vienne s'établir à Gênes, mais encore il
+ exprime le désir que toute facilité lui soit donnée dans cette
+ circonstance. C'est dans ce sens qu'il a répondu à M. l'ambassadeur
+ de Sardaigne et qu'il a expédié, il y a trois jours, ses
+ instructions à son propre ambassadeur près de Sa Majesté sarde.
+
+ En octobre dernier, le gouvernement français a fait exprimer au
+ gouvernement du grand-duc de Toscane les mêmes dispositions de sa
+ part à l'égard du comte de Survilliers, qui demandait à résider à
+ Florence; ces dispositions, il les maintient et les renouvellera
+ même au besoin si le gouvernement toscan l'exigeait. Il est vrai que
+ le gouvernement napolitain, s'appuyant sur des dispositions des
+ traités de 1815, prétend que lorsqu'il s'agit de la famille
+ Bonaparte, il faut le concours simultané des quatre puissances;
+ qu'aucune d'elles ne peut agir isolément; mais la France se regarde,
+ depuis 1830, affranchie de l'obligation de cet accord commun; elle
+ croit pouvoir agir seule, librement et comme il lui plaît, et elle
+ l'a constamment fait depuis cette époque.
+
+ On croit que M. le comte de Survilliers, établi à Gênes, pourra
+ facilement négocier pour venir ensuite à Florence; que l'Autriche
+ prêtera aisément son intervention pour aplanir les difficultés que
+ Naples oppose encore.
+
+
+Nous terminons ici ce qui a trait au frère aîné de l'Empereur, dont
+la vie politique avait cessé depuis 1816. L'ex-roi mourut à
+Florence, en 1843, après avoir fait hommage à la France, pour être
+placés sur le tombeau de Napoléon Ier, des insignes et des armes du
+grand homme qui lui étaient échus en partage. Il avait nommé pour un
+de ses exécuteurs testamentaires M. Maillard (Louis) qui méritait
+toute sa confiance et qui ne l'avait pas quitté depuis 1808.
+
+Le roi Joseph avait 76 ans lorsqu'il s'éteignit, entouré de sa
+famille et de quelques serviteurs fidèles et dévoués.
+
+Deux années avant sa mort, le roi Joseph éprouva un vif chagrin. Il
+avait pour son neveu, le prince Louis Napoléon, fils de l'ex-roi de
+Hollande, une grande affection. Lorsqu'il apprit à Florence que ce
+jeune homme avait fait la tentative de Strasbourg, il le désapprouva
+hautement. Son père agit de même. La première chose que fit le futur
+empereur Napoléon III, en arrivant en Amérique, fut d'écrire une
+longue lettre à son oncle Joseph pour lequel il avait une grande
+vénération. Cette lettre étant venue aux mains de l'auteur des
+_Mémoires du roi Joseph_, avec les autres papiers, cet auteur se
+trouva assez embarrassé, ne sachant s'il devait ou non publier cette
+pièce importante pour l'histoire. On était alors en 1855, Louis
+Napoléon était sur le trône. Il se décida à la montrer à l'Empereur,
+mais à lui seul. Reçu un matin dans le cabinet de S. M., aux
+Tuileries, il la lui donna. L'Empereur, après en avoir pris
+connaissance pendant un quart d'heure, la lui rendit en disant: «Je
+ne puis pas la nier, elle est toute de ma main. Je la trouve bien
+cette lettre.--Moi également, Sire, se hâta de dire l'auteur des
+_Mémoires_, mais ne sachant pas s'il pouvait convenir à l'Empereur
+sur le trône que le public eût connaissance d'une lettre écrite par
+le proscrit de New-York, j'ai cru devoir la soumettre à Votre
+Majesté.--Bah, reprit en riant l'Empereur, rien n'empêchera que je
+n'aie fait la tentative de Strasbourg et de Boulogne, ce qui est
+histoire est histoire, je ne m'oppose pas à ce que vous l'insériez
+dans votre curieux ouvrage.» Elle se trouve au 10e volume des
+_Mémoires du roi Joseph_, page 370.
+
+
+
+
+II.
+
+LE ROI LOUIS.
+
+
+I.
+
+1778-1806.
+
+Louis Bonaparte, troisième des frères de Napoléon Bonaparte, naquit
+à Ajaccio (Corse) le 2 septembre 1778, sous le règne de Louis XVI.
+Bien que la famille Bonaparte soit d'origine italienne, l'île de
+Corse ayant été cédée sous Louis XV à la France, Louis et ses frères
+naquirent Français et non Italiens, comme quelques auteurs l'ont
+écrit.
+
+La longue carrière de Louis Bonaparte peut se diviser en trois
+parties bien distinctes:
+
+1º Celle qui s'étend du jour de sa naissance (1778) au moment où il
+monta sur le trône de Hollande (1806), période pendant laquelle on
+le voit vivre auprès de son frère Napoléon et se montrer entièrement
+dévoué à ses projets.
+
+2º Celle qui comprend les quatre années de son règne en Hollande,
+son abdication, son exil volontaire, la chute de l'empire (de 1806 à
+1815).
+
+3º Enfin, la partie qui embrasse l'exil forcé des membres de la
+famille de l'empereur après Waterloo, jusqu'à la mort de Louis, à
+Florence, le 25 juillet 1846.
+
+Nous parlerons peu des premières années de Louis. Lorsque Paoli livra
+l'île de Corse aux Anglais, la famille Bonaparte vint s'établir près de
+Toulon, à Lavalette, puis bientôt après à Marseille. Louis, âgé de 14
+ans, se trouvait au milieu des siens. Il n'avait pu faire, dans ces
+temps de troubles, que de médiocres études, mais son caractère, empreint
+déjà d'une teinte philosophique, s'était développé par les malheurs
+mêmes qui avaient, depuis sa naissance, accablé ses parents. Élevé par
+Joseph, l'aîné de ses frères, devenu le chef de la famille à la mort de
+leur père Charles Bonaparte (23 septembre 1785), soutenu par Napoléon,
+officier d'artillerie, il entra en 1793 dans la vie active, à peine au
+sortir de l'enfance. Napoléon commandait l'artillerie au siège de
+Toulon, il venait souvent à Marseille, soit pour hâter les préparatifs
+du siège, soit pour y voir sa famille. Dans un de ses voyages, il
+déclara que Louis était d'âge à se faire une carrière honorable, et
+qu'il ne voulait pas le voir plus longtemps inactif. Il obtint de leur
+mère que le jeune homme se rendrait à l'école de Châlons pour subir
+l'examen nécessaire à son admission dans le corps de l'artillerie. Louis
+partit avec des passeports visés par les représentants du peuple, mais
+en passant à Lyon, alors sous la terreur qu'inspiraient d'horribles
+massacres, il courut de véritables dangers. Il ne put sortir de cette
+malheureuse ville qu'avec peine et à la faveur de ses passeports. Il
+continua sa route, se dirigeant vers Châlons-sur-Marne. À
+Chalon-sur-Saône, on lui apprit la dissolution de l'école d'artillerie.
+Effrayé de ce qu'il avait vu, de son isolement (Louis avait alors 15
+ans), le jeune homme revint dans sa famille. Après la prise de Toulon,
+Napoléon Bonaparte, créé général de brigade, vint à Marseille, prit avec
+lui son frère Louis et se rendit à l'armée des Alpes-Maritimes où il
+venait d'être nommé commandant en chef de l'artillerie. Louis fut
+adjoint à son état-major avec le grade de sous-lieutenant. Le soir de la
+prise de Toulon, Napoléon, pour qui, depuis longtemps déjà, tout était
+objet d'étude sérieuse, avait fait visiter à son frère les attaques de
+la ville. Il lui avait indiqué, sur le terrain même, les fautes
+commises, puis, lui montrant l'endroit où la terre était jonchée de
+cadavres, il s'écria:
+
+«Si j'avais commandé ici, tous ces braves gens vivraient encore.
+Jeune homme, apprenez par cet exemple combien l'instruction est
+nécessaire et obligatoire pour ceux qui aspirent à commander les
+autres.»
+
+Louis Bonaparte fit sa première campagne à l'armée des
+Alpes-Maritimes. Il assista à la prise d'Oneille (7 avril 1794), à
+celle de Saorgio (29 avril), au combat de Cairo (21 septembre), et
+fut nommé lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires en
+garnison à Saint-Tropez. Une loi nouvelle exigeait que les officiers
+d'état-major rentrassent dans les régiments. Il resta quelques mois
+dans la petite ville de Saint-Tropez, puis il fut envoyé à l'école
+d'artillerie de Châlons-sur-Marne pour y subir ses examens.
+
+Après la journée du 13 vendémiaire (4 octobre 1795), Bonaparte,
+devenu général en chef de l'armée de l'intérieur, donna l'ordre à
+son frère de se rendre à son état-major auquel il l'avait attaché.
+Louis refusa d'abord de quitter Châlons, désireux de se faire
+recevoir avant tout dans l'artillerie, mais il dut obéir à l'ordre
+formel qui lui fut envoyé, et il se rendit à Paris en décembre 1795.
+Pendant la campagne de 1794 en Italie, les représentants du peuple,
+très désireux de faire quelque chose d'agréable au général
+Bonaparte, avaient voulu conférer à Louis le grade de capitaine;
+Napoléon s'y était opposé, à cause de l'âge de son frère (16 ans à
+peine). Cependant, il se plaisait à rendre justice à cet enfant
+devenu bien vite un jeune homme plein de bravoure et de sang-froid.
+Il racontait avec bonheur que le jour où Louis fut au feu pour la
+première fois, loin de montrer de la crainte ou même de
+l'étonnement, il avait voulu lui servir de rempart. Une autre fois,
+Napoléon et Louis se trouvaient à une batterie en barbette sur
+laquelle l'ennemi faisait le feu le plus vif. Les défenseurs
+baissaient souvent la tête pour éviter les boulets. Napoléon
+remarqua avec joie que son jeune frère, imitant son exemple, restait
+droit et immobile. Il lui en demanda la raison:
+
+«Je vous ai entendu dire, repartit Louis, qu'un officier
+d'artillerie ne doit pas craindre le canon; c'est notre arme!»
+
+Lorsque Napoléon reçut le commandement en chef de l'armée d'Italie,
+en 1796, il résolut de mener avec lui son frère Louis qui arrivait
+de l'école de Châlons. La guerre, pendant laquelle il s'était montré
+d'une grande bravoure personnelle, n'allait ni à ses instincts
+humanitaires, ni à ses goûts philosophiques, ni à ses idées dénuées
+de toute ambition. Ce fut pendant le peu de temps qui s'écoula entre
+le retour de Louis de l'école de Châlons et son départ pour Nice,
+qu'il connut à Paris Madame de Beauharnais, Hortense et Eugène.
+
+Louis avait 18 ans quand il commença sa seconde campagne. Il la fit,
+non plus seulement comme attaché à l'état-major du général en chef,
+mais en qualité de l'un de ses aides de camp. Il était encore
+lieutenant. Bien qu'à un âge où tout ce qui est nouveau attire, où
+tout ce qui est bruit, ambition, renommée, charme, Louis Bonaparte
+sentait un vide dans son coeur. La carrière des armes lui paraissait
+sans attrait. Il soupirait déjà après l'étude, la retraite, la vie
+paisible. Ces biens il ne devait pas les connaître pendant toute sa
+longue existence. Son caractère encore rempli de contrastes était à
+la fois grave et romanesque, vif et flegmatique. «Louis a de
+l'esprit, fait-on dire à Napoléon à Sainte-Hélène, il n'est point
+méchant, mais avec ces qualités un homme peut faire bien des
+sottises et causer bien du mal. L'esprit de Louis est naturellement
+porté à la bizarrerie et a été gâté encore par la lecture de
+Jean-Jacques. Courant après une réputation de sensibilité et de
+bienfaisance, incapable par lui-même de grandes vues, susceptibles
+tout au plus de détails locaux, Louis ne s'est montré qu'un _roi
+préfet_[54].»
+
+ [Note 54: Lorsque le _Mémorial de Sainte-Hélène_, dans lequel
+ se trouve le portrait du roi Louis, parut, la famille
+ Bonaparte et ses partisans furent loin d'approuver le livre
+ de M. de Lascases. Le bruit se répandit et s'accrédita que le
+ roi Louis XVIII n'était pas étranger à cet ouvrage, qui lui
+ avait été soumis par son auteur.
+
+ À cette époque, la reine de Westphalie, Catherine de
+ Wurtemberg, écrivit de Rome à une de ses amies, le 25 juin
+ 1823, une longue lettre dans laquelle on lit:
+
+ «Le jugement que vous portez sur l'ouvrage de M. de Lascases
+ m'enchante. Il est à espérer que tous les gens sensés et
+ dénués de toute partialité seront de cet avis. Plus je le
+ lis, plus je le médite, et moins je me rends raison du motif
+ qui l'a engagé à le publier. Que de gens compromis! que de
+ passions réveillées! que d'ennemis suscités! et à quelle fin
+ tout cela? Ce qui me paraît encore plus maladroit de sa part,
+ c'est la bonhomie avec laquelle il assure que les seuls
+ points sur lesquels il a pu se satisfaire à son aise, ont été
+ des retranchements; aussi sont-ils fort nombreux et de plus
+ d'une espèce. C'est sur ce qui touche les personnes surtout
+ qu'il a élagué avec profusion. Puisqu'il affirme une pareille
+ chose, pourquoi ne s'est-il pas cru autorisé à taire (si
+ toutefois l'empereur lui a fait de pareilles confidences)
+ tout ce qui pouvait faire du tort à la mémoire de l'empereur
+ et à sa dynastie? Mon mari me prie de vous envoyer la copie
+ de sa lettre à M. de Lascases, en vous priant toutefois de ne
+ la publier avant que M. de Lascases lui répondît s'il est
+ dans l'intention de se rétracter. Cependant vous êtes libre
+ de la faire connaître à vos amis intimes.» Il est à remarquer
+ que le jugement porté sur Louis par Mme de Rémusat, qui se
+ fait l'écho des rancunes de la reine Hortense, s'accorde
+ assez bien avec le jugement du _Mémorial_.]
+
+Il est permis de douter que Napoléon ait porté un tel jugement sur
+son frère. Louis était fort peu désireux d'une réputation
+quelconque, et ses malheurs, depuis son avènement au trône de
+Hollande, vinrent précisément, ainsi qu'on le verra plus loin, de
+n'avoir pas voulu être un _roi préfet_. Louis, pendant la campagne
+de 1796, fit preuve de bravoure en plusieurs circonstances, mais
+(comme il le dit lui-même dans l'ouvrage qu'il publia en 1820) il le
+fit par boutade et sans s'occuper d'acquérir une réputation
+militaire. Il montra du zèle, du sang-froid, nul désir d'avancer,
+nulle idée d'ambition. Il avait surtout une répugnance invincible
+pour les excès de toute nature. Il cherchait à remplir ses devoirs,
+ne se ménageant pas, mais sans tirer vanité de ses actions, sans
+chercher à se faire valoir. Au passage du Pô (7 mai) il franchit le
+fleuve un des premiers, avec le colonel Lannes; à la prise de
+Pizzighettone (9 mai) il entra dans la place par la brèche avec le
+général d'artillerie Dommartin; à l'attaque de Pavie, ayant reçu
+l'ordre de suivre l'opération, d'examiner la position de l'ennemi et
+d'en venir rendre compte à son frère, il resta seul, à cheval,
+exposé plus que tout autre au feu terrible des défenseurs de la
+ville. Pavie fut en partie pillée, elle avait mérité ce juste
+châtiment, cependant ce spectacle révolta Louis, et à partir de ce
+moment et pendant le reste de la campagne il fut triste, taciturne.
+Il prit part à la bataille de Valeggio (12 août), au passage de vive
+force du Mincio, à l'investissement de Mantoue. À la tête de deux
+bataillons, il fut chargé de s'emparer du pont de San-Marco sur le
+Chiese, au moment où Bonaparte, après quelques mouvements aussi
+habilement conçus que rapidement exécutés, se préparait à livrer le
+combat de Lonato (13 août) et la bataille de Castiglione. La veille
+de ces belles journées, Louis fut expédié par son frère au
+Directoire pour rendre compte de l'état des choses, et du retour
+offensif des Autrichiens de Wurmser. «Maintenant, «dit-il à son
+jeune aide de camp, tout est réparé: demain je livrerai la bataille;
+le succès sera des plus complets, puisque le plus difficile est
+fait, on doit être entièrement rassuré, je n'ai pas le temps de
+faire de longues dépêches, dites tout ce que vous avez vu.» Louis
+témoignait son regret de quitter l'armée dans un moment pareil. «Il
+le faut, ajouta Napoléon, il n'y a que mon frère que je puisse
+charger de cette mauvaise commission; mais avant de revenir, vous
+présenterez les drapeaux que nous conquerrons demain.» Peut-être
+Napoléon qui, quoi qu'on en ait dit, était bon, sensible surtout
+pour ses frères et pour ses soeurs, avait-il voulu éloigner ce jeune
+homme des champs de bataille dans lesquels il savait bien qu'il
+devait, avec une poignée d'hommes, remporter la plus éclatante
+victoire ou périr lui et sa petite armée? Louis partit donc, remplit
+sa mission, reçut du Directoire le grade de capitaine et présenta,
+quelques jours après, ainsi que le lui avait promis son frère, les
+drapeaux enlevés par nos soldats à Castiglione, drapeaux que
+Bonaparte avait envoyés par l'aide de camp Du Taillis. Louis se hâta
+ensuite de rejoindre son général et il put assister au troisième
+acte du grand drame qui se jouait alors du Pô à la Brenta. Il prit
+part à la bataille de ce nom, et une part des plus glorieuses aux
+trois journées d'Arcole (15, 16, 17 novembre). À la première
+journée, Louis fut celui des aides de camp de son frère qui
+contribua le plus à le sauver, lorsque le général tomba dans le
+marécage au bas de la chaussée, après les tentatives faites
+inutilement pour déboucher de cette chaussée étroite, sur le village
+d'Arcole. Voyant Napoléon prêt à disparaître dans les eaux
+bourbeuses, il risqua sa vie avec Marmont pour le tirer de ce
+mauvais pas; puis il tenta de nouveau, mais en vain, d'enlever le
+pont[55]. Pendant la seconde journée d'Arcole, Louis non seulement
+combattit vaillamment près de son frère, mais il fut chargé de la
+mission difficile et dangereuse de porter des ordres de la plus
+haute importance au général Robert. Il n'y avait pas d'autre chemin
+pour remplir son périlleux devoir que de suivre une chaussée balayée
+par le feu des Autrichiens. En revenant auprès du général en chef
+par la même route, il courut les mêmes dangers, dont cependant il
+fut assez heureux pour se tirer sans blessures: «Je te croyais mort,
+lui dit son frère avec joie en l'embrassant.»
+
+ [Note 55: Marmont, dans ses Mémoires, parle des efforts de
+ Louis pour retirer son frère du marécage, mais il omet la
+ tentative du jeune officier pour s'emparer du pont.]
+
+En effet, on était venu annoncer que Louis avait été tué. Peu de
+temps après, lorsque Napoléon marcha sur Rivoli, au secours de
+Joubert, Louis fut encore chargé d'une mission épineuse à Peschiera.
+Il rendit à cette occasion un grand service à l'armée, en ralliant
+une colonne de fuyards et en arrêtant l'ennemi qui s'avançait sur
+ses derrières. Lorsqu'il revint auprès du général en chef, Napoléon
+lui témoigna publiquement la satisfaction que lui faisait éprouver
+sa conduite pendant cette affaire de Rivoli (14 janvier 1797).
+
+Jusqu'en 1796, Louis, d'une forte constitution, avait joui d'une
+bonne santé; mais s'étant trop peu ménagé pendant cette longue
+campagne, ayant d'ailleurs été soumis trop jeune à de trop rudes
+fatigues, ayant éprouvé plusieurs accidents, fait plusieurs chutes
+de cheval, il commença à ressentir les effets d'une existence
+au-dessus de ses forces physiques. À Nice, après le siège de Toulon,
+il était tombé de cheval par la faute de Junot, qui avait effrayé à
+dessein sa monture pour voir s'il était bon cavalier. Il s'était
+fait à l'oeil gauche une blessure grave dont il conserva toujours la
+cicatrice. Après la paix de Campo-Formio, lors de son retour à
+Paris, ses chevaux s'étaient emportés dans la descente de la
+montagne de Saint-André, en Savoie; il s'était démis le genou.
+
+Tout cela, joint aux fatigues de la campagne d'Italie, lui fit
+désirer de prendre, pendant quelque temps, les eaux de Barèges
+qu'on lui avait conseillées, mais il ne put exécuter son projet.
+Napoléon s'apprêtait à s'embarquer pour l'Égypte, il avait décidé
+d'emmener son frère, que d'ailleurs, pour une raison secrète, il ne
+voulait pas laisser à Paris.
+
+Pendant son dernier séjour en France, Louis avait été visiter à la
+célèbre pension de madame Campan, à Saint-Germain, sa soeur
+Caroline, et s'était épris d'une amie de cette soeur, fort jolie
+personne, dont le père avait émigré. Il confia son penchant à
+Casabianca, ami de son frère Napoléon, ancien officier supérieur de
+la marine, qui fut effrayé pour Louis des conséquences de cette
+passion naissante. «Savez-vous, lui dit-il, que ce mariage ferait le
+plus grand tort à votre frère, et le rendrait suspect au
+gouvernement?» Le lendemain Napoléon fit appeler Louis et lui donna
+l'ordre de partir immédiatement avec ses trois autres aides de camp
+pour Toulon où ils devaient l'attendre et passer avec lui en
+Égypte[56]. Louis attendit quelque temps, à Lyon, son frère que le
+Directoire avait retenu dans la crainte de voir la guerre se
+rallumer avec l'Autriche, à la suite d'une imprudence de Bernadotte,
+ambassadeur à Vienne.
+
+ [Note 56: Après qu'il eut abdiqué la couronne de Hollande et
+ pendant son séjour à Gratz, Louis retoucha une seconde
+ édition d'un roman en trois volumes que déjà il avait publié
+ en 1800, à Paris, sous le titre de Marie ou les peines de
+ l'amour. C'est un souvenir mélancolique de ce premier
+ sentiment contrarié par Napoléon.]
+
+Il suivit la division Kléber jusqu'au Caire; mais Napoléon, au
+moment où il partit pour la Syrie, résolut d'expédier en France un
+homme sur lequel il pût compter pour faire connaître exactement au
+Directoire l'état des affaires en Orient et pour lui faire envoyer
+des secours. Il choisit son frère Louis. Il savait que ce retour en
+France était sans inconvénient pour son coeur, puisque, après son
+départ de Paris, la jeune personne qu'il aimait avait été forcée de
+se marier. Louis partit donc avec les drapeaux pris sur l'ennemi. Il
+s'embarqua sur la plus petite, la plus vieille, la plus délabrée des
+chaloupes canonnières. La flotte avait été détruite à Aboukir.
+Pendant deux mois, il eut à lutter contre la tempête, à éviter les
+vaisseaux turcs, russes, anglais, portugais croisant dans la
+Méditerranée entre la France et l'Égypte. Il fut retenu pendant 27
+jours en quarantaine à Tarente; de nouvelles tempêtes l'assaillirent
+quand il reprit sa route. Une seule et mauvaise pompe soutenait son
+fragile navire qui faisait eau à chaque instant. La situation fut
+un instant si désespérée qu'il donna l'ordre au capitaine de son
+bâtiment d'entrer à Messine, bien qu'on fût en guerre avec Naples.
+La force du vent ayant poussé le bateau hors du détroit, une frégate
+anglaise lui donna la chasse et il se décida à jeter à la mer les
+drapeaux qu'il devait présenter au Directoire. Toutefois, après
+avoir fait escale à Porto-Vecchio en Corse, il parvint à débarquer
+en France. Aussitôt il fit toutes les démarches en son pouvoir pour
+avoir des secours, mais il ne put obtenir d'abord que l'envoi de
+quelques avisos montés par des officiers porteurs de dépêches. Le
+gouvernement refusa d'expédier des troupes. Louis ne trouva d'aide,
+au ministère de la guerre, que dans le général Dupont. Enfin, quand
+on eut quelques détails sur l'expédition de Syrie et sur la seconde
+bataille d'Aboukir, le Directoire se décida à envoyer des secours et
+des troupes. Louis s'occupait des préparatifs du départ, qu'il
+hâtait de tout son pouvoir, lorsque l'on apprit le débarquement à
+Fréjus du général Bonaparte. Louis partit aussitôt pour aller avec
+Joseph et le général Leclerc au devant de Napoléon. Il tomba malade
+à Autun et ne put rejoindre son frère qu'à Paris. Il reprit
+immédiatement, près de sa personne, son poste d'aide de camp, et fut
+promu chef d'escadron au 5e de dragons.
+
+Après le coup d'État du 18 brumaire, Louis fut immédiatement promu au
+grade de colonel commandant le 5e régiment de dragons. Ce régiment
+tenait alors garnison à Verneuil, étant chargé d'aider à la pacification
+de la Normandie. Louis fut obligé, fort à contre-coeur, de le rejoindre
+dans cette ville. Le jeune colonel était désolé d'être employé à une
+mission de ce genre, à l'intérieur. Il fit tout son possible pour éviter
+cette tâche désagréable, mais il ne put rien obtenir à cet égard du
+premier consul. À son grand désespoir, la ville de Verneuil ne tarda pas
+à être le théâtre d'un horrible événement, si commun dans les guerres
+civiles. Quatre malheureux prisonniers amenés par des soldats dans la
+ville furent jugés par un conseil de guerre et condamnés à être passés
+par les armes. Louis, pressé de présider le conseil de guerre, refusa
+avec indignation, repoussant prières, ordres, menaces. Il écrivit à son
+frère pour obtenir la grâce des condamnés. Il était trop tard, on
+procéda à leur exécution malgré toutes ses tentatives pour les sauver.
+Cette tragédie l'émut au point de lui faire prendre en horreur le métier
+des armes. Il resta dans son logement, comme pour un jour de deuil,
+ordonna à ses officiers d'en faire autant, et accueillit avec joie
+l'ordre, arrivé quelques jours plus tard, de se rendre en garnison à
+Versailles et ensuite à Paris. Deux escadrons du 5e de dragons furent
+alors organisés sur le pied de guerre et prêts à faire partie de l'armée
+de réserve qui se rassemblait à Dijon. Louis croyait en prendre le
+commandement, mais ils furent mis sous son lieutenant-colonel et
+lui-même resta à Paris. Ce fut à cette époque que son frère commença à
+lui parler de mariage et à le presser d'épouser la fille de Joséphine.
+Louis, soit qu'il ne voulût faire qu'un mariage d'inclination, soit
+qu'il crût à une incompatibilité d'humeur et de caractère entre lui et
+Hortense, refusa. Peut-être aimait-il encore au fond du coeur l'amie de
+pension de sa soeur. Au retour de sa brillante campagne de Marengo, le
+premier consul revint à ses idées d'union entre son frère et sa fille
+d'adoption. Pour éviter toute contrainte à cet égard, Louis demanda et
+obtint de faire un long voyage sous le prétexte d'assister aux
+manoeuvres de Postdam. Il devait même ensuite compléter ce voyage dans
+le Nord, en visitant la Saxe, la Pologne, la Russie, la Suède et le
+Danemark. Lorsque Louis arriva à Berlin, les manoeuvres étaient
+terminées, mais il fut reçu avec tant de bonne grâce par le roi et la
+reine Louise, qu'il séjourna un mois entier dans la capitale de la
+Prusse. Il quitta cette ville pour se rendre à Dantzick et de là à
+Saint-Pétersbourg. À Dantzick, il tomba malade, et comme, pendant les
+trois semaines qu'il y fut retenu, la guerre éclata de nouveau entre la
+France et l'Autriche, il se décida à revenir à Paris. Après quelques
+jours passés à Brunswick où le duc régnant le reçut à merveille, il
+revint près de son frère. Le premier consul renouvela alors ses
+instances pour lui faire épouser Hortense. Louis ne pouvait se décidera
+s'enchaîner aussi jeune (il n'avait que 23 ans). Pour ne pas céder aux
+sollicitations de Bonaparte et de sa belle-soeur, il fit comprendre son
+régiment de dragons dans le corps dirigé sur le Portugal. Toutefois,
+ayant été prendre congé de son frère à la Malmaison, il y fut retenu par
+lui et par Joséphine pendant près de trois semaines. Un beau jour, il
+partit brusquement pour Bordeaux et Mont-de-Marsan. Dans cette dernière
+ville, on le reçut avec de grandes démonstrations, et on lui rendit
+même, à cause de sa parenté avec le premier consul, de tels honneurs
+que, fort modeste et très simple de goûts et de manières, il fut choqué
+de toute la mise en scène dont il se trouvait être l'objet. Le préfet
+vint le complimenter à la tête des autorités du département et le
+président du tribunal, vieillard vénérable, commença d'un ton solennel
+un discours dont les premiers mots étaient: «Jeune et vaillant
+héros...» Louis ne put en entendre davantage; il sauta en riant sur le
+discours, l'arracha d'une manière vive mais familière des mains du
+pauvre président auquel il répondit tout haut: «Je vois que ce discours
+s'adresse à mon frère, je m'empresserai de lui faire connaître les bons
+sentiments que vous avez pour lui. Je puis vous assurer qu'il y sera
+très sensible.»
+
+Louis entra en Espagne à la tête de son régiment (1801), il passa
+quelques semaines à Salamanque, vint à Ciudad Rodrigo, puis il se
+rendit avec Leclerc, général en chef de l'armée française, au grand
+quartier général de l'armée espagnole alliée de la nôtre. Joseph,
+l'aîné des Bonaparte, négociait alors la paix générale. Il y eut un
+armistice, le jeune colonel conduisit son régiment à Zamora. Il
+obtint ensuite un congé pour prendre les eaux de Barèges, que sa
+jambe malade et un rhumatisme à la main droite rendaient nécessaires
+à sa santé. Il resta aux eaux les trois mois de juillet, août et
+septembre 1801, et revint à Paris en octobre, au moment de la
+signature des préliminaires de paix avec l'Angleterre (traité
+d'Amiens).
+
+Ni Bonaparte ni Joséphine n'avaient abandonné leurs projets de
+mariage pour Louis et Hortense. Louis plaisantait parfois de ce
+projet dont il regardait l'exécution comme impossible, cependant la
+persistance de son frère et de sa belle-soeur finit par l'emporter.
+Un soir, pendant un bal à la Malmaison, il donna son consentement et
+le jour de la cérémonie nuptiale fut fixé au 4 janvier 1802. Le
+contrat, le mariage civil, le mariage religieux furent hâtés. Tout
+s'accomplit, mais sous les plus tristes auspices, tant était grand
+et réel le pressentiment secret des deux époux des malheurs qui
+devaient découler pour eux d'une union presque forcée et mal
+assortie. Louis avait 24 ans; sa constitution formée de bonne heure
+et déjà maladive était en avance sur son esprit, sur son caractère
+encore plein de naïveté et de bonne foi. C'est de ce moment que date
+pour lui une sorte de tristesse, de découragement moral qui
+contribuèrent à empoisonner son existence. Du reste, nous ne pouvons
+mieux faire pour donner une idée exacte de cette union que de
+renvoyer le lecteur à ce que le roi Louis, au commencement de son
+ouvrage sur la Hollande, en dit lui-même.
+
+De 1802 à 1804, Louis resta presque constamment soit à son régiment,
+soit aux eaux thermales. En 1804, son frère le nomma général de
+brigade en lui laissant le commandement du 5e de dragons.
+
+Après la proclamation de l'empire (1804), Louis fut promu au grade
+de général de division et entra en même temps au conseil d'État, à
+la section de la législation. Le 2 décembre 1804 eurent lieu le
+sacre et le couronnement, puis le nouveau souverain pressa de tout
+son pouvoir les préparatifs d'une descente en Angleterre. Louis,
+devenu prince français, reçut le commandement de la réserve de
+l'armée composée de deux régiments de cavalerie et de deux divisions
+d'infanterie. L'empereur le fit colonel général des carabiniers. Il
+s'établit avec ses troupes près de Lille, et comme il se trouvait à
+portée des eaux de Saint-Amand, il en profita pour en faire usage,
+car sa santé devenait de plus en plus mauvaise. Il était presque
+paralysé des doigts de la main droite, et les eaux de Plombières où
+il avait été l'année précédente, loin de le soulager, avaient empiré
+sa situation. Celles de Saint-Amand ne lui réussirent pas mieux.
+
+Quand le projet de descente fut abandonné et la campagne d'Allemagne
+entreprise (1805), Louis croyait devoir commander le corps de
+réserve en Allemagne. L'empereur préféra lui confier, en son
+absence, le commandement de Paris et donner la réserve à Murat
+devenu maréchal. Pendant toute cette glorieuse campagne et jusqu'à
+la fin de 1805, Louis resta chargé des importantes fonctions qu'il
+devait à la confiance de son frère. En même temps son frère Joseph
+gouvernait la France au nom de l'empereur.
+
+Louis n'avait dans ses attributions que les affaires militaires.
+Avec peu de troupes, il maintint l'ordre, malgré les embarras
+financiers, les intrigues et l'agitation de tous les partis. Sous
+prétexte de la pénurie des finances, du discrédit de la banque, dans
+l'attente des événements et peut-être aussi poussés par quelques
+factieux, des rassemblements considérables se montraient chaque nuit
+sur divers points de la capitale. Le successeur de Murat au
+commandement de cette grande ville, non seulement parvint à conjurer
+les dangers qui pouvaient résulter de ces attroupements, mais il
+veilla aussi sur les côtes de l'Ouest, sur Brest, sur Anvers et sur
+la Hollande. Il assistait au conseil des ministres et correspondait
+journellement avec Napoléon. Bientôt une nouvelle occasion se
+présenta pour le jeune prince de déployer son activité. Les
+Anglo-Suédois et même les Prussiens menacèrent assez sérieusement
+les côtes de la Hollande et le nord de la France pour que, de la
+Moravie où il était allé combattre les armées austro-russes,
+Napoléon envoyât l'ordre à Louis de former le plus rapidement
+possible une armée du Nord destinée à couvrir les chantiers
+d'Anvers et la Hollande. Le conseil des ministres trouvait de
+grandes difficultés à l'exécution des volontés impériales, Louis les
+leva toutes. Il agit avec tant de zèle et d'intelligence, qu'un
+mois, jour pour jour, après le décret de Napoléon, il put écrire de
+Nimègue au vainqueur d'Austerlitz que l'armée du Nord, complètement
+organisée sous son commandement, était prête à tout. Cette armée se
+composait des deux divisions Laval et Lorge à Juliers (sur le Rhin)
+et de deux autres divisions, en position à Nimègue. Toutes ces
+troupes étaient sur les frontières de la Hollande et de la
+Westphalie, elles couvraient le Rhin, la Hollande, Anvers et
+pouvaient faire face sur tous les points à l'ennemi, de quelque côté
+qu'il voulût se présenter. En moins d'un mois, les places du Brabant
+furent mises en état de défense, les Hollandais reprirent courage,
+et la Prusse qui, peu de jours avant, ne voyait pas un homme pour
+lui disputer les frontières de la France, montra une extrême
+surprise. La rapide formation de l'armée du Nord ne laissa pas que
+d'avoir une certaine influence sur les négociations avec la Prusse.
+Napoléon apprit avec joie que l'armée française du Nord avait
+effrayé cette puissance au point que M. de Haugwitz, ministre du
+cabinet de Berlin, commença par demander que l'ordre fût donné aux
+troupes de Louis, alors sur les frontières du duché de Berg, de
+s'arrêter. L'empereur témoigna à son frère sa satisfaction, non
+seulement dans ses lettres particulières, mais encore dans un des
+bulletins de la grande armée. À la nouvelle de la victoire
+d'Austerlitz et de la paix, Louis renvoya à Paris les troupes tirées
+de cette ville, car l'empereur avait paru mécontent de ce qu'une
+partie de ces troupes avait été renforcer les divisions en Hollande.
+Le prince se rendit ensuite de sa personne à Strasbourg, au-devant
+de son frère qui le reçut froidement. Louis comprit plus tard d'où
+venait cette froideur. Napoléon, après l'avoir blâmé de ce qu'il
+avait distrait des troupes de Paris pour les envoyer dans le Nord,
+le blâma d'avoir trop vite renvoyé ces troupes en France. Enfin, il
+lui sut mauvais gré de son prompt départ de la Hollande. Quelques
+mots échappés à l'empereur, sur ses projets futurs relativement à ce
+pays, commencèrent à l'éclairer.
+
+
+ «Pourquoi l'avez-vous quitté? dit-il à Louis; on vous y voyait avec
+ plaisir, il fallait y rester.--La paix une fois conclue, répondit
+ celui-ci, j'ai tâché de réparer la faute que vous m'aviez reprochée
+ dans vos lettres, en renvoyant à leur poste les troupes que j'en
+ avais fait sortir pour l'armée du Nord. Quant à moi, à qui vous avez
+ laissé le commandement militaire de la capitale en votre absence,
+ mon devoir était de m'y trouver à votre retour, si je n'avais pas
+ cru mieux faire en venant à votre rencontre. Je conviens,
+ ajouta-t-il, que les bruits qui circulaient en Hollande sur moi et
+ sur le changement du gouvernement dans ce pays ont hâté mon départ.
+ Ces bruits ne sont pas agréables à cette nation libre et estimable,
+ et ne me plaisent pas davantage.»
+
+
+L'empereur fit comprendre alors, par sa réponse, quelque vague
+qu'elle fût, combien ces bruits étaient fondés. Mais Louis s'en
+inquiétait peu; il était persuadé qu'il trouverait aisément moyen de
+refuser le haut rang qu'on lui destinait, rang qu'il n'ambitionnait
+pas et qui faisait l'objet des voeux les plus ardents de plusieurs
+autres membres de sa famille.
+
+Après le traité de paix, l'empereur se rendit de Strasbourg à Paris;
+Louis l'y accompagna. On touchait au moment où Napoléon allait
+mettre une couronne sur le front de ce jeune homme dénué de toute
+ambition, d'un caractère déjà naturellement porté à la tristesse, et
+que son union mal assortie rendait plus taciturne encore. Aux tracas
+intérieurs, allaient se joindre pour lui les soucis d'une royauté
+dont il ne sut pas mieux se défendre que de son mariage.
+
+Nous devons dire ici quelques mots des négociations relatives à
+l'érection de la Hollande en royaume en faveur de Louis Bonaparte.
+
+Après Austerlitz et la signature du traité de Presbourg, Napoléon,
+voulant assurer son système du blocus continental, songea à ériger en
+royaume la république batave. Des négociations sérieuses furent entamées
+entre le gouvernement impérial, représenté à La Haye par le général
+comte Dupont-Chaumont et le grand-pensionnaire Schimmelpenninck. Lorsque
+Napoléon crut les négociations assez avancées, et eut la certitude que
+le chef de la république batave était dans ses intérêts, il le fit
+engager (lettre du commencement de janvier 1806) à envoyer à Paris une
+députation chargée de s'entendre avec le gouvernement français sur les
+moyens à prendre pour _introduire plus de stabilité_ dans les affaires
+de Hollande. Le 11 février 1806, Schimmelpenninck écrivit à M. de
+Talleyrand, notre ministre des relations extérieures, pour l'assurer de
+sa volonté de se prêter à toutes les vues de l'empereur, relativement à
+l'affermissement de l'union de la France et de la Hollande. Quelques
+jours plus tard, le 27 du mois de février, et lorsqu'il crut l'effet de
+sa lettre du 11 produit, le grand-pensionnaire demanda par une note
+confidentielle un accroissement de territoire pour la Hollande, du côté
+de la Prusse, accroissement promis, disait-il, et toujours ajourné. La
+Hollande désirait le pays situé entre l'Ems et le Wéser (l'Ost-Frise, la
+principauté de Jever, le bas évêché de Munster, le comté d'Oldenbourg,
+le comté de Bentheim, Steinvord, le haut évêché de Munster, etc.), pour
+reculer les frontières bataves jusqu'à l'embouchure du Wéser. Dans cette
+note toute confidentielle et adressée à M. de Talleyrand, il est fait
+appel à la générosité de l'empereur, pour lequel le dévouement du pays
+sera inaltérable.--Le 29 mars, le gouvernement français fut prévenu que
+l'amiral Verhuell, de retour à La Haye de sa mission à Paris, avait eu
+des conférences avec le grand-pensionnaire, à la suite desquelles la
+convocation des États avait été décidée pour le 1er avril. Le 31 mars,
+Verhuell écrivit à Talleyrand que l'impression produite sur le
+grand-pensionnaire, relativement aux intentions de l'empereur, avait été
+vive; qu'il ne pouvait résoudre seul la question déclarée _invariable_
+par Napoléon; que le prince Louis et sa femme seraient bien reçus en
+Hollande, et que les notables n'hésiteraient pas à se ranger autour
+d'eux. Bientôt, les intentions de l'empereur sur la Hollande commençant
+à être devinées, des brochures contre la domination de l'étranger furent
+publiées dans ce pays. Napoléon devint furieux[57]. Le 15 avril, le
+général Dupont prévint que les États allaient envoyer à Paris une
+commission en tête de laquelle seraient Verhuell, Goguel, Van Styrum,
+Six et Porentzel. En effet, la députation arriva à Paris le 25 avril.
+Verhuell se hâta de voir Talleyrand avant la réception de la députation.
+L'empereur apprit alors qu'une assez violente opposition au gouvernement
+monarchique se laissait entrevoir à La Haye; qu'une adresse se signait à
+Harlem, demandant, au nom des précédents du pays et de l'honneur
+national, le maintien de la république. Cela n'empêcha pas la commission
+de rédiger deux adresses à Napoléon pour lui demander d'accorder à la
+Hollande son frère Louis comme _chef suprême de la république batave_,
+roi de Hollande. Un traité fut alors conclu (le 24 mai à Paris, et
+ratifié le 28 à La Haye) pour l'adoption du gouvernement monarchique. Le
+grand-pensionnaire refusa de ratifier le traité, mais il promit de
+rester simple particulier à La Haye et d'y vivre tranquille. Il est
+juste d'ajouter que l'avènement du roi Louis et de la reine Hortense au
+trône de Hollande fut assez bien accueilli dans tout le pays. Un seul
+cas d'opposition se présenta. M. Serrurier, ministre français, qui avait
+remplacé momentanément à La Haye le général Dupont en congé, rendit
+compte de ce fait, dans une lettre du 14 août, à Talleyrand. Une
+tentative de révolte eut lieu parmi les matelots de l'un des bâtiments
+de la flotte, à l'occasion de la prestation de serment au roi. Le marin
+qui portait la parole au nom de ses camarades fut tué sur place, d'un
+coup de pistolet, par l'amiral De Winter. Tout rentra à l'instant dans
+l'ordre, et le serment fut prêté sans résistance.
+
+ [Note 57: L'une de ces brochures était intitulée: _Appel au
+ peuple._ Elle fut répandue à profusion en Hollande. Napoléon
+ en fit rechercher l'auteur. C'était une femme nommée Marie
+ Hulshorft, qui n'était, de fait, qu'un prête-nom.]
+
+La royauté fut établie en Hollande, et fondée sur des lois
+constitutionnelles. Le prince Louis ne fut pas consulté. Il apprit
+par des rumeurs sans authenticité qu'il était fortement question de
+lui pour cette nouvelle couronne. Les membres de la députation
+vinrent enfin le trouver (le 5 juin, après la déclaration faite par
+l'empereur au Sénat), ils l'informèrent de tout, en l'assurant que
+la nation serait heureuse de le voir à sa tête. Louis, fort peu
+désireux de s'expatrier, dépourvu d'ambition, refusa, donnant pour
+prétexte les droits de l'ancien Stathouder. La députation revint
+bientôt à la charge, en lui annonçant la mort du Stathouder. «Le
+prince héréditaire, lui dit-elle, a reçu Fulde en indemnité; vous
+n'avez donc plus d'objection raisonnable; nous venons, appuyés du
+suffrage des neuf dixièmes de la nation, vous prier de lier votre
+sort au nôtre, et de nous empêcher de tomber en d'autres mains.»
+Napoléon fut plus explicite, il fit entendre à son frère qu'il avait
+accepté pour lui et que s'il ne l'avait pas consulté, c'est qu'un
+sujet ne pouvait refuser d'obéir. Le prince réfléchit alors que s'il
+persévérait dans son refus, il lui arriverait sans doute ce qui
+était arrivé à Joseph qui, après avoir rejeté l'offre de l'Italie,
+se trouvait à Naples. Il résolut toutefois de faire une nouvelle
+tentative et il écrivit à Napoléon que s'il était nécessaire que ses
+frères s'éloignassent de la France, il lui demandait le gouvernement
+de Gênes ou du Piémont. Napoléon refusa. Quelques jours après, le
+prince de Talleyrand, ministre des relations extérieures, vint lire,
+à Saint-Cloud, à Louis et à Hortense, le traité avec la Hollande et
+la constitution de ce pays. Le prince eut beau dire qu'il ne pouvait
+juger sur une simple lecture un projet de cette importance,
+qu'étranger aux discussions et au travail qui avaient eu lieu, il
+ignorait si on ne lui faisait pas promettre plus qu'il ne lui serait
+possible de tenir, il fallut accepter. Louis avait été nommé
+grand-connétable de France, l'empereur décida que cette dignité lui
+serait conservée. Louis voulut tirer prétexte de sa santé, du climat
+de la Hollande, Napoléon répondit qu'il valait mieux mourir sur un
+trône que vivre prince français. Il n'y avait plus qu'à obéir, c'est
+ce qu'il fit en assurant qu'il se dévouerait à son nouveau pays avec
+zèle et qu'il chercherait à justifier, dans l'esprit de la nation,
+la bonne opinion que l'empereur avait sans doute donnée de lui. Le 5
+juin avait été fixé pour la proclamation du nouveau roi. Après un
+discours de l'amiral Verhuell et une réplique de Napoléon, ce
+dernier, s'adressant à son frère, lui dit: «Vous, prince, régnez sur
+ces peuples.... Qu'ils vous doivent des rois qui protègent ses
+libertés, ses lois, sa religion; mais ne cessez jamais d'être
+Français. La dignité de connétable de l'empire sera conservée par
+vous et vos descendants; elle vous retracera les devoirs que vous
+avez à remplir envers moi, et l'importance que j'attache à la garde
+des places fortes qui garnissent le nord de mes états et que je vous
+confie.» Louis répliqua, et dans son discours on put remarquer cette
+phrase: «Je faisais consister mon bonheur à admirer de plus près
+toutes les qualités qui vous rendent si cher à ceux qui, comme moi,
+ont été si souvent témoins de la puissance et du génie de Votre
+Majesté. Elle permettra donc que j'éprouve des regrets en
+m'éloignant d'elle, mais ma vie et ma volonté lui appartiennent.
+J'irai régner en Hollande, puisque ces peuples le désirent et que
+Votre Majesté l'ordonne.» Dans son message au sénat, à propos du
+royaume de Hollande, Napoléon termine en disant: «Le prince Louis,
+n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve
+de l'amour qu'il a pour nous, et de son estime pour les peuples de
+la Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes
+obligations.»
+
+On voit par ce qui précède que le nouveau souverain avait fait pour
+refuser la couronne tout ce qu'il était humainement possible; que
+loin de désirer la haute position qui lui était offerte, il la
+redoutait; qu'en un mot, il sacrifiait à la politique de son frère
+sa liberté, son indépendance, ce qui lui restait de bonheur sur la
+terre. Toutefois, dès qu'il eut accepté, son intention bien arrêtée
+fut de se consacrer entièrement à sa nouvelle patrie, et de régner
+_pour la Hollande seule_; de là vinrent les tiraillements, puis
+bientôt après les discussions et enfin les rapports quasi-hostiles
+qui ne tardèrent pas à s'établir entre les deux frères, entre les
+deux souverains, et qui aboutirent finalement à l'abdication de
+Louis et à la réunion de la Hollande à la France.
+
+En plaçant sur la tête de Louis la couronne de Hollande, Napoléon
+entendait faire de lui un _roi-préfet_; en acceptant cette couronne,
+Louis voulait être un _roi-souverain_. La politique de l'empereur
+jeta toujours du froid entre lui et ceux des membres de sa famille
+qu'il mit sur les trônes. Cela ne pouvait être autrement. Selon
+qu'on se place à un point de vue différent, on voit les mêmes choses
+sous un aspect qui n'est pas le même. Napoléon partait de ce
+principe, que tout souverain par sa grâce à lui, l'empereur des
+Français, devenait par le fait même, non seulement son obligé comme
+homme, comme roi, mais encore qu'il devait contraindre les peuples
+dont il lui donnait le gouvernement à tout sacrifier à la politique
+française, même les intérêts les plus chers. C'était partir d'un
+principe injuste et inapplicable dans la pratique. En supposant
+qu'un roi sur le trône consente à n'être qu'un préfet couronné, ses
+peuples n'ayant pas les mêmes motifs pour suivre le sillon tracé par
+un état voisin, pourront vouloir s'en écarter. De là doit résulter
+forcément des levains de discorde, soit entre le souverain
+protecteur et le souverain protégé, soit entre le souverain protégé
+et les sujets. Voilà pourquoi, à partir du jour où il se mit à
+fabriquer des rois de famille, Napoléon fut toujours en discussion
+avec les siens. Un seul des princes qu'il éleva près de lui suivit
+aveuglément sa politique, le prince Eugène; pourquoi? La raison en
+est bien simple, c'est qu'Eugène n'était que _vice-roi_ et non roi
+d'Italie. Le jour où il eût gouverné en son nom, Eugène, malgré son
+affection profonde, son respect sans bornes pour son père adoptif,
+n'eût probablement pas consenti à tout ce que voulait l'empereur.
+Eugène, en restant vice-roi d'un état dont la couronne était sur la
+tête de Napoléon, remplissait son devoir, sans éprouver aucune
+répugnance à agir comme il le faisait. Murat à Naples, Joseph en
+Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, n'étaient pas dans
+la même position. _Rois-préfets_, ils perdaient leur prestige aux
+yeux de leurs sujets; _rois-souverains_, prenant les intérêts de
+leurs peuples, ils contrariaient souvent les vues de celui qui les
+avait mis sur le trône, ils excitaient son ressentiment, se
+faisaient accuser par lui d'ingratitude; puis, comme malgré son
+affection pour les siens Napoléon n'était pas homme à abandonner,
+pour quelque considération que ce pût être, ses gigantesques
+projets, il cherchait bientôt à briser ceux qu'il avait élevés. De
+là ces lettres acerbes entre lui et ses frères, ces reproches
+continuels, ces refus de sa part d'accéder à leurs demandes,
+quelquefois fort justes, et de remplir même les engagements qu'il
+avait contractés à leur égard. Joseph, en Espagne, avait beau être
+roi par la grâce de son frère, pouvait-il abandonner les intérêts de
+l'État dont on lui confiait les rênes, jusqu'à accueillir, comme le
+voulait l'empereur, la ruine financière d'abord, le démembrement de
+ses États ensuite? Louis, roi malgré lui de la Hollande, pouvait-il
+voir sans chagrin le dépérissement du pays dont il avait juré de
+maintenir les droits, parce qu'il entrait dans le système de la
+France de sacrifier tous les intérêts commerciaux pour réduire
+l'Angleterre?
+
+Avec son accession au trône de Hollande, se termine la première
+partie de l'existence de Louis Bonaparte, période heureuse si on la
+compare à celles qui la suivirent.
+
+
+II.
+
+Juin 1806-1808.
+
+Le roi et la reine quittèrent Paris dans les premiers jours de juin
+1806, et arrivèrent dans leurs États le 18. Ils descendirent d'abord
+à la maison royale, dite _du Bois_, à une lieue de La Haye, où ils
+reçurent les députations et les accueillirent avec la plus extrême
+affabilité. Le 23 juin eut lieu l'entrée solennelle des deux
+souverains à La Haye. Le roi crut devoir ne s'environner que de
+troupes nationales; il congédia, après l'avoir très bien traité, un
+corps français mis à sa disposition par l'empereur. Ce dernier en
+fut choqué, mais les Hollandais surent beaucoup de gré à Louis de sa
+conduite à cette occasion. Bientôt, malgré tout ce que purent faire
+le roi et la reine, une certaine jalousie se fit sentir à leur
+nouvelle cour entre les Français et les Hollandais admis auprès
+d'eux. La nation, de son côté, tout en reconnaissant la supériorité
+de l'administration française que l'on commençait à introduire en
+Hollande, se prit à regretter ses vieilles pratiques. Il y eut des
+bals, des concerts, des fêtes que la reine Hortense, femme des plus
+aimables et des plus gracieuses, embellissait par la bienveillance
+avec laquelle elle recevait indistinctement tout le monde. Le roi,
+qui ne pouvait pas se dissimuler la division existant déjà entre les
+Hollandais et les Français, semblait accueillir les premiers plus
+volontiers que les seconds; les seconds au contraire paraissaient
+plus agréables à la reine. En montant sur le trône, Louis prit très
+au sérieux ses nouveaux devoirs envers la Hollande, mais il ne tarda
+pas à comprendre combien il lui serait difficile de concilier les
+intérêts de la nation avec ce que l'empereur attendait de lui. Ce
+fut sans doute parce qu'il était résolu à tout sacrifier à sa
+nouvelle patrie qu'il avait désiré renoncer au titre de connétable.
+Napoléon, qui le devina, l'avait contraint, comme on l'a vu, à
+conserver cette haute dignité militaire. Pour juger les actes du roi
+Louis, il ne faut pas oublier cette position mixte et fausse dans
+laquelle il se trouva pendant tout le temps de son règne. On a vu
+Louis refusant la couronne, on l'a vu l'acceptant malgré lui, on va
+le voir maintenant désireux d'user d'un pouvoir indépendant,
+résister à Napoléon et essayer un instant de lutter. Il voulait
+franchement le bien de ses sujets, cette pensée l'occupait
+constamment, mais ce qu'il voulait faire pour atteindre ce but
+n'entrait nullement dans les desseins de l'empereur et presque
+toutes les mesures du roi étaient précisément une sorte
+d'opposition, de protestation contre le système continental, par
+lequel Napoléon voulait contraindre l'Angleterre de céder à ses
+volontés.
+
+Louis s'entoura d'hommes de mérite et qu'il prit exclusivement parmi
+les Hollandais. Il commença par faire subir quelques changements à
+divers points secondaires de la constitution qu'il avait adoptée,
+puis il se mit à étudier la situation des affaires. Cette étude lui
+révéla le déplorable état du trésor et de l'administration des
+digues, l'incohérence des lois judiciaires, la faiblesse de l'armée.
+Seule, la marine était dans d'assez bonnes conditions. Elle avait
+deux flottilles, l'une pour la garde des côtes et des ports, l'autre
+en station à Boulogne-sur-Mer. Le Helder, Amsterdam, Rotterdam
+possédaient de beaux vaisseaux et de bons officiers pour les
+commander. L'exercice des cultes était libre, mais l'État salariait
+les ministres de la religion dominante (la religion réformée) et
+laissait l'église catholique dans le plus profond dénuement. Ceux
+qui la professaient n'étaient admis dans aucun emploi public; les
+juifs étaient rebutés, méprisés. Le commerce languissait, les
+manufactures ne marchaient pas. Les universités étaient dans un état
+assez satisfaisant. Tel était l'état moral et matériel de la
+Hollande à cette époque. Le nouveau souverain ne perdit pas un
+instant pour porter remède au mal, autant que cela était en son
+pouvoir. Afin d'alléger les finances, il sollicita de l'empereur le
+renvoi des troupes françaises et la diminution des armements
+maritimes, écrivant qu'il abdiquerait si la France ne s'acquittait
+pas vis-à-vis de la Hollande, et si les troupes de Napoléon
+restaient plus longtemps à la solde de son royaume. L'empereur
+mécontent accéda néanmoins aux voeux de son frère, moins peut-être
+pour lui être agréable que pour augmenter ses forces en Allemagne.
+On touchait à la guerre avec la Prusse. Louis sentit la nécessité
+d'organiser son armée pour pouvoir, à toute éventualité, se suffire
+à lui-même. Bientôt la guerre étant déclarée à la cour de Berlin, il
+forma deux corps de 15,000 hommes, le premier dont il se réserva le
+commandement et qu'il dirigea sur Wesel (fin de septembre 1806), le
+second aux ordres du général Michaud et qui fut placé au camp de
+Zeist. Il reçut alors de l'empereur, par M. de Turenne, des dépêches
+dans lesquelles son frère mettait à découvert ses vastes conceptions
+pour la campagne contre la Prusse. Napoléon lui disait entre autres
+choses:
+
+
+ «Vous ferez une diversion utile à Wesel, où je vous prie de réunir
+ votre armée grossie de troupes françaises. Cette armée portera le
+ nom d'armée du Nord. Vous ferez en sorte qu'on la croie beaucoup
+ plus forte qu'elle ne l'est. Si les Prussiens se jettent vers la
+ Hollande et prennent le change, ils sont perdus; s'ils ne le font
+ pas, ils le sont encore. Tandis qu'ils croient que j'établis ma
+ ligne d'opération parallèlement à eux et au Rhin, j'ai déjà calculé
+ que peu d'heures après la déclaration, ils ne peuvent m'empêcher de
+ déborder leur gauche et de porter sur elle plus de forces qu'ils ne
+ pourront en opposer, et qu'il n'est nécessaire pour sa destruction.
+ La ligne rompue, tous les efforts qu'ils feront pour secourir leur
+ gauche tourneront contre eux; séparés, coupés dans leur marche, ils
+ tomberont successivement dans mes lignes. Les résultats sont
+ incalculables. Peut-être serai-je à Berlin avant six semaines. Mon
+ armée est plus forte que celle des Prussiens, et quand même ils me
+ battraient d'abord, aussitôt après ils me trouveront sur leur centre
+ avec 100,000 hommes de troupes fraîches poursuivant mon plan, etc.,
+ etc.»
+
+
+Tout en admirant l'habile stratégie du grand capitaine, Louis reçut
+avec désespoir l'ordre d'amalgamer l'armée hollandaise avec l'armée
+française. Chaque régiment dut être embrigadé avec un régiment
+français, sous les ordres d'un général français; l'artillerie
+hollandaise, quoique agissant en dehors de l'artillerie française,
+reçut un commandant français; enfin Mortier, à la tête du 8e corps
+stationné à Mayence, fut chargé d'une expédition contre l'électeur
+de Cassel, avec lequel Louis vivait en très bonne intelligence, et
+le maréchal eut, pour le soutenir, des troupes de Hollande à portée
+de ses principales forces. Quoi qu'il en soit, le roi fit encore ce
+que désirait Napoléon; il opéra l'amalgame, laissa au camp de Zeist
+le général Dumonceau, nommé commandant des troupes stationnées dans
+le pays, et lui-même, avec le général Michaud, rejoignit l'armée
+française à la tête du corps directement sous ses ordres. Ce corps
+hollandais prit position à Wesel. Le 15 octobre, le roi se porta en
+Westphalie avec 20,000 hommes, 3,000 chevaux et 40 pièces attelées.
+Son armée avait pris le nom d'armée du Nord. Elle occupa Munster,
+Osnabruck, Paderborn, tandis que la division Daendels envahissait
+l'Ost-Frise. Au moment où les Hollandais allaient attaquer Hammeln
+et Nienbourg, le maréchal Mortier leur demanda de le soutenir. Le
+roi marcha en personne sur la Hesse, ajournant ses opérations contre
+les deux places fortes citées plus haut. Le 1er novembre, il était
+près de Cassel, lorsqu'il fut joint par un écuyer de l'électeur que
+le roi Louis aimait et dont il envahissait à regret le territoire.
+Le roi fit donner à l'électeur le conseil de rester neutre, mais
+Mortier était déjà à Cassel et l'électeur n'eut d'autre parti à
+adopter que la fuite. Louis vit le maréchal et fut stupéfait
+d'apprendre de sa bouche qu'il avait ordre de mettre sous son
+commandement tous les corps hollandais. Choqué, il revint
+immédiatement avec ses troupes en Hollande, envoyant un aide de camp
+à Berlin, à son frère, pour se plaindre et lui dire que tout allant
+bien, et les Hollandais n'étant plus nécessaires, il les ramenait
+dans leur pays. À la suite de plusieurs longues conversations qu'il
+eut avec le général Dupont-Chaumont, ministre de France auprès du
+gouvernement hollandais, il comprit que l'empereur ne considérait
+pas les affaires de ce pays comme terminées, et que pour lui il
+devait se considérer à l'armée comme un prince français.
+
+À dater de ce moment, le système de l'empereur relativement à la
+Hollande commença à ne plus être un mystère pour Louis. Du moins le
+roi crut entrevoir que l'intention de son frère était d'amener, à
+force de rigueurs, ce malheureux pays à regarder comme un bienfait
+sa réunion à la France. Dès qu'il crut reconnaître chez Napoléon ce
+projet funeste à son royaume, il prit la résolution de ne plus agir
+qu'en souverain et dans toute la plénitude des devoirs que lui
+imposait ce titre.
+
+«Ne pouvant ni _ne voulant_, disait-il, tenir tête à la France, à
+force ouverte, il faut au moins que le public connaisse la vérité,
+qu'il soit convaincu que si j'ai pu être trompé, rien ne pourra me
+détacher d'un pays devenu le mien, auquel me lient les devoirs et
+les serments les plus sacrés.»
+
+On conçoit que de pareilles paroles rapportées à Napoléon ne
+pouvaient adoucir le tout-puissant empereur à l'égard de son frère
+et de la Hollande. Se croyant, à tort ou à raison, éclairé sur les
+projets ultérieurs de son frère, se montant peut-être aussi la tête,
+et attribuant à l'empereur des desseins non encore bien arrêtés dans
+la pensée de Napoléon, desseins sur lesquels il est possible qu'une
+sorte de soumission l'eût fait revenir, Louis, de retour à La Haye,
+ne voulant pas envoyer ses troupes en Prusse et voulant les occuper
+près de ses États, fit bloquer les places de Hammeln et de Nienbourg
+sans les faire attaquer. Le général Daendels occupa Rinteln sur le
+Weser, entre Hammeln et Nienbourg. Le roi apprit alors que Blücher
+avait été battu à Lubeck. Ne pouvant se faire à l'idée d'être
+considéré à la grande armée comme un simple officier général, il
+renvoya à Mortier toutes les troupes françaises qui se trouvaient
+amalgamées avec les troupes hollandaises, puis il fit venir le
+général Dumonceau, auquel il confia le commandement général, le
+chargea du blocus et écrivit à son frère qu'il était obligé de
+retourner lui-même en Hollande et ne pouvait se rendre ni en
+Hanovre, ni à Hambourg comme l'empereur le voulait. Peu de jours
+après, les places de Hammeln et Nienbourg se rendirent. Les
+Hollandais furent heureux de revoir leur souverain. D'abord ils
+aimaient déjà réellement ce prince, ensuite ce que redoutait avant
+tout la population de ce pays, c'était un gouvernement militaire et
+un roi aimant à faire la guerre.
+
+La Hollande respirait à peine, qu'un nouveau malheur vint la
+frapper, on apprit le fameux décret de Berlin et les mesures prises
+par Napoléon pour le blocus continental. C'était non seulement la
+mort d'un pays qui ne vivait que par le commerce, mais ce devait
+être encore une cause de perpétuelle dissension entre ce royaume et
+l'empire français. Louis en fut atterré. Il comprit que ce système
+poussé à l'extrême ruinerait peut-être par la suite l'Angleterre,
+mais qu'à coup sûr il ruinerait auparavant la Hollande et les États
+commerçants. Il chercha à éluder les dispositions les plus rigides
+du décret. Malgré ses efforts et sa prudence, il ne put réussir à
+donner le change à l'empereur. Ce dernier était trop bien instruit
+par ses agents de ce qui se passait chez ses voisins pour ignorer la
+vérité. Furieux, il éleva la voix plus despotiquement. Le roi dut se
+résigner à faire paraître le 15 décembre 1806 un décret réglant dans
+ses États le blocus continental. L'empereur néanmoins ne se montra
+pas satisfait. Il avait une méfiance telle à l'égard de la Hollande
+qu'il fut sur le point d'ordonner des visites domiciliaires dans ce
+pays. Ses agents lui persuadaient que des relations commerciales
+existaient toujours entre l'Angleterre et la Hollande, et de fait
+ces rapports, peut-être exagérés, étaient cependant basés sur un
+fonds de vérité.
+
+Malgré tous les ennuis qui accablaient son âme, Louis ne perdait pas
+de vue les institutions pouvant être utiles à son nouveau pays. Il
+fit rédiger un code civil et un code criminel, il compléta le
+système des contributions, système établissant une égalité parfaite
+entre tous les habitants. Il fit paraître de sages réformes sur les
+corporations et sur les maîtrises. Il voulut ensuite instituer comme
+en France de grands officiers du royaume, des maréchaux, des
+colonels généraux, et enfin il proposa au corps législatif une loi
+portant création de deux ordres de chevalerie, l'ordre de l'_Union_
+et celui du _Mérite_. L'institution des grands officiers déplut à
+l'empereur.
+
+Au mois de janvier 1807 une triste circonstance permit à Louis de
+montrer ses sentiments d'humanité. Leyde éprouva un épouvantable
+désastre. Un bateau chargé de poudre fit explosion au milieu de la
+ville. Il s'y rendit aussitôt, prodigua les secours, les
+consolations, dispensa les habitants de toute contribution pendant
+dix ans, fit la remise aux débiteurs des arrérages des impôts non
+acquittés. En un mot, sa conduite lui gagna tous les cours, à tel
+point que la Société philanthropique de Paris lui adressa
+l'expression de sa vive admiration pour sa bienfaisance, et le pria
+de permettre que la Société offrit à la ville de Leyde les secours
+dont elle pouvait disposer[58]. La France avait exigé beaucoup de
+sacrifices de la Hollande, de telle sorte que bien malgré lui le roi
+fut obligé d'avoir recours à de nouveaux impôts. L'esprit national
+fut froissé, car pour établir les impôts, il fallait nécessairement
+contrarier d'anciens usages, et la nation hollandaise est une de
+celles qui tient le plus aux coutumes, aux moeurs, aux habitudes qui
+lui ont été transmises par ses pères. Louis fut très peiné d'être
+forcé d'agir ainsi, mais les circonstances étaient trop impérieuses
+pour qu'il lui fût permis de tergiverser. Il fit ensuite établir un
+nouveau cadastre et créa une direction des beaux-arts, à la tête de
+laquelle fut placé le savant Halmon. Les mesures vexatoires et
+blessantes pour l'amour-propre du roi, prises à son égard par
+Napoléon pendant la campagne de Prusse; les effets désastreux pour
+la Hollande du blocus continental, les lettres acerbes de l'empereur
+aigrirent à tel point les relations entre les deux souverains, que
+Louis en vint à être convaincu que même avant de mettre la couronne
+de Hollande sur sa tête, son frère avait eu le projet de démembrer
+ce pays et de le réunir à la France. Louis le répète à chaque page
+dans l'ouvrage qu'il publia plus tard sur la Hollande, ouvrage qui
+choqua Napoléon à Sainte-Hélène. Il est permis de douter que cette
+pensée ait réellement existé dès 1806 dans l'esprit de Napoléon,
+mais ce qu'il y a de positif, c'est que le roi Louis le crut et ne
+mit plus de bornes à sa résistance aux volontés du gouvernement
+impérial. Avec un homme aussi absolu que l'empereur, c'était une
+lutte dangereuse. La Hollande envoya néanmoins une députation au
+château de Finkenstein. Napoléon l'accueillit assez bien, mais se
+plaignit de son frère, et le prince de Talleyrand, en recevant les
+députés à Berlin, leur dit: «Votre roi veut donc favoriser
+absolument les Anglais?»
+
+ [Note 58: Dans un voyage qu'il fit l'année suivante, Louis
+ ayant dit à la population de la petite ville d'Edam, réunie
+ autour de lui, qu'il espérait que les Hollandais oublieraient
+ un jour qu'il n'était pas né en Hollande, un vieillard lui
+ répondit: «Nous l'avons bien oublié depuis Leyde.»]
+
+Tant que Louis fut à l'armée, la reine Hortense resta auprès de
+l'impératrice, sa mère, à Mayence; elle revint au commencement de
+1807 avec ses deux enfants auprès de son mari. On fut heureux de la
+revoir, car son affabilité lui avait gagné tous les coeurs. Elle ne
+tarda pas à éprouver un malheur qui lui causa ainsi qu'au roi le
+plus violent chagrin. Après un voyage fait par ce dernier dans ses
+États, ils perdirent leur fils, le prince royal, qui leur fut enlevé
+en quelques jours par le croup, le 5 de mai. La douleur de Louis et
+d'Hortense fut affreuse et tellement profonde que l'empereur les en
+blâma. La reine, ne pouvant supporter la vue de ce qui lui rappelait
+son enfant, partit pour les Pyrénées. Le roi se hâla de pourvoir aux
+affaires les plus importantes, telles que le complètement de
+l'armée, la préparation des projets de lois à présenter à la session
+législative, et surtout les besoins du trésor; puis il rejoignit sa
+femme. Louis, en fuyant les lieux qui lui retraçaient l'image
+toujours présente à ses yeux de son fils, avait en outre deux motifs
+pour s'éloigner momentanément de la Hollande: rétablir sa santé que
+le climat empirait visiblement; se soustraire au spectacle de la
+détresse causée dans le pays par le blocus continental. Ne pouvant
+empêcher les souffrances de son peuple, il voulait n'en pas être le
+témoin. Le 30 mai 1807, il se rendit dans les Pyrénées en passant
+par Paris. Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et le
+besoin qu'il pouvait avoir de prendre les eaux, s'étonnèrent de le
+voir s'éloigner de ses États dans un moment aussi critique. En
+effet, ce fut précisément pendant son absence que fut signé le
+traité de Tilsitt, après la victoire de Friedland, et à la suite
+d'une campagne dans laquelle les troupes hollandaises s'étaient fort
+distinguées.
+
+Après Tilsitt, Napoléon revint en France, Louis en fut informé aux
+eaux, il se hâta de quitter les Pyrénées. À son passage à Paris, il
+vit l'empereur qui lui dit en riant qu'il ne devait pas être étonné
+si on lui rendait compte de l'entrée sur le territoire de Hollande
+de douaniers et de gendarmes français chargés de punir les
+contrebandiers. «Au reste, ajouta-t-il, cela sera fait à cette
+heure.»
+
+Le roi n'en entendit pas davantage, et prenant vivement à coeur ce
+dont il venait d'être instruit, il partit pour ses États et voyagea
+sans s'arrêter jusqu'à Anvers. Là il eut des détails sur ce qui
+avait été fait. Des gendarmes déguisés s'étaient introduits dans les
+places de Berg-op-Zoom, de Breda, de Bois-le-Duc, et y avaient fait
+des arrestations. L'indignation de Louis fut à son comble, il
+destitua le général Paravicini de Capeln, gouverneur de
+Berg-op-Zoom, le président de Breda, et sollicita, mais en vain,
+l'élargissement des prisonniers conduits en France.
+
+Le 23 septembre 1807, il revint à La Haye[59]. La reine ne l'y
+accompagna pas. Soit qu'il ne pût lui-même habiter une ville où il
+avait perdu son fils, soit pour un tout autre motif, cette ancienne
+résidence des stathouders lui déplut, il transporta le siège du
+gouvernement à Utrecht. Il s'y rendit au mois d'octobre et s'y
+installa fort mal, lui et sa cour, malgré tous les travaux qu'il fit
+faire. Louis semblait poursuivi par le malheur, il portait partout
+un visage triste que ne pouvaient parvenir à égayer ni les acteurs
+français venus de Paris, ni les bals et les réunions qui se
+succédaient autour de lui.
+
+ [Note 59: On a souvent dit que le prince Louis-Napoléon,
+ devenu l'empereur Napoléon III, n'était pas le fils du roi
+ Louis, mais de l'amiral Verhuell ou de tout autre. Voici des
+ faits positifs et des dates précises qui prouvent la fausseté
+ de ces assertions:
+
+ Le 4 mai, le roi de Hollande perdit son fils, le prince
+ royal. Hortense, au désespoir, quitta le royaume et se rendit
+ dans les Pyrénées, à Bagnères-de-Luchon, où son mari, aussi
+ désolé qu'elle, la rejoignit le 30 du même mois. Le roi et la
+ reine vécurent deux mois ensemble à Luchon. Le 20 avril 1808,
+ c'est-à-dire neuf mois après le séjour des deux souverains
+ dans les Pyrénées, naquit le prince Louis-Napoléon.]
+
+D'ailleurs, l'absence de la reine frappait toutes les fêtes d'une
+sorte de langueur. On se souvenait combien à La Haye sa spirituelle
+vivacité savait animer les cercles où elle brillait par le charme de
+sa jeunesse et de sa bonté. Le 11 novembre Louis obtint, après
+beaucoup d'instances, un traité entre la France et la Hollande; mais
+ce traité, signé à Fontainebleau et en vertu duquel la Hollande
+cédait Flessingue, parut tellement onéreux au roi, qu'il eut de la
+peine à se décider à le ratifier. Il ne le fit que dans l'espérance
+de conjurer de plus grands malheurs et d'éviter de plus grands
+sacrifices. L'année 1807 s'acheva péniblement et tristement pour ce
+malheureux prince, qui cherchait en vain dans les beaux-arts une
+distraction à ses chagrins. Des modifications eurent lieu dans son
+ministère. L'amiral Verhuell, qui portait le titre de maréchal,
+quitta le portefeuille de la marine pour l'ambassade de
+Saint-Pétersbourg. Le roi le trouvait trop dévoué aux intérêts de la
+France et pas assez à ceux de la Hollande. Le ministre de la guerre
+Hogendorp fut envoyé à Vienne, et M. Van-Maanen, procureur du roi à
+La Haye, prit le ministère de la police. L'amiral Verhuell n'alla
+pas en Russie, l'empereur le réclama comme ambassadeur en France. Le
+gouvernement français envoya comme ambassadeur en Hollande M. de la
+Rochefoucauld qui, au dire du roi Louis, avait la mission de
+préparer la réunion de la Hollande à l'empire.
+
+La paix de Tilsitt fut loin d'apporter quelques adoucissements aux
+rigueurs du blocus continental. Le système gigantesque de Napoléon
+pour abattre l'Angleterre et l'amener à merci prit un développement
+plus considérable encore. Jusqu'alors la France et les États qui
+dépendaient en quelque sorte de cette puissance étaient seuls
+contraints à observer les mesures rigoureuses du blocus. Après
+Tilsitt, l'Europe entière dut s'y soumettre. La Prusse y fut
+contrainte et remplit ses engagements avec la plus grande énergie.
+Le Danemark l'adopta avec joie, espérant venger le bombardement de
+Copenhague. La Hollande exécuta aussi par force les mesures
+ordonnées, mais de mauvaise grâce, parce que cela ruinait son
+commerce et que son commerce c'était son existence. L'empereur ne
+pouvait pardonner au roi et au pays leur répulsion pour son vaste
+plan rendu plus rigoureux encore par le décret daté de Milan le 17
+décembre. La conduite récente des Anglais envers le Danemark, les
+instances de la France avaient aussi déterminé la Russie à se
+déclarer, en sorte que le tableau de l'Europe à cette époque était
+des plus singuliers. Les puissances continentales d'un côté,
+l'Angleterre de l'autre, s'acharnaient à porter la ruine et la
+désolation dans le monde entier.
+
+Au commencement de 1808, l'empereur Napoléon en était venu au point de
+déclarer coupable de _haute trahison_ tout fonctionnaire qui
+favoriserait les contraventions au décret du blocus. Les 18 et 23
+janvier, Louis, cédant aux injonctions de son frère, prit encore de
+nouvelles dispositions plus rigides. Peu de temps après l'arrivée en
+Hollande de M. de Larochefoucauld, qui vint remplacer Dupont-Chaumont,
+le bruit se répandit de la cession du Brabant et de la Zélande en
+échange des villes anséatiques. Offensé de cette nouvelle, que la
+diplomatie française semblait prendre plaisir à accréditer dans l'ombre,
+le roi s'en expliqua nettement avec Napoléon, qui répondit d'une manière
+ironique et évasive, terminant sa courte lettre par cette phrase:
+«Encore une fois, puisque cet arrangement ne vous convient pas, c'est
+une affaire finie. Il était inutile même de m'en parler, puisque le
+sieur de la Rochefoucauld n'a eu l'ordre que de sonder le terrain.»
+
+Louis fût peut-être parvenu à assurer la prospérité de son royaume
+s'il n'eût été contrecarré dans ses projets par les vastes desseins
+de son frère, ou s'il eût voulu suivre aveuglément la politique du
+grand homme, car les mesures qu'il avait prises l'année précédente,
+surtout les mesures financières, avaient eu un succès inespéré.
+Utrecht ne devait pas être longtemps la résidence du roi. Ce prince,
+soit qu'il se fût vite dégoûté de ce séjour, soit qu'il pensât
+qu'Amsterdam, grand centre de population, remplît mieux les
+conditions d'une capitale, y transporta le siège du gouvernement. À
+cette même époque, les affaires d'Espagne avaient pris un nouvel
+aspect. Napoléon songeait à placer un membre de sa famille sur le
+trône de ce pays. Soit qu'il fût ennuyé de la lutte du roi de
+Hollande avec lui, soit qu'il eût l'espoir que Louis suivrait mieux
+la politique française à Madrid, soit qu'il fût bien aise d'avoir un
+prétexte pour annexer la Hollande à ses États, peut-être aussi dans
+le but d'arracher son frère à un climat contraire à sa santé,
+l'empereur lui proposa la couronne d'Espagne. Le 27 mars 1808 il lui
+écrivit:
+
+
+ «Mon frère, le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix
+ a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à
+ Madrid. Dans cette circonstance, mes troupes étaient éloignées de 40
+ lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec
+ 40,000 hommes. Jusqu'à cette heure le peuple m'appelle à grands
+ cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre qu'en
+ donnant un grand mouvement au continent, j'ai résolu de mettre un
+ prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande ne
+ vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de ses
+ ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou non, il
+ n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette situation
+ des choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous serez
+ souverain d'une nation généreuse, de 11 millions d'hommes et de
+ colonies importantes. Avec de l'économie et de l'activité, l'Espagne
+ peut avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux dans ses
+ ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre opinion sur ce
+ projet. Vous sentez que ceci n'est encore qu'un projet, et que,
+ quoique j'aie 100,000 hommes en Espagne, il est possible, par les
+ circonstances qui peuvent survenir, ou que je marche directement et
+ que tout soit fait dans quinze jours, ou que je marche plus
+ lentement et que cela soit le secret de plusieurs mois d'opérations.
+ Répondez-moi catégoriquement: Si je vous nomme roi d'Espagne,
+ l'agréez-vous? puis-je compter sur vous? Comme il serait possible
+ que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et qu'alors il
+ faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances que l'on ne
+ peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots: J'ai reçu votre
+ lettre de tel jour, je réponds oui, et alors je compterai que vous
+ ferez ce que je voudrai; ou bien non, ce qui voudra dire que vous
+ n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre
+ où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous voulez, et
+ vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme à Paris. Si j'y
+ suis, elle me la remettra, sinon elle vous la renverra.
+
+ «Ne mettez personne dans votre confidence et ne parlez, je vous
+ prie, à qui que ce soit de l'objet de cette lettre; car il faut
+ qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc.,
+ etc.[60]»
+
+ [Note 60: Cette lettre, si importante pour l'histoire, ne se
+ trouve pas à la correspondance de l'empereur.]
+
+
+Le roi refusa, indigné de ce qu'il considérait comme une spoliation
+envers le malheureux Charles IV. «Je ne suis pas un gouverneur de
+province, disait-il à ce sujet, il n'y a d'autre promotion pour un
+roi que celle du ciel, ils sont tous égaux. De quel droit
+pourrais-je aller demander un serment de fidélité à un autre peuple,
+si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en
+montant sur le trône?»
+
+L'empereur, mécontent de ce refus, donna la couronne d'Espagne à
+Joseph; il continua à se plaindre de la Hollande, «nation _souple_
+et _fallacieuse_, dit-il dans un moment d'humeur, et chez laquelle
+se fabriquent toutes les nouvelles qui peuvent être défavorables à
+la France.» Ses agents de police secrète, et ils étaient nombreux,
+même à la cour du roi Louis, lui affirmaient que les Hollandais
+faisaient avec l'Angleterre des affaires importantes par la
+contrebande. Il en était bien quelque chose, et le contraire eût été
+difficile. En vain les principaux organes de la presse criaient à la
+calomnie, en déclarant faux tout ce qu'on rapportait à Napoléon. Ce
+dernier savait très bien à quoi s'en tenir et répétait à qui voulait
+l'entendre «que tout le pays de Hollande était entaché d'anglomanie
+et que le roi en était le premier _smogleur_.» Tous les rapports
+affectueux entre les deux frères avaient cessé, l'horizon politique
+entre les deux pays s'obscurcissait, il était impossible que la
+Hollande ne reconnût pas qu'elle courait à une crise dangereuse pour
+elle. Louis, pressé par une puissance formidable à laquelle il ne
+pouvait opposer qu'une bien faible résistance, fut obligé de se
+résigner. Une circonstance se présenta de prouver à l'empereur qu'il
+n'était pas aussi dévoué à l'Angleterre que Napoléon voulait bien le
+dire, il la saisit avec empressement.
+
+Le roi était allé à Aix-la-Chapelle pour y voir Madame mère; là il
+apprit que les Anglais occupaient l'île de Walcheren et qu'ils
+cherchaient à s'emparer de la flotte française en station sur
+l'Escaut. Il n'hésita pas un instant et expédia sur-le-champ l'ordre
+à ses généraux de se rapprocher avec leurs forces de la ville
+d'Anvers, pour protéger la flotte contre les entreprises des
+Anglais; toutes les tentatives des Anglais eussent été vaines, si le
+général Bruce, officier hollandais qui commandait le fort de Batz,
+n'eût trahi ses devoirs en secondant les vues de l'ennemi et en
+laissant sans défense ce fort où il pouvait longtemps se maintenir.
+Les troupes hollandaises, furieuses d'une trahison à laquelle elles
+n'avaient eu aucune part, reprirent le fort. Le général Bruce fut
+destitué et jeté en prison.
+
+D'Aix-la-Chapelle, en passant par Amsterdam, le roi rejoignit ses
+généraux dans les environs d'Anvers, où il forma un corps d'armée.
+Des troupes françaises se réunirent aux hollandaises, et quoiqu'il
+s'y refusât de bonne foi vis-à-vis des généraux français, le roi fut
+obligé de prendre le commandement des troupes rassemblées sur ce
+point. Il se rendit à la déférence qu'on lui marquait, mais avec la
+crainte qu'elle ne fût point approuvée par l'empereur. Il ne s'était
+point trompé, le prince de Ponte-Corvo vint bientôt prendre ce même
+commandement au nom de Napoléon. Louis quitta aussitôt Anvers,
+emmenant sa garde et laissant le commandement de ses propres troupes
+au général Dumonceau. Cette conduite de l'empereur était mortifiante
+pour le roi. Il pensa qu'on se méfiait de lui, et ses conjectures
+sur des événements qu'il pressentait depuis longtemps ne tardèrent
+pas à prendre de la consistance par la quantité de troupes
+françaises que l'on rassemblait dans le Brabant.
+
+La ville de Flessingue, bien défendue, pouvait opposer une longue
+résistance et peut-être même en faire abandonner le siège; mais
+après une défense très faible, le général Monnet, avec 4,000 hommes
+de garnison, se rendit aux Anglais. Il fut mis en jugement.
+
+Comme l'occupation de la Zélande par les Anglais n'avait pas altéré
+l'amour des Hollandais pour leur souverain, on célébra la fête du
+roi Louis à Amsterdam et dans toute la Hollande avec les
+démonstrations de la joie, jamais la cour n'avait été plus brillante
+que pendant ces trois jours de fêtes.
+
+À l'anniversaire de la fête de Sa Majesté, on joignit la fête de
+l'ordre de l'_Union_, le roi y distribua des décorations. Parmi les
+nouveaux chevaliers figuraient de braves officiers blessés à la
+reprise du fort de Batz.
+
+Cependant les Anglais, dès qu'ils eurent inondé la Zélande de leurs
+marchandises, l'évacuèrent. On les vit s'éloigner avec peine, parce
+qu'ils avaient ravivé le commerce dans cette partie de la Hollande.
+Les produits de fabrique anglaise refluaient jusque dans le palais
+du roi, où tout le monde, depuis le grand dignitaire jusqu'au plus
+simple serviteur, voulait en avoir et s'en parer: on en trouvait
+partout et partout on en désirait, en dépit du décret du roi qui les
+prohibait. Ainsi se trouvaient justifiés en partie les rapports des
+agents de l'empereur et le jugement que Napoléon portait sur les
+tendances des Hollandais.
+
+Peu de temps après la conclusion de la paix avec la Prusse et la
+Russie, une partie de l'armée hollandaise dut franchir les Pyrénées
+pour aller combattre en Espagne. Les régiments bataves déployèrent
+beaucoup de bravoure et montrèrent une discipline remarquable. Le
+roi, qui n'entrevoyait même plus pour la suite une amélioration à la
+fausse position de ses États vis-à-vis de la France, n'en continuait
+pas moins de travailler aux réformes intérieures, ainsi qu'on le
+verra par le récit des événements en 1809.
+
+
+III.
+
+1809--Mai 1810.
+
+En 1809, tandis que Napoléon battait l'Autriche sur les bords du
+Danube, que le prince Eugène faisait en Italie et en Hongrie les
+brillantes campagnes qui illustrèrent son nom, que le roi Joseph
+luttait contre les Anglo-Espagnols, souvent avec succès, le roi
+Louis s'efforçait de vaincre les répugnances d'une nation
+stationnaire et de lui procurer les bienfaits d'une administration
+analogue à celle de la France, et cependant en rapport avec les
+moeurs et les coutumes des habitants. Le 13 janvier, il proposa au
+Corps législatif un projet de loi relatif à l'introduction d'un
+système uniforme de poids et mesures, basé sur celui de l'Empire
+français; il fit adopter un nouveau code criminel qui devait avoir
+force de loi à dater de février 1810. Apprenant qu'une inondation
+terrible ravageait la Hollande, il se rendit sur les lieux pour
+s'assurer de la situation des choses, s'exposant à de véritables
+dangers pour porter des secours et juger des mesures à prendre. À
+Gorcum, à Nimègue, il paya de sa personne, étudiant avec soin le
+système d'endiguement qui fait la sauvegarde du pays; il visita, non
+seulement les villes, mais encore les plus pauvres villages de cette
+partie de la Hollande; il distribua des décorations et des
+récompenses à plusieurs ministres de la religion, qui tous étaient à
+leur poste; il fit surseoir à la perception de tous les impôts dans
+les districts inondés, forma un comité central du Watterstadt,
+comité qu'il composa des plus habiles ingénieurs pour conférer avec
+eux sur les moyens de dresser un plan général d'amélioration pour
+préserver les pays les plus exposés. Louis visita ensuite les digues
+du Leek, et ne rentra à Amsterdam qu'après avoir pris connaissance
+de tous les travaux à effectuer. Il s'occupa aussi d'un travail
+important sur les cultes[61].
+
+ [Note 61: Voici un trait qui peint la bonté et l'esprit
+ philosophique du roi Louis. Un jeune prêtre s'était permis
+ contre un de ses actes une sortie des plus violentes, des
+ plus ridicules et des plus injustes. Tout le monde demandait
+ une punition exemplaire. Le roi le fit venir, exigea qu'il
+ lui répétât les propos qu'il avait tenus, puis il le fit
+ asseoir et lui exposa les motifs de la conduite de son
+ gouvernement. Le jeune prêtre le quitta confus et persuadé.
+ «Il m'importait plus de le convaincre que de le punir», dit
+ le roi à ceux qui demandaient son châtiment.]
+
+Au commencement de mars, le roi fit un voyage dans le département de
+l'Over-Yssel. Son but était d'inspecter le pays pour un grand projet
+du Watterstadt (l'agrandissement du lit de l'Yssel), d'examiner
+l'état des finances communales et d'aplanir certaines difficultés
+entre les catholiques et les protestants, pour la possession des
+églises. Pendant cette tournée dans ses états, il reçut à
+l'improviste de l'empereur le décret qui disposait du grand-duché de
+Berg en faveur du prince royal de Hollande, Napoléon-Louis. Ce
+décret se terminait ainsi: «Nous nous réservons le gouvernement et
+l'administration du grand-duché de Berg et de Clèves, jusqu'au
+moment où le prince Napoléon-Louis aura atteint sa majorité; nous
+nous chargeons dès à présent de la garde et de l'éducation dudit
+prince mineur, conformément aux dispositions du titre 3 du 1er
+statut de notre maison impériale..» Le roi fut content de cette
+donation, parce qu'il crut y voir l'intention secrète de son frère
+d'en faire jouir la Hollande; cependant il ne put s'empêcher d'être
+blessé de n'avoir pas été prévenu et d'avoir appris la cession par
+une simple lettre d'avis; mais ce qui lui fit un chagrin profond,
+c'est de voir que sans son consentement, on séparait à jamais son
+fils de lui, privant ainsi un père de ses droits de tutelle et de
+surveillance. Il ne témoigna à l'empereur que sa gratitude, espérant
+voir luire des jours plus heureux pour lui et pour son peuple. Lors
+de son retour à Amsterdam, il réunit le Corps législatif en session
+extraordinaire, et l'on s'occupa d'un projet de loi relatif à la
+noblesse, projet de loi qui fut adopté. Il différait des lois
+françaises en ce que toute l'ancienne noblesse du pays fut reconnue,
+en ce que la nouvelle n'eut pas de majorat, et enfin en ce que le
+roi faisait ériger un certain nombre de terres en comtés ou
+baronnies, et qu'il se réservait le droit de les donner aux
+personnes qui mériteraient ces récompenses, à condition que ces
+domaines rentreraient à la couronne dans le cas où la succession
+directe viendrait à manquer. C'est cette dernière disposition que le
+roi regardait comme la seule et véritable base constitutionnelle de
+la noblesse, dans un gouvernement monarchique, mais libre. Il
+voulait même qu'à la mort d'un homme ayant bien mérité de la patrie,
+et qui avait obtenu un comté, une baronnie, ce comté, cette baronnie
+fissent retour à la couronne, ne pouvant passer en la possession du
+fils sans une nouvelle donation du roi, faite à la majorité de ce
+fils, s'il en paraissait digne. «La noblesse n'est honorable et
+réelle, disait le roi Louis, que lorsqu'elle s'unit au mérite
+personnel. Le fils du gentilhomme doit être préféré à tout autre
+pour succéder à son père, à mérite égal, jamais sans mérite et sans
+autre titre que celui de la naissance. Seule la famille régnante
+doit être exceptée, parce qu'elle n'est pas établie pour l'intérêt
+et l'avantage des membres de cette famille, mais pour l'utilité de
+la société; c'est donc, dans ce cas, une espèce de magistrature.»
+Telles étaient les idées de Louis sur la noblesse, et nous les
+trouvons bonnes et rationnelles. «La noblesse, prétendait
+plaisamment le roi, ressemble à l'empreinte des monnaies, qui est
+réelle si le métal qu'elle couvre a une valeur intrinsèque, mais qui
+est nulle et sans prix si le métal est faux.»
+
+Le 10 avril, après la session extraordinaire du Corps législatif, le
+roi partit d'Amsterdam pour visiter le Brabant et la Zélande. Dans
+un des villages où il se rendit, régnait une maladie contagieuse qui
+répandait la désolation. 140 maisons sur 180 étaient atteintes du
+fléau. Louis entra dans toutes les demeures infectées par la
+contagion, adressant des paroles d'encouragement aux malheureux
+habitants, distribuant lui-même des secours; puis il ordonna de
+faire venir à la hâte tous les médicaments nécessaires, et il quitta
+ce malheureux village en disant au curé: «Disposez sans ménagement
+de tout ce qui est en ma puissance, quelque chose qu'exige la
+maladie.» Pendant tout son long voyage, comme dans ceux qui
+l'avaient précédé, le roi fit un bien immense aux pays qu'il visita,
+et se fit adorer de tous les habitants, qui ne pensèrent jamais à
+lui attribuer les malheurs résultant pour eux du système impérial.
+Il revint à Amsterdam par Berg-op-Zoom, le 20 mai. Cependant, ainsi
+qu'on l'a vu plus haut, la France et l'Autriche étaient de nouveau
+en guerre. Tandis que la grande armée de Napoléon s'emparait de
+Vienne (mai 1809), les Hollandais poursuivaient dans le nord de
+l'Allemagne le partisan prussien Schill et le duc de Brunswick-Oels,
+qui avait formé un corps d'armée en Bohême, d'où il s'était jeté en
+Westphalie où régnait, depuis Tilsitt, Jérôme, le plus jeune des
+frères de Napoléon. Les troupes hollandaises se mirent à la
+poursuite de Schill qui, après plusieurs marches et combats, se
+réfugia dans Stralsund. La ville fut enlevée et le partisan prussien
+y trouva la mort et la fin de ses aventures singulières. Après cette
+expédition, une partie de l'armée hollandaise quitta Stralsund pour
+se joindre aux troupes du roi Jérôme et combattre le duc de
+Brunswick. Les Hollandais formèrent l'avant-garde de l'armée de
+Westphalie et montrèrent dans ces deux courtes campagnes le plus
+brillant courage. Pendant que la Hollande envoyait ses enfants
+combattre pour la cause française, des articles violents et injustes
+étaient insérés contre elle dans les journaux de France. Louis s'en
+plaignit à l'empereur, qui lui répondit, le 17 juillet, de
+Schoenbrunn:
+
+
+ Mon frère, je reçois votre lettre du 1er juillet. Vous vous plaignez
+ d'un article du journal.... c'est la France qui a sujet de se
+ plaindre du mauvais esprit qui règne chez vous. Si vous voulez que
+ je vous cite toutes les maisons hollandaises qui sont les trompettes
+ de l'Angleterre, ce sera fort aisé. Vos règlements de douane sont si
+ mal exécutés, que toute la correspondance de l'Angleterre avec le
+ continent se fait par la Hollande. Cela est si vrai que M. de
+ Staremberg, envoyé d'Autriche, a passé par ce pays pour se rendre à
+ Londres.... La Hollande est une province anglaise.
+
+
+Il y avait du vrai dans ces reproches de l'empereur, mais les
+reproches de Napoléon auraient dû s'adresser moins à son frère qu'à
+la nation hollandaise, dont les intérêts étaient trop en souffrance
+pour qu'elle ne cherchât pas à éluder les dispositions des décrets
+impériaux qui ruinaient son commerce.
+
+L'Autriche, battue à Raab en Hongrie, à Wagram près de Vienne,
+traita de la paix, qui fut conclue le 15 octobre. L'empereur revint
+à Paris, et y convoqua les souverains alliés de la France. Le but
+ostensible de cette réunion était le couronnement solennel des rois
+créés par le traité de Presbourg. Louis résolut de ne pas s'y
+rendre, craignant qu'une fois en France on ne le laissât plus
+revenir dans ses états.
+
+Tout à coup, l'amiral Werhuell arriva à Amsterdam, disant n'avoir
+d'autre mission que de parler à son souverain de la position
+particulière du pays, et cela de son propre mouvement; mais bientôt
+il chercha à décider le roi à se rendre à Paris, et laissa percer
+ainsi le véritable motif de son voyage. Les rois alors dans la
+capitale de la France étaient ceux de Saxe, de Bavière, de
+Wurtemberg, de Westphalie, de Naples et le vice-roi d'Italie. Louis
+refusa, prétextant qu'on ne l'avait pas engagé. Quelques jours
+après, il reçut une invitation formelle de l'empereur. Le moment
+était critique; il était dangereux de rien refuser à Napoléon, il
+paraissait dangereux à Louis de quitter la Hollande, car les troupes
+françaises s'avançaient de plus en plus de la Zélande sur le
+Brabant, s'établissant dans le pays. Il fallait donc, ou lever le
+masque et préparer la défense du territoire contre un ennemi qui
+faisait trembler l'Europe entière, ou essayer de prolonger une
+existence pénible, en se pliant à la nécessité. Le roi consulta ses
+ministres; un seul, celui de la guerre, fut d'avis d'opposer une
+légitime défense. L'armée semblait disposée à ce parti violent. Pour
+combattre avec quelque chance de n'être pas écrasée, la Hollande
+devait forcément s'allier avec l'Angleterre, et jouer en désespérée
+son existence politique. Le roi était fort embarrassé; ses ministres
+le pressèrent, le conjurèrent de céder, de partir pour la France. Il
+céda, leur déclarant que c'était contre son opinion.
+
+Avant de se rendre à leurs voeux, il convoqua le Corps législatif, qu'il
+laissa assemblé pendant son absence, afin que la nation fût prête à tout
+événement. Dans son message, il développa la situation du pays, et
+annonça son départ. Il se mit en route le 27 novembre, emmenant son
+ministre des affaires étrangères, son grand maréchal, un de ses aides de
+camp, deux écuyers et un chambellan. En passant à Bréda, il donna
+l'ordre _écrit_ aux gouverneurs de cette place, de Berg-op-Zoom et de
+Bois-le-Duc, de n'obéir qu'à un _ordre signé par lui-même_ et de
+n'admettre aucune troupe étrangère. On a vu que l'année précédente,
+l'empereur avait proposé la cession par la Hollande du Brabant et de la
+Zélande, contre de grands dédommagements en Allemagne, et qu'ensuite,
+sur le refus du roi Louis, Napoléon avait paru abandonner ce projet. Il
+n'en était rien, ainsi que la suite le prouva. Dès les premiers jours de
+1810, l'annexion de la Hollande était résolue, et le ministre de la
+guerre recevait l'ordre de former l'armée du nord. Plein d'une défiance
+fort bien justifiée contre le gouvernement français, le roi convint
+secrètement, avec ses ministres, que tout acte, toute pièce qui ne se
+terminerait pas par quelques mots hollandais ou par la devise de l'ordre
+de l'Union, serait regardée comme nulle. Louis arriva à Paris, le 1er
+décembre 1809. Sa première entrevue avec son frère fut orageuse. Il
+était descendu chez sa mère, au faubourg Saint-Germain. Il semblait en
+disgrâce, très peu de personnes eurent le courage de le venir voir. La
+session du Corps législatif allait être ouverte par l'empereur. Le roi
+ne fut pas engagé à y paraître avec les autres princes de la famille
+impériale. Le lendemain, il connut le passage du discours relatif à la
+Hollande. «La Hollande, avait dit Napoléon, placée entre la France et
+l'Angleterre, en est également froissée; elle est le débouché des
+principales artères de mon empire. Des changements deviendront
+nécessaires, la sûreté de mes frontières et l'intérêt bien entendu des
+deux pays l'exigent impérieusement.» Le ministre de l'intérieur fut
+plus explicite, il s'exprima ainsi devant le même Corps législatif: «La
+Hollande n'est réellement qu'une portion de la France... la nullité de
+ses douanes, les dispositions de ses agents, et l'esprit de ses
+habitants qui tend sans cesse à un commerce frauduleux avec
+l'Angleterre, tout fait un devoir de lui interdire le commerce du Rhin
+et du Weser... Il est temps que tout cela rentre dans l'ordre naturel.»
+En lisant ces passages, le roi comprit que son voyage était une faute.
+Il voulut cependant profiter de son séjour à Paris pour obtenir, de
+concert avec la reine Hortense, une séparation de corps. Le conseil de
+famille refusa. On demanda au roi son consentement à la dissolution du
+mariage de Napoléon avec Joséphine; il voulut refuser, puis il céda; il
+eut même la faiblesse de paraître à la cérémonie du mariage de Napoléon
+avec Marie-Thérèse, ainsi qu'à la fête d'adieu donnée par la ville de
+Paris. Il se trouva aussi à la cérémonie du 1er janvier 1810, mais à
+partir de ce jour, il ne parut plus en public pendant les cinq mois
+qu'il resta à Paris. Alors commença pour le malheureux roi de Hollande
+un véritable esclavage. Il fut emprisonné dans la capitale de la France.
+En vain, il chercha à s'échapper pour retourner en Hollande, en vain il
+essaya quelques courses à sa terre de Saint-Leu; il était bien et dûment
+prisonnier, gardé à vue, sous la surveillance d'une police qui faisait
+chaque jour son rapport sur lui. Avant de quitter la Hollande pour se
+rendre à Paris, Louis, agité de funestes pressentiments, craignant, une
+fois aux mains de son frère, d'être privé de son libre arbitre, ainsi
+que cela arriva en effet, avait remis au ministre de la marine, Van der
+Heim, président du conseil, l'ordre formel ci-dessous:
+
+
+ M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, je m'absente
+ pour quelques jours et juge convenable de vous laisser la présidence
+ du corps des ministres. La manière dont les affaires doivent se
+ traiter est réglée par les deux décrets de ces jours; mais il reste
+ un objet qui a besoin d'un ordre secret et confidentiel, et c'est le
+ but de cette lettre.
+
+ Je rends les ministres et vous et celui de la guerre
+ particulièrement, responsables si des troupes françaises entrent
+ dans Amsterdam, ou si ma garde et le 5e régiment d'infanterie,
+ destinés à la garde de ce poste important, n'y restent pas
+ constamment employés. Le ministre de la guerre commandera pendant
+ l'absence des généraux _Tarrayre_ et _Travers_, toutes les forces
+ militaires d'Amsterdam. Le général _Verdooren_ sera sous ses ordres;
+ ne pouvant jamais donner un ordre que d'autres troupes que des
+ troupes hollandaises occupent ma capitale et le palais, je vous
+ ordonne de n'obéir à aucune sommation que l'on pourrait vous faire
+ pour occuper _Amsterdam_ et ses lignes, Naarden y comprises, et de
+ donner au ministre de la guerre l'ordre de l'empêcher par tous les
+ moyens qui sont en son pouvoir, et de signifier à ceux qui
+ pourraient tenter d'y vouloir pénétrer par force qu'ils sont
+ responsables des conséquences, et vous leur ferez connaître que _je
+ ne le veux point_; qu'on ait la certitude des ordres _que j'ai_
+ donnés à cet égard. Si de même on veut occuper une autre partie
+ quelconque du territoire, je vous ordonne de n'y consentir que sur
+ un ordre écrit de ma main en entier, signé en hollandais finissant
+ par un ou deux mots: _doc Wel en Zic nict om_. Faites connaître aux
+ ministres que chacun est responsable pour sa partie, pour tout ce
+ qui ne pourrait pas avoir été prévu avant mon départ, et qu'on doit
+ regarder tout _acte_ de ma part comme nul, s'il n'est signé en
+ hollandais et finissant par la devise: _doc Wel en Zic nict om_.
+
+
+Cet ordre n'était pas resté longtemps un secret pour l'empereur, car
+la division française du général Maison s'étant présentée pour
+entrer à Berg-op-Zoom, l'entrée lui avait été refusée. (_Lettre du
+duc de Feltre au roi Louis_, 20 janvier 1800.)
+
+Indigné de la conduite qu'on tenait à son égard à Paris, Louis fit
+porter par un de ses écuyers, M. de Bilandt, l'ordre formel et
+réitéré de défendre le pays au moyen des inondations, et surtout
+d'empêcher l'occupation d'Amsterdam. Napoléon en fut informé, manda
+son frère et eut avec lui une altercation violente. Le roi
+maintenant les ordres qu'il avait envoyés, l'empereur changea de
+ton, et lui dit froidement: «Eh bien! choisissez: ou contremandez la
+défense d'Amsterdam, destituez Krayenhoff et Mollerus (ministres de
+la guerre et des affaires étrangères), ou voici le décret de réunion
+que je fais partir à l'instant même, et vous ne retournerez plus en
+Hollande; il m'est indifférent que l'on me taxe d'injustice et de
+cruauté, pourvu que mon système avance: vous êtes dans mes mains.» À
+ces mots, à la vue du décret, Louis sentit qu'il ne pouvait se tirer
+de ce mauvais pas qu'en gagnant du temps. Il réfléchit un instant,
+et prit la résolution de céder, puis de s'évader pendant la nuit;
+mais à peine rentré dans l'hôtel de Madame mère, il vit arriver
+jusque chez lui des gendarmes d'élite, chargés de ne pas le perdre
+de vue. Toutes les mesures pour l'empêcher de retourner en Hollande
+étaient prises. Le ministre de la guerre, alors duc de Feltre, vint
+à son tour se plaindre de ce que les commandants des places fortes
+en avaient refusé l'entrée aux troupes françaises, et sur le refus
+du roi de donner des explications, il se retira en disant: «Ainsi
+votre Majesté déclare la guerre à la France et à l'empereur.--Pas de
+mauvaise plaisanterie, a répondit Louis, un prisonnier ne déclare
+pas de guerre. Que l'empereur me laisse en liberté et alors il fera
+ce qu'il voudra.» Ce même jour, 18 janvier 1810, le ministre écrivit
+au roi une lettre par laquelle il le prévenait que l'empereur avait
+donné ordre que les pays entre l'Escaut et la Meuse fussent occupés
+militairement par le duc de Reggio, et qu'on fît passer par les
+armes quiconque y apporterait la moindre opposition. Forcé dans ses
+retranchements, le roi permit aux troupes françaises de cantonner
+provisoirement dans les places, mais il ordonna de protester contre
+toute usurpation de pouvoir ou d'autorité. Bientôt on commença à
+annoncer la réunion du Brabant et de la Zélande à la France, ensuite
+on en prit possession militairement. Le 24 janvier, Bréda et
+Berg-op-Zoom furent occupées par deux brigades françaises. Les
+autorités hollandaises protestèrent vainement; quelques jours après,
+les autres places furent également occupées et on exigea le serment
+de fidélité à l'empereur. Les Hollandais le refusèrent partout,
+bravant les menaces et les mauvais traitements. Les journaux
+français ne tarissaient pas en invectives contre la Hollande, en
+reproches adressés au roi. Ce dernier fit un message au Corps
+législatif de Hollande, pour lui exprimer son chagrin et sa
+position. Voici ce document, daté de Paris, 1e février 1810.
+
+
+ Le roi de Hollande, au Corps législatif.
+
+ Messieurs, j'ai été trompé dans mon attente de revenir avant le 1er
+ janvier; par les pièces ci-jointes du _Moniteur_ d'hier (c'est celui
+ du 31 janvier, et les pièces se trouvent dans la _Gazette royale_
+ des 5 et 6 février, nº 31-32), vous verrez que l'issue des affaires
+ est subordonnée à la conduite que tiendra le gouvernement anglais.
+
+ Le chagrin que j'ai ressenti a été bien augmenté par la fausse
+ accusation que l'on nous a faite, d'avoir trahi la cause commune,
+ c'est-à-dire de n'avoir pas fidèlement rempli nos engagements; et je
+ vous écris ceci pour diminuer l'impression qu'une accusation si
+ injuste et si criante fera naître dans vos coeurs et dans ceux de
+ tous les véritables Hollandais.
+
+ Tandis que pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis le
+ commencement de mon règne, la nation entière, et vous surtout,
+ appelés à veiller à ses intérêts, avez supporté avec peine et
+ patience l'augmentation des impositions, le redoublement de la dette
+ publique tout aussi bien que les préparatifs de guerre beaucoup trop
+ grands en proportion de la population et de la situation du royaume,
+ nous pensions peu qu'on nous accuserait d'avoir trahi nos devoirs et
+ de n'avoir pas assez fait; et cela dans un moment où la situation
+ des affaires sur mer nous opprimait plus que tous les autres pays
+ ensemble, et que pour surcroît de malheur, nous avions encore à
+ endurer un blocus du continent. C'est le sentiment intérieur de ceci
+ qui doit, Messieurs, nous animer à la docilité, jusqu'au moment où
+ la justice de S. M. l'empereur, mon frère, nous délivrera d'une
+ accusation que nous sommes si loin de mériter.
+
+ Je ne puis encore calculer combien de temps je serai empêché de voir
+ s'accomplir le premier et le plus ardent de mes souhaits: celui de
+ retourner dans ma capitale et de me trouver au milieu de vous dans
+ ces moments critiques. Quelque éloigné que soit ce moment, soyez
+ assurés que rien ne sera en état de changer mon attachement pour la
+ nation, mon zèle à travailler pour son intérêt, ni mon estime et ma
+ confiance en vous.
+
+ LOUIS.
+
+
+Vers la même époque, le gouvernement français essaya par la Hollande
+de faire une tentative auprès de l'Angleterre pour l'ouverture d'une
+négociation. Le ministre de France, M. de Champagny, duc de Cadore,
+après avoir assuré le roi Louis que l'empereur n'avait nulle envie
+de réunir la Hollande à l'empire, qu'il ne voulait pas même prendre
+le Brabant et la Zélande; que, loin de là, il augmenterait son
+royaume du grand-duché de Berg, ajoutant que s'il voulait faire
+preuve d'une obéissance aveugle aux volontés de Napoléon, tout
+changerait; que Napoléon, mécontent de la conduite de son frère,
+demandait pour première preuve que ce dernier était décidé à suivre
+désormais la politique de la France, de se prêter à un stratagème
+qui consistait à envoyer quelqu'un en Angleterre pour voir si
+l'appréhension de la réunion de la Hollande ne déterminerait pas
+cette puissance à entrer en pourparlers pour la paix. Alors M. de
+Champagny mit sous les yeux du roi le modèle d'une lettre que Louis
+devait écrire à un de ses ministres. Louis rejeta d'abord avec
+indignation cette rédaction, parce qu'on lui faisait dire qu'il
+était convaincu de la nécessité de la réunion, puis sur les
+instances qu'on fit auprès de lui, sur l'assurance qu'on lui donna
+que tout cela n'avait d'autre but que de faire bien comprendre aux
+Anglais l'imminence d'une réunion, il se décida à rédiger dans ce
+sens une lettre à ses ministres.
+
+Nous allons donner toutes les pièces, tous les documents relatifs à
+cette haute comédie politique imaginée par Napoléon et dans laquelle
+le roi Louis, alors sous l'entière dépendance de l'empereur à Paris,
+fui contraint, bien malgré lui, de prendre un rôle. Comme nous
+venons de le dire, le tout-puissant souverain de la France, à
+l'apogée de son pouvoir et désireux de la paix maritime, crut, au
+moyen d'une mise en scène habile, en faisant craindre au
+gouvernement britannique une réunion prochaine de la Hollande à son
+vaste empire, arriver à l'ouverture de négociations pour la
+cessation de la guerre. Louis rédigea un projet de lettre destiné à
+ses ministres en Hollande, lesquels devaient se réunir pour élaborer
+une sorte de procès-verbal à expédier au président du conseil en
+Angleterre, sir Arthur Wellesley, afin de prévenir le gouvernement
+du danger qui menaçait les Îles britanniques si l'empereur Napoléon
+donnait suite au projet qu'il semblait prêt à exécuter, de réunir la
+Hollande à ses états et d'en faire un département français. En
+effet, cela doublait la puissance maritime de l'empire. Or, rien ne
+pouvait empêcher cette réunion si Napoléon l'ordonnait.
+L'indépendance de la Hollande ne pouvait être indifférente pour
+l'Angleterre, et dans ces conditions une paix maritime pouvait être
+avantageuse pour la France, pour la Hollande, et pour l'Angleterre
+elle-même. Telle était l'opinion de l'empereur.
+
+Le 9 janvier, le roi Louis écrivit donc de Paris la lettre
+ci-dessous.
+
+
+ Louis à ses ministres.
+
+ Messieurs,
+
+ Depuis six semaines que je suis auprès de l'empereur, mon frère, je
+ me suis constamment occupé des affaires du royaume. Si j'ai pu
+ effacer quelques impressions défavorables ou du moins les modifier,
+ je dois avouer que je n'ai pu réussir à concilier dans son esprit
+ l'existence et l'indépendance du royaume avec la réussite et le
+ succès du système continental, et en particulier de la France contre
+ l'Angleterre. Je me suis assuré que la France est fermement décidée
+ à réunir la Hollande malgré toutes les considérations, et qu'elle
+ est convaincue que son indépendance ne peut plus se prolonger si la
+ guerre maritime continue. Dans cette cruelle certitude, il ne nous
+ reste qu'un espoir, c'est celui que la paix maritime se négocie;
+ cela seul peut détourner le péril imminent qui nous menace. On
+ propose la cession du Brabant et de la Zélande, de fournir 14
+ vaisseaux et 25,000 hommes, et j'ai la certitude que même après cela
+ le reste de la Hollande serait bientôt demandé. Ainsi l'intention
+ claire et formelle de la France est de tout sacrifier pour acquérir
+ la Hollande et augmenter par là, quelque chose qui doive lui en
+ coûter, les moyens maritimes à opposer à l'Angleterre. Je suis
+ obligé de convenir que l'Angleterre aurait tout à craindre d'une
+ pareille augmentation de côtes et de marine pour la France. Il est
+ donc possible que leur intérêt porte les Anglais à éviter un coup
+ qui peut leur être aussi funeste. Faites donc en sorte, de
+ vous-mêmes, sans que j'y sois nullement mentionné, que le ministère
+ anglais soit prévenu du danger imminent de votre pays. Mais il n'y a
+ pas de temps à perdre. Envoyez de suite quelqu'un du commerce, sur
+ et discret, en Angleterre, et envoyez-le-moi de suite dès qu'il sera
+ de retour. Faites-moi savoir l'époque à laquelle il pourra l'être,
+ car nous n'avons pas de temps à perdre, il ne nous reste plus que
+ peu de jours. Deux corps de la grande armée marchent sur le royaume.
+ Le maréchal Oudinot vient de partir pour en prendre le commandement.
+ Faites-moi savoir ce que vous aurez fait en conséquence de cette
+ lettre et quel jour je pourrai avoir la réponse de l'Angleterre.
+
+ Sur ce, Messieurs, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
+
+
+Projet de lettre jointe à celle du roi, et devant être adressée au
+marquis de Wellesley:
+
+
+ Quelque étrange que puisse paraître la démarche d'une nation qui,
+ pour se sauver d'un péril imminent qui la menace, croit ne trouver
+ d'autre moyen de salut qu'en s'adressant à la puissance même avec
+ laquelle cette même nation se trouve en état de guerre ouverte, tel
+ est cependant le résultat des circonstances qui ont amené l'état
+ actuel des choses sur le continent, que cette démarche
+ extraordinaire est devenue indispensable pour ceux qui, pendant
+ l'absence de leur souverain, composent le gouvernement de Hollande.
+
+ Si d'une part ce n'est pas sans peine (pourquoi le
+ déguiserions-nous?) que nous nous voyons réduits à une démarche à
+ laquelle aucune autre considération que celle de la perte de notre
+ existence politique n'aurait été capable de nous engager; d'un autre
+ côté, ce n'est que dans la conviction la plus intime d'agir
+ conformément au plus sacré des devoirs politiques que nous devons
+ croire pouvoir nous y déterminer et passer sur toutes les raisons
+ qui ont pu nous arrêter un instant, au risque même de voir notre
+ conduite désavouée, pour ne pas dire davantage, par le monarque même
+ dont la conservation en fait un des principaux motifs, mais dont
+ l'urgence du danger ne nous a point permis de demander
+ l'approbation.
+
+ En effet, M. le marquis, il ne s'agit dans ce moment de rien moins
+ que la Hollande soit rayée de la liste des nations et d'en faire une
+ province de la France.
+
+ Depuis longtemps, un orage nous menaçait, et le roi, convaincu que
+ le seul moyen de l'écarter était une entrevue avec son auguste
+ frère, n'a pas hésité un seul instant de se rendre auprès de lui,
+ lorsqu'il voyait toute autre tentative inutile. Mais quelqu'aient
+ été les efforts qu'il a employés, les sacrifices auxquels il a voulu
+ se résigner, rien n'a été capable de concilier dans l'esprit de
+ l'empereur Napoléon l'existence et l'indépendance de la Hollande
+ avec la réussite du système continental.
+
+ Les nouvelles informations officielles qui nous sont transmises de
+ Paris nous assurent que la France est fermement décidée à réunir la
+ Hollande, et que l'époque de ce grand événement n'est éloignée que
+ de quelques jours. Déjà, le maréchal destiné à l'exécution de ce
+ plan, vient de partir. Déjà l'armée sous ses ordres paraît
+ s'approcher de nos frontières, sans qu'aucune instance de notre part
+ soit capable d'en arrêter les progrès. Dans cette cruelle certitude,
+ un seul espoir nous reste, c'est celui d'une prompte négociation de
+ paix entre la France et l'Angleterre. Cela seul peut détourner le
+ péril qui nous menace, et sans la réussite de ces négociations, c'en
+ est fait de l'existence politique de la Hollande, qui, une fois
+ perdue, ne saurait lui être rendue sans un bouleversement total de
+ l'ordre actuel des choses sur le continent, circonstance à laquelle
+ il nous paraît aussi difficile de croire qu'impolitique de la
+ désirer. Il est possible que nous nous faisions illusion, mais
+ l'expérience du passé nous engage à croire que toutes les
+ puissances, surtout l'Angleterre, sont intéressées à la conservation
+ de notre existence politique et à ne négliger aucun moyen convenable
+ pour parer le coup qui nous menace. La Hollande, puissance
+ indépendante, ne pourra jamais porter le moindre ombrage à la grande
+ force à laquelle l'Angleterre a su s'élever; réunie au contraire à
+ la France, et les grandes forces qu'elle possède encore mises à la
+ disposition du monarque qui gouverne ce vaste empire, et dont Votre
+ Excellence est trop juste elle-même pour ne pas reconnaître le génie
+ transcendant, la Hollande pourra donner indubitablement à la France
+ les moyens de prolonger encore bien longtemps une lutte qui a déjà
+ trop duré pour le malheur des nations.
+
+ Ce n'est pas tout: l'indépendance même de l'Angleterrre dans ses
+ relations directes avec le continent nous paraît menacée pour
+ toujours du moment que la Hollande sera irrévocablement réunie à la
+ France, et l'Angleterre par conséquent réduite à l'alternative de ne
+ cultiver ses relations que par des voies longues et détournées ou de
+ se soumettre à tous les inconvénients que pourra éprouver son
+ commerce, en prenant par les états de la puissance la plus
+ prépondérante du continent.
+
+ Pardonnez, M. le marquis, notre zèle nous emporte trop loin, mais
+ nous croyons qu'il est d'un intérêt si majeur pour l'Angleterre de
+ ne point voir la Hollande devenir province française, que nous osons
+ demander en considération sérieuse à Votre Excellence de contribuer,
+ pour tout ce qui dépend d'elle, à prévenir ce désastre par une
+ prompte ouverture de négociations de paix. Nous sentons qu'une
+ pareille démarche peut paraître au premier abord contraire à la
+ juste fierté du gouvernement anglais, mais lorsque nous considérons
+ que la première base sur laquelle reposeront ces ouvertures serait
+ d'exiger formellement que tout restât relativement à la Hollande sur
+ le pied actuel, nous pensons, au contraire, que bien loin de
+ blesser la fierté de votre gouvernement, des ouvertures de paix de
+ sa part ne sauraient que lui être glorieuses.
+
+ Voilà ce que le désir de notre conservation nous a suggéré de
+ soumettre immédiatement à Votre Excellence. Nous aurions pu sans
+ doute nous étendre davantage, si nous n'eussions craint de faire
+ tort à sa pénétration, en entrant dans des développements
+ ultérieurs.
+
+ Au cas où Votre Excellence penserait que ce que nous avons dit
+ mérite quelque attention du gouvernement anglais, qu'elle veuille
+ bien se persuader qu'il n'y a pas de temps à perdre, chaque instant
+ est infiniment précieux.
+
+ Nous terminerons cette lettre par l'expression de l'espoir que nous
+ aurons pour opérer auprès de Votre Excellence la même conviction qui
+ réside auprès de nous à l'égard du contenu.
+
+ Cela étant, nous aimons à nous flatter du plus heureux succès, la
+ sagesse connue de Votre Excellence nous est le sûr garant qu'elle
+ saura trouver les moyens de conduire l'important ouvrage dont il
+ s'agit à une fin heureuse. Et après une gloire militaire acquise à
+ si juste titre, quelle ne serait pas la satisfaction pour Votre
+ Excellence elle-même de voir pendant son ministère actuel luire le
+ jour heureux à l'humanité souffrante, dont la justice ne saurait
+ manquer de reconnaître en elle un des grands hommes d'état auxquels
+ il était réservé de réaliser l'espoir des nations.
+
+
+L'empereur, peu satisfait de ce projet de lettre, écrivit à ce sujet
+le lendemain, 17 janvier, au duc de Cadore:
+
+
+ Monsieur le duc de Cadore, vous trouverez ci-joint une lettre du roi
+ de Hollande avec un projet de dépêches au ministre des affaires
+ étrangères d'Angleterre. Vous ferez connaître au roi que je
+ n'approuve point ce projet de dépêche, et que je n'approuve point
+ non plus qu'il retourne en Hollande. Cela serait contraire aux
+ circonstances actuelles. Mes troupes ont déjà reçu l'ordre de se
+ diriger sur Dusseldorf et d'entrer en Hollande. Je vous envoie
+ ci-joint trois pièces: 1º un projet de note que vous remettrez à M.
+ de Roëll, le ministre des affaires étrangères de Hollande; 2º un
+ projet de procès-verbal d'une séance du conseil de Hollande; 3º un
+ projet de lettre du président de ce conseil au président du conseil
+ d'Angleterre.
+
+
+L'empereur attachait une telle importance à cette affaire, que
+lui-même fît écrire, sous sa dictée, la note ci-dessous:
+
+
+ Note dictée par l'empereur et sans date.
+
+ Je pense qu'il est convenable que quinze ou vingt des plus notables
+ de la nation hollandaise se rendent à Paris. Là, on leur fera
+ connaître la situation des choses et la volonté où je suis de réunir
+ leur pays, en leur disant tout ce que j'ai fait pour leur bien-être.
+
+ Si la guerre maritime dure encore, l'indépendance de leur pays est
+ impossible, mais que l'empereur demande que cette démarche soit
+ faite, pour faire connaître la position de la Hollande au
+ gouvernement anglais. Enfin, si on veut faire la paix ou plus tôt ou
+ plus tard, la paix se fera. En la faisant aujourd'hui, la Hollande
+ conservera son indépendance.
+
+ Cette démarche aussi peut frapper Londres, et mettre dans l'embarras
+ les ministres anglais.
+
+ Que le Corps législatif fasse faire des démarches en Angleterre pour
+ faire connaître que la paix peut conserver l'indépendance de la
+ Hollande.
+
+ Il faut pour cela que le discours soit fait de façon à prouver que
+ la Hollande sent l'impossibilité de conserver son indépendance si la
+ guerre dure. La réunion du Brabant est indifférente à l'Angleterre.
+
+ Causer de cela avec le ministre des affaires étrangères et
+ l'ambassadeur, et voir le parti à prendre.
+
+ Que la Hollande se donnera franchement à la France si on ne fait
+ rien avec l'Angleterre.
+
+
+Alors le duc de Cadore fît rédiger un second projet, qui, revu avec
+beaucoup de soin et corrigé de la main de l'empereur, fut envoyé de
+Paris à MM. Van der Heim, Mollerus et autres ministres de Hollande.
+
+Voici ce document:
+
+
+ Projet de procès-verbal.
+
+ Que si l'Angleterre connaissait le sort qui menace la Hollande, ce
+ pourrait être pour la Grande-Bretagne une occasion de se relâcher de
+ ses mesures et d'ouvrir au moins une négociation provisoire par
+ laquelle la France serait engagée à renoncer aux décrets de Berlin
+ et de Milan, et l'Angleterre à ses ordres du conseil et à ses
+ prétentions relatives aux droits de blocus; et que ce simple
+ arrangement rendant à la guerre le caractère qu'elle avait il y a
+ trois ans, la Hollande pourrait en conséquence exister comme elle
+ existait alors, en commerçant avec les neutres, sans nuire aux
+ intérêts du continent: que les Anglais jugeraient peut-être que le
+ moment est favorable pour entamer les négociations d'une paix qui
+ serait utile à l'Angleterre, Sa Majesté assurant l'indépendance
+ d'une nation dont le voisinage lui est si avantageux, et qui est la
+ plus directe et la plus courte communication avec le continent; que
+ dans ces circonstances il est évident que des négociations de paix
+ ou du moins des arrangements provisoires peuvent seuls conserver à
+ la Hollande son existence politique, et qu'en conséquence il sera
+ envoyé le plus promptement possible auprès du gouvernement anglais
+ un agent secret chargé de lui faire connaître la situation de la
+ Hollande, et de lui communiquer la note du ministre des relations
+ étrangères de France et le présent procès-verbal. Que si
+ l'Angleterre ne consentait pas à profiter de cette circonstance pour
+ faire des ouvertures de paix, elle pourrait, du moins, rétablir les
+ choses telles qu'elles étaient avant les ordres du conseil et
+ s'entendre pour une négociation relative à l'échange des prisonniers
+ de guerre; et que par là elle rendrait à la guerre actuelle le
+ caractère d'une guerre ordinaire, et éviterait les malheurs qui
+ menacent la Hollande. Que si, au contraire, l'Angleterre est
+ inaccessible à ces considérations, la nation hollandaise n'aura pas
+ d'autre parti que de se soumettre avec dévouement au grand homme qui
+ veut la réunir à son empire, en lui laissant son organisation
+ intérieure et en ouvrant à son commerce tout le continent européen.
+
+ Quelques députés au Corps législatif et autres personnes notables
+ pourront être convoqués à ce conseil et signer ce procès-verbal.
+
+
+Le roi Louis, qui avait voulu d'abord décliner toute participation
+dans ce projet et refuser un rôle dans cette haute comédie
+politique, circonvenu, avait fini par se rendre, comme on l'aura vu,
+et était devenu l'âme de l'affaire. Il fit passer en Hollande le
+projet de lettre ci-dessous, à joindre avec les dépêches à expédier
+en Angleterre.
+
+Projet de lettre que le président du conseil des ministres de
+Hollande devra écrire au président du conseil d'Angleterre:
+
+
+ J'ai l'honneur de vous envoyer une note du ministre des affaires
+ étrangères de France, ainsi que le procès-verbal d'une séance du
+ conseil tenu en conséquence. Votre Excellence reconnaîtra trop bien
+ par le but de ma démarche, pour que j'aie besoin de lui dire à quel
+ point l'indépendance de la Hollande est menacée; et elle sait
+ combien la réunion de la Hollande à la France serait funeste pour
+ l'Angleterre. Les résolutions de l'empereur ne peuvent être
+ détournées que par un traité de paix, où l'on mettrait pour
+ condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la
+ Hollande; où, par une négociation provisoire relative à l'échange
+ des prisonniers de guerre, et à la suppression des décrets de Berlin
+ et de Milan, et des ordres du conseil d'Angleterre, l'on mettrait
+ également pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à
+ l'égard de la Hollande. Si les deux puissances ne voulaient pas
+ s'entendre pour rendre la paix et le bonheur à l'humanité, elles
+ pourraient, du moins, par un arrangement, établir des principes sur
+ le commerce des neutres et l'échange des prisonniers, ce qui ôterait
+ à la guerre ce caractère farouche et désespéré qu'elle a pris
+ depuis quelques années: arrangement d'autant plus avantageux pour
+ l'Angleterre qu'il sauverait l'indépendance de la nation
+ hollandaise. Mais si tant de considérations d'humanité et de
+ politique ne peuvent rien sur le gouvernement britannique, il ne
+ nous restera qu'à nous rallier de bonne foi au grand empereur qui
+ veut nous admettre dans son empire, et reconnaître que les actes
+ qu'il fait contre notre indépendance ne sont point le résultat du
+ caprice et de l'ambition, mais celui de l'inflexible nécessité.
+
+ Il me reste à vous prier de ne donner aucune communication de cette
+ lettre, afin qu'elle ne parvienne pas aux oreilles de notre
+ souverain. J'espère, lorsque j'aurai reçu la réponse de Votre
+ Excellence, lui faire agréer la démarche que je fais dans ce moment.
+ Sa Majesté reconnaîtra la pureté de mes motifs, mais encore est-il
+ convenable qu'elle ne l'apprenne pas par d'autre que moi-même.
+
+
+Enfin, le 24 janvier 1810, un troisième projet de note fut remis au
+baron de Roëll. L'empereur avait revu avec soin cette note, dont
+l'original porte des corrections de sa main. Voici ce dernier projet
+qui fut confié à un Hollandais, M. Labouchère, et porté par lui à
+Londres:
+
+
+ 24 janvier 1810.
+
+ Le soussigné, ministre des relations extérieures de France, est
+ chargé de faire connaître à Son Excellence M. le baron de Roëll,
+ ministre des affaires étrangères de Hollande, la détermination à
+ laquelle la situation actuelle de l'Europe oblige Sa Majesté
+ impériale. Si cette détermination est de nature à contrarier les
+ voeux d'une partie de la nation hollandaise, si elle afflige le
+ coeur de son roi, l'empereur en est fâché sans doute, et ne le prend
+ qu'avec regret, mais l'impitoyable destinée qui préside aux affaires
+ de ce monde et qui veut que les hommes soient entraînés par les
+ événements, oblige Sa Majesté de suivre d'un pas ferme les mesures
+ dont la nécessité lui est démontrée, sans se laisser détourner par
+ des considérations secondaires.
+
+ Sa Majesté impériale, en plaçant un de ses frères sur le trône de
+ Hollande, n'avait pas prévu que l'Angleterre oserait proclamer
+ ouvertement le principe d'une guerre perpétuelle, et que, pour la
+ soutenir, elle adopterait pour base de sa législation les monstrueux
+ principes qui ont dicté ses ordres du conseil de novembre 1807.
+ Jusqu'alors son droit maritime était sans doute combattu par la
+ France et repoussé par les neutres; mais enfin il n'excluait pas
+ toute navigation et laissait encore une sorte d'indépendance aux
+ nations maritimes. Il y avait peu d'inconvénient pour la cause
+ commune à ce que la Hollande commerçât avec l'Angleterre, soit par
+ l'entremise des neutres, soit en employant leur pavillon. Marseille,
+ Bordeaux et Anvers jouissaient du même avantage. L'Angleterre avait
+ encore à ménager les Américains, les Russes, les Prussiens, les
+ Suédois, les Danois, et ces nations formaient une sorte de lien
+ entre les puissances belligérantes.
+
+ La quatrième coalition a détruit cet état de chose. L'Angleterre,
+ parvenue à réunir contre la France la Russie, la Prusse et la Suède,
+ ne s'est plus vue obligée à tant de ménagements; c'est alors
+ qu'abusant et des mots et des choses, elle a élevé la prétention de
+ faire taire et disparaître tous les droits des neutres devant un
+ simple décret de blocus. L'empereur s'est vu forcé d'user de
+ représailles, et, à son arrivée à Berlin, il a répondu au blocus de
+ la France par la déclaration du blocus des Îles britanniques. Les
+ neutres et surtout les Américains demandèrent des explications sur
+ cette mesure. Il leur fut répondu que, quoique l'absurde système de
+ bloquer un état tout entier fut une usurpation intolérable,
+ l'empereur se bornerait à arrêter sur le continent le commerce des
+ Anglais; que le pavillon neutre serait respecté sur mer; que ses
+ bâtiments de guerre et ses corsaires ne troubleraient point la
+ navigation des neutres, le décret ne devant avoir d'exécution que
+ sur terre. Mais cette exécution même, qui obligeait de fermer les
+ ports de la Hollande au commerce anglais, blessait les intérêts
+ mercantiles du peuple hollandais et contrariait ses anciennes
+ habitudes. Première source de l'opposition secrète qui commença
+ d'exister entre la France d'un côté, et de l'autre le roi et la
+ nation hollandaise. Dès lors Sa Majesté entrevit avec peine que le
+ moyen qu'elle avait choisi entre des partis extrêmes, pour concilier
+ l'indépendance de la Hollande avec les intérêts de la France, ne
+ remédierait à rien et qu'il faudrait un jour étendre les lois
+ françaises aux débouchés de la Hollande et réunir ce royaume à
+ l'empire. La paix de Tilsitt eut lieu. L'empereur de Russie,
+ provoqué par les outrages que l'Angleterre avait faits à son
+ pavillon pendant qu'il combattait pour elle, et indigné de
+ l'horrible attentat de Copenhague, fit cause commune avec la France.
+
+ La France espéra alors que l'Angleterre verrait désormais
+ l'inutilité d'une plus longue lutte et qu'elle entendrait à des
+ paroles d'accommodement; mais ces espérances s'évanouirent bientôt.
+ En même temps qu'elles s'évanouissaient, l'Angleterre, comme si
+ l'expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur et eût brisé
+ tous les freins, mettait ses projets à découvert et publiait ses
+ ordres du conseil de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire
+ qui a indigné l'Europe. Par cet acte, l'Angleterre réglait ce que
+ pourraient transporter les bâtiments des nations étrangères, leur
+ imposait l'obligation de relâcher dans ses ports, avant de se rendre
+ à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt.
+ Ainsi, elle se rendait maîtresse de la navigation universelle, ne
+ reconnaissait plus aucune nation maritime comme indépendante,
+ rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait à ses
+ lois, ne leur permettait de commercer que pour son profit, fondait
+ ses revenus sur l'industrie des nations et sur les produits de leur
+ territoire, et se déclarait la souveraine de l'Océan, dont elle
+ disposait comme chaque gouvernement dispose des rivières qui sont
+ sous sa domination.
+
+ À l'aspect de cette législation, qui n'était autre chose que la
+ proclamation de la souveraineté universelle, et qui étendait sur
+ tout le globe la juridiction du Parlement britannique, l'empereur
+ sentit qu'il était obligé de prendre un parti extrême et qu'il
+ fallait tout employer plutôt que de laisser le monde se courber sous
+ le joug qui lui était imposé. Il rendit son décret de Milan, qui
+ déclare dénationalisés les bâtiments qui ont payé le tribut à
+ l'Angleterre qui était imposé. Les Américains, menacés de nouveau de
+ se trouver soumis au joug de l'Angleterre, et de perdre leur
+ indépendance si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur
+ tous leurs bâtiments et renoncèrent à toute navigation et à tout
+ commerce, sacrifiant ainsi l'intérêt du moment à l'intérêt de tous
+ les temps, la conservation de leur indépendance.
+
+ Le succès des vues de l'empereur dépendait surtout de l'exécution
+ universelle et sans exception de ses décrets. La Hollande a été un
+ obstacle à cette exécution. Elle ne s'est soumise qu'en apparence à
+ ces décrets. Elle a continué de faire le commerce interlope avec
+ l'Angleterre. De fréquentes représentations ont été faites au
+ gouvernement hollandais; elles ont été suivies de mesures de rigueur
+ qui attestaient le mécontentement de l'empereur. Deux fois les
+ douanes françaises ont élevé une barrière entre la France et la
+ Hollande. L'empereur voulait tout tenter avant de se résoudre à
+ détruire l'indépendance d'une nation qu'il avait protégée et
+ favorisée, en lui donnant pour souverain un prince de son sang. Il a
+ cherché à épuiser tous les moyens de conciliation, afin de pouvoir
+ se rendre ce témoignage qu'il ne cédait qu'à l'impérieuse nécessité.
+
+ Le moment est venu de prendre un parti. Déjà l'empereur a fait
+ connaître à la nation française, à l'Europe, la nécessité d'apporter
+ quelques changements à la situation de la Hollande, puisque la
+ nation hollandaise, loin d'avoir le patriotisme dont les Américains
+ ont fait preuve, ne paraît guidée que par une politique purement
+ mercantile et l'intérêt du moment présent. C'est de la part de
+ l'empereur une résolution inébranlable que de n'ouvrir jamais ses
+ barrières au commerce de la Hollande; il croirait les ouvrir au
+ commerce anglais. La Hollande peut-elle donc exister dans cet état
+ d'isolement, séparée du continent et cependant en guerre avec
+ l'Angleterre?
+
+ D'un autre côté, l'empereur la voit sans moyens de guerre et presque
+ sans ressources pour sa propre défense. Elle est sans marine, les
+ seize vaisseaux qu'elle devait fournir ont été désarmés. Elle est
+ sans armée de terre. Lors de la dernière expédition des Anglais,
+ l'île de Walcheren, Bath et le Sud-Beveland n'ont opposé aucune
+ résistance. Sans armée, sans douane, on pourrait presque dire sans
+ amis et sans alliés, la nation hollandaise peut-elle exister? Une
+ réunion de commerçants, uniquement animée par l'intérêt de leur
+ commerce, peut former une utile et respectable compagnie, mais non
+ une nation. L'empereur est donc forcé de réunir la Hollande à la
+ France, et de placer ses douanes à l'embouchure de ses rivières.
+ Laisser les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut à la
+ Hollande, n'est-ce pas les livrer au commerce anglais, et ces grands
+ fleuves ne sont-ils pas les artères de la France, comme la Hollande
+ est une alluvion de son territoire?
+
+ Sans les ordres du conseil de novembre 1809, la France se serait plu
+ à maintenir l'indépendance de la Hollande, parce qu'elle était
+ compatible avec la sienne; mais depuis lors, rien de ce qui favorise
+ le commerce anglais n'est compatible avec la souveraineté et
+ l'indépendance des puissances du continent.
+
+ Sa Majesté désire la paix avec l'Angleterre. Elle a fait à Tilsitt
+ des démarches pour y parvenir, elles ont été sans résultat. Celles
+ qu'il avait concertées avec son allié à Erfurth, l'empereur de
+ Russie, n'ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc longue,
+ puisque toutes les démarches tentées pour arriver à la paix ont été
+ inutiles. La proposition même d'envoyer des commissaires à Morlaix
+ pour traiter de l'échange des prisonniers, quoique provoquée par
+ l'Angleterre, est restée sans effet, lorsqu'on a craint qu'elle pût
+ amener un rapprochement.
+
+ L'Angleterre, en s'arrogeant par ses ordres du conseil de 1807 la
+ souveraineté universelle, et en adoptant le principe d'une guerre
+ perpétuelle, a tout brisé et a rendu légitimes tous les moyens de
+ repousser ses prétentions. Par sa réunion avec la France, la
+ Hollande s'ouvrira le commerce du continent, et ce commerce utile à
+ la cause commune deviendra une source de richesses pour ses
+ industrieux habitants.
+
+ Deux voies se présentent pour opérer cette réunion: la négociation
+ ou la guerre. L'empereur désire s'entendre avec la nation
+ hollandaise, lui conserver ses privilèges et tout ce qui, dans son
+ mode d'existence, serait compatible avec les principes qu'il a
+ constamment soutenus, et ne pas être _réduit à fonder son droit sur
+ les plus légitimes de tous: la nécessité et la conquête_.
+
+
+En exécution des ordres du roi Louis, les ministres du gouvernement
+hollandais envoyèrent M. Labouchère à Londres, avec mission de faire
+connaître au ministère britannique l'état des choses, de lui faire
+envisager combien il serait avantageux à l'Angleterre que la
+Hollande ne fût pas réunie à la France, enfin de l'engager à entrer
+en négociation pour une paix générale.
+
+M. Labouchère, riche et honorable commerçant très connu et très
+estimé à Londres, devait envoyer le récit détaillé de ses démarches,
+des réponses qui lui seraient faites, et revenir en Hollande avant
+de se rendre à Paris près du roi. Les instructions données à M.
+Labouchère sont libellées en date du 1er février. Le 12 du même
+mois, sir Arthur Wellesley répondit: que l'Angleterre compatissait
+aux maux de la Hollande, que la mission de M. Labouchère n'était pas
+de nature à donner lieu à aucune observation sur une paix générale;
+que la France n'avait encore manifesté aucun symptôme, ou d'une
+disposition à la paix ou d'une tendance à se départir de ses
+prétentions, prétentions qui jusqu'alors avaient rendu nulle la
+volonté si bonne du gouvernement de la Grande-Bretagne pour mettre
+fin à la guerre.
+
+En recevant cette réponse à Londres, M. Labouchère s'empressa de
+rendre compte au gouvernement hollandais de l'inutilité de ses
+démarches et de la persuasion où il était que toute tentative
+échouerait.
+
+Ainsi se termina ce singulier épisode politique. On voulut essayer
+de le reprendre, et le 20 mars l'empereur écrivit à son frère de
+renvoyer à Londres M. Labouchère, non plus au nom du ministère
+hollandais, mais en son nom, avec une note non signée et non d'une
+écriture connue. Cette note, jointe à la lettre de l'empereur, se
+trouve à la page 319 du 20e volume de la correspondance de Napoléon
+Ier. Vers cette époque on répandit en Hollande le bruit de la mort
+du roi et de la régence de la reine. Ce bruit venait de ce que
+Louis, dont la santé était fort délabrée déjà, n'avait pu subir
+toutes les vexations auxquelles il avait été soumis sans tomber
+sérieusement malade. Il fut retenu assez longtemps au lit par une
+fièvre nerveuse. Tous les souverains et les princes alors à Paris
+s'empressèrent de le venir voir. Napoléon seul s'en abstint quelque
+temps. Il parut enfin un beau matin, brusquement, en se rendant à la
+chasse. La conversation des deux frères fut assez amicale. Ni l'un
+ni l'autre n'aborda la question des grands intérêts politiques.
+Pendant la maladie du roi, les troupes françaises continuaient à
+s'approcher d'Amsterdam. Louis trouva moyen d'envoyer encore des
+ordres formels pour qu'on mît cette capitale dans le plus imposant
+état de défense[62]. Une fois à peu près rétabli, il voulut
+s'assurer par lui-même s'il était encore prisonnier en France. Il
+se rendit à son château de Saint-Leu. Le doute ne lui fut pas
+permis. On n'avait pas encore arraché à ce malheureux prince toutes
+les concessions que l'on désirait. On ne tarda pas à lui faire à cet
+égard des ouvertures qu'il commença par repousser, comme d'habitude,
+et puis qu'il finit par écouter, attendu qu'il ne pouvait faire
+autrement sans mettre dans le plus grand péril l'indépendance de la
+Hollande. Or, Louis espérait toujours que de la force du mal
+naîtrait le bien, que les mesures du blocus poussées à l'extrême
+amèneraient une paix maritime, que lors de cette paix la Hollande
+pourrait sortir de ses ruines. Il voulait donc gagner du temps pour
+atteindre à cette paix. La question la plus importante, à ses yeux,
+c'était de faire vivre de la vie politique, et à l'état de nation,
+un royaume à qui la France enlevait chaque jour un lambeau. Pour
+maintenir les Hollandais sur le tableau des puissances européennes,
+le roi consentit à tout ce qu'on voulut, à l'exception de la
+conscription, coutume qui répugnait par trop à son peuple, et de
+l'imposition sur la rente, mesure qu'il considérait comme
+équivalente à une banqueroute. Interdiction de tout commerce et de
+toute communication avec l'Angleterre, mise sur pied, entretien
+d'une flotte considérable, d'une armée de terre de 25,000 soldats,
+suppression de la dignité du maréchalat, destruction de tous les
+privilèges de la noblesse contraires à la constitution donnée par
+l'empereur, tout fut accordé.
+
+ [Note 62: L'empereur fut bientôt informé des projets du roi.]
+
+Le 24 février 1810, avait paru au _Journal officiel_ un article
+virulent contre la Hollande. Le roi en fut très affecté et chargea
+Werhuell d'en parler au duc de Cadore, et de prier ce dernier de
+demander à l'empereur de faire connaître ses intentions pour que le
+gouvernement hollandais accédât à ses désirs, si la chose était
+possible. Werhuell écrivit dans ce sens au duc de Cadore, et dès le
+lendemain le roi Louis reçut de son frère un projet de traité.
+
+En marge de ce traité le roi Louis écrivit: «_Je consentirai à tous
+les sacrifices que l'empereur exigera, pourvu que je puisse tenir
+les engagements que je contracterai; pourvu encore que le reste de
+la Hollande puisse exister, et surtout si ces sacrifices ôtent tout
+sujet de mécontentement de la part de mon frère et me donnent la
+possibilité de regagner son amitié et sa bienveillance; et c'est par
+cette raison que je désirerais qu'on omît des considérants ces mots:
+différents survenus entre eux._ Je n'ai pas d'autre différent que la
+peine de voir l'empereur et mon frère fâché contre moi.»
+
+Ce traité se composait de 15 articles, pour quelques-uns desquels le
+roi demanda des modifications. Il proposa ensuite neuf articles
+additionnels. L'empereur consentit à quelques-unes des modifications
+proposées par son frère et rejeta les autres.
+
+Daté du 16 mars, ce traité contenait en outre les quatre articles
+secrets suivants:
+
+
+ 1º Le roi ne s'oppose pas à ce que le corps de 18,000 hommes du
+ deuxième article soit commandé par un général nommé par l'empereur.
+
+ 2º Il consent à ce que les bâtiments chargés de contrebande qui
+ arriveraient dans les rades de Hollande y soient arrêtés et déclarés
+ de bonne prise, et toutes les marchandises anglaises et coloniales
+ confisquées, sans égard à aucune déclaration.
+
+ 3º Qu'il est dans le projet du roi d'éloigner de sa personne les
+ ministres qui ont eu l'intention de défendre Amsterdam, et n'ont pas
+ craint de provoquer la colère de la France. Sa Majesté veillera à ce
+ que dans aucun discours ou publication quelconque il n'y ait rien
+ qui tende à favoriser les sentiments haineux de la faction anglaise
+ contre la France.
+
+ 4º Sa Majesté s'engage à cesser insensiblement d'entretenir des
+ ministres en Russie et en Autriche, de manière à ce que cette mesure
+ ne soit pas un sujet de remarque et que les cours ne puissent s'en
+ formaliser.
+
+
+Après être tombé d'accord sur le traité avec son frère, le roi Louis
+envoya à ses ministres en Hollande la lettre ci-dessous, qui fut lue
+en séance du Conseil d'état, en présence de tous les membres du
+cabinet, par le vice-président du Conseil.
+
+
+ Paris, 21 février 1810.
+
+ Le roi au Conseil d'état.
+
+ Quoique le troisième mois après mon départ tire déjà à sa fin, il
+ n'y a encore rien de décidé au sujet de l'état de nos affaires. Je
+ ne puis cependant mieux employer le premier moment de ma guérison
+ qu'en vous renouvelant l'assurance que j'emploierai continuellement
+ tous les moyens possibles pour conserver l'existence de ce royaume.
+ Il ne faut pas le feindre, ceci nous coûtera des sacrifices grands
+ et pénibles; mais s'il y a seulement une lueur de possibilité qui
+ nous assure la continuation de l'existence de la Hollande après tout
+ ce qu'on exige d'elle, je n'hésiterai pas un moment de me reposer
+ sur la magnanimité de l'empereur mon frère, dans l'espoir que les
+ raisons de mécontentement une fois remédiées, nous obtiendrons le
+ dédommagement que nous pouvons prétendre à si bon droit et dont nous
+ aurons besoin plus que jamais.
+
+ Mon intention, en me conformant à tout ce que l'empereur, mon frère,
+ exigera de nous, est de lui montrer que nous avons beaucoup
+ d'ennemis, que nous sommes la victime du vice, de viles passions et
+ d'intérêts; mais que nous n'avons cessé de continuer toujours
+ d'admirer l'empereur et de nous comporter comme des amis et des
+ alliés fidèles de la France, et éprouvés par mille sacrifices. Si,
+ comme j'ai raison de me flatter, je puis réussir dans mes intentions
+ réelles, le reste suivra de soi-même, tandis que ce doit être
+ l'intérêt et le désir de la France de protéger et d'agrandir la
+ puissance de ses amis, au lieu d'y apporter atteinte. Je vous invite
+ ainsi de réunir tous vos efforts pour prévenir les émigrations dans
+ les pays étrangers ou autres démarches désespérées et d'animer la
+ nation à attendre, avec la modération qui fait le fond de son
+ caractère, et convient à sa juste cause, le décret que l'empereur
+ donnera pour notre sort. Il ne m'est pas inconnu tout ce que chacun
+ souffre. J'ai fait pour plaider notre cause tout ce qui était en mon
+ pouvoir; ni la perte de mon temps, ni la mauvaise réussite de mes
+ peines n'ont pu me décourager, aussi ai-je tout _espoir d'espérer_
+ que si nous pouvons faire un arrangement qui n'exclue pas
+ entièrement la possibilité de notre existence, la Hollande pourra
+ encore échapper à cette tempête, surtout si après tout cela il ne
+ reste, non seulement aucun sujet de mécontentement, mais aucun
+ prétexte de mésentendu ou de mécontentement, et c'est à quoi je
+ tâche de faire aboutir tous mes efforts.
+
+ Votre roi,
+
+ LOUIS.
+
+
+Cet acte, connu du maréchal Oudinot, fut envoyé par lui au major
+général, le 3 mars, de Bois-le-Duc, avec la lettre suivante:
+
+
+ Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence copie de
+ deux lettres[63] du roi de Hollande, au Corps législatif et au
+ Conseil d'état de son royaume. En lisant ces lettres, Votre
+ Excellence ne sera point surprise des obstacles que l'on m'oppose et
+ des espérances des Hollandais. Il n'est pas douteux qu'outre ces
+ lettres, le roi n'envoie des ordres secrets pour qu'il soit pris des
+ mesures qui reculent le moment de notre entrée en Hollande, et pour
+ que les magistrats se refusent à tout ce qui aura l'air de prise de
+ possession.
+
+ [Note 63: Lettres datées de Paris, 1er et 21 février 1810.]
+
+ La tranquillité continue de régner dans le Brabant, mais le pays
+ n'est pas riche; il a souffert par les inondations dans les années
+ précédentes, et l'armée ne pourra guère y vivre qu'au jour le jour.
+
+ J'attends toujours une décision relativement au séquestre des
+ caisses publiques et aux hussards hollandais qui sont à Bréda et
+ dont le corps est en Espagne.
+
+ _P.-S._--Je reçois à l'instant un rapport de M. le général Dessaix,
+ qui m'annonce que quelques troupes hollandaises sont sur la rive
+ droite du Wahal et ont ordre de ne laisser passer aucun militaire
+ étranger.
+
+ Leurs hussards bordent la rive droite et paraissent destinés à
+ observer nos mouvements, et à en donner la nouvelle.
+
+ J'ai ordonné que l'on mît en état le pont volant qui est à Nimègue;
+ il peut porter 300 hommes à la fois.
+
+ Les eaux de la Meuse ont considérablement augmenté cette nuit et
+ l'on ne peut communiquer que très difficilement avec Bommel et
+ Gorcum.
+
+
+Lorsque Napoléon eut obtenu tout ce qu'il désirait pour l'instant,
+la surveillance qui pesait sur le roi cessa par son ordre, et
+lui-même chercha à rétablir entre eux des rapports d'amitié.
+L'empereur lui témoigna même le désir qu'il fût jusqu'à Soissons
+au-devant de l'archiduchesse Marie-Louise, pour l'accompagner au
+château de Compiègne. Louis, dont la santé s'était un peu améliorée,
+se livra à quelques distractions et assista à une partie des fêtes
+qui eurent lieu à l'occasion du mariage de Napoléon, bien qu'il fût
+loin d'approuver le divorce, car il aimait beaucoup l'impératrice
+Joséphine. Arrivé à Compiègne le 24 mars, dans la matinée, le roi
+apprit bientôt que ses appartements étaient contigus à ceux de la
+reine Hortense. On semblait vouloir exiger un rapprochement qui
+n'était pas dans ses idées. Pour éviter toute discussion à cet
+égard, le 30 mars, deux jours après que l'empereur et l'impératrice
+furent au château, il donna ordre de préparer ses équipages pour son
+départ la nuit même. Un incendie, qui eut lieu au moment où il
+allait s'éloigner, le retint encore quelques jours. Enfin, le 8
+avril, après une dernière entrevue avec son frère, entrevue dans
+laquelle Napoléon annonça à Louis que la reine le suivrait dans ses
+états avec le prince royal, le roi de Hollande put quitter la
+France. Il se dirigea sur Amsterdam par Aix-la-Chapelle, tandis que
+Hortense prit la route ordinaire. Le retour du roi causa la plus
+vive sensation dans tout le pays, surtout lorsqu'on sut que la reine
+allait arriver également. On adorait cette princesse et l'on
+espérait que la bonne intelligence ne serait plus troublée entre les
+deux époux. Hortense arriva en effet avec le prince royal; mais, par
+ordre de Louis, toutes les communications entre les appartements de
+cette princesse et les siens furent murées, la séparation de corps
+fut rendue ostensible, le roi même sembla prendre à tâche de prouver
+son éloignement pour la reine, en sorte que les courtisans ne
+savaient plus s'ils avaient tort ou raison, dans leur intérêt,
+d'aller rendre leurs hommages à Hortense. Cette contrainte ne dura
+pas longtemps, Hortense résolut de quitter la Hollande, mais son
+mari ne lui en laissa pas d'abord la possibilité. Il fit pour elle
+ce que l'empereur avait fait pour lui, tout récemment, à Paris. Ce
+ne fut que quelque temps après, en employant la ruse, après un court
+séjour au château de Lao, en laissant son fils qu'elle adorait, que
+la reine put s'échapper. On crut que le roi serait furieux en
+apprenant son départ ou plutôt sa fuite; il n'en fut rien. Il se
+montra très calme, ne parla pas d'Hortense, et ne quitta plus le
+jeune prince royal. En vertu du traité du 16 mars 1810 entre la
+France et la Hollande, traité imposé au roi, signé par Werhuell, et
+ratifié conditionnellement par Louis, qui avait ajouté de sa main:
+_autant que possible_, les troupes françaises, vers la fin d'avril,
+occupèrent Leyde et La Haye. D'autres troupes furent dirigées sur la
+Frise, et le duc de Reggio, commandant en chef, établit son quartier
+général à Utrecht. Il était clair qu'on voulait s'emparer du pays,
+mais qu'opposer aux volontés de Napoléon? la raison du plus fort
+n'est-elle pas toujours la meilleure? Le roi, indigné des
+usurpations d'autorité qui se renouvelaient sans cesse, se plaignit
+au maréchal. Ce dernier répondait en montrant les ordres de
+l'empereur[64].
+
+ [Note 64: Le maréchal duc de Reggio, comme le duc de
+ Plaisance plus tard, montra dans sa difficile mission un
+ tact, une convenance, dont le roi et les Hollandais lui
+ furent toujours reconnaissants.]
+
+Le 29 avril, Napoléon et la nouvelle impératrice se rendirent à
+Bruxelles, pour gagner de là les frontières enlevées à la Hollande
+et nouvellement annexées à la France. Louis quitta Amsterdam le 4
+mai pour être le 5 à Anvers et les y recevoir. Sa visite faite, il
+repartit. Chacun voyait bien que sa couronne chancelait sur sa tête.
+Il n'était plus qu'un semblant de roi. Le maréchal exerçait, au nom
+de l'empereur, une puissance absolue. Napoléon écrivit à cette
+époque (20 mai)[65] une lettre tellement forte à son frère, que
+l'idée d'abdiquer ou de se défendre dans la capitale de ses états
+commença à germer en son âme. Un événement presque ridicule
+précipita la crise devenue imminente. Un cocher de l'ambassadeur de
+France eut une dispute suivie d'une rixe dans la rue près du palais
+de l'ambassade. M. de la Rochefoucauld jeta feu et flammes, demanda
+une réparation ostensible; l'empereur prétendit qu'on avait insulté
+son ambassadeur en insultant sa livrée, et prétexta de là pour
+écrire au roi une nouvelle et dernière lettre plus dure encore que
+la précédente, et qui se trouve également à la page 276 de l'ouvrage
+de M. Rocquain.
+
+ [Note 65: Cette lettre n'est pas dans les lettres publiées
+ sous le second empire, mais elle se trouve à la page 273 du
+ livre de M. Rocquain (_Napoléon Ier et le roi Louis_).]
+
+Le roi venait à peine de recevoir cette lettre, lorsqu'il apprit à
+son pavillon de Haarlem, où il se trouvait alors, que le duc de
+Reggio demandait l'occupation de la capitale et l'établissement de
+son quartier général à Amsterdam[66]. À cette foudroyante nouvelle,
+Louis, frémissant d'indignation, résolut de défendre sa capitale
+jusqu'à la dernière extrémité. Il comptait sur le peuple et sur
+l'armée, mais pour exécuter un semblable projet, il fallait d'abord
+inonder le pays, exposer les habitants à toutes les horreurs, et
+sans espoir de ne pas succomber un jour. Les ministres, les généraux
+furent d'un avis opposé au sien; lui-même, naturellement d'un
+caractère doux et bon, lorsqu'il envisagea froidement les
+conséquences de sa résolution extrême, sentit son coeur touché de
+compassion pour ses peuples. Il crut donc faire mieux en abdiquant
+en faveur de ses enfants, sous la régence de la reine, assistée d'un
+conseil de régence.
+
+ [Note 66: Le bruit de cette nouvelle exigence du gouvernement
+ français s'était répandu déjà depuis quelque temps. Le roi
+ avait demandé une explication catégorique à M. Serrurier,
+ chargé d'affaires de France. M. Serrurier avait répondu le 16
+ juin, à M. Roëll, ministre des affaires étrangères de
+ Hollande, qu'il était chargé par l'empereur de désavouer le
+ dessein de mettre une garnison française à Amsterdam, mais
+ que toute attitude hostile serait considérée comme une
+ déclaration de guerre. Dans cette même lettre, le chargé
+ d'affaires revenait sur la demande de réparation de l'outrage
+ fait au cocher de l'ambassadeur.]
+
+
+ Je vais mettre, dit-il, l'empereur au pied du mur, et le forcer de
+ prouver à la face de l'Europe et de la France le secret de sa
+ politique envers la Hollande et envers moi, depuis cinq années. Je
+ mets mon fils à ma place. Si toutes les querelles faites à moi et à
+ mon gouvernement sont véritables, il reconnaîtra mon fils, qui lui
+ laissera tous les moyens de faire tout ce qu'il veut relativement au
+ commerce et à l'Angleterre, puisque, par la constitution du royaume,
+ à mon défaut, la régence lui appartient de droit.
+
+ Si, au contraire, il profite de mon abdication pour s'emparer de la
+ Hollande, il sera prouvé incontestablement aux yeux de tous les
+ Français que toutes les accusations étaient des querelles
+ d'Allemand, que c'était là où l'on en voulait venir; et du moins ni
+ le droit de conquête, ni une cession, ni une soumission quelconque,
+ ne donneront la moindre ombre de légalité à cette usurpation de la
+ Hollande; je ne craindrai plus que l'on se serve de mon nom pour
+ s'en emparer avec quelque apparence de droit.
+
+
+Le roi rédigea ensuite de sa main un message au Corps législatif. Ce
+message était violent: c'était l'histoire des griefs de la Hollande
+contre la France. Il était de nature à exaspérer l'empereur, à nuire
+au pays, à la régence de son fils; toutes ces considérations
+l'engagèrent à en rédiger un autre. Il écrivit aussi son acte
+d'abdication et une proclamation au peuple. Dans son message à
+l'Assemblée législative, il laissa deviner qu'il abdiquait parce
+qu'il n'avait pu se défendre; dans son acte d'abdication, il eut la
+générosité de se laisser envisager comme le seul obstacle au bonheur
+de la Hollande; dans sa proclamation au peuple, il annonça l'entrée
+des Français à Amsterdam, en recommandant de voir en eux des amis.
+Pour éviter qu'on ne cherchât à s'emparer de sa personne, le roi
+voulut que tous ces actes, datés de Haarlem le 1er juillet 1810, ne
+fussent publiés qu'après son départ.
+
+Il mit ensuite ordre à ses affaires d'intérêt, puis à minuit, après
+avoir inondé son fils de ses larmes, il sortit de son pavillon à
+pied, par le jardin, pour gagner sa voiture. Il fit une chute dans
+le fossé, chute qui faillit l'empêcher de partir. Enfin, ce bon et
+malheureux prince quitta la Hollande, regretté de tout le monde. Il
+informa l'empereur de sa résolution extrême. Napoléon, sans
+précisément regretter l'abdication de son frère, fut péniblement
+affecté de son départ, qui n'était nullement dans sa politique. Les
+troupes françaises entrèrent à Amsterdam, et le 11 juillet la
+Hollande fut réunie à la France.
+
+Lorsque Louis Bonaparte était monté sur le trône de Hollande, de par
+la volonté de Napoléon, le pays avait une population de 2,100,000
+habitants. Après le traité du 16 mars 1810, ayant perdu le Brabant
+hollandais, la Zélande, y compris l'île de Schouwen, la Gueldre
+située sur la rive gauche de la Meuse, elle avait été réduite à
+1,667,000 habitants, et son territoire s'était trouvé diminué de
+1322 lieues carrées.
+
+Voilà quel avait été, en définitif, l'avantage que ce pays avait
+retiré du protectorat de la France. On comprend que, dans d'aussi
+tristes conditions, le roi Louis ait cru devoir faire le sacrifice
+d'une couronne qu'il avait acceptée parce qu'il ne pouvait faire
+autrement, et avec l'intention formelle d'être utile à sa nouvelle
+patrie.
+
+
+IV.
+
+Juillet 1810-1846
+
+En apprenant l'abdication et le départ du roi Louis, l'empereur
+envoya prendre par un de ses aides de camp (le général de Lauriston)
+le jeune prince royal. Il le remit aux mains de sa mère à son
+arrivée à Paris, et lui dit:
+
+
+ Venez, mon fils, je serai votre père, et vous n'y perdrez rien. La
+ conduite de votre père afflige mon coeur; sa maladie seule peut
+ l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la
+ vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma
+ politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont
+ envers moi, vos seconds envers la France. Tous vos devoirs, même
+ ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent
+ qu'après.
+
+
+Ici se termine la seconde partie de l'histoire du roi Louis de
+Hollande. Nous avons exposé longuement les différentes phases de son
+règne si court et pourtant si plein de péripéties, nous avons montré
+les causes qui rendirent ce règne malheureux pour le roi. Nous
+n'avons pas à nous prononcer sur le plus ou moins de loyauté de la
+conduite de Napoléon à l'égard de Louis, sur le plus ou moins de
+raisons qu'avait Louis pour résister à la grande politique de
+Napoléon. D'un côté, si la politique excuse bien des choses, d'un
+autre côté, un roi ne comprend pas ses devoirs de la même façon
+qu'un simple particulier. Quoi qu'il en soit, le règne du roi Louis
+ne fut pas inutile pour la Hollande et stérile pour le pays.
+
+En quittant la Hollande, le roi Louis fit connaître, par une
+circulaire adressée aux diverses cours de l'Europe, les motifs et
+les conditions de son abdication. En outre, un conseiller d'état fut
+expédié à la reine Hortense, alors à Plombières. On a vu que
+Napoléon avait rendu inutiles toutes ces précautions pour assurer la
+couronne au prince royal et, à son défaut, au second des enfants de
+Louis. Avant de partir, le roi avait vendu la petite terre
+d'Ameliswerd, située près d'Utrecht, et avait laissé ses revenus du
+mois de juin à son fils, n'emportant que dix mille florins en or et
+ses décorations en brillants. Il se dirigea sur Toeplitz où il
+arriva le 9 juillet, prenant des précautions pour n'être pas arrêté
+en route par ordre de l'empereur. Il avait choisi le titre de comte
+de Saint-Leu, voulant retourner plus tard en France, dans la terre
+de ce nom, si on reconnaissait son fils; mais lorsqu'il eut appris
+ce qu'avait fait Napoléon, le doute n'étant plus permis, il se
+décida à habiter un pays neutre. Il hésita entre l'Amérique, la
+Suisse ou l'Autriche. Jusqu'à ce qu'il pût vivre à Rome, dont le
+climat était nécessaire à sa santé, il choisit les états
+autrichiens. Il écrivit donc à l'empereur François II, déclarant
+qu'il désirait rester indépendant de Napoléon, mais non son ennemi.
+
+Il traversa Dresde et se rendit ensuite aux eaux de Toeplitz. Le 11
+juillet 1810, il écrivit de cette dernière ville à M. de Bourgoing,
+ambassadeur de France:
+
+
+ Monsieur de Bourgoin, je suis passé avant-hier à Dresde; mais, comme
+ je désire vivement rester inconnu, je ne vous ai point fait avertir.
+ Je suis aux bains de Toeplitz, où je compte rester, s'il m'est
+ possible, toute cette saison; je n'ai pas voulu que l'ambassadeur de
+ l'empereur fût instruit par d'autres que par moi de mon arrivée dans
+ ce pays, du but de mon voyage et de mon projet. Vous serez peut-être
+ instruit, à l'heure qu'il est, que j'ai abdiqué en faveur de mon
+ fils aîné. Je ne devais pas faire autrement, les choses étant venues
+ au point qu'il m'aurait fallu me déshonorer, et ravaler entièrement
+ l'autorité royale en mettant ma capitale sous les ordres d'un
+ officier, ainsi que tout le pays, simulacre inutile et peut-être
+ plus. Je ne pouvais souffrir cette dernière humiliation, surtout
+ après avoir mis toute la résignation possible en acceptant le traité
+ commandé par mon frère, sans écouter aucun sentiment d'orgueil,
+ d'amour propre ou d'intérêts personnels. La politique de mon frère
+ ou de la France commandant l'anéantissement de mon gouvernement,
+ ainsi qu'il était impossible de me le celer, j'ai dû, ou sacrifier
+ mon rang et descendre du trône, ou résister, c'est-à-dire succomber
+ en défendant la juste cause d'un pays malheureux et injustement
+ maltraité; mais si j'avais pu oublier que la Hollande serait devenue
+ le théâtre de toutes les horreurs de la guerre, seul fléau que j'ai
+ pu parvenir à écarter de son sol durant mon règne, je ne pouvais
+ oublier que c'est à cette terrible extrémité que les ennemis de la
+ Hollande et les miens, et ceux de l'empereur, auraient voulu réduire
+ le pays; mais j'ai tout fait pour éviter un si grand malheur, et mon
+ frère, s'il est bien informé, doit être bien convaincu que, seul,
+ j'ai empêché l'explosion du mécontentement et du désespoir même d'un
+ peuple maltraité et vexé chaque jour davantage d'une manière aussi
+ peu politique qu'elle était injuste et contraire, non seulement au
+ droit des gens et aux égards qu'on doit à un pays paisible, mais
+ encore entièrement contraire aux stipulations précises du traité du
+ 16 mars de cette année. Si j'avais pu me dissimuler que, loin d'être
+ sauvé par la résistance, mon royaume aurait été ruiné de fond en
+ comble, comment aurais-je pu oublier que j'étais né Français, que
+ mes enfants le sont comme moi, que je suis connétable et prince
+ français, et qu'enfin, malgré tant de peine et de calomnies, j'étais
+ parvenu à concilier à la France les habitants malheureux et ruinés
+ de la Hollande, gémissant sous le poids des barrières du commerce et
+ de la navigation? Je ne pouvais pas faire perdre à la Hollande le
+ fruit de tant de sollicitudes, et j'ai été persuadé comme je le
+ suis, et le serai toujours, que je n'avais pas d'autre parti à
+ prendre que celui de l'abdication. Par là, la régence qui gouvernera
+ au nom de mon fils fera entièrement la volonté de S. M. l'empereur
+ et de ses ministres, ce que je ne pouvais faire qu'autant que
+ j'étais convaincu que cela n'était pas contraire à mon devoir. Si
+ mon fils était majeur, j'eusse renoncé pour lui aussi; mais comme il
+ ne l'est pas, j'espère qu'avant sa majorité la paix maritime sera
+ arrivée et le pillage des douaniers et des corsaires fini. D'ici là,
+ mon frère s'apercevra qu'il m'a accusé injustement, que je ne lui ai
+ rien dit que de vrai sur la Hollande, et mon fils sera plus heureux
+ et plus tranquille que son pauvre père. D'après ce petit exposé,
+ vous voyez que je ne pouvais rester en Hollande, ne régnant plus.
+ Forcé à un parti qui m'a profondément affligé, j'ai dû songer à
+ obtenir une retraite entière où je sois inconnu, et c'est ce qui m'a
+ fait choisir ce lieu jusqu'à la fin de la belle saison.
+
+ J'ai rendu compte à mon frère de mon abdication; j'ai tout lieu de
+ penser qu'il l'approuvera, puisque j'ai assuré plusieurs fois, par
+ écrit, verbalement et par des actes officiels faits au général
+ français en Hollande, écrit à la légation française à Amsterdam, et
+ à celle de Hollande à Paris, que si l'on ordonnait toujours un
+ traité si dur par lui-même, comme on a commencé d'abord à le faire,
+ surtout si l'on faisait occuper la capitale par les troupes
+ françaises, je regarderais cela comme la dissolution de mon
+ gouvernement, et que, quand même je pourrais être assez aveugle pour
+ ne pas le sentir davantage, cela arriverait de fait, le commandant
+ des troupes françaises, des miennes, comme celui de ma capitale
+ n'étant plus sous mes ordres. Je vous prie, M. de Bourgoing, de
+ vouloir rendre compte à S. M. l'empereur de mon arrivée ici, de mon
+ vif désir de rester dans les environs pour y soigner tranquillement
+ ma santé, et que je le prie de me permettre ensuite de résider tout
+ à fait dans les environs de Dresde, d'où je pourrais venir aux eaux
+ chaque année et m'y préparer durant l'hiver par le régime et la
+ retraite. Cela n'est sujet à aucun inconvénient. J'ai pris le nom de
+ Saint-Leu; je suis fermement résolu à passer le reste de ma vie dans
+ la plus profonde retraite, quelque chagrin que je puisse en
+ éprouver. Je vous prie surtout de plaider ma cause: le plus grand
+ malheur de ma position, c'est de ne pouvoir pas rentrer en France,
+ où je devrais paraître dans mon rang et avec des fonctions
+ quelconques, ce qui est impossible et le sera toujours; je n'ai
+ qu'un voeu, rester simple particulier le reste de ma vie. J'ai
+ choisi Dresde sous le rapport de la salubrité de l'air et des eaux;
+ cependant, si l'empereur voulait que je sois ailleurs, je m'y
+ rendrai avec soumission. Je vous prie de ne me connaître et de ne me
+ parler, si je vous vois, que sous le nom de M. de Saint-Leu; vous me
+ feriez beaucoup de peine en faisant autrement.
+
+ Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de ma considération.
+
+
+M. de Bourgoing se hâta de transmettre au duc de Cadore la lettre du
+roi. Le ministre des relations extérieures de France lui écrivit le
+27 juillet:
+
+
+ Votre lettre nº 319, à laquelle vous aviez joint votre réponse au
+ roi de Hollande, m'est parvenue promptement. Elle m'a été remise par
+ M. de Langenau. J'ai attendu ensuite avec une impatience que
+ l'empereur a partagée, la lettre précédente qui devait renfermer les
+ premières nouvelles du roi de Hollande dont nous ignorions encore la
+ retraite. Elle n'est arrivée que trois jours après. Vous n'aviez
+ envoyé votre courrier qu'à Francfort. Là, la lettre a été mise à la
+ poste, je ne sais par qui, et elle n'est arrivée au ministère que
+ deux jours après les lettres que j'ai présumé être parties de
+ Francfort à la même époque. Le prince d'Eckmul a été instruit par le
+ général Compans de l'arrivée de votre courrier à Francfort et des
+ nouvelles qu'il apportait deux jours avant celui où j'ai reçu votre
+ lettre.
+
+ Je n'entre dans ce détail, Monsieur, que pour vous faire sentir la
+ nécessité d'envoyer directement vos courriers à Paris, surtout
+ lorsqu'ils doivent annoncer des événements importants dont je vous
+ suppose jaloux de donner les premières nouvelles. C'est par M. de
+ Langenau que l'on a appris à Paris que le roi de Hollande était à
+ Toeplitz; jusque-là nous ignorions où il était.
+
+ Vous vous êtes renfermé en lui répondant dans les bornes
+ convenables. Vous ferez bien, si l'occasion s'en présente à vous
+ d'une manière naturelle, de représenter à ce prince que sa place
+ n'est pas en pays étranger, que sa dignité, les titres auxquels il
+ n'a pas renoncé et sa qualité de Français et de prince français le
+ rappellent en France, que son retour lui est prescrit par ses
+ devoirs envers l'empereur, chef de sa famille et son souverain,
+ envers sa famille et son pays. Vous lui direz les choses comme de
+ vous-même et avec toutes les formes de respect propres à faire
+ excuser la liberté que vous oserez prendre. Vous pourrez même lui
+ dire:--Je ne sais ce que l'empereur a pu écrire à Votre Majesté,
+ mais si mon respect et mon dévouement pour l'empereur, que j'ai
+ l'honneur de servir, et mon attachement à votre personne pouvaient
+ m'autoriser à m'expliquer avec franchise, j'oserais dire à V. M.,
+ etc., etc. Je vous invite d'ailleurs à transmettre avec exactitude
+ les détails qui vous parviendront sur le séjour du roi à Toeplitz et
+ à prendre des mesures pour en bien connaître toutes les
+ circonstances. L'empereur prend trop d'intérêt au sort de son frère,
+ quels que puissent être ses torts envers lui, pour ne pas désirer
+ d'être fidèlement instruit de tout ce qui le concerne, et si vous
+ parveniez à déterminer le roi à rentrer en France, l'empereur vous
+ saurait gré de cette preuve de votre zèle à le servir.
+
+
+En vain, notre ministre à Dresde fit auprès de Louis toutes les
+démarches pour l'engager à se rendre en France, le roi de Hollande
+refusa, et M. de Bourgoing ayant fait connaître ces refus réitérés,
+M. de Cadore lui écrivit:
+
+
+ De Paris, le 30 août 1810.
+
+ Monsieur, j'ai reçu votre lettre du 18 août dans laquelle vous me
+ rendez compte des efforts que vous avez faits pour vous rapprocher
+ du roi de Hollande et lui faire la communication que je vous avais
+ indiquée dans ma lettre du 27 juillet. Cette lettre, Monsieur, ne
+ vous prescrivait pas de n'entretenir le prince que verbalement; elle
+ ne vous défendait pas de vous adresser à lui par écrit. Vous y avez
+ trouvé cette expression: «_dire ces choses comme de vous-même_,»
+ etc. Mais le mot _dire_, dans un sens figuré, s'applique aussi à ce
+ que l'on écrit. On dit par écrit comme verbalement. Ce que je vous
+ recommandais surtout était de chercher une occasion naturelle de
+ faire ces représentations. Un rendez-vous aux frontières, que vous
+ aviez sollicité du roi, n'était pas une occasion naturelle; on en
+ aurait beaucoup parlé. L'occasion naturelle était une réponse que
+ vous auriez pu faire à une lettre du roi. Il est fort heureux que le
+ roi ait refusé l'entrevue que vous lui avez fait demander. Il n'est
+ pas probable que vous puissiez trouver maintenant une occasion très
+ naturelle de donner au prince les conseils indiqués dans ma lettre,
+ et l'empereur désire que vous ne preniez plus aucune part à cette
+ affaire. S. M. veut que, si vous êtes consulté encore par le comte
+ de Saint-Leu, vous vous absteniez de lui répondre, que vous lui
+ laissiez faire ce qu'il désire et que vous ne vous mettiez plus en
+ peine de ce qui le regarde, ce qui ne doit pas empêcher de faire
+ connaître ce que vous apprendrez de lui.
+
+
+Louis était tellement las des grandeurs et excédé de tout ce qu'il
+avait souffert sur le trône, qu'il souhaitait avant toute chose le
+repos; aussi le 20 juillet écrivit-il à son oncle, le cardinal
+Fesch, la curieuse lettre suivante:
+
+
+ Mon cher oncle, je suis aux eaux de Toeplitz depuis dix jours; j'en
+ éprouve beaucoup de bien. J'ai écrit à maman et à Pauline, mais je
+ suis si loin que je crains, avec raison, que mes lettres ne leur
+ parviennent pas. Vous êtes à présent peut-être le seul de la famille
+ auprès de l'empereur. Dites-moi, je vous prie, si vous croyez qu'il
+ me permette enfin de vivre tranquille et obscur. C'est là tout mon
+ désir. Après les malheurs que j'ai éprouvés, je ne puis plus rien
+ être, et si l'empereur le veut, je vous prierai de me vendre vos
+ biens en Corse et j'irai m'y établir; mais comme je suis résigné à
+ tout plutôt qu'à être quelque chose, après n'avoir pu rester sur le
+ trône de Hollande, je crains qu'il n'y consente pas. Si je pouvais
+ obtenir de m'y retirer avec le plus jeune de mes enfants, je me
+ trouverais bien heureux, puisque je serais à jamais tranquille.
+ Veuillez, mon cher oncle, vous en informer directement chez mon
+ frère et me dire sa réponse et votre opinion. J'attends votre
+ réponse avec impatience.
+
+
+Ce malheureux prince commençait en effet à goûter un repos
+salutaire, après tant de péripéties. Lorsqu'il apprit la réunion de
+la Hollande à la France, désespéré de voir les droits de ses enfants
+méconnus, il ne put qu'adresser à toutes les cours une protestation
+dans laquelle il établissait qu'ayant accepté le trône sans
+conditions, ayant exécuté toutes ses conventions avec la France,
+n'ayant abdiqué qu'à la dernière extrémité, après avoir été
+contraint par la force à signer le traité du 16 mars 1810, Napoléon,
+son frère, n'avait pas le droit de réunir la Hollande à l'empire et
+de frustrer de la couronne le prince son fils.
+
+Le roi ne tarda pas à éprouver quelques chagrins d'une autre nature
+et qui, pour être d'un ordre moins élevé que les chagrins de la
+politique, n'en jetèrent pas moins dans son coeur une affliction
+réelle et un profond dégoût de la nature humaine. Il ne s'était fait
+accompagner dans son exil volontaire que par deux hommes, le général
+Travers et le contre-amiral Bloys, qui lui devaient tout et qu'il
+avait choisis parmi une foule de personnes loyales et sûres; ces
+deux hommes le quittèrent au bout de quelque temps, le laissant
+seul, sans famille, presque sans relation d'aucune espèce, sur une
+terre étrangère. Tout à coup il vit paraître près de lui le
+chevalier (plus tard duc) Decazes, son ancien secrétaire de cabinet,
+jadis secrétaire des commandements de Madame mère, alors conseiller
+à la cour de justice de Paris. M. Decazes venait l'engager à rentrer
+en France. Louis fut inébranlable dans sa résolution de ne pas
+revenir dans sa patrie, et comme les climats tempérés lui étaient
+favorables, il quitta Toeplitz pour se rendre à Gratz en Styrie,
+partie la plus méridionale des états autrichiens. Il eût préféré
+Rome ou Naples, mais Rome n'était plus indépendante, et Naples était
+sous l'influence de Napoléon. M. Decazes l'accompagna à Gratz,
+renouvelant sans succès les tentatives qu'on l'avait chargé de faire
+pour persuader au prince de rentrer en France.
+
+Pendant ce court voyage, il fut rejoint par M. Lablanche, secrétaire
+de l'ambassadeur français à Vienne, qui lui apportait une sommation
+de se rendre à Paris.
+
+
+ Sire, disait M. Otto[67] dans cette lettre du 12 octobre, l'empereur
+ m'ordonne d'écrire à Votre Majesté dans les termes suivants: Le
+ devoir de tout prince français et de tout membre de la famille
+ impériale est de résider en France, et il ne peut s'absenter qu'avec
+ la permission de l'empereur. Après la réunion de la Hollande à
+ l'empire, l'empereur a toléré que le roi résidât à Toeplitz, sa
+ santé paraissait lui rendre les eaux nécessaires; mais aujourd'hui
+ l'empereur entend que le prince Louis, comme prince français et
+ grand dignitaire de l'empire, y soit rendu au plus tard au 1er
+ décembre prochain, sous peine d'être considéré comme désobéissant
+ aux constitutions de l'empire et au chef de sa famille, et traité
+ comme tel.
+
+ [Note 67: Ambassadeur de France à Vienne.]
+
+ Je remplis, Sire, mot pour mot, la mission qui m'est confiée, et
+ j'envoie le premier secrétaire d'ambassade pour être assuré que
+ cette lettre aura été remise exactement.
+
+ Je prie Votre Majesté d'agréer l'hommage de mon profond respect.
+
+
+Louis resta sourd à cette sommation, comme il était resté sourd aux
+prières; il espérait être enfin délivré de cette persécution d'un
+nouveau genre, il n'en était rien. Son ancien secrétaire, M.
+Decazes, lui fut envoyé de nouveau et ne réussit pas mieux qu'à son
+premier voyage. Il y avait à peine deux mois que l'ex-roi de
+Hollande habitait Gratz, lorsqu'il connut tout à coup, par le
+_Moniteur_ du 15 décembre, le sénatus-consulte du 10 du même
+mois[68]. Indigné, il envoya le 30 au sénat la protestation
+suivante:
+
+ [Note 68: Ce sénatus-consulte lui donnait un apanage autour
+ de sa terre de Saint-Leu en dédommagement de la Hollande.]
+
+
+ Sénateurs, le _Moniteur_ du 15 arrive; j'étais loin de m'attendre au
+ coup mortel, à l'atteinte ineffaçable que me porterait le
+ sénatus-consulte du 10 décembre.
+
+ Je dois au nom de l'empereur, qui est aussi le mien, à mes enfants
+ et au peuple à qui j'appartiens depuis le 5 juin 1806, de déclarer
+ publiquement, comme je déclare en ce moment:
+
+ Que, lié à jamais, ainsi que mes enfants, au sort de la Hollande, je
+ refuse pour moi, comme pour eux, l'apanage dont il est fait mention
+ dans ledit sénatus-consulte. J'ordonne, par le présent acte que je
+ porte à sa connaissance, à la reine, de refuser pour elle, comme
+ pour ses enfants, la moindre partie d'un tel don, et de se contenter
+ de ses propriétés particulières jointes aux miennes.
+
+ J'ordonne, par le présent acte, au sieur Tivent, intendant général
+ de la couronne, à qui j'ai confié l'administration de ces
+ propriétés, comme chargé de mes affaires particulières, de mettre la
+ reine en possession de tout ce qui m'appartient individuellement,
+ consistant dans toutes les acquisitions qui, depuis le 5 juin 1806,
+ n'ont pas été réunies au domaine de la couronne par l'acte d'achat.
+
+ Je déclare, en outre, que je désavoue toutes les accusations,
+ lettres et écrits quelconques, lesquels tendraient à faire croire
+ que j'ai trahi mon pays, mon peuple, moi-même, ou manqué à ce que je
+ devais et aimerai toujours à devoir à la France, ma première patrie,
+ que j'ai servie, depuis mon enfance, de coeur et d'âme. Placé sur le
+ trône de la Hollande, _malgré moi_, mais lié à ses destinées par mes
+ affections, mes serments et les devoirs les plus sacrés, je ne veux
+ et ne peux vouloir que rester Hollandais toute ma vie. En
+ conséquence, je déclare le don dudit apanage nul et de nul effet
+ pour moi, comme pour mes enfants, et pour leur mère, annulant
+ d'avance tout consentement ou acceptation donnés, soit directement,
+ soit indirectement.
+
+ En foi de quoi j'ai rédigé le présent acte écrit et signé de ma
+ main. Je prie le Sénat de le recevoir et de faire agréer mon refus à
+ l'empereur.
+
+
+Le même jour, il écrivit à la reine:
+
+
+ Ma douleur et mon malheur seraient à son comble si je pouvais
+ accepter l'apanage honteux que me destine, ainsi qu'à mes enfants,
+ le sénatus-consulte que je vois dans le _Moniteur_ du 15 de ce mois.
+ Je vous ordonne de refuser jusqu'à la moindre partie de ce don vil
+ et douloureux. J'annule d'avance toutes les acceptations ou
+ consentements que vous pourriez donner, soit pour vous, soit pour
+ mes enfants. Toutes mes propriétés particulières sont à votre usage
+ et à celui de mes enfants. Je vous autorise, par l'écrit ci-joint, à
+ vous en mettre en possession; cela, joint à vos propres biens, vous
+ suffira pour vivre en simple particulière. Reine, épouse, mère, sous
+ tous les rapports, tout autre don vous offenserait, et je vous
+ désavouerais en tout temps comme en tout lieu.
+
+
+Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles le roi goûta enfin
+quelque tranquillité; il en profita pour se livrer à son goût
+dominant, l'étude des arts et de la littérature.
+
+La campagne de Russie amena le désastre des armées françaises dans
+le Nord, comme l'injuste guerre d'Espagne avait amené les désastres
+de l'armée française dans le Midi. La fortune se lassait de suivre
+Napoléon. Profondément affligé des malheurs de sa patrie, Louis,
+resté toujours bon Français, écrivit le 1er janvier 1813 à
+l'empereur la lettre ci-dessous:
+
+
+ Sire, profondément affligé des souffrances et des pertes de la
+ Grande-Armée, après des succès qui ont porté les armes françaises
+ jusqu'au pôle; pouvant aisément juger combien vous êtes pressé,
+ combien il est urgent de réunir tous les moyens de défense
+ possibles, au moment enfin où une lutte terrible va continuer et se
+ prépare encore plus furieuse; convaincu qu'il n'y eut jamais pour la
+ France, pour votre nom, pour vous, de moment plus critique, je
+ croirais manquer à tous mes devoirs à la fois, si je ne cédais à la
+ vive impulsion de mon coeur. Je viens donc, Sire, offrir au pays
+ dans lequel je suis né, à vous, à mon nom, le peu de santé qui me
+ reste et tous les services dont je suis capable, pour peu que je
+ puisse le faire avec honneur. Je suis, de Votre Majesté, le
+ respectueux et tout dévoué frère.
+
+
+Cette lettre fut envoyée par l'ambassadeur de France à Vienne et
+placée dans une autre lettre écrite à Madame mère. L'empereur y
+répondit, le 16 janvier 1813, qu'il voyait avec plaisir les
+sentiments qui animaient Louis, mais qu'il lui avait fait connaître
+déjà que ses devoirs envers l'empereur, sa patrie et ses enfants,
+exigeaient son retour en France; qu'il le recevrait comme un père
+reçoit son fils, qu'il avait des idées fausses sur la situation des
+affaires, que lui, Napoléon, avait un million d'hommes sur pied,
+deux cents millions dans ses caisses, que la Hollande était
+française à jamais, etc. Cette lettre, d'un style plus modéré que
+les précédentes, contenait cependant encore quelques expressions
+personnelles blessantes pour le roi. C'était, du reste, la première
+que Louis recevait de Napoléon depuis celle de mai 1810, finissant
+par ces mots: «c'est la dernière lettre de ma vie que je vous
+écris». Le roi, dont les propositions n'avaient pas été acceptées,
+fit un voyage au mois de juin 1813 aux bains de Neuhans, près de
+Gratz, pour sa santé. Il en revint au mois de juillet, et le 8 il se
+décida à faire des démarches auprès du congrès dont on annonçait
+l'ouverture à Prague, sous la médiation de l'Autriche. Des
+protestations, des notes envoyées à tous les souverains, n'eurent
+aucun résultat. Voyant la guerre prête à éclater entre l'Autriche et
+la France, Louis ne voulut pas rester plus longtemps dans les états
+de l'empereur François II, malgré les bienveillantes instances de ce
+souverain pour l'y retenir. Il crut donc devoir se rapprocher de sa
+patrie, et le 10 août il partit pour la Suisse[69].
+
+ [Note 69: Dans un petit volume de poésies publié par Louis, à
+ Lausanne, on trouve les adieux suivants au séjour de Gratz:
+
+ Adieu florissante contrée
+ Où nul ne comprit tous mes maux,
+ Mais où, l'âme triste, éplorée,
+ J'ai souvent rêvé le repos...
+ Mais rien n'est pour un long usage
+ Dans ce monde trop incertain;
+ Le temps est un bac de passage
+ Où nos pas s'attachent en vain.
+ Confidents d'un coeur solitaire,
+ Jeunes arbres, mes seuls amis,
+ Puisse votre ombre hospitalière
+ Mieux abriter d'autres proscrits.]
+
+En arrivant à Ischl, il écrivit à Napoléon:
+
+
+ Sire,
+
+ Les approches de la guerre avec la France m'avaient fait songer,
+ depuis plusieurs mois, à quitter ce pays; voulant être sûr de ne
+ point me trouver enfermé dans un pays ennemi, je suis parti le 10
+ août. Je vous écris des frontières de la Bavière.
+
+ Le duc d'Otrante, que j'ai vu à son passage par Leybach, m'a
+ beaucoup parlé; je lui ai caché mon dessein, parce que je voulais
+ que vous l'apprissiez par moi seul.
+
+ Sire, j'avais le projet de me rendre dans une retraite sûre et
+ définitive dont j'ai plus besoin que jamais. La Bosnie m'était
+ ouverte; comme un pays tranquille, amie naturelle de la France, elle
+ me convenait sous tous les rapports, même sous celui du climat;
+ mais, Sire, quand j'étais au moment de partir, j'ai appris les
+ malheurs d'Espagne, j'ai appris que les ennemis étaient de ce côté
+ sur les frontières, j'ai vu que la guerre était imminente, que vous
+ alliez avoir un million d'hommes armés contre vous... Je ne me suis
+ pas cru le maître de me soustraire à la crise imminente et terrible
+ qui se prépare. Je suis peu de chose, mais ce que je suis je le dois
+ à la Hollande, et après à la France et à vous. Je vais donc en
+ Suisse pour pouvoir en être appelé par vous, quand vous croirez
+ pouvoir le faire sans m'ôter l'espoir de rentrer en Hollande à la
+ paix générale, ni d'une manière contraire au serment que je lui ai
+ prêté, car, comme il est cependant impossible que vous ayez voulu
+ faire de moi et de mes enfants des êtres provisoires, il est
+ impossible que Votre Majesté ne veuille pas leur rétablissement et
+ le rétablissement de la Hollande, quand toutes les affaires
+ relatives au commerce et à la navigation seront terminées. Enfin,
+ Sire, si je puis jamais être utile et à la France et à V. M., elle
+ saura mieux que moi la manière dont cela convient à celui de ses
+ frères qui est devenu roi de Hollande... Si cela n'est jamais le
+ cas, je serai dans un pays qui, du moins, ne cessera jamais d'être
+ ami de la France; quand je suis venu en Autriche, j'étais persuadé
+ que le pays de l'impératrice de France ne serait de longtemps en
+ guerre avec elle, et à coup sûr de mon vivant.
+
+ Je vous prie de faire attention, Sire, que je viens à vous pour
+ souffrir; que je le désire plus vivement à mesure que le péril
+ augmente; que, dans la malheureuse position où m'ont placé les
+ événements, j'ai dû ne plus partager la prospérité de ma maison,
+ mais non me soustraire à ses dangers. Puissent, Sire, ceux qui la
+ menacent, n'être pas aussi réels que je le crains! Mais les
+ armements sont immenses, et dans un tout autre ordre et esprit que
+ précédemment. Tout le monde gémit et réclame la guerre contre la
+ France. Sire, je fais mon devoir, et envers la Hollande, et envers
+ la France, et envers vous, en me rapprochant de tous trois, en me
+ mettant plus à votre portée. Jamais je n'aurai à me reprocher de les
+ avoir privés par ma faute de mes faibles efforts, quels qu'ils
+ puissent être, et cette conviction me consolera, quelque chose qui
+ arrive.
+
+
+Cette lettre resta sans réponse. Louis fit quelques courses pour
+visiter la Suisse, puis il attendit à Saint-Gall les suites des
+événements qui grossissaient de toutes parts. Après la malheureuse
+bataille de Leipsick, Murat, ayant quitté l'armée française pour
+revenir à Naples, passa par la Suisse; il vit le roi son beau-frère
+et lui conseilla de rentrer en Hollande par le secours des
+alliés[70]. Louis répondit qu'il ne le ferait pas, attendu qu'on
+n'admettrait jamais la neutralité de la Hollande et qu'il ne
+voudrait, pour aucun trône du monde, faire la guerre à son pays.
+Toutefois, voulant profiter des circonstances pour une nouvelle
+tentative faite bien moins dans son intérêt que dans celui de ses
+enfants, il envoya un des officiers de son ancienne garde attendre
+Napoléon à son passage à Mayence, avec mission de lui remettre une
+lettre.
+
+ [Note 70: C'est le roi Louis lui-même qui, dans son ouvrage
+ sur la Hollande, t. III, page 324, nous fait connaître ce
+ fait.]
+
+Louis demandait qu'on le laissât retourner en Hollande et qu'on lui
+permit de traverser la France pour se rendre à Amsterdam. Persuadé
+qu'au point où en étaient les affaires, l'empereur serait ravi de
+lui céder de nouveau un pays qui allait tomber aux mains des alliés,
+et qu'il croyait être seul à même de sauver et de soustraire à la
+coalition, l'ex-roi de Hollande vint jusqu'à Pont-sur-Seine, après
+avoir écrit à l'impératrice régente et au prince Cambacérès; mais, à
+son grand étonnement, il apprit qu'on refusait de le recevoir à
+Paris. Il rentra donc en Suisse, et là fut rejoint par l'officier
+envoyé à Napoléon. Cet officier, et bientôt après les lettres de
+Berthier et du duc de Vicence, lui firent connaître la réponse de
+l'empereur.
+
+«J'aime mieux que la Hollande retourne sous le pouvoir de la maison
+d'Orange, avait dit Napoléon, que sous celui de mon frère.»
+
+Malgré tous les échecs, malgré tous les déboires, Louis crut encore
+devoir faire une tentative en octobre 1813, lorsqu'il connut les
+événements qui venaient d'avoir lieu en Hollande, l'insurrection de
+ce pays contre la France, son abandon par les troupes de l'empereur
+et l'établissement d'une espèce de gouvernement provisoire exercé
+par les magistrats d'Amsterdam. En conséquence, il adressa, le 29
+novembre, de Soleure, à ce gouvernement provisoire, une longue
+lettre dans laquelle, passant en revue toutes les phases de son
+règne, il relatait ses droits et ceux de ses enfants. Il n'avait ni
+désiré, ni recherché la couronne, il ne s'était décidé à l'accepter
+que sur l'instance de la députation batave, et dans l'espoir
+d'assurer à son pays d'adoption la protection puissante de la
+France; il avait fait tout ce qui était humainement possible pour
+maintenir l'intégrité du territoire, l'indépendance de la nation; il
+avait cherché à faire jouir les peuples des bienfaits de lois
+équitables, il n'avait abdiqué qu'en faveur de son fils, tout
+récemment il avait voulu se rendre à Amsterdam pour mettre la nation
+hollandaise à même de se prononcer librement pour lui ou pour la
+maison d'Orange.
+
+Louis commençait ce long, intéressant et véridique plaidoyer en
+disant que les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouvait
+la Hollande l'obligeaient à sortir de sa retraite, que ces
+circonstances devaient ou compléter les obligations qui
+l'attachaient au pays depuis huit ans, ou l'en dégager entièrement.
+Il terminait en promettant d'achever ce qui n'avait été qu'esquissé
+par l'acte d'union d'Utrecht, en assurant une constitution plus
+étendue, et en affirmant qu'il ferait tous ses efforts pour
+maintenir l'état de paix et de neutralité. Quelques personnes lui
+proposèrent de se rendre en Hollande pour y décider le peuple en sa
+faveur, il refusa. «Je ne puis y rentrer, répondit-il, que rappelé
+par la nation; il ne convient ni à mon caractère ni au bien de la
+Hollande que j'y rentre par la guerre ou par les troubles! Je dois
+me borner à faire savoir aux Hollandais que mon dévouement au pays
+est toujours le même, le reste les regarde.»
+
+Sa démarche auprès des magistrats d'Amsterdam n'obtint aucun succès,
+la maison d'Orange fut rétablie sur le trône. Dès lors, Louis se
+considéra comme entièrement dégagé de toute obligation envers la
+nation hollandaise, et il résolut de rentrer chez lui, à Saint-Leu,
+espérant qu'on l'y laisserait jouir de la tranquillité qui semblait
+le fuir en tous lieux. Le prince de Talleyrand lui ayant fait
+connaître l'entrée des alliés en Suisse, l'ex-roi de Hollande hâta
+son départ, et le 22 décembre 1813, après avoir fait une déclaration
+conforme à sa lettre du 29 novembre, il se rendit à Lyon et de là à
+Paris, où il arriva le 1er janvier 1814. Il descendit chez Madame
+mère, mais il ne put voir l'empereur. On lui insinua même l'ordre de
+s'éloigner à quarante lieues de la capitale de la France. Il refusa
+d'obéir, «personne, dit-il, n'ayant le droit de m'empêcher de
+demeurer chez moi.» Enfin le 10 janvier, il put être admis auprès de
+l'empereur, grâce à la médiation de l'impératrice. L'entrevue fut
+froide, les deux frères ne s'embrassèrent pas. Louis pria Napoléon
+d'écarter toujours, dans leurs conversations, ce qui pouvait
+concerner la Hollande. Quelques jours auparavant, le roi avait reçu
+de l'empereur la lettre autographe ci-dessous:
+
+
+ Mon frère, j'ai reçu vos deux lettres et j'ai appris avec peine que
+ vous soyez arrivé à Paris sans ma permission. Vous n'êtes plus roi
+ de Hollande depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à
+ la France. Vous ne devez plus y songer. Le territoire de l'empire
+ est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous
+ venir comme prince français, comme connétable de l'empire, vous
+ ranger auprès du trône? Je vous recevrai, vous serez mon sujet; en
+ cette qualité, vous y jouirez de mon amitié et ferez ce que vous
+ pourrez pour le bien des affaires. Il faut alors que vous ayez pour
+ moi, pour le roi de Rome, pour l'impératrice, ce que vous devez
+ avoir. Si, au contraire, vous persistez dans vos idées de roi et de
+ Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris... Je ne veux
+ pas de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi
+ une lettre que je puisse faire imprimer.
+
+
+Le roi désirait ardemment être employé, être utile à la France dans
+ce moment de crise, sans recevoir ni rang, ni apanage, ni titres,
+lesquels eussent été en opposition avec sa déclaration de Lausanne,
+lesquels l'eussent empêché de s'éloigner de France dans le cas où la
+victoire eût rendu la Hollande à celle-ci, et qui, dans ce cas,
+eussent été un assentiment tacite à la réunion, mais il éprouva avec
+une cruelle amertume combien, dans l'exil et le climat froid de la
+Styrie, trois années d'isolement et de chagrin avaient délabré sa
+santé. Il essaya vainement de se tenir à cheval, il ne pouvait même
+rester debout quelque temps.
+
+Il vit une seconde fois son frère, la veille du départ de Napoléon
+pour l'armée, le 23 janvier 1814. L'empereur semblait décidé à faire
+la paix après la première victoire, mais il se laissa entraîner
+ensuite dans un système opposé. Louis, d'accord avec Joseph, lui
+adressa presque journellement des lettres dans lesquelles il le
+suppliait de traiter le plus vite possible avec les alliés. Le 16
+mars, il lui écrivit: «Si Votre Majesté ne signe pas la paix,
+qu'elle soit bien convaincue que son gouvernement n'a guère plus de
+trois semaines d'existence. Il ne faut que du sang-froid et un peu
+de bon sens pour juger l'état des choses en ce moment[71].»
+
+ [Note 71: C'est à cette lettre, transmise par Joseph, que
+ Napoléon répond en écrivant que Louis a l'esprit faux, etc.
+ (Voir Joseph en 1814).]
+
+Ces mots étaient prophétiques.
+
+Louis demeura à Paris les mois de janvier, février et mars, jusqu'au
+30 de ce dernier mois, qu'il suivit l'impératrice à Blois. Il
+insista pour que celle-ci n'abandonnât pas la capitale malgré
+l'entrée des alliés, mais elle ne l'osa pas.
+
+L'empereur, dans ses instructions, déclarait traîtres tous ceux qui
+resteraient à Paris dans le cas où cette ville serait occupée par
+l'ennemi, et même tous ceux qui conseilleraient à l'impératrice de
+le faire..... Louis arriva à Blois avec Marie-Louise, qu'il avait
+rejointe à Rambouillet, étant parti après elle. Il séjourna à Blois
+jusqu'au 9 avril, époque à laquelle le retour des Bourbons fut
+connu. Des officiers de l'armée alliée étant venus chercher
+l'impératrice, l'ex-roi de Hollande prit congé d'elle et revint en
+Suisse. Il parvint le 15 avril à Lausanne. On lui avait fait dire
+avant son départ de Blois qu'il pouvait habiter la France; il pensa
+que son devoir s'y opposait, et qu'il devait partager la mauvaise
+fortune de sa famille. Peu de temps après la rentrée de Louis à
+Lausanne, le gouvernement des Bourbons érigea la terre de Saint-Leu
+en duché, sans même l'en prévenir. À cette nouvelle et à celle du
+traité de Fontainebleau, le prince fit une protestation, déclarant
+qu'il renonçait à tous les avantages qui lui étaient faits par la
+convention du 11 avril, qu'il y renonçait également pour ses
+enfants; que, simple particulier depuis son abdication, vivant comme
+tel, étranger à toute autre position, ayant refusé toutes les
+offres, ayant rejeté l'apanage qu'on lui voulait donner par le
+sénatus-consulte du 10 décembre 1810, il n'entendait conserver
+d'autres dépendances à sa propriété de Saint-Leu que celles qui y
+étaient en 1809, et qui, seules, lui appartenaient. Louis resta en
+Suisse jusqu'au mois de septembre, prolongeant son séjour dans ce
+pays, par l'espoir d'obtenir de sa mère qu'on lui remît son fils
+aîné. Toutes ses démarches ayant été inutiles, il se retira à Rome,
+où le Saint-Père le reçut avec joie. Le chef de l'église n'avait
+point oublié la conduite du roi Louis à son égard, les offres de
+service qu'il lui avait faites, les témoignages d'affection et de
+fidélité qu'il lui avait fait donner par le prélat Ciamberlani,
+supérieur des missions en Hollande, et cela dès le commencement des
+différends du pontife avec l'empereur Napoléon. Le prince arriva à
+Rome le 24 septembre 1814, et il s'empressa de réclamer hautement
+l'aîné de ses fils. Il recourut même aux tribunaux qui, le 7 mars
+1815, lui donnèrent gain de cause; mais le 20 du même mois, Napoléon
+était remonté sur le trône, tous les statuts de famille furent remis
+en vigueur, en sorte que ce qui concernait les Bonaparte dépendit
+encore uniquement de la volonté de l'empereur qui s'opposa au désir
+de son frère. Enfin, après la seconde abdication, le malheureux roi
+Louis obtint de la reine Hortense son fils aîné qui, dès lors,
+demeura avec lui. Pendant les cent-jours, Louis, dont la santé était
+gravement altérée, qui avait un impérieux besoin de repos, de
+tranquillité et de soins, qui n'avait plus de devoirs à remplir,
+résista aux pressantes sollicitations de se rendre auprès de sa
+soeur à Naples, ou bien à Paris. Il pensait d'ailleurs que le
+premier devoir social, que le caractère distinctif des gens de bien,
+la maxime la plus essentielle à la conservation, à l'ordre et au
+repos de la société, consiste dans le respect le plus profond envers
+les gouvernements établis.
+
+C'est vraisemblablement en vertu de ce principe qu'il professait
+hautement, que le roi Louis blâma les tentatives de son fils à
+Strasbourg et à Boulogne, ainsi qu'on le verra plus loin.
+
+Le roi Louis, philosophe par nature, supporta la chute de sa
+famille et la sienne avec résignation, dignité et grandeur d'âme.
+Méprisant le luxe, n'aimant pas la puissance du rang suprême, dans
+laquelle il ne voyait qu'obligations et devoirs, il se livra sans
+partage à l'étude des belles-lettres. Si des idées tristes
+interrompaient souvent la sérénité habituelle, la douceur normale de
+son âme, c'est que sa tendresse paternelle s'inquiétait pour
+l'avenir de ses enfants. Il quitta Rome pour le beau climat de la
+Toscane et le ciel pur de Florence. En 1831, il éprouva une immense
+douleur, il perdit l'aîné de ses deux enfants, le prince
+Napoléon-Louis, mort dans l'insurrection des Romagnes. Lorsque
+l'ancien roi de Naples et d'Espagne, Joseph, vint des États-Unis à
+Londres, pour essayer, après 1830, de soutenir les droits du fils de
+Napoléon au trône de France, Louis eut avec son frère aîné de
+fréquentes correspondances.
+
+Avant la fin de sa longue et pénible carrière, l'ex-roi de Hollande
+devait éprouver encore deux profonds chagrins, qui hâtèrent ses
+derniers instants. Le premier fut la tentative de Strasbourg, faite
+par le dernier de ses enfants, le prince Louis-Napoléon, suivie
+bientôt après de la tentative de Boulogne; le second fut le refus
+des gouvernements de France et d'Angleterre de permettre à ce fils
+de venir lui fermer les yeux.
+
+Lorsque l'ex-roi de Hollande connut les tentatives de son fils, il
+était malade à Florence. Il n'avait cessé d'être en relation suivie
+avec le duc de Padoue, son parent. Il lui écrivit le 15 novembre
+1836:
+
+
+ Mon cher cousin,
+
+ Je m'adresse à vous avec confiance dans le nouveau malheur que
+ j'éprouve et qui tombe sur moi comme un coup de foudre. Malgré le
+ malheur que j'ai eu il y a six ans de perdre mon fils aîné, par
+ suite d'une intrigue et d'une séduction infernale, son frère, qui
+ fut compromis aussi alors, s'est laissé de nouveau entraîner dans
+ une action aussi folle que grave. Vous savez mon état de santé, vous
+ savez qu'il m'est impossible d'agir par moi-même. Veuillez donc, je
+ vous prie, faire des démarches en mon nom auprès du gouvernement et
+ des personnes que j'ai connues autrefois, telles que le duc de
+ Cazes, s'il est à Paris, le comte Molé et tous ceux que vous croirez
+ être plus accessibles à mes prières, pour les engager à obtenir du
+ gouvernement que mon fils soit renvoyé en Angleterre avec sa mère.
+ On peut oublier son incartade en considération de la folie et je
+ dirai presque du ridicule d'une telle tentative et de ce qu'elle n'a
+ coûté la vie à personne.
+
+ Il est inutile que je vous parle de la reconnaissance que je vous
+ aurai d'un tel service, la gravité de la chose parle assez
+ d'elle-même.
+
+ Je me persuade que vous ne me refuserez pas un service aussi
+ important; en tout cas, veuillez me faire parvenir votre réponse le
+ plus promptement possible.
+
+ Adieu, mon cher cousin, recevez l'assurance de mon sincère
+ attachement.
+
+
+À la même époque, le 21 novembre 1836, la reine Hortense écrivait
+d'Arenenberg à M. de Padoue:
+
+
+ Monsieur le duc, en revenant chez moi, on m'a remis votre lettre.
+ Elle eût été d'une grande consolation pour moi, et peut-être
+ n'aurais-je pas entrepris un voyage aussi pénible, si j'avais su à
+ temps que la vie de mon fils n'était pas en danger, mais cette
+ incertitude était affreuse, et j'en allais appeler à vous tous, à
+ vos anciens sentiments, pour m'aider à obtenir une vie qui m'était
+ si chère, lorsque j'ai appris qu'il n'y avait rien à craindre pour
+ elle. Je ne me suis pas montrée, je n'ai pas même été jusqu'à Paris;
+ je ne voulais troubler personne, sans cela j'aurais été charmée de
+ vous revoir ainsi que votre fille[72]. Vous devez penser qu'elle
+ m'est toujours chère, que son bonheur m'intéresse et que je serai
+ toujours heureuse de vous assurer tous deux de mes sentiments.
+
+ [Note 72: Madame Thayer.]
+
+
+Le prince Louis-Napoléon, étant parvenu à s'échapper du château de
+Ham avant la mort de son père, espéra pouvoir passer en Italie et
+arriver assez à temps pour le voir une dernière fois. L'Angleterre
+ne le permit pas, les passeports nécessaires lui furent refusés. Le
+malheureux père mourut à Florence le 25 juillet 1846, à la suite
+d'une congestion cérébrale, sans avoir pu recevoir les embrassements
+d'un enfant adoré. Il avait 68 ans, était toujours en exil et séparé
+de tous les siens. Ses restes furent déposés d'abord dans l'église
+de Santa-Croce à Florence. En 1848, un des premiers actes de son
+fils, dès que les portes de la France s'ouvrirent devant lui, fut de
+remplir les intentions testamentaires du roi son père en faisant
+placer son corps dans l'église de Saint-Leu, près de celui de
+Charles Bonaparte. En 1835, à propos des bruits accrédités par
+quelques journaux du mariage du prince Louis-Napoléon avec la jeune
+reine de Portugal, Dona Maria, le fils du roi Louis trouva occasion
+de faire connaître l'impression profonde que la belle conduite de
+son père avait laissée dans son coeur. Il écrivit au rédacteur d'un
+de ces journaux la lettre suivante:
+
+
+ Arenenberg, le 14 décembre 1835.
+
+ Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont accueilli la nouvelle
+ de mon départ pour le Portugal comme prétendant à la main de la
+ reine Dona Maria. Quelque flatteuse que soit pour moi la supposition
+ d'une union avec une jeune reine, belle et vertueuse, veuve d'un
+ cousin qui m'était cher, il est de mon devoir de réfuter un tel
+ bruit, puisqu'aucune démarche qui me soit connue n'a pu y donner
+ lieu.
+
+ Je dois même ajouter que, malgré le vif intérêt qui s'attache aux
+ destinées d'un peuple qui vient d'acquérir sa liberté, je refuserais
+ l'honneur de partager le trône de Portugal, si le hasard voulait que
+ quelques personnes jetassent les yeux sur moi.
+
+ La belle conduite de mon père, qui abdiqua en 1810 parce qu'il ne
+ pouvait allier les intérêts de la France avec ceux de la Hollande,
+ n'est pas sortie de mon esprit. Mon père m'a prouvé, par un grand
+ exemple, combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je
+ sens en effet qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays
+ par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français,
+ persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre
+ d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle
+ quinze années de gloire; j'attends avec calme dans un pays
+ hospitalier et libre que le peuple rappelle dans son sein ceux
+ qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir, de
+ servir un jour en France comme citoyen et comme soldat, fortifie mon
+ âme et vaut, à mes yeux, tous les trônes du monde.
+
+
+Le roi Louis publia plusieurs ouvrages d'un mérite réel, en voici la
+liste:
+
+1º En 1800, un roman en 3 volumes, intitulé _Marie ou les peines de
+l'amour_. Nous avons déjà dit un mot de ce roman, dont il fit
+paraître une 2e édition en 1814, sous le titre de _Marie ou les
+Hollandaises_.
+
+2º En 1813, un livre de poésies, intitulé _Odes_, qui fut édité à
+Vienne. C'est une de ces odes dont nous avons cité quelques jolis
+vers, les adieux à Gratz.
+
+3º En 1814, un mémoire sur la versification, en réponse à une
+question proposée par la deuxième classe de l'Institut. Ce mémoire
+imprimé à Rome en 2 volumes, en 1825, sous le titre d'_Essai sur la
+versification_, remporta le prix de la question mise au concours.
+Dans cet ouvrage, l'auteur demande la suppression de la rime dans
+les vers, la conservation de la césure et l'ancien nombre de
+syllabes. Il complète leur rhythme par une distribution régulière
+des accents, ce qui les fait essentiellement différer des vers
+blancs. Il note pour cette accentuation la pénultième des mots
+finissant par des e muets et la finale de tous les autres. Il
+appliqua lui-même ce système, dont il est l'inventeur, en faisant
+une tragédie, une comédie, un opéra, une ode, et en s'excusant de
+n'avoir pas poussé jusqu'à l'épopée.
+
+4º En 1820, trois volumes, intitulés _Documents historiques sur le
+gouvernement de la Hollande_[73].
+
+ [Note 73: Nous avons eu plusieurs fois recours à ce curieux
+ et intéressant ouvrage pour la rédaction de notre travail.]
+
+5º L'_Histoire du Parlement anglais_, depuis son origine en 1234,
+jusqu'à l'an VII de la République française, suivi de la grande
+charte avec des notes autographes de Napoléon. Ce livre, un volume,
+parut en 1820, à Paris.
+
+6º En 1828, une réponse à sir Walter Scott sur son histoire de
+Napoléon, brochure de 160 pages.
+
+7º En 1834, une brochure d'une cinquantaine de pages, intitulée
+_Observations sur l'histoire de Napoléon par M. de Norvins_. C'est
+une réfutation sans réplique d'un assez grand nombre de faits
+avancés inconsidérément par cet historien trop officieux de
+l'empereur.
+
+Nous terminerons ce travail sur le roi Louis par une lettre qui lui
+fut écrite de Londres par son frère Joseph, le 1er août 1834, et qui
+nous paraît de nature à faire connaître le caractère de ces deux
+princes.
+
+
+ Mon cher frère, je n'ai pas répondu plus tôt à ta lettre du 3
+ juillet, je suis encore convalescent d'une douloureuse esquinancie
+ qui m'a tenu plus de quinze jours au lit et dont les suites me
+ tiennent encore à la maison, à cause du temps humide et nébuleux qui
+ règne depuis ma convalescence.
+
+ Personne n'est moins dogmatique que moi, et si tu es d'humeur à
+ régayer le tableau que tu fais si sombre de la vie par de nouveaux
+ rapports qui puissent embellir le déclin de ta vie, personne n'en
+ sera plus heureux que moi, chacun a le sentiment et la mesure de ce
+ qu'il peut et doit pour son propre bonheur, et on fait légitimement
+ de tenter un sort meilleur lorsqu'on en espère du bonheur.
+
+ Je ne m'appesantirai pas davantage sur la thèse du mal ou du bien de
+ cette vie, je crois la vérité dans le mélange de quelques plaisirs
+ et de plus de douleurs; mais on multiplie, on aggrave les douleurs
+ en s'étudiant à voir tout en mal et on ne remédie à rien par de la
+ mauvaise humeur; sans doute et le bonheur et la vertu sont en
+ minorité sur la terre, j'en conviens, et il faut s'y soumettre,
+ c'est notre lot, celui qui se soumet à ce qu'il ne peut empêcher est
+ le moins malheureux et le plus sage. Faire de nécessité vertu,
+ considérer plus bas que nous pour se trouver moins malheureux, se
+ consoler dans la bonne conscience, si on croit à une autre vie, ne
+ voir que le vrai bonheur: tu sais tout cela mieux que moi, mais je
+ répète les appuis sur lesquels je me suis appuyé dans ma longue vie.
+
+ J'ai eu une bonne femme et je n'ai pas vécu avec elle depuis trente
+ ans; j'ai sans cesse combattu sans ambition les brigands, les
+ ennemis de mon pays, des exigences que je n'approuvai pas; l'homme
+ le plus aimant de la terre a passé sa vie sans sa famille, dans un
+ autre monde; depuis 1830, j'ai dépensé pour la cause de mon neveu
+ plus d'un million de francs, c'était la moitié de ce qui me restait
+ de disponible après l'incendie de ma maison en Amérique, en 1820. Je
+ crois être assuré que c'est la politique qui a mis le feu à ma
+ maison pour y détruire les lettres que Napoléon m'avait confiées.
+ Revenu en Europe sur l'invitation de Julie et la tienne, j'ai comme
+ toi voulu aider Caroline et Jérôme; j'ai cru que toute querelle
+ domestique se dissiperait à ma voix fraternelle et je puis dire
+ paternelle. Qu'ai-je recueilli de mes soins, de ma bonne volonté?
+ Caroline, par ses soupçons, par son abnégation de toute fierté, les
+ autres, par leur peu de sympathie et l'appui qu'ils paraissent avoir
+ donné à ses calomnies contre mon oncle le cardinal, contre moi-même,
+ m'ont fait sentir qu'il était encore de plus grands maux que ceux
+ que nous devons à la persécution des rois conjurés contre nous; ton
+ fils mort était aussi mon fils; celui qui a épousé mon aînée je l'ai
+ vu, comme Caroline, aux pieds de nos ennemis... Ce qui m'empêche
+ d'aller en Italie, c'est qu'on sait que je possède des secrets que
+ vous ignorez. Je lutte contre la mauvaise fortune et je n'en suis
+ pas abattu; ma santé faiblit, il est vrai, mais j'ai 71 ans: combien
+ sont plus infirmes que moi! Julie, mes filles, toi, m'avez conservé
+ votre coeur dans toute sa pureté; ton fils, ma soeur, Charles, mes
+ neveux, que de sujets de douleurs! Notre oncle m'eût resté ami, sa
+ soeur lui a laissé les portraits de famille sous toutes les formes,
+ sous toutes les reliures; l'homme qui m'a dit de la part de notre
+ mère, sous le plus inviolable secret, qu'il était chargé de vendre
+ le collier qu'elle destinait au roi de Rome pour 200,000 francs,
+ prix qu'elle n'avait pas trouvé à Rome, me dit aussi qu'elle avait
+ disposé du médaillon contenant le portrait de l'empereur, valant
+ plus de 60,000 francs, il a été trouvé: le collier a été vendu par
+ l'ordre de Madame, elle a disposé du prix, elle l'a voulu et
+ personne n'a rien à y voir: le cardinal n'y est pour rien, le
+ cardinal n'a pas voulu risquer des funérailles dignes de la mère de
+ Napoléon et de nous tous pour la même raison que moi-même en
+ Amérique je n'ai pas dû affronter les préventions et les âmes
+ toutes puissantes de la Sainte-Alliance, par la même raison que tu
+ n'as pas dû ni pu rendre à notre fils les honneurs funéraires qui
+ lui étaient dus; mais notre oncle m'a souvent entretenu du monument
+ somptueux qu'il a l'intention de consacrer à sa soeur, mais où?
+ quand? et ne lui faut-il pas l'assentiment de nous tous? Je lui ai
+ écrit qu'en sus de ce qu'il ferait, j'y contribuerais aussi pour ma
+ part. Je ne doute pas que tu ne fasses comme moi, mais où? Faut-il
+ suivre l'exemple que tu as donné à Florence, où est mort ton fils?
+ Faut-il suivre celui qu'a donné ta femme à l'occasion de ton autre
+ fils et demander en grâce que notre mère soit enterrée où nous ne
+ pouvons ni vivre ni mourir? Le cardinal a pensé à Ajaccio, mais cela
+ est-il convenable? Notre oncle n'est pas un génie de premier ordre,
+ mais on le calomnie lorsqu'on lui refuse les qualités du coeur et
+ des talents et des connaissances dont s'honoreraient bien des
+ ecclésiastiques considérés dans ce monde.
+
+ Si tu crois à mes paroles, à ma probité, à mon honneur, crois que tu
+ t'es trompé sur notre oncle le cardinal Fesch; je désire te
+ convertir à ma croyance, parce que je suis sûr de ce que je dis, que
+ j'ai connu notre oncle lorsque vous ne pouviez pas l'apprécier dans
+ votre enfance, lorsque nous étions tous orphelins de notre père, et
+ notre mère a toujours disposé de ce qui appartenait à son frère pour
+ le bien de la famille à son grand contentement, lorsque la mort
+ prématurée de notre père nous laissa dans les embarras occasionnés
+ par les dépenses au-dessus de sa fortune qu'il avait été obligé de
+ faire dans ses missions de Paris et à Versailles[74].
+
+ [Note 74: Sur ces derniers faits, voy. le 1er vol. de Jung,
+ _Bonaparte et son temps_.]
+
+ Je suis fatigué, la tête me tourne, je t'embrasse de tout mon coeur,
+ mon cher Louis.
+
+
+
+
+III.
+
+LE ROI JÉRÔME.
+
+
+De 1784 à 1808.
+
+Jérôme Bonaparte, le dernier des fils de Charles Bonaparte et le
+plus jeune des frères de l'empereur Napoléon Ier, a parcouru une
+longue carrière et assisté aux plus grands événements.
+
+Non seulement il fut témoin, mais souvent acteur dans le grand drame
+de 1800 à 1815. Le rôle important qu'il y a joué ne s'est pas
+terminé avec le premier empire, car son nom se rattache également à
+la seconde élévation de sa famille. Il est peu de vies où les
+alternatives de grandeur et de mauvaise fortune se soient aussi
+brusquement succédé.
+
+À neuf ans, il est rejeté de la Corse, sa patrie, sur la terre de
+France, fuyant exilé avec sa famille. Un de ses frères s'élève par
+son génie aux premiers rangs de la hiérarchie militaire et lui fait
+donner une éducation brillante; mais ce frère veut que Jérôme, dont
+les premières années ont été consacrées à l'étude, devienne vite un
+homme et un homme utile à la France. Il en fait un marin, bientôt
+après un général, puis un prince, puis un roi. À vingt-trois ans le
+jeune homme ceint son front d'une couronne royale. Six ans plus
+tard, à l'âge où l'on n'est pas encore sorti de la jeunesse, ce
+souverain par les conquêtes des Français est contraint d'abandonner
+un trône qui s'écroule, entraîné dans les désastres de la France.
+Jusqu'alors il s'est élevé, il redescend. Il se souvient de son
+premier métier, laisse tomber le sceptre du roi pour ressaisir
+l'épée du soldat. Le dernier sur le champ de bataille de Waterloo,
+il y verse son sang et rallie les débris de la grande armée, prêt à
+les mener à de nouveaux combats, si telle est la volonté du génie
+devant lequel il s'est toujours incliné.
+
+De 1784, époque de sa naissance, à 1813, époque de la chute du
+royaume de Westphalie, Jérôme monte les degrés, s'élevant sans
+cesse. De 1813 à 1847, il les descend. Proscrit par la politique de
+l'Europe coalisée contre le plus grand génie des temps modernes,
+brutalement repoussé par la famille de sa femme, les princes de
+Wurtemberg, dépouillé par des gens qui le flattaient au temps de sa
+prospérité et qui lui devaient tout, traqué par les gouvernements de
+l'Autriche, de l'Allemagne et de l'Italie, ne sachant où reposer sa
+tête, il voit enfin dans sa patrie éclater une révolution qui lui
+donne l'espoir d'y rentrer bientôt. Illusion trompeuse, le temps
+n'est pas venu. Proscrit depuis quinze ans, la fortune ne lui a pas
+fait assez expier les faveurs qu'elle lui a accordées pendant la
+première partie de sa vie.
+
+Dix-sept ans encore les portes de la France lui sont fermées ainsi
+qu'aux siens. Ses enfants n'ont connu jusqu'alors que l'exil. Sa
+vertueuse femme ne doit plus revoir sa seconde patrie. Enfin des
+démarches incessantes, une lutte courageuse triomphent de tous les
+obstacles, il peut venir s'asseoir au foyer qui lui rappelle de si
+grands souvenirs.
+
+Jérôme commence à remonter les degrés qu'il a descendus depuis 1813.
+
+Quelques mois après son retour en France, une révolution plus
+radicale que celle de 1830 éclate de nouveau. Un membre de la
+famille Bonaparte, son neveu, par la magie de son nom, est élevé au
+premier rang. Jérôme va reprendre une grande position dans l'État.
+Le grade conquis par son épée et par ses services militaires lui est
+rendu, il devient le gardien des cendres du grand homme et le
+gouverneur de l'hôtel consacré aux soldats mutilés. Il se retrouve
+avec les vieux compagnons d'armes dont plusieurs ont suivi ses pas
+sur les champs de bataille du premier empire. Il est mis ensuite à
+la tête du premier corps de l'État. Enfin, le second empire le place
+sur les degrés mêmes du trône. Jérôme a donc remonté un à un tous
+les degrés de l'échelle sociale lorsque la mort vient terminer sa
+carrière.
+
+Telles sont, à grands traits, les principales phases de cette
+existence que l'on peut dire tout exceptionnelle et qui embrasse
+dans son ensemble le consulat, l'empire, les cent-jours, les deux
+restaurations, le gouvernement de juillet, la république de 1848 et
+les huit premières années du second empire.
+
+Depuis sa naissance jusqu'au moment où il entra dans la marine, nous
+avons peu de choses à dire sur Jérôme Bonaparte.
+
+Il naquit à Ajaccio, le 15 novembre 1784, de Charles Bonaparte et de
+Lætitia Ramolino. Son enfance se passa comme celle de tous les
+enfants qui naissent les derniers dans une famille nombreuse. Il
+fut en quelque sorte le Benjamin, non seulement de sa mère (son père
+mourut avant qu'il le pût connaître), mais de son oncle, plus tard
+cardinal Fesch, et de ses autres frères. Napoléon surtout avait pour
+Jérôme un faible qui perça toujours. Cette prédilection ne se
+démentit dans aucune des circonstances de sa vie militaire et
+politique.
+
+À l'âge de neuf ans, comme nous l'avons dit, Jérôme dut abandonner
+la maison paternelle pour un premier exil dont il comprit déjà les
+douleurs. Sa famille, bannie de l'île de Corse, se retira en France,
+et il fut placé au collège de Juilly pour y faire ses études. On
+était en 1793. La révolution menaçait de s'étendre sur l'Europe
+entière liguée contre elle. Personne ne se doutait alors que dans
+les rangs des défenseurs de la République combattait l'homme
+prodigieux qui devait bientôt la dominer.
+
+Pour le jeune Jérôme, six années s'écoulèrent (de 1793 à 1799), dans
+les études et les plaisirs du lycée. Après le 18 brumaire (9 nov.
+1799), il sortit du collège pour continuer son éducation sous les
+yeux de ce frère que six années avaient grandi de façon à attirer
+sur lui les regards du monde entier.
+
+Jérôme, alors âgé de quinze ans, vint, au commencement du consulat,
+loger au château des Tuileries, à l'entresol, au-dessous des
+appartements occupés par le premier consul au pavillon de Flore. Dès
+cet instant il laissa percer, avec la fougue naturelle à la
+jeunesse, les qualités et les défauts d'un caractère que le temps et
+les diverses phases par lesquelles il passa ne modifièrent qu'en
+partie. Un esprit juste, un jugement solide, une grande bravoure
+personnelle, une véritable noblesse, surtout dans l'adversité, de la
+bienfaisance, de l'esprit naturel, la passion des plaisirs, une
+vivacité tournant quelquefois à l'étourderie, une certaine légèreté
+qui paralysait souvent ses belles qualités, l'amour de la
+représentation et du faste, tels sont les traits dominants du
+caractère de ce prince. Toujours porté au bien lorsqu'il suivait
+l'impulsion de son coeur, Jérôme en était parfois détourné quand sa
+nature impressionnable l'entraînait dans des écarts qui alors
+n'influaient du reste que sur sa conduite privée.
+
+Lorsque le général Bonaparte revint d'Italie après Marengo, il fit
+entrer son frère Jérôme dans la garde consulaire, aux chasseurs à
+cheval. L'enfant, âgé de seize ans, eut une altercation avec le
+frère de Davout; ils se battirent, et, à la suite de cette aventure,
+Bonaparte ordonna à Jérôme de quitter son régiment.
+
+Le premier consul, à cette époque, commençait à donner une sérieuse
+attention à tout ce qui se rattachait à la marine. Il prévoyait sa
+lutte avec l'Angleterre, il voulait battre par ses armes l'éternelle
+et implacable rivale de la France. Pour cela il fallait commencer
+par rendre à la marine française cette confiance en elle que
+l'émigration et ses derniers revers lui avaient fait perdre; il
+fallait relever le personnel tout en activant les réparations du
+matériel et les nouvelles constructions. Or, rien n'était plus fait,
+d'après lui, pour concourir à ce résultat et pour prouver au corps
+des officiers et des matelots son estime, que de placer dans ses
+rangs son propre frère, dont le caractère audacieux se prêtait aux
+aventures de la carrière maritime. Jérôme était fort heureux de
+cette résolution. Ce fut donc avec une joie véritable qu'il reçut sa
+nomination d'aspirant de 2e classe, datée du 29 novembre 1800.
+
+À peine revenu de la campagne de Marengo, le premier consul tourna
+ses regards vers l'Égypte dont il désirait secourir l'armée. Ce
+n'était pas chose facile; la marine française, à cette époque, était
+fort peu en état de lutter avec avantage contre la marine de la
+Grande-Bretagne dont les flottes bloquaient nos ports.
+
+Non seulement il fallait, pour jeter des troupes sur les côtes
+d'Alexandrie, embarquer dans le plus grand secret des hommes et un
+matériel considérable, mais il était nécessaire de trouver un marin
+ou assez habile pour tromper la surveillance fort active des
+croisières anglaises, ou assez audacieux pour passer à travers les
+bâtiments ennemis. Bonaparte fit choix pour cette dangereuse mission
+du contre-amiral Ganteaume, qui avait été assez heureux pour le
+ramener d'Égypte malgré les Anglais. Il lui confia une escadre
+composée de sept vaisseaux de ligne, de deux frégates et d'un
+lougre[75]. Le jeune Jérôme Bonaparte fut placé avec son grade
+d'aspirant de 2e classe sur le vaisseau amiral.
+
+ [Note 75: _L'Indivisible_, de 80 canons, vaisseau amiral; _le
+ Formidable_, de 80 (monté par le contre-amiral Linois);
+ _l'Indomptable_, de 80 (capitaine Moncontu); le _Desaix_, de
+ 74 (capitaine de Lapallière); _le Dix-Août_, de 74 (capitaine
+ Bergeret); _le Jean-Bart_, de 74 (capitaine Meyne); _la
+ Constitution_ (capitaine Faure); la _Créole_, frégate
+ (capitaine de vaisseau Gourrige); _la Bravoure_, de 18
+ (capitaine de frégate Dordelin); le lougre _le Vautour_ (le
+ lieutenant de vaisseau Kerimel).]
+
+Il accompagna Ganteaume dans cette campagne maritime où, malgré son
+habileté et son courage, l'amiral ne réussit pas à porter en Égypte
+les renforts qu'attendait Bonaparte.
+
+Jérôme fit bravement ses premières armes, le 24 juin, dans le combat
+livré entre Candie et l'Égypte par _l'Indivisible_ et _le Dix-Août_,
+au vaisseau anglais de 74, _le Swiftsure_, un des plus beaux de
+l'escadre de l'amiral Keith. Ce vaisseau venait de quitter l'escadre
+ennemie au mouillage d'Aboukir et faisait route pour Malte. Après
+l'avoir chassé quelques heures, _l'Indivisible_ et _le Dix-Août_ le
+joignirent à portée de pistolet, l'attaquèrent et s'en emparèrent
+après un combat des plus vifs.
+
+Le premier consul accueillit avec joie la nouvelle de ce combat, et,
+pour récompenser les deux équipages qui y avaient pris une part
+glorieuse, il rendit un décret en date du 22 août 1801, accordant
+deux grenades, deux fusils et quatre haches d'honneur pour les
+hommes qui s'étaient le plus distingués dans cette affaire.
+
+Le contre-amiral Ganteaume, voulant témoigner à Jérôme Bonaparte sa
+satisfaction de sa conduite pendant l'action, ne crut pouvoir mieux
+faire que de lui confier l'honorable mission de se rendre à bord de
+la prise, de l'amariner et de recevoir l'épée du capitaine.
+
+Après ce combat, dédommagement assez faible de la non-réussite de
+l'expédition, l'escadre fit voile pour Toulon. Elle captura
+plusieurs bâtiments de commerce anglais d'une petite valeur, et vint
+mouiller sur la rade de Toulon au commencement d'août 1801, ayant
+deux cents prisonniers anglais avec l'état-major et le commandant du
+vaisseau _le Swiftsure_.
+
+En rentrant à Toulon Ganteaume fit son rapport au premier consul et
+rendit bon compte de la conduite de Jérôme, car le 16 août le
+général Bonaparte écrivit à son frère une lettre des plus
+flatteuses[76].
+
+ [Note 76: _Mémoires du roi Jérôme_, vol. Ier, p. 51.]
+
+Telle fut la première campagne maritime de Jérôme Bonaparte.
+Quelques jours après son arrivée à Toulon, le 26 août 1801, il
+débarqua et fut rejoindre son frère à Paris. Il était resté à bord
+de _l'Indivisible_ depuis le 28 novembre 1800, c'est-à-dire 8 mois
+et 28 jours. C'était, pour un marin aussi jeune, un assez rude
+apprentissage.
+
+Lorsque Jérôme Bonaparte revint de sa première expédition, le 26
+août 1801, il n'avait pas encore atteint sa dix-septième année.
+Malgré sa jeunesse, il s'était fait remarquer par sa bravoure, son
+intelligence et ses dispositions pour le métier de marin. Il sentait
+que, frère du chef de l'État, tous les yeux étaient fixés sur lui,
+et il mettait à remplir ses devoirs un zèle qui disposait en sa
+faveur.
+
+Après son débarquement à Toulon, l'aspirant se rendit à Paris, où il
+fut accueilli avec joie par le premier consul. Il séjourna deux mois
+aux Tuileries, puis, le 29 novembre 1801, il fut nommé à la première
+classe de son grade et reçut l'ordre de se rendre à Rochefort pour
+être embarqué sur l'un des bâtiments destinés à l'expédition de
+Saint-Domingue.
+
+À cette époque, Joseph Bonaparte, chargé de la conclusion du traité
+de paix avec l'Angleterre, était prêt à se rendre à Amiens ainsi que
+lord Cornwallis, plénipotentiaire de la Grande-Bretagne. Les
+préliminaires avaient été échangés à Londres le 12 octobre, et rien
+ne s'opposait à ce que le général Bonaparte, devenu l'arbitre de
+l'Europe, dirigeât ses flottes vers nos colonies des Antilles, qui
+cherchaient à échapper à la domination française.
+
+En vue de ce but, une grande expédition avait été décidée. Elle devait
+se composer de trois divisions navales portant des troupes de
+débarquement. La première division, organisée à Brest, était sous les
+ordres de l'amiral Villaret-Joyeuse, réunissant à son commandement celui
+des deux autres divisions. Il avait mis, le 29 octobre, son pavillon sur
+le vaisseau _l'Océan_. La seconde division, en rade de Rochefort, sous
+le contre-amiral Latouche-Tréville, avait pour vaisseau amiral _le
+Foudroyant_, sur lequel Jérôme allait s'embarquer. Cette division avait
+à rallier une escadre de six vaisseaux espagnols alors en rade de Cadix,
+sous l'amiral Gravina. La troisième division était composée de bâtiments
+hollandais rassemblés à Flessingue.
+
+Le général Leclerc, beau-frère du premier consul et mari de Pauline
+Bonaparte, commandait en chef l'expédition. Son chef d'état-major
+était le général Dugua. Leclerc arriva à Brest le 19 novembre 1801,
+et passa une grande revue des troupes le 20.
+
+La longue lutte que nous venions de soutenir si péniblement contre
+les flottes de la Grande-Bretagne avait vivement préoccupé le
+premier consul. Dès que la paix avec l'Angleterre fut assurée, il
+donna une attention toute particulière à la marine de guerre.
+Convaincu qu'on pouvait beaucoup attendre et obtenir de nos marins,
+aussi bien que de nos soldats de l'armée de terre, il résolut de
+tout mettre en oeuvre pour éviter à l'avenir les fautes qui, depuis
+le commencement de la Révolution, avaient concouru à affaiblir notre
+puissance maritime; ce n'était plus l'organisation médiocre dont on
+s'était contenté depuis 1789 qu'il fallait à Bonaparte, mais une
+organisation forte, un matériel puissant, une discipline solide, une
+union parfaite entre les équipages et les troupes. D'après lui, un
+des grands moyens d'obtenir sur mer des succès semblables à ceux
+obtenus sur le continent, c'était d'exciter l'émulation chez les
+matelots, de leur inspirer, de leur _souffler_ cet enthousiasme
+auquel nos soldats avaient dû, en grande partie, leurs victoires.
+
+Le premier consul avait été, du reste, merveilleusement secondé en
+cela par l'amiral Villaret-Joyeuse. Ce dernier avait, à force de
+persévérance, introduit sur les vaisseaux de son escadre une
+discipline parfaite.
+
+Les trois divisions navales partirent de Brest, de Rochefort et de
+Flessingue; celle de Villaret-Joyeuse devait rallier les deux
+autres, mais la division batave ne put le joindre à cause des vents
+contraires. Elle mit le cap directement sur Saint-Domingue, en ayant
+soin de ne pas se montrer avant les vaisseaux de l'amiral commandant
+en chef la flotte. La division de Latouche-Tréville, au lieu de
+porter sur Belle-Isle ainsi que cela lui était prescrit, fit route à
+l'ouest en sortant de Rochefort.
+
+L'aspirant de 1re classe Jérôme Bonaparte, embarqué sur le vaisseau
+_le Foudroyant_, monté par Tréville, arriva avec le contre-amiral au
+Cap, vers la fin de 1801. Il y resta jusqu'au 9 février 1802. Le 4
+mars, en vertu des ordres du général en chef Leclerc, il passa avec
+le grade d'enseigne[77] sur le vaisseau _le Cisalpin_ (capitaine
+Bergeret[78]), bâtiment envoyé en France.
+
+ [Note 77: Nommé enseigne le 15 janvier par Villaret-Joyeuse,
+ Jérôme fut confirmé dans ce grade par le premier consul, et
+ il prit rang dans les cadres à dater du jour de sa
+ promotion.]
+
+ [Note 78: Le prince Jérôme a toujours conservé pour le brave
+ Bergeret, plus tard amiral et mort il y a peu d'années, une
+ affection véritable et une estime profonde.]
+
+Le jeune officier de marine fut chargé de dépêches pressées qu'il
+devait remettre au premier consul. Bien qu'il donnât de belles
+espérances, il est permis de penser que ce ne furent ni sa capacité
+ni sa parenté avec le premier consul et le général en chef qui le
+firent choisir pour une mission de haute importance. Il est à
+présumer que Leclerc, voyant la maladie décimer les troupes et les
+équipages, prit, à l'insu de Jérôme lui-même, un prétexte pour
+l'envoyer en France et le soustraire à la pernicieuse influence d'un
+climat sous lequel il devait succomber bientôt lui-même.
+
+Quoi qu'il en soit, le jeune Bonaparte embarqua au Cap sur _le
+Cisalpin_, ayant pour compagnon d'armes Halgan, plus tard amiral,
+avec lequel il se lia dès lors d'une véritable amitié. Le 5 mars le
+vaisseau mit à la voile, et le 10 avril les vigies signalèrent le
+feu d'Ouessant. Le lendemain, à dix heures du matin, le navire
+entrait dans le port de Brest.
+
+À peine débarqué, Jérôme songea à se rendre à Paris pour remettre ses
+dépêches au premier consul. Il prit une chaise de poste, emmena avec lui
+Halgan, devenu son ami, et franchit rapidement la distance qui le
+séparait de Nantes, en passant par Quimper, Vannes, Laroche[79]. À
+quelques lieues de Nantes il eut une aventure qui peint son caractère
+déterminé. Le postillon qui conduisait sa voiture refuse tout à coup
+d'aller plus loin. Il met pied à terre et s'assied tranquillement sur le
+bord du fossé de la route. Jérôme et Halgan descendent de leur chaise de
+poste et, pressés d'arriver, ils essaient de faire remonter à cheval
+leur capricieux conducteur. C'est en vain. Prières, promesses, menaces,
+tout échoue devant son entêtement breton. Jérôme, voyant qu'il
+n'obtiendrait rien, pousse Halgan dans la voiture et, s'adressant au
+postillon, lui dit: «Veux-tu nous conduire, oui ou non?--Non, répondit
+ce dernier.--Alors je me charge de ce soin,» reprend le jeune officier.
+Et, bien qu'en culotte courte et en bas de soie (tenue qu'il a toujours
+affectionnée), Jérôme saute en selle après avoir ramassé le fouet et
+enlève les chevaux qu'il lance au grand galop sur la route de Nantes. Il
+fait en ville une entrée triomphale, tête nue, en uniforme de marin,
+avec son compagnon dans la chaise de poste, le 13 avril 1802.
+
+ [Note 79: Le prince fit le même voyage cinquante années plus
+ tard, lorsqu'il parcourut la Bretagne, désireux de revoir
+ avant de mourir le petit port de Concarneau.]
+
+Jérôme, laissant Halgan à Nantes, se dirigea vers Paris où il remit
+ses dépêches au premier consul, qui le garda près de lui jusqu'au
+commencement de juin 1802. Pendant son séjour aux Tuileries, ami
+fidèle et dévoué, Jérôme plaida si chaudement la cause d'Halgan près
+du général Bonaparte, qu'à son départ pour embarquer de nouveau il
+eut le bonheur d'emporter à Nantes la nomination du lieutenant de
+vaisseau, son camarade du _Cisalpin_, au commandement du brick
+_l'Épervier_.
+
+Le premier consul, désireux de perfectionner l'éducation maritime de
+son jeune frère et de le mettre à même d'étudier les colonies
+françaises, avait décidé qu'il ferait un voyage aux Antilles sur le
+brick _l'Épervier_, et qu'il visiterait toutes les positions
+importantes de cette partie de l'Océan. En conséquence, Jérôme
+revint à Nantes le 7 juin 1802. Il devait prendre la mer, comme nous
+l'avons dit, sur le brick _l'Épervier_, sous les ordres d'Halgan.
+Les officiers de ce brick, ses camarades, étaient MM. Vincent
+Meyronnet, qui joua par la suite un certain rôle en Westphalie, Gay,
+le chirurgien M. Rouillard[80]. Le bâtiment avait pour destination
+la Martinique. Jusqu'à la fin d'août, Halgan et Jérôme restèrent à
+Nantes, attendant les ordres de départ.
+
+ [Note 80: Le prince le retrouva en 1852 à Concarneau, où il
+ vivait en retraite.]
+
+Ce temps se passa pour eux en fêtes, car c'était à qui des habitants
+notables ou des autorités de la ville recevrait le plus jeune des
+frères du premier consul et son ami.
+
+Le 29 août, le brick appareilla et vint mouiller sur la rade de
+Minden; le 31, il fit voile en suivant les côtes, et, par suite d'un
+gros temps, vint relâcher le 4 septembre en vue du port de Lorient,
+dans la rade. Le 6, il entra dans le port. Jérôme, jeune et ami du
+plaisir, profitant de ce qu'on était obligé de passer quelques jours
+à Lorient pour faire au bâtiment des réparations indispensables,
+partit le 5 pour Nantes, où il passa quelques jours.
+
+Le 18 septembre il était à son poste et le brick appareilla. Le 25,
+on était en vue de Lisbonne, l'amitié d'Halgan fut mise à une rude
+épreuve. Jérôme voulut visiter cette capitale et demanda au
+commandant de relâcher dans ce port. Halgan refusa et l'on continua
+à faire voile pour la Martinique. Le 28 octobre, à midi, la terre
+était en vue. À 5 heures du soir _l'Épervier_ mouilla au fort
+Diamant où régnaient la fièvre jaune et une grande mortalité.
+
+Dès le lendemain 29, Halgan et Jérôme furent rendre visite au
+capitaine général, l'amiral Villaret-Joyeuse, le même officier
+général auquel avait été dévolu le commandement dans l'expédition de
+Saint-Domingue. Le contre-amiral Villeneuve, commandant les forces
+navales stationnées aux Îles du Vent et à Cayenne, était alors
+absent. Il revint quelques jours plus tard au fort Royal, sur son
+vaisseau _le Jemmapes_. Dans l'intervalle, voici ce qui avait eu
+lieu:
+
+Jérôme était parti de France comme aspirant de lre classe et en
+qualité d'officier du brick commandé par Halgan; mais à peine arrivé
+à la Martinique, le capitaine général Villaret, soit qu'il eût des
+instructions secrètes (chose très probable) émanant du premier
+consul, soit parce qu'il crût bien faire, nomma le jeune Bonaparte
+lieutenant de vaisseau, par décision du 2 novembre 1802; puis, sans
+doute pour suivre un plan convenu, Halgan s'étant trouvé subitement
+indisposé ou ayant dû se trouver hors d'état de commander le brick,
+le commandement du navire fut remis provisoirement au nouveau
+lieutenant de vaisseau qui se trouva donc, à l'âge de 18 ans, à la
+tête d'un bâtiment d'une certaine importance[81]. Sans doute on
+avait pensé que Jérôme trouverait de plus grandes facilités pour son
+voyage d'exploration dans la nouvelle position qui lui était faite.
+
+ [Note 81: Nous devons dire que nulle part nous n'avons trouvé
+ trace d'instructions secrètes données à Villaret, dans le
+ sens de la nomination de Jérôme comme lieutenant de vaisseau
+ et commandant du brick; mais la chose nous paraît si probable
+ et du reste si naturelle, que nous croyons qu'il en a été
+ ainsi.]
+
+Le contre-amiral Villeneuve, pour qui le frère du premier consul
+avait une lettre du ministre de la marine, confirma ce qu'avait fait
+Villaret-Joyeuse. Il se rendit à bord de _l'Épervier_ le 21
+novembre, donna quelques conseils et des instructions détaillées à
+Jérôme, et lui prescrivit de partir le 29 novembre pour aller
+d'abord à Sainte-Lucie, colonie française des Îles du Vent, au sud
+de la Martinique, puis à Tabago, qui faisait partie des Îles sous le
+Vent, au nord-est de la Guyane. Bien qu'on fût à la fin de novembre,
+la température était très élevée. Jérôme, plein d'ardeur et n'ayant
+pas la prudence qui convient dans les climats dangereux où règnent
+si souvent des fièvres terribles, se fatigua outre mesure en
+explorant Sainte-Lucie et en montant sur une soufrière dans le fort
+de la chaleur du jour. Il fut pris par une fièvre violente qui
+inquiéta les officiers du brick au point qu'ils crurent devoir
+revenir à Saint-Pierre (Martinique), en faisant prévenir le
+contre-amiral Villeneuve de ce qui venait d'arriver. Villeneuve
+courut immédiatement auprès du malade, et reconnut avec joie que
+l'accident n'aurait aucune suite fâcheuse. Il en rendit compte au
+ministre Decrès qui avait remplacé Forfait.
+
+Jérôme, hors du danger causé par son imprudence, était moins
+désireux de reprendre la mer pour continuer son voyage. L'équipage
+de son bâtiment avait été, en moins d'un mois, tellement décimé par
+la maladie, qu'il se trouvait à la fin de décembre complètement
+désorganisé. À la maladie s'était jointe aussi la désertion, en
+sorte qu'il fut contraint de renoncer à l'idée de faire voile pour
+Tabago. Villeneuve attendait la frégate _la Consolante_ et voulait
+lui offrir de se rendre avec lui, sur ce bâtiment, dans les
+différentes colonies qu'il avait à visiter encore; mais Jérôme,
+fatigué des ennuis, du tracas qu'il avait éprouvé sur son brick,
+sollicita de quitter son commandement. Villeneuve en écrivit à
+Decrès qui, le 25 février 1803, répondit à ce sujet: «Il faut,
+général, déterminer Jérôme à garder son commandement et à faire aux
+colonies le séjour que le premier consul désire de lui. Je joins ici
+une lettre pour lui.» On constitua alors tant bien que mal un
+équipage au brick _l'Épervier_ qui put enfin partir. Ce bâtiment
+mouilla à la Basse-Terre (Guadeloupe, nord-ouest de la Martinique).
+Il fut reçu par le contre-amiral Lacrosse, capitaine général de
+cette colonie, qui lui fit visiter le pays dans le plus grand
+détail[82].
+
+ [Note 82: Le contre-amiral Lacrosse était père du sénateur du
+ second empire. Le prince Jérôme a rappelé bien souvent au
+ baron Lacrosse cette visite à la Guadeloupe.]
+
+Du 8 février au commencement d'avril 4803, Jérôme termina ses
+voyages dans les différentes colonies qu'on lui avait donné mission
+de visiter en détail, car le 4 avril, le contre-amiral Villeneuve,
+dans une dépêche au ministre, rend compte du prochain départ de
+Jérôme Bonaparte et de sa répugnance à passer par Saint-Domingue, où
+son beau-frère, le général Leclerc, était mort.
+
+Le brick _l'Épervier_ cependant n'était pas encore parti le 27
+avril, puisqu'à cette date le capitaine de vaisseau Lafond,
+commandant par intérim les forces navales stationnées aux Îles sous
+le Vent et à Cayenne, écrivait de Saint-Pierre de la Martinique, à
+bord de la frégate _la Didon_, au ministre de la marine:
+
+«Le brick _l'Épervier_, commandé par le lieutenant de vaisseau
+Bonaparte, est toujours en station au fort de France. Le général
+Villeneuve, avant son départ[83], m'a dit qu'il lui avait donné
+l'ordre de s'en retourner en France, et que par conséquent il ne
+faisait plus partie de la station.»
+
+ [Note 83: Villeneuve avait été remplacé par Villaret.]
+
+Pendant un mois encore _l'Épervier_ resta à la Martinique. Plusieurs
+circonstances fatales avaient empêché Jérôme de quitter l'Amérique,
+et ces circonstances eurent, ainsi qu'on le verra bientôt, une
+influence très grande et très singulière sur les premières années de
+sa vie. D'abord, la maladie et la désertion avaient dépeuplé son
+bord et l'on n'avait pu recruter l'équipage de façon à mettre le
+bâtiment en état d'entreprendre un long voyage pour regagner
+l'Europe, ensuite Jérôme était tombé malade au commencement de mai.
+Cela ressort du passage d'une longue lettre écrite le 19 juin du
+port du Passage par le capitaine Lafond au ministre de la marine,
+lettre dans laquelle on lit:
+
+«Lors de mon départ du fort de France (8 mai 1803), le brick
+_l'Épervier_ était mouillé à Saint-Pierre. Jérôme avait la fièvre,
+mal à la tête et aux reins, symptômes de la fièvre jaune; mais, au
+moment de mettre sous voile, son médecin a fait dire qu'il allait
+mieux. Il avait écrit au général Villaret qui, vraisemblablement,
+vous donnera des détails sur sa maladie.»
+
+Lorsqu'au mois de juin 1803 on fut à peu près paré et que Jérôme se
+trouva à même de mettre à la voile, les relations entre la France et
+l'Angleterre étaient devenues d'une nature telle que la guerre semblait
+imminente. En effet, le traité d'Amiens ne tarda pas à être rompu, et
+dès lors les Anglais, qui savaient Jérôme encore dans les colonies,
+attachèrent une importance réelle à s'emparer de sa personne, d'autant
+qu'ils étaient furieux de ce qu'en représailles d'hostilités commises
+sur mer par les vaisseaux de la Grande-Bretagne sans déclaration
+préalable, le premier consul avait retenu tous les Anglais alors en
+France.
+
+Les choses en étaient là, et cependant la rupture entre les deux
+grandes nations n'était pas encore connue en Amérique lorsque Jérôme
+eut l'ordre formel de Villaret de prendre la mer pour regagner
+l'Europe, s'il en était temps encore. Le 1er juin il mit à la voile.
+Un coup de tête du jeune homme l'arrêta court dans son voyage. Voici
+ce qui s'était passé. Jérôme avait soumis à une visite, en mer, un
+gros bâtiment qu'il supposait Français et qui était Anglais. Effrayé
+des conséquences que pouvait avoir cette affaire, il en avait rendu
+compte à Villaret-Joyeuse. Ce dernier le blâma et lui donna l'ordre
+de revenir en France. Jérôme fit quelques observations tellement
+justes à l'amiral que ce dernier s'opposa à son départ, ce qui fut
+fort heureux, car le brick _l'Épervier_, ayant pris la mer le 20
+juillet sans Jérôme, fut capturé le 27 par les Anglais.
+
+Jérôme Bonaparte ne quitta pas l'Amérique et, le 20 juillet 1803, il
+abandonna le commandement de son brick. Nous l'avons laissé à la
+Pointe-à-Pitre (Martinique), le 15 juin 1803; nous le retrouvons à
+Baltimore, dans l'État de Maryland (États-Unis d'Amérique), à la fin
+de juillet de la même année.
+
+Le 26 juillet il écrivit de cette ville au citoyen Pichon,
+commissaire général des relations commerciales de la France aux
+États-Unis, pour lui faire connaître que le lieutenant Meyronnet,
+commandant en second _l'Épervier_, avait quitté le brick, chargé
+d'une mission de son commandant pour négocier leur passage sur un
+bâtiment de commerce américain _le Clothier_, dont l'armateur
+refusait de s'arrêter en Espagne; que, décidé à céder à la nécessité
+et à suivre la destination de ce bâtiment pour Bordeaux, il
+renvoyait Meyronnet à Philadelphie pour faire hâter l'expédition du
+navire sur lequel il se hasarderait à revenir en Europe; enfin qu'il
+attendait à Baltimore que le bâtiment à bord duquel il devait
+prendre passage fût au bas de la rivière du Patapsco, qui se jette
+dans la baie de Chesapeake.
+
+Ainsi, à la fin de juillet 1803, Jérôme était prêt à s'embarquer sur
+un bâtiment américain et à braver les croisières anglaises pour
+retourner en France. Il était _incognito_ aux États-Unis d'Amérique,
+où il entretenait une correspondance assez suivie avec notre consul
+général, M. Pichon. Ce dernier mettait beaucoup de déférence dans
+ses relations avec le frère du premier consul, jeune homme qui, bien
+que n'ayant pas encore dix-neuf ans révolus, avait déjà les allures
+princières qu'il ne devait plus abandonner. Il lui fournissait des
+sommes assez considérables, hâtait de tous ses moyens le moment de
+l'embarquement et lui donnait même au besoin des conseils que Jérôme
+paraissait assez peu disposé à suivre.
+
+Cependant son _incognito_ ne pouvait être bien longtemps observé.
+Les Anglais, à l'affût de ce que devenait l'ancien commandant de
+_l'Épervier_, ne tardèrent pas à savoir où il se trouvait et à
+donner son signalement sur toute la côte à leurs bâtiments. Un
+capitaine Murray, alors à Baltimore, dévoila la présence dans cette
+ville de Jérôme, en sorte que les difficultés devenaient de plus en
+plus grandes pour lui de quitter l'Amérique. M. Pichon cependant le
+pressait de s'embarquer, répondant de l'armateur et du capitaine de
+navire américain qui devait le mener en France. Il l'engageait à
+faire monter à bord les personnes de sa suite[84] et à suivre le
+bâtiment sur un bateau pilote jusqu'à la sortie de la baie pour
+pouvoir, soit revenir à terre, soit s'embarquer définitivement,
+selon ce que ferait la croisière anglaise. Les choses en étaient là,
+au commencement d'août, lorsque Jérôme, qui comprenait quel effet
+déplorable pouvait produire en France la nouvelle de la capture, par
+les Anglais, du frère du premier consul, résolut d'attendre les
+ordres du chef de l'État, et d'envoyer pour les prendre son
+lieutenant Meyronnet qui, lui, passerait plus facilement et pourrait
+donner connaissance de la position dans laquelle il se trouvait aux
+États-Unis.
+
+ [Note 84: Jérôme avait alors près de lui M. Meyronnet, qu'il
+ appelle dans toutes ses lettres son lieutenant, un secrétaire
+ particulier, M. Le Camus, qui joua par la suite un certain
+ rôle ainsi que Meyronnet en Westphalie, un médecin et le fils
+ du conventionnel Rewbel, plus tard officier général.]
+
+Pichon, en apprenant la nouvelle détermination du jeune officier de
+marine, l'engagea à quitter Baltimore et à faire un voyage instructif
+dans l'ouest. Le consul général français avait-il déjà connaissance de
+la passion naissante qui devait aboutir à un mariage et voulait-il en
+détourner Jérôme, ou bien pensait-il remplir les intentions du premier
+consul à l'égard de son frère en l'engageant à voyager? c'est ce que
+rien ne fait pressentir dans sa correspondance. Toujours est-il que
+Jérôme ne suivit pas le conseil qui lui était donné, pas plus que celui
+de cesser ses rapports avec un M. Barny, chez lequel il était logé à
+Baltimore et contre lequel le consul général cherchait à le mettre en
+garde.
+
+Le 30 août, Pichon écrivit au ministre des relations extérieures une
+longue lettre relative au jeune Bonaparte. Cette dépêche, fort
+curieuse, résume tout ce qui a rapport au frère du premier consul
+depuis le 22 juillet 1803[85].
+
+ [Note 85: _Mémoires du roi Jérôme_, vol. Ier, p. 227.]
+
+Jérôme était arrivé à Georgetown[86], y avait passé trois jours,
+avait cherché divers moyens de retourner en Europe, tantôt voulant
+passer à bord d'un navire de commerce, puis à bord d'une frégate
+américaine qu'il emprunterait aux États-Unis, enfin comme passager
+sur un bâtiment de guerre destiné à la Méditerranée.
+
+ [Note 86: Georgetown, ville et port de mer des États-Unis,
+ État de la Caroline du sud, était la résidence du consul
+ général Pichon.]
+
+Tous ces projets n'avaient pu avoir de suite. Il n'était possible
+d'en accueillir aucun, pas même le dernier, auquel il s'était
+arrêté, de demander passage sous son nom. Pendant ce temps _le
+Clothier_, en partance de Philadelphie le 7 août, avait mis à la
+voile.
+
+Jérôme passa le mois de septembre 1803 à Baltimore. Fort épris de
+Mlle Paterson, très jolie jeune personne, fille d'un des riches
+négociants de cette ville, il lui fit une cour assidue à laquelle
+Mlle Paterson fut loin d'être insensible. Les choses en vinrent au
+point qu'on commença, vers le mois d'octobre, à parler de mariage.
+Quoique la France eût encore un gouvernement qui conservait le nom
+et un semblant de formes républicaines, tout le monde en Europe,
+comme en Amérique, comprenait que cet état cesserait sous peu et que
+l'homme qui avait reconstruit l'édifice social était destiné à
+monter sur le trône. Personne n'ignorait la bonté, la faiblesse du
+premier consul pour son jeune frère; or une union contractée dans
+ces conditions avec Jérôme était, pour une famille de négociants
+d'Amérique, une fortune inouïe. Aussi, loin de s'opposer à la
+réalisation de ce projet, les Paterson, le père lui-même, semblaient
+y prêter les mains. La jeune personne, fort éprise, était décidée à
+tout pour épouser celui qu'elle aimait. Toute cette petite intrigue
+ne tarda pas à être connue du consul général.
+
+Pichon fut effrayé des conséquences d'un mariage que le chef de
+l'État n'approuverait certainement pas, puisqu'il était contraire à
+toutes les lois françaises. En effet, Jérôme, loin d'avoir atteint
+vingt et un ans, n'avait pas alors dix-neuf ans révolus, et même en
+eût-il eu vingt et un, il ne pouvait se passer du consentement de sa
+mère pour que l'acte fût valide. À peine le représentant de la
+France aux États-Unis fut-il informé de ce qui avait lieu à
+Baltimore, qu'il écrivit: 1º à Jérôme pour le prévenir que l'union
+qu'il voulait contracter était _nulle_ aux yeux de la loi; 2º à M.
+Paterson le père, pour mettre sous ses yeux la loi française; 3º
+enfin à M. d'Hebecourt, l'agent consulaire français dans le
+Maryland, pour lui donner des instructions en cas qu'on voulût
+passer outre et ne pas tenir compte de ses observations.
+
+Jérôme eut connaissance aussi par Pichon des lettres écrites à MM.
+Paterson et d'Hebecourt[87], puis le ministre des relations
+extérieures de France (Talleyrand) reçut communication de toutes les
+pièces relatives à cette affaire. Ceci se passait pendant le mois
+d'octobre 1803. Ces démarches du consul général, ces observations
+fort justes parurent produire un certain effet, car le mariage de
+Jérôme sembla quelque temps un projet abandonné. Pichon en profita
+pour engager vivement le jeune officier à s'embarquer sur une
+frégate française, _la Poursuivante_, alors en relâche à Baltimore.
+Mais la famille Paterson, d'accord avec Jérôme, abusait le consul
+général; le mariage, s'il avait été un instant rompu, s'était
+renoué. Jérôme ne songea plus à retourner en France pour le moment.
+Il déclara formellement qu'il ne se rendrait pas à bord de _la
+Poursuivante_ et qu'il attendrait à Baltimore les ordres du premier
+consul. Au reste, ajoutait-il, il était en mission et n'avait
+d'ordre à recevoir que du ministre.
+
+ [Note 87: Remplacé bientôt après par Sottin.]
+
+Pendant ce temps-là Decrès, ayant connu par le lieutenant Meyronnet
+la position de Jérôme aux États-Unis, avait soumis l'affaire au
+premier consul, qui lui prescrivit d'expédier de nouveau le
+lieutenant de Jérôme avec des instructions pour le retour en France
+de ce dernier. Meyronnet partit donc pour se rendre en Amérique
+précisément à l'époque où l'affaire du mariage se dénouait
+inopinément à Baltimore.
+
+Ainsi que nous l'avons dit, Pichon était persuadé que sur ses
+observations fort judicieuses, la famille Paterson et Jérôme
+lui-même avaient complètement abandonné leurs projets. Il était donc
+fort tranquille de ce côté lorsque, le 25 décembre, il apprit tout à
+coup par M. Lecamus que le jeune Bonaparte, à qui il avait envoyé
+une somme assez considérable, venait de faire célébrer son mariage à
+Baltimore, quatre jours auparavant, le 21. Bien plus, il fut informé
+par l'agent consulaire français, M. Sottin, que l'union, renouée
+tout à coup, avait eu lieu en sa présence, parce qu'il n'avait pas
+cru devoir faire au premier consul l'affront de refuser d'assister à
+cet acte.
+
+Pichon s'empressa de témoigner à Sottin son mécontentement de ce
+qu'il avait assisté au mariage et de ce qu'il avait signé un acte
+contraire à la loi française, et donné l'apparence légale à un acte
+nul aux yeux de cette loi. Il rendit compte ensuite de toute cette
+affaire au ministre des relations extérieures; puis, quelques
+semaines plus tard, le 20 février, il écrivit de nouveau une lettre
+des plus curieuses relative à Jérôme, à Mlle Paterson et à la
+famille de cette dernière.
+
+La nouvelle de ce mariage, contracté malgré la loi, malgré toutes
+les représentations du consul français, arriva à Paris lorsque
+Napoléon avait changé son titre de premier consul contre une
+couronne impériale. Furieux de voir que son jeune frère était le
+premier à enfreindre les lois de son pays, il défendit immédiatement
+de reconnaître cette union.
+
+On trouve à cet égard, au _Moniteur_ du 13 vendémiaire an XIII (4
+mars 1805), la note suivante:
+
+
+ Par un acte de ce jour, défense est faite à tous officiers de l'état
+ civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la transcription
+ de l'acte de célébration d'un prétendu mariage contracté en pays
+ étranger, en âge de minorité, sans le consentement de sa mère, et
+ sans publication préalable dans le lieu de son domicile.
+
+
+En outre, quelques jours plus tard, l'empereur rendit, comme chef de
+la famille impériale, le décret suivant:
+
+
+ Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui ces présentes
+ verront, salut;
+
+ Aussitôt que nous avons été informé d'un prétendu mariage, contracté
+ dans les pays étrangers par notre frère Jérôme Bonaparte, encore
+ mineur, sans aucun consentement de nous, ni de madame notre mère, et
+ contre les dispositions des articles 63, 148, 166, 168, 170 et 171
+ du code civil, nous avons cru devoir, pour le maintien des lois et
+ de la subordination qu'elles établissent dans les familles, faire,
+ par notre décret du 11 ventôse an 13, défenses à tous les officiers
+ de l'état civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la
+ transcription de l'acte de célébration dudit mariage prétendu.
+
+ Ces précautions ne nous ayant point paru suffisantes pour garantir
+ de toute atteinte la dignité de notre couronne, et pour assurer la
+ conservation des droits, qu'à l'exemple de tous les autres princes,
+ nous exerçons sur tous ceux qui ont l'avantage de nous appartenir,
+ nous avons jugé qu'il importait au bien de l'État et à l'honneur de
+ notre famille impériale, de déclarer d'une manière irrévocable la
+ nullité dudit prétendu mariage, comme aussi de prévenir et de rendre
+ vaines toutes tentatives qui seraient faites pour y donner suite ou
+ effet.
+
+ À ces causes nous avons ordonné et décrété, ordonnons et décrétons
+ ce qui suit:
+
+
+Suit le décret en 5 articles qui rend nul le mariage de Jérôme et
+déclare les enfants illégitimes, etc., etc.
+
+Neuf ans plus tard, en 1812, bien après le mariage de Jérôme, devenu
+prince français et roi de Westphalie, avec la princesse Catherine de
+Wurtemberg, l'assemblée générale de Maryland déclara l'union de ce
+prince avec Mlle Paterson nulle et sans effet, et les deux
+contractants divorcés, mais sans que cela puisse illégitimer
+l'enfant issu de cette union.
+
+Ainsi, pour résumer cette singulière union: un enfant, ayant
+dix-neuf ans à peine, devient épris d'une jeune personne. Sans égard
+pour les observations qui lui sont faites, sans prendre souci des
+lois de son pays, dont il est éloigné, sans prévenir même sa
+famille, il épouse, _du consentement du père qui n'ignore ni les
+conséquences ni les nullités de cet acte_, la fille d'un homme
+honorable. Ce père a été bien et _dûment prévenu que le mariage est
+nul aux yeux de la loi française_.
+
+La mère du jeune homme proteste, le chef de la famille, devenu chef
+de l'État et qui a le devoir de faire exécuter les lois, déclare non
+seulement le mariage nul, mais les enfants à naître _illégitimes_;
+neuf ans plus tard, le divorce est prononcé dans le pays même où
+l'union a été contractée, et cela par l'assemblée juge en pareille
+matière, lorsque déjà le marié a épousé une autre femme.
+
+Tel est le résumé de cette bizarre affaire, que l'on peut considérer
+comme ayant eu pour cause, d'un côté le coup de tête d'un jeune
+coeur amoureux, d'un autre l'ambition d'une famille qui voit dans ce
+mariage, qu'elle espère faire reconnaître un jour ou l'autre, un
+motif de puissance à venir[88].
+
+ [Note 88: Toute la correspondance Pichon, toutes les pièces
+ et documents qui se trouvent au vol. I des _Mémoires Jérôme_
+ font trop bien connaître cette affaire pour que nous croyions
+ devoir entrer dans de plus grands développements. Récemment
+ Mme Paterson a publié elle-même des mémoires et des lettres
+ qui ne sont point de nature à augmenter la sympathie que ses
+ malheurs pouvaient inspirer.]
+
+Jérôme Bonaparte et Mlle Paterson se trouvaient dans une position
+assez équivoque. Le mariage n'étant pas valide devant la loi
+française, les représentants de la France en Amérique ne pouvaient
+l'admettre. Tous deux vécurent dans la famille de la jeune personne
+jusqu'à l'époque où l'on apprit l'avènement de Napoléon au trône
+impérial. Aussitôt Jérôme songea à retourner en France, d'autant
+plus que dans l'intervalle il avait reçu, par le lieutenant
+Meyronnet, les instructions du ministre de la marine. Il fut donc
+résolu qu'il s'embarquerait sur la frégate _la Didon_. Pichon
+espérait enfin le voir quitter l'Amérique, mais il n'en devait être
+encore rien. _La Didon_ se trouva bloquée par des forces
+supérieures, et Jérôme, ayant reçu des lettres de sa famille qui lui
+faisaient sans doute connaître que son mariage ne serait pas
+reconnu, ne voulait plus partir.
+
+Le projet de départ fut remis au mois d'octobre. Le capitaine de
+vaisseau Brouard se trouvait prêt à mettre à la voile avec les
+frégates qu'il commandait. Jérôme avait promis de partir; mais tous
+les jours c'était de la part du jeune officier des objections, des
+tergiversations. Si, d'une part, en prévision des grands événements
+qui se préparaient en Europe, il tardait à Jérôme de courir auprès
+de son frère pour jouer un rôle digne de lui et pour obtenir son
+pardon, d'un autre, il était retenu en Amérique par la famille
+Paterson à laquelle il avait promis de ne pas abandonner sa femme
+avant d'avoir obtenu la reconnaissance de son mariage.
+
+À la fin de décembre cependant, Jérôme s'embarqua avec Mlle
+Paterson, à l'insu de tout le monde, sur un bâtiment américain nommé
+_le Philadelphie_; mais ce navire se perdit au bas de la rivière. Il
+avait été frété par Jérôme Bonaparte lui-même, pour le ramener en
+France avec sa jeune femme et la tante de cette dernière. Pichon,
+informé de cette circonstance, se hâta de se rendre auprès d'eux,
+dans l'État de Delaware.
+
+Bientôt après le jeune homme fit une autre tentative pour son retour
+en France. Il monta à bord du _Président_, frégate française; mais
+une frégate anglaise étant venue se placer en face du bâtiment, Mlle
+Paterson eut peur et voulut descendre. Jérôme et elle revinrent
+encore une fois à Baltimore.
+
+En 1804, le consul général français, rappelé en France à cause du
+mariage Paterson, écrivit au ministre des relations extérieures (31
+mars) la longue lettre ci-dessous relative à cette affaire:
+
+
+ Citoyen Ministre, à la suite de la correspondance que j'ai eu
+ l'honneur de suivre avec vous relativement à M. Bonaparte, j'ai
+ celui de vous adresser ci-inclus l'extrait d'une dépêche que j'ai
+ écrite au ministre de la marine. Cette dépêche avait pour objet
+ d'informer ce ministre, dans le département duquel la chose
+ rentrait, de ce que j'avais fait vis-à-vis de M. Bonaparte en
+ conséquence des instructions que je vous ai communiquées dans la fin
+ de ma dépêche du 30 pluviôse. Je me proposais, comme je vous l'ai
+ marqué, de presser M. Jérôme de s'embarquer sur la _Poursuivante_
+ quand elle serait prête. C'est, comme vous le voyez et comme vous
+ l'aurez appris longtemps avant par l'arrivée de la frégate, ce que
+ j'ai fait, mais sans succès.
+
+ C'est postérieurement à mes instances à cet égard envers M. Jérôme,
+ citoyen Ministre, que votre lettre du 4 frimaire m'est parvenue. Je
+ ne l'ai reçue que le 4 de ce mois; M. Bonaparte avait reçu
+ antérieurement les dépêches du ministre de la marine. Si votre
+ lettre me fût parvenue plus tôt, citoyen Ministre, je me serais
+ abstenu de donner à M. Jérôme aucun conseil; quant à celui que j'ai
+ donné, qui n'a pas obtenu votre approbation, les événements
+ subséquents indépendamment des circonstances qui dans le temps m'y
+ déterminèrent, l'auront, je l'espère, complètement justifié à vos
+ yeux.
+
+ Depuis quinze jours, citoyen Ministre, j'ai l'avis que le
+ gouvernement en nommant un ministre plénipotentiaire a cru devoir
+ aussi, en conséquence des lettres de M. Jérôme, me donner un
+ successeur comme consul général. L'attente où j'ai été journellement
+ de cette nouvelle mission m'a empêché de vous écrire ultérieurement
+ sur cet officier et sur l'embarras où je me trouve quant aux
+ demandes d'argent qu'il m'a adressées à mon dernier voyage à
+ Baltimore. J'espérais qu'une nouvelle légation m'ôterait de
+ l'alternative excessivement fâcheuse où je me suis trouvé
+ constamment par rapport à lui de faire trop ou trop peu. J'ai avancé
+ depuis le mois de décembre à M. Jérôme 13,000 dollars, dont 3,000
+ pendant mon dernier séjour à Baltimore vers la fin de février.
+ Depuis il m'a fait presser de payer trois à quatre mille dollars de
+ dettes qu'il avait contractées et au payement desquelles je croyais
+ qu'il avait appliqué les fonds que je lui avais remis
+ antérieurement. La considération du service public qui devient de
+ jour en jour plus onéreux ici, l'impossibilité de se procurer des
+ fonds sur des traites, la crainte d'être trop facile en avances et
+ le désir de me décharger sur mes successeurs de ces demandes
+ embarrassantes, m'ont fait prier M. Bonaparte d'attendre quelque
+ temps. L'intervalle qui s'est écoulé depuis les avis que j'ai reçus
+ de France et les instances des créanciers de M. Jérôme me
+ détermineront à faire des avances ultérieures qui, j'ose le croire,
+ seront approuvées du premier consul. Je serai en outre obligé de
+ faire à M. Bonaparte des payements pour pourvoir à son existence
+ d'une manière convenable.
+
+ J'ai appris que M. Jérôme se plaignait beaucoup de mes derniers
+ refus d'argent ou plutôt de mes réponses déclinatoires et qu'il les
+ attribuait à de la pique résultant de mon rappel. J'ose croire que
+ vous me connaissez trop, citoyen Ministre, pour penser que je sois
+ accessible à ces motifs. Les torts de M. Bonaparte envers moi n'ont
+ pas pris un caractère plus grave par l'effet qu'ils ont pu produire.
+ Du moment où je les ai connus, quelles qu'en pussent être les
+ suites, j'ai su quelle opinion m'en former; mais, comme vous l'avez
+ vu, ils n'ont eu aucune influence sur ma conduite envers lui; j'ai
+ fait aux convenances publiques le sacrifice des sentiments que j'ai
+ dû éprouver; j'ai même attendu pour m'en exprimer avec vous, citoyen
+ Ministre, comme je le dois à moi-même, que les résultats en fussent
+ connus, désirant laisser une libre action aux rapports de M.
+ Bonaparte. À présent que l'effet est produit, vous me permettrez,
+ citoyen Ministre, d'en appeler à vous sur ce que j'ai dû sentir
+ quand j'ai appris qu'un jeune homme de 19 ans que j'ai reçu à ma
+ table, qui m'a reçu à la sienne, avec qui j'ai passé deux jours
+ entiers, le dernier surtout, dans une sorte de familiarité, qui, ce
+ dernier jour, m'a demandé et a obtenu de moi de bons offices
+ personnels qui supposent une bienveillance réciproque, que ce jeune
+ homme qui m'a quitté en me serrant la main, ait pu, deux jours
+ après, fabriquer dans l'ombre des interprétations calomnieuses et
+ malignes à des conversations de table auxquelles vous devez croire
+ que l'âge de M. Bonaparte ne m'a pas permis de prendre un bien grand
+ intérêt.
+
+ Si j'avais eu le temps de vous rendre, citoyen Ministre, toutes les
+ interpellations singulières et excentriques que M. Bonaparte m'a
+ faites à son arrivée et auxquelles j'ai dû répondre en lui faisant
+ voir l'inconvenance et l'impossibilité d'y satisfaire, vous auriez
+ eu la clef des délations de M. Bonaparte.
+
+ L'excessive familiarité qu'il était probablement habitué à prendre
+ avec tout le monde dans les colonies m'aurait, je vous l'assure,
+ porté à ne me tenir près de lui que le temps nécessaire pour lui
+ rendre les services et les devoirs de ma place, si, par déférence
+ pour sa famille et pour sa position, je n'avais cru devoir, dans
+ l'isolement où il était, lui tenir littéralement compagnie; je dois
+ dire que, sous ce dernier rapport, M. Jérôme a changé en mieux
+ depuis son séjour aux États-Unis. Mais outre que je ne me sentais
+ nullement disposé à vous rendre compte des choses que l'âge excuse
+ et qui auraient eu l'air, de ma part, d'un rapport, comme je n'avais
+ aucun motif ni dans ma conscience, ni dans la conduite de M.
+ Bonaparte envers moi, qui pût me faire craindre des démarches comme
+ celles qu'il a faites, je n'ai pu songer à anticiper sur leurs
+ effets. Si j'eusse pu prévoir par quelque indice ces délations,
+ j'aurais dès lors, comme depuis j'en ai ouï parler, eu trop de
+ confiance dans votre justice, citoyen Ministre, et dans celle du
+ premier consul, pour croire que sur des représentations que l'âge de
+ l'officier et sa position devaient discréditer, mon sort, comme
+ homme public, pût être décidé sans me donner l'occasion de me
+ justifier d'accusations que j'ignore encore, surtout quand j'ai la
+ confiance que ma conduite comme agent du gouvernement n'a pu que me
+ mériter son approbation.
+
+ Je dis que j'ignore encore sur quoi portent les délations de M.
+ Jérôme, car je ne puis croire que ce qu'il m'a envoyé trois mois
+ après, sur un reproche indirect que je lui en fis, soit une copie
+ exacte de ce qu'il a écrit et de ce dont il n'a probablement dans le
+ temps pas gardé de minute; ce qu'il m'a communiqué me prête des
+ choses qui n'ont pas de sens et entre autres il me faire dire qu'il
+ n'y a en France ni droit civil, ni droit militaire.
+
+ Au surplus, citoyen Ministre, je vous demande pardon de vous avoir
+ entretenu si longtemps de choses qui me concernent. C'est pour me
+ dispenser de vous en parler à Paris et n'avoir qu'à vous prier, en
+ tout cas, de remercier le premier consul de la faveur qu'il m'avait
+ faite en me confiant cette place et à vous assurer de ma
+ reconnaissance pour la bienveillance que vous m'avez témoignée.
+
+
+Pichon, appelé plus tard par Jérôme en Westphalie, devint un de ses
+conseillers d'État.
+
+En février 1805, sans faire connaître son projet aux autorités
+françaises, Jérôme prit passage sur l'_Ering_, en destination pour
+Lisbonne, avec sa femme et son beau-père.
+
+Cette fois, il revit l'Europe après une traversée heureuse. Il vint
+débarquer à Lisbonne le 8 avril, et, laissant dans cette ville sa
+femme et M. Paterson, il partit à franc étrier pour Madrid, courant
+nuit et jour pour rejoindre l'empereur, alors au couronnement à
+Milan.
+
+Le _Moniteur_ du 9 mai 1805 annonçait le fait par la note suivante:
+
+
+ Lisbonne, 8 avril 1805.
+
+ M. Jérôme Bonaparte est arrivé ici sur le bâtiment américain sur
+ lequel étaient comme passagers M. et Mlle Paterson. M. Jérôme
+ Bonaparte vient de prendre la poste pour Madrid et M. et Mlle
+ Paterson se sont rembarques. On les croit retournés en Amérique.
+
+
+Le 24 avril il était à Turin, et il ne tarda pas à rejoindre son
+frère auprès de qui il rentra bientôt en grâce, ainsi qu'on le
+verra. Quant à Mlle Paterson, elle dut renoncer à toute idée de
+reconnaissance et de validation de son mariage. En compensation,
+elle reçut une pension viagère de 60,000 francs. L'empereur ne lui
+permit pas de débarquer en France et donna à cet égard des
+instructions secrètes[89].
+
+ [Note 89: _Mémoires du roi Jérôme_, 1er volume.]
+
+Sottin, blâmé, essaya de se justifier dans une lettre adressée à
+Pichon. Quant à Jérôme, une fois en Europe, il fit tenir à
+l'empereur une lettre de soumission et de regret qui lui valut le
+pardon de son frère. Ce dernier l'appela près de lui à Milan, et
+ordonna que tous les ports de France fussent fermés à la famille
+Paterson. Il chargea ensuite son oncle le cardinal Fesch de se
+rendre auprès du pape pour obtenir l'annulation du mariage religieux
+contracté à Baltimore.
+
+Le 9 juin 1805, le cardinal écrivit à Napoléon:
+
+
+ Sire, j'ai présenté hier la tiare[90] à Sa Sainteté. Elle vous en
+ remerciera par sa lettre. Je suis arrivé à temps pour faciliter et
+ éclaircir les doutes de Sa Sainteté sur le mariage de Jérôme. Après
+ des recherches faites dans les bureaux de la Propagande, l'évêque de
+ Baltimore est simplement évêque de l'endroit sans avoir de pouvoirs
+ plus étendus, ainsi, le cas de nullité par suite de la présence du
+ propre pasteur a lieu, mais on objecte que le concile de Trente
+ n'ayant point été publié dans ces pays-là, on doit régler les
+ mariages comme en Hollande, où les mariages clandestins sont
+ valides, selon la déclaration de Benoit XIV. Cependant, j'ai trouvé
+ l'autorité du savant Estins appuyée par le concile de Cambrai qui
+ déclare que dans le cas que des étrangers se marient dans un pays où
+ le concile de Trente n'a pas été publié, il faut déclarer leur
+ mariage nul par défaut du propre curé; lorsque dans leur pays natal,
+ ou de résidence, cette obligation existe. Jérôme est né en Corse où
+ ce concile a été publié, il réside à Paris où cette obligation
+ existe, par une loi expresse, qui publie cette disposition
+ particulière du concile de Trente sur la présence du propre curé,
+ ainsi, nul doute que ce mariage ne soit déclaré nul selon les
+ autorités susdites.
+
+ [Note 90: Tiare envoyée en cadeau au pape.]
+
+ Le pape voudrait bien décider l'affaire en déclarant la nullité;
+ mais il est encore dans l'indécision et le doute. On a présenté les
+ questions sous un autre nom et en secret. Le pape voudrait mettre
+ tout le monde d'accord. V. M. doit être bien convaincue du zèle et
+ de l'activité que je mets dans cette affaire. J'espère de n'avoir
+ pas été inutile[91].
+
+ [Note 91: Cette lettre du cardinal Fesch, qui ne se trouve
+ nulle part, semble prouver que le pape ne voulut pas casser
+ le mariage religieux de Jérôme aux États-Unis. Cet acte fut
+ toujours refusé par le saint-père et cependant ce dernier,
+ non seulement reconnut le mariage de Jérôme avec la princesse
+ Catherine, mais il reçut, après 1815, les deux époux avec une
+ bienveillance toute particulière.]
+
+
+Pour terminer ce qui dans l'histoire du dernier des frères de
+Napoléon a trait à sa première femme, Mlle Elisa Paterson, nous
+donnerons encore ici deux lettres envoyées par Napoléon, la première
+datée d'Alexandrie, 2 mars 1805, et adressée à l'archichancelier
+Cambacérès; la seconde du 9 décembre 1809, adressée au ministre des
+affaires étrangères duc de Cadore. Voici la première:
+
+
+ Je ne conçois rien à vos jurisconsultes. Ou Mlle Paterson est mariée
+ ou non. Non, il ne faut aucun acte pour annuler son mariage, et si
+ Jérôme voulait contracter un nouveau mariage en France, les
+ officiers de l'état civil l'admettraient et il serait bon.
+
+
+Voici la seconde:
+
+
+ Écrivez au général Thurreau[92] que je l'autorise à donner tous les
+ fonds dont Mlle Paterson pourrait avoir besoin pour sa subsistance,
+ me réservant de régler son sort incessamment; que du reste, je ne
+ porte aucun intérêt en cela que celui que m'inspire cette jeune
+ personne; mais que si elle se conduisait assez mal pour épouser un
+ Anglais, alors mon intérêt pour ce qui la concerne cesserait, et que
+ je considèrerais qu'elle a renoncé aux sentiments qu'elle a exprimés
+ dans sa lettre et qui seuls m'avaient intéressé à sa situation.
+
+ [Note 92: Le général Thurreau était alors ministre de France
+ aux États-Unis d'Amérique.]
+
+
+Jérôme ne revit plus qu'une seule fois Mlle Paterson. Ce fut pendant
+son exil, longtemps après la chute du premier empire et la mort de
+Napoléon Ier. Ils se rencontrèrent par hasard à Florence et ne
+s'adressèrent pas la parole, mais le prince conserva toujours une
+correspondance épistolaire avec son fils Jérôme Bonaparte-Paterson,
+pour qui la reine Catherine montra une grande bienveillance, et
+qu'il vit à Paris sous le second empire, en 1853, l'empereur
+Napoléon III l'ayant fait venir en France, ainsi que son fils, qui
+eut un grade dans l'armée. Mme Jérôme Bonaparte-Paterson a survécu
+plusieurs années à son mari, car elle est morte seulement en 1879.
+
+Cependant Napoléon, loin d'avoir abandonné ses vastes projets
+maritimes, donnait à cette époque plus de soins que jamais à cette
+partie des forces vives de son vaste empire. Les flottes reformées
+de la France commençaient, grâce à lui, à lutter avec avantage
+contre celles de l'Angleterre. La plus belle armée et la mieux
+disciplinée qui se fût encore vue campait sur les côtes de la
+Manche, les yeux tournés vers la Tamise, et n'attendant que le
+signal pour s'élancer de l'autre côté du détroit. L'empereur avait
+fait de deux de ses frères, Joseph et Louis, des colonels; Lucien,
+franchement républicain et rebelle à sa main puissante, s'était
+détaché de lui; Jérôme devait continuer son métier de marin, métier
+dans lequel il avait réellement donné déjà des espérances. Telle
+était la volonté puissante d'un génie qui trouvait alors bien peu de
+contradiction. Jérôme était tout disposé à reprendre la mer. Aussi
+accepta-t-il avec joie de se rendre à Gênes pour y commander la
+frégate _la Pomone_.
+
+Napoléon fit connaître au ministre de la marine Decrès son intention
+à l'égard de son jeune frère par une longue instruction en date du
+18 mai.
+
+Jérôme devait prendre non seulement le commandement de _la Pomone_,
+mais aussi celui de deux bricks. Après s'être rendu avec sa division
+à Toulon, il devait croiser dans les eaux de Gênes pour exercer ses
+équipages et presser tous les matelots de la Corse et de l'île
+d'Elbe. L'empereur recommandait au ministre de faire en sorte que la
+division commandée par son frère ne s'éloignât pas trop de la côte
+et que le second à bord de _la Pomone_ fût un bon marin.
+
+Dans cette instruction dictée et signée par Napoléon lui-même, on
+peut à notre avis reconnaître chez l'empereur la crainte d'exposer
+un frère bien jeune encore, le désir de lui faire acquérir de la
+gloire en le mettant en vue, et aussi celui d'être utile à sa marine
+de guerre en faisant comprendre à tous qu'un membre de la famille
+impériale serait un jour à la tête des flottes.
+
+Une autre lettre, écrite également par l'empereur à son ministre de
+la guerre Berthier, descend dans les détails les plus curieux sur la
+conduite que le jeune commandant de _la Pomone_ doit tenir à son
+bord. On y lit en tête: «Mon cousin, faites connaître à M. Jérôme
+qu'il étudie bien les manoeuvres du canon, parce que je lui ferai
+commander l'exercice, etc.»
+
+Jérôme recevait en même temps ses instructions et le brevet de
+capitaine de frégate[93].
+
+ [Note 93: Le ministère de la marine fait dater la nomination
+ de capitaine de frégate du prince Jérôme de juin 1803; c'est
+ une erreur que redresse suffisamment la correspondance
+ officielle ainsi qu'on le verra.]
+
+Jérôme, une fois à la tête de sa division à Gênes, trouva sans doute
+que le frère de l'empereur devait être plus qu'un simple capitaine
+de frégate, et surtout que son rang ne lui permettait pas de n'avoir
+point table ouverte, car il prit de son autorité privée les insignes
+de capitaine de vaisseau, se crut le droit de nommer aux emplois de
+son bord et se fit payer ses frais sur le pied des officiers de ce
+grade. Une très singulière correspondance résulta de ce sans-gêne du
+jeune officier. Le ministre de la marine, informé par Jérôme
+lui-même, lui écrivit:
+
+
+ J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 12, par laquelle vous
+ m'informez que vous avez reçu de S. M. l'empereur l'ordre de garder
+ à bord de _la Pomone_ le capitaine Charrier. Vous avez pensé devoir
+ prendre les marques distinctives du grade de capitaine de vaisseau
+ et vous y ajoutez de très justes observations sur ce qui résulterait
+ d'inconvénient à les quitter, après avoir été reconnu dans ce grade
+ par la division sous vos ordres.
+
+ Je ne puis, Monsieur, que soumettre à S. M. cette circonstance très
+ sérieuse sur laquelle elle seule peut prononcer. Mais je dois
+ improuver la facilité avec laquelle vous avez préjugé ses intentions
+ à cet égard.
+
+ Je dois vous prévenir aussi que S. M. donne seule en Europe des
+ avancements même provisoires dans la marine, et qu'en conséquence
+ celui de M. Chassériau doit nécessairement être ajourné jusqu'à ce
+ que S. M. le lui ait conféré, car par décret du 30 vendémiaire an
+ VI, elle a défendu qu'aucun titre ou grade ne fût valable et ne
+ donnât lieu à appointements qu'autant qu'il a été donné et confirmé
+ par elle.
+
+ Au reste, l'intérêt que vous inspire l'enseigne Chassériau me
+ persuade qu'il a des droits au grade supérieur. Je vais les
+ examiner, et je désire qu'ils soient tels que je puisse proposer à
+ S. M. de le lui conférer.
+
+
+Le 6 fructidor an XIII (24 août 1805) on écrivit de Boulogne au
+ministre de la marine:
+
+
+ L'inspecteur de marine à Gênes observe que M. Jérôme Bonaparte a
+ reçu son traitement de table comme capitaine de vaisseau, quoique
+ cet officier n'ait réellement que le grade de capitaine de frégate.
+
+ Il demande à ce sujet les ordres de Monseigneur.
+
+ Point de doute qu'il n'y ait lieu à improuver le paiement fait à M.
+ Jérôme; cependant avant de présenter un projet de lettre en
+ conséquence à Son Excellence, on la prie de donner ses ordres.
+
+
+Le ministre de la marine écrivit au-dessous de cette note, de sa
+main: _Traitement selon son grade._
+
+
+ _Écrire_: Il est ridicule qu'on me fasse entrer dans ces détails.
+ Chacun sait qu'on ne doit toucher que le traitement de son grade,
+ or, j'ai fait connaître celui que S. M. a bien voulu accorder à M.
+ Bonaparte. Ainsi, que l'inspecteur fasse son devoir et refuse de
+ signer.
+
+
+Le 27 brumaire an XIV (48 novembre 1805), le préfet maritime à Gênes
+adresse l'état des sommes payées dans ce port au commandant Jérôme.
+
+Il résultait de cet état que le bureau des armements à Gênes lui
+avait payé ses frais de table 24 fr. par jour comme capitaine de
+vaisseau de 2e classe, parce que le bureau l'avait trouvé inscrit en
+cette qualité sur le rôle lors de la prise de service, le 15
+messidor an XIII, et que le bureau des revues l'avait traité comme
+capitaine de frégate, 20 fr., parce qu'il n'était porté qu'avec ce
+titre sur son livret.
+
+Cela venait de ce qu'au passage de l'empereur à Gênes, le bruit
+public avait couru que Jérôme était nommé capitaine de vaisseau, et
+que le jeune homme en avait pris les insignes[94].
+
+ [Note 94: L'empereur trouva fort mauvais ce qu'avait fait son
+ frère et écrivit dans ce sens, au ministre de la marine
+ Decrès, une lettre assez violente qui se trouve au 1er vol.
+ des _Mémoires de Jérôme_, p. 360.]
+
+Peu de temps après avoir donné le commandement de la petite division
+alors à Gênes, l'empereur lui annonça à lui-même, 3 juin, de Milan,
+qu'il l'avait nommé au grade de capitaine de frégate. On voit dans
+cette lettre et dans celles qu'il lui écrivit à cette époque quel
+cas il faisait de son caractère.
+
+Bientôt Napoléon se rendit à Gênes et mit deux frégates de plus
+(_l'Uranie_ et _l'Incorruptible_) sous le commandement de son jeune
+frère. Le 5 juillet il lui envoya une instruction très précise sur
+ce qu'il avait à faire avec son escadre légère.
+
+Jérôme devait compléter ses équipages, se rendre à Bastia, y prendre
+tous bons matelots, recueillir des renseignements sur la situation
+des Anglais aux îles de la Madeleine, côtoyer ensuite la Sardaigne
+jusqu'aux trois quarts de la côte, s'emparer des bâtiments qui se
+trouveraient dans le port de la Madeleine, se présenter devant
+Alger, exiger qu'on lui remette les esclaves génois, italiens et
+français détenus dans les prisons du dey, et revenir soit à Toulon,
+soit à Gênes, en ayant soin de ne pas rester plus de six jours sur
+les côtes d'Afrique.
+
+Ce fut à cette époque que Napoléon Ier revit son frère Lucien, dont
+il désapprouvait le mariage, comme il avait désapprouvé celui de
+Jérôme. Ce dernier ayant cru pouvoir lui écrire pour lui parler de
+Lucien une lettre qui ne nous est pas parvenue, l'empereur lui
+répondit durement le 9 juin 1805, de Milan:
+
+
+ Mon frère, j'ai reçu votre lettre. Je ne tarderai pas à me rendre à
+ Gênes. Tout ce que vous pouvez me dire ne peut influer en rien sur
+ ma résolution. Lucien préfère une femme... à l'honneur de son nom et
+ de sa famille. Je ne puis que gémir d'un si grand égarement d'un
+ homme que la nature a fait naître avec des talents, et qu'un égoïsme
+ sans exemple a arraché à de belles destinées et a entraîné loin de
+ la route du devoir...--Mlle Paterson a été à Londres, ce qui a été
+ un sujet de grand mouvement parmi les Anglais.--Elle ne s'en est
+ rendue que plus coupable.
+
+
+Vers le milieu de juillet, la division navale de Gênes fut en état
+de prendre la mer. Elle allait mettre à la voile, lorsque des
+nouvelles de Livourne annoncèrent qu'Alger avait été envahi par les
+tribus des montagnes ou Kabaïles. Jérôme crut devoir différer son
+départ et demander de nouveaux ordres. Le ministre lui fit connaître
+que l'empereur ne croyait pas à la vérité de ces nouvelles, mais que
+les faits fussent-ils bien réels, il n'y voyait qu'un motif de plus
+pour son frère de hâter son départ et de remplir sa mission.
+
+Jérôme se tint prêt à appareiller. Il avait pris à peu près de force
+des matelots sur d'autres navires pour compléter ses équipages, et
+bien que ses caronnades ne fussent pas encore toutes arrimées, il
+résolut de faire terminer ce travail en mer et de mettre à la voile.
+En effet, dans la nuit du 6 au 7 août il leva l'ancre et mit le cap
+sur la Corse, mais il fut d'abord contrarié par un calme et de
+petits vents jusqu'au 9, ensuite par une bourrasque de l'ouest qui
+occasionna des avaries à la division et le força de venir relâcher à
+Toulon pour avoir des pièces de rechange.
+
+Après un séjour de soixante-douze heures employées à se réparer, la
+division commandée par Jérôme partit de nouveau. Elle se composait alors
+des trois frégates _la Pomone_, _l'Uranie_ et _l'Incorruptible_, des
+bricks _l'Endymion_ et _le Cyclope_, auquel le préfet maritime voulut
+bien adjoindre le brick _l'Abeille_, bon marcheur destiné à servir
+d'éclaireur.
+
+Le jeune capitaine de frégate remplit la mission que l'empereur
+venait de lui confier avec la plus grande énergie et le plus grand
+succès; aussi Napoléon et Decrès lui témoignèrent-ils combien ils
+étaient satisfaits de sa conduite dans cette circonstance.
+
+Le 11 septembre 1805, Decrès écrivit à Jérôme, de Paris:
+
+
+ Monsieur le commandant, la plus brillante réussite vient de
+ couronner la mission que S. M. l'empereur vous avait confiée; vous
+ portant rapidement de Toulon sur Alger, l'arrivée inattendue de
+ votre division ainsi que la fermeté de vos demandes ont affermi la
+ considération de la Régence pour le pavillon de S. M. Vous avez
+ brisé les fers d'un grand nombre de Liguriens qui depuis longtemps
+ souffraient les horreurs de la captivité et votre retour à Gênes a
+ été marqué par les bénédictions des nouveaux Français.
+
+ Personne ne pouvait, et à plus de titres que moi, prendre plus de
+ part à des succès aussi flatteurs pour vous et je m'empresse de
+ joindre mes sincères félicitations à celles qui vous ont déjà été
+ offertes.
+
+
+De la main du ministre:
+
+
+ Toute l'Europe a les yeux sur vous et particulièrement la France et
+ la marine de S. M. Vous devez à celle-ci de lui donner l'exemple de
+ l'activité et du dévouement à votre métier. Vous le concevez comme
+ moi-même et ce sera pour moi un devoir agréable à remplir que de
+ faire remarquer à l'empereur le développement de ces qualités dans
+ toutes les opérations dont vous chargera sa confiance.
+
+
+L'empereur ne laissa pas à son frère le temps de prendre un peu de
+repos. Après sa campagne à Alger, il lui donna le commandement du
+vaisseau de 74 _le Vétéran_, le meilleur de l'escadre du
+contre-amiral Willaumez, escadre chargée de se rendre en Amérique et
+de faire le plus de mal possible à la marine et aux colonies
+anglaises.
+
+Willaumez, avant de partir, reçut du ministre des instructions très
+précises pour tenir sa mission secrète vis-à-vis tout le monde[95],
+et pour traiter Jérôme Bonaparte en simple capitaine de vaisseau;
+mais à peine en mer, il crut devoir s'écarter de ses instructions.
+Soit pour flatter le jeune frère de l'empereur et se le rendre
+favorable, soit parce qu'il avait reconnu en lui l'étoffe d'un marin
+de grand mérite, il le nomma son second, bien qu'il fût le moins
+ancien des commandants de vaisseau de la flotte, il lui fit
+connaître le but de l'expédition et écrivit à Decrès que Jérôme
+avait été désigné par les autres officiers pour le poste qu'il lui
+confiait, comme étant reconnu le plus capable.
+
+ [Note 95: Voici le _post-scriptum_ de la dépêche en date du 2
+ octobre 1805 de Decrès à Willaumez (de la main du ministre):
+ «Je vous informe que votre mission n'est connue de personne
+ que de l'empereur, de moi, du secrétaire intime qui a
+ transcrit les instructions de S. M. et de vous. Il vous est
+ prescrit de garder le plus grand secret à cet égard, S. M.
+ vous défendant toute communication à ce sujet avec quelque
+ personne et sous quelque prétexte que ce puisse être.»]
+
+Cette violation du secret de l'expédition fit comprendre à Jérôme
+que la flotte devait tenir la mer beaucoup plus longtemps que le
+ministre ne le lui avait dit et l'indisposa d'une façon violente. Le
+jeune homme, ami des plaisirs, n'était pas d'humeur à s'éterniser à
+son bord.
+
+Il témoigna son mécontentement, et Willaumez en vint bientôt à
+craindre que Jérôme, assez peu patient de sa nature, n'écrivît à
+Decrès une lettre violente. Aussi crut-il devoir essayer d'arrêter
+le jeune homme dans cette voie, en lui adressant, en date du 14
+décembre 1805, une longue dépêche que l'on trouvera plus loin.
+
+Donnons d'abord deux lettres relatives à l'expédition, l'une du
+ministre au préfet maritime, en date du 12 novembre, l'autre de
+Willaumez au ministre en date du 6 décembre 1805.
+
+
+ Je réponds, Monsieur, à vos dépêches des 11, 13 et 15 courant,
+ relativement aux escadres expéditionnaires.
+
+ Le motif de la substitution de _l'Éole_ au _Jupiter_ n'a eu d'autre
+ objet que de mettre un vaisseau plus solide dans la division
+ Willaumez à la place d'un autre qui l'était moins. Ainsi, si par les
+ réparations faites au _Jupiter_, ce vaisseau est aussi solide que
+ _l'Éole_, il n'y aura pas lieu à cette substitution.
+
+ Je ne vois aucun inconvénient à mettre _l'Indienne_ à la place de
+ _la Comète_, si celle-ci n'est pas prête.
+
+ Le motif qui m'avait empêché de comprendre _l'Indienne_ au nombre
+ des frégates en partance était fondé sur le peu d'opinion que
+ j'avais de ses qualités; ainsi je vous laisse libre d'employer cette
+ frégate au lieu de _la Comète_, si vous la croyez plus propre à une
+ longue campagne. Je vous prie de concerter cela avec le général
+ Lassègnez.
+
+ Par votre lettre du 13, vous m'annoncez qu'on procède à la formation
+ des équipages, cette opération doit être achevée aujourd'hui.
+
+ Il faut que les bâtiments qui partent soient bien armés, et je ne
+ puis m'abstenir de vous recommander particulièrement _le Vétéran_.
+
+ L'un des deux contre-amiraux a élevé la question si M. Jérôme
+ Bonaparte commanderait en second ou s'il prendrait rang dans le
+ commandement d'après l'ancienneté de son grade?
+
+ M. Jérôme est capitaine de vaisseau en date du 1er vendémiaire de
+ cette année, an XIV.
+
+ L'empereur n'ayant donné aucun ordre qui lui fût particulier
+ relativement au commandement, la règle ordinaire du service doit
+ naturellement être suivie.
+
+ Si dans la division de Gênes que M. Jérôme a commandée, il a eu sous
+ ses ordres des officiers plus anciens en grade que lui, cela a été
+ une suite d'un ordre particulier de Sa Majesté, qui n'a point eu
+ lieu dans le cas présent.
+
+ Je remarque dans votre lettre du 15 qu'il est quelques vaisseaux
+ auxquels vous ne complétiez d'abord que 100 jours d'eau. Je ne puis
+ qu'approuver la successive progression de ce complément, mais il
+ importe que toute l'escadre ait définitivement 4 mois d'eau au
+ moment du départ.
+
+ J'ai lieu d'espérer que le 30, les deux divisions seront enfin
+ prêtes à mettre à la voile, ne négligez rien pour devancer ce terme,
+ s'il est possible, et continuez à m'informer par chaque courrier du
+ progrès des travaux.
+
+ Dès que les escadres seront prêtes, vous m'en avertirez par le
+ télégraphe; ni l'une, ni l'autre ne devront appareiller avant
+ d'avoir reçu, soit par le télégraphe, soit par courrier, l'ordre de
+ mettre sous voiles, en réponse à votre lettre télégraphique.
+
+
+L'amiral Willaumez au ministre de la marine (6 décembre 1805):
+
+
+ Monseigneur, le vent est faible et variable depuis plusieurs jours,
+ du nord-ouest à l'ouest. Aujourd'hui, il est au sud-ouest, le ciel
+ est brumeux et quoique le baromètre soit haut, l'opinion générale
+ est que nous aurons un coup de vent du sud-ouest. Ce sera après ce
+ temps, lorsqu'il viendra à souffler de la partie du nord, que je
+ pourrai appareiller et faire bonne route. Je désire très ardemment
+ que ce moment arrive bientôt. Je dois dire à Votre Excellence que
+ c'est aussi le voeu de toute l'escadre, particulièrement de M. le
+ commandant Jérôme. Il se tient à son bord, y surveille les exercices
+ avec la plus grande exactitude et ne cesse de donner l'exemple du
+ zèle, de l'activité, du talent. Il me disait hier: «Une demi-heure
+ après votre signal d'appareiller, je suis sous voiles.» Je verrai
+ avec grand plaisir qu'avant mon départ, S. M. veuille mettre M.
+ Jérôme à la tête des capitaines de vaisseau. Je suis persuadé,
+ Monseigneur, que vous reconnaîtrez dans cette demande que j'ai suivi
+ avec une attention particulière et sans préjugés, la conduite de
+ votre ami dans le service, et que c'est cette conduite qui seule a
+ fixé mon jugement.
+
+
+Voici maintenant la lettre de Willaumez à Jérôme:
+
+
+ Cette lettre particulière que j'ai l'honneur de vous écrire est
+ dictée par les circonstances et mon attachement pour votre personne.
+ Souffrez que je vous parle d'amitié.
+
+ Je vous engage à ne pas écrire au ministre avec humeur, vous pouvez
+ bien lui faire sentir que vous jugez devoir être plus longtemps
+ dehors qu'il ne vous l'avait fait espérer, mais conservez-le comme
+ un ami chaud qui a de l'esprit et qui ne laisse pas échapper les
+ occasions de vous servir auprès de S. M. Vous sentez, d'un autre
+ côté, que vous me mettriez mal avec S. E. si elle apprenait tout ce
+ que vous savez de confidentiel sur mes instructions.
+
+ N'oubliez jamais, je vous en supplie, que tous les regards des
+ marins sont tournés vers vous, particulièrement dans l'escadre; de
+ votre exemple peuvent suivre ses succès ou sa perte.
+
+ Je ne considère pas ici mon intérêt particulier auprès de l'honneur
+ de notre marine et de la gloire des armes de notre magnanime
+ souverain; il est nul, mais je ne puis vous dissimuler que si on
+ venait à s'apercevoir de votre mécontentement, il en pourrait
+ résulter une influence fâcheuse sur mes opérations et comme vous, un
+ des premiers affligé si nous ne réussissions pas dans toutes nos
+ entreprises, je ne doute nullement que vous ne contribuiez autant
+ par votre conduite que par vos moyens à animer chacun
+ d'encouragement, de détermination et de résolution à bien faire
+ jusqu'au dernier jour.
+
+ L'escadre est bien composée, l'esprit des hommes de toutes classes
+ est fort bon; nous pouvons faire de grandes choses. Nous parcourons
+ des climats doux et une navigation facile nous conduit
+ infailliblement à faire beaucoup de mal aux implacables ennemis de
+ la France.
+
+ L'expérience que vous acquérez chaque jour vous sera très utile pour
+ le service de votre pays et la prospérité de la marine à la tête de
+ laquelle vous êtes destiné à vous trouver.
+
+ Écoutez les conseils d'un homme qui aime sa patrie, qui est tout
+ dévoué au service de notre empereur et qui vous affectionne de
+ coeur depuis plusieurs années.
+
+ Faites-moi l'amitié de croire que je n'ai dans cette conduite que
+ l'amour de la gloire que me tracent les instructions de S. M. et
+ votre intérêt personnel. Un sacrifice de quelques mois vous vaudra
+ nombre d'années de bonheur et vous fera obtenir de votre auguste
+ frère toutes sortes de satisfactions.
+
+
+Jérôme répondit à Willaumez:
+
+
+ Monsieur le général, je reçois votre lettre, je ne puis vous savoir
+ mauvais gré de ce que vous m'y dites. Cependant, je croyais vous
+ avoir plus que persuadé que rien ne me détournerait de mon devoir et
+ que j'ai un intérêt trop direct à la réussite de nos opérations pour
+ afficher un mécontentement que je n'ai point. La tenue de mon
+ vaisseau et de mon équipage, la manière dont l'un et l'autre
+ manoeuvrent ont dû vous prouver que si tous les vaisseaux et
+ équipages de l'escadre imitaient mon exemple, les uns et les autres
+ y gagneraient.
+
+ Monsieur le général, quant aux peines morales, vous savez qu'elles
+ ne se guérissent pas facilement. Je vous remercie du sentiment qui a
+ dicté votre lettre, et la seule chose qui puisse m'y déplaire c'est
+ que vous m'ayez pu croire un enfant susceptible de faire partager
+ aux autres les contrariétés que je puis éprouver.
+
+
+Nous ne raconterons pas la campagne de Willaumez qui ne fut pas
+heureuse. Nous dirons toutefois que cet amiral, après avoir commis
+la faute de faire connaître à Jérôme des choses qu'il devait tenir
+secrètes, après avoir désigné pour son second ce jeune homme, après
+l'avoir consulté sur ses opérations, eut le tort de ne pas suivre
+les avis du capitaine du _Vétéran_, qui montra alors une grande
+sagacité.
+
+_Le Vétéran_, s'étant trouvé séparé de l'escadre, revint seul en
+France, échappa aux vaisseaux anglais, se mit à l'abri dans la baie
+de la Forêt, sur les côtes de Bretagne, près Concarneau.
+
+Decrès, mécontent du retour de Jérôme et n'étant pas éloigné
+d'admettre que le jeune capitaine s'était égaré volontairement,
+semblait disposé au blâme; mais tel ne fut pas l'avis de l'empereur
+qui, ayant des vues sur son jeune frère, le reçut à merveille, puis
+lui donna le titre de prince, le grand cordon de la Légion d'honneur
+et le nomma contre-amiral.
+
+Bientôt il ordonna son passage de l'armée de mer dans l'armée de
+terre, le fit général de division et lui confia un corps de Bavarois
+et de Wurtembergeois, à la tête duquel le jeune prince fit, pendant
+la guerre de Prusse, en 1806 et 1807, la conquête des places fortes
+de la Silésie. Il fut très utile à la grande armée opérant contre
+les forces de la Prusse et de la Russie, car cette armée lui dut en
+plusieurs circonstances son ravitaillement, et par contre la
+possibilité des succès qui amenèrent la paix de Tilsitt et la
+création du royaume de Westphalie.
+
+La campagne de Silésie comme celle de Willaumez sont deux pages
+d'histoire qui ont trouvé une large place dans les deux premiers
+volumes des _Mémoires du roi Jérôme_ et dans les deux volumes
+intitulés: _Opérations du 9e corps de la grande armée en 1806 et
+1807._
+
+Nous résumons seulement en quelques mots la campagne de Willaumez.
+Les instructions de Napoléon à l'amiral intiment: de tenir la mer
+quatorze mois avec ses six vaisseaux et ses deux frégates, de se
+rendre de Brest dans l'Océan Atlantique méridional, de faire relâche
+au Cap un mois pour s'y refaire; de répandre le bruit qu'il se
+rendait à l'Île-de-France, et, au lieu de prendre à l'est, de
+revenir vers l'ouest, à vingt lieues de Sainte-Hélène, d'y établir
+une croisière pour enlever les convois anglais venant des Indes; de
+se porter ensuite vers les Antilles, de saccager aux Barbades les
+établissements anglais; de remonter sur Terre-Neuve pour en détruire
+les pêcheries, et de revenir dans un port de France sur l'Océan,
+après avoir attaqué partout l'ennemi trouvé inférieur en forces.
+
+Willaumez remplit mal les intentions de l'empereur. Il commença par
+envoyer une de ses frégates prendre à Sainte-Croix de Ténériffe
+quelques prisonniers faits dans les premiers jours de la navigation.
+Au moment où la frégate arriva à Sainte-Croix, cette colonie étant
+tombée aux mains des Anglais, elle se rendit au Cap, où elle fut
+capturée. Le contre-amiral, à cette nouvelle, renonçant à la relâche
+au Cap, se porta autour de Sainte-Hélène, manqua le passage des
+convois des Indes et se rendit à San-Salvador pour y faire de l'eau.
+Il resta vingt jours dans la baie de Tous-les-Saints, et le 23 avril
+mit le cap sur Cayenne, puis sur la Martinique, ayant renoncé à son
+excursion sur les Barbades. Le 15 août, une forte tempête dispersa
+ses bâtiments. Déjà le 29 juillet Jérôme avait perdu l'escadre. Ses
+vaisseaux eurent différents sorts, lui-même revint à grand'peine à
+Brest au commencement de 1807 sur _le Foudroyant_.
+
+Le vaisseau _le Vétéran_ avait pour second le capitaine de frégate
+Halgan, ancien commandant du brick _l'Épervier_, devenu amiral,
+homme de mer consommé et ami de Jérôme. Il fut chargé par le
+ministre de faire alléger le bâtiment et de le faire entrer dans le
+port de Concarneau.
+
+Ce brave officier avait à son bord le fils de M. de Salha, autre
+marin dont le père joua un rôle en Westphalie. M. de Salha père,
+aide-de-camp du prince Jérôme pendant la campagne de Silésie, en
+relation avec son ancien camarade Halgan, lui écrivit le 27 mai
+1807, du quartier général de Jérôme, alors à Schweidnitz, une lettre
+qui nous a paru avoir une certaine importance. La voici:
+
+
+ Si mon fils avait été aussi prompt à suivre sa route qu'à quitter
+ Brest, il serait ici depuis longtemps. Je l'ai attendu avec la
+ dernière impatience depuis le 1er de ce mois, il arriva à Breslau le
+ 16 à 6 heures du soir, deux heures après mon passage, ayant été
+ expédié du camp de Frankeinstein pour aller porter à l'empereur la
+ nouvelle d'un assez joli succès de notre petit corps d'armée...
+ L'empereur est au château de Finkenstein, à une vingtaine de lieues
+ de Dantzick, j'ai dû attendre pendant plusieurs jours la réponse à
+ mes dépêches, j'arrivai hier et le prince au moment où il recevait
+ la petite relation de mon voyage fit entrer Prosper qui fut bientôt
+ dans mes bras. Arrivé depuis huit à dix jours, il a fait déjà deux
+ fois le service d'officier d'ordonnance et a été comblé de caresses
+ par le prince et tout ce qui l'entoure. Ce début enchante mon jeune
+ homme; un habit de hussard, des chevaux, c'est de quoi tourner une
+ tête de 18 ans, mais, à ma grande satisfaction, cela ne le distrait
+ pas du sentiment de la reconnaissance. Il prononce la sienne pour
+ vous avec une fréquence et une vivacité qui me persuadent de son bon
+ coeur, qualité qui n'est pas aujourd'hui bien commune. Vous lui avez
+ fait, mon cher capitaine, quelques avances dont il croit le montant
+ de 540 francs. Son exactitude pourrait être en défaut à cet égard et
+ je vous prie de la redresser en réclamant le remboursement qui vous
+ est dû de Mlle Christine Dapot, demeurant à Bayonne, laquelle sera
+ prévenue par ce courrier de vous faire toucher à Paris ou partout
+ ailleurs le montant de vos débours pour Prosper.
+
+ Il m'eût été plus agréable, mon cher camarade, de m'acquitter ici.
+ Ma lettre précédente vous a prouvé que je l'espérai. L'empereur a
+ répondu en propres termes et de sa main qu'un capitaine comme vous
+ était trop intéressant à conserver dans le commandement d'un
+ bâtiment pour qu'on vous donnât actuellement l'ordre de prendre
+ votre poste auprès de notre jeune prince. Cet honorable témoignage
+ doit vous consoler un peu, votre place ici est assurée et le genre
+ de service que vous suivez aux yeux de S. M. et du prince
+ consolident vos droits qui n'ont pas besoin de l'être dans le coeur
+ du prince. Ne vous affectez donc pas, mon cher camarade, la
+ contrariété est pour vos camarades qui se félicitent de compléter
+ leur réunion en vous recevant.
+
+ J'ai rapporté ici la nouvelle de la reddition très prochaine et sans
+ doute déjà effectuée de Dantzick dont la défense a été très
+ honorable pour le septuagénaire Kalkreuth. Sa place manquant de
+ poudre, la corvette le _Dauntlen_ a essayé, à travers mille coups de
+ canon, d'en introduire 200 milliers. Le vent secondait
+ merveilleusement son audace, cette corvette est arrivée toutes
+ voiles dehors assez près des murs de la place, mais, ayant touché,
+ elle a dû se rendre; les rouges de Paris montèrent à l'assaut pour
+ déshabiller l'équipage. Cet événement était la conversation du
+ château. La possession de Dantzick amènera de nouveaux événements.
+ L'empereur n'est pas sans projets vastes sur la Baltique. Les Danois
+ nous aideront de tout leur pouvoir, les Prussiens branlent au manche
+ par la mésintelligence bien marquée entre les Russes et eux. S. M.
+ veut des officiers de marine sur les bords de la Baltique, etc.
+
+ Prosper parle avec admiration de la tenue de votre frégate, agréez
+ les témoignages bien vrais de sa reconnaissance et de la mienne.
+ Présentez mes hommages à tout ce qui appartient à la famille du
+ respectable général Cafarelli.
+
+ _P. S._--Meyronnet, après un mois de séjour auprès du roi de
+ Hollande, vient d'arriver; je lui ai transmis votre souvenir.
+
+
+Le traité de Tilsitt, signé le 7 juillet 1807, reconnut dans
+l'Europe centrale un nouveau royaume, celui de la Westphalie, et
+pour souverain de cet État le plus jeune des frères de Napoléon,
+Jérôme, alors âgé de vingt-trois ans.
+
+La Westphalie fut formée: 1º de toute la Hesse électorale; 2º de
+contrées enlevées à la Prusse par la conquête, savoir: l'Eichsfeld,
+le Hohnstein, le Hartz, Halberstadt, Quedlinbourg, la Vieille
+Marche, le cercle de la Saale, Hildesheim, Paderborn, Minden et
+Ravensberg; 3º de contrées démembrées de l'Électorat: la Haute et
+Basse-Hesse, savoir: Hersfeld, Fritzlar, Ziegenhain, Pleisse,
+Schmalkalden.
+
+Ces différentes provinces furent unies entre elles par: le duché de
+Brunswick au nord, par le comté de Schaumbourg à l'ouest, celui de
+Wernigerode à l'ouest, le comté d'Osnabruck au nord-ouest, pays qui
+firent partie intégrante du nouveau royaume. On divisa le territoire
+en huit départements: 1º de l'Elbe au nord-est, chef-lieu
+Magdebourg; 2º de la Fulde au sud, chef-lieu Cassel, capitale du
+royaume; 3º du Hartz à l'est, chef-lieu Heiligenstadt; 4º de la
+Leine au centre, chef-lieu Gottingen; 5º de l'Ocker au nord,
+chef-lieu Brunswick; 6º de la Saale au sud-est, chef-lieu
+Halberstadt; 7º de la Werra au sud-ouest, chef-lieu Marbourg; 8º du
+Weser au nord-ouest, chef-lieu Osnabruck.
+
+Pour la Westphalie comme pour Naples, l'Espagne, la Hollande,
+l'empereur consentait bien à affubler ses frères du manteau royal, à
+poser sur leur tête la couronne et à leur laisser le titre de roi,
+mais il n'en voulait faire réellement que les premiers préfets de
+son vaste empire. Les contributions, les impôts, d'après ses idées,
+devaient venir grossir les revenus de la France, les pays conquis et
+cédés devaient entretenir une partie de ses armées. Peu lui
+importait que les États de ses frères fussent accablés, pressurés,
+ruinés et incapables de subsister, il n'entendait donner qu'un
+citron dont il avait exprimé le jus.
+
+Ce fut surtout pour le royaume de Westphalie qu'il déploya toutes
+les rigueurs de son système de fer; aussi le jeune Jérôme, pendant
+les sept années de son règne, ne fut-il, par le fait, qu'un roi _in
+partibus_ toujours dans la main puissante de son frère et n'osant se
+permettre, sans l'autorisation de l'empereur, la révocation d'un
+agent, le choix d'un ministre.
+
+La correspondance des Français envoyés par le gouvernement impérial
+en Westphalie, correspondance que nous allons publier en grande
+partie, fera comprendre mieux que toute autre chose la pression
+exercée par Napoléon Ier sur le nouveau royaume et sur son jeune
+souverain.
+
+L'empereur commença par dicter un projet de constitution par lequel
+il se réservait la moitié des domaines allodiaux des princes
+dépossédés, fixait le contingent du royaume à 25,000 hommes de
+toutes armes, dont moitié fournis par la France, mais _soldés_ et
+_entretenus_ par la Westphalie; le conseil d'État, les États du
+royaume étaient constitués. Le projet, en outre, imposait le Code
+Napoléon, la conscription comme loi fondamentale et défendait
+l'enrôlement à prix d'argent.
+
+Cette constitution, signée de lui le 15 novembre 1807, il l'envoya
+au roi son frère, avec ordre de la promulguer telle quelle et de la
+faire exécuter, lui laissant pour toute faculté celle de la
+compléter par des règlements discutés en son conseil d'État.
+
+Le conseil d'État fut divisé en trois sections: justice et
+intérieur, finances, guerre; les États furent composés de cent
+membres; la Chambre des comptes de vingt membres laissés à la
+nomination du roi; le ministère de six ministres à portefeuille:
+secrétairerie d'État et des relations extérieures, justice et
+intérieur, finances, commerce et trésor, guerre, haute police.
+
+En attendant l'arrivée à Cassel du nouveau roi, une régence
+administra au nom de l'empereur, percevant les impôts, faisant
+rentrer les contributions de guerre et payant les dépenses des
+troupes françaises qui occupaient le territoire. Les membres de
+cette régence étaient: le comte Siméon, le comte Beugnot et M.
+Jollivet, conseillers d'État, le général de la Grange, gouverneur de
+la Hesse. Elle eut ordre de fonctionner jusqu'au 1er décembre; mais,
+comme l'empereur n'avait pas révoqué les administrateurs français,
+les malheureuses provinces continuèrent à être pressurées au milieu
+d'un conflit incessant. Tantôt les ordres de la régence étaient
+méconnus par les agents de l'autorité impériale, tantôt ces derniers
+étaient forcés de céder le pas au gouvernement provisoire.
+
+Dès qu'il eut connaissance des intentions de Napoléon à son égard et
+du traité de Tilsitt, Jérôme, impatient d'avoir des notions exactes
+sur le royaume dont la couronne lui était donnée, fit partir deux de
+ses aides de camp, les colonels Morio et Rewbell, avec mission de se
+rendre en Allemagne et de lui faire des rapports sur les provinces
+composant ses États.
+
+Nous allons mettre sous les yeux du lecteur deux lettres de Morio et
+une de Rewbell, adressées à Jérôme avant l'arrivée de ce dernier en
+Westphalie:
+
+
+ MORIO À JÉRÔME.
+
+ Minden, 2 août 1807.
+
+ Votre Majesté sait que Hildesheim est une belle et riche province.
+ Le comté de Schauenburg est encore plus beau. Ce pays est, ainsi que
+ Lippe, Buckeburg, cultivé comme un jardin. Il a des mines de
+ houille, peu productives à la vérité, mais qui peuvent peut-être
+ gagner avec une administration plus éclairée. Les jolis bains de
+ Nenndorf qui ne sont qu'à trois milles d'Hanovre dépendent de
+ Schauenburg.
+
+ J'ai oublié de dire à Votre Majesté que les habitants de Hildesheim
+ voulaient prêter de suite, en mes mains, le serment de fidélité à
+ Votre Majesté. J'ai répondu que le serment se prêterait avec la
+ prise de possession qui aurait lieu le 1er septembre.
+
+ Toutes les provinces attendent avec impatience ce moment de prise de
+ possession. Effectivement, il arrêtera les réquisitions, la sortie
+ d'argent; et ce jour-là seulement votre peuple se croira un corps
+ de nation. Partout l'intendant général ou l'administrateur général
+ de la grande armée ont ordonné de vendre tout ce qui était en
+ magasin, et de presser la rentrée des fonds, comme si ces pays
+ devaient être rendus à un ennemi.
+
+ Votre royaume, Sire, ne cesse pas d'être français, en passant dans
+ les mains de Votre Majesté. Aussi les ressources de l'État sont à
+ ménager par la France comme par nous. La remise au 15 août, de
+ toutes les sommes dues, ferait un bien grand effet en faveur de
+ Votre Majesté. Au reste plus de la moitié des provinces a payé la
+ totalité de l'imposition de guerre.
+
+ Schauenburg sera réuni à Minden pour former un département. Tous
+ s'accordent à me dire que Harvensberg doit aussi entrer dans le même
+ arrondissement.
+
+ Je vais ce matin visiter l'abbaye de Corvey[96] pour remplir
+ l'instruction de Votre Majesté relativement à la dotation de son
+ ordre de chevalerie.
+
+ [Note 96: Ancienne abbaye de Bénédictins d'Allemagne, à 15
+ lieues de Minden, sur la rive gauche du Weser.]
+
+ Minden était tout prussien il y a huit jours. La nouvelle certaine
+ de la paix et du traité qui la cède à Votre Majesté, l'a changée
+ totalement. Elle attend avec joie votre arrivée; elle se promet de
+ grands avantages: 1º du rapprochement de la capitale; 2º de la
+ réunion au royaume, de Brunswick, de Hildesheim, de Schauenburg; 3º
+ du commerce avec la France; 4º des routes qu'elle croit voir
+ établies par la ville pour les communications du Rhin avec l'Elbe.
+
+ Minden est beaucoup mieux placée que Hammeln pour être place de
+ guerre. Ainsi, dès que l'empereur fait raser la place hanovrienne,
+ il sera plus simple et plus militaire de fortifier un jour Minden,
+ si l'on veut un point fort sur le Weser. Nienburg hanovrien est
+ totalement rasé depuis quelque temps.
+
+ Les provinces de Minden et de Harsewinkel envoient aussi des députés
+ à Paris.
+
+ On est très content ici de l'intendant M. Sicard, sous-inspecteur
+ aux revues. Il m'accompagne à Corwey et à Paderborn qui sont de son
+ ressort.
+
+ Je serai peut-être ce soir à Paderborn; dans tous les cas je serai
+ le 4 au soir de retour à Cassel et partirai le 5 ou le 6 pour Paris,
+ où j'arriverai le 12.
+
+ La population de vos sujets ne s'élevant qu'à 1,900,000 et celle des
+ vassaux à 300,000 âmes au plus, il serait possible que l'empereur
+ augmentât votre pays. Alors, Sire, tous les hommes éclairés
+ désirent d'abord quelques arrondissements dans le Hanovre, ensuite
+ le cours de l'Ems.
+
+ Osnabruck n'a que 36,000 âmes; et cependant je devrais en faire un
+ département. Le Teklenburg est aux portes de la ville même
+ d'Osnabruck. Si Votre Majesté pouvait obtenir cette petite province,
+ elle arrondirait ce département coupé par Teklenburg. En général, on
+ voudrait avoir le cours de l'Ems depuis sa naissance dans la
+ principauté de Ravensberg jusqu'à son entrée dans la principauté
+ d'Arenberg. Cela vous donnerait une petite portion de la province de
+ Münster avec Teklenburg et Lingen. Je parlerai plus au long de cela
+ dans mon mémoire.
+
+ Dans ma première lettre de Cassel, j'ai parlé de l'importance de
+ Schmalkaden, situé près Eisenach, à cause de la fabrique de fusils.
+ Votre Majesté trouvera au Harz les bâtiments d'une ancienne fabrique
+ qui a été détruite par les Français, sous le maréchal prince
+ Bernadotte, et dont les ouvriers ont été envoyés en France. Votre
+ Majesté pourra la rétablir.
+
+ J'ai oublié de dire à Votre Majesté qu'elle avait à Brunswick un
+ théâtre français soutenu des fonds du feu duc.
+
+ Les forêts de Minden sont mal entretenues. Le grand maître des
+ forêts n'est pas bon. Au reste, dans la plupart des provinces
+ prussiennes, les bois n'ont pas une police très sévère. Les agents
+ sont pourtant instruits. Il manquait la volonté du gouvernement.
+
+
+ MORIO À JÉRÔME.
+
+ Paderborn, 3 août 1807.
+
+ Corvey me paraît très propre à la dotation et au dépôt de votre
+ ordre de chevalerie. Les bâtiments sont beaux et spacieux, situés
+ sur le Weser, au centre du royaume. J'aurai l'honneur d'en parler à
+ Votre Majesté, en détail, à mon arrivée à Paris.
+
+ Corvey et Paderborn manquent de route. Le premier pays a plus de
+ 5000 âmes par mille.
+
+ Dans ces deux provinces, j'ai été reçu en _triomphateur_, au son des
+ cloches et par les magistrats à la tête de tout le peuple des lieux
+ que je traversais. À Paderborn surtout, on m'a rendu des honneurs et
+ fait des fêtes extraordinaires. Le directeur des postes est venu à
+ la tête d'une douzaine de postillons jouant du cor, m'attendre à une
+ lieue. J'ai trouvé une garde d'honneur à cheval à trois quarts de
+ lieue de la ville, et toute la garde nationale à pied en dehors de
+ la ville, avec un peuple immense, criant: Vive l'empereur! Vive le
+ roi Jérôme! On avait placé des signaux sur la route par laquelle
+ j'arrivais et envoyé des estafettes au-devant de moi.
+
+ J'ai été conduit en triomphe au milieu de toute la ville jusqu'au
+ palais du comte de Wesghall, chez qui j'étais logé. Le peuple s'est
+ jeté sur ma voiture et l'a dételée. Tout ce que j'ai pu faire alors,
+ a été de mettre pied à terre pour éviter des honneurs que j'ai cru
+ n'appartenir qu'à la personne même de Votre Majesté et non point à
+ son agent. Le peuple n'en a pas moins conduit ma voiture jusqu'au
+ palais qui m'était destiné. Un arc de triomphe avait été dressé en
+ verdure; on y lisait en latin et en allemand: _Vive Jérôme Napoléon,
+ roi de Westphalie._
+
+ Toutes les autorités de la province, toutes les corporations sont
+ venues complimenter en moi l'empereur Napoléon, et leur nouveau roi.
+ J'ai conservé une foule d'adresses en français que je porterai à
+ Votre Majesté. Toutes respirent l'enthousiasme pour le grand
+ empereur et pour son digne et auguste frère; mais toutes ces
+ adresses sont froides à côté de l'ivresse populaire. Jusqu'aux
+ enfants de quatre ans qui étaient _en corps_ avec des drapeaux, des
+ branches d'arbres. On a jeté des fleurs sur mon passage dans vingt
+ endroits. Sur mon palier étaient placées des jeunes filles vêtues de
+ blanc, qui ont couvert les marches de fleurs, au moment de mon
+ passage.
+
+ Le prince évêque m'a ensuite donné un très beau dîner auquel ont
+ assisté les premières personnes de la province. Tout le peuple était
+ sous les fenêtres avec une musique nombreuse qu'il a interrompue
+ cent fois par des vivat.
+
+ Je le répète encore aujourd'hui à Votre Majesté, je ne conçois pas
+ ce qu'on pourra faire pour elle, après ce qu'on a fait pour son
+ envoyé.
+
+ On donne ce soir un grand bal pour moi.
+
+ J'ai visité la résidence qui est à trois quarts de lieue de la
+ ville. C'est un vieux château qui n'est plus propre qu'à une
+ caserne.
+
+ Cette province est presque toute catholique. Elle m'a demandé, comme
+ les autres, la permission d'envoyer des députés à Paris, porter à
+ vos pieds, Sire, l'hommage d'un peuple entièrement dévoué et
+ remercier Sa Majesté l'empereur du cadeau qu'elle leur a fait de son
+ auguste frère.
+
+ Les eaux minérales de Briburg sont susceptibles d'un grand
+ accroissement. Votre Majesté a cinq eaux minérales fréquentées dans
+ son royaume, outre une dizaine d'autres sources qui pourraient être
+ exploitées également.
+
+ Ce sont deux bonnes provinces que Corvey et Paderborn; mais il reste
+ beaucoup à faire pour elles. Point de débouché, point d'industrie,
+ point de commerce. Tout le monde demande des grandes routes. J'ai
+ assuré que c'était un des premiers objets dont s'occuperait Votre
+ Majesté.
+
+ Paderborn a payé toute sa contribution de guerre. Cette capitale est
+ la seule où je n'aie pas trouvé l'accise établie. Les Prussiens
+ n'avaient pas encore osé l'introduire.
+
+ Je partirai demain matin à 3 heures pour Cassel où je serai le soir.
+ Je visiterai en route deux maisons royales de Hesse.
+
+ Une chronique fort plaisante et fort extraordinaire est la sienne.
+ C'est le 24 juillet 1802 que l'on apprit à Paderborn la fâcheuse
+ nouvelle de la réunion de cette province à la monarchie prussienne;
+ et ce fut le 3 août suivant que le premier agent prussien (général
+ comte Schlamberg) parut dans cette ville. C'est aussi le 24 juillet
+ 1807 que l'on sut à Paderborn la réunion de cette province à la
+ Westphalie; et c'est encore le 3 août que le premier agent du roi de
+ Westphalie est venu dans Paderborn. Il n'y a eu de différence que
+ dans la réception. Toutes les portes et fenêtres étaient fermées
+ pour l'entrée des Prussiens, et des arcs de triomphe ont été dressés
+ pour recevoir les Français.
+
+ Le jour même de l'entrée des Prussiens, les agents de cette cour
+ firent ôter de la grande salle de la régence tous les tableaux
+ (assez mal peints d'ailleurs) qui s'y trouvaient. Un seul, jugé un
+ peu meilleur, fut conservé. Ce tableau y est encore, et il se trouve
+ que c'est un saint Jérôme.
+
+
+ REWBELL À JÉRÔME.
+
+ Cassel, 5 août 1807.
+
+ Votre Majesté m'ayant ordonné de lui rendre compte des moindres
+ détails de ses résidences, j'ai l'honneur de lui envoyer l'état du
+ linge de table et de lit qui se trouve dans les châteaux de Cassel
+ et de Wilhelmshoehe.
+
+ Le major Zurwenstein est arrivé aujourd'hui vers les quatre heures
+ avec les chevaux de Votre Majesté. Tous sont en fort bon état. Le
+ passage continuel des troupes par Cassel, la pauvreté des habitants
+ m'a entièrement détourné de l'idée de loger militairement les gens
+ de l'écurie. J'ai donc pris le parti de conseiller au major
+ d'accorder un traitement de 8 gros à chaque palfrenier, en outre de
+ ses gages, pour sa nourriture. J'espère, Sire, que cette mesure sera
+ approuvée par vous, et qu'elle se trouvera d'accord avec vos
+ sentiments. Je continuerai ce traitement jusqu'à ce qu'il plaise à
+ Votre Majesté de fixer les salaires d'une manière définitive de sa
+ maison, ou jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement.
+
+ Les chevaux des aides de camp et leurs domestiques ont été placés
+ provisoirement dans les écuries du château de Wilhelmshoehe où ils
+ seront surveillés très sévèrement. Cette mesure m'a encore paru
+ nécessaire pour éviter, dans les premiers moments, toute espèce de
+ désordre et de mécontentement. La grande surcharge de logement qui
+ pèse particulièrement sur Cassel m'enhardit, quoique Votre Majesté
+ ne m'ait chargé que du gouvernement de Cassel et de Wilhelmshoehe, à
+ lui communiquer quelques réflexions tendantes au bien général de son
+ royaume.
+
+ La route militaire depuis plus de sept mois traverse la Hesse; il y
+ a quatre gîtes: _Marbourg_, _Hosdoy_, _Wabern et Cassel_; dans ce
+ dernier toutes les troupes qui viennent de France ont séjour.
+
+ Les fournitures en tous genres auxquelles les habitants ont dû
+ pourvoir ont épuisé ce pays, qui aujourd'hui peut espérer quelques
+ soulagements. Le moyen de les lui procurer serait d'obtenir une
+ division de la route militaire, surtout pour le retour de l'armée;
+ et cette division peut aisément avoir lieu en dirigeant tout ce qui
+ doit se rendre dans le midi de la France par Marbourg et Strasbourg,
+ ce qui doit se rendre dans l'intérieur, partie par Erfurt, Hanau,
+ Mayence, partie par Brunswick, Cassel et Mayence, et ce qui doit
+ aller dans le Nord, par la Westphalie et Wesel.
+
+ Il y aurait parce moyen, Sire, quatre routes: celles de Wurtzbourg,
+ de Cassel, d'Erfurt et de Wesel. Toutes à la vérité traverseront
+ encore une partie des états de Votre Majesté; mais au moins la
+ charge sera partagée, le fardeau en sera plus supportable,
+ l'écoulement des troupes plus facile.
+
+ Il restera à organiser le service sur les différents points d'étape,
+ et à savoir s'il conviendrait mieux de faire un service régulier,
+ que de laisser les administrations locales y pourvoir, comme cela se
+ pratique aujourd'hui.
+
+ En Hesse, les magasins de l'État présentent des ressources, que
+ peut-être on ne trouve pas dans les autres provinces; et alors sans
+ approvisionnements formés d'avance, il est à craindre que le service
+ ne manque, surtout s'il se présente des masses.
+
+ Toujours est-il, je crois, Sire, avantageux de faire fixer les
+ routes que l'armée prendra et les gîtes où elle recevra ses
+ subsistances, sauf à prendre ensuite telles dispositions que Votre
+ Majesté jugera convenable.
+
+
+Morio ne se borna pas à envoyer des lettres et des rapports au roi,
+il prit des dispositions relatives aux finances, mesure que
+l'intendant général Daru trouva fort mauvaise et dont il référa à
+l'empereur par la lettre ci-dessous, écrite de Berlin, en date du 5
+août 1807:
+
+
+ Par suite des dispositions générales prescrites pour la vente de
+ tous les objets qui appartiennent à l'armée, l'administration
+ française était au moment de traiter pour les _sels fabriqués_ qui
+ existent dans l'arrondissement de Magdebourg, lorsque M. Morio,
+ colonel aide de camp de Sa Majesté le roi de Westphalie a invité au
+ nom de ce prince M. l'administrateur général des finances à faire
+ surseoir à ces ventes, en lui annonçant qu'on faisait à cet égard
+ des démarches auprès de Votre Majesté.
+
+ Je supplie Votre Majesté de me faire connaître si ce sursis doit
+ être maintenu, ou si je dois faire procéder à la vente des sels et
+ autres objets qui doivent être réalisés au profit de l'armée dans la
+ partie de la Prusse échue à Sa Majesté le roi de Westphalie, de la
+ même manière que dans les autres provinces prussiennes, pour tout ce
+ qui a été reconnu être la propriété de l'armée, et inventorié avant
+ l'époque où la remise des provinces sera faite au roi.
+
+
+L'empereur envoya l'ordre à Daru de ne rien changer aux dispositions
+prises, et nous ne serions pas étonné que de là date le peu de
+sympathie que Napoléon témoigna toujours depuis à Morio.
+
+Le roi Jérôme arriva à la résidence de Wilhelmshoehe, près Cassel, à
+laquelle il donna le nom de Napoléonshoehe, le 7 décembre 1807; il
+adressa une proclamation à ses sujets, choisit neuf conseillers
+d'État et nomma ministres provisoires: MM. Siméon (justice et
+intérieur), général Lagrange (guerre), Beugnot (finances), Jollivet
+(trésor et comptes). Il décréta en outre que les fonctions de la
+régence du royaume cesseraient à dater de ce jour, et donna l'ordre
+de tenir à sa disposition les fonds existant dans les caisses de
+l'État depuis le 1er décembre. Toutes ces dispositions paraissaient
+fort naturelles et Jérôme ne devait pas supposer que son frère
+voulût le faire roi d'un pays épuisé par les exigences de la France
+et hors d'état de faire face même aux premières et aux plus
+indispensables dépenses. C'est cependant ce qui arriva.
+
+Daru, l'intendant général de la grande armée, homme strict, dur,
+ayant d'ailleurs des instructions précises, fut chargé de faire
+verser les contributions de la Westphalie dans les caisses de
+l'armée française. Il refusa de laisser exécuter l'ordre du roi pour
+les fonds réclamés par le jeune souverain et en référa de nouveau à
+Napoléon qui approuva sa conduite.
+
+Jérôme, sans un sou pour l'État, n'ayant pour lui-même que dix-huit
+cent mille francs empruntés à la caisse des dépôts et consignations
+de Paris, se décida à faire exposer à l'empereur par ses nouveaux
+ministres, anciens membres de la régence, la position financière de
+la Westphalie.
+
+MM. Beugnot, Jollivet et Siméon firent un rapport duquel il
+ressortait que le pays était en déficit de six millions; que
+l'entretien des troupes françaises coûterait trois millions de plus
+que la somme affectée au budget de la guerre, et que, par
+conséquent, le nouveau roi allait commencer son règne avec une dette
+de neuf millions, somme énorme, à cette époque, pour un royaume
+comme la Westphalie. Ce rapport exposait en outre: que l'on ne
+pouvait espérer soutenir les recettes en 1808 sur le pied de l'année
+1807, surtout si l'empereur exigeait l'acquittement de la
+contribution extraordinaire de guerre; qu'il était impossible
+d'augmenter les impôts dans un pays privé de tout commerce, où
+l'agriculture était en souffrance, où les peuples n'étaient pas
+jadis imposés, les souverains remplacés par le roi, vivant avec
+leurs revenus et soldant les dépenses de l'État.
+
+Les ministres du roi concluaient à un emprunt et imploraient la
+bienveillance de l'empereur. Napoléon, avant de prendre une
+décision, fit étudier la question par son propre ministre des
+finances qui lui adressa un contre-rapport duquel il résultait: 1º
+que les revenus de la Westphalie pouvaient être estimés à quatre
+millions de plus; 2º que la dépense pour la perception était
+exagérée; 3º que néanmoins il était impossible d'exiger
+immédiatement la contribution extraordinaire de guerre et la
+contribution ordinaire; 4º que la proposition d'un emprunt devait
+être prise en sérieuse considération.
+
+À cet exposé de l'état pitoyable des finances westphaliennes
+ajoutons encore: qu'il était dû un arriéré de trois mois dans tous
+les services; que le roi réclamait le paiement des six premiers mois
+de sa liste civile, fixée à cinq millions, et le paiement, par
+anticipation, des six derniers; que les agents impériaux avaient
+touché d'avance les revenus et n'avaient acquitté aucune dépense.
+
+Au moment où l'état des choses était ainsi exposé à Napoléon, ce
+dernier apprit par son frère lui-même un acte de générosité qui lui
+parut déplacé et ridicule. Jérôme l'informa par lettre du 28
+décembre qu'il venait de créer comte de Furstenstein et de donner
+une terre de quarante mille livres de rente à son secrétaire Le
+Camus[97]. L'empereur s'empressa de témoigner son mécontentement à
+Jérôme par une lettre en date du 5 janvier 1808, et déclara que si
+son frère trouvait de l'argent pour payer des favoris et des
+maîtresses, il saurait bien en trouver pour solder ses dettes.
+
+ [Note 97: Le Camus, créé par le roi comte de Furstenstein,
+ puis devenu ministre d'État, était un jeune créole que Jérôme
+ avait trouvé dans un de ses voyages maritimes et dont il
+ avait fait son secrétaire particulier. Ce Le Camus avait
+ trois soeurs fort jolies dont l'une épousa le général Morio
+ en premières noces, et en seconde, l'amiral Duperré, et la
+ seconde, M. Pothau, qui joua un rôle en Westphalie. La
+ chronique prétendait que Le Camus était toujours prêt à
+ favoriser les velléités amoureuses de son jeune maître qu'il
+ avait accompagné en Amérique et dans toutes ses courses. Il
+ devint un des personnages du royaume et l'empereur, après
+ avoir refusé longtemps à son frère la faveur de donner à ce
+ ministre le grand cordon de la Légion d'honneur, finit par
+ avoir la faiblesse de le lui accorder, sur les instances du
+ roi.]
+
+Ce don de la terre de Furstenstein à M. Le Camus ne fut nullement
+bien vu des Allemands, ainsi que le prétendait le roi Jérôme dans sa
+lettre à l'empereur. Cette affaire lui fit le plus grand tort dans
+l'esprit positif et organisateur de Napoléon. Il devait en être
+ainsi. En effet, n'est-il pas singulier de voir le jeune roi
+annoncer pompeusement, dans sa lettre du 28 décembre, qu'il a cru
+devoir imiter ses prédécesseurs dans cette circonstance et faire un
+don de quarante mille livres de rente à son secrétaire, lorsque
+trois jours auparavant, le 25, il écrivait pour exposer sa misère,
+disant qu'il n'avait pas un sou dans sa caisse[98]?
+
+ [Note 98: Ces lettres, des 25 et 28 décembre 1807, se
+ trouvent au 3º volume des Mémoires du roi Jérôme; celle de
+ Napoléon, en date du 5 janvier 1808, manque.]
+
+Outre ce sujet de mécontentement contre son frère, l'empereur en
+trouva un autre dans une lettre en forme de note qui lui fut
+adressée de Cassel, par M. Jollivet, à la fin de décembre 1807; la
+voici:
+
+
+ Le peuple de Cassel s'est singulièrement refroidi depuis l'arrivée
+ du roi. On chante misère, on se plaint. Les choses ne vont pas comme
+ on se l'était promis.
+
+ Les Français qui s'étaient rendus en Westphalie se retirent en foule
+ et entièrement mécontents. On se désole à la ville, on se déplaît à
+ la cour où il n'y a, dit-on, ni argent, ni plaisir. Tout le monde
+ est triste.
+
+ Le roi ne reçoit pas beaucoup de témoignages de respect. Rarement le
+ salue-t-on dans les rues où il passe souvent à cheval. Il a perdu
+ dans l'opinion publique. Quelques affaires de galanterie lui ont
+ déjà nui. On sait dans le public qu'une des femmes de la reine a été
+ renvoyée à cause de lui. Le premier chambellan (M. Le Camus) avait
+ néanmoins trouvé moyen de retenir cette femme à Cassel pour le
+ compte de son maître. La reine a insisté pour qu'elle en sortît. La
+ police l'en a enfin débarrassée. M. le Camus passe pour un serviteur
+ complaisant de son roi. Une comédienne de Breslau, que le roi y
+ avait connue pendant sa campagne de Silésie, doit avoir été attirée
+ à Cassel par les soins de M. Le Camus et par ordre de son maître.
+ On raconte quelques autres histoires du même genre. Les mères de
+ Cassel qui ont de jolies filles craignent de les laisser aller aux
+ bals et aux fêtes de la cour. La reine est aimée. On craint beaucoup
+ pour son bonheur domestique.
+
+ Le chef de la police de Cassel (M. La Jarriette) passe pour un
+ brouillon et pour un bavard. Sa police est le secret de la comédie
+ et elle ne sert qu'à indisposer tout le monde. C'est un homme
+ tranchant, plein de jactance et qui veut que personne n'ignore ce
+ qu'il fait. Il paraît surtout attacher de l'importance à être maître
+ de tous les secrets de la poste et il s'y prend de manière à ce que
+ tout le monde le sache. Puis il s'amuse à colporter les histoires
+ d'amour qu'il a surprises; puis il cherche à se donner les airs d'un
+ homme qui a toute la confiance du roi, toute celle de la reine et
+ toute celle des ministres. On le regarde comme un intrigant et comme
+ un sot. Du reste, il ne contribue pas peu à indisposer les habitants
+ de Cassel contre la cour et à leur faire prendre une mauvaise idée
+ du gouvernement. Le tout va fort mal.
+
+
+Ce genre de lettre en forme de note ou _bulletin_ était fort souvent
+employé par les agents de l'empereur sur son désir, et nous verrons
+bientôt l'ambassadeur de France à la cour de Cassel, M. le baron de
+Reinhard, agir de même, par ordre.
+
+Napoléon, loin de venir en aide à son frère Jérôme, maintint ses
+prétentions sur les domaines, sur la contribution de guerre de
+vingt-six millions payable en douze mois, et l'intendant-général
+Daru ainsi que M. Jollivet[99] reçurent des instructions très
+positives pour exiger une rente de sept millions sur les revenus des
+domaines. Le dernier, en vertu d'un décret du 3 janvier 1808, fut
+chargé, sous la direction immédiate de Daru, de l'exécution des
+articles relatifs aux arrangements avec la Westphalie pour la
+fixation des contributions arriérées ordinaires et de guerre, pour
+le partage de tous les domaines dont moitié pour l'empereur et
+moitié pour le roi, et eut défense d'occuper aucun emploi dans le
+nouveau royaume.
+
+ [Note 99: Jérôme avait une grande antipathie pour Jollivet,
+ parce qu'il voyait en lui, non sans raison, un espion de
+ Napoléon et que d'ailleurs ce conseiller d'État s'était
+ montré fort hostile à son frère Lucien qu'il aimait
+ beaucoup.]
+
+Jérôme et la reine Catherine quittèrent Napoléonshoehe et firent
+leur entrée à Cassel, fort bien accueillis par la population; mais,
+ainsi que nous l'avons dit, en montant sur le trône le jeune roi se
+trouva immédiatement aux prises avec les grandes difficultés de la
+grosse question financière.
+
+La Westphalie pouvait produire un revenu net d'une quarantaine de
+millions, en y comprenant ceux des domaines; mais les dépenses du
+budget s'élevaient à trente-sept millions, il fallait servir trois à
+quatre millions pour l'intérêt de la dette et l'empereur réclamait
+vingt-cinq millions de la contribution de guerre. Comment faire face
+à de pareilles exigences avec une aussi modique ressource?
+
+Depuis le jour où les troupes françaises étaient entrées dans les
+pays devant former le royaume de Westphalie, c'est-à-dire depuis le
+1er octobre 1806 jusqu'au 1er octobre 1807, le trésor français avait
+encaissé tous les revenus, ne payant que la partie la plus
+indispensable des choses locales. Un arriéré considérable existait
+donc déjà au 1er octobre 1807, et il n'y avait rien dans les caisses
+du royaume. La rentrée des contributions ordinaires était en outre
+paralysée par la concurrence que lui faisait la perception de la
+contribution de guerre, et le roi lui-même, avec les dix-huit cent
+mille francs de son emprunt à Paris, ne pouvait aller bien loin.
+Aussi le jeune prince dut-il avoir recours, pour sa personne, à un
+emprunt de deux millions qu'il fit négocier à des conditions
+onéreuses avec un banquier juif nommé Jacobson.
+
+Daru, appelé à Cassel auprès de Jérôme, eut un entretien très long
+avec lui, mais ne céda sur aucune question. Il fut convenu que ce
+qui restait dû de la contribution de guerre serait acquitté par la
+Westphalie par douzième, à dater du 1er juillet 1808, au moyen
+d'obligations; que le roi conserverait la gestion des domaines
+jusqu'au partage définitif.
+
+M. Jollivet pour l'empereur, M. de Malchus pour le roi, furent
+chargés des détails de la liquidation qui traîna encore en longueur
+et fut un sujet de mécontentement exprimé sans cesse par l'empereur
+à son frère. Enfin la convention fut signée, à la date du 22 avril
+1808, sous le nom de traité de Berlin. La dette de la Westphalie fut
+totalisée à vingt-six millions, pour l'acquittement desquels il fut
+remis d'abord douze millions cent trente mille francs d'obligations
+avec première échéance au 1er mai 1808. Sept millions de revenus
+annuels furent assurés à l'empereur sur les biens des domaines.
+
+Par la suite, pour s'acquitter envers la France, le gouvernement de
+Jérôme dut recourir à un emprunt forcé de vingt millions.
+
+Au commencement de janvier 1808, Jérôme éprouva une sorte de
+satisfaction en recevant la décoration de la Couronne de fer; il
+écrivit le 18 à l'empereur, à cette occasion:
+
+
+ Sire, je viens de recevoir par M. Mareschalchi la décoration de la
+ Couronne de fer que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer. Cette
+ faveur m'est bien précieuse parce qu'elle me donne une preuve
+ certaine de la continuation des bontés de Votre Majesté.
+
+
+Nous allons donner une série de lettres écrites en 1808, que nous
+annotons, et qui n'ont pas trouvé place, pour un motif ou pour un
+autre, soit dans la correspondance de l'empereur, soit dans les sept
+volumes des Mémoires du roi Jérôme. Voici d'abord une lettre
+particulière de M. de Salha à Halgan qui jette un certain jour sur
+la cour de Cassel et sur le nouveau royaume.
+
+M. de Salha, capitaine de frégate, embarqué avec Jérôme et Halgan,
+devenu un des aides de camp du roi, brave marin, mais esprit
+ordinaire, nommé en 1809 comte de Hoene, fut d'abord gouverneur des
+pages, puis ministre de la guerre après le général d'Albignac.
+Halgan, resté au service de France, y devint amiral. Il avait
+commandé le brick _l'Épervier_ et était second sur le vaisseau _le
+Vétéran_, pendant la campagne de Willaumez. Salha et Halgan étaient
+fort liés. Ce dernier revit le prince Jérôme à Paris, sous le second
+empire.
+
+
+ Cassel, 18 janvier 1808.
+
+ Je tiens trop à votre amitié, mon cher Halgan, pour différer une
+ réponse à votre lettre des premiers jours de cette année, je le
+ suppose, car elle est sans date. Mes regrets de ne vous avoir pas
+ trouvé à Paris sont des plus grands. Cette circonstance eût donné
+ peut-être une direction différente au courant qui m'a mené en
+ Westphalie. Le roi a exigé rigoureusement en partant ma démission.
+ J'ai fait un vrai sacrifice en renonçant à mon titre d'officier
+ français. Prosper[100] a été pour beaucoup dans cette détermination
+ qui peut me laisser encore des regrets à venir. Les vôtres pendant
+ quelques instants ont pu avoir des motifs contraires; s'ils
+ existaient encore, je vous dirais que les événements vous ont
+ parfaitement bien servi. Votre position est mille fois préférable à
+ toute autre ici. Vous conservez un titre réel près de S. M. et vous
+ jouissez en même temps des avantages d'un état dont rien ne vous
+ aurait dédommagé dans ce lieu d'exil; la gêne de la cour, la
+ contrainte d'une étiquette rigoureuse, l'embarras des places, le
+ caractère de courtisan enfin n'avait pas de quoi vous plaire. Le roi
+ travaille de son mieux à organiser et à préparer des moyens de
+ prospérité pour l'avenir, ils ne se réaliseront pas tant que l'on
+ exigera sévèrement la rentrée des contributions dont ce pays était
+ grevé à notre arrivée. Notre liste civile de 5 millions est bien
+ maigre pour deux jeunes souverains également magnifiques dans leurs
+ goûts. Il nous faudrait les coudées franches, au lieu de cela nous
+ sommes contrariés par les volontés du roi des rois, qui a retenu une
+ inspection suprême sur ce nouveau royaume. Nous régnons à demi dans
+ une résidence dont il est bien difficile d'écarter l'ennui. Le roi
+ donne souvent des bals, des parties ou courses de traîneaux, nous
+ avons aussi une Comédie française sous la surintendance de Le Camus,
+ connu aujourd'hui sous le nom de comte de Furtenstein, titre
+ accompagné d'une terre, fief de la couronne, de 11,000 écus valant
+ de revenu net 40,000 francs de France pour lui et ses héritiers.
+ C'est de quoi obtenir la main de la plus belle et de la plus noble
+ Westphalienne. Le grand maréchal Megronnet est aussi pressé par le
+ roi de se marier, le docteur Garnier[101] leur en donne l'exemple;
+ il épouse la fille d'un payeur, nommé M. Balti, née à Bayonne;
+ l'amoureux docteur sera au comble de ses voeux d'aujourd'hui en huit
+ et recevra sans doute des témoignages sensibles des bontés de nos
+ jeunes souverains.
+
+ [Note 100: Fils de Salha, embarqué sur le bâtiment commandé
+ par Halgan.]
+
+ [Note 101: Médecin du prince Jérôme sur _le Vétéran_.]
+
+ En arrivant ici, le roi m'a nommé colonel, ainsi que la plupart de
+ ses aides de camp; de plus il m'a donné la direction en chef de la
+ maison des Pages, de fort bons appointements, mais qui se fondent
+ ici avec une rapidité extraordinaire, en sorte qu'aucun de nous ne
+ peut se flatter au bout de l'année d'avoir cent louis pour aller
+ chercher des jouissances dont on ressent si fort la privation au
+ milieu d'un peuple apathique si étranger à notre caractère et à nos
+ usages. Ceci est une véritable émigration; quand reverrons-nous
+ notre heureuse patrie? La maladie, dite du pays, atteint les
+ Français en Hollande, à Naples, et comment y échapper en Westphalie?
+
+ Écrivez-moi quelquefois, mon cher Halgan, parlez de moi au général
+ Cafarelli et à toute sa famille pour qui je conserverai toute la vie
+ les sentiments du plus grand attachement et d'une parfaite
+ reconnaissance. Combien j'ai été peiné de ne pas m'être trouvé à
+ Paris avec le digne préfet et de n'avoir pu causer avec lui, je l'ai
+ dit plusieurs fois à l'ami Rouillard dans le peu d'instants où nous
+ nous sommes vus.
+
+ Je ne veux pas me laisser entraîner plus longtemps au plaisir de
+ causer avec vous. Prosper vous offre les voeux d'un coeur
+ reconnaissant, et moi ceux de l'attachement le plus durable. Je ne
+ puis vous parler de M. de Chambon parce qu'il est toujours à Paris.
+
+ Un mot de souvenir à Dupetit-Thouars, quand vous le verrez.
+
+
+M. Béranger, directeur de la caisse d'amortissement de Paris, à
+laquelle Jérôme avait emprunté, avant son départ pour Cassel, une
+somme de dix-huit cent mille francs, ayant réclamé le versement de
+cette somme au ministre des finances de Westphalie et n'en ayant
+pas reçu satisfaction, envoya à Napoléon la note ci-dessous:
+
+
+ 17 mars 1808.
+
+ _Caisse d'amortissement,_
+
+ Sire, il n'y a pas eu de variations sensibles dans le cours des
+ effets. Je viens de recevoir une lettre du ministre des finances de
+ Westphalie qui me renvoie au trésorier de la Couronne pour le
+ paiement des termes échus de l'emprunt de 1,800,000 francs.
+
+
+L'empereur écrivit de sa main en marge de cette note:
+
+
+ Renvoyée au roi de Westphalie pour se faire rendre compte pourquoi
+ son ministre se moque ainsi de ses engagements et tire sur une
+ caisse qui n'est pas, j'espère, à ses ordres.
+
+ Paris, 17 mars 1808.
+
+ NAPOLÉON.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 2 février 1808.
+
+ Sire, je viens de recevoir du général de division
+ Lefebvre-Desnouettes, grand-major de ma couronne, la communication
+ d'une lettre du maréchal Bessières par laquelle je vois qu'il a plu
+ à Votre Majesté de l'appeler auprès d'elle en qualité de colonel des
+ chasseurs de sa garde[102].
+
+ [Note 102: Napoléon n'aimait pas laisser au service de ses
+ frères ses bons officiers généraux, aussi ne voulut-il pas
+ abandonner en Westphalie Lefebvre-Desnouettes, qu'il
+ considérait comme un des meilleurs officiers de cavalerie
+ légère. Lefebvre-Desnouettes, colonel des chasseurs de la
+ garde, réfugié en Amérique après Waterloo, périt, le 22 avril
+ 1822, dans le naufrage du paquebot _l'Albion_, sur lequel il
+ s'était embarqué pour la Belgique.]
+
+ J'avouerai à Votre Majesté que j'avais toujours regardé le général
+ Lefebvre comme devant rester à mon service, que j'étais assuré à cet
+ égard par son contentement personnel et par la lettre de passe qui
+ lui avait été expédiée par ordre de Votre Majesté et que, l'ayant
+ nommé depuis général de division et grand écuyer du royaume, cette
+ nouvelle m'a vivement affecté.
+
+ Ce n'est pas, Sire, que je ne me regarde toujours comme heureux de
+ faire quelque chose qui soit agréable à Votre Majesté, mais elle
+ sentira encore que j'aurais eu le droit d'attendre, avant tout
+ autre, une communication plus officielle de cette décision.
+
+ Dans cet état de choses, j'attendrai à connaître le désir de Votre
+ Majesté avant que de me résoudre à laisser partir le général
+ Lefebvre de mes états, mais je crois ne pas devoir laisser ignorer
+ à Votre Majesté combien j'étais loin de m'attendre à ce changement.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 23 février 1808.
+
+ Sire, je reçois à l'instant la lettre que Votre Majesté a bien voulu
+ m'écrire de Paris, en date du 16[103]. Je prie Votre Majesté de
+ croire que je n'ai absolument en vue que de faire tout ce qui peut
+ lui convenir; si j'ai mal fait dans cette circonstance, c'est par
+ ignorance. Je ferai cependant observer à Votre Majesté que je
+ n'avais désigné un ministre pour Vienne que d'après la lettre de M.
+ de Champagny, écrite de Milan, dont j'ai envoyé la copie à Votre
+ Majesté. J'ai eu tort de choisir M. de Merweld, mais j'ignorais
+ absolument ce qui se passe. Il m'avait fait cette demande, il est
+ riche et avait des parents à Vienne; j'ai encore cru bien faire,
+ j'en ai rendu compte à Votre Majesté qui ne m'a rien répondu;
+ cependant il ne partira pas, mais je désirerais savoir (comme il
+ était déjà désigné pour aller à Vienne), si Votre Majesté croit
+ qu'il y aurait de l'inconvénient à l'envoyer à Munich. J'attendrai
+ au reste à connaître les intentions de Votre Majesté. Je le répète,
+ Sire, je n'ai qu'un désir, celui de faire tout ce qui peut convenir
+ à Votre Majesté.
+
+ [Note 103: Cette lettre de Napoléon nous manque. Elle était
+ relative à M. de Merweld, dont l'empereur croyait avoir à se
+ plaindre.]
+
+ Quant à M. d'Hardenberg, il m'a été proposé par les conseillers de
+ Votre Majesté, ainsi que les sept autres préfets, et, comme je n'en
+ connaissais aucun, j'ai approuvé le travail parce que je ne pouvais
+ le juger, sauf à le rectifier par la suite. Au reste, je puis dire à
+ Votre Majesté que je suis fort content de M. d'Hardenberg et qu'il
+ n'est pas le frère de celui de Prusse, mais un parent très éloigné.
+
+ Je prie Votre Majesté d'être persuadée que si je recevais plus
+ souvent de ses lettres, je ferais tout ce qu'elle désire, ne m'étant
+ proposé en montant sur le trône que de rendre mes peuples heureux et
+ de contenter en tout Votre Majesté auprès de laquelle je serais bien
+ plus heureux.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 26 février 1808.
+
+ Sire, étant informé que M. Jollivet doit se plaindre à Votre Majesté
+ de n'avoir pas été invité à la fête qui a eu lieu pour
+ l'anniversaire de la naissance de la reine, j'ai voulu prévenir
+ Votre Majesté des motifs qui m'ont décidé, afin d'éviter le plus
+ léger doute sur mes intentions qui seront toujours d'être agréable à
+ Votre Majesté.
+
+ La fête qui s'est donnée était tout à fait intime et dans une très
+ petite maison de campagne, cependant deux conseillers d'État
+ français y étaient invités, tandis que mon ministre de la guerre ne
+ l'était pas. Ce motif aurait été suffisant, mais il en existe un
+ autre. Il est arrivé plusieurs fois que M. Jollivet, invité à la
+ cour, n'y venait point, non plus que sa femme; que d'autres fois ils
+ s'y rendaient bien, mais se permettaient de sortir du cercle avant
+ que la reine ni moi en fussions sortis, quoique cela leur ait été
+ plusieurs fois reproché.
+
+ Je ne rends compte de cette circonstance à Votre Majesté que parce
+ que mon plus vif désir est de la persuader que je n'ai d'autre but
+ que de lui plaire.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 12 mars 1808.
+
+ Sire, je viens de recevoir la lettre du 6 mars que Votre Majesté a
+ bien voulu m'écrire. Les reproches qu'elle m'adresse sur l'audience
+ des Juifs ne me sont pas applicables; c'est M. Siméon qui les a
+ convoqués à mon insu et je les ai reçus dans mon cabinet, sans
+ aucune cérémonie, et ignorant absolument tout ce qu'ils allaient me
+ dire. Ceux aussi que Votre Majesté me fait relativement au _Moniteur
+ Westphalien_ doivent également être appliqués à MM. Siméon et
+ Beugnot. Ils m'ont proposé une gazette officielle, ils l'ont dirigée
+ et je me suis borné à leur dire de faire ce qu'ils jugeraient
+ convenable à ce sujet.
+
+ M. Beugnot a sollicité depuis huit jours la permission de retourner
+ à Paris pour le mariage de sa fille et pour des affaires
+ particulières, et il n'est resté jusqu'à ce jour à Cassel que parce
+ que j'ai désiré qu'il assistât au Conseil d'État pendant la
+ discussion du projet sur les forêts qui est de la plus grande
+ importance sous le rapport des finances[104].
+
+ [Note 104: M. Beugnot fut remplacé au ministère des finances
+ de Westphalie par M. de Bulow, qui passait pour aimer peu les
+ Français.]
+
+ M. Siméon paraît désirer rester auprès de moi et je le garde avec
+ autant de plaisir que j'en aurais eu à conserver M. Beugnot, s'il
+ l'avait accepté.
+
+ Je prie Votre Majesté de croire que dans toutes les circonstances je
+ chercherai toujours à faire ce qui pourra lui être agréable.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 13 mars 1808.
+
+ Sire, je viens de recevoir à l'instant la nouvelle de Vienne que le
+ comte Charles de Grüne, nommé ministre de l'Autriche près de moi,
+ était sur son départ pour Cassel. Je supplie Votre Majesté de me
+ dire qui je dois envoyer à Vienne.
+
+ Le roi de Prusse auquel je n'ai fait d'autre communication que celle
+ de mon avènement au trône, a jugé à propos de m'écrire, en outre de
+ la réponse à cette notification, une lettre particulière dans
+ laquelle il m'exprime le désir qu'il a que nous établissions le plus
+ tôt possible entre nous les communications qu'il désire de voir
+ subsister. Comme j'ignore où nous en sommes avec ces deux cours, je
+ désire que Votre Majesté veuille me dire ce que je dois faire et
+ qu'elle soit persuadée, quant aux insinuations faites à Vienne par
+ l'entremise du ministre de Hollande, que c'est une légèreté de ma
+ part dont je sens la conséquence et qui n'est due qu'à la présence
+ de ce ministre auprès de moi que j'ai chargé, lors de son départ
+ pour Vienne et sans réflexion, de ma communication.
+
+ J'espère que Votre Majesté n'a pu me supposer d'autres motifs ni
+ intentions dans cette circonstance et je me plais à croire qu'elle
+ connaît trop bien la pureté de mon coeur et de mes sentiments pour
+ me taxer un seul instant d'ingratitude.
+
+
+On voit par cette lettre combien le jeune roi se faisait petit
+auprès de son frère, sous la dépendance duquel il était en tout et
+pour tout. La lettre suivante corrobore ce que nous avançons:
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Napoléonshoehe, 14 mai 1808.
+
+ Sire, le comte de Wintzingerode, mon sujet, m'a été présenté
+ dernièrement. Il m'a demandé d'être envoyé comme ministre
+ plénipotentiaire près la cour de Vienne. Cette mission m'ayant paru
+ trop délicate pour me décider sur le champ, je m'empresse de
+ consulter Votre Majesté afin qu'elle me fasse connaître ses
+ intentions à cet égard.
+
+ J'attendrai la réponse de Votre Majesté avant de donner une solution
+ au comte de Wintzingerode.
+
+
+Le comte de Wintzingerode, ministre de Westphalie à la cour de
+France en 1810, fut très hostile, après 1815, à son ancien souverain
+et à la reine.
+
+Au commencement de juin 1808, l'empereur fit écrire par Berthier au
+roi Jérôme pour se plaindre de ce que les soldats français étaient
+vexés, refusés dans ses hôpitaux, et que, si cela continuait, il
+enverrait dans le pays quinze mille hommes.
+
+Les rapports faits à Napoléon à cet égard étaient faux. Ajoutons que
+les mêmes reproches, aussi injustes, étaient adressés à la même
+époque aux rois d'Espagne et de Hollande. Il est permis de penser
+que c'était une sorte de: _garde à vous!_ envoyé à ses frères par
+l'empereur.
+
+Jérôme répondit le 12 juin au prince de Neufchâtel:
+
+
+ Mon cousin, j'ai reçu la lettre que V. A. S. m'a écrite de la part
+ de Sa Majesté l'Empereur et Roi, mon auguste et très honoré frère.
+ J'ai chargé mon ministre de la guerre de répondre à V. A., quant à
+ ce qui concerne les fausses calomnies que l'on se plaît à débiter
+ sur le mauvais traitement qu'éprouvent les Français dans mon
+ royaume.
+
+ V. A. S. m'ajoute que si ces prétendues vexations continuent, S. M.
+ l'Empereur enverra 15,000 Français dans mes États! S. M. peut le
+ faire sans doute! mais ne doit-elle pas être convaincue que, malgré
+ l'extrême pauvreté de mes sujets, si les Français ne pouvaient plus
+ exister dans les pays au delà de l'Elbe, je n'attendrais aucun ordre
+ pour partager avec eux ce qui pourrait me rester!..... N'est-elle
+ pas bien persuadée encore, que le titre qui m'est le plus cher, est
+ celui de prince français, et que je regarde comme mon premier devoir
+ celui de les faire respecter!
+
+ Je répondrai toutefois à V. A. que je suis instruit par mes
+ ministres, et que je me suis assuré par moi-même, dans la tournée
+ que j'ai faite dans mes États: que toutes les plaintes, que toutes
+ les rixes qui ont eu lieu et qui ont indisposé mes sujets, n'ont
+ existé que parce que, depuis mon avènement au trône, les officiers,
+ soldats, voyageurs et courriers français ont continué dans mes États
+ les mêmes vexations qu'ils y exerçaient en temps de guerre, sans
+ réfléchir ni avoir égard à l'inviolabilité et au respect dus à un
+ royaume aussi étroitement allié que dévoué entièrement à la France;
+ mais pouvais-je l'empêcher?
+
+ J'ai chargé mon ministre de la justice de mettre sous les yeux de V.
+ A. S. les différentes plaintes qui sont parvenues au pied du trône,
+ dans l'espace de deux semaines; V. A. y verra que des officiers se
+ logent de force chez les bourgeois; que des soldats battent des
+ paysans et des citoyens paisibles; que des courriers maltraitent ou
+ tirent des coups de fusils à des postillons; que des douaniers
+ insultent jusqu'à des officiers et les menacent de leur ôter leur
+ épée; que des canonniers forcent des corps de garde, etc.; et tout
+ cela par la seule raison qu'ils sont Français, et que les
+ Westphaliens sont faits pour leur obéir.
+
+ Ce que j'ai fait en Silésie en de pareilles circonstances, ce que
+ j'ai fait, dans toutes les occasions où j'ai commandé sous Sa
+ Majesté l'Empereur, je n'ai pas voulu le faire comme roi de
+ Westphalie; j'ai fermé les yeux sans agir (et la lettre de V. A. S.
+ me prouve que j'avais bien prévu), parce que j'ai craint que S. M.
+ ne m'accusât de partialité.
+
+ Cependant l'Empereur peut-il croire que j'oublie un instant que ma
+ première patrie est la France, et que je regarde comme ma plus
+ grande gloire celle de ne l'avoir quittée que pour lui servir
+ d'avant-garde!
+
+ J'espère et je me plais à croire que V. A. S., en mettant sous les
+ yeux de S. M. l'Empereur ma lettre et celles de mes ministres, la
+ convaincra que non seulement les rapports qui lui ont été faits sont
+ faux, mais encore qu'ils sont méchants; et que si quelque chose de
+ ce genre pouvait exister, ce ne serait qu'à moi seul, comme
+ souverain gouvernant par moi-même, et non par mes ministres, qu'il
+ faudrait s'adresser.
+
+
+Si le roi Jérôme consentait volontiers à exécuter en tout et pour
+tout les volontés de son frère et à reconnaître sa suprématie même
+sur les affaires intérieures de ses États, comme il aimait le faste
+et la représentation, il lui sembla que la création d'un ordre de
+chevalerie dans le genre de l'ordre de la Légion d'honneur de France
+ferait bien en Westphalie et attirerait sur son royaume une certaine
+considération. Il imagina donc une décoration et consulta l'empereur
+à cet égard par la lettre suivante, datée de Napoléonshoehe, 11
+juillet 1808.
+
+
+ Sire, je soumets à l'approbation de Votre Majesté l'institution d'un
+ ordre royal de Westphalie. L'assemblée des États, dont je suis déjà
+ fort content, devant terminer sa mission dans un mois, je désirerais
+ lui communiquer ce projet avant cette époque, si Votre Majesté y
+ consentait.
+
+ Je sais que cette institution plaira beaucoup aux Allemands. Votre
+ Majesté connaît leur caractère; beaucoup d'entre eux ont été obligés
+ de quitter leurs décorations, et rien ne leur sera plus agréable que
+ de voir fonder un nouvel ordre de leur royaume.
+
+ J'ai conservé depuis le commencement de l'année, pour la dotation de
+ cet établissement, les revenus de l'abbaye de Quedlimbourg et ceux
+ de la grande prévôté de Magdebourg s'élevant à 300,000 fr. par an;
+ ainsi rien ne m'arrêtera de ce côté.
+
+ Les grand'croix, les commandeurs et les chevaliers jouiront d'un
+ revenu annuel de 2,000 fr., et, indépendamment de la croix que je ne
+ compte pas donner aux simples soldats à moins de circonstances
+ extraordinaires, j'ai l'intention de créer des médailles d'or et des
+ médailles d'argent: les premières, du revenu de 150 fr.; les autres,
+ de 100 fr.[105].
+
+ [Note 105: Nous ne serions pas étonné que cette pensée des
+ médailles militaires d'un revenu de 100 à 150 fr. n'ait été
+ l'idée mère de la médaille créée par Napoléon III à son
+ avènement au trône.]
+
+ En outre de cette base générale, il serait nommé parmi les
+ grand'croix et les commandeurs dix grandes et vingt petites
+ commanderies: les premières, du revenu de 10,000 fr.; les secondes,
+ de celui de 5,000 fr.
+
+ Je remets à Votre Majesté le dessin de cet ordre; elle y verra
+ l'aigle comme la marque distinctive de notre maison, et le gros
+ bleu comme la couleur du royaume. Je n'ai pas encore adopté de
+ devise.
+
+ Au reste rien n'est fait et ne le sera que Votre Majesté ne m'ait
+ répondu. Je lui présente seulement mes premières idées sur ce
+ projet, d'après la connaissance que j'ai du bon effet qui
+ résulterait de son exécution.
+
+
+On prétend que l'empereur, qui avait souvent le mot pour rire, en
+examinant le dessin très surchargé de la croix de Westphalie, dit en
+plaisantant: _Il y a bien des bêtes dans cet ordre-là._
+
+Néanmoins l'ordre de Westphalie fut créé, suivant le désir de
+Jérôme, mais il ne subsista pas longtemps.
+
+Le retard de Jérôme dans le paiement à la caisse des dépôts de son
+emprunt de dix-huit cent mille francs indisposa à tel point
+l'empereur contre son frère qu'il lui adressa plusieurs dépêches
+très dures. Jérôme répondit, le 28 juillet 1808, de Napoléonshoehe,
+une lettre très digne que voici:
+
+
+ Sire, je reçois les différentes lettres que Votre Majesté m'a
+ écrites en réponse à celles que j'ai eu l'honneur de lui adresser.
+ Je ne m'attendais pas à la réponse qu'elle m'y fait. Que puis-je
+ répondre, Sire, à Votre Majesté, lorsqu'elle me dit que ce que je
+ fais n'est pas d'un homme d'honneur! Sans doute, dans ce cas, je
+ suis bien malheureux puisque je ne peux mourir après l'avoir lu.
+
+ Si je n'ai pas payé les 1,800,000 fr. que je dois à la caisse
+ d'amortissement, c'est que je ne les avais pas et que je pensais que
+ l'intention de Votre Majesté n'était pas que je payasse des intérêts
+ ruineux pour m'acquitter envers elle; mais, Sire, je viens
+ d'ordonner qu'un emprunt égal à cette somme fût fait de suite,
+ n'importe à quel taux; et, avant trois mois, mes billets seront
+ retirés. Sire, je suis de votre sang, et jamais je ne me suis écarté
+ de la route de l'honneur que Votre Majesté m'a tracée, et, dans les
+ circonstances difficiles, elle trouvera en moi un frère prêt à tout
+ lui sacrifier.
+
+ Si Votre Majesté veut me faire l'honneur de croire ce que je lui
+ dis, je puis lui donner ma parole que je n'ai pas entendu parler ni
+ reçu de lettres de M. Hainguerlot[106] depuis mon départ de Paris.
+
+ [Note 106: M. Hainguerlot, banquier enrichi dans les
+ fournitures, était un ami de Jérôme; sa soeur avait épousé un
+ des aides de camp du jeune roi. L'empereur n'aimait ni le
+ banquier ni sa famille et avait fait défense à son frère de
+ le recevoir. Le gendre de M. Hainguerlot fut, par la suite,
+ un M. de Vatry, brillant officier de hussards qui, en 1815, à
+ Waterloo, était l'un des aides de camp du prince Jérôme, et
+ qui ne contribua pas peu, par ses relations et ses démarches
+ sous le gouvernement de juillet, à aplanir les difficultés
+ pour le retour en France de la famille Jérôme Bonaparte.]
+
+
+Une nouvelle inconséquence de Jérôme indisposa encore beaucoup
+Napoléon à son égard. Le jeune prince aimait le luxe, les fêtes,
+l'étiquette. Tout en se plaignant de la modicité de sa liste civile,
+il ne fut pas plus tôt sur le trône qu'il se donna une cour
+fastueuse copiée sur celle des Tuileries et fort en dehors de toute
+proportion avec l'exiguïté de ses États; qu'on en juge.
+
+Il créa: un grand maréchal du palais, Meyronnet, son ancien lieutenant à
+bord de _l'Épervier_, qu'il fit comte de Willingerode; deux préfets du
+palais, Boucheporn et de Reyneck; trois maréchaux ou fourriers du
+palais, les colonels de Zeweinstein et Bongars, M. Barberoux-Wurmb; un
+grand-chambellan, le comte de Waldenbourg-Truchsess; quinze chambellans,
+Le Camus, le comte de Bohlen, le baron de Hammerstein, le baron Bigot de
+Villandry, le comte de Wesphallen, M. d'Esterno, le baron de Hartz, le
+comte de Velsheim, Cousin-Marinville, le baron de Munchenhausen, le
+baron de Sinden, le baron de Spiegel, le baron d'Assebourg, le comte de
+Meerveld, le baron de Doernberg; un grand-maître des cérémonies, le
+comte de Bocholtz; huit maîtres ou aides des cérémonies, MM. de Courbon,
+Marseille-Laflèche, Beugnot, baron de Gondmain, Gardine, comte de
+Pappenheim; plus de vingt aides de camp ou officiers d'ordonnance, le
+colonel de Salha, gouverneur des pages, Gérard, le prince de Hesse
+Philipsthal, de Spaderborn, Morio, Rewbell, d'Albignac, plus tard
+ministre de la guerre, Lefebvre-Desnouettes, que nous avons vu rappelé
+par l'empereur, le colonel Danstoup-Verdun, les généraux Du Coudras et
+Usslar; un grand-écuyer, six écuyers d'honneur, le comte de
+Stolberg-Wernigerode, le baron Lepel, le colonel Kloesterlein; un
+premier aumônier, l'évêque baron de Wend; des aumôniers, des chapelains
+en grand nombre, trois secrétaires des commandements, Marinville, de
+Coninx, Bercagny; un grand-veneur, le comte de Hardenberg.
+
+La maison de la reine fut installée sur un pied tout aussi splendide
+et non moins nombreux: une grande-maîtresse, la comtesse de
+Truchsess; sept dames du palais, la comtesse de Gilsa, dont le mari
+était directeur des haras, la baronne de Pappenheim, MMmes Morio,
+Blanche Laflèche, Du Coudras, de Witzleben, la princesse de
+Hohenlohe-Kirchberg; plusieurs chambellans, les barons de
+Bodenhausen, de Pappenheim, de Bischoffshausen, de Schele;
+plusieurs écuyers d'honneur, le marquis de Maubreuil, le baron de
+Menguersen de Busche, M. de Malsbourg, le baron de Mesenholm; un
+secrétaire des commandements, M. de Pfeiffer.
+
+On comprend que Napoléon Ier fut choqué d'un pareil dévergondage de
+gens inutiles que son frère payait fort cher, lui l'homme de guerre
+dont les prodigalités allaient toujours chercher les gens utiles
+dans toutes les professions, ou ceux qui risquaient sans cesse leur
+existence sur les champs de bataille.
+
+Aussi a-t-on vu qu'il avait tancé son frère d'une façon bien
+vigoureuse, puisqu'il l'accusait presque de manquer à l'honneur.
+Avec un peu plus de réflexion et de tenue, le jeune roi eût pu faire
+sur sa liste civile de cinq millions, surtout en Allemagne, au
+milieu d'un peuple simple et aux idées antiques, des économies qui
+lui eussent permis de payer son emprunt, ce qui eût en outre disposé
+favorablement Napoléon en sa faveur.
+
+Malgré les préoccupations constantes que donnaient à Jérôme l'état
+déplorable des finances du royaume et la rigidité inflexible de
+l'empereur à cet égard, malgré les remontrances incessantes de son
+frère, le jeune roi menait assez joyeuse vie à Cassel et à
+Napoléonshoehe, entouré de la vertueuse reine, d'un essaim de jolies
+femmes, de favoris toujours prêts à exécuter ses moindres
+fantaisies.
+
+Vers le commencement d'août 1808, quelques changements eurent lieu
+dans les rangs élevés. La secrétairerie d'État, d'abord confiée au
+savant Jean de Muller, passa aux mains de Le Camus, comte de
+Furtenstein, marié à la fille du grand-veneur, comte de Hardenberg,
+riche seigneur allemand. Le général Morio, un instant ministre de la
+guerre, céda son portefeuille à M. de Bulow, déjà ministre des
+finances depuis la rentrée en France de M. Beugnot. Jérôme fait
+connaître les motifs du changement de Morio à son frère, par une
+lettre en date du 16 août[107]. Ce qui ne l'empêcha pas de rendre le
+portefeuille au général quelques jours plus tard.
+
+ [Note 107: Lettre publiée aux Mémoires.]
+
+Au mois de septembre 1808, une sorte de petite émeute causée à
+Brunswick, chef-lieu de l'Ocker, par une circonstance insignifiante,
+éclata tout à coup. Rapport fut fait au roi, qui envoya cette pièce
+à son frère en lui demandant ses ordres:
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Napoléonshoehe, 8 septembre 1808.
+
+ Sire, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté un rapport qui vient
+ de m'être fait par mon ministre des finances, chargé provisoirement
+ du département de la Guerre, relativement à un événement fâcheux qui
+ a eu lieu les 4 et 5 à Brunswick.
+
+ Quelque grands que soient dans cette affaire les torts des gendarmes
+ français, je n'ai rien voulu ordonner à leur égard, sans connaître
+ les intentions de Votre Majesté.
+
+ Je soumets donc à Votre Majesté le rapport de mon ministre, ainsi
+ qu'il me l'a présenté, et je la prie de me faire connaître la
+ conduite qu'elle désire que je tienne en cette circonstance.
+
+
+RAPPORT AU ROI JÉRÔME.
+
+
+ Sire, je reçois des lettres du préfet de l'Ocker, du commandant de
+ place de Brunswick et du colonel Mauvillon, commandant le 2e
+ régiment de ligne, dont je m'empresse de présenter l'extrait à Votre
+ Majesté; elles confirment les détails des événements fâcheux qui ont
+ eu lieu à Brunswick dans les journées du 4 et du 5.
+
+ Il résulte uniformément de ces divers rapports que le brigadier de
+ gendarmerie Lefèvre, accompagné des gendarmes Deligny et Chastelan,
+ eut au foyer de la Comédie une dispute avec quelques bourgeois. Ces
+ militaires n'étaient point en uniforme et paraissaient ivres. La
+ querelle s'étant continuée au sortir du spectacle, le brigadier
+ Lefèvre courut chez lui prendre son sabre, et, revenant armé à la
+ rencontre des bourgeois qui ne l'étaient pas, frappa le nommé
+ Lietge, maître vitrier, et le tua sur la place.
+
+ Le brigadier Lefèvre meurtri au bras de plusieurs coups de bâton
+ qu'il venait de recevoir dans cette querelle fut, à l'instant même,
+ arrêté sur la place par un détachement de la garde qui rétablit la
+ tranquillité dans la rue, et l'ordre fut donné au juge de paix dans
+ l'arrondissement duquel venait d'être commis ce meurtre, de
+ commencer sur le champ l'instruction de l'affaire.
+
+ Cependant le chef d'escadron Béteille, commandant la gendarmerie
+ française, fit mettre le meurtrier en liberté, et ne voulut point
+ déférer à la réquisition du commandant d'armes et du maire de la
+ ville de Brunswick qui demandaient l'arrestation des deux autres
+ gendarmes.
+
+ Ce déni de justice produisit une impression fâcheuse, et la populace
+ laissa entrevoir le projet formé d'arracher le gendarme Lefèvre de
+ la maison où il était retiré. Le colonel Schraidt se décida à le
+ faire transporter à l'hôpital dans une chaise et à l'accompagner
+ lui-même avec l'adjudant de place, le maire de la ville, le
+ commissaire de police et quelques autres fonctionnaires publics. La
+ vue de ces magistrats ne put contenir une multitude furieuse, et une
+ grêle de pierres fut lancée contre la chaise et le cortège. Le
+ gendarme Lefèvre en fut presque accablé. Bientôt l'attroupement qui
+ s'était formé autour de l'hôpital fut dissipé par les soins et les
+ instances du commandant Schraidt, mais ayant appris dans la soirée
+ que le peuple voulait encore forcer l'hôpital et immoler le gendarme
+ Lefèvre à sa vengeance, il fit demander la force armée, et le
+ colonel Mauvillon envoya un détachement de 30 hommes. Cette troupe
+ fut assaillie elle-même par les pierres qu'on lançait de plusieurs
+ maisons et par les injures de la populace.
+
+ Le colonel Mauvillon doubla alors son détachement et marcha lui-même
+ en bon ordre avec son régiment à la hauteur de l'hôpital. Cependant
+ plusieurs soldats ayant été blessés par le peuple, il fît tirer
+ quelques coups de fusil en l'air pour l'effrayer. Toutes les avenues
+ furent occupées, et, après plusieurs tentatives, fermes et prudentes
+ à la fois, on parvint à dissiper les attroupements; une femme a été
+ tuée et un bourgeois blessé; le colonel Mauvillon pense que c'est
+ par les bourgeois eux-mêmes qui, à ce qu'il dit, ont tiré plusieurs
+ coups de fusil de leur côté. La ville fut parcourue toute la nuit
+ par des patrouilles, et la tranquillité n'a plus été troublée.
+
+ Il paraît que les autorités civiles et militaires ont parfaitement
+ rempli leur devoir, et qu'elles ont été constamment animées du
+ meilleur esprit. Le colonel Mauvillon fait le plus grand éloge du
+ zèle et de l'activité qu'ont déployés le commandant et l'adjudant de
+ place; il s'applaudit aussi de la discipline et du calme manifestés
+ par les soldats du 2e régiment, en butte aux coups et aux insultes
+ de la populace; le dernier des recrues est demeuré ferme à son rang
+ et a obéi avec intelligence et promptitude à tous les ordres de son
+ chef.
+
+ Aussitôt que l'ordre a été rétabli, on a fait arrêter les hôtes des
+ maisons d'où ont été lancées les pierres contre la force armée.
+
+ Tous les rapports attestent que les gendarmes français qui ont donné
+ lieu à ce désordre ont eu le premier tort; plusieurs témoins
+ certifient que la dispute a été provoquée par eux, et que l'effet en
+ a été d'autant plus prompt et d'autant plus funeste qu'ils étaient
+ depuis longtemps haïs des bourgeois à cause de leurs vexations et de
+ leur insolence.
+
+ Le colonel de Bongars[108], envoyé sur les lieux par Votre Majesté,
+ est parti hier et lui transmettra un rapport plus circonstancié sur
+ ces événements.
+
+ [Note 108: Aide de camp du roi, chef de la gendarmerie.]
+
+ Cassel, 8 septembre 1808.
+
+
+Napoléon lui répondit, le 14 septembre, qu'il fallait punir le
+gendarme français, mais surtout l'allemand qui avait été cause de
+l'émeute; qu'on l'assurait que la police était mal faite en
+Westphalie; que bientôt il aurait des émeutes plus sérieuses, et que
+si les gendarmes français lui étaient inutiles, il n'avait qu'à les
+renvoyer en France.
+
+Étant à Erfurt, l'empereur donna l'ordre de désigner pour la
+Westphalie, comme ministre de famille, le baron de Reinhard,
+diplomate distingué, qui se rendit immédiatement de Coblentz à Paris
+pour y recevoir du duc de Cadore, ministre des relations
+extérieures, les instructions les plus détaillées et les plus
+précises. Le baron de Reinhard arriva à Cassel à la fin de décembre
+1808. Il trouva le corps diplomatique composé des ministres dont les
+noms suivent: de Wurtemberg, baron de Geinengen; de Saxe, comte de
+Schoenburg; de Bavière, comte de Leichenfeld; de Hollande, chevalier
+de Huygens; de Darmstadt, baron de Moronville; de Prusse, M. Kuster;
+du prince primat, comte de Beust; du grand-duc de Bade, baron de
+Seckendorff, chargé aussi des affaires de Francfort; d'Autriche,
+comte de Grüne; de Russie, prince de Repnin.
+
+Un peu avant l'arrivée de Reinhard, le roi Jérôme, blessé des actes
+arbitraires et du sans-façon des agents français, même infimes,
+expédia son aide de camp, le général Girard, à l'empereur, avec les
+deux lettres ci-dessous, datées du 11 décembre:
+
+
+ Sire, le général Girard, mon aide-de-camp, aura l'honneur de
+ remettre cette lettre à Votre Majesté; je le charge de passer au
+ dépôt du 1er régiment des chevau-légers[109] pour tâcher de remonter
+ les hommes à pied; j'espère que Votre Majesté est plus contente de
+ mon régiment.
+
+ [Note 109: Les escadrons de ce régiment, dans lequel servait
+ le fameux marquis de Maubreuil, étaient alors en Espagne et
+ son dépôt dans une ville de la Westphalie.]
+
+ J'ai écrit plusieurs fois à Votre Majesté, et je n'ai pas reçu un
+ mot de réponse; j'espère cependant qu'elle n'est pas fâchée contre
+ moi, car je n'ai rien fait pour cela, et qu'au contraire le but de
+ toutes mes actions est de vous plaire.
+
+ Ma santé est tout-à-fait rétablie, on me conseille cependant de
+ changer d'air pendant quelques semaines; si Votre Majesté n'est pas
+ de retour à Paris en janvier et qu'elle l'approuve, j'irai passer
+ huit jours à Amsterdam, à la fin du mois de janvier.
+
+ Sire, en m'abstenant de toutes réflexions, j'ai l'honneur de mettre
+ sous les yeux de Votre Majesté plusieurs notes plus arbitraires
+ l'une que l'autre, en la priant de vouloir bien mettre ses décisions
+ sur chacune d'elles et de me les faire connaître.
+
+ J'espère que Votre Majesté voudra bien arrêter les prétentions, tous
+ les jours plus fortes, de ses agents en Westphalie, dont les titres
+ très-subalternes de quelques-uns ne modèrent pas des mesures
+ humiliantes pour moi et d'après la continuation desquelles, il me
+ serait impossible de gouverner plus longtemps ce pays.
+
+
+Habituellement, l'empereur ne répondait pas aux justes réclamations
+de ce genre que lui adressaient ses frères. C'est ce qui eut lieu
+encore dans cette circonstance et força Jérôme à envoyer de nouveau
+à Paris, au commencement de février, un autre de ses aides de camp,
+le général Morio.
+
+Dès son arrivée à Cassel, Reinhard avait envoyé au duc de Cadore
+(Champagny) de longues lettres publiées au 3e volume des Mémoires du
+roi Jérôme.
+
+Champagny lui répondit de Paris, les 21 et 26 janvier 1809:
+
+
+ Monsieur, j'ai reçu les différentes dépêches que vous m'avez fait
+ l'honneur de m'adresser depuis le nº 1 jusqu'au nº 6 inclusivement.
+ J'ai eu soin de rendre compte à Sa Majesté Impériale des détails les
+ plus intéressants qu'elles renfermaient.
+
+ Vous êtes chargé, Monsieur, d'appeler l'attention de Sa Majesté le
+ roi de Westphalie sur la rédaction des gazettes qui se publient dans
+ ses États. Il est important qu'elle soit confiée à des hommes
+ habiles et sûrs qui, lisant avec soin les gazettes de Vienne et de
+ Presbourg, s'attachent à réfuter et à combattre surtout par l'arme
+ toute puissante du ridicule les articles de ces gazettes qui
+ pourraient être dirigés contre la France ou la Confédération du
+ Rhin. Ceux qui prêtent des idées de guerre à l'Autriche, se plaisent
+ à faire une longue énumération de ses forces militaires, ignorant
+ apparemment ou plutôt feignant d'ignorer que la France a encore
+ 150,000 hommes en Allemagne, qu'un même nombre de troupes françaises
+ se trouve en Italie, que la Confédération du Rhin peut mettre au
+ premier signal 120,000 hommes sur pied, que la conscription qui
+ s'organise en ce moment donnera 80,000 hommes de nouvelles levées,
+ et qu'enfin la retraite des Anglais permet à Sa Majesté Impériale de
+ disposer en cas de besoin d'une grande partie des troupes qui se
+ trouvent en Espagne.
+
+ En vous faisant connaître les intentions de Sa Majesté Impériale, je
+ suis sûr que vous ne négligerez rien pour en assurer la complète et
+ parfaite exécution. Je vous prierai seulement de vouloir bien
+ m'instruire des mesures qui seront prises à cet égard par le
+ gouvernement westphalien.
+
+ J'ai reçu, Monsieur, vos dépêches des 13 et 15 janvier nº 8 et 9. Sa
+ Majesté les a eues l'une et l'autre sous les yeux et a lu la seconde
+ avec plaisir. Son intention est que vous entriez dans les plus
+ grands détails sur toutes les parties de l'administration du royaume
+ de Westphalie, que vous parliez de la conduite du Roi, de celle des
+ ministres, des opérations du gouvernement. Elle veut être informée
+ de tout avec la plus grande exactitude afin de pouvoir éclairer et
+ guider, si besoin est, la marche d'un gouvernement qui l'intéresse à
+ tant de titres. Elle me charge de vous dire que vos dépêches ne
+ seront point vues, et qu'on ignorera la source des renseignements
+ que vous aurez donnés et dont elle croira faire usage. La
+ délicatesse qui vous fait craindre d'employer les chiffres aurait
+ l'inconvénient extrême de gêner votre franchise. Sa Majesté veut
+ donc que vous écriviez souvent en chiffres; dès que vous vous en
+ servirez habituellement, cela paraîtra tout simple; qui, d'ailleurs,
+ peut y trouver à redire? et comment même le saura-t-on, à moins
+ qu'on ne viole le secret de vos dépêches, et qu'on ne prouve ainsi
+ combien la précaution de chiffrer est nécessaire?
+
+ Dans les cas graves, s'il en survenait, et pour faire connaître des
+ actes très importants du gouvernement du Roi, vous expédieriez des
+ courriers extraordinaires.
+
+ Sa Majesté désire encore qu'à vos dépêches vous joigniez des
+ bulletins non signés, et contenant les nouvelles de société, les
+ bruits de la ville, les rumeurs, les anecdotes vraies ou fausses qui
+ circulent, en un mot une sorte de chronique du pays propre à le bien
+ faire connaître.
+
+ Une autre lettre que vous recevrez en même temps que celle-ci, vous
+ instruit des intentions et vous transmet les ordres de Sa Majesté
+ relativement aux Français qui sont ou qui voudraient entrer au
+ service du Roi.
+
+
+Ainsi, il ressort bien nettement de ces deux lettres de Champagny à
+Reinhard que l'empereur voulait avoir auprès de Jérôme, comme auprès
+de ses frères Joseph et Louis, sous le nom de ministres de famille,
+des hommes chargés d'une sorte d'espionnage politique et
+particulier.
+
+À dater de la réception des ordres de Champagny, la correspondance
+entre lui et Reinhard ne fut plus interrompue.
+
+Reinhard écrit de Cassel, le 3 février 1809:
+
+
+ Monseigneur, Votre Excellence peut être assurée que dans tout ce qui
+ dépendra de moi, son intention sera remplie, et je ne cesserai point
+ d'insister auprès du gouvernement westphalien pour que la mesure
+ proposée reçoive sa prompte exécution.
+
+ M. d'Esterno, ministre du roi à Vienne, ayant demandé un congé pour
+ affaires de famille, on a saisi cette occasion pour y envoyer M. le
+ baron de Linden, ministre de Westphalie près le prince Primat, et
+ qui est regardé ici comme une des colonnes de la diplomatie
+ Westphalienne. M. de _Linden_ connaît déjà Vienne; il s'y est rendu
+ sous le prétexte de terminer un procès. Sa mission est secrète, et
+ ce n'est pas M. de Furstentein qui m'en a fait la confidence.
+ Cependant il m'a fait lecture d'une lettre écrite de Munich et de
+ Vienne que j'ai facilement reconnue comme étant l'ouvrage de cet
+ agent. Elle m'a paru écrite avec justesse. M. de Linden attribue en
+ grande partie les faillites qui ont eu lieu en Autriche, à ce que
+ les spéculations en denrées coloniales que plusieurs maisons avaient
+ faites, sur la foi de l'engagement pris par leur gouvernement de
+ prohiber l'entrée des marchandises anglaises, avaient été trompées
+ par l'admission dans le port de Trieste d'une très grande quantité
+ de ces marchandises. Il fait un tableau qui me paraît assez vrai de
+ la fermentation guerrière qui s'est emparée des têtes autrichiennes,
+ et de la faiblesse du gouvernement qui, incapable de diriger le
+ mouvement des esprits, risque d'en être compromis et d'y céder
+ peut-être, s'il ne le partage point, et donne la mesure de son
+ incapacité et de son irrésolution à ses propres sujets s'il le
+ partage. Il dit que deux députés des insurgés espagnols ont été
+ admis récemment à Trieste. Il ajoute que les États des différentes
+ provinces ont été convoqués pour délibérer sur une solde à accorder
+ aux milices, et que comme on avait promis à la France que cette
+ milice n'en aurait point, la curiosité publique attendait le
+ gouvernement à la tournure qu'il donnerait à sa proposition.
+
+ Quant à M. le comte de Grüne, nommé par la cour de Vienne pour
+ résider à Cassel, il déclare qu'il est prêt à partir, mais que
+ n'ayant pas encore reçu ses lettres de rappel, du poste de
+ Copenhague, il est obligé d'attendre que sa première mission soit
+ terminée dans les règles. M. de Grüne attendra; son gouvernement
+ attendra; il n'y a que la France qui soit prête.
+
+
+Nous arrivons maintenant aux curieux bulletins prescrits par
+l'empereur et dans lesquels se reflètent les petites intrigues de la
+cour de Westphalie:
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, ce 5 février 1809.
+
+ Monsieur le comte de _Wernigerode_, grand-maréchal du Palais, part
+ demain pour Marseille.
+
+ «Eh bien! grande-maîtresse, dit-il en riant il y a quelques jours à
+ Madame la comtesse de Truchsess, je pars; tâchez de mettre ce temps
+ à profit, je resterai un mois, et si vous ne l'empêchez, je
+ reviendrai!»--«Un mois! grand Maréchal! c'est bien court, mais nous
+ verrons.» Le mois ne sera pas mis à profit; car Madame la Comtesse
+ aussi part aujourd'hui pour aller revoir Monsieur son père, en
+ attendant que son mari la rejoigne pour son voyage d'Italie. Ce
+ voyage et la démission acceptée de Madame la grande-maîtresse se
+ trouvent dans le _Moniteur Westphalien_ d'hier. Voici un mois de la
+ vie de Madame de Truchsess.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 5 février 1809.
+
+ La semaine dernière a vu se renouveler dans l'intérieur du palais
+ les tracasseries qui avaient déjà eu lieu avant l'arrivée de la
+ légation française à Cassel. Mme de Launay, fille de M. Siméon,
+ ayant profité au premier bal masqué de la liberté du déguisement,
+ avait fait quelques plaisanteries à M. de Pappenheim. Ces choses,
+ fort innocentes d'elles-mêmes, furent le lendemain rapportées à la
+ Reine, non telles qu'elles avaient été dites, mais empoisonnées et
+ commentées avec la charité qu'on a dans les cours, en sorte que le
+ lendemain il n'était bruit que des propos de Mme de Launay et du
+ mécontentement de la reine contre elle.
+
+ M. Siméon en fut aussi affligé que sa fille: il alla trouver le roi
+ à qui il se plaignit décemment de _Mme de Truchsess_, auteur de ces
+ bruits. Le Roi s'emporta contre elle; il dit que c'était une
+ _faiseuse d'histoires_, qu'elle mentait, que son père mentait, que
+ son frère mentait, et qu'il n'y avait que le mari qui valût quelque
+ chose dans la famille.
+
+ Le soir, la grande-maîtresse ayant paru devant le roi, en fut
+ froidement accueillie: elle pleura, jeta les hauts cris, s'évanouit.
+ En dernier résultat, elle a offert sa démission qui a été acceptée
+ avec plaisir par le roi, mais (on croit) avec peine par la reine qui
+ lui est fort attachée.
+
+ Mme de Truchsess joint à de la beauté beaucoup de grâce et de
+ séduction dans l'esprit. Elle était l'ornement d'une cour qui
+ pourtant n'est pas dépourvue de beautés, mais son goût pour
+ l'intrigue et pour les tracasseries gâte toutes ses heureuses
+ qualités. Il paraît que le but secret de toutes ses manoeuvres était
+ de regagner le coeur du roi. On ne peut expliquer que de cette
+ manière plusieurs parties de sa conduite qui, sans cela,
+ paraîtraient hors de toute mesure. Il est vrai qu'on ne serait pas
+ juste non plus, si on la jugeait d'après ce qu'en disent ses
+ ennemis.
+
+ Son goût pour écrire ne peut être ni aussi vif ni aussi actif qu'on
+ le suppose: il y a certainement eu dans sa conduite beaucoup de
+ choses étourdies qu'on a revêtues de fausses couleurs; comme elle
+ maltraitait tout le monde, tout le monde la traitait avec rigueur,
+ et souvent d'innocentes plaisanteries ont pu être données pour un
+ secret désir de perdre ce qui l'entourait. Quoi qu'il en soit, comme
+ elle passait presque toutes ses journées en tête-à-tête avec la
+ reine à qui elle avait persuadé qu'il n'était pas de sa dignité de
+ vivre avec les autres dames, on disait que pour charmer l'ennui de
+ cette solitude, elle amusait la reine en lui racontant des histoires
+ et des anecdotes qui n'avaient pas tout-à-fait pour objet de mettre
+ les Français en grand crédit auprès de Sa Majesté.
+
+ Elle annonce qu'elle accompagnera son mari qui part sous peu de
+ jours pour l'Italie. Mais elle est si redoutée qu'on n'ose se livrer
+ à la joie, et en effet il se pourrait qu'elle se décidât, pour le
+ plaisir de désoler ses ennemis, à ne pas désemparer.
+
+ Avant-hier, 3 février, il y a eu bal masqué à la cour. La reine y a
+ dansé dans un quadrille polonais composé de toutes personnes de
+ l'intérieur. Comme le nombre de celles présentées à la cour est très
+ borné, on était convenu d'admettre au bal beaucoup d'étrangers.
+ L'ordre était de ne se point démasquer: le roi s'y est fort amusé,
+ il s'est travesti plusieurs fois; la reine a paru également prendre
+ part au divertissement où on a pu voir que le génie et la variété
+ des travestissements étaient entièrement dirigés vers le but de
+ plaire à Leurs Majestés.
+
+
+La comtesse de Truchsess, grande-maîtresse de la maison de la reine,
+était jolie et intrigante. Elle avait été bien, disait-on, avec le
+jeune roi. La reine l'aimait beaucoup. On l'appelait plaisamment sa
+gouvernante. M. de Truchsess était un brave homme qui, renvoyé dans
+ses terres à cause des intrigues de sa femme, fut remplacé à la
+cour, dans ses hautes fonctions, par le colonel Salha. L'ancien
+capitaine de frégate Salha était de Marseille, où il avait de la
+famille et des intérêts. Voilà ce qui explique les deux bulletins de
+Reinhard, du 5 et 6 février, et le troisième du 16 du même mois.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 16 février 1809.
+
+ Mme la comtesse de Truchsess avait donné sa démission le 3 au soir.
+ Le lendemain en s'éveillant, elle la trouva acceptée sur sa table de
+ nuit. On prétend qu'elle ne s'y attendait pas. Le dimanche après, 5
+ février, il y eut cercle et bal à la Cour; on prétend qu'elle avait
+ demandé à y être reçue dans son rang de grande-maîtresse. Elle fut
+ invitée: quant au rang, on lui déclara qu'elle aurait celui de femme
+ de grand dignitaire: elle vint pourtant. En entrant dans la grande
+ salle, à chaque pas qu'elle faisait en avant, on aurait dit qu'elle
+ allait en faire un autre en arrière. Sa figure décomposée
+ travaillait à prendre une contenance: elle aborda en hésitant les
+ premières dames; elle se remit après quelques saluts qui lui furent
+ rendus. Pour entrer dans la salle du bal où étaient le roi et la
+ reine, les dames furent appelées par classes: les dames du palais;
+ les dames des grands dignitaires; Mme de Truchsess allait entrer
+ seule: elle hésita. Enfin il s'en trouva une seconde; les dames des
+ ministres d'État; les dames des ministres étrangers; les dames
+ présentées; les demoiselles invitées. Il y en avait d'assez
+ vieilles; malgré cela, le bal était fort beau.
+
+ Mme de Truchsess joua son rôle admirablement pendant le reste de la
+ soirée. Le surlendemain, son mari en donna une chez elle; les
+ billets portaient qu'il y aurait un violon. C'était pour ouvrir sa
+ maison, dont l'ameublement venait d'être achevé. Du corps
+ diplomatique on n'avait invité que le ministre de France avec sa
+ femme, et celui de Bavière avec la sienne, parente de Mme de
+ Truchsess, et qui, la veille, avait porté un toast à: «_ce qui vient
+ d'arriver_.» Il y eut un violon et point de bal; des tables de jeu
+ et point de jeu; des groupes et point de conversation; un souper
+ pourtant, car on mangea beaucoup pour sortir d'embarras. À en croire
+ Mme de Truchsess, elle était enchantée de ce que cela s'était enfin
+ arrangé: elle projetait le voyage d'Italie, de Naples surtout où
+ elle trouverait ses parents (avec lesquels elle était encore
+ brouillée la veille); celui de Paris sûrement, si la Cour y était;
+ celui de Koenisgsberg où son mari a des terres. _Elle craignait
+ seulement qu'on ne le pressât trop de revenir._ En attendant, on la
+ pressait de partir, et elle choisit pour son départ le jour où M.
+ Siméon donna un bal masqué auquel le roi et la reine ont assisté.
+
+ Mme de Launay avait reçu du Roi un cadeau de quelques schaals et
+ d'une robe magnifique. Le jour du bal de son père, la Reine lui fit
+ un accueil extrêmement gracieux. Sous tous ces rapports, son
+ triomphe fut complet. L'assemblée n'était pas nombreuse, mais elle
+ était choisie. La gaieté, l'élégance, le bon goût y régnaient.
+
+ Le jour même du départ de Mme de Truchsess, le roi envoya
+ l'intendant-général de la liste civile pour faire l'inventaire des
+ meubles de son palais. Cet hôtel avait été occupé par le ministre
+ des finances qui, pour faire place à Mme de Truchsess, alors en
+ faveur, avait été obligé de l'_évacuer en vingt-quatre heures_;
+ aussi M. D'Albignac, grand-écuyer, dit-il au roi: «_Vive ce départ,
+ il vous donne quatre-vingts mille livres de rente._»
+
+ Les fêtes du carnaval se terminèrent par un grand bal masqué donné
+ par le maréchal du palais. Mille billets avaient été distribués:
+ neuf cents personnes au moins furent présentes; le roi avait envoyé
+ des billets aux notables de Münden, petite ville à quelques lieues
+ de Cassel, qui s'était distinguée dernièrement par la promptitude et
+ l'activité des secours qu'elle avait portés à un village incendié.
+ Ils arrivèrent soixante-quinze en dix voitures: ils se crurent
+ transportés dans un monde enchanté; un d'eux avait perdu son billet,
+ et son désespoir était de penser à ce que dirait le roi de son
+ impolitesse lorsqu'il s'apercevrait de son absence. Le roi et la
+ reine furent reçus par des bergers et des bergères portant des
+ guirlandes, et formant un berceau sous lequel passèrent Leurs
+ Majestés. Le bal fut ouvert par un quadrille espagnol. Il est
+ impossible de peindre la variété, l'élégance et le mouvement de
+ cette fête. M. le général Du Coudras fit jouer des pantins avec un
+ talent unique. La reine avait arrangé une foire. Dans une douzaine
+ de boutiques, ses dames distribuaient de petits cadeaux. La reine
+ avait une cassette remplie de bijoux; elle était d'une gaieté
+ délicieuse; quelques-uns prétendaient que sans s'en douter elle se
+ réjouissait de n'avoir plus _de gouvernante_. Le bal se prolongea
+ jusqu'à cinq heures du matin.
+
+ Comme on avait engagé tout le monde à faire quelques folies, les
+ membres du corps diplomatique s'étaient réunis pour représenter un
+ jeu d'échecs, et, puisqu'il devait y avoir un roi battu, on était
+ convenu de prendre le costume de mameluck. Seize enfants devaient
+ faire les pions. Cependant à la Cour on trouva avec raison que dans
+ une telle foule un tel nombre d'enfants pourrait avoir des
+ inconvénients, et le projet fut abandonné. Le ministre de France,
+ invité par une députation de ses collègues à se mettre à la tête
+ d'une mascarade représentant un bey d'Égypte avec son harem, y
+ consentit. La procession se présenta devant le Roi et la Reine;
+ quelques présents, quelques vers furent offerts et agréés: tout se
+ passa en pantomime; le Roi trouva l'exécution noble: elle parut
+ faire plaisir généralement.
+
+ À une heure, quelques personnes choisies se rendirent au souper dans
+ l'appartement de la Reine: dans ce nombre furent les ministres de
+ France et de Hollande. Les épouses des autres ministres y furent
+ invitées sans leur mari. Cette distinction fut très-sensible à ces
+ derniers. Le ministre de Saxe s'en plaignit à M. de Furstenstein;
+ celui de Bavière avait fait un voyage exprès, dit-on, pour ne point
+ risquer d'être exclu du souper. M. de Furstenstein a répondu qu'il y
+ avait eu erreur. D'autres sans doute et avec raison ont cru y voir
+ une distinction faite en faveur des ministres de famille; mais comme
+ la Cour ne s'est point expliquée à cet égard, les préférences et les
+ exclusions ont l'apparence d'être personnelles.
+
+
+Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le roi, ne recevant pas de
+réponse de l'empereur relativement à ses justes réclamations à
+l'égard des agents français en Westphalie et désirant mettre son
+frère bien au courant de la situation financière du pays, lui
+expédia son premier aide de camp, le général Morio, avec la lettre
+ci-dessous:
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 3 février 1809.
+
+ Sire, j'envoie auprès de Votre Majesté le général Morio, mon premier
+ aide de camp; il a été un de mes ministres, il était présent à tous
+ mes conseils d'administration, et connaît très bien la situation de
+ mon royaume. Votre Majesté pourra avoir de lui tous les
+ renseignements qu'elle désirera prendre sur l'état du trésor, comme
+ sur les autres parties d'administration.
+
+ Je ne puis prendre de biais avec Votre Majesté ni la tromper en
+ aucune manière dans une circonstance aussi majeure, mais il est
+ certain que le royaume de Westphalie ne peut résister plus de 6 mois
+ au mauvais état des finances.
+
+ Quant à moi, Sire, je me trouverai toujours bien partout où je serai
+ placé par Votre Majesté, si je conserve toute son amitié.
+
+
+L'empereur était peu porté à aimer et à estimer les officiers qui
+quittaient son service pour celui de ses frères; il répondit à
+Jérôme, le 11 février 1809:
+
+
+ Je suis étonné que vous m'envoyiez le général Morio, qui est une
+ espèce de fou. Vous trouverez bon que je ne le voie pas. Quant à la
+ situation de votre trésor et de votre administration, cela ne me
+ regarde pas. Je sais que l'un et l'autre vont fort mal. C'est une
+ suite des mesures que vous avez prises et du luxe qui règne chez
+ vous. Tous vos actes portent l'empreinte de la légèreté. Pourquoi
+ donner des baronnies à des hommes qui n'ont rien fait? Pourquoi
+ étaler un luxe si peu en harmonie avec le pays et qui serait seul
+ une calamité pour la Westphalie par le discrédit qu'il jette dans
+ l'administration? Tenez vos engagements avec moi, et songez qu'on
+ n'en a jamais pris qu'on ne les ait remplis. Ne doutez jamais du
+ reste de tout l'intérêt que je vous porte.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 18 février 1809.
+
+ Dans une dépêche précédente[110] j'ai rendu compte des recettes et
+ des dépenses présumées de la liste civile. Quant aux finances de
+ l'État, on m'assure que le déficit de l'année passée est de douze
+ millions et qu'une crise est inévitable, peut-être dans six mois. Il
+ est certain que les Juifs ont prêté de l'argent. On parle de trois
+ millions. Pour remplir le déficit, on s'occupe surtout à pousser
+ l'exploitation du sel aussi loin qu'elle peut aller. On compte sur
+ un grand débit en Hollande. Avant la dernière levée, le Roi
+ entretenait huit mille hommes de troupes. On parle d'une forte
+ réduction dans sa garde. Si la guerre a lieu, on ne doute pas que le
+ désir du Roi d'être appelé à l'armée ne soit rempli. L'on s'en
+ promet des moyens de faire de grandes économies pendant son absence.
+
+ [Note 110: Publiée dans les _Mémoires du roi Jérôme_.]
+
+ Sa Majesté Impériale a voulu que je lui rendisse compte de la
+ conduite des ministres. Le premier en ligne est M. _Siméon_: il
+ réunit à l'amour du travail et à la probité des connaissances, des
+ talents et de l'amabilité. Il est peut-être le seul qui avant de
+ fléchir devant la volonté suprême ose se permettre quelquefois des
+ représentations, qui ne sont pas toujours bien accueillies. En
+ public, il a constamment été traité avec une grande distinction, et
+ l'on croit que la faveur lui est revenue. Son département marche. Le
+ général _Eblé_[111] est infatigable au travail. Il se trouve,
+ dit-il, au milieu d'un chaos à débrouiller, de fripons à déjouer;
+ entravé par une triple administration, celle de l'armée, de la garde
+ et des troupes françaises, il ne sort presque point, mais tout son
+ extérieur montre une santé fortement dérangée; s'il continue ainsi,
+ le travail le tuera dans un an.
+
+ [Note 111: Avait remplacé Morio à la guerre.]
+
+ Le comte de _Furtenstein_ a grandi depuis que je l'ai vu à Dresde.
+ Il est de tous les ministres le plus constamment près de la personne
+ du Roi. Son ministère lui laisse encore quelques loisirs pour les
+ plaisirs. Il a les formes aimables et il se met peu à peu au niveau
+ de sa position. On s'aperçoit de temps en temps, même dans des
+ occurrences de routine, que le chef et les employés ont besoin
+ d'expérience. On rend justice à la droiture de son caractère. Les
+ soins à prendre pour sa famille font partie de ses occupations. Ce
+ qui le justifie, c'est que les soeurs sont aimables, les
+ beaux-frères des hommes de mérite.
+
+ M. _Bulow_ était employé dans l'administration prussienne à
+ Magdebourg. Sa probité est intacte, mais on le dit peu capable de
+ sortir de la route ordinaire. Il serait peut-être à sa place si les
+ affaires étaient à la leur. Mais il les y fera venir difficilement.
+ On l'accuse de ne point aimer les Français; est-ce par aversion ou
+ seulement parce qu'il est ministre des finances?
+
+ M. _de Volfradt_[112] est un homme de bien et de mérite, un peu
+ doucereux et probablement sans énergie comme son ancien maître.
+ L'organisation de son ministère l'occupe tout entier. Il est encore
+ à l'épreuve et c'est ce que le Roi lui-même, dit-on, lui a déclaré.
+
+ [Note 112: Ministre de l'intérieur.]
+
+ Parmi les prétendants à la place de ministre, on nomme toujours M.
+ Pothau[113] pour l'intérieur, M. Bercagny pour les finances ou la
+ justice. On prétend que M. de Truchsess visait à celui des relations
+ extérieures.
+
+ [Note 113: Mari d'une des soeurs de Le Camus.]
+
+ Parmi les membres du corps diplomatique, le ministre de Bavière a
+ une réputation de malignité et d'orgueil; celui de Hollande, de
+ petites finaceries et d'économie batave; celui de Saxe, bon, souple,
+ né courtisan, tremble d'avoir des affaires; celui de Wurtemberg,
+ poli et réservé, laisse dans le doute si sa nullité est de nature ou
+ de calcul; celui de Darmstadt, avec de la mesure, a une tournure de
+ franchise et de loyauté militaire; le chargé d'affaires de Prusse,
+ avec ses profondes révérences et son très modeste extérieur, est
+ vrai représentant d'un roi de Prusse: d'ailleurs il est instruit,
+ honnête homme, on se loue ici de sa conduite.
+
+ M. _Bercagny_, sans avoir le titre de ministre d'état, l'est
+ peut-être plus que les autres: les talents, les connaissances
+ administratives, la finesse, l'activité ne lui manquent point; on
+ craint seulement que cette dernière qualité ne l'entraîne à faire
+ naître des affaires pour rendre sa place plus importante. On
+ attribue au Roi un penchant naturel pour faire, sous tous les
+ rapports, l'essai et l'usage de son pouvoir; et le mérite de M.
+ _Bercagny_ sera d'autant plus grand, s'il reste fidèle à
+ l'institution de la police qui est de prévenir les occasions de
+ punir. Tous les Westphaliens ne sont pas contents, tous ne sont pas
+ fidèles, mais ils ne conspirent point. Ce sont plutôt des indices
+ que des faits qui donnent lieu à ces remarques; mais on craint dans
+ une matière aussi grave des événements possibles qui pourraient
+ changer la marche sage et mesurée du gouvernement, ou le
+ développement d'un système qui pourrait le dénaturer.
+
+ On parle ici d'un parti allemand et d'un parti français; parmi les
+ Allemands il existe un parti de l'ex-électeur et un parti du roi;
+ mais si dans le parti du roi on distingue un parti allemand et un
+ parti français, on commet une erreur qui pourrait conduire à des
+ conséquences fâcheuses. Le vrai parti français sera celui qui,
+ comptant sur l'inébranlable solidité du nouvel ordre de choses, se
+ reposera sur le temps pour acquérir de la fortune et des
+ distinctions et ne voudra pas recueillir dans une première année ce
+ qui doit être le fruit d'une longue carrière de travail et de
+ fidélité.
+
+
+ CHAMPAGNY À REINHARD.
+
+ Paris, le 23 février 1809.
+
+ Monsieur, S. M. l'Empereur et Roi a eu sous les yeux vos dépêches
+ des 3, 5 et 9 février, nºs 13, 14 et 15, et les deux bulletins y
+ joints, et m'a donné un ordre qu'il m'est agréable de remplir, celui
+ de vous témoigner sa satisfaction pour ces dépêches et de vous
+ mander qu'il les a lues avec intérêt.
+
+ Bien que les dépenses du roi n'aient pas été aussi grandes que vous
+ l'avez dû croire, ignorant que le Roi ne touchait point son
+ traitement de prince français, comme elles ont de beaucoup dépassé
+ sa liste civile, l'Empereur lui a écrit pour lui en témoigner son
+ mécontentement; mais le Roi s'en excuse en niant la vérité du
+ reproche. Sa Majesté sent combien il est nécessaire d'inspirer à ce
+ prince un esprit d'économie et elle vous charge de profiter des
+ occasions que le Roi, s'entretenant avec vous, vous fournira pour le
+ faire, avec l'à-propos et la mesure qui vous sont propres.
+
+ Du reste, S. M. croit utile que vous sachiez que ce que le Roi vous
+ a dit d'une question que l'Empereur lui aurait faite à votre sujet
+ et de sa réponse n'est qu'une forme plus aimable donnée par ce
+ prince à un compliment auquel vous ne sauriez mieux répondre qu'en
+ redoublant d'attention et de vigilance.
+
+ Quant aux doutes que ma lettre du 25 janvier vous avait laissés, Sa
+ Majesté me charge de vous faire connaître que les Français employés
+ dans le palais au service du Roi et naturalisés Westphaliens, tels
+ que M. le comte de Fürstenstein et autres qui peuvent être dans le
+ même cas, n'étant plus Français sont libres d'accepter les
+ décorations qui leur sont données. Tous les autres n'en peuvent
+ accepter sans l'autorisation de Sa Majesté I. et R.
+
+ Sa Majesté vous recommande de voir souvent M. Siméon et le général
+ _Eblé_ pour connaître leur opinion et leur position et la lui faire
+ connaître.
+
+
+Des symptômes assez sérieux commençaient à faire prévoir une prise
+d'armes de l'Autriche et il était à craindre que des troubles ne
+vinssent à éclater en Westphalie. Jérôme, prévenu par divers
+rapports et par quelques correspondances, en écrivit à l'empereur.
+On trouvera aussi plus loin, à la date du 24 février, une lettre de
+Reinhard à ce sujet, adressée à M. de Champagny.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 23 février 1809.
+
+ Sire, j'envoie à Votre Majesté, par courrier extraordinaire, deux
+ dépêches chiffrées que j'ai reçues hier, non pas d'un agent
+ secondaire, mais d'un homme jouissant d'une grande fortune en ce
+ pays qui m'est entièrement dévoué et qui a des relations intimes
+ avec les personnes les plus distinguées de Vienne.
+
+ Bien que je pense que Votre Majesté soit déjà instruite d'une partie
+ des détails contenus dans ces dépêches, j'ai cru ne pas devoir les
+ lui laisser ignorer et j'y joins un état des forces de l'Autriche.
+
+ Les régiments westphaliens, dont j'ai annoncé le départ à Votre
+ Majesté, sont arrivés à Mayence. Il y a eu quelques déserteurs parce
+ qu'on leur a fait croire sur la route qu'ils allaient être désarmés
+ à Mayence et envoyés dans les Îles. Je vais les remplacer sur le
+ champ et porter cette division à 8000 hommes[114].
+
+ [Note 114: Cette division était dirigée sur l'Espagne où elle
+ périt presque tout entière. Le général Morio, qui la
+ commandait, ne reconquit pas la faveur impériale, car on
+ assure que ce malheureux officier s'étant présenté aux
+ Tuileries, à son retour de la Péninsule, Napoléon lui dit
+ brusquement: «Qui êtes-vous?--Le général Morio.--Vous
+ général? Dans mon armée vous ne seriez pas caporal.»]
+
+ J'ai donné le commandement de cette division au général Morio que je
+ veux mettre à même de prouver à Votre Majesté ses véritables
+ sentiments.
+
+ Sous ses ordres seront les généraux de brigade Weber et Boerner et
+ le chef d'état-major Hersberg.
+
+ Je viens d'ajouter une seconde compagnie d'artillerie.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 19 mars 1809.
+
+ Sire, quoique bien persuadé que Votre Majesté soit instruite de tous
+ les projets de l'ennemi, je ne crois pas devoir me taire sur le
+ rapport qui vient de m'être fait par des officiers de ma maison,
+ ayant, pour leurs affaires personnelles, des relations étroites en
+ Hanovre.
+
+ D'après ce rapport «il paraît que les Anglais ont formé le projet de
+ débarquer 30 à 40 mille hommes sur les côtes de Hanovre pour
+ attaquer ce pays et pénétrer en Hollande.»
+
+ J'annonce avec satisfaction à Votre Majesté que la levée de la
+ conscription se fait avec le plus grand zèle dans la majeure partie
+ de la Westphalie et principalement dans les départements de l'Elbe
+ et de l'Ocker dont l'esprit est excellent.
+
+ Quant au pays de l'ancienne Hesse, il est décidément mauvais et je
+ désirerais bien que Votre Majesté m'autorisât à répartir dans cette
+ partie de mon royaume un des régiments français qui sont à
+ Magdebourg, afin de dissiper les esprits remuants et de contenir les
+ malveillants.
+
+ Si Votre Majesté consent à cette demande, j'enverrai en remplacement
+ à Magdebourg un régiment westphalien de même force.
+
+ Je prie Votre Majesté de me répondre sur cet objet.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, le 24 février 1809.
+
+ M. le comte de _Furstenstein_ m'a fait part des nouvelles qu'il a
+ reçues de Vienne et qui ont déterminé le Roi à envoyer hier un
+ courrier à Sa Majesté l'Empereur. Il m'a parlé aussi d'une lettre de
+ M. _Hesstinger_ à Darmstadt, qui, ayant à écrire à M. _Pothau_,
+ l'informe en confidence du mécontentement général qui, d'après les
+ renseignements parvenus à M. _Hesstinger_ et qu'il dit avoir fait
+ connaître à Votre Excellence, régnerait en Westphalie et qui selon
+ lui pourrait amener une explosion générale. M. de _Furstenstein_ m'a
+ dit qu'il n'attachait pas une grande importance à cet avertissement;
+ que la police était parfaitement faite en Westphalie; que le peuple
+ était bon; que les nobles étaient fidèles; que le Roi était aimé et
+ qu'il était d'ailleurs exactement informé de tout ce qui se passait
+ dans son royaume. Quoique je partage à plusieurs égards cette
+ opinion de M. de _Furstenstein_, je me réserve cependant,
+ Monseigneur, de revenir sur cet objet sous le double rapport des
+ faits et des réflexions qui s'y rapportent.
+
+
+On voit que M. Reinhard, moins optimiste que M. de Furstenstein,
+était aussi plus clairvoyant. On touchait aux aventures de Schill,
+du duc de Brunswick et à la guerre avec l'Autriche.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, ce 28 février 1809.
+
+ J'ai annoncé à Votre Excellence que j'aurais quelques détails à
+ ajouter au compte que j'ai rendu dans ma lettre nº 17 de l'audience
+ particulière que j'ai eue de Sa Majesté westphalienne. M. le comte
+ _de Furstenstein_ était venu me dire que je n'aurais qu'à m'adresser
+ au chambellan de service et que le Roi me recevrait immédiatement.
+ Je suppose, ajouta-t-il, que vous avez quelque chose de particulier
+ à dire à Sa Majesté. «Non, dis-je, il ne s'agit que de communiquer
+ les vues de l'Empereur concernant l'organisation du contingent
+ westphalien: je suis un ignorant qui ira prendre une leçon chez un
+ maître consommé dans l'art militaire.» Sur cela M. _de Furstenstein_
+ m'apprit que le Roi avait mal dormi.--C'est qu'on veille un peu tard
+ (il y avait eu deux nuits de bal pour l'anniversaire de la
+ Reine).--Oui, dit M. _de Furstenstein_, le Roi travaille souvent
+ fort avant dans la nuit.
+
+ Lorsque j'arrivai, M. le comte _de Furstenstein_ était avec le Roi.
+ Je fus introduit dès qu'il fut sorti. Ce n'est, dit le Roi, qu'une
+ circulaire, qu'une note diplomatique. Quand je l'eus informé que le
+ même courrier m'avait apporté l'ordre de proposer aux princes de
+ Waldeck et de la Lippe quelques changements relatifs à
+ l'organisation de leur contingent, le Roi me cita l'exemple de
+ quelques soldats westphaliens enrôlés dans le pays de Schauenbourg.
+ «J'ai fait dire au prince, ajouta-t-il, que s'il ne les rendait pas,
+ j'enverrais des gendarmes pour les faire chercher et que je pourrais
+ bien le faire venir lui-même. (Le prince vint en effet à Cassel pour
+ s'excuser.) Ces petits princes m'ont proposé de m'envoyer des
+ ministres, je n'en ai pas voulu.»
+
+ Par une transition un peu brusque le Roi me parla ensuite des
+ comptes de M. _Jollivet_, où se trouve porté jusqu'à l'herbe qui
+ croît sur la place Frédéric et sous les croisées du château sur les
+ bords de la Fulde.
+
+ Il paraît que cet article et plusieurs autres que Sa Majesté me cita
+ avec une irascibilité qui m'a paru légitime, s'étaient trouvés
+ compris dans la moitié des domaines réservée à Sa Majesté l'Empereur
+ et qu'ils avaient été évalués à une certaine somme dont M.
+ _Jollivet_, par une raison de devoir aussi très légitime, demandait
+ le remboursement. «J'aurais pu envoyer ces beaux comptes à
+ l'Empereur; mais je n'ai pas voulu faire tort à M. _Jollivet_ dans
+ l'esprit de mon frère: Cependant, je sais que M. _Jollivet_ est mon
+ espion. À quoi bon écrire à Paris que j'ai donné un diamant, que
+ j'ai couché avec une belle? Un ministre ne doit point s'occuper de
+ ces bagatelles; il doit mander que le Roi se porte bien, que la
+ Westphalie marche dans le système de la France, et voilà tout. Que
+ résulte-t-il de cet espionnage? Cela peut donner un instant
+ d'humeur; des frères peuvent se brouiller un instant et peut-être
+ cela m'est-il déjà arrivé; mais ils se réconcilient. J'aime et je
+ respecte l'Empereur comme mon père; l'Empereur dans un moment de
+ vivacité peut me faire quelques reproches, mais ensuite on
+ s'explique et l'on sait mauvais gré à celui qui a été la cause de la
+ brouillerie.--Votre Majesté, dis-je, a daigné me dire qu'elle était
+ contente de moi; j'ose me flatter qu'elle l'est encore et je la
+ supplie surtout de croire que ma conduite tendra constamment à
+ entretenir les sentiments d'amour qui lient les deux augustes
+ frères.--Oui, dit le Roi, et puis revenant aux comptes de M.
+ _Jollivet_, et puis l'apostrophant et évitant avec une adresse
+ admirable de me donner le droit de m'expliquer ce vous qui semblait
+ cependant me regarder aussi: si vous mandez jusqu'à ce qui se passe
+ dans ma cuisine, je vous traiterai comme le ministre de Bavière,
+ comme le ministre de Wurtemberg, et non comme ministre de famille;
+ je ne vous admettrai chez moi que dans les occasions de cérémonie
+ (le Roi, me demandai-je, aurait-il lu mon dernier bulletin? Il était
+ parti par cette voie peu sûre d'Hanovre); d'ailleurs M. _Jollivet_
+ n'a jamais été accrédité près de moi; je pourrais le regarder comme
+ étranger; je pourrais même, s'il voulait me tracasser, le prier de
+ partir; cependant c'est un honnête homme, c'est un brave homme, mais
+ il se noie dans les détails. Si vous étiez chez le roi de Bavière,
+ chez le roi de Wurtemberg (toujours M. _Jollivet ou moi_?) alors, à
+ la bonne heure, il faudrait tout observer, tout écrire; mais tout ce
+ que mon frère voudra savoir je le lui écrirai moi-même, et pour être
+ bien avec l'Empereur il faudra être bien avec moi.» Je saisis ces
+ dernières paroles: «Sire, Votre Majesté me fait la leçon; elle
+ prêche un converti, et je la prie d'être convaincue que ce que je
+ désire ardemment, c'est d'obtenir et de mériter sa confiance.» Cette
+ conversation, Monseigneur, qui dura près d'une demi-heure et dans
+ laquelle je me sais gré de m'être restreint à ce peu de mots que
+ l'abondance et peut-être une intention préméditée du Roi me
+ permirent de placer, m'a paru devoir être rapportée parce qu'elle
+ peint et le caractère du Roi et ma situation. J'ai eu pendant un
+ instant le projet de dire à M. de _Furtenstein_ qu'il n'avait qu'à
+ consulter Wicquefort ou Burlamaqui, pour se convaincre que l'idée
+ que le Roi se faisait des devoirs d'un ministre était un peu trop
+ étroite, mais j'ai réfléchi que la sagacité de Sa Majesté s'était
+ prémunie contre toute objection. C'est parce qu'il est frère de
+ l'Empereur que le Roi trouve qu'il est inutile qu'on écrive ce que
+ sa confiance le porterait au besoin à écrire lui-même. C'est parce
+ qu'il est frère de l'Empereur que Sa Majesté impériale veut être
+ informée de tout; et dans cette différence d'opinion mon devoir est
+ tracé, il consiste à obéir à mon souverain.
+
+ Cependant, depuis cette audience, j'ai pris occasion de demander à
+ plusieurs personnes qui m'ont parlé de l'état des finances, et même
+ à M. _Bercagny_, si personne n'avait proposé au Roi de mettre la
+ véritable situation de ses affaires sous les yeux de Sa Majesté
+ impériale? Qu'il me semblait que c'était là le seul moyen de sortir
+ d'embarras et d'éviter de grands inconvénients; enfin qu'instruire
+ l'Empereur était rendre le plus grand service au Roi. M. _Bercagny_
+ m'a répondu qu'il croyait qu'un enchaînement malheureux de
+ circonstances avait empêché que cela ne se fût jamais fait d'une
+ manière détaillée et lumineuse; que M. _Beugnot_, l'homme le plus
+ propre à faire un pareil exposé, s'en étant chargé et étant tombé
+ malade, avait trouvé Sa Majesté impériale partie pour Bayonne; que
+ depuis le Roi n'avait envoyé à Paris que des aides-de-camp et qu'en
+ général il était difficile de trouver ici un homme capable de
+ répondre, sous ce rapport, à l'attente de l'Empereur.
+
+ Le lendemain de mon audience, M. de _Bulow_, ministre des finances,
+ me dit: Votre visite d'hier va nous coûter encore quelques
+ millions.--Je répondis qu'il n'y avait dans les intentions de Sa
+ Majesté impériale rien qui dût amener ce résultat.--Mais le Roi l'a
+ dit.--Au contraire, dans ce que le Roi a dit vous pourriez y trouver
+ une épargne; car si le contingent doit toujours être de 25,000
+ hommes et qu'il soit question de former deux divisions
+ westphaliennes; le Roi se proposant de demander, dans la même
+ proportion, une diminution des troupes françaises à votre solde, y
+ gagnerait tout ce que, selon lui, un pareil nombre de troupes
+ westphaliennes coûte de moins.
+
+ C'est depuis quelques jours, Monseigneur, que les doléances sur
+ l'état des finances westphaliennes me parviennent de toutes parts.
+ Tous les ministres et un grand nombre de conseillers d'État m'en ont
+ parlé, à l'exception de M. _de Furstenstein_ qui s'en tient à la
+ politique et qui, du reste, voit tout en couleur de rose. C'est que
+ peu à peu les états de recette et de dépense de l'année passée se
+ complètent, que le bilan se fait et que l'abîme est devant les yeux.
+ Il peut s'être glissé dans les renseignements que j'ai déjà transmis
+ à Votre Excellence, des inexactitudes de détail; mais les résultats
+ sont certains. Pour l'année courante, le ministre des finances
+ espère 38 millions; il en promet 36. Sur cette somme, il faudra pour
+ les troupes westphaliennes 13 à 14 millions que le ministre de la
+ guerre espère de réduire à onze ou à douze; pour les troupes
+ françaises huit millions. Or les autres dépenses sont évaluées par
+ le budget:
+
+ Dette publique, intérêts, 3,700,000 fr.}
+ } 4,500,000 fr.
+ Amortisation, 800,000 }
+
+ Liste civile, 5,000,000
+
+ Conseil d'État, 322,000
+
+ Ministère de la justice et de l'intérieur, 5,000,000
+
+ -- des finances, du commerce et du trésor, 8,463,000
+
+ -- du secrétaire d'État et des rel. ext., 1,090,000
+
+ -- de la guerre, 20,000,000
+ ---------------
+ Total, 44,375,000 fr.
+
+ On porte à un million la dette flottante de la liste civile. Si
+ celle-ci doit encore puiser dans le trésor public, voilà le tonneau
+ des Danaïdes; et comment dès cette seconde année les économies du
+ Roi peuvent-elles faire rentrer la dépense dans les limites qui ont
+ été si fortement excédées?
+
+ Les sujets de la Westphalie payent 19 à 20 francs par tête. De tout
+ temps cette proportion était en Allemagne; en temps de guerre, sans
+ commerce et sans la possibilité d'établir un système productif et
+ bien combiné d'impositions indirectes, elle pourra difficilement se
+ maintenir, au moins il sera impossible de la dépasser. Et que
+ pourra-t-on attendre de la ressource des emprunts?
+
+ Dans ma dépêche nº 16 j'ai informé Votre Excellence qu'on comptait
+ beaucoup sur le débit des sels westphaliens en Hollande. Depuis
+ quelques jours MM. _Vanhal_ et _Grellet_, négociants d'Amsterdam,
+ sont arrivés ici. Il s'agit, autant que je puis en juger dans ce
+ moment, d'une espèce de traité de commerce, en vertu duquel ces
+ maisons feraient des avances en argent qui leur seraient remboursées
+ par des sels, des cuivres, des fers et d'autres minéraux qu'ils
+ auraient la faculté d'extraire de la Westphalie. L'avance dont on
+ parle est de 6 millions. Le ministre de Hollande a présenté ces
+ négociants à M. le comte de _Furstenstein_; hier ils ont eu avec le
+ ministre des finances une conférence où leurs propositions ont été
+ acceptées; aujourd'hui le tout sera soumis à l'approbation de Sa
+ Majesté. Ils se sont présentés chez moi pour me demander des lettres
+ de recommandation pour les agents français à Brême par où
+ l'exportation doit se faire en suivant le Weser. Je leur ai promis
+ ces lettres; mais je les ai prévenus que mon devoir serait de rendre
+ compte de cette transaction à mon gouvernement. Ils m'ont dit que M.
+ _de Furstenstein_ se proposait de m'en parler.
+
+ M. le baron de Linden, ministre plénipotentiaire de Westphalie près
+ le prince-primat, vient d'être nommé ministre plénipotentiaire à
+ Berlin. M. _Siméon_ fils, qui depuis trois mois y était arrivé comme
+ chargé d'affaires, a été nommé ministre plénipotentiaire à Darmstadt
+ et chargé d'affaires à Francfort. Le Roi a fait cette distinction
+ parce qu'il est survenu que le prince-primat n'avait point encore
+ accrédité de ministre auprès de la cour de Westphalie. M. _de
+ Norvins_, secrétaire général du ministère de la guerre, a été nommé
+ chargé d'affaires près la cour de Bade. On dit que M. _d'Esterno_
+ par ordre du Roi a dû retourner à Vienne. Lorsque M. _de
+ Furstenstein_ me parla du retard de l'arrivée du comte de Grüne, je
+ lui demandai si ce retard avait influé sur la permission donnée à M.
+ _d'Esterno_ de s'absenter de son poste? Il me répondit que non. M.
+ _de Linden_, de son côté, est sur le point de quitter Vienne. Ses
+ dernières lettres annoncent que les troupes autrichiennes se mettent
+ en mouvement, que la guerre est résolue à Vienne, que l'archiduc
+ _Charles_ commandera en Allemagne une armée qu'on dit être de
+ 120,000 hommes et qui pourra être de 130,000; que l'archiduc _Jean_
+ commandera 100,000 hommes du côté de l'Italie; l'archiduc
+ _Ferdinand_ l'armée de Bohême.--C'est ainsi que la destinée poursuit
+ sa marche et que les décrets de la providence s'exécutent, lorsque
+ l'heure de la chute des empires a sonné!
+
+
+La guerre avec l'Autriche devenant de jour en jour plus probable,
+l'empereur voulut avoir des notions certaines sur le contingent
+westphalien, et fit envoyer l'ordre au baron Reinhard de lui faire
+connaître exactement l'état des troupes de Jérôme. Vers le
+commencement de mars, le ministre adressa, sur ce sujet, à M. de
+Champagny, une très longue lettre que nous allons analyser.
+
+M. Reinhard s'étant adressé, pour avoir des renseignements exacts,
+à M. de Norvins, alors secrétaire-général au département de la
+guerre, et le général Eblé, ministre, ayant refusé de communiquer
+les états de situation, M. de Norvins avait tiré de sa mémoire les
+chiffres et les notions d'où il résultait: que l'armée westphalienne
+était forte de 12 à 13 mille hommes dont 500 officiers, présents
+sous les drapeaux, que sur ce nombre 7000 étaient en marche et en
+Espagne, et 2500 à Cassel; que le matériel d'artillerie, fort
+pauvre, consistait en dix-huit bouches à feu données par l'empereur;
+que le général Morio venait d'acheter vingt-deux caissons et leurs
+attelages, que les généraux étaient pour la plupart vieux, usés,
+incapables, etc. La lettre de Reinhard se terminait ainsi:
+
+
+ Le général _Eblé_, Monseigneur, est venu m'entretenir de ses
+ chagrins et de ses sollicitudes. Il craint, malgré toute la
+ persévérance de son travail, de n'être pas en état de mettre de
+ l'ordre dans l'administration et dans l'organisation de l'armée
+ westphalienne et de remplir l'attente de S. M. I. Le Roi, dit-il,
+ n'est pas toujours disposé à s'occuper des détails. Beaucoup
+ d'heures se perdent à attendre dans l'antichambre. On est distrait
+ et l'on ne donne pas assez d'attention à ce qui n'amuse pas assez.
+ Souvent même une chose a été convenue et le lendemain c'est à
+ recommencer, parce que M. le comte de Bernterode (Du Coudras)
+ peut-être s'y est opposé. Au conseil d'État (et ceci ce n'est pas le
+ général Eblé qui me l'a dit) le ministre de la guerre, qui n'est pas
+ orateur, fait sa proposition. Un orateur, par exemple le général
+ Morio, parle contre avec éloquence. Le général Eblé hausse les
+ épaules et se tait. Souvent l'éloquence l'emporte. Souvent aussi le
+ roi dit: Morio, vous n'y êtes pas!--Mais voici ce que le général
+ Eblé m'a raconté, et ce qui lui a fait de la peine.
+
+ Au dernier conseil, le comte de Hardenberg, grand-veneur, dit, au
+ sujet d'une certaine affaire: Je m'arrangerai là-dessus avec le
+ ministre de la guerre--Ce n'est pas cela, dit le roi en plein
+ conseil, vous êtes grand-officier et c'est au ministre de la guerre
+ à s'arranger avec vous. Il semble que si cette maxime est bonne, il
+ faudrait au moins pour la proclamer attendre que le temps et l'usage
+ l'eussent consacrée?
+
+ M. _d'Albignac_, grand-écuyer, en déplorant comme le général Eblé
+ les désordres des finances, l'impossibilité de continuer les
+ dépenses de la cour sur le pied où elles sont, est réduit à la
+ nécessité de se renfermer dans un respectueux silence après s'être
+ fait dire souvent: «Ce ne sont point là vos fonctions.» Il m'a
+ exprimé le désir ardent de voir le Roi appelé à l'armée. Il ne voit
+ que ce seul moyen d'espérance et presque de salut. Au retour
+ d'Erfurt, m'a-t-il dit, le Roi était un tout autre homme. Ses
+ conversations avec l'Empereur l'avaient changé, mais huit jours
+ après, les femmes, la Reine, les intrigants l'avaient de nouveau
+ circonvenu.--Et comment fait, lui demandai-je, le trésorier-général
+ M. Du Chambon qui paraît être un très honnête homme?--Il se désole
+ et puis il s'étourdit, dit-il.
+
+ Il est de mon devoir, Monseigneur, non d'accuser M. _de Bulow_,
+ ministre des finances, mais de dire que beaucoup de personnes
+ l'accusent. Aux yeux de M. _Jollivet_, c'est un ennemi des Français,
+ qui n'est jamais de bonne foi. Aux yeux de M. _d'Albignac_, c'est un
+ Prussien qui nous trahit et qui dans cette vue augmente le désordre
+ et favorise les dépenses. Aux yeux du Roi lui-même, m'a-t-on dit,
+ c'est un homme qui ment avec un sang-froid imperturbable.
+
+ Le général _Eblé_ aussi m'a dit que sa conduite commençait à lui
+ inspirer des doutes; qu'ils étaient convenus de faire en commun au
+ Roi des représentations sur l'état des finances et sur
+ l'impossibilité de faire ou de continuer certaines dépenses; mais
+ qu'au moment décisif M. _de Bulow_ avait fléchi et qu'il avait fini
+ par dire qu'il y avait moyen de trouver de l'argent. M. _de Bulow_
+ est celui des ministres que je connais le moins, et qui, quoique je
+ ne laisse pas de causer souvent avec lui, se tient assez en réserve
+ avec moi.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 10 mars 1809.
+
+ J'étais déjà informé que le Roi ne touchait point son traitement de
+ prince français; mais je n'ai point rectifié cette erreur, parce
+ qu'elle se rectifiait d'elle-même: quant à la dépense de la liste
+ civile que j'ai portée à 13 millions en treize mois, je l'ai évaluée
+ ainsi sur l'autorité de deux ministres d'État. D'autres
+ renseignements, comme j'ai eu l'honneur de l'écrire à Votre
+ Excellence, la restreignaient à dix ou douze millions. J'ai ensuite,
+ dans une autre dépêche, porté le déficit du trésor public pendant
+ l'année passée à douze millions. Le déficit est entre le trésor
+ public et la liste civile, et celui du trésor public, proprement
+ dit, n'est que de six millions.
+
+ Que le Roi soit parvenu à porter la recette de sa liste civile, au
+ moins pour l'année passée, à sept millions et demi, jusqu'à huit
+ millions, c'est ce qui m'a été assuré de trop de côtés, pour que je
+ puisse légitimement en douter. On m'a cité comme non compris dans
+ l'arriéré des six millions du trésor public:
+
+ 1º Obligations souscrites par le Roi et remises à
+ la caisse d'amortissement de Paris, 1,500,000 fr.
+
+ 2º Restitutions et charges concernant les domaines
+ réservés à Sa Majesté l'Empereur, 1,500,000
+
+ 3º Emprunts du Roi, 2,000,000
+
+ 4º Dette flottante de la liste civile d'après l'autorité
+ d'un ministre d'État (le général Eblé) (un million);
+ d'après d'autres renseignements, 500,000
+ -----------
+ 5,500,000
+
+ En y ajoutant la liste civile et supplément, 7,500,000
+ -----------
+ Le total sera de 13,000,000 fr.
+
+ D'après le même calcul le total du déficit du trésor public et de la
+ liste civile sera de 11,500,000 fr. à 12 millions.
+
+ Il se peut que dans cette évaluation même il y ait encore quelque
+ double emploi, et que, par exemple, une partie de l'emprunt ait été
+ employée à éteindre des obligations, et je suis d'autant plus porté
+ à croire que ma première évaluation a été exagérée, que le Roi,
+ ayant la réputation d'être vrai, aurait certainement dédaigné de
+ nier ce qui aurait été d'une parfaite exactitude.
+
+ J'étais, je l'avouerai, un peu effrayé, lorsqu'après avoir évalué,
+ en vertu d'informations qui dataient de la fin de décembre et du
+ commencement de janvier, à deux millions seulement l'excédant des
+ dépenses de la liste civile, j'appris de plusieurs côtés qu'elles
+ avaient monté en totalité à une somme de 13 millions. Mon devoir me
+ pressa d'en informer Sa Majesté, et en ce moment-ci je préfère de
+ répondre promptement à la lettre de Votre Excellence déjà trop
+ retardée, par des éclaircissements encore incomplets, plutôt que
+ d'attendre ceux que des recherches ultérieures pourraient me
+ fournir, et que je me réserve de transmettre. L'administration
+ directe des finances de la Westphalie est entre les mains des
+ Allemands qui, par plus d'un motif que je dois ou respecter ou
+ excuser, se tiennent vis-à-vis de moi dans une réserve qui ne m'a
+ pas encore permis de chercher à puiser abondamment dans les sources
+ d'informations dont ils sont dépositaires, et je ne dois pas
+ brusquer une confiance qui ne m'est pas refusée, mais qui n'ose pas
+ passer les bornes du devoir ou de la circonspection. D'un autre
+ côté, tant que je conserverai l'espérance d'obtenir mes
+ renseignements de la persuasion qui devrait être celle de tout
+ Westphalien, que c'est l'identité d'intérêt, que c'est l'amitié pour
+ le souverain et pour le pays qu'il gouverne, qui les réclament pour
+ en faire le meilleur usage, je répugnerai à employer des moyens dont
+ le moindre inconvénient est d'offrir peu de garantie pour
+ l'exactitude.
+
+ Je n'ose pas non plus me flatter, Monseigneur, que le Roi me
+ fournisse des occasions fréquentes de lui donner des conseils
+ d'économie; à l'exception d'une seule occasion dont je me suis
+ emparé, je n'ai encore eu l'honneur de voir Sa Majesté que dans les
+ cercles de cour, et Votre Excellence aura pu se convaincre par la
+ conversation dont je lui ai rendu compte et dont sa dépêche vient de
+ me donner la clef, que dans l'opinion de Sa Majesté, des
+ communications de cette nature avec le ministre de France
+ sembleraient déroger à une intimité à laquelle le Roi attache un
+ prix si légitime. Peut-être votre correspondance ultérieure,
+ Monseigneur, m'ouvrira-t-elle quelques facilités à cet égard,
+ peut-être pourrai-je saisir quelque circonstance où faisant
+ connaître au Roi les sentiments de mon âme, je le disposerai à
+ m'accorder une confiance que je m'étais préparé d'avance à ne point
+ espérer après un séjour de deux ou trois mois seulement. Quelque
+ délicate que puisse être ma mission, je n'y vois point de devoirs
+ incompatibles, mais seulement des devoirs de première et de seconde
+ ligne: ils sont tous dans ce que Sa Majesté, avec une bonté qui m'a
+ pénétré d'admiration, a daigné me faire répondre au sujet du
+ compliment que m'a fait Sa Majesté westphalienne.
+
+ L'économie personnelle du roi, insuffisante sans doute pour remédier
+ à la pénurie des finances de l'État, aurait cependant sur leur
+ amélioration une influence incalculable, et cette vérité est
+ tellement sentie, qu'il y a peu de jours, un des plus estimables
+ conseillers d'État m'a dit que si, en doublant la liste civile, on
+ pouvait établir la certitude d'un ordre parfait et invariable, et
+ celle d'intéresser le roi aux finances de l'État autant qu'aux
+ siennes propres, on ferait le marché le plus avantageux pour la
+ Westphalie.
+
+ Les discussions relatives à la négociation de l'emprunt ou du traité
+ hollandais ne sont pas encore terminées. Avant-hier, en allant chez
+ M. le comte de Furstenstein, je rencontrai l'un des négociants qui
+ avait rendez-vous chez ce ministre pour la même heure: il me dit que
+ la négociation avait rencontré quelques difficultés, qu'elle faisait
+ jaser, qu'on prétendait que les intérêts monteraient à onze ou douze
+ pour cent (d'autres disent treize), tandis qu'ils ne seraient que de
+ six. Les deux manières de compter au reste peuvent se concilier.
+ L'emprunt, m'a-t-on dit, doit se faire réellement à 6 pour cent
+ d'intérêts; mais les prêteurs auront en même temps, pour le compte
+ du gouvernement, la régie de l'extraction et de la vente des sels et
+ métaux dont ils seront nantis, et sous ce rapport, il leur sera
+ alloué des provisions et des frais. Quoi qu'il en soit, Monseigneur,
+ le besoin d'argent pour le trésor de Westphalie est impérieux et
+ urgent. Les difficultés qui se sont élevées semblent prouver qu'on
+ ne veut pas y procéder légèrement. Le crédit de la Westphalie, le
+ commerce de Hollande y sont intéressés; les deux rois en désirent le
+ succès; quant à moi j'attends toujours qu'on m'en parle. L'emprunt
+ sera de six millions de francs.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 10 mars 1809.
+
+ Depuis les fêtes de l'anniversaire de la reine, il n'y a point eu de
+ cercle à la cour. Au second bal, Sa Majesté en valsant avec le roi
+ se trouva mal. Elle eut une suffocation qui cependant passa
+ heureusement et ne laissa point de suite. Dans la semaine passée, la
+ reine pendant quelques jours se tint enfermée dans ses appartements.
+ Le roi a souffert et souffre encore d'un rhumatisme auquel il était
+ déjà sujet l'année passée: un peu de fièvre s'y joint vers la nuit.
+ Il y a eu quelques concerts dans l'intérieur.
+
+ M. le comte de _Bernterode_ (général du Coudras) donna quelques
+ jours un bal pour la fête de Mme la comtesse: on tira un feu
+ d'artifice dans la cour; la maison étant située au milieu de la
+ ville, le roi, pour maintenir les règlements de police, condamna M.
+ de _Bernterode_ à une amende de 25 frédérics, et M. _Bercagny_ fut
+ condamné à la même amende pour avoir été témoin de l'infraction, et
+ ne s'y être pas opposé. Mme de Bernterode ce jour-là reçut de la
+ Reine un beau présent consistant en colliers et en pendants
+ d'oreille de perles et d'améthystes.
+
+ Le Moniteur westphalien d'hier annonce que M. le comte de
+ _Truchsess_ étant obligé de résider sur ses terres, près de
+ Koenigsberg, Sa Majesté avait accepté la démission qu'il avait
+ donnée de sa place de grand-chambellan. Il y avait encore des
+ personnes qui croyaient aux revenants. Toutes les personnes de la
+ cour se louent de l'affabilité de la reine, depuis que Mme de
+ _Truchsess_ est partie. On s'étonne comment avec tant d'esprit cette
+ dame a pu trouver le secret de ne point laisser un seul ami.
+
+ M. le comte et Mme la comtesse de _Boehlen_, tous deux attachés à la
+ cour, vont la quitter pour résider dans leurs terres. M. de
+ _Boehlen_ avait la direction de la garde-robe que le valet de
+ chambre, Louis, chassé il y a quelque temps, avait exploitée à son
+ profit. M. de _Boehlen_ était absent depuis deux mois.
+
+ Hier, dit-on, les officiers de la garde ont été convoqués pour être
+ avertis de se tenir prêts à entrer en campagne. On en infère que le
+ roi lui-même se dispose à partir pour l'armée.
+
+ Un événement extraordinaire arriva dernièrement à Brunswick. Le
+ valet de chambre du général de Helleringen, commandant du
+ département de l'Ocker, entre en plein jour dans l'appartement de
+ son maître assis devant une table de manière à lui tourner le dos;
+ il s'en approche, passe une corde autour du cou du général et
+ cherche à l'étrangler. Le général se lève, lutte avec l'assassin et
+ se débarrasse de la corde. Celui-ci sort, rentre et tire à bout
+ portant un coup de pistolet dont le général est blessé. Dans
+ l'intervalle on accourt et l'assassin est saisi. Il est en prison et
+ l'on ne conçoit pas encore la cause de cet attentat.
+
+ M. le baron de _Keudelstein_ (_La Flèche_) est en ce moment à
+ Brunswick pour se concerter avec les autorités de cette ville, sur
+ les réparations à faire au château que le roi a promis d'habiter
+ pendant quatre mois de l'année.
+
+ Sous le rapport de l'industrie, comme sous plusieurs autres, la
+ ville de Cassel est bien en arrière de celle de Brunswick. On cite
+ des habitants de la première des traits de paresse qui sont
+ incroyables. Les artisans refusent d'augmenter le nombre de leurs
+ ouvriers, du moment où ils ont assez d'ouvrage pour gagner leur
+ subsistance journalière. Il s'agissait de faire faire des galons, il
+ y en avait de différentes largeurs. Ceux à qui on proposa la
+ fourniture la refusèrent en entier, uniquement par la raison que des
+ galons de petite largeur leur donnaient trop de peine, quoique du
+ reste ils eussent les métiers et les instruments nécessaires pour
+ les faire.
+
+ La reine a fait l'acquisition d'une petite maison de campagne sur le
+ chemin de Napoléonshoehe où elle se propose d'établir une vacherie
+ suisse.
+
+ Le second jour de la fête il y eut à Napoléonshoehe un petit opéra
+ intitulé le _Retour d'Aline_, où joua M. le comte de Furstenstein.
+ Le feu d'artifice fut contrarié par la neige et par quelques
+ accidents.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 16 mars 1809.
+
+ Impatient d'éclaircir la question si embrouillée de l'état des
+ finances westphaliennes, je me suis prévalu du nouveau titre que les
+ intentions de Sa Majesté l'empereur me donnaient auprès de M.
+ _Siméon_. Je lui ai fait part des informations que j'avais
+ recueillies à ce sujet, et je lui ai demandé les siennes. Voici la
+ réponse de M. _Siméon_: il y a eu pour l'année passée excédant et
+ déficit à la fois. Le budget, rédigé encore sous M. _Beugnot_, avait
+ évalué les recettes à 23 millions. Les dépenses des ministères
+ avaient été réglées en conséquence: elles devaient être, par
+ exemple, de 5 millions pour le ministère de l'intérieur et de la
+ justice. Mais M. _Bulow_ trouva que l'évaluation avait été trop
+ forte et qu'il fallait la réduire à 18 millions. Chaque ministère
+ subit en conséquence une réduction proportionnelle. Celui de
+ l'intérieur et de la justice ne devait recevoir que 3 millions 1/2;
+ cependant comme au bout de l'année les recettes se trouvèrent avoir
+ monté à 22 millions, il y eut un excédant de 4 millions. Mais
+ l'administration peu économique du général Morio et l'excédant des
+ dépenses que causait l'entretien des troupes françaises, avaient
+ produit dans le département de la guerre un déficit qui absorba non
+ seulement l'excédant de 4 millions, mais bien au-delà. La
+ liquidation des dépenses de ce département n'étant pas encore
+ achevée, on ne peut connaître le montant précis du déficit.
+
+ Ayant dit à M. _Siméon_ que la source des renseignements qui
+ portaient le déficit des finances de l'État à 6 ou même à 12
+ millions remontait au conseiller _Malchus_, directeur de la caisse
+ d'amortissement, il m'a répondu que M. _Malchus_ était l'ennemi
+ déclaré de M. de _Bulow_, et qu'on avait tort d'ajouter une foi
+ entière à ce qu'il disait au désavantage de son antagoniste.
+
+ Quant à M. de _Bulow_ lui-même, M. _Siméon_ m'en a dit beaucoup de
+ bien, il a ajouté que quand il y aurait des reproches à lui faire,
+ il serait absolument impossible de le remplacer dans le moment
+ actuel; mais il m'a confirmé ce qui m'avait déjà été rapporté des
+ préventions qui ont été inspirées au roi contre la véracité et même
+ contre la probité de ce ministre.
+
+ M. _Lefebvre_[115] et moi ayant cherché des occasions d'entretenir
+ M. de _Bulow_ directement de la situation des finances, ce ministre
+ s'est fortement récrié contre l'imputation d'un déficit de l'année
+ passée. Il a assuré que tout ce qui concernait cet exercice était
+ parfaitement en règle et assuré; mais il a confirmé en même temps
+ tout ce que j'ai déjà écrit sur le déficit de l'année courante. Il a
+ ajouté que quant aux dépenses de la liste civile, c'était autre
+ chose, et que cela ne le regardait ni pour le passé, ni pour
+ l'avenir. Cependant il a soutenu que le roi n'avait rien pris sur
+ les budgets des dépenses de l'État. Enfin il m'a remis la note
+ ci-jointe sur les finances de 1808. Elle est, dit-il, le résumé du
+ tableau qui sous peu sera mis sous les yeux du public.
+
+ [Note 115: Premier secrétaire remplaçant M. Reinhard en cas
+ d'absence.]
+
+ Votre Excellence a maintenant sous les yeux un tableau officiel et
+ ostensible qui ne coïncide nullement avec les autres renseignements,
+ au moins jusqu'à ce qu'on puisse juger de quoi s'est composée la
+ recette. Je crois, Monseigneur, devoir terminer là mes informations
+ préliminaires, et ne reprendre cette matière que lorsque le temps et
+ les circonstances m'auront permis d'y apporter un plus grand jour.
+ Ma position ne me permet pas d'établir en ce moment une espèce de
+ confrontation qui d'ailleurs ne pourrait donner que des résultats
+ incomplets. Votre Excellence me permettra seulement de lui soumettre
+ les observations suivantes.
+
+ M. de _Bulow_ m'a dit lui-même qu'une rentrée de 12 millions sur
+ l'emprunt forcé de 20 millions s'était trouvée assurée au premier
+ janvier, et qu'il comptait sur la totalité des 20 millions. Tous les
+ autres témoignages ne portent la recette qu'on peut espérer de
+ l'emprunt forcé qu'à 8 ou 9, tout au plus à 10 millions: ainsi dans
+ cette circonstance, au moins, il paraît hors de doute ou que M. de
+ _Bulow_ se serait trop flatté, ou qu'il n'aurait pas dit la vérité.
+ M. _Siméon_, qui d'ailleurs ne paraît s'être occupé des finances que
+ par aperçu, croit à la probabilité d'un déficit de 5 à 6 millions
+ pour l'année passée; M. _Jollivet_ en assure l'existence et le porte
+ à 6.
+
+ Si la recette de 29,700,000 fr. se compose effectivement de revenus
+ réels et imputables à l'année 1808, il est à présumer que la crainte
+ du déficit de l'avenir, causé par les dépenses du département de la
+ guerre, aura fait exagérer le mauvais état des finances, même pour
+ le passé, surtout aux yeux des Allemands; que cette clameur générale
+ qui s'est élevée, se sera égarée dans son objet, et qu'elle aura été
+ en partie artificielle pour décréditer M. de Bulow.
+
+ Quant aux paiements arriérés qui existent réellement dans plusieurs
+ parties et qui, par exemple, dans quelques branches de l'instruction
+ publique, comprennent jusqu'à huit mois, outre que cet arriéré peut
+ avoir des causes locales, M. de _Bulow_ m'a dit qu'il en existait
+ sans doute, puisque les rentrées, quoique assurées, n'étaient pas
+ encore toutes réalisées, mais que positivement ces rentrées feraient
+ face à tout.
+
+ J'ai fait observer à ce ministre que puisque les revenus de l'année
+ avaient si heureusement excédé l'estimation, c'était preuve que la
+ Westphalie avait de grandes ressources, et qu'on pouvait espérer
+ que, son système financier étant actuellement organisé, elle
+ supporterait même une forte augmentation de dépenses.
+
+ M. de _Bulow_ m'a répondu que la constitution avait fait tarir
+ plusieurs sources de revenu; qu'on ne pouvait pas compter dès les
+ premiers moments sur un succès complet des opérations nouvelles; que
+ les provinces les plus riches étaient surchargées de frais
+ d'entretien des gens de guerre, qu'elles s'en ressentaient déjà au
+ point de faire craindre qu'elles ne pourraient bientôt plus payer
+ leurs impositions; et tout-à-coup il s'est rejeté sur le chapitre
+ des dépenses que causaient les troupes françaises. On dit, a-t-il
+ ajouté, que je suis l'ennemi des Français: mais je suis ministre des
+ finances, je dois défendre les intérêts qui me sont confiés, et
+ lorsque je vois, d'un côté, les soldats français logés et nourris
+ chez les habitants, les transports faits par réquisition; lorsque
+ d'un autre je vois accourir ici tant de Français qui cherchent à
+ faire une fortune rapide et accaparer toutes les places et tous les
+ profits, m'est-il permis de rester indifférent?
+
+ Il me reste à dire, Monseigneur, que lorsque j'ai évalué les
+ dépenses de l'année courante à 45 ou 46 millions, les nouveaux
+ régiments qui se lèvent, et les dépenses qu'exige la mise en
+ activité du contingent entier, n'y étaient pas compris, et que le
+ tableau de la totalité des dépenses qui a été mis sous les yeux du
+ roi monte à 52 millions. Vous voyez toujours, Monseigneur, cette
+ alternative: ou bien il n'y a point eu d'arriéré pour l'année
+ passée, mais le déficit de l'année courante sera d'autant plus fort;
+ ou bien il y a eu du déficit l'année passée, et celui de l'année
+ courante sera d'autant moindre; et l'intérêt de ce pays-ci c'est de
+ soutenir que les dépenses de l'armée et de la guerre sont les seules
+ causes de désordre. Quant aux dépenses de la liste civile, rien n'a
+ contredit jusqu'à présent les renseignements que j'ai transmis.
+
+ Dans cette situation des choses, l'opération qui se fait avec la
+ Hollande pourrait être un véritable bienfait. Hier l'approbation de
+ Sa Majesté hollandaise est arrivée, et le traité ne tardera pas à
+ être conclu. Il est vrai que les conditions seront un peu onéreuses.
+ Les voici: intérêts 6 pour cent et en outre un et demi pour cent en
+ loterie; commission 2 pour cent; frais de l'opération, au moins 5
+ pour cent; les frais, disent les prêteurs, seront de première mise:
+ ils n'auront pas besoin d'être renouvelés, quand l'opération
+ durerait pendant vingt ans. L'emprunt actuel sera de 3 millions de
+ florins en actions de 1000 florins pour lesquelles on s'inscrira à
+ la bourse d'Amsterdam. Les Hollandais recevront les denrées au lieu
+ du dépôt; ils se chargeront de leurs transports aux frais de la
+ Westphalie. Sa Majesté le roi de Hollande en permettra l'importation
+ et le débit.
+
+ D'un autre côté, on a calculé que le prix des sels en Hollande était
+ en ce moment quadruple de celui qu'ils ont aux lieux de dépôt en
+ Westphalie, et comme ils font l'objet principal de l'opération
+ entière, on a trouvé que six mille lafts suffiraient à peu près pour
+ couvrir l'emprunt.
+
+ M. le comte de _Furtenstein_, comme je le prévoyais, ne m'a parlé de
+ rien. Cependant les négociants hollandais étant revenus pour me
+ demander des lettres de recommandation pour les agents français à
+ Bremen, j'ai d'autant moins hésité à leur confirmer ma promesse, que
+ Votre Excellence étant instruite depuis 15 jours de cette opération,
+ se trouvera en mesure de faire parvenir ses ordres soit à moi, soit
+ à M. Legau.
+
+ Les négociants hollandais m'ont dit que le succès de cette opération
+ avait éprouvé ici beaucoup de difficultés. On prétend que la
+ jalousie contre M. de _Bulow_ en a été la cause; que les préventions
+ du roi contre ce ministre viennent de M. de _Furstenstein_ et de M.
+ _Bercagny_, et que le projet de placer des Français à la tête des
+ finances et de l'intérieur existe toujours. Sa Majesté I. et R. m'a
+ recommandé de lui faire connaître l'opinion et la situation de M.
+ _Siméon_ et de M. le général _Eblé_. J'ai déjà en partie satisfait à
+ cet ordre, voici ce qu'il me reste à ajouter.
+
+ La situation de M. _Siméon_ s'est beaucoup améliorée: il a regagné
+ du crédit et de l'influence. Son fils, que le roi n'avait pas trop
+ bien traité, a obtenu un poste plus avantageux. Il paraît certain
+ qu'on avait proposé au roi un projet d'après lequel le directeur de
+ la haute police aurait été une espèce de premier ministre, et que le
+ roi l'a rejeté. L'opinion de M. _Siméon_ sur le roi est celle de
+ tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Il rend une justice
+ entière à son coeur et à son esprit: il admire la droiture et la
+ noblesse de l'un, la sagacité et la pénétration de l'autre; il ne
+ dissimule point quelques défauts de caractère ou d'inexpérience. Le
+ roi lui paraît trop impérieux sans être toujours ferme. Les idées
+ qu'il se fait des droits et des devoirs de la royauté lui paraissent
+ encore ou incomplets ou erronés; il craint qu'entouré par trop de
+ médiocrités dans son intérieur, le roi ne se laisse trop aller à des
+ ministres, et qu'il ne lui soit difficile d'acquérir ce coup d'oeil
+ de monarque qui embrasse l'ensemble, et qui sait mettre toutes les
+ choses à leur véritable place. Quant aux finances, M. _Siméon_ pense
+ aussi que la Westphalie ne pourra pas supporter à la longue les
+ charges qui pèsent sur elle en ce moment-ci; sur les dépenses de la
+ liste civile, il s'en rapporte à la voix publique.
+
+ Le général _Eblé_ se plaint de ce que le roi, dans son cabinet, ne
+ donne pas toujours aux détails des affaires la même attention qu'il
+ leur donnerait au conseil d'État. Il trouve de la difficulté à
+ concilier toujours ses devoirs comme ministre de la guerre en
+ Westphalie et comme général français dans des questions concernant
+ les frais d'entretien, ou la conduite des troupes auxiliaires. Il
+ m'a avoué que cette considération avait influé aussi sur la demande
+ qu'il avait faite à M. le comte de _Hunebourg_ d'être employé
+ activement en cas de guerre. Il m'a chargé surtout de faire
+ connaître à Sa Majesté I. et R. sa fidélité de tous les temps et son
+ entier dévouement. Il évalue les dépenses accessoires à faire pour
+ mettre le contingent sur le pied ordonné par Sa Majesté à 3 millions
+ sur lesquels M. de _Bulow_ lui a accordé un acompte de 500,000 fr.
+
+ _P.-S._--Le roi, il y a quelques jours, demanda au général _Eblé_ un
+ état de situation de ses troupes. Le général le lui porta. Il n'est
+ pas exact, dit le roi.--Mais, Sire, il est conforme aux états qui se
+ trouvent dans mes bureaux.--Enfin le roi insista, et le ministre fut
+ obligé d'y faire différents changements dont le résultat était une
+ différence de 7 à 800 hommes au plus.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 17 mars 1809.
+
+ Le roi est sorti hier pendant quelques minutes en voiture. Le temps
+ était pluvieux; il devait aller le soir au spectacle en grande loge.
+ Mais un accès de fièvre assez forte l'a pris. On croit que c'est une
+ suite des douleurs de ses rhumatismes.
+
+ S. M. depuis quelque temps n'avait pas l'air d'une parfaite santé.
+
+ Le Roi, à cause de son indisposition, n'avait pas non plus reçu la
+ cour dimanche dernier. Le même jour, il fit publier dans le palais
+ un ordre par lequel les entrées journalières auprès de Leurs
+ Majestés furent restreintes aux grands officiers et aux personnes de
+ service du jour. Depuis cet ordre, on a vu paraître pour la première
+ fois en fracs, dans les soirées de la ville, les personnes attachées
+ au palais et M. le comte de _Furstenstein_. On assure que Mme de
+ X... jouit en ce moment de la confiance du roi. Elle attend son mari
+ qui sera, dit-on, nommé aide de camp de S. M.
+
+ Depuis quelque temps, Mme de X... paraît rarement dans les sociétés
+ ou les quitte à neuf heures. On _prétend qu'elle ne s'est point
+ encore rendue_. Si elle se fait désirer longtemps, et si la passion
+ du roi est assez forte pour ne point chercher à se distraire
+ ailleurs, elle aura bien mérité de ce jeune prince.
+
+ M. de _Marinville_, secrétaire intime du roi, qu'on dit être employé
+ aussi pour une certaine partie des plaisirs de S. M., est devenu
+ gardien de la cassette du roi, à la place de M. _Duchambon_, dont
+ les représentations quelquefois un peu importunes avaient déplu.
+ Cependant M. _Duchambon_ reste trésorier général de la couronne. M.
+ le comte de _Lerchenfeld_, ministre de Bavière, a fait, il y a
+ quelques jours, pour la troisième fois depuis deux mois, une course
+ qui paraît encore devoir aboutir à Francfort. L'objet de la première
+ était un rendez-vous, moitié d'amour, moitié de politique, avec Mme
+ la _princesse de la Tour et Taxis_. Il en revint malade. Dans la
+ seconde il avait vu le _prince-primat_. Il en revint rempli de
+ fausses nouvelles qu'il débita avec beaucoup d'assurance, même à M.
+ le comte de _Furstenstein_, et qui se trouvèrent démenties trois
+ jours après. On ne sait pas encore ce qu'il rapportera de la
+ troisième. Cependant, comme le gouvernement westphalien ne s'est
+ point formalisé de ces voyages hors du pays où il est accrédité, il
+ y a lieu de croire qu'ils ont été autorisés, et que le roi est au
+ moins en partie dans le secret de ces absences.
+
+ La foire de Cassel a commencé lundi dernier: elle durera quinze
+ jours. Elle est fréquentée par un assez grand nombre de marchands.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 21 mars 1809.
+
+ M. _Bercagny_ m'a parlé longtemps contre M. de _Bulow_ et ne m'a pas
+ caché qu'il avait accusé ce ministre auprès du roi lui-même. Voici
+ les principaux, ou plutôt les seuls griefs que M. _Bercagny_ ait
+ articulés. M. _Beugnot_ était dans l'usage de laisser dans les
+ caisses départementales tous les fonds nécessaires aux dépenses
+ locales. Il entretenait souvent S. M. de la pénurie du trésor et de
+ la nécessité de ménager les ressources de la Westphalie. M. de
+ _Bulow_ n'eut rien de plus pressé que de se faire valoir par
+ l'abondance avec laquelle il savait faire affluer l'argent au
+ trésor; il y fit venir celui réservé par M. _Beugnot_; il en fit
+ l'étalage aux yeux de S. M. En attendant, un grand nombre d'employés
+ dans les départements ne furent pas payés. Les juges de paix, les
+ officiers de police furent laissés dans la misère. Les plaintes
+ arrivèrent aussi de tous côtés; il fallut à grands frais renvoyer
+ l'argent. M. de _Bulow_ a accumulé aussi les recettes communales
+ avec celles du trésor public. Enfin M. de _Bulow_ est un charlatan,
+ un intrigant du grand genre. Le roi s'est moins contenu dans ses
+ dépenses, parce qu'on lui a persuadé que cela était moins
+ nécessaire. M. _Bercagny_ craint que M. de _Bulow_ ne parvienne à se
+ faire renvoyer par une boutade; qu'alors il ne soit regretté et il
+ ne dissimule point que ce n'est que son grand cordon de la légion
+ d'honneur qui le protège. «Mais, dis-je à M. _Bercagny_, M. de
+ _Bulow_ a obtenu un excédant dans les recettes de l'an
+ passé?»--«Excédant, dit M. _Bercagny_ en haussant les épaules...»,
+ mais il n'entra dans aucun détail. Quoi qu'il en soit, Monseigneur,
+ M. _Bulow_ peut avoir été faible; il peut avoir osé se permettre ce
+ qu'un conseiller d'État français pourrait prendre sur lui; il peut
+ avoir succombé à l'envie de plaire et de faire autrement que son
+ prédécesseur; aujourd'hui du moins son langage a changé, et il dit
+ hautement que si les dépenses continuent sur le pied actuel, il ne
+ reste qu'à mettre la clef sous la porte.
+
+ L'affaire de l'emprunt hollandais n'est point encore terminée. On
+ parle sourdement d'un projet de banque territoriale ou plutôt d'une
+ banque à billets hypothéqués sur des immeubles. Je persiste à penser
+ que, même aux conditions onéreuses que j'ai fait connaître,
+ l'opération de l'emprunt est bonne pourvu qu'on n'en abuse pas. Elle
+ serait détestable si, pour obtenir beaucoup d'argent à la fois, elle
+ dépouillait le royaume de ses produits bruts, si l'on encombrait les
+ marchandises de la Hollande et si l'on anticipait ainsi peut-être
+ sur les revenus de plusieurs années.
+
+ Je suis convaincu, Monseigneur, que vous rendrez justice à la
+ sollicitude avec laquelle je m'appesantis sur l'état des finances.
+ C'est le côté faible du pays, et j'ose ajouter du roi. Le pays peut
+ être sauvé d'embarras imminents; il en est temps encore; le roi peut
+ être sauvé d'une situation pénible, d'un découragement qui déjà le
+ gagne et du regret de céder à la nécessité tandis qu'on est digne
+ d'acquérir la gloire d'une résolution libre et généreuse.
+
+ Votre Excellence peut prévoir aussi deux événements dont l'un ou
+ l'autre, ou tous les deux peut-être, peuvent arriver dans l'espace
+ d'un mois: le départ du Roi pour l'armée et un changement important
+ dans les projets. Dans les deux cas, je croirai devoir me prévaloir
+ de l'autorisation qui m'a été donnée de vous en informer,
+ Monseigneur, par un courrier extraordinaire.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 29 mars 1809.
+
+ J'ai reçu la dépêche par laquelle Votre Excellence me charge de
+ donner communication à la cour de Cassel de la disposition que Sa
+ Majesté impériale a faite du grand duché de Berg, en faveur du fils
+ aîné de S. M. le roi de Hollande. Je me suis acquitté de cet ordre,
+ et j'ai adressé une copie de l'acte à M. le comte de _Furstenstein_.
+
+ J'ai demandé au général _Eblé_ dans quelle intention le roi avait
+ ordonné, dans l'état de situation de ses troupes, que le
+ prince-connétable lui avait demandé, les changements dont j'ai parlé
+ dans le post-scriptum de mon nº 24. Ce ministre m'a dit que ce
+ n'était point dans la vue de porter un plus grand nombre d'hommes
+ effectifs que celui qui existait réellement, mais dans celle de
+ montrer que son armée entière était, jusqu'aux moindres détails,
+ organisée sur le modèle français, et en état de marcher.
+
+ Les monnaies, Monseigneur, m'amènent naturellement aux finances,
+ mais ce sera, je l'espère, pour en sortir au moins pour quelque
+ temps. J'ai trouvé l'occasion de prendre connaissance d'une pièce
+ authentique et officielle qui ne laisse aucun doute sur le déficit
+ des finances de l'État. C'est un rapport fait par une commission
+ spéciale du conseil d'État sur les dépenses de l'armée et sur les
+ moyens de les réduire à une proportion convenable avec les revenus.
+ Dans ce rapport, les dépenses de l'armée pour l'année courante sont
+ évaluées comme suit:
+
+ Troupes westphaliennes, 14,250,000 fr.
+
+ Troupes françaises, 7,990,000
+
+ Arriéré du dépar{t} de la guerre pour l'année
+ passée, 6,000,000
+ -----------
+ 28,240,000
+
+ En y ajoutant les autres dépenses de l'État,
+ telles que je les ai déjà fait connaître dans
+ mon nº 19, 24,375,000
+ -----------
+ La dépense totale sera de 52,615,000 fr.
+
+ Dans les dépenses de la guerre ainsi énoncées, se trouvent comprises
+ celles de la conscription nouvelle et de la levée des deux nouveaux
+ régiments.
+
+ À l'égard de l'arriéré de 6,000,000 le rapport s'exprime ainsi:
+ «Quand il serait vrai qu'une partie de ce déficit sera couverte par
+ un excédant dans les recettes, etc.». Mais d'un autre côté le
+ général _Eblé_ estime que l'arriéré ira à 7 millions et au-delà.
+
+ En évaluant en conséquence l'arriéré de l'État entre 5 et 6
+ millions, et l'arriéré de la liste civile, tel que je l'ai énoncé
+ dans mon nº 22, entre 4 et 6 millions, l'arriéré total de l'année
+ passée sera toujours entre 10 et 12 millions, et rien ne m'autorise,
+ jusqu'à présent, à me départir de cette estimation. Or, Monseigneur,
+ les recettes présumées de l'année devant monter au plus à
+ 38,500,000, l'arriéré de l'État pour l'année sera de 14,000,000.
+
+ Je reviens au rapport qui a été soumis à Sa Majesté, mais sur lequel
+ il n'a été et dans les circonstances actuelles il n'a pu être pris
+ aucune détermination. Ce rapport met en principe que, dans la
+ proportion des recettes de l'État, les dépenses de la guerre ne
+ peuvent excéder 13 millions. Il prouve par des faits que, dans le
+ système allemand, l'entretien de 25,000 hommes ne coûterait que 10 à
+ 11; et que dans le système prussien il ne coûterait que 8 millions.
+ Il recherche les causes qui augmentent les dépenses pour l'armée
+ westphalienne, et il indique les moyens de les réduire. Les causes
+ d'augmentation, il les trouve principalement en ce qu'une armée de
+ 25,000 hommes pour l'entretien et l'administration a été organisée
+ entièrement sur le pied de l'armée française, qui est de 600,000
+ hommes; en ce que la garde par son nombre, par ses dépenses et par
+ son administration séparée, est hors de proportion avec le reste de
+ l'armée et avec les moyens du royaume (la garde est de 2473 hommes,
+ elle coûte, selon le rapport, 1,800,000 fr.; les frais de première
+ mise des deux nouveaux régiments en coûtent autant); en ce que
+ toutes les fournitures se font par entreprise et rien par économie;
+ en ce que le matériel et le personnel de l'armée n'étant point
+ séparés, il n'existe aucun contrôle pour les dépenses, et que les
+ facultés du ministre de la guerre le plus probe, le plus actif, ne
+ sauraient suffire à une pareille surveillance, etc., etc. Les moyens
+ de réduction seraient de rendre le soldat allemand à ses anciens
+ usages pour le pain, pour l'habillement, pour les masses, de
+ rétablir surtout l'usage des retenues, ce qui produirait l'épargne
+ de plus d'un tiers sur la solde.
+
+ Le général _Eblé_ pense que la dernière conscription de 7000 hommes
+ suffira à peine pour remplir tous les cadres, le vide qu'a laissé la
+ désertion, et les nouveaux corps accessoires devenus nécessaires
+ pour organiser les deux divisions conformément aux vues de Sa
+ Majesté I. et R. Sa modestie est telle, que malgré son travail
+ infatigable, quoiqu'il ne se permette presque pas un seul moment de
+ distraction, il craint que ses moyens ne soient au-dessous de sa
+ place; qu'on ne lui fasse ce reproche, et que tandis que ses
+ camarades vont recueillir de la gloire sous les yeux de l'empereur,
+ il n'ait à lutter infructueusement dans une situation difficile et
+ peut-être ingrate. Ce qui l'afflige surtout, c'est qu'il croit
+ remarquer que le roi n'a pas assez confiance en lui. Je l'ai
+ rassuré sur tous les points: je lui ai fait sentir qu'au moins le
+ roi ne lui refuserait pas la confiance de l'estime. Je l'ai consolé
+ par mon propre exemple, et en effet, Monseigneur, c'est la même
+ nuance de caractère de Sa Majesté qui, pour le général _Eblé_ et
+ pour moi, produit les mêmes effets. Elle ne nous empêchera pas de
+ sentir, d'aimer et d'admirer ses excellentes qualités, et pour ce
+ qui me concerne personnellement, s'il est certain que plus de
+ confiance de la part de Sa Majesté me rendrait plus heureux, je dois
+ dire en même temps que la manière dont la plupart des personnes qui
+ approchent du jeune monarque se conduisent à mon égard ne me laisse
+ rien à désirer.
+
+ L'affaire de l'emprunt hollandais est terminée. Les deux négociants
+ sont partis sans me demander de lettres pour M. Lagau. Ils doivent
+ revenir. Ils devaient fournir sur-le-champ 2 millions d'argent
+ comptant; ils sont allés chercher un troisième.
+
+ M. de Moronville, ministre de Darmstadt près cette cour, est parti
+ ce matin en congé. Il sera chargé de conduire à l'armée l'un des
+ fils du grand-duc. Son départ laisse des regrets à ceux qui l'ont
+ connu.
+
+ La police a recueilli plusieurs indices de menées secrètes qui ont
+ lieu en ce moment, dans une partie de la Westphalie, sous les
+ auspices de l'ancien électeur. Il y a des émissaires, des affiches,
+ des promesses pour les militaires qui voudraient quitter le service
+ de la Westphalie. L'effet de ces manoeuvres est suffisamment
+ neutralisé par la marche imposante des troupes françaises qui
+ successivement traversent ce pays. Le 25e régiment d'infanterie et
+ deux régiments de cuirassiers ont passé par Cassel.
+
+
+On était à la veille de la singulière aventure du major prussien
+Schill et des soulèvements de quelques parties du nouveau royaume.
+La police avait vent de quelques trames en cours de préparation,
+mais ne tenait nullement le fil de la machination.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 29 mars 1809.
+
+ Le Moniteur westphalien fait mention aujourd'hui d'une excursion que
+ le roi fit dernièrement pour Münden où Sa Majesté alla voir un yacht
+ que le roi de Hollande lui avait envoyé. La modestie du roi n'a pas
+ permis qu'on y parlât des bienfaits qu'il a répandus sur sa route.
+ Il s'est entretenu familièrement avec des habitants de la ville et
+ de la campagne qui étaient accourus pour le voir. Il a fait
+ manoeuvrer un bataillon westphalien qui se trouvait là; et comme
+ c'était un jour de dimanche, il lui a fait distribuer 25 frédérics
+ qui ont été reçus aux cris de: Vive le Roi! Il rencontra, au retour,
+ des conscrits cheminant gaiement et criant: _Vivat der König!_
+ d'aussi loin qu'ils purent l'apercevoir, il les encouragea et leur
+ fit également donner une petite gratification.
+
+ D'un autre côté, M. le colonel Bongars[116] épargna dernièrement au
+ roi quelques frédérics, sous prétexte d'avoir mal entendu. Le roi,
+ un soir, voulant aller à l'Orangerie avec la reine, et ne trouvant
+ aucune de ses voitures prêtes, commanda qu'on fît avancer le premier
+ cocher qu'on trouverait: il ordonna ensuite au colonel Bongars de
+ donner à cet homme 25 frédérics; M. Bongars en donna 5.
+
+ [Note 116: Chef de la légion de gendarmerie.]
+
+ La santé de Sa Majesté paraît assez bien rétablie: la reine à son
+ tour a été incommodée pendant quelques jours.
+
+ Il y a eu concert et cercle jeudi passé à la cour, pour la première
+ fois depuis un mois.
+
+ M. de _Lerchenfeld_, ministre de Bavière, est désolé de l'habitude
+ que le roi a prise depuis quelques semaines de donner à souper aux
+ personnes attachées au palais, les jours d'assemblée chez ce
+ ministre. Il parle de faire un quatrième voyage de plus longue durée
+ que les autres, et dans lequel il emmènerait sa femme. On prétend
+ que le souper auquel celle-ci avait été invitée par la reine, sans
+ son mari, et où elle manqua seule de toutes les femmes des autres
+ ministres, a donné lieu à ces soupers qui désolent M. de
+ _Lerchenfeld_.
+
+ M. le comte de _Furstenstein_ vient de se fiancer avec la fille
+ aînée de M. le comte de _Hardenberg_, conseiller d'État et
+ grand-veneur. Ce mariage paraît bien assorti et d'une bonne
+ politique. Il attachera au roi une famille considérée, mais dont la
+ fortune a beaucoup souffert, et qui n'avait pas la réputation
+ d'aimer beaucoup les Français.
+
+ Le général _Eblé_ aussi attend Mlle Freteau pour l'épouser: elle
+ appartient à une famille infiniment respectable de l'ancienne robe
+ de Paris, mais elle n'a, dit-on, que 18 ans, et le général Eblé en a
+ plus de cinquante. Et son ministère?
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 15 avril 1809.
+
+ Le Moniteur westphalien d'hier donne des nouvelles du voyage de LL.
+ MM.; on dit aujourd'hui que leur retour n'aura lieu que le 23.
+
+ Avant-hier a passé un courrier extraordinaire venant du
+ quartier-général de M. le duc d'_Auerstaedt_ et portant des dépêches
+ pour le roi. Le département des relations extérieures ayant reçu
+ hier de Stuttgard, par estafette, la nouvelle qu'un corps
+ considérable a passé l'Inn près de _Braunau_, je présume que les
+ dépêches de ce courrier auront donné à Sa Majesté connaissance de
+ cet événement important. Voilà donc la guerre commencée! Si la
+ justice de notre cause et le nom de Napoléon doivent déjà faire
+ pressentir, même à nos ennemis, que les arrêts de la destinée seront
+ accomplis; si déjà la grande catastrophe qui se prépare n'appartient
+ plus au domaine de l'incertitude, qui ne peut plus tomber que sur
+ les événements qui l'amèneront, c'est cependant avec un frémissement
+ involontaire qu'on entend retentir au loin ce premier coup de canon;
+ nouveau signal de la fureur aveugle, de la mort et de la chute d'un
+ empire!
+
+ Un courrier westphalien, renvoyé de Vienne par M. d'_Esterno_, a
+ porté la nouvelle de l'entrée dans cette capitale du ministre
+ anglais et la proclamation de l'_archiduc Charles_, aussi remplie
+ d'illusions que d'impostures. M. d'_Esterno_ explique ce qui y est
+ dit des troupes étrangères qui, dans une union intime, vont
+ combattre à côté des armées autrichiennes, par un débarquement que
+ les Anglais vont faire à Trieste.
+
+ Il n'est pas douteux, Monseigneur, que parmi ces frères allemands
+ qui, encore en rangs paisibles, attendent leur délivrance,
+ l'Autriche ne compte surtout un grand nombre de Westphaliens. Des
+ faits dont j'ai déjà rendu compte, des renseignements venant de
+ Vienne, et de nouvelles correspondances interceptées, en offrent la
+ preuve. Du reste, les événements qui pourraient faire quitter à ces
+ rangs leur attitude paisible ne sont guère dans l'ordre des
+ probabilités, et les derniers placards d'insurrection dont j'ai
+ rendu compte à Votre Excellence, sont, ainsi que ceux qui les
+ avaient précédés, restés sans effet.
+
+ À la suite de l'attentat de _Stendal_, plusieurs habitants de cette
+ ville ont été arrêtés. J'apprends qu'un d'eux s'est tué dans sa
+ prison; mais ce qui donne une nouvelle importance à cette affaire,
+ ce sont les révélations faites par un homme, porteur de
+ correspondances suspectes, revenant de Berlin, et arrêté à
+ Magdebourg. C'est un paysan des environs de Bielefeld qui avait
+ entrepris le second voyage, sur l'instigation de quelques anciens
+ baillis de son canton. Il fut adressé deux fois au major _Blücher_
+ et au major _Schill_, tous deux au service actuel de Prusse. Ce fut
+ le major _Schill_, le même qui avait acquis quelque célébrité dans
+ la dernière guerre, qui le fit loger et nourrir gratis, et habiller
+ à neuf. Dans sa seconde course, dès qu'il fut entré sur le
+ territoire prussien, et qu'il se fut annoncé comme porteur d'un
+ message pour le major _Schill_, il fut escorté de poste en poste par
+ des hussards du corps de cet officier, excepté la dernière station
+ qui précède Berlin. Il portait des billets du major _Schill_
+ adressés à quatre baillis, billets insignifiants en apparence, mais
+ qui expriment l'espérance de se revoir bientôt. En même temps, le
+ major, qui se croit sans doute un héros, envoye son portrait aux
+ quatre baillis. Le major Blücher avait remis au messager une espèce
+ de lettre circulaire où il exhorte au courage et à la persévérance.
+
+ Un fait, Monseigneur, qui avait déjà frappé mon attention, lorsque
+ je l'ai lu dans les papiers allemands et que j'ai relu hier dans la
+ feuille du _Publiciste_ d'avril, me paraît avoir un rapport assez
+ marqué avec l'événement de _Stendal_ et avec la déposition de ce
+ paysan. Le voici: «Berlin, 27 mars. Le 16, les hussards de _Schill_
+ sont partis inopinément de cette capitale pour aller prendre des
+ cantonnements dans les environs, du côté de Lichtenberg. On croit
+ que ce corps est chargé d'observer les traîneurs des troupes qui
+ traversent actuellement la moyenne Marche et d'empêcher qu'elles ne
+ s'écartent de la route militaire pour se répandre dans les campagnes
+ et y commettre des excès[117].»
+
+ [Note 117: C'était le brusque départ de Schill pour son
+ expédition.]
+
+ J'ai fait part de cette circonstance à M. _Siméon_ qui était venu
+ m'informer de l'arrestation faite à Magdebourg. Elle lui a paru
+ d'autant plus remarquable que le prisonnier avait aussi déposé qu'il
+ avait rencontré, en revenant de Berlin, ces hussards qui s'étaient
+ soigneusement informés du nombre de troupes qui pouvaient être à
+ Magdebourg.
+
+ Le préfet du département de l'Elbe avait adressé son rapport au
+ ministre de l'intérieur qui l'a reçu cacheté du sceau du cabinet du
+ roi. Il est en conséquence probable que Sa Majesté aura déjà pris
+ connaissance des faits, et l'on attribue à cette circonstance
+ l'ordre qu'a reçu avant-hier M. _Bercagny_ de se rendre à Brunswick.
+ Le ministre de la justice, de son côté, y a adressé son rapport, et
+ il a déjà donné des ordres pour l'arrestation provisoire des quatre
+ baillis et de quelques autres personnes compromises. On se demande,
+ Monseigneur: serait-il possible que le gouvernement prussien eût
+ connaissance de ces manoeuvres et y connivât, ou bien est-ce l'or
+ anglais qui, à l'insu de ce gouvernement, entraîne à une conduite
+ aussi criminelle des hommes inconsidérés et présomptueux? Si cette
+ dernière hypothèse est fondée, elle prouve dans quel état déplorable
+ de déconsidération et d'impuissance doit être tombé un gouvernement
+ dont les chefs de la force armée osent se permettre des actes qui
+ peuvent compromettre jusqu'à l'existence de leur patrie.
+
+ Ce qui indispose particulièrement en ce moment-ci un grand nombre
+ d'habitants de la Westphalie, c'est la contribution personnelle
+ portée à 4,400,000 francs, et destinée à entrer dans la caisse
+ d'amortissement. On la perçoit actuellement pour l'année passée;
+ dans un mois elle devait être perçue pour l'année courante; c'est du
+ moins ce qu'on m'a assuré. Cet impôt, qui est une espèce de
+ capitation, est reconnu par l'administration même comme ayant été
+ assis sur des bases entièrement fautives, et les inconvénients qu'a
+ fait découvrir sa perception, sont si graves, que, malgré le besoin
+ extrême qu'on a d'accélérer les rentrées, on est obligé de s'occuper
+ des moyens d'y remédier en changeant le principe de l'imposition.
+ Dans le même temps, un décret royal a accumulé le paiement de deux
+ douzièmes de la contribution foncière, en ordonnant qu'à l'avenir
+ les douzièmes seraient payés d'avance.
+
+ Des réclamations lamentables ont été adressées ici de Marbourg
+ depuis qu'on y a appris que l'université était menacée de sa
+ dissolution. Les autres universités se montrent plus résignées à
+ leur sort, parce qu'il était plus prévu. On espère que Sa Majesté se
+ laissera fléchir, et que la suppression de Marbourg n'aura pas lieu,
+ du moins en ce moment-ci.
+
+ Le ministre des finances attend d'un jour à l'autre le retour d'un
+ des négociants hollandais avec lesquels il a négocié l'emprunt de 6
+ millions. Il craint que la déclaration de guerre ne nuise à cette
+ opération, et même il vient de me dire qu'il n'y compte plus. Il se
+ plaint aussi des effets momentanés d'une opération financière du
+ gouvernement français qui, dit-il, a soutiré, dans l'espace de dix
+ jours, à la Westphalie seule, plus de 6 millions, et qui entrave
+ singulièrement la perception des impôts. Cet embarras est passager,
+ mais il survient dans un moment où déjà l'on n'est pas trop à son
+ aise.
+
+ Depuis le départ de M. le comte de _Furstenstein_, le
+ secrétaire-général des relations extérieures, autorisé par ce
+ ministre, me communique assez exactement les nouvelles qui arrivent
+ à son département; et j'en sais d'autant plus de gré à M. de
+ _Furstenstein_ que l'époque est plus importante. C'est dans ces
+ communications que j'ai trouvé aussi la solution de ce qui avait été
+ une énigme pour moi, c'est-à-dire la cause de cette froideur dont
+ j'ai dit un mot à Votre Excellence dans mes nºs 29 et 30. Sous la
+ même date que celle de votre lettre à laquelle était jointe la copie
+ de la lettre de Sa Majesté à l'empereur d'Autriche, M. de
+ _Wintzingerode_ avait rendu compte de plusieurs communications
+ confidentielles que Votre Excellence lui avait permis de prendre; et
+ quoique le texte même de la lettre de l'empereur soit assurément une
+ chose plus précieuse que l'extrait un peu informe qu'en avait fait
+ M. de _Wintzingerode_, je ne sais quelle jalousie avait fait croire
+ qu'il était de la dignité du roi de recevoir de pareilles
+ communications plutôt par le ministre de Westphalie que par le
+ ministre de France. Je sais que M. de _Furstenstein_ s'est expliqué
+ dans ce sens. Comme à son retour j'aurai des remercîments à faire à
+ ce ministre, je saisirai l'occasion pour faire un premier essai, en
+ abordant cette matière délicate.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 20 avril 1809.
+
+ J'ai reçu la lettre de Votre Excellence du 10 avril, par laquelle
+ elle me charge de faire souvenir Sa Majesté westphalienne et M. le
+ prince de Waldeck des arrangements au moyen desquels il leur sera
+ facile de couvrir les avances que le trésor public a faites pour
+ leurs contingents; je me suis empressé d'exécuter vos ordres.
+
+ M. le comte de _Furstenstein_ est revenu de Brunswick hier. Le roi,
+ qui n'est point allé à Magdebourg, est attendu aujourd'hui. Le
+ courrier qui lui a été expédié de Strasbourg, par Sa Majesté
+ l'empereur, a passé par Cassel le 17 au soir. Il s'est rencontré
+ avec le courrier de l'armée venant de Donawert et chargé par Sa
+ Majesté d'un paquet de monseigneur le prince de _Neufchatel_. On
+ croit que ce papier renferme les instructions concernant le
+ commandement qui a été confié à Sa Majesté et dont on dit qu'elle
+ est extrêmement satisfaite, après l'extension qui paraît y avoir été
+ donnée.
+
+ Des lettres récentes de Hollande annoncent _que l'emprunt sera
+ rempli_. Seulement sa concurrence avec quelques opérations
+ financières qui en ce moment ont lieu en Hollande même, retardera un
+ peu l'entière exécution de celle qui concerne la Westphalie; cette
+ nouvelle est très heureuse, car la pénurie du trésor public à Cassel
+ se fait de plus en plus péniblement sentir.
+
+ _P. S._--LL. MM. sont revenues aujourd'hui à midi: elles ont fait
+ leur entrée au bruit du canon. On fixe au 25 le nouveau départ du
+ roi, en conséquence des instructions plus récentes venues de
+ Strasbourg.
+
+
+Vers le mois de mars 1809, lorsque la guerre avec l'Autriche parut
+imminente, une rumeur sourde se répandit au centre de l'Allemagne,
+dans la Hesse électorale, dans le duché de Brunswick, dans la
+Vieille-Marche et dans la plupart des départements du royaume de
+Westphalie. Le gouvernement français avait su, dès le mois d'août
+1808, par la lettre interceptée de Stein au prince de Wittgenstein,
+qu'il existait un vaste réseau d'associations politiques occultes,
+n'attendant qu'une occasion, un signal, pour faire éclater un
+soulèvement contre nous. Les mesures prises par Napoléon pour
+l'abolition des sociétés secrètes n'eurent qu'un résultat, celui de
+les rendre plus prudentes, plus dissimulées et, partant, plus
+dangereuses.
+
+La Prusse était le foyer principal de ces sociétés et cela se
+comprend; l'Empereur n'avait-il pas réduit ce royaume à sa plus
+simple expression? n'avait-il pas ruiné ses finances? anéanti ses
+armées? ne soulevait-il pas chaque jour des difficultés nouvelles
+pour retarder l'évacuation de ses places fortes et pour maintenir
+ses armées françaises dans les provinces laissées par le traité de
+Tilsitt au roi Frédéric-Guillaume III?
+
+Voici quel était au commencement d'avril l'état des troupes
+françaises et de la confédération ainsi que de leurs emplacements.
+En Westphalie, huit à neuf mille hommes de l'armée de Jérôme; à
+Magdebourg, un régiment français et un westphalien; dans les villes
+fortes de Stettin, de Glogau, de Custrin, dix mille soldats français
+vivant chez l'habitant; la division hollandaise Gratien, à
+Lunebourg, au nord-est du Hanovre; à Stralsund dans la Poméranie
+suédoise, deux bataillons du duc de Mecklembourg-Schwerin et un de
+Mecklembourg-Strelitz (treize cents hommes).
+
+Lorsque Napoléon partit pour se mettre à la tête de la Grande Armée,
+il prescrivit la formation d'un 10e corps pour être placé sous les
+ordres de son frère Jérôme, et composé des troupes westphaliennes en
+Allemagne, de la division Gratien, des troupes saxonnes du colonel
+Thielmann. Ce 10e corps avait mission de couvrir la Westphalie, la
+Saxe, et la partie orientale de l'Allemagne. Il pouvait être
+renforcé par l'armée de réserve du vieux duc de Valmy (quartier
+général à Dessau), chargée d'empêcher les Autrichiens de prendre à
+revers les corps de Napoléon opérant sur le Danube.
+
+Le 3 avril 1809, dans la nuit, une centaine de militaires allemands
+ayant pour chef un M. de Katt, ancien capitaine aux hussards de
+Schill, venant de Spandau, ville prussienne, pénétrèrent dans la
+petite place de Stendal, se formèrent en bataille sur le marché,
+prirent les chevaux et les armes des gendarmes westphaliens, et
+pillèrent les caisses. Le 4, à huit heures du matin, ils se
+dirigèrent sur Bourgstadt, cherchant, mais inutilement, à entraîner
+les paysans, dont un très petit nombre les suivit.
+
+Cette singulière et intempestive levée de boucliers était la
+conséquence d'un plan d'insurrection générale suscitée par les
+sociétés secrètes, insurrection à la tête de laquelle se trouvaient
+le major Schill, le duc de Brunswick-Oels, le capitaine de Katt. Ce
+dernier, n'ayant pas eu la patience d'attendre le signal du
+soulèvement, brusqua la prise d'armes, espérant entraîner le
+gouvernement prussien à déclarer la guerre à la France, pendant que
+Napoléon était encore en Espagne et allait se trouver aux prises
+avec l'Autriche. L'échauffourée ridicule de Katt fut désavouée par
+le gouvernement prussien, et n'eut d'autre suite que de compromettre
+le major Schill et de hâter son mouvement, ainsi que nous le verrons
+plus loin.
+
+Pendant que Napoléon, traversant l'Espagne et la France en toute
+hâte, courait se mettre à la tête de sa grande armée, en Allemagne,
+le roi Jérôme quittait Cassel le 9 avril avec la reine pour visiter
+les deux départements de l'Ocker et de l'Elbe, et les villes de
+Brunswick et de Magdebourg. Reinhard rendit compte de ce voyage par
+une lettre en date du 15 avril:
+
+
+ Leurs Majestés sont arrivées dimanche dernier au soir à Weende,
+ domaine royal près de Goettingen. Elles y ont passé la nuit. Le
+ lendemain elles ont couché à Seesen dans la maison de M. Jacobsohn,
+ président du Consistoire juif. M. Jacobsohn est un négociant très
+ estimable et très estimé; il a formé à Seesen, à ses frais, pour les
+ jeunes gens de sa nation, un établissement d'instruction qui se
+ distingue par la nouveauté de l'objet et par les bons principes qui
+ le dirigent.
+
+ On dit que la Reine en arrivant à Brunswick s'est trouvée
+ incommodée. On n'apprend pas encore que le Roi soit parti pour
+ Magdebourg. Immédiatement après leur arrivée à Brunswick, LL. MM.
+ ont envoyé ici des ordres pour faire venir des lits et plusieurs
+ valets de chambre et de pied. Mme la baronne de Keudelstein et Mme
+ d'Otterstedt qui, il y a un mois, croyait déjà être parvenue au
+ terme de sa grossesse, ont accompagné la Reine. Les personnes
+ principales qui sont avec le Roi sont: M. le comte de Furstenstein,
+ M. Cousin de Marinville, M. le baron de Keudelstein, M. Bongars. M.
+ le comte de Willingerode, grand-maréchal du Palais, revenu le 10 de
+ Marseille et de Paris, est aussi allé rejoindre Sa Majesté.
+
+
+À peine de retour dans sa capitale, Jérôme fut informé par son
+ministre de la police de la fermentation que l'on remarquait dans
+les différentes provinces de son royaume. Inquiet pour la reine,
+sentant qu'il serait beaucoup plus fort pour résister à l'orage,
+lorsque sa femme serait à l'abri de tout danger, ayant bientôt
+d'ailleurs à se mettre à la tête du 10e corps, il crut devoir se
+séparer momentanément de la princesse qu'il envoya rejoindre
+l'impératrice Joséphine de qui elle était tendrement aimée.
+
+Catherine arrivée à Francfort écrivit de cette ville, le 26 avril
+1809, à Napoléon:
+
+
+ Sire, le Roi rend compte à Votre Majesté des motifs qui le portent à
+ veiller à ma sûreté en m'envoyant auprès de S. M. l'Impératrice;
+ l'insurrection qui s'augmente de moment en moment et qui est
+ générale dans tout le Royaume, la nécessité où le Roi se trouve de
+ ne point diviser le peu de forces qu'il a pour veiller à ma sûreté
+ m'ont engagée à consentir à me séparer de lui dans un moment aussi
+ critique; si ce n'était pour lui laisser la liberté nécessaire de
+ veiller à sa propre sûreté et à celle de ses États, je n'aurais pu
+ m'y décider et j'aurais pour moi la confiance dans les succès de
+ Votre Majesté, mais c'est un sacrifice nécessaire à la sûreté et à
+ la tranquillité du Roi.
+
+
+À peine la reine avait-elle quitté Cassel qu'une conspiration à la
+tête de laquelle était un des colonels de la propre garde de Jérôme
+fut découverte par le plus grand des hasards. M. de Doernberg, le
+principal conjuré qui trahissait son souverain, quoiqu'il fût comblé
+de ses bienfaits, devait pénétrer la nuit dans le palais du Roi,
+l'enlever, ce qui eût été très facile, et le livrer aux Anglais.
+
+M. Reinhard rendit compte des événements de Cassel à l'Empereur par
+une notification en date du 26 avril envoyée par le comte de
+Fürstenstein, et par une lettre du 29 au duc de Cadore. Voici ces
+deux documents:
+
+
+ BERCAGNY À REINHARD.
+
+ 26 avril 1809.
+
+ Le samedi, 22 avril, le gouvernement fut averti que plusieurs
+ rassemblements de paysans se formaient sur les hauteurs de
+ Napoléonshoehe, ainsi qu'à Homberg, et dans divers autres villages
+ environnant Cassel. Le Roi envoya de suite quelques détachements de
+ sa garde pour dissiper ces attroupements et faire rentrer les
+ paysans dans le devoir, mais ceux-ci excités par quelques
+ malveillants, parmi lesquels on distinguait le sieur Doernberg,
+ colonel des chasseurs de la garde, qui s'était mis à leur tête, et
+ quelques autres personnes moins marquantes, refusèrent obstinément
+ d'obéir. On fut obligé de les y contraindre par la force; plusieurs
+ des insurgés furent tués, et un grand nombre amenés prisonniers à
+ Cassel. Le lundi 24, tout était entièrement disparu.
+
+ Il paraît que cette insurrection, préparée depuis longtemps par des
+ agents secrets de l'électeur, devait être générale; mais les mesures
+ promptes et vigoureuses prises par le gouvernement l'ont arrêtée
+ dans sa naissance. Les insurgés avaient peu de fusils, et n'étaient
+ armés, pour la plupart, que d'instruments aratoires. On les avait
+ entraînés par l'espoir du pillage et la menace d'incendier leurs
+ maisons s'ils refusaient de marcher. On s'était efforcé de leur
+ persuader que tout était disposé en Westphalie pour une révolution,
+ et qu'ils allaient être appuyés par des armées prêtes à entrer dans
+ le royaume; mais bientôt, revenus de leur égarement, ils se sont
+ empressés de rentrer dans leurs foyers et de reprendre leurs
+ travaux. Les rapports qui arrivent aujourd'hui des divers points où
+ l'insurrection avait éclaté annoncent que la tranquillité est
+ rétablie partout. Quelques-uns des principaux moteurs sont arrêtés;
+ et il paraît que S. M. aura la consolation de n'avoir qu'un petit
+ nombre de coupables à punir.
+
+ Les habitants de Cassel, loin de prendre aucune part à ces
+ désordres, ont saisi cette circonstance pour donner des preuves
+ particulières de leur dévouement à leur souverain; et toutes les
+ classes de citoyens ont sollicité la faveur de servir Sa Majesté, et
+ d'être employés à maintenir la tranquillité dans la ville, et à la
+ défendre si elle était attaquée.
+
+
+Le soussigné, en adressant, d'après l'ordre du Roi, la présente
+communication à Son Excellence M. Reinhard, envoyé extraordinaire et
+ministre plénipotentiaire de France, saisit cette occasion pour lui
+renouveler les assurances de sa haute considération.
+
+
+ REINHARD À CADORE.
+
+ Cassel, 29 avril 1809.
+
+ Ce fut une estafette, envoyée par le roi de Wurtemberg à la reine
+ déjà partie, qui apporta le bulletin de la bataille du 21
+ (Landshut); une autre estafette envoyée par le roi de Wurtemberg à
+ son ministre près cette cour, porta le bulletin de la bataille du 22
+ (Eckmuhl), et un courrier de retour, du ministre de Bavière, apporta
+ celui du 23, écrit sur le champ de bataille de Ratisbonne. Il serait
+ impossible de peindre l'impression produite par des événements qui
+ semblent éclipser jusqu'aux miracles d'Austerlitz et d'Iéna, et déjà
+ j'apprends que ceux qui espéraient différemment disaient
+ aujourd'hui: _Dieu le veut._
+
+ Ni les nouvelles, Monseigneur, ni les troupes qui étaient déjà en
+ nombre suffisant, n'ont été nécessaires pour dissiper les
+ attroupements du 22 et du 23; mais ce sont nos victoires seules qui
+ détruiront jusqu'à la pensée d'une révolte dans les esprits les plus
+ mal intentionnés. C'est le feu du ciel qui est tombé ainsi sur tous
+ les projets déloyaux et insensés.
+
+ Un régiment hollandais venant d'Altona, et l'avant-garde de deux
+ mille hommes venant de Mayence avec six canons, sont entrés hier à
+ Cassel.
+
+ J'ai annoncé à Votre Excellence l'arrestation de deux anciens
+ serviteurs de l'Électeur dont les noms avaient été mis, par les
+ meneurs des rebelles, au bas d'une proclamation. Ce sont MM. de
+ Lenness et de Schmeerfeld, homme d'un âge déjà avancé. Il ne s'est
+ point trouvé de preuves contre eux; mais comme anciennement suspects
+ ils ont été conduits à Mayence où ils seront détenus en prison.
+ Plusieurs officiers des cuirassiers ont été arrêtés ou destitués.
+ C'est le seul régiment qui se soit mal conduit, et dans lequel il y
+ ait eu des défections. Plusieurs autres arrestations ont eu lieu,
+ celle d'un curé par exemple qui avait béni des drapeaux, celle de
+ la femme d'un officier qui avait envoyé à son mari par la poste une
+ écharpe pour le garantir en cas de danger. D'autres ont déjà été
+ relâchés. Une centaine de paysans a péri. Cent cinquante environ ont
+ été entassés dans les prisons de Cassel. Le comte et la comtesse de
+ Boehlen de la Poméranie ci-devant suédoise, l'un chambellan, l'autre
+ dame de la reine, ont reçu l'ordre de quitter Cassel dans les
+ vingt-quatre heures et de rendre leurs décorations. Ce qu'on sait du
+ motif, c'est que le Roi a reproché à M. de Boehlen de s'être promené
+ au parc à huit heures du soir avec un inconnu, et d'avoir dit en le
+ quittant: Je désire que ce plan réussisse.
+
+ La dame à l'écharpe de garantie demeurait à Homberg, petite ville où
+ il y a un chapitre protestant de dames nobles. L'abbesse était soeur
+ de l'ex-ministre Stein. La soeur d'un ex-ministre de l'Électeur en
+ était aussi. Cette petite ville était le foyer de l'insurrection.
+ Les chanoinesses ont été arrêtées et conduites à Cassel.
+
+ M. le comte de Furstenstein m'a adressé par ordre du Roi une note
+ concernant cette insurrection. J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous
+ en transmettre ma copie, ainsi que celle de ma réponse.
+
+ Je n'ai rien à ajouter pour le moment aux causes qui ont amené cet
+ événement, et dont ma correspondance a rendu compte à Votre
+ Excellence. Mais il faut sans doute vous entretenir des fortes et
+ pénibles impressions qu'ils ont produites et des conséquences qui
+ peuvent en résulter. Qu'un attentat qui paraît avoir eu pour objet
+ la personne sacrée du Roi ait profondément affecté l'âme généreuse
+ et confiante de ce jeune monarque; que les Français qui l'entourent
+ après avoir craint pour lui et pour eux-mêmes, indignés, exaltés, se
+ fassent un mérite exclusif de leur fidélité; que les défiances, les
+ soupçons s'étendent au delà des bornes légitimes; que beaucoup
+ d'Allemands consternés ne se croient pas assez protégés par le
+ sentiment de leur innocence; que liés avec des coupables par des
+ relations de famille ou de société, ils craignent de paraître
+ coupables eux-mêmes; qu'il en résulte un état d'anxiété, voilà ce
+ qui n'est que trop naturel.
+
+ Mais quelles sont les maximes qu'adoptera désormais le gouvernement?
+ Sera-ce la sévérité ou la clémence que la politique conseillera de
+ faire prévaloir? Des passions subalternes et quelques intérêts
+ particuliers ne s'empareront-ils pas de la circonstance pour amener
+ des changements, soit dans les personnes, soit dans le mode de
+ l'administration?
+
+ M. Bercagny, dont la place en ce moment acquiert une grande
+ importance, m'a parlé à ce sujet dans un sens qui me paraît
+ extrêmement sage. Il m'a dit qu'il avait calmé lui-même des
+ mouvements trop fougueux de quelques Français, et qu'il sentait
+ toute l'importance qu'il y avait à ce qu'il ne s'établît point de
+ scission ni de distinction entre les sujets ou les serviteurs de Sa
+ Majesté sous le rapport de la nation à laquelle ils appartiennent.
+
+ J'en étais là, Monseigneur, lorsqu'il m'a été annoncé de la part de
+ Sa Majesté qu'Elle me recevrait en audience particulière pour lui
+ remettre la lettre par laquelle Sa Majesté l'empereur des Français,
+ roi d'Italie, lui annonce l'heureux accouchement de S. A. I. madame
+ la vice-reine d'Italie, lettre que j'avais reçue avant-hier. Je
+ reviens de cette audience. Le Roi m'a témoigné son étonnement de ce
+ que le courrier qu'il avait envoyé au quartier-général impérial
+ n'était pas encore revenu. Il m'a ensuite parlé des événements du
+ jour; et je lui ai dit que toute la conduite qu'il a tenue dans ces
+ circonstances pénibles, que surtout tous les actes qui portent
+ l'empreinte de l'impulsion de son propre esprit et de son caractère,
+ ont dû lui attirer l'amour et l'admiration, et c'est très
+ certainement l'effet qu'ils ont produit sur moi. En effet sa
+ résolution de monter à cheval et de se montrer du côté même où l'on
+ avait vu paraître les rebelles au moment où dans leurs
+ rassemblements on le disait déjà prisonnier; celle de ne point
+ quitter sa résidence au moment terrible où rien ne semblait encore
+ garantir la fidélité de ses gardes; son allocution aux officiers;
+ les deux proclamations qu'il a dictées; les mots qu'il a dits et
+ dont j'ai cité quelques-uns; tout cela est vraiment royal. Il est
+ certain, m'a dit Sa Majesté, que sans la découverte de M. de
+ Malmsbourg, je me trouvais surpris. Les rebelles devaient arriver
+ dans la nuit, les conjurés entraient dans mon appartement sans
+ obstacle et sans défiance; et croiriez-vous qu'il y avait une foule
+ de gens qui savaient le complot, et qui ne se croyaient pas obligés
+ de le révéler. Cependant, a ajouté Sa Majesté, l'Allemand par son
+ caractère n'est pas traître.--C'est une manière de voir fausse et
+ criminelle, ai-je répondu, par laquelle ceux dont parle Votre
+ Majesté se sont fait illusion à eux-mêmes, et cependant oserais-je
+ dire à Votre Majesté, à présent que le danger est passé, que les
+ espérances coupables ne renaîtront plus, que le sentiment même qu'on
+ peut supposer en avoir été la cause, une certaine ténacité
+ d'attachement, tournera au profit de votre règne, et que plus le
+ temps et les événements s'éloigneront du passé, plus la fidélité à
+ Votre Personne et à Votre Dynastie deviendra inébranlable et
+ assurée.
+
+ On ne peut, Monseigneur, arrêter sa pensée sans frémir sur les
+ malheurs qui seraient tombés sur ceux-là même qui, dans leur
+ aveuglement, désiraient peut-être le succès de l'insurrection.
+ Aujourd'hui en punissant les perfides d'action et les traîtres, il
+ sera facile d'être généreux envers les coupables d'intention ou
+ d'égarement. J'apprends que l'intention de Sa Majesté est de publier
+ une amnistie générale pour tous les paysans. Les autres seront mis
+ en jugement, et même à l'égard de ceux-ci, il paraît que l'intention
+ du Roi est de faire prévaloir la clémence.
+
+ Sa Majesté a fait la réponse la plus terrible et la plus sublime aux
+ manifestes d'insurrection de l'Autriche, en se servant du courage
+ et du dévouement de ces mêmes Allemands, qu'on voulait séduire, pour
+ écraser les armées autrichiennes. Il y aura solidarité de destinée,
+ et ce sera une glorieuse récompense de la fidélité des uns,
+ lorsqu'elle obtiendra le pardon ou repentir des autres. J'ose avouer
+ à Votre Excellence que lorsque j'ai vu le Roi déjà porté à
+ pressentir que tel serait le système qu'adopterait son auguste
+ frère, je me suis abandonné moi-même à ces beaux pressentiments.
+
+ Sa Majesté m'a fait l'honneur de me parler de son voyage prochain à
+ Hambourg. Je désirerais beaucoup, Monseigneur, de recevoir vos
+ ordres pour savoir si de préférence je dois suivre le Roi ou rester
+ à Cassel. Jusqu'à présent rien n'annonce que l'intention de Sa
+ Majesté soit de se faire accompagner par les membres du corps
+ diplomatique, et s'il m'est permis d'opter, je ne quitterai point
+ cette résidence. Mais il peut arriver des cas où des instructions
+ éventuelles seraient pour moi d'un grand prix pour diriger ma
+ conduite.
+
+
+Ainsi, le mois d'avril 1809 avait vu se produire, en Westphalie: la
+ridicule équipée du capitaine de Katt à Stendal, et la conspiration
+plus sérieuse du colonel de Doernberg. Le 28, commença la singulière
+course du major de Schill, et bientôt après l'entreprise désespérée
+du duc de Brunswick-Oels. Les affaires de Schill et du duc de
+Brunswick sont rapportées longuement et très exactement dans le
+quatrième volume des Mémoires du roi Jérôme. Nous n'en ferons pas
+l'historique, nous nous bornerons à donner quelques lettres et
+bulletins qui y ont trait:
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 3 mai 1809.
+
+ Le mariage du comte de Furstenstein avec Mlle de Hardenberg a été
+ célébré dimanche dernier au palais. La société a été peu nombreuse,
+ la corbeille riche et magnifique. Il y a eu souper et bal. Le lit
+ nuptial a été dressé dans une pièce attenante à la salle du
+ conseil.--M. de Gilsa, ancien grand-écuyer de l'électeur, père de
+ treize enfants vivants, et n'ayant d'autre moyen d'existence que les
+ appointements des places que son épouse et lui remplissent à la
+ cour, a profité de cette circonstance pour demander au Roi la grâce
+ de son gendre, le sieur de Buttlar, compris dans l'art. 1er du
+ décret du 29. S. M. la lui a promis.--La soeur de Mme de Stein
+ soutient son rôle d'héroïne. Elle ne sort point; elle provoque son
+ supplice. Elle est du reste vieille, laide, contrefaite. Une soeur
+ de Mme de Gilsa, dignitaire du même chapitre, a refusé la permission
+ que le Roi avait donnée à son frère de la prendre chez lui.--Le Roi
+ a fait plusieurs nominations d'officiers pour remplacer ceux qui ont
+ été destitués ou arrêtés.--On a trouvé parmi les papiers Doernberg
+ un paquet cacheté et portant l'inscription: _à ouvrir après ma
+ mort_. On dit que ce paquet ne renferme que des lettres d'amour,
+ dont quelques-unes de Mme de P. Cet homme, peu de jours avant sa
+ défection, avait fait venir sa femme et ses trois enfants qui
+ résident à Brunswick et qui se trouvent aujourd'hui dans la misère.
+ Quatre mille francs que le roi lui avait donnés se sont trouvés
+ intacts dans son secrétaire. Il paraît que ce n'est pas sans combats
+ intérieurs qu'il s'est chargé du rôle de traître; il y a dans sa
+ conduite présomptive délire et inconséquence.--Pendant la crise, la
+ ville de Cassel paraissait plus calme qu'à l'ordinaire. Le peuple
+ semblait apathique, mais il montrait une grande incrédulité sur nos
+ victoires.--Quelques mauvais sujets avaient excité des mouvements
+ dans une commune du département du Harz. Ils furent arrêtés, et le
+ préfet manda au ministre de l'intérieur qu'il avait pris les mesures
+ les plus efficaces pour empêcher que la contagion ne gagnât le
+ département de la Werra. C'était dans ce dernier département
+ qu'était le foyer de l'insurrection.--Le baron de Wendt, aumônier du
+ Roi, envoyé dans les communes catholiques de la Hesse, qui en effet
+ n'ont pas remué, dit à son retour qu'il les avait exhortés à ne
+ point se mêler de ces affaires, à labourer leurs champs et à laisser
+ faire les autres. Il n'y entendait pas malice.
+
+ MM. de Malsbourg et de Coninx, conseillers d'État, allant l'un et
+ l'autre dans ses terres, l'un vers Paderborn pour calmer les
+ esprits, furent arrêtés tous les deux et coururent quelques dangers.
+ Le second fut sauvé par une ancienne femme de chambre de sa femme,
+ qu'il rencontra voyageant en compagnie avec un étudiant. Elle lui
+ fit prendre le rôle et le costume de son amant, et ce fut sous son
+ escorte qu'il revint à Cassel.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 15 mai 1809.
+
+ Un membre du Conseil d'État disait dernièrement qu'il fallait
+ chasser tous les Allemands de la Wesphalie.--Un chef du département
+ des relations extérieures a proposé gravement au ministre de Saxe de
+ troquer le royaume de Wesphalie.--M. de Wolfradt, ministre de
+ l'intérieur, ayant obtenu par le canal de M. Bercagny un emploi pour
+ un Allemand qu'il lui avait recommandé, lui exprima sa
+ reconnaissance avec un tel élan de sensibilité qu'il alla jusqu'à
+ lui baiser la main. Je suis d'autant plus touché de cette faveur,
+ ajoute M. de Wolfradt, que c'est la première que vous ayez accordée
+ à un Allemand. M. Bercagny, furieux, lui répondit: Monsieur, si tout
+ autre qu'un ministre d'État m'avait fait un pareil compliment, je
+ l'aurais jeté hors de la porte.--La commission spéciale a condamné
+ à mort un maréchal-des-logis des cuirassiers convaincu d'avoir
+ assisté à l'enlèvement d'une caisse par les paysans révoltés. Elle a
+ condamné à la même peine un jeune homme de vingt-un ans, officier du
+ même régiment. Il a été exécuté avant-hier. Il avait demandé de
+ commander lui-même l'exercice pour son exécution. On eut le tort de
+ le lui permettre; il mourut avec beaucoup de courage.--La
+ gendarmerie avait ramassé quatre-vingt-treize conscrits qui avaient
+ déserté après la publication du premier décret prononçant la peine
+ de mort contre ce crime; à cause des circonstances actuelles, ils
+ furent tous condamnés. Assemblés sur le lieu de l'exécution, on leur
+ déclara que deux seulement seraient fusillés, et que le sort en
+ déciderait. Cette clémence, tempérée par une sévérité nécessaire, a
+ produit un très bon effet. Malheureusement, le sort se montra
+ injuste, là où le Roi s'était montré si bon, il tomba au sort les
+ deux plus doux, peut-être les plus innocents de la troupe.--M. de
+ Buttlar, gendre de M. de Gilsa, a obtenu sa grâce. Il n'a perdu que
+ son emploi, et a été conduit en France. Il sera détenu pendant deux
+ ans.--Le Roi fait souvent passer la revue des troupes. Il se promène
+ beaucoup à cheval et quelquefois à pied dans le beau parc de Cassel
+ qui a été interdit au public pendant certaines heures de la journée
+ et de la soirée.--On avait fait espérer à un des régiments de
+ cuirassiers français qui traversaient la Wesphalie que le Roi le
+ passerait en revue. Le régiment attendit pendant deux heures à la
+ pluie à la porte de Cassel, et la revue n'eut pas lieu. Quelqu'un en
+ parla à Sa Majesté:--J'étais, dit le Roi, embarrassé de décider à
+ qui j'accorderais la droite. Si c'était aux cuirassiers,
+ j'affligerais ma garde, et elle n'avait encore rien fait pour la
+ mériter.
+
+
+Nous allons faire connaître de quelles forces disposait le roi
+Jérôme à cette époque critique:
+
+Du 10e corps dont il avait le commandement et qui était composé: 1º
+de trois mille cinq cents hommes en garnison sur l'Oder ou dans la
+Poméranie; de quatre cents hommes (général Liebert) à Stettin; de
+onze cents hommes (général Coudras) à Stralsund; de deux mille
+hommes à Custrin; de la division westphalienne d'Albignac à la
+poursuite de Schill; de la division hollandaise Gratien également en
+marche sur Stralsund, et recevant des ordres tantôt de son
+souverain, tantôt de Jérôme; de la division westphalienne de la
+garde (deux mille cinq cents combattants), commandée par les
+généraux du Coudras comte de Bernterode, Bongars pour les gardes du
+corps, colonel comte de Langenswartz pour les grenadiers à pied,
+major Fulgraff pour les chasseurs à pied, colonel Wolff pour les
+chevau-légers, prince de Philipsthal pour les chasseurs
+carabiniers, envoyés à Halberstadt. Quartier général à Cassel, chef
+d'état-major général le général Rebwell. La division westphalienne
+de la ligne avait ses trois régiments d'infanterie à Magdebourg, 1er,
+5e, 6e; le régiment de cuirassiers à Halberstadt. La division
+Gratien forte de deux brigades, d'un régiment de cuirassiers et de
+trois compagnies d'artillerie, était à Stralsund où elle détruisit
+les bandes de Schill. Enfin à Cassel et à Magdebourg se trouvaient
+encore, sous le colonel Chabert, des détachements français et du
+régiment Grand-Duché de Berg envoyé de Mayence lors des troubles,
+environ trois mille hommes.
+
+Tout cela composait bien un corps d'environ seize mille combattants,
+mais la garnison de Magdebourg en immobilisait cinq mille, mais
+l'empereur redemandait dans toutes ses lettres le renvoi du régiment
+Grand-Duché de Berg, mais la division hollandaise ne devait pas
+tarder à recevoir de son roi l'ordre de rentrer en Hollande à cause
+du débarquement des Anglais aux bouches de l'Escaut, en sorte que,
+par le fait, Jérôme ne pouvait mettre en ligne plus de huit à neuf
+mille hommes, en y comprenant deux mille Saxons à Dresde sous les
+ordres du colonel Thielmann.
+
+Il y avait bien aussi à Dessau, sous le nom de Corps d'observation
+de l'Elbe, deux divisions aux ordres du duc de Valmy, mais ce
+dernier avait défense de disposer d'un homme sans l'ordre formel de
+l'empereur, à moins que ce ne fût pour la défense de Mayence.
+
+Cependant le duc de Brunswick-Oels, secondé par l'Autriche, était
+parvenu à lever à ses frais, en Bohême, une légion qui, revêtant
+l'uniforme noir, prit le nom de: _Armée de la Vengeance_, et le duc
+dépossédé de Hesse leva également une autre légion de sept à huit
+cents hommes portant l'uniforme vert.
+
+Vers le milieu de mai 1809, ces deux légions, soutenues par quelques
+troupes autrichiennes, s'établirent vers Neustadt, Gabel et Rümburg
+sur la frontière de Bohême, menaçant la Saxe. À cette nouvelle,
+notre allié, le roi de Saxe, se retira à Leipzig, au nord-ouest de
+ses États, vers la Westphalie, demandant à Jérôme de marcher à son
+secours, affirmant que la Prusse avait déclaré la guerre, que
+l'avant-garde de Guillaume marchait sous les ordres de Blücher.
+Napoléon, recevant cette nouvelle de son frère Jérôme, répondit que
+les Prussiens n'étaient pour rien dans cette levée de boucliers, que
+le 10e corps suffisait pour tenir tête à l'ennemi du côté de Dresde,
+ville qu'il fallait occuper et garder. Il défendit au duc de Valmy
+de déplacer ses divisions.
+
+Sur les ordres de Jérôme, le colonel Thielmann, avec ses deux mille
+Saxons, se porta de Dresde sur la frontière de la Lusace, livra
+quelques combats au duc de Brunswick dans les montagnes, le chassa
+de Zittau et de Rümburg. Mais voyant l'ennemi manoeuvrer pour gagner
+les défilés de Leitmeritz et de Toeplitz et se porter sur Dresde par
+la route de Dippoldiswalde, il se hâta de se replier sur la capitale
+du royaume pour la défendre. En effet, un corps autrichien de six
+mille hommes, commandé par le général Am-Ende, s'était rendu à
+Leitmeritz pour appuyer le duc. Le 10 juin, les Autrichiens et les
+bandes de Brunswick, ayant opéré leur jonction, marchèrent sur
+Dresde. Le 11, ils y entrèrent. Thielmann, se voyant trop inférieur
+en force pour lutter dans la ville, préféra tenir la campagne. Il
+avait pris la résolution de se replier sur le 10e corps, lorsque
+dans la nuit du 11 au 12 juin il crut pouvoir essayer de surprendre
+les bivouacs du duc. Après un combat des plus vifs, la cavalerie
+autrichienne de Am-Ende força les Saxons à se replier sur Leipzig
+par Wilsdruf. Thielmann ne fut pas d'abord poursuivi, le général
+autrichien ayant voulu recevoir du gouvernement de la Bohême
+l'autorisation de se porter sur Leipzig. Le 19, cette autorisation
+étant arrivée permit aux deux alliés de suivre Thielmann qu'ils
+rencontrèrent près de la ville. La lutte ne fut pas longue, le
+colonel saxon avait trop peu de monde, il passa l'Elster et se
+replia par Lutzen sur la Saale. Le 22, il fut joint à Weissenfels
+par les troupes du roi Jérôme. Ce dernier, ayant à Cassel le
+régiment grand duc de Berg et sa garde (trois mille hommes), expédia
+l'ordre à Albignac et à Gratien, l'un à Domitz, l'autre à Stralsund,
+de le venir joindre à marches forcées à Sondershausen, en descendant
+l'un par Magdebourg, l'autre par Brunswick. Lui-même avait
+l'intention de se porter sur Sondershausen avec sa garde, et de là
+sur Dresde. Mais les opérations contre Schill n'ayant pas permis à
+ses deux généraux de se mettre en marche pour la Westphalie avant
+les premiers jours de juin, le Roi modifia ses projets primitifs.
+Cependant, en apprenant le 15 juin l'entrée à Dresde des
+Autrichiens, il fit partir le 16 ses troupes, et le 18 il se mit
+lui-même en marche après de nouveaux ordres envoyés à Albignac et à
+Gratien.
+
+L'empereur ne plaisantait pas pour ce qui avait trait aux affaires
+de la guerre. Il écrivait à Eugène, le vice-roi d'Italie: «Mon fils,
+la guerre est une chose sérieuse»; à Joseph, à Naples: «Les états de
+situation de mes troupes sont les romans que je lis avec le plus de
+plaisir». Aussi les négligences de Jérôme à cet égard lui
+étaient-elles très sensibles. Le 16 juin 1809, il manda au prince de
+Neufchatel:
+
+
+ Mon cousin, écrivez au roi de Westphalie, commandant le 10e corps
+ d'armée, que je n'ai aucune situation, que je ne reçois aucun
+ rapport, que j'ignore où sont mes troupes, que depuis dix-sept jours
+ que l'affaire de Schill s'est passée, je n'en ai pas encore reçu de
+ rapport officiel; que si, comme commandant du 10e corps, il ne
+ correspond pas fréquemment avec vous et ne vous rend pas compte de
+ tout ce qui intéresse ce corps d'armée, je me verrai obligé d'y
+ nommer un autre commandant.
+
+
+Jérôme crut de sa dignité de mener avec lui à l'armée, non seulement
+un grand nombre d'équipages, de gens de cour, chambellans et autres,
+mais même les ministres plénipotentiaires étrangers accrédités
+auprès de sa personne. Averti de cette circonstance par les lettres
+de Reinhard, Napoléon, qui aimait à voir faire la guerre
+sérieusement, comme il la faisait lui-même, trouva fort mauvaise
+cette manière d'agir de son frère.
+
+Cependant le 21 juin, les divisions Albignac et Gratien après des
+marches rapides se joignirent aux autres troupes de Jérôme qui se
+trouva ainsi à la tête d'une douzaine de mille hommes. Le 22,
+Albignac rallia les Saxons sur la Saale à Weissenfels, et les
+opérations commencèrent.
+
+Nous donnerons plus loin quelques lettres de M. Reinhard relatives à
+cette campagne de Saxe pendant laquelle il ne quitta pas le quartier
+général du Roi, campagne qui mécontenta fort l'empereur; mais avant,
+analysons rapidement les événements militaires.
+
+Le 24 juin, Jérôme, ayant rallié les troupes du 10e corps et étant
+arrivé de sa personne à Querfurt, passa la Saale et poussa l'ennemi
+sur Leipzig qu'il évacua le lendemain. Le Roi entra le 26 à Leipzig,
+pendant que le général d'Albignac continuait à pousser les
+Autrichiens sur Dresde. Un petit engagement eut lieu à Waldheim, et
+pendant la nuit le duc de Brunswick se séparant de Kienmayer avec
+ses bandes fila sur Chemnitz au sud-est pour gagner Bayreuth et la
+Westphalie, tandis que les landwehr de Kienmayer se ralliaient sur
+Dresde, et que lui-même avec ses troupes régulières prenait la route
+de Bayreuth. Le 29, tout le 10e corps étant concentré à Waldheim,
+Jérôme marcha sur Dresde. Le 30, le colonel Thielmann commanda
+l'avant-garde du 10e corps, et le général d'Albignac pénétra à
+Dresde où le Roi fit son entrée le 1er juillet.
+
+À Dresde, Jérôme apprit que ses États paraissaient peu tranquilles,
+qu'une expédition anglaise semblait menacer les côtes de la
+Hollande, et que le duc de Brunswick se dirigeait sur la Westphalie.
+Ces nouvelles le déterminèrent à abandonner Dresde où l'empereur
+voulait qu'il se maintînt. Le 4, il quitta cette ville, faisant
+engager fortement le roi de Saxe à rentrer dans sa capitale.
+
+Reinhard écrivit à Champagny, de Mersebourg et de Leipzig le 26
+juin, et de Dresde le 1er juillet, les deux lettres suivantes:
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Mersebourg, 26 juin 1809.
+
+ Le Roi est arrivé à Querfurt avant-hier matin à onze heures (24
+ juin); hier, à dix heures du matin, il est arrivé à Mersebourg.
+
+ La division du général Gratien, le régiment de Berg et une grande
+ partie de la garde marchent avec Sa Majesté. La totalité de ces
+ troupes est entre 6 et 7,000 hommes; celles du général d'Albignac,
+ en y comprenant les Saxons, montent au même nombre dans lequel il y
+ a 1,300 chevaux. L'artillerie des deux corps est de 52 pièces; celle
+ des Hollandais surtout est très belle et parfaitement tenue. Le
+ corps hollandais et environ 800 Français, répartis entre les deux
+ divisions, sont ce que nous avons de mieux en officiers et en
+ soldats. D'après des renseignements qu'on a lieu de croire exacts,
+ les forces du duc d'Oels montent en tout à 9,080 hommes. Sa bande
+ noire, qui s'appelle la _Légion de la Vengeance_, est une mauvaise
+ troupe; quelques escadrons d'Uhlans, du régiment de Blankenstein,
+ méritent un peu plus de considération. Le 23, le duc d'Oels fit un
+ mouvement en avant, et les troupes saxonnes furent obligées de
+ reculer jusqu'à Weissenfels. Ce mouvement avait pour objet de
+ masquer la retraite. En effet, dès le 24, l'ennemi évacua Leipsig où
+ nos troupes sont entrées hier au soir à deux heures. Ce matin toutes
+ nos troupes se sont portées en avant: le Roi partira à onze heures.
+
+ On a intercepté une lettre où l'archiduc Charles reproche au duc
+ d'Oels les excès commis en Saxe par sa troupe, qui doit, dit-il,
+ être entièrement soumise aux lois de la discipline autrichienne,
+ aussi longtemps qu'elle aura besoin d'être soutenue par les
+ Autrichiens. Déjà le duc d'Oels était subordonné au général
+ autrichien Am-Ende, et c'est à celui-ci qu'il adressa la députation
+ de Dresde qui était venue à sa rencontre.
+
+ Le général Gratien a présenté hier au Roi les principaux officiers
+ de sa division; Sa Majesté s'est entretenue pendant longtemps avec
+ eux. Il règne une grande activité au quartier-général. Le général
+ d'Albignac a été fidèle à l'ordre de ne rien hazarder. Depuis que
+ les ennemis se retirent, quelques personnes pensent qu'il aurait pu
+ se porter sur leur derrière: il valait encore mieux ne commettre
+ aucune imprudence.
+
+ La ville de Cassel est tranquille. Cependant, le général Eblé a pris
+ occasion d'un mouvement qui a eu lieu à Carlshaven contre des
+ gendarmes, pour écrire en deux mots au Roi: que jamais la Westphalie
+ n'a été aussi près d'une insurrection générale. Une preuve des
+ manoeuvres clandestines qui continuent à y avoir lieu, c'est qu'on a
+ arrêté dernièrement une voiture chargée d'armes et de poudre à canon
+ au moment de son passage par Homberg. Dans une lettre interceptée de
+ l'électeur de Hesse, il est dit qu'on ne fera rien de bon aussi
+ longtemps que cet entêté de roi de Prusse ne se déclarera point. Il
+ est certain que les matières combustibles sont entassées partout;
+ mais toutes les étincelles ne seront point propres à y mettre le
+ feu.
+
+
+ Leipzig, le 26 au soir.
+
+ Le Roi est entré à Leipzig à deux heures du soir, à cheval et à la
+ tête de ses troupes. Il ne reste plus de doute sur la retraite des
+ ennemis et sur la difficulté qu'il y aura à les atteindre. Sa
+ Majesté partira demain: le corps diplomatique ne le suivra pas
+ immédiatement.
+
+ Ce soir le Roi m'a fait entrer dans son cabinet: il m'a répété que
+ depuis Sundershausen il n'avait pas eu le temps d'écrire à S. M.
+ l'Empereur. Comme il a paru attacher quelque intérêt à ce que
+ j'écrivisse, j'expédierai cette lettre par estafette jusqu'à
+ Stuttgard.
+
+
+ Dresde, ce 1er juillet 1809.
+
+ Le Roi partit de Leipzig le 28 à onze heures du matin: la division
+ hollandaise l'avait précédé la veille. Sa Majesté passa la nuit à
+ Grimma. Le lendemain 29, le quartier-général devait être transporté
+ à Waldheim, petite ville située dans un défilé. Le Roi était en
+ arrière, et nos voitures l'avaient cette fois précédé, lorsqu'à une
+ demi-lieue de Waldheim nous rencontrâmes le général d'Albignac qui
+ ordonna aux bagages de rebrousser chemin. Les ennemis ayant fait un
+ mouvement sur leur gauche s'étaient portés sur Chemnitz. Le
+ quartier-général fut établi à Hartha, village en arrière de
+ Waldheim. Hier à deux heures de l'après-midi, le Roi est arrivé à
+ Nossen d'où il est parti ce matin à cinq heures. À dix heures, Sa
+ Majesté a fait son entrée à Dresde à la tête de ses gardes et des
+ cuirassiers saxons, au bruit des canons du rempart et des cloches de
+ la ville. Elle s'est logée au palais de Brühl.
+
+ Les ennemis avaient quitté Dresde avant-hier. Le général Kienmayer,
+ arrivé depuis quelques jours, avait établi un camp. Ce camp a été
+ levé hier et il n'est pas douteux que dès demain les ennemis seront
+ rentrés dans les frontières de la Bohême. Nos hussards leur ont
+ déjà enlevé quelques chariots. À la tête de la colonne qui s'est
+ montrée à Chemnitz et qui avant-hier encore poussait des patrouilles
+ d'uhlans jusqu'à Penig, où est le duc d'OEls. Il a peu de troupes
+ réglées avec lui: sa bande noire qui s'est très mal comportée
+ partout, et ce qui est à la solde de l'électeur de Hesse, paraît en
+ composer la partie principale. Cependant, la retraite vers la Bohême
+ de ce corps qui avant-hier encore se trouvait en quelque sorte sur
+ nos derrières, ne paraît pas bien constatée. Du reste, il est peu
+ probable qu'il risquera de prolonger son incursion. Quand le duc
+ d'OEls qui n'est point, comme on l'avait dit, entièrement subordonné
+ au général autrichien, mais qui est considéré comme une espèce
+ d'allié, voudrait, en profitant de l'absence du roi, se jeter dans
+ la Westphalie, ce serait probablement parce que ses alliés
+ voudraient en être quittes; il serait abandonné par les troupes
+ autrichiennes et il ne lui resterait qu'une bande moins dangereuse
+ que celle de Schill. Ce nouveau libérateur de l'Allemagne, ivre de
+ tabac et de bière et de quelques vivat de la populace de Leipzig,
+ voulait enrôler sous ses drapeaux tous les étudiants de cette
+ université. On lui a ri au nez. Par représailles il a levé une
+ contribution de 6,000 thalers à Leipzig et de 5,000 à Dresde. Les
+ Autrichiens se sont partout conduits avec beaucoup de ménagements.
+ Leur retraite au reste, et même quelques bruits que nous avons
+ trouvés ici circulant, semblent prouver qu'il s'est déjà passé
+ quelque événement important sur le Danube, et c'est vers ce côté-là
+ que nous ne cessons de tourner nos regards.
+
+ Il y a eu le 28 un petit engagement entre les troupes du général
+ d'Albignac et celles du duc d'OEls, en avant de Waldheim. Il paraît
+ que c'était une affaire de reconnaissance et que le tout s'est
+ réduit à quelques blessés de part et d'autre. Le général d'Albignac
+ a repris le commandement de la cavalerie et c'est le colonel
+ Thielmann, qui déjà avait remplacé le général Dyherrn dans le
+ commandement des troupes saxonnes, qui commande aujourd'hui
+ l'avant-garde. Le prince de Hesse a été commandant de la ville de
+ Dresde. Sous les Autrichiens c'était le prince de Lobkowiz,
+ commandant les milices de Bohême.
+
+ Je vous ai déjà parlé, Monseigneur, d'un mouvement qui avait éclaté
+ à Carlshaven: il a été dissipé par quelques gendarmes. Celui qui a
+ eu lieu à Marbourg a été plus sérieux: quatre ou cinq cents paysans
+ sont entrés dans la ville, mais ils en ont été promptement chassés
+ par la garde départementale. Cet événement a donné lieu à
+ l'arrestation d'un inconnu qui se nommait Ermerich, qui résidait à
+ Marbourg depuis trois mois, et qu'on dit avoir été colonel en
+ Angleterre. M. Lefebvre m'a envoyé et j'ai l'honneur de vous
+ transmettre la copie d'une lettre qu'on a trouvée dans ses papiers.
+ C'est un homme de soixante-quatre ans: il nie encore tout.
+
+ Ces mouvements, Monseigneur, ont été sans doute la cause d'une
+ certaine inquiétude que vous aurez pu remarquer dans la dernière
+ conversation du roi dont j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre
+ Excellence. Du reste, quelque vastes que puissent être les vues des
+ meneurs, il est certain que les paysans n'ont pu être séduits que
+ par des causes locales; c'est la contribution personnelle qui a
+ occasionné le petit désordre de Carlshaven; ce sont les droits de
+ consommation qui ont conduit les paysans à Marbourg et l'on me mande
+ que ce sont eux-mêmes qui ont arrêté et livré l'inconnu dont je vous
+ ai parlé. Ce qui doit rassurer entièrement, c'est que 1,500 hommes
+ de l'armée de réserve se sont rendus à Marbourg du moment où une
+ lettre du préfet de la Werra avait donné à Hanau connaissance de ce
+ mouvement.
+
+ Le roi avait expédié de Leipzig un de ses officiers d'ordonnance au
+ roi de Saxe pour l'inviter à revenir dans ses États. Cet officier
+ est revenu avant-hier. Je ne connais point directement le résultat
+ de sa mission; mais le ministre de Saxe croit savoir que l'intention
+ de sa Majesté n'est point de revenir aussi promptement que nous
+ l'espérions. Le roi lui a encore hier écrit par un autre officier.
+
+ J'apprends qu'on suppose réellement au duc d'OEls le projet de se
+ porter en Westphalie. Le général Bongars a été détaché de Nossen
+ avec deux régiments de cuirassiers et un bataillon français pour se
+ mettre à sa poursuite.
+
+ Le roi m'a dit que l'empereur présumait qu'il aurait pris position à
+ Erfurt. Il m'a dit que dans quinze jours il comptait être à
+ Hambourg. Au quartier-général et même dans les propos du comte de
+ Furstenstein, il n'est question que d'aller en Bohême. À Cassel, on
+ attend Sa Majesté dans cinq ou six jours en vertu de la promesse que
+ Sa Majesté a donnée. Le roi a dit lui-même que depuis son absence,
+ tout est en stagnation et en désordre.
+
+ Le roi a voulu que les ministres étrangers l'accompagnassent,
+ d'après le principe qu'il nous a exprimé hier qu'ils n'étaient
+ attachés qu'à sa personne. Il n'en est pas moins vrai que de temps
+ en temps nous nous sentons ici un peu déplacés et nous le serions
+ bien davantage s'il s'agissait d'entrer en Bohème. Quant à moi je
+ n'ai d'autre volonté que de connaître mon devoir et vos ordres.
+ Jusque-là mon devoir est certainement de ne point m'éloigner du
+ frère de l'empereur; et s'il s'agissait réellement de s'avancer en
+ Bohême, le mot que le roi lui-même m'a dit sur la position à prendre
+ à Erfurt suffirait peut-être pour me faire écouter. Un jour, nous
+ avions été abandonnés au milieu des bagages. Nous fîmes au comte de
+ Furstenstein des représentations concernant notre considération et
+ notre sûreté: elles ont été écoutées et nos trois voitures suivront
+ désormais immédiatement celle du roi.
+
+
+Cependant l'expédition d'Am-Ende et du duc de Brunswick se
+rattachait à une autre opération sur la Bavière et sur la Bohême. Le
+général autrichien Radiwowitz avec 10,000 hommes, occupant Bayreuth
+le 10 juillet, coupa la route de Ratisbonne au Danube, tandis
+qu'Am-Ende entrait à Dresde.
+
+L'empereur, à cette nouvelle, envoya le duc de Valmy à Strasbourg,
+et le remplaça à la tête de son corps d'armée, qui devint _réserve
+de l'armée d Allemagne_, par Junot, qu'il destina à opérer de
+conserve avec le roi Jérôme.
+
+Le duc d'Abrantès eut ordre de rétablir la route de Ratisbonne, puis
+de pénétrer en Bohême avec son corps et le 10e. Arrivé le 27 juin à
+la tête de ses troupes, il porta la division Rivaud sur Nuremberg,
+dont elle chassa les Autrichiens et les força à se replier vers la
+Bohême par Bayreuth et Hof.
+
+Le même jour, 27 juin, Kienmayer avait pris le commandement des deux
+corps autrichiens, Am-Ende et Radiwowitz, et les avait portés sur
+Hof et sur Bayreuth.
+
+Pendant ce temps, Junot poussa l'ennemi vers le nord par Nuremberg,
+Jérôme le poussa vers le sud sur la même route, mais bientôt le duc
+d'Abrantès se trouvant seul en présence des 25,000 hommes de
+Kienmayer fut obligé de se replier sur Amberg. Le 10 juillet,
+Jérôme, auquel Junot a donné pour lieu de réunion Hof afin d'agir de
+concert, ne trouve plus les troupes du duc d'Abrantès, et seul à son
+tour, devant les forces imposantes de l'adversaire, il opère sa
+retraite par Schleiz sur Leipzig pour couvrir son royaume.
+
+Jérôme était resté trop ou trop peu de temps à Dresde. En se mettant
+immédiatement à la poursuite des Autrichiens d'Am-Ende, ne les
+quittant pas, opérant sur le sud et Junot sur le nord, ils prenaient
+peut-être l'ennemi entre deux feux. En se maintenant à Dresde, il
+obéissait aux ordres de l'empereur, qui attachait avec raison à la
+conservation de cette capitale une grande importance.
+
+Nous allons continuer à donner quelques lettres écrites par Reinhard
+pendant les premiers jours de cette campagne.
+
+
+ Freyberg, ce 4 juillet 1809.
+
+ Le roi est parti de Dresde ce matin à huit heures: il est arrivé ici
+ à deux. Le colonel Thielmann s'est porté en avant de Pirna, le
+ général Bongars doit se trouver en avant de notre côté, puisque le
+ roi a appris hier que le duc d'OEls se retirait en grande hâte vers
+ la Bohême. À notre arrivée à Freyberg on disait qu'il n'était qu'à
+ cinq lieues de distance de Marienberg. On assurait à Dresde qu'il
+ avait reçu trois courriers qui le rappelaient en Bohême. L'intention
+ du roi ce matin était de passer ici la journée de demain.
+
+ Le chef de l'état-major m'avait déjà dit qu'avant d'entrer dans ce
+ pays ennemi, le roi attendrait les ordres de Sa Majesté Impériale.
+ M. le comte de Furstenstein m'ayant dit ensuite que nous allions à
+ Freyberg et de là probablement à Altenbourg, je lui ai témoigné mon
+ extrême satisfaction de ce que cette marche coïncidait si bien avec
+ les vues de l'empereur que je ne connaissais au reste que par le roi
+ lui-même; que sans nous éloigner de l'ennemi nous nous approchions
+ ainsi de la contrée où nous pourrions donner la main au corps du duc
+ d'Abrantès, et même des frontières westphaliennes. M. de
+ Furstenstein m'a répondu que Sa Majesté l'empereur ne paraissait pas
+ supposer que le roi pût disposer d'une aussi grande force; qu'au
+ reste Sa Majesté n'entrerait point en Bohême avant d'avoir connu les
+ intentions de son auguste frère. J'ai saisi cette occasion pour
+ assurer M. de Furstenstein que mon inclination autant que mon devoir
+ me prescrivait de suivre le roi partout où il irait.
+
+ À Dresde, le roi est allé à l'opéra le jour de son arrivée: le
+ lendemain on a chanté un _Te Deum_ dans toutes les églises. Pendant
+ ce temps il y a eu cercle à l'hôtel de Brühl et Sa Majesté s'est
+ fait présenter les officiers civils et militaires du roi de Saxe.
+ Hier elle a passé en revue les troupes qui se trouvaient à Dresde.
+ Le ministre de Saxe en Westphalie a négocié pour le compte du roi un
+ emprunt de 80,000 francs destinés à là solde des troupes. Il s'est
+ rendu utile pendant la marche par les moyens d'informations qu'il a
+ procurés.
+
+ Je n'ai point encore entretenu Votre Excellence des inquiétudes du
+ ministre de Hollande qui en effet ne paraissent point être sans
+ fondement. De tous les ministres qui accompagnent le roi, M. de
+ Huygens seul n'a point encore eu l'honneur de dîner avec Sa Majesté;
+ mais ce qui l'a surtout affligé c'est qu'un certain article du
+ journal de l'empire, où la Hollande est représentée comme la source
+ de tous les bruits faux et malveillants contre la France, a été
+ réimprimé par ordre du roi dans la gazette de Leipzig[118]. Le
+ lendemain M. de Huygens prit occasion de l'autorisation qu'il avait
+ reçue de suivre Sa Majesté pour se plaindre de la publication de cet
+ article qui ferait une peine extrême à son maître. Quoi qu'il en
+ soit, d'après les informations que j'ai pu obtenir, ce qui en ce
+ moment s'est interposé entre les deux frères, c'est un peu d'humeur
+ qui se dissipera, et il n'est guère probable que les choses iront
+ jusqu'au rappel de M. de Huygens, comme celui-ci paraît le craindre.
+ Quant au rappel de M. Munchhausen, il est certain que le roi de
+ Hollande l'avait demandé: il l'a dit lui-même à ce ministre qu'il a
+ toujours bien traité et qu'il traite bien même, à son départ. Ce ne
+ fut qu'à la dernière audience qu'il lui demanda s'il ne devinait
+ point le motif qui lui avait attiré ce que Sa Majesté avait cru
+ devoir faire? M. de Munchhausen ayant répondu que cela lui était
+ impossible, le roi ne s'en est point expliqué davantage.
+
+ [Note 118: Une petite mésintelligence s'était élevée, à la
+ suite de la course de Schill, entre Jérôme et Louis, le
+ second ayant pris parti pour Gratien, le premier pour
+ d'Albignac accusé, non sans raison, de lenteur et de mauvais
+ vouloir par le général hollandais.]
+
+ Le Conseil privé de Dresde avait envoyé un M. de Manteufel pour
+ recommander le sort de la Saxe à l'empereur d'Autriche. Cette
+ démarche, qui pouvait être excusable de la part d'un conseil
+ municipal, ne l'est point de la part d'un conseil de ministres
+ d'État. Aussi, à l'audience de dimanche, le roi en a-t-il hautement
+ exprimé sa surprise et son indignation. Il a dit que si cela était
+ arrivé dans un autre pays que la Saxe dont le souverain était connu
+ par sa loyauté et son attachement à la cause commune, les suites
+ pourraient en être très graves; mais que sûrement le roi de Saxe
+ serait celui qui se montrerait le plus péniblement affecté de cette
+ mission déplacée. À côté de l'ordre du jour de Sa Majesté
+ westphalienne que j'ai transmis à Votre Excellence avec ma dernière
+ expédition, était affichée partout une proclamation de Sa Majesté
+ saxonne dont j'ai l'honneur de joindre ici la traduction quoique je
+ doive supposer que M. de Bourgoing vous l'aura déjà envoyée[119]. Le
+ roi a été plus content de sa réception à Dresde que de celle qu'on
+ lui avait faite à Leipzig: cette dernière ville en sa qualité de
+ ville de commerce a son esprit d'égoïsme, sa manufacture de fausses
+ nouvelles, sa populace oisive et souffrante. À Dresde, d'ailleurs,
+ la proclamation du roi de Westphalie avait déjà produit un bon
+ effet. Depuis que la Prusse n'est plus comptée au nombre des
+ puissances, les Saxons, peu flattés dans tous les temps de partager
+ leur souverain avec les Polonais, affectent par une sorte
+ d'opposition de se montrer attachés à l'Autriche; mais le génie de
+ cette nation polie, spirituelle et énervée, diffère essentiellement
+ de celui des Autrichiens; aussi n'ai-je nullement partagé
+ l'inquiétude du roi sur la fidélité des troupes saxonnes. Un homme
+ de lettres, Adam Muller, un des coryphées de cette école moderne qui
+ fait dépendre le salut de l'Europe du rétablissement du
+ catholicisme, connu d'ailleurs à Dresde et en Allemagne par un cours
+ de lectures publiques où l'on trouve de l'esprit de néologisme et
+ des paradoxes, avait servi de secrétaire au prince de Lobkowiz. Il a
+ reçu l'ordre de quitter la Saxe et s'est rendu à Berlin.
+
+ [Note 119: Deux pièces sans nulle importance.]
+
+ M. le colonel Clary, chargé par le roi d'Espagne de porter à S. M.
+ westphalienne l'ordre de la Toison d'or, a obtenu la permission
+ d'accompagner, de suivre le roi dans cette campagne: il a suivi le
+ quartier-général depuis Sondershausen. Le roi, de son côté, vient
+ d'instituer une décoration de médailles d'or et d'argent pour
+ récompenser, parmi les sous-officiers et les soldats de son armée,
+ le mérite et les services militaires. Une pension de 100 fr. est
+ attachée à la médaille d'or et une de 50 fr. à la médaille d'argent.
+ Je n'ai pu prendre copie du décret d'institution qui aura déjà paru,
+ vu qu'il paraîtra dans le _Moniteur westphalien_.
+
+
+ Ce 4 au soir.
+
+ Le corps du duc d'OEls tient encore entre Schauberg et Zwickau. Avec
+ les milices et les uhlans on le croit encore fort de 6 à 7,000
+ hommes. Ce partisan a enlevé toutes les armes à feu qu'il a pu
+ saisir dans cette contrée où la liberté de la chasse fait attacher
+ du prix à de bons fusils. Le général Bongars est à Leipzig, ce qui
+ probablement a fait dire ce matin à Dresde que le duc d'OEls était à
+ Halle. Des avis de la frontière parlent du corps de l'électeur de
+ Hesse comme devant venir se joindre à celui du duc d'OEls. Il parait
+ que c'est le corps qui avait pénétré dans Bayreuth et que l'approche
+ du général Rivaud, qui, le 28, était à Wurtzbourg, aura forcé de
+ rentrer en Bohème. Le roi s'est informé des routes de la Bohême, de
+ la Franconie et de la Thuringue: laquelle prendra-t-il?
+
+ M. de Malsbourg, écuyer de S. M. envoyé à Francfort auprès du roi de
+ Saxe depuis notre entrée à Dresde, et le retour de M. de Courbon
+ nous fera connaître sans doute la résolution définitive de ce
+ souverain. M. Bigot, officier d'ordonnance, est parti hier pour le
+ quartier général impérial, où M. Guériot, parti de Leipzig dix-huit
+ heures après l'expédition de mon estafette du 26, doit déjà être
+ arrivé.
+
+
+ Freyberg, ce 5 juillet 1809.
+
+ J'ai reçu la lettre du 22 juin par laquelle Votre Excellence
+ m'accuse réception de mes lettres nºs 51 et 52, et me transmet les
+ ordres que Sa Majesté Impériale a daigné me faire réitérer dans
+ cette occasion. Je m'efforcerai, Monseigneur, dans ma position
+ actuelle, de les remplir de mon mieux, quelque indigne que je sois
+ de rendre compte des opérations militaires. Heureusement le ministre
+ de Saxe, remplissant les fonctions de chef d'espionnage, est assez
+ au courant des mouvements dont on fait un grand mystère au
+ quartier-général à nous autres profanes du corps diplomatique. Le
+ ministre des affaires étrangères porte l'habit et prend quelquefois
+ le langage d'officier d'ordonnance; il ne nous appartient plus et
+ c'est presque de vive force que j'ai été obligé d'emporter
+ avant-hier un moment de conversation avec lui. Le roi l'avait
+ chargé en ma présence de me communiquer les bulletins; il ne l'a pas
+ fait; le chef d'état-major m'avait promis la communication de ses
+ rapports: je me suis lassé de les demander. Comme au reste ces
+ informations parviendront à Sa Majesté Impériale par un autre canal
+ et que Votre Excellence pourra lire les bulletins un peu plus tard
+ dans le moniteur westphalien, il n'y a point d'inconvénients et je
+ suis même très éloigné de me plaindre d'une situation qu'il était
+ facile de prévoir et qui ne me rend responsable que de mes propres
+ erreurs.
+
+ C'est par le ministre de Saxe que j'ai appris que les troupes
+ saxonnes détachées à la poursuite du général Kienmayer, qui s'était
+ retiré au-delà de Peterswalde avec 3,000 hommes environ de troupes
+ réglées, avait ordre de se rapprocher d'ici et que le général
+ Bongars était à Leipzig. J'ai pensé que ce pourrait être pour aller
+ à la rencontre du roi de Saxe; d'autres disent que c'est pour se
+ procurer plusieurs objets qui manquent à ses cuirassiers; d'autres
+ qu'une partie de sa cavalerie a eu ordre de se rendre à Cassel.
+ J'apprends que le général Bongars aussi doit se rapprocher de nous.
+ La position de Freyberg est plus centrale en effet; cependant
+ _Dresde, où n'est restée aucune troupe, sera de nouveau livrée aux
+ incursions ennemies_.
+
+ Le roi, depuis qu'il est à l'armée, a donné tout son temps à ses
+ occupations: il a fait presque toute la route à cheval. Le général
+ Rewbell, chef de l'état-major, et le comte de Bernterode du Coudras,
+ capitaine de ses gardes, sont habituellement auprès de lui; le comte
+ de Furstenstein ne quitte point sa personne. Le général
+ Klosterlerod, les colonels Chabert, de Lepel, Verdun, de Borstel, de
+ Schlosheim, Zeweinstein, de Laville, Villemereuil, le prince de
+ Salm, font le service du quartier-général. MM. de Soudressons, l'un
+ maréchal de la cour, l'autre préfet du palais, M. de Marinville,
+ secrétaire du cabinet, et deux pages composent le reste de sa suite.
+
+ Aux membres du corps diplomatique, s'est joint depuis hier au soir
+ le ministre de Prusse, qui, quoique à peine rétabli, s'est mis en
+ route immédiatement après avoir reçu de Berlin l'ordre de suivre Sa
+ Majesté.
+
+ Il n'est plus douteux que le corps ennemi a été constamment plus
+ faible que le nôtre et qu'en y comprenant la Landwehr il n'a jamais
+ dépassé 10,000 hommes. Une mésintelligence constante a régné entre
+ les Autrichiens et le corps du duc d'OEls.
+
+ Le général Rewbell se plaint de la jalousie qui règne chez nous,
+ entre les Saxons, les Hollandais et les Westphaliens. En Saxe, on
+ prétend que les Autrichiens ont tenu une meilleure discipline que
+ les nôtres sans exception. Cependant il n'y a point d'excès graves;
+ les gardes par besoin ont, dit-on, enlevé ou échangé quelques
+ chevaux. Le comte de Bernterode a fait couper la queue à un cheval
+ qu'il se destinait. Le général Rewbell l'a fait rendre.
+
+ Le général d'Albignac a beaucoup perdu de sa réputation. Le général
+ Gratien avait offert son concours à Doemitz pour ne laisser échapper
+ aucun ennemi: l'autre a voulu avoir seul la gloire et l'ennemi s'est
+ échappé. Le ministre de Hollande m'a assuré que Gratien avait reçu à
+ Rostock l'ordre de ne point attaquer Schill et de revenir, mais que
+ c'était cet ordre en poche qu'il avait marché sur Stralsund. Les
+ généraux hollandais se distinguent par leur tenue et leur maturité
+ dans une position difficile. Le régiment de Berg (officiers et
+ soldats) est mal discipliné. Rewbell se plaint du comte de
+ Bernterode qui, dit-il, ne fait que des bévues. Le général Allix se
+ plaint du général Rewbell pour avoir laissé son parc d'artillerie à
+ Dresde sans aucune troupe pour le protéger. Comme notre marche est
+ devenue un peu incertaine, les soldats commencent à penser qu'on n'a
+ pas grande envie de se battre.
+
+ Le général Royer a fait enlever de Marbourg le nommé Ermerich et les
+ autres prisonniers, probablement pour les mettre à l'abri d'un coup
+ de main de quelque bande insurgée. M. Siméon les a réclamés;
+ j'apprends qu'ils vont être ramenés à Cassel.
+
+ Pour donner à Votre Excellence une idée de l'esprit de cette ville,
+ je ne saurais mieux faire que de transcrire quelques passages de la
+ correspondance de M. Lefebvre.
+
+ Le roi a visité ce matin les bâtiments où se fait la fonte ou
+ l'amalgame du minerai. J'avais parlé à M. de Furstenstein de M.
+ Werner comme d'un homme du mérite le plus distingué et comme du
+ premier minéralogiste de l'Allemagne. Mais un chef des mines qui ne
+ savait pas le français a conduit Sa Majesté, et le prince de Salm a
+ servi d'interprète.
+
+ Les généraux hollandais, le général d'Albignac et le colonel
+ Thielmann se sont réunis ici aujourd'hui; on attend demain le
+ général Bongars et un régiment hollandais venant de Magdebourg.
+
+ Le roi nous a dit qu'il avait fait écrire au général Kienmayer pour
+ lui demander si le duc d'OEls était à la solde de l'Autriche: que
+ dans le cas contraire il ne pourrait le traiter que comme un
+ aventurier.
+
+ La gazette de Leyde, en imprimant l'article dont j'ai parlé dans mon
+ numéro précédent, l'accompagne d'une réfutation. M. de Huygens vient
+ de demander à M. de Furstenstein, comme le seul moyen de rendre
+ justice et satisfaction à Sa Majesté hollandaise, que la réfutation
+ aussi soit imprimée dans les gazettes qui sont sous l'influence du
+ gouvernement westphalien. Ce ministre l'a promis.
+
+ Depuis que je suis au quartier-général j'ai envoyé toute ma
+ correspondance à Votre Excellence par estafette, mon nº 55, le 24
+ juin, de Querfurt à Francfort; mon nº 56, le 26 à minuit, de Leipzig
+ à Stuttgard. Un officier saxon, que le roi avait retenu et qui est
+ parti de Dresde le 2 juillet au matin pour Francfort, s'est chargé,
+ sous les auspices de M. de Furstenstein et sous l'enveloppe de
+ ministre de Westphalie à Francfort, de mon nº 57. Je me propose
+ d'envoyer la présente expédition par estafette, de Chemnitz, où nous
+ allons demain matin, à Stuttgard: c'est un détour sans doute, mais
+ je n'ose pas encore m'écarter de la route de Francfort, dans
+ l'incertitude où je suis sur l'état des affaires en Franconie.
+
+ _P.-S._ Ce 5 au soir.
+
+ Un courrier du roi, revenant de Cassel, m'apporte à l'instant, de la
+ part de M. Lefebvre, la dépêche que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'adresser le 26 du mois passé. Je me félicite,
+ Monseigneur, d'avoir pressenti et prévenu les intentions de S. M.
+ Impériale. Votre Excellence aura pu se convaincre que je n'ai jamais
+ été incertain sur le parti que j'avais à prendre, quoique dans un
+ temps où il n'était point question de s'éloigner des frontières de
+ la Westphalie et où l'on assurait que l'on n'entrerait point en
+ Saxe, j'ai cru devoir chercher quelque expédient pour ne rien
+ préjuger sur les ordres de Sa Majesté l'empereur quels qu'ils
+ puissent être.
+
+ Je me suis empressé de communiquer à M. le comte de Furstenstein et
+ les bulletins que M. Lefebvre avait déjà copiés pour les faire
+ imprimer à Cassel, et le contenu de votre dépêche. J'ai dit à ce
+ ministre que, quoiqu'il n'y soit question que du langage ostensible
+ que j'avais à tenir, il en résultait cependant que déjà la marche du
+ roi répondait parfaitement aux vues de Sa Majesté Impériale, et que
+ la réponse confidentielle et positive que Sa Majesté allait recevoir
+ pouvait en quelque sorte être prévue. M. de Furstenstein a paru
+ incertain s'il convenait que le roi entrât personnellement en
+ Bohême. Comme il s'agit aujourd'hui de trois corps, l'opération aura
+ besoin d'être concertée: on ne courra plus le risque de s'aventurer,
+ et si le roi entre en Bohême, il y paraîtra d'une manière glorieuse
+ et digne de sa personne. C'est du reste à Chemnitz qu'il faudra
+ prendre une résolution, et la lettre de Votre Excellence ne pouvait
+ arriver plus à propos. Le courrier de M. Bourgoing, en remettant
+ votre paquet à M. Lefebvre, a dit de vive voix qu'on disait à
+ Francfort que le roi de Saxe en partirait mercredi 6, mais qu'il
+ n'irait que jusqu'à Leipzig. J'ai informé M. de Furstenstein de ce
+ oui-dire, mais je n'ai pu deviner ce que signifiait le sourire avec
+ lequel il l'a reçu. Il signifiait à peu près qu'on n'était pas très
+ content de Sa Majesté saxonne et qu'on ne croyait pas à son retour.
+
+ Lorsque j'ai annoncé au ministre de Saxe que toutes les
+ contributions levées par des bandes ou patrouilles autrichiennes
+ seraient restituées aux dépens des pays héréditaires, il m'a demandé
+ en riant si les dépenses occasionnées par la présence des troupes
+ amies retomberaient aussi sur l'Autriche. Il a ajouté aussi qu'il
+ espérait que je représenterais à Sa Majesté impériale mon maître
+ combien cette marche était coûteuse pour la Saxe. Il m'a paru que
+ cette observation lui avait déjà été faite de Francfort, et sa
+ position en effet est délicate.
+
+
+ Schleiz, ce 12 juillet 1809.
+
+ À peine mes collègues et moi avions-nous fait partir un exprès de
+ Werdau pour porter à Géra nos paquets, d'où ils ont été expédiés par
+ une estafette à Francfort, que nous apprîmes par hasard, comme à
+ l'ordinaire, que le roi allait partir, non pour Géra, mais pour
+ Reichenbach. Ce départ fut annoncé le 10, à onze heures du matin; il
+ eut lieu à midi. D'après tout ce que j'ai pu recueillir depuis, le
+ motif de ce changement subit de détermination était qu'on avait
+ appris vaguement que le duc d'Abrantès s'était retiré et même qu'il
+ avait éprouvé un échec. Quoiqu'il se soit passé trois jours depuis
+ que ce prétendu événement aurait eu lieu, tout ce qui me paraît
+ constaté, c'est que le duc d'Abrantès ne s'avance point à notre
+ rencontre, qu'il n'y a point eu de jonction, ni peut-être de
+ communication directe entre les deux corps. Le roi au reste dit
+ positivement que le duc d'Abrantès est sous ses ordres; il a même
+ assuré avant-hier que c'était lui-même qui avait donné à ce général
+ l'ordre de se retirer pour serrer d'autant plus sûrement l'ennemi
+ entre les deux corps. Cette manière ingénieuse de justifier
+ éventuellement la retraite du duc d'Abrantès est un trait de
+ générosité, et c'est par la même impulsion que le roi a fait son
+ mouvement en avant[120].
+
+ [Note 120: Reinhard avait vu juste.]
+
+ Lorsqu'on fut arrivé à Reichenbach, on afficha un ordre du jour qui
+ défendit à toutes les voitures de suivre l'armée, à l'exception de
+ celles du roi et de celles qui auraient une permission expresse du
+ chef de l'état-major. Après une conversation avec M. le comte de
+ Furstenstein dans laquelle ce ministre nous répéta que le roi
+ verrait toujours avec plaisir que nous le suivissions, rien ne fut
+ changé à l'égard de l'ordre donné pour les voitures du corps
+ diplomatique, et le lendemain matin, 11 juillet à quatre heures, on
+ se mit en marche pour Plauen. Dans la journée d'hier, les ennemis
+ tenaient encore à Hof; il y eut même une affaire de reconnaissance
+ avec un détachement du général d'Albignac, contre lequel les ennemis
+ firent sortir de Hof trois escadrons et deux bataillons d'où l'on
+ inféra qu'ils y étaient en force. Ce n'est qu'hier au soir ou dans
+ la nuit passée qu'ils ont évacué cette ville. Cependant au moment de
+ notre entrée à Plauen, un détachement de sept hussards noirs parut
+ encore à OElsnitz à deux lieues de Plauen.
+
+ Aujourd'hui, le roi a voulu partir de Plauen à trois heures du
+ matin: il n'a pu en sortir qu'après quatre heures, à cause des
+ bagages et des colonnes qui défilaient. À midi, son quartier-général
+ s'est trouvé établi à Schleiz. Trois trains d'artillerie, tous les
+ généraux, tous les corps, excepté les Saxons et le colonel
+ Thielmann, sont réunis ici. Les Saxons mêmes, qui de Marienberg
+ devaient se porter à Dresde, ont eu ordre de se rapprocher de nous.
+ Le général Bongars nous avait joints à Reichenbach.
+
+ Ce matin, la nouvelle était que le général Klenau avec 3,000 hommes
+ était venu de Bohême joindre le général Kienmayer. Cette nouvelle
+ par plusieurs raisons paraît apocryphe.
+
+ Nous voici maintenant sur la grande route de Géra et de Hof, ainsi
+ que sur la route de Iéna. Le roi reviendra-t-il à son premier projet
+ dont il me parla à Werdau? Ou se portera-t-il de nouveau sur Hof?
+ C'est ce que nous n'apprendrons peut-être que demain matin.
+
+ Sa Majesté a reçu à Reichenbach les dépêches de Sa Majesté le roi de
+ Saxe portées par un officier. Ce souverain n'a pas encore jugé à
+ propos de quitter Francfort; et il est à peu près décidé maintenant
+ qu'il n'y aura point d'entrevue. On dit que c'est le mouvement que
+ les Autrichiens avaient fait sur Chemnitz qui l'a fait changer de
+ résolution. Le roi qui avait constamment tenu S. M. saxonne au
+ courant de sa marche et des points où l'entrevue pourrait avoir
+ lieu, paraît avoir reçu cette nouvelle avec un certain déplaisir. Il
+ a dit à l'officier que peut-être dans deux ou trois jours ses
+ promenades en Saxe finiraient par l'ennuyer et qu'alors il
+ retournerait à Cassel. Sa Majesté vient d'expédier pour sa capitale
+ un courrier chargé, comme on croit, d'y annoncer son arrivée
+ prochaine.
+
+ Ce matin, avant de partir de Plauen, le roi m'a dit qu'il avait reçu
+ des nouvelles de S. M. Impériale; que le passage du Danube avait eu
+ lieu, et que déjà 3,000 Autrichiens avaient été faits prisonniers.
+ Le capitaine Gueriot, étant parti du quartier-général impérial le 4,
+ la veille du passage, a appris les nouvelles subséquentes en route
+ par un officier wurtembergeois.
+
+ Le ministre de Prusse, toujours malade et invité par nous tous à
+ retourner, a pris à Reichenbach le parti de s'en aller à Géra. Le
+ ministre de Saxe, tombé malade aussi, est resté à Plauen. Ce matin,
+ le roi a chargé M. le comte de Furstenstein, en notre présence,
+ d'annoncer à M. de Schoenbourg qu'il pouvait retourner à Cassel. Ce
+ ministre ayant dit également au ministre de Hollande que rien
+ n'empêchait les autres membres du corps diplomatique de partir
+ aussi, je pense que notre retour pour notre résidence ordinaire ne
+ sera plus guère différé.
+
+
+ Weimar, 13 juillet 1809.
+
+ Hier au soir les ministres de Bavière et de Hollande se rendirent au
+ quartier du roi pour demander à M. de Furstenstein une explication
+ positive sur les intentions de Sa Majesté concernant notre départ.
+ Je n'avais pas voulu les accompagner, parce qu'il m'avait paru qu'il
+ me convenait d'être le dernier à demander cette explication et que
+ M. de Furstenstein jugerait peut-être convenable de me la donner de
+ son propre mouvement.
+
+ Mes collègues trouvèrent ce ministre accompagnant Sa Majesté dans
+ une promenade au jardin, bien mal entretenu, du prince de
+ Reuss-Schleiz. Il n'y avait qu'un jeu de quilles, le roi y joua avec
+ gaîté. Dans ce moment arriva le major Sand, annonçant qu'il avait
+ rencontré l'ennemi en avant de Plauen; que les tirailleurs l'avaient
+ poursuivi, lui avaient tué six chevau-légers; qu'il estimait de
+ 10,000 hommes les deux colonnes qu'il avait vu descendre des
+ hauteurs et qu'à neuf heures du matin l'ennemi était entré à Plauen.
+
+ Le ministre de Wurtemberg vint m'annoncer cette nouvelle; je montai
+ au château. Bientôt le général Rewbell vint au-devant de moi. «Que
+ nous sommes heureux, dit-il, d'être sortis de ce mauvais trou de
+ Plauen! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, lorsque je vis cette
+ position détestable. Encore dans la marche de ce matin, l'ennemi
+ avait diverses routes pour nous couper; par l'une, à moitié chemin
+ entre Plauen et Schleiz, il tombait sur le milieu de notre colonne:
+ il nous anéantissait par l'autre, à la jonction de la grande route;
+ à notre route de traverse, il nous devançait ou nous empêchait de
+ prendre position.» Cela est fort heureux sans doute, mais pourquoi
+ les cheveux du chef de l'état-major ne se dressent-ils que lorsqu'on
+ est déjà arrivé dans la position qu'il a dû reconnaître, indiquer et
+ ordonner?
+
+ Un instant après, le major Borstell nous annonça que l'ordre du roi
+ était que toutes les voitures sortissent à l'instant de la ville
+ pour être parquées à un quart de lieue de la ville, et que nous
+ avions à nous dépêcher. Je répondis qu'avant tout j'avais besoin de
+ consulter M. le comte de Furstenstein pour savoir si je devais me
+ séparer de ma voiture; que ne croyant pas pouvoir la laisser en
+ ville, je pourrais me trouver obligé d'en sortir aussi, et que
+ jusque-là je priais que l'ordre ne me fût point appliqué.
+
+ M. de Furstenstein parut. Nous l'entourâmes tous; mais je ne crus
+ devoir parler que pour moi. Je dis à ce moment qu'attendu l'ordre
+ concernant les voitures, j'étais prêt à envoyer la mienne à
+ l'instant même à Cassel, sous la conduite d'un domestique éprouvé,
+ _ainsi que tout ce qu'elle renfermait_, et à suivre Sa Majesté avec
+ plaisir, par devoir et par dévouement; seulement que je devais dans
+ ce cas prier Sa Majesté de me donner les moyens de l'accompagner
+ (le roi avait promis de me prêter une de ses calèches). M. de
+ Furstenstein alla sur le champ en parler au roi et revint
+ immédiatement nous annoncer que, dans les circonstances actuelles,
+ Sa Majesté trouvait bon que nous retournassions à Cassel. Je
+ demandai en conséquence qu'il nous fût permis de prendre congé de Sa
+ Majesté. Nous fûmes admis sans délai: il était dix heures:
+
+ «Eh bien! Messieurs, dit le roi, vous voulez partir?--Votre Majesté,
+ répondis-je, veut que nous partions.--Oui, dit le roi, vous
+ m'embarrasseriez.» Il parla ensuite de la situation des choses: «Je
+ m'attendais, nous dit-il, à être attaqué à deux heures (c'est ce que
+ nous avait déjà dit le général d'Albignac). J'irai au devant d'eux,
+ c'est-à-dire je chercherai à les attirer dans la position que j'ai
+ choisie, où je réponds d'eux, et où je pourrai tenir pendant trois
+ jours contre 20 et même 30,000 hommes. Il faut espérer que le duc
+ d'Abrantès les suit: je ne sais ce qu'il fait; il s'endort, je crois
+ (ce n'est qu'à Iéna que nous avons appris que le duc d'Abrantès
+ était entré à Bayreuth le 6; il paraît certain qu'aucune
+ communication directe et suivie n'existe entre le roi et ce
+ général). S. M. nous parla ensuite de la position de Plauen et du
+ bonheur de l'avoir quittée, à peu près dans les mêmes termes que le
+ général Rewbell; Elle nous congédia en nous invitant à partir
+ promptement. Le roi nous avait proposé de prendre la route de
+ Saalfeld; je proposai celle de Neustadt, de Kahla et de Iéna. C'est
+ cette dernière que nous avons prise. Nous sommes partis de Schleiz à
+ minuit; nous sommes arrivés à Weymar ce soir à deux heures, sans le
+ moindre accident et surtout sans la moindre inquiétude. En effet,
+ comme on ne saurait douter que le passage du Danube n'ait eu lieu,
+ les ennemis qui depuis plusieurs jours pouvaient en connaître le
+ résultat devaient chercher, dans ce moment de confusion où je les
+ suppose, à éloigner le corps du roi de leurs frontières; ils ne se
+ porteront pas en avant de Plauen, mais longeant la Bohême et
+ cherchant même à gagner Dresde, ils se tiendront sur la défensive.
+ Le roi, de son côté, avant d'entreprendre quelque chose de décisif,
+ attendra les nouvelles du Danube.
+
+ Le ministre de Bavière nous a déjà quittés pour se rendre à
+ Francfort. Les ministres de Wurtemberg et de Hollande sont ici avec
+ moi. Ce dernier voyageait dans la voiture du ministre de Saxe, où il
+ laissa tous ses effets. M. de Schoenbourg, avec la fièvre et sans
+ chevaux, n'ayant pu quitter Plauen, nous sommes inquiets de ce qui
+ lui sera arrivé.
+
+ Je me propose d'attendre ici un ou deux jours; M. le colonel Clary
+ aussi doit venir nous joindre: ensuite je continuerai ma route pour
+ Cassel.
+
+ C'est ainsi, Monseigneur, que s'est terminé pour nous ce voyage
+ militaire où, je l'avoue, nous nous sentions tous, sans exception,
+ un peu déplacés et où moi, personnellement, je crains d'autant plus
+ de l'avoir été que je ne puis espérer d'avoir été capable de vous
+ transmettre sur les événements de la campagne, et, à leur défaut,
+ sur les mouvements des troupes, des notions dignes de fixer
+ l'attention de Sa Majesté Impériale.
+
+
+On comprend qu'en lisant les dépêches de Reinhard, l'empereur ait
+trouvé assez mauvais la manière dont le jeune roi menait ses troupes
+et exécutait ses ordres, aussi lui écrivit-il de Schoenbrunn, le 17
+juillet à six heures du soir:
+
+
+ Mon frère, le major-général m'a mis sous les yeux votre lettre du 7
+ juillet. Je ne puis que vous répéter que les troupes que vous
+ commandez doivent être toutes réunies à Dresde. Il n'y a à la guerre
+ ni frère de l'empereur ni roi de Westphalie, mais un général qui
+ commande un corps.
+
+ Dans les 18,000 hommes dont vous faites le compte, vous ne comprenez
+ pas la brigade La Roche, qui est d'un millier de dragons. Vous
+ pouvez y joindre en outre le 22e de ligne.
+
+ Pendant la durée de l'armistice, les Saxons peuvent se recruter de
+ quelques milliers d'hommes et remonter leur cavalerie.
+
+ Vous pouvez attirer à vous tous les Hollandais, de sorte que vous
+ puissiez vous présenter à l'ouverture des hostilités avec 25,000
+ hommes sur les frontières de la Bohême, ce qui obligera l'ennemi à
+ vous opposer une pareille force, et, comme le théâtre de la guerre
+ sera nécessairement porté de ce côté, nous serions bientôt en mesure
+ de nous joindre par notre gauche ou par notre droite.
+
+
+Jérôme, arrivé à Cassel le 19 juillet 1809, écrivit à Napoléon le
+20:
+
+
+ Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire de
+ Schoenbrunn en date du 14. La retraite du duc d'Abrantès sur le
+ Danube m'avait forcé de prendre position à Schleitz et de quitter
+ l'offensive, l'ennemi étant dès lors très supérieur à moi. J'étais
+ dans cette position lorsque j'appris la nouvelle des grandes
+ victoires de Votre Majesté et le débarquement des Anglais. Je jugeai
+ dès lors que je n'avais pas à craindre que le corps autrichien
+ m'attaquât. Je n'étais pas assez fort pour le poursuivre en Bohême,
+ ce qui me décida à me porter tout d'un coup sur la Baltique par deux
+ marches de onze lieues chacune. J'arrivai le 17 à Erfurt; l'ennemi
+ ne fit pas un seul pas pour me suivre et il ne le pouvait, d'après
+ la défaite de l'armée autrichienne. Le 18, j'ai appris l'armistice;
+ cela m'a fait persévérer dans ma marche sur le Hanovre, puisque je
+ n'avais rien à craindre pour la Saxe pendant six semaines, et que
+ dans les quinze jours réservés pour la dénonciation de l'armistice,
+ j'avais le temps de me reporter du Hanovre sur les frontières de la
+ Bohême. J'ignorais totalement que Votre Majesté pût tenir à ce que
+ j'occupasse Dresde, et, craignant même qu'elle n'y désapprouvât mon
+ séjour, je n'y étais resté que le temps nécessaire pour faire
+ rafraîchir mes troupes. La division hollandaise, qui est réduite
+ presque à rien (les quatre régiments d'infanterie n'ayant pas 900
+ bayonnettes chacun et le régiment de cavalerie n'ayant que 280
+ chevaux), est restée à Erfurt pendant que le général Gratien est
+ occupé à régler l'armistice avec le général autrichien qui est à
+ Plauen. Je compte faire rejoindre cette division à Hanovre, quand
+ j'aurai la certitude que les Anglais débarquent en force, ce qui me
+ paraît bien douteux d'après tous les événements.
+
+ D'après les intentions de Votre Majesté, j'ai donné l'ordre au
+ régiment de ligne français et aux chevau-légers polonais qui sont
+ dans les forteresses de l'Oder de rejoindre mon armée à Hanovre;
+ mais je ferai observer à Votre Majesté que ces villes vont se
+ trouver presque sans garnison.
+
+ J'augmente mes troupes tant que je puis; mais, je puis l'assurer à
+ Votre Majesté (et elle peut s'en convaincre par les rapports de
+ toutes les personnes qui connaissent la situation actuelle de la
+ Westphalie), ce royaume ne peut aller encore quatre mois tel qu'il
+ est, comme je l'ai déjà écrit à Votre Majesté que je ne trompe
+ jamais. Depuis trois mois, la liste civile, les ministres et les
+ fonctionnaires publics ne sont pas payés et n'ont reçu que de
+ faibles à-comptes sur leurs traitements, et la solde des troupes
+ sera suspendue dans deux mois si Votre Majesté ne change pas l'état
+ du royaume. Cependant, il est impossible d'y mettre plus d'ordre et
+ d'économie que je ne le fais. Aucun budget n'est atteint, mais les
+ rentrées réelles sont bien loin des recettes présumées. Enfin la
+ Westphalie ne peut se soutenir si elle continue à payer le restant
+ de la contribution de guerre, ce qui fait sortir annuellement 7
+ millions de numéraire de la circulation.
+
+ La Westphalie ne peut exister sans la France; mais aussi la
+ Westphalie peut être d'une très grande utilité au système politique
+ de Votre Majesté.
+
+ Je prie Votre Majesté de croire que tout ce que je lui dis là n'est
+ que la stricte et exacte vérité.
+
+
+Les explications données par le roi Jérôme à Napoléon ne
+convainquirent nullement ce dernier et ne le firent pas changer
+d'avis, car le 27 juillet 1809, M. de Champagny, alors auprès de
+l'empereur à Vienne, écrivit à Reinhard la lettre suivante:
+
+
+ Sa Majesté m'avait chargé de vous faire connaître combien Elle avait
+ été affligée du résultat de l'expédition du 10e corps d'armée en
+ Saxe et en Franconie. Elle me charge encore de vous écrire une
+ seconde fois sur ce sujet. Si des fautes ont été commises, si le
+ résultat n'a pas été, comme l'empereur l'avait espéré, d'enrichir la
+ réputation militaire de son auguste frère, l'empereur pense que
+ c'est moins le tort de Sa Majesté westphalienne, dont la jeunesse ne
+ peut faire supposer une grande expérience, que celui des personnes à
+ qui Elle avait accordé sa confiance. L'empereur veut donc que vous
+ parliez à M. le comte de Furstenstein, à M. le général Rewbell et à
+ M. le général d'Albignac, et que vous leur fassiez entendre que,
+ s'ils ne veulent point être l'objet du mécontentement et de la
+ sévérité de Sa Majesté, ils doivent s'attacher à ce que l'influence
+ qu'ils exercent ait pour résultat d'amener dans la marche des
+ affaires, soit militaires, soit civiles, le sérieux et la suite
+ qu'elles exigent. L'abandon de la Saxe et de Dresde, le retour à
+ Cassel lorsque l'objet de la campagne n'était pas rempli, le cortège
+ du corps diplomatique avec une armée où l'empereur ne veut que des
+ soldats, sont des choses que l'empereur désapprouve. Ce serait un
+ malheur qui nous affligerait tous que l'empereur remît en d'autres
+ mains le commandement de ce corps d'armée[121]. Que tous les amis du
+ roi (et qui le connaît lui est sûrement attaché) se réunissent donc
+ pour prévenir ce malheur et concourent à donner aux affaires et
+ surtout aux opérations militaires une direction plus ferme. Vous
+ savez quel prix l'empereur met à la gloire militaire, et tout ce qui
+ pourrait porter la plus légère atteinte à celle des armes
+ françaises, plus que toute autre chose affecterait vivement Sa
+ Majesté.
+
+ [Note 121: C'est précisément ce qui arriva quelques jours
+ plus tard.]
+
+
+Au mécontentement causé à l'empereur par la conduite un peu légère
+de son frère, pendant la campagne de Saxe, vint bientôt se joindre
+le mécontentement que lui firent éprouver la question financière en
+Westphalie et le non acquittement des obligations de ce pays envers
+la France. Et cependant!... Un État miné dès l'origine et ne
+parvenant à se procurer des ressources pour son existence
+journalière qu'à l'aide de subterfuges pouvait-il faire face à des
+exigences pareilles à celles qu'imposait Napoléon? N'était-ce pas
+demander des choses impossibles à ce pays?... Revenons un instant à
+la question de finance.
+
+Le 21 juillet M. Jollivet écrivait de Cassel:
+
+
+ Le mal est empiré depuis que, par une dépêche du 4 avril dernier,
+ j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence de l'état financier de
+ ce pays-ci et des dispositions peu courtoises du gouvernement
+ westphalien relativement aux intérêts de Sa Majesté Impériale et à
+ ceux de ses donataires.
+
+ Par un ordre particulier du roi, la caisse d'amortissement a cessé
+ ses paiements envers l'empereur.
+
+ En conséquence, les bons de caisse délivrés en paiement de la dette
+ reconnue par le traité de Berlin du 22 avril 1808, et montant à
+ 500,000 fr. par mois, n'ont point été acquittés pour les mois de mai
+ et de juin derniers.
+
+ Ceux du mois de juillet, dont le dernier est échu hier et que Son
+ Excellence le ministre du trésor public à Paris vient d'adresser au
+ sieur Brichard pour en faire le recouvrement, ne le seront pas
+ davantage: on a été obligé de les protester.
+
+ Il en sera de même du mois d'août et des suivants. En un mot, le
+ gouvernement ne fait ni ne paraît vouloir faire aucune disposition
+ pour sortir de cette léthargie.
+
+ Dès le premier refus, je me suis empressé de réclamer auprès de Sa
+ Majesté le roi de Westphalie. Le roi m'a répondu qu'il avait rendu
+ compte à Sa Majesté l'empereur de l'impossibilité où il se trouvait
+ de faire honneur à cette dette, que l'empereur, connaissant sa
+ situation, avait trouvé bon cet ajournement et qu'il était inutile
+ que j'insistasse là-dessus.
+
+ De son côté, M. Malchus, directeur de la caisse d'amortissement,
+ craignant d'être accusé d'avoir mal défendu sa caisse, a donné et
+ fait agréer sa démission. On lui savait, de plus, très mauvais gré à
+ la cour d'avoir concouru avec moi à la conclusion du traité de
+ Berlin.
+
+ Il est remplacé par M. de Malsbourg, auparavant directeur du trésor
+ public, place dont celui-ci a cru devoir donner sa démission, parce
+ que, n'y ayant habituellement de fonds que jusqu'à concurrence de la
+ moitié ou du tiers des sommes nécessaires au service, il a trouvé
+ moins affligeant de passer à la caisse d'amortissement où il n'y a
+ plus maintenant à se défendre contre personne, et qui n'est
+ aujourd'hui qu'une espèce de réservoir où puise le ministre des
+ finances pour ajourner, s'il est possible, la catastrophe.
+
+ Il faut qu'en ce moment la crise soit bien violente, puisque la
+ liste civile, qui a le pas sur tous les autres services, est
+ arriérée d'un mois et demi, et que le roi s'est trouvé obligé, dans
+ l'expédition qu'il vient de faire en Saxe pour repousser les
+ Autrichiens, d'emprunter 70,000 fr. d'un banquier saxon.
+
+ Quinze jours ou trois semaines avant l'ouverture de cette campagne,
+ le roi avait détaché M. le commandant Rewbell pour Bremen et
+ Hambourg. On ignorait l'objet de cette mission qui a été tenu fort
+ secret. Mais des lettres de commerce, venues de Hambourg à Cassel et
+ Francfort, en ont fait connaître le but. Il s'agissait de proposer
+ aux magistrats de ces deux villes de recevoir garnison française ou
+ de s'en exempter à prix d'argent. Ces magistrats ont refusé, ne
+ voulant obéir qu'à un ordre formel de S. M. l'empereur que M.
+ Rewbell n'a pu leur montrer.
+
+ Hier matin, Sa Majesté le roi de Westphalie a annoncé qu'il venait
+ de recevoir l'ordre de Sa Majesté Impériale de former à Hanovre un
+ camp de 15,000 hommes pour couvrir l'embouchure de l'Elbe et du
+ Weser et d'envoyer des garnisons à Bremen et à Hambourg.
+
+ Il est assez vraisemblable que, dans la pénurie extrême d'argent où
+ l'on se trouve ici, M. Rewbell, s'il n'y a pas nécessité urgente d'y
+ laisser des garnisons, s'empressera de renouer la négociation
+ manquée il y a six semaines. C'est du moins l'opinion de l'un des
+ ministres du roi de qui je tiens ces détails et qui m'a ajouté qu'on
+ espérait en tirer 5 à 6 millions, soit à titre d'emprunt, soit tout
+ autrement, attendu qu'il ne fallait plus compter sur l'emprunt de
+ Hollande qui, en effet, a manqué totalement.
+
+ Cette dernière circonstance avait déterminé le ministre des finances
+ à proposer la suppression de plusieurs monastères de religieuses et
+ la vente de leurs biens. Elle a été effectuée moyennant 2,200,000
+ fr.; mais le banquier Jacobson, qui les a achetés, a retenu sur le
+ prix une somme de 1,200,000 fr. en reste de 1,500,000 fr. qu'il
+ avait prêtés au roi et qui ne figurent point dans ma dépêche du 4
+ avril dernier, parce que cet emprunt avait été tenu fort secret et
+ qu'il n'a percé qu'à l'occasion de la vente des monastères dont il
+ s'agit.
+
+ Ces monastères n'ont donc aidé le trésor royal westphalien que
+ jusqu'à concurrence d'un million.
+
+ Le ministre des finances vient encore d'en mettre d'autres en vente;
+ mais personne ne se présente pour les acheter, et, s'il les vend, ce
+ ne pourra être qu'à très vil prix.
+
+ Tandis que les sources tarissent de toutes parts, le roi ne néglige
+ point d'augmenter sa liste civile. Par décret du 1er juin dernier,
+ Sa Majesté y a ajouté les biens de l'ordre teutonique, non sans
+ opposition de plusieurs de ses ministres et de son Conseil d'État;
+ mais il a fallu céder, parce que (a très bien observé le roi) ce
+ n'est pas à l'État, mais au prince qu'il a été dans l'intention de
+ Sa Majesté l'empereur de donner les biens de l'ordre teutonique
+ supprimé par son décret du 24 avril précédent.
+
+ On présume ici que le revenu des biens de l'ordre teutonique situés
+ en Westphalie s'élève de 3 à 400,000 fr. par an.
+
+ J'ai fait connaître à Votre Excellence l'espèce de guerre à mort
+ qu'ont vouée aux domaines impériaux le ministre des finances
+ westphaliennes et les divers agents sous ses ordres. Sa conduite, à
+ cet égard, est un véritable dévergondage. Il n'y a pas jusqu'à des
+ pots de vin, qui autrefois et très abusivement se prélevaient sur
+ les fermiers lors du renouvellement des baux à loyer et des
+ adjudications de dîmes, qu'il ne veuille aujourd'hui faire revivre
+ au profit du trésor public westphalien, et cela sur les domaines
+ impériaux, nonobstant le traité de Berlin qui les fait passer dans
+ la main de Sa Majesté Impériale et dans celle des donataires qu'Elle
+ a bien voulu en gratifier, francs et quittes de toutes dettes et
+ charges.
+
+ Ci-inclus la copie de la lettre du directeur impérial à Cassel, du
+ 20 de ce mois, qui rend compte à son supérieur de cette nouvelle
+ prétention et des moyens dont le ministre des finances a usé envers
+ les agents inférieurs pour la faire réussir.
+
+ Je vais tâcher, s'il en est temps encore, de prévenir le mal qui
+ peut en résulter. Mais j'ai peu d'espérance de détruire ou de
+ modifier une influence qui s'accroît dans la même proportion que les
+ besoins du chef de l'État; et je persiste à croire que le remède ne
+ peut venir que de l'exercice de la toute-puissance de Sa Majesté
+ Impériale.
+
+ Cette opinion est fondée sur ce que les alentours du roi ont, depuis
+ plus de six mois, tellement bercé Sa Majesté de l'idée que le
+ royaume de Westphalie ne pouvait supporter une distraction d'un
+ revenu de 7 millions en faveur des donataires de l'empereur, que le
+ roi lui-même a fini par croire que la force des choses amènerait
+ l'anéantissement de cette disposition du traité de Berlin, d'où
+ résulte, comme si la chose était déjà arrivée, défaut absolu de
+ protection, et, de la part du ministre des finances, malveillance
+ entière aussitôt qu'il s'agit de l'intérêt de Sa Majesté l'empereur
+ et de ses donataires.
+
+ En conséquence, les domaines impériaux sont impitoyablement frappés
+ de toutes sortes de réquisitions; les fermiers en réclament la
+ déduction sur leurs fermages. Déjà quelques tribunaux l'ont
+ prononcée ainsi.
+
+ Le Sr Barrois, directeur général de ces domaines, qui a succédé au
+ Sr Ginoux, craint la contagion de cet exemple et n'ose aller en
+ avant. Pendant cette incertitude, le recouvrement est ralenti; le
+ roi lui-même garde et ne veut pas rendre des domaines de Sa Majesté
+ Impériale qui sont entrés dans des dotations; les donataires se
+ plaignent de tous côtés de ne rien recevoir; le directeur général ne
+ peut faire connaître à chacun d'eux leur vraie situation
+ relativement au gouvernement westphalien, sans risquer d'en voir
+ naître un éclat qui pourrait ne pas se trouver dans la politique de
+ l'empereur.
+
+ En un mot, les choses à cet égard prennent à bas bruit une tournure
+ si grave que le Sr Barrois a résolu de se rendre demain à Hanau,
+ près de Villemanzy, ou pour faire accepter sa démission, ou pour en
+ obtenir un plan quelconque de conduite qui le mette à l'abri de tout
+ reproche de négligence.
+
+ Tels sont, Monseigneur, les renseignements qu'il me fallait ajouter
+ à ceux contenus dans ma dépêche du 4 avril dernier, afin que Votre
+ Excellence se trouve en mesure, si elle le juge nécessaire, de les
+ mettre sous les yeux de Sa Majesté Impériale.
+
+ _P. S._ J'oubliais de dire ici que la liste civile recevait en ce
+ moment un nouvel accroissement par le sequestre des domaines du
+ prince de Kaunitz-Rittberg, de Vienne, situés au comté de Rittberg
+ enclavé dans le royaume de Westphalie. Le revenu n'en est point
+ encore connu.
+
+ J'apprends à l'instant: 1º que les monastères achetés par le
+ banquier Jacobson lui ont été vendus comme produisant un revenu de
+ 28,000 thalers faisant 108,780 fr., et que dans la quinzaine il les
+ a loués 34,000 thalers faisant 132,090 fr.;
+
+ 2º Que ce bon marché le détermine à se mettre sur les rangs pour
+ acheter les autres biens qui sont à vendre.
+
+
+Après la réception des dépêches du duc de Cadore relatives à la
+campagne de Saxe et au mécontentement de l'empereur, M. Reinhard,
+assez embarrassé pour jouer le rôle délicat qui lui était imposé,
+eut plusieurs conversations avec les personnes faisant l'objet des
+lettres de Champagny et répondit au ministre des relations
+extérieures de France les deux lettres suivantes, datées de Cassel
+les 4 et 8 août 1809:
+
+
+ La dépêche chiffrée par laquelle Sa Majesté daigne me faire
+ connaître, pour mon instruction seule, le jugement qu'Elle a porté
+ de l'expédition de Sa Majesté westphalienne en Saxe et m'ordonne de
+ nouveau de l'instruire de tout ce qui est propre à faire apprécier
+ le gouvernement de la Westphalie auquel Elle prend un si vif
+ intérêt, me laisse dans la ligne qui m'avait été tracée jusqu'à ce
+ moment par les instructions de Votre Excellence.
+
+ La seconde dépêche, qui me charge de faire connaître directement à
+ M. le comte de Furstenstein et à MM. les généraux Rewbell et
+ d'Albignac le mécontentement de Sa Majesté, me fait sortir de cette
+ ligne: elle m'impose de nouveaux devoirs et une responsabilité
+ nouvelle.
+
+ Dès hier et avant-hier je me suis acquitté des ordres qui m'ont été
+ donnés auprès de M. le comte de Furstenstein et de M. le général
+ d'Albignac. Le général Rewbell est absent. Dès hier et avant-hier je
+ me suis occupé des éléments d'un nouveau rapport à soumettre à Votre
+ Excellence sur l'état actuel de la Westphalie. Mais plus la
+ circonstance me paraît grave et importante, et plus, Monseigneur, je
+ sens le besoin de me recueillir afin que le rapport que j'ai à faire
+ soit digne d'être mis sous les yeux de Sa Majesté impériale, non
+ seulement par sa scrupuleuse fidélité, mais encore par l'exactitude
+ de ses aperçus. Les reproches que Sa Majesté impériale adresse aux
+ personnes désignées ne sont que trop fondés; mais si l'on peut
+ espérer qu'ils produiront sur leur conduite personnelle un effet
+ salutaire, il n'en résulterait peut-être pas encore une amélioration
+ très sensible dans la marche des affaires générales, puisque
+ l'influence de ces personnes sur le Roi n'est qu'indirecte,
+ partielle et intermittente. Comme il s'agit avant tout d'épargner un
+ chagrin pénible au roi, chagrin qui affligerait profondément et ses
+ serviteurs (et, comme le dit avec vérité Votre Excellence, tous ceux
+ qui le connaissent lui sont attachés), je n'ai point hésité, et
+ d'après votre lettre même, et de l'aveu de M. le comte de
+ Furstenstein, à en entretenir M. Siméon et M. le général Eblé.
+
+ Toutes ces conversations, Monseigneur, n'ont encore amené aucun
+ résultat de détermination: elles n'en amèneront peut-être aucun de
+ fait, puisqu'en dernière analyse, tout dépend de la volonté du Roi
+ qui est forte et absolue, sans être ferme et constante.
+
+ Dans cet état de choses, quelques jours encore me paraissent
+ nécessaires pour laisser fermenter et éclaircir les sensations et
+ les idées; et ce sera dans le courant de la semaine prochaine que
+ j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence une expédition où,
+ je l'espère, Votre Excellence trouvera au moins de mon côté la
+ preuve de l'absolu dévouement avec lequel j'ai à cour de servir Sa
+ Majesté l'Empereur, mon bienfaiteur et mon maître.
+
+
+ Le 8 août 1809.
+
+ J'ai à vous rendre compte des conversations que j'ai eues d'après
+ les ordres de Sa Majesté impériale avec M. le général d'Albignac et
+ M. le comte de Furstenstein. Le premier allait partir pour son
+ expédition, lorsque j'ai saisi une occasion qui se présentait à
+ propos pour le faire prier de passer chez moi. Après lui avoir parlé
+ en termes généraux de la commission dont j'étais chargé, je lui ai
+ montré la lettre de Votre Excellence. M. d'Albignac en a été
+ profondément affligé. «Je ne me mêlerai point, a-t-il dit, de ce qui
+ regarde les autres personnes qui ont aussi encouru le mécontentement
+ de Sa Majesté impériale. Pour moi, je dirai que je ne suis que
+ soldat et que je ne sais qu'obéir. D'ailleurs, comment ai-je pu
+ devenir l'objet des reproches de Sa Majesté l'Empereur, moi qui
+ pendant toute la campagne n'ai vu le roi que trois ou quatre fois et
+ pendant autant de quarts d'heure?--Vous avez, ai-je répondu, été
+ chargé de l'expédition contre Schill, votre nom a paru souvent et
+ pendant que vous commandiez l'avant-garde, il a paru souvent seul
+ dans les bulletins de l'expédition en Saxe. Sa Majesté impériale a
+ dû penser, en conséquence, que vos conseils avaient influé sur la
+ conduite des affaires.--Des conseils, a dit M. d'Albignac, le roi
+ n'en reçoit de personne, c'est l'homme le plus absolu que je
+ connaisse.--Et cependant, ai-je repris, comment se fait-il qu'il y
+ ait eu tant d'ordres et de contre-ordres dont vous vous plaigniez
+ vous-même? D'où vient ce système vacillant dont Sa Majesté impériale
+ se plaint avec tant de raison?» M. d'Albignac a gardé le silence.
+ «Le roi, ai-je dit, a le coup d'oeil vif, prompt et juste; il le
+ sait, peut-être s'y fie-t-il trop, et de là ce qu'il y a de prompt
+ et d'absolu dans ses volontés. Peut-être ses idées manquent-elles
+ quelquefois de liaison. L'objet n'a pas été considéré sur toutes ses
+ faces; la justesse de son esprit le lui fait apercevoir, et de là
+ cette versatilité. Avec un esprit comme le sien il y a de la
+ ressource, et cette versatilité même donne les moyens d'influer sur
+ ses déterminations.--Oui, quand on y est, ou qu'il n'est pas trop
+ tard; mais, a-t-il ajouté avec le mouvement d'un homme pénétré,
+ comment me justifier, lorsque je ne le pourrais qu'en accusant le
+ Roi? Encore une fois je ne suis que soldat et je ne fais
+ qu'obéir.--Cela ne vous sauvera pas; encore une fois, le roi est
+ jeune et vous avez sa confiance.--Le roi a déclaré qu'il ne
+ reconnaîtrait aucune supériorité: d'ailleurs comment pourrais-je
+ m'en arroger, moi dont l'avancement trop rapide pour mon mérite ne
+ me donne aucun droit de prétendre à aucune supériorité ni
+ d'expérience ni de lumières?--Oui vous étiez tous dans ce cas, et le
+ sentant vous-même et pouvant prévoir la responsabilité qui pèserait
+ sur vous, pourquoi n'avez-vous pas engagé Sa Majesté à emmener le
+ général Eblé?--Je l'ai désiré, demandez au général Eblé ce que je
+ lui ai dit à ce sujet avant de partir? Que me reste-t-il à présent,
+ qu'à me faire tuer ou à rentrer dans l'armée de l'empereur comme
+ simple lieutenant de cavalerie.--Mais pensez donc au roi, vous lui
+ êtes attaché: nous avons à craindre tous un coup sensible qui
+ pourrait le frapper.--Monsieur, m'a dit le général d'Albignac, j'en
+ suis au désespoir, mais je vous le répète, je n'ai point
+ d'influence; aucun de nous n'en a et n'en aura.»--Il s'est levé en
+ me serrant la main et les larmes aux yeux pour aller se mettre à la
+ tête de son détachement.
+
+ Le général d'Albignac, Monseigneur, a la réputation d'un homme franc
+ et d'un honnête homme. Il s'est souvent prononcé contre des abus et
+ surtout contre l'excès des dépenses, lors même qu'elles concernaient
+ son propre département. Il brûlait d'ambition de se faire une
+ réputation militaire et il est profondément affecté de l'avoir
+ manqué, autant que je puis me permettre de juger. Je crains que
+ malgré l'esprit qu'il a, ses moyens ne répondent pas à ses désirs.
+ Son caractère, d'ailleurs, est d'une véhémence qui souvent avoisine
+ la brutalité, et lorsque dans sa dernière campagne contre Schill il
+ s'est trouvé aux prises avec le flegme allemand, ou avec les
+ formalités des employés civils, son emportement quelquefois n'a plus
+ connu de bornes: de là des plaintes et des reproches réciproques; et
+ tandis que le général d'Albignac ne voyait dans les autorités
+ civiles que des partisans de l'ennemi et des traîtres, celles-ci
+ trouvaient en lui un despote dont le pays avait à souffrir plus que
+ de l'ennemi. La jalousie de métier l'avait brouillé avec le général
+ Gratien: il s'en est corrigé, et pendant la campagne de Saxe, je
+ lui ai entendu faire l'éloge de l'expédition de Stralsund; mais une
+ forte animosité a éclaté entre lui et le général Rewbell. On s'est
+ querellé même en présence du roi, voilà du moins un choc d'où
+ pouvait jaillir la lumière, et il semble que le roi qui l'a souffert
+ souffrirait aussi des conseils.
+
+ Je dis à M. de Furstenstein que j'avais reçu deux dépêches de Votre
+ Excellence: que dans la première S. M. I. me faisait connaître pour
+ mon instruction seule qu'elle n'approuvait pas la manière dont avait
+ été conduite l'expédition en Saxe; que j'aurais renfermé
+ scrupuleusement en moi-même cette communication, si par la seconde
+ dépêche je n'avais point été chargé d'une commission pénible: que Sa
+ Majesté pensait que si des fautes avaient été commises, il fallait
+ moins les attribuer au roi qu'aux personnes auxquelles il accordait
+ sa confiance. «Cela, me dit M. de Furstenstein en m'interrompant, ne
+ peut me concerner en aucune manière: je suis tout à fait étranger
+ aux affaires militaires.»--«Je demande pardon à Votre Excellence,
+ les vues de Sa Majesté s'étendent plus loin, et les personnes à qui
+ je suis chargé de parler sont les généraux d'Albignac et Rewbell, et
+ M. le comte de Furstenstein.»--«Pour les affaires civiles je ne m'en
+ mêle pas plus que des affaires militaires, et je me tiens exactement
+ renfermé dans mes fonctions. D'ailleurs, le roi ne souffre pas qu'on
+ lui donne des conseils et il chasserait celui qui l'oserait. Je suis
+ attaché à Sa Majesté, je cherche à la servir fidèlement, mais je
+ n'ai aucune influence.»--«Sa Majesté suppose avec raison de
+ l'influence à celui qui est constamment auprès de la personne du roi
+ et qui vit dans une certaine intimité avec Sa Majesté. L'influence,
+ d'ailleurs, consiste ou à donner des conseils ou à empêcher l'effet
+ de ceux qui ne seraient pas bons, à provoquer certaines mesures ou à
+ s'y opposer.»--«Mais comment peut-on croire que je donne des
+ conseils perfides, moi qui donnerais ma vie pour le roi?»--«J'ose
+ dire que personne ne le croit; mais (voyant que je n'avançais point)
+ je dois vous demander, monsieur le Comte, la permission de vous
+ montrer, comme j'y suis autorisé, la lettre de M. de Champagny.»
+
+ La lecture de cette lettre fit une forte impression sur M. de
+ Furstenstein. «Si j'ai eu le malheur, dit-il, de déplaire à Sa
+ Majesté impériale, il ne me reste qu'à donner ma démission.»--«Non:
+ il ne suffirait pas de ne s'occuper ici que de soi-même puisqu'il
+ s'agit de nous réunir tous pour épargner un chagrin au roi, et je
+ prie Votre Excellence de me seconder comme je la seconderai autant
+ que cela est en moi.»--«Monsieur Reinhard, ce que vous savez depuis
+ hier, le roi le sait depuis trois jours; je savais aussi que Sa
+ Majesté impériale est mécontente de moi, et depuis deux jours j'en
+ suis malade, mais comment faire? Le roi écrira à l'empereur: il le
+ priera de lui dire ce qu'il veut qu'il fasse, et il fera tout ce que
+ Sa Majesté impériale voudra.»--«Cela est très bien: l'empereur est
+ le frère aîné ou, pour me servir d'une expression de Sa Majesté
+ elle-même, le père du roi. L'empereur est celui auquel personne au
+ monde ne peut se comparer, enfin il est le maître. Mais dès ce
+ moment il existe ici deux hommes qui appartiennent au roi et qui
+ appartiennent aussi à l'empereur: c'est M. Siméon et M. le général
+ Eblé. Pourquoi ne se concerterait-on pas avec eux dans une
+ circonstance aussi importante?» M. de Furstenstein n'est point entré
+ dans cette idée: du moins il ne lui a pas donné de suite et il m'a
+ paru que c'était parce que, comme MM. Siméon et Eblé eux-mêmes, il
+ n'en attendait pas beaucoup de succès. «Pourquoi, continuai-je, le
+ roi n'a-t-il pas emmené pour l'expédition de Saxe le général
+ Eblé?»--«Le général Eblé était trop nécessaire ici. D'ailleurs, si
+ le roi n'a été entouré que de jeunes officiers, ce n'est pas sa
+ faute, il avait demandé des officiers de mérite à Sa Majesté
+ impériale[122]. On a, m'a dit ensuite M. de Furstenstein, fait
+ beaucoup de faux rapports à l'empereur. «Par exemple?»--M. de
+ Furstenstein après un moment d'hésitation: «Par exemple on a mandé
+ que le roi avait écrit une lettre inconvenante au général Kienmayer
+ (mais vous n'y étiez plus alors), tandis que le roi n'a point écrit,
+ mais qu'il a seulement envoyé un officier avec un message verbal;
+ (après un moment d'hésitation encore) on a aussi mandé que le roi
+ amenait avec lui six voitures attelées de six ou huit
+ chevaux.»--«Moi je n'ai parlé que des voitures du corps
+ diplomatique, et j'ai dit que nous en avions trois.»--«Le roi,
+ Monseigneur, n'avait que deux calèches, l'une pour lui et l'autre
+ pour ses valets de chambre. Les fourgons appartenant à la bouche,
+ etc. pouvaient être au nombre de quatre, mais indépendamment de
+ cela, le train était hors de proportion avec le corps d'armée. En
+ Saxe, il fallait 1,800 chevaux de réquisition: celle qui parvint à
+ Gotha, pendant que nous y étions, était encore de 1,300. Les
+ Hollandais surtout avaient un train énorme.»
+
+ [Note 122: Cela était vrai.]
+
+ Ma conversation avec M. de Furstenstein s'est prolongée pendant près
+ d'une heure. Sans égard pour les chevaux attelés, je me sentais
+ pressé d'obtenir quelque chose, et qui nous aurait vus aurait dit
+ que c'était moi qui recevais les reproches. Le ton de M. de
+ Furstenstein devenait quelquefois confidentiel, mais sans abandon,
+ et surtout il n'est entré dans aucun détail d'explication ni de
+ justification. Le général d'Albignac avait été surpris à
+ l'improviste: il n'avait pris conseil que de ses sentiments. M. de
+ Furstenstein s'était préparé: il avait pris conseil d'autrui.
+
+
+Suit dans la lettre de Reinhard le portrait du comte de Furstenstein
+inséré au liv. XIII (4e volume) des Mémoires de Jérôme.
+
+
+ Pour ce qui concerne le général Rewbell, Monseigneur, je ne l'ai
+ guère vu qu'à la cour, et, pendant la campagne de Saxe, on disait
+ ici généralement qu'il s'était distingué en Silésie. Pendant tout
+ l'hiver dernier il avait été écarté, lorsque le comte de Bernterode
+ avait la faveur: quand elle lui est revenue, il n'a montré que de la
+ morgue et de la fatuité. Il faut voir les hommes en position pour
+ les juger.
+
+ Je venais, Monseigneur, d'achever ce paragraphe, lorsqu'on est venu
+ me dire, encore sous grand secret, que le général Rewbell avait
+ écrit au roi pour demander une indemnité pour sa troupe, à laquelle
+ il avait promis, lui Rewbell, le pillage de la ville de Brunswick.
+ La ville de Brunswick, Monseigneur, où se tient en ce moment une
+ foire célèbre depuis plusieurs siècles et qu'un usage sacré met plus
+ éminemment en ce moment sous la protection du droit des gens, la
+ ville de Brunswick, seconde ville du royaume, seconde résidence du
+ roi, s'était conduite avec une sagesse admirable pendant les
+ derniers événements. Dans une population de 30,000 hommes, aucun
+ habitant n'avait manqué à son devoir; la populace même n'avait pas
+ commis le moindre désordre. Le duc d'OEls avait respecté les lieux
+ où avait vécu son père il n'avait rien exigé, il n'avait compromis
+ personne. Après son départ les proclamations qu'il avait fait
+ afficher furent arrachées sur-le-champ; et le général Rewbell avait
+ promis le pillage de cette ville aux troupes westphaliennes!
+
+ Il faut rendre justice au roi: il a été profondément affecté de
+ cette inconcevable démence. Le conseil des ministres s'est occupé
+ hier de la rédaction d'un décret qui destitue le général Rewbell et
+ le déclare incapable à jamais de servir Sa Majesté. Le général
+ Bongars a été envoyé pour prendre le commandement de sa troupe. Le
+ décret n'a point encore été signé: il sera probablement adouci si le
+ général Rewbell dans l'intervalle est encore parvenu à bien mériter
+ contre le duc d'OEls. M. Siméon voulait qu'on se bornât à la
+ destitution. Les autres ministres ont insisté pour la sévérité
+ entière, et je jurerais, Monseigneur, que dans leur âme ils n'ont
+ été guidés que par l'horreur que leur inspirait son action.
+
+ Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de mes conversations
+ avec M. Siméon et avec M. le général Eblé. Ces deux ministres
+ confirment ce que m'ont assuré les deux premiers interlocuteurs, que
+ personne n'exerce une influence directe et soutenue sur l'esprit du
+ roi; que ses volontés changent souvent, mais qu'elles sont toujours
+ absolues. Malheureusement, il n'y a point là de contradiction, même
+ apparente. Tout s'explique par l'idée exagérée que le roi se fait de
+ la puissance souveraine, par le désir de régner seul, par son âge et
+ par ses habitudes. Avec un jeune prince comme lui, personne n'a
+ d'influence, et tout le monde en a. Croyant toujours agir d'après
+ lui-même, il n'agit que d'après des inspirations prises au hasard,
+ et comme la plupart de ses résolutions sont plutôt dictées par un
+ aperçu prompt et rapide que par l'étude et la réflexion, la justesse
+ même de son esprit le rend vacillant, lorsqu'à une idée qui lui
+ paraissait bonne il en trouve à substituer une qui lui paraît
+ meilleure. En vain les bien intentionnés voudraient-ils se
+ concerter, le roi se défie des concerts: la malveillance s'en
+ prévaudrait, ce serait le moyen de tout perdre. Avoir des volontés,
+ c'est à ses yeux avoir du caractère, tandis que trop souvent c'est
+ en manquer. «L'empereur aime que l'on ait du caractère», voilà son
+ refrain lorsqu'on lui représente les conséquences d'une certaine
+ manière de penser et d'agir qui semblerait blesser ses rapports
+ personnels avec son auguste frère; tant il est vrai que lors même
+ qu'un esprit mal entendu d'indépendance ou d'opposition semble
+ diriger sa conduite, le roi ne s'y livre que dans la persuasion
+ d'être d'accord avec la pensée secrète de l'empereur.
+
+ Pour moi, dans toutes les occasions soit publiques, soit
+ particulières, où j'ai l'honneur d'approcher Sa Majesté, je n'ai
+ reconnu que des preuves d'une vénération profonde dont le roi est
+ pénétré pour Sa Majesté impériale. Jamais je n'ai aperçu en lui un
+ mouvement qui ne fût dicté par le respect, ou par la confiance, ou
+ par l'orgueil de lui appartenir. Je me suis convaincu que tout ce
+ qui paraîtrait contraire à ces sentiments intimes ne vient que d'une
+ erreur de l'esprit et que cette erreur s'est déjà affaiblie.
+ J'oserais dire que les fautes commises dans l'expédition de Saxe ont
+ été prévues et en quelque sorte expiées par l'aveu qu'il m'a fait à
+ Leipzig, que, si au lieu de vingt-quatre ans il en avait eu trente,
+ il ne l'aurait pas entreprise.
+
+ C'est à cette pensée, c'est à cette conviction que l'expérience
+ s'acquiert et ne s'anticipe point que, comme Sa Majesté impériale
+ l'a déjà fait avec tant de sagesse dans la lettre que Votre
+ Excellence m'a écrite, il convient de le ramener. Le roi prend trop
+ la mesure de sa supériorité sur ceux qui l'entourent habituellement.
+ Il lui en coûte de reconnaître celle de l'âge, de l'expérience et
+ des études, et parce que souvent son résumé vaut mieux qu'un long
+ rapport, qu'une longue discussion, parce que les qualités éminentes
+ qu'un roi possède sont bientôt représentées par la flatterie comme
+ les seules qu'un roi doive posséder, Sa Majesté méconnaît la
+ longueur du chemin et la grandeur des efforts qu'il lui restait à
+ faire pour arriver à la perfection. Elle m'a dit deux fois en
+ voyage: «Depuis que je ne suis plus à Cassel, tout y va mal: la tête
+ y manque». Elle l'a dit sans amour-propre, parce qu'elle le croyait
+ et parce que dans un certain sens elle avait raison. Les
+ circonstances pénibles où elle s'est trouvée et où elle se trouvera
+ encore pourront devenir une source de biens. La sagesse de Sa
+ Majesté impériale saura y puiser le remède de l'avenir.
+
+ La gloire militaire intéresse directement et éminemment Sa Majesté
+ impériale. Une autre crise se prépare pour ce royaume par l'état des
+ finances auquel Sa Majesté impériale est aussi directement
+ intéressée. Si la paix qui paraît prochaine doit donner le repos aux
+ peuples d'Allemagne, si elle doit consolider la Confédération du
+ Rhin, ce bienfait encore ne peut émaner que des mains de Sa Majesté
+ l'empereur. Tout ce que je me permettrai d'ajouter, Monseigneur,
+ c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des
+ intentions et des mesures du roi et qu'aucun des sujets de Sa
+ Majesté impériale qui sont ici ne saurait remplir dans toute son
+ étendue et sous tous les rapports de convenance une si haute
+ mission.
+
+ _P. S._--Votre Excellence trouvera dans le moniteur westphalien du 8
+ une lettre du ministre de l'intérieur au préfet de Brunswick: elle
+ fait allusion au décret de destitution du général Rewbell; mais ce
+ décret n'est point encore imprimé. Il avait été envoyé à
+ l'imprimerie, composé et traduit: M. de Bercagny ayant attendu
+ jusqu'à minuit l'ordre positif d'insertion ne voulut pas passer
+ outre. Le considérant est très fort et presque infamant contre cet
+ officier; le dispositif a été restreint à la destitution. On dit
+ qu'hier il est arrivé à Minden à quatre lieues de Cassel, et que de
+ là il a écrit à Sa Majesté.
+
+ Le général Bongars écrit que les troupes dont il venait de prendre
+ le commandement se livrent à des excès et au pillage dans le pays de
+ Hanovre, et que les habitants en sont exaspérés. Le duc d'OEls doit
+ avoir passé Nienbourg. Le général Gratien a reçu un courrier du roi
+ de Hollande: on croit que son corps a été rappelé à cause du
+ débarquement des Anglais.
+
+
+Nous avons dit que le 27 juin le duc de Brunswick s'était séparé de
+ses alliés et avait pris la route de la Westphalie. Lorsque
+l'armistice de Znaïm fut conclu, le gouvernement autrichien lui fit
+dire de cesser les hostilités. Il refusa, ne se regardant pas comme
+engagé par les mesures du cabinet de Vienne, et résolu à tenir seul
+la campagne. Le roi Jérôme mit à ses trousses le général Rewbell. Le
+duc se dirigea de Plauen sur Zwickau, espérant faire soulever les
+anciens États et au pis aller donner la main aux Anglais. Le 22
+juillet il se mit en marche de Zwickau sur Leipzig, adressa une
+allocution aux officiers d'abord, aux soldats ensuite de sa légion,
+pour leur faire savoir qu'il était décidé à persévérer dans son
+entreprise, les laissant libres de déposer les armes s'ils le
+voulaient. Un petit nombre se retira, mais il lui resta une troupe
+dévouée et résolue de près de 3,000 combattants, dont 700 cavaliers
+avec quelques bouches à feu.
+
+Le 25 juillet, il parut devant Leipzig sans avoir été inquiété. Le
+26, il poursuivit sa route sur Brunswick par Halle et Halberstadt.
+
+Cette marche était audacieuse et pleine de danger. En effet, la
+division hollandaise Gratien était à Erfurth, à vingt lieues sur sa
+gauche; les Saxons de Thielmann à Dresde; au nord, la garnison de
+Magdebourg; enfin, la division Rewbell de Westphalie, ancienne
+d'Albignac, forte de 6,000 hommes, était entre Brême et Celle, dans
+le Hanovre, prête à se porter aux bouches du Weser ou de l'Elbe, sur
+la route même que le duc devait tenir pour gagner la mer. En
+apprenant la marche en avant de la légion noire, Thielmann partit de
+Dresde, Gratien partit d'Erfurth, tous deux se réunirent en arrière
+de Leipzig. Rewbell, sur l'ordre de Jérôme, se concentra à Celle et
+s'avança sur Brunswick. Le 29 juillet, le duc s'approcha
+d'Halberstadt. Le 5e de ligne westphalien aux ordres du colonel
+comte de Willingerode (Meyronnet, grand maréchal du palais de Jérôme
+et un de ses favoris, envoyé de Magdebourg à Hambourg), venait
+d'arriver à Halberstadt. Surpris par le duc d'OEls qui enfonça les
+portes de la ville à coups de canon, le régiment, après une
+résistance honorable de trois heures, fut fait prisonnier ainsi que
+son colonel blessé pendant l'action. Les officiers furent remis aux
+mains des Anglais, les soldats renvoyés, à l'exception de 300 qui
+grossirent les rangs de la légion. À la suite de ce succès,
+Brunswick hâta sa marche sur la capitale de ses anciens États. Il
+adressa deux proclamations aux habitants, mais sans effet. À son
+approche les autorités avaient quitté la ville. Le 1er août, Gratien
+et Thielmann ralliés entraient à Halberstadt, et Rewbell s'avançant
+par la route de Brunswick atteignait OElpern. Le duc marcha
+résolument à la rencontre de Rewbell, lui tendit habilement une
+embuscade, le battit et le força à passer l'Oker. Le malheureux
+général westphalien parvint à rallier les débris de sa division aux
+forces de Gratien et de Thielmann à Wolfenbuttel (deux lieues de
+Brunswick). Le duc ayant à quelques lieues derrière lui les 10,000
+hommes de Gratien, Thielmann et Rewbell, et personne devant lui, se
+hâta de gagner de vitesse ses ennemis et d'atteindre les bouches du
+Weser. Il parvint avec beaucoup d'habileté à entrer au petit port
+d'Elsfleth, sur le Weser, à six lieues de Brême, et à se rembarquer
+avec sa légion, après avoir fourni la course la plus audacieuse. Le
+14 août il débarqua en Angleterre où il fut accueilli avec la plus
+haute distinction.
+
+Tous les événements qui avaient eu lieu en Westphalie n'étaient pas
+de nature à satisfaire Napoléon qui crut devoir enlever à son frère
+le commandement du 10e corps. Prévenu par le major-général et fort
+attristé de cette décision, Jérôme écrivit de Napoléonshoehe, le 25
+août 1809, à l'empereur:
+
+
+ «Sire, le major-général, par sa lettre du 13, me fait connaître
+ l'ordre de Votre Majesté du 11, qui forme un 8e corps aux ordres du
+ duc d'Abrantès et m'ôte le commandement de la Saxe et des troupes
+ saxonnes.
+
+ «Votre Majesté a voulu par là m'ôter réellement tout commandement
+ militaire; car 6,000 recrues westphaliennes et quelques dépôts qui
+ se trouvent dans la place de Magdebourg, etc... ne sont pas
+ susceptibles de me mettre à même de faire la guerre activement et
+ même de défendre Magdebourg que les Prussiens ne manqueraient pas
+ d'attaquer si les hostilités recommençaient, car ils y ont beaucoup
+ d'intelligences.
+
+ «Il ne me restera donc que le chagrin de ne pouvoir prendre part à
+ la guerre si elle a lieu.»
+
+
+L'année 1809 s'écoula assez tristement pour le jeune roi à qui
+Napoléon n'écrivait plus et à l'égard duquel il montrait en toute
+circonstance une froideur, disons même une raideur souvent peu
+justifiée et qui causait un véritable chagrin à Jérôme.
+
+Le ministre Reinhard continuait, par ses bulletins directs à
+l'empereur, par ses lettres au duc de Cadore, à relater tout ce qui
+se passait, tout ce qui se disait en Westphalie.
+
+Le 10 août, il envoya à Paris le bulletin suivant:
+
+
+ Les gazettes ont annoncé que le roi étant à Grimma avait retiré de
+ l'eau un soldat de sa garde qui se noyait dans la rivière de Mulde.
+ Voilà ce qui s'est passé. Les gardes du corps traversaient la
+ rivière tout près du pont pour faire abreuver leurs chevaux. En
+ revenant, deux ou trois chevaux perdirent terre ou se couchèrent;
+ les cavaliers tombèrent dans l'eau. Le roi se trouvait à quelque
+ distance causant avec le ministre de Hollande. Dès l'instant où l'on
+ entendit des cris, le roi se jeta dans une nacelle avec les
+ ministres de Hollande et de Bavière. Arrivé sur les lieux, il trouva
+ les hommes déjà retirés. Toute la cour était accourue; M. de
+ Furstenstein et quelques autres étaient sur le pont. Le ministre de
+ Hollande, en homme prudent, quitta la nacelle. Le roi seul avec
+ celui de Bavière s'obstina à remonter la rivière. M. de Furstenstein
+ du haut du pont lui cria de ne point s'exposer.--«Ah! voilà, dit le
+ roi, la diplomatie qui s'en mêle; envoyez-moi une note.»--Après
+ avoir passé le pont très habilement, le courant poussa la nacelle
+ contre un pilier où elle resta collée. Enfin, les officiers du roi
+ de droite et de gauche entrèrent dans la rivière. Le roi sauta hors
+ du bateau ayant de l'eau jusqu'aux genoux. Peut-être ce jeu
+ n'avait-il pas été sans danger; mais le roi, dans ce moment, était
+ si gai, si bon, si aimable, que l'impression que cette scène me
+ donna ne me laissa pas penser aux inconvénients qu'elle pouvait
+ avoir.--À l'époque de son mariage, M. de Furstenstein rompit une
+ liaison avec Mme de P. On prétend que dans cette occasion, il fit
+ l'éloge de sa vertu au roi, ce qui inspira à ce dernier le désir
+ d'en triompher. Depuis cette époque, toutes les distinctions furent
+ pour elle. Des négociations, dit-on, furent entamées. Le roi partant
+ pour la Saxe promit de revenir dans dix jours. Après son retour, on
+ disait qu'un contrat avait été signé et que ce contrat était un peu
+ cher, lorsqu'on vit Mme de P. partir pour Weymar. Elle est revenue
+ depuis le retour de la reine. Son mari, premier chambellan, avait
+ reçu, il y a quelques jours, une mission pour Aix-la-Chapelle. Il en
+ est déjà revenu et l'on peut encore croire à la vertu de Mme de
+ P.--La petite maison de la reine est achetée, on en évalue l'achat à
+ 100,000 thalers et l'on trouve cette dépense un peu forte, parce
+ qu'il est incertain que la reine y mettra jamais les pieds.--Le roi
+ étant allé déjeuner dernièrement dans une maison de campagne du
+ banquier Jordis dit en sortant au jardinier: «Cette maison
+ m'appartient.» Le marché fut conclu pour 30,000 thalers. Elle en
+ avait coûté 7,000 à M. Jordis. On estime les améliorations à 5,000.
+ On a déjà tracé une allée qui y conduit depuis la grande route.
+ Quoique la distance ne soit pas grande, il faudra encore acheter le
+ terrain par où passera l'allée.--Une caisse venant de Paris,
+ contenant pour le roi des bijoux d'une valeur considérable et
+ adressée à M. Cousin de Marinville, avait été remise à un homme de
+ la poste allant au quartier général. Sa voiture s'étant rompue, il
+ remit à un maître de poste la caisse dont il ignorait la valeur.
+ Celui-ci l'expédia pour Plauen où elle tomba directement aux mains
+ du général Kienmayer.
+
+ Le roi annonça lui-même le sort du général Rewbell à sa femme. Elle
+ était à folâtrer avec les dames de la cour, lorsque le roi lui dit:
+ Betty, j'ai à vous parler. Elle fut atterrée; elle demanda s'il n'y
+ avait aucune grâce à espérer? Tout ce que je puis vous dire de
+ consolant, dit le roi, c'est qu'il vaudrait mieux pour vous et pour
+ lui que votre mari fût mort. Elle fut ramenée à la ville. Mme
+ Rewbell est américaine, jolie, naïve, ne sachant contraindre ni
+ dissimuler aucun de ses mouvements. Quelques jours auparavant elle
+ avait été désolée d'une petite disgrâce qui lui était attribuée. Le
+ roi lui ayant retiré ses entrées pendant quelques jours pour avoir,
+ sans sa permission, passé la nuit en ville où elle était allée pour
+ voir ses enfants, elle ne put se pardonner les larmes que cet ordre
+ un peu inhumain lui avait fait verser. Le roi lui a fait conseiller,
+ dit-on, de se rendre provisoirement à Bernterode, terre du général
+ Ducoudras.--Le général alla, il y a peu de jours, annoncer à M.
+ Siméon que le roi lui avait fait don de la terre de
+ Bernterode.--«Mais elle est donnée. Le roi veut l'acheter à tout
+ prix, il veut que vous vous occupiez des formalités du contrat.»--Le
+ directeur de l'instruction publique, dans sa dernière expédition à
+ Goettingue, avait défendu aux étudiants de porter des bonnets d'une
+ certaine forme et couleur, ainsi que des moustaches, signes de
+ ralliement des associations (_Bundsmannschaften_). Depuis cette
+ époque, les étudiants portent des bonnets de femme et des chapeaux
+ de paille. Ils envoyent leurs moustaches coupées au pro-recteur. Des
+ plaisanteries pareilles ont été de tout temps l'effet de pareilles
+ défenses, mais on dit que près de 400 étudiants des pays étrangers
+ ont pris l'engagement de quitter Goettingue à la fin du trimestre
+ suivant et de se rendre à Heidelberg.--Le spectacle allemand vient
+ d'être congédié, il sera remplacé par un ballet venant de Paris.
+
+
+Le même jour, 10 août 1809, Reinhard écrivit à Champagny:
+
+
+ J'ai d'autant moins hésité à confier à M. Lefebvre la mission qui va
+ le conduire auprès de Votre Excellence, qu'outre l'importance des
+ circonstances qui m'a paru la rendre nécessaire, il m'avait témoigné
+ le désir de faire ce voyage qu'il croit pouvoir devenir utile à ses
+ intérêts personnels.
+
+ Je m'en rapporte avec une entière confiance au compte qu'il vous
+ rendra, Monseigneur, de la situation des choses de ce pays-ci.
+ L'étude que nous en avons faite nous a été commune et nos aperçus
+ ont rarement différé. La nécessité indispensable de venir au secours
+ des affaires éprouve un grand obstacle par le caractère du roi. Les
+ ménagements à employer sont du ressort de la sagesse et de la
+ prévoyance; mais la question est de savoir si, malgré tous les
+ ménagements, ce caractère permettrait le succès d'une mesure
+ quelconque dont le but ou l'effet serait de restreindre son
+ autorité.
+
+ J'avoue que je l'ai pensé. Il a reçu la leçon des événements. Des
+ crises pénibles menacent son royaume: il s'agit de maintenir la
+ gloire d'une couronne.
+
+ Cependant, l'opinion des personnes qui approchent Sa Majesté de plus
+ près et plus souvent que moi, la conversation même que vient d'avoir
+ avec elle M. Lefebvre, prouvent qu'il est difficile de calculer ce
+ que serait capable de faire ou de sacrifier un roi absolu de
+ vingt-cinq ans dont les passions seraient irritées ou qui se
+ croirait blessé dans sa dignité. Sous ce rapport, il est aisé de
+ pressentir l'effet pénible que pourrait avoir pour nous deux le
+ voyage de M. Lefebvre, si, je ne dis pas en conséquence, mais à la
+ suite de ce voyage, il arrivait des événements qui ne seraient point
+ agréables à Sa Majesté.
+
+ Je ne saurais non plus dissimuler à moi-même ni à Votre Excellence
+ que, par les ordres que j'ai eu à exécuter en vertu de votre
+ dépêche du 27 juillet, ma position a changé et qu'elle est devenue
+ plus délicate que jamais.
+
+ Je dois peut-être à l'opinion que le roi a de mon intégrité de
+ n'avoir point déplu et de n'avoir été soupçonné que légèrement. Je
+ devrai à mon entière soumission aux ordres de l'empereur, à la
+ maxime qui sera toujours sacrée pour moi, de dire la vérité telle
+ que je l'aperçois, telle que je la vois, à l'étude constante de
+ faire mes rapports (_sine ira et studio_), la continuation de la
+ protection et de la bienveillance de Sa Majesté impériale.
+
+
+M. Reinhard ayant fait connaître au ministre des relations
+extérieures de Westphalie que l'empereur avait été fort mécontent de
+ce que la cour diplomatique avait suivi le roi pendant la campagne
+de Saxe, le comte de Furstenstein lui écrivit le 10 août 1809:
+
+
+ L'empereur n'a point approuvé que MM. les membres du Corps
+ diplomatique aient suivi le roi en Saxe. Aucune invitation formelle
+ ne les avait engagés à cette démarche: ils avaient été laissés
+ libres d'agir d'après les instructions de leurs cours respectives.
+ Sa Majesté pensait alors que son absence de Cassel serait de très
+ courte durée et qu'elle ne serait pas obligée de passer de sa
+ personne les frontières pour chasser l'ennemi de la Saxe, mais les
+ ministres furent congédiés aussitôt que les opérations militaires
+ firent sentir que leur présence était déplacée. Je restai auprès du
+ roi pour recevoir et expédier d'après ses ordres le travail des
+ ministres qui arrivait journellement de Cassel. Je ne suis point
+ militaire et je suis absolument étranger à tout ce qui s'est passé
+ dans cette campagne.
+
+ Les affaires intérieures ont fixé l'attention de S. M. I. et elle
+ voit avec déplaisir leur affligeante situation. La cause ne peut
+ m'en être imputée. Ministre secrétaire d'État et des relations
+ extérieures, je n'ai point d'administration et je n'exerce point de
+ contrôle sur mes collègues. Je ne conçus jamais l'ambition d'être un
+ ministre dirigeant, je n'en ai point le talent, et le caractère
+ connu de S. M. ne permet pas de croire que personne puisse en avoir
+ l'influence. La crise actuelle ne provient que de causes étrangères
+ à la manière d'administrer. Elle se trouvé dans les troubles qui ont
+ agité l'État, la misère qui y règne depuis longtemps et l'extrême
+ rareté du numéraire. Les charges du royaume sont fortes et le
+ département de la guerre seul absorbe plus de la moitié des revenus.
+ Le moment actuel n'admet point un système d'économie dans cette
+ partie de l'administration, et les dépenses ne peuvent qu'augmenter.
+ Dans cet état de choses Votre Excellence jugera facilement des
+ entraves que doit éprouver le gouvernement dans sa marche.
+
+
+Cette sorte de justification du comte de Furstenstein n'était pas
+exacte sur tous les points. Les ministres étrangers avaient suivi
+Jérôme en Saxe pour obéir à la volonté de ce prince et ne l'avaient
+quitté qu'à son retour à Cassel. La crise financière n'était pas la
+conséquence des troubles intérieurs du royaume, mais des exigences
+de l'empereur à l'égard de ce malheureux pays. Napoléon, d'ailleurs,
+ne pouvait pardonner à Jérôme quelques dépenses inutiles, quelques
+générosités intempestives.
+
+M. Lefebvre, premier secrétaire d'ambassade, envoyé auprès de
+l'empereur, étant arrivé et ayant remis sa dépêche, le duc de Cadore
+écrivit, le 21 août 1809, à Reinhard:
+
+
+ M. Lefebvre arrivé ici le 18, m'ayant remis vos dépêches du 8 et du
+ 10 août, nºs 70 et 71, et vos trois lettres non numérotées du 6 et
+ du 9, je les ai envoyées le jour même à Sa Majesté l'empereur et
+ roi.
+
+ Sa Majesté me donne l'agréable commission de vous mander qu'Elle les
+ a lues avec attention et avec intérêt.
+
+ Elle me charge aussi de vous faire connaître qu'en sa qualité
+ d'auteur et de garant de la Constitution du royaume de Westphalie,
+ Elle imputera les violations que cet acte aurait éprouvées aux
+ ministres dont le devoir non seulement est d'en suivre, mais encore
+ d'en maintenir religieusement les dispositions, et que, _si contre
+ le voeu de la Constitution la liste civile est accrue_, Elle en
+ rendra responsables les ministres des finances et du trésor public.
+
+ Il convient, Monsieur, que vous tourniez l'attention de ces
+ ministres sur ce genre de responsabilité auquel ils n'ont peut-être
+ pas songé; mais vous choisirez pour le faire l'occasion et la forme
+ qui vous paraîtront propres à remplir cet objet sans alarmer la
+ susceptibilité du roi.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 1er septembre 1809.
+
+ M. Lefebvre est revenu à Cassel le 29 au soir, ayant achevé son
+ voyage en moins de six jours. Il m'a remis les deux dépêches du 21.
+ Sa Majesté impériale en daignant me faire connaître qu'Elle a lu mes
+ rapports avec attention et intérêt m'a accordé une récompense dont
+ je n'ai jamais senti l'inestimable valeur plus profondément que dans
+ les circonstances actuelles. Je me réserve, Monseigneur, de vous
+ rendre compte de l'exécution de vos ordres concernant
+ l'accroissement de la liste civile. Pour aujourd'hui, je me borne à
+ vous informer d'un objet qui m'a attiré la visite de M. de Bercagny.
+ «Le roi, m'a-t-il dit, est blessé du décret impérial qui établit une
+ ligne de douanes françaises au travers de ses États; il aurait
+ désiré qu'au moins le ministre de France eût été chargé d'en donner
+ connaissance. Il a donné ou va donner l'ordre de s'opposer à
+ l'établissement de cette ligne et sa volonté est dans ce moment
+ tellement forte que toute représentation serait inutile. Si j'avais
+ su cela par le roi, a ajouté M. de Bercagny, mon devoir serait de me
+ taire; mais je l'ai su indirectement, puisque la police doit savoir
+ tout, je crains qu'il n'en résulte un nouveau sujet de malaise pour
+ Sa Majesté.» J'ai remercié M. de Bercagny de sa confidence, et j'ai
+ dit que s'il ne s'agissait que d'une question de forme, je
+ m'empresserais de demander à 'Votre Excellence l'ordre de faire au
+ roi la communication officiel du décret impérial; mais que
+ j'apprendrais avec peine que l'opposition portât sur le fond.
+ J'apprends au reste que la ligne des douanes est déjà établie.
+
+ J'ai oublié de dire dans mon avant-dernière dépêche que, pendant les
+ deux jours que j'ai passés à Napoléonshoehe, le roi s'est abstenu de
+ me parler d'aucun autre objet que de ce qui se rapportait
+ immédiatement à la solennité du jour, et que je n'ai pas cru qu'il
+ m'appartînt de prendre l'initiative.
+
+ Il paraît que l'ordre donné par Sa Majesté Hollandaise au général
+ Gratien de revenir en Hollande avec sa division, le refus de Sa
+ Majesté le roi de Westphalie d'autoriser formellement le départ de
+ ce général, et les incertitudes qui en sont résultées dans la marche
+ de la division, sont devenus un nouveau sujet de discussion entre
+ ces deux frères. M. Huygens a été chargé de remettre au roi une
+ lettre de son souverain, qu'on dit écrite avec une sensibilité
+ voisine de l'amertume.
+
+ M. de Gilsa, ci-devant grand écuyer de l'électeur de Hesse et
+ continué dans les fonctions du même département sous les ordres du
+ grand écuyer d'aujourd'hui[123], vient d'être nommé envoyé
+ extraordinaire de Westphalie auprès de Sa Majesté le roi de
+ Hollande, aux appointements de 36,000 fr. et sa femme conservant
+ ceux de dame d'honneur. C'est un homme de bien, père de treize
+ enfants vivants, et très heureux de sa mission qu'il n'a acceptée
+ qu'après avoir confessé au roi qu'il allait faire ses premières
+ armes en diplomatie. On dit que M. Girard, général, est nommé
+ ministre du roi à Munich, en remplacement de M. Schoell.
+
+ [Note 123: Le général d'Albignac.]
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, 8 septembre 1809.
+
+ Le roi est parti mardi dernier pour faire un voyage aux mines du
+ Harz; il s'est fait accompagner par les ministres des finances et de
+ la justice. M. le comte de Furstenstein, après avoir annoncé au
+ corps diplomatique que le voyage ne serait que de cinq ou six jours,
+ a profité de l'absence de Sa Majesté pour passer quelques jours dans
+ les terres du comte de Hardenberg, son beau-père.
+
+ Avant-hier, à quatre heures du matin, est arrivé un courrier du roi
+ portant ordre de faire marcher sur-le-champ à Hanovre les
+ chevau-légers de la garde et les chasseurs carabiniers. Dans le même
+ temps s'est répandu dans le public le bruit que les Anglais avaient
+ fait une descente à Brême. Ce bruit était faux, mais on continue à
+ parler d'une affaire que le général Bongars aurait eue avec les
+ Anglais. Le ministre de la guerre ne paraît avoir aucune
+ connaissance d'un pareil événement et il ignore les motifs de
+ l'ordre donné pour la marche des troupes. On croit en même temps, et
+ avec un peu plus de vraisemblance, à un voyage du roi à Hanovre et à
+ Hambourg.
+
+ Le Harz et ses mines sont un objet très intéressant et pour la
+ curiosité et pour l'administration. Le travail des mines entretient
+ une population de 30,000 âmes; cependant le produit en est presque
+ nul, du moins lorsqu'on porte en compte le prix du bois nécessaire à
+ leur exploitation. Ce n'est que parce que cette denrée se trouve à
+ portée et qu'il serait difficile d'en faire un autre emploi que le
+ produit des mines peut être regardé comme avantageux, même sous le
+ simple rapport du revenu. Du reste, le nouveau mode d'administration
+ qui n'est en activité que depuis peu de mois, et les améliorations
+ qu'il sera possible de faire, suffisent pour faire attendre de ce
+ voyage des résultats utiles et importants.
+
+ Je suis informé que M. de Bulow a proposé au Conseil des ministres
+ un projet d'emprunt à faire aux villes de Hambourg et Brème et il
+ paraît que ce voyage aux mines du Harz est lié à ce projet. Dans le
+ public on dit qu'il s'agit de les vendre et M. de Bercagny n'est pas
+ éloigné de croire à cette mesure qui pourrait dépopulariser ses
+ antagonistes et compromettre leur responsabilité. Selon toute
+ apparence, il s'agit d'hypothéquer les revenus des mines pour cet
+ emprunt, qui ne réussira point, à moins d'employer une sorte de
+ violence. Il y a dans tout ceci quelque chose qu'on me cache, ainsi
+ qu'au public. On dit même que le comte de Furstenstein s'est opposé
+ au projet en question, et, d'après toutes ces données, je soupçonne
+ qu'il s'agit d'une chose qu'on prévoit qui pourrait déplaire à Sa
+ Majesté impériale.
+
+ Le départ de M. de Bulow m'a empêché de lui parler à fond sur la
+ liste civile; je devais avoir avec lui un rendez-vous qui aura lieu
+ après son retour. Mais je me suis déjà entretenu avec M. Siméon qui,
+ plus d'une fois, m'avait témoigné son regret de ce que la liste
+ civile dépassait la ligne constitutionnelle.
+
+ M. Pothau a fait imprimer un mémoire en réfutation du rapport du
+ ministre des finances sur l'administration des postes. Celui-ci
+ s'est plaint au roi de ce que son rapport fait par ordre et dans la
+ supposition qu'il ne serait pas publié a été imprimé par M. Pothau.
+ Le rapport et la réponse étant en contradiction absolue sur tous les
+ faits et sur tous les principes, une commission du Conseil d'État
+ composée de MM. de Martens et de Malsbourg a été nommée pour
+ vérifier les uns et pour discuter les autres.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ Cassel, le 15 septembre 1809.
+
+ Le roi est revenu de son voyage hier au soir à huit heures. Sa
+ Majesté quittant le Harz avait passé par Goslar, Brunswick et
+ Hildesheim et s'était arrêtée pendant trois jours à Hanovre.
+
+ Comme vraisemblablement je ne verrai, avant le départ de cette
+ lettre, aucune des personnes de la suite de Sa Majesté, je dois m'en
+ rapporter provisoirement aux paragraphes du moniteur westphalien, ne
+ connaissant encore que quelques détails du séjour que le roi a fait
+ à Goettingen.
+
+ Une fermentation nouvelle avait éclaté parmi les étudiants de cette
+ université. Le cheval d'un gendarme avait été heurté par celui d'un
+ étudiant allant au galop et trop mauvais cavalier apparemment pour
+ pouvoir le retenir. L'étudiant se sentant poursuivi se sauva dans
+ une maison: le gendarme le pistolet à la main le prit au collet et
+ le conduisit en prison. Tous les étudiants prirent le parti de leur
+ camarade, la police prit celui du gendarme; des rapports, des
+ estafettes furent envoyés à la capitale. Il fut décidé que le
+ gendarme serait déplacé, mais qu'en même temps il serait avancé en
+ grade. Le gendarme avant de quitter Goettingen ne manqua pas de s'y
+ montrer avec les marques de son nouveau grade; grande rumeur parmi
+ les étudiants. Des listes furent colportées; 400 jeunes gens
+ signèrent l'engagement de quitter l'université après l'expiration du
+ semestre d'études.
+
+ Le roi fit appeler le pro-recteur: il lui parla avec beaucoup de
+ bonté et de condescendance, et le chargea d'être l'interprète auprès
+ des étudiants. Il convint que le gendarme avait eu tort; à la
+ remarque du pro-recteur qu'il avait été avancé en grade, il répondit
+ que c'était une mesure du gouvernement, étrangère à la question: il
+ dit que son âge le rapprochait un peu de la jeunesse des étudiants
+ pour pouvoir se mettre à leur place; qu'il voulait que l'université
+ de Goettingen fût la première de l'Allemagne; que ces complots de
+ départ étaient ridicules, et que quand 200 s'en iraient, il serait
+ assez puissant pour en attirer 400 autres.
+
+ Les déclarations de Sa Majesté, transmises par le pro-recteur,
+ avaient produit le meilleur effet, lorsque les étudiants apprirent
+ que six d'entre eux venaient d'être relégués. C'étaient ceux qui
+ avaient colporté les listes de départ; alors les jeunes têtes se
+ rallumèrent, et l'on dit qu'une centaine d'étudiants étrangers a
+ déjà quitté l'université pour n'y plus revenir.
+
+ Il paraît que le projet était d'aliéner pour douze ans les mines du
+ Harz soit à la ville d'Hambourg si l'emprunt réussissait, soit au
+ banquier Jacobson, et que le roi a voulu attendre à Hanovre le
+ résultat de la négociation avec Hambourg. Si cela est, la marche des
+ troupes westphaliennes sur cette ville s'explique assez. Quand de
+ pareils projets pourraient réussir dans les circonstances actuelles,
+ ce seraient toujours des palliatifs ruineux, peut-être même
+ illégitimes, sans le concours des États que le roi voudrait
+ convoquer, mais auxquels les ministres ne savent que proposer.
+
+ Le général Berner, officier de mérite, est revenu d'Espagne. Le
+ général Morio, tombé devant Girone malade d'une fièvre putride, et
+ transporté à Perpignan, est allé se rétablir à Montpellier. Le
+ ministre de Bavière est revenu de sa campagne dans un état de santé
+ tellement délabré qu'il reste peu d'espoir de sa guérison. Le
+ général Rewbell s'est embarqué à Emdem avec sa famille pour
+ Baltimore. La vente de son mobilier n'a point suffi pour payer ses
+ dettes. M. de Furstenstein s'est rencontré dans la terre de son
+ beau-père avec M. de Hardenberg, l'ancien ministre d'État prussien.
+ Ils n'auront pu se trouver ensemble longtemps: car immédiatement
+ après le départ du premier, un courrier était venu l'appeler auprès
+ du roi, à Hanovre.
+
+
+En septembre 1809, le roi et la reine firent un voyage aux mines du
+Hartz. Jérôme, de retour, écrivit de Napoléonshoehe à l'empereur le
+20 du même mois:
+
+
+ «Sire, je suis de retour d'un voyage que j'ai fait dans le Harz;
+ j'ai en même temps visité deux régiments de mes troupes qui sont à
+ Hanovre. La misère est portée à un tel point dans tout le royaume
+ (personne ne pouvant être payé) que si Votre Majesté ne vient à son
+ secours, il ne peut aller encore deux mois; comme j'ai déjà eu
+ l'honneur de l'annoncer à Votre Majesté, les troupes ne sont plus
+ entièrement soldées et si je n'avais eu la faculté de les mettre
+ dans les villes hanséatiques et dans le Hanovre, je serais hors
+ d'état de les nourrir. Malgré tous les soins que je porte à mon
+ administration, je crois qu'il est impossible de la soutenir plus
+ longtemps, et je prie Votre Majesté de me permettre de me retirer en
+ France. Là, comme ailleurs, je m'efforcerai de lui prouver qu'elle
+ n'a personne qui lui soit plus entièrement dévoué que moi. Toutes
+ les mesures que Votre Majesté croira devoir prendre pour fixer le
+ sort de mes États, je les approuverai et les seconderai de tout mon
+ pouvoir.»
+
+
+On voit que par son système l'empereur Napoléon Ier rendait
+impossible le règne de ses frères dans les États qu'il leur avait
+octroyés. Joseph en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en
+Westphalie, sombraient sous la question financière.
+
+Nous continuons à donner quelques lettres ou extraits de lettres de
+Reinhard au duc de Cadore.
+
+
+ Cassel, ce 21 septembre 1809.
+
+ J'avais à entretenir M. le ministre des finances du domaine de
+ Rittberg, et la conversation étant tombée sur d'autres objets,
+ l'occasion de m'acquitter de l'ordre que Votre Excellence m'avait
+ donné par sa dépêche du 21 s'est présentée naturellement. M. de
+ Bulow me parla de la mission de M. de Bocholtz[124] dont il prétend
+ n'avoir eu aucune connaissance: il me parut douter si M. de Bocholtz
+ serait l'homme propre à donner sur l'état des finances des
+ renseignements aussi exacts et aussi complets qu'on pouvait le
+ désirer. Il pensait, et j'étais fort de son avis, que le meilleur
+ parti à prendre serait de se conduire dans l'hypothèse où la
+ Westphalie serait réduite à ses propres ressources, et qu'en
+ dernière analyse tout dépendait de l'esprit de sagesse de son
+ gouvernement. «D'ailleurs, lui dis-je, avant de se relâcher sur des
+ engagements que le gouvernement westphalien a contractés envers la
+ France et qu'il paraît être en ce moment dans l'impossibilité de
+ remplir, Sa Majesté impériale serait en droit de s'informer des
+ causes qui ont amené cet état de détresse; et s'il résultait de ces
+ informations qu'une partie des revenus de l'État a été détournée de
+ sa véritable destination; que ceux de la liste civile, par exemple,
+ ont été étendus au-delà des limites légitimes, elle pourrait pour
+ intervenir faire valoir son titre d'auteur et de garant de la
+ Constitution.»--«Il me semble, me dit alors M. de Bulow, que vous
+ avez quelque chose à me dire, et je vous prie de me le faire sans
+ détour. Auriez-vous à me faire une communication de la nature de
+ celles que vous avez été chargé de faire à quelques
+ militaires?»--«Point du tout, lui dis-je, les circonstances ne se
+ ressemblent point, mais puisque vous le savez déjà, je vous dirai
+ que je suis prévenu qu'en sa qualité d'auteur et de garant de la
+ Constitution du royaume de Westphalie, Sa Majesté imputera les
+ violations que cet acte aurait éprouvées aux ministres, et que cette
+ disposition pourrait s'appliquer particulièrement aux accroissements
+ donnés à la liste civile.»--«En faisant serment d'obéissance à mon
+ souverain, me répondit M. de Bulow, j'ignorais que j'étais encore
+ responsable envers un autre souverain; mais cette responsabilité
+ même, je n'ai point à la craindre, et il est certain que sous mon
+ administration, il n'est pas sorti du Trésor un seul denier en
+ augmentation de la liste civile.»--«Cet autre souverain, repris-je,
+ est l'auteur et le garant de la Constitution en vertu de laquelle le
+ roi règne et les ministres président à l'administration. Sa Majesté
+ l'empereur a le droit d'en surveiller le maintien autant et plus
+ encore que s'il s'agissait de l'exécution d'un traité.» M. de Bulow
+ entendit cela,--«mais, dit-il, en vertu de mon serment je suis
+ obligé de ne rien laisser ignorer au roi, et vous me permettrez de
+ lui donner connaissance de notre conversation.»--«Si vous croyez,
+ répliquai-je, que le devoir vous y oblige, je ne saurais m'y
+ opposer. Je vous prie seulement de considérer qu'il est de notre
+ intérêt commun que cet avertissement, qui en temps et lieu peut
+ produire un excellent effet, n'en produise pas un mauvais, et que la
+ susceptibilité du roi soit ménagée. En conséquence la confidence que
+ j'ai l'honneur de vous faire est livrée à votre sagesse et à votre
+ discernement.»--«Connaissez-vous le roi, me demanda M. de
+ Bulow?»--«Je crois le connaître assez, quoique moins bien que
+ vous.»--«Eh bien! croyez-vous qu'il souffre qu'on lui résiste?»--«Et
+ quand on résiste la Constitution à la main.»--«Et même la
+ Constitution en main. Il y avait un temps, m'a dit M. Siméon, où le
+ roi disait ne vouloir gouverner que par la Constitution, mais il a
+ changé de langage.» Après ces préliminaires, M. de Bulow entra en
+ matière. Après m'avoir répété, ce dont je l'assurais, que je ne
+ doutais pas que le roi n'avait jamais touché du trésor public que
+ les prorata de cinq millions, à l'exception cependant du mois
+ d'octobre et du mois de novembre 1807, antérieurs à l'administration
+ de M. de Bulow, il me fit l'énumération des autres articles qui
+ composent aujourd'hui la liste civile. La voici:
+
+ [Note 124: Mission Auprès De L'empereur À Paris.]
+
+ 1º Intérêts des capitaux donnés par Sa Majesté l'empereur. 500,000 fr.
+ 2º Domaines de la couronne. 350,000
+ 3º Ordre Teutonique. 300,000
+ 4º Redevance d'un pour cent des fiefs déclarés allodiaux. 400,000
+ 5º Sept domaines repris sur des donataires français. 250,000
+ 6º Domaines réclamés par le roi pour compléter un million
+ de revenus en sus de la liste civile. 650,000
+
+ «Or, dit M. de Bulow, tous ces articles ont constamment été
+ étrangers à mon administration, et la Constitution ne dit pas que ce
+ que Sa Majesté tient d'une autre source doive être défalqué des cinq
+ millions de la liste civile. Quant aux domaines de la couronne, la
+ dignité du roi exige qu'il y en ait. Le produit de ceux dont Sa
+ Majesté jouit est peu considérable, et nous nous promettons bien
+ qu'Elle se désistera de la prétention des 650,000 francs, dont Elle
+ n'a pas encore joui, et qu'il paraît qu'on a portés en compte
+ lorsqu'on a fait monter les revenus de la liste civile à 7,500,000
+ francs. Les biens de l'Ordre Teutonique et les redevances pour les
+ fiefs déclarés allodiaux ont été attribués au roi par des décrets
+ rendus au Conseil d'État, les uns parce que le texte du décret
+ impérial ne paraissait pas au moins s'opposer à ce que le roi se les
+ appropriât, et les autres parce que Sa Majesté trouvait juste d'être
+ indemnisée des avantages dont Elle aurait profité en cas de
+ mouvance. Les deux décrets ont été rendus contre mon avis, mais je
+ n'ai pu pousser plus loin mon opposition, parce que ni l'un ni
+ l'autre objet n'étaient encore entrés dans mes attributions. Quant
+ aux sept domaines pris sur plusieurs donataires impériaux, j'ignore
+ s'ils seront remplacés ou restitués soit en nature, soit en argent.
+ Mais cet article encore n'est point de ma compétence.» Je n'ai rien
+ à ajouter, Monseigneur, à la justification de M. de Bulow, si ce
+ n'est qu'il a porté plus bas l'évaluation des articles nºs 3 et 4,
+ que je ne l'ai fait dans ma lettre nº 71, d'après l'assertion de M.
+ Siméon. Celle des redevances, en effet, ne peut guère être connue
+ que par approximation, et il est possible que les biens de l'Ordre
+ Teutonique, en ce moment où il reste des pensions et des indemnités
+ à payer, ne rapportent à la liste civile que le revenu net tel que
+ l'a estimé M. de Bulow. Ce que M. de Bulow m'a dit sur les finances
+ de l'État est vague et n'ajoute rien aux aperçus que Votre
+ Excellence connaît déjà. Il se nourrit encore de la gloire de son
+ excédant de cinq millions de l'année passée. Pour l'année courante
+ il n'en espère que trente au lieu de trente-huit. Cependant il est
+ convenu que l'absence des troupes françaises causait au trésor un
+ grand soulagement, et que l'épargne qui en résultait pouvait
+ balancer et au-delà les pertes que les incursions ennemies avaient
+ causées à la Westphalie. Il m'a dit que la contribution personnelle
+ pour l'an 1808 était rentrée, mais qu'on n'avait pu mettre encore en
+ recouvrement celle pour l'an 1809. De là vient la détresse pour la
+ caisse d'amortissement que cette contribution est destinée à
+ alimenter. Malheureusement les fonctionnaires publics, surtout ceux
+ du culte et de l'instruction publique, ne sont pas payés davantage
+ que les créanciers de l'État, et le ministre de la guerre continue à
+ se plaindre amèrement de ce que ses ordonnances ne sont pas
+ acquittées.
+
+ Malgré tous ces embarras le ministre des finances, qui a la
+ réputation d'espérer toujours, persiste à dire que les ressources de
+ la Westphalie sont assez grandes pour suffire à un état de dépenses
+ bien ordonné et au paiement des dettes et de leurs intérêts. Ce qui,
+ plus que tout autre chose, lui paraît être hors de proportion avec
+ les revenus, c'est l'état militaire. Le projet concernant les
+ sémestriers a été adopté par le roi; mais comme le décret entier,
+ qui embrasse plusieurs objets d'administration militaire, présente
+ un ensemble de dispositions liées entr'elles, il faut en attendre
+ l'adoption définitive. M. de Bulow a fait imprimer le compte des
+ recettes et des dépenses de l'année passée. Ce compte, qui ne
+ renferme que les mouvements du trésor public, ne peut être contrôlé
+ que par celui du ministère des finances dont le ministre promet
+ aussi la publication; et ce ne sera que lorsque cette dernière
+ publication aura paru que mes recherches dirigées par des données
+ certaines pourront me conduire à un résultat digne d'être soumis à
+ Votre Excellence.
+
+ M. de Bulow m'a parlé aussi de l'emprunt qui se négocie en ce moment
+ à Hambourg. Il s'agissait, m'a-t-il dit, de le conclure sur les
+ mêmes bases que celui qui avait été projeté en Hollande, à
+ l'exception des sels cependant dont Hambourg n'a pas besoin. Or, ces
+ sels étaient l'objet principal de la négociation hollandaise. Quoi
+ qu'il en soit, il est en ce moment question du produit des mines
+ dont il paraît qu'on propose d'aliéner l'exploitation pour un temps
+ déterminé. M. de Bulow prétend être étranger à cette affaire qui se
+ traite aujourd'hui directement par le cabinet et par l'entremise du
+ banquier Jordis, homme sans fortune, sans crédit et sans
+ considération. «Je ne connais, ajouta M. de Bulow, que deux manières
+ de traiter cette affaire: ou bien qu'un banquier connu et estimé se
+ mette à la tête et donne l'exemple en souscrivant pour une somme
+ importante, ou bien qu'un agent avoué présente au nom du
+ gouvernement les sûretés, offre les conditions et traite sous les
+ auspices de la foi publique,» M. de Bulow ne croit point au succès
+ de cet emprunt.
+
+ Le public ne sait pas encore bien s'expliquer le dernier voyage du
+ roi à Hanovre, et je ne suis pas plus instruit à cet égard que le
+ public. Le passage du duc d'OEls et ses conséquences peuvent y être
+ entrés pour quelque chose. On parle aussi de quelques fournitures,
+ de souliers par exemple, faites ou commandées dans cette occasion.
+ Le général Bongars et le banquier Jordis y sont venus de Hambourg
+ rendre compte de leur négociation. Dans le public on s'attendait à
+ une prise de possession. Sa Majesté a été très satisfaite de la
+ cordialité avec laquelle Elle a été reçue par les habitants du Harz.
+ À Brunswick on a cru s'apercevoir d'une froideur qui contrastait
+ avec la joie que les habitants de cette ville avaient témoignée dans
+ d'autres occasions. Au moment de son arrivée à Brunswick le roi
+ ordonna au ministre des finances de payer tous les arrérages. «J'ai
+ prévenu les ordres de Votre Majesté, répondit M. de Bulow, tout est
+ payé.» En effet, il avait fait arriver d'avance tout l'argent des
+ caisses des environs.
+
+ Dans la conversation que le roi eut avec M. Lefebvre après son
+ retour de Vienne, Sa Majesté ne manqua pas de lui reparler de ses
+ soupçons contre M. Jollivet. Ces soupçons, Monseigneur, je l'avoue,
+ sont pénibles pour moi, et je prie Votre Excellence de croire que,
+ même au risque de les attirer sur moi, je désirerais que le roi ne
+ les ait pas conçus. M. Jollivet remplit parfaitement son devoir dans
+ l'administration qui lui est confiée, et si notre position est
+ délicate, nous ne pouvons tous les deux prendre pour règle de
+ conduite que notre dévouement à S. M. I. Du reste cette matière ne
+ me paraît point être de nature à me permettre de m'en expliquer
+ jamais avec M. Jollivet.
+
+ M. de Bercagny doit aller à Mayence au devant de sa femme que le roi
+ lui a ordonné de faire venir. Il parait que dans ces derniers temps
+ plusieurs circonstances ont nui à M. de Bercagny dans l'esprit de S.
+ M., et si cette diminution momentanée de son influence peut
+ l'engager à faire un retour sur lui-même et à se prescrire des
+ règles fixes et équitables pour sa conduite, il en résultera un
+ grand bien. Malheureusement je viens d'apprendre un trait qui m'en
+ fait désespérer. La haute police prétend savoir d'après plusieurs
+ indices que feu M. de Müller avait eu connaissance de la
+ conspiration de Doernberg. J'oserais, moi, donner un démenti formel
+ à cette assertion au nom de M. de Müller dans la tombe, non
+ seulement à cause de la connaissance que j'avais de son caractère,
+ mais encore d'après toute sa manière d'être dans les circonstances
+ d'alors. Quoi qu'il en soit, la haute police ne peut vouloir
+ fouiller ainsi dans la cendre des morts qu'avec le projet de
+ déterrer quelqu'accusation contre les vivants; et lorsqu'elle aura
+ tiré le voile qui couvre encore le mystère, on verra que M. de
+ Bercagny, et deux ou trois associés qui le valent, sont les seuls
+ serviteurs vraiment fidèles et nécessaires de Sa Majesté.
+
+
+On a vu que l'empereur avait fait établir en Westphalie (où les
+marchandises anglaises commençaient à être introduites) une ligne de
+douanes. Jérôme s'était opposé à cette mesure. Reinhard écrivit à
+l'empereur le 25 septembre 1809:
+
+
+ «Il est pénible pour moi d'avoir à revenir sur ce qui se passe en
+ Westphalie, relativement à la nouvelle ligne de douanes dont Elle a
+ ordonné l'établissement; mais je ne crois pas pouvoir me dispenser
+ de mettre sous vos yeux, Sire, le nouveau rapport qui m'est fait par
+ M. Collin, afin que Votre Majesté puisse donner les ordres qu'Elle
+ jugera convenable sur cet important objet.»
+
+
+D'après l'ordre de l'empereur, Cadore écrit à Reinhard, de Vienne,
+le 3 octobre:
+
+
+ «Sa Majesté l'empereur avait ordonné en Westphalie l'établissement
+ d'une nouvelle ligne de douanes, pour s'opposer avec plus
+ d'efficacité à l'introduction des marchandises anglaises. Les
+ brigades de Neukirchen et d'Alfaugen (?) ayant été obligées, le 9
+ septembre, de cesser leurs fonctions, il s'est introduit sur leurs
+ postes, du 9 au 13 inclusivement, plus de trois cents voitures de
+ marchandises anglaises, escortées pour la plupart par des gendarmes
+ westphaliens et des paysans armés. J'ai l'honneur de vous envoyer
+ une copie du rapport qui rend compte de ces faits et qui a été mis
+ sous les yeux de l'empereur.
+
+ «Sa Majesté vous charge de faire les plus vives instances pour que
+ le gouvernement de Westphalie cesse de s'opposer à l'établissement
+ de cette ligne de douanes. Sa Majesté use de son droit de
+ protecteur, en prenant des mesures pour fermer tout accès au
+ commerce de l'Angleterre dans les États de la Confédération. Elle a
+ été étonnée de ce que, dans les moyens qu'elle prenait pour faire la
+ guerre à l'Angleterre, la Westphalie était le pays où elle éprouvait
+ des obstacles. Je vous prie, Monsieur, de m'informer du résultat de
+ vos démarches.»
+
+
+Quelques mois plus tard, Champagny écrivait encore à ce sujet (de
+Paris, le 8 février 1810):
+
+
+ «Je viens d'être instruit par Son Excellence le Ministre des
+ finances qu'un mouvement séditieux a eu lieu en Westphalie contre le
+ service des douanes impériales. Le 15 novembre dernier, à la suite
+ d'une saisie faite par les préposés de Cuxhaven, pour contravention
+ au décret du 29 octobre précédent, de dix-neuf petites embarcations
+ chargées de sucre, café et autres denrées, les objets saisis
+ composant le chargement de trente-trois voitures furent conduits à
+ Bremerlehe, sous l'escorte d'un détachement de cuirassiers
+ westphaliens. Le convoi arriva en bon ordre, mais l'heure ne permit
+ pas d'opérer immédiatement le chargement sur bateau pour Brême. On
+ mit donc provisoirement les marchandises en magasin à Bremerlehe
+ même, avec d'autant plus de confiance que l'escorte était forte,
+ qu'il y avait dans la ville une garnison westphalienne et qu'on
+ pouvait ainsi espérer secours et protection en cas de tentatives
+ d'enlèvement de la part du peuple, mais cette garnison, cédant à
+ l'impulsion de la multitude, qui ne tarda point à manifester ses
+ mauvaises intentions, fut la première à favoriser le pillage et
+ enleva elle-même des marchandises.
+
+ «Les soldats de l'escorte prirent part aussi à ce pillage au lieu de
+ s'y opposer, et une patrouille envoyée par le commandant et les
+ préposés ne put empêcher qu'une partie des marchandises (480 bûches
+ de bois de teinture, 64 sacs et un tonneau de sucre rafiné, ainsi
+ que 4 sacs de café) ne fût enlevée.
+
+ «Je vous prierai, monsieur le baron, de vouloir bien porter ces
+ faits à la connaissance du gouvernement westphalien et de demander
+ que les auteurs de ce désordre soient recherchés et punis. Vous
+ voudrez bien me faire part du résultat de vos démarches à cet
+ égard.»
+
+
+Le ministre des finances du royaume de Westphalie, M. de Bulow,
+était, en sa qualité d'allemand, en butte à la haine du parti
+français. Reinhard, dans ses lettres et dans ses bulletins, laisse
+pressentir sa prochaine disgrâce.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, le 28 septembre 1809.
+
+ «La cour est revenue de Napoléons-Hoehe à Cassel mardi dernier.
+ Quoique la détermination en ait été prise subitement, elle a été
+ suffisamment motivée par le temps froid et pluvieux qui ne cessait
+ de rendre le séjour de Napoléons-Hoehe malsain et désagréable.
+
+ «L'exemple de la France et de la Hollande, où les gardes nationales
+ ont montré une si noble ardeur à marcher contre un ennemi déjà en
+ présence, avait inspiré à M. Bercagny l'idée de faire paraître
+ devant le roi, le jour de sa fête, la garde nationale de Cassel.
+ Comme elle est composée d'un corps d'arquebusiers en uniformes, et
+ du reste de la bourgeoisie qui n'en a point, il s'agissait de donner
+ des uniformes à toute la garde. Une souscription devait être ouverte
+ en faveur de ceux qui n'avaient pas assez de fortune pour s'en
+ procurer de leurs propres moyens. On espérait que quatre ou cinq
+ cents hommes pourraient se présenter en uniforme le jour où le roi
+ les passerait en revue. Dimanche dernier, M. Bercagny vint
+ m'entretenir de son projet comme d'une chose qui plairait sûrement à
+ l'empereur. Il en exposa les avantages avec enthousiasme. Il était
+ sûr que tous les départements s'empresseraient d'imiter la cour et
+ la capitale. «J'ai proposé au roi, me dit-il, d'ordonner que toute
+ la cour prît l'habit de garde national; il est vrai que Sa Majesté
+ me répondit que cela ne prendrait point, et que ce ne serait qu'un
+ habit de plus.» Je convins avec M. Bercagny que son idée était
+ excellente; cependant je l'avertis de n'y point mettre trop de
+ chaleur, parce que le flegme allemand n'aimait point à être trop
+ pressé.
+
+ «Le lendemain matin, je vis passer dans la rue et j'entendis des
+ cris qui me parurent être des _vivat_; voilà, dis-je, M. Bercagny
+ qui a donné de bonne heure à boire à sa garde nationale; je me
+ trompais. La bourgeoisie assemblée par le maire avait refusé de se
+ mettre en uniforme, et les cris que j'entendais étaient des cris
+ d'opposition.
+
+ «Il paraît que la crainte vague de prendre un engagement dont on ne
+ connaissait pas assez ni l'objet ni le terme, et une jalousie déjà
+ existante entre les arquebusiers et le reste de la garde ont été la
+ cause de ce refus qui heureusement n'a heurté que les espérances
+ trop vives de M. Bercagny. Le gouvernement, qui ne s'était pas
+ encore prononcé, s'est décidé sagement à ne donner pour le moment
+ aucune suite à cette affaire. Je suis persuadé qu'on pourra la
+ reprendre avec succès, si l'on y met le temps nécessaire, et
+ peut-être aussi en la faisant manier par des personnes plus
+ populaires que M. Bercagny. Le roi ce jour-là vint en ville sans
+ escorte et sans garde, et cette démarche simple prouva aux gens qui
+ étaient déjà tentés de crier à la révolte, qu'il était étranger à
+ cet incident et qu'il n'y mettait aucune importance.
+
+ «Il paraît que les troupes westphaliennes ont quitté la ville de
+ Hambourg et qu'elles sont revenues à Hanovre. Le cinquième régiment,
+ le même qui s'était trouvé à Halberstadt, est revenu de Magdebourg à
+ Cassel. On dit que le nombre d'hommes sous les armes dont il est
+ composé n'excède pas encore 800.
+
+ «La négociation du général Bongars et du banquier Jordis paraît
+ avoir abouti à deux cent mille francs pour accélérer le départ des
+ troupes. J'ai une lettre d'Hambourg où il est question de dix-sept
+ cent mille francs, mais je crois qu'il y a un zéro de trop. Quant à
+ l'emprunt, le sénat de Hambourg propose toujours des conditions
+ telles que le conseil du roi a dû nécessairement les refuser.
+
+ «M. de Bulow affirme que les recettes vont en ce moment assez bien;
+ cependant à Brunswick encore, il s'était trop pressé en annonçant
+ que tout avait été payé. M. de Wolfradt ne manqua pas de montrer au
+ roi une lettre du préfet qui assurait le contraire. M. de Bulow
+ répondit qu'il avait fallu quelques jours pour exécuter les ordres
+ donnés; M. de Wolfradt soutient que c'est encore un mensonge. M. de
+ Bulow à contre lui un très fort parti composé à peu près de la
+ totalité des Français et même de plusieurs Allemands. Il est accusé
+ de fournir au roi tout l'argent qu'il demande pour ses dépenses, ce
+ qui est faux et absurde; d'augmenter à dessein le désordre et la
+ détresse des finances, pour amener des troubles et la ruine de
+ l'État, ce qui est chimérique. On a dit au roi qu'il avait profité
+ de sa place pour payer ses dettes. Il en avait: elles provenaient de
+ ses ancêtres, il en a toujours mis l'état sous les yeux de Sa
+ Majesté, en prouvant que sa fortune réelle les excédait de beaucoup.
+ On m'assure que depuis qu'il est ministre elles n'ont point été
+ diminuées. «Je ne tiens point à ma place, me dit dernièrement M. de
+ Bulow, mais j'y resterai aussi longtemps que le roi voudra me la
+ conserver, parce que je suis certain que je serais remplacé par un
+ imbécile ou par un fripon.» On est au reste généralement persuadé
+ qu'il ne se soutiendra plus longtemps. La tournure que prendra
+ l'affaire des postes, où la famille de M. de Furstenstein fait cause
+ commune, peut en décider, car, quoiqu'il soit plus que probable que
+ M. de Bulow a raison dans le fond, il paraît avoir exagéré quelques
+ détails. On dit que le roi pense encore de temps en temps à M.
+ Hainguerlot.
+
+ «Les ordres pour le mouvement des troupes continuent à être donnés à
+ l'insu de M. le ministre de la guerre. Il en est de même des
+ nominations militaires, sur lesquelles on dit que le comte de
+ Bernterode exerce une plus grande influence. On cite la nomination
+ d'un colonel pour le sixième régiment. C'est un certain Laruelle ne
+ sachant ni l'allemand ni le français et recommandable seulement pour
+ avoir le même bon ton que M. de Bernterode. On craint une
+ nomination pareille pour le premier régiment. Le comte Bernterode,
+ ajoute-t-on, veut se faire nommer inspecteur général de l'armée. Le
+ général Boermer est négligé. Les officiers allemands sont dégoûtés
+ de tant de passe-droits. Il convient de citer mon autorité: c'est le
+ général d'Albignac. Mais ce que j'ai dit du peu d'influence du
+ général Eblé, je le tiens de ce ministre lui-même à qui je n'ai pu
+ m'empêcher de dire qu'un homme de son mérite était assez fort pour
+ lutter et pour l'emporter. Encore un trait que m'a raconté le
+ général Eblé. Dans un groupe de courtisans à Napoléons-Hoehe, il
+ était question de Sa Majesté l'empereur et du roi de Hollande. Et
+ nous aussi, dit, en se frottant le menton, le comte de Bernterode,
+ nous nous raccommoderons.
+
+ «L'esprit des départements ne s'est pas encore amélioré. Aucune
+ dépense n'est payée; les impôts ne rentrent qu'à force d'exécutions
+ militaires. Voilà le refrain. À Brunswick, on vend le portrait, on
+ porte les couleurs du duc d'Oels, on y attend les Anglais. On ne les
+ attendra plus quand la paix sera signée.
+
+ «On a fait des réparations au palais. On allait y bâtir une salle de
+ spectacle; mais on a trouvé que le local ne s'y prêtait point et
+ l'on se borne à continuer la construction de celle de
+ Napoléons-Hoehe. D'un autre côté, on prend quelques mesures
+ d'économie; la table du maréchal a été restreinte à douze couverts.
+ Le palais de Brunswick n'est pas encore achevé et il paraît certain
+ que la cour ne s'y rendra point pendant l'hiver prochain.»
+
+
+Le 12 octobre Reinhard envoie de Cassel la lettre suivante:
+
+
+ «Le 3 octobre, l'avant-veille de mon départ, s'est passé à Cassel un
+ événement dont il est de mon devoir de rendre un compte détaillé à
+ Votre Excellence. Le ministre des finances était ce jour-là à dîner
+ avec quelques autres ministres et conseillers d'État chez le grand
+ veneur, M. le comte d'Hardenberg, revenu le même jour de sa
+ campagne. Pendant le dîner il reçoit un billet de sa femme; il se
+ lève de table, disant qu'un événement désagréable arrivé dans son
+ intérieur l'oblige de se rendre chez lui. On se perd en conjectures,
+ on envoie pour savoir de ses nouvelles; il fait dire qu'une affaire
+ survenue avec la police l'empêche de revenir. Voici le fait.
+
+ «Le sieur Schalch, commissaire général de la haute police à Cassel,
+ avait proposé au valet de chambre de M. de Bulow de lui procurer
+ l'entrée du cabinet de son maître. Le domestique en informa non M.
+ de Bulow, mais Madame, qui lui ordonna d'accepter la proposition en
+ se faisant donner une promesse par écrit. Le sieur Schalch la donna
+ signée de son nom et scellée du sceau de la haute police. Un nommé
+ Dumoulin, d'une famille prussienne et commis dans les bureaux de M.
+ de Bulow, était chargé d'examiner et d'enlever les papiers. Le jour
+ où M. de Bulow allait dîner chez M. de Hardenberg paraît une
+ occasion favorable. Le valet de chambre introduit le sieur Dumoulin
+ dans le cabinet du ministre et Mme de Bulow le surprend assis au
+ bureau de son mari, examinant ses papiers. M. de Bulow arrive, et,
+ muni du billet du sieur Schalch, se rend immédiatement chez le roi.
+ Il représente à Sa Majesté que l'attentat qui vient d'être commis ne
+ concerne point sa personne, mais celle du roi, que les papiers qui
+ se trouvaient dans le cabinet d'un ministre d'État ne sont pas les
+ siens, mais ceux du roi; qu'en conséquence il n'a rien à demander
+ personnellement, et qu'il appartient entièrement à Sa Majesté de
+ faire justice.
+
+ «Le roi se montre indigné; il donne sur le champ l'ordre de faire
+ arrêter les sieurs Schalch et Dumoulin. Le premier est mis au
+ castel; le second s'étant réfugié, dit-on, chez M. Bercagny, est
+ réclamé par le préfet de Cassel. M. Bercagny répond qu'il ne sait
+ pas où est ledit Dumoulin, et que d'ailleurs un ordre du préfet ne
+ suffirait pas pour le faire mettre en prison. L'ordre en conséquence
+ est expédié par le ministre de la justice; le sieur Dumoulin aussi
+ est conduit au château. J'appris ces faits le lendemain de M. de
+ Coninx qui avait assisté au dîner. M. de Bulow me les confirma en
+ masse; il me répéta ce qu'il avait dit au roi. Du reste il avait
+ l'air modestement heureux d'un homme qui avait déjoué un complot
+ dangereux et qui avait été plus fin que ses ennemis.
+
+ «Le même jour, au spectacle, j'entendis M. le général Eblé demander
+ au ministre de l'intérieur qui n'est nullement ami du ministre des
+ finances: «Que pensez-vous de l'affaire de M. de Bulow?»--«Je pense,
+ dit M. de Wolfradt, que M. Schalch n'a pas agi sans l'autorisation
+ de M. Bercagny, et que M. Bercagny n'a pas agi sans.......» Ici la
+ phrase fut interrompue. M. Lefebvre, pendant mon absence, ayant
+ écrit jour par jour tout ce qui s'est passé à la suite de cet
+ événement, je ne saurais mieux faire, Monseigneur, que de vous
+ envoyer l'extrait des notes qu'il m'a remises lors de mon retour.
+ Votre Excellence jugera facilement de la satisfaction que cet
+ événement a produite, et peut-être, dans aucune circonstance, un
+ esprit de parti qui ne devrait pas exister ne s'est montré plus
+ ouvertement et plus mal à propos que dans celle-ci. Le sieur
+ Dumoulin s'obstinant dans son refus de répondre, le ministre de la
+ justice avait ordonné de lui mettre les menottes. M. de Wolfradt
+ vient de me dire qu'aujourd'hui, au lever du roi, plusieurs Français
+ l'ont interpellé pour savoir si le fait était vrai, et qu'ils en
+ jettent les hauts cris.
+
+ «Faut-il remonter aux causes de cet attentat? Ma correspondance
+ antérieure en a dit assez pour me dispenser ici de fatiguer Votre
+ Excellence par des conjectures; mais je dois citer un fait qui m'a
+ été rapporté en confidence. Dans une conversation sur la querelle
+ qui existe entre M. Pothau et M. de Bulow, quelqu'un demanda au
+ premier pourquoi il était si difficile d'entamer un homme ennemi des
+ Français et contre lequel il s'élevait de si fortes préventions?
+ «Ah! dit M. Pothau, si nous pouvions nous procurer deux pièces que
+ nous savons être dans son cabinet, nous prouverions bien qu'il est
+ traître, mais il faudrait une autorisation.»
+
+ «Quoi qu'il en soit, Monseigneur, la doctrine professée par le sieur
+ Schalch, et dans son interrogatoire et dans une lettre qu'il a
+ écrite au ministre de la justice, est aussi celle de M. Bercagny,
+ qui donnait une trop grande latitude à quelques expressions du roi
+ sur une attribution de surveillance générale contre laquelle tous
+ les ministres protestent depuis un an, et voudrait même insinuer que
+ cette doctrine est conforme à l'opinion de Sa Majesté. Si j'avais
+ réussi, disait M. Bercagny, encore ce matin (je cite M. de
+ Wolfradt), j'aurais obtenu un grand cordon; j'ai échoué....... Mais
+ abstraction faite de la moralité de l'entreprise, un directeur de la
+ haute police doit-il échouer ainsi?
+
+ «Le sieur Schalch est natif de Schaffouse; c'est un homme d'une
+ réputation tarée; on m'en a raconté un trait qui mériterait non le
+ cordon, mais la corde. Un autre Suisse avait reçu d'un oncle une
+ traite qui ne suffisait point à ses besoins; il s'en plaignit. Eh
+ bien! dit le sieur Schalch, ajoutez un zéro!--Il sera destitué et
+ banni du royaume.
+
+ «La direction de la haute police va rentrer provisoirement dans les
+ attributions du ministère de la justice. Les commissaires généraux
+ de police seront subordonnés aux préfets. M. Bercagny sera préfet de
+ police à Cassel. Le décret qui crée une direction séparée de la
+ haute police subsiste. Si la nécessité l'exige, un nouveau directeur
+ pourra être nommé. M. Siméon m'a dit qu'à présent les plaintes
+ contre M. Bercagny pleuvaient et qu'il en résultait en toute
+ hypothèse que c'était un homme qui n'avait exercé son emploi que
+ dans la vue de se faire une fortune dans deux ans. Le roi est très
+ prévenu contre Mme de Bulow; il l'appelle un monstre, pour avoir
+ joué un rôle insidieux qui dégradait son caractère de femme. Que ce
+ soit elle ou non, il est certain que ce rôle qu'elle a joué ou
+ qu'elle s'est laissé attribuer a quelque chose qui répugne à la
+ délicatesse. Mais sans le flagrant délit, comment obtenir la preuve?
+
+ «J'ai oublié d'informer Votre Excellence que M. B. Huygens, ministre
+ de Sa Majesté hollandaise, est rappelé et qu'il a été nommé
+ conseiller d'État. On dit qu'il ne sera remplacé que par un chargé
+ d'affaires.»
+
+
+Par suite de cette maladresse de la police dans l'affaire Bulow,
+Bercagny fut remplacé dans ses fonctions par le général Bongars,
+chef de la gendarmerie, le commissaire général Schlach fut expulsé
+du royaume, et une scission eut lieu dans le cabinet. Le parti
+allemand représenté par Bülow, plus puissant que jamais, après
+Siméon, entra en lutte avec le parti français représenté par le
+comte de Fürstenstein et M. de Salha, devenu comte de Hoene et
+ministre de la guerre. Mais Bülow par son influence, Siméon par son
+talent, étaient autrement forts que MM. Le Camus et de Salha,
+ministres assez médiocres.
+
+Revenant sur l'affaire relative à M. Hainguerlot, Reinhard écrivit
+le 17 octobre 1809, de Brême, où il se trouvait, au duc de Cadore:
+
+
+ «La dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire sous
+ la date du 9 a été envoyée à Cassel par estafette par M. Durand. M.
+ Lefebvre me l'a expédiée par un courrier. J'ai trouvé tous les
+ cachets intacts. Je dois vous rendre compte, Monseigneur, du fait
+ qui m'a donné lieu d'écrire le mot concernant M. Hainguerlot. Je
+ tiens de M. Lefebvre que M. Courbon lui a dit que lorsqu'au mois
+ dernier le roi l'expédia pour Vienne auprès de Sa Majesté
+ l'empereur, le roi qui était seul dans son cabinet appela devant lui
+ M. de Marinville, son secrétaire intime, et lui demanda: «Avez-vous
+ écrit ce que je vous ai dit au sujet de M. Hainguerlot?» Et que M.
+ de Marinville lui répondit: «Oui, Sire;» qu'après un moment de
+ silence, Sa Majesté lui dit: «Non, toute réflexion faite, ne
+ l'écrivez point.»
+
+ «Cette circonstance m'avait été racontée à l'époque à peu près de la
+ rédaction de ma dépêche et il paraît en effet que, dans la crise où
+ était alors la situation de M. de Bulow, le nom de M. Hainguerlot
+ avait été prononcé, non dans le public, non par des personnes de
+ l'administration, mais très dans l'intérieur de la cour; et voilà
+ comment, étant loin d'y attacher toute l'importance que la chose
+ méritait, j'ai été conduit à écrire la phrase en question. Si j'ai
+ écrit: _on dit_, je ne saurais justifier ce mot dans toute son
+ exactitude, j'aurais dû écrire: _il paraît_. Comme toutes les
+ circonstances du fait qui a été raconté par M. de Courbon à M.
+ Lefebvre ne sont plus présentes à ma mémoire, j'engage ce dernier,
+ qui ne verra point cette réponse, à vous en rendre compte
+ directement dans une lettre particulière; et je me borne à lui
+ écrire, comme je me bornerai à lui dire, qu'une phrase que je vous
+ avais écrite au sujet de M. H. vous avait engagé à me demander
+ quelques éclaircissements à ce sujet.
+
+ «Je me permettrai seulement d'ajouter, Monseigneur, que, si dans la
+ circonstance dont je parle, le souvenir de M. Hainguerlot s'est
+ présenté dans l'esprit de Sa Majesté, le souvenir d'autres
+ particularités que j'ignore s'y est présenté aussi et l'a emporté;
+ que ce fait est antérieur à la nomination de M. Girard pour
+ Carlsruhe où Mme Girard[125] s'est rendue quinze jours après le
+ départ de son mari, et que, si le nom de M. Hainguerlot a été
+ prononcé après cette époque, il est plus que douteux que le roi en
+ ait donné la moindre occasion.»
+
+ [Note 125: Soeur du fournisseur et banquier Hainguerlot que
+ l'empereur n'aimait pas et qui était un des amis du roi
+ Jérôme.]
+
+
+Le 18 octobre, M. Reinhard manda de Cassel au duc de Cadore:
+
+
+ «L'attention de Sa Majesté a été si souvent appelée sur les finances
+ de la Westphalie, que ce n'est pas sans un sentiment de répugnance
+ qu'on se voit obligé de ramener sans cesse sa réflexion sur ce
+ triste tableau. Des réformes de valets ont eu lieu dans l'intérieur
+ du palais, mais on ne peut raisonnablement se flatter d'en attendre
+ une amélioration dans les finances. Quelques réductions partielles
+ ne forment point un système complet d'économie. Ce qu'une sage
+ administration doit se prescrire, c'est de ne point charger sa
+ dépense au delà des forces de son budget. Mais, Monseigneur,
+ l'économie est une vertu dont le goût viendra tard ici; elle choque
+ les penchants d'un jeune roi né avec de nobles et généreuses
+ inclinations qui met la libéralité au premier rang des qualités d'un
+ souverain, et qui, comme il m'a fait l'honneur de me le dire à
+ moi-même, n'a d'abord vu dans la royauté que le plaisir de donner.
+ Toutefois, Sa Majesté impériale peut être sous ce rapport sans
+ inquiétude. Tous les ministres sont d'accord pour combattre le
+ penchant du roi à des dépenses peu proportionnées avec les forces de
+ l'État. Le ministre des finances, éveillé par le dernier et sérieux
+ avertissement qu'il a reçu, ne souffrira aucune application des
+ revenus publics à des objets qui ne seraient pas autorisés par la
+ Constitution. M. de Bulow est un homme franc, plein de ressources,
+ et peut-être, quoi qu'on en publie, celui de tous les ministres qui
+ est le mieux à sa place.
+
+ «Le roi, sur la demande de la ville de Brême, a supprimé une foule
+ de droits aussi injustes qu'onéreux que s'étaient arrogés sur le
+ commerce les commandants qui avaient été successivement stationnés
+ dans cette ville. Il a également réduit au-dessous des demandes et
+ des espérances du sénat les dépenses de table du général qui y
+ commande; enfin si Sa Majesté s'est vue dans l'obligation d'envoyer
+ une partie de ses troupes vivre momentanément chez ses voisins, il
+ est du moins de la justice de déclarer que la conduite de ces
+ troupes a été partout exempte de reproches.
+
+ «Le chargé d'affaires qui doit remplacer M. le ministre de Hollande
+ étant arrivé hier, M. le chevalier de Huygens se propose de demander
+ demain son audience de congé et de quitter Cassel vers le
+ commencement de l'autre semaine.»
+
+
+Lefebvre, qui remplaçait Reinhard à Cassel pendant le voyage de ce
+dernier à Brême, écrivit, le 20 octobre, au duc de Cadore:
+
+
+ «M. Reinhard, en me faisant passer la réponse ci-jointe à la dépêche
+ que je lui avais transmise à Brême d'après vos ordres, m'écrit qu'il
+ aurait bien désiré que j'eusse pris sur moi de l'ouvrir et que la
+ chose principale regardait M. Hainguerlot; que Sa Majesté impériale
+ a été frappée d'un passage de la correspondance qui le concerne: «On
+ dit que le roi pense de temps, en temps encore à M. Hainguerlot;»
+ que Votre Excellence désire quelques éclaircissements sur ce qui a
+ donné lieu à cette phrase; enfin M. Reinhard me mande qu'il répond à
+ Votre Excellence, en lui racontant le fait autant qu'il peut se le
+ rappeler. Mais, comme c'est à moi que la chose a été communiquée
+ dans le temps, il m'engage à vous en écrire, Monseigneur, dans une
+ lettre particulière.
+
+ «Voici les faits aussi exacts que je puis me les rappeler moi-même:
+
+ «Je m'entretenais un jour avec M. Siméon (et non avec M. de Courbon,
+ comme M. Reinhard m'écrit qu'il l'a mandé à Votre Excellence), je
+ m'entretenais, dis-je, avec M. Siméon des finances de ce pays, du
+ parti qui devenait tous les jours plus violent contre M. de Bulow et
+ de la complaisance avec laquelle le roi commençait à écouter les
+ accusations contre ce ministre; je demandai alors à M. Siméon à qui
+ il pensait que pût être remise une commission si difficile dans le
+ cas où Sa Majesté se déciderait à retirer le portefeuille à M. de
+ Bulow. «Je ne vois, dit-il, personne ici qui ait les épaules assez
+ fortes pour un tel fardeau. Tous ceux qui crient contre le ministre
+ actuel auraient lieu de crier bien davantage contre son successeur.
+ On dit que l'on a fait demander il y a quelque temps l'abbé Louis à
+ Sa Majesté impériale; mais le roi s'accommoderait mal de l'humeur
+ dure et de l'esprit exact de l'abbé Louis. Le roi voudrait bien sans
+ doute qu'il lui fût permis de faire venir Hainguerlot, mais
+ l'empereur ne souffrirait jamais cet homme ici.» Voilà, Monseigneur,
+ dans quel sens la chose a été dite, et celui aussi dans lequel doit
+ être entendue la phrase de M. Reinhard. Cette phrase ne veut point
+ dire que le roi pense à appeler M. Hainguerlot, mais qu'il
+ l'appellerait s'il ne savait point qu'il s'exposerait au
+ mécontentement et qu'il encourrait la disgrâce de Sa Majesté
+ impériale.
+
+ «Si, après cette explication, Votre Excellence voulait me permettre
+ d'ajouter quelque chose de moi-même, je n'hésiterais point à
+ l'assurer que, quel que puisse être un reste d'attachement que le
+ roi conserve pour cette famille, jamais ce prince, rempli de
+ reconnaissance comme il l'est et de vénération pour son auguste
+ frère, ne se permettrait une telle démarche dans l'état de discrédit
+ où est tombé M. Hainguerlot, et après que Sa Majesté impériale a
+ fortement exprimé sa volonté de ne le point souffrir auprès de la
+ personne du roi. Sa Majesté a sans doute un sentiment très vif de
+ l'indépendance, je dirai même une volonté passionnée d'être et de
+ paraître roi. Ce prince semble blessé de tout ce qui arrête son
+ autorité ou lui indique qu'elle a des bornes. C'est là son côté
+ faible. Plus on va et plus on rencontre en lui une disposition
+ prompte à se raidir contre tout ce qui peut indiquer un pouvoir hors
+ de lui. Mais en avouant cela il faut aussi convenir que cet esprit
+ d'indépendance fléchit sans résistance devant la volonté de Sa
+ Majesté impériale dans tout ce qui peut intéresser la gloire de ses
+ armes et tendre à l'accomplissement de ses hauts desseins, et il
+ paraît que ce n'est de la part de ce prince ni soumission forcée, ni
+ résignation née du calcul de sa faiblesse, mais que cette
+ obéissance, en tant qu'elle se rapporte à des choses de quelque
+ haute importance, est le résultat d'un système puisé autant dans les
+ sentiments de reconnaissance et de vénération dont il m'a toujours
+ paru pénétré pour Sa Majesté impériale que dans le sentiment d'un
+ intérêt commun.»
+
+
+L'empereur, qui voulait tout savoir, avait auprès de son frère
+Jérôme deux hommes chargés de lui faire connaître tout ce qui se
+passait en Westphalie, M. Reinhard, sous le nom d'ambassadeur de
+famille, le comte Jollivet, chargé de liquider la partie financière
+concernant la France. Jérôme, espionné jusque dans l'intérieur de
+ses appartements par les agents secondaires des agents de son frère,
+ayant découvert par hasard à quelles menées il était en butte,
+écrivit le 20 octobre, de Cassel, à l'empereur qui avait cessé de
+répondre à ses lettres:
+
+
+ «Sire, malgré l'oubli total dans lequel Votre Majesté paraît décidée
+ à me laisser, puisque je ne reçois aucune réponse à mes lettres, je
+ ne puis m'empêcher de lui faire part de la conduite scandaleuse que
+ l'un de ses agents se permet de tenir, non seulement vis-à-vis de
+ moi et de mon gouvernement, mais encore par rapport à mes affaires
+ particulières. Votre Majesté aura de la peine à croire que, depuis
+ un mois, quatre de mes domestiques, tant de la chambre que de la
+ bouche et des écuries, ont été renvoyés parce qu'ils ont été
+ convaincus d'être les espions du comte Jollivet.
+
+ «Enfin, Sire, le scandale est porté à un point tel qu'il n'est plus
+ de la dignité de votre frère de le souffrir! Moi-même j'ai surpris
+ un de mes huissiers feuilletant mes papiers sur mon propre bureau,
+ et l'ayant sommé de me déclarer qui lui faisait commettre une action
+ aussi criminelle, il m'a déclaré, en se jetant à mes pieds, que
+ depuis un an il était payé par le comte Jollivet qui lui avait dit
+ que c'était par ordre de l'empereur! C'est le nom de Votre Majesté
+ qu'on employait pour engager à une pareille action! C'est un agent
+ de Votre Majesté que j'ai toujours comblé de bontés qui la faisait
+ commettre! Loin de donner de l'éclat à une pareille action, je l'ai
+ étouffée et me suis contenté de renvoyer ces domestiques infidèles
+ en laissant même ignorer au comte Jollivet la cause de leur renvoi.
+
+ «Mais, Sire, c'est à Votre Majesté que je m'adresse pour demander le
+ rappel de M. Jollivet; il est impossible que Votre Majesté veuille
+ mon déshonneur à ce point! Je serais indigne de vous appartenir si
+ je souffrais chez moi et avais l'air de ménager plus longtemps un
+ homme aussi méprisable. Je prie Votre Majesté de croire que, malgré
+ la triste situation dans laquelle je me trouve et l'abandon total
+ dans lequel elle me laisse, elle n'a personne qui lui soit plus
+ tendrement attaché que moi.»
+
+
+Ne recevant pas de réponse de l'empereur, Jérôme se décida à lui
+écrire de nouveau le 30 octobre:
+
+
+ «Sire, malgré l'abandon dans lequel me laisse Votre Majesté et que
+ je n'ai rien fait pour m'attirer, je vous demanderai de la prier de
+ décider de ma situation qui est tout-à-fait fausse comme roi de
+ Westphalie. Daignez décider, Sire, si je dois me conduire comme
+ sujet ou comme souverain. Le choix de mon coeur est et sera toujours
+ d'être sujet de Votre Majesté, je n'aime ni l'allemand ni
+ l'Allemagne, et je suis tout français. Cependant, je ne puis être
+ ces deux choses à la fois et Votre Majesté conviendra avec moi que
+ lorsque des douaniers viennent à main armée et de force s'établir
+ chez un souverain sans que celui-ci en ait la moindre connaissance
+ par traité, ni par notification officielle, à moins qu'il ne fût un
+ lâche et un malheureux proscrit, il a dû les renvoyer; quand même je
+ n'aurais été, Sire, que gouverneur pour Votre Majesté, certes vos
+ ministres et vos conseillers d'État n'auraient pas établi dans mon
+ gouvernement des lignes de douanes sans ma participation; d'autant
+ plus, Sire, que ce n'est pas au milieu du pays d'Osnabruck que l'on
+ peut espérer d'empêcher la contrebande, mais sur les frontières.
+ Voilà cependant, Sire, le crime que l'on ose m'imputer à vos yeux;
+ et, pour avoir fait ce que tout homme eût fait à ma place, ce que
+ Votre Majesté eût certainement fait elle-même, on ose dire que je ne
+ vous aime pas, que je ne suis pas français! Comme si mon pays
+ n'était pas la France, et que je ne respectasse pas dans Votre
+ Majesté mon frère et mon bienfaiteur!
+
+ «Sire, je suis de votre sang et, aussi longtemps que Votre Majesté
+ laissera sur ma tête la couronne qu'elle a daigné y poser, je ne
+ saurais agir autrement que ne doit le faire un roi, frère de
+ l'empereur. Tout m'impose l'obligation d'être jusqu'au dernier
+ souffle de ma vie lié à votre système politique, à celui que vous
+ avez créé pour votre famille et pour la France, mais, m'asseyant
+ vous-même sur un trône, vous avez entendu que je serais indépendant
+ pour les affaires intérieures du royaume que vous me donniez. Je le
+ répète, Sire, je n'aime ni l'Allemagne ni l'allemand, mais, dans
+ toutes les circonstances de ma vie, je suivrai la route de l'honneur
+ que Votre Majesté m'a si bien tracée.
+
+ «J'ai désiré sans doute d'avoir un peuple à gouverner; je l'avoue à
+ Votre Majesté, je préférerais vivre en particulier dans son empire à
+ être comme je suis souverain sans nation. Votre nom seul, Sire, me
+ donne l'apparence du pouvoir, et je le trouve bien faible quand je
+ songe que je suis dans l'impossibilité de me rendre utile à la
+ France, qui, au contraire, sera toujours obligée d'entretenir cent
+ mille bayonnettes pour étayer un trône sans importance.
+
+ «Je finis, Sire, avec la conscience intime que, quels que soient les
+ torts dont on cherche à me noircir, Votre Majesté ne peut pas
+ persister, avec réflexion, à me croire coupable d'indifférence et
+ d'ingratitude.»
+
+
+Peu de temps après, le roi obtint la permission de se rendre à
+Paris. Lefebvre, chargé de remplacer Reinhard, écrivit de Cassel, le
+10 novembre 1809, au duc de Cadore:
+
+
+ «Je n'ai pas rendu compte à Votre Excellence, dans ma dernière
+ dépêche, d'un entretien que le général Eblé a eu avec Sa Majesté, la
+ veille même de son départ pour Paris. Je n'en connaissais alors que
+ ce qui m'avait été rapporté par M. Siméon, qui m'avait demandé le
+ secret, et j'ai mieux aimé attendre de savoir tous les détails par
+ le ministre de la guerre lui-même, pour n'avoir rien à mander que
+ d'exact à Votre Excellence.
+
+ «Elle a pu voir, par la correspondance de M. Reinhard, que depuis
+ longtemps le général Eblé éprouve des dégoûts. Il cherchait
+ l'occasion de demander au roi la permission de se retirer en France,
+ lorsque le roi qui en avait appris quelque chose, je ne sais
+ comment, ni par qui, lui dit, il y a quelques semaines: «Eh bien!
+ général, on prétend que vous voulez nous quitter?»--«Cela est vrai,
+ Sire, répondit le général Eblé; j'ai déjà eu l'honneur de dire à
+ Votre Majesté qu'on ne pouvait bien servir deux maîtres à la fois,
+ j'ai cru longtemps que je pourrais concilier mes devoirs envers
+ l'empereur, mon souverain, et Votre Majesté; je vois malheureusement
+ que cela est impossible.»--«Mais qu'espérez-vous donc? Le sénat?
+ Est-ce que vous êtes sûr de l'obtenir?»--«Sûr, non pas, Sire, mais
+ mes services passés me donnent le droit de prétendre à cette
+ honorable récompense, et les bontés de l'empereur, celui de
+ l'espérer.»--«Vous pourriez vous tromper dans vos espérances, ce que
+ je vous offre est plus sûr, vous êtes marié, votre femme est ici,
+ la voilà grosse; restez avec moi, j'aurai soin de vous, d'elle et de
+ vos enfants. Je ne vous demande point aujourd'hui votre dernier mot,
+ pensez-y; nous en reparlerons.»
+
+ «Le jour du départ de Sa Majesté, le général Eblé étant allé prendre
+ ses ordres, le roi lui dit: «Eh bien! voulez-vous toujours me
+ quitter?»--«Mes raisons sont toujours les mêmes, Sire, répliqua le
+ ministre.»--«Vos raisons!... reprit le roi, avec un air de bonté:
+ croyez-moi, restez avec moi. Je remettrai, puisque vous le voulez,
+ votre lettre à l'empereur, mais je ne veux pas que vous me quittiez.
+ Je n'ai pas mérité ce procédé. Après tout, rien ne presse, n'est-il
+ pas vrai?»--«Non, Sire.»--«Attendez mon retour et nous verrons
+ après.» Le général Eblé m'a dit qu'il y avait consenti et que les
+ choses en étaient demeurées là. C'est ce que m'a aussi confirmé M.
+ Siméon.
+
+ «La cause des dégoûts de M. le général Eblé n'est peut-être pas
+ aisée à assigner, Monseigneur. D'après tout ce que j'ai pu
+ recueillir de lui-même, il paraît que l'impossibilité de faire ici
+ tout le bien qu'il aurait désiré est la plus forte. D'un côté il se
+ plaint des envahissements tous les jours plus grands de M. le comte
+ de Bernterode, qui s'est créé, dit-il, comme un second ministère, et
+ a élevé, pour ainsi dire, autel contre autel. À cet objet de plainte
+ se rattachent aussi, si j'ai bien jugé, les ordres que, sans les lui
+ communiquer, le roi adresse souvent de son cabinet aux généraux ou
+ chefs de corps employés hors de ses États. Ces ordres contrarient
+ souvent ceux donnés par le ministre. De là, selon lui, versatilité
+ dans les dispositions générales ou de détail, confusion dans les
+ mouvements des troupes, et déconsidération de son autorité. Enfin il
+ paraît que l'inexactitude du trésor public à acquitter les
+ ordonnances de la guerre dérange sans cesse les plans du général
+ Eblé, ruine ses dispositions et s'oppose à l'économie sévère qu'il
+ serait si essentiel d'établir dans toutes les parties du service
+ dont il est chargé. Ces raisons peuvent être vraies au fond,
+ Monseigneur, mais il est également certain que sa retraite porterait
+ un grand préjudice aux intérêts de Sa Majesté. Le général Eblé est
+ un homme laborieux, exact, sévère et qui sera très difficilement
+ remplacé ici. Il a rétabli l'ordre dans le département de la guerre,
+ où avant lui il n'y avait que pillage. De grandes économies ont été
+ faites sur toutes les parties; d'autres ne peuvent manquer d'avoir
+ lieu, s'il continue de garder le portefeuille; enfin tout ce qu'avec
+ des moyens bornés, mais distribués avec sagesse et intelligence, on
+ a pu obtenir, a été obtenu.
+
+ «Peut-être aussi, et je ne craindrais pas de le dire à M. le général
+ Eblé, y aurait-il un peu d'ingratitude de sa part à quitter ainsi le
+ service du roi. Sa Majesté a pour lui (et il en convient lui-même)
+ la plus haute estime; jamais il n'a cessé d'être traité avec tous
+ les égards dus à son âge et à son expérience. Il a même éprouvé peu
+ de ces négligences qui sont si fort dans le caractère du roi, je
+ dirai plus, il est vraisemblable (et je n'en veux pas faire une
+ accusation contre ce ministre) que le crédit du général comte de
+ Bernterode n'aurait pas été porté aussi loin, si le général Eblé,
+ comme l'a exprimé M. Reinhard dans sa correspondance, avait su
+ défendre son travail devant le roi ou réclamé avec plus d'insistance
+ contre l'abus de ce pouvoir étranger. Mais enfin, de quelque manière
+ qu'on envisage la chose, le chagrin de ne pas faire tout le bien
+ qu'on voudrait n'est pas un motif suffisant de retraite, et je
+ conserve encore l'espérance, qu'au retour du roi, M. le général Eblé
+ se laissera aller à prendre une autre détermination.
+
+ «La reine a fait toutes ses dispositions pour partir, dans le cas où
+ elle serait appelée par le roi à Paris, ce qu'elle paraîtrait
+ désirer vivement.»
+
+
+À la suite de conversations sur le royaume de Westphalie, Napoléon
+ayant demandé à Jérôme une note sur ce que l'on pourrait faire pour
+tirer ses États de la position précaire dans laquelle ils se
+trouvaient, Jérôme lui écrivit le 6 décembre:
+
+
+ «Le royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec le Hanovre,
+ Fulde, Hanau et tous les petits princes enclavés dans son
+ territoire, l'empereur ne lui donne point un débouché quelconque
+ pour son commerce;
+
+ «Si l'empereur ne fait point la remise de la contribution arriérée,
+ que les faibles revenus de l'État empêchent d'acquitter, ainsi que
+ celle des domaines dont l'empereur n'a point encore disposé et qui
+ se montaient, à mon départ de Cassel, à 400,000 francs.»
+
+
+La cession du Hanovre par la France fut décidée en principe, et
+Jérôme dut croire que cette augmentation de territoire, de
+population, de revenus, viendrait en dédommagement des exigences de
+son frère. Le comte de Fürstenstein qui, sur de nouvelles instances
+du roi, venait d'être nommé par l'empereur grand'croix de la Légion
+d'honneur, fut chargé de traiter de la remise avec le duc de Cadore,
+mais lorsqu'on arriva à la cession, on fut bien obligé de
+reconnaître que les avantages de cette cession n'en compensaient pas
+les inconvénients. L'empereur, en annexant à la Westphalie la
+province du Hanovre, se réservait d'en distraire des territoires
+ayant quinze mille habitants, et un revenu de quatre millions cinq
+cent soixante mille francs, exempts de tous impôts pendant dix
+années. Les agents stipulèrent en outre: que les six dotations
+instituées dans le royaume de Jérôme, en vertu du traité de Berlin,
+du 22 avril 1808, et toujours contestées par le jeune roi, seraient
+remises aux donataires ainsi que le montant des revenus s'élevant à
+près de trois cent mille francs; les dettes du pays de Hanovre
+seraient à la charge de la Westphalie; l'arriéré de la contribution
+de guerre due à la France serait arrêté à seize millions et acquitté
+par le versement à la caisse du domaine extraordinaire de cent
+soixante bons de cent mille francs avec intérêt à cinq pour cent et
+payables par dixième d'année en année; le contingent militaire du
+royaume serait porté à vingt-six mille hommes, dont quatre mille de
+cavalerie et deux mille d'artillerie; jusqu'à la fin de la guerre
+maritime, la Westphalie s'engagerait à _entretenir_ six mille hommes
+de troupes françaises, en outre des douze mille cinq cents qui lui
+étaient imposés par le traité de Berlin. Pour que le mot
+_entretenir_ ne pût donner lieu à de fausses interprétations, le duc
+de Cadore en envoyant ses instructions au baron Reinhard, chargé de
+la remise du Hanovre, lui manda: «L'expression _entretenir_ dont le
+traité s'est servi, en parlant des dix-huit mille cinq cents hommes
+de troupes françaises, étant peut-être trop générale et par cette
+raison point assez précise, ce qui pourrait donner lieu à des
+difficultés, le procès-verbal devra en fixer le sens et dire:
+qu'_entretenir_, c'est solder, nourrir, habiller ces troupes et
+pourvoir à tous leurs besoins quelconques, comme le trésor public de
+France solde, nourrit, entretient les troupes des armées qui restent
+en Allemagne.»
+
+Reinhard se conforma à cet ordre du ministre, mais cela ne parut pas
+suffisant à l'empereur qui refusa de sanctionner le traité parce
+qu'il n'y était pas spécifié que les troupes françaises entretenues
+par la Westphalie auraient les prestations du pied de guerre.
+Toutefois cette difficulté fut promptement aplanie.
+
+Sans doute par cette annexion les États de Jérôme acquéraient un
+territoire assez considérable, une population de près de trois cent
+mille âmes, une zone maritime importante entre les embouchures de
+l'Elbe et du Weser. La Westphalie prenait rang en tête des États de
+la Confédération, mais l'obligation d'entretenir dix-huit mille
+hommes au lieu de douze, la dette hanovrienne considérable, laissée
+à la charge de la Westphalie, annulaient et au-delà les avantages.
+On reconnut bientôt que le nouveau territoire coûterait dix millions
+de plus qu'il ne rapporterait. Ainsi donc, loin d'alléger les
+charges pécuniaires des États de son frère, l'empereur augmentait
+ses embarras. Le traité fut cependant signé le 14 janvier par le
+comte de Fürstenstein et le duc de Cadore.
+
+Le 20 décembre, Reinhard, resté à Cassel pendant le voyage du roi,
+adressa à Champagny la lettre ci-dessous:
+
+
+ «Un courrier du roi, expédié le 14 décembre 1809, a confirmé la
+ nouvelle du départ prochain de Sa Majesté, et les ordres concernant
+ sa réception dans ses États et dans sa capitale. Le roi se propose
+ d'arriver à Marbourg le 24, où tous les ministres d'État seront
+ obligés de se rendre (Marbourg est éloigné de Cassel de neuf bons
+ milles d'Allemagne). Le lendemain, Sa Majesté déjeunera à Wabern,
+ village à trois milles de Cassel, où se trouve un château royal. Le
+ 26, il y aura audience du corps diplomatique. Un appartement dans le
+ palais se prépare pour la réception du grand maréchal nommé en
+ remplacement du comte Willingerode. La curiosité cherche en vain à
+ deviner le nom de ce nouveau dignitaire. Le général Launay, gendre
+ de M. Siméon, les barons Dumas et Damas entreront au service
+ militaire de Sa Majesté. Le général Morio est déjà arrivé, revenant
+ d'Espagne, et rétabli de sa maladie. Le conseil d'État s'assemble
+ fréquemment pour préparer les projets de loi qui seront présentés
+ aux États. Puisqu'on croit savoir aujourd'hui que là reine restera à
+ Paris, on présume qu'après quelque séjour à Cassel le roi y
+ retournera aussi, et qu'il accompagnera Sa Majesté impériale dans
+ son voyage en Espagne.
+
+ «Le roi trouvera ses sujets impatients de son heureux retour et
+ pleins d'espérances dans les résultats de son absence, qu'ils
+ pourront appeler heureuse aussi, puisque Sa Majesté reviendrait avec
+ de nouveaux moyens de prospérité pour ses États, avec de nouvelles
+ idées de bienfaisance et de gloire, puisées dans cette source
+ intarissable d'où nous voyons émaner toutes les conceptions
+ créatrices, tous les actes conservateurs qui appartiennent au siècle
+ de Napoléon.
+
+ «Déjà quelques passages des lettres écrites par le roi ont fait
+ présager combien la Westphalie aura à se féliciter de son voyage, et
+ déjà ces présages se trouvent en partie confirmés par le discours
+ adressé au Corps législatif de France par M. le ministre de
+ l'intérieur.
+
+ «J'essaierais en vain, Monseigneur, de vous peindre l'impression que
+ propagent au loin ces paroles d'immense valeur prononcées par la
+ bouche impériale, ces discours qui en sont les commentaires et qui
+ déroulent le passé et l'avenir; mais qu'il me soit permis de saisir
+ un mot qui appartient à la sphère où Sa Majesté impériale a bien
+ voulu essayer l'emploi de mes faibles moyens. Il est dit que les
+ villes Anséatiques conserveront leur indépendance, et qu'elles
+ serviront en quelque sorte de moyens de représailles envers
+ l'Angleterre. Cette idée, j'ose le dire, était constamment devant
+ notre esprit. De là la distinction que nous proposions de faire
+ entre le temps de paix et le temps de guerre, de là cette
+ proposition de laisser dans leurs rapports à venir une certaine
+ latitude, un certain vague qui permettrait de les modifier selon
+ les circonstances; mais l'impression lumineuse nous manquait: elle a
+ été trouvée et le problème est résolu.»
+
+
+Nous continuerons à faire connaître les lettres les plus importantes
+de Reinhard et ses bulletins, comme offrant le résumé le plus
+curieux et le plus impartial de l'histoire de la Westphalie et de
+son jeune souverain.
+
+Le 17 janvier 1810, il écrit de Cassel à Cadore:
+
+
+ M. de Marinville est arrivé samedi dernier. Il a annoncé que le
+ retour de M. le comte de Furstenstein ne pourrait guère avoir lieu
+ que vers la fin de cette semaine. Il en est résulté que le jour de
+ l'ouverture des États, dont les membres sont réunis ici depuis le
+ 1er janvier, n'a pu être encore déterminé. En attendant, le Conseil
+ d'État, dont les séances ont été fréquentes pendant quelque temps,
+ et les départements ministériels, ont préparé leur travail, le
+ compte du ministre des finances s'imprime, et ceux qui en ont déjà
+ connaissance en disent beaucoup de bien.
+
+ Ces premiers jours qui se sont écoulés depuis le retour de LL. MM.
+ ont été ceux d'une satisfaction réciproque, et en même temps ceux
+ d'une attente générale des éclaircissements qu'on recevra sur les
+ destinées de la Westphalie, soit par ce qui aura été conclu à Paris,
+ soit par ce qui sera annoncé et proposé à l'assemblée des États. Je
+ partage cette attente, Monseigneur, et jusqu'à ce qu'elle soit
+ remplie je me vois restreint à vous faire le simple récit des
+ événements du jour.
+
+ Le roi a accordé le titre de comte à MM. de Bulow et de Wolfradt,
+ ministres d'État; à M. de Lepel, son premier écuyer d'honneur, le
+ même qui l'avait accompagné à Paris, et à M. de Pappenheim, son
+ premier chambellan. MM. de Leist, conseiller d'État et directeur de
+ l'instruction publique, de Coninx, conseiller d'État et directeur
+ des domaines, et Marinville, secrétaire intime du cabinet, ont
+ obtenu le titre de baron.
+
+ Le roi s'est chargé de transmettre à Sa Majesté impériale la lettre
+ par laquelle M. le général Eblé lui demande son agrément pour donner
+ sa démission de la place de ministre de la guerre. Il paraît que M.
+ le général d'Albignac, grand écuyer, sera chargé, par intérim, du
+ portefeuille.
+
+ Le général de Bernterode, malade depuis longtemps, et dont la
+ maladie avait empiré dans ces derniers temps, a été forcé de
+ demander un congé de quelques mois pour se rendre en France, et pour
+ tâcher de rétablir sa santé. C'est M. le général de Launay, gendre
+ de M. Siméon, qui le remplace par intérim dans ses fonctions.
+
+ C'est aussi par intérim que M. le général Morio est chargé des
+ fonctions de grand maréchal. Il occupe un appartement dans le
+ palais.
+
+
+ REINHARD À CADORE.
+
+ Cassel, le 24 janvier 1810.
+
+ M. le comte de Furstenstein est arrivé samedi dernier. Il a paru le
+ lendemain au bal masqué de la cour. C'est là, et hier, chez le
+ ministre de Russie, que j'ai eu l'honneur de le rencontrer. Chez moi
+ il a fait sa visite par cartes, et je ne l'ai point trouvé lorsque
+ je suis allé la lui rendre en personne. Il en résulte que je ne sais
+ pas un mot de ce que M. de Furstenstein a pu porter de Paris. Il est
+ vrai que les lieux où nous nous sommes rencontrés, n'étaient guère
+ favorables à une conversation d'affaires, mais ce ministre, très
+ poli d'ailleurs et très aimable avec moi, ne paraissait avoir nulle
+ envie d'entretenir une pareille conversation.
+
+ Il est possible que le roi ait ordonné de garder le secret des
+ arrangements convenus jusqu'au jour de l'ouverture des États. Ce
+ jour, avant le retour de M. de. Furstenstein, avait été fixé au 28,
+ dimanche prochain, et les membres des États l'attendent avec
+ impatience. Sur cent membres, soixante-seize seront présents à la
+ session. Treize étaient morts dans l'intervalle; les autres sont
+ absents par congé ou pour cause de maladie. Les membres des comités
+ ont déjà été élus, et depuis huit jours ils sont entrés en
+ communication avec les ministres pour préparer le travail.
+
+ M. Pichon[126] est arrivé quelques jours avant M. de Furstenstein.
+ M. de Norvins[127] aussi est revenu.
+
+ [Note 126: Le même qui se trouvait consul général aux
+ États-Unis d'Amérique lors du mariage Paterson.]
+
+ [Note 127: L'auteur de l'_Histoire de Napoléon_.]
+
+ Pour ne rien laisser en arrière sur cet objet, je dirai que dans la
+ conversation que Sa Majesté eut avec moi au mois de mars dernier, et
+ dont je rendis compte à Votre Excellence, le roi, parmi ses autres
+ griefs contre M. le comte Jollivet, me cita celui d'avoir refusé de
+ dîner à la table de son grand maréchal, et d'avoir dit qu'il n'était
+ point fait pour cela. Le roi m'assura que ce refus avait été porté à
+ la connaissance de Votre Excellence, et que vous l'aviez
+ désapprouvé; qu'ensuite M. Jollivet avait sollicité comme une grâce
+ d'être admis à la table du grand maréchal.
+
+
+ REINHARD À CADORE.
+
+ Cassel, 30 janvier 1810.
+
+ L'ouverture des États du royaume a eu lieu avant-hier. La cérémonie
+ a été belle et imposante. Le roi a prononcé le discours du trône
+ lentement, avec précision et noblesse. Les auditeurs n'en ont pas
+ perdu une seule parole.
+
+ Le discours dont j'ai l'honneur de vous adresser un exemplaire est,
+ comme me l'assure M. le comte de Furstenstein, entièrement l'ouvrage
+ du roi, à quelques changements près relatifs seulement au style et
+ au poli des phrases. Il est certain du moins que ni M. Siméon, ni
+ aucun autre ministre, ne l'a rédigé, et ceux qui en attribuent la
+ rédaction à M. de Bruyère assurent que le paragraphe où le roi parle
+ de la distinction qu'on voudrait faire entre sa personne et entre la
+ France lui appartient exclusivement.
+
+ La manière dont le roi parle de ses relations avec son auguste frère
+ agrandit le roi lui-même et montre sous le jour le plus vrai et le
+ plus beau les intérêts de sa personne et ceux de sa politique.
+ J'ajouterai qu'on m'a assuré que ce que Sa Majesté professe ici
+ solennellement devant tout son peuple est une maxime que, depuis son
+ retour de Paris, on lui a entendu répéter souvent dans ses
+ conversations et pendant le travail de son cabinet.
+
+ M. le comte de Furstenstein m'a dit que conformément aux intentions
+ de Sa Majesté Impériale la réunion du pays de Hanovre à la
+ Westphalie ne serait point encore annoncée au public. Il m'a dit
+ aussi que la dette contractée pour l'entretien des troupes
+ westphaliennes en Espagne était comprise dans les arrangements
+ conclus à Paris. Néanmoins je n'ai pas manqué de lui adresser copie
+ de la lettre par laquelle Votre Excellence m'informe que cette dette
+ monte aujourd'hui à la somme de 581,043 fr. 66 c.
+
+
+ REINHARD À CADORE.
+
+ Cassel, 2 février 1810.
+
+ Le discours du roi a déjoué l'attente générale, en ce qu'il n'a
+ point annoncé littéralement les arrangements conclus à Paris. Comme
+ on était généralement persuadé que le retard de l'ouverture des
+ États était causé par le retard du retour du ministre des relations
+ extérieures, on en a inféré que le roi lui-même avait espéré de
+ pouvoir faire connaître à cette époque des détails qui intéressent
+ tout le royaume; et comme on croit être certain de la réunion du
+ pays de Hanovre à la Westphalie, on se persuadera que ce silence
+ provisoire pourrait avoir rapport avec des négociations entamées
+ avec l'Angleterre.
+
+ Le roi est revenu de ce voyage avec une certaine fraîcheur de bonté
+ et de contentement. Son temps est partagé, comme par le passé, entre
+ le travail et les plaisirs. Dernièrement, il fut question, au
+ Conseil d'État, des embarras que causait le système adopté pour les
+ corvées. Le roi déclara qu'il en apercevait bien les véritables
+ causes; que c'était l'intérêt des propriétaires qui était parvenu à
+ laisser incomplètes et à rendre vagues les dispositions de la loi;
+ que de là naissait une multitude de procès et que le but qu'on
+ s'était proposé était manqué. Il ajouta que le devoir d'un roi était
+ de considérer les masses et non les individus et qu'il veillerait à
+ ce qu'à l'avenir ses intentions fussent mieux remplies. Le roi avait
+ raison.
+
+ Les spectacles, les promenades à Napoléons-Hoehe et à Schönfeld,
+ petite campagne achetée il y a quelque temps du banquier Jordis; les
+ bals, les bals masqués surtout, auxquels le roi et la reine prennent
+ également plaisir, remplissent les soirées de Leurs Majestés. La
+ reine a eu, dit-on, récemment un double chagrin: elle désirait qu'on
+ payât ses dettes, ce qui n'a point été accordé. Elle voulait, le
+ jour de l'ouverture des États, paraître sur le trône avec le roi,
+ qui lui fit l'observation que dans une cérémonie de cette nature
+ cela ne serait pas conforme à l'usage. Elle fut placée sur un
+ fauteuil en face du trône. Dans ses apparitions publiques, un
+ certain embarras, que les uns prennent pour de l'orgueil et que ceux
+ qui connaissent mieux Sa Majesté n'attribuent qu'à la timidité, n'a
+ point encore quitté la reine. Dans les petites réunions, elle se
+ montre charmante, pleine d'esprit et d'amabilité.
+
+ Le roi montre une grande satisfaction de la réunion du pays de
+ Hanovre. Quelques-uns de ses conseillers pensent que les avantages
+ et les charges de cet agrandissement se compenseront peut-être
+ pendant longtemps encore; ils craignent la masse des dettes dont le
+ pays est accablé, la misère dont les sources pourront être taries
+ difficilement pendant la durée de la guerre, la diminution des
+ revenus par la séparation des domaines, peut-être aussi la nécessité
+ de partager les emplois avec les survenants hanovriens. Quelques-uns
+ ont pensé que pendant un certain temps il faudrait donner au Hanovre
+ une administration séparée.
+
+ Il parait être question de le séparer en quatre départements;
+ d'autres prétendent qu'il serait avantageux de ne le diviser qu'en
+ deux. Quoi qu'il en soit, une accession de territoire qui étendra le
+ royaume de Westphalie jusqu'à la mer, entre deux rivières
+ navigables, une population de 600,000 âmes de plus, une jeunesse
+ propre au service militaire et laissée en réserve depuis plusieurs
+ années: voilà certainement des avantages suffisants pour faire
+ considérer désormais la Westphalie comme une puissance.
+
+ M. le général Éblé a remis hier au général d'Albignac sa signature
+ du ministère. Le roi lui avait exprimé le désir de le conserver
+ jusqu'à ce que toutes les dispositions concernant les troupes
+ françaises dont l'arrivée est attendue fussent prises. Il a cédé à
+ la représentation que lui fit le général Éblé qu'il vaudrait
+ peut-être mieux les accoutumer d'emblée à la signature du chef qui
+ doit le remplacer. Cependant le général d'Albignac ne paraît pas
+ être destiné à le remplacer définitivement, et les amis même de ce
+ dernier qui lui ont conseillé d'accepter le portefeuille par intérim
+ comme une distinction honorable, pensent que ses forces et son
+ caractère naturellement fougueux pourraient ne pas suffire à
+ soutenir longtemps un pareil fardeau. Aussi le décret royal dit-il
+ seulement que le général d'Albignac aura la signature en l'absence
+ du ministre, dont la démission définitive reste subordonnée à
+ l'agrément de Sa Majesté Impériale qu'il se propose d'aller
+ solliciter en personne. Il n'y a qu'une voix sur le compte du
+ général Éblé et sur la perte peut-être irréparable que ferait en le
+ perdant la Westphalie. Cette opinion, le roi la lui a exprimée
+ lui-même, et ce ministre m'a témoigné encore hier combien il en
+ était touché, mais il en revient toujours à son refrain qu'il ne lui
+ est pas possible de servir deux maîtres.
+
+ Depuis le retour du roi, on croit remarquer dans M. Siméon un
+ chagrin mal caché qu'on attribue généralement à ce qu'il avait
+ véritablement espéré de recevoir dans cette circonstance quelque
+ témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale. J'ignore
+ s'il s'en est ouvert à quelqu'un. Pour moi déjà, depuis quelque
+ temps, il a fallu me résigner à le trouver plus réservé, et j'ai
+ pensé que ce pouvait être en partie parce que depuis la restriction
+ des fonctions de M. Bercagny il se regardait un peu comme ministre
+ de la police. Depuis que son fils et son gendre se trouvent placés
+ au service de Westphalie, il doit se regarder comme y étant attaché
+ lui-même par des liens plus étroits, et quelques personnes pensent
+ qu'il pourrait finir par s'y attacher tout à fait. Le roi continue à
+ le traiter avec une grande distinction, sans peut-être avoir pour
+ lui une très haute estime. Son caractère flexible, que d'autres
+ appellent faible, une urbanité qui ne dépare point, mais qui fait
+ trop ressortir ses cheveux gris, la diminution d'un ascendant qui
+ plie sous la dépendance toujours croissante de sa situation peuvent
+ en être la cause. Cependant, M. Siméon, qui de tous les Français est
+ certainement celui qui a le mieux réussi en Westphalie, m'a toujours
+ paru et me paraît encore, à cause de ses défauts mêmes, le plus
+ propre à réussir. Sans connaître un mot de la langue, sans avoir
+ rapproché en aucune manière ses idées et ses habitudes du génie
+ allemand, le calme et l'équité de son caractère, sa manière de
+ penser libérale, l'ensemble de ses lumières et de ses connaissances
+ ont suffi pour lui donner, presque par instinct, ce discernement de
+ ce qui convient ou ne convient pas dans les circonstances
+ actuelles, ce tact du milieu à garder entre deux extrêmes, cette
+ propension à maintenir l'équilibre parmi les passions, les opinions
+ et les intérêts opposés qui le font chérir et respecter par tous, et
+ surtout par les Allemands.
+
+ M. le comte de Bulow n'a point encore cessé d'être l'objet des
+ soupçons et de la haine de la plupart des Français employés en
+ Westphalie. M. de Bercagny, quoique simple préfet de police de
+ Cassel, continue à travailler directement et fréquemment avec le
+ roi. Depuis que dans les départements les commissaires de police ont
+ été subordonnés aux préfets, la marche des affaires s'est évidemment
+ simplifiée et est devenue plus aisée. On n'entend parler ni de
+ désordres, ni de mauvaises dispositions. Il n'en paraît être resté
+ quelques traces que dans ce malheureux département de la Werra. M.
+ Delius, préfet d'Osnabruck, dont l'innocence a été pleinement
+ reconnue, a été renvoyé à son poste.
+
+ M. le comte Jollivet annonce son départ pour le 1er avril. Depuis
+ quelque temps, il se montre peu, et l'on se montre peu chez lui. Les
+ dispositions du roi à son égard ne paraissent pas avoir changé. À la
+ première audience, après le retour du roi, après que Sa Majesté
+ m'eut dit un mot sur mon voyage de Hambourg, elle se tourna vers M.
+ Jollivet: «Et vous, Monsieur, dit-elle, pendant ce temps-là, vous
+ n'avez pas bougé!» On prétend, au reste, que l'affaire de l'huissier
+ surpris en fouillant les papiers du roi a été éclaircie, et que ce
+ n'est plus M. Jollivet qui est soupçonné, mais M. Bercagny. Il m'a
+ toujours paru qu'il ne pouvait pas y avoir la moindre raison de
+ soupçonner M. Jollivet[128].»
+
+ [Note 128: Reinhard était dans l'erreur ou ne disait pas ce
+ qu'il pensait.]
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 12 février 1810.
+
+ Depuis le retour du roi, il y a eu deux bals parés et deux bals
+ masqués à la cour, et un bal masqué chez M. le comte de
+ Furstenstein. Celui d'hier, qui s'est donné au palais, a été
+ extrêmement brillant. On avait répandu à tort qu'on n'y serait point
+ admis en domino; mais ce bruit s'étant accrédité, on a vu paraître
+ d'autant plus de masques de caractère. La cour a paru d'abord en jeu
+ de piquet, mascarade plus savante que spirituelle; mais bientôt de
+ ce pêle-mêle fantasque sortit une belle ordonnance de rivières et de
+ villes dansantes. Le roi de Trèfle se changea en rivière du Weser,
+ et les villes d'Hameln et de Hanovre vinrent fraterniser avec celles
+ de Brunswick et de Magdebourg. Une élite de dames de la cour,
+ changeant de masque une troisième fois, reparurent en Égyptiennes
+ pour former un quadrille avec le roi. Dans la foule, des chevaliers
+ teutoniques étaient en templiers, Mme Dumas en jardinière, M. Hugot
+ en paysan, M. de Bercagny en innocent; les membres des États en
+ dominos modestes formaient une espèce de parterre. Le jour de
+ l'ouverture des États et de la représentation de _Revanche_(?), le
+ roi se retira du bal vers minuit et alla passer la nuit à
+ Schoenfeld[129]. _On n'a pas remarqué qu'une dame de la cour se fût
+ absentée._ Hier matin, le roi a paru au cercle de la cour dans le
+ costume de l'ordre de la couronne de Westphalie. C'est un habit
+ français de couleur grise qui fait ressortir la couleur du ruban de
+ l'ordre, avec des brandebourgs et des broderies en argent. Les
+ décorations ne sont toujours pas encore arrivées de Paris. Un
+ chapitre de l'ordre est annoncé pour le 15. Au bal masqué que donna
+ M. de Furstenstein, M. Mollerus, chargé d'affaires de Hollande,
+ affecta de se faire passer pour le roi, et il y réussit assez. M. de
+ Norvins, tout fier d'être pris sous le bras par Sa Majesté, se
+ croyait déjà sûr pour le lendemain d'une place de ministre
+ plénipotentiaire. On dit que le roi a trouvé la conduite de M.
+ Mollerus impertinente. Pour M. de Norvins, il n'est pas même sur la
+ liste des chevaliers de l'ordre.....
+
+ [Note 129: C'était une petite maison près Cassel.]
+
+ Le ministre de Russie avec sa famille est parti aujourd'hui pour
+ Weimar où l'on célébrera dans quelques jours la naissance de la
+ Grande-Duchesse. Son absence sera de quinze jours. Le public de
+ Cassel, toujours bénévole, répandait, dès avant son départ, qu'il
+ partait en vertu d'une déclaration de guerre entre la France et la
+ Russie. M. de Rechberg, chargé d'affaires de Bavière à Berlin, nommé
+ ministre plénipotentiaire en Westphalie, est attendu ici d'un jour à
+ l'autre.
+
+ Le prince Repnin donnait chez lui des assemblées deux fois par
+ semaine. Elles languissaient d'autant plus, que presque jamais on
+ n'y voyait paraître les dames de la cour. À cet égard, le prince
+ Repnin paraît avoir hérité du guignon de M. Lerchenfeld, et Sa
+ Majesté se plaît quelquefois à faire éprouver de pareilles
+ contrariétés. Dernièrement, ce fut le tour du ministre de France,
+ qui avait invité les ministres et plusieurs membres des États à un
+ dîner donné à l'occasion du retour du comte de Furstenstein. À cinq
+ heures, M. de Furstenstein et M. Siméon envoyèrent dire que le roi
+ les avait nommés pour aller dîner avec lui à Schoenfeld.
+
+ Depuis le commencement de cette année s'est établi à Cassel un
+ casino où l'on se réunit pour la lecture de feuilles politiques et
+ littéraires de France et d'Allemagne. Toute la ville de Cassel y a
+ pris part. C'est le premier établissement de ce genre formé dans
+ cette capitale qui, sous le rapport de la civilisation littéraire,
+ si l'on peut s'exprimer ainsi, ne paraît pas appartenir au nord de
+ l'Allemagne.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 23 février.
+
+ Le bal masqué chez M. Siméon a surpassé les autres en élégance. La
+ cour y a paru en double mascarade, d'abord en _Mariage de Figaro_,
+ et après le souper en _Caravane du Caire_. Le roi, en costume de
+ Figaro, a dansé, au son des castagnettes, une danse espagnole avec
+ Mme de Boucheporn[130] et distribuait des fleurs. Le général
+ Hammerstein et la comtesse de Bochholz (ornée des diamants de la
+ reine) représentaient le comte et la comtesse Almaviva. Mme
+ Delaunay[131] a reçu du roi, dans cette occasion, un beau collier de
+ diamants: elle est heureuse de sa grossesse et de l'arrivée de son
+ mari.
+
+ [Note 130: Très jolie personne, femme d'un préfet du palais.]
+
+ [Note 131: Femme du général de Launay, fille de Siméon.]
+
+ Dimanche prochain, nouveau bal masqué chez M. le comte de Bochholz.
+ Les membres des États, gravement assis, en dominos, ont l'air de
+ dresser actes de toutes ces merveilles pour en faire le récit après
+ le retour dans leurs foyers. (_Prælia conjugibus loquenda._)
+
+ Dans le premier bal paré de la cour, qui eut lieu après le retour du
+ roi, on avait envoyé des billets d'invitation à quelques dames de la
+ ville, de réputation un peu équivoque. Le roi s'étant fait présenter
+ la liste ne voulut point qu'elles fussent admises. Il resta
+ inexorable, et les chambellans furent obligés d'avertir les dames en
+ question qu'il y avait une méprise dans l'envoi des billets. Mme
+ Delaunay, dans ses invitations, a été moins scrupuleuse.
+
+ Un des frères de M. de Furstenstein, arrivé d'Amérique dans l'été
+ dernier, est reparti pour Amsterdam où il doit se rembarquer. Un
+ autre frère, qui est chambellan du roi, l'a accompagné. On suppose
+ que ce voyage de M. Lecamus concerne les anciennes relations du roi
+ avec Mlle Paterson[132].
+
+ [Note 132: C'était la vérité.]
+
+ On parle d'un prochain voyage du roi pour Paris à l'occasion du
+ mariage de Sa Majesté l'Empereur. On prétend même que le jour en est
+ fixé au 18 mars.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ 9 mars 1810.
+
+ Le mercredi des Cendres a commencé par un déjeuner splendide à la
+ cour, lequel a terminé à six heures du matin le bal masqué qui a
+ fait la clôture du carnaval. En remontant, il faudrait rendre compte
+ d'un bal masqué chez M. de Pappenheim, qui n'a pas eu lieu, parce
+ que la reine était incommodée; d'un bal masqué et paré chez M. le
+ général d'Albignac; d'un bal chez le ministre de Russie; d'un bal
+ masqué chez M. le comte de Bochholz. Il faudrait faire l'éloge d'un
+ quadrille chinois, d'un ballet des quatre parties du monde; d'un
+ superbe ballet, les Noces de Gamache, dans lesquels le roi et la
+ reine ont figuré. Il faudrait montrer la reine en vieille juive, en
+ sauvage américaine, en paysanne de la Forêt-Noire; le roi changeant
+ de dominos et de masques en véritable caméléon; les plus belles
+ dames de la cour déguisant leurs attraits sous l'accoutrement de
+ vieilles laides. Il faudrait faire mention de l'appétit merveilleux
+ des masques du Mardi-Gras et de la fureur avec laquelle ils ont
+ dévasté les buffets royaux; et en se réjouissant avec les marchands
+ qui ont vendu jusqu'à leurs fonds de boutique, il faudrait gémir en
+ même temps avec ceux qui, faisant leurs comptes en Carême,
+ s'aperçoivent avec effroi de ce que leur a coûté le carnaval.
+
+
+ REINHARD À CADORE.
+
+ Cassel, 12 mars 1810.
+
+ La députation hanovrienne ne sera présentée que demain. Tous ceux
+ qui la composent, et qu'on dit être au nombre de soixante, ne sont
+ pas encore arrivés. En conséquence, le roi ne partira
+ qu'après-demain.
+
+ Aujourd'hui s'est faite par M. de Leist, et au nom du roi, la
+ clôture de la session des États. Le Code de procédure a été la
+ dernière loi qui leur a été proposée.
+
+ Le cortège qui, cette fois, suivra Leurs Majestés à Paris est très
+ nombreux et très brillant. La reine n'avait emmené que Mmes de
+ Bochholz et de Loewenstein; hier sont parties Mmes de Keudelstein,
+ Morio et de Pappenheim; aujourd'hui Mme de Boucheporn. M. de
+ Marinville et le comte de Meerveldt ont déjà précédé le roi.
+
+ Hier a eu lieu la distribution de l'ordre de Westphalie. Tout s'est
+ passé conformément au programme imprimé dans le _Moniteur
+ Westphalien_. Le roi a prononcé un petit discours plein de
+ convenance et de dignité. Celui de M. le comte de Furstenstein sera
+ probablement imprimé, et j'aurai l'honneur, Monseigneur, de vous
+ l'envoyer. Plus de cent chevaliers ont reçu la croix et prêté le
+ serment à genoux devant l'Évangile qui, à la vérité, n'était qu'un
+ missel catholique. C'était peut-être une supercherie de la part de
+ Mgr l'évêque de Wend, mais les protestants (et le plus grand nombre
+ des chevaliers était de cette confession) ne s'en sont pas
+ formalisés.
+
+
+Dans une autre lettre au même personnage, du 28 avril, Reinhard
+parle des abus commis par des officiers de la cour:
+
+Il existe ici, outre le beau parc de Napoléons-Hoehe, un parc plus
+près de la ville qui, de tout temps, a été ouvert au public. Que la
+reine ait fait entourer de barrières une partie de celui de
+Napoléons-Hoehe et qu'elle l'ait réservé pour ses promenades
+particulières, rien de plus naturel, et personne n'y a trouvé à
+redire. Mais le parc, qui est au bas de la ville, est devenu presque
+tout à fait inaccessible au public. Depuis quelque temps, les
+voitures en sont totalement exclues; en été, il n'est ouvert que
+pendant les heures les plus chaudes de la journée, et même alors
+tous les sentiers en sont interdits. C'est que M. le grand veneur
+veut protéger les couvées de perdrix.
+
+Un lièvre ne peut-il plus arriver au marché que muni d'un certificat
+d'origine? C'est que M. le grand veneur veut procurer au roi
+quelques écus de revenu sur les produits de la chasse.
+
+À quatre lieues de Cassel sont les bains d'Hof-Geismar, appartenant au
+roi, assez fréquentés autrefois, et qui les jours de dimanche et de fête
+servaient de lieu d'amusement à toute la population à la ronde. Il y
+avait deux chambres de bain à bassins: c'étaient les deux plus
+agréables; mais l'une d'elles a été couverte de planches parce que M.
+l'intendant de la maison voulait y placer l'argenterie dont il n'y
+existe pas encore une seule pièce. Un restaurateur à privilège exclusif
+est allé s'y établir l'année dernière: il a rançonné cruellement tous
+les étrangers. Après avoir fait déserter tout le monde, il a fini par
+faire banqueroute. Son successeur, déjà banqueroutier, rançonnera, fera
+déserter et finira de même. C'est que M. l'intendant de la maison veut
+avoir la gloire d'en tirer un gros bail, sans compter peut-être le pot
+de vin. Une troupe française et une troupe allemande jouaient
+alternativement dans la même salle. La troupe allemande ne laissait pas
+de faire des recettes, lorsque la troupe française allait jouer à
+Napoléons-Hoehe. La troupe allemande a été renvoyée. Il n'y a plus de
+bonne musique, mais il y a un mauvais ballet. Le parterre est désert et
+le public est mécontent, mais toutes ces loges ont été prises par
+abonnement, parce que le roi l'a désiré. On dit que le roi y dépense
+400,000 francs et qu'ils ne couvrent pas les frais. Mais M. de Bruyère,
+directeur du spectacle, avait trouvé que les Allemands, mauvais
+observateurs des règles de l'unité, changeaient trop souvent de
+décorations.
+
+La raideur des habitants de Cassel, leur peu d'empressement à
+construire des maisons et leur avidité à hausser le prix des loyers
+avaient déplu au roi. Pour les en punir, sur le conseil de M. le
+général d'Albignac, on y a mis en garnison deux régiments, outre la
+garde, qui est déjà assez nombreuse. Il en résulte que les habitants
+sont écrasés et que les loyers ont renchéri. Cependant on a exempté
+d'imposition et de logement de gens de guerre les maisons nouvelles
+qui seraient bâties, et il est question de renvoyer les régiments.
+
+Les foires sont un élément assez important du commerce d'Allemagne.
+Les époques où elles ont lieu dans les différentes villes sont
+combinées. De Brunswick, les marchands vont à Cassel, de Cassel à
+Francfort, de Francfort à Leipzig. Malgré l'absence de la cour, la
+dernière foire de Cassel a été assez fréquentée et les marchands
+n'ont pas été mécontents de leurs ventes. Mais ces marchands, malgré
+le débit qu'ils ont trouvé, jurent de n'y point revenir. C'est que
+tous leurs profits sont absorbés par les impôts, mis d'abord pour le
+roi, ensuite pour la ville, enfin et surtout pour M. de Bercagny.
+
+M. de Bercagny ne néglige aucun petit profit. Tous les joueurs de
+vielle, les aveugles, joueurs de violon sont obligés de lui payer
+quatre sols par jour, et la musique des rues ne désempare pas. Les
+meneurs d'ours et de singes sont de plus assujettis au droit de
+patentes. Il y a eu dernièrement au conseil d'État une grave
+discussion de plusieurs heures sur tous ces objets d'industrie.
+
+Un misérable pamphlet sur le duc d'OEls, écrit en style de gargotte,
+est colporté par une vieille femme à Brunswick. Le général Bongars
+en fait une conspiration: il en importune le roi jusque dans Paris
+et provoque toute sa sévérité. Il arrache à la faiblesse de M.
+Siméon un projet de décret sur les cartes de sûreté.
+
+Il s'agit de donner de la considération aux gendarmes. Un gendarme
+abuse de son pouvoir à Goettingue: on lui sacrifie l'Université, et
+quatre cents étudiants étrangers la quittent. Cependant, il y a peu
+de jours, un gendarme passa la mesure à Marbourg. Il perce de son
+sabre un conscrit qui fumait et qui n'avait pas obéi assez vite au
+commandement d'ôter sa pipe. Il paraît qu'on a l'intention de faire
+fusiller le meurtrier, mais il y a conflit de juridiction, et l'on
+ne sait pas encore qui l'emportera de M. Siméon ou de M. le général
+d'Albignac. On m'a dit que M. Siméon avait adressé dernièrement au
+roi un rapport très véhément contre MM. d'Albignac et Bongars. C'est
+peut-être un malheur que M. Siméon ait perdu beaucoup de sa
+considération. Il paraît que son influence se trouvera à peu près
+circonscrite dans les fonctions de son ministère.
+
+Le roi a écarté M. de Marinville de son cabinet. On dit qu'il a
+trouvé des infidélités à lui reprocher. M. de Norvins a demandé et
+obtenu son congé. C'est un homme d'esprit et de talent, mais d'une
+vanité et d'une prétention excessives. On assure que dans cette
+occasion le roi a énoncé une maxime qui me paraîtrait très
+dangereuse. Il ne veut, dit-on, avancer que des Français qui, ne
+tenant plus à la France par aucun lien, lui soient entièrement
+attachés et ne puissent attendre leur fortune que de sa protection.
+Ce serait vouloir n'attirer en Westphalie que des aventuriers, et
+nous n'en manquerons point; c'est la maxime contraire qu'il serait à
+désirer que le roi suivit.
+
+Ceux qui sont revenus de Paris, et quelques autres dont on annonce
+le retour prochain, ne paraissent pas avoir été satisfaits de leur
+voyage. On cite quelques mots de Sa Majesté Impériale sur le luxe
+des habits, sur la rapidité des avancements. Ces mots ont retenti à
+Cassel. Qui les aurait dits ici aurait été accusé de mécontentement
+ou d'envie. Cependant, tous les Allemands aiment M. Siméon, tous les
+Allemands regrettent amèrement la perte du général Éblé. Qu'ils
+voient à côté du roi des Français dignes de l'estime et de la
+confiance, et capables de quelque indulgence pour les habitudes
+nationales, et ils les porteront aux nues.
+
+Je n'ai point encore parlé à Votre Excellence de M. Pichon. Il
+s'occupe beaucoup de l'étude des finances du pays: il énonce
+quelquefois au conseil d'État des idées saines et qui porteront
+fruit. Mais il ne doit pas trop se presser; il a le désir du bien,
+mais il est jeune, il est vif, quelquefois tranchant, et il manque
+encore d'expérience.
+
+
+On voit par le tableau tracé dans cette lettre que l'Empereur était
+parfaitement au courant de ce qui se passait en Westphalie à tous
+les points de vue. Le bulletin suivant du 19 mai 1810 est relatif
+aux intrigues du trop célèbre marquis de Maubreuil avec la baronne
+de Keudelstein.
+
+
+ Avant-hier, la poste de Cassel a distribué des lettres qu'on dit au
+ nombre de seize, timbrées de Paris et renfermant une _Épître à
+ Blanche_. Parmi les personnes qui ont reçu cet envoi se trouvent le
+ préfet de la police, Mme la comtesse de Furstenstein, le ministre de
+ France et son secrétaire de légation, Mme la comtesse de
+ Schoenbourg, amie de Blanche, enfin Blanche elle-même et son mari,
+ M. Laflèche, baron de Keudelstein, qui, heureusement, se trouvait en
+ voyage.
+
+ Il est inutile de caractériser cette production qui se trouve jointe
+ à ce bulletin. Elle est calomnieuse en toute hypothèse et elle ne
+ peut inspirer que de l'indignation.
+
+ Quant à l'auteur de ces envois, les soupçons ne peuvent se porter
+ que sur un M. de Maubreuil, amant de Blanche ou de Jenny, sa
+ belle-soeur, ou de toutes les deux. On prétend que l'auteur des
+ envois ne peut être celui des vers, puisque M. de Maubreuil n'en
+ fait point. On soupçonne un M. de Boynest, aide des cérémonies
+ renvoyé par le roi; mais on dit que s'il fait des vers il en fait de
+ plus mauvais que ceux de l'épître. On se souvient que M. de Norvins
+ en fait d'assez bons; mais on le croit trop homme de bien pour
+ prostituer son talent dans une pareille circonstance. «_L'indigne
+ amant de ta soeur_,» c'est M. de Courbon. Pendant le carnaval passé,
+ dans un des bals de la cour, lorsque tout le monde se fut à peu près
+ déjà retiré, M. de Maubreuil, qui était alors officier aux gardes,
+ fit une scène publique à M. de Courbon, en lui reprochant sa liaison
+ avec Mme Jenny Laflèche. Son emportement ayant passé toutes les
+ bornes de la décence, le colonel Laville, chargé de la police du
+ palais, le mit aux arrêts; le duel qui devait s'ensuivre fut empêché
+ par ordre supérieur, et M. de Maubreuil reçut pour voyager un congé
+ indéfini, équivalant à une démission. On prétend que ce M. de
+ Maubreuil qui, d'ailleurs, ne manque pas de courage, est un terrible
+ amant, et qu'il avait pour coutume de s'introduire le sabre en main
+ chez quiconque osait adresser la parole aux dames qui étaient ou
+ qu'il lui prenait fantaisie de déclarer ses maîtresses.
+
+ Le prince Repnin avait fait venir de Iéna le docteur Starke, pour
+ accoucher sa femme. En arrivant, il trouva d'abord à accoucher Mlle
+ Delaitre, actrice du théâtre westphalien. Il se trouva ensuite
+ pressé de partir pour accoucher Mlle Jægermann, actrice du théâtre
+ de Weimar. On prétend que les deux petits princes des deux actrices
+ sont d'une plus noble extraction que le petit prince russe.
+
+ Mme Blanche ne sort point depuis qu'elle est revenue de Paris. Elle
+ avait annoncé qu'elle resterait chez elle pendant deux mois. _Et
+ c'était avant la lettre!_
+
+
+Dans une autre lettre au duc de Cadore, du 26 mai, Reinhard revient
+sur la pénurie des finances westphaliennes. «La dette publique de la
+Westphalie, écrit-il, sans y comprendre celle du Hanovre, monte,
+telle qu'elle est à peu près constatée, à 93 millions; celle du
+Hanovre, les répétitions à faire au nom de S. M. l'Empereur, la
+feront monter à 180 au moins; et, le Hanovre compris, les revenus du
+royaume de Westphalie ne pourront jamais être portés beaucoup au
+delà de 40 millions.» Et il ajoute:
+
+
+ Sans parler de ce que, dans les circonstances actuelles, tant de
+ sources de profits et de revenus sont obstruées, l'État, toujours
+ pressé par des besoins impérieux, ne peut rien faire pour soulager
+ ceux qu'il voit dans la détresse; il est même obligé de revenir sur
+ des soulagements qu'il avait annoncés, et toute sa ressource est
+ dans les efforts qu'il fait pour répartir également le fardeau.
+ C'est ainsi qu'après avoir reconnu qu'il valait infiniment mieux
+ payer par abonnement les frais de table des officiers; après avoir
+ assigné 1,200 francs par mois au général de division, 700 au général
+ de brigade, 60 au capitaine et 50 au lieutenant, on a réparti sur la
+ totalité du département de l'Elbe des dépenses qui, pour la seule
+ ville de Magdebourg où trois cents maisons restent désertes, montent
+ par mois à 22,000 francs. On sera obligé d'employer le même
+ expédient à Brunswick, où le préfet a déclaré que les frais de
+ logement et d'entretien des gens de guerre amèneraient
+ l'impossibilité absolue de payer les impôts ordinaires. C'est ainsi
+ qu'après un décret royal qui proclame une amnistie pour les
+ conscrits réfractaires dont le nombre avait été très grand pendant
+ les troubles de l'année passée, le général d'Albignac, annonçant
+ aujourd'hui que cette amnistie s'applique aux peines et ne s'étend
+ pas aux amendes, exige de ceux mêmes qui sont rentrés sous les
+ drapeaux ces amendes qui, pour les seuls districts de la Fulde et de
+ Paderborn, montent à la somme de 323,000 francs. Encore ces amendes
+ sont-elles exigées d'après l'ancien tarif qui en fixait le minimum à
+ 250 francs, tandis que le nouveau tarif l'a fixé à 100, après qu'on
+ eût reconnu l'impossibilité de faire payer une plus forte somme à
+ des paysans pauvres et ruinés.
+
+
+Reinhard termine cette lettre en rappelant les éloges que certaines
+feuilles publiques «et surtout les gazettes littéraires de
+Goettingue et de Halle très répandues en Allemagne» donnaient au roi
+pour tout le bien qu'il avait fait à ces universités:
+
+
+ Leist me disait dernièrement: «C'est par l'université de Goettingue
+ et par l'éclat qu'ils lui ont donné, que Georges II et son ministre,
+ M. de Münchhausen, ont acquis l'estime dont ils jouissaient auprès
+ de leurs contemporains et qui a été transmise à la postérité.» Pour
+ ce qui concerne M. de Münchhausen, l'établissement de l'université
+ de Goettingue faisait l'occupation de sa vie entière; pour Georges
+ II, les contemporains et la postérité l'ont sans doute jugé d'après
+ d'autres données encore; mais il n'en est pas moins vrai que ce que
+ le Roi a fait pour Goettingue remplit une des pages les plus
+ honorables et les plus ineffaçables de son histoire.
+
+
+Une lettre au duc de Cadore du 4 juin donne des détails sur la
+répugnance des Hanovriens à fournir des soldats au roi de
+Westphalie. Reinhard pense qu'il «faudra user de quelques
+précautions pour amener à se soumettre une population qui s'obstine
+à ne point renoncer à l'espérance de rentrer sous la domination
+anglaise.» Il annonce, d'après le nº 66 du _Moniteur Westphalien_,
+une nouvelle vente de 6 couvents dont la valeur était estimée à
+2,200,000 francs. «Après les couvents viendra le tour des chapitres;
+en attendant, ce sont les capitaux qui s'en vont, et la caisse des
+économats restera bientôt à sec.»
+
+Le 12 juin, il revient sur cette grave question des finances
+westphaliennes:
+
+
+ Un décret royal daté de Rouen[133] met à la disposition du ministre
+ des finances une somme de 250,000 fr. à prendre sur le produit de la
+ vente prochaine des couvents et à négocier en attendant à un demi
+ pour cent par mois et à un pour cent de commission pour servir à
+ l'indemnité des donataires impériaux dépossédés auxquels s'applique
+ l'article 5 du traité du 14 janvier. L'emploi de cette somme ne peut
+ avoir pour objet que de leur payer les revenus arriérés; et cette
+ disposition ne saurait être regardée comme un arrangement définitif.
+ Du reste, M. de Bulow exprime dans ses dernières lettres son regret
+ extrême d'avoir échoué dans l'ensemble de son projet concernant
+ l'acquisition des domaines impériaux. Mais il lui reste toujours la
+ ressource d'allécher les grands donataires par sa fidélité à
+ s'acquitter de ses engagements envers ceux de 4,000 fr. et
+ au-dessous; et, sous ce rapport, le refus de céder à la Westphalie
+ la totalité des domaines me paraît être un bienfait pour les
+ possesseurs des petites donations.
+
+ [Note 133: Jérôme et la reine se trouvaient alors en France.]
+
+
+Le lendemain, il revenait sur le même sujet:
+
+
+ Je viens de recevoir la visite de M. Malchus et je lui fais une
+ amende honorable. Nous avons causé longtemps ensemble et j'en ai été
+ fort content.
+
+ Il m'a d'abord donné des éclaircissements satisfaisants sur tous les
+ objets de réclamation relatifs à son administration. Le solde de ce
+ qui nous revenait sur les postes et sur les douanes a été
+ entièrement réglé et acquitté, sans même que l'administration
+ française ait eu besoin de faire usage de la lettre que je lui avais
+ écrite. Il m'a expliqué ce qui pouvait avoir donné lieu aux
+ prétentions des fermiers dont parlait votre lettre du 8 mai. Pour
+ les charges extraordinaires de guerre les fermiers avaient été
+ imposés à un tiers et les propriétaires à deux tiers. Après la prise
+ de possession du Hanovre le gouvernement westphalien déchargea les
+ domaines et laissa à la charge des fermiers le tiers, comme un impôt
+ personnel qui ne peut ni ne doit être à celle des donataires. Quant
+ aux fonds destinés à l'entretien des troupes françaises, cet objet
+ aussi, d'après l'attestation même de M. le général Brugères, paraît,
+ pour le moment, entièrement en règle.
+
+ M. Malchus m'a entretenu de l'état du pays et de l'esprit de ses
+ habitants. Il croit entrevoir encore des ressources qui ne
+ permettent pas de désespérer de son rétablissement. L'esprit de la
+ noblesse et des classes qui tenaient immédiatement à elle par un
+ intérêt commun lui paraît incorrigible; en effet ce sont des
+ souverains détrônés.
+
+ De deux projets de division territoriale que M. Malchus avait
+ envoyés au Roi, S. M. a approuvé celui que M. Malchus préférait
+ lui-même, et il croit que cette approbation a été donnée sous les
+ auspices de S. M. Imp. On a essayé de lever par enrôlement
+ volontaire les deux régiments de cavalerie que M. le général
+ Hammerstein est chargé d'organiser dans le Hanovre; mais on doute
+ que ce mode réussisse; et il faudra plus tard avoir recours à la
+ conscription.
+
+
+La lettre suivante, du 9 juillet, est relative à l'abdication du roi
+Louis de Hollande:
+
+
+ La nouvelle de l'abdication de Sa Majesté le Roi de Hollande m'a été
+ donnée par le ministre de Russie dont le collègue à Amsterdam avait
+ chargé d'une lettre pour le Prince Repnin le courrier qu'il
+ expédiait pour Saint-Pétersbourg. La veille, M. de Bercagny était
+ venu m'en parler comme d'un bruit qui se répandait, et plutôt pour
+ sonder la légation française, si elle en était déjà instruite, que
+ pour lui communiquer franchement les circonstances de cet événement
+ qui était déjà parvenu à sa connaissance.
+
+ En effet, M. de Gilsa, ministre de Westphalie en Hollande, avait
+ envoyé M. de Trott, son secrétaire de légation, chargé de ses
+ dépêches et porteur des proclamations qui ont été publiées dans
+ cette circonstance. M. Hugot l'avait sur-le-champ envoyé au-devant
+ du Roi; mais M. de Trott lui avait raconté le fait. J'ai été, je
+ l'avoue, peiné de cette réserve mal entendue qui m'exposait à
+ apprendre un événement de cette nature par le canal du ministre de
+ Russie qui, au reste, lui-même ne paraît l'avoir appris que par
+ quelques lignes écrites à la hâte et ne renfermant aucun détail.
+
+ Il paraît que Sa Majesté Westphalienne avait fait préparer, il y a
+ déjà quelque temps, un appartement aux bains de Neudorf, pour le Roi
+ de Hollande. Quoiqu'on soit convaincu ici que le projet de se rendre
+ aux bains de Neudorf n'avait rien de commun avec la résolution que
+ Sa Majesté Hollandaise a prise depuis, on croit cependant à la
+ possibilité de son exécution. On parle d'une visite que Madame mère
+ se propose de faire à son fils à Cassel. Les gens sensés voient avec
+ douleur que des conseils maladroits ou perfides aient empêché le Roi
+ de Hollande de concilier avec Sa Majesté Impériale le désir qu'il
+ avait de faire le bien de son royaume; ils regardent comme un grande
+ erreur de l'esprit la prétention de vouloir s'isoler dans une lutte
+ générale; ils pensent que dans un vaste plan de campagne, chacun
+ doit garder le poste qui lui est assigné; que s'écarter des idées
+ directrices, c'est compromettre le succès de l'ensemble; et que le
+ pouvoir qui méconnaîtrait sa source serait un effet qui ne voudrait
+ pas dépendre de sa cause. M, de Trott inculpe les conseils de MM.
+ Mollerus et Huygens. Ce dernier est un esprit étroit qui, se noyant
+ dans de petits détails, est peu capable de s'élever à des idées
+ générales. J'avoue que je le croyais peu susceptible de prédilection
+ pour un système quelconque, et encore moins la présomption téméraire
+ d'influer sur une détermination importante.
+
+
+La lettre suivante, du 13 juillet, se rapporte au même objet:
+
+
+ Je venais d'achever ma dépêche que je me proposais de faire partir
+ aujourd'hui par le courrier ordinaire, lorsque le Roi m'a envoyé M.
+ le baron de Boucheporn, maréchal de sa cour, pour m'inviter à me
+ rendre au nouveau bâtiment des écuries où je rencontrai Sa Majesté
+ qui désirait de me parler. M. de Boucheporn revenait d'Amsterdam par
+ Deventer et Osnabruck; il venait de descendre de voiture et de
+ rendre compte au Roi de son voyage.
+
+ Sa Majesté, m'ayant aperçu, me fit l'honneur de m'appeler, et me
+ permettant de l'accompagner dans sa promenade, me dit qu'Elle avait
+ envoyé M. de Boucheporn d'Aix-la-Chapelle à Amsterdam, pour porter
+ au Roi, son frère, une lettre contenant une commission que Sa
+ Majesté l'Empereur lui avait donnée, et dont il était inutile de me
+ parler, puisqu'Elle avait déjà envoyé la copie de cette lettre à Sa
+ Majesté Impériale; que M. de Boucheporn avait trouvé le Roi parti,
+ et qu'il était parti lui-même d'Amsterdam après le retour de M. le
+ colonel Richerg que le Roi son frère avait envoyé à l'Empereur pour
+ lui donner connaissance de son abdication; qu'en route il avait eu
+ des nouvelles du voyage du Roi à Deventer et à Osnabruck, d'où il
+ s'était rendu directement à Cassel, et que tous les renseignements
+ qu'il avait recueillis semblaient indiquer que le Roi de Hollande
+ s'était embarqué.
+
+ M. de Boucheporn a raconté à Sa Majesté les détails suivants: le Roi
+ avait fait jusqu'à onze heures du soir une partie de jeu avec
+ quelques dames, parmi lesquelles était madame de Huygens: en se
+ levant il leur avait dit adieu avec une expression qui ne les a
+ frappées qu'après l'événement. Après avoir embrassé son fils, il
+ monta dans une voiture de place, pour se rendre à Amsterdam. Arrivé
+ à son palais, il fit le triage de ses papiers; il en brûla beaucoup,
+ il en emporta d'autres; il emporta aussi ses ordres, excepté celui
+ de France, et il écrivit sa démission de la dignité de connétable.
+ Personne (c'est du moins ce dont M. de Huygens a chargé M. de
+ Boucheporn d'assurer Sa Majesté) n'avait été mis dans le secret. Le
+ Roi doute même si M. Mollerus, qui est ici, a pu être instruit de
+ quelque chose par son père.
+
+ À Osnabruck, la trace du voyage ultérieur semble se perdre. Le Roi a
+ envoyé un courrier à Neudorf pour s'assurer positivement si son
+ frère est arrivé; mais il lui paraît impossible que, si cela était,
+ on eût ignoré à Cassel un fait qui ne pouvait plus être caché depuis
+ que l'officier qui courait après avait publié que le comte de
+ Saint-Leu, c'était le Roi de Hollande.
+
+ Sa Majesté ne m'a point dit sur quels renseignements se fonde la
+ crainte où elle paraît être que son frère ne se soit embarqué.
+ Lorsque M. Boucheporn passa par Osnabruck, on devait y savoir déjà,
+ par le retour des postillons, si la direction que la voiture a prise
+ la rapprochait ou l'éloignait des bords de la mer. Je dois ajouter
+ que le Roi m'a nommé Batavia et qu'il a paru se rappeler que les
+ pensées de son frère se portaient quelquefois vers cette colonie
+ éloignée.
+
+ Voilà, Monseigneur, les notions que Sa Majesté m'a commandé de
+ transmettre à Votre Excellence. Elle se propose d'adresser, demain
+ ou après-demain, un courrier à Sa Majesté Imp. Ce courrier suivra de
+ près le mien, et portera la confirmation entière de ce qui ne paraît
+ déjà guère douteux, que Sa Majesté Hollandaise ne s'est point rendue
+ à Neudorf.
+
+
+En apprenant le départ du roi de Hollande et en recevant copie de la
+lettre que son frère Jérôme lui avait adressée, Napoléon écrivit à
+ce dernier le 13 juillet, de Rambouillet, la lettre suivante, omise
+aux _Mémoires de Jérôme_ et à la _Correspondance_ de l'Empereur:
+
+
+ Mon frère, j'ai reçu votre courrier. Je vous remercie des
+ communications que vous me faites. Votre lettre au Roi de Hollande
+ est fort, bien, et vous avez bien exprimé ma pensée. Je ne crains
+ qu'une chose pour le Roi; c'est que tout cela ne le fasse passer
+ pour fou, et il y a dans sa conduite une teinte de folie. Si vous
+ apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à
+ revenir à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre
+ la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait
+ entrevoir d'Amsterdam que le Roi pourrait se rendre en Amérique, et
+ qu'il s'est procuré à cet effet un passeport par un officier qu'il
+ aurait envoyé à Londres. S'il vous est possible de vous opposer à ce
+ projet insensé, même par la force, faites-le. J'ai envoyé Lauriston
+ prendre le grand duc de Berg à Amsterdam pour le ramener à Paris.
+
+ _P. S._ La famille avait besoin de beaucoup de sagesse et de bonne
+ conduite. Tout cela ne donnera pas d'elle une bonne opinion en
+ Europe. Heureusement que j'ai tout lieu de penser que l'Impératrice
+ est grosse.
+
+
+N'osant pas recevoir dans ses États le Roi Louis, sans en avoir reçu
+l'autorisation de Napoléon, Jérôme écrivit à ce dernier de
+Napoléonshoehe, le 28 juillet 1810:
+
+
+ Sire, j'ai reçu hier soir les premières nouvelles du roi de Hollande
+ contenues dans deux lettres, l'une du 16 et l'autre du 21 juillet.
+
+ Dans la première, il me dit que non seulement son intention n'a pas
+ été en abdiquant de se soustraire à l'autorité de Votre Majesté,
+ mais au contraire qu'il désire savoir si vous lui permettez d'aller
+ vivre en particulier à Saint-Leu. Je prie Votre Majesté de me faire
+ connaître ses intentions afin que je puisse lui répondre à ce sujet.
+
+ Dans la seconde, il m'exprime le désir de vendre pour cinq cent
+ mille francs de diamants qu'il possède, ce qui prouve qu'il est loin
+ d'avoir emporté beaucoup d'argent. Comme il m'est impossible de
+ disposer d'une pareille somme, je ne pourrai que lui répondre
+ négativement.
+
+ Dans le cas où Votre Majesté trouverait convenable qu'il retournât à
+ Saint-Leu, après la saison des eaux, approuvera-t-elle que je
+ l'engagea passer par Cassel?
+
+ Je compte partir dans trois jours avec la reine pour Hanovre où
+ j'espère recevoir la réponse de Votre Majesté.
+
+
+Jérôme partit le 31 juillet de Cassel pour se rendre à Hanovre et
+visiter les nouvelles provinces annexées à son royaume. D'après une
+lettre de Reinhard, du 3 août, il paraît y avoir reçu un bon
+accueil. Il célébra la fête de l'empereur à Hanovre même, et le
+lendemain le roi écrivait à son frère:
+
+
+ Sire, je suis arrivé avant-hier à Hanovre de mon retour des côtes;
+ le pays que j'ai parcouru est susceptible de grands accroissements
+ sous le rapport du commerce; un canal pour joindre l'Elbe et le
+ Weser pourra être commencé et fini dans trois années. La position de
+ mes États me rend entièrement maître du commerce de ces deux
+ fleuves, et l'Oste et la Gueste peuvent, avec quelques travaux,
+ recevoir et abriter même pendant l'hiver des bâtiments de cinq cents
+ tonneaux et des frégates. La position de Cuxhaven permet d'en faire
+ un port très essentiel, surtout pendant l'hiver; il peut avec
+ quelques dépenses offrir un refuge à une frégate, mais j'observe à
+ Votre Majesté qu'il faut une année de travail.
+
+ J'ai passé en revue à Wenden les 2e et 9e de cuirassiers, à
+ Lunebourg le 3e et à Hanovre le 12e. Il est impossible, Sire, de
+ trouver une division mieux tenue pour les hommes ainsi que pour les
+ chevaux. J'ai été reçu par ces braves gens avec enthousiasme. Je les
+ ai fait manoeuvrer.
+
+ J'ai également passé la revue d'une de mes brigades d'infanterie;
+ elle était forte de 4,500 hommes. Ils se conduisent très bien et
+ sont tous fiers de se trouver les compagnons des Français, avec
+ lesquels ils vivent en frères. Le service, d'après le rapport du
+ général Morand, se fait avec exactitude et aucun homme ne déserte.
+
+ Je ne puis assez supplier Votre Majesté de diminuer les troupes
+ françaises. Je sais bien, Sire, qu'il est de toute justice que ces
+ troupes soient dans mes États puisque c'est la teneur du traité,
+ aussi ce n'est que comme une faveur que je fais cette demande à
+ Votre Majesté, et surtout d'après l'état d'épuisement où je vois le
+ pays.
+
+ Je prie Votre Majesté d'agréer avec bonté l'expression de mon tendre
+ et inviolable attachement.
+
+
+Les trois lettres suivantes, des 24, 28 et 30 septembre, mentionnent
+la démission du général d'Albignac, ministre de la guerre, qui
+venait, quelques mois auparavant, de remplacer le général Eblé.
+Cette démission, offerte avec l'espoir qu'elle serait refusée, fut
+acceptée sur-le-champ, et le général Salha nommé à la place
+d'Albignac. Reinhard trace le portrait suivant du nouveau ministre:
+
+
+ Cassel, le 30 septembre 1810.
+
+ Il me paraît certain que parmi les Français qui sont à son service
+ en Westphalie, le Roi n'aurait pas pu faire un meilleur choix que
+ celui de M. le général Salha. C'est un homme d'un jugement mûr et
+ solide, d'un caractère ferme, et qui se distinguait à la cour par la
+ dignité de sa conduite. Il y paraissait plus estimé qu'aimé,
+ quoiqu'il porte dans sa physionomie et dans ses yeux quelque chose
+ qui invite à l'attachement. Pour ce qui concerne ses talents
+ administratifs, il faut l'attendre à l'épreuve. Il y a peu de temps
+ qu'ayant fait l'acquisition de la terre de Hoene, le Roi lui accorda
+ des lettres patentes de comte.
+
+
+Le nouveau ministre de la guerre allait, comme tous ses
+prédécesseurs, se trouver en face d'une situation financière fort
+compromise. Le même jour, 2 octobre, Champagny écrivait à ce propos
+à Reinhard deux lettres fort pressantes; il réclamait surtout
+impérieusement le paiement de l'arriéré de solde dû aux troupes
+françaises que la Westphalie devait entretenir. Reinhard s'empressa
+d'aller trouver les ministres, et, dans une dépêche du 8 octobre, il
+rend compte au duc de Cadore de son entrevue avec eux:
+
+
+ Je leur ai dit que toute réponse autre que celle qui énoncerait les
+ mesures prises pour acquitter sur-le-champ les sommes qui restent
+ dues serait un _non_. Ils m'ont assuré que sur le budget de 747,000
+ francs par mois, pour l'entretien des troupes françaises, 600,000
+ francs avaient constamment été payés: qu'ainsi l'arriéré pour six
+ mois n'allait pas à un million. Cependant il résulte du tableau
+ ci-joint des dépenses faites pour le ministère de la guerre sous
+ l'administration du général d'Albignac que pendant ces six mois, sur
+ 5,231,044 francs qui auraient dû être payés, il n'a été payé que
+ 3,617,409 francs. Ce qui laisserait un déficit de 1,613,687 francs.
+
+ Votre Excellence me rend la justice de croire que je n'ai rien
+ négligé pour obtenir que cet objet fût mis entièrement en règle.
+ Aussi en sentais-je toute l'importance. La réception de vos lettres,
+ aussi pressantes que multipliées, a été suivie immédiatement de la
+ transmission par écrit de vos réclamations au ministre des relations
+ extérieures, et quelquefois en même temps au ministre de la guerre
+ directement. En outre j'ai saisi toutes les autres occasions qui se
+ présentaient pour entretenir de vive voix et ces deux ministres et
+ celui des finances. M. le général d'Albignac me disait encore en
+ partant que c'était sur ce budget de 747,000 francs, si le ministre
+ des finances l'avait payé en entier, qu'il avait espéré de faire des
+ économies pour payer 100,000 fr. d'à-compte pour la solde arriérée
+ des troupes westphaliennes en Espagne; comment se ferait-il donc,
+ s'il était vrai qu'on eût payé sur ce budget 600,000 francs par
+ mois, que la solde des troupes françaises en Westphalie soit
+ arriérée de près de quatre mois? Mais la preuve qu'on n'a payé
+ qu'environ 517,000 francs par mois est dans le tableau des dépenses
+ du général d'Albignac.
+
+ _À dix heures du soir_, M. le comte de Bulow s'était fait annoncer
+ chez ma femme, sans doute pour être présent lorsque la réponse du
+ gouvernement westphalien me serait apportée. Je l'ai reçue. J'ai
+ conduit M. de Bulow dans mon cabinet, et je l'ai lue devant et avec
+ lui. M. de Bulow m'a dit qu'il ne doutait pas que Sa Majesté
+ Impériale y verrait la bonne volonté du Roi; que faire quelque chose
+ au-delà était absolument impossible; que ce qu'on promettait de
+ faire était d'une difficulté extrême; mais qu'il en avait calculé la
+ possibilité et qu'il en répondait. J'ai dit à M. de Bulow que
+ j'allais la transmettre telle que je la recevais, et qu'il dépendait
+ de Sa Majesté Imp. de décider si elle renfermait un _oui_ ou un
+ _non_.
+
+ «Mais comment, a dit M. de Bulow, nous payons et nous payons tout,
+ et Sa Majesté Impériale ne nous demande que cela.»--«Elle vous
+ demande de payer sur-le-champ le mois tout en entier, tous les mois
+ suivants en entier.»--«Mais payer sur-le-champ l'arriéré serait
+ impossible, sans faire manquer les services suivants et encourir de
+ nouveau le mécontentement de l'Empereur.»--«Puisqu'il ne s'agit que
+ d'un million, pourquoi ne l'empruntez-vous pas, et même
+ provisoirement sur les budgets des ministères?»--«Nous ne pouvons
+ pas emprunter, personne ne veut nous prêter; et emprunter sur les
+ budgets des ministres ce serait désorganiser tous les
+ services.»--«Sa Majesté l'Empereur vous a fait déclarer, dès le mois
+ d'avril, que le trésor public de France ne ferait aucune avance pour
+ cette dépense. En laissant en arrière un million ce serait donc le
+ trésor public de France qui serait obligé de faire l'avance.
+ Croyez-vous que Sa Majesté Impériale reviendra sur une détermination
+ qu'Elle a prise?»--«Le trésor de France n'aura besoin de faire
+ aucune avance. Les troupes ont reçu la moitié de leur solde échue.
+ Elles vont recevoir la solde entière des mois suivants: elles sont
+ logées, nourries, habillées; un arriéré de la solde de six mois et
+ plus est presque d'usage, même en France. Je vous proteste que les
+ troupes sont et seront contentes.»--«Enfin, M. le comte, c'est à Sa
+ Majesté Impériale à prononcer. Mais en toute hypothèse, gare
+ l'inexactitude à remplir les engagements solennels que vous
+ contractez pour l'avenir!»
+
+ Je n'ai rien à ajouter, Monseigneur, pour l'engagement de payer
+ cette dette, sans objection, sans réserve, le oui est positif; mais
+ c'est un million qui reste en arrière.
+
+
+Cependant un autre désastre menaçait le royaume de Westphalie.
+L'empereur ayant échoué dans toutes ses intentions de paix avec
+l'Angleterre revint résolu de ne s'en rapporter qu'à sa puissance
+pour la stricte observation du blocus continental, cette mesure
+pouvant, d'après lui, amener la Grande-Bretagne à merci. Il décida
+donc qu'il annexerait à la France non seulement la Hollande, mais
+aussi les embouchures des principales rivières du Nord, la majeure
+partie du Hanovre et un peu de la Westphalie, en donnant à son frère
+de ridicules compensations territoriales.
+
+Le duc de Cadore lui remit le 11 octobre 1810 une note qui se trouve
+_in extenso_ à la page 491 du 4e volume des _Mémoires de Jérôme_; et
+quelques jours plus tard, le 25 octobre 1810, après avoir reçu les
+ordres de l'empereur, il fit tenir au ministre du roi de Westphalie
+à Paris la note suivante dont il envoya le même jour une copie à
+Reinhard avec la courte lettre qui la précède:
+
+
+ J'adresse aujourd'hui à M. le comte de Wintzingerode, par ordre
+ exprès de Sa Majesté, la lettre dont je joins ici copie.
+
+ Vous direz à M. le comte de Furstenstein qu'il recevra par le
+ Ministre du Roi à Paris la réponse à la note qu'il vous avait
+ remise. Vous ne lui cacherez point que vous en avez connaissance; et
+ si elle ne lui était pas encore parvenue, vous lui feriez lire la
+ lettre que j'ai l'honneur de vous adresser et qui est cette réponse.
+
+ Vous répéterez à M. le comte de Furstenstein ce que j'ai écrit à M.
+ de Wintzingerode, que le Roi peut toujours continuer d'administrer
+ le Hanovre; mais que l'Empereur ne se tient plus pour engagé[134].
+
+ [Note 134: C'est-à-dire que l'empereur laissait purement et
+ simplement les charges à la Westphalie.]
+
+
+Note à M. le Comte de Wintzingerode, ministre de Sa Majesté le roi
+de Westphalie. Cette note a été soumise à l'approbation de
+l'empereur; la dernière phrase soulignée est de la main de Sa
+Majesté.
+
+
+ Je me suis empressé de porter à la connaissance de Sa Majesté
+ l'Empereur et Roi la note en date du 6 de ce mois par laquelle
+ Votre Excellence demande au nom de sa cour que l'acte dressé le 11
+ mars pour la remise du Hanovre soit approuvé et confirmé par Sa
+ Majesté Impériale et Royale.
+
+ Deux articles de cet acte, l'un relatif à l'entretien des troupes
+ françaises en Westphalie, l'autre concernant les domaines réservés
+ dans le Hanovre et les revenus de ces domaines, ayant été rédigés de
+ manière à paraître susceptibles d'une interprétation abusive et
+ totalement contraire à l'esprit du traité de Paris, Sa Majesté
+ voulut être rassurée par des déclarations positives et précises
+ faites au nom du Roi, déclarations que je fus chargé de demander et
+ qui furent aussi demandées par le ministre de Sa Majesté à Cassel.
+
+ Sur le premier objet, la déclaration du gouvernement westphalien ne
+ laissa rien à désirer.
+
+ Mais relativement aux domaines, au lieu de déclarer «que leurs
+ revenus devant, pendant l'espace de dix années, à compter du jour de
+ la remise du Hanovre, rester identiquement les mêmes, aucune loi
+ générale ou particulière du royaume de Westphalie, aucun acte du
+ gouvernement westphalien dont l'effet serait de changer la nature
+ des dotations ou d'en diminuer et réduire les revenus, ne pourraient
+ leur être, et ne leur seraient, dans aucun cas, et sous aucun
+ prétexte, appliqués avant l'expiration de ces dix ans,» le ministère
+ westphalien ne s'est exprimé que d'une manière indirecte, en termes
+ vagues et plus propres à confirmer qu'à détruire les craintes que
+ l'article de l'acte de remise avait inspirées; et toutes les
+ instances du ministre de France à Cassel n'ont pu en obtenir une
+ déclaration plus franche et plus conforme à la juste attente de Sa
+ Majesté l'Empereur et Roi.
+
+ Pendant que le gouvernement westphalien semblait ainsi vouloir se
+ ménager les moyens d'éluder un de ses principaux engagements, un
+ autre plus essentiel encore n'était pas exécuté.
+
+ La solde et les masses des troupes françaises en Westphalie
+ n'étaient pas acquittées. Des réclamations multipliées et presque
+ journalières lui ont été adressées et l'ont été sans fruit. Loin de
+ satisfaire à un engagement qu'il devait regarder comme doublement
+ sacré, il n'en promet pas même l'accomplissement. Il n'annonce que
+ l'impuissance absolue où il dit être de le remplir.
+
+ Par l'effet de ces deux circonstances, Sa Majesté l'Empereur et Roi,
+ loin de pouvoir approuver et confirmer l'acte de remise du Hanovre,
+ se voit à regret dans la nécessité, non de reprendre et de retirer
+ au Roi l'administration du Hanovre, mais de regarder le traité si
+ avantageux pour la Westphalie, par lequel il lui avait donné ce
+ pays, comme rompu par le fait de la Westphalie elle-même; et _en
+ conséquence se croit en droit de disposer à l'avenir du Hanovre
+ comme le voudrait la politique de la France_.
+
+
+En lisant cette note comminatoire, le roi Jérôme comprit les
+intentions de son frère. Toutefois, il donna des ordres à ses
+ministres, surtout au comte de Fürstenstein, pour que l'on rassurât
+Reinhard. Ce dernier écrivit le 1er novembre au duc de Cadore:
+
+
+ Sur l'article de l'identité des revenus des domaines hanovriens
+ pendant dix ans, M. de Furstenstein a protesté que jamais
+ l'intention du gouvernement westphalien n'avait été de tergiverser
+ ou d'éluder; et que la preuve qu'on avait attaché aux termes de sa
+ note du 29 juillet le même sens que je leur avais supposé dans ma
+ note du même jour, était qu'on n'avait pas contredit la mienne. Il a
+ ajouté que sans doute la lettre de Votre Excellence au comte de
+ Wintzingerode affligerait beaucoup le Roi; mais Sa Majesté Impériale
+ le trouverait toujours soumis à ses volontés.
+
+ Dans la même conférence, j'ai fait connaître à M. de Furstenstein
+ les intentions de Sa Majesté l'Empereur concernant le titre de
+ colonel-général de la garde westphalienne. Ce ministre m'a répondu
+ qu'en effet il se rappelait que déjà, il y a quatorze ou quinze
+ mois, le Roi en avait eu des indications et qu'il était convaincu
+ que Sa Majesté se conformerait entièrement à cet égard à la manière
+ de voir de Sa Majesté Impériale.
+
+ M. de Furstenstein m'a cité aussi quelques traits d'une conversation
+ que vous eûtes, Monseigneur, avec M. le Comte de Wintzingerode et où
+ vous parliez de différentes dépenses du Roi qui paraissent avoir été
+ remarquées comme inutiles ou excessives par Sa Majesté l'Empereur.
+ On a reproché au Roi, m'a dit ce ministre, d'avoir fait restaurer
+ son palais et de vouloir bâtir une ville. Il s'agit d'une rue
+ nouvelle de vingt maisons dont la liste civile ferait les
+ avances.--Les dépenses, quelles qu'elles soient, a continué M. de
+ Furstenstein, concernent uniquement la liste civile, et sont par
+ conséquent étrangères aux engagements contractés par le trésor
+ public du royaume. Cela est vrai, Monseigneur, cependant la remarque
+ faite par Sa Majesté Impériale ne porte point à faux, puisqu'un peu
+ plus d'économie dans les dépenses de la liste civile, soit celles
+ que Votre Excellence a citées, soit d'autres, aurait dispensé de la
+ nécessité de songer à aliéner une somme de 2,500,000 francs de
+ capitaux, pour payer des dettes urgentes.
+
+ J'ai revu hier au soir M. le comte de Furstenstein. Il m'a dit que
+ le Roi avait reçu ma communication avec une résignation entière; et
+ que Sa Majesté répondait directement à Sa Majesté Impériale[135];
+ qu'à cet effet il expédierait aujourd'hui un courrier dont il m'a
+ invité à profiter.
+
+ [Note 135: Lettre du 30 octobre. _Mémoires de Jérôme_, vol.
+ IV, p. 497.]
+
+
+Cependant malgré la détresse des finances, malgré les charges
+nouvelles que les envahissements de l'empire français allaient faire
+peser sur le nouveau royaume, on songeait à y faire de grosses
+dépenses militaires: le roi, frappé des travaux défensifs accomplis
+à Anvers, voulait mettre Cassel, sa capitale, à l'abri d'un coup de
+main en l'entourant de murailles et de larges fossés, qui
+serviraient en même temps comme de réservoir pour recevoir le trop
+plein des eaux de la Fulda. Il avait commencé à grands frais la
+formation d'un camp de troupes westphaliennes. Ce dernier projet
+surtout irrita l'empereur, et l'on dut se hâter d'annoncer au
+_Moniteur Westphalien_ que le camp était dissous. En annonçant ce
+résultat au ministre (13 octobre), Reinhard revenait sur l'entretien
+des troupes françaises en Westphalie stipulé par le traité du 14
+janvier, mais que le gouvernement du roi Jérôme se déclarait
+incapable d'assurer pour l'année 1811.
+
+
+ Il est à remarquer que l'engagement contracté par ce traité comprend
+ tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la paix maritime, et qu'ainsi
+ c'est mal à propos qu'on affecte de mettre en question si
+ l'intention de Sa Majesté Impériale sera de faire séjourner ses
+ troupes en Westphalie au-delà de l'année courante: quoi qu'il en
+ soit, le Conseil des Ministres avait proposé une rédaction qui
+ déclarait d'une manière bien plus positive encore cette
+ impossibilité vraie ou prétendue; mais le Roi s'y est opposé. Ce
+ qui, m'a dit M. de Furstenstein, augmentera encore les embarras,
+ c'est qu'en Hanovre on pouvait entretenir les troupes françaises du
+ produit d'une contribution de guerre que le Roi a laissée subsister
+ pour l'année courante, mais qu'il faudra nécessairement faire cesser
+ pour l'année prochaine. Aussi ceux des ministres qui, dans le temps,
+ avaient conseillé au Roi de ne point accepter le pays d'Hanovre aux
+ conditions proposées, prétendent aujourd'hui que tous les embarras
+ de la Westphalie viennent de cette réunion, et M. de Furstenstein
+ m'a dit lui-même que, quelqu'avantageuse qu'il la crût sous le
+ rapport de la politique, il commençait cependant à se repentir du
+ traité du 14 janvier.
+
+ Je reprends ma conversation avec M. de Bulow: «Tant que je serai
+ ministre du Roi, mon devoir sera de faire marcher l'administration
+ qui m'est confiée, et de conserver au trésor les moyens de payer les
+ dépenses sans lesquelles il n'y aurait plus de gouvernement.» Ceci
+ me conduisit à lui demander si toutes les dépenses étaient
+ nécessaires et légitimes? M. de Bulow protesta que dans toutes il
+ mettrait la plus stricte économie; que pour celles du Roi il avait
+ sa liste civile qui sans doute n'était pas dans une proportion
+ exacte avec les revenus du royaume et qui l'engageait à entretenir
+ sa cour avec un éclat peu nécessaire en Allemagne; que le luxe
+ auquel on s'était habitué avait encore l'inconvénient de faire
+ sortir beaucoup d'argent du royaume; qu'en dernière analyse, ce
+ n'était pas le Roi qui en profitait, mais l'intendant de la liste
+ civile, marchand failli avec tous les fripons dont il était entouré;
+ que sans la démarcation tracée entre les revenus du Souverain et
+ ceux de l'État, il était sûr que Sa Majesté se serait contentée de
+ moins et serait également heureuse. Je lui demandai si au moins la
+ liste civile n'empiétait pas sur les revenus de l'État? Je lui
+ rappelai la responsabilité dont je l'avais entretenu dans une autre
+ occasion, et je le priai de me dire s'il était vrai que tous les
+ fonds des relations extérieures se versaient dans la caisse du
+ trésor de la couronne et que M. de Furstenstein les tirait par une
+ ordonnance en bloc. M. de Bulow me dit que pour lui les ordonnances
+ de M. de Furstenstein le mettaient en règle et qu'il me priait d'en
+ parler à ce dernier; enfin qu'il était ministre du Roi et qu'il ne
+ pouvait pas se croire soumis à une double responsabilité. Le
+ lendemain, M. Siméon, envoyé sans doute par M. de Bulow, revint sur
+ cet objet et m'assura que la seule dépense où la liste civile avait
+ empiété sur le trésor public était que le Roi avait fait indemniser
+ les propriétaires des cinq domaines dont M. de La Flèche s'était
+ emparé, sur le produit d'une vente de couvents, et que par un
+ arrangement qui datait encore du temps de M. Beugnot, beaucoup trop
+ magnifique dans ses arrangements financiers, il avait été convenu
+ que le produit des économats au-delà de la somme de 500,000 francs,
+ qui serait versée à la caisse d'amortissement, tournerait au profit
+ du Roi.
+
+ Par un mouvement spontané, M. de Bulow me dit encore que, si le Roi
+ voulait l'écouter, il se ferait des idées différentes sur la nature
+ de sa royauté, et qu'il ne se croirait pas dans la même position que
+ par exemple un Roi de Danemark. Je lui répondis qu'il me semblait
+ cependant, et que plusieurs circonstances prouvaient qu'à cet égard
+ les idées du Roi s'étaient beaucoup rectifiées. «Oui, dit-il, aussi
+ sa position est-elle devenue plus difficile, et quoiqu'assurément je
+ n'aie pas la mission de vous dire cela, savons-nous ce que nous
+ allons devenir?»
+
+ Dans toute cette conversation, Monseigneur, M. de Bulow m'a montré
+ beaucoup d'adresse, beaucoup d'incohérence, l'envie de résister, le
+ désir de plaire; enfin comme son caractère, elle n'a pas été d'un
+ seul jet. Il m'avait parlé de la pesanteur du fardeau qu'il avait à
+ supporter. «Oui, lui dis-je, j'admire et j'aime la facilité avec
+ laquelle vous le supportez. Sans compliment, je ne connais personne
+ qui soit capable d'en faire autant. Vous marchez à travers les
+ difficultés en vous jouant; mais, au nom de Dieu, ne vous jouez pas
+ à l'Empereur.» Ce mot, Monseigneur, l'affligea et il me répondit ce
+ que le respect le mieux senti dut lui inspirer.
+
+ M. de Bulow réunit à un vrai talent un travail infatigable et
+ l'adresse d'un homme du monde à beaucoup de désintéressement
+ personnel. Il veut faire sa place de la manière dont il l'a conçue.
+ Il se persuade qu'il la quittera sans regret, lorsqu'il ne la croira
+ plus tenable. Il n'est pas homme à grandes conceptions, soit que les
+ difficultés du moment l'absorbent, soit qu'il pense que l'heure n'en
+ est pas encore venue. L'espèce d'empire qu'en dépit de tant
+ d'ennemis acharnés il exerce sur le Roi, me paraît reposer sur des
+ motifs honorables à tous les deux. M. de Bulow connaît les Allemands
+ et les Français: il tient des uns et des autres. Nous pourrions
+ facilement trouver un ministre plus traitable; mais en
+ trouverions-nous un aussi facilement qui nous ménageât, pendant
+ aussi longtemps, autant de moyens?
+
+ Quant aux recettes, M. Pichon pense qu'il ne serait pas absolument
+ difficile de les augmenter de quatre ou cinq millions. Il prétend,
+ par exemple, que les droits de consommation rendent huit millions au
+ lieu de sept, et qu'on pourrait aisément trouver deux millions de
+ plus sur le prix du sel vendu dans l'intérieur et surtout dans
+ l'étranger. Il dit que le ministre des finances convient de la
+ possibilité d'augmenter les recettes; mais qu'il ne veut y venir
+ qu'à la dernière extrémité.
+
+ On a renoncé définitivement au projet de rendre plus productive la
+ contribution personnelle qui ne rendra que 2,500,000 francs. Mais
+ comme, d'après les nouveaux calculs de M. Malsbourg, la caisse
+ d'amortissement aura besoin de 6,500,000 francs, on se propose de
+ trouver quatre millions par une espèce d'imposition de guerre; et
+ c'est ce qui occupe en ce moment la section des finances.
+
+
+Sur cette double question financière et militaire, Champagny
+répondait le 12 novembre à Reinhard:
+
+
+ J'ai reçu et mis sous les yeux de l'Empereur les deux dernières
+ dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser.
+
+ Sa Majesté Impériale s'est arrêtée principalement au compte que vous
+ rendez de vos conversations avec les ministres des finances et de la
+ guerre, avec le ministre secrétaire d'État sur la composition de
+ l'armée westphalienne. Sa Majesté n'a pu s'empêcher de remarquer que
+ tandis que le Roi et les ministres renouvelaient leurs
+ protestations, les choses n'en restaient pas moins toujours dans le
+ même état. Souvent l'Empereur a répété au Roi son frère qu'il ne
+ devait point avoir de régiments de cuirassiers, parce que cette arme
+ est trop dispendieuse, que les chevaux du pays n'y sont pas
+ propres; et que d'ailleurs des régiments de cavalerie légère et de
+ lanciers, plus faciles à lever et d'un entretien moins dispendieux,
+ conviendraient beaucoup mieux au système militaire de l'Empire ainsi
+ qu'aux intérêts du trésor westphalien. Cependant le Roi ne paraît
+ point avoir suivi ce conseil: il multiplie inutilement les cadres et
+ les armes, et se voit entraîné par là à de nouvelles dépenses.
+
+ Lorsque Sa Majesté Impériale a envoyé 18,000 Français en Westphalie,
+ son but a été en partie de dispenser le Roi d'entretenir un trop
+ grand nombre de troupes et tant d'officiers sur la fidélité desquels
+ on ne peut point compter. Les troupes westphaliennes sont en effet
+ les moins sûres de la confédération; et on les a vues se battre
+ contre nous avec ardeur, par l'effet d'une haine ancienne qu'ils ont
+ contractée en servant dans les rangs anglais. Sa Majesté Impériale
+ ne veut plus en envoyer en Catalogne: ce serait recruter les bandes
+ ennemies. Les Rois de Bavière et de Saxe, le Grand-Duc de
+ Hesse-Darmstadt, dont les États sont anciennement constitués,
+ peuvent avec plus de raison compter sur la fidélité des leurs;
+ cependant ils ne s'amusent point à créer de nouveaux corps, et ne
+ cherchent au contraire qu'à faire reposer tranquillement leurs
+ troupes.
+
+ En définitif l'intention de Sa Majesté Impériale est que le Roi
+ renonce à ses régiments de cuirassiers et qu'il n'augmente point des
+ troupes qu'il ne peut nourrir et sur lesquelles il ne peut se fier.
+
+ Au reste Sa Majesté Impériale ne prend à cela qu'un intérêt
+ d'affection pour le Roi et de sollicitude pour un État qu'Elle a
+ fondé. Ce qui lui importe, et ce qu'Elle veut, c'est que l'on tienne
+ les engagements pris avec Elle et que la solde de ses troupes soit
+ payée, tant pour le présent que pour l'arriéré.
+
+ Sa Majesté Impériale a vu avec déplaisir que le gouvernement
+ westphalien cherchât à s'attribuer une espèce de droit d'inspection
+ sur les troupes françaises stationnées en Westphalie, en demandant à
+ nos généraux des états de situation des corps sous leurs ordres. Sa
+ Majesté Impériale a blâmé ceux de ses généraux qui se sont prêtés au
+ voeu du gouvernement westphalien. Aucune autorité étrangère ne peut
+ exercer d'inspection sur les troupes françaises.
+
+ La Westphalie s'est engagée à entretenir jusqu'à la fin de la guerre
+ maritime un corps de dix-huit mille cinq cents Français; et pour
+ remplir cet engagement, elle n'a pas besoin de connaître la position
+ exacte de ces troupes. Il suffit que le nombre fixé ne soit point
+ excédé, ce qu'on reconnaîtra toujours facilement par les états de
+ récapitulation que fournira l'état-major général.
+
+
+Poussé dans ses derniers retranchements, à bout de patience, aussi
+bien que ses frères Joseph et Louis, en présence du système de
+l'Empereur, le roi Jérôme écrivit la lettre suivante, digne, vraie
+et respectueuse, à laquelle il ne reçut aucune réponse, comme pour
+celle du 30 octobre:
+
+
+ Sire, mon désir le plus prononcé est de tenir tous les engagements
+ que j'ai pris envers Votre Majesté, et tous mes efforts ne tendront
+ jamais qu'à ce but, mais je la prie de me permettre quelques
+ observations qui me sont dictées par la situation affligeante où je
+ me trouve et qu'il ne peut être dans les desseins de Votre Majesté
+ de prolonger.
+
+ Votre Majesté n'a point ratifié l'acte de cession du Hanovre et
+ cependant, tandis que je suis privé des diverses branches des
+ revenus publics de cette province, je me vois chargé des frais de
+ son administration et de l'entretien de 6,000 cavaliers français
+ qui, au terme des traités, doivent être soldés et nourris par elle.
+ Il est impossible que Votre Majesté ait voulu m'imposer les charges
+ sans me donner les moyens d'y subvenir. Ce poids entier retombe
+ maintenant sur mes anciennes provinces et elles sont hors d'état de
+ le porter. Je prie Votre Majesté de prendre en sérieuse
+ considération la situation de la Westphalie et de me faire connaître
+ positivement ses intentions. Si elle daigne se faire remettre sous
+ les yeux ma lettre du 31 octobre dernier, elle y verra relativement
+ au Hanovre l'exposé sincère de mes sentiments; s'il convient aux
+ desseins politiques de Votre Majesté de m'ôter ce qu'elle m'a donné,
+ je suis prêt à satisfaire à tous ses désirs, à me contenter de
+ toutes ses volontés, à m'imposer moi-même et de bon coeur, comme un
+ gage de ma reconnaissance envers elle, tous les sacrifices qui
+ pourraient lui être utiles ou seulement agréables, c'est là ce que
+ je répéterai à Votre Majesté dans tous les instants de ma vie, mais
+ si elle me laisse dans le rang où elle m'a fait monter, qu'elle ne
+ me prive pas des moyens de m'y maintenir avec honneur et sûreté,
+ qu'elle me permette de faire parvenir jusqu'à elle les souffrances
+ de mes peuples, et qu'elle me laisse l'espérance de les voir
+ soulager à mes sollicitations.
+
+ Oui, Sire, je le répète, les douanes, les forêts, les postes, toutes
+ les principales branches des revenus publics du Hanovre sont entre
+ les mains des agents de Votre Majesté, et tandis que cette province
+ m'est étrangère puisque le traité par lequel elle m'est cédée n'est
+ point ratifié, je me vois contraint d'en salarier les
+ administrations et d'y entretenir les troupes qui ne doivent être
+ qu'à sa charge.
+
+ J'ose penser qu'il suffit de ce simple exposé des faits pour que
+ Votre Majesté prenne à cet égard une détermination que je sollicite
+ avec ardeur, et cet objet étant pour moi et pour mon pays de la plus
+ haute importance, j'expédie cette lettre à Votre Majesté par un
+ courrier extraordinaire.
+
+
+Les observations présentées à l'empereur et au duc de Cadore étaient
+si vraies, les réclamations du gouvernement westphalien si justes
+que le ministre des relations extérieures de France crut devoir
+mettre sous les yeux de Napoléon un long mémoire daté du 24 décembre
+1810 et duquel il ressort: Que le sénatus-consulte qui avait réuni à
+l'empire la plus grande partie du département du Wéser enlevait à la
+Westphalie 23 mille sujets et 5 millions 460 mille francs de
+revenus; que les parties du Hanovre destinées à être données en
+compensation à la Westphalie suffiraient pour le nombre de sujets et
+pour les revenus, si les contributions pouvaient être maintenues,
+mais que le gouvernement westphalien tenait pour impossible le
+maintien de la contribution de guerre; que les domaines encore
+disponibles n'existaient pas, qu'il n'y avait donc d'autre moyen
+d'indemniser le roi que de diminuer les troupes françaises
+entretenues par la Westphalie et de faire remise au pays des revenus
+et des contributions arriérés. Le mémoire du duc de Cadore demandait
+que la France prît à sa charge la dette du Hanovre, et la Westphalie
+celle de la province du Wéser, que le contingent westphalien fût
+fixé à 20 mille hommes.
+
+Ces conclusions ne furent pas adoptées par l'empereur. Le roi très
+abattu des dernières mesures prises par son frère, envoya à Paris M.
+de Bulow pour y remplacer le baron de Mulcher et discuter ses
+intérêts.
+
+L'année 1811 commença à Cassel sous de tristes auspices pour le
+jeune roi et ses malheureux États. Jamais la fable du loup et de
+l'agneau n'avait reçu une application plus vraie. Après avoir fait
+valoir des prétextes de toute nature, Napoléon auprès duquel la
+raison politique l'emportait sur toute considération, décidé à ne
+pas laisser le Hanovre à son frère, lui fit savoir, par son agent,
+qu'il enlevait cette province à la Westphalie, ainsi qu'une partie
+du département du Wéser, pour les réunir à la France, attendu que
+les conditions du traité n'ayant pas été exécutées par le Roi, il
+considérait ce traité comme rompu de fait. L'empereur daignait
+promettre des compensations qui furent illusoires comme d'habitude.
+Un décret en date du 22 janvier ordonna la prise de possession
+immédiate du territoire annexé, et le versement dans la caisse de
+l'empire français de tous les revenus de ces territoires depuis le
+1er janvier. En vertu de l'article 3, une partie du duché de
+Lunebourg était cédée au Roi, mais avec cette restriction que les
+revenus, les domaines affectés à des dotations étaient exceptés de
+la cession. D'après ce devis, le Hanovre semblait n'avoir jamais
+fait partie du royaume de Westphalie. On cédait, en compensation du
+département du Weser, une partie d'une province déjà annexée depuis
+un an aux États de Jérôme. Ce dernier ne voulut pas d'abord accepter
+cette compensation fictive et chargea à part le comte de Bulow, son
+ministre des finances, de négocier et d'obtenir des dédommagements
+réels.
+
+Pendant que M. de Bulow essayait d'entrer en arrangement avec le
+gouvernement français, Reinhard, toujours à Cassel et à l'affût de
+toutes les nouvelles, de tous les événements importants ou non, qui
+se passaient dans ce malheureux pays, continuait à rendre compte
+directement à l'Empereur ou à son ministre, le duc de Cadore.
+
+Voici quelques-unes des dépêches et des bulletins de l'ambassadeur
+français à Cassel.
+
+
+ REINHARD À CHAMPAGNY.
+
+ 29 janvier 1811.
+
+ Le cérémonial du dernier bal a fait une trop grande sensation et
+ dans le corps diplomatique, et dans la ville, pour que je puisse me
+ dispenser de demander à ce sujet les ordres de Votre Excellence.
+ Déjà au bal précédent le premier chambellan avait exigé que les
+ dames se tinssent debout, tandis que M. de Furstenstein leur disait
+ de s'asseoir. Cette fois, le Roi lui-même, qui plus que jamais
+ s'occupe d'étiquette, a coupé le noeud. M. de Furstenstein devait
+ annoncer cette décision aux femmes des ministres; et le hasard
+ voulut que ma femme fût seule présente. Il ne le fit cependant pas,
+ disant que ce n'était pas l'usage de la cour de France. Quant au
+ privilège d'être seul assis que le Roi a accordé à ce ministre, Sa
+ Majesté le fonde sur ce qu'ayant le collier de l'ordre, M. de
+ Furstenstein est son _cousin_ et doit être assimilé aux grands
+ dignitaires. C'est une manière d'éluder la difficulté, et M. de
+ Furstenstein sans porter le titre de prince en aura tous les
+ privilèges. J'ignore encore si le ministre saxon, qui n'existe qu'à
+ la cour et pour la cour et dont la femme courant après toutes les
+ fêtes et après toutes les faveurs s'est trouvée absente, avait été
+ prévenu de tout ce qui arriverait. Il m'avait demandé en entrant ce
+ que j'avais résolu de faire pour le souper et j'avais répondu que
+ nous serions debout et les femmes assises. La femme du ministre de
+ Prusse était malade. Votre Excellence voit au reste que, même dans
+ ces occasions-là, le Roi a soin de distinguer le ministre de France.
+ Pour cette fois, je m'abstiendrai entièrement d'énoncer dans la
+ société mon opinion sur ce qui s'est passé, précisément parce que
+ j'attends les instructions de Votre Excellence.
+
+ Je n'avais appris toutes ces circonstances que vers la fin du
+ souper. M. Jacoulé a fait une terrible grimace en voyant assis M. le
+ comte de Furstenstein, qui d'ailleurs avait l'air plutôt confus que
+ glorieux de la distinction qui lui était accordée.
+
+
+Lorsque l'Empereur eut pris connaissance de la dépêche de Reinhard
+et de la nouvelle mesure d'étiquette introduite à la cour de son
+frère pour M. Lecamus devenu comte de Furstenstein, il fut choqué de
+cette innovation et écrivit le 20 février au duc de Cadore la lettre
+ci-dessous, omise à la _Correspondance de Napoléon Ier _:
+
+
+ Monsieur le duc de Cadore, je vous renvoie trois portefeuilles de
+ votre correspondance. Qu'est-ce que cette prérogative de M. de
+ Furstenstein de s'asseoir aux cercles de la cour de Cassel devant le
+ corps diplomatique et les grands de l'État? Demandez des
+ renseignements plus détaillés que cela. Il n'y a pas d'objections à
+ ce que le Roi exige que les femmes se tiennent debout quand il
+ danse. En général, un Roi ne doit pas danser, si ce n'est en très
+ petit comité. Cependant, cet usage ne choque aucune convenance. Mais
+ vous devez charger mon ministre de s'opposer formellement à ce que
+ le comte de Furstenstein soit appelé _cousin_ et s'assoie devant le
+ corps diplomatique et les grands de l'État. Cette prérogative ne
+ peut appartenir à qui que ce soit en Westphalie, parce qu'elle est
+ contraire à toute idée reçue, et que je ne veux pas qu'elle existe.
+ Personne en France ne s'asseoit à la cour parmi les princes du sang.
+ Les maréchaux ne s'asseyent pas. Quant aux grands dignitaires, cela
+ tient au _décorum_ de l'Empire, et quels sont les grands
+ dignitaires? Lorsque le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, le Vice-Roi
+ d'Italie, qui sont revêtus de grandes dignités, s'asseyent, il est
+ juste que les premiers grands du plus grand Empire du monde qui leur
+ sont assimilés s'asseyent; mais il est absurde de donner ce
+ privilège dans une petite monarchie. Cela est contre l'opinion de
+ toute l'Europe, et il y a dans cette conduite un peu de folie. Il
+ faut donc que mon ministre fasse connaître au ministre des Relations
+ extérieures de Westphalie que mon intention n'est pas de souffrir
+ ces aberrations du Roi, et que j'exige qu'il ne soit donné aucune
+ suite à cette innovation. Parlez de ceci à M. de Wintzingerode et à
+ M. de Bulow. Faites-leur connaître que le Roi ferait bien mieux de
+ modeler son étiquette sur celle de la Cour de Saxe que de faire à sa
+ tête et de se faire tourner en ridicule. Parlez sérieusement à M. de
+ Wintzingerode là-dessus; il devrait donner des conseils à sa cour
+ sur ce, etc., etc.
+
+
+L'empereur, non content de sa dépêche au duc de Cadore, écrivit
+lui-même à son frère le même jour 10 février. Le roi Jérôme
+répondit le 17 du même mois une lettre respectueuse, dans laquelle
+il ne laisse pas de faire ressortir les injustices dont on s'est
+rendu coupable à son égard. Cette lettre, que voici, ne se trouve
+pas aux _Mémoires de Jérôme_:
+
+
+ Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire,
+ en date du 10 février; tout ce qu'elle contient est vrai, seulement
+ j'aurais désiré qu'on ne laissât pas ignorer à Votre Majesté que le
+ soir où le comte de Furstenstein a été assis, _je n'y étais pas_,
+ que c'était dans un salon particulier et que c'était une erreur du
+ préfet qui n'avait pas senti que les ministres étrangers pouvant
+ entrer, ce n'était plus _un salon particulier_; cela ne s'est jamais
+ fait et ne _se fera plus_. Quant au titre de cousin, comme ayant le
+ grand collier de l'ordre, je ne le donne qu'en écrivant une lettre
+ de chancellerie de l'ordre, pour _rassembler_ le chapitre ou faire
+ une _promotion_, mais jamais je n'ai eu assez peu de sens ni
+ d'esprit pour ne pas sentir que si j'eusse pu faire comme on l'a dit
+ à Votre Majesté, j'aurais mérité les petites maisons.
+
+ Je le répète, Sire, je ne fais jamais un pas sans avoir Votre
+ Majesté en vue, sans désirer de lui plaire, et surtout sans
+ ambitionner qu'elle puisse dire: jamais mon frère Jérôme ne m'a
+ donné de chagrin. C'est bien le fond de ma pensée, Sire, et si je me
+ trompe, un conseil paternel de Votre Majesté est plus que suffisant,
+ non seulement pour me faire changer, mais pour me convaincre que
+ j'avais tort. Pourquoi donc Votre Majesté est-elle si avare de ses
+ conseils? et pourquoi suis-je le seul qui lui inspire assez peu
+ d'intérêt pour qu'elle ne veuille pas m'écrire ce qui peut lui
+ déplaire? Dans les circonstances critiques où je me trouve, Votre
+ Majesté n'a pas même daigné me dire: faites _ce que je désire, cela
+ me sera agréable_; c'est par le moniteur que j'apprends que je perds
+ _le quart de mes États_ et _le tiers de mes revenus_, et le débouché
+ de mes rivières, sans qu'un seul mot de Votre Majesté vienne me
+ rassurer et me dire: c'est telle ou telle conduite que vous devez
+ tenir; avouez, Sire, que Votre Majesté est bien sévère pour moi qui
+ n'ai jamais désiré et ne désirerai jamais que de contribuer à votre
+ contentement.
+
+ Je finis, Sire, car je me vois, par l'abandon de Votre Majesté,
+ entouré d'écueils sur lesquels je ne pourrai manquer de me perdre,
+ si elle persiste dans cette indifférence pour moi. Que Votre Majesté
+ se mette un instant à ma place, souverain d'un pays ruiné, accablé
+ sous le faix des charges extraordinaires, auquel on dit: je vous
+ prends le quart de vos États, de vos revenus, et cependant je ne
+ vous ôte aucune charge, ni vous donne aucun dédommagement, que
+ feriez-vous, Sire? ce que je fais, vous laisseriez prendre, vous ne
+ vous opposeriez à rien; au contraire, mais en conscience vous ne
+ feriez pas comme le roi de Hollande, qui a dit à ses sujets: je cède
+ une partie de mes États, parce que l'on me les demande.
+
+ Je vous prie, Sire, au nom de votre ancienne amitié pour moi, de me
+ diriger et ne pas m'abandonner, car vous seriez fâché un jour
+ d'avoir perdu un être qui vous aime plus que sa vie.
+
+
+À peine cette lettre était-elle partie que le jeune roi, avide
+d'étiquette et toujours prêt à singer le gouvernement impérial,
+donnait encore prise aux critiques fort justes et aux boutades
+souvent un peu sévères de Napoléon qui, tout en ayant pour lui une
+affection réelle, le traitait en fort petit personnage. Le 49
+février, Jérôme avait mis à l'ordre de son armée le règlement
+suivant:
+
+
+ 1º Trois de nos aides de camp seront désignés chaque trimestre pour
+ faire le service auprès de Notre Personne; 2º le ministre de la
+ guerre fera mettre leur nom à l'ordre du jour de l'armée; 3º
+ lorsqu'un de nos aides de camp de service arrivera, soit dans une
+ division, soit dans une place forte ou à l'armée, l'ordre qu'il
+ transmettra de notre part, par écrit ou verbalement, sera
+ obligatoire. Cependant, les gouverneurs, les généraux et les
+ commandants de place pourront, dans les circonstances qu'ils
+ jugeront importantes, exiger que l'aide de camp leur transmette par
+ écrit l'ordre qu'il aura été chargé de leur signifier, et il ne
+ pourra alors s'y refuser; 4º l'aide de camp de service en mission,
+ recevra, soit à l'armée, soit dans les divisions ou les places
+ fortes, les honneurs que l'on rend au plus haut grade militaire.
+
+
+Puis, croyant être très agréable à son frère, il adressait (5 mars)
+une proclamation maladroite aux populations que lui enlevait le
+décret du 22 janvier 1811:
+
+
+ Habitants du territoire westphalien, réunis à l'empire français!
+
+ Les circonstances politiques m'ayant déterminé à vous céder à Sa
+ Majesté l'empereur des Français, je vous dégage du serment de
+ fidélité que vous m'avez prêté. Si quelquefois vos coeurs ont su
+ apprécier les efforts constants que j'ai faits pour votre bonheur,
+ je désire en recueillir la plus douce récompense en vous voyant
+ porter à Sa Majesté l'empereur et à la France le même amour, le même
+ dévouement et la même fidélité dont vous m'avez si souvent donné des
+ preuves, et particulièrement dans les circonstances critiques des
+ dernières années.
+
+ Mes voeux les plus ardents sont et seront toujours de vous voir
+ jouir, sous votre nouveau maître, d'un bonheur aussi parfait que le
+ mérite votre caractère brave et loyal.
+
+
+L'empereur trouva fort mauvaise la mesure prise pour les aides de
+camp et critiqua beaucoup de passages de la proclamation, ainsi
+qu'on le verra dans les lettres suivantes:
+
+
+ CHAMPAGNY À REINHARD.
+
+ Paris, le 19 mars 1811.
+
+ Sa Majesté m'ordonne de vous communiquer quelques réflexions qu'elle
+ a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Elle a
+ relevé certaines expressions de la proclamation du roi aux habitants
+ de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Ces mots: _je vous
+ cède_ lui ont paru inconvenants. On ne cède pas des hommes comme on
+ cède un troupeau de moutons, ou du moins on ne le leur dit pas.
+ Cette autre phrase: _ayez pour l'empereur l'amour que vous avez pour
+ moi_, semble présomptueuse. Ces pays ont-ils été assez longtemps
+ sous la domination westphalienne pour lui être bien profondément
+ attachés? Je ne parle pas du rapprochement entre l'empereur et le
+ roi dont Sa Majesté a lieu de se formaliser.
+
+ Mais ce qui a paru plus étrange à l'empereur, c'est un ordre du roi
+ de Westphalie que Sa Majesté a vu dans une gazette et par lequel ce
+ prince exprime sa volonté que ses aides de camp auxquels il donne
+ des missions commandent partout où il n'est pas, et de préférence à
+ toute autorité existante. Sa Majesté voit dans cette disposition le
+ bouleversement de tout ordre public. Des aides de camp qui sont plus
+ que des ministres et qui exercent, partout où le Roi n'est pas, une
+ autorité sans limites! Jamais l'empereur n'a remis entre les mains
+ de personne un pouvoir aussi discrétionnaire. Sa Majesté a beaucoup
+ employé ses aides de camp qui, formés par elle, étaient dignes de
+ toute confiance; mais elle ne leur donnait que des missions
+ d'informations dans lesquelles ils n'avaient aucune autorité à
+ exercer.
+
+ Faites ces réflexions, Monsieur, aux ministres du Roi, mais avec
+ réserve et ménagement. L'empereur les accuse de ces erreurs que
+ l'inexpérience du Roi peut, quels que soient son esprit, son tact et
+ ses lumières, lui faire quelquefois commettre et qui devraient être
+ évitées par des ministres qui joignent à l'habitude des affaires la
+ connaissance de la manière dont on doit les traiter. L'empereur est
+ persuadé qu'une représentation juste sera toujours écoutée par son
+ auguste frère dont il connaît et le bon esprit et le désir de faire
+ tout bien.
+
+
+Reinhard répondit à Champagny, le 24 mars 1811:
+
+
+ Votre Excellence m'a communiqué quelques réflexions que Sa Majesté
+ impériale a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien.
+ Sa Majesté a trouvé inconvenantes certaines expressions de la
+ proclamation du Roi aux habitants de la partie de la Westphalie
+ cédée à l'empire. Cette proclamation, Monseigneur, m'a toujours pesé
+ sur le coeur; elle a été rédigée dans le cabinet de Sa Majesté. Les
+ ministres n'ont pu obtenir que le changement de quelques phrases; et
+ encore n'ont-elles pas été changées au gré de leurs désirs.
+ L'intention du Roi était bonne; il voulait montrer en même temps et
+ sa déférence pour son auguste frère, et l'accord parfait avec lequel
+ tout s'était passé. Mais l'amour-propre s'en est mêlé et dès lors on
+ n'a pas voulu toucher à la part qu'il s'était faite. Quant à moi, ne
+ voulant pas analyser les expressions qui m'avaient frappé, j'avais
+ prié M. le comte de Furstenstein d'engager le Roi à ne point faire
+ de proclamation. Quelques jours après, Sa Majesté me demanda si je
+ l'avais lue; je répondis que oui et que même M. le comte de
+ Furstenstein me l'avait montrée avant l'impression. Sur le reste, je
+ gardai le silence, et il me parut que le Roi comprenait ce que ce
+ silence voulait dire.
+
+ Quant aux pouvoirs extraordinaires donnés aux aides de camp de Sa
+ Majesté, on m'avait assuré que cette mesure avait été discutée et
+ arrêtée au conseil d'État, et que plusieurs personnes s'en étaient
+ affligées. Mais, je ne crois point qu'elle ait été publiée dans
+ aucun papier westphalien; et la gazette dans laquelle Sa Majesté
+ impériale l'a lue m'est restée inconnue. Je viens d'en parler à M.
+ le comte de Furstenstein qui m'a dit que c'était un ordre du jour
+ qu'il me communiquerait.
+
+ Je me suis, en effet, déjà acquitté auprès de ce ministre de la
+ commission dont Votre Excellence m'a chargé pour les ministres du
+ Roi, et je crois l'avoir fait entièrement dans l'esprit de vos
+ instructions. Déjà hier, j'avais dit au Roi que dans les dépêches
+ que le courrier m'avait portées, j'avais trouvé des expressions
+ pleines d'amitié et d'estime pour Sa Majesté. Le Roi me répondit que
+ j'étais moi-même témoin de tout ce qu'il faisait, et qu'il me
+ rendrait juge de ses intentions et de ses sentiments. C'est par la
+ même route que je suis entré en matière avec M. le comte de
+ Furstenstein. «Mais, ai-je ajouté, plus Sa Majesté impériale rend
+ justice au caractère et au bon esprit de son auguste frère, et plus
+ elle est naturellement disposée à imputer à ses ministres ce que
+ peut-être elle ne trouve pas digne de son approbation dans les actes
+ de ce gouvernement, et je suis convaincu, Monsieur le Comte, qu'elle
+ a entièrement raison.» M. de Furstenstein m'a répondu par son
+ refrain ordinaire que je ne connaissais pas assez le caractère du
+ Roi, qui ne se laissait pas conseiller.--«Je juge, lui ai-je dit, du
+ caractère du Roi, par la manière dont il s'est constamment montré à
+ mes yeux. Toutes les fois que j'ai eu l'honneur de m'entretenir avec
+ lui, je lui ai trouvé de la mesure, de la justesse, de la prudence,
+ enfin beaucoup de pouvoir sur lui-même. Il se peut, à la vérité, que
+ le maintien qu'il prend vis-à-vis du ministre de France ne soit pas
+ exactement le même que celui qu'il a vis-à-vis de ses serviteurs qui
+ lui sont directement subordonnés; mais avec un coeur et un esprit
+ comme le sien, il y a constamment de la ressource. On peut laisser
+ passer un premier mouvement, et je suis persuadé qu'avec un peu
+ d'insistance et de courage, la vérité et la raison finiront toujours
+ par être écoutées.» Après avoir parlé ainsi en thèse générale, M. de
+ Furstenstein m'a demandé si quelque acte particulier du gouvernement
+ avait donné lieu à ces réflexions. Je lui ai cité ceux dont il
+ s'agit. M. de Furstenstein m'a beaucoup remercié. Il m'a dit sous
+ combien de rapports il était intéressé à ce que le Roi méritât
+ l'approbation constante de Sa Majesté impériale, et avec un certain
+ élan il a ajouté qu'il se promettait bien de ne point laisser
+ échapper cette occasion pour faire sentir à Sa Majesté que les
+ ministres n'avaient pas si grand tort d'oser quelquefois lui faire
+ des représentations. Au sujet de la proclamation, il m'a assuré que
+ le Roi s'y était déterminé d'après une lettre de M. de Malchus qui
+ lui avait écrit: _que M. le général Compans le désirait_, et qu'en
+ s'y refusant, le Roi aurait craint d'être accusé de susceptibilité.
+ Il m'a demandé si Sa Majesté impériale en témoignait un fort
+ mécontentement; je lui ai répondu qu'au contraire elle avait à coeur
+ sur cet objet de ne point blesser la sensibilité du Roi, et qu'en
+ m'autorisant à en dire quelques mots à ses ministres, elle me
+ recommandait de le faire avec beaucoup de réserve et de ménagement.
+
+ Votre Excellence se rappellera peut-être qu'en lui rendant compte,
+ au mois d'août 1809, de la situation des choses d'alors, je terminai
+ ainsi une de mes dépêches: «Tout ce que je me permettrai d'ajouter,
+ c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des
+ intentions et des mesures du Roi, et qu'aucun des sujets de Sa
+ Majesté impériale qui sont ici (j'y comprenais alors M. Siméon et M.
+ le général Eblé) ne pourrait remplir dans toute son étendue et sous
+ tous les rapports de convenance une aussi haute mission.»
+
+ La sagesse de Sa Majesté impériale a certainement mieux senti que
+ moi tous les inconvénients que devait avoir une mesure pareille à
+ celle que je voulais indiquer. Aujourd'hui, elle aurait encore celui
+ d'être tardive dans un sens et prématurée dans un autre. Mais j'ai
+ la persuasion qu'elle est devenue moins nécessaire. En comparant le
+ Roi tel qu'il était il y a deux ans, avec ce qu'il est aujourd'hui,
+ je suis convaincu qu'il a gagné, si j'ose m'exprimer ainsi, surtout
+ en docilité. Mais ses ministres craignent tous un premier mouvement
+ et quelque résolution subite, difficile à rétracter, d'un souverain
+ dont ils dépendent. Il a trop su les habituer à céder à sa volonté
+ fortement prononcée. Il leur manque d'oser revenir à la charge. Pour
+ leur donner un courage qu'ils n'ont point, je ne connais qu'un seul
+ moyen: c'est d'être assurés à tout événement de la protection de Sa
+ Majesté impériale. Cette assurance de protection resterait un
+ secret entre le ministre de France et celui des ministres du Roi
+ auquel elle daignerait accorder une aussi haute preuve de confiance;
+ un seul suffirait.
+
+ Mais lequel? M. le comte de Hoene, très honnête homme, n'est qu'un
+ troisième commis. Il prend à la lettre toutes les paroles du Roi. Il
+ n'entend pas ce qu'on voudrait lui faire comprendre. De tous les
+ ministres, il est celui qui se tient le plus en garde contre la
+ légation française. M. le comte de Wolfradt, très honnête homme
+ aussi, est trop timide et trop peu adroit; il ne sait pas assez la
+ langue française. M. le comte de Furstenstein est l'homme du Roi;
+ pour lui, il suffit du ressort de la responsabilité. M. le comte de
+ Bulow a trop une marche et une manière à lui; mais on peut compter
+ sur lui dans des circonstances déterminées. M. Siméon est un peu sec
+ quelquefois, et toutes les affaires ne sauraient être de son
+ ressort; mais il apportera à toutes de la maturité et de
+ l'expérience, et c'est précisément ce dont il s'agit ici. Sa qualité
+ de Français, son âge, son bon sens et la modération de son esprit
+ peuvent le faire croire capable de prendre de l'ascendant sur le
+ Roi, sans perdre sa confiance et sans en abuser; et comme le Roi
+ n'aime point à consulter, il y aurait deux maximes de gouvernement à
+ établir. L'une, que l'exécution de toute mesure quelconque partît de
+ celui des ministres qu'elle concerne, et l'autre, que lorsque des
+ actes quelconques émanent directement du cabinet, les ministres
+ eussent le temps de faire des représentations lorsqu'ils le
+ jugeraient nécessaire.
+
+
+Sans nous arrêter sur une lettre du 24 mars où Reinhard raconte
+divers incidents survenus à la cour de Cassel, nous extrayons d'une
+lettre adressée par le même à Champagny (23 mars) une conversation
+que Reinhard eut avec le roi. Le ministre des finances de
+Westphalie, M. de Bulow, avait été envoyé à Paris pour tâcher
+d'obtenir des adoucissements à la triste condition faite par
+l'empereur au malheureux royaume. Après un préambule que nous
+omettons, Reinhard s'exprime ainsi:
+
+
+ Le comte de Furstenstein, ai-je dit, m'a laissé dans le doute si M.
+ de Bulow doit _terminer_ et revenir, ou signer et revenir. Il n'y a
+ rien à signer, a dit le Roi. Lorsque toutes les conditions sont
+ dictées par une seule des parties et qu'elles sont avantageuses à
+ une seule, ce n'est pas un traité. Que l'empereur ordonne: tout ce
+ qu'il ordonnera sera fidèlement exécuté; mais qu'il ne demande pas
+ que je me déshonore.--«Cependant, Sire, l'empereur offre des
+ avantages à Votre Majesté: d'abord ses domaines en Westphalie non
+ encore donnés; ensuite l'arriéré des revenus du Hanovre.»--«Oui, dit
+ le Roi, les domaines non donnés et _non destinés_, ce qui les réduit
+ à un revenu de 2 ou 300,000 fr. tout au plus, tandis que je perds
+ 12 millions et 600,000 âmes. Les revenus arriérés du Hanovre sont
+ peu de chose: deux ou trois millions tout au plus, peut-être
+ rien.»--«Encore, Sire, sont-ce là des avantages que Votre Majesté
+ n'obtiendra qu'en signant, et qui constituent la réciprocité.» Alors
+ le Roi s'est récrié sur ce qui s'est passé à la suite du traité
+ concernant le Hanovre, et je l'ai interrompu en disant que c'était
+ toujours avec peine que je rappelais à Sa Majesté que sa manière de
+ voir et celle de Sa Majesté impériale sur la cession du Hanovre
+ étaient différentes.»--«Mais tout cela n'était qu'un prétexte, m'a
+ dit le Roi, parlons franchement: rien ne sortira de ce
+ cabinet.»--«Parlons franchement, Sire, supposons que ce ne soit
+ qu'un prétexte; mais Votre Majesté connaît le _motif_. L'empereur a
+ changé d'intention, parce que les circonstances lui en ont fait la
+ loi; il en a changé quant au Hanovre et quant aux villes
+ anséatiques. La politique de l'empereur ne reste pas stationnaire;
+ Votre Majesté marche à côté de lui: voudrait-elle rester en
+ arrière?»--«Eh bien, que l'empereur me dise son motif et qu'il ne
+ fasse pas valoir seulement le prétexte.»--«Et quand ce prétexte,
+ Sire, serait un caprice, pourquoi n'aimeriez-vous pas à y
+ déférer?»--«Oui, si c'était de frère à frère, alors l'empereur sait
+ bien que tout est à sa disposition, tout mon royaume, ma vie même;
+ mais _tout cela se traite diplomatiquement et je ne puis céder_. Je
+ viens d'écrire à Bulow mon dernier mot: les domaines de l'empereur
+ non donnés; et quant aux 12,500 hommes de troupes françaises, que la
+ Westphalie se charge de leur nourriture et _la France de leur solde
+ et de leur entretien_, afin que je puisse montrer un avantage à mon
+ peuple.»--«Je suis fâché, Sire, que ce soit votre dernier mot, car
+ le duc de Cadore m'a écrit que l'empereur a dit aussi le sien. Du
+ reste, Sire, officiellement je n'ai rien à dire, ce n'est que par
+ forme de bon office et dans les intérêts même de Votre Majesté; et
+ comme M. de Furstenstein m'a dit que M. de Bulow serait ici dans
+ deux ou trois jours, au fond toutes mes réflexions sont tardives et
+ inutiles.»--«Furstenstein vous a dit que Bulow revenait? Bah,
+ Furstenstein ne sait rien, c'est moi seul qui conduis toute la
+ négociation, qui écris toutes les lettres de mon cabinet.» Ainsi,
+ Monseigneur, je dois croire que M. de Bulow est encore à Paris, et
+ Votre Excellence jugera si, à lui ou à son maître, on pourra faire
+ passer le Rubicon. Si c'est à lui, sans le consentement du Roi, il
+ est perdu.
+
+ Je dois vous dire, Monseigneur, le secret de la pensée et de la
+ conduite du Roi. Il m'a dit à moi-même que Sa Majesté impériale
+ avait accusé le roi Louis, son frère, de lâcheté pour avoir cédé par
+ un traité une partie de son royaume. Aussi répondit-il aux instances
+ de tous ses ministres:--«Vous ne savez ce que vous dites, je ne
+ signerai pas, l'empereur me mésestimerait.»
+
+
+La conversation épuisée sur ce point, Reinhard aborda ensuite un
+sujet plus délicat. Le roi s'était fait livrer des lettres où le
+secrétaire général du département des finances, nommé Provençal,
+appelait M. de Bulow «le messie, le sauveur de la Westphalie». Ce
+Provençal et un autre commis de M. de Bulow avaient été aussitôt
+destitués «comme Prussiens». Reinhard estimait «que ces lettres
+étaient bien sottes, mais que le roi venait de trahir le secret de
+l'ouverture des lettres». C'est sur ce point qu'il amena
+l'entretien:
+
+
+ Après cet objet terminé, il y a eu quelques moments de silence, et
+ j'attendais le Roi; craignant d'être congédié, j'ai rompu le
+ silence, d'autant plus qu'avec beaucoup de bonté, le Roi m'avait
+ invité à lui parler à coeur ouvert.--«Dans une si belle
+ circonstance, Votre Majesté aura quelque grâce à faire d'_hier
+ matin_.» Le Roi m'a fait répéter ma phrase:--«Ah! vous parlez de ces
+ lettres! Ce sont des bêtises, vous sentez bien que ce n'était qu'un
+ prétexte, et je n'ai fait qu'exécuter un dessein que j'avais depuis
+ trois mois. J'avais aussi peu envie de me mettre en colère que vous
+ en avez à présent. Ce Provençal et ce Sigismond sont des Prussiens.
+ Depuis six mois, j'avais donné une décision qui renvoyait les
+ Prussiens de mon service: «Je ne veux avoir à mon service que des
+ Westphaliens et des Français.»--«Des Prussiens, Sire, que M. de
+ Bulow a pris à Magdebourg.»--«Non, qu'il a fait venir de Berlin.»
+ Cela est vrai, quant à Sigismond, homme d'un grand talent, mais
+ d'une mauvaise réputation. M. Provençal, dont M. de Bulow ne se
+ servait que pour la rédaction, est un ancien ministre protestant. M.
+ de Bulow l'en raillait quelquefois, et de là ces expressions en
+ style de bible qui avaient tant déplu au Roi. M. de Furstenstein a
+ donné cette explication au roi, moi-même je l'ai confirmée; aussi
+ ces lettres ne sont-elles plus qu'un prétexte.--«Ce Sigismond est un
+ espion; il a écrit à Berlin des lettres _que Linden m'a renvoyées_
+ et pour lesquelles je pourrais le faire pendre. Mais cela irait plus
+ haut, et je ne veux pas en faire une affaire. Imaginez-vous qu'il
+ rendait compte de chaque conscrit, du mouvement de chaque compagnie,
+ enfin de tout ce qui se fait chez moi.»--«Ce n'étaient donc pas des
+ lettres particulières?»--«Oui, particulières; mais vous sentez
+ qu'elles allaient à une autre adresse. Quant à l'autre, je savais
+ que Bulow avait une correspondance secrète, qu'il ne se servait ni
+ de ma poste ni de mes courriers; qu'on lui envoyait son valet de
+ chambre qui remettait les lettres à la poste de Giessen. J'ai voulu
+ savoir ce que c'était; il y a eu 39 numéros, je les ai tous lus.
+ J'envoyais dans le pays du grand-duc de Hesse des gendarmes
+ déguisés; je faisais prendre et copier les lettres, et puis on leur
+ donnait cours. On y parlait de tout ce que je faisais, vrai ou faux,
+ n'importe. Je ne pouvais pas (je vous en demande pardon), pis...
+ sans que Bulow n'en fût informé.» Ceci, Monseigneur, est la seconde
+ version: hier le Roi disait que c'était la direction générale des
+ postes à Paris qui lui avait envoyé ces lettres, parce qu'elle en
+ avait été indignée. Le fait est que M. de Bercagny tient ses
+ décacheteurs de lettres à sept lieues d'ici; que d'autres ont été
+ ouvertes à Giessen, et que la lettre à _Messie_ avait été remise au
+ secrétaire du cabinet du Roi, il y a deux jours.
+
+ «On parle d'intrigues, a dit le Roi, j'en ris. Si je laissais faire,
+ les Français écraseraient les Allemands, et les Allemands
+ chasseraient les Français.»--«Cela est vrai, Sire, Votre Majesté
+ tient assez l'équilibre; mais elle est placée trop haut pour ne pas
+ voir autrement ce qui se passe au-dessus d'elle que ceux qui sont
+ placés à distance. Ceux-ci, voyant certains hommes approcher souvent
+ et journellement de votre personne, leur attribuent une influence
+ qu'ils n'ont pas.»--«Ah, Bercagny! Il est officier de la maison...
+ Bercagny! je n'ai aucune confiance en lui. Vous savez ce que j'en
+ pense, c'est un bavard; il couche toutes les nuits avec des filles.
+ Il va jouer au reversi avec mes chambellans, pour faire dire qu'il
+ va au palais, et va chez Brugnière pour faire croire qu'il entre
+ dans mon cabinet. Il fait comme le duc de Richelieu qui faisait
+ arrêter sa voiture à la porte des honnêtes femmes, pour qu'on dit
+ qu'il couchait avec elles.--Sire, c'est au moins celui qui remue le
+ plus.--Jamais je n'ai rien pu savoir de lui sur la police.--Je suis
+ enchanté que Votre Majesté confirme mon opinion; il m'a paru que,
+ dans certaines crises, sa police n'était pas merveilleuse.--_Aussi,
+ ce n'est pas par lui que j'ai eu ces lettres._»
+
+ La conversation est ensuite tombée sur M. de Bulow. Le Roi m'a dit
+ que les Français ne lui en voulaient pas, puisqu'aucun d'eux ne
+ désirerait, ni n'était capable d'avoir sa place.--«Il y en a
+ quelques-uns cependant, et à vous dire vrai, Sire, depuis deux ans
+ que je suis ici, j'ai vu M. de Bulow l'objet d'un acharnement
+ perpétuel.»--«Ce sont plutôt les Allemands. Du reste, c'est un homme
+ à grands moyens.»--«Sire, M. de Bulow a une certaine légèreté dont
+ j'ai été quelquefois dans le cas de me plaindre moi-même; il sent sa
+ supériorité dont il abuse peut-être quelquefois. Du reste, il est
+ homme d'honneur et fidèle serviteur.»--«Le croyez-vous?»--«Oui,
+ Sire.»--«Croyez que pour changer de serviteurs, il faut que je me
+ retourne plus d'une fois sur mon oreiller. D'ailleurs, c'est un
+ homme difficile à remplacer.»--«Oui, Sire, il fait aller sa machine,
+ et ce n'est pas une chose aisée en Westphalie. (J'aurais voulu,
+ Monseigneur, rengainer ce mot qui, je m'en apercevais, ne faisait
+ pas une bonne impression.) Votre Majesté ne peut s'occuper de tous
+ les détails.»--«Il le faut pourtant, car je veux voir clair.» Le Roi
+ l'a ensuite accusé de n'avoir pas fait à Paris aussi bien qu'il
+ aurait pu faire.--«Cependant, Sire, tout son intérêt y
+ était.»--«D'ailleurs, il y avait un ennemi, si je l'avais su, je ne
+ l'aurais pas envoyé.»
+
+ Dans cette conversation, le Roi a passé en revue tous ses serviteurs
+ à peu près, Français et Allemands, et sur presque tous, il disait à
+ peu près ce que j'en pense. «M. Pichon, avocat et écolier, croit
+ qu'il sera ministre des finances; ce serait une plaisanterie. M.
+ Pothau, c'est un pauvre homme; il m'a dit lui-même que s'il était
+ placé au Trésor, il serait un homme perdu et que même il ne voulait
+ rien pour les postes, que sa véritable place était au tribunal
+ d'appel. Le général Morio! J'en ai été mécontent comme ministre de
+ la guerre, peu content comme général en Espagne, pas trop content
+ comme capitaine de la garde, mais il est excellent grand écuyer; il
+ a diminué le nombre de mes chevaux, en me donnant deux attelages de
+ plus, et il a déjà fait une économie de 200,000 francs. La Flèche:
+ il me fait perdre 150,000 fr. dont il a dépassé son budget, sans
+ rime ni raison; je l'épargne parce qu'il m'est personnellement
+ attaché, mais je ne puis payer cette dette qui me ruine, ou du moins
+ ne puis la payer qu'en deux ou trois ans. Furstenstein ne prend
+ jamais l'initiative; il m'est personnellement dévoué, l'empereur
+ lui-même l'a distingué en l'admettant à sa table; c'est un homme
+ modeste qui ne demande qu'à être auprès de ma personne, qui se
+ contenterait de tout, et qui est si peu remuant qu'il ne fait même
+ pas tout ce qu'il devrait faire dans sa place.»
+
+ _P. S._--J'adresse à Votre Excellence la décision du Roi concernant
+ ses aides de camp en mission, telle que M. de Furstenstein me l'a
+ transmise. Il n'y est pas question d'autorités civiles; il faut
+ qu'il y ait là-dessous quelque malentendu que je ne puis encore
+ expliquer.
+
+
+Le duc de Cadore mit en note au bas de cette lettre de Reinhard, de
+sa main:
+
+
+ (_Note du Ministre._) L'empereur veut qu'on fasse connaître à M.
+ Reinhard que l'ordre du jour du Roi du 19 janvier 1811 est absurde
+ dans tous les points et contraire à tous les usages, ainsi qu'à
+ toutes les règles observées dans tous les pays. L'empereur n'est pas
+ content de cette conversation de M. Reinhard.
+
+
+Une lettre de Champagny, adressée de Paris le 3 avril, accentua
+encore davantage ce sentiment de désapprobation. Après avoir essayé
+de se justifier, Reinhard continue de tenir le ministère au courant
+de tout ce qui se passait en Westphalie. Il lui écrivit le 11 avril:
+
+
+ J'ai fait hier à M. le comte de Furstenstein la question
+ confidentielle que j'avais annoncée à Votre Excellence dans mon
+ numéro 220. Ce ministre m'a répondu que Sa Majesté impériale avait
+ été prévenue par le Roi de la démission donnée à M. de Bulow
+ immédiatement après l'événement par un courrier parti le même jour
+ (par conséquent le 9); que depuis un certain temps déjà, le Roi
+ n'avait plus en lui la même confiance, et qu'avant tout il voulait
+ voir clair dans ses finances, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir.
+ J'ai dit que sans doute le Roi était le maître de donner ou de
+ retirer sa confiance; qu'au reste M. de Bulow, ayant l'honneur
+ d'être décoré du grand cordon de la Légion, appartenait sous ce
+ rapport un peu à Sa Majesté l'empereur et méritait quelques égards.
+ Cela m'a conduit à dire un mot du traitement qu'on fait éprouver à
+ ses employés. La réponse a été la même que le Roi avait fait donner
+ à M. de Bulow par M. Siméon. Je ne vous parlerai plus de ces
+ détails, Monseigneur. Quand une fois on est engagé à marcher à
+ petits pas dans ce petit labyrinthe, on n'en sort plus, à moins de
+ faire un pas d'homme pour le franchir.
+
+ J'avais cru devoir différer ma visite chez M. de Bulow jusqu'après
+ ma conversation avec M. de Furstenstein. J'y suis allé. Cet
+ ex-ministre m'a dit qu'il attachait beaucoup de prix à ma visite,
+ parce qu'il avait désiré de m'entretenir de sa conduite depuis son
+ retour, afin de ne point paraître sous un faux jour aux yeux de mon
+ gouvernement. Il m'a fait un récit abrégé de sa longue conversation
+ avec le Roi, du langage dont il s'est servi pour lui démontrer la
+ nécessité de signer la convention, du tableau qu'il a fait à Sa
+ Majesté des règles de conduite, des moyens de garantie et des
+ ressources pour l'avenir; enfin de ce que le salut du Roi et du
+ royaume était dans un plan d'économie sévère et dans une soumission
+ entière à Sa Majesté l'empereur; des explications, des épanchements
+ et des assurances qu'il a obtenus de la bouche du Roi, et des
+ illusions sur le retour entier de sa confiance qu'il se faisait en
+ sortant de cette conversation au moment où l'on arrêtait ses
+ employés. «Au Conseil des ministres, a-t-il ajouté, j'ai exposé les
+ désavantages et les avantages de deux projets de convention que j'ai
+ rapportés de Paris, les instructions du Roi et les volontés de Sa
+ Majesté impériale. Le Roi ne semblait écouter que moi. Lorsqu'il a
+ été question de signer, j'ai prié d'en être dispensé. Je craignais
+ d'être renvoyé à Paris et de rester une seconde fois en butte à mes
+ ennemis. J'ai proposé M. de Wintzingerode; il a été arrêté que je
+ signerais ici et que je ne retournerais pas à Paris.»
+
+ Quand nous en étions là, M. Siméon est arrivé. M. de Bulow s'est
+ plaint alors avec amertume de la nuée d'espions de police qui
+ entouraient sa maison, qui, montre et tablettes en main, notaient
+ ouvertement tous ceux qui entraient et qui sortaient, enfin qui
+ avaient l'air de le garder comme un criminel. Il a dit que M. Siméon
+ étant ministre de la police, lui, devenu particulier, ne pouvait
+ regarder ces indignités que comme autorisées par M. Siméon. Nous lui
+ avons conseillé d'ignorer ces incidents, dont sûrement le Roi
+ n'était pas instruit. Aussi je les ignore, a-t-il dit, et ce n'est
+ que mon estime pour vous qui m'a engagé à en parler. M. Siméon lui a
+ promis de reparler au Roi de ce qui concernait ses employés.
+
+ J'ai fait part à M. de Bulow, devant M. Siméon, de la question que
+ j'avais faite à son sujet à M. de Furstenstein. M. de Bulow m'a
+ interrompu. «Quoique je me tienne infiniment honoré, m'a-t-il dit,
+ par la décoration que Sa Majesté l'empereur a daigné m'accorder, je
+ ne crois cependant appartenir qu'au Roi seul.»--«Par cette
+ décoration donnée par Sa Majesté l'empereur, ai-je répondu, vous
+ appartenez un peu à son intérêt, et s'il eût été possible qu'une des
+ inculpations qu'on vous a faites fût fondée, Sa Majesté impériale
+ n'aurait pu y rester indifférente. Quant à moi qui ai l'honneur de
+ porter la même décoration dans un grade inférieur, je vous dois une
+ considération qui s'accorde parfaitement avec l'estime que m'inspire
+ votre mérite, et voilà le motif de la visite que j'ai cru devoir
+ vous faire publiquement, et comme particulier, et comme ministre de
+ France.»
+
+ Quand M. Siméon fut parti, j'ai demandé à M. de Bulow comment le Roi
+ avait pu être induit à croire à la rétrocession de la ville de
+ Lunebourg? J'ai en effet, a-t-il dit, à me justifier à cet égard
+ auprès de vous, et il m'a expliqué la chose comme il m'a assuré
+ l'avoir expliquée à Votre Excellence. Il m'a parlé ensuite du prix
+ infini qu'il attachait à pouvoir se dire dans sa retraite que mon
+ gouvernement lui rendait justice, et que les efforts qu'on ferait
+ peut-être pour le dénigrer à ses yeux ne produiraient aucun effet.
+ Enfin il m'a protesté combien il se sentait heureux d'être soulagé
+ du fardeau qui l'avait accablé et que dans aucune hypothèse il ne
+ désirerait reprendre.
+
+ J'ai trouvé, Monseigneur, M. de Bulow dans un état d'exaltation qui
+ lui donnait de la fierté et presque de la raideur; mais, au degré
+ près, je l'ai trouvé le même qu'il s'est toujours montré. Ce qui est
+ certain à mes yeux, c'est que M. de Bulow est un homme qui a
+ profondément la conscience de la pureté de ses intentions et de sa
+ conduite.
+
+
+M. de Bulow avait été disgracié pour avoir consenti à signer à Paris
+les conventions qui démembraient le royaume de Westphalie; le bruit
+courut même un moment qu'il avait été arrêté par ordre du roi. Il
+n'en était rien. Reinhard s'y opposa d'ailleurs de toute son
+autorité. Plusieurs de ses lettres du mois d'avril sont tout
+entières consacrées à ces incidents. Celle du 13 se termine ainsi:
+
+
+ Je ne crois pas, Monseigneur, que les événements et mes idées sur
+ l'avenir aient acquis assez de maturité pour que dès aujourd'hui je
+ puisse mettre sous vos yeux le tableau de la situation nouvelle des
+ choses. Je me bornerai en conséquence à compléter mon récit de ce
+ qui s'est passé et à vous peindre l'attitude actuelle des personnes
+ influentes.
+
+ M. de Bulow a dit au Roi, dans sa conversation, que pour être roi de
+ ses sujets, il devait se considérer uniquement comme vice-roi de
+ l'empereur; que quelque désavantageuse que fût la convention à
+ signer, elle renfermait une garantie précieuse de la convention du
+ royaume; que le royaume avait en lui-même les moyens financiers
+ nécessaires pour se maintenir, mais que ces moyens ne pouvaient être
+ réalisés que _par une économie et un ordre sévères_; que les deux
+ conventions contenaient la volonté immédiate de Sa Majesté
+ impériale; que si les conditions en étaient peu avantageuses, elles
+ l'étaient plus que celles que plusieurs autres États avaient
+ obtenues; que quand Sa Majesté impériale aurait voulu favoriser le
+ Roi davantage, elle n'aurait pas pu le faire dans le moment actuel;
+ que les espérances pour l'avenir restaient entières, etc.
+
+ Celui des griefs du Roi que M. de Bulow m'a cité consistait en ce
+ _qu'il se faisait trop aimer et qu'il se faisait un parti_. Il a été
+ question de lettres interceptées. M. de Bulow a justifié celles dont
+ il avait connaissance; son désir jusqu'au dernier moment était de
+ mettre sous les yeux du Roi la liasse de celles qu'il avait reçues
+ et surtout toutes les lettres numérotées de M. Provençal.
+
+ Dans la courte conversation qu'il a eue avec moi, avant sa
+ catastrophe, il ne m'a point montré l'espérance décidée de parvenir
+ à effacer toutes les préventions du Roi; mais aux personnes avec
+ lesquelles il vivait dans une grande intimité, il a dit qu'il
+ croyait être sûr d'en venir à bout. Après la conversation même, il
+ en est sorti rayonnant.
+
+ Le Roi, dans cette conversation, avait-il déjà le projet déterminé
+ de renvoyer le lendemain M. de Bulow? Forcé par l'avis unanime de
+ son Conseil à signer la convention, a-t-il voulu marquer son
+ mécontentement en disgraciant le négociateur? Je ne crois ni l'un ni
+ l'autre. C'est par un retour sur la conversation qui venait d'avoir
+ lieu, que les vérités fortes qu'il avait entendues lui auront fait
+ une impression douloureuse, de même que quelquefois on ne sent pas
+ une blessure au moment où le coup a été porté. Ceux dont l'intérêt
+ était de forger le fer pendant qu'il était chaud l'auront ensuite
+ entraîné d'un mouvement accéléré.
+
+ Il me paraît certain que les lettres interceptées ont été le levier
+ le plus puissant dont s'est servi M. de Bercagny pour n'y voir qu'un
+ moyen d'information. Le Roi a manqué d'impassibilité; il a reproché
+ publiquement jusqu'à des lettres d'amour à un jeune officier.
+ Cependant, dans tout ce qui a transpiré, on ne cite absolument rien
+ qui ait pu réellement blesser la dignité du Roi ou qui prouve que
+ des secrets de son palais aient été trahis.
+
+ Le Roi n'a cru et n'a voulu agir que par lui-même. Il a blâmé
+ quelques maladresses de M. de Bercagny; mais pour ne point le faire
+ soupçonner de partialité, il lui avait adjoint MM. de Bongars et de
+ Gilsa. Il a voulu que l'ensemble des mesures fût regardé comme étant
+ émané de sa volonté suprême.
+
+ M. Siméon s'est conduit avec fermeté et sagesse. Il a fait au roi
+ des représentations et ne s'est arrêté qu'à la limite où il aurait
+ cru ou manquer de soumission, ou risquer de se perdre lui-même. Il a
+ dit hautement sa pensée et ses sentiments à ses collègues et surtout
+ à M. de Furstenstein. Il n'a point abandonné M. de Bulow. C'est dans
+ le rapport, à la suite duquel le sieur Hortsmann a été relâché,
+ qu'il a fait voir au Roi le néant de tous les fantômes dont on
+ l'avait entouré et dont celui du cocher déguisé n'est qu'un faible
+ échantillon. Le Roi a chargé M. de Furstenstein de dire à M. Siméon,
+ s'il croyait devoir lui donner des conseils, qu'il ne lui en
+ demandait pas.--N'importe, les conseils ont produit leur effet.
+
+ M. de Furstenstein était prévenu de tout ce qui devait arriver, mais
+ il n'a point voulu s'en mêler. Il a dit qu'il se trouvait bien comme
+ il était, et qu'il n'avait rien contre M. de Bulow; il a détourné le
+ Roi de faire mettre les scellés sur ses papiers. Vis-à-vis de moi,
+ il a pris le langage d'un homme qui défend les mesures de son
+ maître.
+
+ Il n'en est pas de même de M. Hugot, son secrétaire général. Les
+ passions grossières de cet homme qui n'est ni aimé, ni estimé, le
+ poussent à l'excès de l'absurdité. Il a quelque talent pour la
+ rédaction et la mémoire des lois françaises et westphaliennes; il
+ est nécessaire à M. de Furstenstein, mais l'aversion du Roi contre
+ lui, la tournure de son esprit et de sa personne lui interdisent à
+ jamais l'espoir de sortir de son rang subalterne. Sa méchanceté est
+ gratuite; elle est l'effet du caractère haineux et vindicatif d'un
+ prêtre.
+
+ M. de Wolfradt a vu ces événements avec douleur; il est resté
+ passif. Le public s'obstine à croire que son tour viendra bientôt.
+ M. le comte de Hoene est nul. M. Morio se cache. M. Pichon, pendant
+ la crise, a évité toutes les sociétés, et surtout la mienne. M. de
+ Malmsbourg ayant laissé dans la caisse d'amortissement un fond de
+ 3,500,000 francs pour commencer les paiements au premier juillet, le
+ public attend son successeur à l'épreuve.
+
+ M. de Bercagny est plus aimable et plus spirituel que jamais; il a
+ donné hier un dîner de vingt couverts. Le nommé Savagner, son
+ secrétaire général, est un scélérat que lui-même avait été obligé de
+ chasser et qu'il a repris après le renvoi de Schalch. Soit pudeur,
+ soit bon esprit, M. de Bercagny pèse au Roi. Il avait eu le projet
+ de le nommer préfet d'Hanovre. M. de Wolfradt effrayé l'en
+ détourna, tandis que M. Siméon ne demandait pas mieux; ou bien y
+ aurait-il de la dissimulation?
+
+ M. de Malchus devait son entrée au Conseil d'État à M. de Bulow. Il
+ est revenu de Paris, accusant le ministre d'avoir voulu le perdre.
+ Il ne s'est point montré chez moi depuis le retour de la transaction
+ avec M. le général Compans. Il a vécu depuis quelque temps dans
+ l'intimité de M. de Bercagny. Il a juré à M. de Bulow de n'avoir
+ point contribué à sa chute. Il a affecté de s'opposer à sa
+ nomination définitive, et ce n'est que depuis hier qu'il a accepté
+ le titre d'Excellence.
+
+ M. de Malchus passe pour être un bon travailleur, mais se perdant
+ dans les détails et incapable de saisir un ensemble. Le Roi ne
+ l'estime et le public ne l'aime point. On le dit sans âme et
+ ambitieux à l'excès avec un extérieur calme et simple.
+
+ L'emprunt forcé devant être employé aux dépenses courantes, on ne
+ prévoit pas d'embarras pendant les six mois prochains. Les
+ obligations westphaliennes sont fortement tombées pendant la semaine
+ dernière. Celles à 4 0/0 sont au-dessous de 40; mais ce n'est qu'un
+ signe de l'impression profonde qu'ont faite les circonstances qui
+ ont accompagné la disgrâce de M. de Bulow.
+
+ Cette disgrâce, Monseigneur, fait le triomphe d'un parti: ce
+ parti-là n'est point le parti français auquel, à peu d'exceptions
+ près, appartiennent tous les bons serviteurs du Roi. Par une assez
+ sage distribution des places, le Roi a pourvu à ce que, pour le
+ moment, les vainqueurs ne pussent pas trop abuser de la victoire.
+ Les conséquences se développeront plus tard.
+
+ Aussi, tout en présageant que, par les derniers événements, la
+ situation de la Westphalie s'est détériorée, quand ce ne serait que
+ parce que, dans cette disette de talents, il y aura un homme de
+ talent de moins, je regarde les derniers arrangements comme les
+ moins mauvais qu'on ait pu faire dans cette circonstance. _Mais il
+ est à désirer que le Roi se défasse de M. de Bercagny._
+
+ J'ai de forts indices pour soupçonner que ma dépêche, où je traçais
+ tout le plan qui s'est réalisé depuis, a été livrée par celui de mes
+ valets que j'avais chargé de la porter à Mayence, et qui depuis est
+ devenu l'espion de ma maison. Comme je n'ai rien à cacher, et que le
+ moment actuel ne paraît point propice pour faire un éclat, je le
+ garderai pendant quelques jours encore. Mais si j'obtenais la
+ certitude ou plutôt la preuve de la trahison de la dépêche,
+ suffirait-il de le chasser?
+
+
+Après les petites intrigues d'intérieur du gouvernement westphalien,
+revint la grosse question des finances. L'empereur ordonna, à cette
+époque, au prince d'Eckmülh de réclamer de la Westphalie la
+réparation des importantes fortifications de Magdebourg et
+l'approvisionnement de siège de cette place. Or, c'était une dépense
+de trois millions, et Napoléon avait décidé le 29 janvier que cette
+dépense serait couverte par le produit des droits imposés aux
+denrées coloniales. Reinhard fut chargé de réclamer du gouvernement
+de Jérôme l'exécution de la mesure relative à Magdebourg. Il fit des
+démarches auprès du comte de Furstenstein et auprès du roi, puis il
+répondit le 7 mai au duc de Bassano qui avait remplacé le duc de
+Cadore au ministère des relations extérieures:
+
+
+ M. le comte de Furstenstein, en me disant que la demande
+ d'approvisionnements de siège pour Magdebourg serait le coup de
+ grâce pour les finances westphaliennes, ajouta que du budget des
+ finances pour l'année 1811 qui, après plusieurs séances, avait été
+ arrêté dans le conseil d'administration de dimanche, résultait un
+ déficit de 14 millions, et que pour l'année prochaine, ce déficit
+ serait incalculable. M. Pichon vient de me donner le commentaire de
+ ces paroles.
+
+ Voici ce que M. Pichon m'a dit: le déficit de l'année 1811 est de 14
+ millions au moins; selon lui, il sera de 18, et en toute hypothèse,
+ il le sera en ajoutant les frais d'approvisionnements de Magdebourg.
+ L'arriéré de 1810 est de 9 millions, ce qui fait en total 27
+ millions. Il s'agissait de couvrir ce déficit. Le travail sur cet
+ objet a été renvoyé samedi, à 7 heures du soir, à l'examen d'une
+ commission présidée par M. de Malchus, laquelle s'est séparée à
+ minuit. M. Pichon a passé la nuit à travailler.
+
+ Pour couvrir le déficit, on emploiera d'abord le produit de
+ l'emprunt forcé qui sera de huit millions. M. Pichon dit que cette
+ somme rentrera en entier, puisqu'elle sera levée sur les rôles de
+ l'emprunt forcé de 1808, et que les contribuables seront dans
+ l'alternative de payer ou de s'en aller. Or, ces rôles ont été faits
+ dans l'assurance que l'emprunt forcé serait payé une seule fois, et
+ les contribuables ont cru alors payer la totalité. Il se trouve
+ aujourd'hui que, parce qu'on avait évalué par erreur à 20 millions
+ l'emprunt forcé qui, dans la réalité, n'en a produit que dix, les
+ contribuables n'en ont payé que la moitié.
+
+ Les intérêts de la dette exigibles à la caisse d'amortissement
+ jusqu'à la fin de 1811 sont de dix millions. Ces dix millions ne
+ seront pas payés. M. de Malchus proposait de les capitaliser. L'avis
+ de M. Pichon était de nantir la caisse d'amortissement, pour le
+ paiement de ces intérêts, d'une valeur de dix millions en domaines
+ nationalisés par le décret du 1er décembre 1810, et d'admettre les
+ coupons d'intérêts à l'achat de ces biens. _S'il y avait une
+ garantie_, m'a dit M. Pichon, on pourrait calculer que les
+ possesseurs de coupons perdront vingt pour cent tout au plus.
+
+ Les neuf millions restant du déficit seront rejetés sur l'année
+ prochaine.
+
+ On croit obtenir pour l'année prochaine une augmentation de quatre
+ millions dans les impôts.
+
+ On évalue à 40 millions la totalité des domaines nationalisés
+ disponibles. Avec ce fonds, tant qu'il durera, on pourra encore
+ marcher. Il y a encore moyen de trouver des acheteurs. Un M.
+ Godefroi, négociant à Hambourg, a fait sonder les dispositions de M.
+ Malchus pour un achat de quatre à cinq millions.
+
+ Et que deviendront, ai-je demandé à M. Pichon, les
+ obligations?--Elles n'auront plus de cours, elles tomberont à néant.
+ Voilà donc table rase pour le grand livre!
+
+ Il faut maintenant, a continué M. Pichon, que le Roi, connaissant
+ parfaitement l'état de ses finances, s'y conforme. Il est impossible
+ d'entretenir une armée westphalienne de 30,000 hommes, qu'on compte
+ augmenter encore. Le Roi dit que Sa Majesté l'empereur le veut
+ ainsi. Vous avez dit le contraire, que faut-il croire?--Le Roi,
+ ai-je répondu, ne m'a jamais dit que Sa Majesté le voulait ainsi,
+ mais seulement qu'elle ne désapprouvait pas son état militaire
+ actuel. Cette approbation me paraît conditionnelle. L'obligation de
+ remplir ses engagements envers la France est la première; qu'ensuite
+ le Roi entretienne une armée si ses finances peuvent y suffire, Sa
+ Majesté impériale, sans doute, n'a aucun motif pour s'y opposer. Je
+ dois dire cependant que la conduite des troupes westphaliennes en
+ Espagne n'a pas donné une haute opinion de la confiance qu'on peut y
+ placer; mais, à dire vrai, je doute que vous déterminiez Sa Majesté
+ à diminuer son armée. Le Roi, à cet égard, ressemble à un joueur qui
+ poursuit une grande chance, laquelle doit ou l'enrichir ou le
+ ruiner. Une fois engagé, il peut se croire obligé à doubler la mise.
+
+ Le Roi, a poursuivi M. Pichon, persiste à exiger que sa liste civile
+ soit de six millions: cela est impossible. D'ailleurs vous n'ignorez
+ pas que ses revenus ne se bornent point à cette somme, et que par
+ différents moyens il a su les augmenter encore considérablement.
+ Tels sont les capitaux ci-devant hessois qui d'après le traité de
+ Berlin ont une destination particulière. Tels sont les domaines
+ impériaux dont il s'est emparé et dont le trésor public a fourni ou
+ doit fournir l'indemnité. Les revenus de ses propres domaines ne
+ sont pas compris non plus dans les six millions. Enfin la liste
+ civile doit 600,000 francs à la caisse d'amortissement.
+
+ Voici, Monseigneur, ce que j'ai appris de M. Pichon sur cette dette.
+ À la fin de l'année dernière (probablement à l'époque où il y avait
+ à mettre au courant l'arriéré de la solde et de la masse des troupes
+ françaises), le trésor se trouvant sans fonds pour payer la liste
+ civile se fit avancer 400,000 francs par la caisse d'amortissement.
+ «Il y a eu depuis, dit M. Pichon, une reculade pour le
+ remboursement.» Il paraît donc que le trésor s'étant acquitté envers
+ la liste civile, la dette envers la caisse d'amortissement est
+ restée à la charge de celle-ci. À quelle époque cela a-t-il eu lieu?
+ Je l'ignore. J'ignore également comment de 400,000 francs la dette
+ est montée à 600,000 francs.
+
+ J'ai dit, Monseigneur, dans une lettre antérieure, qu'avec 3,200,000
+ fr. en caisse, M. de Malsbourg se proposait de payer au premier
+ juillet les coupons d'intérêt à bureau ouvert, et que c'était là que
+ le public attendait M. Pichon. Je sais qu'avec son air de
+ nonchalance ordinaire, M. Morio parlant du déficit de M. de Laflèche
+ a dit que c'eût été un bon moment pour restreindre les dépenses et
+ pour devenir sage; mais la liste civile ayant réussi à faire un
+ emprunt de 4,500,000 francs, on ne songeait qu'à bâtir et à faire
+ des folies; qu'ainsi était le Roi, que dès qu'il avait de l'argent
+ comptant, cela s'écoulait entre ses mains. Or personne n'a pu me
+ dire où et comment la liste civile a fait un emprunt de 4 ou 500,000
+ francs. Je poursuis.
+
+ J'ai conseillé au Roi, m'a dit M. Pichon, de mettre son budget sans
+ réserve sous les yeux de l'Empereur et de lui dire: Sire, voilà où
+ j'en suis, conseillez-moi, aidez-moi. Le Roi n'a pas voulu.....
+ Enfin le Roi se perd, si l'Empereur ne vient pas à son secours, s'il
+ n'interpose pas son autorité.
+
+ Ensuite M. Pichon me disant que sa place _actuelle_ était sans
+ responsabilité, et me rappelant ce que je lui avais dit dans le
+ temps, que comme garant de la Constitution westphalienne, Sa Majesté
+ Impériale s'en prendrait à la responsabilité des ministres, m'a
+ demandé si à ce sujet j'avais fait une notification par écrit. J'ai
+ répondu que non, mais que dans plusieurs circonstances j'avais
+ rappelé à tous et un chacun cette responsabilité.--Mais, a dit M.
+ Pichon, si les ministres n'agissent que par ordre du Roi? Le Roi
+ doit avoir au moins le même pouvoir dont jouit un maréchal ou un
+ gouverneur général.--Cela peut, ai-je répondu, n'être que
+ comminatoire; mais aussi cela peut un jour tomber sur la tête de
+ quelqu'un comme un coup de foudre.--Cela m'est égal, a dit M.
+ Pichon, je dirai toujours la vérité au Roi: je viens de la lui dire
+ fortement sur l'état déplorable des finances de sa maison: je lui
+ demanderai la permission d'aller à Paris. Là je lui dirai à quelles
+ conditions je pourrai le servir. Ses bienfaits m'ont mis au niveau
+ de mes dépenses. D'ailleurs avant tout je reste français: jamais je
+ ne prêterai un serment qui puisse me perdre cette qualité.
+
+ M. Pichon, Monseigneur, jouit en ce moment de la confiance presque
+ exclusive du Roi. Ce que cette conversation m'a démontré, c'est
+ qu'il se regarde déjà comme ministre des finances, mais qu'il se
+ fait encore illusion. M. Pichon est plein de franchise. Il est
+ infatigable au travail, son caractère honnête, ses connaissances
+ sont vastes, ses vues étendues; mais son esprit est souvent faux, et
+ son ambition égale sa présomption. Il m'a accusé d'avoir voulu
+ l'écarter des affaires: il a méconnu les conseils de l'amitié. Son
+ impatience et une malheureuse inquiétude, que lui avaient donnée ses
+ premières dépenses, l'ont jeté dans une fausse route. En le
+ plaignant, en prévoyant qu'il court à sa perte, mon opinion est et
+ doit être aujourd'hui qu'il n'y a que M. Pichon qui parmi les
+ aspirants que peut offrir la Westphalie puisse être ministre des
+ finances. Il est l'auteur des projets dont l'exécution va commencer;
+ l'impulsion est donnée, il est français, il fera prévaloir toutes
+ les idées d'administration française. Il dira au Roi la vérité ou ce
+ qu'il croira tel, par instinct et sans réfléchir. Il s'opposera
+ souvent à ses volontés: ses collègues s'accoutumeront à ses vues et
+ à sa manière d'être. Si le Roi me consultait, ce qu'il ne fera point
+ assurément, jamais je ne lui dirais qu'il faut nommer M. Pichon, je
+ ne veux pas avoir M. Pichon sur mon âme; mais quand il l'aura nommé,
+ je lui dirai que c'est là ce qu'il fallait faire pour être
+ conséquent.
+
+ Du reste, Monseigneur, si Votre Excellence se fait rendre compte de
+ ma correspondance, elle trouvera que M. Pichon ne m'a appris rien de
+ nouveau sur le _déficit_, et qu'après l'écart concernant la caisse
+ d'amortissement, on rentre dans l'ornière de M. de Bulow.
+
+ Mais cet écart, Monseigneur, ne peut pas laisser d'entraîner des
+ conséquences funestes. Dans la stagnation actuelle de toutes les
+ affaires, avec le bas prix des grains dans un état agricole qui
+ tirait de leur exportation la plus grande partie de son numéraire,
+ avec la vigueur qu'il faudra employer pour faire rentrer les impôts,
+ et ce qui reste à percevoir de l'emprunt forcé, la cessation absolue
+ du paiement des intérêts de la dette publique, événement inouï en
+ Allemagne, accroîtra nécessairement à un degré difficile à calculer
+ les embarras et la misère. On combinera avec cette mesure
+ l'isolement du Roi et le camp de Catharinenthal (qui au reste n'est
+ composé que de quelques bataillons de la garde). Mais le Roi en
+ partant pour Paris[136] laissera-t-il entre les mains de M. de
+ Bongars un pouvoir sans contrôle? Hélas! faudra-t-il prévoir des
+ malheurs que peuvent causer dans la nouvelle crise qui menace la
+ Westphalie des mesures qui ne seraient point guidées par la sagesse?
+
+ [Note 136: Il avait été invité à venir avec la Reine assister
+ au baptême du Roi de Rome.]
+
+
+Dans une autre lettre du 17 mai, Reinhard rapporte un entretien
+qu'il eut avec le roi, au sujet de l'approvisionnement à Magdebourg,
+et le refus absolu que Jérôme opposa à toutes ses demandes sur ce
+chapitre. Cependant le séjour que le roi fit à Paris lors des fêtes
+pour le baptême du roi de Rome fit fléchir ses résolutions qui
+semblaient si fermes. Comme le dit Reinhard: «On a toujours remarqué
+que le roi rapportait de Paris des maximes saines et des résolutions
+parfaites, qui ne durent pas toujours» (lettre à Bassano, du 8
+juillet); et il ajoute: «On a dû discuter au conseil des ministres
+les moyens d'approvisionnement. On tâchera de trouver des fonds pour
+l'acquisition des objets les plus pressants, qu'il faudra payer
+comptant. On se procurera les grains par voie de réquisition, et au
+moyen de bons payables en deux ans.»
+
+La même lettre jette un jour assez curieux sur la haute police en
+Westphalie:
+
+
+ Depuis que la haute police est à peu près détachée de la préfecture,
+ celle-ci prend son essor contre les contraventions à ses règlements
+ dans les rues et dans les cabarets. Comme elle tire ses fonds
+ principaux des amendes et d'autres revenant-bons qu'elle s'est
+ créés, son industrie s'exerce de mille manières. Elle a pour maxime
+ de laisser vieillir ses règlements pour faire donner dans le piège
+ plusieurs contrevenants à la fois. Alors les amendes pleuvent sur de
+ malheureux paysans ou ouvriers qui expient un délit commis par
+ ignorance par la perte du gain d'une semaine. La haute police, de
+ son côté, ne respecte pas davantage la liberté personnelle. Une
+ circulaire récente du général Bongars ordonne à tous les maires du
+ royaume de faire arrêter sur-le-champ toute personne qui leur
+ paraîtra suspecte. C'est le besoin de créer des contraventions et
+ des délits qui se commettent par des employés français; la règle est
+ de les renvoyer en France, lorsqu'ils s'en sont rendus coupables
+ d'une manière trop éclatante, afin d'en soustraire la connaissance
+ aux tribunaux du pays. C'est ainsi que dernièrement le chef du
+ bureau de recrutement au ministère de la guerre fut renvoyé en
+ France pour des malversations énormes. Cela peut n'être pas très
+ légal et peut avoir d'autres inconvénients encore; mais cela est
+ conforme à la prudence.
+
+ P. S.--Le retour de Mme Savagner n'a rien de commun avec la disgrâce
+ de son mari. Voici le fait. M. de Bercagny demandait à M. Savagner
+ des rapports très importants: celui-ci en demandait à ses
+ subalternes. L'un de ces hommes, voyant qu'on cherchait absolument
+ des indices de conspiration, imagina d'en forger une dans laquelle
+ il impliqua plusieurs personnages importants. Ce manège ayant duré
+ pendant quelques mois, le Roi eut enfin l'esprit de se douter que M.
+ Bongars et M. Bercagny étaient pris pour dupes. L'homme aux rapports
+ fut arrêté, menacé, confronté avec son commettant et finit par
+ avouer qu'il avait inventé toute la conspiration pour se faire
+ valoir. Sur cela le Roi a résolu de supprimer la préfecture de
+ police et l'on me dit que M. de Bercagny sera créé chambellan, ayant
+ la surintendance du spectacle[137].
+
+ [Note 137: On l'envoya plus tard préfet à Magdebourg.]
+
+
+Quelques jours après, nouvelle arrestation! C'est une lettre de
+Reinhard à Bassano, de Cassel, 15 juillet 1811, qui nous l'apprend:
+
+
+ Il s'est passé il y a trois jours un événement qui a beaucoup occupé
+ l'attention du public à Cassel. M. Savagner, secrétaire général de
+ la préfecture de police, a été arrêté pendant la nuit de jeudi
+ dernier, dans son lit, et ses papiers ont été visités. Le lendemain
+ on lui a signifié sa destitution et son bannissement de la
+ Westphalie. Il doit partir demain.
+
+ Il existe plusieurs versions sur la cause de cette disgrâce. On
+ l'attribue à des malversations découvertes, à des propos offensants
+ tenus sur la personne du Roi (et en effet quelques personnes ont
+ subi des interrogatoires à ce sujet); à la dénonciation faite par M.
+ Savagner d'une prétendue conspiration qui s'est trouvée sans
+ fondement; enfin à des poursuites dirigées contre lui par le
+ gouvernement français pour d'anciennes malversations commises en
+ France.
+
+ La lettre du Roi, adressée à ce sujet au ministre de l'Intérieur et
+ que j'ai lue, porte: que le sieur Savagner ayant, par des pratiques
+ hautement repréhensibles, cherché à surprendre notre religion et à
+ abuser de la confiance que nous accordons à toutes les autorités
+ instituées par nous, Nous ordonnons, etc.
+
+
+Une affaire d'une autre nature vint à cette époque (juillet 1811)
+indisposer l'empereur contre les agents du roi de Westphalie. Un
+certain Hermann, commissaire à Magdebourg, fît, le 9 de ce mois, un
+rapport à M. de Sussy sur la conduite du préfet de Magdebourg.
+
+Napoléon prit connaissance de cette pièce et la transmit au duc de
+Bassano avec la lettre suivante omise à la _Correspondance_:
+
+
+ Trianon, 20 juillet 1811.
+
+ Je vous envoie une lettre du sieur Hermann, commissaire à Magdebourg
+ pour la réception des marchandises coloniales provenant de la
+ Prusse. Vous y verrez quelle est la conduite du préfet de
+ Magdebourg. Parlez-en au ministre de Westphalie; écrivez à mon
+ ministre à Cassel de porter plainte contre le préfet de Magdebourg;
+ chargez-le d'exprimer à cette cour tout mon mécontentement que dans
+ une ville que j'ai conquise et où sont mes troupes, on tienne une
+ conduite aussi contraire à mes intérêts; qu'on n'aurait point osé se
+ comporter ainsi dans un pays ennemi.
+
+
+Voici maintenant le rapport du sieur Hermann, en date de Magdebourg,
+9 juillet 1811:
+
+
+ Permettez-moi d'appeler un moment votre attention sur un objet dont
+ j'ai déjà eu l'honneur de vous entretenir plusieurs fois. C'est le
+ défaut d'emplacement et la mauvaise volonté de M. le comte de
+ Schullembourg, préfet de cette ville.
+
+ Cet administrateur a témoigné cette mauvaise volonté dans toutes les
+ occasions depuis le premier jour où il a été question de faire ici
+ l'entrepôt des marchandises coloniales. À chaque demande j'ai
+ éprouvé un refus. Pour chaque grenier de la douane, pour chaque
+ emplacement il m'a fallu faire intervenir l'autorité du gouverneur
+ de Magdebourg et le préfet a semblé prendre à tâche de jeter par là
+ de l'odieux sur l'opération dans la ville, et de la rendre
+ désagréable au gouvernement de Cassel.
+
+ Le 4 de ce mois, me voyant à la veille de manquer tout à fait
+ d'emplacement, j'ai été voir M. le préfet pour lui demander une
+ église convenable: il me l'a refusée sous un prétexte. Je lui en ai
+ proposé trois autres: il me les a refusées sous d'autres prétextes.
+ Tout avec lui est embarras. Enfin, voulant éviter de faire usage de
+ l'autorité militaire, j'ai écrit à M. le préfet la lettre que vous
+ trouvez ci-jointe. Il m'a répondu le lendemain. Il est impossible en
+ lisant sa lettre de se dissimuler que M. le préfet est plein d'un
+ venin secret qu'il ne peut s'empêcher de répandre lorsqu'il s'agit
+ de la France. En réponse je lui ai adressé le numéro 3 et j'ai tâché
+ de lui faire sentir le plus doucement possible combien ses
+ observations étaient déplacées. Il m'a répliqué par le numéro 4. Il
+ est impossible de faire une proposition plus absurde à un
+ commissaire de Sa Majesté l'Empereur, de lui prescrire des
+ conditions d'une manière plus impérative. J'ai répondu à cela par
+ une lettre nº 5 et il a fini par m'envoyer celle nº 6, dans laquelle
+ il se plaît encore à s'escrimer contre les fonctionnaires publics
+ qui lui ont, dit-il, souvent manqué de parole.
+
+ Je pourrais encore laisser à M. le préfet la consolation de se
+ démener contre les Français et les fonctionnaires publics de la
+ France, mais il me déclare positivement, dans sa lettre nº 4, que
+ dans aucun cas il ne peut plus rien faire pour l'opération dont je
+ suis chargé, c'est-à-dire qu'il ne me donnera plus aucun
+ emplacement. L'église Sainte-Catherine que je me suis vu forcé de
+ prendre est une des plus petites de la ville. Elle est dans un
+ grand éloignement, elle est voûtée en dessous, et par conséquent a
+ besoin d'être ménagée. Elle ne contiendra pas les 10,000 quintaux
+ métriques environ qu'il me reste à faire débarquer de
+ l'arrondissement de Stettin; mais il me faudrait deux églises encore
+ pour mettre à couvert les 40,000 quintaux métriques qui doivent
+ venir de Koenigsberg. Par la mal-façon du préfet, aujourd'hui déjà
+ il a fallu suspendre le déchargement et il ne pourra être repris
+ qu'après-demain, parce que l'église ne peut être évacuée plus tôt.
+ Les Prussiens ne se plaignent pas d'un si petit retard; mais si, à
+ l'arrivée des barques de Koenigsberg, il y avait un retard de quinze
+ jours seulement, ils auraient droit, ce me semble, de demander un
+ dédommagement.
+
+ Ayez la bonté, je vous prie, Monsieur le comte, de faire un rapport
+ à ce sujet à Sa Majesté l'Empereur et de la supplier de vouloir bien
+ charger son ministre à Cassel de demander au gouvernement
+ westphalien qu'il soit adressé ordre au préfet de Magdebourg de
+ mettre à ma disposition les emplacements qui me seront nécessaires
+ et de mettre à cela autant de bonne volonté qu'il en a mis de
+ mauvaise jusqu'à présent; autrement je ne puis répondre de rien. Le
+ préfet semble prendre à tâche de forcer le général à user de
+ l'autorité militaire pour pouvoir crier à la tyrannie. Le général ne
+ se soucie pas de se faire trop de querelles avec le gouvernement
+ westphalien. En conséquence je risque de rester avec les bateaux en
+ panne sur l'Elbe sans pouvoir rien mettre à terre.
+
+ Je crains aussi qu'en faisant tant de bruit pour une église on
+ n'indispose la canaille et qu'elle ne cherche à mettre le feu à
+ quelque magasin. Je crois qu'il serait bon de faire quelques
+ largesses aux pauvres de la paroisse de l'église Sainte-Catherine.
+ Si vous m'y autorisez, je leur ferai donner 2 ou 300 écus, ce qui
+ est beaucoup moins que le loyer que coûterait un pareil emplacement,
+ et lorsque je serai forcé de demander une autre église, les pauvres
+ de la paroisse qui s'attendront aussi à un bienfait s'en réjouiront
+ au lieu de s'en affliger. Il n'y a pas un meilleur moyen de répondre
+ aux sarcasmes du préfet.
+
+
+Envoyé à Brunswick pendant la foire importante qui se tenait chaque
+année dans cette grande ville, pour observer les dispositions des
+habitants, Reinhard y séjourna quelques semaines, rendit compte de
+ce qu'il avait observé et reprit, à son retour à Cassel, sa
+correspondance avec le duc de Bassano.
+
+Au commencement de décembre 1811, les bruits de guerre avec la
+Russie ayant pris une certaine consistance, le roi Jérôme crut
+devoir adresser une longue lettre à son frère, pour mettre sous ses
+yeux le tableau fidèle de la situation de ses États. Il lui écrivit
+donc de Cassel le 5 décembre une lettre[138], où Jérôme donnait à
+son frère, dans un langage cette fois vraiment noble et élevé,
+presque prophétique, des avertissements auxquels Napoléon répondit
+par cette lettre sèche et dure (10 déc. 1811), qui n'est ni dans la
+_Correspondance_, ni aux _Mémoires de Jérôme_:
+
+ [Note 138: Lanfrey en cite un fragment au dernier vol. de son
+ _Histoire de Napoléon_, V, 502.]
+
+
+ Mon frère, je reçois votre lettre du 5 décembre. Je n'y vois que
+ deux faits: 1º que les propriétaires à Magdebourg, à Hanovre
+ abandonnent leurs maisons pour ne pas payer les surcharges que vous
+ leur imposez;--2º que vous croyez n'être pas sur de vos troupes et
+ que vous m'avertissez de ne pas compter sur elles. Quant au premier
+ objet, il ne me regarde pas. Je vous ai constamment recommandé
+ d'avoir pour principe de contenir les ennemis de la France, de ne
+ point leur donner une excessive confiance, d'assurer la place
+ importante de Magdebourg en accordant plus de confiance aux généraux
+ qui y commandent, enfin de mettre de la suite et de l'économie dans
+ le système des finances de la Westphalie.
+
+ Quant au second objet, c'est ce que je n'ai cessé de vous répéter,
+ depuis le jour où vous êtes monté sur le trône: peu de troupes, mais
+ des troupes choisies et une administration plus économique auraient
+ été plus avantageuses à vous et à la cause commune. Quand vous aurez
+ des faits à m'apprendre, j'en recevrai la communication avec
+ plaisir. Quand, au contraire, vous voudrez me faire des tableaux, je
+ vous prie de me les épargner. En m'apprenant que votre
+ administration est mauvaise, vous ne m'apprenez rien de nouveau.
+
+
+L'empereur n'en prit pas moins en sérieuse considération ce que
+Jérôme lui écrivait, car il manda le même jour, 10 décembre 1811, à
+son ministre des relations extérieures:
+
+
+ Monsieur le duc de Bassano, je vous envoie pour vous seul une lettre
+ du roi de Westphalie que vous me renverrez. Tirez-en la substance,
+ non sur la forme d'une lettre du Roi, mais comme extrait d'une
+ communication de la Cour de Cassel. Vous enverrez cet extrait à mon
+ ministre à Cassel, et vous le chargerez d'avoir des conférences avec
+ les ministres du Roi, pour connaître les faits, ce qui a donné lieu
+ à cette opinion qui paraît être celle du Roi, enfin quel est le
+ remède. Si les troupes ne sont pas sûres, à qui en est la faute? Le
+ Roi lève trop de troupes, fait trop de dépenses et change trop
+ souvent ses principes d'administration. Mon ministre fera vérifier
+ les faits à Magdebourg, à Hanovre; la France ne tire cependant rien
+ de ces pays. Vous lui recommanderez d'avoir des conférences
+ sérieuses avec les ministres du Roi, de bien asseoir son opinion sur
+ ces différentes questions et de vous les faire connaître.
+
+
+Les lettres qui suivent présentent un intérêt moins général:
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 19 décembre 1811.
+
+ La haute police du royaume déploie en ce moment une activité assez
+ grande. La nomination des commissaires de police, même dans les
+ petites villes, qui jusqu'à présent avait appartenu au ministère de
+ l'intérieur, sera désormais du ressort de la haute police. Elle fait
+ tenir par la gendarmerie jusque dans les bourgs et dans les villages
+ des registres où le nom et la fortune de presque tous les habitants
+ se trouvent inscrits et où il y a une colonne d'observations.
+ Plusieurs arrestations, dit-on, ont eu lieu, soit ici, soit
+ ailleurs. Quelques employés des postes surtout ont été ou arrêtés ou
+ renvoyés, soit pour avoir favorisé des correspondances suspectes,
+ soit pour s'en être permis eux-mêmes qui ne convenaient point. Un
+ jeune étudiant de Goettingue a été conduit à Cassel pour avoir écrit
+ une lettre où il racontait avec une inexpérience enfantine
+ l'histoire du transparent. Comme il n'a que dix-huit ans, qu'il
+ n'est venu à l'Université que depuis six semaines et qu'il a de bons
+ témoignages concernant la régularité de sa conduite et son assiduité
+ aux études, il a été relâché avant-hier après une détention de
+ quinze jours. Ils s'appelle Westphal et est natif de Berlin. Le
+ ministre de Prusse avait intercédé en sa faveur. On nomme aussi
+ quelques personnes, du reste insignifiantes, dont on a examiné les
+ papiers.
+
+ Il paraît, cependant que, dans certaines circonstances, le zèle de
+ la haute police passe un peu la mesure. Un baron d'Elking, natif de
+ Brème, dont le père avait été syndic de cette ville, arrivé ici avec
+ ses propres chevaux et deux domestiques, ayant pris des chambres
+ dans une maison particulière et averti qu'il fallait se munir d'une
+ carte de sûreté, avait envoyé son chasseur chez M. de Bongars, qui
+ connaissait sa famille, pour demander cette carte et pour lui
+ annoncer sa visite pour le lendemain. La commission fut mal faite
+ et, au milieu de la nuit, M. d'Elking fut obligé de quitter son lit
+ et fut conduit à la police. Il semble que, dans ce cas, ce sont
+ d'abord les propriétaires qui sont responsables, qu'ensuite,
+ lorsqu'il s'agit de simples éclaircissements, la police en prenant
+ ses précautions pourrait attendre le jour pour se les faire donner.
+ Quoi qu'il en soit, M. d'Elking s'étant présenté chez moi comme
+ sujet français et m'ayant raconté ce fait, j'ai cru devoir dire au
+ commissaire général de police que si pareille chose arrivait encore
+ à un sujet français, je serais obligé de m'en plaindre à sa cour et
+ à la mienne.
+
+ On croit ici que la haute police, en redoublant en ce moment de
+ surveillance, suit les directions de M. le maréchal prince d'Eckmuhl
+ et que ces mesures sont liées à celles de l'arrestation du sieur
+ Becker à Gotha.
+
+
+Le 24 décembre, le général Morio, grand écuyer, fut assassiné dans
+les écuries du Roi par un maréchal-ferrant: Reinhard rendit compte
+de cet événement et de la mort du général par une lettre en date du
+25, dont nous extrairons un passage:
+
+
+ Le général Morio est tombé victime d'une vue sage et dictée par
+ l'esprit de justice qui l'avait porté à employer dans son
+ administration des ouvriers allemands, concurremment avec les
+ ouvriers français. Il avait adjoint un maréchal ferrant d'Hanovre à
+ son assassin qui, blessé encore par un refus d'augmentation de
+ gages, demanda et obtint son congé. Cet homme était au service du
+ Roi depuis sept ans: il paraît qu'il se sentit humilié, soit de
+ rester ici sans emploi, soit de rentrer en France. On avait toujours
+ remarqué quelque chose de sournois dans son caractère; aussi le
+ général, tombant du coup, s'écria: «C'est Lesage qui me tue.»
+
+ Comme en histoire naturelle on croit utile de faire la description
+ de certains monstres, on doit attacher quelqu'intérêt à connaître
+ l'action monstrueuse de cet homme dans ses motifs et dans ses
+ développements. Il est né à Tarascon, pays, dit-on, fertile en
+ contrebandiers et où les assassins ne sont nullement inconnus. On
+ ignore s'il a joué un rôle dans la Révolution; mais au service du
+ Roi il s'est toujours bien conduit; aussi n'avait-on pas fait la
+ moindre difficulté de lui accorder le certificat de bonne conduite
+ qu'il demandait pour rentrer en France. On lui offrit des frais de
+ voyage qu'il refusa avec hauteur, mais le lendemain il revint dire à
+ M. de Saint-Sauveur qu'il avait réfléchi sur ce qu'on trouverait son
+ refus insolent et qu'il accepterait l'indemnité. Il possédait une
+ paire de pistolets: il en acheta une seconde sous le prétexte qu'on
+ volait du fer dans son atelier, ou plutôt ce vol était véritable, et
+ ce fut le général Morio qui donna l'ordre de lui fournir des armes.
+ Chargé de chaînes, voici ce qu'il a déclaré au général Bongars dans
+ son interrogatoire:
+
+ «Depuis plus d'un mois, j'étais déterminé à tuer ou le général Morio
+ ou M. de Gilsa et ensuite à me tuer moi-même; mais c'est depuis le
+ 19 que ma résolution était de les tuer l'un et l'autre, Gilsa parce
+ qu'il a donné le mauvais conseil, Morio le premier parce qu'il l'a
+ exécuté. Depuis le 19, le général Morio se trouva plusieurs fois à
+ portée de mon pistolet; mais je voulais attendre qu'ils fussent
+ réunis. Lorsque j'ai voulu tirer le second coup sur Gilsa, j'ai
+ trouvé dans mon point de mire M. de Saint-Sauveur qui est honnête
+ homme, c'est ce qui a sauvé Gilsa.» Son second coup n'a point été
+ tiré contre M. de Saint-Sauveur, mais contre un palefrenier qui l'a
+ échappé par un miracle. La balle s'est coupée en deux contre une
+ petite clef qu'il avait dans sa poche et qui s'est dessinée sur sa
+ chair.--«Mais comment, dit M. de Bongars, avez-vous pu commettre un
+ pareil crime pour une bagatelle?»--«Mon honneur a été outragé; vous,
+ dans ce cas, lui auriez demandé raison; et il aurait été obligé de
+ vous la faire. Moi, on m'aurait jeté dans un cul de basse-fosse et
+ chassé du royaume. Ainsi ne pouvant le tuer par devant je l'ai tué
+ par derrière.»--«Mais il ne mourra pas,» dit M. de Bongars.--«Il
+ mourra, dit le scélérat, j'ai vu le trou où la balle est entrée.»
+
+ On a trouvé chez lui le testament qu'il avait annoncé. Il y est dit
+ que Morio et Gilsa étant deux coquins qui trompaient le Roi, il a
+ voulu en faire justice. «Lorsque je ferrais seul les chevaux,
+ disait-il encore, pas un clou ne portait à faux; depuis que ce
+ misérable Allemand m'est adjoint, il y a toujours six chevaux au
+ moins qui couchent sur la litière.»
+
+ Depuis qu'il est arrêté, il n'a voulu ni manger ni boire. «Les
+ formalités de mon procès, dit-il, seront assez longues pour me
+ donner le temps de mourir de faim et de n'être pas déshonoré par la
+ mort sur l'échafaud.» Il a mangé depuis.
+
+ Tous, Français et Allemands trouvent un adoucissement au chagrin que
+ cause cette catastrophe en ce que l'assassin n'est pas un Allemand.
+ Tous frémissent de l'idée des conséquences qu'aurait pu entraîner le
+ même coup si l'on avait pu l'attribuer à l'esprit de parti.
+
+ La dissection du cadavre a montré la balle dans la moelle épinière
+ même. Aussi le général s'est-il cru mort du premier moment. Toute la
+ partie inférieure de son corps était sans sentiment. Dans son
+ testament, qu'il a dicté et signé, il a légué les trois quarts de
+ son bien à sa femme enceinte et l'autre quart à ses frères qui sont
+ sans fortune.
+
+
+La mort tragique du général Morio causa un vif chagrin au jeune roi;
+dans un bulletin expédié à Paris par Reinhard, le 9 janvier 1812, il
+est question de la somme dépensée au service funèbre.
+
+
+ Depuis la mort du général Morio on regarde comme les hommes les plus
+ influents les généraux Bongars et Allin. Le roi lui-même a dit à ce
+ dernier qu'il espérait qu'il remplacerait Morio. C'est un excellent
+ officier d'artillerie, du reste très sourd au physique et au moral
+ et ne connaissant que ses mathématiques. Son nom, très probablement,
+ reparaîtra quelquefois dans ma correspondance.
+
+ Le roi est toujours inquiet des conspirations. M. Bongars doit avoir
+ découvert à Brunswick un embaucheur et fait arrêter un fermier
+ chargé de fournir les fonds. Il est très vrai que sur les revenus
+ des dotations hanovriennes il n'y a que 300,000 francs de payés, et
+ que le reste est assigné sur des marchés conclus dont le produit
+ n'est pas encore tout à fait disponible. À plus forte raison, je ne
+ puis croire au paiement du premier terme du capital. On se flatte
+ ici que l'indemnité pour la nourriture de nos troupes sera imputée
+ sur les 2,400,000 francs dus en 1812 pour la contribution de guerre,
+ et c'est ainsi qu'on fait les fonds pour la dette la plus pressée.
+ J'en ai la preuve sous les yeux.
+
+ On se montre une liste des cadeaux faits par le roi depuis
+ l'incendie du château. La voici: la maison et mobilier au comte de
+ Bochholtz, 100,000 francs; la maison et mobilier au comte de
+ Loewenstein, 80,000 francs; gratification aux cinq ministres sur le
+ produit des bulletins des lois, 50,000 francs; à Mme Morio: en or,
+ 36,000 francs, plus un médaillon en diamants avec les portraits du
+ roi et de la reine, 10,000 francs, enterrement du général Morio,
+ 20,000 francs; sur le budget du ministre de l'intérieur, loterie de
+ bijoux à Catharinenthal, 25,000 francs; à la reine, en perles,
+ 36,000 francs; budget du grand écuyer, 850,000 francs.
+
+
+Quelques jours après l'envoi de ce bulletin, le 23 janvier 1842,
+Reinhard terminait une longue lettre au duc de Bassano par les deux
+phrases suivantes omises aux _Mémoires de Jérôme_:
+
+
+ Il paraît que depuis les dernières représentations faites lors de
+ l'enterrement du général Morio, le roi boude le corps diplomatique.
+ Entre les bals masqués qui se donnent chez les ministres de Sa
+ Majesté, il y en a de masqués et de parés à la cour même, dont les
+ ministres étrangers sont exclus. Cela fait beaucoup de peine au
+ ministre d'Autriche qui a été mon principal instigateur (?), mais
+ qui n'en aime pas moins à savoir où passer ses soirées.
+
+ Le public de Cassel, qui a entendu parler des dernières libéralités
+ du roi et qui est témoin des plaisirs du Carnaval, prétend que la
+ cour jette l'argent par les fenêtres parce que le roi sait que
+ Cassel ne sera pas longtemps sa résidence.
+
+
+En même temps que ces lettres et ces bulletins de Reinhard étaient
+mis sous les yeux de l'empereur, ce dernier recevait de son frère
+une dépêche en date du 11 janvier (_Mémoires du roi Jérôme_, vol.
+5e, page 179), dans laquelle le roi, exposant la situation précaire
+des finances de son royaume, implorait un dégrèvement. On conçoit
+que les rapports du ministre de France à Cassel n'étaient pas de
+nature à engager Napoléon à satisfaire au désir du roi de
+Westphalie.
+
+Vers cette époque la guerre avec la Russie devenait de jour en jour
+plus probable. Napoléon manda à tous les princes de la Confédération
+qu'ils eussent à préparer leur contingent. Jérôme s'empressa de
+seconder de tout son pouvoir, dans ses États, les intentions de son
+frère.
+
+Le 17 janvier 1812, Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano:
+
+
+ On lit déjà dans le _Moniteur westphalien_ quelques nominations qui
+ semblent indiquer que l'armée va être mise sur le pied de guerre. Le
+ roi a nommé deux payeurs-généraux et plusieurs officiers
+ d'ordonnance parmi lesquels on cite MM. de Lowenstein et de
+ Badenhausen, chambellans, et un comte de la Lippe. Le prince de
+ Hesse-Philippsthal dont le mariage avec sa nièce va se célébrer
+ aujourd'hui sera un des aides-de-camp de Sa Majesté. On dit dans le
+ public que le quartier général du roi sera à Erfurth. Le général de
+ Hammerstein se dispose à partir pour prendre le commandement de
+ l'avant-garde. Tous les officiers, toute la cour, s'il était
+ possible, voudraient joindre l'armée.
+
+ Il y a eu pendant le Carnaval six bals masqués chez les ministres du
+ roi et les grands officiers, deux bals masqués et deux bals parés à
+ la cour, dans ce qu'on appelle l'intérieur, et un bal paré aussi
+ dans l'intérieur chez M. de Furstenstein. Le roi a défendu que le
+ dernier bal masqué qui devait se donner hier au théâtre eût lieu,
+ attendu que le carême a commencé.
+
+ La remise des cinq dotations, montant à un revenu de 145,000 francs
+ dont le roi s'était emparé en 1809 et que plusieurs traités avec la
+ France l'avaient forcé de rendre, a enfin été effectuée. J'avais
+ annoncé dans mes numéros 263 et 264 que le roi s'en était indemnisé
+ pour une somme de 3 millions d'obligations provenant de créances du
+ roi d'Angleterre sur le pays d'Hanovre dont M. Pichon avait fait
+ cadeau à Sa Majesté; mais il y a eu double indemnité. La direction
+ des domaines de l'État a cédé au roi pour 2 millions de biens du
+ clergé de Hildesheim; elle a reçu en échange une dotation qui devait
+ être restituée, et c'est elle qui ensuite l'a rendue au donataire.
+ Un contrat formel a été passé à ce sujet entre le roi et M. Malchus.
+ En récompense ce ministre a reçu du roi, le 9 de ce mois, 20,000
+ francs de sa cassette et 100,000 francs en obligations de l'emprunt
+ forcé, bonnes à employer comme argent comptant dans l'acquisition de
+ la terre de Marienborn dont M. Morio n'avait pas consommé l'achat.
+ La manière dont les intérêts de Mme Morio ont été stipulés dans
+ cette occasion m'est encore inconnue. À ces faits qui, ainsi que
+ plusieurs dont j'ai déjà fait mention, sont tous connus du public,
+ il faut en ajouter d'autres qu'on ne croit ici pouvoir expliquer que
+ par la supposition que le roi a cessé entièrement de prendre intérêt
+ à la situation de son royaume. Il a donné au sieur Roulland, son
+ deuxième chirurgien, 100,000 francs en obligations, pour lui faire,
+ dit-il, 4,000 francs de revenu. Cet homme, à qui le roi n'avait
+ presque jamais adressé la parole, est tombé des nues. Un comte de
+ Blumenthal, ancien maire de Magdebourg, ensuite chambellan, retiré
+ dans ses terres, enfin revenu à Cassel pour s'y établir, a reçu
+ 12,000 francs.
+
+ Je regarde, Monseigneur, ces dernières prodigalités comme l'effet de
+ l'impression qu'ont fait sur l'esprit du roi les communications
+ récentes que j'ai été chargé de faire. Il se raidit en se punissant
+ lui-même contre les reproches trop fondés qui lui ont été adressés.
+ Il regarde la Westphalie comme perdue pour lui. Il met toutes les
+ chances dans son armée et dans le commandement qu'il espère obtenir.
+ Tous ses regards se tournent sur la Prusse et sur la Pologne; mais
+ l'impression que tout cela fait sur le public et sur tous ses
+ serviteurs honnêtes est inexprimable. Le public date cet abandon ou
+ le laisse aller de l'incendie du château. D'un autre côté, il n'est
+ que trop vrai que depuis l'entrée au ministère de M. de Malchus,
+ depuis le travail du budget qui a mis à nu son impuissance et la
+ disproportion entre les recettes et les dépenses, le désordre et la
+ corruption se répandent d'une manière effrayante dans toutes les
+ branches de l'administration.
+
+ Les administrations militaires subalternes en sont surtout
+ infectées. M. Pichon garde le silence depuis qu'il habite le palais
+ le mieux meublé de Cassel; mais au moins il travaille. Les
+ conseillers d'État allemands sont tous sans la moindre influence.
+ L'abattement est dans toutes les âmes.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 30 janvier 1812.
+
+ Si tout ce que je viens d'alléguer tend à prouver que la Westphalie
+ en ce moment possède encore des moyens pour faire ce que lui
+ prescrit une politique sage et dévouée en ne désorganisant point le
+ service accoutumé et régulier des fournitures à faire aux troupes
+ françaises, Votre Excellence d'un autre côté est assez informée par
+ mes rapports journaliers que la détresse des finances westphaliennes
+ est réelle, qu'elle va en croissant, et qu'un surcroît d'avances à
+ faire les épuiserait totalement dans un avenir très prochain. Pour
+ faire juger Votre Excellence à quel point on se procure ici des
+ ressources, je n'ai qu'à citer ce que je tiens de Sa Majesté
+ elle-même, que les domaines de l'État se vendent à neuf et à huit
+ fois le revenu. Une dépréciation pareille aurait probablement lieu
+ si l'on se pressait de vendre à la fois une trop grande quantité des
+ produits des mines qui peuvent être encore disponibles. Le banquier
+ Jacobson avec lequel on a conclu les derniers marchés parait avoir
+ fait une spéculation dans l'hypothèse d'une guerre prochaine. C'est
+ la même hypothèse qui a fait monter assez considérablement le prix
+ des grains.
+
+ Un observateur placé hors de la Westphalie, mais dans le voisinage,
+ que j'avais interrogé sur la disposition des esprits et que je crois
+ digne de confiance, m'écrit: «Je suis sûr, comme vous, qu'il n'y a
+ pas encore de danger pressant. Il n'y a ni foyer de mécontents, ni
+ point de ralliement, ni chef de parti; au contraire, il n'y aurait
+ ni plainte, ni élan si on montrait de la confiance aux nouvelles
+ grandes familles et si on allégeait les impôts; aussi longtemps que
+ régnera une parfaite cordialité, une tranquille aisance, il n'y a
+ rien à craindre dans ce qui est soumis au grand empereur. On admire,
+ on craint, on respecte dans les petites souverainetés autrichiennes
+ (j'excepte Coethen). On aime et on se tranquillise; mais c'est la
+ Westphalie où le mécontentement est bien grand. L'idée qu'on a du
+ luxe, de la pompe asiatique de la cour, au lieu d'en imposer, aliène
+ les esprits. On ne croit pas à la pureté des moeurs. On exagère sans
+ doute dans les contes qu'on en fait; mais tout cela attire une
+ grande mésestime, et puis les impositions toujours nouvelles
+ occasionnent des plaintes aussi toujours nouvelles et mènent au
+ désespoir. Les pays de Hesse, Paderborn ne sont pas riches du tout.
+ Ils n'ont pas de ressources, ils n'ont que des pleurs. Si le coeur
+ compatissant du roi savait la pure vérité, tout changerait bientôt
+ de face. De plus, on s'imagine que le maître actuel pourra recevoir
+ une autre destination. Le manque d'héritier augmente les
+ inquiétudes. Si on fait des contes dangereux en parlant
+ d'insurrections qui éclateront, on ne peut nier qu'il y en a des
+ germes. Peut-être si on avait à faire à d'autres pays qu'à
+ l'Allemagne, ce serait bien pire; mais vous savez que le Germain est
+ tranquille, patient, ami de l'ordre, peu fait pour les révolutions;
+ seulement il ne faut pas le pousser à bout.
+
+ Si le roi, au lieu de se dédire des fournitures, avait dit: «Tous
+ les fonds de l'État sont insuffisants aux dépenses courantes; mais
+ le moment presse; voilà ma liste civile de six millions. J'en
+ consacre un pour l'entretien des troupes de mon frère. Plus de bals
+ masqués, plus de cadeaux pour les costumes jusqu'à ce que j'aie
+ pourvu à l'essentiel. L'emploi des capitaux qui m'ont été cédés par
+ l'empereur sera pour l'armée.» Mais au lieu de cela on montre une
+ avidité scandaleuse pour faire payer d'avance le cadeau de 400,000
+ francs qu'on a fait offrir par la ville à la reine; et on laisse là
+ des casernes à moitié achevées. On se fait remplacer par des
+ domaines de l'État les cinq domaines qu'il a fallu restituer aux
+ donataires impériaux; et dans la crise la plus importante on vit
+ dans une dissipation de dépenses et d'amusements qui fait dire dans
+ la ville de Cassel et dans tout le royaume que le roi n'agit ainsi
+ que parce qu'il se voit au dernier jour de son règne.
+
+ Il est douloureux, Monseigneur, d'avoir à dire ces vérités, mais je
+ serais coupable en les dissimulant.
+
+
+Continuant ses investigations sur la conduite et les libéralités du
+jeune roi, M. Reinhard adresse encore au duc de Bassano les lettres
+suivantes:
+
+
+ Cassel, le 20 février 1812.
+
+ J'ai reçu en même temps une lettre pour M. le ministre de la guerre
+ de Westphalie où Monseigneur le major général de la grande armée
+ demande l'état de situation du contingent westphalien qu'il évalue
+ environ à 21,000 hommes, 3,400 se trouvant à Dantzig et 600 en
+ Espagne. M. le comte de Hoene m'a dit que les troupes mises sur le
+ pied de guerre atteignaient de bien près ce nombre. Il a observé, au
+ reste, qu'il fallait porter à 1,200 celui des troupes qui se
+ trouvaient en Espagne, savoir: un bataillon de 600 hommes en
+ Catalogne et un régiment de cavalerie légère de 600 hommes à l'armée
+ du Midi. Je lui ai demandé si le roi regardait son contingent comme
+ devant être composé en entier de Westphaliens?--«Sans doute, a-t-il
+ répondu, puisque nous n'avons aucune autorité sur les 12,500 hommes
+ de troupes françaises.»--«Je ne fais, ai-je dit, cette question que
+ pour mon instruction particulière, elle n'a point d'autre objet.» Du
+ reste, M. le comte de Hoene ne m'a point dissimulé que le mot
+ _contingent_ dont la France avait soin de se servir en parlant de
+ l'armée westphalienne ne lui paraissait pas d'un heureux augure pour
+ le désir du roi d'obtenir un commandement particulier.
+
+ On se flatte de faire réussir à Francfort la négociation d'un
+ emprunt de deux millions contre un dépôt de la valeur de trois
+ millions en produit des mines. Il est aussi question d'une vente de
+ sels à l'extérieur pour la valeur d'un million. M. Pichon prévoit un
+ déficit de vingt millions, seulement pour les six premiers mois de
+ cette année.
+
+ Le roi a envoyé, le jour des noces du prince de Hesse-Philippsthal,
+ à la mariée une corbeille magnifique et au prince, dit-on, un
+ portefeuille contenant deux cent mille francs en obligations. Je ne
+ saurais encore garantir ce dernier fait qui s'est accrédité dans le
+ public, sans doute pour rester en proportion des autres libéralités.
+
+
+ Cassel, 27 février 1812.
+
+ L'emprunt de deux millions négocié à Francfort pour le gouvernement
+ westphalien par le banquier Jordis au moyen d'un dépôt en produits
+ des mines paraît avoir réussi, on dit même qu'il pourra être porté à
+ trois millions. Je n'en connais encore les conditions que très
+ imparfaitement. On ne croit point qu'elles soient fort avantageuses,
+ mais les besoins étaient urgents. On me fait espérer positivement
+ qu'une partie de cet argent sera employée à remplir les obligations
+ contractées envers la France, et particulièrement à payer les
+ 400,000 francs sur la contribution de guerre échus au 31 janvier.
+
+ Le roi continue à faire des donations entre vifs, en obligations qui
+ lui appartiennent sur l'État. M. le comte de Furstenstein a encore
+ reçu deux cent mille francs le jour de la fête de la reine. M.
+ Malchus a fait pour M. Siméon l'acquisition d'une terre dont il
+ paraît que le roi avancera les fonds et qui a été adjugée à 168,000
+ francs. Ces obligations sont au porteur. Elles ne sont qu'au cours
+ de 44; mais il paraît que le roi autorise quelquefois à les faire
+ valoir davantage en acquisitions de domaines. M. Pichon a remis au
+ roi, il y a peu de temps, pour 500,000 francs de ces obligations; il
+ vient d'en signer d'autres pour 600,000 qui seront mises à la
+ disposition de Sa Majesté. Voilà la raison pourquoi le système d'un
+ grand livre à inscriptions et transferts n'a pas été adopté. Le roi
+ se croyait dévoilé par cette formalité; cependant le secret n'en est
+ pas mieux gardé et les libéralités qui se font n'en peuvent pas
+ moins être constatées. Le roi se regarde en ce moment (ce sont les
+ expressions de plusieurs de ses serviteurs) comme un gouverneur qui
+ va quitter sa province et qui se débarrasse des effets qu'il ne peut
+ ou ne veut pas emporter.
+
+
+Dans une lettre du 12 mars 1812, Reinhard donne encore un exemple de
+la prodigalité du roi:
+
+
+ Le roi a donné à la fille du conseiller d'État Coninx, ancien
+ intendant des domaines royaux, une dot de deux cent mille francs en
+ obligations. Abstraction faite de tout ce qu'on peut dire pour ou
+ contre les motifs qu'il a pour faire de tels dons, provenant d'une
+ telle source, il est au moins certain qu'ils ont une influence
+ funeste sur le crédit des papiers de l'État, puisque ceux qui
+ reçoivent des obligations n'ont rien de plus pressé que de s'en
+ défaire. Le domaine acquis par M. Malchus s'appelle Marienrode et
+ non Marienborn. Son acquisition n'a rien de commun avec les intérêts
+ de Mme Morio. Il paraît aussi que les cinq domaines enlevés aux
+ donataires impériaux et cédés par le roi à l'État ne seront pas
+ restitués en nature, mais en argent.
+
+
+Peu de temps après, Jérôme fut appelé _incognito_ à Paris par
+Napoléon. Il rentra bientôt à Cassel, et eut la satisfaction
+d'annoncer que son frère lui avait confié le commandement en chef de
+toute la droite de la grande armée (60,000 hommes); les
+Westphaliens, sous les ordres de Vandamme, composaient le 8e corps.
+
+Ce n'est pas ici le lieu de raconter la part honorable que prit
+Jérôme aux opérations qui signalèrent le début de la mémorable
+campagne de 1812; on en trouvera tous les éléments dans les
+_Mémoires du roi Jérôme_, et dans un volume intitulé _Mémoire pour
+servir à la campagne de 1812_[139]. Il suffit de dire qu'à la suite
+de dissentiments avec l'empereur, Jérôme fut relevé de son
+commandement. Citons cependant la lettre qu'avant cet événement il
+écrivait de Grodno le 5 juillet à sa femme, la reine Catherine,
+qu'il avait laissée à Cassel, régente du royaume:
+
+ [Note 139: P. 356.]
+
+
+ Ta dernière lettre est du 22, je ne l'ai reçue qu'hier. Tu vois que
+ je suis arrivé à Grodno avec ma cavalerie légère. J'ai aussi été
+ obligé d'y rester quelques jours qui n'ont fait de mal à personne.
+
+ L'empereur est entré à Vilna le même jour que je suis entré à
+ Grodno. Ainsi, il ne pourra qu'être, j'espère, satisfait de son aile
+ droite. Ma cavalerie est à vingt ou trente lieues en avant, mais les
+ Russes ayant quelques jours de marche, nous ne pouvons les attaquer,
+ et, à l'exception de quelques convois et quelques Cosaques, nous ne
+ faisons qu'user nos souliers.
+
+ L'armée russe, par les savantes manoeuvres de l'empereur, est
+ entièrement coupée en trois; aussi, je ne sais pas trop où elle se
+ réunira, à moins que ce ne soit derrière leurs marais ou la Dwina,
+ encore je doute que celle de Bagration, qui m'est opposée, puisse y
+ parvenir; du moins, je ferai tout pour tâcher de l'empêcher.
+
+ Tu sais sans doute que la diète de Varsovie s'est déclarée diète
+ générale du royaume de Pologne et a proclamé son existence, etc.
+
+ Je jouis de la meilleure santé; l'empereur ne s'est jamais si bien
+ porté; il est dans son centre; il n'a même pas besoin de jouer
+ serré; il pelotte en attendant partie, et je crois qu'il finira
+ quand cela lui conviendra, car c'est bien le cas de dire que même
+ sur l'opinion il peut ce qu'il veut.
+
+ J'ai été obligé d'ôter à Vandamme le commandement du 8e corps; il en
+ faisait de toutes les couleurs, pillant, volant, donnant des
+ soufflets, des coups de pied à tout le monde, etc. C'est incroyable
+ la haine que son nom inspire dans ce pays, les habitants en ont une
+ frayeur inconcevable. Je présume que l'empereur le renverra chez lui
+ ou lui donnera un commandement sur les derrières.
+
+ Je compte partir aujourd'hui et j'espère dans quelques jours
+ rejoindre l'empereur, cela me rendra bien heureux.
+
+
+La veille du jour où il allait être relevé de son commandement, il
+écrivait encore à sa femme de Mir, 13 juillet 1812, midi:
+
+
+ Je répondrai cette fois, ma chère Toinette, à ta lettre du 27, sur
+ tous les points, c'est ce que je fais toujours; mais tu prétends
+ que je déchire tes lettres avant ou sitôt après les avoir lues.
+
+ 1º Il n'est pas douteux que les ministres ne doivent te communiquer
+ les rapports qu'ils m'adressent; il me semble même que c'est ce
+ qu'ils font, puisque je les reçois presque toujours et par toi et
+ par eux.
+
+ 2º M. Siméon a pu tenir dans sa maison le conseil des bâtiments,
+ puisque ce n'est qu'une affaire de maison, qui n'a rien de commun
+ avec l'État; mais pour tenir ce conseil, il fallait le convoquer; et
+ pour le convoquer, il a fallu que Boucheporne, qui fait les
+ fonctions de secrétaire du cabinet, prît tes ordres; car il n'y a
+ que le secrétaire du cabinet qui puisse convoquer un conseil
+ d'administration de la maison. Il ne faut pas te gêner et le dire
+ clairement à M. Siméon.
+
+ 3º M. Siméon _ne peut_ tenir un conseil des ministres chez lui: 1º
+ parce qu'il faut prendre tes ordres pour le rassembler; 2º parce que
+ c'est directement défendu par une instruction, tous les conseils
+ _doivent être tenus dans mon palais_.
+
+ 4º Il doit te rendre compte de tout ce qu'il fait et reçoit, comme
+ il le ferait pour moi, et je ne conçois pas comment il a pu se
+ permettre de donner une permission, soit aux conseillers d'État,
+ soit aux ministres de France et d'Autriche, sans prendre tes ordres;
+ tes rapports avec moi ne l'empêchent nullement de te rendre compte
+ _de tout, il faut l'exiger_. À l'âge de M. Siméon, on n'est plus
+ dirigé que par deux passions: l'avarice et l'ambition; il faut
+ réprimer la dernière, et pour cela, il suffit d'un peu de fermeté.
+
+ Je ne veux pas des plans que l'on m'a envoyés. Je veux, puisqu'il
+ faut dépenser huit à dix millions en six ans, que l'on construise
+ sur l'emplacement de la rue Royale, où demeure la comtesse d'Oberg,
+ un peu plus en arrière. Donnes-en l'ordre à Moulard pour qu'il se
+ fasse faire le plan. J'espère que pour cette fois j'ai répondu à
+ toutes les affaires.
+
+ Maintenant parlons de nous:
+
+ Tu ne dois pas t'étonner si tu reçois de mes nouvelles beaucoup plus
+ rarement, car je suis aux frontières de l'ancienne Pologne,
+ poursuivant le prince Bagration qui se retire avec 80,000 hommes. Il
+ y a deux jours que 3,000 hommes de cavalerie de mon avant-garde ont
+ eu un engagement sérieux avec l'arrière-garde ennemie ici-même; les
+ Polonais se sont battus comme des diables, et s'ils avaient eu la
+ patience d'attendre l'arrivée des cuirassiers et des hussards,
+ l'ennemi n'aurait pas emporté ses oreilles; mais ils ont voulu aller
+ toujours en avant, et comme l'ennemi était beaucoup plus fort, ils
+ n'ont pu que lui faire beaucoup de mal, mais sans aucun résultat.
+
+ Dans peu de jours, les Russes auront évacué toute l'ancienne
+ Pologne, ce qui est inconcevable; le pays est assez beau, mais il
+ faut y être obligé pour y rester, car c'est au bout du monde.
+
+ Tu as sans doute reçu mes lettres de Grodno, etc.; les postes vont
+ très doucement, et je crois même être à peu près le seul qui reçoive
+ aussi souvent des nouvelles de chez moi.
+
+ Je vais partir pour Nesvig, assez jolie petite ville de Pologne; car
+ celle-ci est assez misérable.
+
+
+À quelques jours de là, la situation avait bien changé, et c'était
+sur un autre ton que Jérôme écrivait à Napoléon, de Tourets, 17
+juillet, à 8 h. du matin:
+
+
+ Sire, je reçois à Touretz la lettre que V. M. m'a fait l'honneur de
+ m'écrire en date d'hier. J'ai quitté Nesvig, ayant été prévenu que
+ les Autrichiens allaient y arriver.
+
+ La manière dont j'ai reçu l'ordre d'être sous le commandement du
+ prince d'Eckmühl sans en avoir été prévenu ni par V. M., ni par le
+ prince de Neufchâtel; la lettre dure que V. M. m'a écrite en date du
+ 10, dans laquelle elle me disait que je n'avais qu'à m'en aller,
+ qu'elle ne mettait point d'obstacle à mon départ; l'extrême inimitié
+ que le prince d'Eckmühl m'a toujours portée; le mésentendu qui avait
+ existé entre ce prince et moi avant l'arrivée de V. M. à l'armée, et
+ enfin le malheur que j'avais de ne m'attirer que des reproches et de
+ ne jamais réussir à contenter V. M. malgré ma bonne volonté; tout
+ m'a fait croire qu'Elle voulait que je quittasse le commandement
+ comme Elle semblait me le dire dans sa lettre du 10.
+
+ Dieu m'est témoin, sire, que jamais une mauvaise idée n'est entrée
+ dans mon âme et que vous et l'honneur avez toujours été mes seuls
+ guides.
+
+ Actuellement, il dépend de V. M. d'achever de me perdre ou de me
+ sauver, puisqu'ayant remis le commandement depuis trois jours, ayant
+ fait avec ma garde des marches rétrogrades et annoncé que V. M.
+ m'appelait sur un autre centre, je ne puis plus retourner. V. M.
+ pourrait, la retraite du prince Bagration s'effectuant sur Mogouir,
+ me donner un commandement sur les côtes en cas de descente des
+ Anglais et de mouvement dans cette partie, ou enfin toute autre
+ destination qu'il lui plaira. J'espère encore que dans une
+ circonstance comme celle-ci d'où dépend le sort de toute ma vie,
+ elle ne m'abandonnera pas.
+
+
+Le 28 juillet, nouvelle lettre du roi à la reine, écrite de
+Bialistok:
+
+
+ J'ai reçu ce matin à Bialistok tes lettres du 17 et du 20 en même
+ temps. Tu peux bien penser que, si je retourne, c'est que je dois le
+ faire, c'est que je ne puis faire autrement, sans me déshonorer.
+ Comment, moi qui commande l'aile droite, composée de quatre corps
+ d'armée, on m'ordonne, en cas de réunion ou de bataille, d'être sous
+ les ordres d'un simple maréchal qui ne commande qu'un seul corps?
+ L'empereur a bien senti que ce ne pouvait être, car c'eût été
+ m'afficher aux yeux de toute l'Europe, comme un homme incapable, et
+ n'eût-on pas dit avec raison: Quand il s'agit de parades et de
+ marches, le roi est assez bon pour commander; mais quand il s'agit
+ de se battre, il doit et ne peut qu'obéir? Il eût autant valu me
+ donner un coup de pistolet que de me déshonorer de la sorte. Et de
+ quelle manière je reçois cet ordre par le prince d'Eckmühl! Cet
+ ordre est daté du 6. Je reçois des lettres de l'empereur et du
+ prince de Neufchâtel des 6, 7, 8, 9, 10 et 11, et on ne m'en dit pas
+ un mot; on ne me le fait pas même soupçonner, et c'est lorsque je me
+ bats avec l'ennemi, lorsque je fais le reproche au prince d'Eckmühl
+ de ce qu'il perd du temps, et lui mande que s'il veut faire deux
+ marches de tel côté, Bagration était à nous; c'est alors, dis-je,
+ pour toute réponse qu'il m'envoie l'ordre qui me met sous ses
+ ordres. Tu sens bien que je n'ai pu que le transmettre à mes
+ généraux et me retirer. L'empereur n'eût pas fait autrement. Je ne
+ pouvais autrement agir sans me déclarer incapable aux yeux de
+ l'armée et de l'Europe; je n'ai pas mis la moindre humeur dans ma
+ conduite et l'empereur ne pourra, lorsqu'il sera de sang-froid, que
+ me rendre justice, et sentir qu'il a de grands torts vis-à-vis de
+ moi dans cette circonstance.
+
+ Bref, l'essentiel en ce moment, ce que l'_empereur désire le plus_,
+ c'est qu'il n'y ait pas le moindre éclat, et que cela paraisse une
+ chose simple; d'ailleurs, rien ne l'est effectivement davantage, on
+ veut que je serve, moi qui commande la droite, sous les ordres d'un
+ maréchal; je ne le veux ni ne le peux vouloir, voilà tout; je me
+ retire, c'est tout simple.
+
+ Du reste, c'est mon armée seule qui a eu quelques engagements, qui a
+ arrêté l'ennemi; il n'y a pas eu un coup de fusil tiré depuis mon
+ départ, et je crains bien qu'il n'y en ait pas de sitôt, car les
+ Russes ont déclaré vouloir toujours se retirer.
+
+ À mon retour, je t'en dirai davantage; tu dois toujours bien dire
+ qu'ayant demandé à revenir chez moi, l'empereur l'a trouvé tout
+ simple, les premières opérations étant terminées.
+
+ Je t'écrirai demain plus en détail après le retour du baron de
+ Sorsum que j'ai envoyé auprès de l'empereur.
+
+
+Cependant Reinhard, resté à Cassel, continuait de tenir l'empereur
+et le duc de Bassano au courant de ce qui se passait en Westphalie:
+le 2 mai il expédiait le bulletin suivant:
+
+
+ Cassel, 2 mai 1812.
+
+ On parle beaucoup à Cassel de la nomination, à la place du receveur
+ général du département de la Fulde, d'un sieur Alexandre, économe de
+ la maison des pages du roi. C'est le père d'une demoiselle fort
+ jeune et fort jolie qui, après avoir épousé pour la forme, dit-on,
+ un Escalonne, employé aux postes de l'armée, est partie pour le
+ quartier général de Kalisch. Son départ ayant coïncidé avec celui du
+ roi, le public voit en elle la maîtresse de camp de Sa Majesté.
+
+ On dit que les gardes-du-corps vont revenir, attendu qu'ils sont
+ trop peu nombreux pour servir en ligne et qu'ils jouissent de
+ distinctions que Sa Majesté impériale n'a accordées à aucun corps de
+ sa propre garde. Leur colonel, M. le chevalier Wolf, vient d'être
+ nommé général de brigade.
+
+
+ 30 juin 1812.
+
+ M. le comte de Pappenheim, premier chambellan du roi, frère du
+ ministre de Darmstadt à Paris, était atteint depuis plusieurs
+ semaines d'un dérangement d'esprit qui, après quelques accès de
+ fureur, a amené un abattement assez voisin de l'imbécillité. Il a
+ été conduit à Paris. Sa femme, dame du palais, est partie pour une
+ terre que M. de Waldener, son père, possède dans le département du
+ Bas-Rhin. Les uns attribuent la maladie de M. de Pappenheim à des
+ causes physiques, les autres à des causes morales. Ce n'était jamais
+ un homme d'un grand esprit; mais il paraît avoir été élevé dans des
+ principes sévères dont on dit que l'ambition de devenir grand
+ chambellan l'avait fait dévier, en connivant à certains arrangements
+ qui concernaient Mme de Pappenheim.
+
+ Mme la baronne de Bigot est partie pour aller joindre son mari,
+ ministre du roi, à Copenhague. Un voyage qu'elle avait fait à Paris,
+ sans la permission de Sa Majesté, et quelques démarches qu'elle y
+ fit, dont le roi eut connaissance, avaient déplu. Après son retour,
+ elle avait été exclue de la cour: néanmoins, elle semblait préférer
+ l'état d'abandon où sa disgrâce la plaçait à Cassel à l'honneur de
+ faire les affaires du roi en Danemark, lorsque tout à coup M. Siméon
+ reçut les pleins pouvoirs de son mari pour le divorce. M. de
+ Furstenstein lui ayant mandé que le roi, justement irrité de la
+ conduite et des liaisons affichées de Mme Bigot, ne voulait point
+ qu'elle allât à Copenhague écrire les dépêches de son mari, ses amis
+ lui ont conseillé de partir sur le champ, et, par l'intercession de
+ M. Siméon, M. Bigot a consenti à la recevoir.
+
+ La demoiselle Alexandre, mariée Escalonne, qui avait précédé de peu
+ de jours le roi partant pour Glogau, est revenue subitement avec sa
+ mère, pendant qu'on était encore occupé à expédier d'ici des cadeaux
+ que le roi, disait-on, lui destinait. On ne sait pas encore comment
+ expliquer cette séparation soudaine, lorsque Mme Escalonne
+ paraissait encore jouir d'une faveur trop prononcée pour faire
+ croire que le moment était arrivé où Sa Majesté s'en dégoûterait.
+ Mme Morio, qui la semaine dernière avait reçu une invitation pour
+ être du voyage de Napoléons-Höhe, s'en étant excusée parce qu'elle
+ était au terme de sa grossesse, avait été contrainte de s'y rendre
+ par ordre de la reine, et ce ne fut que sur une attestation des
+ médecins qu'elle obtint la permission de retourner à Cassel.
+
+ D'un autre côté, M. le comte de Bochholtz s'étant trouvé absent de
+ Cassel, lors du retour de la reine de Dresde, a reçu avis que
+ pendant l'été il ne serait jamais du voyage. En conséquence, il est
+ retourné dans ses terres. On dit que Mme la comtesse de Loewenstein,
+ dame du palais, est la seule qui ait obtenu du roi la promesse
+ qu'elle le suivrait dans le cas où il serait roi de Pologne. Ce qui
+ est certain, c'est que Mme de Loewenstein se distingue de ses
+ compagnes par ses moyens, par son ton et par son esprit de conduite.
+ Quoi qu'il en soit, il est douteux si M. de Bongars fera tarir les
+ pleurs que la crainte d'être délaissées en Westphalie fait verser à
+ certaines dames de la cour, qui, ayant attaché leur sort et celui de
+ leur mari au roi, ne prévoient point quelle existence pourrait
+ compenser celle qu'elles perdraient dans le cas où leurs
+ appréhensions se vérifieraient.
+
+ M. Siméon vient de me prévenir confidentiellement que d'après une
+ invitation reçue de S. M. l'impératrice la reine partira pour Dresde
+ ce soir à onze heures. M. de Collignon, son écuyer, ayant été chargé
+ de la précéder de quelques heures pour féliciter Leurs M. I., je
+ profite de son départ pour transmettre de mon côté la nouvelle du
+ voyage de la reine à V. Exc. M. Siméon en donnera demain matin
+ connaissance officielle au Corps diplomatique.
+
+ Il est arrivé avant-hier un nouveau courrier du roi. Sa M. n'a point
+ ratifié le projet de vente du domaine de Barby, dont l'ancien
+ fermier avait offert 1,050,000 en argent comptant. L'administration
+ est embarrassée de ce refus qui fait manquer une ressource sur
+ laquelle on avait compté. M. le Ministre des finances a convoqué
+ hier la section du conseil d'État pour proposer plusieurs projets
+ d'augmentation de recettes et particulièrement de la contribution
+ foncière. Il s'occupe aussi d'une vente d'une partie considérable
+ des dîmes appartenant à l'État. Il se pourra aussi qu'on ait recours
+ à un emprunt forcé qui serait le troisième depuis l'avènement du
+ roi. Mais plusieurs personnes regardent ce projet comme
+ impraticable. La suspension du paiement des intérêts de la dette du
+ premier semestre ne paraît pas douteuse: on en proposera
+ probablement pour la seconde fois la capitulation.
+
+ La reine écoute avec une grande attention les rapports qui lui sont
+ faits. Elle montre beaucoup d'application au travail. Elle paraît
+ saisir avec discernement le noeud des affaires. Cette espèce
+ d'initiation ne peut avoir que des suites très heureuses. Tout ce
+ que j'apprends à ce sujet confirme la haute idée que j'ai toujours
+ eue de ses moyens intellectuels.
+
+ M. le comte de Schulembourg, préfet de Magdebourg, le même qui, à la
+ suite de quelques différends qu'il avait eus avec le général
+ Michaud, avait été éloigné pendant quelque temps de ses fonctions,
+ vient d'être nommé conseiller d'État en remplacement de M. de
+ Henneberg, décédé. On ne sait pas encore qui lui succédera.
+
+ On dit que le général comte de Wellingerode reviendra de l'armée. M.
+ le général Allin a été nommé général de division. On dit ici que le
+ roi lui confiera ou lui a confié le commandement de toute
+ l'artillerie du corps d'armée qu'il commande.
+
+
+Le 19 mai nouvelle lettre au duc de Bassano. Lettre importante sur
+les finances de la Westphalie:
+
+
+ La question insoluble qui cause l'embarras du gouvernement
+ westphalien, réduite aux termes les plus simples, est toujours
+ celle-ci: les dépenses de la Wesphalie étant de soixante millions et
+ les recettes étant de quarante, comment porter la recette à vingt
+ millions de plus, puisqu'on ne veut ou ne peut pas réduire la
+ dépense?
+
+ La dépense de la guerre, en y comprenant tous les frais d'entrée en
+ campagne, est de vingt-huit millions, peut-être de trente. Quand
+ même la volonté expresse du roi ne défendrait pas d'y faire des
+ retranchements, les circonstances actuelles doivent interdire à tout
+ homme sensé d'en proposer. Si, dans le cours de la seconde moitié de
+ l'année, les événements doivent amener en tout ou en partie cette
+ diminution sur laquelle compte M. de Malchus, il est au moins
+ démontré qu'elle arrivera trop tard pour influer efficacement sur la
+ crise du mois de juin.
+
+ Il est encore interdit de faire tomber la diminution des dépenses
+ sur la liste civile qui est de six millions, telle qu'elle était en
+ 1810, lorsque le royaume comptait onze départements.
+
+ J'ai déjà indiqué combien les ressources qu'offriront les recettes
+ extraordinaires consistant uniquement en vente des domaines
+ resteront au-dessous de ce qu'elles devaient produire pour ramener
+ l'équilibre.
+
+ Il paraît qu'on a reconnu l'impossibilité d'un troisième emprunt
+ forcé dans lequel d'ailleurs, de toute nécessité, il faudrait
+ recevoir ce qui n'est pas encore rentré des obligations du dernier.
+
+ Reste l'augmentation des recettes ordinaires.
+
+ S. M. veut que tous les traitements soient réduits de moitié, à
+ l'exception de la liste civile et des traitements militaires. C'est
+ cette proposition qui a été discutée pendant quatre heures, dans un
+ conseil des ministres qui s'est tenu samedi dernier. De fortes
+ objections y ont été faites. On a dit que quand cette mesure
+ pourrait s'appliquer aux traitements un peu considérables, la plus
+ grande partie des traitements, à cause de leur modicité, ne pourrait
+ y être assujétie sans les plus graves inconvénients, ni même sans
+ danger pour la morale et pour la tranquillité publique; qu'à la
+ vérité les traitements des juges étaient un peu plus considérables
+ en Westphalie qu'en France; mais que c'était d'après des
+ considérations importantes et sur la demande expresse des États
+ qu'on les avait augmentés, parce qu'en Allemagne, de génération en
+ génération, des familles entières, sans fortune, mais riches d'une
+ considération héréditaire, ne vivaient que de leurs emplois, que la
+ désolation et la misère qui résulteraient de la diminution de ces
+ traitements aliéneraient du gouvernement cette classe de ses
+ serviteurs les plus immédiatement en contact avec le peuple, enfin
+ que l'épargne qu'on pourrait faire par ce moyen ne monterait
+ peut-être pas à 500,000 francs, qu'au reste, il convenait d'en faire
+ le calcul, et c'est ce dont a été chargé M. le Ministre des
+ finances.
+
+ Pour ce qui concerne la liste civile, on a remarqué que dans une
+ aussi grande détresse, si les ministres, les conseillers d'État, les
+ autres fonctionnaires supérieurs devaient faire un aussi grand
+ sacrifice, il serait assez étonnant que les officiers de la cour,
+ pour des fonctions honorables sans doute, mais peu pénibles,
+ conservassent la totalité de leurs larges traitements; que cette
+ liste civile, qui constitutionnellement ne devrait être que de cinq
+ millions, en y comprenant les revenus des domaines de la couronne,
+ était déjà dans une proportion trop forte avec les revenus du
+ royaume; qu'elle avait ensuite été portée à six millions, lorsqu'en
+ 1810 le royaume se trouva composé de onze départements;
+ qu'aujourd'hui le royaume étant réduit à huit départements, elle
+ restait toujours la même; qu'il fallait ajouter à ces six millions
+ près d'un million d'autres revenus que la couronne s'était
+ successivement appropriés, ce qui portait la proportion de la liste
+ civile avec la totalité des revenus de l'État au sixième. Enfin, on
+ a demandé si, lorsqu'on allait retrancher le nécessaire aux juges,
+ aux curés, aux instituteurs publics, on pourrait, avec justice,
+ laisser subsister à la charge de l'État une dépense de 400,000
+ francs pour le spectacle français. C'est jeudi prochain que le
+ ministre des finances donne son avis et ses moyens au conseil des
+ ministres. M. Pichon, de son côté, prépare un travail sur le même
+ objet.
+
+ M. Pichon, partant de la supposition qu'on ne puisse pas diminuer
+ les dépenses, en conclut avec beaucoup de logique qu'il faudra donc
+ hausser les recettes jusqu'au niveau des besoins. La base de son
+ travail sera donc une augmentation d'impôts de douze à quinze
+ millions. Il soutient que, pour imposer un pays, il n'est pas
+ nécessaire de connaître les localités, que sans y avoir égard les
+ nouveaux départements allemands après leur réunion ont été sur le
+ champ assimilés à la France; que les premiers fonctionnaires sont
+ des Français ne connaissant pas même la langue; qu'on peut augmenter
+ les impôts à volonté, pourvu que la répartition soit égale; que la
+ règle et l'uniformité feront tout et que c'est là ce qui manque à la
+ Westphalie. Il a dit à la reine qu'il allait lui révéler tout le
+ secret de l'artifice par lequel ses serviteurs détournaient le roi
+ de l'augmentation des impôts: qu'entre eux ils disaient: le roi est
+ dissipateur, toute augmentation de recette sera dévorée et
+ s'engloutira surtout dans la dépense pour l'armée, tandis qu'ils
+ disaient au roi: si vous augmentez les recettes, l'empereur est là
+ qui en profitera pour étendre les ressources qu'il tire de votre
+ royaume.
+
+ À cela on répond que les maximes d'ordre et d'uniformité peuvent
+ être bonnes pour un état de choses permanent, tranquille et prospère
+ et non lorsqu'on est tellement talonné par le besoin qu'on ne peut
+ marcher qu'au jour la journée; qu'en semant l'alarme partout, M.
+ Pichon fait tarir les ressources disponibles; que si les charges
+ locales pour l'entretien, pour le passage des troupes, les
+ réquisitions, la suspension du paiement des intérêts ou leur
+ capitalisation peuvent être regardées comme des impôts inégalement
+ répartis, ils pourvoient à la nécessité du moment et permettent
+ d'attendre celui où l'on pourra employer le seul remède qui sera la
+ réduction des dépenses; que parmi ces charges il en est de plusieurs
+ millions que la Westphalie supporte sans qu'elles entrent dans le
+ compte des recettes générales; qu'ainsi, en les remplaçant par des
+ impôts réguliers, uniformes, on ne se procurerait pas une ressource
+ disponible: que tout impôt a sa nature qu'il était dangereux et
+ impossible d'excéder, et que mille faits semblent prouver que dans
+ la plupart des impôts la Westphalie est déjà parvenue à ce maximum;
+ qu'en Westphalie une contribution foncière de 11,500,000 francs
+ équivaut exactement au taux de cette même contribution telle qu'elle
+ est établie en France; et qu'en général il est absurde de prendre
+ pour exemple la France riche de mille moyens qui manquent à ce
+ royaume.
+
+ Comme, d'après la connaissance que j'ai de ce pays-ci, il m'est
+ impossible de croire à l'efficacité du remède héroïque que propose
+ M. Pichon, je ne pourrais, en croyant à ses pronostics, que
+ rétracter entièrement ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans mon
+ nº 336: que je croyais qu'au milieu des difficultés la Westphalie
+ pourrait cependant aller sans secousses jusqu'à la fin de l'année,
+ et dès lors il faudrait vous faire prévoir des troubles et des
+ désordres qu'il me semble important d'éviter dans les circonstances
+ actuelles. Néanmoins, je ne me rétracterai point encore et,
+ quelqu'illusion que puisse se faire à certains égards M. le ministre
+ des finances, je me tranquilliserai par l'assurance avec laquelle
+ encore aujourd'hui il m'a dit que le résultat du travail qu'il
+ proposerait au conseil prouverait la possibilité de surmonter la
+ crise de juin et les embarras de l'année.
+
+
+ Du 22.
+
+ Dans le conseil des ministres qui s'est tenu hier, M. le ministre
+ des finances a prouvé que dans les quatre premiers mois de l'année
+ il avait, par des moyens tant ordinaires qu'extraordinaires, fait
+ rentrer plus de dix-sept millions (ce qui joint aux trois millions
+ et demi qui étaient en caisse au 1er janvier fait près de vingt-un
+ millions), et que d'après cette proportion, la recette serait de
+ cinquante-un millions au bout de l'année, sur cinquante-neuf
+ millions de dépenses. Il est convenu, à la vérité, que dans les
+ circonstances actuelles il ne se flattait point de pousser le
+ produit des ventes des domaines aussi loin qu'il l'avait espéré;
+ mais il a assuré que néanmoins il ferait face aux besoins du mois de
+ juin. Il a proposé des moyens d'augmentation des impôts pour trois
+ millions, moitié sur la contribution directe, moitié sur les impôts
+ indirects. Une partie des dépenses locales qu'en 1810 le trésor
+ public avait prises à sa charge, sera en même temps de nouveau
+ rejetée sur les communes. Quant à la contribution foncière, il a
+ démontré qu'au taux de douze millions, elle était portée plus haut
+ en Westphalie qu'en France, puisqu'en Westphalie, outre les dîmes
+ qu'on payait encore partout, il y avait encore quatre millions de
+ revenus des domaines impériaux situés dans le ci-devant Hanovre qui
+ en étaient exempts en vertu des traités. Enfin, il a calculé qu'en
+ charges locales non comprises dans les recettes du trésor, la
+ Westphalie payait au moins dix millions par an.
+
+ M. Pichon, sans avoir l'air de trop désapprouver les projets du
+ ministre des finances, s'est tenu sur la réserve. La diminution des
+ traitements a été trouvée inadmissible d'une commune voix. Le tout a
+ été adressé à la reine par un courrier qui est parti ce matin. On
+ attend maintenant la décision du roi.
+
+
+La nouvelle de la disgrâce du roi fit éprouver un grand chagrin à la
+reine; suivant le désir de Jérôme, elle ne divulgua pas cette
+affaire, mais elle ne put dissimuler sa tristesse. Tout le monde en
+fut frappé, et Reinhard écrivit le 23 juillet de Cassel:
+
+
+ La reine est toujours triste et inquiète. Le maréchal de la cour lui
+ demanda dernièrement si elle n'ordonnerait pas une petite fête dans
+ son intérieur pour le jour anniversaire de son mariage. Pour toute
+ réponse, elle fondit en larmes. Dans le 4e bulletin, elle a cru
+ trouver je ne sais quelle intention dans ce passage: «Le roi de
+ Westphalie est arrivé à Grodno avec les 7e et 8e corps et avec le
+ corps du prince Poniatowsky», puisqu'on désignait le corps polonais
+ par le nom de son chef, tandis que les deux autres corps n'étaient
+ désignés que par leurs numéros. Elle a fait part de sa peine à tous
+ ses ministres qui se sont efforcés en vain de lui prouver qu'elle se
+ chagrinait sans raison.
+
+
+Déjà la reine Catherine avait reçu la lettre du roi en date du 15.
+Bientôt elle en reçut une nouvelle de Bialistock du 28 juillet, 8 h.
+du matin; c'est à cette dernière que fait allusion Reinhard dans la
+lettre suivante au duc de Bassano:
+
+
+ Cassel, le 30 juillet 1812.
+
+ Aux inquiétudes habituelles de la reine paraît se joindre, depuis
+ quelques jours, un nouveau sujet d'alarme. Elle paraît craindre que
+ la retraite du général Vandamme n'ait produit une impression
+ fâcheuse sur l'esprit de S. M. imp., avec d'autant plus de raison
+ que c'était le roi lui-même qui avait demandé que ce général fût mis
+ à la tête des troupes westphaliennes, et cette crainte est partagée
+ par les ministres de S. M. On sait que Monseigneur le prince
+ d'Eckmühl est arrivé à Minsk où l'on s'attendait que le roi
+ dirigerait sa marche. On lit dans quelques gazettes que les Saxons
+ se joindront au corps du prince de Schwartzemberg; on est incertain
+ si les Polonais, dont on dit que deux régiments s'avançant avec trop
+ de précipitation contre des Cosaques soutenus par l'infanterie russe
+ ont reçu un léger échec, se trouvent encore sous son commandement;
+ on croit même savoir que l'une des deux divisions westphaliennes a
+ reçu une destination nouvelle. Hier, la reine ne vint au spectacle
+ qu'à huit heures, et le public accoutumé à ces retards attendait
+ qu'on commençât, avec sa résignation habituelle. Cette fois,
+ cependant, le retard avait été causé par une lettre du roi que M. de
+ Pothau venait de lui porter et dont la reine n'a point communiqué le
+ contenu. Déjà il lui était échappé de dire _combien il serait
+ fâcheux que le roi ne fût pas bien avec S. M. l'empereur ou qu'il
+ revint de l'armée_; et la pensée même de cette possibilité avait
+ effrayé.
+
+ Déjà, après son dernier retour de Paris, le roi s'expliquait sur le
+ compte du général Vandamme avec moins de faveur qu'auparavant; à
+ peine arrivé à l'armée, on apprenait qu'il y avait eu entre eux une
+ explication assez vive, mais qui avait été suivie d'une
+ réconciliation. On craint ici que l'inconséquence et les prétentions
+ de certains officiers ne sachant pas distinguer entre leur position
+ de cour et leurs devoirs comme militaires n'aient entraîné le roi
+ toujours trop accessible à des impressions qui touchent à son
+ amour-propre, et l'on sent profondément combien il aurait mieux valu
+ supporter, même, au besoin, quelques légers désagréments de la part
+ d'un homme qu'on avait choisi soi-même que de s'attirer un nouveau
+ reproche de versatilité et d'inconstance.
+
+
+Reinhard attribuait à la tristesse de la reine une cause (le
+différend du roi avec Vandamme) qui n'était pas la véritable. Cette
+princesse connaissait l'affaire du prince d'Eckmuhl. Aussi, malgré
+son désir de voir le roi de retour à Cassel, elle ne se faisait pas
+illusion sur les conséquences fâcheuses que pouvait avoir ce retour.
+
+Par le fait, l'empereur, mécontent d'abord de la détermination de
+son frère, finit par reconnaître sans doute que les torts étaient du
+côté de Davoust, car il lui fit écrire une lettre de blâme par le
+major général et laissa Jérôme agir à sa guise, lui recommandant
+seulement le silence sur cette affaire. Toutefois, la nouvelle ne
+tarda pas à s'en répandre en Westphalie et le duc de Bassano
+l'annonça à Reinhard par la lettre suivante, en date du 31 juillet
+1812, écrite de Vilna:
+
+
+ Je ne vous envoie pas les bulletins, parce qu'il est impossible au
+ moment où ils arrivent d'en faire plus d'une ou deux copies qui ont
+ une destination marquée; mais je vous enverrai, désormais, de
+ courtes notices, indépendamment de celles que vous recevez
+ régulièrement.
+
+ Les pressentiments de la reine se réalisent: le roi a eu, en effet,
+ des torts qui le mettent dans une position très pénible. Lorsque son
+ armée s'est trouvée réunie à celle du prince d'Eckmühl, ainsi que
+ l'armée polonaise, le maréchal a eu le commandement de toutes les
+ forces qui se trouvaient ainsi rassemblées. Une armée de 120,000
+ hommes exigeait un chef d'une grande expérience, et tous les
+ avantages de cette nature appartenaient certainement au prince
+ d'Eckmühl. Le roi a aussitôt déclaré que s'il n'avait pas le
+ commandement, il se retirerait. Les représentations de Sa Majesté,
+ qui n'aurait pu céder à des considérations et à des affections
+ particulières sans exposer de si grands intérêts, n'ont pas produit
+ d'effet. Le roi a oublié que, lorsqu'il demanda à servir, il fut
+ bien entendu qu'il ne serait pas roi à l'armée, et il a persisté à
+ l'être. Il va partir, et il a dû recevoir à Varsovie l'ordre de
+ retourner à Cassel.
+
+
+Arrivé à Varsovie au commencement d'août 1812, le roi Jérôme écrivit
+à la reine:
+
+
+ Je reçois à Varsovie ta longue lettre de conseils du 26; je te
+ remercie pour ton intention; mais je croyais n'avoir jamais laissé
+ douter que je ne suis pas de ceux qui se _déshonorent_, et que je ne
+ fais que ce que je dois faire. Je trouve aussi qu'il est un peu
+ hasardé à toi, ma chère amie, de parler si longuement sur une
+ question que tu ne connais nullement, et j'avais le droit de penser
+ t'avoir inspiré assez de confiance pour te _rassurer entièrement_
+ sur ma conduite qui n'est jamais dirigée ni par l'humeur, ni par un
+ coup de tête.
+
+ L'empereur ne m'a jamais ôté le commandement de mes troupes, ni des
+ Saxons, ni d'aucun autre de mes corps; ainsi tu vois que ce que tu
+ me dis sur ce sujet dans ta lettre du 23 est encore un des cent
+ mille contes absurdes qui se débitent à Cassel, de même que la
+ destruction du 2e régiment de cuirassiers, qui n'a pas donné (encore
+ aujourd'hui) _un seul coup de sabre_, il n'y a que la cavalerie
+ légère polonaise qui ait pu atteindre la cavalerie ennemie qui se
+ retirait et qui, _depuis_ mon départ, est entièrement hors
+ d'atteinte.
+
+ Je ne veux pas faire davantage le grondeur, quoique j'en aurais
+ sujet, car tu ne sais peut-être pas que M. Pothau, qui ne se doute
+ de rien, écrit au comte de Furskeinstein que rien n'a transpiré de
+ la dépêche du roi apportée par l'estafette, mais _qu'il a remarqué
+ que la reine était triste_, ce qui est justement le contraire de mes
+ intentions et de celles de l'empereur qui veut que tout ceci n'ait
+ pas le moindre éclat.
+
+ L'empereur a bien senti que je ne pouvais rester après l'ordre
+ inconcevable qu'il m'avait donné, car c'est _alors que je me serais
+ déshonoré_, puisque j'aurais dit moi-même à toute l'Europe: «Je ne
+ suis bon que pour passer des revues et des parades, mais lorsqu'il
+ faut se battre, je sens que je dois obéir et, quoique commandant la
+ droite et quatre corps d'armée, je suis sous les ordres d'un
+ maréchal qui n'en commande qu'un seul.»
+
+ D'ailleurs, l'affectation à ne parler, dans les bulletins, que du
+ prince Poniatowski, la manière de dire: le roi est arrivé à Grodno,
+ comme on l'aurait dit de Louis XIV, lorsqu'il allait avec toute sa
+ cour au siège de Philipsbourg, prouve seulement que l'empereur ne me
+ voulait plus à l'armée.
+
+ Et à te parler franchement, je te dirai que je crois que l'empereur
+ me voulait donner d'abord le trône de Pologne, _que je ne désire
+ nullement_, et que dans ce moment il a changé de pensée, et comme je
+ commandais les Polonais, il était fâché de me voir où j'étais et où
+ j'ai été très bien pour lui.
+
+ Actuellement, il faut tout simplement dire que j'ai demandé à
+ revenir chez moi, ne pouvant supporter l'inconstance du climat, et
+ que l'empereur l'a permis.
+
+ Je t'envoie l'article à mettre dans le _Moniteur_ et surtout prends
+ garde de laisser paraître de la tristesse, car alors on fera cent
+ contes, qui ne seront plaisants ni pour l'empereur, ni pour moi, ni
+ pour toi.
+
+ Quant à l'article finances, pour l'année prochaine, j'y mettrai tant
+ d'ordre que cela ira, j'en réponds.
+
+ Je voulais que tu vinsses à Brunswick; mais j'ai réfléchi que cela
+ fera un grand dérangement pour toute la maison, une grande dépense
+ et beaucoup d'embarras par rapport aux chevaux, surtout dans ce
+ moment de récolte.
+
+ Le ministre de l'intérieur doit se préparer à venir m'attendre à
+ Halle; je lui enverrai l'ordre par le courrier Viantex, car celui
+ que tu m'as envoyé va très doucement.
+
+ Tu dois faire pour le 15 août ce que tu me disais dans ta dernière
+ lettre; tu dois aussi recevoir les félicitations le matin et donner
+ audience au ministre de France et à sa femme les premiers. Tout le
+ monde doit être en grande tenue, bien entendu que les hommes ne
+ doivent pas avoir le manteau qui ne sert que dans une cérémonie du
+ Trône.
+
+ Tu peux faire dîner avec toi M. et Mme Reinhard, avec la grande
+ maîtresse, la dame de service et le ministre de la justice.
+
+ Tu donneras la droite au ministre de France, la gauche au ministre
+ de la justice, etc.
+
+ Je te presse sur mon coeur et aurai grand bonheur à t'embrasser,
+ mais ce ne pourra être avant le 18.
+
+ _P. S._--Je me hâte d'ouvrir ma lettre pour t'annoncer une dépêche
+ de l'empereur, _très satisfaisante_. S. M. paraît s'être convaincue
+ que je pouvais faire autrement, m'engage à retourner dans mes États
+ avec mes gardes du corps, mais _met_ pour _condition que rien ne
+ transpirera_, et que je dirai, et tu dois le dire toi-même, que ma
+ santé n'a pu supporter le climat.
+
+ Je t'envoie un article pour le _Moniteur_; en conséquence, aie bien
+ soin de songer que la continuation de l'amitié de l'empereur _est
+ attachée à ce que l'on croie_ que c'est cette seule raison qui me
+ _fait quitter_.
+
+
+Le 4 août, Reinhard manda de Cassel:
+
+
+ La reine a reçu hier un paquet de M. de Marinville, à Varsovie, qui
+ lui apprend que les Russes ont quitté le camp retranché de Dryssa et
+ se sont retirés de la Dwina. Elle n'a point voulu montrer la lettre,
+ disant qu'elle contenait encore autre chose. On ignore si dans le
+ même paquet il y avait des lettres du roi. Le secrétaire-général des
+ relations extérieures, M. Hugot, a reçu une lettre de M. le comte de
+ Furstenstein datée de Novogrodek. Ce fait a transpiré et n'a pas
+ causé peu de surprise. M. Siméon s'explique à ce sujet avec beaucoup
+ de réserve. Du reste, j'ai lieu de croire que si quelqu'un est
+ instruit ici de la véritable situation du roi, concernant son
+ commandement, c'est tout au plus la reine.
+
+
+M. Reinhard était dans l'erreur, l'affaire du roi était le secret de
+la comédie; tout le monde à Cassel la connaissait, mais évitait d'en
+parler. La reine, malgré les lettres rassurantes de son mari, ne
+pouvait surmonter le chagrin que lui faisait éprouver son brusque
+retour. Elle lui avait même écrit à ce sujet une lettre des plus
+fortes, le 30 juillet, en apprenant ce qui s'était passé.
+
+On aurait tort de croire, malgré les prétendues lettres de Napoléon
+à Jérôme, malgré celles que ce dernier écrivait à sa femme, que
+l'empereur pardonna facilement à son frère son coup de tête. Il lui
+tint bien longtemps rancune, il ne se remit entièrement bien avec
+lui qu'en 1815, à Waterloo; il refusa constamment de lui donner des
+commandements de quelque importance. Il cessa presque entièrement sa
+correspondance avec lui et, le 31 juillet 1813, il écrivit au major
+général la lettre ci-dessous qui nous paraît caractéristique[140]:
+
+ [Note 140: Jérôme avait prié Berthier de solliciter pour lui
+ de l'empereur un commandement.]
+
+
+ NAPOLÉON À BERTHIER.
+
+ Mayence, 31 juillet 1813.
+
+ Mon cousin, répondez au roi de Westphalie que jamais il n'aura aucun
+ commandement dans l'armée française si: 1º il ne fait connaître
+ qu'il désapprouve la conduite qu'il a tenue l'année passée en
+ quittant l'armée sans ma permission et qu'il en est fâché, et 2º si
+ en prenant du service dans mon armée, il ne se soumet à obéir à tous
+ les maréchaux commandant des corps d'armée, que je n'aurais pas
+ spécialement mis sous ses ordres; ne devant avoir d'autre grade dans
+ mon armée que le grade de général de division, et ne devant
+ commander de droit, en cas de circonstances imprévues, qu'à des
+ généraux de division.--Que ce qui vient d'arriver en Espagne fait
+ connaître de plus en plus l'importance de tenir à ces principes; que
+ la guerre est un métier, qu'il faut l'apprendre; que le roi ne peut
+ pas commander, parce qu'il n'a jamais vu de bataille; que le roi
+ d'Espagne à qui j'ai fait dans le temps de semblables observations,
+ en est aux regrets et aux larmes de ne pas les avoir
+ comprises.--Vous ajouterez que, vu toutes les difficultés qui ont eu
+ lieu pour la convocation, j'ai pris le parti d'en faire un ordre du
+ jour; qu'il m'a paru urgent de décider ainsi cette affaire, vu que
+ déjà des détachements destinés pour Cassel étaient partis de
+ Mayence.--Faites d'ailleurs remarquer au roi que j'ai pris un ordre,
+ parce qu'un ordre est un ordre d'un général en chef, et que la
+ Westphalie et le roi lui-même font partie de mon armée; que c'est
+ par un ordre que j'ai réglé ce qui est relatif à Leipzik, et
+ qu'enfin c'est de cette manière que j'opère, surtout sur le
+ territoire allié.
+
+ _P.-S._--Cet ordre ne doit pas être publié.
+
+
+Mais reprenons la suite des faits, dont cette lettre nous a
+détournés. Le 12 août, Reinhard annonçait au duc de Bassano
+l'arrivée du roi:
+
+
+ Avant-hier, à sept heures du matin, le canon a annoncé au public
+ l'heureuse arrivée de S. M. le roi, qui avait eu lieu dans la nuit
+ au palais de Napoléons-Höhe.
+
+ S. M. le roi a reçu le même jour, à son lever, les officiers de sa
+ maison. Toutes les personnes qui jouissent des grandes entrées ont
+ eu la faveur d'y être admises. Le soir, tous les habitans de Cassel
+ ont illuminé leurs maisons.
+
+ Par décret royal, daté de Varsovie le 2 août, M. le colonel baron de
+ Borstel a été nommé général de brigade, chargé du commandement de la
+ 1e brigade de la 1re division des troupes westphaliennes.
+
+ Le colonel Lageon du 7me régiment d'infanterie de ligne a été nommé
+ chef d'état-major de la garde royale.
+
+ Après avoir copié ces articles du _Moniteur westphalien_, qui sont
+ les seuls concernant le roi et le royaume qui ont paru depuis le
+ retour de S. M., je continue les rapports que j'ai à faire à V.
+ Exc., et qui ne seront encore guère plus importants.
+
+ Le roi se porte bien. Il a reçu toute sa cour avec autant
+ d'affabilité que de gaieté. Il y a eu spectacle à Napoléons-Höhe
+ avant-hier et hier dans les appartements intérieurs. Hier matin, S.
+ M., après avoir déjeuné à sa petite maison de Schoenfeld, est venue
+ en ville. Elle est entrée dans son palais, s'est rendue chez son
+ peintre, et de là au château incendié. Son architecte a fait trois
+ plans de construction d'un nouveau palais: le premier se rapporte à
+ la reconstruction de l'ancien château; le deuxième transforme en
+ palais royal le palais actuel des États; d'après le troisième on
+ construirait un palais entièrement nouveau hors de l'enceinte de la
+ ville. Dans les deux premiers on a suivi des vues d'économie, il ne
+ s'agirait guère que d'une dépense de trois ou quatre millions. On
+ m'a dit que le roi encore hier s'était expliqué dans le même sens
+ qu'il m'avait parlé, il y a quelques mois, et qu'il avait déclaré
+ qu'il n'habiterait plus l'ancien château; mais qu'en attendant que
+ ses moyens lui permettent d'en bâtir un nouveau, il le ferait
+ arranger pour y donner de grandes audiences dans des occasions
+ solennelles.
+
+ Je n'ai encore vu ni le roi, ni personne de sa suite, excepté le
+ chambellan comte d'Oberg et le comte de Furstenstein. Ce dernier m'a
+ parlé de la maladie que le roi avait eue à Varsovie et dont il était
+ maintenant rétabli. Comme je ne me croyais pas en ce moment chargé
+ de prendre aucune initiative, notre conversation s'est promptement
+ détournée sur des sujets indifférents. M. de Furstenstein avait le
+ maintien modeste; il ne portait même aucune décoration.
+
+ Ces deux courtisans se sont beaucoup plaints des Polonais, de leur
+ esprit de désordre et de pillage, de la haine qu'ils portaient aux
+ Allemands et de la perfidie avec laquelle ils accusaient les autres
+ des excès qu'ils commettaient eux-mêmes. Ce langage où peut-être ils
+ n'avaient pas entièrement tort me paraît avoir été tenu avec
+ intention.
+
+ Voilà, monseigneur, tout ce que m'ont appris mes communications
+ directes. Voici ce que j'ai appris indirectement:
+
+ Le roi, ou ne parle point du tout à ceux qui étaient restés à Cassel
+ de ce qui s'est passé et a amené son retour, ou il leur dit qu'il
+ est au mieux avec S. M. l'empereur, que surtout le dernier courrier
+ qui a déterminé son départ accéléré de Varsovie, lui en a porté
+ l'assurance et que bientôt on en verra les preuves. La reine même,
+ depuis le retour du roi, a beaucoup pleuré pendant deux jours.
+
+ Aujourd'hui a été tenu le premier conseil des ministres. J'ignore
+ encore ce qui s'y est passé; mais, d'après ce qui s'est traité au
+ conseil d'administration qui s'est tenu après, je vois qu'entre
+ autres choses, il y a été question de la lettre que j'avais remise
+ hier concernant les diverses réclamations du domaine extraordinaire.
+ Le roi veut que l'état de ses finances soit débrouillé dans trois
+ mois: c'est ce qu'il a déjà voulu souvent.
+
+ Quant à ceux qui sont revenus avec lui, tous le blâment et tous
+ cherchent à se disculper. Le général Chabert fait valoir une lettre
+ qu'il a écrite au roi, en commun avec le général Allin, pour amener
+ S. M. à des résolutions plus sages. Ils n'ont pas laissé ignorer le
+ contenu de celle qu'a portée au roi ce courrier par lequel il dit
+ avoir reçu de si heureuses assurances.
+
+ Le courrier dit être parti du quartier général impérial deux jours
+ après M. de Brugnières (secrétaire du cabinet du roi), et avoir été
+ obligé de se cacher vingt-quatre heures dans des marais. Arrivé
+ auprès du roi, il a été fort étonné de ne point trouver M. de
+ Brugnières. Voilà ce que raconte le général Chabert qui le croit
+ pris. M. de Furstenstein dit qu'il arrivera incessamment.
+
+
+La fin de l'année 1812 fut triste pour le roi Jérôme que son frère
+continua à battre froid. Revenu dans ses États, il y trouva plus que
+jamais les embarras financiers et la misère, l'empereur lui
+demandant toujours de nouveaux sacrifices et opposant aux justes
+réclamations du gouvernement westphalien une fin de non recevoir qui
+se traduisait par la morale de la fable du loup et de l'agneau.
+
+La correspondance de M. Reinhard avec Napoléon et avec le duc de
+Bassano mettra les lecteurs au courant de ce qui se passa dans le
+petit royaume de Jérôme, royaume voué à une dissolution prochaine.
+
+Quant à l'armée levée avec tant de soin et au prix de tant de
+sacrifices par le roi, il n'en devait plus être question; à la
+retraite de Russie, après les batailles où cette armée avait
+illustré son drapeau, elle fut anéantie complètement.
+
+Nous allons donner les lettres ou les extraits de lettres les plus
+essentielles omises aux Mémoires de Jérôme:
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 8 août 1812.
+
+ Dans mes numéros précédents, j'ai informé V. Exc. que
+ progressivement, d'abord la Reine, ensuite ses principaux
+ serviteurs, enfin le public avaient reçu des alarmes sur la
+ situation du Roi.
+
+ Cependant, avant-hier encore, Elle fit défendre à M. Hugot par M.
+ Pothau de parler à qui que ce soit de la lettre du ministre
+ westphalien à Dresde et Elle engagea M. Siméon à faire passer au Roi
+ un projet de constitution espagnole envoyé par M. de Wintzingerode,
+ en disant que cette pièce l'intéresserait. Mais en refusant ses
+ confidences à M. Siméon, Elle les avait faites à d'autres et je
+ savais depuis hier que M. de Marinville attendait le Roi à Varsovie
+ le 29 et très positivement le 30.
+
+ Ce matin, après avoir reçu vos dépêches du 27 et du 31 juillet, je
+ me suis rendu chez M. Siméon, et me prévalant de l'autorisation de
+ communiquer les nouvelles que je recevais du gouvernement
+ westphalien, je lui ai fait remarquer cette expression «le corps que
+ commandait le Roi de Westphalie» qui se trouve dans votre dépêche du
+ 27. M. Siméon de son côté avait à m'apprendre qu'hier, dans la nuit,
+ Messieurs d'Oberg et Schlikler, chambellans de S. M., étaient
+ arrivés et avaient porté à la Reine la nouvelle du retour prochain
+ du Roi. Il m'a montré en même temps un bulletin qui aurait déjà dû
+ paraître aujourd'hui et qui paraîtra demain dans le moniteur
+ westphalien où il est dit que le Roi revient pour cause de santé.
+
+ Je me suis alors permis, Monseigneur, de mettre M. Siméon au fait du
+ véritable état des choses qu'il ne pressentait que trop. J'ai ajouté
+ que ce serait lui seul à qui je ferais cette révélation en le
+ laissant le maître de l'usage qu'il voudrait en faire auprès de la
+ Reine. Il m'a répondu qu'il ne lui en dirait rien pour ne point
+ l'affliger davantage.
+
+ M. Siméon, depuis l'arrivée des chambellans, n'avait point vu la
+ reine, mais Elle avait montré la lettre du Roi au maréchal du
+ Palais, M. de Boucheporn. Il paraît, m'a dit M. Siméon, que la Reine
+ lui avait écrit fortement, puisque dans sa lettre le Roi dit qu'il
+ est très bien avec S. M. l'empereur; qu'après avoir chassé au loin
+ le prince Bagration, l'objet de sa campagne est rempli et qu'il ne
+ lui reste plus rien à faire; que d'ailleurs sa santé ne supporte
+ point le climat et quant aux finances qu'il les raccommodera
+ aisément dans l'espace de deux ans.
+
+ On sait aussi, j'ignore si c'est par la lettre du Roi ou par le
+ rapport des chambellans, qu'une espèce de dyssenterie obligeant S.
+ M. de voyager à petites journées, Elle n'arrivera ici que le 18.
+ Plusieurs personnes à la suite du Roi ont écrit à leur femme,
+ entr'autres le général Chabert; mais toutes les lettres sont sans
+ date.
+
+ Je m'empresse, Monseigneur, de vous donner ces nouvelles
+ préliminaires d'un retour causé par des circonstances où il doit
+ être si difficile au roi de se dissimuler ses torts à lui-même.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 10 août 1812.
+
+ La journée d'hier ne nous a rien appris de nouveau. Quoiqu'on soit
+ informé que le retour du roi ne doit avoir lieu que le 18, on se
+ flatte, et moi surtout j'espère qu'il reviendra pour le 15. Au moins
+ ce serait ce que le roi pourrait faire de plus conforme à l'opinion
+ qu'il paraît désirer lui-même que le public prenne de sa situation
+ actuelle. M. le comte de Bocholtz, qui est revenu de sa campagne et
+ qui pendant cette semaine ainsi que M. Siméon encore sera du voyage
+ de Napoléonshöhe, m'a offert de demander à la reine ses intentions
+ concernant la célébration de la fête du 15, afin que de mon côté je
+ puisse prendre mes arrangements en conséquence. J'ai appris depuis
+ par M. Siméon qu'il y aurait ce jour-là grande audience du corps
+ diplomatique le matin, et le soir cercle, spectacle et souper.
+
+ Du reste, Monseigneur, quelles que puissent être les dispositions du
+ roi, en revenant dans ses États, et sans m'inquiéter de ce qui dans
+ ces circonstances pourrait rendre pénible ma position personnelle,
+ c'est précisément le moment actuel qui semble m'imposer le devoir
+ indispensable de remettre sous les yeux de V. Exc. l'état où se
+ trouve la Westphalie.
+
+ Après avoir sacrifié le bien-être de son royaume à la création d'une
+ armée qu'on ne lui demandait pas et qui, tout compris, monte au
+ nombre de 36,000 hommes, le roi par sa déplorable inconsistance perd
+ aujourd'hui le fruit de tous ses soins et se voit rejeté loin de
+ toutes ses espérances. Il trouvera son trésor épuisé, ses sujets
+ accablés, ses ministres désolés, sa considération entamée, le crédit
+ anéanti, les ressources de l'avenir dévorées d'avance.
+
+ J'aime à me persuader que la facilité avec laquelle dans l'espace de
+ deux ans le roi espère rétablir ses finances est la preuve d'une
+ résolution fortement prise et non d'une présomption naturelle à son
+ âge; mais alors même, combien de victoires aura-t-il à remporter sur
+ ses goûts et sur ses habitudes, et combien aura-t-il à regretter de
+ s'être privé légèrement de tant de moyens qui auraient suffi pour
+ conserver l'aisance à son royaume et la splendeur à son trône, et
+ qui n'existent plus! Comment réussira-t-il à s'affectionner pour ses
+ États qu'il a si souvent paru trouver trop étroits pour son
+ ambition!
+
+ Mais en admettant que son désir de bien faire ait pris un nouveau
+ degré d'énergie, comment et par qui sera-t-il secondé? Et quand il
+ existerait autour de lui des hommes dignes de sa confiance, comment
+ se préservera-t-il à l'avenir des mauvais conseils et des influences
+ funestes qu'il lui sera si difficile d'éviter, parce qu'il se croit
+ au-dessus de leur atteinte?
+
+ Déjà ceux qui dans cette campagne paraissent avoir joui de la
+ confiance particulière de S. M. ne sont pas ceux que l'opinion
+ publique aurait désignés de préférence. M. le général Chabert,
+ quoique très bon pour dresser des recrues, n'avait pas fait ses
+ preuves pour remplir la place de chef d'état-major, ni le comte de
+ Wickenberg, homme sans talents et sans éducation, n'avait été jugé
+ capable de jouer un premier rôle dans de grandes opérations
+ militaires. Quant à M. de Furstenstein qui doit son existence de
+ favori à son dévouement sans doute, mais avant tout à son
+ infériorité, il est certain qu'en se désolant autant qu'il en est
+ capable, il n'aura jamais osé sortir de sa nullité.
+
+ Revenu dans sa résidence, qui le roi retrouverait-il? M. Siméon, bon
+ dans sa partie, sage dans ses vues et dans ses conseils, mais sans
+ fermeté et paralysé par son âge et par sa position? Messieurs de
+ Höne et de Wolfradt, pleins d'excellentes intentions, mais sans
+ coup-d'oeil, incapables d'énergie ou de conquérir une confiance
+ qu'ils n'ont point? M. de Malchus, homme sans conceptions et sans
+ entrailles, indifférent au mépris et à la haine qui le poursuivent?
+ M. Pichon, capable de bouleverser l'État pour satisfaire son
+ ambition ou pour faire triompher un avis mal dirigé, dont la
+ conduite rend de plus en plus suspects les motifs de son zèle, dont
+ le caractère et la moralité paraissent tourmentés d'une crise
+ constante et violente et qui, jouissant d'une très grande influence
+ et n'ayant encore réussi qu'à porter la confusion dans la
+ comptabilité dont il fait et refait journellement le système, a
+ toujours pour ressource de dire qu'on ne l'a pas écouté? Enfin, M.
+ de Bongars dont les mains manient la police comme un enfant
+ manierait un rasoir, qui pour augmenter les fonds de son département
+ assujettit toute l'université de Göttingue à se munir de cartes de
+ sûreté, établit à Brunswick trois maisons de prostitution à la fois,
+ à Hanovre des maisons de jeu où vont se réunir toutes les servantes
+ et qui expose le royaume au danger continuel de passer de la
+ terreur au désespoir et du désespoir à la révolte?
+
+ Je ne vous retrace point, Monseigneur, le tableau des finances; vous
+ savez que je n'ai point osé porter ma prévoyance plus loin que la
+ fin de l'année. Vous savez à quel prix on s'est procuré des
+ ressources insuffisantes. Puisse S. M. I. daigner jeter un regard de
+ commisération sur ce malheureux pays et ne point abandonner un jeune
+ roi, dont les défauts en partie proviennent de ses qualités, aux
+ difficultés de sa position, à l'amertume de ses chagrins et aux
+ erreurs de son âge!
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 15 août 1812.
+
+ J'ai reçu hier au soir la circulaire de Votre Excellence, du 7, qui
+ nous fait connaître les dernières nouvelles de l'armée et qui nous
+ fait présager les nouveaux succès du grand mouvement en avant qui
+ s'est préparé sous les plus heureux auspices.
+
+ M. Brugnière est revenu: je ne l'ai point vu encore; mais j'apprends
+ qu'il n'a pas même pu pénétrer jusqu'à Wilna, de manière que son
+ courrier seul avait des dépêches à rapporter et qu'on conçoit
+ comment il a pu ne pas se presser de revenir. Il a raconté avec
+ indignation des médisances que les Polonais se sont permises sur le
+ compte du roi et que M. le comte de Furstenstein m'a répétées. Non
+ seulement ils l'accusaient de s'être fait donner de l'argent en
+ Pologne, chose qui n'est nullement dans le caractère de Sa Majesté,
+ mais l'insolence a été poussée à Varsovie au point d'envoyer un
+ commissaire dans les écuries où étaient les chevaux du roi pour
+ chercher s'il ne s'en trouvait point qui appartinssent aux Polonais.
+ Sur la plainte du roi, ce commissaire a été mis aux arrêts, où il
+ est resté pendant un mois. On sait en effet qu'il y a dans le
+ caractère national des Polonais une disposition à l'ingratitude et à
+ la jalousie contre les étrangers quels qu'ils soient et que c'est de
+ gaîté de coeur qu'ils aiment à nuire, surtout à ceux aux pieds
+ desquels ils se prosternent pendant la faveur, lorsqu'ils croient
+ s'apercevoir que la faveur s'en est détournée.
+
+ Tous les bruits de débarquement, soit d'Anglais, soit de Suédois ou
+ de Russes, se sont tout à coup calmés. On assure aujourd'hui que la
+ Suède a levé l'embargo qu'elle avait mis sur les bâtiments français
+ et qu'après avoir touché deux mois de subsides des Anglais elle leur
+ a déclaré qu'ils demandaient des choses trop difficiles.
+
+ M. Pichon me dit que son successeur est déjà nommé et désigné et que
+ ce sera M. Dupleix, de retour de son emploi d'intendant de l'armée
+ Westphalienne. Il revenait d'une conversation qu'il avait eue avec
+ le roi, après un conseil d'administration où il avait présenté
+ l'état de distribution du mois de septembre. Je sais qu'en allant à
+ ce conseil M. Pichon entrevoyait encore la possibilité de rester,
+ mais qu'en sortant elle l'avait abandonné. Quant à M. Dupleix, sa
+ réputation est celle d'un homme actif et intelligent, mais il n'a
+ pas au même degré celle d'intégrité.
+
+
+ Cassel, le 16 août 1812.
+
+ En adressant à V. Exc. le nº 194 du Moniteur westphalien, contenant
+ le programme de la fête qui s'est donnée hier à Napoléonshöhe,
+ j'ajouterai quelques détails qui ne s'y trouvent point.
+
+ Avant la réception du corps diplomatique, Leurs Majestés m'ont reçu
+ en audience particulière. Le teint du roi est un peu hâlé; il paraît
+ avoir maigri un peu; du reste, il jouit d'une bonne santé. En
+ entrant, j'ai dit que je venais féliciter S. M. de l'anniversaire de
+ la naissance de l'empereur, son frère, et y joindre tous mes voeux
+ pour la gloire de S. M. impériale et pour le bonheur de son auguste
+ maison. Le roi m'a prévenu qu'il m'enverrait une lettre pour S. M.
+ impériale que je devais faire passer par l'estafette. Je ne l'ai
+ point reçue encore. En parlant des nouvelles de l'armée, il a dit
+ qu'on voyait que l'armée du prince Bagration était plus forte que
+ l'empereur ne l'avait supposé. Il n'a été question, en aucune
+ manière, des événements qui ont précédé ou causé son retour. Le
+ front du roi était un peu voilé: le mien l'était peut-être un peu
+ aussi. Je crois que tous les deux nous cherchions à cacher un
+ sentiment pénible. On avait reçu, la veille, une lettre de M. Bigot
+ à Copenhague. Le roi s'est expliqué sur la conduite du prince royal
+ de Suède en des termes qui prouvaient combien il sentait tout ce
+ qu'elle avait d'inconséquent et d'inconcevable. J'en ai profité pour
+ abonder dans son sens. M. Bigot avait mandé que le duc d'OEls et
+ Dörnberg étaient arrivés à Stockholm; et le roi m'a appris que ce
+ dernier avait été à Prague et avait demandé deux millions pour faire
+ soulever la Hesse à l'ancien électeur qui avait répondu que, tant de
+ fois trompé, il les donnerait lorsqu'il serait rétabli à Cassel. La
+ reine m'a chargé très expressément de transmettre à S. M. impériale
+ ses félicitations et ses expressions d'attachement et de respect.
+
+ Tous les membres du Conseil d'État sont venus me porter leurs
+ félicitations. J'ai trouvé peu disposées à converser les personnes
+ revenues avec le roi. En général, le sentiment de la situation où le
+ roi s'est placé paraissait tellement dominer toute la cour, qu'on
+ peut dire que dans ce beau jour la joie ne battait que d'une seule
+ aile. L'illumination n'avait pas été commandée, mais toutes les
+ autorités et un grand nombre de particuliers ont illuminé de leur
+ propre mouvement.
+
+ Depuis le retour du roi, je n'ai point encore trouvé l'occasion de
+ parler à M. Siméon; mais M. Pichon a eu avec moi une conversation
+ qui m'a paru sensée. Il m'a dit que le roi nourrissait dans son
+ intérieur un sentiment profond de chagrin et d'amertume, et que pour
+ son bonheur et son avenir il paraissait importer extrêmement que ce
+ sentiment fût adouci; que malheureusement, soit légèreté, soit
+ faiblesse, les personnes qui l'entouraient de plus près avaient,
+ dans les circonstances comme celles où il se trouve maintenant,
+ quelquefois l'air de lui donner raison ou du moins ne lui donnaient
+ pas entièrement tort; que son amour-propre s'en prévalait et s'en
+ raidissait; qu'il fallait en ce moment qu'aucun de ses vrais
+ serviteurs ne le flattât ou ne l'entretînt dans des illusions, et
+ qu'il appartenait à S. M. impériale seule de tempérer pour le guérir
+ une juste sévérité par la tendresse, par l'indulgence et par la
+ générosité.
+
+
+ BULLETIN DE REINHARD.
+
+ Cassel, 26 août 1812.
+
+ Tandis que les changements résolus dans le ministère paraissent
+ provisoirement ajournés, il en est arrivé un dans l'intérieur du
+ palais auquel on ne s'attendait pas. Mme la baronne d'Otterstadt,
+ dame du palais, soeur du comte de Zeppelin, ministre des relations
+ extérieures à Stuttgard, confidente unique de la reine, a donné et
+ reçu sa démission. Elle va quitter Cassel dans 3 ou 4 jours.
+
+ Son mari, inspecteur général des forêts, espèce d'aventurier, le
+ plus circonspect et le plus fin des hommes en théorie et le plus
+ étourdi en pratique, avait reçu, il y a quelque temps, la défense de
+ paraître à la cour, hors les jours des grandes audiences. Mme
+ d'Otterstadt qui, de son côté, avait reçu plusieurs dégoûts, demanda
+ que cette défense fût levée et menaça, dit-on, de donner sa
+ démission que le roi s'empressa d'accepter.
+
+ M. de Furstenstein dit que M. d'Otterstadt s'était mêlé de choses
+ sales, c'est-à-dire il s'était entremis dans une correspondance
+ entre le prince royal de Wurtemberg et Mme Blanche Laflèche, baronne
+ de Keudelstein. Un certain Delorme, porteur de la correspondance,
+ fut arrêté par le commissaire de police de Mayence, sur la
+ réquisition de M. de Bongars. Après la lecture des lettres, le roi
+ fit expédier à Mme Blanche, qui est actuellement à Gênes, l'ordre de
+ ne point revenir et de renvoyer son chiffre, marque distinctive des
+ dames du palais. Il ne paraît point qu'elle ait de pension et on
+ craint que les secours qui servaient à élever les enfants à Paris ne
+ soient supprimes.
+
+ Le public, se souvenant d'anciennes médisances, attribue la disgrâce
+ de Mme d'Otterstadt à des papiers trouvés dans le portefeuille du
+ général comte de Lepel, mort à Mojaisck.
+
+ La reine, dit-on, en annonçant cette démission à la grande
+ maîtresse, fondait en larmes: en public, elle s'est contenue. Mme
+ d'Otterstadt était son amie d'enfance, elle remplissait toutes ses
+ heures solitaires; et ce qu'on ne conçoit pas, c'est que Mme
+ d'Otterstadt ait pu remplir un vide. C'est une femme sans éducation,
+ sans esprit, sans amabilité, mais bonne et tellement réservée que
+ c'est à elle qu'il faut attribuer l'ignorance presque absolue où la
+ reine est restée sur _les inconstances du roi_. Si la reine éprouve
+ jamais le besoin de remplacer cette confidente, elle n'en pourra
+ choisir aucune qui convienne au roi autant que Mme d'Otterstadt sous
+ ce rapport, si ce qui est incroyable est vrai, que la reine soit
+ jalouse jusqu'à l'emportement et que son calme ne soit que l'effet
+ de sa sécurité, le départ de cette dame pourra amener des suites
+ d'une grande influence sur le caractère de la reine et sur les
+ relations de l'intérieur du palais.
+
+ Mme d'Otterstadt tenait de la cour de Wurtemberg une pension de
+ 3,000 francs dont le roi s'était chargé et qu'il a doublée. Elle va
+ se retirer provisoirement à Francfort. Le ministre de Wurtemberg est
+ fort affecté de ce déplacement.
+
+ Le jour de la disgrâce de Mme d'Otterstadt, Mme la comtesse de
+ Lowenstein, après quelques jours d'absence, a reparu à la cour avec
+ une robe neuve et tellement élégante qu'elle a fait le désespoir des
+ dames du palais. Mme de Lowenstein poursuit la marche honorable
+ qu'elle s'est tracée pour parvenir à une faveur exclusive. Le
+ premier but qu'elle aura à atteindre sera d'être nommée dame
+ d'atour.
+
+ On l'a vue dernièrement se promener à Napoléonshöhe entre le comte
+ et la comtesse de Blumenthal, tandis que leur fille se promenait
+ avec le général Wolf dans une entrevue d'épreuves. Mlle de
+ Blumenthal, peu jolie au reste, venait d'atteindre sa seizième
+ année: ses parents, dit-on, s'étaient empressés de faire hommage au
+ roi de ses prémices, le général Wolf devait l'épouser en
+ conséquence. C'est un juif baptisé: la généalogie ne pouvait pas
+ faire obstacle, plus de seize quartiers y étaient. Mais cet officier
+ déclara qu'il ne croyait pas que Mlle de Blumenthal pût lui
+ convenir. Bon père, M. de Blumenthal, chambellan du roi, avait été
+ maire de Magdebourg; il paraît que c'est en cette qualité qu'il a
+ obtenu la croix de la Légion d'honneur.
+
+ Mme la comtesse de Pappenheim est revenue à la cour et est logée
+ vis-à-vis le palais, dans le dernier appartement qu'a occupé le
+ grand maréchal. Son mari est toujours à Paris, entre les mains du
+ docteur Pinel.
+
+
+ BULLETIN DE REINHARD.
+
+ Cassel, 4 septembre 1812.
+
+ C'est Mme la comtesse de Lowenstein qui depuis le retour du roi a
+ joui des faveurs de Sa Majesté. Il y a eu, dit-on, une petite
+ distraction en faveur de Mlle Alexandre, mariée Escalonne, revenue
+ du camp de Pologne. Mais Mme de Lowenstein a pris son mal en
+ patience et le roi lui est revenu. Cette dame se distingue par son
+ esprit de conduite: malgré cela elle réussira difficilement à rendre
+ le roi constant.
+
+ On annonce l'arrivée d'une Polonaise dont le logement en ville est
+ déjà préparé. Un officier polonais, qui s'était attaché au roi comme
+ officier d'ordonnance et qui était venu avec M. Brugnière, étant
+ reparti, on croit qu'il sera allé au devant de sa compatriote.
+
+ Mmes Blanche et Jenny Laflèche, femmes de l'ex-intendant de la liste
+ civile et de son frère le chambellan, partent pour se rendre à Gênes
+ par Paris. Il est incertain si elles reviendront. À la cour on
+ prétend qu'à la suite d'un engagement pris avec le prince royal de
+ Wurtemberg, Mme Blanche ira habiter les bords du lac de Constance.
+ Cette famille est extrêmement déchue. Le conseiller d'État est un
+ étourdi, le chambellan est un mauvais sujet. Cependant les dames ont
+ toujours conservé une amie ardente en Mme la comtesse de Schomberg,
+ femme du ministre de Saxe.
+
+ On parlait pendant quelques jours d'une espèce de disgrâce où était
+ tombé M. le comte de Furstenstein. Il n'en est rien et il est
+ certain qu'il occupera le magnifique hôtel qui sera délaissé par M.
+ et Mme Pichon. Ce qui est vrai, c'est que le roi avait insisté de
+ nouveau pour que Mme de Furstenstein demandât une place de dame du
+ palais et qu'elle et son mari s'y sont de nouveau refusés.
+
+ Le comte de Pappenheim a été atteint à Paris de plusieurs attaques
+ d'apoplexie qui font espérer que sa fin sera prochaine. On ne croit
+ point que Mme de Pappenheim doive revenir à la cour de Westphalie et
+ l'on assure que M. de Waldener son père s'y oppose. Quant au comte
+ de Wellingerode, on le dit entièrement abandonné des médecins.
+
+ On avait préparé pour Mme la duchesse de Rovigo l'appartement de la
+ comtesse de Pappenheim; mais à la porte de la ville on avait oublié
+ de dire que cette dame était absente. Mme la duchesse, déclarant
+ qu'elle n'aimait pas la société des femmes, alla descendre à
+ l'auberge de la Maison-Rouge où l'aubergiste ne voulut pas la
+ recevoir, ni même, dit-on, la laisser reposer dans son salon. Sur
+ ces entrefaites, M. de Bongars survint, et sur la plainte de M.
+ Bourienne il en fit le rapport au roi qui ordonna la punition de
+ l'aubergiste, telle qu'elle est énoncée dans l'arrêté ci-joint du
+ commissaire de police.
+
+ La manière dont l'aubergiste a raconté à M. Siméon comment la chose
+ s'était passée est un peu différente. Du reste, depuis longtemps cet
+ homme était signalé comme n'aimant pas les Français. Son ancienne
+ enseigne étant _à l'Électeur_, après l'avoir ôtée, il n'en mit point
+ d'autre et son auberge ne fut connue que sous le nom de la
+ Maison-Rouge.
+
+ La femme du ministre de Prusse n'a point obtenu la permission de
+ prendre avant son départ congé de la reine.
+
+ Le musicien Rode et le danseur Duport sont ici. Le premier a déjà
+ joué devant la cour et donnera un concert au public. Duport, dit-on,
+ ne dansera point pour avoir fait dire dans une gazette de Berlin
+ qu'il se rendait à Cassel sur une invitation du roi.
+
+ Pendant les courses de la cour sur la Fulde et sur le Weser, elle
+ est escortée sur les deux rives par des gardes du corps et des
+ lanciers. On prétend que c'est parce que M. de Bongars rêve toujours
+ encore conspiration.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 18 septembre 1812.
+
+ Voici comment, dans le dernier voyage de Brunswick, le roi a raconté
+ confidentiellement à l'un de ceux qui l'y ont accompagné les motifs
+ de son départ de l'armée.
+
+ L'aile droite de la grande armée avait une destination particulière
+ et séparée, celle de couper le corps de Bagration. Cette destination
+ a été remplie. Après que ce but fut atteint, Sa Majesté l'empereur
+ jugea à propos de renforcer le centre. Des corps furent détachés de
+ l'armée que le roi avait commandée jusqu'alors. Dès lors, cette
+ armée séparée fut subordonnée à la direction générale et la présence
+ du roi devint sans objet. Sa Majesté l'empereur a senti parfaitement
+ que le roi ne pouvait être sous le commandement de personne et c'est
+ d'accord avec lui que le roi est revenu.
+
+ J'ai eu plusieurs fois occasion de dire à Votre Excellence un mot
+ sur les irrégularités qui se commettent en Westphalie dans la vente
+ des domaines de l'État. Mais celles qui se commettent dans la vente
+ des dîmes dans le district de Hildesheim sont tellement publiques,
+ tellement indécentes et paraissent tellement constatées que je dois
+ en faire une mention particulière. Je savais déjà par M. Pichon que,
+ soit qu'il voulût seulement se procurer des renseignements, soit
+ qu'il eût réellement le projet de faire une acquisition très
+ profitable, il s'était adressé à un homme en place dans ce pays-là,
+ pour s'informer du prix courant des dîmes et pour lui donner la
+ commission d'en acheter. Cet homme lui répondit qu'aucune vente ne
+ se faisait en public et que le beau-frère de M. de Malchus engageait
+ tous les amateurs à s'adresser directement au ministère des finances
+ où on leur ferait de meilleures conditions. Cela n'est pas très
+ légal, cependant cela pouvait s'excuser par la pénurie du trésor et
+ par le besoin où l'on était de se procurer de l'argent promptement
+ et à tout prix. Mais j'ai su depuis par une source très authentique
+ que toute cette transaction dont l'objet se monte à près de deux
+ millions est exclusivement entre les mains de deux beaux-frères et
+ d'un parent de M. de Malchus, dont l'un fait l'estimation des dîmes,
+ l'autre en conclut les marchés et le troisième en reçoit le prix.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 28 septembre 1812.
+
+ Vendredi dernier, le roi me fit encore appeler dans son cabinet. Il
+ n'est pas besoin de dire que la victoire de Mojaisk, la part qu'y
+ ont eue les troupes westphaliennes, le problème de l'entrée ou
+ paisible ou sanglante dans Moscou furent le thème principal de cet
+ entretien qui ensuite est devenu aussi vague que la conversation
+ précédente dont j'ai rendu compte à Votre Excellence. Cependant, un
+ des ministres du roi m'a fait la confidence que le roi avait voulu
+ me sonder sur certaines dispositions ou intentions de Sa Majesté
+ impériale qu'assurément je ne m'étais jamais vanté de connaître.
+ Quoi qu'il en soit, cette fois encore je suis resté fidèle à la
+ maxime de ne point prendre l'initiative sur les choses délicates qui
+ concernent la campagne que Sa Majesté a faite en Pologne; et comme
+ le roi de son côté n'a pas pris l'initiative, j'ignore s'il a inféré
+ de notre conversation que j'étais instruit de quelque chose ou que
+ je ne savais rien. Du reste, quelque effort que fasse le roi pour
+ cacher la situation intérieure de son âme, il me paraît certain que
+ plus les événements de la campagne sont glorieux et plus l'idée d'en
+ être éloigné le tourmente. Aussi croit-on s'apercevoir que Sa
+ Majesté souffre et maigrit; et je vous avoue, Monseigneur,
+ qu'attaché comme je le suis à ce prince doué de tant d'heureuses
+ qualités et reconnaissant de la bienveillance qu'il m'a souvent
+ témoignée, je ne puis que me sentir attristé et de sa situation qui
+ à la fois lui impose la gêne de voiler ses torts et lui ôte les
+ moyens de les réparer, et de la mienne qui me défend de lui donner
+ des conseils qu'on ne me demande point ou de lui témoigner un
+ intérêt dont on ne veut pas être censé avoir besoin. Aussi,
+ Monseigneur, serait-il bien heureux pour moi le jour où interprète
+ de la bonté généreuse de Sa Majesté impériale, je pourrais lui
+ porter la seule consolation capable de guérir sa blessure.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 19 octobre 1842.
+
+ Tandis qu'une salle de spectacle se construit au palais du roi, le
+ lieu des séances du Conseil d'État a été transporté dans le palais
+ des États où sera aussi logée une partie des artistes au service du
+ roi qui habitaient jusqu'à présent le garde-meuble. Ce même palais
+ renferme une bibliothèque et plusieurs collections assez
+ intéressantes ou curieuses. Ces dernières ont déjà beaucoup diminué,
+ on dit qu'elles vont être transportées on ne sait où. Il se trouvait
+ au château de Napoléonshöhe la bibliothèque à l'usage personnel de
+ l'ancien Électeur, très bien choisie et composée de livres de prix;
+ elle pourrit aujourd'hui dans un galetas du garde-meuble, entassée
+ dans des corbeilles et à la merci du premier venu.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 21 novembre 1812.
+
+ La cour est revenue mardi dernier du voyage de Catharinenthal. Elle
+ a assisté le même jour en grande loge à la 1re représentation de
+ l'opéra de la Vestale donné avec une magnificence qui approchait
+ bien près de celle de Paris. Seulement le théâtre a paru un peu trop
+ étroit pour le char triomphal attelé de quatre chevaux blancs.
+
+ La petite salle de spectacle construite dans l'intérieur du château
+ a été inaugurée avant-hier. Le roi a acheté autour de cette
+ résidence provisoire plusieurs maisons nouvelles dont on a déjà
+ démoli et déblayé l'intérieur. Ces changements continuels, ces
+ dépenses très considérables pour agrandir et embellir un local qui
+ n'en est pas susceptible et qui ne doit servir que par intérim, la
+ célérité nuisible avec laquelle le roi veut que les ordres qu'il
+ donne à cet égard soient exécutés, désolent l'intendant de sa
+ maison, mais le roi dit que c'est là sa jouissance. Néanmoins cet
+ intendant assure que la totalité des budgets pour la maison de S. M.
+ où les écuries seules absorbent 12 à 1,300,000 francs n'excède pas
+ la somme de 4,700,000 francs. À la vérité ces constructions et les
+ dépenses de la cassette n'y sont pas comprises. La répugnance de la
+ reine surtout à faire réparer l'ancien palais incendié et à revenir
+ l'habiter paraît invincible.
+
+ Quant au budget de l'État, M. de Malchus, dit-on, se propose de ne
+ le soumettre au roi qu'au mois de décembre. Pour le moment le trésor
+ est assez à l'aise, principalement parce que la solde de plusieurs
+ mois n'a pas encore été payée à l'armée.
+
+ Je reçois à l'instant la lettre de V. Exc. du 11 novembre, avec la
+ lettre jointe de M. le duc de Rovigo. J'aurai l'honneur d'y répondre
+ incessamment.
+
+
+Les lettres et bulletins de ce genre donnaient beaucoup d'humeur à
+Napoléon qui voyait son jeune frère gaspiller l'argent pour des
+futilités, tandis qu'il eût voulu que tout fût consacré alors à
+entretenir la guerre et à faire de nouveaux armements; cela explique
+en quelque sorte la fin de non recevoir qu'il opposait aux demandes
+incessantes et justes de la Westphalie.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 16 décembre 1812.
+
+ Sire, j'apprends à l'instant le passage de Votre Majesté par Dresde,
+ je m'empresse de lui exprimer mon désir bien naturel sans doute
+ d'aller en personne lui présenter les expressions de mon tendre et
+ inviolable attachement.
+
+ Je serai heureux si Votre Majesté veut me permettre d'aller passer
+ quelques jours auprès d'elle.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 17 décembre 1812.
+
+ Un décret royal a aboli la charge de grand maître de la reine: celle
+ du chevalier d'honneur y a été substituée. On la croyait
+ généralement destinée à M. de Maupertuis, et tout annonce que la
+ famille Fursteinstein s'en flattait. Elle a été, dit-on,
+ désorientée, lorsqu'il y a quelques jours, le roi déclara que ce ne
+ serait point M. de Maupertuis. On nomme aujourd'hui M. le comte de
+ Busche, ancien ministre de Westphalie à Saint-Pétersbourg. On dit
+ que Mme Mallet, première lectrice de la Reine, a repris un certain
+ ascendant et qu'il y a eu une explication de la reine avec le roi.
+ Quelques indices pourraient même faire penser que le roi de
+ Wurtemberg est intervenu. Il est du moins certain qu'il a écrit
+ dernièrement une lettre au roi, son gendre. En même temps, M. de
+ Gemmingen, ministre de Wurtemberg, a été appelé subitement à
+ Stuttgard; il est parti ce matin. Plusieurs personnes pensent qu'il
+ ne reviendra point; quant à lui, il ne paraît se douter de rien. Les
+ motifs qui avaient dicté au roi de Wurtemberg le choix d'un ministre
+ bonhomme, mais sans esprit et sans influence, peuvent avoir été très
+ bons sous plusieurs rapports: ils ont cependant eu ce résultat
+ fâcheux pour la reine qu'elle s'est un peu trop abandonnée
+ elle-même; cette apathie éternelle, vraie ou apparente, a quelque
+ chose qui nuit et qui fait de la peine; et c'est déjà un mal que le
+ mieux qu'on puisse dire de cette princesse soit qu'elle ne fait
+ point de mal.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 18 décembre 1812.
+
+ Sire, je m'empresse d'adresser à Votre Majesté, à l'occasion de la
+ nouvelle année, mes félicitations et l'expression sincère de mes
+ sentiments inaltérables. Je serais particulièrement heureux, sire,
+ si Votre Majesté me permettait d'aller l'assurer de vive voix de mon
+ tendre et inviolable attachement.
+
+ J'attends la réponse de Votre Majesté avec bien de l'impatience.
+
+
+L'empereur ne permit pas à son frère de se rendre à Mayence pour son
+passage. Le jeune roi, de plus en plus affecté de sa disgrâce auprès
+de son frère, resta à Cassel, qu'il allait à la fin de 1813
+abandonner sans retour.
+
+À la fin de décembre 1812, l'empereur ayant désiré avoir des notions
+vraies et confidentielles sur plusieurs des ministres et des
+principaux personnages du royaume de Westphalie, M. Reinhard envoya
+à Paris, sur chacun de ces personnages, des aperçus curieux et
+sincères.
+
+Nous allons faire connaître ce qui concerne les plus en vue de ces
+hommes d'État:
+
+
+ Cassel, 29 décembre 1812.
+
+ 1º M. le comte de WOLFRATH, ministre de l'intérieur, grand croix de
+ l'ordre de Saxe, commandeur de l'ordre de la Couronne.
+
+ Il a commencé sa carrière comme avocat à Brunswick où, par
+ l'intégrité de son caractère, il s'attira la faveur du dernier duc
+ qui le nomma d'abord conseiller de la cour, ensuite directeur de la
+ chancellerie de justice, et à la fin, ministre. À la formation du
+ royaume, il fut nommé ministre de l'intérieur. Quelque grand et
+ sincère que fût jadis son attachement à la maison de Brunswick, on
+ ne peut pas lui reprocher la moindre bévue politique depuis la mort
+ de son ancien maître. Il est un des plus fidèles serviteurs du roi
+ de Westphalie dont l'intérêt ainsi que celui du royaume lui sont les
+ plus sacrés. Il est seulement à plaindre que, par une ancienne
+ habitude, il soit encore trop attaché aux anciens usages et formes
+ dont il lui est presque impossible de se défaire. C'est lui qui est
+ cause que tant d'anciennes choses se conservent encore, lesquelles,
+ d'après la constitution, ne devraient plus exister. On lui reproche
+ aussi une lenteur terrible dans les expéditions qui se font à ses
+ bureaux. Son principe est que les règlements français sur
+ l'administration intérieure sont excellents pour la France, mais
+ moins bons pour les peuples d'Allemagne.
+
+ Il voudrait admettre partout des restrictions qui produisent un
+ mélange affreux. Il est un des plus grands admirateurs de
+ l'empereur. Ceux qui le connaissent particulièrement soutiennent
+ qu'il l'aime encore plus qu'il n'ose le dire, de crainte de paraître
+ par là trop bon français et de perdre l'affection du roi qui ne veut
+ apercevoir en ses ministres que des gens qui lui soient uniquement
+ attachés. C'est par cette raison même que son influence sur les
+ préfets, sous-préfets, maires de canton et maires de commune n'a
+ jamais été avantageuse pour le gouvernement français. Il a toujours
+ cru devoir leur faire sentir à toute occasion le grand avantage de
+ n'être pas soumis aux droits réunis, à l'enregistrement, etc. M. de
+ Wolfrath est un de ceux qui pour faire aimer le gouvernement
+ westphalien sacrifieraient tout autre intérêt. Les Français attachés
+ à la Westphalie l'estiment assez à l'égard de son caractère, mais
+ ils lui reprochent aussi sa lenteur et son entêtement de conserver
+ tant d'anciennes formes.
+
+ 2º M. le baron MALCHUS, comte de MARIENRODE, ministre des finances,
+ commandeur de l'ordre de la Couronne.
+
+ Il y a seize ans qu'il n'était que gouverneur des enfants de M. de
+ Brabeck, près de Hildesheim, par l'intercession duquel il obtint la
+ place de syndic auprès du chapitre dans cette ville.
+
+ Lorsque le pays de Hildesheim, en conformité du traité de
+ Ratisbonne, fut occupé par les Prussiens, M. Malchus révéla à la
+ commission prussienne le secret de tous les capitaux que le chapitre
+ avait eu soin de soustraire aux perquisitions des organisateurs. En
+ récompense de ce service, le roi de Prusse le nomma conseiller de la
+ guerre et des domaines en la chambre des domaines à Halberstadt. À
+ l'époque de la fondation du royaume de Westphalie, M. Malchus
+ s'empressa de mettre le gouvernement en état de s'emparer de
+ plusieurs capitaux également inconnus. Le roi le nomma conseiller
+ d'État, sur la proposition de M. de Bulow, ministre des finances. M.
+ Malchus sut bientôt gagner la confiance du roi, tantôt par des
+ propositions financières, tantôt par des sommes qu'il savait faire
+ entrer dans la caisse royale par ses recherches. Il fut nommé à
+ plusieurs commissions extraordinaires, entre autres à l'organisation
+ du pays d'Hanovre. Après cette organisation, il fut envoyé à Paris
+ pour obtenir quelques avantages dans les domaines. Enfin, lorsque M.
+ de Bulow fut déposé de la place de ministre des finances, M. Malchus
+ l'obtint, au grand étonnement de toute la cour qui avait désigné le
+ conseiller d'État Pichon pour successeur du comte de Bulow. M.
+ Malchus n'avait jamais été aimé de personne. Sa nomination de
+ ministre fit une impression désagréable sur tous les employés au
+ service. Il fut regardé comme une sangsue qui n'épargnerait rien
+ pour se confirmer dans l'opinion du roi et qui n'oublierait pas non
+ plus son intérêt particulier.
+
+ Le roi le nomma ministre des finances, du trésor et du commerce; il
+ continua à être à la tête de ces trois départements sans aucun
+ contrôle; mais cela ne dura pas longtemps. Il fut nommé, au grand
+ dépit de M. Malchus, un intendant général du trésor public, en la
+ personne de M. Pichon, conseiller d'État. Tout le monde
+ applaudissait à cette nomination qui faisait d'autant plus de
+ plaisir que M. Pichon réunissait tous les suffrages et qu'il était
+ généralement connu pour le meilleur intendant et le plus
+ désintéressé serviteur du roi.
+
+ J'ai déjà cité dans l'histoire de l'esprit public le désordre qui
+ règne dans les finances. Les cabales et intrigues qui commencèrent
+ entre M. Malchus et M. Pichon le mirent à son comble. Celui-ci
+ voulait introduire l'administration du trésor purement sur le pied
+ français, tandis que celui-là y voulait conserver les formes
+ adoptées et se réserver d'y mettre du sien à son aise. M. Pichon,
+ dégoûté de toutes ces tracasseries, demanda enfin au roi d'être
+ nommé ministre du trésor. Le roi refusa cette prière, et M. Pichon
+ donna sa démission qui fut acceptée, au grand triomphe de M. Malchus
+ et au grand dépit du public. M. Pichon va s'en retourner en France.
+ Il a la satisfaction d'être le plus estimé Français qui ait été au
+ service de la Westphalie.
+
+ M. Malchus est un homme dont l'égoïsme dépasse toute idée. Pourvu
+ qu'il réussisse en ses projets particuliers, il servira tout aussi
+ bien le dey d'Alger que le roi d'Angleterre. Sa souplesse l'aidera à
+ se pousser partout. Comme il ne doute point que la fin de son
+ ministère ne soit très proche, il a eu soin de se mettre en état
+ d'attendre l'avenir sans inquiétude. Il s'est mis en possession du
+ beau domaine de Marienrode qu'il vient d'acheter au roi, lequel pour
+ preuve de sa satisfaction, lui a fait encore un cadeau de 120,000
+ francs. Le public est étonné que M. Malchus ait pu payer la somme
+ énorme de presque un million de francs le domaine de Marienrode.
+ Tout le monde sait qu'il n'a jamais eu de fortune. On dit qu'il a
+ gagné par les manoeuvres de papiers publics dont il réglait les
+ chances.
+
+ M. Malchus a pour habitude de relancer sur la France les demandes
+ qu'il fait au peuple westphalien. Les besoins de l'armée lui servent
+ toujours de prétexte, et comme cette armée, dit-il, n'existe que
+ pour l'empereur Napoléon, c'est à celui-ci que les Westphaliens
+ doivent s'en prendre.
+
+ Il est vrai qu'il est difficile d'avoir toujours à sa disposition
+ les sommes dont le roi a besoin pour couvrir les frais énormes que
+ le luxe de la cour et ses autres dépenses exigent. Mais il n'est
+ pas moins vrai que les mesures de M. Malchus ne sont calculées que
+ pour les besoins du moment et qu'il est bien loin d'établir un
+ système financier tel que la Westphalie l'exigerait.
+
+ 3º M. SIMÉON, ministre de la justice, commandant de la Légion
+ d'honneur, grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, grand commandeur
+ de la couronne de Westphalie.
+
+ Il est le plus estimé de tous les ministres. La partie judiciaire va
+ si bien en Westphalie qu'on croirait que le code Napoléon y est déjà
+ introduit depuis dix ans.
+
+ M. Siméon est réputé très bon français. Il est à plaindre qu'il ne
+ soit pas à la tête des autres parties de l'administration. Il est
+ président de la commission du Sceau des Titres.
+
+ 4º M. le comte de FURSTENSTEIN, ministre des relations extérieures,
+ secrétaire d'État, grand commandeur de l'ordre de la Couronne,
+ grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, de l'Éléphant, de
+ l'Aigle-Noir, des Séraphins, de l'Aigle-d'Or wurtembergeois.
+
+ Il a le surnom de Furstenstein de la dotation d'une partie de biens
+ considérables du ci-devant ministre hanovrien Dide de Furstenstein
+ que le roi lui a conférés. Au commencement de sa nomination, on ne
+ doutait point qu'il ne serait le premier favori du roi et le
+ _factotum_ dans le gouvernement. Il est réellement un des premiers
+ favoris du roi; mais quant à son autorité, il ne l'emploie jamais
+ qu'aux affaires qui regardent son ministère, de manière que ses plus
+ proches parents ne puissent compter sur sa protection. Il a épousé
+ la fille du comte de Hardenberg, grand veneur westphalien.
+
+ 5º Le prince Ernest de HESSE-PHILIPSTHAL, grand officier de la
+ Couronne, grand-croix de l'Aigle-Noir.
+
+ Il est le fils du prince Adolphe de Hesse Philipsthal Barchfeld,
+ prince apanage de l'ancienne maison de Hesse Philipsthal et dont la
+ fortune a été toujours très médiocre. Il s'est marié avec une
+ princesse de Hesse Philipsthal d'une autre ligne collatérale de
+ l'ancienne maison régnante.
+
+ Le grand chambellan est un homme sans prétention, loyal et beaucoup
+ estimé. Il ne peut pas briller par l'étendue de son esprit, mais il
+ ne manque pas d'instruction. Son attachement au roi de Westphalie
+ est hors de contestation. Il aimerait également la France s'il y
+ vivait. Sa soeur est mariée avec le comte Laville-sur-Illion,
+ gouverneur du palais de résidence. L'un et l'autre ne peuvent pas
+ être comptés pour des gens qui signifient grand'chose.
+
+ 6º M. le comte de HARDENBERG, grand veneur, grand-croix de l'ordre
+ des Deux-Siciles, commandeur de l'ordre de la Couronne, Hanovrien de
+ naissance.
+
+ Il était ci-devant bailli hanovrien à Rotenkirchen et, dans le
+ dernier temps de l'Électorat, gouverneur du château royal à
+ Hanovre. Sa fortune est très grande et ses revenus seraient très
+ grands, s'il était possible d'introduire l'ordre dans son économie.
+ Malgré ses biens immenses, il n'a jamais d'argent et il emprunte à
+ tout le monde.
+
+ Il a deux frères, dont l'un, le comte de Hardenberg, était autrefois
+ président d'une cour de justice et membre de la commission du
+ gouvernement à Hanovre; et l'autre, gentilhomme à la cour de
+ Hanovre.
+
+ L'aîné de ces deux frères a épousé une fille naturelle du dernier
+ duc de Courlande, et se trouve à présent à sa terre de Rannewitz en
+ Mecklembourg. Il a sollicité très vivement la place du premier
+ président de la cour impériale, à Hambourg; aussi, la commission du
+ gouvernement l'a proposé. N'ayant pas réussi en ce projet à Paris,
+ il a, à présent, l'intention d'aller à Vienne où son frère, le
+ ci-devant gentilhomme, a établi un bureau de banquier.
+
+ Tous ces trois frères étaient connus autrefois pour être animés d'un
+ esprit entièrement dévoué à l'Angleterre. Le banquier viennois se
+ détachait le premier de ce sentiment, croyant avoir raison de se
+ plaindre qu'on ne l'avançât pas d'après son mérite. Le grand veneur
+ suivit cet exemple à l'époque de la fondation du royaume de
+ Westphalie. Il a déclaré publiquement son convertissement politique
+ en donnant sa fille pour épouse à M. Lecamus, depuis comte de
+ Furstenstein. Le comte de Hardenberg de Rannewitz, piqué de ce qu'on
+ n'a pas voulu de lui, conserve encore son dévouement à l'Angleterre.
+ Sa fille est mariée au jeune comte de Platen, neveu de M. le comte
+ de Munster, résidant aussi en Mecklembourg. Le voyage de M. de
+ Hardenberg à Vienne m'a paru, au commencement, un peu suspect; mais
+ je ne doute plus, d'après les renseignements que j'ai eu l'occasion
+ de me procurer, qu'il n'ait d'autres intentions qu'à voir s'il
+ pourra s'associer avec son frère le banquier.
+
+ 7º M. le comte de BOCHHOLZ, grand officier de la Couronne, grand
+ maître des cérémonies, conseiller d'État, grand aigle de la Légion
+ d'honneur, commandeur de l'ordre de la Couronne.
+
+ Il est natif de Munster où son père était autrefois prévôt du
+ chapitre. Il passe pour le plus riche particulier attaché à la cour.
+
+ Son inclination innée pour l'Autriche est encore très vive. Il n'a
+ jamais cru le trône de France bien affermi qu'après le second
+ mariage de l'empereur. Il est honnête homme et incapable de malices
+ quelconques.
+
+ 8º M. de BIEDERSEE, conseiller d'État, commandeur de l'ordre de la
+ Couronne, Prussien de naissance.
+
+ Il était ci-devant président de la régence de Halberstadt, et l'est
+ maintenant de la cour d'appel à Cassel. Il est honnête homme, mais
+ un peu égoïste. Son ancien attachement à la Prusse s'effaça sitôt
+ qu'il se trouva dans une position à ne plus avoir à craindre pour
+ sa subsistance. La seule pensée d'un changement de gouvernement le
+ fait trembler, puisqu'il craint d'en souffrir des pertes
+ particulières. Ce n'est que cette peur qui lui inspire de la
+ répugnance contre la France. Il passe pour un homme instruit, juste
+ et très appliqué. La cour d'appel jouit, sous sa présidence, d'une
+ parfaite réputation. Il n'est pas riche et ne pourra vivre sans être
+ employé.
+
+ 9º M. le baron de LEIST, conseiller d'État, directeur général de
+ l'instruction publique, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est
+ le fils d'un ci-devant bailli hanovrien qui demeure encore à
+ Ebstorf, près de Lunebourg.
+
+ Il s'est appliqué, dès sa première jeunesse, tellement aux sciences,
+ qu'il fut déjà jugé un savant avant d'avoir fréquenté l'université
+ de Göttingue où, ses études finies, il s'établit comme professeur en
+ droit. Sa renommée de savant lui attira l'attention des ministres de
+ Bulow et de Wolfrath qui le proposèrent au roi pour conseiller
+ d'État en la section de la justice et de l'intérieur. Sa
+ connaissance en écoles et universités lui procura la direction
+ générale de l'instruction publique.
+
+ Il a le grand mérite d'avoir banni des universités westphaliennes
+ tous ces ordres, associations et agrégations qui s'y étaient
+ manifestés parmi les étudiants, et lesquels y causaient les plus
+ grands désordres.
+
+ Il a su insinuer également d'une manière très adroite aux
+ professeurs qu'il ne leur convient pas du tout de se mêler des
+ affaires de politique. Les universités de Marbourg et de Göttingue
+ me paraissent être entièrement métamorphosées depuis deux ans. MM.
+ les professeurs, instruits que la police de M. de Leist les observe
+ partout, se gardent bien de n'ouvrir leur coeur qu'aux personnes de
+ la plus intimé connaissance, de sorte qu'il est impossible que les
+ élèves soient entichés de la fièvre de fronder et se préparer leur
+ propre malheur, comme à Heidelberg.
+
+ M. de Leist est un homme d'une ambition sans bornes: il est plein de
+ cette présomption dont les professeurs allemands sont si facilement
+ saisis. C'est son faible de s'entendre louer, et quiconque sait
+ toucher adroitement cette corde disposera bientôt de M. de Leist. Sa
+ nomination de conseiller d'État l'éblouissait tellement que dès ce
+ jour-là son ancien vrai attachement au gouvernement hanovrien
+ changea en une haine si forte qu'il ne sut trouver des propos assez
+ durs pour témoigner sa répugnance. Il s'imagina longtemps que le roi
+ de Westphalie n'avait pas besoin de la protection de la France. Sa
+ fausse politique l'a séduit même quelquefois, au point de concevoir
+ les ridicules idées que le gouvernement westphalien ne fût point
+ obligé de recevoir des préceptes de l'empereur.
+
+ Le public l'accuse de fausseté en ses principes et prétend qu'il
+ serait capable de sottises encore plus grandes, pourvu que le roi
+ les prît pour marques d'attachement à sa personne.
+
+ M. de Leist craint beaucoup que le royaume ne soit incorporé
+ incessamment à l'empire. L'on a remarqué qu'il parle avec
+ enthousiasme de la France, depuis que le roi est revenu de l'armée.
+
+ Il a pour épouse la fille d'un ci-devant secrétaire du ministère
+ hanovrien, M. Klackenbring, qui est mort en démence. Sa fortune est
+ médiocre; son frère unique est secrétaire-général de la préfecture à
+ Göttingue.
+
+ 10º M. le comte de MEERVELDT, conseiller d'État, maître-général des
+ requêtes, commandeur de l'ordre de la Couronne. Il est natif du pays
+ de Paderborn et fut ci-devant sacristain de la cathédrale de
+ Hildesheim, place à laquelle ne pouvaient arriver que les nobles
+ d'un certain nombre de quartiers.
+
+ Il est lié avec la famille des comtes de Meerveldt, en Autriche,
+ sans cependant les connaître personnellement. M. de Meerveldt est un
+ des plus honnêtes hommes qui entourent le roi. Son aversion pour les
+ Prussiens en a fait un bon serviteur westphalien. Il fait ses
+ fonctions avec une exactitude ponctuelle et s'est fait estimer de
+ tout le monde. Sa fortune est très considérable; il n'est pas marié.
+ Son attachement au roi de Westphalie est sincère. Il aime moins la
+ France parce qu'il croit que le roi, son maître, a des raisons de se
+ plaindre de la France.
+
+ 11º M. de SCHULTE, conseiller d'État, membre de la commission du
+ sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est
+ Hanovrien; son bien de souche est à Burgoittensen, petit endroit
+ dans le département des Bouches de l'Elbe. Sa fortune est une des
+ plus considérables du royaume.
+
+ Ayant achevé ses études à Göttingue, il fut employé comme auditeur
+ et puis comme conseiller à la chancellerie de la justice à Stade,
+ capitale de l'ancien duché de Bremen.
+
+ Ensuite, il fit un voyage en Angleterre et obtint d'être nommé
+ conseiller à la Chambre des domaines, à Hanovre. Du temps de
+ l'occupation française, sous le gouvernement du général Lasalcette,
+ il fut nommé membre de la commission du gouvernement, résidant à
+ Hanovre. À l'époque de la réunion du pays d'Hanovre à la Westphalie,
+ M. de Schulte fut fait conseiller d'État, à cause de sa fortune
+ qu'on voulut qu'il mangeât à Cassel.
+
+ On ne peut pas lui disputer de l'esprit et de l'instruction; mais il
+ serait difficile de trouver un homme plus froid et plus fier que
+ lui. Son aversion pour la France s'est adoucie un peu depuis que ses
+ biens sont en France. Il est, néanmoins, très sujet à caution, et
+ quand les circonstances exigeraient jamais de mettre en sûreté les
+ personnes disposées à soutenir les projets des Anglais ou des
+ séditieux quelconques, je serai d'avis de ne point oublier M. de
+ Schulte.
+
+ Il s'est marié trois fois: sa première femme fut une demoiselle de
+ Bothmer, d'Hanovre, dont il a eu une fille; celle-ci étant morte, il
+ épousa une demoiselle de Busche Munch, fille du feu chambellan de
+ Busche, à Hanovre, qui est morte en couches; à présent, il a pour
+ troisième femme la fille du ci-devant général de Wangenheim.
+
+ M. de Schulte a touché à chaque mariage des dots considérables, de
+ sorte que sa fortune en a considérablement grossi. Son oncle est le
+ général anglais de Schulte, qui a pour résidence la terre de
+ Burgoittensen.
+
+ 12º M. le baron de HARDENBERG, conseiller d'État, chevalier de la
+ Couronne, grand-croix de l'ordre de Sainte-Anne.
+
+ Il est le frère du ministre-chancelier de Hardenberg, à Berlin, dont
+ il partage toujours les maximes et principes. Sa carrière ancienne
+ fut celle des baillifs hanovriens. Il eut le beau bailliage de
+ Grohude, près de Hameln, dont il est encore fermier général. Ses
+ finances sont ordinairement très embrouillées. Ayant pour femme la
+ soeur du feu ministre hanovrien, de Steinberg, il partageait
+ l'attachement général de tous les Hanovriens à leur gouvernement;
+ mais cet attachement a cessé depuis qu'il est persuadé que le pays
+ d'Hanovre ne sera plus rendu à l'Angleterre.
+
+ Il ne voudrait pas que le royaume soit réuni à la France: voilà le
+ seul point qui lui fasse de la peine. Je réponds cependant qu'il
+ n'entreprendra jamais rien contre la France.
+
+ 13º M. de MALSBOURG, conseiller d'État, président de la section des
+ finances, commandeur de l'ordre de la Couronne. Hessois de
+ naissance, il fut ci-devant conseiller intime de l'Électeur de
+ Hesse. Ses compatriotes l'aimaient assez.
+
+ En l'absence du ministre des finances, c'est lui qui en tient le
+ portefeuille. Il est un homme droit et de bonne volonté, mais dans
+ l'esprit duquel les nouvelles formes ont encore bien de la peine
+ d'entrer aisément. Il n'est pas marié; sa fortune est médiocre.
+ Étant avec ses amis intimes, il aime à laisser passer le temps passé
+ devant son imagination: il le regrette de temps en temps; mais il
+ est trop honnête homme pour n'être pas un fidèle serviteur du roi.
+
+ 14º M. le baron de WITZLEBEN, conseiller d'État, directeur général
+ des eaux et forêts, chevalier de l'ordre de la couronne.
+
+ Il est natif du pays de Nassau et fut ci-devant grand veneur à la
+ cour de Hesse-Cassel. Il fait son service avec exactitude et jouit
+ de la réputation d'un bon homme. Du reste, c'est un homme qui ne
+ s'occupe que de son métier et qui est très insignifiant par rapport
+ à la politique.
+
+ Son ancienne carrière était celle de professeur en droit des gens, à
+ Göttingue, où il était beaucoup estimé. Il est parfait honnête homme
+ et jouit aussi à la cour d'une très bonne réputation. Le
+ gouvernement français pourra compter sur la justesse de ses
+ principes et son zèle à lui être utile.
+
+ 15º M. le comte de PATJE, conseiller d'État, président de la Chambre
+ des comptes, commandeur de l'ordre de la Couronne.
+
+ Il commença sa carrière comme secrétaire à la Chambre des domaines,
+ à Hanovre. Ses talents et son application le distinguèrent bientôt
+ si avantageusement que le roi d'Angleterre le fît venir à Londres
+ pour concerter avec lui les mesures financières qu'il eut
+ l'intention d'introduire. Aussi est-il resté fidèle à la partie des
+ finances jusqu'à la fin de l'existence de l'électorat d'Hanovre.
+
+ Lorsque les Français vinrent occuper le pays d'Hanovre en 1803, et
+ qu'une députation des membres des États fut chargée du gouvernement,
+ le ministère nomma M. Patje membre de cette députation, dans le
+ dessein de faire surveiller par lui la conservation des droits
+ royaux pendant l'occupation française. Les manières insinuantes et
+ la connaissance parfaite du pays lui attiraient la faveur et la
+ bienveillance de tous les généraux et des autorités français,
+ prussiens, russes, hollandais, espagnols, etc., qui venaient occuper
+ le Hanovre. Ses relations avec le prince de Ponte-Corvo tinrent
+ d'une vraie amitié.
+
+ Pendant la courte apparition que M. de Munster fit dans le Hanovre
+ en 1805, M. Patje fut nommé conseiller intime du cabinet. En 1809,
+ le gouverneur général Lasalcette le nomma président de la commission
+ du gouvernement qui remplaça la députation des membres des États, et
+ ce fut en cette qualité qu'il se présenta au roi de Westphalie à
+ l'époque où le Hanovre fit partie de son royaume.
+
+ Le roi témoigna beaucoup de confiance à M. de Patje, ce qui fut
+ cause d'une métamorphose totale qui s'opéra sur le système politique
+ qu'il avait adopté fidèlement jusqu'alors. D'un très fidèle partisan
+ anglais, M. Patje devint tout à coup l'ennemi déclaré du
+ gouvernement des insulaires. Il s'est dévoué si entièrement à la
+ Westphalie qu'il a oublié même que le royaume tient son existence de
+ l'empereur. La perte des domaines qu'il a administrés depuis plus de
+ trente ans lui cause bien du chagrin. Il trouve injuste cette
+ privation des revenus si considérables et voit avec dépit les
+ donataires français se mettre en possession de ces domaines sans
+ lesquels il s'imagine que le roi ne pourra subsister.
+
+ M. de Patje se trouve en ce moment-ci à Hambourg où il travaille
+ avec M. le comte de Chaban à la séparation de la dette publique
+ entre la France et la Westphalie.
+
+ Il est de l'âge d'environ soixante-dix ans. Sa fortune est très
+ considérable; il n'a qu'une petite-fille, Mlle de Wense, pour
+ héritière. Son beau-fils, M. de Wense, ancien capitaine hanovrien,
+ vit en particulier à Hildesheim.
+
+ 16º M. le baron de BERLEPSCH, conseiller d'État, chevalier de
+ l'ordre de la couronne.
+
+ Hanovrien et ancien président de la cour de justice aulique à
+ Hanovre. Il a joué un rôle assez singulier à l'époque de la
+ Révolution française. Sa prédilection pour les révolutions en
+ général fut si marquée, et ses mesures si inconsidérées commencèrent
+ à devenir tellement choquantes qu'il fut destitué de sa place et
+ rayé de la liste des membres des États. M. de Berlepsch alla se
+ plaindre de cet attentat contre le gouvernement hanovrien à la
+ chambre de justice de Wetzlar. Le procès a duré jusqu'à la réunion
+ du pays à la Westphalie où M. de Berlepsch fut nommé d'abord préfet
+ à Marbourg, puis conseiller d'État. Il est encore aujourd'hui un
+ terrible raisonneur, surtout quand il s'agit de censurer les mesures
+ du gouvernement. Quoiqu'il soit assez connu et qu'on n'ait rien à
+ craindre de ses exploits, je crois pourtant qu'il serait utile de
+ contenir sa langue, s'il devenait sujet français. Sa fortune est
+ assez considérable. Il s'est séparé de sa femme qui pendant quelque
+ temps fît quelque figure par ses poésies, et laquelle s'est remariée
+ à un nommé Harns, fermier dans les environs de Göttingue.
+
+ M. de Berlepsch a l'esprit enjoué et caustique: on se divertit à
+ l'entendre radoter.
+
+ 17º M. de REINECK, conseiller d'État, membre de la commission du
+ sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet de
+ Cassel.
+
+ Il était autrefois conseiller de régence à Aroldsen dans le pays de
+ Waldeck. C'est un homme qui réunit beaucoup d'adresse à autant
+ d'instruction. Son administration du département va très bien; il
+ jouit d'une bonne réputation dans Cassel, mais on dit généralement
+ qu'il a une grande aversion pour la France. Je ne le connais pas
+ assez pour en juger avec certitude. On m'a assuré que c'est lui qui,
+ pour confirmer les Westphaliens dans la confiance de leur
+ gouvernement, donna toujours des couleurs sombres à la position des
+ sujets français. On l'accuse d'être cause, par ce tableau, de la
+ peur panique qu'a éveillée la possibilité d'être réuni à l'empire.
+
+ 18º M. le comte de SCHULENBOURG, conseiller d'État du service
+ extraordinaire, grand-aigle de la Légion d'honneur, grand-croix des
+ ordres de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge.
+
+ Sa carrière est assez connue. D'ancien général de la cavalerie
+ prussienne et ministre d'État, il s'est laissé faire d'abord
+ général de division et puis conseiller d'État westphalien, parce que
+ sa terre de Kehnert est située dans le royaume. Il y vit très
+ retiré, rongeant son dépit contre le monde entier et ne pouvant pas
+ encore concevoir comment il se soit fait que la Prusse ait pu
+ succomber à la France. Il ne s'occupe que de l'exploitation de ses
+ biens et ne voit presque personne. Il ne sera jamais dangereux pour
+ la France.
+
+ 19º M. de REIMANN, conseiller d'État du service extraordinaire,
+ chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet du département de
+ l'Oker, à Brunswick.
+
+ Il est né Prussien et était ci-devant employé à la Chambre des
+ domaines à Minden en qualité de conseiller des guerres. Lorsque la
+ Prusse prit possession du pays de Paderborn, c'est M. de Reimann qui
+ fut chargé de l'organisation de ce pays. Il s'en est acquitté
+ parfaitement, à la satisfaction du gouvernement et de la province. À
+ l'avènement du roi de Westphalie, il fut nommé préfet et
+ l'administration de son département pouvait servir de modèle à tous
+ les autres. Il est à présent à Brunswick où sa présence fut jugée
+ nécessaire pour mettre un terme aux querelles qui s'étaient établies
+ entre les Français et les Westphaliens. Il a su trouver les moyens
+ de parvenir à son but. M. de Reimann est un homme éclairé qui sait
+ très bien que le sort de la Westphalie dépend de notre empereur. Il
+ ne s'est jamais compromis ni par des expressions, ni par des faits
+ inconsidérés.
+
+ 20º M. le comte DE LEPEL, général de brigade, conseiller d'État,
+ président de la section de la guerre, chevalier de l'ordre de la
+ Couronne.
+
+ Il est ancien Hessois et a été déjà général au service de l'électeur
+ de Hesse.
+
+ Il n'y a pas de doute que M. de Lepel est beaucoup attaché au roi de
+ Westphalie; mais il est très douteux qu'il ait les mêmes sentiments
+ pour l'empereur.
+
+ À l'occasion de la séparation des départements hanséatiques, il
+ s'est permis de si fortes expressions et a pris aussi dans la suite
+ si peu de précautions en parlant de la France en général, qu'il est
+ impossible de lui accorder la moindre confiance. Il est détesté à
+ Cassel pour ses manières rudes et outrageantes. Son orgueil et la
+ façon dont il en use avec ses subordonnés lui ont attiré une haine
+ générale. Le roi lui veut du bien. On se disait pendant quelque
+ temps que la reine ne se sentait aucun éloignement à le voir, mais
+ ce bruit s'est bientôt perdu.
+
+ 21º M. DE DOHM, conseiller d'État du service extraordinaire,
+ commandeur de l'ordre de la Couronne.
+
+ Cet ancien ministre prussien s'est fait connaître assez en Allemagne
+ par le nombre considérable des commissions dont son ancien
+ gouvernement l'a chargé. Son système en ce temps-là était
+ entièrement anti-français. Enragé de ce que la Prusse n'ait pas fait
+ la guerre à la France en 1805, il ne manqua pas de mettre en
+ mouvement tout ce qui dépendait de lui pour faire réussir celle de
+ 1806. L'issue de cette guerre le força de quitter le service
+ prussien et d'embrasser celui de la Westphalie puisqu'il avait tout
+ son bien dans ce royaume. Le roi de Westphalie le traita avec
+ beaucoup de bonté, il le nomma même ambassadeur à la cour de Dresde.
+ M. de Dohm ne pouvait cependant résister à l'envie de se retirer du
+ service. Il obtint la permission du roi de s'en aller dans sa terre
+ près de Nordhausen où il mène aujourd'hui encore la vie la plus
+ retirée. Il n'est que Prussien, les autres nations lui sont
+ indifférentes; il n'aime pas du tout les Anglais. S'il était
+ possible de rendre à la Prusse son ancienne grandeur, il serait le
+ premier à y contribuer. Cette espérance échouée, on peut considérer
+ M. de Dohm comme un être innocent qui ne fera aucun mal. Son rôle
+ est fini, son âge avancé demande ce repos qu'il a trouvé.
+
+
+L'année 1813, qui devait être la cinquième et la dernière du règne
+de Jérôme, s'annonça à ce prince sous de tristes auspices.
+
+Dans les premiers jours de janvier, Napoléon fit savoir à son frère
+qu'il devait réunir à Magdebourg, la place la plus importante de ses
+États, un des points essentiels de la base d'opération ou de défense
+des armées françaises, des approvisionnements considérables pour une
+forte garnison et pour le ravitaillement d'armées d'opération.
+
+Jérôme, tout en protestant de son désir de remplir les volontés de
+l'empereur, fit valoir le dénûment complet de la Westphalie, qui
+avait fait des sacrifices énormes depuis 1811, son épuisement total,
+l'impossibilité absolue de rien faire si on ne lui venait en aide,
+soit en lui remboursant ses avances à l'empire français, soit en lui
+donnant quelques millions. Longtemps Napoléon fit la sourde oreille,
+puis il accorda de mauvaise grâce un faible et ridicule secours de
+500,000 francs, réduit à 250,000, dont l'envoi présenta de longues
+difficultés. Cet argent arriva trop tard.
+
+La correspondance diplomatique roula d'abord sur l'affaire de
+Magdebourg, et comme le baron Reinhard, dans presque toutes ses
+dépêches, dans ses bulletins à l'empereur et au ministre des
+relations extérieures, duc de Bassano, laissait percer une sorte de
+critique sur la conduite de Jérôme, sur ses dépenses inutiles, sur
+le luxe de la cour de Westphalie, enfin sur les aventures galantes
+du jeune roi, Napoléon, dont toutes les idées étaient alors tournées
+à la conservation de ses conquêtes, au maintien de son influence en
+Europe, ne pardonnait pas à son frère la légèreté de sa conduite,
+disant, non sans quelque raison, que si le roi de Westphalie
+trouvait bien de l'argent pour bâtir des châteaux, des salles de
+spectacle, et pour faire des cadeaux à ses maîtresses, aux dames de
+sa cour, à ses favoris, il en devait trouver, _a fortiori_, pour des
+dépenses de première nécessité, d'où dépendait l'existence de ses
+États.
+
+Le fait est, néanmoins, qu'un léger sacrifice d'argent de la part de
+Napoléon, une bonne division française envoyée à Cassel, eussent
+suffi, selon toute apparence, pour sauver Cassel et la Westphalie.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 2 janvier 1813.
+
+ Ce que la seconde dépêche me charge de faire connaître
+ particulièrement à la cour de Westphalie, je l'ai déjà fait entrer
+ dans une conversation provisoire que j'ai eue avec M. le comte de
+ Furstenstein au moment de son départ pour Catharinental. Ce ministre
+ m'a assuré qu'une économie sévère et beaucoup de retenue pendant
+ l'hiver et le carnaval entraient dans les plans du roi. Il est
+ certain, Monseigneur, que depuis l'éloignement de M.
+ Laflèche-Keudelstein qui vient de partir pour Paris par congé, comme
+ on dit, mais très probablement pour ne point revenir, on aperçoit
+ plus d'ordre et de sagesse dans l'administration et l'emploi des
+ fonds de la liste civile; et qu'en ce moment, la seule dépense
+ importante, d'une inutilité reconnue, consiste dans ce que fait le
+ roi pour embellir et pour agrandir l'habitation provisoire qu'il
+ occupe depuis l'incendie du château. Mais, ce sur quoi j'insisterai
+ beaucoup et que je présenterai comme un devoir indispensable à
+ remplir et comme un titre à acquérir à l'approbation de Sa Majesté
+ impériale, c'est l'armement et l'approvisionnement de la place de
+ Magdebourg, et, certes, il est impossible que le roi ne sente pas
+ que, dans les circonstances actuelles, il lui convient davantage de
+ construire un arsenal qu'un palais.
+
+
+ LE DUC DE BASSANO À REINHARD.
+
+ Fontainebleau, 26 janvier 1813.
+
+ J'ai mis sous les yeux de Sa Majesté vos dépêches des 18 et 20 de ce
+ mois, nºs 418 et 420. Elle est satisfaite des démarches que vous
+ avez faites et du compte que vous en rendez.
+
+ Je vous envoie la copie d'un décret sur l'approvisionnement de la
+ place de Magdebourg. Cet approvisionnement doit être pour 15,000
+ hommes et 2,000 chevaux pendant un an, tant en vivres qu'en effets
+ d'habillement, pour une garnison de cette force et pour un hôpital
+ extraordinaire de 2,000 malades.
+
+ Dans la rigueur du droit, cet approvisionnement devrait être fait
+ par le royaume de Westphalie; mais Sa Majesté veut ménager les
+ moyens du roi afin qu'il ne néglige pas la formation de son
+ contingent. Elle prend en conséquence à sa charge la moitié de
+ l'approvisionnement de Magdebourg.
+
+ Elle laisse le roi le maître de faire lui-même et par ses agents
+ cette moitié de l'approvisionnement qui serait payé comptant à
+ proportion des versements. Elle a pensé que le roi pourrait trouver
+ quelque avantage à se charger de cette opération en employant ou des
+ moyens de crédit ou des revirements commodes pour ses finances, ou
+ tout autre expédient qui lui conviendrait.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, le 28 janvier 1813.
+
+ Le roi n'a pas tardé à faire répondre à ma note du 14 janvier,
+ concernant l'approvisionnement de la place de Magdebourg.
+
+ Avant de recevoir cette réponse, j'avais reçu une lettre de M. le
+ ministre, directeur de l'administration de la guerre, qui, en me
+ chargeant d'employer tous mes soins pour que les mesures les plus
+ promptes soient prises pour approvisionner au complet la place de
+ Magdebourg, m'envoyait un état des denrées nécessaires pour
+ l'approvisionnement d'un an pour 15,000 hommes et 500 chevaux. Je me
+ suis empressé de faire passer cet état avec une nouvelle note à M.
+ le comte de Furstenstein, et ce ministre le tenait déjà lorsque je
+ suis arrivé pour lui parler de la sienne.
+
+ Votre Excellence trouvera la copie de cette note ci-jointe. Elle
+ n'est qu'une répétition des mêmes offres que le roi avait déjà
+ faites à M. le comte de Narbonne, sans avoir égard à l'état de la
+ question, telle que je l'avais posée d'après vos ordres; et ce que
+ mon devoir était surtout de ne pas laisser passer sans
+ contradiction, c'est la demande renouvelée de 3,770,000 francs[141]
+ qu'on prétend avoir dépensés en 1811 pour l'entretien des troupes
+ françaises, en sus de la compensation qu'on avait obtenue:
+ arrangement sur lequel, d'après les intentions connues de Sa Majesté
+ impériale, il n'y avait plus à revenir.
+
+ [Note 141: Cette somme était due en effet par la France à la
+ Westphalie.]
+
+ Toutes ces considérations m'ont engagé à prier ce ministre de
+ reprendre sa note. M. de Furstenstein m'a répondu que la forte
+ résolution du roi de tenir religieusement ce qu'il promettait le
+ déterminait à ne rien promettre au-delà de ce qu'il pourrait tenir;
+ que sa note disait exactement les mêmes choses que le roi avait déjà
+ écrites à Sa Majesté l'empereur; que les 3,700,000 francs ne
+ comprenaient pas seulement l'excédent des avances faites en 1811,
+ mais encore d'autres sommes que la Westphalie avait à réclamer,
+ telles que la part qui lui avait été promise dans le produit des
+ denrées coloniales séquestrées à Magdebourg, etc.; que ce n'était
+ pas précisément au paiement de cette somme que le roi tenait, mais à
+ un secours, à une avance quelconque de la part de la France, soit en
+ argent comptant, soit en moyens de crédit. J'ai néanmoins insisté à
+ ce qu'il reprit sa note. Je l'ai engagé de nouveau à en parler au
+ roi et ajoutant que quoique je ne pusse me flatter d'avoir sur
+ l'esprit de Sa Majesté une influence égale à la sienne, je
+ n'hésiterais pas à lui demander une audience pour le même motif. M.
+ de Furstenstein m'y a beaucoup encouragé, non sans protester contre
+ l'influence que je supposais qu'il avait sur l'esprit du roi. Dans
+ ma conversation, j'étais surtout parti de ce point, que le roi avait
+ calculé les offres qu'il faisait et pour la recomposition de son
+ contingent et pour l'approvisionnement de Magdebourg, sur les moyens
+ tant ordinaires qu'extraordinaires qui étaient à sa disposition:
+ qu'ainsi il n'y avait pas impossibilité absolue de porter plus haut
+ l'approvisionnement de Magdebourg; mais qu'il s'en suivrait
+ seulement que le roi ne pourrait pas employer à la formation de son
+ contingent la totalité des sommes qu'il voulait y consacrer; que dès
+ lors il s'agissait de savoir lequel de ces deux objets était pour le
+ moment le plus important et le plus pressé, et que j'avais lieu de
+ penser que Sa Majesté l'empereur attachait la plus haute importance
+ à l'approvisionnement le plus prompt et le plus complet de
+ Magdebourg, tandis que le roi préférerait peut-être employer ses
+ plus grandes dépenses pour la réorganisation de son armée. J'aurai
+ tout-à-l'heure à rendre compte à Votre Excellence du résultat qu'a
+ produit ce raisonnement.
+
+ De chez M. de Furstenstein, je suis allé chez M. le ministre des
+ finances qui, tandis que le premier m'avait fait les démonstrations
+ accoutumées d'une bonne volonté impuissante, m'a parlé en vrai
+ ministre des relations extérieures. Il m'a entretenu de tous les
+ sacrifices faits par la Westphalie, de toutes les conventions, de
+ toutes les promesses faites et non tenues par la France, de ses
+ efforts pour porter le budget de 1813 à 44 millions de revenu qu'il
+ aurait réduit à 40, si avant de le mettre sous les yeux du roi il
+ avait connu le 29e bulletin, de l'impossibilité de rester ministre
+ des finances, en admettant des demandes aussi vagues et aussi
+ illimitées que les nôtres. Au milieu de tout cela, je lui ai parlé
+ de l'approvisionnement de Magdebourg. M. de Malchus m'a dit qu'il
+ s'engageait formellement qu'au 5 février il y aurait à Magdebourg un
+ approvisionnement complet pour trois mois et pour 15,000 hommes,
+ conformément à l'état envoyé par M. le comte de Cessac, et qu'en
+ outre M. le ministre de la guerre se chargeait, par le moyen de ses
+ fournisseurs ordinaires, d'un autre approvisionnement de deux mois.
+ À l'objection que j'ai faite que je savais que cet approvisionnement
+ n'avait été dans les derniers temps que pour 2,400 hommes, il a
+ répondu que cela regardait M. le ministre de la guerre; mais M. le
+ comte de Höne m'a promis depuis, sur sa responsabilité, que cet
+ approvisionnement de deux mois serait pour 12,500 hommes et même
+ pour 15,000. Le roi a chargé M. de Malchus exclusivement de tout ce
+ qui concerne le nouvel approvisionnement de Magdebourg; mais comme
+ le marché que M. de Höne a fait avec des fournisseurs tient encore,
+ il paraît que ce sera sur les fonds qui restent à la disposition du
+ ministre de la guerre que sera pris cet approvisionnement de deux
+ mois. Le budget de ce ministre pour 1813 est de 19,400,000 francs,
+ dont 17 millions pour les troupes westphaliennes et 200,000 francs
+ par mois pour l'entretien des troupes françaises. La vanité de M. de
+ Malchus l'a fait convenir qu'il avait fait des épargnes pendant
+ l'année passée, et sans elles, m'a-t-il dit, le roi n'aurait pas pu
+ faire les offres qu'il a faites à l'empereur. Quant à M. de Höne, il
+ prétend que toutes les épargnes qu'il a pu faire sur la solde ont
+ été absorbées par le matériel qu'il a fallu fournir à l'armée
+ entrant en campagne et par la formation des nouveaux régiments.
+
+ Tel était, Monseigneur, l'état des choses, lorsque M. Balthazar,
+ aide de camp de M. le duc de Feltre, est arrivé. La lettre qu'il m'a
+ portée de la part de Son Excellence indiquait quatre objets
+ principaux de sa mission: l'approvisionnement de la place de
+ Magdebourg, le complétement de sa garnison, la formation de nouveaux
+ cadres et de nouveaux corps westphaliens et, en outre, la formation
+ à Magdebourg de nouveaux magasins considérables qui puissent
+ alimenter une armée nombreuse pendant plusieurs mois.
+
+ Comme épisode tenant au sujet, je dois dire à Votre Excellence que
+ j'étais chargé par M. le duc de Feltre de présenter M. Balthazar à
+ la cour de Westphalie, et de lui faciliter les moyens de parvenir
+ jusqu'au roi avec lequel il serait bien qu'il eût une conversation.
+ Je m'acquittai de ce double devoir en prévenant en même temps le
+ chambellan de service que je présenterais M. Balthazar à l'audience
+ du corps diplomatique qui devait précisément avoir lieu hier matin;
+ et M. de Furstenstein que je désirais que Sa Majesté accordât à cet
+ officier une audience particulière. Le roi fit dire à M. Balthazar
+ de s'adresser au ministre de la guerre. J'insistai: M. Balthazar
+ ajouta qu'il avait non seulement une lettre à remettre à Sa Majesté,
+ mais encore des choses particulières à lui dire sur des mesures non
+ patentes encore qu'on prenait en France. En attendant que M. de
+ Furstenstein négociât, nous allâmes chez le ministre de la guerre
+ que nous engageâmes de son côté à obtenir une audience pour M.
+ Balthazar.
+
+ À mon retour chez moi, je trouvai M. Siméon que le roi m'envoyait
+ extra-officiellement pour confirmer son refus de voir M. Balthazar,
+ pour me dire d'aller passer au cabinet et pour me prévenir de la
+ réponse que Sa Majesté allait faire à M. le duc de Feltre. J'avais
+ pensé que l'embarras de répéter à M. Balthazar toutes ses
+ déclarations précédentes et la crainte d'être trop pressé par cet
+ officier étaient les seules causes de ce refus; mais Sa Majesté ne
+ m'a pas laissé ignorer que si elle accordait des audiences à un aide
+ de camp de l'empereur, il n'en était pas de même d'un major aide de
+ camp du ministre de la guerre. Et puisque dans un moment aussi grave
+ le roi n'oublie point l'étiquette, il faudra bien, Monseigneur, dire
+ un mot sur une petite contestation qui s'est élevée pendant que M.
+ de Narbonne était ici. Le roi avait choisi le seul jour ou je
+ pouvais espérer voir ce général à dîner chez moi, pour nous faire
+ inviter à la table du maréchal de la cour. Je refusai, comme une
+ lettre de M. le duc de Frioul m'en donnait le droit; mais comme M.
+ de Furstenstein à qui nous avions dit nos raisons et qui s'était
+ chargé de la négociation revint pour me dire que je ferais plaisir
+ au roi en y allant, je déclarai que j'y voyais un ordre de Sa
+ Majesté et je me rendis à la table du maréchal en laissant à la
+ mienne ceux de mes convives que les ordres du roi ne m'avaient pas
+ enlevés. Nous eûmes ensuite l'honneur de faire au cercle la partie
+ de Leurs Majestés, d'assister au spectacle de la cour et de souper à
+ la table de la reine.
+
+ Je reviens à mon sujet. Dans la conférence avec M. le comte de Höne,
+ M. Balthazar a reçu l'assurance d'un approvisionnement de
+ Magdebourg, au moins pour cinq mois, et de 18,000 hommes qui au 1er
+ mai seraient à la disposition de Sa Majesté impériale. Quant aux
+ magasins à former pour des armées, M. de Höne, ainsi que les autres
+ ministres, en a déclaré l'impossibilité. Ce ministre n'a vu aucune
+ difficulté à ce que le roi fît entrer dès à présent à Magdebourg le
+ 9e régiment ainsi que plusieurs dépôts qui pourraient y recevoir
+ leurs conscrits, il y a même vu des avantages. Mais étant allé le
+ soir même en parler à Sa Majesté, il a trouvé que le roi avait de la
+ répugnance à donner ces ordres immédiatement. Je ne doute au reste
+ aucunement que ces ordres ne soient donnés dès que Sa Majesté
+ l'empereur l'exigera.
+
+ Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de ma conversation
+ avec le roi. Sa Majesté m'a fait lecture de sa lettre à M. le duc de
+ Feltre où, après avoir commencé par renouveler ses premières offres,
+ elle déclare que, si Sa Majesté l'empereur le préfère, le roi fera
+ l'approvisionnement de Magdebourg pour un an et pour 20,000 hommes;
+ mais qu'alors il ne pourra mettre à la disposition de l'empereur
+ que 6,000 hommes d'infanterie et 800 chevaux. «Je me chargerai
+ ensuite, a-t-il ajouté, d'entretenir de mes propres moyens une force
+ suffisante (de 4 à 5,000 hommes) pour la sûreté de ma personne et
+ pour celle du pays, mais il me faudrait alors une garantie que ces
+ troupes resteront à ma disposition et ne pourront m'être enlevées
+ par aucun ordre.» Le roi parlait d'abord d'une convention, ensuite
+ d'une promesse officielle et enfin d'une garantie quelconque.
+
+
+La Westphalie n'avait pas assez de ressources pour faire à
+Magdebourg de grands approvisionnements et pour mettre en même temps
+sur pied une armée d'une vingtaine de mille hommes. Il fallait
+opter. L'empereur devait évidemment préférer qu'un de ses
+boulevards, Magdebourg, fût en état de faire une longue défense;
+Jérôme, qui savait bien que Napoléon finirait toujours par faire
+l'approvisionnement, était naturellement plus enclin à se créer une
+armée qui pût le défendre lui et son royaume.
+
+Vers cette époque les armées ennemies gagnant du terrain vers le
+Nord, Jérôme commença à être inquiet pour la reine et désira son
+départ pour Paris. M. Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano.
+
+Ayant eu à cette époque plusieurs conversations d'un certain intérêt
+avec le roi, le ministre en rendit compte par la lettre suivante au
+duc de Bassano, datée de Cassel 1er mars 1813, 3 heures après midi.
+
+
+ «Oui, a dit le roi, il y va de votre propre intérêt et je vous en
+ avertis. Lorsque la Westphalie succombera de misère et que les
+ habitants aimeront mieux se faire tirer des coups de fusil que de
+ donner leur dernier morceau de pain, c'est à vous qu'on reprochera
+ de n'en avoir pas fait connaître la véritable situation. Votre
+ devoir est de dire la vérité, même au risque de déplaire, d'être
+ rappelé, d'être disgracié: après trois mois on vous rendra justice.»
+
+ À ce discours qui a été très long, j'ai répondu que Sa Majesté
+ impériale connaissait par moi et sans moi la situation de la
+ Westphalie: que, lorsqu'il s'agissait de remplir mon devoir, je ne
+ manquais ni de franchise, ni de fermeté; qu'assurément je n'avais
+ rien dissimulé et de ce que le roi m'avait dit, et de ce que je
+ pensais moi-même sur l'insuffisance des moyens de la Westphalie;
+ qu'avant tout il importait de bien convaincre Sa Majesté l'empereur
+ que toutes les ressources quelconques de ce pays étaient
+ consacrées..... Ici le roi m'a coupé la parole.--«Eh! vous voyez
+ bien, avec plus de trois mois d'approvisionnement pour Magdebourg,
+ avec mon contingent entier à réorganiser, avec 40,000 hommes de
+ troupes françaises dans le royaume.»
+
+ Je n'ai peut-être pas tort, Monseigneur, en considérant cette
+ attaque personnelle que le roi m'a faite, comme une espèce de
+ riposte à la lettre que j'avais écrite avant-hier à M. de
+ Furstenstein. Aussi c'est avec calme que j'invoque le témoignage de
+ toute ma correspondance avec Votre Excellence. Mais je me permettrai
+ une seule observation. Quant au passé, je dirai avec vous,
+ Monseigneur, qu'il est sans remède, mais quant au présent il serait
+ possible que Sa Majesté impériale, frappée de quelques notions de
+ détails que j'ai cru de mon devoir de donner, par exemple d'une
+ réserve du trésor qui existait à la fin de l'année, de la
+ prédilection du roi pour sa garde, des projets des fournisseurs, de
+ leur intelligence avec des protecteurs, etc., en conclût que le roi
+ ne veut pas faire en ce moment tout ce qu'il peut, ou que ses
+ ministres sacrifient la célérité et l'ensemble du service à leur
+ intérêt personnel. Je dois répéter ici, et je crois fermement que
+ les circonstances sont devenues trop graves pour ne point les
+ absoudre de cette accusation et que ce qui peut rester à leur charge
+ est d'une faible importance en comparaison des dépenses immenses et
+ simultanées qu'exige le moment actuel. Je dois particulièrement
+ rendre au ministre de la guerre la justice d'assurer que, si c'est
+ lui qui semble ralentir les opérations et qui passe des marchés
+ onéreux, c'est précisément lui qui est le moins soupçonné de
+ concussions ou de vues intéressées: que c'est un très honnête homme,
+ très laborieux, très dévoué à l'empereur et au roi; mais que c'est
+ un homme faible, susceptible de recevoir toutes les impressions
+ qu'on lui donne, et seulement au niveau de sa place lorsque les
+ événements le sont aussi. Enfin les fournisseurs refusent et
+ voudraient être en dehors de leurs marchés, quelque avantageux
+ qu'ils puissent être: et ce n'est pas là une grimace! Je crois que
+ c'est tout dire.
+
+
+Extrait d'une lettre du roi arrivée le 6 mars à 6 heures du soir, et
+adressée à l'ambassadeur de Cassel à Paris:
+
+
+ Les événements se pressent. La grande armée va être réunie derrière
+ l'Elbe. 30,000 hommes et 3,000 chevaux sont à l'entour de
+ Magdebourg. Passé le 15 mars, si l'empereur ne m'envoie pas
+ d'argent, il me sera impossible de les nourrir. _Il faudra qu'ils
+ soient à discrétion chez l'habitant._ Qu'en arrivera-t-il? Trois
+ mois d'approvisionnement viennent d'être faits par la Westphalie. Le
+ quatrième est sur le point d'être achevé.
+
+ Les contributions, entre autres, du département de l'Elbe ne
+ rentrent presque plus. Si l'empereur ne nous fait pas payer quatre
+ millions à compte sur ce qu'il nous doit, la marche du gouvernement
+ se trouvera arrêtée _tout-à-coup_, et les suites en sont
+ incalculables.
+
+ Mon peuple est bon: tant qu'il aura quelque chose, il le donnera.
+ Mais quand chaque sujet se trouvera _vis-à-vis de rien_, n'ayant
+ plus que le choix de mourir de faim ou d'un coup de fusil, il n'est
+ pas douteux qu'il ne préfère courir la dernière chance.
+
+
+Le roi ayant obtenu de l'empereur de faire partir la reine
+Catherine, Reinhard écrivit de Cassel le 8 mars 1812 au duc de
+Bassano:
+
+
+ D'après ce que le roi m'avait dit hier sur le départ de la reine, je
+ ne m'attendais pas à lire dans le moniteur westphalien d'aujourd'hui
+ que la reine partait pour Paris sur l'invitation de Sa Majesté
+ impériale, et que ce départ aurait lieu après-demain. Le roi m'avait
+ dit que Sa Majesté l'empereur l'autorisait à faire partir la reine,
+ lorsque l'empereur Alexandre ou Kutusoff serait à Berlin ou à
+ Dresde. Il est vrai que, par son courrier de retour, le prince
+ vice-roi l'avait informé que, les Russes passant l'Oder en force et
+ ayant déjà sur la rive gauche 80 pièces de canon, il se décidait à
+ quitter la position de Berlin pour n'être pas coupé par sa droite.
+
+ Le préfet du palais, Boucheporn, partira demain avec une partie du
+ service; mesdames de Bocholtz, de Furstenstein, de Pappenheim,
+ d'Oberg, la princesse de Philippsthal, M. le comte de Busche,
+ chevalier d'honneur, M. le comte d'Oberg, premier écuyer d'honneur
+ de la reine, seront du voyage. Il y a en ce moment conseil des
+ ministres.
+
+ On dit que c'est hier au soir que le roi, étant au spectacle, a reçu
+ une lettre par le prince vice-roi, portée par un officier
+ d'ordonnance de Sa Majesté impériale allant en courrier à Paris.
+ Après le spectacle, M. Pothau a été appelé et les ordres ont été
+ donnés. M. de Furstenstein assure que le roi n'a point reçu de
+ lettre du vice-roi.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, le 11 mars 1813.
+
+ La reine est partie hier après midi, à deux heures, par la route de
+ Wetzlar. Le roi l'a accompagnée jusqu'à Wabern. La princesse de
+ Philippsthal a obtenu la permission de rester, comme venant de se
+ relever de ses couches et se trouvant encore indisposée. Le baron de
+ Boucheporn, maréchal de la cour, l'a précédée: il a dû arriver à
+ Paris quelques jours avant Sa Majesté.
+
+ Ce sont les nouvelles que M. Athalin avait portées de Berlin et du
+ quartier général du vice-roi qui ont amené la détermination de ce
+ prompt départ. Le roi m'a dit lui-même que deux heures avant
+ l'arrivée de M. Athalin, lorsque j'avais eu l'honneur de voir Sa
+ Majesté, il n'en avait pas encore eu la pensée. Le lendemain matin,
+ le passeport d'un inspecteur des postes qui me fut porté pour être
+ visé m'en donna le premier soupçon qui fut converti en certitude
+ quelques minutes après, lorsque je reçus le moniteur westphalien
+ annonçant que la reine partait sur l'invitation de Sa Majesté
+ impériale.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 24 mars 1813.
+
+ Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté en date du 14 courant et
+ je m'empresse de lui envoyer ci-jointe la copie du décret que j'ai
+ signé et fait expédier depuis le 20. Elle y verra que tout ce
+ qu'elle désire est fait, mais, Sire, je vous supplie de ne pas
+ laisser succomber par le manque de quelques millions un pays tel que
+ le mien, qui vous est d'une si grande utilité.
+
+ Le déficit sur les revenus du mois passé pour les départements de
+ l'Elbe, de la Saale et de l'Oder est de trois millions, ce mois-ci
+ il sera du double: nous sommes au 24 et 500,000 francs ne sont pas
+ encore rentrés; cependant, Sire, confiant dans la parole de Votre
+ Majesté, mon armée s'organise, tout se fait et se livre, mais le
+ mois prochain rien ne pourra être payé, si Votre Majesté ne vient à
+ mon secours.
+
+ À la fin de la semaine prochaine, 10 bataillons d'infanterie, plus
+ 2,000 cavaliers bien montés et équipés et 24 pièces de canon
+ pourront partir avec moi pour Brunswick et se porter jusque sur
+ l'Elbe si Votre Majesté le désire.
+
+
+M. Reinhard écrit tantôt que le roi ne veut pas de commandement,
+tantôt que le roi désire un commandement.
+
+Le roi Jérôme désirait ardemment un commandement assez important
+pour que cette position le mît en relief. Doué d'une grande
+confiance en son aptitude militaire, et d'un amour-propre excessif,
+il ne mettait pas en doute qu'il ne fût aussi capable que le prince
+Eugène et tous les maréchaux de l'empire, sans en excepter un seul,
+de gagner des batailles et de rappeler la victoire sous nos
+drapeaux. Mais telle n'était pas l'opinion de l'empereur qui, tout
+en appréciant la bravoure et les belles qualités militaires de
+Jérôme, était loin de lui reconnaître le génie nécessaire à un chef
+d'armée. En 1854, lors de la guerre d'Orient, sous le second empire,
+le vieux prince crut un instant que son neveu lui donnerait le
+commandement en chef de son armée, attendu, disait-il, que lui seul
+en France avait l'habitude de la grande guerre et des grands
+commandements et était en état de remuer des masses.
+
+
+ JÉRÔME À NAPOLÉON.
+
+ Cassel, 14 avril 1813.
+
+ Sire, je viens d'apprendre l'arrivée de Votre Majesté à Mayence et
+ m'empresse d'envoyer auprès d'elle mon ministre des finances, il est
+ plus à même que personne de faire connaître à Votre Majesté notre
+ situation financière; elle est telle, Sire, que, depuis le 11,
+ toutes les ordonnances qui ne sont pas pour la solde et les
+ traitements ont été suspendues au trésor, et qu'à la fin du mois, je
+ dois opter entre le paiement de l'armée ou celui des fonctionnaires
+ publics. La suppression du paiement des ordonnances tirées par les
+ ministres a fait un tel mauvais effet que l'habillement et le
+ harnachement, la livraison des chevaux ont été totalement suspendus.
+
+ Je vous supplie, Sire, de ne point nous laisser tout à fait écrouler
+ et de nous envoyer quelques millions afin de nous soutenir; quel
+ chagrin pour moi, Sire, de me voir détruit par celui même qui m'a
+ créé!
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 12 avril 1813.
+
+ Le roi, informé par moi que M. le maréchal duc de Valmy envoyait
+ quatre bataillons à Wetzlar sur les confins de la Westphalie et du
+ grand duché de Berg, a désiré que M. le maréchal en envoyât deux
+ autres à Marbourg et m'a chargé de lui faire connaître ce désir.
+
+ Le roi a passé la journée d'hier à Napoléonshöhe: le temps était
+ magnifique. Le soir il y a eu spectacle et souper: la réunion était
+ nombreuse. On disait que le roi avait voulu montrer qu'il n'avait
+ pas fait emballer les meubles de ce château et qu'il avait voulu
+ faire déballer aux dames peureuses leurs manteaux de cour.
+
+
+On commençait à craindre les conspirations en Westphalie,
+principalement à Cassel, que l'ennemi savait fort mal gardé, et
+autour du roi, déjà à cette époque hors d'état de défendre sa
+résidence et son royaume.
+
+
+ REINHARD À L'EMPEREUR.
+
+ Cassel, 8 mai 1813.
+
+ Le roi m'a fait communiquer par le général Bongars un rapport du
+ sieur Delagrée, chef d'escadron de la gendarmerie westphalienne,
+ concernant plusieurs mesures de précaution et de sévérité que M. le
+ maréchal, prince d'Eckmühl, a prescrites au général Bourcier revenu
+ à Hanovre après avoir vu le maréchal à Minden.
+
+ Le roi m'ayant fait appeler ensuite m'a fait lecture de la lettre
+ qu'il se proposait d'envoyer à M. le maréchal. Sa Majesté déclare au
+ prince qu'elle ne peut croire que de pareils ordres aient été donnés
+ et qu'elle les regarde comme entièrement contraires aux intentions
+ de Votre Majesté. Elle pense que si des mesures de sévérité sont
+ nécessaires dans son royaume, elles doivent être prises par le
+ souverain qui a déjà établi des commissions militaires à Wanfried
+ (où quelques habitants avaient livré à l'ennemi quelques chevaux et
+ un gendarme), à Lichtenau près Paderborn (où des voitures du roi et
+ des voyageurs français avaient été insultés). Elle fait entendre que
+ de pareils procédés pourraient la conduire à prendre un parti
+ extrême, etc., etc.
+
+ J'ai cherché, Sire, à dissuader le roi de l'envoi de cette lettre.
+ Les ordres du prince semblaient dater de la fin d'avril: peut-être
+ renoncerait-il de lui-même à leur exécution. Il me paraissait
+ préférable de notifier au général Bourcier que, s'il y avait des
+ mesures à prendre, des coupables à punir dans son royaume, le roi
+ s'en chargerait. Mais le roi me répondit que cette manière d'agir ne
+ serait point généreuse, qu'elle compromettrait le général Bourcier
+ qui était subordonné au maréchal; que, d'ailleurs, des troupes
+ françaises étaient déjà arrivées à Hanovre et qu'il voulait que le
+ prince s'expliquât catégoriquement sur les ordres qu'il avait
+ donnés. Sa Majesté a désiré en même temps que je rendisse compte de
+ cet incident à Votre Majesté. La lettre du roi au maréchal a dû
+ partir hier par courrier; j'ignore si elle est partie. Quant à la
+ ville de Hanovre et aux Hanovriens, l'enquête portera-t-elle sur
+ leurs voeux et sur leurs espérances, ou sur leurs démonstrations et
+ sur leurs actions? Tous les rapports de la police semblent les
+ absoudre d'actions criminelles: l'ordre public n'a été troublé nulle
+ part; les démonstrations mêmes ont été ou contenues ou réprimées; et
+ si, dans une effervescence d'opinions, la responsabilité cesse
+ d'être personnelle, la fidélité et l'obéissance ne suffiront plus
+ pour discerner l'innocent du coupable.
+
+
+Le roi Jérôme écrivit de Cassel, au commencement de juin 1813, au
+général Dombrowski à Wittemberg de se rendre à Hersfeld le 10 juin,
+et il lui dit:
+
+«D'après les instructions que j'ai reçues de S. M. l'empereur, vous
+devez diriger vos deux bataillons d'infanterie et votre artillerie
+de Hersfeld par Rothembourg à Eschwege et vos deux régiments de
+cavalerie de Hersfeld sur Kreutzbourg, afin qu'ils puissent s'unir à
+moi et chasser l'ennemi de l'autre côté de l'Elbe.»
+
+Le duc de Valmy, auquel Dombrowski soumit cette lettre en demandant
+des ordres à son chef immédiat, écrivit à l'empereur pour avoir ses
+ordres. Ce dernier manda à Berthier le 10 juin: «Le roi de
+Westphalie a écrit la lettre ci-jointe au général Dombrowski.
+Écrivez à ce général pour lui faire connaître la marche qu'il doit
+suivre.» Et en post-scriptum: «Écrivez au roi de Westphalie pour lui
+faire connaître l'inconvenance d'employer mon nom pour changer la
+direction de la marche des troupes; que cela peut mettre les
+généraux dans l'embarras; que c'est contraire à toutes les formes;
+que personne n'a le droit de prendre mon nom et de supposer que j'ai
+donné des ordres quand ce n'est pas.»
+
+
+ BULLETIN DE REINHARD.
+
+ Cassel, le 2 juin 1813.
+
+ On dit que les ennemis annoncent le projet de faire une pointe sur
+ Cassel. Enflés par quelques succès, il ne serait pas en effet
+ impossible qu'ils poussassent leur témérité à ce point. Il est vrai
+ qu'avec ce qui est parti pour Minden nous aurions 4 à 5,000 hommes
+ d'infanterie et environ 1,000 chevaux à leur opposer: mais quelles
+ troupes et comment dirigées? Si cela continue, de surprise en
+ surprise, ou même avertis mais mal informés, sans prudence, sans
+ ensemble, nous serons détruits en détail.
+
+ Depuis plus de trois mois que le roi est à Napoléonshöhe, je n'ai eu
+ l'honneur d'approcher de Sa Majesté qu'une seule fois. Mais M. de
+ Furstenstein continue à être invisible: son cabinet est au salon de
+ service. M. Siméon est toujours, M. de Höne, M. de Bongars sont tour
+ à tour du voyage. M. de Höne avait été malade: il est retourné
+ aujourd'hui à Napoléonshöhe. Il doit, dit-on, proposer au roi de
+ mettre toutes ses forces disponibles sous les ordres du général
+ Teste. Il est à prévoir que cette proposition ne sera point agréée.
+ Le roi paraît se trouver de nouveau dans un de ces accès de dégoût
+ où, se livrant à l'apathie, il cherche des distractions dans des
+ plaisirs dont le secret n'est pas assez gardé pour ne point faire
+ une impression fâcheuse sur le public. Je ne méconnais point ce
+ qu'en ce moment la situation du roi a de pénible sous tant de
+ rapports que je connais et peut-être sous quelques rapports que
+ j'ignore: mais le travail et le dévouement surmonteraient facilement
+ des peines qu'on ne se serait pas attirées soi-même, et ce sont ces
+ dernières qui sont poignantes et qui découragent. Au milieu de tout
+ cela, on se croit trop petit souverain avec deux millions d'âmes: on
+ s'en sépare d'affection et d'intérêts. On est jaloux des conseils,
+ on s'impatiente de la vérité. Voilà près de cinq ans depuis que Sa
+ Majesté impériale a daigné me confier la mission de Westphalie; et
+ laissant à part ce qui doit être imputé à des événements qui n'ont
+ pas dépendu du gouvernement de ce royaume, je ne puis me dissimuler,
+ je ne puis, quelque chagrin que j'en aie, dissimuler à Votre
+ Excellence qu'en principes d'administration, en talents et en
+ connaissances, en moralité surtout, les choses y sont toujours
+ allées en empirant.
+
+
+ BULLETIN.
+
+ Cassel, 20 mai 1813.
+
+ Une semaine passée en voyage à Napoléonshöhe me met à portée d'en
+ décrire les usages et de rendre compte du genre habituel de vie que
+ le roi a adopté dans cette résidence d'été.
+
+ Le costume de voyage est un petit uniforme bleu, brodé en argent,
+ pantalon bleu et bottes à l'écuyère. On garde ce costume jusqu'à
+ l'heure du dîner excepté les dimanches et jeudis, jours où tous ceux
+ qui ont les grandes entrées paraissent au lever du roi.
+
+ La semaine de voyage commence dimanche au soir et finit le dimanche
+ suivant après le spectacle. Les invités sont rarement au-dessus du
+ nombre huit, quatre hommes et quatre femmes. _Rarement les femmes et
+ les maris sont invités ensemble._ Dans la semaine passée, nous
+ étions au nombre de six. Le ministre de la guerre, le baron de
+ Schulte, conseiller d'État, la comtesse de Furstenstein, madame la
+ comtesse de Jagow, femme d'un chambellan du roi, madame Chabert,
+ femme du capitaine de la garde, madame de Schlicher, dame du palais,
+ étaient de semaine.
+
+ Le lever a lieu vers les dix heures. À 11 heures, déjeuner; à 6
+ heures 1/2, dîner. Il n'y a rien de recherché, ni dans les plats, ni
+ dans les vins; la table est bien servie, mais sans profusion. Le roi
+ déjeune et dîne seul: il est cependant d'usage d'inviter une fois à
+ dîner et une fois à déjeuner à la table de S. M. les personnes du
+ voyage. Le déjeuner eut lieu à Schönfeld, petite maison de campagne
+ du roi située entre le parc de Cassel et Napoléonshöhe, et le dîner
+ à Mouland, petit village chinois bâti par l'ancien électeur et dont
+ les maisons, encore en état de servir, viennent d'être réparées et
+ remeublées avec une simplicité élégante.
+
+ Après le déjeuner, jusqu'à deux heures, promenade devant le château
+ et entretiens du roi avec les personnes qu'il fait appeler. Après 2
+ heures, le roi se retire, ou bien il y a promenade en voiture.
+ Pendant la semaine dernière, le roi a passé deux revues, l'une des
+ grenadiers de sa garde et l'autre des cuirassiers: il a présidé une
+ fois son conseil d'État. Il est allé deux fois à Cassel pour voir
+ les travaux de son palais.
+
+ Lorsque le temps le permet, le roi dîne en plein air ou dans un
+ petit pavillon du jardin de la reine. Après le dîner, on reste
+ devant le château avec ou sans le roi. À 9 heures on se réunit soit
+ dans les appartements de Sa Majesté, soit dans la petite salle de
+ spectacle. Ces jours passés, il y avait un petit concert de trois ou
+ quatre musiciens et jeu ou spectacle. Le jeu dominant, c'est le
+ whist. Le genre de spectacle que le roi préfère, c'est la comédie.
+ La petitesse de la salle de l'intérieur ne permet pas de donner de
+ grandes pièces qui sont réservées pour le dimanche.
+
+ À 10 heures du soir, tout est fini et le roi se retire. Le roi est
+ toujours aimable: on dirait cependant qu'il est devenu plus grave.
+ L'ordre et la décence règnent partout. La table du maréchal est de
+ dix-huit à vingt personnes.
+
+ La princesse de Löwenstein étant dans son huitième mois de grossesse
+ a cessé de paraître à la cour. Elle vint cependant dimanche en robe
+ du matin et partit le lendemain après avoir déjeuné avec le roi.
+ Cette dame, par beaucoup d'esprit de conduite, s'est fait une
+ existence à part qui ressemble un peu à celle d'une favorite en
+ titre. Aucune des dames invitées ne pouvait avoir de prétentions.
+
+ On dit que le roi se souvient encore quelquefois de madame Escalonne
+ qui avait été avec lui pendant sa dernière campagne de Pologne.
+
+ Sa Majesté prenait depuis quelques jours des bains pour lesquels on
+ faisait venir l'eau de Pyrmont.
+
+
+Le danger devenant de jour en jour plus imminent pour la Westphalie
+et pour Cassel, Reinhard, sur les instances de Jérôme, envoya au
+général Lemoine une dépêche pour qu'il vint à Cassel avec sa
+division. Cette mesure fut désapprouvée par Napoléon, qui fit écrire
+à Reinhard de Dresde, le 10 août 1813, par M. de Bassano:
+
+
+ Dresde, 30 août 1813.
+
+ L'empereur a pris lecture de votre lettre du 27, qui annonce que
+ vous avez invité le général Lemoine à se porter avec son corps sur
+ Cassel. Sa Majesté n'approuve point cette démarche: les
+ circonstances n'exigent point un pareil mouvement; et la présence du
+ corps du général Lemoine sur le Weser est trop nécessaire pour qu'il
+ doive se déplacer légèrement. Ce général a ses instructions: il faut
+ dans votre correspondance avec lui vous borner à l'instruire de
+ l'état des choses et des nouvelles qui vous parviennent.
+
+Le même jour, l'empereur écrivit de Dresde à Berthier: «Mandez à
+Lemoine de ne pas aller du côté de Cassel, de rester à Minden pour
+faire exercer ses troupes et former sa petite division. Que son
+premier but doit être de couvrir Wesel et qu'il est autorisé
+également à se porter sur Magdebourg si le général Lemarrois se
+trouvait avoir une garnison trop faible; enfin qu'il doit avoir de
+la troupe en observation sur le Weser; mais qu'il ne doit pas se
+remuer légèrement.»
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, 12 septembre 1813.
+
+ Le roi me dit à l'instant qu'il envoie un courrier à Sa Majesté
+ impériale avec les nouvelles qu'il a reçues du côté de Brunswick. Ce
+ ne sont à la vérité que des rapports de gendarmes, mais ils viennent
+ de différents côtés: ils s'appuient et se confirment. Il paraît
+ qu'un corps ennemi, qu'on porte à 15,000 hommes avec 16 pièces de
+ canon et dans lequel se trouve de la cavalerie anglaise venant de
+ Domitz, a passé l'Elbe le 9. On annonçait en même temps pour le 11
+ le passage d'un autre corps destiné à occuper Haarbourg, le prince
+ d'Eckmühl étant revenu à Hambourg. Le roi transmet ces nouvelles
+ directement à Sa Majesté impériale et lui demande des ordres
+ éventuels.
+
+ Le général Lemoine doit avec son corps arriver aujourd'hui à
+ Brunswick dont des patrouilles ennemies, depuis quelques jours, se
+ sont approchées jusqu'à quatre lieues. Monseigneur le major général,
+ en m'annonçant que Sa Majesté impériale n'avait point approuvé la
+ lettre que j'avais écrite à ce général pour l'engager à venir
+ couvrir Cassel, m'écrivit qu'il _était nécessaire sur le Weser_.
+ J'ignore en conséquence si le mouvement qu'il fait sur Magdebourg où
+ il est appelé par le général Lemarrois est conforme aux intentions
+ de Sa Majesté. Je n'ai reçu de lettres, depuis plusieurs jours, ni
+ de l'un ni de l'autre de ces généraux. J'ignore si le général
+ Lemoine a emmené toutes les troupes, hors celles qui sont sous les
+ ordres du général Laubardière et qui sont peu considérables.
+
+ En ce moment, Monseigneur, je suis moins rassuré que dans les jours
+ du mois d'avril dernier, dans le cas où l'ennemi menacerait la ville
+ de Cassel qui est certainement un point très important sous les
+ rapports militaire et politique. Le roi pense que l'ennemi ne peut
+ se hasarder à ce point, et ses raisonnements sont fort justes; mais
+ nous vivons d'une crise pleine d'événements imprévus et je voudrais
+ au moins voir le roi entouré, outre ses hussards, de quelque
+ infanterie française[142].
+
+ [Note 142: Cette importante dépêche ayant été interceptée par
+ l'ennemi et publiée dans un journal autrichien donna sans
+ doute à Tchernicheff la pensée de marcher sur Cassel.]
+
+
+Nous voici arrivé au moment de l'entrée à Cassel du général
+Tchernischeff et à l'évacuation de cette ville par Jérôme.
+
+Cet épisode, raconté tout au long et dans les plus grands détails
+par le roi dans sa lettre du 4 octobre 1813 au ministre duc de
+Feltre, dans l'espèce de précis historique que M. Hugot fit alors
+avec M. Reinhard, l'est également dans une lettre du roi à
+l'empereur. Ce dernier document n'ayant pas trouvé place aux
+_Mémoires de Jérôme_, nous allons le donner ici, mais nous le ferons
+précéder de la dépêche suivante de M. Reinhard, laquelle contient
+une assez singulière conversation du roi:
+
+
+ Dès le 12, après avoir reçu des nouvelles alors exagérées des forces
+ ennemies qui avaient passé à Danneberg, le roi envoya un courrier à
+ Sa Majesté l'empereur pour demander des ordres éventuels sur ce
+ qu'il devait faire, si l'ennemi menaçait sa capitale. Ayant appris
+ les passages du côté de Dessau, que les rapports annonçaient comme
+ étant ceux d'un corps d'armée entier, Sa Majesté me dit qu'elle
+ n'avait point reçu et que probablement elle ne recevrait pas
+ d'ordres de l'empereur, et me demanda ce que je pensais qu'il
+ convenait de faire. Après plusieurs préambules, le roi me pressant
+ toujours, je conclus qu'il faudrait se retirer quand le danger
+ serait imminent et certain. «Mais, dit le roi d'un air assez
+ délibéré, si je faisais comme les petits princes, si je restais? Mon
+ intention est de rester.»--«Mais Votre Majesté s'exposerait.»--«Sans
+ doute, dit le roi, il faudrait que l'ennemi le voulût.» Je changeai
+ de conversation et quelque temps après je revins à la circonstance.
+ Je citai le grand-duc de Toscane qui en 1799 avait voulu rester, et
+ qui en 24 heures reçut l'ordre de partir. «Sa position, dit le roi,
+ était différente de la mienne.»--«Oui, dis-je, peu de semaines
+ auparavant, il avait payé deux millions pour sa neutralité.»
+ J'ajoutai que, si l'ennemi permettait aux petits princes de rester,
+ c'était dans l'espérance qu'ils embrasseraient ce qu'ils appellent
+ la cause commune; «et c'est, dis-je, ce que Votre Majesté ne peut ni
+ ne voudra faire.» La conversation en resta là, et je crus
+ m'apercevoir que le roi était satisfait de ce que je venais de dire.
+ Néanmoins, quelque soit l'intention avec laquelle il a mis cette
+ idée en avant, elle m'a paru trop extraordinaire pour que je puisse
+ me dispenser d'en rendre compte à Votre Excellence. Du reste, on
+ prend au château des précautions à tout événement. Il y a même trois
+ chevaux sellés pour le roi qui y entrent toutes les nuits.
+
+
+Il est difficile d'admettre que la possibilité de rester dans ses
+États fût jamais passée par la tête du roi. Son attachement à la
+France et à son frère, la rectitude de son jugement, la loyauté de
+son caractère ne permettent pas de le supposer. Jérôme a dit depuis
+que Tchernischeff lui avait proposé de rester et qu'il avait
+repoussé avec indignation cette proposition[143]; mais ce qui ne
+permet pas d'admettre non plus que les souverains ligués contre
+Napoléon aient pu avoir cette pensée, c'est que le but avéré du
+général russe était de faire Jérôme prisonnier à Cassel.
+
+ [Note 143: _Mémoires du roi Jérôme_, 6e vol., p. 215.]
+
+Voici maintenant la lettre du roi, de Wetzlar, 29 septembre 1813.
+
+
+ Sire, le 24, j'appris que l'ennemi était entré à Mulhausen, avec
+ 4,000 chevaux, 2,000 chasseurs et 16 pièces de canon; en même temps
+ le général Lemarrois annonçait au ministre de France que 3 régiments
+ d'infanterie russe, 800 chevaux et 12 pièces de canon avec lesquels
+ une division s'étaient battue à Wollmerstadt se dirigeaient sur
+ Brunswick. Il ne me parut plus douteux qu'ils ne voulussent faire
+ une tentative sur Cassel. J'en prévins le duc de Valmy et l'engageai
+ à faire passer par Cassel sa 34e colonne de marche forte de 3,200
+ hommes, en lui observant que, si mes craintes n'étaient pas fondées,
+ cette colonne ne perdrait qu'un jour de marche et que, s'il en
+ arrivait autrement, elle servirait soit à repousser l'ennemi de
+ Cassel où j'étais décidé à l'attendre, soit à assurer ma retraite en
+ cas de nécessité. Le 26, le général Bastineller qui observait dans
+ le Harz les mouvements de l'ennemi m'annonça qu'il se portait au
+ nombre de 7,000 hommes sur Eschwege, et le général Zandt qui était
+ en position à Goettingen me rendit compte en même temps que l'ennemi
+ était entré en force dans Brunswick. Cependant, comptant sur
+ l'arrivée de la colonne française que j'avais demandée au duc de
+ Valmy, je fis mes dispositions de défense. Je donnai ordre au
+ général Bastineller d'appuyer sa gauche à Witzenhausen et sa droite
+ à Melsungen afin que l'ennemi ne pût intercepter la route de
+ Francfort en passant le gué qui est près de ce dernier endroit.
+
+ Le général Bastineller ne put exécuter assez promptement ce
+ mouvement, l'ennemi étant en forces devant lui. Il me rendit compte
+ que 800 chevaux et 4 pièces de canon étaient parvenus à tourner sa
+ droite et se hâtaient d'arriver sur Cassel. Le 27, je lui donnai
+ l'ordre de prendre position en avant de Cassel. Le même ordre fut
+ donné au général Zandt, mais l'ennemi les gagna de vitesse, renversa
+ le même jour à 11 heures du soir les avant-postes qui étaient à Elsa
+ et à Kauffungen et hier 28, à 4 heures du matin, j'en reçus la
+ nouvelle. Je fis sur-le-champ prendre les armes au peu de troupes
+ que j'avais avec moi. J'envoyai 25 hussards, 2 compagnies de
+ chasseurs de la garde pour reconnaître l'ennemi, au milieu duquel
+ ils se trouvèrent un quart d'heure après être sortis de la ville. Le
+ brouillard était si épais que l'on pouvait à peine se voir à deux
+ pas. Ce détachement se replia sur la porte de Leipsick en assez bon
+ ordre, quoiqu'il eût perdu la moitié de son monde par l'artillerie
+ ennemie. Deux pièces de canon que j'avais placées à la porte de
+ Leipsick ripostaient vivement à l'ennemi dont les boulets
+ traversaient la ville, mais ces deux pièces furent démontées en peu
+ de temps et après une demi-heure de combat. Pendant ce temps, je
+ faisais barricader le pont qui communique du faubourg à la ville. À
+ peine cette opération fut achevée que l'ennemi enfonça la porte à
+ coups de canon et vint braquer une pièce vis-à-vis du pont, ouvrit
+ la prison d'État qui en est près et fit sortir tous les prisonniers.
+ Je perdis sur ce point beaucoup de monde. Une partie de mes
+ hussards, ne sachant point encore monter à cheval et n'étant point
+ équipés, me demandèrent des fusils et défendirent ce pont, ma
+ dernière ressource.
+
+ Pendant ce temps, 400 chevaux avaient passé la Fulde à gué et
+ venaient par la porte de Francfort. Le moment était critique, je me
+ mis à la tête de mes gardes du corps, de deux escadrons de hussards,
+ je fis longer la rivière à mes grenadiers de la garde pour s'emparer
+ du gué. Je sortis par la porte de Francfort. À peine avais-je fait
+ deux cents pas qu'un peloton d'avant-garde m'annonça que l'ennemi
+ était en bataille devant lui. Je m'avançai de suite au galop pour le
+ reconnaître, mais le brouillard était si épais que je me trouvais au
+ milieu de lui à pouvoir faire le coup de sabre; je le fis charger
+ aussitôt par le 2e escadron de hussards pendant que je le faisais
+ tourner par sa droite par les gardes du corps, afin de le rejeter
+ sur les grenadiers qui occupaient déjà le gué. Cela me réussit, il
+ fut mis en déroute et les grenadiers en tuèrent un bon nombre. Ce
+ mouvement força l'ennemi d'évacuer la partie de la ville qu'il
+ occupait du côté de la porte de Leipsick, craignant que je ne le
+ prisse à dos en passant moi-même le gué, ce que j'étais loin de
+ vouloir faire, étant convaincu que cette avant-garde allait être
+ fortement soutenue.
+
+ Après avoir ainsi dégagé la ville, je pris position à une demi-lieue
+ en arrière avec mes gardes du corps, mon bataillon de grenadiers et
+ 400 hussards, les seuls qui fussent en état de se tenir à cheval et
+ de donner un coup de sabre. J'attendis dans cette position, depuis
+ 10 heures que le combat avait cessé jusqu'à 3 heures, espérant à
+ chaque instant, mais en vain, voir déboucher les colonnes des
+ généraux Zandt et Bastineller. Ne les voyant pas paraître, je
+ renforçai les postes de la ville par une compagnie de chasseurs
+ carabiniers et deux pièces d'artillerie et, comme l'ennemi remontait
+ la Fulde pour arriver à Wabern avant moi, je me repliai sur Jesberg,
+ décidé à m'y tenir et à attendre la colonne française que je ne
+ doutais pas que le duc de Valmy m'envoyât. Quel fut mon étonnement
+ en recevant à 10 heures du soir, par le retour de mon courrier, une
+ lettre en réponse à la mienne, par laquelle le duc de Valmy
+ m'annonce ne pouvoir prendre sur lui une pareille mesure. Dans cet
+ état de choses, il ne me restait d'autre parti à prendre, ne pouvant
+ point tenir chez moi ni compter sur des secours, que de me retirer
+ vers Coblentz, mais je ne passerai point le Rhin avant de connaître
+ les intentions de Votre Majesté.
+
+ Je réunirai mes troupes à Wetzlar. J'aurais préféré rester avec
+ elles à Marbourg, mais l'esprit public y étant très mauvais, la
+ désertion se mettrait parmi le peu de soldats qui me restent.
+
+ Il est bien entendu, Sire, que si j'apprenais que quelque corps
+ français marchât pour me soutenir, je pourrais rentrer à Cassel dans
+ peu de temps.
+
+ Mon régiment de hussards français s'est conduit pendant toute la
+ journée d'hier avec beaucoup de valeur; j'ai dû malheureusement en
+ perdre beaucoup qui, n'ayant pas l'habitude du cheval, tombaient en
+ chargeant l'ennemi.
+
+
+La correspondance de Reinhard et celle de M. de Malartie, son
+secrétaire de légation, du 10 octobre au 10 novembre 1813, feront
+connaître les événements qui eurent lieu en Westphalie pendant le
+dernier mois du règne de Jérôme, la rentrée du roi dans sa capitale
+et sa retraite définitive.
+
+
+ MALARTIE AU DUC DE BASSANO.
+
+ Coblentz, le 10 octobre 1813.
+
+ La lettre ci-jointe de M. le baron Reinhard instruira Votre
+ Excellence de la résolution qu'il a prise de me faire partir hier
+ matin pour Coblentz, afin que je fusse à portée de l'informer de la
+ marche du roi et de l'époque présumée de son retour dans la
+ capitale.
+
+ Je suis arrivé ici hier à midi; ce matin à 8 heures j'ai vu M. le
+ comte de Furstenstein et le préfet du département.
+
+ Déjà beaucoup de serviteurs du roi sont retournés à Cassel. Je
+ citerai entre autres le directeur général des postes, le préfet de
+ police, le ministre des finances, l'intendant général du Trésor,
+ l'intendant de la maison du roi.
+
+ Le roi a des nouvelles du général Allix qui a dû quitter Cassel
+ avant-hier pour suivre le général Czernischeff. Sa Majesté a envoyé
+ un courrier au général Allix pour lui ordonner de s'arrêter, mais je
+ ne crois pas que le général ait besoin d'instructions à cet égard.
+ Il n'a avec lui que 4,000 hommes et, si je me rappelle bien les
+ conversations que nous avons eues souvent ensemble en pesant
+ l'hypothèse que malheureusement nous avons vue se réaliser, son
+ plan est de prendre position en avant de Göttingen, près
+ d'Heiligenstadt, peut-être même du côté d'Halbertstadt; de
+ s'éclairer avec le plus grand soin et de manoeuvrer de manière à
+ couvrir Brunswick et Cassel contre des attaques d'ennemis qui ne
+ peuvent réussir que dans des coups de main et qui doivent être
+ eux-mêmes tout étonnés de leurs succès passagers. Je fais seulement
+ des voeux pour que la santé du général Allix se soutienne. Mais ce
+ sont les mouvements de la grande armée et ceux du prince de la
+ Moskowa qui décideront du sort ultérieur de la Westphalie.
+
+ Je ferai mon possible, Monseigneur, pour recueillir des détails
+ exacts sur ce qui s'est passé à Cassel pendant l'occupation. Jusqu'à
+ présent les rapports sont ou exagérés ou contradictoires. Le roi
+ s'est montré bien douloureusement affecté de la conduite de quelques
+ personnes qu'il avait comblées de bienfaits, et qui ont paru en
+ avoir perdu le souvenir: mais on ne sait encore rien de positif.
+
+ Il est pour moi extrêmement délicat, Monseigneur, d'avoir à parler à
+ Votre Excellence de la position gênée où se trouve le roi à
+ Coblentz. Le bruit est que S. M. part ce soir et l'on fait des
+ préparatifs dans sa maison. D'un autre côté, M. de Furstenstein a
+ dit positivement à M. Duntzau et à moi que le roi ne partait point
+ encore. Il m'a dit de plus que S. M. avait écrit à M. le duc de
+ Valmy qu'il voulait savoir sur combien de troupes françaises il
+ pouvait compter pour se maintenir dans son royaume et pour ne plus
+ être exposé à en sortir. Je lui ai demandé si le roi avait des
+ nouvelles de l'empereur. Oui, m'a-t-il répondu. «S. M. a de
+ l'empereur une lettre du 4. L'empereur ne lui parle point de
+ l'événement de Cassel. Il l'ignorait encore. Le roi ne peut pas
+ concevoir cela.» Je n'avais rien à dire, Monseigneur, je me suis tu.
+
+ M. Duntzau, préfet de Coblentz, que je connaissais d'ancienne date,
+ m'a paru sentir parfaitement l'importance de tous les différents
+ devoirs qui lui sont imposés dans la circonstance présente. Sa
+ douceur et son aménité lui ont procuré le bonheur de plaire au roi.
+
+ Mme la princesse de Löwenstein, la comtesse de la Ville-Illion, Mme
+ de Furstenstein, Mme Chabert sont ici. Ces dames dînent avec le roi
+ et S. M. passe la soirée avec elles et les officiers de sa maison.
+
+ Du reste, le roi vit d'une manière fort retirée.--J'ai dit à M. de
+ Furstenstein que je suivrai ses conseils pour savoir si je devais
+ demander que S. M. m'admît à l'honneur de lui faire ma cour.
+
+
+ Du 13, à dix heures du matin.
+
+ Le roi vient de partir. M. Duntzau a accompagné S. M. jusqu'aux
+ frontières du département et est revenu enchanté de toute
+ l'amabilité dont il a été comblé.
+
+ Le roi compte coucher à Wetzlar. Je le suivrai dans la journée. Je
+ suis parti d'auprès de M. de Reinhard sans argent et sans voiture.
+ Il faut que je m'occupe un peu de moi-même. D'ailleurs, il n'y a
+ plus de chevaux à la poste. Mme de Löwenstein, Mme de la
+ Ville-Illion, Mme de Furstenstein restent ici pour le moment. M.
+ Siméon partira dans quelques jours pour Paris. Ce respectable
+ vieillard ne quitte le roi qu'avec un regret qui fait autant
+ d'honneur au souverain qu'au ministre. Surtout, quoique depuis
+ longtemps il songeât au repos, ce n'était pas dans une circonstance
+ critique qu'il eût voulu se séparer du roi dont il a vu poindre la
+ jeunesse et auquel il a rendu tant de services essentiels. Le roi
+ sentira peut-être trop tard que M. Siméon était un des appuis de son
+ trône. Le peuple n'en est pas à le sentir. Je ne sais, mais la
+ vieillesse de M. Siméon, de longtemps encore, n'approchera de la
+ caducité, et si l'empereur rendait au ministre qu'il avait prêté à
+ son frère l'honneur de siéger au conseil, il est à croire qu'il
+ trouverait en lui un serviteur d'autant plus éclairé qu'un séjour de
+ six ans en Allemagne a dû augmenter la masse de ses connaissances et
+ donner à ses réflexions un nouveau poids.
+
+ M. de Wolfradt sera son successeur.
+
+ On m'a assuré, mais je ne voudrais pas garantir cette assertion, que
+ M. de Czernischeff avait un plan exact du château qu'habitait le
+ roi, qu'il est arrivé sans guide jusqu'à la chambre de Sa Majesté,
+ et qu'il a dit que si un gendarme ne s'était pas échappé de ses
+ mains il prenait le roi dans son lit[144].
+
+ [Note 144: Donc aucune proposition n'avait pu être faite au
+ roi pour conserver sa couronne.]
+
+
+À cette date s'arrête, dans les _Mémoires du roi Jérôme_, ce qui est
+relatif à ce prince en Westphalie.
+
+Les mémoires ne reprennent qu'en 1814. Il nous a été possible, à
+l'aide de la correspondance diplomatique, de combler cette lacune.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, le 18 octobre 1813.
+
+ Le roi a nommé le général Allix son lieutenant, parce qu'il ne croit
+ pas pouvoir se mettre en personne à la tête de 4,000 hommes. Il
+ regrette d'être revenu. Si l'ennemi marche de nouveau contre Cassel,
+ ou si les troupes qui sont ici ont ordre de marcher ailleurs, il se
+ retirera d'un pays mûri partout pour la révolte, et en attendant,
+ lorsque tout est désorganisé, lorsque le service de S. M. I. exige
+ qu'on ne s'occupe que de rassembler toutes les parties éparses pour
+ pourvoir aux besoins les plus urgents de l'armée, il ne médite que
+ des projets de vengeance! Ses premiers dignitaires sont arrêtés,
+ exilés pour n'avoir pas toujours porté l'ordre, pour n'avoir pas
+ suivi sa personne, etc. La commission nommée par Czernischeff,
+ composée des hommes les plus estimables, fonctionnaires du roi, se
+ dévouant à la circonstance, mais absolument incapables d'en sentir
+ les difficultés, et commettant des fautes graves de forme, qu'on
+ convertit en crimes de lèse-majesté, seront traduits à une
+ commission militaire; son intention, j'en suis persuadé, est de
+ faire grâce, mais il veut qu'ils soient condamnés à mort.
+
+ Ces pensées tout à fait étrangères au moment, qui exige d'autres
+ soins, l'absorbent lui et son lieutenant. M. Siméon voulait revenir,
+ c'est le roi qui n'a pas voulu, parce qu'il craignait d'en être
+ contrarié. Toutes les prisons sont pleines. La terreur règne, et le
+ seul excès criminel qui ait été commis l'a été par un étranger
+ portant en poche un brevet de duc.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, le 19 octobre 1813.
+
+ Il a fallu interrompre ma lettre d'hier pour me livrer aux visites,
+ aux rapports, aux lamentations qui de toutes parts affluent autour
+ de moi. Depuis les ministres du roi jusqu'aux particuliers, personne
+ ne connaît le but de cette commission militaire appelée à juger la
+ commission de Cassel nommée par l'autorité du conseil municipal sous
+ l'autorisation du général russe. Pour m'éclairer enfin, je me suis
+ décidé à aller directement chez le général Allix, unique moteur de
+ cette mesure, puisque le roi l'a prise sur ses rapports et puisque
+ c'est encore sur son rapport qu'elle a été maintenue hier au conseil
+ des ministres.
+
+ Après une conversation de deux heures qui est devenue d'autant plus
+ vive que je comprenais moins le général Allix se tournant toujours
+ dans un cercle vicieux et n'osant pas prononcer le mot qui
+ trancherait la difficulté, il s'est trouvé que tandis que d'après
+ l'unanimité des rapports je n'avais vu dans tout ce qui s'est passé
+ le 30, lors de la reddition de la ville, que la peur des bourgeois,
+ craignant de voir leur ville et leurs maisons incendiées et
+ convaincus de l'absurdité de défendre une place ouverte avec moins
+ de 300 hommes de troupes, le général Allix posait en fait que Cassel
+ avait été en pleine révolte. Ce fait posé, il n'y avait plus rien à
+ dire, et la commission militaire était de droit. Mais malheur à
+ l'homme capable de sacrifier en ce moment la vie d'une vingtaine
+ d'hommes respectables et, par l'effet que cette procédure peut
+ produire sur un peuple exaspéré, celle des Français dans le cas
+ d'une seconde retraite, peut-être la sûreté du roi, peut-être les
+ ressources les plus précieuses pour la grande armée à un
+ amour-propre irrité.
+
+ Et que c'est là l'unique cause qui a fait établir comme principe la
+ révolte de Cassel, le général Allix lui-même m'en a donné la
+ conviction intime. Il m'est impossible, Monseigneur, d'entrer dans
+ des détails dont la discussion entraînerait des journées entières:
+ je dois pour cette fois me prévaloir de ma qualité d'honnête homme
+ et d'homme de sens et demander à être cru sur ma parole. Aussi ne
+ suivrai-je pas plus loin le général Allix. Je dirai seulement que
+ tandis qu'il soutient que cette procédure est nécessaire pour
+ l'exemple, je soutiens, moi, que les hommes dont il s'agit,
+ eussent-ils mérité de perdre la tête, ce n'est pas le moment de les
+ mettre en jugement.
+
+ Si après cela je disais que le général Allix a montré du zèle et du
+ caractère en défendant la ville et surtout en s'empressant d'y
+ rentrer, il faudrait dire aussi que le général Allix a laissé à une
+ lieue de la ville, sous la garde d'une sentinelle, six canons que
+ l'ennemi a enlevés le 28 avec leurs munitions, et que le
+ commandement de 4 à 5,000 hommes de troupes françaises lui inspire
+ des projets d'un écervelé.
+
+ Avant d'aller voir le général Allix, j'avais vu M. de Marienrode,
+ qui m'a montré sur toutes ces affaires la même manière de penser que
+ moi. Je lui ai demandé s'il avait déjà commencé l'envoi des trois
+ cents quintaux de farine par jour demandés pour Erfurth. Il m'a
+ répondu qu'il en avait fait la répartition entre les départements en
+ omettant ceux qui dans ce moment étaient hors d'état d'y contribuer,
+ mais qu'il ne lui avait pas encore été possible de faire commencer
+ les livraisons.
+
+ Les contributions ne rentrent plus, les contribuables demandent
+ qu'on aille les chercher. Depuis son retour le roi n'a pu réunir
+ cent mille francs dans son trésor. Les préfets craignent de donner
+ des nouvelles des mouvements de l'ennemi. La présence du roi et le
+ devoir de garder sa personne et sa capitale paralysent l'activité de
+ nos troupes. Il ne les commandera point, il ne s'en séparera point.
+ J'apprends cependant que M. le duc de Feltre a écrit au comte de
+ Salha que ces troupes doivent être sous les ordres immédiats du roi.
+ J'ai trouvé le roi beaucoup plus calme aujourd'hui qu'hier, comme
+ s'il avait reçu des nouvelles de S. M. I. Il en recevait en ma
+ présence du général Amey qui lui annonce l'entrée de Tettenborn à
+ Brême le 15. Un bataillon suisse s'y est rendu par capitulation. Il
+ sera conduit en France. Un second bataillon s'est retiré avec le
+ général Lauberdière sur Leipzig.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, le 24 octobre 1813.
+
+ Le roi m'a fait appeler hier soir à onze heures. Le colonel
+ Lallemand venait d'arriver. Il avait laissé S. M. l'empereur le 18
+ sortant de Leipzig à la tête de sa garde impériale. Il était arrivé
+ à Erfurth au milieu des troupes qui revenaient. Il s'était glissé à
+ Gotha à travers les cosaques. Il m'a porté votre lettre du 6
+ octobre, que je conserverai éternellement comme le mouvement le plus
+ touchant et le plus honorable de votre bienveillance et de votre
+ intérêt.
+
+ L'intention du roi est de se retirer à Marbourg après avoir reçu des
+ nouvelles de S. M. impériale, à moins qu'il ne soit forcé de le
+ faire plus tôt. Il a distribué les 8,000 hommes en colonnes mobiles,
+ en gardes pour sa personne, et en garnison pour Cassel. Il est à
+ craindre que les événements ne permettent pas à Sa Majesté impériale
+ de les lui laisser plus longtemps. Prévenu par M. de Feltre qu'elles
+ devaient être sous son commandement immédiat, il en a donné le
+ commandement sous ses ordres au général Rigaut, qui est ici. Le
+ général Allix, blessé de se le voir ôter, a fait de nouvelles
+ folies. Elles ont indisposé le roi qui lui a donné sa démission; cet
+ homme pourrait devenir notre perte; en ce moment, il est nécessaire
+ de l'écarter de toute influence politique.
+
+ Aucun mouvement sérieux ni combiné n'a éclaté en Westphalie. Mais
+ nous sommes cernés partout. Un nouveau corps de 10,000 hommes avait
+ dirigé, dit-on, sa marche sur Cassel. Il l'a suspendue. Les cosaques
+ occupent toute l'autre rive de la Werra. Il en arrive des
+ patrouilles nocturnes jusqu'à quelques portées de fusil de la ville.
+ L'ennemi est devant Minden; on s'y est fusillé au pont, mais il ne
+ paraît pas assez nombreux.
+
+ Que dire? que faire? Ah! si nous pouvions avoir un mot de S. M.
+ impériale. Nous savons du moins qu'elle se porte bien. Ma conduite
+ est simple. C'est de partager la destinée du roi.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cassel, ce 25 octobre 1813.
+
+ Le roi, décidé à quitter Cassel, soit à cause des inconvénients de
+ la guerre, soit à cause des embarras de l'administration auxquels il
+ ne peut remédier, informé en outre ce matin par le général Rigaut
+ que l'ennemi est réuni en force à Duderstadt, prendra demain la
+ route d'Arolsen et ensuite celle de Paderborn et de Lippstatt, au
+ lieu de la route de Wabern et de Marbourg qu'il était résolu de
+ prendre encore ce matin. Je précéderai S. M. de quelques heures,
+ surtout parce qu'avec ses troupes et à cheval elle prendra une route
+ peu praticable pour les voitures. Cette lettre partira après notre
+ départ et je l'écris au clair, parce qu'il serait possible que
+ lorsqu'elle rencontrera Votre Excellence, elle ne se trouvât pas à
+ portée de ses archives. Mon coeur est oppressé, mais le courage et
+ la confiance ne m'ont point abandonné.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Arnsberg, dans le grand-duché de Darmstadt, 28 octobre 1813.
+
+ J'envoie cette lettre sous le couvert de M. le duc de Valmy; et
+ comme, lorsqu'elle parviendra à Votre Excellence, vous aurez reçu
+ celles que, depuis notre retour à Cassel, je vous avais adressées
+ par l'entremise de M. d'Hédouville, je ne remonterai dans mon récit
+ qu'à la veille du second départ du roi de sa capitale. Ce ne sera
+ même qu'un très court résumé, en attendant la direction que Votre
+ Excellence me donnera pour les rapports qu'il me reste à lui faire.
+
+ Dès que le roi eut appris par le colonel Lallemand les événements
+ militaires jusqu'au 18 et l'arrivée du prince de la Moskowa à
+ Buttelstadt, il se décida d'autant mieux à partir de Cassel, que
+ d'un côté il se sentait favorisé par l'embarras de ses finances
+ auquel il ne pouvait remédier, et que d'un autre côté les rapports
+ qu'il recevait mettaient hors de doute qu'un nouveau corps ennemi
+ aussi nombreux était en marche sur Cassel.
+
+ Dans la matinée du 26, jour du départ, le canon fut distinctement
+ entendu à Cassel à deux et à six heures. À six heures, le roi partit
+ de Napoléonshöhe à cheval, précédé et entouré des troupes qu'il
+ avait désignées pour former sa garde, et qui étaient composées d'un
+ bataillon d'infanterie légère, de 2 à 300 grenadiers de la garde, de
+ 60 gardes d'honneur, d'une compagnie de cuirassiers, d'une de
+ dragons, tous Français, et d'environ cent gardes du corps,
+ Westphaliens.
+
+ Les premières mesures avaient été prises pour se retirer par
+ Marbourg. Le roi préféra ensuite la route directe de Cologne ou de
+ Dusseldorf par les montagnes. Celle qui conduit de Napoléonshöhe à
+ Arolsen étant impraticable pour les voitures, le roi, comme je n'ai
+ pas l'habitude du cheval, m'engagea à prendre la route de poste et
+ me chargea de dire au prince de Waldeck qu'il désirait d'être reçu
+ sans cérémonie et de pouvoir être à Arolsen comme s'il était chez
+ lui. J'avouerai, Monseigneur, que je ne trouvai aucune difficulté à
+ porter la cour de Waldeck à se conformer aux désirs de S. M. Le roi
+ prétend savoir que, lors de la première apparition des Russes, le
+ prince a fait avec eux un traité de neutralité. Quoi qu'il en soit,
+ la peur de se compromettre et le malaise où l'arrivée du roi mettait
+ cette petite cour se sont montrés par plusieurs traits, dont
+ quelques-uns dans d'autres circonstances mériteraient d'être
+ relevés.
+
+ Nous trouvâmes à Arolsen les ministres de Saxe et de Darmstadt. Le
+ premier, qui y était avec sa famille, paraissait décidé à ne point
+ retourner encore en Saxe, le second manifestait le désir de se
+ rendre promptement auprès de son maître.
+
+ Le 27, le roi partit à 7 heures du matin par Jadsbrogne pour
+ Bridsove dans l'ancien duché de Westphalie, route de neuf à dix
+ lieues, par des chemins presqu'impraticables. Aujourd'hui, S. M. est
+ arrivée par Meschede à Arnsberg, capitale du même duché. Demain,
+ elle se rendra à Iserlohn, dans le grand-duché de Berg, sept lieues;
+ après demain, sept lieues, à Hagen, où elle attend ses équipages qui
+ viennent par Paderborn, Lippstadt et Hamm. Le 31, on ira à Lennep,
+ neuf lieues, et le 1er novembre à Cologne.
+
+ Les trois journées depuis Cassel ont été fatigantes pour les
+ troupes, aussi l'infanterie est-elle restée à Meschede. Ce sera à
+ Hagen que les troupes se trouveront toutes réunies.
+
+ Le roi n'a eu, à ma connaissance, de nouvelles directes de Cassel
+ que par une seule lettre du général Rigaut. Ce général n'avait plus
+ laissé d'avant-poste qu'à Liebenau; il comptait évacuer Cassel
+ aujourd'hui en se retirant par Paderborn; c'est par cette route que
+ s'est retiré tout ce qui n'a pas suivi le roi. Les ministres sont
+ partis comme nous, mardi 26, mais à six heures du soir. Le
+ lendemain, M. de Malartie est arrivé avec eux à Paderborn. Une
+ escorte de 250 hussards Jérôme-Napoléon les accompagnait; dès qu'ils
+ ont été passés, les paysans ont commencé à commettre des excès;
+ quelques Français ont été pillés.
+
+ Le général Allix est parti pour la France.
+
+ Le 25, le prince d'Eckmuhl était encore à Ratsbourg. Le 21, le
+ général Lauberdière était rentré à Bremen.
+
+ J'expédierai, Monseigneur, cette lettre d'Iserlohn et j'y ajouterai,
+ s'il y a lieu, ce que la journée de demain pourra apporter de
+ remarquable.
+
+ Le roi n'ayant reçu à Iserlohn aucune nouvelle et la poste n'étant
+ pas partie, je continue ma lettre d'ici, où S. M. est arrivée à
+ quatre heures du soir. Ses équipages l'avaient jointe à Hagen. Elle
+ avait fait à cheval, heureusement, par un temps assez beau, toute
+ cette route, où nous avons passé par les chemins les plus
+ abominables que j'aie jamais rencontrés.
+
+ Le général Wolff et le colonel Verges, partis le 24 d'Eisenach d'où
+ ils ont encore ramené 50 cavaliers du beau régiment des
+ chevau-légers, sont arrivés aujourd'hui de Cassel, qu'ils avaient
+ quitté dans la matinée du 27. Alors tout y était calme; le général
+ Rigaut ne paraissait pas encore disposé à partir et l'ennemi, qui
+ s'était avancé contre lui, paraissait avoir pris une autre
+ direction.
+
+ Le comte Beugnot est arrivé de Dusseldorf pour prendre les ordres du
+ roi. Ce matin encore, l'intention de S. M. était de se rendre
+ directement à Cologne; j'ignore si elle en a changé. Comme demain
+ les troupes doivent se réunir et se reposer à Elberfeld, il est
+ possible que le roi passe aussi la journée dans cette vallée si
+ remarquable par les enchantements que l'industrie et la liberté du
+ commerce y avaient produits.
+
+ Le roi étant en correspondance suivie avec M. le duc de Valmy et ne
+ m'ayant pas prévenu de l'envoi de ses courriers ni de ses officiers,
+ dont l'un a été expédié au roi de Naples, je dois d'un côté supposer
+ Votre Excellence déjà instruite du voyage de S. M., et les cinq
+ jours depuis notre départ de Cassel s'étant passés en route, sans
+ événements et sans nouvelles, j'ai d'un autre côté jugé inutile de
+ prendre une voie extraordinaire pour vous transmettre des détails
+ sans intérêt.
+
+ J'apprends à l'instant que M. le comte Beugnot est reparti
+ subitement pour Dusseldorf et qu'il doit revenir demain, j'en
+ conclus que le roi aura pris la résolution de partir pour
+ Dusseldorf, où il pourra en même temps très convenablement laisser
+ ses troupes.
+
+
+ Ce 31.
+
+ M. le comte Beugnot est retourné hier à Dusseldorf, parce que dans
+ les circonstances actuelles et chargé de l'approvisionnement de
+ Wesel, il ne peut guère s'en absenter. Le roi passera la journée
+ ici. Il est un peu incommodé, mais demain il se rendra droit à
+ Cologne.
+
+ J'ai reçu des nouvelles de M. de Malartie de Lippstadt. Il est parti
+ de Cassel le 26 après les ministres et après avoir mis ordre à tout
+ ce dont je l'avais chargé. Il a prouvé que si, lors de la première
+ surprise, il n'avait pas encore l'habitude du danger, il lui avait
+ été très facile de la prendre; et j'ai lieu d'être satisfait sous
+ tous les rapports de sa conduite.
+
+ J'ai reçu aussi de Mme la princesse de Detmold une lettre qui est un
+ document très convenable de son dévouement à la Bavière et à la
+ cause de S. M. l'empereur. Les deux officiers français dont j'ai
+ parlé à Votre Excellence, chargés d'organiser le contingent de la
+ Lippe et partis de Cassel le 20, ne sont arrivés à Detmold que le
+ 25. Votre Excellence pensera sûrement qu'en ce moment leur mission a
+ cessé d'être utile.
+
+ Le roi paraît persuadé que le général Rigaut a évacué Cassel le 27.
+ S. M. craint qu'il ne se soit trop pressé.
+
+ J'éprouverai, Monseigneur, un bonheur extrême en recevant les
+ premières nouvelles qui m'annonceront votre heureuse arrivée à
+ Mayence. J'attends soit à Cologne, soit auprès du roi, si S. M.
+ quitte cette ville, les ordres que vous aurez la bonté de me faire
+ parvenir.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cologne, le 3 novembre 1813.
+
+ Le roi est arrivé à Cologne le 1er à quatre heures du soir; je l'ai
+ suivi de près. Hier sont arrivés les comtes de Höne, de Wolfradt, de
+ Marienrode, M. de Bongars, etc., qui avaient pris la route de
+ Paderborn. M. de Malartie, qui était avec eux, est arrivé ce matin.
+ Je viens de voir le roi après M. de Rumigny, auquel S. M. était très
+ impatiente de parler. Elle avait reçu hier une lettre de M. le duc
+ de Valmy, écrite au nom de S. M. impériale, et qui lui annonçait que
+ M. le duc de Tarente allait prendre le commandement des troupes sur
+ toute la ligne du Rhin depuis Mayence jusqu'à Wesel. Le roi m'a dit
+ qu'il attendrait certainement M. le maréchal à Cologne, mais informé
+ par M. de Rumigny que S. M. impériale partait pour Paris, il m'a
+ montré un grand désir de la suivre dès que M. le duc de Tarente
+ aurait pris le commandement. Ce sera une chose à concerter entre S.
+ M. et S. Exc.
+
+ Quant à la mission de M. de Rumigny, il n'est que trop douteux s'il
+ pourra la remplir dans toute son étendue. Le roi m'a dit que le
+ général Amey, réuni au général Lauberdière, a quitté Minden, que les
+ avant-postes et l'arrière-garde du général Rigaut ont déjà été
+ attaqués par les Russes à Lippstadt, j'ignore quel jour,
+ probablement le 31, et que le prince d'Eckmuhl ayant demandé à se
+ retirer sur le Rhin, l'ennemi lui a répondu qu'il fallait se rendre
+ prisonnier. M. de Rumigny écrit en ce moment à Votre Excellence,
+ chez moi. Il continuera ensuite sa route par Wesel. Les affaires de
+ la conscription avaient conduit M. le préfet de la Roer à Cologne.
+ Le roi l'a trouvé ici. Les lettres dont M. de Rumigny est porteur
+ pour lui lui ont été remises. Il les a lues en notre présence, et à
+ chaque paragraphe il a dit que c'était fait.
+
+ Le roi a congédié la plupart de ses gardes du corps qui l'avaient
+ suivi jusqu'à Cologne. Avant de quitter Cassel, il leur avait laissé
+ la liberté de le suivre ou de rester. Cependant en route, lorsqu'on
+ approchait du Rhin, plusieurs, même les officiers, avaient déserté.
+ Les Westphaliens qui restaient avaient demandé la permission de
+ retourner chez eux. Refusée d'abord, elle vient de leur être
+ accordée.
+
+ Le roi attend décidément M. le duc de Tarente à Cologne. Si, comme
+ on nous l'assure, l'ennemi est à Montabaur, il est à craindre que M.
+ le maréchal ne s'arrête à Coblentz.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cologne, le 5 novembre 1813.
+
+ Le roi est parti ce matin à neuf heures pour Aix-la-Chapelle. J'ai
+ vu S. M. hier en sortant d'une longue conférence qu'elle avait eue
+ avec M. le duc de Plaisance, qui était arrivé la veille et lui avait
+ porté une lettre de S. M. impériale. Il résulte de ce que le roi m'a
+ dit que S. M. impériale ne désire point qu'il choisisse le moment
+ actuel pour se rendre à Paris, et qu'elle préfère que le roi
+ établisse sa résidence provisoirement dans l'un des quatre
+ départements du Rhin. Le roi, après avoir conféré avec M. le préfet
+ de la Roer, s'est décidé pour Aix-la-Chapelle. Dans le commencement
+ de sa conversation avec moi, S. M. disait qu'elle y passerait deux
+ ou trois jours; vers la fin, elle a parlé de trois semaines ou d'un
+ mois, et comme l'ordre a été donné d'y louer pour le roi une maison
+ entière, je ne doute point que son intention ne soit d'y attendre
+ les directions ultérieures de son auguste frère.
+
+
+ BASSANO À REINHARD.
+
+ Mayence, le 4 novembre 1813.
+
+ Je n'apprends qu'en ce moment que S. M. l'empereur a écrit de
+ Westphalie au roi par M. le duc de Plaisance, que son intention est
+ que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Save,
+ de la Roer ou du Rhin-et-Moselle et qu'elle y fasse venir la reine.
+ Les dispositions de S. M. à cet égard sont précises, et elle désire
+ que le roi ne s'en écarte point. Elles sont déterminées par des
+ considérations telles que si le roi ne s'y conformait pas,
+ l'empereur serait obligé de prendre, même envers sa personne, des
+ mesures pour en assurer l'exécution. S. M. juge convenable que vous
+ vous expliquiez avec le roi à ce sujet, en mettant dans cette
+ explication toutes les formes et tous les ménagements possibles. Le
+ but sera rempli si le roi est bien persuadé des intentions bien
+ positives de l'empereur.
+
+ L'empereur a été également mécontent de ce que le roi a fait et de
+ ce qu'il n'a pas voulu faire. Il ne veut pas donner à Paris et à la
+ France le spectacle d'un roi détrôné qui, dans son malheur, n'a pas
+ la consolation d'avoir laissé des amis dans le pays qu'il a
+ gouverné. Il ne permet pas au roi de venir à Mayence. Le roi n'ayant
+ jamais voulu suivre les conseils de l'empereur ni faire aucune des
+ choses qui importaient si entièrement à son intérêt et à celui de sa
+ couronne, ses entrevues avec S. M. ne pouvaient, d'après de telles
+ dispositions, qu'être pénibles et sans objet.
+
+ La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris, a déplu à
+ l'empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux
+ chagrins dans sa position actuelle, en faisant venir la reine près
+ de lui.
+
+ S. M. a su récemment, et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement,
+ que la reine s'occupe avec des gens d'affaires à acheter pour le roi
+ des maisons de plaisance aux environs de Paris, et notamment le
+ château de Stains. D'après le statut de famille, un prince sur un
+ trône étranger ne peut rien posséder en France sans la permission de
+ l'empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Ils sont
+ d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement
+ comment un roi dans sa position, et lorsque la France n'est occupée
+ que des sacrifices à faire pour soutenir l'honneur national, se
+ livre à des projets qui lui sont personnels.
+
+ Ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, c'est que ni
+ le roi ni la reine ne fassent parler d'eux. Moins ils feront de
+ bruit, mieux cela vaudra. Le roi est à sa place dans un département
+ voisin de ses États. Il serait, par exemple, d'une manière très
+ convenable au château de Bruhl. La manière d'être la plus simple et
+ l'attitude la plus modeste sont les convenances impérieuses du
+ moment. S. M. fait sans doute une grande différence entre le roi de
+ Westphalie et le roi d'Espagne; cependant elle a voulu que ce
+ dernier ne vînt point à Paris, restât à Mortefontaine, n'y vît ni
+ les ministres, ni les sénateurs, ni aucun des fonctionnaires
+ publics, et se tînt dans l'incognito le plus complet.
+
+ S. M. m'a ordonné d'entrer avec vous dans ces détails pour votre
+ gouverne. Elle a pour but que le roi sache bien à quels désagréments
+ il s'exposerait en s'écartant de ses volontés. Usez du reste de ces
+ communications avec prudence et pour prévenir des fautes contre
+ lesquelles S. M. devrait sévir; mais ayez soin de n'aigrir ni
+ humilier personne. S. M. s'en repose sur votre tact et votre
+ excellent esprit.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Cologne, le 6 novembre 1813.
+
+ Le courrier qui m'a apporté les deux dépêches de Votre Excellence,
+ datées du 4, m'a trouvé à ma campagne, où j'étais allé ce matin avec
+ l'intention de revenir ce soir. Ma lettre d'hier vous aura informé,
+ Monseigneur, que le roi est parti hier pour Aix-la-Chapelle.
+ J'ajouterai qu'il avait envoyé le maréchal de sa cour pour y louer
+ une maison pour un mois, aux conditions dont il était convenu avec
+ M. le préfet du Roer et, comme il paraît, après avoir fait tomber M.
+ le duc de Plaisance d'accord avec lui sur la convenance de ce
+ séjour. Quant à la reine, le roi m'avait dit lui-même que S. M.
+ impériale lui avait écrit qu'il était le maître de la faire venir
+ auprès de lui s'il voulait.
+
+ Ce qui m'importe le plus, Monseigneur, c'est d'être assuré que le
+ roi ne quittera pas Aix-la-Chapelle avant que je ne me sois acquitté
+ auprès de S. M. des ordres que j'ai reçus de Votre Excellence.
+ Malgré la certitude qui paraît résulter des données que je viens
+ d'exposer, je serais parti cette nuit même si M. le préfet de la
+ Roer, précédé d'un courrier, ne partait pas demain matin, et dans
+ l'impossibilité où je prévois que je serais d'aller plus vite que
+ lui, je suis convenu avec lui de lui remettre une lettre pour M. de
+ Furstenstein, que son courrier portera dès le moment de son arrivée,
+ et qui, je n'en doute point, produira l'effet que je désire, dans le
+ cas même, si improbable qu'il soit, où le roi, changeant encore de
+ résolution, aurait voulu quitter Aix-la-Chapelle après-demain.
+
+ Par ce moyen, je gagnerai la journée de demain pour remplir l'autre
+ commission dont Votre Excellence m'a chargé. Attendu la difficulté
+ de trouver des hommes propres aux genres d'informations que vous
+ demandez, je regrette infiniment de n'avoir pas reçu vos ordres
+ seulement deux fois vingt-quatre heures plus tôt. J'aurais alors pu
+ retenir quatre ou cinq gendarmes westphaliens, gens éprouvés et
+ Allemands, que le roi a congédiés et qui ont repassé le Rhin hier.
+ Je fais en ce moment prendre des informations pour connaître tous
+ les Westphaliens de cette classe, ou à peu près, qui peuvent encore
+ se trouver à Cologne. Je laisserai M. de Malartie ici pour suivre
+ cet objet pendant mon absence à Aix-la-Chapelle, où peut-être je
+ trouverai moi-même une partie de ce que je cherche.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Aix-la-Chapelle, le 9 novembre 1813.
+
+ Hier, après mon arrivée, je suis allé voir M. le comte de
+ Furstenstein; il me suffisait d'avoir encore honoré le roi. Je me
+ suis borné à dire à son ministre que les instructions de S. M. I.
+ étaient positives sur deux points: le premier que le roi élirait
+ pour sa résidence quelque château situé dans un des trois
+ départements de la Roer, de la Save et de Rhin-et-Moselle, et le
+ second que S. M. fit venir la reine auprès d'elle. M. de Furstentein
+ m'a dit que le roi me recevrait à son lever.
+
+ Je m'y suis rendu, il n'y a point eu de lever. Le général Wolff
+ venait d'arriver de Mayence. À onze heures j'ai obtenu d'être
+ annoncé et le roi m'a fait dire qu'il me recevrait à une heure.
+
+ Il est deux heures. Le roi m'a reçu avec une espèce de cérémonial.
+ Je suis entré en matière en lui disant exactement ce que j'avais
+ déjà dit à M. de Furstenstein; j'ai ajouté que, d'après ce que S. M.
+ m'avait dit elle-même, ce que renfermait la lettre de Votre
+ Excellence devait déjà en grande partie lui être écrit. Le roi m'a
+ répondu que quant au choix de sa résidence, le général Wolff, parti
+ de Mayence soixante heures après ma dépêche, lui avait porté des
+ propositions différentes, et qu'il lui était impossible de faire
+ venir la reine aux avant-postes. J'ai insisté sur les deux points;
+ j'ai dit que les instructions de S. M. I. à cet égard étaient
+ positives et dictées par des considérations de la plus haute
+ importance et que j'avais l'ordre de le déclarer. J'ai répliqué à
+ plusieurs observations que le roi avait faites, comme par exemple
+ qu'il était toujours souverain, et peut-être le seul souverain resté
+ fidèle, qu'on voulait attenter à sa liberté personnelle, aux droits
+ qu'un mari avait sur sa femme, etc. J'y ai répliqué, dis-je, avec
+ modération, et par des raisonnements fort aisés à trouver, mais le
+ roi s'est emporté de plus en plus.--«Au surplus, a-t-il continué,
+ c'est une affaire de famille entre l'empereur et moi; et si
+ l'empereur vous charge de me dire quelque chose, adressez-vous à M.
+ le comte de Furstenstein.»--«C'est à Votre Majesté, ai-je dit, que
+ j'ai été chargé de faire connaître les volontés de l'empereur, et
+ puisque c'est une affaire entre lui et V. M., elle ne voudra pas y
+ faire intervenir un tiers. Il me suffit au reste que V. M. ait bien
+ entendu la mission dont j'étais chargé, et il ne me reste qu'à
+ rendre compte de la réponse qu'elle vient de me faire. Mais V. M. me
+ permettra-t-elle de lui dire qu'il est impossible que ce qu'elle a
+ entendu de moi et ce qui est si pleinement dans les convenances
+ politiques et dans les vôtres, sire, ait produit sur elle l'effet
+ que je vois?»
+
+ Alors le roi m'a dit: «Oui, j'ai le coeur plein d'amertume et je ne
+ le montre qu'à vous. Je sais qu'on traite en ce moment de mon
+ royaume, qu'on en traite sans moi, et peut-être on l'a déjà cédé.
+ J'ai demandé comment le roi le savait. L'empereur l'a dit, ou à peu
+ près, au général Wolff, et je le sais encore par d'autres sources.
+ Comment l'empereur justifiera-t-il ce procédé envers un souverain et
+ frère si fidèlement dévoué, aux yeux de l'Europe?»--J'ai répondu
+ qu'aux yeux de l'Europe le roi ne pouvait jamais avoir raison contre
+ l'empereur, que supposé qu'il fût vrai, qu'il fallût céder, ce que
+ le frère de l'empereur perdait, l'empereur le perdait également, et
+ que c'était peut-être le moment de lui rappeler que dans d'autres
+ époques il m'avait souvent témoigné que la couronne lui pesait.
+
+ Dans une autre occasion, je me suis permis de lui dire qu'en ce
+ moment S. M. ne devait pas s'étonner si S. M. I. considérait moins
+ ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Ce mot a
+ changé la tournure de la conversation.--«Oui, a dit le roi,
+ l'empereur est dans un moment malheureux; il est contrarié, je le
+ sens; aussi n'écrivez rien qui puisse déplaire. Je ne défends que
+ mes droits personnels.»--Quant aux propositions portées par le
+ général Wolff, le roi m'a parlé du château de Pont où S. M. I. lui
+ permettrait de se rendre lorsqu'il le demanderait. «Cette retraite,
+ m'a-t-il dit, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi, qui
+ préfère Aix-la-Chapelle; pour appeler la reine près de lui, c'est le
+ château de Laeken (près Bruxelles) qui réunit toutes les
+ convenances; jamais mon intention n'a été de me rendre en ce moment
+ à Paris, etc.»
+
+ La poste me presse, Monseigneur, je n'ai ici ni estafette ni
+ courrier hors celui que m'offre le roi. Je réserve pour demain
+ plusieurs particularités.
+
+ En résumé, je dois dire que le roi me paraît décidé à ne point faire
+ venir la reine à Aix-la-Chapelle. Quant au séjour de Pont, ses
+ objections m'ont paru faibles; mais j'ai écarté toute discussion à
+ ce sujet comme étant étrangère à ma mission.
+
+ J'ai dit au roi tout ce qui pouvait se dire dans les limites de ma
+ mission et dans la situation actuelle de son âme. J'ai d'ailleurs pu
+ me convaincre que ce qu'il avait appris par d'autres sources ne lui
+ permettait point de se méprendre sur l'esprit de mes instructions et
+ qu'il n'ignorait pas même ce qui concerne la nécessité éventuelle
+ des mesures à prendre contre sa personne.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.
+
+ À peine ma lettre de ce jour avait-elle été envoyée à la poste pour
+ Mayence, que le roi m'a fait appeler pour me dire qu'un de ses
+ courriers avait rencontré S. M. I. à Verdun, et qu'il lui avait
+ parlé. Il paraît que l'intention du roi est d'aller à Pont, comme
+ d'après ce que S. M. m'a dit hier. Elle en avait reçu la proposition
+ de S. M. l'empereur par le général Wolff. Quant à moi qui ne connais
+ que mes ordres, je ne puis faire autre chose que de les répéter au
+ comte de Furstenstein et de mettre sur sa responsabilité personnelle
+ ce qui pourrait se faire de contraire aux instructions de S. M. I.
+ dans une circonstance où le roi m'assure que des indications
+ postérieures qu'il a reçues de S. M. I. ont rendu mes instructions
+ superflues. Ce ministre sort de chez moi. Je dois rendre justice à
+ sa manière de voir, à ses alarmes, à ses efforts. Je porterai cette
+ lettre à S. M., qui est pressée d'envoyer son courrier; je la lui
+ lirai, je la conjurerai d'attendre au moins une lettre de son
+ auguste frère, qui ne saurait tarder. Dieu veuille que nous soyons
+ écoutés.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.
+
+ Il était évident que le roi avait différé de me recevoir pour se
+ recueillir après les nouvelles que lui a portées le général Wolff et
+ pour prendre une détermination préalablement à son entretien avec
+ moi. Je me flattais qu'il aurait renoncé au château de Laeken et que
+ la seule question importante serait de savoir si S. M. I. consentait
+ à ce que le roi restât à Aix-la-Chapelle. Je ne prévoyais aucune
+ difficulté sur le voyage de la reine. M. de Furstenstein avait déjà
+ parlé à Cologne de la proposition d'habiter le château de Brühl.
+ Deux considérations importantes ont empêché le roi de l'occuper:
+ l'une qu'il n'est qu'à la distance d'une petite lieue des bords du
+ Rhin, et qu'il aurait fallu une force armée pour mettre S. M. à
+ l'abri des incursions des partisans; l'autre que le château n'est
+ pas meublé et se ressent fortement de l'abandon total où l'a laissé
+ le prince d'Eckmuhl depuis qu'il en est possesseur. Si le roi était
+ venu l'habiter, ma maison de campagne, ancienne dépendance de ce
+ château, aurait servi d'avant-garde, et je me serais trouvé fort
+ heureux d'être le voisin et en quelque sorte le vassal de Sa
+ Majesté.
+
+ Lorsque j'ai parlé au roi de quelque château dans les trois
+ départements indiqués et voisin de ses États, il m'a parlé de
+ châteaux voisins de Paris. «C'est précisément des châteaux voisins
+ de Paris que l'empereur ne veut pas que l'on habite en ce moment-ci.
+ L'empereur sait qu'on s'y occupe déjà des acquisitions de châteaux
+ pour V. M., ce qu'il trouve irrégulier à cause du statut de famille
+ et inconvenable dans les circonstances actuelles.»--«Le statut de
+ famille, me répondit le roi, n'a pas empêché le roi d'Espagne
+ d'habiter Mortefontaine.»--«Mais il l'aura acquis de l'agrément de
+ l'empereur et il l'habite sans voir personne et dans le plus grand
+ incognito; c'est même ce que je suis chargé de représenter à V.
+ M.»--«Sans voir personne? Le roi d'Espagne va seulement coucher
+ toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour
+ s'amuser. Jamais je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle: 500
+ cosaques peuvent arriver par Dusseldorf, rien ne les en empêche. La
+ place de la reine n'est pas aux avant-postes, tandis qu'à Laeken
+ elle est à quatre-vingts lieues du Rhin.» J'ai répondu que les
+ cosaques n'arriveraient point plus facilement à Aix-la-Chapelle qu'à
+ Laeken. «Oui, c'est comme quand on était à Dresde, on disait qu'ils
+ ne passeraient pas l'Elbe. Si l'empereur veut que je fasse venir la
+ reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'impératrice?»--«Parce que
+ l'impératrice est chez elle et que la reine est chez l'empereur,
+ qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut pas la recevoir
+ malgré lui.»--«Eh! bien, je lui ordonnerai d'aller chez elle; je la
+ suivrai, mais ce sera moi seul qui commanderai à ma femme. Je sais
+ que je suis sous la puissance du plus fort; mais on sait que j'ai du
+ caractère; je m'exposerai plutôt à une esclandre, et il faudra que
+ celui qu'on m'enverra pour me forcer soit bien ferme sur ses
+ étriers. Que l'empereur attende encore quinze jours, et il verra ce
+ qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois
+ des traîtres (comme ce roi de Suède) affermis sur leur trône, et moi
+ seul, constamment resté fidèle, je perds le mien. On m'a fait des
+ propositions pour rester à Cassel; je les ai rejetées; l'empereur le
+ sait, il l'a dit au général Wolff. (Si Votre Excellence a reçu ma
+ dépêche nº 527 du 22 septembre, elle y aura trouvé le récit d'une
+ conversation avec le roi qui semble s'y rapporter.) Je pourrais
+ passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes États, et
+ j'y serais bien reçu!» Je me suis borné à répondre que S. M. serait
+ bien malheureuse séparée de l'empereur comme une branche de son
+ tronc[145].
+
+ [Note 145: Le roi a prétendu plus tard avoir reçu des
+ propositions pour rester dans ses états et avoir répondu
+ entre autres choses: _Quand le tronc est mort les branches
+ tombent._ Nous avons fait connaître plus haut pourquoi nous
+ n'admettons pas que ces propositions aient été faites, et
+ d'ailleurs le roi n'en parle dans aucune de ses lettres à
+ l'empereur.]
+
+ C'est lorsque le roi me vantait les services qu'il avait rendus à S.
+ M. I. que je lui ai dit qu'en ce moment l'empereur considérait moins
+ ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Soit
+ adresse, soit promptitude, le roi a pris pour un assentiment ce qui
+ était un reproche, et je n'ai pas jugé convenable de contrarier le
+ changement de ton qui s'en est suivi.
+
+ J'ai pensé, Monseigneur, qu'il importait à Votre Excellence de
+ connaître à fond les dispositions actuelles de l'âme du roi. Je puis
+ l'assurer qu'elle était telle antérieurement à sa conversation avec
+ moi; peut-être même était-ce son dessein de me la montrer exaltée;
+ d'ailleurs il s'est assez dit des paroles (le roi lisait des lettres
+ que lui a portées le général Wolff) pour m'expliquer ce qui se
+ passait en lui. Je l'ai laissé calme, écartant l'attitude du roi
+ vis-à-vis du ministre, parlant de son auguste frère avec des
+ expressions et des sentiments où j'ai retrouvé sa raison et son
+ coeur et espérant tout d'un délai de quelques jours.
+
+ Le roi me disait hier qu'il était toujours roi, toujours souverain.
+ «Souverain, ai-je répondu, V. M. ne l'est pas ici.»--«Oui, je le
+ suis ici, et même plus qu'à Cassel.» J'ai résolu de ne plus aller à
+ la cour que lorsque le roi me ferait appeler. Je me suis défendu à
+ Cassel de l'habitude des salons de service dont M. de Furstenstein
+ est le pilier. Il paraît qu'il a voulu me la faire prendre hier,
+ mais il me trouvera indocile. Ces petites considérations n'influent
+ certainement pas sur ma manière de traiter les affaires; mais depuis
+ Cologne les choses ont été poussées assez loin pour qu'il soit bon
+ que Votre Excellence en soit informée. La manière dont ce favori
+ était avec le roi pendant le dernier voyage était assez curieuse. Il
+ boudait visiblement à cause des disgrâces que le roi aurait fait
+ éprouver à son frère et à la famille de son frère; il prenait même
+ la liberté de contredire et d'aller quelquefois en voiture lorsque
+ le roi voulait impitoyablement qu'il allât à cheval. Le roi le
+ caressait en l'agaçant. Pendant les repas il lui lançait des
+ boulettes de pain; il l'appelait traître et perfide. Enfin la paix a
+ été faite.
+
+ Il paraît que tous les officiers restés en arrière sont actuellement
+ réunis autour du roi. Les généraux Lajou, Zandt, comte de Wittenberg
+ et plusieurs autres officiers sont arrivés après avoir quitté le
+ général Rigaut à Elberfeldt. Ils espèrent tous d'entrer au service
+ de S. M. I. et je crois qu'en général l'acquisition sera très bonne.
+ Ce sont des Français, à l'exception de six ou huit Allemands dont la
+ fidélité a été éprouvée par les événements.
+
+ De tous ces officiers, le seul qui m'ait paru jouer un rôle
+ maussade, c'est le capitaine-général de gardes.
+
+ Le prince de Löwenstein, pauvre prince, pauvre mari, pauvre
+ officier, est auprès du roi en qualité de premier chambellan, à
+ cause de la princesse son épouse, seule dame à la suite de S. M. Le
+ comte de Furstenstein la craint, et il la dit très méchante, très
+ intéressée, et il peut avoir raison; il croit qu'il sera bien
+ difficile de l'éloigner du coeur du roi, et en effet c'est la seule
+ femme de la cour qui se soit toujours conduite avec adresse et en
+ poursuivant un but qu'elle est parvenue à atteindre.
+
+ Le roi a fait vendre à Cologne, au plus vil prix, un assez grand
+ nombre de chevaux, parmi lesquels était un bel attelage de six
+ chevaux qui ont été vendus pour 1,900 fr. On a vu avec regret que
+ dans ces ventes on avait compris les chevaux des gardes du corps,
+ que le roi renvoyait après leur avoir fait ôter leurs uniformes, que
+ plusieurs étaient hors d'état de remplacer par d'autres habits, et
+ sans leur faire payer la solde qu'il avait cependant touchée du
+ trésor. C'est désespérés de ce délaissement et se proposant de le
+ publier partout que ces jeunes gens sont partis.
+
+ Le général Bongars est encore ici, quoique réduit à une parfaite
+ nullité. Il avait amené cinq gendarmes qu'il a été obligé de mettre
+ à la disposition du comte de Malsbourg, grand écuyer. J'en ai
+ demandé quelques-uns au roi, pour m'en servir pour la commission
+ dont Votre Excellence m'a chargé. Le roi me les a refusés, disant
+ qu'il en avait besoin pour escorter ses bagages. Toutes les
+ communications entre les deux rives du Rhin étant déjà à peu près
+ rompues, je crains que M. de Malartie ne trouve beaucoup de
+ difficultés pour remplir les vues de Votre Excellence. Les
+ correspondances de commerce sont les meilleures; je lui ai indiqué
+ quelques maisons, mais je me suis convaincu qu'il vaudra mieux
+ profiter des nouvelles qu'elles reçoivent pour leur compte que
+ d'effaroucher leur pusillanimité en leur demandant des services
+ directs. M. le duc de Tarente m'a promis aussi de faire connaître à
+ M. de Malartie ce qui parviendrait à sa connaissance. Ici nous
+ sommes sans nouvelles, le roi lui-même n'en a point.
+
+
+ REINHARD AU DUC DE BASSANO.
+
+ Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
+
+ Je viens de recevoir un billet officiel de M. le comte de
+ Furstenstein qui me prévient que le roi partira cette nuit pour
+ Pont-sur-Seine. J'ai l'honneur d'en transmettre la copie à Votre
+ Excellence, ainsi que celle de ma réponse. C'est tout à fait malgré
+ moi que j'ai écrit dans cette circonstance pénible et délicate, mais
+ le roi m'y a forcé. Si je n'eusse pas répondu au billet de M. de
+ Furstenstein, il aurait pris tout ce qui s'était passé verbalement
+ pour de vaines paroles. Il a fallu employer pour le retenir, s'il
+ était possible, le seul moyen qui me restait.
+
+ Voilà, Monseigneur, ma mission terminée. Peut-être les circonstances
+ nouvelles justifieront-elles l'impatience du roi. Mais il est
+ malheureux qu'il n'ait pas voulu sentir ce qu'il devait au moins aux
+ apparences pour montrer le prix qu'il mettait à sa couronne. C'est
+ là encore ce que je m'étais efforcé de lui représenter; mais,
+ pénétré de l'idée qu'on traitait de la cession de son royaume, il
+ s'est surtout irrité, non contre la proposition de résider dans un
+ des trois départements désignés, mais contre le motif comme étant
+ voisin de ses États.
+
+ Je n'ai rien à ajouter à ma lettre d'hier. Je ne prendrai pas congé
+ du roi, à moins que S. M. ne me fasse appeler.
+
+ _P. S._--J'apprends par le ministre de la guerre (car je ne suis
+ point allé aujourd'hui à la cour et je n'ai point vu M. de
+ Furstenstein) que le roi laisse ici sa maison avec tous les
+ services, sous la direction de M. le comte Marienrode (Malchus).
+
+ Le nombre des officiers venus avec le roi ou venus le joindre, et
+ devant toucher leur solde, est de quatre-vingt-treize. Ils seront
+ tous payés jusqu'au 1er novembre. M. Höne estime à soixante-dix le
+ nombre de ceux qui demanderont à servir en France.
+
+ On attendait aujourd'hui les ennemis à Deutz, vis-à-vis de Cologne.
+
+
+ COPIE DU BILLET DE M. DE FURSTENSTEIN.
+
+ Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
+
+ J'ai l'honneur de prévenir V. Exc. que le roi mon maître se mettra
+ en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine,
+ appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé
+ convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur[146].
+
+ [Note 146: L'inverse eût été vrai.]
+
+
+ REINHARD AU COMTE DE FURSTENSTEIN.
+
+ Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
+
+ Je viens de recevoir le billet que V. Exc. m'a fait l'honneur de
+ m'écrire pour me prévenir que S. M. le roi se mettra en route cette
+ nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine appartenant à S. A.
+ I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé convenable pour la résidence
+ du roi par S. M. l'empereur. Après les communications verbales que
+ j'ai eu à faire à V. Exc. et après la connaissance que j'ai eu
+ l'honneur de donner directement à S. M. des intentions de l'empereur
+ mon maître, il ne me reste qu'à répéter que les volontés de S. M.
+ I., telles que M. le duc de Bassano me les a fait connaître par une
+ dépêche du 4 novembre envoyée par courrier, sont positives sur deux
+ points; le premier que S. M. s'établisse dans un château des
+ départements de la Sarre, de la Roer ou du Rhin-et-Moselle; et le
+ second qu'elle y fasse venir la reine. Cette dépêche ajoute que les
+ intentions de S. M. impériale sont déterminées par des
+ considérations telles que, si le roi ne s'y conformait pas,
+ l'empereur serait obligé de prendre des mesures pour en assurer
+ l'exécution.
+
+ Mon devoir, Monsieur le comte, se bornait à faire bien entendre à S.
+ M. que telles sont les volontés de son auguste frère. Je ne puis
+ m'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications
+ directes que le roi a pu recevoir depuis. Après avoir satisfait,
+ dans cette circonstance pénible, autant qu'il était en moi, à ma
+ responsabilité et à ma conscience, il ne me reste qu'à rendre compte
+ à mon gouvernement de la détermination que le roi a prise.
+
+
+Le brusque départ de Jérôme de l'armée en 1812, après l'ordre secret
+de l'empereur dont le prince d'Eckmülh s'était si brutalement
+prévalu, avait irrité Napoléon contre son frère au point de
+l'empêcher d'avoir pour lui les mêmes égards qu'autrefois.
+
+Les lettres du baron Reinhard, empreintes d'une grande vérité, ses
+rapports secrets n'étaient pas de nature à ramener l'harmonie entre
+les deux frères. Napoléon n'écrivait plus que très rarement, et pour
+les affaires de politique et de guerre, à Jérôme. Il lui refusait
+les moyens de soutenir, de sauver la Westphalie, ne s'attachant qu'à
+la conservation des places-fortes (comme celle de Magdebourg) qui
+pouvaient jouer un grand rôle dans son système.
+
+À la fin de 1813, la désobéissance du roi aux ordres qu'il lui avait
+fait donner par le duc de Bassano pour sa résidence, ordres dont
+Jérôme s'était affranchi, malgré tout ce qu'avait pu faire et écrire
+l'empereur, le froissa de plus en plus. Les choses en arrivèrent à
+ce point que ce dernier ne voulut recevoir à Paris ni son frère ni
+la reine Catherine, qu'il aimait et estimait beaucoup.
+
+Jérôme partit d'Aix-la-Chapelle avec quelques personnes de sa suite
+le 11 novembre 1813, malgré les représentations du baron Reinhard,
+pensant bien que Napoléon n'userait pas de violence pour le retenir.
+Il passa quelques instants au château de Pont-sur-Seine chez Madame
+Mère et rejoignit sa femme chez le roi Joseph, au château de
+Mortefontaine, près Senlis.
+
+Le 29 novembre, il fit demander à l'empereur de le recevoir.
+L'empereur refusa. Alors Jérôme, qui avait fait l'acquisition du
+joli château de Stains, près Saint-Denis, une des causes, on l'a vu,
+qui avaient mécontenté l'empereur, fut avec sa femme y fixer sa
+résidence.
+
+Napoléon quitta Paris pour se rendre à l'armée. L'impératrice
+Marie-Louise lui ayant témoigné le désir de voir Jérôme, il lui
+défendit de recevoir le roi et la reine de Westphalie. L'impératrice
+adressa le 4 février 1814 à Joseph, lieutenant-général du royaume,
+la lettre ci-dessous:
+
+
+ Paris, 4 février 1814.
+
+ Mon cher frère, je reçois à l'instant une lettre de l'empereur du 2
+ qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun
+ prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public ni
+ incognito.
+
+ Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les
+ regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la
+ sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,
+
+ Votre affectionnée soeur,
+
+ Signé: LOUISE.
+
+
+Joseph, ayant demandé à Napoléon quelques jours plus tard de lui
+faire connaître ses intentions à l'égard de Jérôme, reçut la lettre
+suivante:
+
+
+ Nogent-sur-Seine, le 21 février 1814.
+
+ Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je
+ l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation
+ que je donne à tous les princes français; vous le ferez connaître au
+ roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme
+ hollandais. Le roi Jérôme donnera des congés à toute sa maison
+ westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester
+ en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou
+ quatre aides-de-camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans,
+ tous Français; et pour la reine deux ou trois dames françaises pour
+ l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa
+ dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des
+ lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais.
+ Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen
+ et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et
+ la reine seront présentés à l'impératrice et j'autorise le roi à
+ habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui
+ appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine
+ continueront à porter le titre de roi et de reine de Westphalie,
+ mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi
+ se rendra à mon quartier-général, d'où mon intention est de
+ l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département
+ et de l'armée, si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux
+ avant-postes, de n'avoir aucun train royal, aucun luxe; pas plus de
+ quinze chevaux; de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas
+ un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé.--J'écris au
+ ministre de la guerre et je lui ferai donner des ordres. Il
+ pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa
+ maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de
+ cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de
+ selle; un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou
+ trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il
+ faut qu'il fasse de bons choix d'aides-de-camp; que ce soient des
+ officiers qui aient fait la guerre et puissent commander des
+ troupes, et non des hommes sans expérience comme les _Verduns_, les
+ _Brugnères_ et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait
+ tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le ministre de la
+ guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.
+
+ Votre affectionné frère.
+
+
+La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements pendant le
+mois de mars 1814 empêcha sans doute Jérôme de se rendre à l'armée
+de Lyon. Il se trouvait encore à Paris lors du départ de
+l'impératrice pour Blois le 29 mars. Il la suivit, ainsi que
+Catherine qui ne voulut pas la quitter, et n'abandonna Marie-Louise
+que quand cette princesse se fut remise elle-même avec le roi de
+Rome aux mains de son père l'empereur d'Autriche, à Orléans, le 9
+avril. Le 10, la reine Catherine revint à Paris pour voir le prince
+royal de Wurtemberg, son frère, qui, à Cassel, avait été comblé par
+elle et par son mari. Le prince ne voulut pas la recevoir, et le
+vieux roi leur père fit demander à Catherine par son ambassadeur, le
+comte de Wintzingerode, d'abandonner son mari. Indignée d'une telle
+proposition, la reine répondit par un refus énergique à cette
+singulière ouverture.
+
+Elle ne trouva un bon accueil qu'auprès de son parent l'empereur
+Alexandre. La proposition du roi de Wurtemberg à sa fille ayant fait
+comprendre à cette vertueuse princesse ce que l'on tramait contre
+elle et contre son mari, elle ne songea plus qu'à rejoindre ce
+dernier. Jérôme de son côté partit pour la Suisse et de là gagna
+Trieste, dans les États autrichiens. La reine Catherine quitta
+l'hôtel du cardinal Fesch dans la nuit du 17 au 18 avril,
+accompagnée du comte de Fürstenstein et de la comtesse de Bocholz.
+Des voitures de suite portaient ses domestiques et ses bagages. Elle
+se dirigea vers Orléans. Arrivée la nuit à Étampes, elle y trouva un
+message de son mari la prévenant que, menacé par le parti royaliste,
+il avait cru prudent de s'éloigner au plus vite et qu'il se rendait
+à Berne, où il lui donnait rendez-vous. Catherine continua sa route.
+
+En passant à Dijon, elle rencontra l'empereur conduit à l'île
+d'Elbe, y reçut ses derniers embrassements et gagna Nemours le 21.
+Le 22 avril, en arrivant au relai de Frossard, elle fut arrêtée et
+complètement dévalisée par le marquis de Maubreuil, l'ancien
+officier aux chevau-légers westphaliens, l'ancien écuyer du roi
+Jérôme, l'amant de Blanche Carrega. Forcée de revenir une fois
+encore à Paris, la malheureuse princesse ne put se réunir que plus
+tard à son mari.
+
+Tous deux se trouvaient à Trieste avec le jeune prince dont la reine
+venait d'accoucher (frère aîné de la princesse Mathilde et du prince
+actuel Jérôme-Napoléon) lorsqu'on apprit dans cette ville, au mois
+de mars 1815, le débarquement de l'empereur sur les côtes de France
+et son retour à Paris.
+
+Trompant la surveillance de la police autrichienne, Jérôme, décidé à
+rejoindre à tout prix son frère, s'embarqua sur un petit navire, et
+à la suite de mille dangers, après avoir vu Murat à Naples, il
+parvint auprès de Napoléon qui, cette fois, l'accueillit avec
+bienveillance et lui donna le commandement de la 6e division (2e
+corps, général Reille) par une décision impériale en date du 3 juin.
+Le général de division Guilleminot, un des meilleurs officiers
+d'état-major de l'armée, fut désigné pour remplir les fonctions de
+chef d'état-major de la division Jérôme. L'ex-roi de Westphalie
+reçut deux jours plus tard la lettre suivante de Napoléon:
+
+
+ AU PRINCE JÉRÔME.
+
+ Paris, 5 juin 1815.
+
+ Mon frère, j'ai reçu votre lettre; je ne puis pas consentir à ce que
+ vous paraissiez à l'armée française entouré d'Allemands. De tous
+ ceux qui sont avec vous, vous n'en pouvez conserver qu'un qui sera
+ votre écuyer[147]. Je leur donnerai des grades et des traitements en
+ France. Envoyez au ministre de la guerre leurs états de service.
+ Vous aurez un maréchal de camp pour premier aide-de-camp, et deux
+ chefs de bataillon et quatre capitaines pour aides-de-camp; vous
+ n'avez pas besoin d'officiers d'ordonnance.
+
+ [Note 147: Ce fut le général Wolff.]
+
+
+Après la bataille de Waterloo (18 juin), pendant laquelle le prince
+Jérôme déploya une grande énergie et la plus brillante valeur, ce
+prince, fortement contusionné par une balle, fut un instant investi
+par son frère du commandement en chef des débris de l'armée, dont il
+rallia quelques tronçons. Il vint ensuite à Paris. Là, traqué,
+recherché, il fut sauvé par Fouché, ministre de la police, qui,
+sachant le danger qu'il courait et étant lié avec lui, lui procura
+les moyens de passer à l'étranger et de rejoindre la reine.
+
+De la fin de 1815 à la fin de 1847, Jérôme resta en exil
+quasi-prisonnier tantôt en Wurtemberg, tantôt sur le sol autrichien,
+puis dans les États pontificaux, enfin à Florence, en Suisse et en
+Belgique. Sa femme lui donna une fille (la princesse Mathilde) en
+1820 et un fils (le prince Napoléon-Jérôme) en 1823. Il blâma la
+conduite de ses neveux les deux fils du roi Louis dans l'affaire des
+Romagnes contre le pape, de qui sa famille avait reçu le plus
+sympathique accueil.
+
+Voici, relativement à cette affaire, quatre lettres qui nous ont
+paru intéressantes. Elles sont adressées par Jérôme à ses neveux les
+princes Napoléon et Louis (ce dernier depuis l'empereur Napoléon
+III), au roi Louis leur père, à la reine Hortense et à la duchesse
+de Rovigo, avec laquelle l'ex-roi était resté en relation
+épistolaire.
+
+
+ JÉRÔME AUX PRINCES NAPOLÉON ET LOUIS.
+
+ Rome, 25 février 1831.
+
+ Mes chers neveux, cette lettre vous sera remise par le baron de
+ Stölting, qui vous entretiendra de toute la position actuelle. C'est
+ avec le plus profond chagrin que j'ai appris qu'envisageant mal
+ votre position et celle de toute votre famille, vous vous êtes
+ laissé entraîner au milieu du mouvement. Que dirait l'empereur s'il
+ pouvait voir ses neveux, destinés à être un jour le soutien de sa
+ dynastie, payer l'asile que le saint-père accorde à toute sa famille
+ en s'armant contre ce même souverain et en compromettant ainsi le
+ sort de ses parents!
+
+ Songez, mes chers neveux, au chagrin, à l'affliction de votre père
+ et mère, de votre respectable grand'mère, si vous persistiez dans
+ une démarche où un moment d'enthousiasme a pu vous entraîner, mais
+ que la raison comme la politique vous font une loi d'abandonner.
+
+ Je vous en conjure, écoutez la voix d'un vieux soldat et d'un oncle
+ qui vous aime comme ses propres enfants et qui ne vous conseillerait
+ pas une démarche contraire à l'honneur ni à votre caractère d'homme.
+
+ Songez que ce n'est que de cette manière que vous devez entrer dans
+ la carrière des armes; le temps viendra peut-être où vous pourrez le
+ faire avec honneur, et alors, si vous persistiez dans votre
+ démarche, vous vous ôteriez tout moyen de reparaître un jour sur la
+ scène politique avec honneur, et vous vous attireriez la malédiction
+ de vos parents.
+
+ Adieu, mes chers neveux, je nourris l'espoir que vous ne vous
+ refuserez pas à suivre les conseils d'un oncle qui vous chérit
+ tendrement.
+
+
+ JÉRÔME AU COMTE DE SAINT-LEU.
+
+ Rome, 26 février 1831.
+
+ Mon cher frère, aussitôt que M. Bressieux m'a rendu compte de la
+ position de vos enfants à Spoletto, je n'ai pas balancé à faire une
+ démarche que vous eussiez faite à ma place pour mes enfants. Je me
+ suis, sans perdre de temps, rendu chez le pape et le secrétaire
+ d'État; j'ai été vraiment touché de la manière dont Sa Sainteté et
+ son ministre ont envisagé la question; ils étaient non seulement au
+ courant de tout, mais encore m'ont appris que le prince Louis avait
+ eu la veille un petit engagement à Otricoli, et que le fils du
+ prince de Canino s'était enfui de la maison paternelle.
+
+ J'ai représenté à S. S. que les princes se rendaient au-devant de
+ leur mère, lorsqu'à Peruggia, ils ont été reconnus et se sont laissé
+ entraîner par l'enthousiasme populaire, mais sans préméditation de
+ leur part ni sans plan arrêté, puisqu'ils se trouvent manquer des
+ objets les plus nécessaires. J'ai prié S. S. de me donner des
+ passeports pour le baron de Stölting, que j'ai expédié sur-le-champ
+ avec une lettre pour les princes que vous trouverez ci-jointe, ainsi
+ que pour les colonels Armandi et Sircognani que je connais
+ particulièrement. Je fais remettre en même temps aux princes les
+ fonds nécessaires pour retourner à Florence, ayant appris par M.
+ Bressieux qu'ils en étaient dépourvus.
+
+ J'espère, mon cher frère, avoir rencontré votre approbation en
+ accomplissant ce que j'ai considéré comme mon devoir, quelle qu'en
+ puisse être l'issue. Le cardinal a écrit une lettre dont le baron de
+ Stölting a été également chargé.
+
+ Madame, qui est très affligée de ce qui se passe, me charge de vous
+ dire qu'elle n'écrit pas par ce courrier, mais que sa santé est
+ bonne.
+
+
+Le prince Jérôme écrit le même jour à la reine Hortense deux mots
+dans le même sens.
+
+
+ JÉRÔME À LA DUCHESSE DE ROVIGO.
+
+ Rome, 15 mars 1831.
+
+ ..... Les troupes du pape sont à Civita-Castellana au nombre de
+ 2,000 hommes, que l'on peut compter comme autant de troupes pour les
+ constitutionnels. L'enthousiasme depuis Bologne jusqu'à Otricoli est
+ incroyable; s'il y avait des armes, déjà 60,000 hommes seraient en
+ ligne.
+
+ Vous serez bien étonnée, chère duchesse, de savoir que c'est ce même
+ Sircognani que vous ayez vu si souvent faire votre partie d'écarté
+ qui est le héros du jour. C'est lui qui fait trembler Rome et qui,
+ probablement avant une dizaine de jours, y entrera. On aime le
+ saint-père, qui le mérite sous tous les rapports; mais on exècre le
+ gouvernement des prêtres, lesquels, s'ils venaient à triompher,
+ commettraient les plus horribles cruautés. Pendant un instant qu'ils
+ ont cru à l'entrée des Autrichiens, ils ne parlaient que de pendre,
+ fusiller et confisquer. Qu'arrivera-t-il de tout cela, Dieu seul le
+ sait!
+
+ Quant à moi, je me tiens absolument éloigné de tout ce mouvement et
+ suis un observateur impartial, qui voit, entend et juge sans jamais
+ émettre une opinion. Lorsque le temps viendra de se montrer avec
+ honneur, ce ne sera jamais que comme Français, d'autant plus qu'il
+ m'est clairement démontré que c'est à notre belle patrie que chacun
+ en veut. J'espère qu'elle sortira triomphante de cette lutte et
+ apprendra au monde que c'est elle qui doit donner la loi et non la
+ recevoir.
+
+ La mère de mes neveux (la reine Hortense) s'est rendue à Bologne
+ pour les conduire en Suisse.
+
+
+ JÉRÔME À LA DUCHESSE DE ROVIGO.
+
+ Rome, 31 mars 1831.
+
+ C'est avec un bien vif chagrin que vous et votre famille aurez
+ appris la mort de notre cher Napoléon; il a expiré à Forli le 17,
+ par suite d'une rougeole méconnue. Son frère le prince Louis seul
+ était auprès de lui, sa malheureuse mère n'étant arrivée que le
+ lendemain. Elle est à Ancône avec le seul fils qui lui reste; où
+ ira-t-elle? je l'ignore. Depuis un mois, les communications directes
+ avec les Marches étant interrompues, c'est par suite de tous ces
+ troubles que les lettres de Pompeï ne vous seront pas parvenues.
+
+ Les insurgés se sont battus contre les Autrichiens devant Forli avec
+ quelque avantage; ils ont fait une capitulation avec le cardinal
+ Benvenuti qui se trouve à Ancône, mais cette capitulation n'a pas
+ été ratifiée. À Modène, on fusille, on pend, on exile, on confisque.
+ Le pape, qui est bon, voudrait accorder un pardon entier, mais il y
+ a des cardinaux tellement énergumènes que l'on peut douter si le
+ pape et son secrétaire d'État pourront faire ce qu'ils désirent tous
+ deux, pardonner.
+
+ Les constitutionnels sont exaspérés contre la France, qui les a
+ sacrifiés, à ce qu'ils disent. Le fait est qu'il ne reste guère à
+ cette armée d'insurgés qu'à se faire tuer, si l'on n'intervient en
+ leur faveur, au moins en négociation. Quant à moi, je soupire après
+ ma patrie, car il est affreux de ne savoir sur quoi ni sur qui
+ s'appuyer.
+
+
+Dans une lettre du 12 avril au duc de Rovigo, le roi écrit: «Il est
+certain que le fameux Sircognani a trahi les siens pour 10,000
+piastres et un passeport; on assure qu'Armandi et Bussy en ont fait
+autant et ont sacrifié ce malheureux Zucchi qui s'est fié à de
+pareilles canailles. Du reste, ils n'ont que ce qu'ils méritent.»
+
+Jérôme, comme ses frères Joseph et Louis, n'approuva pas les coups
+de tête de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne. Il
+ne cessa, surtout depuis la révolution de Juillet et la mort de la
+reine (29 novembre 1835 à Lausanne), de revendiquer ses droits de
+Français et l'autorisation de rentrer dans sa patrie.
+
+Il obtint enfin de revenir à Paris à la fin de 1847 et allait
+recevoir une rente viagère de cent mille francs, lorsque la
+révolution de 1848 jeta hors de France la dynastie de Juillet.
+
+L'ex-roi Jérôme et son fils s'empressèrent d'envoyer au gouvernement
+provisoire leur adhésion à la République.
+
+
+CONCLUSION.
+
+Nous avons dit que pendant sa longue carrière, si mouvementée, si
+singulière, le dernier des frères de Napoléon Ier semble avoir été
+condamné par le destin à des vicissitudes plus extraordinaires
+encore que celles des autres frères de Napoléon.
+
+Depuis l'abandon de ses États en 1813, il avait passé par toutes les
+phases du malheur, conservant toujours une certaine dignité et de la
+générosité dans le caractère. La révolution de 1848 allait le faire
+remonter aux plus hautes dignités.
+
+Son neveu le prince Louis-Napoléon ayant été élu président de la
+République, Jérôme devint un des principaux personnages de l'État,
+et pour que rien ne parût manquer à l'originalité de cette destinée
+unique de l'ancien souverain, il occupa, pendant les douze ans qui
+s'écoulèrent de 1848 à l'époque de sa mort en 1860, les positions
+les plus bizarres.
+
+Le président lui rendit son grade de général de division, grade
+auquel il avait été nommé en 1806, il y avait quarante-deux ans, en
+sorte qu'il devint le plus ancien divisionnaire des armées
+européennes. Il eut ensuite le poste de gouverneur des Invalides,
+gardien des cendres de son frère déposées à l'hôtel des vieux
+soldats. Quelques mois plus tard, le prince Louis, cédant aux
+suggestions d'un membre de la famille Bonaparte et croyant être
+agréable à son oncle, lui envoya le bâton de maréchal de France. À
+la formation du Sénat, il eut la présidence de ce premier corps de
+l'État.
+
+Ainsi, de roi, Jérôme était devenu général, maréchal, sénateur.
+Singulières transformations pour une tête couronnée!
+
+Marié régulièrement à une noble Florentine, la marquise Bartholini,
+qui vint habiter avec lui en France, il se trouvait avoir eu trois
+femmes, dont deux existaient encore.
+
+Lorsque le prince Louis mit la couronne sur sa tête, Jérôme devint
+prince impérial et fut placé sur les marches du trône. Il reçut à
+Paris son fils et son petit-fils Messieurs Patterson Bonaparte, que
+l'empereur Napoléon III avait appelés en France et dont le dernier,
+beau et brillant jeune homme, entra dans notre armée où il ne tarda
+pas à se distinguer.
+
+Enfin, avant sa mort, Jérôme fit un voyage en Bretagne, revit la
+baie de Concarneau, dîna dans la ville de pêcheurs, ayant à ses
+côtés la mère du matelot (Furic) qui avait sauvé le vaisseau _le
+Vétéran_, à laquelle il assura une pension sur sa cassette
+particulière. Il put assister au mariage de l'empereur, à la
+naissance du prince impérial et à l'union de son fils avec la
+vertueuse princesse Marie-Clotilde.
+
+Enfin, dernier bonheur, il put voir la France impériale redevenue la
+puissance prépondérante du monde, après les guerres d'Orient et
+d'Italie, et il échappa à la douleur d'assister à ses défaites de
+1870 ainsi qu'à la chute de sa dynastie par la mort de Napoléon III
+et du jeune prince impérial.
+
+Certes, nous le répétons, jamais destinée ne fut plus singulière que
+celle de cet homme dont le caractère offre un si étrange mélange de
+défauts et de qualités, et qui, malgré ses fautes, montra en mainte
+occasion un caractère fier et chevaleresque.
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+
+CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE
+
+RELATIVE À LA HOLLANDE
+
+PENDANT LE RÈGNE DU ROI LOUIS
+
+De juin 1806 à juillet 1810.
+
+
+ANNÉE 1806.
+
+Cette correspondance étant très volumineuse, nous l'avons analysée
+en partie, principalement celle de 1806 à 1808, ne donnant _in
+extenso_ que les pièces importantes. Cette correspondance eut lieu
+entre M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des affaires
+étrangères de France, le général Dupont-Chaumont, puis le comte de
+la Rochefoucauld, tous deux ministres de famille de l'empereur
+auprès du roi Louis; l'amiral Werhuell, ambassadeur du roi de
+Hollande à Paris; M. de Roëll, ministre des affaires étrangères de
+Hollande, et en 1810 avec le maréchal duc de Reggio, commandant
+l'armée du Nord.
+
+Dans sa première lettre, datée du 15 juin 1806, Dupont-Chaumont fait
+part au duc de Cadore des dispositions bienveillantes, pour le roi
+Louis et la reine Hortense, du corps diplomatique. «L'esprit public,
+dit-il, un peu étonné d'abord de la promptitude des événements,
+commence à revenir, la population vit en bonne intelligence avec le
+soldat français. Une garde d'honneur s'organise pour recevoir Leurs
+Majestés.» Le 23 juin, Dupont envoie des détails sur cette
+réception. Bientôt l'ambassadeur ayant obtenu un congé pour venir
+en France, M. Serrurier, chargé d'affaires, prend l'intérim. Le 29
+juillet, l'empereur écrit de Paris à son frère la première lettre de
+reproche ci-dessous.
+
+
+ Saint-Cloud, 29 juillet 1806.
+
+ Au roi de Hollande.
+
+ Je lis dans les journaux que vous suspendez toute exécution à mort
+ dans votre royaume. Si cela est, vous avez fait une grande faute. Du
+ droit de faire grâce ne dérive pas la nécessité de reviser tous les
+ procès. C'est une manie d'humanité déplacée. Le premier devoir des
+ rois, c'est la justice.
+
+
+Dans une lettre du 10 août, Serrurier fait connaître au ministre le
+désir des Hollandais d'un accroissement de territoire, et, dans une
+autre en date du 14, il raconte la tentative d'insoumission d'un
+bâtiment de la flotte hollandaise, lorsque le serment de fidélité au
+nouveau roi a été exigé des matelots. Le 17 septembre, le duc de
+Cadore reçoit une note sur la composition de l'armée hollandaise,
+forte de 12 à 15,000 combattants disponibles. Le roi semble décidé à
+porter à 25,000 hommes l'effectif de ses troupes, mais par des
+enrôlements volontaires. Il ne veut pas entendre parler de la
+conscription comme le désirerait l'empereur. Cet usage est
+antipathique à la Hollande.
+
+Le 13 décembre, Dupont-Chaumont rend compte au duc de Cadore d'une
+conversation qu'il vient d'avoir avec le roi et dont voici la
+substance: Le roi, écrit-il, se plaint de l'opinion de l'empereur
+qui semble l'accuser de montrer peu de zèle pour le succès de ses
+armées.--La grande plaie est le mauvais état des finances.--Son
+gouvernement est ruiné par les dépenses antérieures, les
+anticipations d'impôts. On lui conseille de suspendre le paiement
+des rentes; mais il désapprouve ce moyen, d'ailleurs inefficace. Il
+voudrait que l'empereur envoyât en Hollande un financier expérimenté
+qui prît connaissance des choses et en rendit compte. Il espère
+porter l'armée à 25,000 hommes, c'est-à-dire 18,000 prêts à
+combattre; mais c'est à peine suffisant pour défendre le pays contre
+une invasion anglaise.
+
+Le 14 décembre, Dupont transmet à Cadore une plainte portée contre
+les douaniers français qui, sans ordres, ont franchi la frontière
+batave, pillé une maison, chassé les habitants à coups de fusil. Le
+roi est affecté de ces désordres. Dupont déclare qu'il est temps de
+faire un exemple pour mettre fin à ces exactions. Le duc de Cadore,
+par ordre de l'empereur, répond que les plaintes du gouvernement
+hollandais _ne sont pas fondées_.
+
+Cependant, le décret sur le blocus continental ne tarde pas à être
+connu en Hollande.
+
+L'empereur en recommande la stricte application. Le 28 décembre,
+Dupont fait connaître: que les Hollandais mettent beaucoup
+d'hésitation à le faire exécuter; que les villes maritimes sont
+plongées dans le désespoir; que le roi est dans le plus grand
+embarras; que le parti anglais se remue et intrigue; que le frère de
+l'empereur est souffrant.
+
+Ici commence réellement la mésintelligence entre l'empereur et le
+roi Louis. Nul doute que sans le blocus continental, les deux
+souverains eussent vécu à peu près d'accord, malgré les exigences
+politiques de Napoléon.
+
+À la fin du même mois de décembre 1806, le 29, Dupont transmet de
+nouveau à Cadore des plaintes du gouvernement hollandais
+relativement à des fraudes nombreuses qui ont lieu à Flessingue, au
+préjudice du trésor, sous le couvert de la marine française. Il fait
+connaître également les ennuis que cause au roi la question de la
+_défense de Flessingue_ et le peu d'accord qui existe entre les
+généraux français. L'empereur, décidé à donner tort à son frère, à
+ne pas accueillir ses représentations, commence à songer au
+remplacement du général Dupont-Chaumont, qui lui paraît beaucoup
+trop dans les intérêts du gouvernement de Louis.
+
+
+ANNÉE 1807.
+
+Le 8 janvier 1807, le ministre de Hollande se plaint de nouveau des
+douaniers français qui ne cessent de violer le territoire batave. Le
+22, Dupont atteste que la situation des esprits s'améliore et
+annonce que le roi va écrire à l'empereur, relativement à la
+question du blocus. Le 26, Werhuell mande à Cadore qu'une députation
+va être envoyée à l'empereur en Prusse. Dupont annonce le 5 février
+1807 le retour de la reine à La Haye, le bon effet produit par sa
+présence. Le lendemain 6, Cadore engage le gouvernement hollandais à
+envoyer la députation par Varsovie ou Berlin à Clarke, qui lui
+donnera les moyens d'arriver jusqu'à l'empereur à Feinkestein.
+
+Le 14 avril, Dupont déclare à Cadore que la majorité du conseil des
+ministres paraissait tenir pour le parti anglais et s'efforçait de
+faire admettre au roi que la Hollande avait intérêt à se détacher de
+l'alliance française. Le 26, il écrit qu'en l'absence du roi le
+conseil a supprimé la _Gazette française_ pour que le résultat des
+conférences eût moins de retentissement en France, et qu'on
+élaborait secrètement un projet de régence. Le 7 mai, l'ambassadeur
+fait connaître la mort du prince royal et le départ du roi et de la
+reine. Quatre jours plus tard, il déclare qu'en l'absence de Sa
+Majesté, la France ne saurait compter sur les ministres de Hollande.
+
+Le 9 juin, il annonce que la reddition de Dantzig met fin aux
+inquiétudes du roi, lequel est estimé de tous les partis. Le 23, le
+ministre de France fait connaître qu'une escadre anglaise paraît
+vouloir menacer Stralsund, et que le maréchal Brune en a reçu avis.
+Le 12 juillet, Cadore écrit à Dupont de faire connaître au
+gouvernement hollandais que tout navire de la marine française
+entrant à Flessingue devra faire connaître à la douane son
+chargement. Le 8 août, le cabinet français presse Dupont d'obtenir
+de la Hollande de faire terminer _à ses frais_ les travaux de
+Flessingue. Le 10 août, l'ambassadeur de France prévient que
+plusieurs divisions anglaises sont sorties du 20 au 26, que d'autres
+sont prêtes également à quitter les ports de la Grande-Bretagne, que
+la totalité de ces forces est évaluée à 40,000 hommes et que les
+troupes hollandaises se sont rapprochées de Brune. Le 14 août,
+l'empereur fait écrire à Dupont qu'il est informé que des
+communications fréquentes ont lieu entre la Hollande et
+l'Angleterre, qu'il fasse connaître aux ministres du roi que si
+toute relation de commerce et de correspondance ne cesse pas entre
+les deux pays, des troupes françaises entreront en Hollande. Le
+gouvernement du roi Louis, à cette menace, demande une note écrite;
+Dupont la refuse. Les ministres déclarent que si des infractions aux
+ordres du roi concernant l'Angleterre ont existé, cela ne pouvait
+avoir eu lieu que par surprise; que les pouvoirs des ministres
+n'allant pas au-delà de l'exécution des lois existantes, il allait
+être expédié un courrier à Sa Majesté, absente, pour prendre ses
+ordres. Le 19 août, Cadore écrit de nouveau à Dupont que les
+plaintes contre les douaniers français ne paraissent nullement
+fondées. Ainsi, d'une part, menaces de l'empereur et refus de ses
+ministres d'admettre les griefs de la Hollande contre les agents
+français; d'autre part, assurance que l'on fait tout ce que l'on
+peut faire pour l'exécution du blocus. Les plaintes de la France
+continuent. Le gouvernement du roi Louis y répond en imposant les
+bâtiments français qui remontent l'Escaut à destination d'Anvers.
+L'empereur, furieux, ordonne le remboursement des droits perçus et
+défend d'en payer à l'avenir. Nouvelle note des ministres hollandais
+pareille à la première (24 août). Le 31 août, le chargé d'affaires
+écrit à Cadore que le roi a appris avec douleur les plaintes de son
+frère, et qu'il rend un décret pour une surveillance plus sévère; le
+même jour on annonce que les finances sont dans le plus mauvais
+état. Le 4 septembre, Dupont fait connaître la publication du décret
+royal contre le commerce avec l'Angleterre et déclare que toute la
+responsabilité doit tomber sur M. Goguel, ministre des finances.
+
+Cette correspondance acerbe continue entre les agents des deux
+gouvernements.
+
+La question du blocus paraissant terminée, le ministre de France en
+soulève une nouvelle. Il écrit à l'ambassadeur de Hollande:
+«L'empereur a éprouvé un vif mécontentement, en apprenant que les
+malades français avaient été renvoyés des hôpitaux de la Hollande
+sous prétexte d'économie; il ne peut voir dans cette mesure qu'une
+manoeuvre du parti anglais, et si malgré la bonne volonté du roi les
+fonctionnaires hollandais continuaient à agir de la sorte,
+l'empereur, _usant du droit de conquête_, sera contraint de faire
+régir la Hollande par une administration française.» M. de Cadore ne
+dit pas que les finances de la Hollande sont obérées par les
+exigences de la France, par l'entretien des troupes françaises; que
+l'empereur ne rembourse aucune avance et ruine les États dont il a
+imposé la royauté à son malheureux frère.
+
+Aux plaintes injustes de l'empereur, le gouvernement batave répond:
+qu'on a admis dans les hôpitaux autant de malades que ces
+établissements en pouvaient contenir; qu'à Middelbourg on a établi
+un nouvel hôpital; qu'à Flessingue, qu'à Walcheren on a fourni aux
+troupes tous les objets nécessaires; que, vu l'obération des
+finances, on n'avait pu créer de nouveaux établissements; que depuis
+les plaintes du gouvernement impérial, le roi avait donné l'ordre de
+fournir aux soldats et marins français malades tout ce dont ils
+auraient besoin; que les hospices hollandais, dans cette saison, ne
+pouvaient suffire aux malades nationaux. Bientôt le gouvernement
+français adresse, par l'entremise de Dupont, de nouveaux reproches à
+la Hollande. «Les facilités qu'on accorde au commerce anglais, écrit
+M. de Cadore à l'ambassadeur, ont accru le mécontentement de
+l'empereur, qui trouve cette condescendance honteuse au moment où
+les Anglais brûlent les bâtiments hollandais à Batavia. Vous devez
+insister pour que sans délai il soit mis un terme à cet état de
+choses, et déclarer qu'au besoin l'empereur enverra 30,000 hommes en
+Hollande pour en garder les côtes.» Il est permis de croire que
+l'empereur en voulait venir là d'abord, puis à l'annexion. Le 24,
+Dupont fit connaître la réponse des ministres à sa note. «Le conseil
+déclarait que déjà il avait été répondu que les infractions aux lois
+prohibitives de tout commerce avec l'Angleterre ne pouvaient être
+attribuées qu'à un défaut de surveillance des employés, dont
+plusieurs avaient été déjà incarcérés.» C'était donner un prétexte à
+l'empereur pour faire exercer la surveillance par ses propres
+agents. Cela ne devait pas tarder à avoir lieu. Le 6 octobre, Cadore
+fait dire au ministre de Hollande que la frontière du côté de la
+France étant un foyer de contrebande et donnant un débouché aux
+marchandises anglaises, l'empereur prend des mesures sévères pour y
+mettre fin. Le 16, il fait savoir à ce même ministre que l'empereur,
+informé que des marchandises anglaises sont reçues par l'Elbe et le
+Weser, a donné l'ordre de visiter tout bâtiment naviguant sur ces
+fleuves, et veut que des mesures analogues soient prises en
+Hollande. Le 26, Cadore apprend que le roi a rendu un décret
+prohibant toute navigation le long des côtes depuis le Dollart
+jusqu'au Weser, étant bien résolu à prendre toutes les mesures de
+réciprocité avec la France.
+
+
+ANNÉE 1808.
+
+
+ CADORE À DUPONT.
+
+ Paris, 14 janvier.
+
+ Monsieur, Sa Majesté l'empereur et roi vient d'apprendre avec autant
+ de mécontentement que de surprise, que l'on reçoit dans les ports de
+ Hollande des bâtiments suédois, chargés de marchandises que l'on
+ tente de faire passer en France, et que pour expliquer des procédés
+ aussi étranges on allègue une raison bien plus étrange encore,
+ savoir que la Hollande et la Suède ne sont point en guerre. Sa
+ Majesté n'a pu comprendre que des relations de paix continuées
+ jusqu'à présent entre la Hollande et la Suède, aient pu paraître une
+ chose si naturelle et si simple que vous ayez négligé d'en rendre
+ compte. Quand bien même l'alliance qui subsiste entre la France et
+ la Hollande, quand les liens plus étroits qui unissent les deux
+ états auraient pu permettre à la Hollande de considérer comme amie
+ une puissance ennemie de la France, le continent tout entier
+ n'est-il pas uni aujourd'hui dans un même voeu, dans un même
+ intérêt, dans une même cause? La Suède n'est-elle pas seule exceptée
+ de ce concert général? N'est-elle pas la seule alliée de
+ l'Angleterre? N'est-elle pas en cette qualité l'ennemie du
+ continent? Et la Hollande a-t-elle pu la regarder comme amie, sans
+ abandonner en quelque sorte la cause commune? L'intention de Sa
+ Majesté est que: dans les vingt-quatre heures qui suivront la
+ réception de cette lettre, la Hollande _déclare la guerre_ à la
+ Suède et traite les Suédois et leur commerce comme ennemis. Sa
+ Majesté vous charge d'en faire la demande dans les termes les plus
+ précis et d'insister sur une réponse immédiate et catégorique. Vous
+ voudrez bien m'informer sur le champ de cette réponse.
+
+ P. S.--L'empereur, Monsieur, se rappelle que les troupes
+ hollandaises se sont battues à Stralsund contre les Suédois, et
+ n'admet point cet état de paix de la Hollande avec la Suède. Il vous
+ ordonne en conséquence de requérir l'arrestation des bâtiments
+ suédois qui sont dans les ports de Hollande et le séquestre des
+ marchandises qu'ils ont apportées. Son intention est aussi que les
+ Suédois soient arrêtés comme prisonniers de guerre et que les agents
+ de cette nation soient renvoyés. Dans le cas où la Hollande
+ refuserait de se mettre en guerre contre la Suède, l'empereur vous
+ ordonne de quitter La Haye.
+
+
+ CADORE À DUPONT.
+
+ Paris, 16 janvier.
+
+ Monsieur, le 4 décembre dernier, un convoi de cinq bâtiments
+ hollandais, escorté par trois chaloupes canonnières de Sa Majesté le
+ roi de Hollande, a mouillé à l'embouchure du Weser. Le 5 au matin,
+ le convoi ayant appareillé, il fut tiré de la batterie de Carlestadt
+ deux coups de canon à poudre pour indiquer que le convoi ne pouvait
+ la dépasser sans avoir arraisonné. Les canonnières assurèrent leur
+ pavillon, mais le convoi n'en continua pas moins sa route. Alors la
+ batterie tira à boulets et ce ne fut qu'au huitième coup que les
+ bâtiments mouillèrent. Au même instant quatre autres navires de la
+ même nation, qui entraient dans le fleuve escortés pareillement par
+ une canonnière, jetèrent l'ancre auprès du premier convoi. Le
+ capitaine de l'une des deux canonnières descendit à terre pour se
+ plaindre du procédé du commandant de la batterie. La réponse du
+ commandant fut qu'il n'agissait que conformément à ses instructions,
+ d'après lesquelles tout bâtiment, sans exception, devait être
+ assujetti à la visite. Le capitaine hollandais demanda cette
+ déclaration par écrit. On la lui donna et il retourna à bord après
+ avoir donné sa parole qu'il ne mettrait point à la voile sans avoir
+ rempli les formalités requises; mais dix minutes après il leva
+ l'ancre et se rendit à Brolke. On lui écrivit pour se plaindre de sa
+ conduite et pour réclamer les bâtiments qui étaient montés à la
+ faveur de son escorte en forçant le passage. Il répondit qu'il
+ n'avait fait que suivre très scrupuleusement les instructions qui
+ lui avaient été données d'après les ordres de Sa Majesté le roi de
+ Hollande.
+
+ Le 6 du même mois, un autre convoi hollandais escorté par des
+ canonnières, descendit le Weser et mouilla à l'embouchure du fleuve.
+ Le mauvais temps empêcha d'aller à bord. Le 7 au matin, il
+ appareilla et partit malgré le feu de la batterie. Ces faits, dont
+ il a été rendu compte à Sa Majesté l'empereur, ont excité son
+ mécontentement. Elle vous charge d'en porter plainte au gouvernement
+ hollandais et de demander que les capitaines et officiers de la
+ marine marchande soient tenus de se conformer à toutes les
+ ordonnances de police maritime rendues dans les pays occupés par les
+ armées françaises. S'il en était autrement, Sa Majesté se verrait
+ dans la nécessité de faire punir les personnes qui chercheraient à
+ enfreindre ses ordres.
+
+ Vous voudrez bien me faire connaître, Monsieur, l'effet que
+ produiront les représentations que vous êtes chargé d'adresser à cet
+ égard au gouvernement près duquel vous êtes accrédité.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 25 janvier.
+
+ Je m'empresse, par suite des ordres de ma cour, de répondre à la
+ note que V. Excellence a adressée à mon prédécesseur M. le ministre
+ Brantven, en date du 5 janvier dernier, et par laquelle elle l'a
+ honoré de la communication des mesures que Sa Majesté l'empereur et
+ roi avait prescrites dans son décret du 19 décembre concernant le
+ blocus de l'Angleterre et des îles de la Grande-Bretagne.
+
+ Déjà, avant la réception de cette note, le ministre de France
+ résidant à La Haye avait officiellement communiqué les dispositions
+ dudit décret, et Sa Majesté s'était aussitôt déterminée à adopter de
+ pareilles mesures. Elle chargea, par un ordre de cabinet du 8 de ce
+ mois, son ministre des finances de considérer comme propriété
+ anglaise et de déclarer par cela même de bonne prise tout vaisseau
+ ou bâtiment quelconque _sans exception_, qui, après avoir été visité
+ par des bâtiments de guerre anglais, ou avoir été dans un port
+ anglais, ou avoir payé le moindre droit au gouvernement anglais,
+ serait pris par des vaisseaux de guerre ou des corsaires
+ hollandais, et le même ordre rendit le ministre des finances
+ responsable de la stricte exécution de cette mesure.
+
+ Ces dispositions convaincront V. Excellence combien le roi est
+ pénétré de la nécessité de s'opposer avec la plus grande énergie aux
+ vexations toujours croissantes des ministres britanniques, et
+ combien il désire de seconder de toutes ses forces les mesures que
+ son très auguste frère l'empereur croit devoir prendre pour les
+ combattre.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 30 janvier.
+
+ Par suite des ordres que je viens de recevoir de ma cour, je
+ m'empresse de communiquer à V. Excellence les nouvelles mesures que
+ le roi a ordonnées pour empêcher toute relation entre son pays et la
+ Suède.
+
+ Elles sont contenues dans le décret du roi, en date du 18 de ce
+ mois, dont ci-joint la copie.
+
+ En priant V. Excellence de porter ces dispositions sous les yeux de
+ l'empereur et roi, j'ose me flatter que Sa Majesté y verra une
+ nouvelle preuve que le roi mon maître est plus que jamais disposé à
+ traiter en ennemis tous les états qui seraient en guerre avec la
+ France, et à concourir de tous ses moyens au succès des vastes
+ projets que son auguste frère médite pour les forcer à accepter à la
+ fin des conditions de paix compatibles avec la sûreté et l'honneur
+ des puissances de l'Europe.
+
+ Décret du roi de Hollande daté d'Utrecht, 18 janvier.
+
+ Louis Napoléon, par la grâce de Dieu et la constitution du royaume,
+ roi de Hollande, connétable de France.
+
+ Sur les informations que les mesures ordonnées pour le blocus des
+ Îles Britanniques ne seraient pas suivies avec la même rigueur par
+ rapport à quelques bâtiments suédois, et considérant que la guerre
+ existe entre ce pays et la Suède comme avec l'Angleterre;
+
+ Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
+
+ Article 1er.
+
+ Tout bâtiment suédois qui pourrait s'être introduit dans les ports
+ du royaume sera sequestré immédiatement, de même que toute
+ marchandise appartenant à cette nation.
+
+ Article 2.
+
+ Tout Suédois qui aurait rempli précédemment des fonctions
+ diplomatiques ou d'agent commercial, et qui pourrait se trouver
+ encore dans ce royaume, sera tenu d'en sortir immédiatement après
+ la publication du présent décret.
+
+ Article 3.
+
+ Tous les Suédois qui pourraient se trouver dans les ports ou
+ quelques autres endroits du royaume, seront arrêtés immédiatement et
+ traités comme prisonniers de guerre.
+
+ Article 4.
+
+ Les mesures actuellement en vigueur pour le blocus des Îles
+ Britanniques seront également et sans exception applicables à la
+ Suède.
+
+ Article 5.
+
+ Nos ministres des finances et de la justice et police sont chargés
+ de l'exécution du présent décret qui sera publié partout où besoin
+ sera.
+
+ Donné à Utrecht le 18 janvier de l'an 1808, de notre règne le
+ troisième.
+
+ LOUIS.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 2 février.
+
+ Je suis expressément chargé de communiquer officiellement le décret
+ ci-joint à V. Excellence et de l'inviter à vouloir bien en donner
+ immédiatement connaissance à Sa Majesté impériale et royale. Sa
+ Majesté le roi de Hollande se flatte que son auguste frère verra
+ dans les dispositions de ce décret une éclatante preuve de son
+ invariable volonté de concourir de tous ses moyens aux mesures qui
+ peuvent hâter le moment si désiré de la paix, et un touchant
+ témoignage de son amour pour sa personne, de sa confiance absolue
+ dans sa haute sagesse. Je ne m'attacherai point à faire valoir
+ l'étendue des nouveaux sacrifices que ce rigoureux décret impose à
+ mon pays. On sent facilement qu'il entraînerait sa ruine totale si
+ la guerre était prolongée. Dans des circonstances aussi impérieuses,
+ Sa Majesté, irrévocablement déterminée à rendre impossible toute
+ communication de ses sujets avec l'ennemi, vient de prohiber le
+ commerce que les habitants de la Zélande faisaient sur les côtes
+ anglaises, quoique par sa nature ce commerce, tout à l'avantage de
+ la Hollande, fût extrêmement nuisible à l'Angleterre. Sa Majesté a
+ voulu que son peuple renonçât à des bénéfices qui ne pouvaient se
+ concilier avec le système actuel de la guerre. Il n'échappera pas
+ sans doute à V. Excellence que les mesures adoptées ne laissent aux
+ Anglais aucun moyen possible de communiquer avec la Hollande,
+ puisque le roi a également ordonné de séquestrer même les navires
+ qui, quoique non visités, auraient abordé dans un port britannique.
+
+ Sa Majesté a cru que la nation, pour qui la paix devenait le
+ premier, le plus pressant des besoins, devait l'acheter par les
+ plus rigoureux sacrifices, bien convaincue que le génie de son
+ illustre frère y mettra bientôt un terme, et que sa justice et sa
+ générosité sauront honorablement dédommager la Hollande de ses
+ privations et de ses pertes.
+
+
+ DUPONT À CADORE.
+
+ La Haye, 8 février.
+
+ Les travaux se poursuivent à Amsterdam pour la réception du roi.
+ L'occupation de l'hôtel de ville, où se trouvent la banque et tous
+ les grands dépôts, a étonné d'abord et fait baisser les fonds, parce
+ que le moment a été mal choisi. Mais on peut attendre pour l'avenir
+ d'heureux résultats, s'il résiste aux difficultés que lui attire le
+ passage du gouvernement par Utrecht, et la contrariété dans les
+ habitudes, si puissantes dans ce pays.
+
+ La sévérité du blocus a éprouvé de légères atteintes; des bâtiments
+ chargés de poisson salé se sont présentés à Amsterdam et y ont été
+ refusés. Ils sont entrés à Anvers où ils ont vendu leur cargaison
+ parce qu'ils étaient en règle; mais des Américains chargés de
+ marchandises ou peut-être de denrées coloniales et appartenant à des
+ Hollandais, ont ému la sensibilité du gouvernement et obtenu
+ l'entrée des ports. Vraisemblablement ils n'étaient pas chargés de
+ marchandises prohibées. Aussi ne cité-je ces faits que pour répondre
+ à l'observation officielle qui m'a été faite par Son Excellence le
+ ministre des affaires étrangères, que son gouvernement avait été au
+ delà des mesures prises par la France, en fermant ses ports à toute
+ espèce de navires.
+
+
+ DUPONT À CADORE.
+
+ La Haye, 13 février.
+
+ J'ai l'honneur de vous écrire par un retour de courrier qui m'a été
+ dépêché par S. Excellence le vice-amiral Decros, avec une lettre de
+ l'empereur pour Sa Majesté le roi de Hollande.
+
+ Le gouvernement hollandais s'est depuis quelques jours
+ ostensiblement relâché de la sévérité du décret du 23 janvier, en
+ ordonnant aux commandants militaires de ne plus repousser les
+ bâtiments qui se présenteraient dans les rades et les ports; d'y
+ placer des sauvegardes et d'attendre des ordres.
+
+ Il y a encore de l'humeur et du mécontentement à Amsterdam. On
+ l'attribue à la transformation de la maison de ville en palais
+ royal; mais la stagnation des affaires et un peu de misère dans la
+ classe des ouvriers en est peut-être la véritable cause. Toujours
+ faut-il convenir que le roi n'est aidé ni servi par personne dans
+ son projet de changer sa résidence. Ce qui fait naître des
+ difficultés sans nombre et propage les murmures de la multitude. La
+ demande que vient de faire l'empereur arrive à propos pour occuper
+ les oisifs et imprimer un mouvement utile dans les ports. J'avais,
+ dans mes conversations non officielles, l'année dernière, observé
+ aux ministres du roi que l'on négligeait bien la marine, et surtout
+ à l'époque du dernier licenciement des marins: on objectait la
+ pénurie des finances. Aujourd'hui que les matelots ont été dispersés
+ par la misère, et qu'il y en a beaucoup d'enlevés par l'Angleterre,
+ il serait difficile de compléter les équipages, s'il est nécessaire
+ d'armer un certain nombre de vaisseaux.
+
+
+Ici doivent prendre place deux longues lettres de l'amiral Werhuell
+et dont nous allons donner la substance. Dans la première, l'amiral,
+au nom du roi, demande que l'artillerie de la ville de Flessingue
+soit rendue à la Hollande, puisque la ville a été cédée à la France
+le 6 février. L'empereur s'y oppose et fait dire qu'il comptera avec
+la Hollande.
+
+Dans la seconde lettre, le roi fait rappeler à l'empereur
+l'engagement du gouvernement français de rembourser à la Hollande le
+prix des frais d'équipement des recrues hollandaises appelées à
+faire partie de la grande armée. L'empereur se borne à répondre que
+ce déboursé doit rester à la charge de la Hollande (singulier
+exemple de bonne foi!).
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD[148].
+
+ [Note 148: M. de la Rochefoucauld venait d'être nommé
+ ministre plénipotentiaire en Hollande en remplacement du
+ général Dupont-Chaumont, des services duquel l'empereur
+ n'était pas satisfait, le trouvant trop dans les eaux de son
+ frère. M. de la Rochefoucauld arriva à son poste le 19
+ avril.]
+
+ Paris, 16 mars.
+
+ J'ai l'honneur de vous faire part d'une décision de Sa Majesté
+ impériale relativement aux Français qui se trouvent actuellement au
+ service de S. M. le roi de Hollande.
+
+ Tous les sujets de S. M. impériale actuellement au service de S. M.
+ le roi de Hollande et qui auront prêté serment comme sujets du roi,
+ cesseront d'être considérés comme Français, et pourront demeurer au
+ service du roi en se munissant d'une autorisation spéciale de S. M.
+ l'empereur.
+
+ Vous voudrez bien informer de cette décision le gouvernement près
+ duquel vous êtes accrédité.
+
+
+ SERRURIER[149] À CADORE.
+
+ [Note 149: M. Serrurier faisait pour la seconde fois
+ l'intérim, en l'absence de l'ambassadeur Chaumont parti pour
+ Paris.]
+
+ La Haye, 17 mars.
+
+ Ce serait peut-être ici la place de tracer à V. Excellence un
+ tableau succinct de l'état où je retrouve les affaires au moment de
+ mon retour en Hollande; mais l'ambassadeur, que j'apprends être
+ arrivé à deux ou trois journées de La Haye, remplira à cet égard les
+ vues de V. Excellence beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Je me
+ bornerai à lui annoncer que le roi est fort occupé en ce moment des
+ moyens de remplir les vues de son auguste frère relativement à la
+ marine. M. Roëll, dans une assez longue conversation où le hasard
+ nous engagea hier, s'exprima à cet égard de la façon la plus
+ satisfaisante. Il paraît que le roi veut pousser ses préparatifs
+ dans le silence, et réserve une surprise générale à l'empereur. Je
+ trahis un peu Sa Majesté et M. Roëll, par cet avis, mais c'est mon
+ métier et l'on devra me le pardonner.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 21 mars.
+
+ Depuis quelque temps le commerce que la Hollande fait par les
+ rivières le Weser et l'Elbe avec le nord de l'Allemagne et les pays
+ avoisinants, éprouve de fortes entraves de la part des douaniers
+ français établis à l'embouchure de ces rivières et sur les côtes.
+
+ Ces douaniers empêchent le passage des productions des fabriques
+ hollandaises en se fondant sur les dispositions de l'article 2 du
+ décret impérial du 2 août dernier, qui assimile aux marchandises
+ anglaises toute marchandise quelconque de la nature de celles que
+ l'Angleterre peut produire ou fournir, à moins qu'elles ne viennent
+ de la France. Comme c'est presque l'unique commerce que la Hollande
+ a conservé depuis que ses ports sont entièrement fermés, le roi, mon
+ maître, m'a chargé de porter cet objet à la connaissance de V.
+ Excellence, en la priant de le mettre sous les yeux de S. M.
+ impériale.
+
+ Le roi se plaît à croire que son très auguste frère daignera
+ ordonner que les dispositions du décret susdit, évidemment rendu
+ dans l'intention de nuire à l'ennemi commun, ne soient pas
+ applicables aux marchandises hollandaises; mais que celles-ci
+ puissent entrer sans obstacle, toutesfois qu'elles seront duement
+ munies de certificats d'origine, délivrés par les magistrats des
+ lieux où elles auront été fabriquées, ou d'où elles auront été
+ expédiées, ou moyennant telles autres mesures de précaution que S.
+ M. impériale jugera convenable d'admettre.
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Paris, 31 mars.
+
+ Sa Majesté l'empereur et roi est informée qu'il est arrivé à
+ Amsterdam deux bâtiments américains chargés de denrées coloniales et
+ venant d'Angleterre. Sa Majesté est pareillement informée que cent
+ cinquante autres bâtiments américains sont maintenant en chargement
+ à Londres où ils prennent aussi des denrées coloniales dans le
+ dessein de les transporter en Hollande. En conséquence, Sa Majesté
+ vous charge, M. l'ambassadeur, de redoubler d'attention et de
+ vigilance, de prendre toutes les précautions et de faire toutes les
+ démarches nécessaires, pour que des bâtiments américains ainsi
+ chargés de contrebande, ne pénètrent point en Hollande, ou n'y
+ pénètrent pas du moins impunément. Vous devez partir de ce principe
+ que tout bâtiment américain chargé de denrées coloniales est
+ suspect, ces dernières ne pouvant pas être apportées des États-Unis,
+ puisqu'il existe un embargo général et qu'aucun bâtiment n'en peut
+ sortir.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 13 mai.
+
+ Avant-hier soir, il y eut cercle à la cour, et dans une longue
+ conversation que j'eus avec le ministre des affaires étrangères, je
+ lui observai que c'était à regret que je ne voyais pas ici dans la
+ direction générale des affaires l'esprit que je désirais y trouver,
+ que ce n'était pas assez pour la Hollande de prendre les mesures qui
+ lui étaient demandées pour l'intérêt commun, mais qu'il fallait les
+ faire exécuter avec le zèle qui en assurait le succès. Je lui citai
+ plusieurs preuves de mon assertion, en lui démontrant l'inconvenance
+ et appuyant sur le mal que la Hollande se ferait, si les choses ne
+ changeaient pas entièrement de face. Le ministre me parut abonder
+ dans mon sens et m'a parlé comme regardant le sort de la Hollande
+ dans les mains de l'empereur, et comme n'attendant que de lui le
+ bonheur de sa patrie. J'ignore si M. Roëll rendit compte au roi de
+ notre conversation, mais hier Sa Majesté me fit prier de venir lui
+ parler.
+
+ Je me rendis au palais à quatre heures, et restai avec S. M. jusqu'à
+ six heures. Le roi m'engagea de lui parler franchement sur tout ce
+ que je voyais, en me priant même de ne rien lui cacher. J'eus donc
+ l'honneur de lui répéter tout ce que j'avais dit la veille au
+ ministre. J'allai même plus loin, en communiquant au roi des faits
+ dont j'avais trouvé plus convenable de ne pas parler à M. Roëll.
+ J'observai à S. Majesté que l'attachement qu'on lui portait pouvait
+ beaucoup lui servir pour diriger l'opinion publique; que lorsqu'on
+ verrait que sa conduite est véritablement française, et qu'il est
+ mécontent de celui qui n'en a pas une prononcée dans le même sens,
+ alors en peu de temps le gouvernement prendrait la même direction;
+ qu'il ne m'appartenait pas de me mêler du choix de ses agents, que
+ je ne devais connaître que le résultat de leurs travaux; mais
+ qu'avec les moyens personnels qu'il avait, il me paraissait
+ impossible que Sa Majesté ne distinguât pas, quand elle le voudrait,
+ celui qui la sert dans l'une ou l'autre ligne.
+
+ Le roi eut la bonté de me traiter avec toute sorte d'indulgence en
+ me promettant de lui parler aussi franchement; il se plaignit de sa
+ position, des peines qu'il était obligé de se donner pour arriver
+ malheureusement à de bien petits résultats. Il me répéta combien le
+ peuple qu'il gouvernait était à plaindre, et en même temps combien
+ il était difficile de le diriger, puisque n'étant pas susceptible
+ d'enthousiasme, les chiffres devenaient la seule base de leur
+ opinion. Cependant, le roi me demanda ce qu'il devait faire. Il me
+ répéta que son désir était de deviner, s'il était possible, les
+ désirs de l'empereur, et il m'autorisa non-seulement à le prévenir
+ de ce qui pourrait se faire de répréhensible, mais même encore me
+ promit de faire généralement tout ce que je pourrais croire utile
+ aux vues de l'empereur. C'est maintenant à votre Excellence de me
+ faire connaître les ordres de S. M. impériale et royale. Je ne puis
+ douter de la vérité des intentions que le roi m'a manifestées; mais
+ il dépend de l'empereur d'en acquérir la certitude. Je tous promets
+ de porter dans ma mission l'oeil le plus vigilant, et de tout faire
+ pour opérer ici un changement de système. J'aime à me flatter
+ qu'aidé du roi, j'y parviendrai. V. Excellence sait ce qu'il y a à
+ faire. Moi je n'envisage que le plaisir, en faisant mon devoir,
+ d'être utile à l'empereur. Je suis en mesure d'exécuter ses ordres,
+ soit qu'ils portent sur les choses ou les personnes. J'attends donc
+ avec impatience la réponse de V. Excellence. Je ne puis finir ma
+ dépêche sans vous répéter à quel point j'ai été content de ce que le
+ roi m'a fait l'honneur de me dire.
+
+
+ ROËLL À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Amsterdam, 19 mai.
+
+ J'ai mis sous les yeux du roi mon maître la lettre que V. Excellence
+ m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui au sujet de quelques
+ vaisseaux nouvellement entrés dans les ports de ce royaume malgré
+ les lois prohibitives à cet égard.
+
+ Sa Majesté n'a pu voir qu'avec peine se renouveler une plainte
+ qu'elle se flattait d'avoir entièrement écartée par les dispositions
+ prises relativement à la fermeture des ports. Cependant, n'ayant
+ point de raisons suffisantes pour révoquer en doute la véracité des
+ informations parvenues à V. Excellence au sujet des bâtiments
+ susdits, elle s'est empressée d'expédier aussitôt un courrier
+ extraordinaire pour se faire rendre un compte exact sur cette
+ affaire, et, sans attendre le résultat des recherches, elle a décidé
+ que non-seulement les bâtiments indiqués par V. Excellence devront
+ se remettre en mer sans aucun délai, mais aussi que la clôture des
+ ports, précédemment décrétée, sera maintenue avec la plus grande
+ rigueur, et l'entrée défendue à tout bâtiment marchand, quels que
+ soient son pavillon et sa cargaison, et sans avoir égard à d'autres
+ considérations quelconques, si ce n'est celle du gros temps, à
+ l'exception cependant d'un seul, parti d'ici depuis dix-huit mois
+ pour Canton, avec la promesse positive de S. Majesté de ne trouver
+ aucun empêchement pour la rentrée dans nos ports, et au sujet duquel
+ elle se propose d'entretenir verbalement V. Excellence, en vous
+ faisant part de cette détermination du roi, par laquelle il se
+ flatte d'avoir détruit jusqu'à la' possibilité de tout abus
+ ultérieur. Je suis chargé particulièrement de vous communiquer en
+ même temps que si, d'un côté, S. Majesté n'a pu voir qu'à regret une
+ plainte quelconque faite de la part de son auguste frère, elle a su,
+ d'un autre côté, apprécier la nouvelle preuve de franchise et de
+ loyauté que V. Excellence vient de donner dans la manière dont elle
+ a dirigé la démarche à laquelle les informations reçues l'ont
+ obligée.
+
+ S. Majesté est si éloignée de se plaindre de la démarche même
+ qu'elle désire au contraire, que si, contre son gré, il y avait
+ encore à l'avenir quelque chose qui puisse être désagréable à son
+ auguste frère, et qu'il soit en son pouvoir de prévenir ou de faire
+ cesser, V. Excellence veuille, sans délai et sans réserve, faire
+ parvenir par mon organe ses informations à cet égard à la
+ connaissance de S. Majesté, laquelle, tout pénible que soit dans ce
+ moment pour ses sujets l'état où son royaume se trouve, est trop
+ convaincue que les sacrifices actuels sont le seul moyen de voir
+ renaître les avantages d'une paix prompte et durable, pour ne pas
+ persévérer avec une constance inébranlable dans toutes les mesures
+ dont ils sont la conséquence.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 23 mai.
+
+ Le roi m'entretint l'autre jour de la décision de S. M. impériale et
+ royale sur les Français qui étaient à son service. Il me dit qu'il
+ ne voulait parler à aucun de cet objet, qu'il lui suffirait de leur
+ avoir fait écrire une lettre pour connaître le parti qu'ils
+ voulaient prendre. Sa Majesté me parut très froide, ayant même peu
+ d'intérêt pour eux. Les Français sont de leur côté mécontents;
+ plusieurs m'en ont parlé dans des ternies très convenables; et
+ maintenant qu'il s'agit de prendre un parti définitif, presque tous
+ ne voudraient pas perdre leur véritable patrie pour en adopter une
+ nouvelle. La gloire et l'attachement pour l'empereur les appellent;
+ la reconnaissance et le devoir les retiennent. Ils craignent d'être
+ mal vus de l'empereur s'ils quittent le service de la Hollande, et
+ cependant plusieurs ne peuvent se décider à signer qu'ils consentent
+ à n'être plus Français. Ce qui me paraît certain, c'est que
+ plusieurs de ces messieurs ont cru obéir à S. M. impériale et royale
+ en venant ici et n'ont jamais imaginé s'éloigner entièrement de la
+ France. V. Excellence conçoit bien que je n'ai rien répondu de
+ positif et que je me suis borné à leur dire qu'il m'était impossible
+ de les conseiller dans une circonstance aussi délicate. Les
+ Hollandais, jaloux des Français, cherchent à leur donner
+ continuellement des désagréments et ceux-ci ne sont pas soutenus par
+ le roi. Dans cette position je voudrais connaître le désir de
+ l'empereur afin de leur faire prendre la ligne qu'il ordonnera. Le
+ général Demarçay, qui commandait l'artillerie, vient encore de
+ quitter le service de la Hollande, n'y pouvant plus tenir.
+
+ Ayant une occasion sûre pour faire passer cette dépêche en France,
+ j'en profite pour parler à V. Excellence de la contrebande qui se
+ fait en Zélande. Il paraît que l'île de Walcheren est principalement
+ le point sur lequel se dirigent les contrebandiers. À mon passage à
+ Anvers, on m'en parla déjà, et l'on ne me cacha point que par
+ l'Escaut il s'introduisait beaucoup de marchandises anglaises, mais
+ que l'on accusait davantage les autorités hollandaises qui
+ paraissaient se prêter à ce commerce illicite. Depuis que je suis en
+ Hollande, les principaux agents du gouvernement avouent la
+ difficulté et presque l'impossibilité d'empêcher entièrement ce
+ genre de commerce en Zélande, mais aussi les mêmes agents prétendent
+ que les douaniers et même les autorités françaises favorisent ceux
+ qui leur font partager les bénéfices de ce commerce. Le résultat me
+ paraît être une impossibilité reconnue de guérir ce mal. Ne
+ serait-il pas possible qu'en coupant le noeud de la difficulté
+ l'empereur y remédiât en réunissant l'île de Walcheren à la France,
+ et Sa Majesté ne pourrait-elle pas porter cette réunion jusqu'à la
+ Meuse? Alors la frontière deviendrait telle qu'il serait facile de
+ la garder, et le Brabant hollandais, habité par des catholiques, se
+ trouverait heureux d'être réuni à l'empire français. Votre
+ Excellence sait, à quel point l'intolérance est portée dans ce pays:
+ ce qui ne paraît point devoir diminuer, le roi venant de placer
+ l'ex-ministre de l'intérieur, M. Mollerus, à la tête des cultes.
+ Cette intolérance fera donc toujours Français tous les catholiques
+ hollandais. Quant à une indemnité à donner à la Hollande, l'empereur
+ peut à cet égard être aussi généreux qu'il lui conviendra. Je
+ soumets ces observations à V. Excellence comme le moyen que je
+ croirais le plus sûr d'aplanir les difficultés qui surviennent tous
+ les jours et qui tiennent à la position de la frontière.
+
+ Au sujet de la contrebande, le roi vient dans l'instant de m'envoyer
+ un secrétaire du cabinet pour me communiquer une liste que S. M.
+ impériale et royale lui a envoyée d'une certaine quantité de maisons
+ ou d'individus hollandais accusés de faire la contrebande. S.
+ Majesté y a fait joindre la réponse du ministre des finances avec
+ copie de l'interrogation que l'on a fait subir aux prévenus. Il en
+ résulte qu'un d'eux est mort depuis un an, deux autres sont aux
+ galères depuis quatre ans et tous les autres sont innocents. Quant à
+ cette dernière partie, je ne puis m'empêcher d'observer à V.
+ Excellence que l'interrogatoire peut être très exact, mais qu'il est
+ fait de manière à ne trouver aucun coupable, puisque tous ces
+ individus ont été appelés et que l'on s'est contenté de leur
+ demander ce qu'ils avaient fait, et d'envoyer ensuite leur réponse.
+ Il est cependant possible que d'autres recherches aient été faites;
+ c'est ce que je tâcherai d'apprendre.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 9 juin.
+
+ D'après ce que j'apprends par MM. les consuls, il y a encore une
+ communication avec l'Angleterre, mais elle paraît peu considérable
+ et vient des petits ports qui ne sont pas surveillés. C'est
+ principalement par la Zélande que l'on suppose que les passagers
+ peuvent s'embarquer pour l'Angleterre et s'introduire en Hollande.
+ Il est certain que le comte de Bentinck a été arrêté au moment où il
+ s'embarquait à Cathvyck, et qu'il n'a été relâché que sur
+ l'exhibition d'un ordre du roi; il a fait un voyage en Angleterre et
+ en est revenu il y a deux jours. On dit qu'il était envoyé pour
+ faire un arrangement qui permît à une certaine quantité de bateaux
+ hollandais de pêcher le hareng. J'en ai parlé à M. Roëll qui m'a
+ assuré n'en être pas instruit. Ce M. de Bentinck doit, dit-on, être
+ grand écuyer.
+
+ Le ministre des affaires étrangères a envoyé hier et avant-hier la
+ circulaire à tous les Français au service de la Hollande, pour
+ connaître le parti décisif qu'ils voulaient prendre. Cette liste est
+ d'environ 500 personnes dont il paraît que la plus grande partie
+ réclamera les bontés de l'empereur pour rentrer au service du roi,
+ sans perdre leur qualité de Français. L'autorisation donnée par S.
+ Majesté pour la sortie des beurres et fromages n'a pas atteint son
+ but. Aucun négociant n'a voulu donner la caution exigée. J'ai
+ appris, de mon côté, aux maisons qui se sont adressées à moi que
+ j'ignorais absolument les motifs qui avaient décidé le roi à prendre
+ cette mesure. Il me semble que, par son effet, elle doit être
+ regardée comme nulle.
+
+
+ CADORE À BERTHIER.
+
+ Bayonne, 22 juin.
+
+ S. M. impériale voulant donner au commerce de la Hollande toutes les
+ facilités compatibles avec l'exécution des grandes mesures adoptées
+ contre l'Angleterre, a consenti à autoriser le commerce de cabotage
+ sur les côtes de l'Allemagne septentrionale depuis l'embouchure de
+ l'Ems jusqu'au canal de Holstein. Les bâtiments destinés à ce
+ commerce suivront la côte, escortés par des chaloupes canonnières de
+ la marine hollandaise. Ils ne pourront transporter aucune espèce de
+ denrées coloniales, bien moins encore des marchandises anglaises.
+
+ Cette navigation a pour objet d'établir par le canal de Holstein une
+ communication avec la Baltique, d'où la Hollande pourra tirer des
+ bois de construction, des chanvres et autres approvisionnements
+ nécessaires à sa marine.
+
+ V. A. S. jugera sans doute convenable d'instruire les généraux
+ français commandant dans le nord de l'Allemagne des intentions de S.
+ M. pour qu'ils ne mettent point d'obstacle à une navigation
+ autorisée par elle.
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Paris, 9 juillet.
+
+ Monsieur l'ambassadeur, j'ai reçu vos deux dépêches numérotées 13 et
+ 14. Il m'en est parvenu d'autres qui sont encore dans le
+ portefeuille de S. Majesté et auxquelles je répondrai plus tard.
+
+ Je dois aujourd'hui vous recommander, d'après les ordres de
+ l'empereur, de ne point perdre de vue les instructions qui vous ont
+ été données et de veiller avec un soin constant à l'exécution des
+ mesures du blocus. Vous ne cesserez de faire sentir au gouvernement
+ hollandais, au roi même, quand vous en trouverez l'occasion, combien
+ il importe de ne laisser à l'Angleterre aucun débouché pour ses
+ marchandises sur le continent. Il faut attaquer son commerce,
+ puisque son commerce est la source de ses revenus, puisque c'est là
+ qu'elle puise les moyens de prolonger la guerre. Toutes les
+ puissances de l'Europe se sont réunies dans le même but, et le
+ succès des mesures qu'elles ont prises ne peut être douteux, si
+ partout on les fait exécuter avec persévérance et sévérité.
+
+ S. M. impériale a été informée que des smoggleurs, sortant
+ journellement des ports de la Hollande, entretiennent des
+ communications avec les Anglais qu'ils instruisent de tout ce qui se
+ passe à Flessingue et dans l'Escaut. Vous appellerez l'attention du
+ gouvernement hollandais sur ces manoeuvres qui peuvent avoir des
+ conséquences dangereuses et qu'il importe de prévenir. Les
+ smoggleurs qui communiquent avec les Anglais doivent être considérés
+ et traités comme espions.
+
+ Il est un autre objet que S. Majesté recommande à vos soins, c'est
+ de faire en sorte que les Français de l'âge de la conscription qui
+ cherchent à se réfugier en Hollande ne puissent y être admis, et que
+ ceux qui y seront trouvés soient immédiatement anotés et remis aux
+ autorités françaises. Vous voudrez bien m'instruire du résultat des
+ démarches que vous aurez faites dans le terme des directions que je
+ suis chargé de vous transmettre.
+
+
+ CADORE À WERHUELL.
+
+ Bayonne, 12 juillet.
+
+ Lorsque S. Majesté, usant d'un juste droit de représailles, eut
+ déclaré les îles Britanniques et leurs colonies en état de blocus,
+ la presque totalité des puissances du continent, également blessées
+ par les prétentions exagérées de l'Angleterre, se réunirent
+ successivement à S. Majesté et résolurent, d'un commun accord, de
+ suspendre toute communication entre leurs États et les îles
+ Britanniques. Votre gouvernement adopta le premier les mesures qui
+ avaient été prises par l'empereur.
+
+ Aujourd'hui l'Angleterre ne compte plus qu'une puissance amie sur le
+ continent. Tous les ports de l'Europe, à l'exception des ports de
+ Suède, sont fermés à son commerce. Les États-Unis d'Amérique ont
+ renoncé à toute communication commerciale avec elle, et il ne lui
+ reste plus de débouchés pour ses marchandises, de moyens
+ d'approvisionnement pour sa marine que dans ses propres colonies et
+ dans le Brésil, qui ne lui offre que de bien faibles ressources.
+ Plus son commerce est gêné, plus elle met d'activité, de soin et
+ d'adresse pour verser sur le continent, par le moyen de la
+ contrebande, ses marchandises et les denrées coloniales dont ses
+ magasins sont encombrés. Simulation de pavillon, papiers faux,
+ certificats d'origine publiquement contrefaits, tout est employé;
+ et, sans une surveillance active et continuelle de la part de toutes
+ les puissances du continent, les grandes mesures qu'elles ont
+ adoptées n'étant qu'imparfaitement exécutées n'obtiendront point
+ tout l'effet qu'on devait en attendre. Il ne suffit pas de fermer
+ tout débouché au commerce de l'Angleterre, et puisqu'elle est
+ séparée des autres puissances du continent en refusant de
+ reconnaître les principes du droit maritime qui les régit, il faut
+ maintenir l'interdiction qu'elle a prononcée elle-même, et que le
+ continent rompe toute communication avec elle. S. Majesté, en me
+ chargeant d'appeler l'attention de votre gouvernement sur ces deux
+ objets, se persuade que le roi son frère se fera un plaisir de
+ seconder ses vues et prendre les mesures les plus propres à déjouer
+ les tentatives de la contrebande, et à empêcher toute communication
+ quelconque entre ses sujets et les Anglais.
+
+ Je prie V. Excellence de vouloir bien porter à la connaissance de sa
+ cour les communications que j'ai l'honneur de lui adresser
+ aujourd'hui.
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Bayonne, 19 juillet.
+
+ Dans une de vos dernières dépêches, vous avez énoncé une idée qui a
+ fixé l'attention de S. Majesté. Vous parliez de la difficulté de
+ prévenir le versement des marchandises de contrebande de Hollande en
+ France, difficulté qui tenait principalement à la nature des
+ frontières actuelles entre les deux États, et qui ne cesserait que
+ lorsque la frontière de l'Europe française aurait été portée jusqu'à
+ la Meuse. Sa Majesté n'a point méconnu la justesse de vos
+ observations, et elle entrevoit volontiers un arrangement avec le
+ roi son frère pour parvenir à une rectification de frontières qui
+ faciliterait l'action des douanes et aurait le grand avantage de
+ donner à la France une ligne non interrompue de limites naturelles.
+ Il est loin des idées de S. M. de demander des cessions gratuites à
+ la Hollande; elle ne veut même faire aucune proposition d'échange
+ avant de savoir si elle pourrait convenir au roi.
+
+ Je vous invite en conséquence, Monsieur l'ambassadeur, à vouloir
+ bien sonder l'opinion du gouvernement hollandais à cet égard, vous
+ vous attacherez surtout à connaître quelles indemnités la Hollande
+ désirerait, dans la supposition où elle nous céderait soit les
+ territoires à la gauche de la Meuse, soit même tout ce qui est à la
+ gauche du Vaal. Le plus important pour la France est d'obtenir une
+ frontière fixe et bien définie, ce qu'elle trouve dans la Meuse et
+ encore plus dans le Vaal, soit que la Zélande fasse ou ne fasse
+ point partie de la cession.
+
+ La Hollande peut trouver une compensation dans les pays d'Allemagne
+ qui sont encore à la disposition de Sa Majesté. Le grand-duc de Berg
+ est dans cette classe. Les souverains des petits États qui touchent
+ à la Hollande pourraient, au moyen d'arrangements particuliers, être
+ transportés ailleurs. Je ne vous en dis point davantage, Monsieur
+ l'ambassadeur, j'attends que vous m'ayez fait connaître les
+ dispositions dans lesquelles vous aurez trouvé le ministère
+ hollandais. Votre premier soin doit être de découvrir ses vues, de
+ savoir ce qui peut être à sa convenance, et, lorsque vous m'en aurez
+ instruit, j'aurai l'honneur de prendre et de vous faire connaître
+ les intentions de Sa Majesté; mais ne faites aucune proposition
+ directe.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 20 juillet.
+
+ Les circonstances actuelles de l'Europe et les liens étroits qui
+ unissent la Hollande à la France, joints à la haute bienveillance
+ dont Sa Majesté l'empereur honore son auguste frère le roi, mon
+ maître, ont naturellement fait naître dans le coeur de tout bon
+ Hollandais le désir de voir son pays partager les nouveaux liens qui
+ rapprochent d'autres États encore plus intimement de la France.
+ Lorsque la Hollande confia ses destinées au monarque chéri qui la
+ gouverne, elle voulut, en croyant assurer par là son intégrité, son
+ indépendance et son bonheur, prouver à la fois d'une manière
+ éclatante sa vive affection pour la France et son profond respect
+ pour le plus magnanime des monarques de l'univers. Constamment
+ animée de ces sentiments et fortement pénétrée de tout ce qu'elle
+ doit à l'alliance sacrée qui l'unit au peuple français, la Hollande
+ serait flattée d'en resserrer encore les liens, et l'on se persuade
+ d'atteindre ce but, si S. M. impériale et royale daignait regarder
+ comme un nouvel hommage de dévouement à son auguste personne le
+ désir de voir le royaume de la Hollande admis dans la confédération
+ du Rhin.
+
+ Le poste éminent et honorable que Votre Excellence occupe auprès de
+ Sa Majesté la met plus que personne à même de savoir si l'expression
+ officielle de ce voeu de mon souverain ne déplairait point à
+ l'empereur. J'attacherais beaucoup de prix à être instruit par Votre
+ Excellence des intentions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi
+ à cet égard, et je m'estimerais très heureux si j'avais l'honneur
+ d'être choisi par mon souverain pour être auprès du magnanime
+ protecteur de la Confédération rhénane l'organe d'une demande
+ inspirée par le respect, la reconnaissance et un amour sans bornes.
+
+ Me reposant sur la noblesse de caractère qui illustre Votre
+ Excellence et qui m'a inspiré depuis longtemps une confiance
+ illimitée, j'ose la prier de regarder ma demande comme n'ayant pas
+ été faite, si elle croit qu'elle ne serait pas agréable à S. M.
+ l'empereur.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 8 août.
+
+ J'ai pu enfin m'acquitter jeudi dernier des ordres de l'empereur. Je
+ suis parvenu, après bien de vaines tentatives, à rejoindre M. Roëll
+ qui était au Loo depuis huit jours. J'ai parlé au ministre de l'idée
+ d'échanger le Brabant jusqu'à la rive gauche de la Meuse, et plus
+ encore du Vaal, contre des pays en Allemagne qui restaient à la
+ disposition de S. M. impériale et royale, en y comprenant le
+ grand-duché de Berg. J'ai fait sentir au ministre combien le système
+ des douanes souffrait de la mauvaise frontière qui existait
+ maintenant entre la Hollande et la France, combien nos agents
+ avaient rejeté souvent sur les autorités hollandaises les atteintes
+ portées aux lois françaises, et combien les deux gouvernements
+ avaient d'exemples du résultat désagréable de ce genre de
+ discussion; que l'empereur, en se donnant de ce côté une frontière
+ naturelle, ne voulait rien faire qui fût contre les intérêts du
+ royaume de Hollande; que c'était dans cette idée que Sa Majesté ne
+ fixait pas un échange, mais désirait avant tout savoir ce que le roi
+ de Hollande jugerait équivaloir à la partie de son royaume qu'il
+ devait céder. M. Roëll commença par me dire qu'il lui était
+ impossible de répondre à une proposition aussi inattendue, que le
+ roi pouvait seul donner une décision dans cette circonstance. Il me
+ laissa cependant entendre qu'il était personnellement contre cette
+ idée, et son opinion me parut basée sur cinq points principaux:
+
+ Le 1er était la difficulté ou presque l'impossibilité de s'entendre
+ sur les travaux de mer indispensables dans les îles pour garantir le
+ midi de la province de Hollande, travaux sur lesquels les ingénieurs
+ d'un même gouvernement avaient déjà bien de la peine à être du même
+ avis, et sans lesquels la Hollande courrait les plus grands dangers.
+
+ 2º Le ministre regarde le cours des rivières comme la seule richesse
+ de ce pays, et par conséquent le tharvlweg du Vaal comme ruineux
+ pour la Hollande.
+
+ 3º Il estime le revenu du Brabant à cinq millions de florins, et
+ regarde que ce revenu augmente journellement.
+
+ 4º Son opinion est que pour pouvoir sauver sa patrie il est
+ nécessaire que le revenu territorial soit augmenté de cinq à six
+ millions, ou au moins de moitié, et qu'un échange amènerait
+ difficilement cet avantage; qu'il verrait donc avec peine le roi
+ perdre d'anciens sujets sans acquérir la certitude que la Hollande y
+ gagnerait une existence stable et indépendante.
+
+ 5º Enfin M. Roëll m'a fait sentir qu'il y avait eu de grandes
+ discussions lorsqu'il s'agit, l'année dernière, de l'échange de
+ Flessingue, et qu'il ne savait pas jusqu'à quel point le roi
+ pourrait même traiter seul cet objet.
+
+ Je répondis à ces observations:
+
+ 1º Que l'on pourrait laisser à la Hollande les îles; que par
+ conséquent les travaux de mer resteraient dans ses mains.
+
+ 2º Que le cours de la petite Meuse serait seul perdu pour la
+ Hollande, et que ses deux ports principaux, Amsterdam et Rotterdam,
+ lui resteraient toujours ainsi que sa navigation intérieure.
+
+ 3º Que je regardais le revenu du Brabant comme très exagéré; qu'au
+ surplus ceci était une affaire de détail à laquelle je n'avais pas à
+ répondre puisqu'il ne s'agissait que d'asseoir le principe
+ d'échange, mais nullement de discuter la valeur des objets proposés.
+
+ 4º Que je venais de répondre à sa quatrième observation, et qu'enfin
+ la cinquième me paraissait d'autant moins fondée qu'une fois la
+ chose arrêtée du commun accord des deux parties et à leur avantage
+ réciproque, l'on prendrait la forme que l'empereur jugerait
+ nécessaire.
+
+ Votre Excellence sentira que cette conversation nous mena très loin.
+ Le ministre rappela les sacrifices de la Hollande, en me faisant
+ entendre que le roi s'attendrait dans cette circonstance à une
+ augmentation de territoire, et que Sa Majesté préférerait un moins
+ grand avantage à un échange qui lui assurerait des revenus plus
+ considérables. Je suis tombé d'accord avec le ministre sur la
+ position malheureuse de ce pays, qui souffrait plus que le reste du
+ continent des mesures nécessitées par les circonstances; mais en
+ même temps je lui ai rappelé que le gouvernement n'avait rien fait
+ pour mériter les bontés particulières de l'empereur, puisque son
+ esprit était mauvais, sa direction habituellement vicieuse, et que
+ ce n'était qu'en insistant et par la crainte que l'on pouvait
+ l'amener à des mesures et à une conduite dont il cherchait à
+ s'écarter dans toutes les occasions; que j'en étais habituellement
+ témoin, et que certainement ce n'était pas ainsi que l'on acquerrait
+ le droit d'attendre une existence indépendante du souverain qui
+ pouvait tout; que le gouvernement hollandais était d'autant plus
+ répréhensible que c'était de lui seul que venaient les torts,
+ puisque le pays était bon et souffrait avec une résignation qui lui
+ faisait le plus grand honneur. M. Roëll m'a répété qu'il me priait
+ de regarder comme une simple conversation ce qu'il venait de me
+ dire, attendant les ordres du roi pour me communiquer sa réponse. Il
+ m'a témoigné son embarras d'en parler à Sa Majesté et m'a demandé
+ quelque chose par écrit: ce que j'ai refusé. On annonce l'arrivée
+ du roi pour jeudi. J'imagine qu'alors j'aurai l'honneur de le voir
+ et de savoir la détermination de Sa Majesté. On dit que le roi
+ donnera des fêtes pour le jour de saint Napoléon. Rien n'est
+ cependant encore connu. Je verrai M. Roëll aujourd'hui et pourrai
+ peut-être rendre compte à Votre Excellence de ce qu'il m'aura dit à
+ ce sujet.
+
+ La côte est bien gardée. On a arrêté dernièrement plusieurs
+ passagers venant d'Angleterre. Il n'entre pas de marchandises. Nous
+ avons cependant assez régulièrement les nouvelles de Londres, et les
+ journaux du 28 sont en ville. Les nouvelles qu'ils contiennent sont
+ bien tristes sur l'Espagne. J'aime à les croire fausses. Je ne doute
+ pas que l'empereur reçoive tous ces journaux. Si Sa Majesté les
+ désirait, je puis les avoir sans me compromettre.
+
+ Votre Excellence sait combien je surveille la fermeture des ports,
+ et elle doit supposer combien les mesures prises et exécutées
+ doivent être contraires à la majeure partie des habitants
+ d'Amsterdam. C'est donc avec une véritable peine que j'apprends que
+ les mêmes mesures ne sont pas exécutées partout avec la même
+ sévérité. J'ai la certitude positive qu'il entre à Brême une énorme
+ quantité de marchandises anglaises et que l'on ne fait rien pour
+ l'empêcher. Les négociants hollandais se plaignent alors d'un poids
+ qu'ils supportent seuls. Je ne puis rien répondre aux preuves qu'ils
+ me présentent et ma position devient désagréable. Je suis aussi
+ fâché de voir dans les journaux français l'arrivée dans nos ports de
+ navires américains chargés de denrées coloniales. Le prétexte qu'ils
+ ne sont pas entrés en Angleterre n'en est pas un admis ici, et l'on
+ a la certitude que beaucoup de navires ont des journaux doubles, et
+ que l'on imite si bien en Angleterre les signatures et les papiers
+ que les prétendus signataires ne peuvent pas même les reconnaître.
+
+ J'apprends à l'instant que M. Roëll est encore à Utrecht. Je ne puis
+ donc rien mander de plus à Votre Excellence.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 11 août.
+
+ J'arrive dans l'instant de chez le roi qui est à Amsterdam depuis
+ hier soir. Sa Majesté m'a fait écrire par son ministre des affaires
+ étrangères de me rendre à son palais, à deux heures. J'ai exécuté
+ cet ordre et n'ai pas été peu étonné en entrant dans le cabinet du
+ roi d'y trouver M. Roëll, ce qui n'était jamais arrivé depuis que je
+ suis en Hollande, Sa Majesté m'ayant entretenu toujours seul. J'ai
+ donc pensé qu'il s'agissait d'une réponse officielle à l'ouverture
+ que j'avais été chargé de faire au sujet de l'échange proposé par
+ l'empereur comme rectification des frontières, et je ne me suis pas
+ trompé dans mon pressentiment. Le roi m'a répété absolument tout ce
+ que M. Roëll m'avait dit il y a quelques jours, m'a déclaré son
+ éloignement pour la cession proposée par l'empereur. Sa Majesté m'a
+ annoncé que, dans son opinion, cette proposition était aussi
+ désavantageuse pour lui personnellement que pour le pays qu'il
+ gouverne; qu'il serait perdu aux yeux des Hollandais; qu'ainsi, s'il
+ en était le maître, il ne pouvait l'accepter; qu'il ne pouvait
+ renoncer à d'anciens sujets; qu'enfin il m'enverrait une réponse par
+ écrit qui développerait plus en détail les différents points de vue
+ sous lesquels il envisageait cette affaire. J'ai eu l'honneur
+ d'observer au roi que l'avantage de la Hollande consistait dans
+ l'échange qui serait fait; qu'ainsi il paraissait difficile à Sa
+ Majesté de prévoir qu'il serait désavantageux à son royaume
+ puisqu'il n'était pas connu; que, quant à lui personnellement, il me
+ semblait que dans la position où étaient les finances de l'État, il
+ ne pouvait lui être préjudiciable d'admettre un principe qui aurait
+ pour but de les améliorer et de sauver son pays qui, de son propre
+ aveu, marchait journellement à sa ruine. J'ai eu la douleur
+ d'entendre le roi me tenir un langage d'indépendance absolument
+ nouveau. J'imagine que S. M. s'y est crue obligée en présence de son
+ ministre. J'ai répondu avec la dignité que j'ai cru qui convenait à
+ l'ambassadeur de l'empereur, mais en même temps avec tout le respect
+ que je dois à tant d'égards au frère de mon souverain. Je n'ai dit
+ que ce que je voulais dire; mais j'ai fait sentir au roi que d'aller
+ au devant d'une idée qui paraissait agréable à l'empereur ne me
+ paraissait pas devoir être si éloigné de sa pensée, surtout
+ lorsqu'elle était présentée par ma cour avec une modération qui
+ prouvait son intention de ne faire aucun tort à la Hollande. Je n'ai
+ voulu entrer dans aucun autre développement. M. Roëll était présent,
+ c'était une raison de plus de ne pas aller plus loin. J'aurai donc
+ l'honneur d'adresser à Votre Excellence la réponse du roi, si elle
+ me parvient avant le départ du courrier. Je n'étais pas heureux
+ aujourd'hui, car il m'est survenu un autre objet sur lequel je n'ai
+ pu tomber d'accord avec le roi. Il a été question des soldats de sa
+ garde que Sa Majesté a licenciés et de la pension que l'empereur
+ exige qui soit faite à ces soldats. Le roi m'a dit que ces
+ militaires étaient partis parce qu'ils ne voulaient plus rester à
+ son service; qu'ainsi il n'était tenu à leur donner aucune pension;
+ qu'il leur avait fait demander s'ils avaient de quoi vivre en
+ France; qu'ils avaient répondu affirmativement et avaient ajouté
+ qu'ils étaient très contents. J'ai eu l'honneur d'observer au roi
+ qu'ils avaient tenu un autre langage dans ma chancellerie où ils
+ s'étaient plaints de leur licenciement, en disant qu'ils ne
+ partaient que parce qu'ils ne voulaient pas devenir Hollandais. Sa
+ Majesté me dit les avoir fait parler, et me cita le général de Brac,
+ grand maréchal du palais, comme ayant été chargé de s'assurer
+ qu'ils partaient entièrement de leur consentement. Le roi sonna
+ aussitôt, fit appeler M. de Brac qui dit qu'ils avaient tous répondu
+ qu'ils quittaient à regret le service du roi; mais que dès qu'ils
+ devaient devenir Hollandais pour y rester, ils préféraient retourner
+ dans leur patrie. J'ajoutai alors que cette réponse cadrait
+ parfaitement avec le dire des soldats, puisqu'ils n'avaient quitté
+ le service du roi que pour obéir à l'option qui leur avait été
+ faite. J'eus l'honneur de prendre congé de Sa Majesté, qui reste
+ encore quelques jours dans sa capitale, et qui donnera lundi, jour
+ de saint Napoléon, un concert et un bal. Le même jour j'ai engagé
+ dans un grand dîner les ministres du pays et étrangers, ainsi que
+ les chefs des autorités civiles et militaires.
+
+ P. S. Le roi ne m'ayant rien envoyé, je suis obligé de fermer ma
+ dépêche. J'imagine que Sa Majesté expédiera un courrier à
+ l'empereur.
+
+ P. S. J'ouvre ma dépêche pour envoyer à Votre Excellence la note de
+ M. Roëll.
+
+
+Le duc de Cadore remit cette lettre à l'empereur après l'avoir fait
+suivre de la note ci-dessous:
+
+
+ Je renouvelle au sujet de cette lettre l'observation déjà faite que
+ M. de Larochefoucauld a été au delà de ses instructions lorsqu'il a
+ fait la proposition directe d'un échange sur lequel il était
+ seulement chargé de connaître les dispositions du gouvernement
+ hollandais.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 15 août.
+
+ Je n'ai que le temps, avant le départ du dernier courrier, d'envoyer
+ à Votre Excellence la réponse officielle du roi transmise par M.
+ Roëll. Je l'ai déjà trouvée plus mesurée que ce que j'avais entendu
+ quelques heures auparavant, et j'ai su que le roi avait senti la
+ position fausse dans laquelle il s'était placé, ainsi que moi,
+ lorsqu'il me parla devant son ministre. J'ai eu l'honneur de revoir
+ Sa Majesté avec laquelle j'eus une longue conférence, et je dois à
+ la vérité d'assurer à Votre Excellence que je l'ai trouvée
+ absolument différente dans son opinion, du moins dans la manière de
+ l'exprimer. Le roi m'a dit que son idée, en rendant M. Roëll témoin
+ de sa réponse, était, dans une affaire aussi majeure, qu'elle fût
+ connue de son ministre. Je lui ai observé que ceci ne me paraissait
+ pas être le meilleur moyen d'atteindre son but; car son ministre
+ pouvait me répondre s'il ne s'agissait uniquement que de me faire
+ connaître sa détermination; mais que, me faisant l'honneur de
+ m'appeler, je devais supposer que Sa Majesté voulait discuter la
+ proposition, ce qui devenait inutile dès que sa réponse était
+ concertée d'avance. Nous avons repris l'objet en question; nous en
+ avons discuté les avantages pour la Hollande ainsi que les
+ désavantages, et j'ai vu que la répugnance du roi à cet échange
+ tenait plutôt à l'impossibilité où il se croyait de céder une partie
+ de ses sujets, et au doute qu'il avait que cette proposition plût ou
+ convînt à la nation qu'à aucune autre raison; qu'ainsi il ne pouvait
+ pas le demander, mais qu'il ne s'y opposerait pas et en serait
+ peut-être bien aise, si le résultat était un avantage dont ce pays
+ ne peut se passer. Le roi m'a dit avoir écrit à l'empereur. Je puis
+ ajouter à Votre Excellence que plusieurs personnes m'ont parlé de
+ cette affaire, quelques-unes comme la désirant, regardant que leur
+ patrie a besoin de possessions en Allemagne pour se soutenir pendant
+ la guerre; d'autres comme espérant de la générosité de l'empereur un
+ avantage pour ce pays; enfin d'autres comme jugeant nécessaire de
+ faire une cession qui convenait à l'empereur, et par cela mériter
+ ses bontés et échanger l'opinion que l'on suppose à S. M. impériale
+ et royale sur la Hollande. Enfin, comme j'ai eu l'honneur de vous le
+ mander dans une de mes dépêches précédentes, l'on commence à sentir
+ que l'on ne peut plus rien attendre que de la France. Le résumé de
+ cette dépêche est donc que l'empereur peut faire l'échange s'il le
+ désire, et que Sa Majesté attirera à elle tout ce pays-ci si elle
+ juge devoir l'aider à sortir de la crise où la stagnation du
+ commerce le met. Le roi m'a traité avec beaucoup de bonté la
+ dernière fois que j'ai eu l'honneur de le voir. Je lui ai rappelé
+ différents griefs pour telle ou telle affaire particulière que
+ j'avais eu à traiter. Sa Majesté a eu la bonté de m'en éclaircir
+ plusieurs. J'espère, dans ce voyage, avoir fait quelques pas vers le
+ but que je me propose; il y a certainement du mieux. Il n'entre pas
+ de bâtiments, et c'est beaucoup. Je désire pouvoir bientôt mander à
+ Votre Excellence que ce mieux est devenu un bien. Je n'épargne rien
+ pour y parvenir. Je vais aller au _Te Deum_ que le roi fait chanter
+ à sa chapelle.
+
+ Dans mon premier numéro j'aurai l'honneur de vous rendre compte de
+ la manière dont la journée se sera passée[150].
+
+ [Note 150: Les ambassadeurs français accrédités auprès des
+ rois frères de l'empereur prenaient le nom d'ambassadeurs de
+ famille, et avaient mission de faire connaître à Napoléon
+ toute la conduite privée et publique des souverains.]
+
+ M. le général Brunot, aide de camp du roi, vient d'être nommé grand
+ écuyer.
+
+ M. le comte de Turkheim Montmartin, ministre de la cour de
+ Wurtemberg, vient d'obtenir son rappel, M. de Munch, son secrétaire
+ de légation, vient d'arriver. Il restera chargé d'affaires, en
+ attendant une nouvelle nomination.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 18 août.
+
+ Je me suis rendu le 15 de ce mois à la chapelle du roi où j'ai
+ entendu la messe et ensuite le _Te Deum_ chanté pour la fête de
+ l'empereur. Le roi y a assisté; mais la cour n'était pas en grande
+ cérémonie, et le service ordinaire était simplement présent. Le roi
+ a travaillé avec ses ministres dans la matinée. J'ai ensuite donné
+ un grand dîner à tous les ministres du roi, aux grands officiers du
+ royaume et du palais, aux premiers fonctionnaires publics, civils et
+ militaires, et à tout le corps diplomatique. De toutes les personnes
+ qui entourent le roi, M. le maréchal de Brac et M. de Heckeren,
+ grand veneur, se sont seuls rendus à mon invitation. Au dessert, le
+ ministre des affaires étrangères a, d'après l'offre que je lui en ai
+ faite, porté le toast de l'empereur et y a joint l'expression de son
+ désir que S. M. impériale et royale veuille bien penser au bonheur
+ de sa patrie. Tout le monde était obligé de se rendre de très bonne
+ heure à la cour, ce qui m'a forcé de réunir en un seul toast: au
+ roi, à la paix maritime et au bonheur de la Hollande.
+
+ Quant aux gazettes anglaises, je n'avais pas été plus loin avant
+ d'avoir la réponse de Votre Excellence; mais hier j'ai pris de plus
+ amples informations. On m'offre les papiers, les notes des
+ ministères, les ordres donnés dans les différents ministères, etc.;
+ mais pour cela l'on demande près de 3,000 fr. par mois; pour les
+ gazettes seulement moitié, ou un peu plus. Alors deux fois par
+ semaine vous pourriez les recevoir, et je les enverrais par exprès
+ jusqu'à Anvers, pour que cette correspondance fût à l'insu du
+ gouvernement hollandais qui pourrait bien l'empêcher. Je ne
+ paraîtrais nullement, et Votre Excellence peut s'en rapporter à ma
+ prudence et être sûre que je ne ferais rien qui puisse blesser le
+ moins du monde le système général. Répondez-moi, je vous en prie, le
+ plus promptement possible en m'indiquant la latitude que je puis
+ prendre.
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Paris, 26 août.
+
+ J'ai reçu votre dépêche du 18 août, nº 27. Je vois avec satisfaction
+ que vous avez heureusement terminé l'affaire des deux prises
+ conduites à Helvoët-Huyr, et avec regret que le roi ait l'intention
+ d'insister désormais sur le principe même qui avait fait naître la
+ difficulté. Je sens bien tout l'inconvénient qu'il y aurait à
+ admettre ce principe et c'est ce que vous devez vous garder de
+ faire. Mais il y a de plus pour le combattre des raisons solides. Si
+ la Hollande était neutre, elle aurait en cette qualité des
+ obligations pour lesquelles le droit qu'elle réclame lui pourrait
+ être nécessaire. Mais elle est alliée de la France et son alliée à
+ perpétuité, son alliée envers et contre tous. Non seulement les deux
+ pays ont les mêmes amis et les mêmes ennemis, mais dans l'un et
+ l'autre les règlements concernant la navigation des neutres sont
+ entièrement et parfaitement les mêmes. La nature des choses veut
+ donc que lorsqu'il s'agit, soit de poursuivre l'ennemi commun, soit
+ d'empêcher les prévarications des neutres, les deux territoires,
+ quoique distincts, soient considérés comme un seul et même; et,
+ comme il ne peut être dans l'intention du gouvernement de Hollande
+ de protéger ses propres ennemis, il est évident qu'il ne peut
+ empêcher les opérations des armateurs français et vouloir les
+ enlever à leurs juges naturels, sans aller lui-même contre ses vues
+ autant que contre son intérêt. Telles sont les considérations que
+ vous aurez à faire valoir lorsque l'occasion s'en présentera.
+
+ Des deux offres qui ont été faites relativement aux papiers anglais,
+ je n'accepte que celles qui regardent les gazettes. Je vous prie de
+ vouloir bien donner vos soins à me les procurer avec exactitude.
+ Vous pouvez, comme vous le proposez et si vous le jugez utile, les
+ envoyer par exprès à Anvers. Toutes les avances que vous aurez
+ faites pour cet objet vous seront remboursées à votre première
+ demande.
+
+
+ CADORE AU MINISTRE DE LA MARINE.
+
+ Paris, 26 août.
+
+ Au moment où je recevais la lettre que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois, il m'en parvenait une de M.
+ de Larochefoucauld où il m'annonce qu'il a terminé, selon vos désirs
+ et les siens, l'affaire des deux prises conduites par des corsaires
+ français à Helvoët-Huyr. Le roi a passé sur la violation du
+ territoire hollandais reprochée aux deux corsaires, mais en
+ déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères,
+ que, si dans cette occasion il se désistait de son juste droit,
+ c'était uniquement pour donner une nouvelle preuve de sa constante
+ déférence à ce que paraissait désirer S. M. l'empereur, son auguste
+ frère; mais que cette condescendance ne pourrait jamais tirer à
+ conséquence et qu'à l'avenir tous les cas de même nature seront
+ décidés suivant les statuts et les lois du royaume.
+
+ Les Hollandais ont constamment soutenu et soutiennent que tout
+ étranger, même d'un pays leur allié, qui fait des prises dans leurs
+ eaux, viole leur territoire, ou, ce qui est la même chose, attente à
+ leur souveraineté et commet un délit dont la connaissance appartient
+ exclusivement au souverain offensé et dont la première conséquence
+ est de rendre la prise illégale et nulle. Il faut l'avouer, ce ne
+ sont pas les Hollandais seuls qui ont professé cette doctrine. Elle
+ a été celle de toutes les puissances maritimes dans les dernières
+ guerres. Elle me semble admise par nos propres ordonnances, et c'est
+ en vertu de ce principe que nous-mêmes nous avons exigé et obtenu de
+ diverses cours, et naguère encore du Danemarck, des indemnités pour
+ des bâtiments français pris dans leurs eaux.
+
+ Sa Majesté le roi de Hollande, se montrant jaloux de son droit et
+ annonçant la résolution de ne s'en point désister à l'avenir, il me
+ paraîtrait désirable, pour éviter désormais des discussions
+ désagréables, qu'il fût enjoint aux corsaires de ne saisir dans les
+ eaux de la Hollande, à une distance des rivages moindre que la
+ portée du canon, aucun bâtiment sous pavillon neutre (car pour les
+ prises sous pavillon ennemi, il ne s'élèverait, je présume, aucune
+ difficulté, ou elles seraient aisément aplanies), ou du moins de ne
+ pas conduire dans les ports hollandais les bâtiments saisis à une
+ moindre distance, et cela sous peine d'être privés de l'intervention
+ et de l'appui du gouvernement français.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 août.
+
+ J'ai eu l'honneur, dans un de mes numéros, d'informer Votre
+ Excellence que j'avais un moyen d'envoyer en Angleterre une personne
+ qui pourrait me rendre compte de la véritable situation de ce pays
+ et sonder ses intentions. Je prie Votre Excellence de me mander
+ simplement si S. M. impériale et royale désire que je conserve ce
+ moyen ou si elle veut que je l'abandonne. Ne voulant pas
+ compromettre ma cour, je retarde de donner une réponse, prétextant
+ mon désir de voir l'issue de quelques événements avant de ne rien
+ entreprendre; mais ceci a ses bornes, et je craindrais que la
+ personne regardât ce retard prolongé comme une manière de se jouer
+ d'elle; ce qui me priverait d'un agent qui est bon et m'a déjà été
+ souvent utile. Je demande donc simplement à Votre Excellence un oui
+ ou un non sur cet article.
+
+ On a attendu ici le roi le 1er septembre; Sa Majesté donnera le 2 un
+ grand bal pour son jour de naissance. Le ministre des affaires
+ étrangères a invité le corps diplomatique à un grand dîner pour le
+ même jour.
+
+ Il y a quelques jours que les Anglais vinrent à Zandvoort, près de
+ la côte, à quatre lieues d'ici, demander du poisson. Sur le refus
+ que l'on fit de leur en donner, ils tirèrent sur ce village environ
+ 80 coups de canon. Le dommage, que l'on avait dit être très
+ considérable, est presque nul.
+
+ Je viens d'être informé que le roi venait d'accorder la libre sortie
+ de tous les produits de la Hollande. Le ministre Roëll, qui sort de
+ chez moi et à qui j'en ai parlé, m'a assuré l'avoir aussi entendu
+ dire, mais n'en rien savoir positivement. Il m'a simplement informé
+ qu'il savait que l'on s'était adressé au roi pour l'engager à donner
+ un écoulement à la garance et aux avoines qui étaient tombées en
+ baisse par la quantité prodigieuse qu'il y en avait dans le pays. Je
+ ne doute pas que le roi n'ait mis des bornes à cette permission, qui
+ paraîtrait bien vague et dangereuse quant à ses conséquences.
+
+ On commence à organiser le commerce de cabotage le long de la côte
+ du Nord. On est informé ici que l'on charge des bâtiments en Russie
+ pour la Hollande, et le commerce espère dans ce nouvel essai
+ éprouver quelques adoucissements à la triste position dans laquelle
+ il se trouve réduit.
+
+
+ ROËLL À CADORE.
+
+ Amsterdam, 28 septembre.
+
+ J'avais l'honneur de m'adresser il y a peu de jours à Votre
+ Excellence pour la solliciter de se servir de toute son influence
+ auprès de S. M. impériale et royale afin d'obtenir à ce royaume un
+ accroissement de territoire, en dédommagement des sacrifices énormes
+ que les habitants ont déjà faits depuis longtemps et font encore
+ pour la cause commune. J'osais me flatter alors que S. M. impériale
+ et royale serait convaincue elle-même, d'un côté, de la nécessité
+ absolue de cet agrandissement, sinon pour nous tirer d'affaire, au
+ moins pour nous soulager dans l'état pénible où nous nous trouvons;
+ et que, d'un autre côté, elle serait si intimement persuadée de la
+ stricte observation du système de blocus dans ce royaume, que
+ lorsque l'occasion s'en présenterait, elle daignerait manifester son
+ contentement à ce sujet, comme elle l'a déjà fait une fois, il y a
+ quelques semaines, à l'ambassadeur Werhuell par l'organe de Votre
+ Excellence.
+
+ J'étais donc loin de prévoir alors que, si peu de temps après, je
+ serais dans le cas de m'adresser à Votre Excellence sur le coup si
+ terrible qui vient de nous frapper dans le décret impérial du 16 de
+ ce mois, contenant une prohibition de faire entrer en France des
+ denrées coloniales venant de l'Espagne ou de la Hollande, et une
+ confiscation de tous les bâtiments qui entreraient dans la Suède;
+ décret qui, en supposant une facilité d'introduction de ces denrées
+ dans ce royaume et par là même une communication commerciale avec
+ l'ennemi, a fait la sensation la plus pénible parmi les habitants,
+ et a presque entièrement détruit l'espoir qu'ils avaient de trouver
+ dans les dispositions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi
+ envers leur patrie une garantie puissante du prix qu'ils recevraient
+ un jour des sacrifices auxquels ils se sont assujettis avec tant de
+ résignation.
+
+ En effet, que faut-il de plus pour succomber entièrement sous le
+ triste sentiment de sa destruction que de se voir assimilé sous
+ certains rapports à une nation qui, au lieu de reconnaître ce grand
+ et salutaire but de l'empereur et roi dans la part qu'il prend à
+ l'amélioration de leur existence, pousse l'ingratitude et
+ l'aveuglement assez loin pour se déclarer son ennemi ouvert, et de
+ s'y voir assimilé non seulement dans une communication de
+ gouvernement à gouvernement, mais dans une pièce qui, par sa nature
+ même, devait être publique, et par là à la face de l'Europe entière.
+
+ Et, si tel est l'effet de ce décret sur la nation, quel ne doit donc
+ pas être celui qui en résulte auprès de l'auguste frère du souverain
+ qui l'a rendu? Que V. Excellence veuille juger elle-même. Avoir
+ satisfait à toutes les demandes qui ont été faites de la part de S.
+ M. impériale et royale, avoir été même au delà de ses désirs en
+ allant encore plus loin qu'en France même, et être dénoncée après
+ cela indirectement, comme manquant de bonne foi, à l'univers entier,
+ voilà des choses dont l'effet peut bien se sentir mais ne pas se
+ décrire.
+
+ Comme le roi mon maître écrit lui-même à S. M. impériale et royale,
+ je crois ne devoir pas occuper plus longtemps l'attention de V.
+ Excellence sur l'effet que le décret dont il s'agit vient de
+ produire ni sur les observations à faire sur son contenu, puisque M.
+ le chevalier Bourdeaux, qui aura l'honneur de remettre cette lettre
+ à V. Excellence, est chargé de faire des représentations à ce sujet.
+ Je me borne donc à la prier qu'elle veuille bien les recevoir comme
+ officielles, et qu'ajoutant foi à tout ce que pourra lui dire M.
+ Bourdeaux sur la manière dont le blocus s'observe dans ce royaume,
+ elle veuille bien intercéder auprès de S. M. impériale et royale
+ pour que le décret soit modifié de manière à ce qu'il n'en reste
+ aucune impression désavantageuse ni pour le roi ni pour ses sujets,
+ ou que du moins il plaise à S. Majesté de faire voir par un
+ témoignage public de son contentement et de sa bienveillance à notre
+ égard, que le but du décret n'a rien qui doive inspirer de la peine
+ ou de l'inquiétude aux habitants de ce royaume.
+
+ Qu'avant de finir V. Excellence me permette de lui transmettre
+ encore une seule réflexion particulière: c'est que, d'après ma
+ manière de voir, un sentiment pareil à celui dont j'ai parlé
+ ci-dessus ne saurait manquer d'être toujours mis à profit par
+ l'ennemi pour faire naître un mauvais esprit là où il n'existe pas,
+ et que c'est même une raison de plus pour ceux qui ont de bonnes
+ dispositions de souhaiter de voir écarter tout ce qui peut produire
+ un effet si peu désirable.
+
+
+ CADORE À ROËLL.
+
+ Erfurth, 12 octobre.
+
+ M. le chevalier Bourdeaux m'a remis la lettre que vous m'avez fait
+ l'honneur de m'écrire. Je lui ai procuré sans délai une audience de
+ l'empereur, et il a eu l'honneur de remettre à S. Majesté la lettre
+ de S. Majesté le roi de Hollande. J'avais précédemment entretenu S.
+ M. l'empereur du sujet de la mission de M. le chevalier Bourdeaux et
+ je lui avais lu la lettre que vous m'avez adressée. Je suis autorisé
+ à vous déclarer que rien ne serait plus mal fondé que la supposition
+ qu'on aurait voulu comparer et mettre sur la même ligne les peuples
+ de la Hollande et de l'Espagne, un peuple patient, soumis, éclairé,
+ qui supporte avec courage de grands sacrifices, et des hommes
+ aveugles, égarés par l'ignorance et la violence de leurs passions,
+ et qui repoussent dans leur délire le bien qui leur est offert. Le
+ décret qui vous a donné lieu de faire cette supposition est tout à
+ fait étranger aux affaires politiques. Il a été proposé par le
+ ministre des finances, discuté au conseil d'État; c'est un décret
+ d'administration intérieure dicté par les intérêts de cette
+ administration. L'empereur en a plus particulièrement fait connaître
+ les motifs au chevalier Bourdeaux. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit
+ Sa Majesté, M. Bourdeaux en rendra compte au roi. J'ajoute seulement
+ que, dans le moment où nous cherchons à établir par des bâtiments
+ qu'on a appelés _aventuriers_ des relations directes avec nos
+ colonies, on ne doit pas être étonné que nous cherchions à
+ décourager les importations des denrées coloniales qui sont faites
+ par les étrangers. Sa Majesté l'empereur m'a annoncé l'intention de
+ répondre à Sa Majesté le roi et de charger M. le chevalier Bourdeaux
+ de cette réponse[151].
+
+ [Note 151: En effet, M. Bourdeaux rapporta au roi une lettre
+ de l'empereur datée d'Erfurth, 12 octobre, lettre toute de
+ persiflage et frisant l'impertinence, contenant le refus de
+ remplacer près de lui l'ambassadeur comte de Larochefoucauld.
+ Les relations entre les deux souverains ne pouvaient être
+ plus tendues.]
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 décembre.
+
+ J'avais été surpris d'apprendre que Sa Majesté avait terminé
+ l'affaire de la prise de _l'America_ au moment même où je recevais
+ la réponse de V. Excellence et avant que ma dernière note ait pu
+ parvenir au ministre; mais m'étant aperçu depuis longtemps que
+ toutes les dépêches de V. Excellence étaient ouvertes avant de
+ m'être remises, je me suis assuré que celle-ci avait eu le même
+ sort. Il devient donc plus que probable que les ministres hollandais
+ auront craint de continuer une opposition devenue inutile et auront
+ engagé le roi à prendre une décision conforme au désir de
+ l'empereur. Au reste, V. Excellence n'entendra plus parler de cette
+ affaire, le vice-consul ayant touché les fonds.
+
+
+Nous terminerons cette curieuse correspondance diplomatique relative
+aux affaires de la Hollande en 1808, par deux lettres, écrites les 3
+et 24 septembre d'Amsterdam par le prince Dolgorouki, ministre de
+Russie en Hollande, à M. le comte de Romanzoff, ministre des
+relations extérieures de Russie; toutes deux avaient été copiées à
+la poste. Ainsi, M. de Larochefoucauld avait trouvé moyen d'obtenir
+des copies de dépêches étrangères importantes. On a vu, par la
+lettre précédente, que le gouvernement hollandais agissait du reste
+de la même manière à l'égard de la France.
+
+
+ Avant-hier le roi de Hollande arriva vers les huit heures du soir à
+ Amsterdam et y fut reçu aux plus vives acclamations d'une foule de
+ peuple immense. Des inquiétudes sur l'état de sa santé, le bruit
+ qu'on s'était plu à répandre qu'il avait été mandé à Paris pour
+ assister à une réunion de famille, et plus que cela, un passage mal
+ rédigé du programme de la fête à célébrer le 2 de ce mois, avaient
+ fait craindre qu'il n'y viendrait pas, et cette crainte redoubla
+ l'expression de la joie qu'on a éprouvée à le revoir. La journée
+ d'hier lui a prouvé à quel point il était aimé; des gens de
+ différents partis et d'opinions opposées se sont empressés de se
+ rendre à la cour, et l'on a remarqué qu'il y avait au moins deux
+ fois plus de monde qu'à la fête du 15 août. Ce jour-là le roi
+ portait l'ordre de Hollande et celui de la Toison d'or; mais hier il
+ n'était décoré que du seul ordre de Saint-André. S. Majesté me dit
+ au cercle diplomatique: «Monsieur le prince Dolgorouki, j'aurai bien
+ des choses à vous dire la première fois que nous causerons ensemble.
+ Mon ministre m'a transmis tout ce que l'empereur Alexandre lui a dit
+ à mon sujet, et j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance; je
+ n'ai pu aussi qu'être très flatté de la manière dont S. M.
+ l'empereur a bien voulu distribuer les cordons de Hollande que
+ j'avais mis à sa disposition; aussi, pour célébrer ma fête, je n'ai
+ pas cru pouvoir mieux faire que de me décorer de l'ordre de mon
+ frère Alexandre. J'ai un secret pressentiment que c'est à lui que
+ nous devons la paix générale. C'est le plus beau rôle à jouer que
+ celui de pacificateur du monde, et ce rôle lui est réservé. Je fais
+ continuellement des voeux pour qu'il éloigne de nous toute idée de
+ guerre.»
+
+ M. Roëll me souffla à l'oreille que M. de Six[152] avait dîné chez
+ l'empereur, mon maître; qu'il avait apprécié cette distinction,
+ qu'il en était tout glorieux et qu'on avait été enchanté ici de ses
+ dernières dépêches.
+
+ [Note 152: L'ambassadeur de Hollande à Saint-Pétersbourg.]
+
+ Le roi revint ensuite à moi pour m'annoncer que le bataillon de
+ Gorcum serait prêt dans quatre jours. Il m'engagea à être indulgent,
+ ajoutant qu'il aurait voulu faire davantage, mais que le temps
+ manquait et qu'il avait pensé qu'il serait plus utile d'en presser
+ le départ avant la mauvaise saison.
+
+ Le ministre de la guerre, faute de logement, a donné hier un grand
+ dîner dans une auberge. M. Roëll, moins mal logé, a invité chez lui
+ le corps diplomatique. Les envoyés de Danemark et de Bavière, tous
+ deux très malades, n'y sont pas venus. S. Majesté voulait dîner avec
+ les ministres de famille, mais le baron de Munchhausen, envoyé de
+ Westphalie, eut seul cet honneur, dont l'ambassadeur de France n'a
+ pas pu profiter, étant attaqué d'une inflammation de la vessie.
+
+ Le bal de la cour a été très nombreux et très brillant; les quatre
+ nouvelles dames du palais ont été présentées. Le roi a paru très
+ gai, très bien portant et a fort bien supporté les fatigues de cette
+ journée qui a été terminée par un souper de quatre cents couverts,
+ auquel cependant il n'assista point. Ma femme et moi nous fûmes
+ placés à la table de S. Majesté, dont le grand maréchal fit les
+ honneurs. Le palais, ainsi que les principaux édifices de la ville,
+ ont été illuminés; les théâtres furent ouverts gratis et 20,000
+ florins furent distribués aux pauvres.
+
+
+ Deuxième lettre.
+
+ Le _Moniteur_ du 13 septembre nous rapporte le discours du comte
+ Regnault de Saint-Jean-d'Angély relatif à la conscription de 1810.
+ Déjà, y est-il dit, les côtes de France, de Russie, d'Italie,
+ d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-Bretagne.
+
+
+Comme dans ce passage il n'est pas fait mention des côtes de la
+Hollande, on ignore si cette omission provient de ce que les côtes
+hollandaises sont censées appartenir à la France, ou bien qu'on ne
+les croit pas entièrement interdites à la Grande-Bretagne. Cette
+dernière supposition acquiert un plus haut degré de probabilité par
+un nouveau décret de l'empereur, qui défend d'introduire en France
+les denrées coloniales qu'on pourrait vouloir y faire passer
+d'Espagne, de Portugal ou de Hollande. Les bons Hollandais,
+scrupuleux observateurs des lois et des ordonnances de leur pays,
+voient avec douleur que l'empereur les assimile ainsi aux Espagnols
+et aux Portugais, avec lesquels ils n'ont rien de commun. Car il est
+bien certain qu'il n'y a aucun rapport ni aucune relation entre la
+Hollande et l'Angleterre, à moins qu'on ne regarde comme tels
+l'arrivée ou le départ de quelques individus qui, de temps à autre,
+parviennent, au risque de leur vie, à se soustraire à la vigilance
+des douaniers et des gardes-côtes, ce qui est très rare et ne pourra
+jamais être empêché par des mesures plus strictes que celles qu'on
+emploie maintenant. Il y a quelque temps qu'un particulier s'étant
+jeté dans une nacelle à Sendvaart pour passer en Angleterre, fut tué
+d'un coup de fusil par un douanier hollandais. Un autre particulier,
+plus heureux, après s'être tranquillement promené le long des dunes
+de Schvesingen, s'est précipité à la mer et a gagné un cutter
+anglais à la nage. Ces faits prouvent bien à quel point est poussée
+la surveillance, puisqu'on est obligé de recourir à des moyens si
+violents pour s'y soustraire. Enfin, comme je l'ai déjà dit, il n'y
+a ici ni marchandises ni gazettes anglaises, sinon de loin en loin,
+et par pièces et morceaux, et le plus souvent arrivant par Anvers.
+
+L'existence de la Hollande paraît à tous égards péricliter de plus
+en plus. Onze cent millions de dettes qui absorbent annuellement
+quarante millions d'intérêt, et les fortes impositions que le défaut
+de commerce met dans l'impuissance d'acquitter, doivent
+nécessairement amener dans peu une banqueroute générale. Le manque
+de numéraire commence déjà à se faire sentir, ainsi que celui des
+lingots d'or et d'argent regardés comme marchandises.
+
+
+ANNÉE 1809.
+
+
+ DE LAROCHEFOUCAULD AU DUC DE CADORE.
+
+ Amsterdam, 23 janvier 1809.
+
+ Monsieur, j'ai l'honneur d'accuser réception à V. Excellence de la
+ lettre par laquelle elle m'enjoint de notifier à la cour de Hollande
+ l'intention de S. M. impériale et royale que le roi son auguste
+ frère imite son exemple en ne recevant pas, de la cour de Rome, les
+ cierges bénits qu'elle est dans l'usage d'envoyer aux différentes
+ cours catholiques.
+
+ J'ai exécuté à cet égard les ordres de V. Excellence, et j'aurai
+ l'honneur de lui transmettre la réponse que je recevrai du
+ gouvernement hollandais.
+
+
+Le 13 février, le ministre de Hollande prévient le ministre de
+France que le roi ne recevrait pas les cierges bénits, se plaint de
+la froideur polie du roi à son égard et ajoute:
+
+
+ Il est vrai qu'ignorant les intentions de l'empereur j'ai cru devoir
+ me mettre en mesure d'exécuter tels ordres qu'il plairait à ma cour
+ de me donner; j'ai donc désabusé le commerce et presque la totalité
+ des Hollandais de la fausse idée que l'empereur était la cause de
+ leurs malheurs et voulait leur ruine.
+
+ J'ai séparé ce que l'on devait attribuer à la force des événements
+ de ce qui tenait à la conduite blâmable du gouvernement hollandais;
+ j'ai assuré que la multiplicité des décrets dont on se plaignait
+ n'était pas ordonnée par l'empereur, comme on cherchait à le faire
+ croire; enfin j'ai prouvé à la saine partie de la nation que son
+ véritable intérêt était d'être attachée à mon souverain, la Hollande
+ ne pouvant attendre de salut que des bontés de l'empereur. Je crois
+ pouvoir assurer à V. Excellence que j'ai pleinement réussi.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 6 février.
+
+ Monsieur, nos occupations sont maintenant bien tristes en Hollande.
+ La plus grande partie des provinces méridionales de ce royaume est
+ submergée et les détails qui nous arrivent journellement sont loin
+ d'être rassurants, etc.
+
+ Le roi qui, comme j'ai eu l'honneur de le mander à V. Excellence,
+ est parti il y a près de quinze jours, après s'être arrêté 24 heures
+ à Utrecht, a été jusqu'à la ville de Gorcum. Il paraît que dans
+ cette dernière ville S. Majesté a couru de grands dangers et que les
+ ordres qu'elle a donnés, ainsi que le courage, que la présence du
+ souverain impose toujours, ont fortement contribué à garantir de
+ l'inondation la partie de la ville de Gorcum située dans la province
+ de Hollande. La partie gueldroise de cette ville était déjà sous
+ l'eau, et ce n'est qu'à force de monde qu'on a pu préserver la digue
+ qui sépare les deux parties de cette même ville. Je regrette
+ qu'après avoir terminé ce voyage, qui fait d'autant plus d'honneur
+ au roi que sa santé est délicate, S. Majesté n'ait pas cru devoir
+ revenir dans sa capitale. Le roi est resté à Utrecht où il est
+ depuis plusieurs jours et où il a fait venir une grande partie de sa
+ maison. Tous les ministres ont été appelés avant-hier. D'un autre
+ côté, la prorogation des séances du Corps législatif, qui retient à
+ Amsterdam les plus riches propriétaires, ne leur avait fait aucun
+ plaisir, et l'absence du roi leur fait craindre que l'époque fixée
+ au 15 mars ne soit encore insuffisante...
+
+ Il existe donc un mécontentement qui balance les justes éloges que
+ l'on se plaît à rendre à la conduite personnelle du roi.
+
+
+Le ministre terminait cette lettre en se plaignant de ce que le roi
+avait voulu recevoir un Français alors en Hollande, M. Faypault,
+ancien préfet, sans qu'il soit présenté à son audience par lui,
+comte de Larochefoucauld, ministre de France. L'empereur fit
+répondre, le 24 février, que le roi son frère pouvait, à cet égard,
+agir comme bon lui semblait[153].
+
+ [Note 153: On voit, d'après cela, qu'il y avait pique entre
+ le roi et le ministre de France.]
+
+
+ Dépêche secrète.
+
+ WERHUELL À ROËLL.
+
+ Paris, 3 février 1809.
+
+ La situation déplorable de la Hollande est connue et appréciée à
+ Paris.--On voudrait y porter remède pourvu qu'on n'enfreignit pas le
+ système du blocus.--Il y a d'ailleurs défaut de confiance dans le
+ gouvernement hollandais. Il faudrait demander quelles sont les
+ intentions précises de l'empereur sur le blocus.--En se bornant aux
+ mesures prises en France, on obtiendrait une amélioration réelle. Ce
+ qu'on a fait en plus a paru illusoire et suspect.--Une convention
+ fixe devrait stipuler les moyens de surveillance. Il ne pense pas
+ qu'on se contente d'une surveillance purement hollandaise. On
+ voudrait y adjoindre sans doute temporairement une inspection
+ française; à ce prix on pourrait obtenir l'abaissement des tarifs
+ sur divers objets et faciliter l'échange entre les deux pays.--Le
+ cabotage pourrait se faire sous protection de bateaux armés.--Il
+ faudrait dresser une liste d'objets sur lesquels porterait
+ l'abaissement des tarifs, pour les présenter dans un mémoire étendu
+ sur la situation de la Hollande.--Le point délicat est l'inspection
+ française de la surveillance; mais il croit qu'il n'y a rien à faire
+ sans cela.
+
+
+Cette dépêche étant parvenue au roi par l'entremise de son ministre
+des affaires étrangères, Sa Majesté écrivit au-dessous:
+
+
+ Amsterdam, 20 février 1809.
+
+ Nous renvoyons le rapport ci-joint à notre ministre des affaires
+ étrangères pour répondre au maréchal Werhuell de donner la note
+ diplomatique d'après laquelle il a fait sa dépêche, parce qu'il
+ m'est impossible de croire que le maréchal soit assez jeune homme
+ pour ne pas sentir que ce n'est pas dans ce sens qu'on doit écrire.
+ Quelle que soit son opinion, c'est la nôtre qu'il doit embrasser.
+
+ Il est là pour la faire valoir et la défendre, et pour ne jamais
+ donner tort à son pays, quelque chose qui s'y fasse. Notre ministre
+ susdit lui fera connaître de plus que nous avons particulièrement
+ marqué la phrase: _Car Sa Majesté l'empereur ne souffrira pas qu'on
+ se serve, etc._, phrase qui peut appartenir au ministre de
+ l'empereur de dire, mais qui n'appartient à qui que ce soit d'autre
+ de nous adresser, et principalement à un Hollandais, quand cela
+ vient de notre ambassadeur, cela nous paraît tout à fait
+ incompréhensible.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 13 février.
+
+ Sa Majesté est arrivée hier d'Utrecht à 7 heures du matin. On
+ m'assure que le roi n'est pas incommodé des fatigues qu'il a
+ souffertes dans ses différentes courses. Enfin il est pénible de
+ voir que, lorsque le pays est si bien disposé, le gouvernement le
+ soit aussi peu à rendre justice aux Français, ce qui m'oblige à
+ réclamer très souvent pour des objets qui ne devraient pas faire la
+ moindre difficulté. Le gouvernement hollandais est inquiet; mille
+ choses me le prouvent. Non seulement l'on m'a fait plusieurs
+ questions, mais encore l'on s'est adressé à d'autres personnes que
+ l'on supposait instruites. L'ambassadeur n'écrit rien et son silence
+ étonne et afflige.--Si le gouvernement attend avec impatience et
+ crainte ce que l'empereur décidera, les vrais Hollandais ne sont pas
+ moins tourmentés de l'incertitude de leur situation politique. Les
+ têtes sages regardent l'absence de la reine comme une preuve de
+ l'instabilité de leur position. Plusieurs personnes marquantes m'en
+ ont parlé souvent dans ce sens. Elles craignent pour leur patrie
+ tant que leur souveraine n'est pas au milieu d'eux, comme un gage
+ des bontés de Sa Majesté impériale et royale pour la Hollande. Cette
+ opinion est générale, elle occupe tous les amis de l'indépendance de
+ ce pays-ci, qui savent et reconnaissent qu'ils ne peuvent avoir
+ d'autre système politique que celui de la France et qui voient à
+ regret que leur gouvernement dépasse souvent les hautes conceptions
+ de l'empereur sans jamais en atteindre le but.
+
+
+Décret de l'empereur (3 mars) cédant en toute souveraineté au prince
+Napoléon-Louis, fils aîné du roi de Hollande, le grand-duché de Berg
+et Clèves, qui lui était rétrocédé par Murat par suite du traité de
+Bayonne du 15 juillet 1808[154].
+
+ [Note 154: Ce prince Napoléon-Louis était le second fils du
+ roi. Le premier était mort l'année précédente; le second,
+ celui-ci, mourut en 1831, de la rougeole, à Forli, ou
+ empoisonné pendant l'insurrection des Romagnes, où il avait
+ pris parti contre le pape avec son frère, plus tard
+ l'empereur Napoléon III.]
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 28 février.
+
+ Votre Excellence connaît tout l'empressement que le roi mon maître a
+ mis à concourir aux mesures du blocus des Îles Britanniques
+ décrétées par S. M. impériale et royale. Elle sait également que Sa
+ Majesté n'a pas borné ses dispositions à celles qui existaient à ce
+ sujet en France, mais que, pour ôter à ses sujets jusqu'à la
+ possibilité même d'entretenir des relations de commerce avec
+ l'ennemi, elle a cru devoir fermer pendant quelque temps ses ports à
+ toute espèce de navigation et suspendre l'exportation des produits
+ du sol et de l'industrie nationale, même pour les ports neutres et
+ amis.
+
+ En imposant à son peuple des sacrifices dont l'histoire n'offre
+ guère d'exemple, Sa Majesté a donné la plus éclatante preuve de la
+ pureté de ses intentions et de son dévouement à la personne de S. M.
+ impériale et royale. Mais un système qui ôte à un peuple commerçant
+ tous les moyens de faire le commerce ne saurait être suivi que
+ pendant un très court espace de temps, et Sa Majesté est maintenant
+ convaincue de l'impossibilité d'y persister davantage sans que la
+ ruine d'un très grand nombre de ses sujets n'en soit le résultat
+ inévitable.
+
+ N'ayant cependant et ne pouvant même avoir d'autre volonté que celle
+ d'entrer dans les mesures que son auguste frère a conçues pour le
+ continent, Sa Majesté a réfléchi sur les moyens de concilier les
+ dispositions du blocus avec les besoins de son peuple, et elle s'est
+ déterminée à adopter pour son pays toutes les mesures que le
+ gouvernement français a prises ou pourrait prendre encore durant
+ cette guerre à l'effet d'empêcher les communications avec
+ l'Angleterre et avec les possessions britanniques dans les deux
+ Indes, mais à accorder aussi à ses nationaux les mêmes avantages que
+ S. M. impériale et royale laisse au commerce français.
+
+ Chargé d'avoir l'honneur d'informer V. Excellence des dispositions
+ que Sa Majesté compte introduire avec le commencement du mois
+ prochain, je m'en acquitte par la présente et profite en même temps
+ de l'occasion pour lui exprimer de nouveau les voeux de ma cour,
+ qu'il plaise à S. M. impériale et royale de supprimer le décret du
+ 16 septembre dernier et de rétablir les relations du commerce entre
+ les deux pays sur le même pied où elles étaient avant cette époque.
+ Le roi m'a autorisé à donner les assurances les plus positives qu'il
+ emploierait tous les moyens qui sont en son pouvoir à surveiller la
+ stricte exécution des mesures adoptées pour empêcher toute
+ communication avec l'ennemi. L'organisation actuelle des douanes
+ hollandaises, au sujet de laquelle V. Excellence m'a demandé
+ quelques renseignements que j'ai l'honneur de lui adresser
+ ci-joints, offre à cet effet bien des ressources. Sa Majesté les
+ augmentera de toute manière et elle recevra avec reconnaissance les
+ projets d'amélioration que le gouvernement français voudra bien lui
+ soumettre.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 6 mars.
+
+ On a reçu plusieurs fois des nouvelles du roi. Sa Majesté, le jour
+ même de son départ, a été au Loo, d'où elle a fait quelques petites
+ excursions. Elle est partie trois jours après pour Zvol et l'on
+ suppose qu'elle continuera sa tournée pour l'Over-Yssel et que
+ peut-être elle reviendra par le Brabant. Le roi voyage avec le
+ ministre de l'intérieur et celui des cultes. Sa Majesté est en outre
+ accompagnée des officiers de sa maison que j'ai eu l'honneur de
+ désigner à V. Excellence dans mon dernier numéro. On assure que le
+ roi est bien portant et content de son voyage. Le ministre de
+ Wesphalie a reçu un courrier du roi Jérôme. Il est en conséquence
+ parti sur-le-champ pour rejoindre Sa Majesté le roi de Hollande. Les
+ communications entre ces deux cours sont très fréquentes. V.
+ Excellence sait mieux que personne que Varel[155] est rendu à S. A.
+ le duc d'Oldenbourg; M. Berger, qui était chargé ici de suivre cette
+ négociation, est sur le point de repartir. Il doit remettre
+ aujourd'hui à M. Roëll une boîte avec le portrait du duc. Je
+ rappellerai à V. Excellence la nécessité d'empêcher que cette
+ restitution ne nuise à l'ensemble des mesures prises pour empêcher
+ la contrebande. Varel peut devenir très nuisible s'il n'est pas bien
+ gardé. On m'a assuré qu'il serait occupé par des troupes françaises:
+ de cette manière, tout est bien. Dans le cas contraire, il
+ deviendrait indispensable de surveiller la communication entre Varel
+ et Helgoland. On s'occupe ici d'un nouveau cérémonial,
+ malheureusement les grands officiers de la couronne qui sont chargés
+ de ce travail sont peu propres à remplir sur cet objet les
+ intentions du roi. Aucun n'a connu les cours étrangères et, par
+ conséquent, ne peut juger du bien ou des inconvénients de telles ou
+ telles étiquettes. Au reste nous avons grand besoin d'un changement,
+ car rien n'est fixé. Il y a quelques jours, le corps diplomatique
+ avait été invité au bal du roi par le chambellan de service, et l'on
+ apprit par le ministre des affaires étrangères, à 6 heures du soir,
+ que le bal n'aurait pas lieu le même jour, à 8 heures; et la note
+ officielle qui annonçait ce changement prévenait aussi qu'une
+ audience diplomatique qui devait précéder le bal était ajournée,
+ tandis que personne n'avait connaissance de cette audience.
+
+ [Note 155: Varel, ville située près des embouchures du Vezer,
+ à 30 kil. nord d'Oldenbourg.]
+
+ Je regrette de n'avoir pu remplir les ordres de V. Excellence,
+ relativement à l'article qu'elle m'avait chargé de faire insérer
+ dans la gazette hollandaise la plus répandue; mais il avait paru
+ dans la _Gazette royale_, deux jours auparavant, un article que j'ai
+ l'honneur de vous envoyer. Il avait été publié par ordre du roi,
+ d'après, ce que l'on assure, les informations venues à Sa Majesté
+ par M. Jacobson, son ministre près S. A. I. le prince Primat. Les
+ différents rédacteurs ont eu peur que l'on ne regardât cet article
+ comme une réfutation de celui de la _Gazette royale_, et, comme ils
+ sont sujets à une censure sévère, ils ont demandé qu'on les garantît
+ de ce qu'on pourrait leur dire à ce sujet. J'ai pensé que cela ne
+ remplissait pas le but de V. Excellence, et je me suis contenté de
+ faire passer, par une main sûre, ce même article à Hambourg, où il
+ sera rendu public et d'où il reviendra en Hollande sans que l'on
+ puisse soupçonner qu'il vienne de moi. Au surplus, j'ai employé des
+ personnes si sûres, que je puis répondre que personne n'a
+ connaissance de ce que j'ai fait et voulu faire.
+
+ On répandait hier en ville que la véritable raison du départ du roi
+ était une entrevue que Sa Majesté devait avoir avec le roi de
+ Westphalie. On disait aussi que le baron de Münchhausen n'était
+ parti que pour rejoindre son souverain.
+
+ On croit ici à la guerre. Les lettres de Paris et celles de Vienne
+ en contiennent l'assurance. On ne peut plus placer aucun papier sur
+ cette dernière place, à quel taux que ce soit. On parle aussi d'une
+ expédition du Danemark contre la Suède, et l'on assure qu'une
+ immense quantité de marchandises anglaises et coloniales trouve un
+ débouché en Russie. Au reste, toutes ces nouvelles sont des _on dit_
+ que V. Excellence peut apprécier mieux que personne. Ce qui n'est
+ pas une chose incertaine, c'est la position affreuse de la Hollande
+ et la nécessité de s'occuper de son sort. Toute la ville assure que
+ le retour de la reine est très prochain, et cette idée plaît
+ généralement.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ 23 mars.
+
+ Le dernier décret de l'empereur au sujet du grand-duché de Berg a
+ été l'objet de toutes les conversations et chacun s'est permis d'en
+ tirer des conséquences. On aurait désiré que la Hollande retirât
+ quelques avantages présents de cette donation.
+
+ Je n'ai pas à me plaindre maintenant de la marche des affaires,
+ elles se traitent mieux qu'elles ne le faisaient anciennement, et,
+ depuis quelque temps, je crois que la contrebande continue et
+ qu'aucun bâtiment n'est admis dans les ports; mais cette situation
+ ne peut durer longtemps. Le besoin d'exportation se fait sentir tous
+ les jours davantage, et on me parle souvent du décret qui empêche
+ l'entrée en France des denrées coloniales et autres. Je rappelle
+ souvent cet objet à Votre Excellence, mais j'y suis forcé, étant
+ continuellement pressé de solliciter les bontés de l'empereur à ce
+ sujet.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ 30 mars.
+
+ ... Le roi m'a paru peiné d'avoir appris que l'empereur croyait que
+ les communications de la Hollande avec l'Angleterre étaient
+ rétablies. Il me dit que faisant autant, il était fâché de voir la
+ même opinion subsister encore. Il me fit ensuite l'honneur de
+ m'annoncer que S. M. impériale et royale n'ayant pas répondu à son
+ projet d'exportation, elle regardait ce silence comme une
+ approbation et donnait des ordres en conséquence.--Je dois avoir
+ l'honneur d'affirmer à Votre Excellence que, quoique j'exerce la
+ plus grande surveillance sur ce qui se passe dans les ports de la
+ Hollande, je ne me suis aperçu d'aucune entrée de bâtiments chargés
+ de marchandises prohibées; que certainement il se fait quelque
+ contrebande surtout par la Frise et Helgoland, mais que cette
+ introduction est si peu considérable que tous les articles défendus
+ n'éprouvent aucune baisse à la bourse. Enfin je ne puis que répéter
+ la satisfaction que j'ai éprouvée de trouver le roi dans de bonnes
+ dispositions et de m'être aperçu que Sa Majesté paraissait sentir
+ que les choses n'avaient pas été jusqu'à présent comme nous avions
+ lieu de le désirer et qu'il était dans l'intention de changer ce qui
+ pouvait avoir déplu à l'empereur. Il est possible que je me flatte
+ et que cette bonne direction ne soit pas de longue durée. J'espère
+ le contraire et ferai mon possible pour entretenir le roi dans cette
+ nouvelle marche.--Votre Excellence aura vu, dans les papiers
+ anglais, la défense de laisser en Angleterre les beurres, les
+ fromages et les genièvres venant de Hollande. Ceci me paraîtrait
+ prouver que les mesures contre l'introduction des marchandises
+ anglaises sont bien exécutées dans ce pays-ci.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 11 avril.
+
+ J'ai reçu les ordres les plus pressants du roi mon maître, de
+ communiquer confidentiellement à Votre Excellence les inquiétudes
+ dans lesquelles Sa Majesté se trouve au sujet des préparatifs
+ secrets qui se font actuellement dans les ports de l'Angleterre et
+ qui pourraient bien être dirigés contre les côtes de la Hollande.
+
+ Ce qui paraît autoriser cette idée, c'est que depuis quelque temps
+ les Anglais prennent et amènent nos pêcheurs, qu'ils s'approchent
+ plus constamment et plus près des côtes, qu'enfin, depuis quelques
+ jours, ils reconnaissent les côtes et sont occupés à sonder partout
+ où elles présentent des facilités pour un débarquement.
+
+ Les forces que le roi a de disponibles pour s'opposer à un projet de
+ débarquement quelconque sont extrêmement faibles; il ne reste à Sa
+ Majesté que ses gardes et deux bataillons qu'elle a donné l'ordre de
+ concentrer et de faire camper pour en tirer le meilleur parti en cas
+ de besoin. Elle fait armer en même temps la garde nationale, mais
+ elle ne se dissimule pas combien peu elle doit se reposer sur ces
+ deux ressources, et que son pays serait essentiellement exposé si
+ elle ne peut pas augmenter son corps d'armée, n'ayant d'ailleurs
+ pour la garde des côtes que quelques canonniers et quelques hussards
+ de distance en distance.
+
+ Je prie Votre Excellence de mettre cet état de choses sous les yeux
+ de S. M. l'empereur, qui saisira d'un coup d'oeil tous les dangers
+ de la Hollande, et accueillera, je l'espère, les sollicitations du
+ roi pour que les troupes hollandaises, actuellement dans le nord de
+ l'Allemagne, puissent rejoindre le pays et contribuer à sa défense.
+ Le roi m'a chargé de demander cette faveur avec d'autant plus
+ d'instance qu'elle regarde que la réunion de ces troupes à celles
+ qui lui restent lui donnera à peine les forces suffisantes pour
+ faire une résistance convenable à une attaque éventuelle[156].
+
+ [Note 156: L'empereur refusa de rendre les troupes
+ hollandaises.]
+
+ Le roi mon maître, en me donnant les ordres ci-dessus énoncés, m'a
+ envoyé en même temps deux lettres pour son très auguste frère, et
+ m'a enjoint de solliciter une audience particulière de Sa Majesté
+ pour avoir l'honneur de les lui remettre. Je serais très flatté si
+ Votre Excellence voudrait en faire part à S. M. impériale et royale
+ et m'obtenir cette grâce.
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 23 mai.
+
+ Les nouvelles entraves qu'éprouve de toutes parts le commerce
+ hollandais m'imposent le devoir de renouveler à Votre Excellence
+ avec les plus vives instances les démarches que j'ai déjà eu
+ l'honneur de faire plus d'une fois pour obtenir de S. M. l'empereur
+ et roi que les relations commerciales entre la France et la Hollande
+ soient rétablies sur le même pied où elles étaient avant les mesures
+ prohibitives émanées de France dans le mois de septembre dernier.
+
+ Votre Excellence sait que l'implacable ennemi de la prospérité
+ hollandaise vient de déclarer de nouveau en état de blocus tous les
+ ports de la Hollande. Il empêche également la sortie des bâtiments
+ neutres chargés de productions hollandaises, et comme la saison où
+ nous sommes entrés permet à ses nombreuses croisières d'observer
+ toute l'étendue de nos côtes d'un bout à l'autre, le peu de commerce
+ qui restait encore à ce pays est par là entièrement détruit.
+
+ L'inimitié entre les deux nations est à son comble, et si
+ l'Angleterre pouvait anéantir aujourd'hui toute la Hollande, elle y
+ emploierait tous ses moyens et regarderait la destruction de son
+ ancienne rivale comme la plus grande conquête remportée sur
+ l'industrie des autres nations.
+
+ Il paraît que ce nouvel acharnement est une suite de la sévérité
+ avec laquelle le roi a fait exécuter dans les ports de son royaume
+ les mesures du blocus. Les Anglais ont cru devoir s'en venger. Mais
+ le peuple hollandais, habitué depuis longtemps aux plus grands
+ sacrifices, toujours ferme et inébranlable dans ses principes, ne
+ ralentira pas ses efforts pour la cause commune. Il aime à nourrir
+ l'espoir qu'il trouvera dans ses relations avec la France une
+ compensation à ses pertes.
+
+ Le roi mon maître, plaçant dans cet état de choses, comme toujours,
+ sa confiance entière dans l'amitié de son très auguste frère, se
+ flatte que S. M. impériale et royale voudra bien prendre en
+ considération qu'il est impossible que la Hollande reste entre deux
+ prohibitions, et désire vivement qu'elle accorde la suppression du
+ décret du 16 septembre dernier qui pèse si fâcheusement sur les
+ liaisons commerciales entre les deux pays et est si nuisible à leurs
+ intérêts réciproques.
+
+ Votre Excellence connaît particulièrement la fâcheuse impression et
+ les funestes résultats que ce décret a produits en Hollande; je la
+ prie donc instamment de vouloir profiter de la première occasion
+ favorable pour mettre le contenu de cette lettre sous les yeux de S.
+ M. impériale et royale et d'honorer ma demande de son appui.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 30 avril.
+
+ Les affaires continuent à suivre une bonne direction, et je commence
+ à croire que véritablement l'intention du gouvernement hollandais
+ est changée. Le roi envoya hier à son ministre des affaires
+ étrangères le décret relatif à la sortie et à l'entrée des
+ marchandises indiquées dans ce décret. Il lui enjoignait de me le
+ communiquer; une fois le principe admis, je crois que la rédaction
+ des articles doit prévenir tous les abus.
+
+ N'ayant reçu aucune réponse de Votre Excellence au sujet de ce
+ décret, je dois supposer que S. M. impériale et royale y donne son
+ assentiment. Je n'ai donc pas cru devoir discuter le principe, mais
+ prendre simplement toutes les précautions possibles pour que le
+ système général de l'empereur ne souffre aucune atteinte. J'ai lieu
+ d'espérer que le gouvernement hollandais sera sévère, qu'il punira
+ de la manière la plus forte toute espèce de fraude. Je lui ai fait
+ entendre qu'il était indispensable pour le bien du commerce que
+ cette sévérité ne souffrît aucune exception, et je crois l'avoir
+ persuadé.
+
+ Le roi, par un décret du 2 de ce mois, vient de séparer
+ l'administration des douanes du ministère des finances.
+
+ Sa Majesté a nommé M. Van Meuwen, conseiller d'État dans la section
+ des finances, son administrateur général des douanes. M. Van Meuwen
+ est du Brabant. L'opinion générale me paraît être qu'il mettra du
+ zèle et de l'exactitude dans ses fonctions. Quant à ses moyens, ils
+ sont peu connus, du moins des personnes à qui j'en ai parlé. Je sais
+ de la manière la plus positive que ce décret du roi a été pris dans
+ l'intention d'entrer dans les vues de l'empereur et que Sa Majesté
+ l'a décidé sans en parler à ses ministres; celui des finances n'en
+ ayant été informé que lorsque le nouveau directeur général des
+ douanes est venu lui porter la lettre du roi qui lui annonçait sa
+ nomination.
+
+ Sa Majesté est attendue aujourd'hui pour dîner. Demain, il y a bal à
+ la cour, et, dans peu de jours, je crois que le roi ira en Zélande
+ et retournera à Utrecht.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 8 mai.
+
+ Je prie Votre Excellence de vouloir bien, lorsque l'occasion s'en
+ présentera, parler à l'empereur du décret du 16 octobre qui
+ interdit en France l'entrée de toutes les denrées coloniales venant
+ de la Hollande. Ce décret, indépendamment qu'il affecte beaucoup le
+ roi, nuit essentiellement au commerce de ce pays, qui ne trouve pas
+ de débouché pour les objets qu'il a encore en magasin. Il a de plus
+ l'inconvénient d'habituer les Hollandais à un commerce de
+ contrebande qui s'établit du côté du grand-duché de Berg.
+
+ J'ai de plus la certitude qu'il serait très agréable au roi que
+ l'empereur reconnût, et, plus encore, portât, ne fût-ce qu'un
+ instant, l'ordre que Sa Majesté a fondé. Si Votre Excellence pouvait
+ être autorisée à m'écrire quelques mots à ce sujet, je crois que
+ cela ferait grand plaisir au roi.
+
+ Le roi s'occupe maintenant à mettre la Zélande en état de défense.
+ Sa Majesté avait donné ordre que l'on désarmât l'île de Gorée; mais
+ sur les représentations qui ont été faites au roi, Sa Majesté a
+ rapporté cette décision, et la batterie de Borschin, jugée une des
+ plus importantes de la Zélande, vient d'être augmentée. Le colonel
+ Domrat, aide-de-camp du roi, commande le génie dans cette partie de
+ la Hollande.
+
+ Les camps ne sont pas encore établis. Les troupes sont cantonnées
+ dans les environs de Naarden et de Wesesp, c'est-à-dire très près
+ d'Amsterdam. Le général Tarayre est toujours destiné à commander le
+ camp qui doit être de 25,000 hommes. La division hollandaise qui
+ était à Brême, Hambourg, etc., est en marche pour se rendre à
+ Goettingue. Elle n'a laissé qu'environ 3,000 hommes pour garder les
+ positions qu'elle occupait.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 12 mai.
+
+ Le roi est arrivé avant-hier à 4 heures du matin. J'ai eu l'honneur
+ de voir Sa Majesté le même jour. Je l'ai trouvée en parfaite santé
+ et point fatiguée de ses voyages, malgré la chaleur étouffante qu'il
+ fait ici depuis trois semaines. Il paraît que le projet du roi est
+ de rester peu de jours à Amsterdam. Sa Majesté doit aller à
+ Southdeck et au Loo, mais elle reviendra souvent dans sa résidence
+ où sa présence ne peut produire qu'un bon effet. Le roi a été à
+ Flessingue. Il me semble que Sa Majesté m'a dit qu'elle avait écrit
+ à l'empereur. Elle a admiré notre flotte qui est maintenant composée
+ de dix vaisseaux de ligne; mais elle n'a pas été contente ni de
+ l'état dans lequel elle a trouvé la place ni de l'attitude de notre
+ amiral qui, à ce que j'ai appris, n'a rendu au roi que les honneurs
+ de prince français, mais pas ceux dus à son rang, ce qui m'a fait
+ d'autant plus de peine que, dans les circonstances présentes, le roi
+ marchant franchement au même but que l'empereur, il est utile et
+ nécessaire d'entourer Sa Majesté d'une force d'opinion dont elle a
+ besoin pour maintenir la tranquillité qui règne dans son royaume, et
+ que la bonne intelligence entre les deux cours et la grande
+ déférence pour le roi est l'arme la plus forte que l'on puisse
+ mettre dans les mains de Sa Majesté. J'ai donc soin de rejeter et
+ d'oublier tout ce qui s'est passé, même ce qui pourrait encore me
+ blesser, pour défendre le roi, dès que l'on cherche à attaquer
+ quelques-unes de ses actions. J'ai rendu compte à Votre Excellence
+ des pamphlets et des libelles qui ont circulé ici. De très mauvais
+ propos ont été dits et répétés à Amsterdam et des lettres anonymes
+ ont été écrites au roi. Sa Majesté a méprisé toutes ces attaques
+ indirectes. Une seule femme qui répandait ces libelles a été arrêtée
+ et est encore maintenant dans les mains de ta justice. L'exemple de
+ la Westphalie a, je crois, fait une grande impression sur le roi.
+ J'ai eu l'honneur de causer longtemps avec Sa Majesté, sur ce sujet;
+ je l'ai trouvée telle que je pouvais le désirer, et bien franchement
+ le frère de l'empereur. Le point sur lequel le gouvernement
+ hollandais doit avoir les yeux le plus ouverts est l'Ost-Frise où il
+ règne le plus mauvais esprit. Heureusement les Anglais ne cherchent
+ pas à y débarquer, car il est triste de penser qu'ils y seraient
+ reçus à bras ouverts. Plusieurs propositions d'actes de sévérité ont
+ été faites au roi, mais S. M. les a très sagement écartées. Elle ne
+ se fait pas illusion sur la position de l'Ost-Frise et sur la
+ contrebande qui s'y fait depuis cet hiver. Mais ce malheur
+ momentané, et qui n'a pas de grandes conséquences, ne peut pas
+ entrer en comparaison avec le danger d'exciter des troubles, qu'il
+ serait peut-être ensuite difficile d'apaiser. La Hollande est
+ dépourvue de troupes. La formation de la garde nationale a souffert
+ de grandes difficultés. Il deviendrait donc impossible d'employer de
+ grands moyens de répression dans un pays où il n'y a plus d'esprit
+ public. Le roi se contente de diminuer le mal autant que possible,
+ en attendant une époque plus heureuse pour l'extirper entièrement.
+ Les finances sont toujours l'objet de la plus grande sollicitude; le
+ commerce diminue, les moyens s'affaiblissent, et j'ignore comment
+ l'on fera ici si cet état de choses doit durer longtemps. Nous
+ aurions besoin en Hollande d'une preuve d'approbation de l'empereur,
+ et d'un de ces mots que S. M. impériale et royale sait dire si à
+ propos pour donner du courage et de la force aux gouvernements et de
+ l'espérance aux habitants. V. Excellence ne doute pas que l'espoir
+ de nos ennemis soit dans le peu de confiance qu'ils croient que nous
+ devons avoir dans la Russie. Il est donc malheureux que nous n'ayons
+ pas ici un ministre de cette nation plus prononcé. Le prince
+ Dolgorouki, sans tenir ouvertement une conduite opposée à notre
+ cour, n'est pas tel que je pourrais le désirer, et sa manière de
+ partager nos succès équivaut à un regret d'être forcé de les
+ admirer. Il élève habituellement des doutes sur le résultat de la
+ campagne. Maintenant ses prétendues inquiétudes sont portées sur
+ Schill, qu'il regarde comme pouvant détruire l'armée française.
+ Heureusement, comme je crois déjà avoir eu l'honneur de vous le
+ mander, il ne jouit ici d'aucune espèce de crédit. Ainsi ses paroles
+ ont peu de poids; mais le petit effet qu'elles produisent est
+ mauvais. Il a déjà reçu, je crois, une forte réprimande de sa cour:
+ une seconde serait très bien placée.
+
+ Les troupes hollandaises sont maintenant campées à quelques lieues
+ d'ici. Les camps d'Harlem et de La Haye sont regardés comme
+ l'avant-garde de celui qui couvre Amsterdam. Tous sont sous le
+ commandement du général Tarrane, capitaine des gardes. Un autre
+ capitaine des gardes commande la cavalerie.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 13 mai.
+
+ Je profite de l'occasion de M. de Vaux, qui est appelé au quartier
+ général de S. M. impériale et royale, pour faire parvenir cette
+ dépêche à Votre Excellence.
+
+ Depuis quelques jours il s'est répandu ici plusieurs pamphlets
+ écrits dans un très mauvais esprit: ils ont été saisis par la
+ police. Celui que l'on répandait avec la plus grande profusion était
+ une espèce de manifeste du prince d'Orange qui, rappelant aux
+ Hollandais leur ancienne splendeur et le bonheur dont ils
+ jouissaient sous son gouvernement, les invitait à le rappeler au
+ milieu d'eux, promettant d'y venir sur le champ et de les défendre,
+ aidé par les Anglais, contre les dangers qu'ils pourraient redouter.
+ Ces pamphlets n'ont produit aucune fermentation; mais l'opinion
+ publique est bien molle et l'absence du roi fait un bien mauvais
+ effet. On est étonné et fâché de voir le voyage du roi se prolonger
+ dans des circonstances aussi importantes. Le roi perd dans l'opinion
+ publique, et je crains que les personnes qui entourent Sa Majesté ne
+ l'engagent à s'éloigner de sa capitale que pour lui nuire et le
+ perdre. J'ai de fortes raisons de croire qu'ils me craignent, et ils
+ caressent les anciennes idées du roi, en ne lui faisant voir
+ d'indépendance que lorsqu'il est éloigné des Français. Je me fais
+ rendre compte de tout ce qui se passe, et si je voyais le moindre
+ danger, je me rendrais sur le champ auprès du roi pour déjouer les
+ mauvais esprits qui l'entourent. Tout est tranquille ici. La
+ garnison d'Amsterdam est au camp de Naarden. La garde du roi est
+ même partie, et le palais, ainsi que la ville, n'a plus qu'un
+ bataillon de vétérans qui occupent tous les postes. Le ministère est
+ dans de très bonnes dispositions et je l'y maintiendrai. V.
+ Excellence peut donc être bien tranquille; je lui écris aujourd'hui
+ à la hâte et aurai l'honneur de lui rendre un compte plus détaillé
+ au premier moment.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 mai.
+
+ Malheureusement, malgré toutes les peines que je prends et tout le
+ désir que j'ai de voir régner une bonne harmonie entre le
+ gouvernement hollandais et ma cour, je me trouve forcé de rendre
+ compte à V. Excellence d'un nouvel incident qui fait suite à ceux de
+ même nature que j'ai supportés depuis quinze mois et dont je n'ai
+ pas parlé; mais celui-ci devient plus grave par la grandeur de
+ l'événement auquel il a rapport et par l'effronterie que l'on a eue
+ d'en faire un article de la Gazette royale d'aujourd'hui.
+
+ V. Excellence sait peut-être que le dimanche est en Hollande le jour
+ que l'on passe ordinairement à la campagne, comme le seul dont les
+ négociants puissent disposer. J'étais invité dans les environs de la
+ ville et je devais partir samedi soir. Ayant appris qu'il devait y
+ avoir un _Te Deum_ à la cour, j'écrivis samedi à M. Roëll qu'ayant
+ des projets de campagne, je désirais savoir si le Corps diplomatique
+ était invité au _Te Deum_, pour régler ma marche d'après sa réponse.
+ Le ministre me répondit d'abord qu'il allait s'en informer
+ positivement. Deux heures après il m'écrivit un billet par lequel il
+ me prévenait que M. le baron de Pallandt, chambellan de service,
+ venait de lui mander que mon invitation était déjà expédiée. Je
+ restai donc en ville, ignorant si le _Te Deum_ aurait lieu le matin
+ ou le soir, et ne voulant pas en aucun cas y manquer. La matinée se
+ passa sans recevoir aucune lettre de la cour, enfin à une heure et
+ demie M. de Pallandt m'envoya un valet de chambre pour me prévenir
+ que le _Te Deum_ venait d'être chanté, et pour me demander si je
+ n'avais pas reçu d'invitation. Je répondis au valet de chambre que
+ je n'avais rien reçu, et que probablement elle n'avait pas été
+ expédiée. J'écrivis ensuite à M. Roëll pour me plaindre d'un pareil
+ oubli, et de la manière leste et peu convenante dont il avait été
+ réparé. Le ministre me répondit une lettre d'excuse dans laquelle il
+ s'efforça de m'assurer qu'il n'y avait eu aucune intention de me
+ manquer, mais un simple oubli. Le roi me fit appeler à la cour. Je
+ me rendis aux ordres de Sa Majesté. Elle voulut bien me témoigner
+ ses regrets, me dit des choses obligeantes, m'assura avoir fortement
+ réprimandé les auteurs de cette faute, et quoique j'aie trouvé le
+ roi enclin à prendre le parti de son chambellan, je n'ai pas eu à me
+ plaindre. Je rappelai seulement à Sa Majesté combien j'avais
+ supporté de petites choses de ce genre, et combien il me paraissait
+ nécessaire qu'elle voulût bien y mettre ordre. Le roi partait ce
+ matin. J'eus donc l'honneur de prendre congé de Sa Majesté. Ma
+ conférence se termina en parlant au roi de plusieurs affaires qui se
+ traitaient à présent et après avoir renouvelé à Sa Majesté
+ l'assurance de mon zèle à faire valoir la marche nouvelle qu'elle
+ avait prise, et je ne parlai plus de l'affaire du matin. Mais tout à
+ l'heure, en lisant la Gazette royale, je lis: «Il a été chanté hier
+ dans la chapelle royale, en présence de toute la cour, un _Te Deum_
+ en l'honneur des étonnantes victoires de l'armée française. Son
+ Excellence l'ambassadeur de France devait y assister, mais une
+ indisposition l'en empêcha.»
+
+ J'écrivis sur le champ au ministre des affaires étrangères la lettre
+ dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. Excellence, et j'aurai
+ celui de vous faire part de la réponse du ministre dès qu'elle me
+ sera parvenue. Je me décidai ensuite à démentir le fait inséré dans
+ la Gazette. V. Excellence trouvera bon, j'espère, que je sois
+ fortement blessé d'être ainsi récompensé de la conduite plus que
+ modérée que je tiens en Hollande, elle approuvera que je n'aie pas
+ laissé croire aux Hollandais, qui me voient journellement, que je
+ n'aie pas voulu assister au _Te Deum_ chanté pour des événements
+ aussi marquants et qui intéressent aussi directement mon souverain
+ et mon pays. Je prendrai cette occasion d'avoir l'honneur de vous
+ assurer que tout ce qui est fait ici en l'honneur de nos victoires
+ l'est d'une manière peu conforme à la grandeur des événements. Le
+ canon fut tiré il y a trois jours pour notre entrée à Vienne, mais
+ personne n'en fut informé que par la gazette. Car les ordres furent
+ donnés de le tirer à six heures du matin et absolument à une
+ extrémité de la ville. Il n'y eut aucune fête à la cour, aucune
+ audience extraordinaire; enfin le _Te Deum_ fut chanté hier
+ simplement à la chapelle du roi. Il n'y avait que deux ou trois
+ dames du palais et les personnes qui tiennent au service personnel
+ du roi. Le Corps diplomatique n'y était même pas invité. Je devais
+ être le seul admis à faire ma cour au roi dans cette circonstance
+ marquante. Que V. Excellence veuille bien ajouter à ceci que les
+ bulletins de notre armée ne sont pas publiés en Hollande tels qu'ils
+ sont réellement, mais que l'on en donne uniquement un extrait, ayant
+ soin d'en ôter tout ce qu'ils contiennent de réflexions politiques.
+ Quant à M. de Pallandt, dont je viens d'avoir l'honneur de vous
+ parler, ce chambellan est une des personnes qui professent les
+ opinions les plus opposées à la France et à l'empereur. Il se vante
+ d'influencer le roi et de le diriger d'après ses opinions. Tous les
+ Français en sont et en ont toujours été mécontents. Enfin il serait
+ trop long de répéter à V. Excellence tous les propos qu'il a tenus
+ dans toutes les circonstances qui se sont présentées.
+
+
+Les justes observations faites à l'empereur sur le triste sort de la
+Hollande, non seulement par les agents de ce malheureux pays, mais
+par ceux de la France, finirent par être écoutées. Napoléon, par un
+décret daté d'Ebersdorf, 4 juin 1809, rapporta celui du 16 septembre
+1808. En voici la teneur:
+
+
+ Les relations commerciales entre la France et la Hollande seront
+ rétablies sur le même pied qu'avant notre décret du 16 septembre
+ 1808.
+
+
+Cette nouvelle, parvenue à Amsterdam le 16 juin 1809, répandit la
+joie dans le royaume. Le duc de Cadore l'annonça à Larochefoucauld
+par la lettre suivante, du 5 juin:
+
+
+ M. l'amiral Werhuell m'avait adressé au nom de sa cour de nouvelles
+ instances pour la révocation du décret du 16 septembre. J'ai
+ entretenu Sa Majesté de cet objet et elle a bien voulu rétablir les
+ relations entre les deux pays sur le pied où elles étaient
+ antérieurement.
+
+ Je n'ai point laissé ignorer à M. Werhuell que l'empereur avait été
+ déterminé par ce que vous avez mandé de l'exactitude avec laquelle
+ les mesures contre le commerce anglais étaient exécutées depuis un
+ certain temps. Sa Majesté a été très surprise et même peu satisfaite
+ d'apprendre que M. Janssins, l'un des ministres du roi, ait été
+ chargé d'une mission (sans doute publique) auprès de S. A. S. Madame
+ la grande-duchesse de Toscane, qui n'est point _souveraine_.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 6 juillet.
+
+ J'ai eu l'honneur de mander à V. Excellence que les bâtiments
+ américains continuaient à entrer dans les ports de la Hollande. Le
+ roi n'a pas encore pris de résolution formelle à cet égard, mais on
+ assure que le décret qui autorise l'arrivée de ces bâtiments est
+ déjà rendu et qu'il sera bientôt public.
+
+ Il y a trois jours qu'une scène fort désagréable arriva au Texel. Un
+ corsaire français s'empara de deux navires américains. Les
+ stationnaires hollandais se rendirent sur les prises, en arrachèrent
+ le pavillon français et empêchèrent le capitaine du corsaire de
+ communiquer avec ses prises. V. Excellence verra par le rapport
+ ci-joint les détails de cet événement. Comme je n'ai pas encore de
+ réponse de V. Excellence à ma dépêche du 19 juin, je me suis borné à
+ écrire à M. Roëll la lettre dont je joins une copie. Je n'ai pas
+ voulu aller plus loin, mais il est pénible de voir mes espérances
+ s'évanouir chaque jour davantage. Les affaires, au lieu de prendre
+ une tournure satisfaisante, empirent à chaque instant. La
+ contrebande augmente d'une manière effrayante. La mauvaise marche du
+ gouvernement reprend un nouvel essor, et l'on dirait que l'acte de
+ bonté de l'empereur n'a servi qu'à réveiller une conduite aussi
+ blâmable qu'insensée. Le commerce souffre beaucoup et désapprouve
+ tout ce qui se passe maintenant. De fortes représentations ont été
+ faites, mais malheureusement tout est inutile, et nous sommes
+ retombés dans la même position que l'été dernier.
+
+ Le roi est au Loo. Sa Majesté voit ses ministres tous les 15 jours
+ ou toutes les trois semaines. Elle est entourée des dames du palais
+ et des officiers de sa maison, et s'occupe dans la matinée des
+ affaires et de l'arrangement de ses jardins. Le soir, il y a concert
+ ou spectacle. Personne n'est admis au Loo que les Hollandais qui y
+ sont invités, et je regarde ces voyages prolongés comme une des
+ causes de ce dont j'avais à me plaindre. Le roi y est livré à
+ quelques personnes qui abusent de sa bonté. Les ministres mêmes ne
+ sont pas là pour faire des observations à Sa Majesté, et les
+ affaires y sont décidées sans cet ensemble qui est indispensable
+ dans la direction d'un gouvernement.
+
+ Des nouvelles que je reçois dans le moment me forcent à reparler à
+ V. Excellence de l'affaire arrivée dernièrement au Texel. Un second
+ corsaire français vient d'adresser au consul général un rapport qui
+ est absolument conforme à celui que j'envoie à V. Excellence; mais
+ des lettres d'un des armateurs, qui est au Helder, ajoutent que les
+ Hollandais maltraitent les Français qui sont à bord des prises,
+ qu'ils les empêchent de venir à terre, tandis qu'ils accordent cette
+ permission aux Américains; qu'enfin les papiers de ces prises
+ viennent d'être envoyés au directeur général des douanes ou au
+ ministre de la marine; qu'ainsi il deviendra très difficile de
+ réfuter l'objection qui sera faite que ces navires ont été pris dans
+ les eaux du royaume de Hollande. Il est au reste prouvé que ces
+ bâtiments ont été visités par les Anglais, et constant que tous les
+ Américains sont escortés par des bricks anglais jusqu'à la passe du
+ Texel. M. le général Knobelsdorff, ministre de Prusse, sort de chez
+ moi. Il est venu m'apporter une lettre que son souverain lui écrit
+ au sujet de l'emprunt; par cette lettre le roi, croyant très
+ difficile de l'effectuer, me prie de certifier à l'empereur
+ l'impossibilité de trouver cette ressource en Hollande. J'ai répondu
+ au ministre que M. de Nieburg, chargé de cet emprunt, m'avait assuré
+ qu'il avait contracté un engagement avec une maison de commerce
+ d'Amsterdam, que cet engagement était soumis à l'approbation de la
+ cour de Prusse et à l'autorisation du roi de Hollande; que depuis
+ cette époque je n'avais plus entendu parler de cette affaire, et que
+ j'attendais, pour témoigner au roi le désir de l'empereur que cet
+ emprunt s'effectuât, que M. de Nieburg m'eût assuré que cette
+ opération était prête, sauf cet agrément. Je priai donc M. de
+ Knobelsdorff de répondre à S. M. le roi de Prusse que je ne pouvais
+ écrire à S. M. impériale et royale dans le sens qu'il désirait, que
+ dans le cas où le roi de Hollande refuserait de permettre cet
+ emprunt, ce que je suis loin de supposer.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 6 juillet.
+
+ J'annonçais à Votre Excellence, par le dernier courrier, que j'étais
+ informé que S. M. le roi de Hollande avait pris une résolution qui
+ permettrait l'entrée des ports de son royaume aux navires
+ américains. V. Excellence en trouvera ci-joint la traduction, ainsi
+ que celle d'une seconde résolution prise le même jour, 30 juin, qui
+ augmente de six articles ceux autorisés par le décret du 31 mars
+ dernier. Ces deux résolutions ont été sanctionnées à mon insu, et
+ jusqu'à ce moment elles ne me sont pas parvenues officiellement. Le
+ ministre ne m'en a même jamais parlé; probablement il ne les
+ connaissait pas lui-même. Quant à la première de ces résolutions, je
+ l'ai passée sous silence, ayant voulu attendre les ordres de
+ l'empereur avant d'agir, et, ne m'étant pas formellement opposé à
+ l'entrée des navires américains, il eût été inconséquent, avant
+ d'avoir reçu de nouvelles instructions, de faire une levée de
+ boucliers contre un décret qui admet ces bâtiments. J'ai été plus
+ embarrassé sur le second objet. Si S. M. le roi de Hollande n'eût
+ pas été le frère de l'empereur, ma conduite eût été si ferme et si
+ positive, que le décret eut été rapporté. Mais les circonstances
+ m'ont paru mériter des ménagements, et le respect pour tout ce qui
+ tient à l'empereur m'a retenu. Je me suis donc contenté de demander
+ un rendez-vous au ministre par la lettre dont copie est ci-jointe,
+ et lui ai donné trois jours pour qu'il puisse me répondre et qu'il
+ ait le temps de prévenir le roi de cette conférence. Le but
+ principal de cet entretien est de savoir si le roi a consulté S. M.
+ impériale et royale, ce dont je doute beaucoup. Si cependant je me
+ trompe, et que l'empereur ait trouvé bon l'introduction des sucres,
+ cafés et cotons, dès ce moment je n'ai plus rien à dire; mais dans
+ le cas contraire, il me paraît impossible de permettre l'entrée en
+ France de ces denrées coloniales avant d'y être autorisé. Je viens
+ donc provisoirement de prescrire aux consuls de ne délivrer aucun
+ certificat d'origine pour les six nouveaux articles, avant le jour
+ où je dois avoir une explication avec M. Roëll. Le prétendu serment
+ exigé du capitaine américain est un article de forme qui ne sert à
+ rien, car quel peut être le capitaine qui fasse saisir son bâtiment,
+ pour ne pas affirmer qu'il n'a pas été en Angleterre et qu'il n'a
+ été visité par aucun bâtiment de cette nation? Je ne puis pas non
+ plus me fier au gouvernement hollandais, car j'ai de fortes raisons
+ de croire que des navires avec licences anglaises ont été admis, et
+ j'ai acquis la certitude que des bricks anglais escortaient tous les
+ américains qui sont entrés en Hollande dans le mois dernier. Ce fait
+ est tellement avéré que tout le commerce et la marine en sont
+ informés.
+
+ Pour me rendre raison de cette nouvelle mesure prise par le roi, je
+ suppose que les Hollandais auront renouvelé leurs plaintes de voir
+ les productions de leurs colonies vendues à vil prix en Angleterre,
+ et qu'ils auront obtenu de Sa Majesté cette dernière résolution qui
+ va inonder la France et l'Allemagne de ces articles, surtout depuis
+ que S. M. impériale et royale a rapporté le décret du 16 septembre,
+ car avec la meilleure volonté, il est très difficile aux consuls de
+ n'être pas souvent trompés sur l'origine des articles qui leur sont
+ présentés, et en outre, ces derniers objets étant autorisés par le
+ roi, il leur sera impossible de les refuser. C'est pour couper court
+ à ces inconvénients que je me suis décidé à enjoindre aux consuls de
+ n'autoriser l'entrée en France d'aucun des objets qui me paraissent
+ en entière opposition avec les intentions de l'empereur, et qui le
+ sont avec mes anciennes instructions qui m'enjoignent d'empêcher
+ l'entrée en Hollande de navires américains chargés de denrées
+ coloniales, et même de déclarer que je quitterais le royaume si le
+ gouvernement hollandais persistait dans cette conduite.
+
+ Si S. M. impériale et royale eût été à Paris, je ne me serais pas
+ porté à cette mesure, qui a quelque chose de désagréable pour le
+ roi, mais d'un autre côté j'ignore ce qui s'est passé en Autriche
+ depuis dix jours. L'empereur est peut-être encore plus éloigné de
+ nous, et avant que je ne puisse recevoir les ordres de V.
+ Excellence, les magasins d'Anvers seront remplis de denrées
+ coloniales. Il me paraît difficile ensuite de remédier à cet
+ inconvénient, tandis qu'en conservant les choses en _statu quo_,
+ l'empereur peut décider, et si je n'ai pas agi conformément à ses
+ instructions, le tort ne retombe que sur moi, et les affaires
+ reprennent leur marche ordinaire. J'envoie cette dépêche par
+ estafette à M. le comte Beugnot, afin qu'elle parvienne plus
+ promptement à V. Excellence.
+
+ La bourse d'Amsterdam est dans une grande agitation. Ces nouvelles
+ résolutions donnent beaucoup d'inquiétude. Quelques propriétaires ou
+ consignataires des bâtiments américains sont contents, mais la
+ grande majorité des négociants fera de grandes pertes si l'admission
+ des Américains est maintenue. Hier on ne pouvait rien vendre; les
+ denrées sont à vil prix.
+
+ Quant à la contrebande, V. Excellence verra par un rapport de M.
+ Sadet, que le gouvernement hollandais ne la surveille que très
+ faiblement. En tout les affaires prennent une marche bien
+ désagréable et qui, je vous assure, m'afflige beaucoup. Le roi est
+ parti de Loo le 3 de ce mois, il a été à Harlem, a dîné chez le
+ préfet, a acheté à la foire de cette ville une quantité de
+ marchandises, a paru à un bal qu'une des personnes les plus riches
+ de la ville donnait, et est reparti le lendemain matin pour Loo. Je
+ devais être à ce bal; mais des affaires m'ayant appelé ici, je n'ai
+ pu y assister. Pour me résumer, j'ai donc l'honneur de prévenir V.
+ Excellence que si j'apprends que l'empereur n'a aucune connaissance
+ des dernières résolutions du roi, je ferai suspendre la délivrance
+ des certificats d'origine pour les articles compris dans la dernière
+ décision, jusqu'à ce que je reçoive les ordres de S. M. impériale et
+ royale, et j'en informerai M. Roëll.
+
+
+ CADORE À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Vienne, 17 juillet.
+
+ Monsieur l'ambassadeur, le décret par lequel le roi de Hollande a
+ ouvert les ports de son royaume aux navires et aux productions des
+ États-Unis a causé à S. M. l'empereur un vif déplaisir.
+
+ C'est pour ainsi dire au moment même où la Hollande obtenait de Sa
+ Majesté une faveur qu'elle avait ardemment désirée, qu'elle a pris
+ elle-même une mesure contraire aux vues et aux intérêts de la
+ France, autant qu'elle est favorable aux desseins de l'ennemi.
+
+ Sa Majesté vous charge de demander la révocation instante, immédiate
+ de ce décret. Elle vous charge de faire connaître que la Hollande ne
+ doit pas se flatter de pouvoir tenir en fait de commerce maritime
+ une ligne de conduite qui ne soit pas entièrement conforme à celle
+ de la France et du reste du continent; qu'elle doit être
+ indissolublement unie à la France, partager son sort, sa bonne et sa
+ mauvaise fortune, n'avoir d'autre système que celui de la France, le
+ suivre sans déviation; qu'autrement, si elle veut séparer sa cause
+ du continent, l'empereur, à son tour, se séparera d'elle.
+
+ Sa Majesté veut que vous mettiez la plus grande énergie dans votre
+ langage, ce que vous saurez faire en gardant tous les égards que
+ vous avez pour le roi et que vous lui devez. Mais il faut que tous
+ les ministres et tous ceux qui ont la confiance du roi sentent que
+ non seulement un refus, mais de simples hésitations, pourraient
+ avoir les conséquences les plus sérieuses. Vous iriez même s'il le
+ fallait (mais je suppose que cela ne sera pas nécessaire), vous
+ iriez, dis-je, jusqu'à déclarer que si la Hollande ne se remet pas
+ sur le champ sur le même pied que la France, et ne rentre pas dans
+ son système pleinement et sans réserve, vous ne pouvez pas garantir
+ qu'elle ne cessera pas d'être considérée comme alliée et comme amie,
+ ni répondre de la continuation de l'état de paix.
+
+ _P. S._--Cette lettre écrite, j'ai reçu celle que vous m'avez
+ adressée le 6 de ce mois. J'en ai rendu compte à Sa Majesté, qui
+ approuve la mesure que vous avez prise de défendre aux consuls
+ français de donner des certificats d'origine pour les objets dont le
+ roi de Hollande vient de permettre l'introduction.
+
+
+ ROËLL À LAROCHEFOUCAULD.
+
+ Amsterdam, 8 août.
+
+ Je me suis fait un devoir de mettre sous les yeux du roi les
+ différentes réclamations que V. Excellence m'a fait l'honneur de
+ m'adresser au sujet de plusieurs navires capturés par des corsaires
+ français; je me suis également empressé de soumettre à Sa Majesté
+ les observations contenues dans la lettre de V. Excellence du 31
+ juillet, relativement à la marche adoptée depuis quelque temps en
+ Hollande de renvoyer sur un simple ordre du roi l'équipage français
+ des prises qu'on regarde comme irrégulières.
+
+ La mesure contre laquelle V. Excellence a cru devoir réclamer a été
+ provoquée par les excès des corsaires qui, se comportant en vrais
+ pirates, s'arrogent le droit de s'emparer de tous les navires sans
+ distinction, à l'embouchure de nos rivières et dans les eaux mêmes
+ de la Hollande, sans aucun respect pour la souveraineté
+ territoriale. C'est ainsi que le 1er du mois passé, le corsaire _le
+ Furet_ s'est emparé d'un navire popembourgeois, de _Trree
+ Gebroeders_, capitaine _Jennis Pieters_, chargé de sel, venant de la
+ Norvège; les déclarations unanimes des gardes-signaux des côtes ne
+ laissent aucun doute que cette prise n'ait été faite dans les
+ limites du royaume. Le lendemain, les corsaires _l'Hébé et la
+ Revanche_ ont conduit au Texel cinq autres bâtiments sous pavillon
+ neutre, chargés de sel et destinés pour des ports hollandais. Les
+ prises ont été également faites à l'embouchure de nos rivières.
+
+ Quelque extension que l'on veuille donner aux droits de la guerre,
+ ils ne pourront jamais servir à justifier la violation des droits
+ sacrés d'une puissance amie et alliée, et toutes les fois que des
+ armateurs se permettent des voies de fait dans l'enceinte de la
+ juridiction maritime d'un état, le souverain territorial a le droit
+ de punir et de réprimer leurs excès.
+
+ Leurs prises étant par elles-mêmes des actes d'hostilité, ils ne
+ peuvent plus invoquer la protection des formes légales, mais ils
+ doivent être soumis à l'action immédiate du gouvernement qui peut
+ sans aucune forme de procédure leur faire lâcher prise. De même
+ lorsque les corsaires s'avisent de surprendre des bâtiments sortants
+ ou entrants avec permission, le pouvoir exécutif a également le
+ droit de connaître administrativement de ces prises.
+
+ D'après ces principes avérés par les publicistes les plus éclairés,
+ c'est donc à tort que les corsaires français se plaignent d'une
+ mesure que leurs propres désordres ont provoquée. Aussi Sa Majesté
+ a-t-elle décidé qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le passé ni de
+ soumettre les affaires déjà terminées à un nouvel examen.
+
+ Cependant, pour donner une nouvelle preuve de se rendre autant que
+ dépendra d'elle aux voeux de V. Excellence, Sa Majesté a bien voulu
+ ordonner qu'à l'avenir la discussion sur la validité des prises
+ conduites dans les ports de Hollande sera portée au Conseil pour les
+ affaires maritimes et de commerce (Raad van Indication), et que même
+ dans le cas où les corsaires viendront à être accusés d'avoir violé
+ le territoire du royaume, la prise ne sera adjugée que sur une
+ décision motivée du dit Conseil, qui déclare la prise bonne et
+ légitime, ou qui condamne le corsaire, après avoir mis les
+ intéressés à même de faire valoir leurs droits.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 23 août.
+
+ Par ma lettre particulière du 19 de ce mois, j'ai eu l'honneur de
+ prévenir V. Excellence que Sa Majesté est arrivée le 17 ici. Depuis
+ cette époque le roi n'a vu personne. On dit que la santé de Sa
+ Majesté est un peu altérée. Elle s'occupe journellement de la
+ défense du pays. Quinze cents soldats de la garde, après être restés
+ vingt-quatre heures à Amsterdam, sont retournés au camp où ils
+ étaient lorsqu'ils furent envoyés à Berg-op-Zoom. On attend au même
+ camp la division du général Gratien qui doit maintenant être entrée
+ en Hollande, en revenant d'Hanovre.
+
+ Les gardes nationales s'organisent ainsi que quelques corps de
+ volontaires; mais les bourgeois hollandais ont de la peine à devenir
+ soldats. Demain douze compagnies de 100 hommes chacune doivent
+ sortir de la ville pour aller aux lignes. Cet essai donnera une idée
+ de la possibilité d'utiliser cette milice. On se plaint de la
+ manière dont ces compagnies ont été formées. Les officiers ont
+ choisi les hommes sans aucun égard pour leur famille ni pour leur
+ âge, mais uniquement en consultant leur passion. Il y a donc une
+ foule de réclamations dont plusieurs ont été écoutées.
+
+ On parle d'un décret que le roi doit prendre, par lequel Sa Majesté
+ recevra tous les navires américains en faisant recharger les
+ marchandises déposées dans les magasins royaux. Mais V. Excellence
+ sera surprise d'apprendre que les magasins sont vides, que tout a
+ été rendu aux propriétaires ou consignataires; qu'ainsi cette
+ décision, qui paraît être très forte, n'aura aucun but réel. Les
+ cafés et les sucres qui ont été apportés par des bâtiments
+ américains ont probablement été tous reconnus production de l'île de
+ Java. La ligne de douaniers français qui cerne dans ce moment la
+ Hollande a fait un grand effet en bourse. Les marchandises ont
+ beaucoup baissé. Les premières qualités de café de 3 et 4 sont
+ tombées à 50 c. Les cotons ont éprouvé la même baisse. Il devient
+ impossible d'exporter aucune denrée coloniale, même en Allemagne, et
+ le commerce est dans une crise fâcheuse.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 17 septembre.
+
+ Rien ne finit, et malgré les demandes que j'ai faites au ministre de
+ me donner une réponse, je ne puis en obtenir. Le roi a, dit-on,
+ envoyé un courrier à l'empereur. J'ignore si la lettre de Sa Majesté
+ est relative aux objets dont je suis chargé, car cette démarche du
+ roi ne m'a pas été annoncée officiellement. Je ne puis donc avoir
+ rien de nouveau à transmettre à V. Excellence; il m'est pénible de
+ ne pas pouvoir exécuter les ordres de l'empereur. Il est vrai que
+ dans les circonstances présentes qui servent de prétexte à la
+ mauvaise volonté du gouvernement hollandais, je ne le presse pas
+ autant que je l'eusse fait dans un autre moment. Cependant la
+ Hollande paraît ne plus rien avoir à craindre, et les nombreux
+ changements qui se font dans l'organisation militaire ne tiennent
+ pas à la défense du pays, mais à la volonté du roi. Depuis la
+ descente des Anglais, l'on a formé la garde nationale dans les
+ principales villes du royaume. La levée des deux régiments a été
+ décrétée, mais les moyens de défense sont bien peu de chose et la
+ volonté bien faible. En tout je ne vois pas de possibilité que la
+ Hollande reste comme elle est maintenant. Il n'y a aucun ensemble
+ dans le gouvernement et aucune tenue dans aucun système suivi. Il
+ n'existe donc qu'un amour-propre mal placé qui l'empêche de devenir
+ français.
+
+ Dans une des dernières conférences que j'eus avec M. Roëll, lorsque
+ je lui parlais du système du gouvernement hollandais, je lui dis que
+ je voyais d'autant moins d'espoir de le ramener à une marche plus
+ raisonnable, que jusqu'à présent je ne pouvais pas deviner la base
+ du principe qui le faisait agir avec aussi peu de mesure, puisque
+ continuellement il nuisait à ses plus chers intérêts. Pressé de
+ s'expliquer, ce ministre me répondit qu'étant ministre, il ne lui
+ était pas permis de satisfaire à ma demande, mais que le jour où il
+ ne le serait plus il me dirait le mot de l'énigme. Je désirerais
+ donc que M. Roëll quittât le ministère, car il me semble que ce
+ changement procurerait plus de lumières que nous n'en avons obtenu
+ pendant tout le temps de son administration.
+
+ M. le comte d'Hunebourg vient d'envoyer au roi le chef de bataillon
+ Leclerc. Il est encore à Harlem et il se chargera de cette dépêche.
+ Je ne doute pas qu'il ne rapporte des assurances faites pour plaire.
+ Mais les faits jusqu'à présent répondent bien faiblement aux
+ paroles.
+
+ M. le baron de Gilsa, récemment nommé envoyé extraordinaire de S. M.
+ le roi de Westphalie, a eu l'honneur de remettre au roi ses lettres
+ de créance. C'est un homme entièrement nouveau dans la carrière
+ diplomatique.
+
+ Espérons que je serai dans quelque temps assez heureux pour pouvoir
+ adresser à V. Excellence un rapport satisfaisant. Croyez, je vous
+ prie, que je le désire vivement, mais que je doute d'en venir à ce
+ point avant que l'empereur n'ait jeté un regard sur la Hollande, et
+ que S. M. impériale et royale n'ait trouvé un moyen de tarir la
+ source du mal.
+
+ Il paraît que Sa Majesté rappelle le maréchal Dumonceau et que le
+ général Brune commandera les troupes hollandaises en Zélande. On
+ assure que le roi ne veut pas que ce maréchal serve sous les ordres
+ du prince de Ponte-Corvo. Il doit y avoir en Zélande environ 10,000
+ hommes. Dans le reste du royaume il y a peut-être de 3 à 4,000
+ hommes. Mais depuis que le général Krayenhoff est ministre, Sa
+ Majesté fait de nombreuses promotions. L'état-major de l'armée et le
+ corps d'officiers ne sont pas en proportion des hommes. Je crois que
+ l'on pourrait cependant porter l'armée à 20,000 hommes; mais il
+ serait difficile d'aller plus loin, le recrutement se faisant avec
+ beaucoup de peine.
+
+ Le ministre de la marine est dans une position moins bonne, car à
+ l'exception des chaloupes canonnières il n'y a pas d'armement. Les
+ équipages ont été licenciés. Cependant la Hollande pourrait en trois
+ mois armer neuf ou dix vaisseaux de ligne, mais il n'y a pas
+ d'argent. Enfin, soit par une cause, soit par une autre, il en
+ résulte que la Hollande n'a sous les armes qu'environ 14,000 hommes,
+ quelques gardes nationales non exercées, deux vaisseaux de ligne ou
+ trois, en comptant le _Chatam_, qui est en rivière de Meuse,
+ quelques bricks, goëlettes et des chaloupes canonnières. Il en reste
+ en outre les douaniers et gardes-chasse.
+
+ Je reçois à l'instant la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur
+ de m'écrire d'Altenbourg le 4 de ce mois.
+
+ Je vais notifier à M. de l'Angle le décret de S. M. Impériale et
+ royale.
+
+
+ LAROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 28 octobre.
+
+ J'arrive de Loo où je devais aller parler au roi, comme j'ai eu
+ l'honneur d'en prévenir V. Excellence. J'ai communiqué à Sa Majesté
+ les intentions formelles de l'empereur. J'ai dit au roi que son
+ auguste frère demandait que la division hollandaise fût portée dans
+ l'île de Sud-Beveland à 16,000 hommes, et que 200 chaloupes
+ canonnières, péniches, etc., fussent dirigées vers le même point
+ pour employer ces forces à agir dans l'île de Walkeren et en chasser
+ les Anglais. Sa Majesté m'a répondu que le corps de troupes
+ hollandaises, maintenant sous les ordres de M. le maréchal
+ Dumonceau, était sur le papier de beaucoup de plus de 16,000 hommes,
+ mais que les maladies régnaient tellement dans l'armée, que presque
+ la moitié des régiments se trouvait dans les hôpitaux; que toutes
+ ses troupes étaient aux ordres de l'empereur, qu'il n'avait par
+ conséquent qu'à indiquer les postes qu'elles devaient occuper: que
+ si dans l'île de Sud-Beveland il ne se trouvait que 3,000 hommes,
+ cela venait uniquement de l'intention du roi de diminuer, par ce
+ moyen, le nombre des maladies, mais que les troupes étaient si près
+ de ce point, qu'en peu de jours elles pouvaient y être portées. Le
+ roi ajoute que les deux seuls régiments qui avaient été distraits de
+ ce corps d'armée avaient été envoyés, l'un en Ost-Frise pour y
+ réprimer la contrebande, et l'autre en Nord-Hollande pour que ce
+ point intéressant ne fût pas entièrement dégarni; qu'ainsi Sa
+ Majesté allait donner ses ordres pour que 10,000 hommes effectifs,
+ commandés par M. le maréchal Dumonceau, se dirigeassent et agissent
+ conformément aux ordres qu'ils recevraient de M. le maréchal duc
+ d'Istrie.
+
+ Que, quant aux chaloupes canonnières, etc., ce n'étaient pas autant
+ les bâtiments qui manquaient que les marins qui étaient impossibles
+ à trouver; que le roi ne pouvait donc porter en Zélande que 100
+ petits bâtiments qui y seraient rendus sous peu de jours, Sa Majesté
+ venant de donner des ordres positifs pour remplir à cet égard les
+ intentions de l'empereur.
+
+ Nous en vînmes ensuite à la seconde dépêche de V. Excellence, dont
+ je dis le contenu au roi, en observant à Sa Majesté que j'étais
+ chargé d'insister formellement sur la demande que la question des
+ eaux ne fût plus mise en avant, que tous les navires capturés par
+ des corsaires français fussent jugés par les tribunaux français; que
+ toutes les prises trouvées en contravention aux décrets de
+ l'empereur fussent reconnues bonnes et valables; enfin j'ajoutai que
+ la contrebande était portée à un point qui avait fixé les regards
+ de S. M. impériale et royale, que l'empereur prétendait qu'elle fût
+ réprimée par des moyens efficaces, et qu'il avertissait que si les
+ choses ne changeaient pas, il se verrait forcé non seulement de
+ faire occuper les passes par ses troupes, mais même de faire saisir
+ par elles les denrées coloniales qui, entrées en contrebande, se
+ trouvaient déposées dans les magasins d'Amsterdam.
+
+ Je passai ensuite au système général, à la conduite des ministres du
+ roi, à l'inexécution des décrets de Sa Majesté, enfin à la manière
+ extrêmement opposée à la France dont toutes les affaires se
+ traitaient en Hollande; j'observai au roi la nécessité de changer
+ entièrement de marche et de revenir à des principes qui seuls
+ pouvaient sauver la Hollande. Pour donner plus de force à ce que je
+ venais de dire, je crus devoir lire à Sa Majesté une partie de la
+ dépêche de V. Excellence; alors elle sentit que loin d'ajouter aux
+ ordres de l'empereur, je cherchais toujours les moyens de les lui
+ rendre moins sévèrement.
+
+ Le roi me répondit que quant à la question du territoire, il serait
+ perdu aux yeux de son peuple s'il l'admettait; que l'empereur
+ n'aurait pas dû lui faire une demande à laquelle il ne pouvait pas
+ accéder, et que celle-ci était de ce nombre. Je répondis au roi que
+ Sa Majesté ne devait pas perdre de vue que les demandes de
+ l'empereur n'étaient que le résultat de tout ce qui avait été fait à
+ l'égard de nos corsaires et de leurs prises; qu'ainsi ce n'était pas
+ seulement comme question de droit qu'il fallait l'envisager, mais
+ encore comme question de fait, et que, sous ce dernier point de vue,
+ Sa Majesté ne pouvait pas se dissimuler, et m'avait avoué elle-même,
+ que l'on avait ici commis de grandes fautes. Le roi ne put nier ce
+ point, mais il revenait toujours sur l'impossibilité d'accéder au
+ désir de l'empereur, sur la manière dont ce serait trahir ses
+ devoirs que d'abandonner une partie des droits de son peuple, enfin
+ sur la décision récente du Conseil d'État.
+
+ Quant à la contrebande, Sa Majesté me dit qu'elle espérait beaucoup
+ des nouveaux ordres donnés par elle à ce sujet, et qu'elle prendrait
+ encore de nouvelles mesures si celles-ci n'étaient pas suffisantes;
+ qu'elle exigerait des certificats d'origine pour les denrées
+ coloniales venant d'Ost-Frise, et qu'elle tirerait même une ligne de
+ douanes qui séparerait l'Ost-Frise du reste de la Hollande, si la
+ chose devenait indispensable. Sa Majesté se récria fortement contre
+ l'idée de faire exécuter en Hollande les décrets de l'empereur,
+ contre celle de voir des troupes françaises venir faire la police à
+ Amsterdam, enfin contre la volonté d'influencer et de diriger même
+ la conduite de ses ministres. Elle me dit qu'elle voyait bien que
+ tout ceci lui était personnellement adressé, que ses ministres
+ n'étaient que ses agents et qu'ils ne faisaient que ce qu'elle
+ voulait (je citai à cette occasion quelques exemples du contraire
+ qui embarrassèrent le roi), qu'ainsi c'était l'attaquer directement
+ que de parler d'eux; que si l'empereur voulait réunir la Hollande,
+ il n'avait qu'à le dire sur le champ, parce qu'il voyait
+ parfaitement bien que c'était là le but de toutes les demandes qui
+ lui étaient faites. Enfin, dans la chaleur de la discussion, le mot
+ d'abdication sortit de la bouche du roi. J'observai à Sa Majesté que
+ dans tout ce que j'avais eu l'honneur de lui dire, il n'avait été
+ nullement question de réunion, mais seulement de précaution pour
+ empêcher les abus qui s'étaient trop souvent reproduits. La
+ conférence fut longue, mais à la fin le roi sentant, je crois, la
+ force de mes observations et l'impossibilité de m'éloigner du
+ véritable but de la question, me pria simplement de ne pas exiger
+ une réponse officielle et positive avant qu'il eût écrit à
+ l'empereur. Je crus devoir consentir à la demande de Sa Majesté, et
+ la priai simplement de me remettre sa lettre qui servirait de preuve
+ que j'avais exécuté les ordres qui m'avaient été donnés. J'ai donc
+ l'honneur, Monsieur le comte, de vous expédier en courrier M.
+ Amelin, attaché à mon ambassade, qui rapportera la réponse de
+ l'empereur et les ordres de V. Excellence.
+
+ Dans cette conversation, ce que j'ai observé plus particulièrement,
+ et ce que le roi ne m'a pas caché, est sa crainte qu'en Hollande on
+ le croie Français, et qu'on le regarde uniquement comme un agent de
+ l'empereur. J'ai cherché à en venir à persuader à Sa Majesté que
+ c'était sa qualité de frère de l'empereur d'où dépendait le maintien
+ de sa couronne et l'obéissance de ses peuples; que toute sa force ne
+ venait que de son auguste frère; que le bonheur de la Hollande était
+ attaché à la manière dont il était personnellement avec l'empereur,
+ de qui seul elle pouvait attendre son existence; que j'étais si loin
+ d'admettre la crainte d'être accusé de partialité envers la France,
+ que je savais au contraire que la saine partie de ses entours, de
+ ses ministres et de son peuple voyait avec peine tout ce qui se
+ faisait contre les intentions de l'empereur, calculant que la
+ Hollande marchait ainsi à sa ruine; et que Sa Majesté se tromperait
+ fortement si elle voulait juger de l'opinion publique sur celle de
+ quelques personnes placées près d'elle, dont la seule idée et le
+ seul désir étaient de lui plaire, et qui, par cette raison,
+ abondaient dans les assertions qu'elles croyaient lui être
+ agréables. Je finis par dire au roi que je croyais bien connaître la
+ Hollande et l'esprit de ses habitants, et que j'étais certain que
+ les mêmes personnes qui le flattaient aujourd'hui, seraient demain
+ contre lui, si l'empereur n'était pas aussi puissant. Le roi ne me
+ répondit rien, mais son système m'a paru enraciné et difficile à
+ détruire. V. Excellence en sentira facilement toutes les
+ conséquences. Au surplus, je désirerais que cette dernière partie de
+ ma dépêche ne fût pas regardée comme officielle, le roi m'ayant
+ parlé confidentiellement de ses idées et de son système. J'ai
+ l'honneur d'en rendre compte à Votre Excellence, comme le croyant
+ nécessaire au bien de la mission dont je suis chargé.
+
+ Au reste, j'ai parlé aux différents ministres, que j'ai trouvés tous
+ au Loo; mais, en abondant dans le système français, ils m'ont fait
+ observer qu'ils ne pouvaient qu'obéir aux ordres et aux décrets du
+ roi, dont ils exécutaient la teneur avec toute l'exactitude
+ possible, et il fut répondu à toutes mes observations et à mes
+ avertissements par des assurances de redoubler de zèle. J'ai parlé
+ fortement et ne leur ai rien caché.
+
+ Le ministre de la marine m'a dit que les contrôles de son ministère
+ ne montaient qu'à 5,000 hommes employés à la marine, et qui, par
+ conséquent, ne formaient même pas les équipages de 200 petits
+ bâtiments demandés par l'empereur, dont chacun devait être monté par
+ 28 hommes, car il faut déduire des contrôles les malades, les
+ employés aux chantiers, etc. Maintenant, il n'existe pas, en
+ Hollande, un seul vaisseau de ligne en armement, et les magasins
+ sont dépourvus de fer et de goudron. Votre Excellence a vu, dans une
+ dépêche précédente, l'état du ministère de la guerre. L'intérieur
+ souffre beaucoup, puisque les finances sont au-dessous de zéro. Il
+ est sûr que les lignes de douanes nuisent au commerce et aux
+ ressources du gouvernement, mais je croirais que le rapport des
+ décrets de l'empereur ne doit pas être un encouragement, mais une
+ récompense.
+
+ Lorsque je pris congé du roi, Sa Majesté ne me cacha pas sa grande
+ inquiétude et son impatience de recevoir la réponse de l'empereur;
+ elle me pria même de la lui porter au Loo, pour en causer avec elle.
+ J'ai donc l'honneur de vous prier, monsieur le comte, de me
+ réexpédier M. Amelin le plus tôt possible.
+
+ J'ai laissé le roi encore un peu faible, mais bien rétabli. La
+ fièvre a quitté Sa Majesté depuis cinq jours.
+
+
+L'empereur n'accepta pas le compromis offert par l'ambassadeur au
+sujet de la juridiction des prises, et fit donner l'ordre à
+Larochefoucauld de revenir à sa première proposition.
+
+La lettre de Cadore en date du 12 octobre se termine ainsi:
+
+
+ Vous déclarerez que la volonté de Sa Majesté est que tout bâtiment
+ qui sera trouvé avoir contrevenu à ses décrets soit déclaré de bonne
+ prise, et que si l'on ne pourvoit pas efficacement, en Hollande, à
+ la répression de la contrebande, non seulement elle fera occuper les
+ passages des troupes, mais encore, elle enverra des colonnes mobiles
+ saisir jusque dans Amsterdam les marchandises anglaises.
+
+ Sa Majesté y est, en effet, bien déterminée. Elle est décidée à ne
+ point souffrir que la Hollande trahisse la cause commune. Il
+ serait, m'écrit-elle, préférable de voir la Hollande en alliance
+ ouverte avec l'Angleterre que de la voir favoriser sourdement son
+ commerce et la guerre qu'elle fait contre nous.
+
+ Sa Majesté rend toute justice aux intentions du roi son frère. Elle
+ sait que ses intentions sont droites; mais elle reproche à ceux qui
+ devraient les seconder de tout leur pouvoir de n'être occupés qu'à
+ les rendre vaines, de la sorte que si elle devait en juger par la
+ marche du gouvernement, elle en prendrait une idée tout opposée. Les
+ ministres ne lui semblent pas prévoir quel doit être le résultat
+ final de leur conduite. Elle veut que vous les avertissiez et que
+ vous leur fassiez comprendre que ce résultat sera la perte de leur
+ existence.
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 23 novembre.
+
+ Hier, il y eut cercle diplomatique au palais. Le roi m'y parla de
+ quelques affaires particulières, et Sa Majesté m'engagea à revenir
+ le soir pour causer avec elle sur des objets plus importants. Elle
+ me prévint en même temps qu'elle venait de recevoir des lettres de
+ M. le duc de Feltre.
+
+ En sortant de l'audience, je rencontrai M. le colonel Leclerc,
+ aide-de-camp de M. le ministre de la guerre, et c'est par lui que
+ j'ai l'honneur d'envoyer cette lettre à Votre Excellence.
+
+ Je me rendis chez le roi à sept heures, et fus, sur-le-champ,
+ introduit dans le cabinet de Sa Majesté, avec laquelle je restai
+ près de trois heures. Le roi me dit qu'on lui demandait une
+ augmentation de troupes et de bâtiments pour l'expédition de
+ Walcheren, mais qu'il lui était impossible de fournir un contingent
+ plus considérable; que, d'après l'état des situations reçu le matin
+ de Mauchaunu, Dumonceau et Dewinter, les forces de terre sous les
+ ordres du premier étaient de 10,000 hommes, en y comprenant les
+ corps et les renforts qui sont en marche, et que le second mandait
+ avoir sous les yeux 100 chaloupes ou bateaux canonniers, qu'il en
+ attendait encore quelques-uns, indépendamment des 300 petits
+ bâtiments armés dont il est question dans la réponse de M. Roëll. Le
+ roi m'assura qu'il lui était impossible de faire davantage; que,
+ sans de graves inconvénients, il ne pouvait dégarnir la côte, qui
+ était à peine défendue, et que, quant à sa garde, elle était
+ nécessaire à Amsterdam, dont elle composait la garnison; que Sa
+ Majesté se trouvait dans une position bien fâcheuse, sa capitale
+ étant remplie de gens sans emploi et sans pain, l'hiver étant au
+ moment d'augmenter la misère, et le roi obligé de doubler les impôts
+ pour combler le déficit; qu'à ce tableau alarmant, il fallait
+ ajouter que les rentiers n'étaient pas payés, et qu'il n'avait pas
+ le premier sou pour faire face aux dépenses courantes; que je devais
+ donc en sentir que s'il dégarnissait Amsterdam du peu de troupes qui
+ y étaient maintenant, sa personne ne serait pas en sûreté, qu'il
+ existait un grand mécontentement dont il était fort inquiet.
+
+ Je répondis au roi que ce n'était pas le moment de revenir sur les
+ causes de son malheur, mais plutôt de chercher les moyens d'y
+ remédier; que l'empereur était mécontent du système général de la
+ Hollande, du peu de ressources qu'elle offrait, et de la mauvaise
+ volonté que l'on mettait à coopérer à l'expédition projetée; que le
+ maréchal Dumonceau, sous prétexte d'être obligé de demander des
+ ordres, ajournait l'exécution de ceux qu'il recevait; qu'il
+ annonçait souvent avoir fait ce que, deux jours après, il écrivait
+ n'avoir pu exécuter, et que Sa Majesté devait sentir combien il
+ était indispensable de donner à ce maréchal des ordres assez
+ illimités pour qu'il fût autorisé à obéir sur-le-champ à M. le
+ maréchal duc d'Istrie. Après une longue discussion, le roi m'assura
+ qu'il allait donner de nouveaux ordres et que j'y pouvais compter.
+
+ Nous en vînmes ensuite à une augmentation de troupes, et, tout en
+ entrant dans les inquiétudes du roi, je lui dis cependant qu'il
+ fallait faire quelque chose, et qu'il ne pouvait pas renvoyer
+ l'aide-de-camp du ministre de la guerre avec un refus. Nous
+ entrâmes, à ce sujet, dans des discussions trop longues pour être
+ répétées à Votre Excellence, et, après de grands efforts, je parvins
+ à décider le roi à mettre aux ordres de l'empereur, si Sa Majesté
+ l'exigeait, un bataillon qui gardera la côte. Le roi me dit qu'il
+ ferait remplacer ce bataillon par une partie de sa garde; que, quant
+ au corps d'élite, il ne consentirait jamais à le diviser, et que je
+ devais sentir l'impossibilité que Sa Majesté restât à Amsterdam à la
+ merci de la populace. Enfin, le roi me témoigna le désir de voir
+ l'empereur et l'empressement qu'il aurait eu d'aller à Anvers si Sa
+ Majesté Impériale et Royale y était venue, mais qu'il craignait de
+ se trouver dans la même ville que la reine. Autorisé par cette
+ phrase, je crus pouvoir revenir sur ce sujet, dont j'avais déjà
+ parlé au roi l'année dernière, et je cherchai à le ramener à une
+ conduite plus convenable pour lui et plus avantageuse pour la
+ Hollande; mais je perdis mon temps et mes paroles. Sans répondre aux
+ vérités que je lui disais, Sa Majesté se contenta de me répondre
+ qu'elle irait plutôt au bout du monde que de se rapprocher de la
+ reine, que jamais il ne voulait en entendre parler, qu'il ferait à
+ la Hollande tous les sacrifices excepté celui-là, etc., etc. Enfin,
+ après avoir parlé longtemps sur ce sujet, le roi persista dans son
+ désir de voir l'empereur, désir que Sa Majesté doit exprimer dans la
+ lettre qu'elle écrit à son auguste frère.
+
+ Le reste de la conférence fut employé en plaintes de Sa Majesté sur
+ son affreuse position, sur son désir de quitter la Hollande, s'il ne
+ parvenait pas à regagner l'amitié de l'empereur; sur son opinion
+ prononcée qu'il devait être Hollandais, et que, tant qu'il serait
+ roi, il devrait défendre ses sujets; sur l'idée qu'on l'accusait
+ d'être Français, et qu'il devait ne pas le paraître; enfin, sur
+ l'échafaudage d'un système faux et désastreux, mais tellement
+ enraciné dans la tête de Sa Majesté que je crois qu'il n'existe,
+ peut-être, que l'empereur qui puisse l'en faire revenir. À cette
+ malheureuse opinion, j'ai trouvé mêlé un grand attachement à
+ l'empereur; l'intention, si Sa Majesté quittait la Hollande, d'aller
+ trouver son auguste frère, de faire tout ce qu'il voudrait et de
+ demeurer le plus fidèle de ses sujets. J'ai pu facilement pénétrer
+ que le roi exprimait ce qu'il pensait, et que Sa Majesté était
+ vraiment malheureuse. J'ai cherché à détruire le système du roi; je
+ lui ai représenté ses entours comme autant d'intrigants qui avaient
+ surpris sa religion; qui, n'osant pas lui dire d'être anti-Français,
+ avaient su lui persuader qu'il devait être Hollandais, pour parvenir
+ au même but. J'ai répété au roi que, couronné par l'empereur, il
+ devait suivre le système politique et commercial de la France; que,
+ sans les bontés de Sa Majesté Impériale et Royale, la Hollande
+ périssait au milieu de son opulence et de ses richesses; que jamais
+ gouvernement n'avait été dans une position plus alarmante par le
+ tableau même que Sa Majesté venait de me faire, et que, d'après son
+ opinion, l'empereur ne pourrait sauver la Hollande que lorsqu'il
+ serait assuré que ce gouvernement lui serait utile au lieu de
+ contrecarrer continuellement toutes ses dispositions. Le roi
+ m'écouta avec bonté, et j'oserai même dire avec amitié. Il ne nia
+ pas les faits que j'avançais ni les accusations que je portais; mais
+ il en revenait à son premier principe: qu'il serait perdu s'il avait
+ l'air d'être l'agent et l'instrument de l'empereur.
+
+ Sa Majesté me témoigna une grande peine de ne pas recevoir de
+ réponse de l'empereur, une grande inquiétude sur sa position et une
+ grande peine de la suite des événements qui se préparaient.
+
+ Maintenant, Votre Excellence est bien au fait de la cause de tout ce
+ qui arrive dans ce pays-ci. Depuis longtemps, j'ai eu l'honneur de
+ vous les faire pressentir. Il fallait la position présente et l'aveu
+ du roi pour que j'osasse vous le dire plus clairement. Quant au
+ remède, l'empereur peut seul le trouver, et il ne m'appartient pas
+ d'émettre mon opinion à cet égard. Dans le cas où le roi irait à
+ Paris et où Sa Majesté me demanderait de l'accompagner, je prierais
+ Votre Excellence de me mander ce que je dois faire.
+
+ Lorsque la conférence fut terminée, le roi me prévint qu'il avait
+ été informé que l'empereur admettait en France les bâtiments
+ américains chargés de coton; qu'ainsi, il avait annoncé au commerce
+ que, lorsqu'il lui serait prouvé que l'empereur avait donné une
+ telle permission, il en permettrait l'entrée en Hollande, pourvu que
+ les marins prouvassent qu'ils n'ont pas été en Angleterre, et
+ l'origine des cotons. Je prie Votre Excellence de me donner des
+ nouvelles à cet égard.
+
+ Le roi m'a demandé plusieurs fois si M. Amelin était de retour, et
+ m'a paru très inquiet de ce retard.
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ 25 novembre.
+
+ Le maréchal Werhuell, arrivé à Amsterdam depuis trois jours, a eu
+ avec le roi une longue conférence, dans laquelle rien n'a été
+ décidé.--Son but était de rendre compte de l'audience particulière
+ que l'empereur lui avait accordée, et d'engager le roi à venir à
+ Paris.--L'ambassadeur l'a mis au courant de la situation des
+ choses.--On prépare les voitures de voyage du roi.--La contrebande
+ diminue un peu, depuis que le roi a défendu que l'on délivrât des
+ passeports d'intérieur pour toutes les marchandises qui viennent
+ d'Ost-Frise; mais les magasins d'Amsterdam sont pleins de denrées
+ coloniales et de marchandises anglaises. La communication avec
+ l'Angleterre est très fréquente, et des passagers viennent
+ habituellement de l'autre côté du Rhin. Les derniers arrivés disent
+ que l'on peut compter sur l'évacuation de l'île de Walcherem, les
+ Anglais n'ayant pas 2,000 hommes en état de se battre.
+
+ Le roi se plaint de la conduite des corsaires français, qui ont pris
+ deux bûcherons en dedans des limites.
+
+ Je n'ai rien pu répondre à Sa Majesté, mais je n'ai pas blâmé les
+ corsaires, les dernières instructions de Votre Excellence
+ m'enjoignant de ne plus reconnaître de limites en dedans desquelles
+ les corsaires ne devaient pas exercer une police sévère contre les
+ navires chargés de marchandises prohibées.
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ 27 novembre.
+
+ Le roi est revenu hier d'Harlem, a reçu le Corps législatif, a
+ annoncé officiellement son départ pour Paris.
+
+ Il a eu une dernière entrevue avec le roi, qui lui a dit qu'il
+ s'était décidé à partir sur ce que le maréchal Werhuell lui avait
+ annoncé le désir que l'empereur avait témoigné de le voir; qu'il
+ n'avait été arrêté dans ce voyage que par la peine de se rendre dans
+ la ville que la reine habitait, et que son intention première était
+ d'aller loger chez Madame-Mère.
+
+ J'observai au roi combien cette démarche me paraissait
+ précipitamment adoptée, et je pris la liberté d'en dire les
+ inconvénients à Sa Majesté, qui me parut décidée à aller à
+ Saint-Leu.
+
+ Le roi trouve qu'il ne peut revenir sans apporter une preuve
+ éclatante de son rapprochement avec l'empereur.
+
+ --Il emmène M. Roëll, qui se dit malade d'avance.
+
+ --M. Mollerus, homme d'esprit, très prononcé dans un système opposé
+ à la France, ce qui est connu depuis longtemps. M. Roëll est nommé
+ président du conseil des ministres, et chargé du portefeuille des
+ affaires étrangères.
+
+ On est généralement fâché, dans le gouvernement, du départ du roi.
+ On craint que Sa Majesté ne change de marche; mais la généralité des
+ habitants d'Amsterdam espère beaucoup des résultats de ce voyage.
+
+ Le roi lui-même est parti tourmenté. La position de Sa Majesté est
+ certainement pénible. La Hollande souffre, et l'esprit public n'est
+ pas aussi bon qu'il pourrait l'être. Je vois cependant de grandes
+ ressources si la cause est complète, mais de nouveaux malheurs si
+ elle n'était pas entière.
+
+ Le 5 décembre 1809, le ministre duc de Cadore écrit à La
+ Rochefoucauld en lui envoyant le discours de l'empereur au Corps
+ législatif, annonçant d'autres destinées pour la Hollande.--Il
+ prescrit à l'ambassadeur d'observer l'effet produit sur les diverses
+ classes de la population, et d'en rendre un compte impartial à
+ l'empereur, en indiquant les mesures à prendre pour satisfaire aux
+ voeux légitimes des Hollandais.
+
+ --Quels avantages ils désirent voir assurer à leur pays; de quels
+ maux ils souhaitent d'être garantis? Quel est enfin l'arrangement
+ auquel ils sont prêts à souscrire?
+
+
+ RAPPORT DU DUC DE CADORE À S. M. L'EMPEREUR ET ROI.
+
+ 6 décembre 1809.
+
+ Le roi de Hollande a fait appeler ce matin le ministre des
+ relations. Il lui a témoigné sa profonde douleur de la communication
+ que venait de lui faire Sa Majesté l'empereur de ses vues sur la
+ Hollande et de l'ordre déjà donné à 40,000 hommes de troupes
+ françaises d'y entrer pour en opérer la réunion avec le grand
+ empire. Sa Majesté le roi paraissait, en effet, dans un abattement
+ voisin du désespoir. Ce n'était pas son propre sort qu'elle
+ déplorait. Elle avait éprouvé sur le trône tous les soucis et les
+ inquiétudes de la royauté, et le mal non moindre de son isolement
+ loin de son auguste frère, de sa famille, de la France, et dans un
+ pays contraire à sa santé. À la voix de son frère, elle descendrait
+ volontiers du trône, et elle demandait même avec instance que
+ l'empereur y plaçât ou la reine ou toute autre personne investie de
+ sa confiance. Ce n'était donc que pour l'intérêt de la France, pour
+ l'intérêt de l'empereur, que le roi de Hollande réclamait la
+ conservation de l'indépendance nominale qui avait été laissée
+ jusqu'à ce jour à ce pays. Elle est l'objet de tous les voeux des
+ Hollandais; pour la conserver, ils feraient les plus grands
+ sacrifices, et c'est pour elle qu'ils paient, en imposition, les
+ trois quarts de leurs revenus. La réunion, opérée contre leur voeu,
+ excitera un mécontentement général. Sans doute, les Hollandais se
+ soumettront à la force; mais l'action de cette force sera
+ continuellement nécessaire pour les maintenir dans la soumission. Il
+ faudra, désormais, qu'une armée française réside dans le pays. La
+ confiance perdue éloignera les capitaux, anéantira l'esprit
+ d'industrie qui a donné à ce pays une existence presque miraculeuse.
+ Il deviendra à la charge de la France, loin de lui être utile, et
+ l'Angleterre profitera de toutes les pertes que fera la Hollande.
+
+ Le roi voudrait, au prix de tout son sang, détourner tant de maux.
+ Il accédera, si l'intention de l'empereur est qu'il règne encore, à
+ un arrangement propre à donner à son auguste frère l'assurance que
+ la Hollande marchera désormais dans le système de la France. Il
+ propose de céder à la France tout ce qui est sur la rive gauche de
+ la Meuse, espérant que l'empereur voudrait le dédommager par
+ quelques concessions en Allemagne, et il indique le grand duché de
+ Berg. Il consentirait à avoir auprès de lui un agent de l'empereur,
+ sans caractère ou revêtu d'un titre propre à déguiser ses véritables
+ fonctions, lequel agent serait chargé de l'avertir des actes de son
+ administration qui pourraient être contraires aux intentions de
+ l'empereur, et il se conformerait aux indications de cet agent.
+ Enfin, il offre d'annuler, dès ce moment, les modifications
+ apportées au tarif de ses douanes, de rapporter ses décrets sur la
+ noblesse; enfin, de révoquer d'autres actes de son administration
+ qui auraient pu blesser l'empereur. Mais il croit ne pouvoir étendre
+ sa condescendance jusqu'à _prononcer la banqueroute et
+ l'établissement de la conscription_. Il offre de faire faire par la
+ Hollande les recrutements qui pourront lui être demandés.
+
+ Ces propositions doivent être faites au ministre des relations par
+ le ministre et l'ambassadeur du roi de Hollande; elles seraient même
+ rédigées par écrit. Les idées énoncées dans ce rapport ne sont qu'un
+ premier jet; il est possible que quelques heures de méditation les
+ étendent ou les modifient.
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 12 décembre.
+
+ J'ai eu l'honneur d'expédier hier à Votre Excellence le courrier
+ Lourdet avec la réponse aux demandes qu'elle m'a adressées. Le peu
+ de temps que j'ai eu pour la rédiger ne m'a pas donné la possibilité
+ d'entrer dans le détail des moyens d'exécution qui n'ont pu qu'être
+ indiqués, ni de parler des ressources immenses que présente ce pays;
+ elles sont tellement considérables que, la confiance une fois
+ rétablie, et malgré la dette, il peut encore offrir à la France de
+ grands avantages, et lui fournir même du numéraire si l'empereur le
+ désirait; mais je crois qu'il faut le rassurer, principalement sur
+ son incorporation, car les fonds que l'on réalise iront en
+ Angleterre; le change est déjà monté de 3% et le papier anglais est
+ recherché.
+
+ Votre Excellence sait peut-être déjà que quelques feuilles
+ hollandaises ont osé retrancher du discours de l'empereur l'article
+ qui regarde ce pays, et que celles qui ont rendu compte fidèlement
+ de tout le discours sont défendues. Cet ordre a été donné par le
+ ministre de la justice et de la police. M. de Styrum, préfet du
+ département, a ordonné que la _Gazette de Harlem_ laissât l'article
+ en blanc.
+
+ L'inquiétude est grande; les fonds de tous les pays baissent. Tous
+ les yeux sont tournés vers moi, et tous les esprits se livrent à des
+ conjectures qui sont loin de les rassurer.
+
+ Le 15 décembre 1809, l'amiral Werhuell écrit au duc de Cadore que
+ c'est avec une véritable douleur que le roi a vu l'empereur et son
+ ministre parler au Corps législatif de changements prochains en
+ Hollande. Sa Majesté espère que l'empereur n'a en vue que des
+ changements propres à consolider un trône qui est son ouvrage.--Il
+ aime à croire, d'ailleurs, que l'empereur fera connaître promptement
+ tous les changements projetés.
+
+
+Le 16 décembre, Larochefoucauld résume en quatre questions et
+réponses la lettre du ministre en date du 5 décembre:
+
+1º Quels sont les voeux des Hollandais?
+
+Maintenir leur nationalité; éviter les banqueroutes des deux tiers,
+la conscription et l'occupation française.
+
+2º Quels avantages désirent-ils?
+
+Le duché de Berg en échange de la Zélande et du Brabant.
+
+3º Quels maux veulent-ils éviter?
+
+Tout système qui serait en opposition avec celui de la France.
+
+4º À quel arrangement souscriraient-ils?
+
+À voir différer un tiers et plus de la dette, et à tous ceux qui
+conviendraient à l'empereur s'ils obtenaient les trois points
+indiqués plus haut.
+
+
+ANNÉE 1810.
+
+
+ NAPOLÉON À CLARKE.
+
+ Paris, 5 janvier.
+
+ Donnez l'ordre au maréchal Oudinot de se rendre à Anvers, pour
+ prendre le commandement de l'armée du Nord.
+
+
+ CLARKE À OUDINOT.
+
+ Paris, 20 janvier.
+
+ Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la lettre
+ que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 courant,
+ et Sa Majesté m'a chargé de vous témoigner qu'elle n'était pas
+ satisfaite d'apprendre que vous eussiez fait revenir sur territoire
+ français les troupes que vous aviez envoyées à Bréda et à
+ Berg-op-Zoom. L'empereur me charge, à cette occasion, de vous
+ réitérer les observations que je vous ai faites, par ma lettre du
+ 11, sur les mesures que vous aviez prises, relativement à ces deux
+ places. Sa Majesté pense que Votre Excellence aurait dû commencer
+ par y faire entrer ses troupes et en prendre possession après;
+ c'était la meilleure manière de parvenir à votre but. Quant aux
+ moyens à employer pour réussir, Votre Excellence doit comprendre que
+ c'est au général en chef, qui est sur les lieux, à faire les
+ dispositions convenables pour bien remplir les vues du gouvernement,
+ et qu'on ne peut lui prescrire des mesures de détail qu'il est dans
+ ses attributions de combiner et de faire exécuter de la manière la
+ plus propre à en assurer le succès.
+
+ Relativement aux gardes nationales, je vois, par la lettre de Votre
+ Excellence, qu'elle n'a fait revenir que la division Gouvion, et que
+ deux bataillons ont été placés à Malines et à Bruxelles. L'intention
+ de l'empereur est que Votre Excellence dispose de toutes les gardes
+ nationales de l'armée du Nord, même de celles qui sont à Bruxelles,
+ pour les placer en entier sur le territoire hollandais, où vous
+ devez aussi porter votre quartier général. Vous voudrez donc bien
+ donner vos ordres en conséquence, et vous occuper de remplir avec
+ activité les intentions de l'empereur. Votre Excellence verra,
+ d'ailleurs, que ces dispositions ne changent rien aux mesures
+ prescrites par ma lettre du 18, dont je vous confirme le contenu en
+ son entier, en vous invitant à ne rien négliger pour en assurer
+ l'exécution.
+
+
+ CLARKE AU ROI DE HOLLANDE.
+
+ Paris, 20 janvier.
+
+ Sire, Sa Majesté l'empereur et roi m'a chargé de faire connaître de
+ nouveau à Votre Majesté la peine que lui a causée la manière dont
+ les choses se sont passées en Hollande, relativement à l'entrée
+ demandée pour ses troupes dans les places de Bréda et de
+ Berg-op-Zoom. Le mauvais effet que produit en Hollande et en France
+ un pareil éclat ne peut échapper à Votre Majesté, et je dois croire
+ qu'elle en souffre autant que l'empereur. Il est malheureusement
+ devenu le résultat inévitable des ordres de Votre Majesté aux
+ commandants de place, et cette mesure ne pouvait produire, dans
+ aucun cas, un bon effet.--La lettre close qui a été présentée à
+ Berg-op-Zoom, au général Maison, contenant un ordre particulier de
+ Votre Majesté de ne remettre la place à qui que ce fût sans un ordre
+ du ministre de la guerre ou du roi lui-même, a dû nécessairement
+ frapper l'empereur, en annonçant que Votre Majesté s'était depuis
+ longtemps décidée à opposer de la résistance à l'exécution des
+ mesures que Sa Majesté Impériale pourrait avoir à prendre au sujet
+ de ces villes. J'espère, toutefois, que Votre Majesté aura pris
+ enfin le parti que la sagesse et la réflexion ont dû lui dicter, en
+ révoquant les ordres qu'elle avait donnés, pour éviter une
+ résistance inutile. Elle sentira que l'empereur ne peut revenir sur
+ des dispositions arrêtées après mûres réflexions, et fondées sur de
+ grandes vues politiques, dont l'accomplissement est nécessaire au
+ repos de l'Europe. Les maux qu'une résistance plus longtemps
+ prononcée causerait à la Hollande elle-même doivent être, aux yeux
+ de Votre Majesté, un motif déterminant pour l'engager à fléchir en
+ cette matière. Le seul parti, aujourd'hui, est de prendre les
+ mesures les plus précises pour éviter les fâcheux résultats que ses
+ premiers ordres ont dû produire, et terminer promptement une lutte
+ aussi inégale qu'elle serait nécessairement désastreuse pour les
+ États de Votre Majesté.
+
+
+ CLARKE À NAPOLÉON.
+
+ Paris, 25 janvier.
+
+ Votre Majesté trouvera ci-joint, en original, la dépêche que je
+ reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, en date du 28. Elle
+ répond à la mienne du 20, qui lui avait transmis les derniers ordres
+ de Votre Majesté. Le maréchal a pris toutes les mesures nécessaires
+ pour les exécuter, et a dû se rendre, le 24, de sa personne à
+ Berg-op-Zoom. Il envoie une copie de l'ordre du roi de Hollande,
+ adressé au gouverneur de Berg-op-Zoom, dont il résulte que l'entrée
+ de nos troupes ne souffrira pas de difficultés, mais que les
+ dispositions ultérieures ordonnées par Votre Majesté pourront
+ éprouver des obstacles. Le duc de Reggio assure, d'ailleurs, qu'il
+ les lèvera tous. Cependant, il attendra de nouveaux ordres pour la
+ prise de possession et le serment à exiger des autorités. Il doit
+ les attendre à Breda, où il se rendra en sortant de Berg-op-Zoom;
+ mais il pense qu'il devrait revenir ensuite à Anvers, dont la
+ position est la plus centrale pour pouvoir diriger les opérations le
+ long de la Meuse. Votre Majesté remarquera, parmi les dispositions
+ prises par le duc de Reggio pour la répartition de ses troupes,
+ qu'il a disposé de la division Lamarque en entier et d'un bataillon
+ de la division Chambarland, quoique ces sept bataillons fussent
+ compris dans le décret du 22, qui ordonne leur licenciement. Je
+ supplie Votre Majesté de vouloir bien me faire connaître ses
+ intentions à cet égard, de même que sur les autres objets de la
+ lettre du maréchal duc de Reggio qui exigent une décision.
+
+
+ CLARKE À NAPOLÉON.
+
+ 27 janvier.
+
+ J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté, en original, la
+ dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, datée
+ de Berg-op-Zoom, le 24 courant, par laquelle il annonce son arrivée
+ dans cette ville de même que l'entrée du général du Roure à Breda.
+ Votre Majesté remarquera que le général hollandais qui commande à
+ Berg-op-Zoom a refusé de laisser prendre possession de la place, en
+ alléguant les ordres du roi. Le duc de Reggio n'en a pas moins fait
+ toutes ses dispositions pour exécuter les premiers ordres de Votre
+ Majesté; mais il en attend encore avant d'effectuer la prise
+ définitive de possession, et, d'ici à l'époque où il pourra les
+ recevoir, il aura réuni les troupes dont il a besoin pour consommer
+ cette entreprise.
+
+
+ CLARKE À OUDINOT.
+
+ 28 janvier.
+
+ Monsieur le maréchal. Vous trouverez ci-joint une copie du décret de
+ Sa Majesté l'empereur, daté des Tuileries, le 20 janvier, et que Sa
+ Majesté vient de me faire connaître. L'intention de l'empereur est
+ que vous fassiez une proclamation, pour faire connaître que vous
+ prenez possession militaire des pays situés entre la Meuse et
+ l'Escaut; que les troupes hollandaises, de même que les troupes
+ françaises, ne devront obéir qu'à vos ordres, et que telle est la
+ volonté de l'empereur.
+
+ Vous devez parler très haut aux militaires hollandais et savoir ce
+ qu'ils prétendent faire. La mise des places en état de siège
+ annulera, par le fait, la possibilité de tout acte inconsidéré de la
+ part des autorités civiles. L'empereur veut que vous vous empariez
+ des magasins à poudre et des munitions de guerre et de bouche. Votre
+ Excellence annoncera l'arrivée prochaine de 60,000 Français et fera
+ former des magasins pour leur subsistance.
+
+ Sans rien écrire à ce sujet, Votre Excellence fera entendre que la
+ sûreté des frontières de France obligera peut-être l'empereur à
+ réunir définitivement à la France la partie de la Hollande située
+ entre la Meuse et l'Escaut, et qu'en attendant, il est de l'intérêt
+ des habitants de bien se comporter.
+
+ L'empereur permet, monsieur le maréchal, que je vous confie, sous le
+ secret, qu'en réalité, son intention est de faire prendre d'abord
+ _possession militaire_ des pays en question, et d'en faire prendre
+ après _possession civile_, ce qui, toutefois, ne pourra avoir lieu
+ avant que vous receviez de nouveaux ordres. Sa Majesté a arrêté
+ irrévocablement dans sa pensée _la réunion à la France des pays
+ compris entre la Meuse et l'Escaut_; mais, en ce moment, elle veut
+ que vous vous borniez à en prendre la possession militaire entière
+ et absolue.
+
+ Vous devez avoir l'oeil sur les magasins de marchandises anglaises
+ et de denrées coloniales, afin que la saisie puisse s'en effectuer
+ au premier ordre et à la fois; il faudra marcher contre les
+ rassemblements de contrebandiers hollandais et leur donner des coups
+ de fusil, s'il en est besoin.
+
+ Le 7 février, une division française du 4e corps de l'armée
+ d'Allemagne doit arriver à Dusseldorf et doit continuer
+ immédiatement sa route pour être sous vos ordres. Vous devez laisser
+ peu de monde à Anvers et sur la rive gauche de l'Escaut, et, dès que
+ les chaloupes et bateaux canonniers français qui sont dans nos
+ canaux pourront servir, vous les ferez venir et vous vous en
+ servirez. Enfin vous ferez, monsieur le maréchal, des règlements
+ sévères pour tous les objets qui en sont susceptibles. Vous ne
+ parlerez jamais de réunion d'une manière absolue, mais seulement de
+ possession militaire. Vous ferez publier et afficher partout le
+ décret ci-joint.
+
+ Un de vos premiers soins sera de mettre garnison dans toutes les
+ places où il doit y en avoir. Vous notifierez aux généraux
+ hollandais que leurs troupes font partie de l'armée de l'empereur,
+ et vous donnerez la plus grande attention à les placer dans des
+ endroits où elles ne puissent pas nuire. Vous veillerez surtout à ce
+ qu'elles ne repassent pas en Hollande, et, au moindre soupçon, vous
+ les ferez désarmer. Vous ferez ces notifications aux maréchaux
+ hollandais, que vous appellerez à votre quartier général.
+
+ L'intention de l'empereur est que toutes les gardes nationales de
+ l'armée du Nord et les autres troupes qui en dépendent se dirigent
+ sur votre quartier général. L'empereur m'ordonne de vous réitérer
+ l'ordre de tenir toutes vos troupes réunies, en vous conformant,
+ d'ailleurs, à ce qui vous est prescrit par mes dépêches de ce jour.
+
+ Le général Vandamme reçoit l'ordre de se rendre sans délai à
+ Berg-op-Zoom, pour servir sous vos ordres dans l'armée du Brabant.
+
+ _P.-S._--M. le capitaine Markey, mon aide-de-camp, est chargé de
+ remettre mes dépêches à Votre Altesse.
+
+
+ Palais des Tuileries, 20 janvier 1810.
+
+ DÉCRET.
+
+ Voulant pourvoir à la sûreté des frontières du nord de notre empire,
+ et mettre à l'abri de tout événement nos chantiers et arsenaux
+ d'Anvers;
+
+ Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
+
+ Article 1er.
+
+ Il sera formé une armée sous le nom d'_Armée de Brabant_.
+
+ Art. 2.
+
+ Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et l'Océan formeront
+ le territoire de la dite armée.
+
+ Art. 3.
+
+ Toutes les troupes françaises et alliées, de terre et de mer, qui se
+ trouvent dans cet arrondissement, feront partie de l'armée de
+ Brabant.
+
+ Art. 4.
+
+ Les places de guerre situées entre la Meuse et l'Escaut seront mises
+ en état de siège.
+
+ Art. 5.
+
+ Les commandants militaires et les autorités françaises et
+ hollandaises se conformeront aux présentes dispositions.
+
+ Art. 6.
+
+ Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent
+ décret.
+
+ NAPOLÉON, etc., etc.
+
+ Article 1er.
+
+ Toutes les marchandises anglaises existant dans les villes et places
+ situées entre la Meuse et l'Escaut sont confisquées.
+
+ Art. 2.
+
+ Le produit de la vente de ces marchandises sera employé moitié à
+ réparer les dégâts faits à Flessingue, et moitié à indemniser les
+ habitants des pertes qu'ils ont essuyées par le bombardement.
+
+ Art. 3.
+
+ Toutes les marchandises coloniales seront mises sous séquestre.
+
+ Art. 4.
+
+ Nos ministres de la police et des finances sont chargés de
+ l'exécution du présent décret.
+
+
+ CLARKE À NAPOLÉON.
+
+ 29 janvier.
+
+ Votre Majesté trouvera ci-joint une lettre du maréchal duc de
+ Reggio, du 26 courant, datée de Berg-op-Zoom, par laquelle il rend
+ compte de l'opposition toujours soutenue du gouvernement hollandais,
+ qui a refusé de laisser prendre connaissance des magasins de la
+ place: le duc de Reggio, après avoir fait sortir les troupes qui
+ appartenaient au corps du maréchal Dumonceau, a dû, dès le
+ lendemain, déposséder le gouverneur et s'emparer des magasins.
+
+ En attendant que cette opération fût consommée, le maréchal duc de
+ Reggio a fait faire une reconnaissance de la place qui lui a procuré
+ quelques renseignements. 240 bouches à feu se trouvent dans la
+ place, et, en approvisionnements de siège, de quoi nourrir 2,000
+ hommes pendant six semaines. Du reste, il n'y a ni manutention, ni
+ hôpitaux, ni casernes, ni fournitures, et le duc de Reggio pense
+ qu'il est instant de régler sans délai tout ce qui tient aux
+ administrations, ainsi que d'assurer tous les services de l'armée
+ qui sera en Hollande.
+
+ À cette lettre est joint un croquis de la place de Berg-op-Zoom,
+ avec un précis de ce qu'on a pu voir de cette place, les ingénieurs
+ hollandais ayant refusé toute espèce de renseignements.
+
+
+ CLARKE À NAPOLÉON.
+
+ 31 janvier.
+
+ J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre du duc de
+ Reggio, datée de Breda, le 28 janvier. Il rend compte qu'à
+ Berg-op-Zoom comme à Breda, la prise de possession des magasins
+ d'artillerie, du génie et des subsistances a eu lieu le 27, comme
+ il l'avait annoncé. Les gouverneurs de ces places ont persisté dans
+ leur opposition jusqu'au dernier moment; ils n'ont cédé qu'à la
+ force. Ils ont ensuite refusé tous deux de remplir aucune fonction
+ et attendent une nouvelle destination de la part de leur souverain.
+
+ Le duc de Reggio demande maintenant des instructions positives,
+ relativement aux autorités du pays et aux habitants; le décret que
+ je lui ai envoyé le 28 lèvera les obstacles qu'il craint de
+ rencontrer de leur part.
+
+ Le maréchal fait observer que les bataillons de gardes nationales
+ qui font sa principale force sont diminués par la désertion et fort
+ éloignés de l'instruction et de la discipline que la circonstance
+ exigerait. En outre, ils sont presque nus, ce qui contribue à les
+ décourager. Les démarches faites à ce sujet au ministre directeur
+ n'ont pas même obtenu de réponse. Le duc de Reggio insiste avec
+ force sur la nécessité d'apporter un prompt remède à cet état de
+ choses, dont la fâcheuse influence ne saurait échapper à la sagesse
+ de Votre Majesté.
+
+ Une autre lettre du même, en date du 26, rend compte de la désertion
+ qui a eu lieu à Namur dans les bataillons de la Meurthe et de la
+ Moselle, dont il a été déjà rendu compte à Votre Majesté. Le
+ maréchal ajoute que le départ pour Lille de la majeure partie des
+ officiers a désorganisé ces bataillons, et qu'on doit peu compter
+ sur eux dans une circonstance difficile.
+
+
+ CLARKE À OUDINOT.
+
+ 1er février.
+
+ Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre
+ Excellence, par une dépêche du 28 janvier, dont le capitaine Markey,
+ mon aide-de-camp, a été porteur, les intentions de l'empereur
+ relativement à la prise de possession des places hollandaises
+ situées entre la Meuse et l'Escaut. Aujourd'hui, je suis chargé par
+ Sa Majesté de vous envoyer l'ordre de prendre possession militaire
+ de toutes les places situées entre le Rhin et l'Escaut. Pour cet
+ effet, il sera nécessaire que Votre Excellence commence par
+ s'assurer des points qui couvrent sa gauche: ce sont les forts de
+ Steenbergen, de Wilehelmstadt, de Klundoert et les villes de
+ Gertruydenberg et Heusden, qu'il faudra faire occuper par des
+ détachements. Bois-le-Duc et le fort de Crèvecoeur doivent être pris
+ en même temps, et cette mesure préliminaire étant consommée,
+ l'arrivée prochaine de la division du 4e corps destinée à passer
+ sous vos ordres vous permettra de suivre votre opération par la
+ droite. Cette division, qui sera à Dusseldorf, doit être dirigée de
+ Dusseldorf sur Venloo, d'où elle marchera directement sur Grave et
+ de là sur Nimègue, qui doivent être pareillement occupés, de même
+ que le fort de Schenk. Quand vous aurez, par là, votre droite et
+ votre, gauche assurées, vous pourrez continuer votre marche en
+ avant, pour aller occuper, sur votre gauche, la Zeelande ainsi que
+ les îles de Josée et de Worms, ce qui vous conduira à prendre
+ possession de Zérickée, de la Brille, d'Helvoest-Lyns et de
+ Dordrecht. Vous aurez alors, en avant de votre route, le
+ Bommel-Waard et la place de Garcum à occuper, au moyen de quoi votre
+ grand mouvement se trouvera terminé, et vous aurez votre droite au
+ fort de Schenk près du Rhin et votre gauche à l'île de Gorée. Il
+ sera nécessaire de procéder, dans ces différentes places, de la même
+ manière qu'à Breda et à Berg-op-Zoom, en y nommant un commandant
+ militaire français et en renvoyant les troupes hollandaises qui
+ pourraient s'y trouver en garnison dans des endroits où elles ne
+ puissent pas nuire. Il faudra aussi s'emparer des magasins
+ d'artillerie et des subsistances, et déclarer les places en état de
+ siège pour annuler entièrement l'action des autorités civiles.
+ Toutes ces opérations doivent être consommées successivement, mais
+ avec beaucoup d'ensemble et de célérité pour en faciliter
+ l'exécution, et je prie Votre Excellence de vouloir bien m'informer
+ sans délai des mesures que vous aurez prises pour remplir, à cet
+ égard, les intentions de l'empereur.
+
+
+Le 2 février 1810, en présence des exigences du duc de Reggio
+exécutant les ordres de l'empereur, un conseiller d'État du roi
+Louis, le chevalier Elout, adressa au maréchal la lettre ci-dessous:
+
+
+ Breda, 2 février.
+
+ Monsieur le duc, chargé d'une mission auprès de Votre Excellence,
+ j'ai appris avec regret que Votre Excellence se trouvait à Anvers.
+ Privé d'un entretien que j'avais désiré vivement, il est toutefois
+ de mon devoir de faire connaître à Votre Excellence l'objet spécial
+ de la mission qui m'a été confiée, et dont j'ai l'honneur de
+ m'acquitter par celle-ci.
+
+ Je n'ai pas besoin d'entrer en beaucoup de détails; mais je dois,
+ cependant, prendre la liberté de rappeler à Votre Excellence que,
+ quoique l'on n'a pas cru pouvoir accorder à sa demande d'être mise
+ en possession d'une partie du territoire hollandais, on n'a pas
+ hésité un moment, lorsque Votre Excellence a témoigné le désir d'y
+ mettre les troupes de Sa Majesté l'empereur et roi en cantonnement,
+ à recevoir ces troupes dans les places fortes de Breda et de
+ Berg-op-Zoom, comme celles d'une puissance amie et alliée, ainsi que
+ le dictaient les ordres du roi, mon maître, qui étaient connus
+ d'avance à Votre Excellence et qui doivent être la seule règle de
+ conduite pour tout fonctionnaire hollandais. Le gouvernement
+ hollandais se reposait ainsi, avec toute la confiance possible, sur
+ les assurances données par Votre Excellence, qu'elle désirait d'être
+ admise sur ce point que les places resteraient sous les ordres de
+ leurs gouverneurs respectifs, et que l'administration civile serait
+ intacte.
+
+ Il vous sera donc facile, monsieur le maréchal, de sentir la vive
+ douleur qu'a dû éprouver mon gouvernement lorsqu'il a été informé
+ qu'on avait pris possession de la ville et du territoire de
+ Berg-op-Zoom au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon; qu'il avait
+ été exigé des autorités constitutives de se considérer comme sujets
+ de ce monarque; qu'il avait été interdit d'administrer la justice au
+ nom du roi, leur souverain légitime; qu'on avait enfin donné les
+ ordres les plus précis aux receveurs de ne pas disposer des deniers
+ publics sans un ordre du gouvernement français, douleur qui est
+ accrue par ce qui est arrivé à Bréda.
+
+ La gloire de bien servir son maître est si naturelle, et tellement
+ inhérente à tout Français, que je croirais manquer à Votre
+ Excellence d'en presser le devoir; que Votre Excellence juge donc si
+ les sentiments de tout homme d'honneur ne doivent pas s'accorder
+ avec ce devoir même! Qu'ainsi, il lui est impossible de se départir
+ de la fidélité qu'il doit à son souverain, et dont ce souverain peut
+ seul le dégager.
+
+ Votre Excellence sent profondément (j'en ai la conviction intime)
+ l'état cruel et pénible où se trouvent les bons et fidèles
+ serviteurs du roi, en se voyant pressés de violer leurs serments et
+ de manquer ainsi à leurs devoirs les plus chers et les plus sacrés
+ et se rendre par là méprisables aux yeux de tout homme de bien,
+ sentiment de mépris que partagerait Votre Excellence elle-même qui
+ est trop pénétrée, sans doute, de la noblesse des sentiments d'amour
+ et de fidélité que je viens de professer pour vouloir attribuer les
+ difficultés qu'elle aurait pu avoir rencontrées de la part de ces
+ individus à d'autre cause qu'à ses sentiments.
+
+ «Je crois pouvoir ajouter encore avec confiance, que d'après les
+ intentions manifestées par l'empereur lui-même et les ordres les
+ plus positifs du roi, que Votre Excellence a prouvé, par sa conduite
+ antérieure, connaître à fond que l'entrée des troupes françaises sur
+ le territoire hollandais ne peut être considérée que sous un point
+ de vue militaire, mais jamais comme devant signifier la prise de
+ possession au nom de Sa Majesté l'empereur et roi, et qu'encore pour
+ cette raison aucun habitant ne doit ni ne peut se considérer comme
+ sujet de Sa Majesté l'empereur Napoléon, mais que tous sans
+ exception ne désirent respecter que les ordres qui leur seront
+ donnés de la part de Sa Majesté le roi de Hollande dans les formes
+ usitées et légitimes.
+
+ «Je dois insister plus spécialement encore sur ce qui regarde
+ l'administration des finances. Votre Excellence doit sentir le grand
+ embarras et la stagnation funeste que doivent faire naître les
+ ordres donnés à ce sujet, ce dont les suites sont incalculables dans
+ ce royaume.
+
+ «J'ose donc prier Votre Excellence qu'elle veuille se rendre aux
+ représentations que j'ai l'honneur de lui faire d'après mes
+ instructions et de donner les ordres pour que les conditions posées
+ en principe par Votre Excellence elle-même soient respectées, et
+ qu'il ne soit rien exigé d'un sujet hollandais qui serait contraire
+ à son devoir, mais qu'il lui soit permis d'attendre sur toutes
+ choses les ordres de son roi, et que Votre Excellence veuille faire
+ révoquer le plus tôt possible les ordres donnés aux receveurs
+ généraux, en un mot que tout ordre qui n'émane pas des principes
+ militaires relativement au cantonnement, soit révoqué et mis hors
+ d'effet.
+
+ «Je viens d'exposer l'objet de ma mission, Monsieur le duc, et me
+ fondant sur votre caractère personnel autant que sur la haute
+ qualité dont Votre Excellence est investie, j'ose espérer que le
+ gouvernement hollandais ne se sera pas flatté en vain que Votre
+ Excellence se rendrait à une demande juste dans sa nature,
+ intéressante dans ses conséquences et peu faite sans doute pour
+ inspirer les moindres appréhensions.
+
+ «Je prie Votre Excellence de m'en donner l'assurance afin que je
+ puisse communiquer à mon gouvernement un résultat qu'il attend avec
+ confiance et qui sera propre à conserver et à augmenter la bonne
+ harmonie entre les individus des deux nations intimement liées.
+
+ «J'ai chargé Monsieur Siberg, auditeur du roi, de remettre cette
+ dépêche à Votre Excellence et de me rapporter la réponse qu'elle
+ voudra me faire parvenir. Agréez, Monsieur le duc, l'assurance de ma
+ haute considération.»
+
+
+ LE MINISTRE DE LA GUERRE DE HOLLANDE À OUDINOT.
+
+ Amsterdam, 3 février.
+
+ «Monsieur le duc, les ordres que j'ai reçus du roi mon maître et que
+ M. de Byland, son aide de camp, m'a apportés, ont fait cesser en
+ effet l'obligation pénible où j'étais de lutter contre les mesures
+ de Votre Excellence, et maintenant que je me trouve autorisé à vivre
+ en harmonie avec elle, je n'aurai rien de plus à coeur que de faire
+ de mon côté tout ce qui peut tendre à la maintenir.
+
+ «Je sens que les troupes françaises qui vont occuper la partie du
+ royaume située entre la Meuse et l'Escaut auront besoin d'y trouver
+ des moyens de subsistance. Ce service est assuré, pour les troupes
+ hollandaises, par l'entrepreneur général des vivres, qui fournit à
+ tous leurs besoins. J'ai proposé à Sa Majesté de le charger aussi de
+ la nourriture des troupes françaises, et j'attends les ordres
+ qu'elle voudra bien me donner à cet égard. Si, dans l'intervalle,
+ Votre Excellence juge à propos de requérir l'intervention des
+ autorités locales, j'ai l'honneur de la prévenir que cette mesure
+ serait étrangère à mon département et ressortirait entièrement du
+ ministère de l'intérieur.»
+
+
+ DE LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 15 février 1810.
+
+ «Croyant qu'il peut être agréable à Votre Excellence d'avoir
+ quelques détails sur l'opinion générale et sur la situation des
+ esprits en Hollande, je vais avoir l'honneur de vous faire part de
+ mes observations.
+
+ «L'esprit public est généralement bon, c'est-à-dire que la masse de
+ la nation est susceptible de prendre telle direction qu'il plaira à
+ son gouvernement de lui donner. Le Hollandais aime sa patrie et fera
+ de grands sacrifices pour elle. Il prend donc une part très réelle à
+ ce qui intéresse la chose politique et l'honneur national.
+
+ «Le grand penchant qui existe pour l'Angleterre ne tient qu'au
+ besoin de commerce et aux ressources avantageuses que l'on retire
+ des relations avec ces insulaires. Mais favorisez le commerce,
+ montrez de l'intérêt pour la Hollande, faites-lui entrevoir une
+ prospérité future et une protection présente, dès lors vous verrez
+ la Hollande devenir Française, car elle ne tient à l'Angleterre ni
+ de cour, ni de goût, mais uniquement d'intérêt, et parce que,
+ n'étant pas heureuse sous la direction française, elle croit que ce
+ qui lui est opposé doit être pour elle un bien. Il existe ici trois
+ opinions plus ou moins opposées les unes aux autres. Celle du
+ commerce et des gens à argent qui n'admettent et qui n'aiment que ce
+ qui leur procure un avantage; celle des propriétaires fonciers, de
+ l'ancienne noblesse et de leurs agents, qui furent attachés à la
+ maison d'Orange, qui en conservent des souvenirs, qui jusqu'à
+ présent penchaient pour l'Angleterre, en éloignant tout ce qui était
+ Français, mais que l'on peut faire revenir à des sentiments plus
+ raisonnables avec de la douceur et avec de la fermeté; enfin, celle
+ des Patriciens et de la masse du public qui suit ordinairement la
+ direction du gouvernement et dont l'on peut facilement disposer en
+ se rendant maître de leurs chefs. Le gouvernement est composé de la
+ seconde classe, d'une partie de la troisième et de quelques
+ individus de la première qui, pour obtenir des avantages personnels,
+ ont quitté la droite ligne du commerce pour devenir courtisans.
+ Cette seconde classe s'était tellement emparée de l'esprit du roi
+ que Sa Majesté croyait en avoir besoin et qu'ils avaient su se
+ rendre indispensables. Ils avaient travaillé l'esprit public, et
+ soit par séduction, soit par peur ou par désir d'obtenir des
+ emplois, soit enfin par des grâces, des décorations, ils étaient
+ parvenus à rendre la Hollande anti-française. Les honnêtes gens
+ souffraient et même quelques voix ont osé se faire entendre, mais
+ elles ont été étouffées, et l'homme qui voulait se prononcer était
+ si maltraité qu'il ôtait à tous les autres le désir et même la
+ pensée de suivre un exemple qui le ruinait lui et les siens. Enfin,
+ l'opinion publique était altérée; on gémissait en secret des fautes
+ du gouvernement, mais il avait soin de rejeter le mal sur
+ l'empereur. Le roi passait pour une victime de son dévouement à sa
+ nouvelle patrie et pour n'être traité froidement par son auguste
+ frère que parce qu'il défendait la Hollande[157]. Enfin, toutes les
+ apparences étaient contre ce pays-ci, et il fallait se donner la
+ peine d'examiner le mal de bien près et avec soin pour découvrir
+ qu'il était uniquement au gouvernement, ou plutôt à quelques
+ personnes qui avaient dû faire prendre la marche qui favorisait
+ leurs intérêts particuliers. Ces vérités sont connues de tout le
+ monde, elles sont même avouées des agents du gouvernement qui ne
+ nient pas le mal, mais qui prétendent n'en être pas la cause et qui
+ la rejettent sur tel ou tel autre individu.
+
+ [Note 157: De fait, l'opinion publique était dans le vrai.]
+
+ «L'empereur a donc atteint un premier but bien intéressant qui est
+ celui d'avoir ouvert les yeux à tous les partis; et chacun voit à
+ présent que le mal qui les accable vient de la marche vicieuse du
+ gouvernement. On rend toute la justice qui est due aux intentions du
+ roi; mais ceux mêmes qui ont conseillé Sa Majesté sentent la faute
+ qu'ils ont commise ou plutôt ils en craignent les effets. Mais que
+ Votre Excellence me permette de lui observer combien il serait
+ dangereux de se fier trop vite à un pareil repentir. Sûrement, il ne
+ faut punir personne; mais il faut éloigner des gens trop marquants,
+ qui ne peuvent prêcher sans honte un système opposé à celui qu'ils
+ ont professé publiquement. L'éloignement peut n'être que momentané;
+ mais il est indispensable pour asseoir le gouvernement dans de bons
+ principes et pour lui faire prendre une marche dont il ne doit plus
+ s'écarter. C'est un point très intéressant; mais, je le répète, il
+ faut une certitude de stabilité. Sans cela, il n'y a plus de
+ Hollande et je prie Votre Excellence de vouloir bien en être
+ persuadée. Mais ici nous avons atteint ce point si le roi est bien
+ convaincu de l'indispensable nécessité de suivre une marche
+ invariable; si Sa Majesté s'entoure de gens de talent et de
+ conduite, qu'elle daigne accueillir avec sa bonté ordinaire toutes
+ les opinions, mais en laissant le temps à ceux qui ont professé
+ l'ancienne doctrine de se reconnaître et d'ouvrir les yeux. Enfin
+ si, à son retour, le roi se prononce comme celui de Westphalie
+ paraît l'avoir fait; si l'empereur est sûr que Sa Majesté réunira à
+ une pensée ferme un plan de conduite fixe; si enfin le système de la
+ France est suivi, et qu'en Hollande le plus grand malheur et le plus
+ grand désavantage ne soit plus d'être français, alors ce pays peut
+ se rétablir. L'esprit public qui est bon et qui n'a été gâté que par
+ quelques individus se remettra. Le commerce et les capitalistes,
+ voyant qu'ils ne sont plus maltraités, mais que l'on assimile les
+ premiers aux négociants français, tandis que l'on protège les
+ seconds dans leurs rapports avec les cours étrangères, verront leurs
+ intérêts se rapprocher de S. M. impériale et royale et la béniront.
+ La noblesse bien traitée, favorisée de quelques ordres et titres,
+ employée selon les preuves qu'elle donnera de son zèle et de son
+ attachement à la nouvelle direction, se verra forcée, pour obtenir
+ des avantages de la cour, de prêcher la seule doctrine qui y sera
+ admise. Enfin, les Patriciens, amis de leur pays, qui ne désirent
+ que son bien, et qui sont à présent malheureux, se rallieront
+ facilement au gouvernement quand ils verront une certitude de
+ stabilité, et ils attireront après eux la masse du public qui sent
+ son mal et qui a besoin de le voir finir. Mais que Votre Excellence
+ ne se dissimule pas à quel point ce mal est porté. Chacun gémit et
+ se plaint. Le commerce est au moment d'éprouver des pertes
+ considérables. Les propriétaires qui ont tous des rentes sur l'État
+ sont ruinés par la chute des effets publics. La saisie des
+ marchandises a jeté l'alarme dans la seconde et la troisième classe
+ du peuple. Tout ce qui tient à la cour et au gouvernement craint
+ pour son existence personnelle. Enfin, les auteurs du mal
+ s'enveloppent de la misère publique. Ils ne parlent que de la nation
+ en général, que de son affreuse position, et ils se sauvent sous le
+ nom de la Hollande, tandis qu'eux seuls sont auteurs du mal dont
+ tout le monde est puni. Je ne voudrais pas, Monsieur le duc, que
+ Votre Excellence crût qu'il entre aucune personnalité dans ce que
+ j'ai l'honneur de lui mander. Ce ne serait même pas mon opinion de
+ faire une réaction. Je la croirais nuisible, et la Hollande a besoin
+ d'être tenue, mais en même temps d'être menée doucement et sans
+ secousse. Toute inquiétude trop forte lui ôte la confiance et nuit
+ au bien général; mais il faut lui inspirer cette confiance, la bien
+ convaincre que ce qui sera établi durera, que les lois qu'on lui
+ donnera seront stables et que son gouvernement ne variera plus.
+ Enfin, il faut, pour la lui inspirer, commencer par lui en faire
+ sentir la possibilité; et jamais avec les mêmes agents on ne croira
+ à une pareille marche. On regardera toute condescendance comme une
+ feinte, et l'on sera sûr d'être en butte à de nouveaux tiraillements
+ si nuisibles à l'intérêt général. Je le répète donc, la difficulté
+ n'est pas d'obtenir tout ce que l'empereur voudra, et même de voir
+ tout le monde l'adopter avec empressement, mais le but à atteindre
+ est de s'assurer que cela durera et que l'esprit du gouvernement est
+ changé, car sans cela la confiance ne se rétablira pas, et alors les
+ finances, objet si essentiel et question si délicate à traiter, ne
+ pourront être réglées de manière à sauver la Hollande d'une
+ banqueroute complète. Je regarde donc que l'esprit est bon, qu'il
+ est prêt à tout, que le ministère même verra son éloignement sans
+ peine, croyant la chose nécessaire, et que l'empereur gagnera tous
+ les cours et attirera la Hollande à lui, si, en la traitant comme la
+ France, il oblige son gouvernement à devenir et à rester français.
+
+ «Quant à l'opinion des individus qui composent le gouvernement, elle
+ est dans ce moment-ci toute française en apparence. Tout le monde
+ avoue qu'il n'y a pas un autre système à suivre. Tout le monde a
+ peur et est devenu souple. On ne prononce plus le nom de l'empereur
+ qu'avec respect, et chacun craint son juge; mais cet esprit du
+ gouvernement est l'effet du moment. C'est le même individu qui tient
+ publiquement un langage raisonnable et qui, comme homme public,
+ professe cette religion, parle tout différemment quand, revenu dans
+ les cercles particuliers, dans sa famille ou chez ses amis, il peut
+ émettre sa véritable opinion. Le ministère est composé de Messieurs
+ Roëll, Mollerus, Van der Heim, Cambier, Hugenpoth, Van Capellen,
+ Krayenkoff et Apellius. Le premier, Votre Excellence le connaît;
+ elle peut le juger; mais cependant je dois lui observer qu'il est
+ haineux et vindicatif, qu'il a toujours tourné en dérision tout ce
+ qui était français, et que, sans avoir une mauvaise opinion
+ prononcée, il est un de ceux qui ont nui à un changement de système.
+ Le second est fin, adroit, instruit. Il a toujours été attaché à
+ l'Angleterre, où ses enfants étaient encore employés il y a peu de
+ temps. Il se met rarement en avant, mais il fait mouvoir d'autres
+ personnes et d'autres ministres, notamment M. Roëll. Sa conversation
+ est à présent dans une bonne direction. Il regrette, je crois,
+ d'avoir peut-être contribué à la perte de son pays. C'est un chef à
+ caresser, à bien traiter, mais à éloigner du timon des affaires,
+ parce que tout le monde le regarde comme une des personnes qui a le
+ plus dirigé le roi en sachant adroitement obtenir la confiance de Sa
+ Majesté et en faire un mauvais usage. M. Van der Heim,
+ officiellement, paraît être Français; mais c'est un homme réservé,
+ ne manquant pas de moyens, n'énonçant jamais une opinion et sachant
+ obtenir par des voies indirectes ce qu'il n'oserait pas demander
+ d'une manière positive. Il fait tout en dessous et l'on ne peut s'y
+ fier. Son ministère est celui où il règne le plus mauvais esprit, et
+ je crois qu'il en est cause. Cependant on pourrait tirer parti de
+ ses talents. Il se rallierait à un gouvernement dont il se verrait
+ forcé de suivre la marche. Monsieur Cambier est un honnête homme,
+ attaché à son pays, loyal dans son système modéré, sur qui l'on
+ pourrait compter s'il avait pris un engagement. Il n'est pas
+ Français de goût, parce qu'il est malheureux de la crise où se
+ trouve sa patrie, et qu'en convenant des torts que l'on a eus, il
+ trouve la punition forte, et, si j'ose le dire, il se plaint qu'une
+ nation tout entière souffre d'une mauvaise direction à laquelle elle
+ ne pouvait rien. Je connais peu M. Cambier, mais je le regarde comme
+ un homme estimable et bon à employer.
+
+ «M. Hugenpoth, ministre de la police, est un jeune homme qui était
+ petit avocat à Arnheim, sortant de finir de bonnes études. Il n'est
+ donc rien en politique et étonné d'occuper un poste auquel il aurait
+ pu peut-être convenir plus tard, mais qui dans ce moment-ci est
+ au-dessus de ses moyens. Le ministre de l'intérieur, Van Capellen,
+ était préfet de l'Ost-Frize, et, en cette qualité, a protégé
+ ouvertement la fraude, la contrebande. Les plaintes devinrent si
+ fortes qu'il fut rappelé et nommé successivement aux places de
+ conseiller d'État et de ministre. Il est allié à de bonnes familles.
+ Il a des opinions peu prononcées, mais mauvaises. C'est au reste un
+ jeune homme qui est conduit et qui suit l'impulsion du reste du
+ gouvernement. M. le général Krayenkoff est un topographe instruit et
+ voilà tout. Il paraît certain qu'il a été choisi par le roi, faute
+ d'autres personnes qui professent la même opinion et qui fussent
+ propres à être ministre de la guerre. Enfin M. Appelius, qui était
+ secrétaire du cabinet, est bon financier sans avoir peut-être les
+ qualités nécessaires pour être ministre; c'est un homme à employer;
+ il avait une opinion très prononcée contre la France; mais je dois
+ dire que dans plusieurs circonstances il s'est bien conduit et
+ notamment dans l'affaire de l'emprunt de Prusse.
+
+ «Par les détails que je viens d'avoir l'honneur de donner à Votre
+ Excellence, elle voit que le ministère est faible, et que deux ou
+ trois hommes mènent le gouvernement. Quant au conseil d'État, il est
+ composé de gens instruits et propres à remplir les places qu'ils
+ occupent. Ils sont décidés presque généralement à suivre une bonne
+ ligne, et, à quelques individus près, on peut y compter. Le Corps
+ législatif, composé de propriétaires et de nobles, est absolument de
+ l'opinion du gouvernement et du roi dont il attend honneur et
+ faveur. Ainsi, il sera ce que Sa Majesté voudra. Quant à la cour,
+ qui contribue beaucoup à établir l'opinion des sociétés, elle est
+ généralement dans le plus mauvais esprit. C'est des antichambres du
+ roi que partaient les propos les plus ridicules contre la famille de
+ leur souverain. C'était la mode de critiquer l'empereur et son
+ gouvernement, de répandre les plus mauvaises nouvelles et de s'en
+ réjouir, de tourmenter tous les Français sans exception: et encore
+ depuis le départ du roi, le même esprit a régné et il perce dans
+ toutes les occasions, mais cette classe de la société a cru plaire.
+ Elle a tenu cette conduite par ton et d'un seul mot, elle changera
+ si elle est sûre de flatter en prenant un autre système.
+
+ «Votre Excellence voit donc que l'on peut réparer facilement tout le
+ mal, que l'on peut faire marcher le gouvernement et rétablir les
+ finances, parce que le Hollandais viendra volontairement au secours
+ de son gouvernement quand il reprendra confiance. Elle voit que
+ l'opposition tient à l'ancienne marche, qu'il n'existe pas de
+ résistance, que l'éloignement que l'on manifeste contre la France
+ tient au malaise où l'on se trouve, enfin que la Hollande est dans
+ la main de l'empereur et que Sa Majesté Impériale et Royale peut en
+ faire ce qu'elle voudra et même s'attirer l'affection d'un peuple
+ qui attend tout de sa justice et de sa bonté.
+
+ «Avant-hier, plusieurs courriers de Paris ont ranimé la confiance.
+ On a répandu que le roi s'était promené avec l'empereur, que tout
+ était arrangé, que la Hollande restait indépendante et que le roi
+ arriverait incessamment. Les fonds ont monté en deux heures de 20 à
+ 50 p. 100; hier ils sont retombés presque au point où ils étaient
+ avant cette hausse subite. On est cependant inquiet de ce qui se
+ passe dans le Brabant où l'on se plaint de nos troupes, surtout à
+ Dorp, où l'on accuse le général français d'une sévérité qui
+ indispose, et contre lequel on m'a porté des plaintes dont je n'ai
+ pas voulu me charger. Ce qui console un peu le commerce, c'est la
+ quantité d'argent qui arrive d'Angleterre. C'est, je crois, une des
+ guerres les plus avantageuses que nous puissions faire, et je serais
+ d'avis de fermer les yeux sur l'entrée des bâtiments qui ne
+ rapportent que des guinées de Londres.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 28 février 1810.
+
+ «Lorsque j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, dans
+ mes derniers rapports, que l'on travaillait l'esprit public, que
+ l'on cherchait à gagner les troupes, que l'on discutait dans le
+ conseil des ministres les projets les plus absurdes; quand enfin je
+ me plaignais des membres du gouvernement et surtout du ministre de
+ la guerre, j'avais déjà de forts indices du projet insensé qui avait
+ été arrêté de défendre Amsterdam contre les troupes de l'empereur.
+ Je ne pouvais cependant avancer un fait aussi extravagant avant
+ d'avoir acquis la certitude que ce n'était ni la peur ni l'esprit de
+ parti qui faisaient circuler ces bruits, mais qu'ils étaient
+ réellement fondés. Je cherchai donc à acquérir des preuves, et,
+ occupé depuis trois semaines de cet objet, ce n'est qu'hier que j'ai
+ obtenu le dernier renseignement qui m'était nécessaire. Tous les
+ ministres sont liés par serment de ne rien dire de ce qui se passe
+ dans les conférences. Les ministères sont composés de gens discrets
+ et qui craignent de perdre leur emploi; enfin, je n'ai aucun des
+ moyens d'argent qui m'eussent été si utiles pour lutter contre des
+ gens si mal intentionnés, et je ne pouvais me fier aux propos d'un
+ public qui adopte sans discernement tout ce qui flatte ou tout ce
+ qui est opposé à son désir ou à son intérêt. Je me contentais donc
+ de garder le plus grand secret sur mes premiers renseignements, de
+ rire d'une pareille folie sans avoir l'air de là croire possible, de
+ voir peu les ministres, de ne pas leur parler d'affaires, mais de
+ faire suivre leurs moindres démarches et d'avoir un compte exact des
+ propos qu'ils tenaient. J'appris successivement les discussions qui
+ eurent lieu, les marchés faits par les ministères de la guerre et de
+ la marine, la raison qui avait déterminé l'arrivée des troupes dans
+ la capitale; enfin, je m'assurai que l'on travaillait la nuit aux
+ fortifications des lignes et ouvrages avancés, qu'avant-hier on
+ avait encore fait venir de l'artillerie et des munitions et qu'une
+ grande quantité d'ouvriers avaient été enrôlés. Alors, sûr de mon
+ fait, je fis demander une conférence à M. Mollerus, et, après lui
+ avoir énuméré tous les ordres qui avaient été donnés et lui avoir
+ montré que j'étais au fait de tout, je lui remis la lettre dont j'ai
+ l'honneur d'envoyer copie à Votre Excellence.
+
+ «Le ministre fut visiblement déconcerté. Je lui parlai avec force,
+ je lui reprochai une conduite aussi monstrueuse, tant par son
+ inconséquence que par ses résultats; enfin je lui signifiai la
+ responsabilité du conseil des ministres et de tous ses membres, si
+ tous les préparatifs n'étaient pas sur le champ détruits et annulés.
+ Je finis par obliger M. Mollerus à me dire la vérité, et il m'avoua
+ tout ce que j'avançais en me disant qu'il ne pouvait pas me répondre
+ sans avoir assemblé ses collègues et pris leur avis. Son embarras et
+ son inquiétude prouvaient assez combien la position où il se
+ trouvait lui paraissait pénible. Il ne me cacha donc rien; mais,
+ dans ses réponses, il chercha à me faire entendre que le conseil
+ n'agissait que par des _ordres supérieurs_. Je repoussai une
+ pareille idée et je lui dis même que quand il me montrerait l'ordre
+ du roi, je croirais encore que l'on a surpris et imité la signature
+ de Sa Majesté; que la chose n'était pas possible et que je ne
+ regardais cette défense de leur conduite que comme un moyen de
+ sortir d'embarras. Alors le ministre, voyant que je le prenais sur
+ ce ton, m'assura que ce n'était pas cela qu'il voulait dire et se
+ tira de cette conférence en m'assurant qu'il allait assembler ses
+ collègues et qu'il me donnerait ce matin la réponse à la lettre que
+ je venais de lui remettre. J'aurai donc l'honneur de la joindre à
+ cette dépêche.
+
+ «Je viens d'envoyer M. de Caraman porter la lettre ci-jointe à M. le
+ duc de Reggio, et j'expédie à Paris M. Hamelin qui aura l'honneur de
+ vous remettre ce paquet. Je le recommande ainsi que M. de Caraman
+ aux bontés de l'empereur pour les places d'auditeurs que j'ai
+ sollicitées pour eux et auxquelles ils ont quelques droits pour les
+ services qu'ils ont déjà rendus.
+
+ «Au reste, la plus grande tranquillité règne ici. On ne se doute pas
+ du projet de défense. Quand j'aurai la réponse des ministres, je
+ ferai circuler adroitement quelques bruits qui paralyseront les
+ projets du ministère. Mais il serait intéressant qu'au moins
+ provisoirement nous eussions un ou deux hommes sûrs qui pussent
+ combattre le mauvais esprit et qui me missent au courant de ce qui
+ se passe. Le Moniteur du 22 a été donné dans toutes les mains. Il a
+ jeté l'alarme, et le premier jour les fonds publics ont baissé, mais
+ 24 heures après on s'est rassuré, et les papiers de l'État que je
+ regarde comme le thermomètre de l'opinion publique sont maintenant
+ plus hauts qu'ils n'étaient avant cette crise.
+
+ «Depuis que j'ai commencé cette dépêche, j'ai reçu encore une foule
+ de renseignements. On parle déjà du projet extravagant du ministre
+ de la guerre. J'attends la réponse du Conseil pour arrêter la
+ conduite que j'aurai à tenir. Peut-être si les choses vont trop loin
+ et si les préparatifs ne cessent pas malgré la promesse que l'on
+ doit m'en donner, peut-être, dis-je, sera-t-on obligé d'ôter au
+ général Krayenkoff tout moyen d'exécuter son indigne projet. Il
+ n'est pas douteux que l'on fabrique des cartouches de calibres, que
+ toute la nuit des caissons ont passé dans la ville. Mais les
+ honnêtes gens commencent à prendre une couleur et j'espère arrêter
+ le mal. Votre Excellence peut être bien sûre que je ne me laisserai
+ pas intimider. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de bien
+ remplir le poste qui m'est confié par l'empereur.
+
+ «J'attends le bourgmestre et le commandant supérieur de la garde
+ nationale. Je vais les engager à s'assurer de l'esprit public et à
+ maintenir les mauvais sujets. Je voudrais qu'une députation partît
+ pour Paris, chargée de prévenir le roi de l'abus qu'on fait de sa
+ confiance et du crime que l'on commet en se servant de son nom pour
+ agir d'une manière aussi coupable.
+
+ «Je viens de voir le bourgmestre d'Amsterdam. Il m'a dit ne rien
+ savoir officiellement du projet de défense; mais il m'a assuré avoir
+ fait de nombreuses réclamations contre la quantité de poudre qui
+ entre dans la ville et contre le nombre de troupes que l'on y
+ réunissait. Il porte la garnison à 3,200 hommes, dont une partie
+ logée chez les bourgeois. Le commandant supérieur de la garde
+ nationale ainsi que le bourgmestre m'ont assuré de leur dévouement à
+ leur pays et se sont engagés à calmer les esprits et à prévenir le
+ mal.
+
+ «Voici la réponse du ministère hollandais dont vous trouverez,
+ Monsieur le duc, une copie cotée nº 3. Ils déclarent leur projet de
+ défense, mais s'engagent à suspendre tous les travaux. Je
+ surveillerai avec soin la conduite des ministres et j'aurai
+ l'honneur de vous faire connaître la suite de cette affaire. Je vais
+ redoubler d'activité et crois pouvoir vous répondre de rendre
+ inutiles les projets de ces malveillants.»
+
+
+ DE LA ROCHEFOUCAULD AU DUC DE CADORE.
+
+ Amsterdam, 1er mars 1810.
+
+ «Les travaux paraissent suspendus et les ordres ont été donnés
+ d'arrêter ceux qui allaient commencer; on avait fait abattre la nuit
+ des arbres qui gênaient la défense; les cartouches se fabriquaient
+ dans l'intérieur du palais, et il était temps d'arrêter les excès où
+ l'on paraissait vouloir se porter. Le principal instrument que l'on
+ a employé est le ministre de la guerre qui prétendait se faire un
+ nom en défendant la ville et en prenant l'Angleterre pour retraite.
+ Ses deux collègues les ministres des finances et de la police
+ appuyaient ses opinions exagérées. Il y eut dans le Conseil
+ plusieurs scènes scandaleuses où le général Krayenkoff déclara avoir
+ des ordres supérieurs et ne vouloir rien discuter avec les autres
+ ministres. Il s'absenta même pendant plusieurs jours du Conseil. M.
+ Tovent (dont j'ai oublié de parler à Votre Excellence dans mon
+ numéro 120) soutint fortement son opinion contre celle du ministre
+ de la guerre; il fut appuyé par M. Mollerus. Quant au ministre de la
+ marine, il déclara ne vouloir rien faire sans un ordre écrit de ses
+ collègues. Le ministre de la police proposa de m'inviter à sortir
+ d'Amsterdam, mais cette sotte motion fut étouffée. Enfin, on me fit
+ parvenir des avis qui devaient, d'après ces Messieurs, m'effrayer et
+ me faire partir. On parla dans le public de venir casser mes vitres
+ et mille sottises de ce genre. Je n'y ai pas pris garde; je ne
+ changeai pas de marche ni de conduite, et maintenant ces bruits sont
+ presque apaisés. Je dois dire à Votre Excellence que j'ai été fort
+ content de toutes les personnes que j'ai avec moi. J'ai trouvé du
+ zèle, du dévouement pour le service de l'empereur et de
+ l'attachement pour moi. Je désirerais que Votre Excellence voulût
+ bien saisir une occasion favorable de parler à l'empereur de M.
+ Serrurier qu'une place de maître des requêtes rendrait heureux, si
+ un avancement dans la carrière diplomatique n'était pas possible. Le
+ consul général a mis une activité au-dessus de son âge; enfin tous
+ les Français qui sont ici se sont bien conduits. J'ai trouvé aussi
+ dans les négociants et les capitalistes une masse de bonne volonté à
+ laquelle je ne m'attendais pas. Des personnes du gouvernement que je
+ ne puis nommer en ce moment se sont bien montrées. Enfin j'ai été
+ content de l'ensemble d'Amsterdam et de la Hollande, et j'ai acquis
+ la certitude que le mal ne tient qu'à quelques individus et qu'en
+ établissant ici un gouvernement sage et ferme, l'empereur sera
+ promptement convaincu des ressources que Sa Majesté Impériale et
+ Royale peut tirer de ce pays.»
+
+
+ CLARKE AU ROI DE HOLLANDE.
+
+ Paris, 28 avril.
+
+ «Sire, S. M. Impériale m'a renvoyé la lettre que Votre Majesté lui a
+ adressée relativement à l'exécution du traité, et m'a chargé d'avoir
+ l'honneur de répondre aux différentes observations qu'elle contient.
+
+ «L'empereur m'a fait connaître ses intentions d'une manière qui ne
+ peut laisser aucune incertitude. L'intention de Sa Majesté est que
+ toutes les conditions du traité soient ponctuellement exécutées, et
+ d'après cela, Votre Majesté jugera elle-même que plusieurs de ses
+ demandes ne pourront être admises.--Les embouchures des rivières
+ devant être occupées par les troupes, il en résulte nécessairement
+ qu'elles peuvent être cantonnées dans les villes de l'intérieur, à
+ portée des ports, puisque ceux-ci seraient insuffisants pour loger
+ le nombre de troupes mentionnées et qu'elles deviendraient beaucoup
+ plus à charge au pays et à ces ports même s'il fallait les réunir
+ dans un petit nombre d'endroits. Cette mesure tend donc au
+ soulagement des habitants comme à celui des troupes. Elle ne paraît
+ ne devoir contrarier en rien les vues de Votre Majesté. Quant au
+ nombre de troupes hollandaises à employer à la garde des ports de la
+ Hollande, il est hors de doute que celles qui sont en Espagne ne
+ sauraient y être comprises sans changer tout à fait l'une des
+ stipulations du traité; mais ces troupes n'en serviront pas moins à
+ assurer l'exécution des lois et la police intérieure, but pour
+ lequel elles ont été principalement créées. Les fonctions dont elles
+ sont chargées, en exécution du traité, ne peuvent préjudicier à leur
+ utilité pour l'intérieur du pays.
+
+ «Quant à ce qui est relatif au quartier général du corps
+ d'observation de la Hollande, l'empereur permet que la désignation
+ en soit faite d'accord avec Votre Majesté, et, pourvu qu'il soit
+ placé dans un point central, c'est tout ce que le bien du service
+ exige. Ainsi l'on n'insistera nullement pour qu'il soit établi dans
+ l'un des deux lieux de la résidence de Votre Majesté, et le duc de
+ Reggio a reçu à cet égard les instructions nécessaires. Il
+ s'entendra facilement pour cela avec le ministre de la guerre de
+ Votre Majesté.»
+
+
+ CADORE À LA ROCHEFOUCAULD.
+
+ Paris, 7 mai 1810.
+
+ «Monsieur l'ambassadeur, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la
+ dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 avril et
+ dont M. de Caraman était porteur. Sa Majesté, d'autant plus sensible
+ aux désagréments de votre position qu'ils paraissent être une suite
+ de votre zèle même pour son service, a voulu les faire cesser en
+ vous accordant le congé que vous avez vous-même désiré. Vous pouvez
+ donc profiter de ce congé aussitôt que vous aurez fait les
+ arrangements que vos intérêts particuliers peuvent nécessiter; car
+ je dois vous prévenir que l'intention de S. M. est de ne point vous
+ faire retourner en Hollande et de ne point vous y donner de
+ successeur. Mais cela ne doit y être connu qu'après votre retour à
+ Paris. M. Serrurier restera comme chargé d'affaires, et vous voudrez
+ bien le présenter en cette qualité.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 16 avril 1810.
+
+ «Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire
+ le 6 de ce mois, elle m'invite à lui rendre compte de l'effet que le
+ traité du 16 du mois dernier a produit ici. Tout le monde, M. le
+ duc, en a été attéré. Chacun reconnaît l'impossibilité de son
+ exécution et l'on regarde que l'on a voulu terminer la crise pénible
+ où l'on se trouvait sans calculer la suite des événements; enfin,
+ les bons Hollandais sont découragés, les faibles se taisent et les
+ intrigants se soutiennent. On avait répandu très imprudemment que le
+ traité était effectivement fort désavantageux à la Hollande, mais
+ qu'il existait des articles secrets qui atténuaient en grande partie
+ ceux rendus publics et que le roi apportait ces heureux changements
+ ainsi que l'indemnité accordée par l'empereur. Cette espérance
+ trompeuse a contribué puissamment à empêcher tout l'effet que l'on
+ pouvait espérer du retour du roi. Sa Majesté a été reçue sans aucune
+ preuve de satisfaction de la part d'aucune classe des habitants de
+ sa résidence, et le même souverain que l'on aurait regardé, il y a
+ deux mois, comme le sauveur de la patrie, a maintenant perdu cette
+ popularité qui lui serait si nécessaire. La confiance, au lieu de
+ renaître, s'éloigne du gouvernement. Les fonds publics ont baissé de
+ 15 p. 100, et le change sur l'Angleterre a éprouvé une hausse qui
+ effraie les gens sensés. On croit généralement que l'État présent
+ est un provisoire, et, comme j'ai eu souvent l'honneur de l'observer
+ à Votre Excellence, dès que l'on ne voit pas de salut, le
+ découragement augmente le mal et le gouvernement se trouve paralysé.
+ Je crois juger avec la plus grande impartialité; je fais tous mes
+ efforts pour oublier deux ans de désagréments et de dégoûts, mais je
+ ne vois rien de changé. Je n'aperçois point la moindre petite chose
+ qui dénote un retour sincère à une autre marche. Les mêmes hommes
+ entourent le roi, et c'est avec eux et par eux que Sa Majesté
+ emploie tous ses moments et tous ses moyens à chercher le bien de
+ son peuple. Je ne doute pas que l'envie de plaire à l'empereur ne
+ soit sincère; je veux même bien croire que la nécessité est sentie;
+ mais ce n'est pas assez, il faut réorganiser pour rendre cette
+ Hollande utile à la France ou, sans cela, elle est nuisible. Un
+ traité n'est rien s'il n'est pas exécuté, et, pour se mettre dans le
+ cas de remplir ses engagements, il faut que le gouvernement puisse
+ marcher. Peut-être mes moyens sont-ils mauvais; mais je les
+ abandonnerais sans regret si je voyais qu'ils fussent remplacés par
+ d'autres plus efficaces; mais si l'ancienne routine recommence, tout
+ est fini, et ce pays malheureux ne peut plus supporter une nouvelle
+ crise. Je connais trop la Hollande pour n'être pas sûr que les
+ agents qui ont négocié ou signé le traité savaient très bien que
+ leur patrie ne pouvait pas remplir les engagements qu'ils
+ contractaient.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 21 avril 1810.
+
+ «Votre Excellence aurait de la peine à se faire une idée de la
+ manière dont les opinions changent en Hollande, depuis que l'on voit
+ ce qui se passe; chacun est intimidé du présent et effrayé de
+ l'avenir; et les mêmes hommes qui ne voulaient pas entendre parler
+ de réunion en parlent aujourd'hui comme d'une chose désirable. Je
+ suis étonné moi-même de tout ce que l'on vient de me dire, et,
+ lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence que le dégoût
+ et le découragement s'empareraient promptement des Hollandais si
+ dans les premiers moments ils n'entrevoyaient pas un but
+ tranquillisant, je n'ai fait que lui prédire une vérité qui se
+ vérifie tous les jours. Les honnêtes gens sans fortune se taisent,
+ font leur devoir sans âme et sans zèle; ceux qui ont une existence
+ indépendante du gouvernement se retirent ou cherchent à obtenir leur
+ démission, et l'on se dit tout bas que cette réunion, si effrayante
+ il y a quatre mois, peut seule sauver les débris de ce pays. J'ai eu
+ l'honneur de vous prévenir, Monsieur le duc, qu'un associé de la
+ maison Hope était parti pour l'Angleterre avec toute sa famille.
+ Hier j'ai signé les passeports de la famille Hope, dont le père est
+ déjà à Londres, et qui, sous prétexte d'aller en Suisse, est assurée
+ vouloir le rejoindre. Enfin, M. Labouchère, troisième associé de
+ cette maison, dont la femme et les enfants sont chez nos ennemis,
+ s'y rendra sûrement incessamment. Beaucoup d'argent passe en
+ Angleterre, l'on cache le reste.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 27 avril 1810.
+
+ «J'envoie M. de Caraman à Paris. Je le charge de remettre cette
+ dépêche à Votre Excellence et de rester à sa disposition aussi
+ longtemps, Monsieur le duc, que vous le jugerez convenable. J'ai
+ donc l'honneur de prier Votre Excellence de lui donner ses ordres.
+
+ «M. de Caraman est chargé de prévenir sa famille que le roi vient de
+ refuser à son frère, capitaine d'artillerie au service de la
+ Hollande (qui se trouve à Paris par congé uniquement pour épouser sa
+ cousine), la permission de conclure ce mariage. Sa Majesté avait
+ cependant eu à Paris la bonté de le permettre, et ce n'était que
+ d'après cette assurance verbale que les choses avaient été aussi
+ loin. Maintenant ce jeune homme se trouve obligé, ou de perdre son
+ emploi, ou de renoncer à une alliance aussi convenable
+ qu'avantageuse. Je ne cacherai pas à Votre Excellence que la peine
+ que j'en éprouve se trouve doublée par la persuasion où je suis que
+ les soins que j'ai toujours pris de M. de Caraman contribuent à lui
+ procurer ce désagrément.
+
+ «Ma position empire puisqu'elle se prolonge. Je n'ai pas encore vu
+ le roi ni la reine à qui cependant j'ai eu l'honneur d'écrire et qui
+ sûrement n'a pu me recevoir. Tout le corps diplomatique dit
+ hautement qu'il n'est pas admis chez le roi à cause de moi. Depuis
+ le retour du roi, aucun ministre, sans en excepter M. Roëll, n'est
+ venu chez moi et aucune personne attachée à la cour n'a osé s'y
+ présenter. Chacun assure qu'il serait disgracié s'il me voyait et
+ l'on me fuit pour ne pas en courir le risque. On répand à plaisir
+ que tout le mal de la Hollande vient de moi et l'on cherche à
+ rejeter sur mes rapports la position de ce pays, mais l'on commence
+ à voir trop clair pour que je craigne cette accusation. Je puis même
+ dire que je suis estimé ici et que l'on rend justice à ma
+ modération. Enfin, Monsieur le duc, tout le monde sait que je n'ai
+ pas été reçu chez LL. MM. Je suis l'objet de toutes les
+ conversations et l'on en tire la triste conséquence que l'empereur
+ est mal avec le roi. Je puis cependant affirmer que je n'ai pas eu
+ un tort, que j'ai une patience qui ne tient qu'à mon profond respect
+ pour l'empereur et au sentiment de mon devoir; enfin je n'ai rien
+ fait pour mériter cet étrange traitement; mais que Votre Excellence
+ ne pense pas que je ne puisse supporter ces dégoûts; j'ai un
+ caractère trop prononcé pour rien craindre tant que j'ai les bontés
+ de l'empereur; je suis donc prêt à tout et j'exécuterai dans tous
+ les temps et dans toutes les positions ce que Sa Majesté l'empereur
+ et roi m'ordonnera.
+
+ «J'ai reçu ce matin la dépêche chiffrée de Votre Excellence
+ relativement à l'emprunt de Prusse; j'entends parfaitement le point
+ que je ne dois point dépasser, mais je voudrais que Votre Excellence
+ voulût bien me mander si je puis écrire soit au ministre de Prusse,
+ soit à la maison de commerce, que je suis autorisé à déclarer que
+ l'empereur approuvera l'emprunt, etc., etc., et aller jusqu'à dire
+ que Sa Majesté l'empereur et roi, dans aucun cas, ne priverait les
+ bailleurs de fonds de leurs hypothèques. On a ici la plus grande
+ confiance dans l'empereur, et, pour verser des fonds, on n'attend
+ qu'une déclaration de ce genre que je pourrais, je crois, tourner de
+ manière à rassurer sans engager ma cour. Si Votre Excellence veut
+ m'honorer d'une prompte réponse, je terminerai cet objet, car le
+ temps presse et je craindrais que cette affaire ne réussît pas si
+ elle traîne encore quinze jours. La reine a reçu le 24 les
+ différents corps de l'État. Depuis ce temps, Sa Majesté a de la
+ fièvre et n'avait vu presque personne. Au reste, tout se passe au
+ palais de la manière la plus convenable. Ce matin, M. le chevalier
+ de Téran, ministre d'Espagne, a remis au roi ses lettres de créance.
+
+ «Le général Desaix est arrivé à la Haye avec une partie de sa
+ division.
+
+ «On m'assure que l'amiral de Winter, un des hommes les mieux
+ pensants et que l'on aurait pu employer avec le plus de succès pour
+ l'armement de la marine, va partir pour l'Espagne.
+
+ «Le général Vichery, le seul Français qui soit encore à la cour,
+ vient de perdre le gouvernement de la cour.
+
+ «Les fonds baissent et sont à 23 1/2.»
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 7 mai 1810.
+
+ «Votre Excellence sait à combien de plaintes amères la conduite que
+ tiennent les corsaires français dans les ports de la Hollande a
+ donné lieu depuis quelque temps.
+
+ «Le roi, mon maître, ne pouvait certainement fournir une preuve plus
+ convaincante de son intérêt qu'en donnant à ces corsaires asile et
+ protection, et en déférant, comme il l'a fait, à la seule décision
+ de son très illustre frère le jugement de toutes les difficultés
+ qui, en cas de doute, naîtraient au sujet de la validité des prises
+ faites par ces corsaires sur les côtes de la Hollande.
+
+ «Mais si le roi a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de
+ sa déférence pour son très illustre frère, il se tient aussi
+ persuadé que Sa Majesté Impériale et Royale ne permettra pas que ces
+ corsaires outrepassent les bornes du respect qu'ils doivent au
+ souverain chez lequel ils reçoivent asile et protection, en
+ commettant des faits aussi révoltants que ceux que je suis chargé
+ de dénoncer à Votre Excellence.
+
+ «J'ai déjà eu l'honneur de vous observer dans une note antérieure
+ que ce n'est point en haute mer que ces corsaires s'emparent des
+ bâtiments qu'ils conduisent dans les ports de la Hollande, mais que
+ c'est à l'entrée des mêmes ports, dans les passes de nos rivières,
+ et quand, pour la plupart du temps, ils ont déjà les pilotes à leur
+ bord. Ils ont aujourd'hui inventé un nouveau moyen de prendre ces
+ navires sans aucun risque; ils établissent les canots de leurs
+ bâtiments le long des côtes pour mettre en mer quand un navire
+ marchand approche de nos ports, dont alors ils s'emparent et le font
+ échouer. Cette manoeuvre ne peut manquer d'attirer une plus grande
+ attention de l'ennemi sur nos côtes, et, si cela continue, nos
+ pauvres pêcheurs et les villages qui avoisinent la mer en
+ éprouveront les suites les plus fâcheuses.
+
+ «D'autres se placent à l'embouchure de nos rivières comme vaisseaux
+ de garde et se permettent de visiter tous les navires qui entrent.
+ Ce ne sont donc plus des gens qui remplissent le but de la course,
+ mais qui exercent pour ainsi dire une police des côtes et des
+ postes, fonctions qui ne sont dans aucun cas de leur compétence et
+ ne peuvent certainement l'être aujourd'hui où les employés de Sa
+ Majesté Impériale et Royale concourent avec ceux du roi mon maître à
+ surveiller les mesures de blocus et l'exécution des lois
+ prohibitives. Ce qui ajoute à l'inconvenance de la conduite de ces
+ corsaires, ce sont les violences répréhensibles qui, très souvent,
+ accompagnent la visite des bâtiments. C'est ainsi que tout récemment
+ deux de ces corsaires qui s'étaient mis en station tout près de la
+ Brielle, ayant visité un navire qui entrait et n'ayant rien trouvé à
+ son bord qui pût donner lieu à la confiscation, ont extorqué au
+ capitaine tout son numéraire, au point qu'étant venu au bureau de la
+ douane, il ne put acquitter les droits ordinaires d'entrée, quoique
+ très modiques.
+
+ «Le roi mon maître croirait faire tort aux principes justes,
+ généreux et bienveillants de son très illustre frère s'il admettait
+ les moindres doutes sur l'attente que S. M. Impériale mettra à
+ réprimer des excès qui ne peuvent jamais avoir son approbation. Je
+ prie Votre Excellence de mettre cet exposé sous les yeux de Sa
+ Majesté et de contribuer par ses bons offices à obtenir qu'il soit
+ prescrit à ces corsaires une manière de se conduire plus analogue à
+ leur mission et plus compatible avec ce qu'ils doivent à un
+ souverain qui leur accorde asile et protection.»
+
+
+ LE MAJOR GÉNÉRAL AU MINISTRE DE LA GUERRE.
+
+ Middelburg, 12 mai 1810.
+
+ «L'empereur, Monsieur le duc, expédiant un officier en Hollande,
+ m'a ordonné d'adresser moi-même, directement pour plus de célérité,
+ des instructions à M. le maréchal duc de Reggio. Je prie Votre
+ Excellence de prendre connaissance de ces instructions dont je joins
+ ici copie.»
+
+
+ INSTRUCTIONS DONNÉES À MONSIEUR LE MARÉCHAL DUC DE REGGIO.
+
+ Middelburg, 12 mai 1810.
+
+ «L'empereur m'ordonne, Monsieur le duc, de vous faire connaître que
+ vous ne devez rendre aucun compte de ses troupes à S. M. le roi de
+ Hollande ni au ministère hollandais; que les corsaires doivent vous
+ faire des rapports de tout ce qui vient à leur connaissance; que les
+ marchandises anglaises doivent être poursuivies et saisies partout,
+ même _dans les rades_; enfin, que Sa Majesté ne veut souffrir aucun
+ commerce de la Hollande avec l'Angleterre. L'intention de Sa Majesté
+ est que, dans toutes les occasions, vous vous en expliquiez dans ce
+ sens et que vous répétiez dans la conversation que, si la Hollande
+ n'arme pas au plus tôt les neuf vaisseaux qu'elle doit fournir
+ d'après le traité, elle rendra le traité nul.
+
+ «L'empereur vous recommande, Monsieur le duc, d'écrire au ministre
+ de la guerre tous les jours sur tout ce qui parviendra à votre
+ connaissance.
+
+ «Toute prise qui serait faite par les corsaires ou les douanes de
+ l'empereur ne doit être relâchée que par son ordre et la décision
+ doit en être soumise au jugement de Sa Majesté; l'expérience donne
+ lieu de penser à l'empereur que les bons procédés sont insuffisants
+ envers le gouvernement hollandais et qu'il est indispensable d'avoir
+ recours aux menaces pour le faire marcher.
+
+ «Telles sont, Monsieur le maréchal, les instructions que Sa Majesté
+ m'a ordonné de vous adresser directement. J'en donne connaissance à
+ Son Excellence le ministre de la guerre.»
+
+
+M. de La Rochefoucauld s'était rendu à Anvers lors du passage de
+l'empereur dans cette ville. Le 12 mai, une dépêche du duc de
+Bassano lui enjoignit de partir pour Amsterdam et de laisser au
+gouvernement hollandais une note pour demander: 1º La remise des
+vingt-un bâtiments américains avec leurs cargaisons, qui en
+exécution du traité appartenaient à la France; 2º L'armement
+immédiat des vaisseaux que la Hollande s'était engagée à fournir; 3º
+La cessation de son commerce avec l'Angleterre; 4º Le paiement
+capital et intérêts de la dette de la Zélande comme dette
+hollandaise.
+
+L'ambassadeur français avait ordre en outre de déclarer son départ
+(en vertu d'un congé) huit jours après son retour, de présenter M.
+Serrurier comme chargé d'affaires, et de prévenir les consuls que
+toutes les prises, même celles faites dans les rades, devaient être
+jugées à Paris.
+
+La tendance du gouvernement de l'empereur ressort assez clairement
+des dépêches qui précèdent. Il est impossible de ne pas voir que
+Napoléon est prêt à saisir le premier prétexte, ou même à en faire
+naître un, pour briser le royaume de Hollande et réunir ce pays à la
+France.
+
+
+ SERRURIER À ROËLL.
+
+ Amsterdam, 13 mai 1810.
+
+ «Une nouvelle insulte plus grave que toutes les précédentes vient
+ d'être faite à la livrée de l'ambassadeur de l'empereur.
+
+ «Aujourd'hui, vers deux heures, le cocher de l'ambassadeur, en
+ livrée, revenant d'entendre la messe, traversait la place du Palais;
+ à l'endroit où cette place se resserre entre le palais et l'église,
+ il fut assailli par une foule de gens du peuple qui insultèrent avec
+ de fortes injures sa livrée, qu'ils déclarèrent reconnaître pour
+ celle de l'ambassadeur de France, et voulurent l'en dépouiller avec
+ force. Cette insulte n'avait été provoquée par aucune querelle, et
+ le cocher ne connaissait aucun des assaillants. Au moment où il se
+ défendait de l'attaque de l'un d'eux, il reçut d'un autre un violent
+ coup à la tête, et comme leur nombre grossissait à chaque instant,
+ dans l'impossibilité de se défendre contre tant d'assassins, cet
+ homme courut vers la sentinelle du palais, et lui demanda
+ protection; mais celle-ci, fidèle à sa consigne qui ne lui
+ permettait pas de se mêler de choses étrangères à la garde du
+ château, lui tourna le dos et refusa de l'entendre. Il s'adressa
+ alors au sergent de garde qui, sur le récit qu'il lui fit, se prêta
+ à l'accompagner jusqu'à ce que sa présence eut dissipé
+ l'attroupement.
+
+ «Voilà, monsieur, le fait tel qu'il s'est passé, en plein jour,
+ devant le palais, et à la vue de deux cents témoins et de la garde.
+ Je m'abstiens de réflexions; elles sont assurément bien inutiles.
+ Sur un pareil événement, je ne doute pas que Votre Excellence ne
+ partage l'indignation qu'il excitera dans tous les esprits honnêtes.
+ Le droit des gens et les usages reçus dans toutes les cours vous
+ dicteront ce que vous avez à proposer à votre gouvernement dans
+ cette circonstance. Pour moi, je me borne à informer Votre
+ Excellence et à lui demander une satisfaction éclatante et telle
+ qu'elle mette fin pour jamais à de pareilles indignités.
+
+ «Je ne ferai partir qu'après-demain la dépêche par laquelle je dois
+ instruire ma cour de ce fait; et j'attacherai, Monsieur, j'aime à
+ vous le déclarer, une satisfaction toute particulière à pouvoir lui
+ dire que la punition n'a été ni moins prompte ni moins éclatante que
+ l'insulte, et que cette affaire est terminée comme il convient à nos
+ deux gouvernements.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 15 mai 1810.
+
+ «J'ai eu l'honneur d'écrire d'Anvers à Votre Excellence, et de la
+ prévenir que Sa Majesté impériale et royale, après m'avoir permis
+ d'aller lui faire ma cour, m'avait donné ordre de la suivre à
+ Berg-op-Zoom. L'empereur n'ayant pas eu le temps de me parler
+ m'emmena dans la Zélande, d'où je suis revenu avant-hier soir. J'ai
+ rendu compte à Sa Majesté de tout ce qui se passe en Hollande, et je
+ n'ai rien caché à l'empereur sur la position où se trouve ce
+ royaume. J'ai eu la satisfaction de voir Sa Majesté impériale et
+ royale approuver ma conduite, et elle m'a donné les ordres qui ont
+ été communiqués à Votre Excellence par M. le duc de Bassano. J'ai
+ rempli dès hier les intentions de l'empereur, en demandant que la
+ totalité des cargaisons des vingt-un américains fût remise à M. le
+ directeur des douanes impériales nommé pour les recevoir.
+
+ «J'ai porté plainte de la lenteur des armements.
+
+ «Hier, j'ai reçu une lettre de M. Roëll qui, en m'assurant de
+ l'indignation que le roi a éprouvée en apprenant l'insulte faite à
+ ma livrée, me prévient des ordres sévères donnés par Sa Majesté pour
+ punir les coupables. Je ne donnerai plus de suite à cette affaire
+ qui, bien certainement, en restera là.
+
+ «J'ai eu l'honneur de remettre hier au roi la lettre de l'empereur
+ que Votre Excellence m'avait envoyée. Mon audience a été très
+ courte. De là je passai dans les appartements de la reine que je
+ trouvai bien souffrante. Sa Majesté a une fièvre continue qui
+ l'affaiblit de jour en jour. Je l'ai trouvée extrêmement changée,
+ quoiqu'il n'y eût qu'un an que j'ai eu l'honneur de la voir. La
+ reine ne m'a rien dit de particulier, mais il circule dans les
+ entours de la cour des bruits qui feraient croire que Sa Majesté est
+ loin d'être heureuse.
+
+ «Malgré les immenses ressources qui existent dans ce pays-ci,
+ l'embarras du gouvernement ne diminue pas. La commission chargée
+ depuis six semaines d'un rapport général sur la position de la
+ Hollande et sur les moyens d'y remédier n'a pas encore terminé ce
+ pénible travail. On s'attend à une réduction de moitié sur la rente.
+ Ce sera, à mon opinion, une mesure indispensable; mais dans l'état
+ de choses, elle n'atteindra pas le grand but que l'on s'en propose.
+ Je persiste à croire que si cette réduction est suffisante sur le
+ papier, elle ne peut sauver la Hollande qu'autant qu'elle serait
+ jointe à un système opposé à celui que l'on suit ici. Au reste le
+ malheur agit en raison inverse du gouvernement, et chacun commence à
+ se convaincre qu'il n'y a de salut que dans l'empereur, et que
+ d'être gouverné par Sa Majesté serait le plus grand bonheur.»
+
+
+Il est permis de supposer que l'ambassadeur avait deviné l'intention
+de l'empereur, de réunir la Hollande à la France.
+
+
+ LOUIS À NAPOLÉON.
+
+ Amsterdam, 16 mai.
+
+ Sire,
+
+ La situation de ce pays s'aggrave de jour en jour; le traité n'est
+ plus suivi. Dans cette position malheureuse, je viens demander à
+ Votre Majesté impériale sa dernière volonté. Ma soumission lors du
+ traité du 16 mars lui a prouvé combien je m'en rapportais
+ entièrement à elle. Actuellement, je la supplie de croire que si je
+ ne demande qu'à voir ce pays hors des tourments et des souffrances
+ de sa position actuelle, c'est par la fin de la défaveur de Votre
+ Majesté impériale, et en connaissant précisément la volonté de Votre
+ Majesté, que j'ai dû et voulu seulement atteindre ce but. Je supplie
+ donc instamment Votre Majesté de me faire savoir ses intentions. Si,
+ au contraire, je le croyais hors d'état de pouvoir supporter les
+ conditions nouvelles qu'on exige de lui, je le dirai franchement à
+ Votre Majesté et me soumettrai sans hésitation à tout ce qu'il
+ plaira à Votre Majesté d'ordonner.
+
+ «Je supplie Votre Majesté impériale de recevoir cette lettre; et,
+ puisqu'un accident malheureux est cause du malheur dont je suis
+ menacé de ne plus recevoir de lettres de Votre Majesté, de ne pas
+ m'ôter à moi tout moyen de faire parvenir mes plaintes à Votre
+ Majesté, et à elle-même le seul moyen d'écouter ma justification.»
+
+
+L'empereur répondit le 20 mai; sa lettre, omise dans la
+correspondance publiée sous le second empire, est au texte de ce
+livre.
+
+Le lendemain du jour où l'ambassadeur de France en Hollande écrivait
+sa lettre du 18 mai à Cadore, ce dernier lui mandait: que l'empereur
+ayant appris l'insulte faite à sa livrée lui ordonnait de partir
+immédiatement sans même présenter le chargé d'affaires, lui
+annonçant que Werhuell recevait l'ordre de quitter Paris, regrettant
+que ce renvoi tombât sur l'amiral dont l'empereur appréciait les
+bons services.
+
+Ainsi, il devint de la dernière évidence que l'empereur saisit le
+premier prétexte pour arriver à ses fins; que ni la soumission de
+son frère, ni les concessions du gouvernement hollandais n'ont pu
+détourner, lui faire abandonner ses projets de réunion du pays à la
+France. Depuis longtemps, Napoléon cherche à son frère Louis une
+querelle d'Allemand, et il est permis de se demander si Lucien n'a
+pas été le mieux inspiré des frères Bonaparte, en se faisant une
+existence en dehors de celle imposée par l'empereur aux membres de
+sa famille. Il nous paraît très positif que l'insulte faite à la
+livrée de l'ambassadeur de France par un homme du peuple ne saurait
+entrer en ligne de compte pour la retraite d'un ambassadeur, surtout
+lorsque toute satisfaction est offerte.
+
+
+ BERTHIER À OUDINOT.
+
+ Lille, 23 mai 1810.
+
+ «L'empereur m'ordonne de vous faire connaître, Monsieur le maréchal,
+ qu'il est fort mécontent de la conduite des habitants d'Amsterdam et
+ qu'il se verra forcé, d'ici à fort peu de temps, de faire entrer de
+ nouvelles troupes en Hollande. Sa Majesté vous recommande d'avoir
+ les yeux sur tout ce qui se passe à Amsterdam et dans le pays; son
+ intention est que vous n'ayez aucune relation avec le peuple et que
+ vous ne souffriez pas qu'aucun officier de votre armée en ait.»
+
+
+ LA ROCHEFOUCAULD À CADORE.
+
+ Amsterdam, 25 mai 1810.
+
+ «Votre Excellence sera sûrement étonnée que ce soit encore moi qui
+ lui écrive, mais depuis quatre jours j'attends une réponse du
+ ministre pour savoir si le roi me recevra à Harlem, où Sa Majesté
+ est maintenant. J'ai cru que, dans les circonstances présentes, plus
+ peut-être que dans toute autre, je devais ne pas partir sans avoir
+ pris les ordres du roi, qu'une irrégularité de formes aurait un air
+ de légèreté qui ne conviendrait pas; mais si la journée
+ d'aujourd'hui se passe dans le même silence, je préviendrai M. Roëll
+ que devant me trouver à Paris à l'époque où S. M. impériale et
+ royale y arrivera, je me vois forcé de quitter la Hollande sans
+ avoir eu l'honneur de faire ma cour au roi. Il est donc plus que
+ probable que je partirai après-demain. Je verrai en passant M. le
+ duc de Reggio qui est à Utrech.
+
+ «D'après un rapport que je reçois de M. Gohier, il paraît qu'un de
+ nos corsaires vient de faire une prise importante, par la nature des
+ papiers trouvés à bord, qui prouvent les intelligences suivies qui
+ existent entre les côtes et les Anglais. Je ne doute pas que ce ne
+ soit à l'insu de la police. Le seul reproche à lui faire est de
+ l'avoir ignoré depuis si longtemps qu'elle en est avertie. M.
+ Serrurier vous rendra compte de la suite de cette affaire.
+
+ «_P.-S._ J'apprends à l'instant qu'il y a eu du bruit à Rotterdam,
+ que nos troupes ont été insultées, mais qu'elles se sont conduites
+ avec la plus grande sagesse. J'envoie à Votre Excellence la
+ proclamation du bourgmestre. Ceci est, comme le reste, l'effet des
+ mauvais propos que l'on souffre, et même que l'on protège. Cet
+ esprit du gouvernement se cache sous des notes et des paroles, mais
+ agit en dessous, car je réponds que le pays n'est pas mauvais, et
+ que, bien dirigé, l'empereur en serait parfaitement content.
+
+ «Je suis aussi informé par M. le consul général que cette prise, si
+ intéressante par les renseignements qu'elle donnera, est retenue au
+ Texel, malgré les demandes formelles qui ont été faites. Je vais
+ écrire à M. Roëll pour l'engager à prier le roi d'ordonner que sous
+ aucun prétexte l'on arrête les prises faites par les corsaires
+ français.»
+
+
+ OUDINOT À CLARKE.
+
+ Utrecht, 26 mai 1810.
+
+ «Monseigneur, j'ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence de tout
+ ce qui s'est passé en Hollande depuis que j'y suis; mais ma position
+ devient tous les jours plus délicate, tant vis-à-vis du roi que
+ vis-à-vis du pays, si Votre Excellence ne me donne pas très
+ promptement une règle de conduite fixe pour ce qui concerne les
+ marchandises anglaises ou denrées coloniales existant chez le
+ particulier.
+
+ «Je ne suis point embarrassé pour celles qui seront arrêtées
+ cherchant à s'introduire dans le pays.
+
+ «Plusieurs bâtiments hollandais, chargés de marchandises anglaises
+ ou denrées coloniales, ont été arrêtés par les douaniers français à
+ Harting, en Frise; mais les douanes hollandaises ont de suite
+ réclamé ces marchandises comme ayant été saisies, il y a plusieurs
+ mois, par les douaniers hollandais et qu'on dit appartenir au roi.
+
+ «Des négociants d'Amsterdam se présentent journellement à ces
+ magasins pour y acheter ces marchandises, d'après les règlements du
+ royaume.
+
+ «Enfin, les marchandises anglaises ou denrées coloniales, vendues
+ précédemment et légalement, circulent dans l'intérieur de la
+ Hollande, et comme rien ne les signale des marchandises achetées
+ par contrebande, il doit en résulter beaucoup d'abus qu'il n'est pas
+ facile de distinguer.
+
+ «Les rapports que je reçois journellement me font connaître que la
+ contrebande se faisait dans ce pays avec la plus grande facilité, et
+ je suis même porté à croire (sans cependant l'assurer) que les
+ douaniers hollandais ne sont point étrangers à ce brigandage; aussi
+ j'exerce une grande surveillance sur leur conduite.»
+
+
+ WERHUELL À CADORE.
+
+ Paris, 27 mai 1810.
+
+ «J'ai été profondément affligé de la communication que Votre
+ Excellence a bien voulu me faire par son office du 26 de ce mois. Je
+ ne tâcherai pas d'excuser un fait qui, s'il a eu lieu, mérite la
+ plus sévère punition, et j'ose d'avance assurer Votre Excellence que
+ le roi, mon maître, ne reposera pas jusqu'à ce qu'on ait trouvé les
+ moteurs de cette fâcheuse affaire, pour leur faire éprouver tout ce
+ que la sévérité des lois inflige en pareil cas, afin de montrer à
+ tout l'univers combien Sa Majesté est éloignée de souffrir qu'on
+ fasse les moindres insultes, dans ses États, aux sujets de son
+ auguste frère et surtout aux personnes attachées à son ambassadeur.
+
+ «Il me paraît cependant que le récit que l'on a fait à Sa Majesté
+ impériale est considérablement exagéré. Je prie Votre Excellence de
+ permettre que je lui communique les renseignements qui me sont venus
+ de la Hollande, par voie directe, relativement à cette affaire.
+
+ «Un des domestiques de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France se
+ trouvait devant l'église catholique. Sa grande livrée attira
+ l'attention de quelques jeunes gens de la plus basse classe du
+ peuple qui, peu habitués à une pareille magnificence, en
+ témoignèrent leur étonnement et ajoutèrent peut-être quelques
+ observations de leur genre. Le domestique se crut offensé, leur
+ imposa silence et les menaça même de les frapper; ces menaces furent
+ bientôt suivies de voies de fait auxquelles les autres ripostèrent.
+ La foule s'étant insensiblement augmentée, le domestique crut
+ prudent de se retirer; il s'adressa alors à un factionnaire pour
+ qu'il le conduisît chez lui; mais celui-ci, ne pouvant s'éloigner de
+ son poste, lui indiqua la garde qui était tout près, où il s'est
+ rendu et a trouvé tout le secours qu'il demandait, l'officier
+ commandant lui ayant donné un sous-officier pour l'accompagner à
+ l'hôtel.
+
+ «Ces détails présentent l'affaire sous un tout autre jour; j'ai cru
+ devoir le faire connaître à Votre Excellence, et j'espère qu'elle
+ aura bientôt elle-même la conviction que ce fait ne mérite pas
+ l'importance que l'on semble vouloir y attacher.
+
+ «Je supplie, en attendant, Votre Excellence d'employer ses bons
+ offices auprès de Sa Majesté impériale pour que cette affaire n'ait
+ pas de suites fâcheuses, et pour que Sa Majesté suspende toute
+ mesure précipitée de vengeance qui ne pourra que jeter les plus
+ vives alarmes en Hollande, et aggraver infiniment la fâcheuse
+ position où se trouve déjà le roi, de voir attirer de nouveau, sur
+ son pays, le mécontentement de son auguste frère pour une affaire
+ qui est si loin d'être approuvée par aucune classe de la nation
+ hollandaise.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 28 mai 1810.
+
+ «Le courrier que Votre Excellence a dépêché à M. le comte de La
+ Rochefoucauld, le 25 de ce mois, est arrivé ce matin au moment où
+ l'ambassadeur venait de monter en voiture. Après avoir pris lecture
+ de ses dépêches et m'avoir donné ses dernières instructions sur leur
+ contenu, l'ambassadeur, n'y voyant qu'un motif de plus pour
+ accélérer son départ, s'est aussitôt mis en route. Il doit être en
+ ce moment à Utrecht, chez le maréchal duc de Reggio, avec qui il
+ avait à s'aboucher; et, si ses calculs ne sont pas dérangés par des
+ accidents, il se flatte d'avoir l'honneur de saluer Votre Excellence
+ dans la journée du 2 juin.
+
+ «En conséquence de vos ordres, Monseigneur, également en date du 25
+ de ce mois, je me suis rendu chez le ministre des affaires
+ étrangères et lui ai remis la lettre de Votre Excellence, qui
+ m'accrédite auprès du gouvernement hollandais comme chargé
+ d'affaires de S. M. impériale et royale. J'ai dit à M. Roëll que,
+ sur le compte que j'avais eu l'honneur de rendre à Votre Excellence,
+ de l'outrage fait à l'ambassadeur de l'empereur dans la personne
+ d'un de ses gens, et, d'après le retard apporté à la satisfaction
+ demandée par l'ambassade, satisfaction qui n'a été accordée dans
+ aucune circonstance analogue de cet hiver, Sa Majesté, justement
+ irritée, avait ordonné à M. le comte de La Rochefoucauld de quitter
+ sur le champ Amsterdam; que, de plus, elle avait décidé de
+ n'entretenir désormais qu'un chargé d'affaires de France en
+ Hollande, comme de n'admettre qu'un chargé d'affaires d'Hollande en
+ France. Je lui ai également fait connaître que Sa Majesté avait
+ résolu de prendre des mesures pour que les malveillants d'Amsterdam
+ ne pussent pas se flatter de l'offenser impunément; enfin, j'ai
+ demandé que l'ancien bourgmestre fût rétabli dans sa place, et que
+ tous ceux qui ont fait partie du rassemblement qui a insulté les
+ gens de l'ambassadeur fussent remis au pouvoir de Sa Majesté.
+
+ «À cet énoncé des instructions de l'empereur, M. Roëll a paru
+ attéré. Il a cherché à disculper son gouvernement, en me rappelant
+ la note qu'il m'avait adressée le 14 à l'ambassade, en réponse à mon
+ office du 13 à ce sujet, note, m'a-t-il dit, où il n'avait pu
+ retracer que bien faiblement la vive indignation que le roi avait
+ ressentie, et où il annonçait que la police allait faire les
+ enquêtes nécessaires. Je répondis au ministre qu'il ne m'appartenait
+ pas d'élever des doutes sur les sentiments du roi dans cette
+ circonstance; que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait, mais du
+ fait en lui-même, et que l'expression stérile de l'indignation était
+ insuffisante après tout ce que l'ambassadeur avait éprouvé, dans ce
+ genre, depuis plusieurs mois; que dans les usages de toutes les
+ cours, une injure publique, à laquelle la considération du
+ gouvernement était attachée; que l'honneur français avait toujours
+ été, sur ce point, d'une sensibilité extrême, et que l'on ne pouvait
+ pas se croire autorisé, sans doute, à redouter moins à cet égard du
+ souverain actuel de la France que de ses prédécesseurs; que si la
+ bonne volonté eût été ce qu'il annonçait, le gouvernement aurait
+ autorisé le ministre des affaires étrangères à se rendre chez
+ l'ambassadeur et à lui déclarer qu'il avait ordre de s'entendre avec
+ lui sur le genre de satisfaction qu'il pourrait désirer. Je lui fis
+ observer que, cependant, rien de semblable n'avait été fait, que pas
+ un individu n'était arrêté, pas une enquête ordonnée, et que le
+ gouvernement, qui se plaint toujours d'avoir des ennemis, lui avait
+ donné cette occasion de plus de l'accuser de n'avoir de complaisance
+ que pour les ennemis de l'empereur.
+
+ «M. Roëll m'ayant demandé mon sentiment sur ce qu'il y avait à faire
+ dans cette occasion pour apaiser l'empereur, je lui dis qu'il ne me
+ convenait pas de donner des conseils, que ce n'était point là ma
+ mission, que cette affaire avait été trop négligée pour pouvoir être
+ arrangée par la voie des négociations, et qu'il me paraissait
+ qu'elle devait désormais être traitée directement entre le roi et
+ l'empereur; que pour moi, je me bornais à lui transmettre mes
+ ordres. Toute cette discussion fut très vive; contre son ordinaire,
+ M. Roëll était extrêmement ému; je vis même un moment des larmes
+ dans ses yeux. Il me recommanda les intérêts de sa malheureuse
+ patrie, me dit que son système personnel avait toujours été de
+ s'attacher à l'empereur, et de tout placer en lui comme de tout
+ attendre de lui; mais il avoua que cette manière de voir n'était pas
+ générale dans tous les ministères, et en défendant son département,
+ il laissa fort à découvert celui de la police dont la conduite lui
+ parut à lui-même si mauvaise qu'il n'essaya pas même de la défendre.
+
+ «M. Roëll me demanda de lui remettre mes demandes par écrit afin
+ qu'il pût les soumettre au roi. Je le fis; je le prévins que je
+ faisais repartir demain, dans la matinée, le courrier de Votre
+ Excellence, et je le priai de me mettre à même de lui transmettre
+ les déterminations où le gouvernement hollandais s'arrêterait dans
+ cette circonstance.
+
+ «Je dois à la nation hollandaise de dire que, dans cette occasion,
+ elle a manifesté un sentiment général de révolte contre une pareille
+ infamie et que tous les honnêtes gens d'Amsterdam ont vu cet
+ événement comme on l'a pu voir à Paris. M. Roëll est revenu
+ plusieurs fois sur ce que son caractère personnel et l'esprit de son
+ département ne permettaient pas de douter sur la manière dont il
+ voyait cette affaire; et il me semblait attacher un fort grand prix
+ à ce que Votre Excellence en prit cette opinion.
+
+ «Je crois assurément ce ministre incapable d'avoir aucune part à
+ tout ceci; le grand tort de M. Roëll, et peut-être le seul, est
+ d'être faible et de ne savoir pas s'exposer à déplaire et à perdre
+ même sa place pour servir son souverain.
+
+ «Il est certain, Monseigneur, que M. de La Rochefoucauld ne vous a
+ rien dit de trop à cet égard, que depuis trois mois plus
+ particulièrement, l'erreur et l'inexactitude semblent présider à
+ toutes les délibérations du gouvernement hollandais; qu'il est sans
+ armée, sans marine, sans argent et sans crédit; qu'aucune
+ stipulation importante du traité ne s'exécute; que la confiance et
+ le respect des peuples s'aliènent tous les jours, et que tous les
+ espoirs se tournent vers l'heureuse France et vers son monarque; que
+ ces provinces si prospères autrefois, et maintenant si déchues,
+ n'attendent désormais que de lui seul leur salut; que le parti
+ français s'accroît de tous les hommes éclairés qui ne voient pas
+ suivant leurs passions, mais suivant leurs intérêts, et que les plus
+ opposés à la France d'inclination y sont revenus par conviction et
+ par système.
+
+ «M. Roëll m'écrit à l'instant pour me demander de venir le voir
+ demain, à 11 heures, et pour me prier de ne point faire partir mon
+ courrier avant cette entrevue. Je ne fermerai donc ma dépêche qu'en
+ sortant de chez M. Roëll.
+
+
+ Ce 29 mai, à midi.
+
+ «Je quitte M. Roëll. Ce ministre m'a dit qu'il avait fait part au
+ roi de la lettre que Votre Excellence lui avait fait l'honneur de
+ lui adresser, des communications que je lui avais faites et de mes
+ demandes. M. Roëll m'a annoncé que le roi avait appris avec une
+ extrême douleur la manière dont Sa Majesté l'empereur, son auguste
+ frère, avait ressenti l'insulte faite à son ambassadeur; que son
+ intention avait toujours été de faire punir les coupables que toutes
+ les recherches n'avaient pu faire découvrir. L'intention du roi, m'a
+ dit le ministre, est que cette affaire soit entamée dès ce moment
+ devant le tribunal des échevins de cette ville, et poursuivie par le
+ grand bailli comme accusateur public. Demain ou après, le
+ gouvernement publiera une déclaration solennelle de son désir de
+ donner une satisfaction éclatante à l'empereur et de punir
+ exemplairement les coupables. Sa Majesté, a ajouté M. Roëll, ne
+ serait pas même éloignée d'accorder une récompense à celui qui
+ découvrirait les coupables.»
+
+
+ ROËLL À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 mai 1810.
+
+ «Ce n'est qu'avec un sentiment de profonde douleur que le roi, mon
+ maître, a appris les motifs qui ont déterminé Sa Majesté impériale
+ et royale à rappeler auprès d'elle son ambassadeur en Hollande et à
+ déclarer qu'il n'y aurait plus d'ambassadeur de Hollande à Paris,
+ mais que les affaires seraient désormais traitées réciproquement par
+ des chargés d'affaires dans les deux pays.
+
+ «Le roi était si éloigné de pouvoir s'imaginer que l'insulte qu'on
+ se plaint avoir été faite à un des domestiques de M. le comte de La
+ Rochefoucauld aurait pu provoquer une pareille mesure, que Sa
+ Majesté s'était au contraire flattée que le gouvernement français
+ aurait vu dans la conduite de celui de Hollande une preuve non
+ équivoque de son désir de donner toute la satisfaction que l'insulte
+ exigeait. Si l'on eût fait envisager ce qui a eu lieu sous son
+ véritable point de vue, je me tiens persuadé que Sa Majesté
+ impériale et royale, tout en insistant sur la recherche et la
+ punition des coupables, n'aurait vu dans le retard qui a eu lieu à
+ cet égard qu'une suite naturelle des circonstances et nullement un
+ manque de zèle à donner la satisfaction demandée, à laquelle au
+ contraire le gouvernement hollandais devait être porté aussi bien
+ par intérêt que par conviction.
+
+ «Voici le cas, et que maintenant Votre Excellence juge. Dimanche 13
+ de ce mois, un des gens de l'ambassadeur passe, ce qui est dit, dans
+ le voisinage du palais. On lui demande s'il appartient à l'ambassade
+ de France, et, sur sa réponse affirmative, on lui applique des
+ coups. Un attroupement se forme aussitôt; la personne en question
+ s'adresse à la sentinelle voisine: celle-ci ne se croyant pas
+ autorisée à se mêler de l'affaire, il rentre dans le corps de garde,
+ demande du secours et l'obtient, de manière que l'attroupement se
+ disperse aussitôt.
+
+ «Tel est, Monsieur le Duc, en peu de mots, le récit du fait tel
+ qu'il se trouve dans l'office, qui m'a été adressé le même soir par
+ M. le secrétaire de l'ambassade, en l'absence de l'ambassadeur.
+ Votre Excellence sentira que je n'ai rien de plus empressé que de
+ demander aussitôt des renseignements au ministre de la police qui,
+ n'ayant reçu aucune information sur ce qui venait de se passer,
+ selon l'office de M. Serrurier, prit sans délai toutes les mesures
+ pour avoir des renseignements nécessaires et pour atteindre,
+ d'après cela, ceux qui se seraient trouvés suspects de l'attentat.
+
+ «Je fis part de tout ceci à M. Serrurier, le lendemain matin,
+ lorsqu'il me fit l'honneur de passer chez moi, en lui faisant sentir
+ en même temps la difficulté qu'il y aurait à trouver aussitôt qu'il
+ serait à désirer les coupables que la personne insultée elle-même
+ disait ne point connaître. Je lui observai cependant que, par le
+ concours de la légation avec le ministère de la police, je me
+ flattais qu'on finirait par en venir à bout.
+
+ «Le même jour, j'adressai à l'ambassadeur l'office suivant que sans
+ doute il aura eu soin de porter à la connaissance de Votre
+ Excellence, et dont le contenu lui aura pu faire voir l'indignation
+ qu'éprouva le roi à la nouvelle de ce qui venait d'arriver et le
+ désir de Sa Majesté de donner aussi promptement que possible la
+ satisfaction demandée, qui était la punition des coupables. Mais
+ pour parvenir à cette punition, il fallait d'abord les atteindre;
+ pour les atteindre, il fallait les connaître, et pour les connaître,
+ il fallait l'assistance de celui qui se disait la personne lésée. À
+ cet effet, le grand bailli de la capitale, dans les attributions de
+ qui seul, et non dans celles du bourgmestre (dont les fonctions sont
+ simplement et purement administratives), est compris tout ce qui
+ regarde le maintien du bon ordre, a fait demander dès les premiers
+ jours, chez lui, la personne en question, afin d'avoir d'elle-même
+ quelques notions précises sur l'endroit et l'heure où le fait devait
+ avoir eu lieu, ainsi que sur les circonstances qui devaient l'avoir
+ accompagné. Ses instances, à cet effet, ayant été vaines, j'ai été
+ prié d'en entretenir l'ambassadeur et de demander à Son Excellence
+ s'il y avait des difficultés, de sa part, à ce que cet homme se
+ rendît chez le grand bailli à l'effet indiqué. Son Excellence
+ m'ayant assuré qu'elle ne s'y opposerait en aucune manière, et
+ connaissance de ceci ayant été donnée de ma part au grand baillif,
+ celui-ci a fait demander depuis, à différentes reprises, que la
+ personne indiquée voulût se rendre auprès de lui, mais jusqu'ici,
+ sans le moindre succès, ayant été répondu de sa part, encore hier
+ matin, qu'il se trouvait trop occupé ce jour-là pour venir, ainsi
+ qu'il constate par le procès-verbal de la personne chargée de lui
+ parler.
+
+ «Voilà donc plus de quinze jours d'écoulés que l'ambassadeur de
+ France se plaint d'un attentat commis envers un de ses gens et dont
+ elle demande avec raison une satisfaction éclatante, sans qu'on ait
+ pu parvenir encore à obtenir que cette personne veuille fournir à
+ l'autorité compétente les notions si nécessaires pour réussir dans
+ les perquisitions.
+
+ «Que faut-il penser, Monsieur le duc, d'une pareille conduite? Elle
+ a causé au roi un sentiment d'autant plus pénible que le retard de
+ la satisfaction demandée devait naturellement donner lieu à
+ l'opinion qu'on n'attachait point de prix à la découverte du
+ coupable, dont cependant le contraire est prouvé par tout ce qui a
+ déjà été mis en oeuvre pour y parvenir.
+
+ «Je n'occuperai pas davantage pour le moment l'attention de Votre
+ Excellence sur cette malheureuse affaire. Je me bornerai à l'inviter
+ de mettre ce que j'ai eu l'honneur de lui communiquer sous les yeux
+ de S. M. impériale et royale, dont le roi se flatte que la religion,
+ éclairée par le vrai exposé de ce qui a eu lieu, ne voudra pas faire
+ exécuter une détermination qui ne saurait être attribuée qu'à des
+ informations moins exactes sur l'affaire dont il s'agit et à l'égard
+ de laquelle le roi se flatte que son auguste frère finira par lui
+ rendre la justice que les expressions contenues dans mon office, du
+ 15 de ce mois, à l'ambassadeur de France ne sont point de vaines
+ paroles, mais extrêmement conformes à ses sentiments.
+
+ «En conséquence, je prie Votre Excellence de vouloir engager
+ l'empereur et roi à consentir que non seulement la légation
+ française en Hollande soit remplie de nouveau par un ministre de
+ premier rang, mais aussi que l'ambassadeur de Hollande à Paris
+ puisse continuer à y exercer provisoirement ses fonctions actuelles,
+ dans lesquelles il a eu le bonheur de se rendre, en même temps,
+ utile à son souverain et agréable à celui auprès duquel il est
+ accrédité.
+
+ «En attendant, je me fais un plaisir d'assurer Votre Excellence que
+ la personne à laquelle Sa Majesté daignera confier les fonctions de
+ chargé d'affaires en Hollande sera toujours agréable au gouvernement
+ hollandais qui ne manquera pas d'ajouter foi et créance entière à
+ tout ce qu'elle sera dans le cas de lui dire de la part de son
+ souverain. Quant à moi, en particulier, Votre Excellence peut se
+ tenir persuadée que M. Serrurier rencontrera dans la question des
+ affaires qui lui seront demandées toutes les prévenances auxquelles
+ a droit de s'attendre l'agent d'une puissance aux intérêts de
+ laquelle ceux de ma patrie sont si intimement liés, et dont la
+ bienveillance est sans doute le plus ferme fondement de notre
+ prospérité.
+
+ «Avant de finir cette lettre, je suis chargé de relever un passage
+ qui se trouve dans la note par laquelle Votre Excellence a fait
+ connaître à l'ambassadeur Werhuell les intentions de Sa Majesté
+ impériale, savoir, celui où il est dit que si l'on n'eût pas renvoyé
+ l'ancien bourgmestre, qui était un homme sage, l'affaire en question
+ n'aurait pas eu lieu. Sans doute, Monsieur le duc, le bourgmestre
+ Van-de-Poll est un homme éclairé et sage, dont le roi a toujours su
+ apprécier les mérites, mais ses fonctions, comme je l'ai déjà
+ observé plus haut, n'étant que purement administratives et n'ayant
+ rien de commun avec la police, il est difficile de se persuader que,
+ s'il fût resté en place, il aurait été en état de prévenir des
+ injures quelconques que des malintentionnés se seraient avisés de
+ faire. Et quant à la démission de ce magistrat, qui paraît avoir été
+ représentée à Votre Excellence comme un renvoi, il suffira
+ d'entendre le bourgmestre même pour être convaincu que, bien loin de
+ pouvoir être considérée comme telle, cette démission n'a été que la
+ suite d'instances réitérées de sa part, faites déjà avant le départ
+ du roi pour Paris, mais auxquelles le bourgmestre a renoncé alors
+ sous la condition expresse que Sa Majesté ne se refuserait pas à lui
+ accorder sa démission et son repos aussitôt qu'elle pourrait
+ entrevoir le terme de son absence, de sorte que le roi, en la lui
+ accordant à cette époque, n'a fait que remplir les engagements
+ contractés avant son départ, et je doute si aucun moyen pour engager
+ M. Van-de-Poll à reprendre ses fonctions de bourgmestre serait
+ capable de l'y déterminer.»
+
+
+ LE ROI LOUIS À L'EMPEREUR.
+
+ Amsterdam, 31 mai 1810.
+
+ Sire,
+
+ Je supplie Votre Majesté de vouloir ordonner qu'on s'en tienne au
+ traité. Ce pays, exaspéré de toutes les manières, est poussé au
+ désespoir chaque jour davantage. On veut aujourd'hui que je reçoive
+ des douaniers à Diemer, à Ruysdaal et à Menden, au centre du pays,
+ et j'invoque l'assurance, que Votre Majesté m'a réitérée plusieurs
+ fois, qu'elle ne voulait pas dépasser le traité ni entraver le
+ commerce intérieur à ce point. Sous le prétexte d'ordres supérieurs,
+ enfreindre un traité si nouvellement conclu, ce n'est point servir
+ Votre Majesté impériale, quels que soient ses projets; c'est perdre
+ gratuitement un peuple au désespoir. J'ai reçu et ordonné que l'on
+ facilitât toutes les mesures de surveillance des douaniers, au
+ Helder, au Texel, sur toute la côte de Frise, comme à Katuyk, à
+ Schevelingen, l'île de Voorne, la Brille, Helvact, en un mot, toute
+ la côte sans exception; mais les villes intérieures et les canaux ne
+ peuvent y être sujets en aucune manière. Je prie instamment Votre
+ Majesté de contremander des mesures qui sont trop contraires au
+ traité qu'elle a prescrit elle-même, comme à tout motif raisonnable
+ pour pouvoir être exécuté sans les plus fâcheuses conséquences pour
+ ce pays. Votre Majesté n'a pas l'intention que ses agents soient
+ cause des plus grands malheurs, elle ne veut pas qu'un pays qui lui
+ doit l'existence soit perdu à jamais pour s'être sacrifié aux
+ conditions prescrites par le traité. Je supplie donc Votre Majesté
+ impériale d'ordonner qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un
+ gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen
+ d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes
+ et qu'il supporte patiemment un état de guerre qui le ruine; mais,
+ au contraire, Sire, veuillez calmer des esprits vivement agités et
+ leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour eux, en me confiant
+ entièrement à la parole et à la volonté de Votre Majesté impériale,
+ ne pouvait tromper leur espoir et leur résignation absolue. Quelle
+ que soit l'indisposition de Votre Majesté contre son frère, je la
+ prie de répondre au roi de Hollande et de considérer que c'est dans
+ la plus grande anxiété que le pays et moi attendons la réponse de
+ Votre Majesté.
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 2 juin 1810.
+
+ «Mes craintes se confirment: de funestes conseils prévalent dans
+ l'esprit du gouvernement et semblent prêts à l'égarer. On a déclaré
+ à gens sûrs, de qui je le tiens, qu'on se battrait si on voulait
+ mettre garnison à Amsterdam. Peut-être n'est-ce qu'un premier
+ mouvement. Les projets du général Krakuhoff sont remis sur le tapis;
+ on assure même qu'ils ont été proposés en conseil et que la majorité
+ des ministres a fait la plus forte opposition. Heureusement, ces
+ projets extravagants ne s'appuient que sur 3,000 hommes de garde mal
+ sûrs et dont les chefs y regarderont à deux fois avant de tirer
+ l'épée.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 3 juin 1810.
+
+ «Le gouvernement hollandais paraît arrêté au projet de s'opposer à
+ l'occupation d'Amsterdam; en vain les ministres ont-ils supplié le
+ roi de ne pas livrer sa personne, sa ville et tout son peuple à une
+ perte certaine, pour satisfaire la passion de quelques furibonds,
+ ennemis de sa gloire, et qui seront les premiers à l'abandonner
+ quand ils l'auront compromis. Ces représentations sages n'ont pas
+ été écoutées, et les conseils violents ont prévalu. Heureusement,
+ cette lutte scandaleuse, s'il est impossible de l'éviter, ne peut
+ être longue, ni douteuse, ni sanglante. Le gouvernement hollandais
+ dispose au plus de 3,000 hommes de garde. Il a fait venir hier, de
+ La Haye, un bataillon du 5e régiment; voilà, avec deux escadrons de
+ cavalerie, toute son armée. Une partie couvre Harlem et l'autre
+ Naërdem et les points d'attaque du côté d'Utrecht. Il n'y a pas un
+ officier habile qui voudra prendre sur lui la responsabilité
+ horrible de couvrir sa patrie de sang et de la ruiner pour un but
+ aussi monstrueux et sans aucune espérance de succès. Le général
+ Travers commande la garde. C'est un homme plein d'honneur, attaché
+ à son prince par reconnaissance, mais Français avant tout. Il ne
+ peut se prononcer qu'au moment; mais sa conduite n'est pas douteuse,
+ si on lui montre des Français au bout de ses baïonnettes. Le général
+ Brunot pense de même, et je crois pouvoir répondre de ces deux
+ officiers. Le maréchal duc de Reggio se croit sûr du général
+ Dumonceau. Ainsi, point de chef capable pour cette petite troupe
+ d'enfants perdus que l'on prétend opposer à l'armée française.
+
+ «La seule chose à craindre est qu'on ne cherche parmi ce désordre à
+ remuer l'horrible populace d'Amsterdam, et qu'on ne la porte à des
+ excès qu'il serait sans doute aisé de punir, mais qui pourraient
+ entraîner de fort grands inconvénients dans une aussi grande ville.
+ Le moyen le plus sûr de les éviter paraîtrait être que la marche des
+ corps destinés à occuper Amsterdam fût tellement rapide qu'on n'eût
+ ni le temps de délibérer ni celui de remuer le peuple. Cette manière
+ aurait encore l'avantage de fixer les irrésolutions et d'aider aux
+ gens de cour, retenus par les austérités de la discipline,
+ incertains encore de ce que l'on veut d'eux et qui se prononceraient
+ dans un mouvement rapide et décidé.
+
+ «Mais, le premier avantage sans doute de cette rapidité serait
+ d'arracher l'auguste personne qui se trouve jetée si déplorablement
+ au milieu des rebelles, aux fureurs de ces conseils, à ses propres
+ emportements, et de diminuer pour elle les dangers auxquels, dans
+ son funeste égarement, elle croirait de sa gloire de s'exposer.
+
+ «Ce n'est pas, Monseigneur, sans un profond sentiment de douleur que
+ je traite une pareille matière, si éloignée de tout ce dont se
+ devrait composer une correspondance de famille; mais mes premiers
+ devoirs sont envers l'empereur, et quelque pénibles qu'ils soient,
+ j'ai juré de les remplir.
+
+ «Votre Excellence concevra que je ne lui écris, comme je le fais,
+ que sur les avis positifs qui me sont venus d'Utrecht.
+
+ «Les renseignements que je reçois à l'instant par une voie secrète
+ et sûre, du ministère de la guerre, s'accordent sur les ordres
+ donnés de défendre les lignes.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 5 juin 1810.
+
+ «Je me suis rendu hier soir chez le roi, d'après l'invitation que
+ j'en avais reçue. J'ai trouvé Sa Majesté seule. «Je vous ai fait
+ appeler, Monsieur, me dit le roi, pour m'entretenir sur l'état
+ général de nos affaires, sur ma position, sur celle du pays que je
+ gouverne, et sur les moyens d'y porter remède, s'il en est temps
+ encore. Votre mission sera belle, Monsieur, si vous voulez et si
+ vous pouvez concourir à ce but.» J'ai répondu au roi que j'étais
+ sans instructions sur les objets de discussion que Sa Majesté
+ pouvait vouloir traiter avec moi; que cette audience, où elle
+ daignait m'appeler, n'ayant pas été prévue, Sa Majesté ne devait pas
+ être étonnée de me trouver entièrement au dépourvu sur les
+ ouvertures qu'elle aurait à me faire; que jusqu'ici je n'avais été
+ autorisé qu'à transmettre des demandes que Votre Excellence m'avait
+ chargé d'adresser au ministre des affaires étrangères, et que
+ j'étais sans pouvoirs et sans direction pour tout ce qui aurait le
+ caractère d'une négociation ou même d'une discussion; mais que
+ j'écouterais avec respect et que je transmettrais avec fidélité à
+ Votre Excellence tout ce que Sa Majesté me ferait l'honneur de me
+ dire. Ces bases posées, le roi entra en matière.
+
+ «Sa Majesté me retraça d'abord l'état dans lequel elle avait trouvé
+ le royaume à son avènement à la couronne, les sacrifices immenses
+ que ce petit pays avait faits à la cause commune, la ruine de son
+ commerce, l'épuisement de ses finances, les malheurs successifs qui
+ l'avaient frappé dans ces trois dernières années plus
+ particulièrement, les efforts qu'il avait faits pour la guerre de
+ Prusse, le dévouement de ses troupes en Poméranie et en Espagne, les
+ cessions considérables du dernier traité, et enfin la remise de
+ toute l'étendue de ses côtes et de la meilleure partie de son
+ territoire au pouvoir et à la garde de l'armée française.
+
+ «Voilà pour mon pays, me dit le roi, et quant à moi, que veut-on de
+ plus que de remplir avec fidélité tous mes engagements envers la
+ France? Sans doute, ils sont grands ces engagements: frère de
+ l'empereur et son ouvrage, comment a-t-on pu s'imaginer que je
+ pensasse à m'en séparer par un système d'isolement impossible à
+ réaliser? et qu'aurais-je donc à attendre des ennemis de mon frère
+ que mépris et abandon? Je dois tout à ce titre; je lui dois les
+ respects de mon peuple et la considération de l'Europe, et je sais
+ que je ne puis rien que par lui. Par quelle fatalité prétend-on donc
+ toujours me classer parmi les ennemis de sa puissance; puis, que me
+ veut-on? s'écria brusquement le roi. Je n'ai pas sans doute la
+ prétention d'avoir signé un traité avec l'empereur, mais, enfin,
+ j'ai ratifié une convention qui cède à mon frère une partie de mon
+ territoire déjà si borné et remet à ses troupes la meilleure partie
+ de l'autre. Est-ce la conduite d'un rebelle? J'ai rempli, de mon
+ côté, autant que j'ai pu, toutes les conditions du traité, mais
+ quelle extension la France ne donne-t-elle pas à cette convention?
+ Un article porte que les douanes seront placées à toutes les
+ embouchures des rivières. J'ai donné l'ordre de les y recevoir; mais
+ aujourd'hui on m'annonce des douaniers à Maarchen, Muyden et jusqu'à
+ Diemen, espèce de faubourg d'Amsterdam, et l'on veut en établir,
+ aussi bien que des troupes, dans ma capitale. J'ai répondu au
+ maréchal duc de Reggio qu'il était assurément bien le maître de
+ donner de pareils ordres et d'envoyer ses douaniers, mais que je ne
+ les recevrais pas, puisque cela était contraire aux stipulations de
+ mon dernier traité. Si l'on veut plus de moi, pourquoi ne pas le
+ faire connaître par la voie des ambassadeurs respectifs? C'est pour
+ cet objet plus particulièrement, continua le roi, que j'ai désiré
+ m'entretenir avec vous, Monsieur; si mes sacrifices ne suffisent pas
+ encore, qu'on me le dise: je suis prêt à signer une nouvelle
+ convention, et l'empereur pourra en dicter les conditions. Je n'ai
+ pas la chimère de traiter d'égal à égal avec mon frère; il me
+ permettra seulement que je plaide pour mon peuple. Je souscrirai
+ tout ce qu'il voudra, mais qu'il daigne faire connaître ses
+ intentions. Une occupation militaire n'est guère compatible avec la
+ marche d'une bonne administration; l'empereur en jugera. Veut-il que
+ je montre à l'Europe que je ne rougis pas d'attacher ma couronne à
+ la sienne par un lien vassalitique ou par un tribut? Je suis prêt à
+ y souscrire pourvu que l'on conserve à cette bonne nation, que je
+ chéris, non pas son indépendance, chimère depuis longtemps
+ abandonnée, mais son administration séparée. Je ferai tout, je
+ consentirai à tout pour remettre mon peuple et moi dans les bonnes
+ grâces de l'empereur.»
+
+ «Telle a été, Monseigneur, la substance, et autant que ma mémoire
+ est fidèle, les expressions du discours du roi. Une extrême
+ agitation se lisait sur la figure de Sa Majesté, dans ses gestes et
+ sur toute sa personne. J'écoutai le roi dans le plus profond
+ silence, et quand Sa Majesté eut cessé de parler, je lui dis que
+ j'aurais l'honneur de transmettre à Votre Excellence, avec
+ exactitude et dès ce matin, tout ce que Sa Majesté m'avait fait
+ l'honneur de me dire, que je prierais Votre Excellence de prendre à
+ cet égard les ordres de l'empereur et de me les faire connaître, et
+ que j'aurais tout l'empressement possible à lui faire part de la
+ réponse que je recevrais.
+
+ «Je croyais mon audience finie et pensais à me retirer; mais le roi
+ voulut avoir mon opinion et mes conseils. Je répondis qu'il n'était
+ pas dans ma position de pouvoir lui offrir rien de semblable et lui
+ répétai que j'étais sans instructions. «Eh bien, me dit le roi, je
+ ne parle plus au chargé d'affaires, et je cause avec M. Serrurier
+ confidentiellement. Que pensez-vous et que croyez-vous que je doive
+ faire?» Pressé dans mon dernier retranchement, il fallut bien
+ répondre. Je dis au roi que, puisqu'il lui fallait mon opinion
+ personnelle dégagée de tout caractère officiel, je ne me refusais
+ pas à la lui donner, puisque aussi bien ce que je lui dirais,
+ n'étant pas avoué de mon gouvernement ni inspiré par lui, n'avait
+ dès lors aucune importance politique.
+
+ «Je rappelai donc au roi que j'étais déjà en Hollande à l'époque où
+ Sa Majesté fut appelée à y régner, et que j'avais été témoin des
+ fausses routes dans lesquelles Sa Majesté avait été jetée dès les
+ premiers jours de son règne; que, dans mon opinion, Sa Majesté
+ aurait dû asseoir son trône sur le parti français et ensuite
+ admettre à résipiscence et à pardon tous les gens d'honneur du parti
+ opposé, mais avec un sage tempérament, de manière à fondre tous les
+ partis dans celui qui l'avait demandé à l'empereur et lui était
+ dévoué par système et par besoin; qu'au lieu de cela, Sa Majesté
+ avait accueilli, caressé le parti opposé aux sentiments secrets de
+ son cour, aux intérêts de la France et conséquemment aux siens,
+ puisque son premier besoin est d'être bien avec elle; que de là
+ était né un système d'opposition à l'empereur, que chaque jour avait
+ développé davantage, et qu'il avait fait perdre à la Hollande toute
+ la grâce et tout le prix de ses efforts que l'on n'avait plus, dès
+ lors, dû attribuer qu'à sa position obligée; que c'était à ce
+ malheureux système d'opposition, longtemps sourde et depuis à peu
+ près ouverte, qu'il fallait attribuer le mécontentement de
+ l'empereur, la perte de ses bonnes grâces et d'une protection sans
+ laquelle il n'existe pas de Hollande; que de là étaient sorties
+ toutes les mesures de défiance et de précaution que Sa Majesté avait
+ cru devoir à la sûreté de son empire, et peut-être cette aliénation
+ des sentiments de Sa Majesté impériale pour un frère que ce titre
+ avait élevé si haut et qu'une reconnaissance éternelle devait lui
+ attacher; que jamais dans son esprit (puisque S. M. exigeait que je
+ lui exprimasse franchement mes opinions) les titres de frère de
+ l'empereur et de connétable de France n'auraient dû être séparés de
+ celui de roi de Hollande, et que c'était dans leur accord qu'il
+ aurait dû chercher le bonheur de ses sujets. Je lui rappelai toutes
+ les fausses mesures sur lesquelles l'ambassade avait eu sans cesse à
+ réclamer, l'affaire des Américains, si dommageable à ceux-là mêmes
+ qui l'avaient inspirée, la mauvaise impulsion donnée à l'esprit
+ public, et tant d'autres fautes enfin accumulées sans mesure. Je dis
+ encore à Sa Majesté que ce dernier traité, sur lequel elle
+ prétendait s'appuyer, ne s'exécutait pas dans ses stipulations les
+ plus intéressantes pour la France, la remise des cargaisons
+ américaines et l'armement des forces maritimes du royaume. Puis,
+ venant à l'état présent des affaires, je dis au roi que mon opinion
+ personnelle était qu'il ne restait plus à Sa Majesté, dans la
+ position où elle s'était placée, que de s'adresser directement à
+ l'empereur et de se jeter dans ses bras, et de remettre à sa grande
+ âme ses destinées et celles de son peuple. Le roi m'interrompit ici
+ pour me protester que c'était son voeu le plus ardent, mais qu'il
+ n'avait plus la confiance d'écrire à Sa Majesté impériale, de qui
+ ses lettres n'étaient plus reçues, et qu'il me demandait de faire
+ parvenir à Votre Excellence, et par elle à l'empereur, cette
+ expression de ses sentiments et de ses voeux.
+
+ «Le roi m'ayant parlé avec exaspération des douaniers qu'on lui
+ envoyait chaque jour, sans qu'il en fût prévenu, et de tous les
+ désordres qu'il prétendait être commis par eux, je demandai à Sa
+ Majesté si elle faisait entrer en comparaison ces dommages
+ particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur que jetait
+ dans le public le bruit qui s'y répandait que des ordres de
+ s'opposer aux mouvements des troupes françaises fussent donnés sur
+ toute la ligne et avec les suites qu'ils pourraient entraîner. Le
+ roi nia qu'il eût donné l'ordre de tirer sur les Français dont il
+ n'oublierait jamais, me dit-il, qu'il était le connétable; mais il
+ insista cependant sur ce point qu'il ne pourrait permettre que des
+ troupes françaises entrassent dans sa capitale. Il ne pouvait pas
+ sans doute l'empêcher, mais il regarderait, par ce seul fait, le
+ gouvernement comme dissous. Sa Majesté demandait que l'empereur
+ daignât, du moins, comme déjà elle me l'avait demandé, lui faire
+ connaître ses intentions avant de les faire exécuter.
+
+ «Enfin, le roi me dit qu'il sentait qu'il avait peu à vivre, mais
+ qu'il désirait assurer l'existence de ses enfants; que, déjà, ils
+ avaient perdu de bien beaux droits en France, et que, du moins, il
+ souhaitait leur laisser un héritage quelconque qui leur rappelât la
+ sollicitude de leur père pour eux.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 8 juin 1810.
+
+ «Prévenu hier par le chambellan de service que le roi me recevrait
+ ce matin, à 9 heures, je me suis empressé de me rendre aux ordres de
+ Sa Majesté. Le roi m'a d'abord répété tout ce qu'il m'avait fait
+ l'honneur de me dire, quatre jours avant, sur la position de son
+ pays, sur ses sentiments personnels pour l'empereur, et sur le désir
+ qu'il avait de mettre sa personne, ses enfants et son pays entre les
+ mains de son auguste frère. Le fond des choses était à peu près le
+ même; mais la manière était beaucoup meilleure; toute trace de dépit
+ et de rigueur avait disparu; l'âme du roi, frappée des calamités
+ qu'entraînerait un système d'opposition ouverte, ébranlée par les
+ représentations que ses ministres et ses principaux sujets lui ont
+ faites, et revenue à ses sentiments naturels pour l'empereur et pour
+ la France, ne semblait occupée que du besoin de se livrer à ce
+ retour des premières affections des hommes si fortes sur les cours
+ bien nés. Le ton du roi, je le répète, disait plus encore que ses
+ paroles, et je dois déclarer avec la même franchise que j'ai mise
+ dans mes accusations, qu'il est impossible de montrer une résolution
+ plus absolue aux volontés de l'empereur que Sa Majesté n'en a fait
+ éclater devant moi dans cette circonstance.
+
+ «Ma position était extrêmement difficile. Je savais bien ce dont il
+ était désirable, que le roi me chargeât pour Votre Excellence, pour
+ éviter des malheurs; mais je ne pouvais rien provoquer, n'ayant ni
+ pouvoirs ni instructions de l'empereur. Heureusement, le roi, me
+ parlant des bruits que l'on avait répandus sur un prétendu projet de
+ défense, fut naturellement amené à se prononcer à cet égard; quant à
+ ses déterminations, Sa Majesté me dit donc: «Il m'est à peu près
+ évident que la réunion sera le résultat de tout ceci. Il n'est ni
+ dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma position,
+ assurément, de m'y prêter, et l'on ne peut me blâmer de désirer tout
+ autre arrangement; mais voici, Monsieur, ma résolution que je vous
+ communique officiellement pour le cas possible, et que la
+ correspondance du duc de Reggio me fait prévoir. Si des patrouilles
+ se présentent à mes lignes, on leur dira de s'éloigner, puisque le
+ traité ne porte pas qu'il n'y aura jamais de garnison française dans
+ ma capitale. Si un corps de troupes se présente hostilement, et sans
+ que j'aie rien reçu de l'empereur mon frère, on fermera les portes
+ et les barrières; mais on ne tirera pas et on se laissera forcer. Je
+ ne puis faire qu'une résistance passive et protester contre ce qui
+ aurait lieu en pareil cas sans un arrangement convenu avec mon
+ frère.» Je tenais beaucoup, Monseigneur, à avoir cette déclaration
+ du roi, que je ne pouvais demander, mais que je désirais vivement
+ avoir à transmettre à Votre Excellence.
+
+ «Le roi revint à me dire que l'empereur ne voulant plus recevoir ses
+ lettres, il n'osait plus s'adresser directement à Sa Majesté
+ impériale; mais que la connaissance qu'il avait du caractère de
+ Votre Excellence le portait à mettre toute sa confiance en elle;
+ qu'il me priait, en conséquence, de lui expédier un courrier porteur
+ de ses déterminations dans ces circonstances. «Je suis, m'a dit le
+ roi, attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille, et
+ plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à
+ elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'empereur. Je ne
+ déserterai point un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu
+ de ce peuple; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à
+ souscrire à toute espèce d'arrangement qui me rattacherait plus
+ fortement à l'empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de
+ l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me
+ paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me parût
+ préférable, mais parce que mon frère le veut ainsi. Je ne demande
+ qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce
+ qui lui reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage
+ qu'ils doivent aux bienfaits de l'empereur. On ne peut pas en
+ conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y
+ apporter qu'une résistance morale, et je le promets.»
+
+ «J'ai encore, Monseigneur, une bien faible connaissance des hommes
+ et il ne m'appartient pas de prétendre lire dans le coeur des rois;
+ mais ce que je puis assurer, c'est que si jamais la vérité a un
+ caractère auquel il soit possible de la distinguer, j'ai cru la
+ reconnaître aux paroles, au ton et à toute l'expression de la
+ personne de Sa Majesté au moment où elle me parlait ainsi.
+
+ «Le roi se mit ensuite à parcourir les différends, griefs ou
+ malentendus qui existaient entre nous. Il me dit, sur l'affaire des
+ gens de M. le comte de La Rochefoucauld, qu'il avait donné les
+ ordres les plus sévères, mais que le cocher avait toujours refusé de
+ comparaître et qu'enfin il était parti pour Paris avec les voitures
+ de son maître; que cependant il était impossible de commencer une
+ affaire de ce genre sans la présence de la partie principale et
+ lésée; qu'il désirait qu'on renvoyât cet homme et qu'aussitôt son
+ retour cette procédure serait entamée avec éclat et de façon à
+ satisfaire l'empereur.
+
+ «On accusait, m'a-t-il dit encore, le contre-amiral Lemmers d'avoir
+ laissé prendre les quatre corsaires français; mais ils l'ont été en
+ rade ouverte et par négligence, et quand l'escadre s'est avancée au
+ secours il n'était plus temps. M. Gohier m'a confirmé le fait de la
+ négligence des corsaires.
+
+ «Quant aux douanes, Sa Majesté désirait que leurs excès fussent
+ réprimés et qu'elles fussent placées dans les ports et embouchures
+ des rivières, mais non pas dans l'intérieur où, selon Sa Majesté,
+ elles ne causent du mal à personne du pays. Elle ne demandait pas
+ mieux que d'admettre à Amsterdam une espèce d'_inspecteur du blocus_
+ qui connaîtrait tout ce qui entre et sort des ports et à la
+ disposition de qui le roi remettrait ses propres douaniers.
+
+ «Le roi me parlant de la patrouille française arrêtée à Harlem a
+ prétendu n'avoir fait que ce qu'un général d'une division militaire
+ fait à l'égard des troupes de sa nation qui, n'étant pas munies
+ d'ordres à sa connaissance, se présenteraient devant une de ses
+ places. Sa Majesté a saisi cette occasion pour me manifester toute
+ l'horreur que lui inspirait la pensée qu'on pût se croire autorisé
+ de ses ordres pour tirer sur un des Français. Sa Majesté s'exprima à
+ cet égard très convenablement et comme on pouvait s'attendre du
+ connétable de France.
+
+ «Je me suis, Monseigneur, dans ce second entretien comme dans le
+ premier, borné à écouter ce que Sa Majesté m'a dit sans y prendre
+ une part que mon manque d'instructions m'interdisait. Je me permis
+ seulement d'engager le roi à envoyer lui-même un agent muni de ses
+ pleins pouvoirs à Paris; mais Sa Majesté prétendit préférer que je
+ me chargeasse de ses intérêts auprès de Votre Excellence, et,
+ d'après ses instances plusieurs fois répétées, j'ai promis au roi
+ que j'allais expédier à Votre Excellence M. de Caraman. Ce sera donc
+ lui, Monseigneur, qui aura l'honneur de vous porter cette dépêche et
+ que je prie Votre Excellence de vouloir charger de la réponse
+ qu'elle sera autorisée à y faire. J'ai promis au roi que M. de
+ Caraman serait parti dans quatre heures. L'impatience de Sa Majesté
+ est extrême et elle m'a répété plusieurs fois qu'elle ne pouvait
+ pas exister dans l'insoutenable pensée de la disgrâce de l'empereur
+ et dans la position où son pays et elle-même se trouvaient placés.
+
+ «J'écris par M. de Caraman un mot au duc de Reggio pour l'informer
+ de ce que je juge nécessaire qu'il sache de ce nouvel état de choses
+ et j'attends, Monseigneur, les ordres de l'empereur et vos
+ instructions.
+
+ «P.-S. J'ai rempli, Monseigneur, dans cette dépêche, le devoir d'un
+ historien fidèle. Je suis garant que tout ce qu'elle renferme a été
+ dit; mais Votre Excellence concevra que ma garantie ne peut aller
+ plus loin. L'opinion continue de se prononcer et d'appeler à haute
+ voix sur ce peuple les regards et la protection de l'empereur.
+
+ «Je ne serais pas étonné que M. Walkenaër, homme d'une grande
+ capacité, chargé de l'emprunt de Prusse et qui a joué dans le temps
+ un grand rôle en Espagne que votre ministère a cru devoir faire
+ cesser, fût envoyé demain à Paris, chargé d'une mission du roi
+ auprès de Votre Excellence.»
+
+
+ CLARKE À L'EMPEREUR.
+
+ Paris, 8 juin 1810.
+
+ «Votre Majesté trouvera ci-joint sous le nº 1 une lettre du maréchal
+ duc de Reggio, du 1er juin, où il rend compte que les lignes qui
+ environnent Amsterdam sont pourvues de grosse artillerie avec les
+ munitions et les canonniers nécessaires tandis que les côtes ne sont
+ point armées sous prétexte que toute l'artillerie est au pouvoir des
+ Français. Il paraît qu'on n'a pas abandonné les anciens projets de
+ défense et que si nos troupes voulaient entrer à Amsterdam il
+ pourrait y avoir quelque soulèvement. Le duc de Reggio annonce aussi
+ l'arrestation faite sur la côte de deux individus venant
+ d'Angleterre dont il m'a envoyé l'interrogatoire; je l'ai fait
+ passer au ministre de la police générale.
+
+ «Sous le nº 2 est une seconde lettre du duc de Reggio, du 2 juin,
+ dans laquelle il donne des détails sur l'émeute qui a eu lieu à
+ Rotterdam le 23 mai. Il paraît qu'elle a été préméditée et qu'elle
+ pourrait facilement se renouveler si quelque circonstance y donnait
+ lieu. Votre Majesté remarquera ce que mande le duc de Reggio au
+ sujet de la gendarmerie et le grand besoin qu'il en aurait. Il
+ sollicite fortement à cette occasion l'avancement du capitaine de
+ gendarmerie Linas qui est auprès de lui.
+
+ «Enfin, sous le nº 3, Votre Majesté trouvera un rapport et résumé
+ général de la reconnaissance militaire des côtes du département
+ d'Amsterland et de partie de celles de Zélande, faite par le
+ capitaine Daupias, adjoint à l'état-major général, avec une analyse
+ des observations qu'il a faites sur ces pays-là. Cette pièce mérite
+ attention par l'importance des objets qu'elle traite et je supplie
+ Votre Majesté de vouloir bien en prendre lecture d'autant plus
+ qu'elle est peu susceptible d'analyse.»
+
+
+ CADORE À SERRURIER.
+
+ Paris, 9 juin 1810.
+
+ «Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire savoir qu'elle ne
+ songe point à faire occuper Amsterdam[158] par ses troupes et que ce
+ n'est pas son intention, qu'il ne faut donc pas le faire ni même le
+ laisser craindre aux Hollandais. Mais en même temps elle nous charge
+ de déclarer que si l'on faisait en Hollande les moindres préparatifs
+ guerriers, ces préparatifs ne pourraient être regardés que comme une
+ insulte à la France, que vous avez pour ce cas l'ordre éventuel de
+ demander vos passeports et de quitter la Hollande, et que toute
+ attitude hostile attentatoire à la France sera considérée par Sa
+ Majesté comme une déclaration de guerre.
+
+ [Note 158: Voir les lettres des 23 et 25 du même mois.]
+
+ «Sa Majesté vous prescrit encore d'insister sur la réparation due
+ pour l'outrage fait à son ambassadeur, de dire qu'une satisfaction
+ incomplète ne peut lui suffire, qu'il la lui faut entière et que
+ sans cela le roi doit renoncer pour toujours à sa protection et à
+ son amitié.»
+
+
+ CADORE À SERRURIER.
+
+ Paris, 9 juin 1810.
+
+ «Monsieur, Sa Majesté m'ordonne de vous faire connaître que vous
+ pouvez aller chez S. M. le roi de Hollande ou chez ses ministres
+ toutes les fois que vous y êtes appelé pour affaires. Mais vous
+ devez vous abstenir de toute audience diplomatique, prétendant les
+ jours d'audience, une indisposition et vous abstenant effectivement
+ de sortir de chez vous de tout le jour.»
+
+
+ CADORE À SERRURIER.
+
+ Paris, 9 juin 1810.
+
+ «Monsieur, Sa Majesté est persuadée que vous ne rendez compte à
+ personne de ce qui se passe en Hollande et que vous n'en écrivez
+ qu'à moi seul. Vous savez trop bien que vous permettre à ce sujet la
+ moindre correspondance avec tout autre serait une faute capitale.
+ Mais sans croire que vous puissiez vous écarter de l'une des règles
+ les plus essentielles que vous ayez à suivre dans la carrière où sa
+ confiance vous a placé, elle veut que je vous fasse connaître
+ qu'elle met le plus grand prix à ce que cette règle soit
+ religieusement observée.»
+
+
+ NOTE POUR LE MARÉCHAL OUDINOT.
+
+ 12 juin.
+
+ «Il semble qu'on ait déjà cherché à répandre des bruits à Amsterdam
+ qui puissent déplaire au bas peuple de cette ville et le préparer à
+ un soulèvement; cette partie de la population, composée de matelots,
+ de porte-faix, etc., etc., est déjà indisposée et serait furieuse si
+ l'on parvenait à les tromper assez pour les décider à se soulever.
+ Les autres habitants d'Amsterdam, qui ont des propriétés, voient
+ avec chagrin et effroi les dispositions du roi qui paraissent être
+ d'opposer de la résistance à l'occupation de cette ville par les
+ troupes françaises. Le roi, qui d'abord avait intéressé par ce qu'on
+ appelait ses malheurs, éloigne de sa personne celles qui semblaient
+ lui être les plus dévouées par ses caprices continuels et la folie
+ de sa conduite. Une grande quantité de personnes sont prêtes à se
+ dévouer à l'empereur et à s'opposer à des démarches qui n'ont jamais
+ eu leur approbation, mais elles voudraient être avouées et n'avoir
+ pas à redouter un retour de faveur du roi près l'empereur qui pût
+ les perdre pour toujours. Une grande partie des ministres seraient
+ de ce parti. Les généraux Bruneau et Travers, le premier grand
+ écuyer, le deuxième colonel général des gardes, ne peuvent oublier
+ qu'ils sont Français et que leur premier devoir est envers leur
+ patrie. Tous deux d'ailleurs sont mécontents; il y a trois jours que
+ le général Travers offrit sa démission au roi parce qu'il en avait
+ été publiquement maltraité à la manoeuvre.
+
+ «Un homme intéressant par son nom et son caractère, sensible à la
+ malheureuse position de son pays, offre, _toujours sous condition
+ d'être avoué_, de se mettre à la tête des gens honnêtes et de coeur
+ et de contenir la populace dans un cas pressant; c'est M. de
+ Hogendorp. L'amiral de Winter, français de coeur, estimé et chéri de
+ tous les marins, les empêcherait de se livrer aux excès qu'on en
+ pourrait redouter, et les ramènerait à des sentiments honnêtes. Son
+ caractère trop connu paraît l'avoir fait éloigner _avant-hier_
+ d'Amsterdam. Il existe fort peu d'enthousiasme pour le roi. Le
+ peuple ne le salue point et semble n'éprouver aucune satisfaction à
+ le voir. Il paraît certain qu'il y a trois jours des ordres furent
+ donnés pour s'opposer militairement à l'entrée de troupes françaises
+ sur le territoire d'Amsterdam. On désire que les douaniers ne
+ viennent dans cette ville que lorsque nous l'occuperons; on craint
+ que leur arrivée ne donne occasion, _saisie avec empressement_,
+ d'animer le peuple.
+
+ «Les bâtiments américains doivent être escortés jusqu'à leur remise.
+
+ «La garde du roi, toute à Amsterdam, est de 3,000 hommes.»
+
+
+ LE ROI LOUIS À CADORE.
+
+ Amsterdam, 14 juin 1810.
+
+ «Monsieur le duc, l'empereur ne veut point que je corresponde avec
+ lui. Je n'ai plus d'ambassadeur à Paris; il faut donc que je
+ m'adresse directement à vous lorsqu'il y a des affaires aussi
+ importantes qu'en ce moment. Je ne vous parlerai point de la
+ situation du pays, vous la connaissez sans doute assez. J'espérais
+ que l'exécution serait adoucie et, loin de là, elle s'est aggravée
+ et s'aggrave tous les jours davantage. Je ne puis me dissimuler
+ actuellement que le traité n'empêche point que l'existence de la
+ Hollande ne soit fortement menacée. L'empereur s'en prend à moi de
+ toutes les disputes et rixes qui arrivent; le nombre des troupes
+ dans le royaume augmente sans cesse; il faut pourvoir à leurs
+ besoins dans un moment où les _habitants_ n'ont presque aucun moyen
+ de pourvoir à leur existence. J'ignore complètement les intentions
+ de l'empereur. Dans cette position je dois me résigner et chercher
+ seulement à éviter de nombreux malheurs dans ce pays. Veuillez me
+ dire, Monsieur le duc, s'il est un moyen de finir complètement et à
+ jamais tous les démêlés et tracasseries; s'il existe quelque chose
+ que je puisse faire pour cela, il n'y a rien que je ne fasse, si
+ j'ai la certitude que tous ces démêlés seront finis à jamais et que
+ le pays en tirera quelque avantage.
+
+ «Le porteur est reconnu pour être ami et aimé des membres de la
+ légation française à Amsterdam; je l'ai choisi pour cette raison
+ pour vous porter cette lettre et vous demander s'il n'y aurait pas
+ quelque moyen de finir à jamais tous les démêlés et les contrariétés
+ qui semblent s'augmenter même depuis le traité.
+
+ «Veuillez, Monsieur le duc, prendre intérêt à ma position, à celle
+ de mon fils et surtout à celle du pays, et croire que si vous pouvez
+ me faire connaître ce qui peut la rendre supportable ou la terminer
+ entièrement, ce sera le plus grand service que vous puissiez me
+ rendre. Dites-moi des choses précises à faire, et non, je vous prie,
+ des choses générales comme on l'a fait toujours. Croyez que tous les
+ différents naissent de la difficulté de ma position, et que mon
+ frère reconnaîtra, trop tard peut-être, combien on est injuste
+ envers ce pays. Je le répète, Monsieur le duc, je suis prêt à tous
+ les sacrifices que l'empereur désire, s'ils peuvent être utiles à ce
+ pays et éviter les maux qui le menacent encore.»
+
+
+ AVIS DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET DE LA POLICE.
+
+ Amsterdam, 17 juin 1810.
+
+ «Comme tous les efforts mis en oeuvre pour découvrir celui ou ceux
+ qui se sont rendus coupables d'une grave insulte faite, d'après la
+ communication officielle de la légation française, à un des
+ domestiques en livrée de Son Excellence l'ambassadeur, dans les
+ environs de l'église neuve, le 13 mai de cette année, vers les deux
+ heures après-midi, ont été jusqu'ici entièrement infructueux, et
+ qu'il est hors de doute que toutes insultes commises envers des
+ personnes appartenant à des missions étrangères sont d'autant plus
+ coupables que, non seulement elles peuvent compromettre comme toutes
+ les autres le repos public de l'endroit où elles se commettent, mais
+ qu'elles pourraient être aussi considérées comme (lésives) pour la
+ puissance à la légation de laquelle ces personnes appartiennent, et
+ avoir encore par là les suites les plus désagréables;
+
+ «À ces causes, le ministre de la justice et de la police, à ce
+ spécialement autorisé par le roi, offre une récompense de mille
+ ducatons à celui qui fera connaître l'auteur ou les auteurs du fait
+ susdit, de manière qu'ils soient remis entre les mains de la justice
+ et convaincus du délit, le nom du délateur pouvant rester secret, au
+ cas que celui-ci le désire.
+
+ «Le ministre susdit fait connaître en sus, par ordre exprès du roi,
+ le grand mécontentement et indignation de Sa Majesté de ce qui a eu
+ lieu, sentiments d'autant plus profonds, qu'elle attache un plus
+ grand prix à l'amitié et à la bienveillance de son auguste frère, et
+ par conséquent à prévenir tout ce qui pourrait être désagréable à Sa
+ Majesté impériale et royale. Le ministre saisit en même temps cette
+ occasion pour avertir et exhorter un chacun de s'abstenir
+ particulièrement de faire, soit par des paroles soit par des voies
+ de fait, la moindre chose qui pourrait être lésive à quelque
+ personne ou personnes appartenant à des missions étrangères, sous
+ peine d'être puni, selon l'exigence du cas d'après toute la sévérité
+ des lois.»
+
+ _Le ministre de la justice et de la police_,
+
+ VAN HUGENPOTH.
+
+
+ CADORE À SERRURIER.
+
+ Paris, 18 juin 1810.
+
+ «Monsieur, S. M. impériale et royale a eu sous les yeux les dépêches
+ que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser du 5 au 10 de ce mois,
+ et par lesquelles vous rendez principalement compte des entretiens
+ que le roi a eus avec vous, des explications dans lesquelles il est
+ entré, des sentiments qu'il a manifestés et des questions qu'il vous
+ a faites.
+
+ «Sa Majesté me charge de vous faire connaître que vous devez vous
+ borner à déclarer qu'une satisfaction suffisante, c'est-à-dire
+ complète et telle que Sa Majesté l'a demandée pour l'outrage fait à
+ son ambassadeur, doit nécessairement précéder toute discussion
+ d'affaires entre les deux gouvernements; c'est aussi la réponse que
+ je ferai à M. le chargé d'affaires de Hollande.»
+
+
+ CLARKE À OUDINOT.
+
+ Paris, 23 juin.
+
+ «Monsieur le maréchal, en conformité des ordres de l'empereur, j'ai
+ l'honneur de prévenir Votre Excellence que l'intention de Sa Majesté
+ est que vous fassiez sans perte de temps vos dispositions pour
+ former un camp à Utrecht, et que vous vous teniez prêt à marcher,
+ avec le 1er régiment de chasseurs et les deux autres régiments de
+ cavalerie à vos ordres (16e de chasseurs et 8e de hussards) le 56e,
+ le 93e, le 24e léger et le 18e de ligne et avec 12 pièces de canons,
+ sur Amsterdam, que l'empereur trouve nécessaire d'occuper. Vous
+ voudrez bien me faire connaître, par le retour de l'officier chargé
+ de la présente, quand vous serez prêt pour cette expédition, S. M.
+ se proposant de vous envoyer des ordres sur la conduite que vous
+ devez tenir.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 23 juin 1810.
+
+ «Votre Excellence pourra voir, par l'office ci-joint de M. Roëll
+ dont je lui remets copie, l'inquiétude que donne au gouvernement
+ hollandais l'arrivée de nouveau corps français dans le royaume. J'ai
+ répondu à ce ministre que j'allais transmettre à Votre Excellence
+ les observations qu'il m'adressait à cet égard et que je
+ m'empresserais de lui faire connaître la réponse que je recevrais.
+
+ «M. Roëll est venu me faire ses adieux. Il m'a dit sur la situation
+ de son pays et les déterminations du roi des choses fort touchantes
+ que je ne répartirai point à Votre Excellence, parce que je suppose
+ qu'elle les aura entendues de sa propre bouche au moment où cette
+ dépêche lui parviendra, le projet de M. Roëll étant de traverser
+ Paris pour se rendre aux eaux et de faire une visite à son passage
+ à Votre Excellence. M. Roëll n'est pas sans doute chaudement dans le
+ système français et il a des torts en arrière; mais je lui dois
+ cette justice que, depuis un mois, et particulièrement dans les
+ affaires de l'insulte faite à l'ambassadeur et des cargaisons
+ américaines, il a montré beaucoup de rondeur et les obstacles qui
+ les ont retardées ne sont pas venus de lui. Les affections ne seront
+ pas, de longtemps peut-être, françaises en Hollande, mais la
+ conviction et la raison nous ramènent tous les jours quelques
+ esprits.
+
+ «Le portefeuille des affaires étrangères, dans l'absence de M.
+ Roëll, est confié à M. Van der Heim, ministre de la marine et des
+ colonies, déjà connu de Votre Excellence par la correspondance de M.
+ le comte de La Rochefoucauld. C'est un homme d'une grande
+ expérience, de beaucoup de droiture et d'honnêteté, mais chez qui
+ les inclinations, les vues et les idées sont bien anciennement
+ anglaises, et par là difficiles à déraciner. Son département a été
+ jusqu'à ce moment le plus mauvais de tous par l'esprit qui y règne.
+ Votre Excellence va pouvoir bientôt juger de ce que pourra sur son
+ esprit l'empire des circonstances. J'ai eu hier ma première
+ conversation avec M. Van der Heim. M'abandonnant à peu près le
+ passé, il s'est arrêté à l'état présent des affaires et m'a fait sa
+ profession de foi. Il ne conçoit plus qu'un système et qu'une voie
+ de salut pour la Hollande, c'est de s'abandonner sans réserve à
+ l'empereur. M. Van der Heim prétend que le roi lui paraît
+ entièrement arrêté dans cette résolution, et si je dois l'en croire,
+ la conviction du ministère à cet égard est tellement unanime, que
+ l'on ne doit plus craindre la déviation de ce nouveau système. Le
+ temps apprendra quelle confiance on peut placer dans ces
+ protestations.
+
+ «Dans une dernière conférence avec M. Roëll, je lui avais dit qu'il
+ m'était revenu que l'on continuait à Haarlem de visiter les barques
+ pour s'assurer s'il ne s'y trouvait pas de Français. Je lui avais
+ fait sentir tout ce que ces précautions ont de ridicule et
+ d'injurieux pour Sa Majesté l'empereur, qui, s'il eût été dans ses
+ desseins d'occuper Amsterdam, y aurait fait entrer ses troupes, non
+ pas furtivement et dans des barques, mais en plein jour et par les
+ portes, et combien ces mesures étaient peu d'accord avec ce que l'on
+ m'avait chargé de transmettre. J'avais ajouté à M. Roëll que, s'il
+ devait me revenir plusieurs faits de ce genre, je serais obligé d'y
+ voir cette intention d'insulte et cette attitude hostile prévues par
+ mes instructions. Le roi, m'a dit M. Van der Heim, informé de mes
+ plaintes, a sévèrement réprimandé les ordonnateurs des visites et
+ expressément défendu qu'elles eussent lieu à l'avenir. Je
+ m'assurerai si les intentions du roi sont remplies.
+
+ «M. Van der Heim m'a aussi parlé de son département et des efforts
+ qu'il faisait pour armer ses trois escadres, dont deux étaient à peu
+ près disponibles. Il me cita particulièrement celle de M. l'amiral
+ de Winter, à Helvoët, composée du _Royal hollandais_ et du _Chatam_.
+ Je lui demandai s'il regardait comme en effet disponibles deux
+ vaisseaux à trois ponts qui n'avaient pas 200 hommes d'équipage,
+ quand il en faudrait plus de 600 pour les faire manoeuvrer. Je
+ venais d'apprendre ce fait d'un officier attaché à l'état-major de
+ l'amiral. Le ministre parut frappé de l'exactitude de mes
+ renseignements et se rejeta sur le manque d'argent et la difficulté
+ des enrôlements, à quoi j'eus encore bien des observations à lui
+ faire, et il ajouta enfin, qu'au besoin on n'y mettrait des soldats.
+
+ «M. Van der Heim me témoigna qu'il croyait au roi le désir de
+ m'entretenir sur les affaires, et m'assura que je serais reçu par Sa
+ Majesté, toutes les fois que je le souhaiterais, à Haarlem comme à
+ Amsterdam. Je me montrai extrêmement sensible à cette honorable
+ facilité qui m'était donnée. Je répétai à M. Van der Heim ce que
+ j'avais dit à M. Roëll de mon empressement à me rendre aux ordres du
+ roi, toutes les fois que Sa Majesté me ferait l'honneur de
+ m'appeler, mais je lui fis sentir qu'il y aurait de l'inconvenance à
+ ce que j'allasse déranger le roi pour les moindres affaires, et,
+ j'ajoutai que, pour l'instant, je n'avais de mon côté, rien d'assez
+ intéressant à communiquer à Sa Majesté pour m'autoriser à profiter
+ du privilège qu'elle daignait m'accorder. Je me flatte que Votre
+ Excellence approuvera ma réserve.
+
+ «Je reçois du département des affaires étrangères des plaintes
+ continuelles contre les douanes françaises. J'ai déjà répondu, et je
+ vais insister sur ce point, que les douanes n'étant point, comme les
+ Consulats, placées sous ma surveillance, mais bien sous celle de M.
+ le Maréchal, duc de Reggio, c'est multiplier très inutilement les
+ écritures que de m'adresser des réclamations que je ne peux que
+ transmettre sans prendre aucune part aux décisions qu'elles
+ provoquent. Mais je dirai en même temps au ministère des affaires
+ étrangères, que dans les cas où l'on ne pourrait pas s'entendre
+ entre Utrecht et Amsterdam, et où l'on voudrait s'adresser
+ officiellement à Sa Majesté impériale et royale, je serai prêt à
+ transmettre ce qui me serait écrit par le gouvernement hollandais.
+
+ «J'ai reçu hier une lettre de M. Roëll par laquelle il m'annonce
+ l'envoi d'un mandat de 2,000 florins, pour mon droit aux indemnités
+ des ministres étrangers dans cette cour, en vertu de l'article 5 du
+ règlement sur cet objet. Cette indemnité remplace les franchises
+ dont les ambassadeurs jouissent dans les autres cours, mais qui sont
+ incompatibles avec le système financier de ce pays. Le règlement
+ fixe cette indemnité à une somme une fois payée de 4,000 florins
+ pour les ambassadeurs, 2,000 pour les ministres et 1,000 pour les
+ chargés d'affaires. On s'était donc trompé en doublant cette somme
+ pour moi, et plus encore en oubliant que je l'ai déjà reçue, il y a
+ deux ans, à l'époque du premier intérim qui suivit le règlement. Je
+ viens donc de renvoyer au ministre son mandat, en me bornant à lui
+ rappeler les dispositions de ce même règlement dont on s'autorise
+ pour me l'offrir. J'ignore s'il y a eu, dans cette libérale
+ négligence de la caisse des affaires étrangères, des intentions dont
+ je pourrais me blesser; mais dans tous les cas, j'ai trouvé plus de
+ dignité à ne pas en montrer le soupçon.»
+
+
+ CLARKE À OUDINOT.
+
+ Paris, 25 juin.
+
+ «M. le Maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre
+ Excellence, par ma lettre du 23 courant, les intentions de
+ l'empereur, relativement aux forces que vous devez réunir à Utrecht
+ et je vous ai prévenu que Sa Majesté se proposait de vous envoyer
+ des ordres sur la conduite que vous auriez à tenir; je viens
+ aujourd'hui vous les transmettre.
+
+ «Aussitôt que vous aurez réuni à Utrecht assez de troupes pour
+ marcher sur Amsterdam, vous voudrez bien écrire au chargé d'affaires
+ de Sa Majesté l'empereur, que les troupes françaises ayant été
+ insultées, et les portes d'Harlem leur ayant été fermées, vous
+ demandez réparation de cette offense.
+
+ «Que les Aigles françaises peuvent aller dans tous les pays amis et
+ alliés;
+
+ «Que, depuis 15 ans, les troupes françaises ont constamment pu
+ parcourir toutes les parties de la Hollande;
+
+ «Que le traité ne fait exception d'aucun point; que c'est donc un
+ outrage gratuit que les Hollandais ont fait aux troupes françaises;
+
+ «Que l'empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles
+ forces entrassent en Hollande.
+
+ «Vous ferez observer en outre que vos instructions ne vous
+ prescrivaient point d'occuper Amsterdam, où vous n'aviez rien à
+ faire, mais, que le défi porté aux troupes françaises, en leur
+ fermant les portes, les intrigues anglaises, tendant à armer les
+ Hollandais contre les Français, ont provoqué l'ordre que vous avez
+ reçu de vous présenter devant les portes d'Amsterdam; que c'est aux
+ Hollandais à voir s'ils veulent nous traiter en amis et alliés, ou
+ en ennemis; s'ils veulent se livrer aux conseillers perfides qui
+ s'agitent autour du roi pour perdre leur pays.
+
+ «L'empereur veut que vous vous arrangiez de manière à être devant
+ Amsterdam deux jours après l'envoi de votre lettre au chargé
+ d'affaires de France.
+
+ «Sa Majesté me charge encore de vous dire, qu'il n'y a qu'un moyen
+ pour la ville d'Amsterdam de prévenir tout embarras; c'est de
+ recevoir les troupes françaises en triomphe et de leur donner une
+ fête qui fasse disparaître toutes les acrimonies; l'empereur ne
+ voulant souffrir dans aucun pays, qu'on ait l'air de repousser et
+ d'insulter les troupes françaises.
+
+ «Vous voudrez bien me faire connaître, en réponse, les dispositions
+ que vous aurez prises pour l'exécution des ordres de Sa Majesté.»
+
+
+ CADORE À SERRURIER.
+
+ Paris, 25 juin 1810.
+
+ «Monsieur, ainsi que j'eus l'honneur de vous l'écrire le 9 de ce
+ mois, Sa Majesté n'avait point l'intention de faire occuper
+ Amsterdam et n'y avait pas même songé. Mais, une mesure qu'elle
+ avait jugée inutile, si le gouvernement de Hollande n'eût pas montré
+ un dessein formel de s'y opposer et n'eût pas fait dans cette vue
+ des préparatifs, a été rendue nécessaire par ces préparatifs
+ mêmes[159]. Comme chef de la ligue continentale, Sa Majesté doit
+ constater et maintenir son droit de porter des forces partout où le
+ bien de la cause commune l'exige. Elle avait d'ailleurs à venger,
+ outre l'offense faite dans Amsterdam à son ambassadeur et qui n'a
+ point été réparée, l'outrage que l'on a fait à Haarlem aux Aigles
+ Impériales, en leur refusant le passage et en menaçant de tirer sur
+ elles. L'ordre a été en conséquence donné à M. le Maréchal, duc de
+ Reggio, de se porter sur Amsterdam et d'occuper cette ville. En
+ l'annonçant au ministre du roi, vous vous attacherez bien moins à
+ combattre ou à prévenir des idées de résistance, car je ne puis
+ supposer que l'on en ait aucune de cette espèce, qu'à faire sentir
+ que le gouvernement de Hollande peut profiter de cette circonstance
+ pour réparer ses torts et recouvrer les bonnes grâces de Sa Majesté
+ impériale et royale. Si les troupes françaises arrivent à Amsterdam,
+ y sont reçues en triomphe, si la ville donne un grand repas aux
+ soldats, si le roi et la cour donnent l'exemple des prévenances et
+ des égards envers la France, nul doute que la meilleure intelligence
+ ne règne aussitôt entre les deux nations, et que l'empereur n'oublie
+ volontiers des torts ainsi réparés. Mais, c'est là le seul moyen de
+ les lui faire oublier, et vous aurez soin de l'insinuer aux
+ ministres du roi.
+
+ [Note 159: Après cette lettre le doute n'est plus permis sur
+ les intentions de l'empereur d'occuper Amsterdam, d'annexer
+ la Hollande, de forcer son frère à abandonner la partie.
+ Napoléon, on le voit, profite des moindres causes pour en
+ faire des prétextes à envahissements. En vain le roi en passe
+ par toutes ses volontés. Une exigence satisfaite en amène une
+ autre et le gouvernement français ne craint pas, pour envahir
+ la Hollande, de s'appuyer sur la ridicule affaire du cocher
+ de l'ambassadeur.]
+
+ «Après que l'expédition de M. le Maréchal, duc de Reggio, sera
+ consommée, vous demanderez que tous les canons soit transportés sur
+ les côtes et qu'on cesse de s'occuper des lignes.
+
+ «Tels sont, Monsieur, les ordres que Sa Majesté me charge de vous
+ transmettre.»
+
+
+ AU ROI DE HOLLANDE.
+
+ «D'autres troupes entrent par Nimègue. L'empereur qui, par
+ ménagement pour Votre Majesté, n'avait pas voulu occuper Amsterdam,
+ s'est maintenant décidé à y faire entrer ses troupes. Il a regardé
+ comme un défi le projet de défendre cette ville et les lignes qu'on
+ a fortifiées autour de son enceinte. Rien ne l'indigne comme ce
+ projet; en vain on essaye actuellement de le désavouer. L'empereur
+ en trouve la preuve dans ce que Votre Majesté a dit au chargé
+ d'affaires de France, qu'elle ferait fermer les portes d'Amsterdam,
+ afin que les Français ne puissent y entrer que par force, quoiqu'on
+ ne pût leur opposer que cette résistance passive, qui servirait au
+ moins à constater la violence dont ils useraient; et ici, que Votre
+ Majesté me pardonne encore de lui dire des choses si pénibles.
+ L'empereur se récrie sur cette conduite inconvenable, «dit-il, de la
+ part de mon frère, d'un prince français, de celui qui devrait
+ regarder comme son premier titre de français, que j'ai élevé, que
+ j'ai fait roi. Insulter mes Aigles! fermer les barrières devant
+ elles! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande
+ jusqu'au Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Sarre, l'Aigle Impériale
+ est accueillie et honorée, et une telle injure lui serait faite par
+ la Hollande, conquise par les armes françaises, et dont
+ l'indépendance est un bienfait de la France!
+
+ «Si cette menace, ajoutait l'empereur, avait été faite par
+ l'Autriche ou la Russie, la guerre en aurait été la suite. Si
+ c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg, qui se
+ fût porté à cette indignité, la perte de son trône en aurait été le
+ résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai
+ aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande,
+ pays malsain, mais il faut punir la folie de ceux qui ont poussé la
+ témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais
+ dans ce pays.»
+
+ «Sire, je vous exprime d'une manière vive mais vraie l'indignation
+ de l'empereur. Je crois qu'il est encore au pouvoir de Votre Majesté
+ de l'apaiser. Que les troupes françaises soient reçues en triomphe à
+ Amsterdam; que Votre Majesté soit la première à donner l'exemple
+ d'un accueil honorable et amical; que cet exemple soit suivi; que
+ les Hollandais traitent les soldats français comme des frères; ils
+ trouveront en eux des amis.
+
+ «Les insultes faites à Rotterdam à des officiers français n'ont pas
+ moins irrité l'empereur. Il a donné des ordres sévères à l'égard de
+ cette ville qu'il sait être habitée par des partisans des Anglais.
+ Le premier écart qu'ils se permettraient serait puni avec rigueur.
+
+ «Tels sont, Sire, les motifs de courroux de l'empereur. Il ne
+ s'apaisera, et Sa Majesté ne recevra quelque ouverture de la
+ Hollande, que lorsque les fortifications élevées autour d'Amsterdam
+ auront été détruites, les canons transportés sur les côtes, les
+ coupables de l'insulte faite à la livrée de l'empereur punis de
+ mort, le ministre de la police renvoyé, l'ancien bourgmestre
+ rappelé. Tel est, Sire, le résumé de ce que m'a dit l'empereur.
+ J'exprime de nouveau à Votre Majesté l'extrême regret que j'éprouve
+ à lui communiquer ces douloureux détails.
+
+ «Je dois actuellement lui parler de la mission de M. Valkenaer.
+
+ «Il m'a dit que Votre Majesté offrait de prêter à l'empereur foi et
+ hommage, comme à son souverain. Sire, cette forme n'est plus de nos
+ jours, et quant à la dépendance qu'elle exprime, l'empereur, qui la
+ regarde comme déjà existante de droit et de fait, ne pourrait y voir
+ une concession. L'empereur, souverain du grand empire, chef de la
+ ligue continentale, et devenu par la force de ses armes et de son
+ génie l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le suzerain de
+ plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du roi
+ de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des
+ droits bien plus étendus sur ce pays, que sa position entre la
+ France et l'Angleterre rend si intéressant pour lui. L'empereur a
+ même vu dans cette offre la suite de ces fausses idées par
+ lesquelles il prétend qu'on séduit et qu'on entraîne Votre Majesté,
+ et qui tendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui
+ attribuer une indépendance incompatible avec ses devoirs et sa
+ position.
+
+ «M. Valkenaer m'a aussi parlé du tribut auquel se soumettait Votre
+ Majesté. Sans doute, M. Valkenaer s'est trompé d'époque; il s'est
+ cru encore au temps du Directoire. L'empereur, fort d'un revenu de
+ 800 millions et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni
+ d'argent, ni de crédit, ni de papier. Ce n'est point de l'argent
+ qu'il demande à la Hollande, ce sont des vaisseaux et des soldats,
+ conformément au traité. On m'a dit que Votre. Majesté réclamait à ce
+ prix le commandement des troupes. Que Votre Majesté me pardonne si,
+ connaissant le profond mécontentement de l'empereur, je n'ai pas osé
+ placer cette demande sous ses yeux. L'empereur se plaint de ce
+ qu'aucune condition du traité n'est remplie. Lorsque je lui ai
+ rendu compte des progrès de vos armements, que me faisait connaître
+ votre chargé d'affaires, il m'objecta qu'il n'y avait pas un
+ équipage formé. Lorsque je lui ai soumis la liste des bâtiments
+ américains dont les cargaisons devaient être mises à sa disposition,
+ il a observé que ces cargaisons n'étaient pas complètes, que la plus
+ grande partie en avait été détournée, qu'on avait grossi la liste
+ des prises faites par nos corsaires, comme si la Hollande voulait
+ s'acquitter à leurs dépens. L'empereur exige que tout soit rendu.
+ L'empereur reproche au gouvernement hollandais d'avoir donné des
+ licences et autorisé par là un commerce interlope blâmable en
+ lui-même et contraire au traité. Tels sont les motifs des nouvelles
+ dispositions de l'empereur et de l'entrée en Hollande d'une plus
+ grande masse de troupes françaises. L'empereur dit qu'il n'a pas
+ voulu laisser égorger les 6,000 Français qu'il y avait placés. Il
+ dit encore que dans cette occasion il a dû faire taire la voix de la
+ nature et tous les sentiments de son coeur pour n'écouter que les
+ intérêts de son peuple en maintenant tous les droits de son trône.
+
+ «Sire, je viens de remplir une tâche pénible, la justice de Votre
+ Majesté me répond qu'elle ne méconnaîtra pas ce qu'il m'en a coûté.
+ J'aurais trahi sa confiance et celle de l'empereur si j'avais tenu
+ un autre langage; mais il m'est consolant de pouvoir ajouter qu'en
+ donnant à l'empereur la satisfaction qu'il désire, en éloignant les
+ conseils auxquels il aime encore à attribuer les erreurs et les
+ torts dont il se plaint, en soumettant à son influence
+ l'administration de la Hollande, enfin en gouvernant d'après ses
+ principes et ses voeux, et en restant fermement attachée à son
+ système, Votre Majesté peut encore reconquérir la bienveillance de
+ son auguste frère et régner heureux et tranquille en faisant le
+ bonheur de son peuple, regardé alors comme l'ami et l'allié de la
+ nation française dont il partagerait les destinées.»
+
+
+ OUDINOT À CLARKE.
+
+ Utrecht, 26 juin 1810.
+
+ «Monseigneur, si, comme S. M. l'empereur paraît l'avoir décidé, je
+ suis destiné à entrer à Amsterdam, je vous conjure de me mettre à
+ mon aise pour ma conduite envers le roi de Hollande.
+
+ «Jusqu'alors j'ai, _sans m'écarter de mes devoirs et de ma
+ fidélité_, su respecter le sang, et je continuerai dans ces
+ principes, à moins que je n'aie un ordre contraire de la part de mon
+ souverain: enfin, désignez-moi dans cette circonstance, si
+ l'empereur lui-même ne me dicte pas ma règle de conduite.
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 26 juin 1810.
+
+ «Le roi est toujours à Haarlem, attendant le retour de mon courrier
+ et le résultat du double voyage de M. Valkenaer et de M. Roëll. On
+ dit que Sa Majesté viendra demain à Amsterdam. J'apprends que l'on
+ se flatte ici d'une prochaine dislocation des troupes destinées pour
+ la Hollande. Je désire sans doute, Monseigneur, que S. M. Impériale
+ juge pouvoir accorder les voeux de ce pays avec les grands intérêts
+ de son empire, mais ce que j'ai pu acquérir de connaissance des
+ hommes et des choses, en Hollande, me fait souhaiter que la
+ distribution des troupes françaises dans ce royaume, et surtout dans
+ le rayon de sa frontière, n'éprouve pas de changement, jusqu'au
+ moment où les déterminations de Sa Majesté auront été arrêtées par
+ elle, mises à exécution, et les garanties données, s'il y a lieu,
+ car l'esprit du gouvernement est encore, malgré ses protestations,
+ bien loin de ce que l'on doit désirer.
+
+ «Le roi vient de faire de grandes réformes et qui sont, suivant le
+ vieux système, tombées presque en entier sur les Français à son
+ service. On les renvoie avec toutes sortes de dégoûts. Je
+ maintiendrai en leur faveur l'article du décret par lequel S. M.
+ l'empereur, en autorisant ses sujets à rester au service de cette
+ couronne, stipule qu'ils ne pourront être renvoyés sans pension ou
+ retraite.
+
+ «Le gouvernement est fort occupé de la formation de son budget. Ses
+ embarras sont excessifs. Le roi a diminué assez considérablement sa
+ maison, mais cette économie est peu sensible parmi les besoins
+ extrêmes du moment. L'état des finances du royaume est déplorable au
+ delà de ce qui peut se concevoir. La ressource ruineuse des arriérés
+ et des anticipations est épuisée, et l'on ne trouverait pas dix
+ millions à emprunter. Qu'est-ce, en effet, qu'un État qui n'a pas de
+ revenu et qui n'a point de crédit pour s'en procurer un artificiel?
+ ou qui l'a perdu, ce qui est pis encore. Je dis qui n'a point de
+ revenu, puisqu'il est absorbé en entier par l'intérêt de sa dette.
+ Je me réserve, Monseigneur, de développer mes opinions à cet égard à
+ Votre Excellence, lors du rapport que j'aurai l'honneur de lui faire
+ dans quelques jours sur le budget qui aura été arrêté.
+
+ «On ne parle plus de la défense. Cependant les lignes restent
+ toujours gardées comme on pourrait faire en présence de l'ennemi. Je
+ souhaiterais des ordres à cet égard.
+
+ «On annonce un cercle pour demain. J'aurai soin d'être indisposé.
+
+ «_P.-S._--M. de Caraman arrive. Il m'a redit, Monseigneur, les
+ instructions verbales dont Votre Excellence l'a chargé pour moi.
+ Votre Excellence peut être assurée que je les suivrai à la lettre.
+ J'attends demain des visites d'affaires. J'aurai l'honneur d'écrire
+ à Votre Excellence.»
+
+
+ M. VAN-DER-HEIM À SERRURIER.
+
+ Amsterdam, 28 juin 1810.
+
+ «Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous faire connaître que,
+ d'après la conversation qu'elle a eue avec vous, elle a ordonné à
+ son ministre de la police et justice de vous donner connaissance de
+ l'état de la procédure contre le malheureux qui, excité par l'appât
+ de gagner la prime promise pour la découverte de l'individu qui a
+ insulté le cocher de M. l'ambassadeur, s'est dénoncé être le
+ coupable, afin que vous puissiez être assuré de l'activité avec
+ laquelle elle se poursuit et laquelle sera encore accélérée aussitôt
+ le retour dudit cocher.
+
+ «Sa Majesté a dû même forcer l'ancien bourgmestre à rentrer dans la
+ place qu'il n'avait quittée que sur ses instances réitérées. Elle
+ désire vivement que vous fassiez parvenir le plus promptement
+ possible à Sa Majesté impériale et royale la nouvelle assurance que,
+ se reposant entièrement sur l'équité de Sa Majesté impériale et
+ royale, le roi n'a été et n'est occupé qu'à chercher tous les moyens
+ possibles d'exécuter le traité et même de faire de plus tout ce qui
+ est en son pouvoir, qui soit agréable à l'empereur.
+
+ «C'est dans cette intention que, malgré les difficultés des
+ finances, il a conservé toutes les troupes sous les ordres du duc de
+ Reggio et complété les 12,000 hommes. Les marchandises américaines
+ sont à la disposition des douaniers français.
+
+ «On a mis toute l'activité possible à l'armement de l'escadre, de
+ sorte qu'à la fin de juillet six vaisseaux de ligne seront en rade;
+ les trois autres ne pourront l'être qu'au mois d'octobre; tous les
+ autres bâtiments sont prêts.
+
+ «Le roi vous prie d'engager Mgr le duc de Cadore à faire valoir les
+ bonnes intentions et les efforts du roi et de le bien assurer que
+ son unique but est et sera à jamais d'obtenir l'amitié de Sa Majesté
+ impériale et royale.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 juin 1810.
+
+ «On s'était trompé en m'annonçant qu'il y aurait aujourd'hui grand
+ cercle à la cour. Sa Majesté recevra, à la vérité, mais un petit
+ nombre de nationaux et point d'étrangers.
+
+ «J'avais depuis longtemps le désir d'aller rendre ma visite de
+ voisinage à M. le maréchal duc de Reggio. J'ai réalisé hier matin ce
+ projet. Après avoir déjeuné avec M. le maréchal et passé quelques
+ moments encore avec Son Excellence, je suis monté en voiture et suis
+ revenu dîner à Amsterdam.
+
+ «Le soir, il y eut cercle chez le grand-chambellan. J'y rencontrai
+ M. Van-der-Heim qui, apprenant que M. Caraman était arrivé la
+ veille, vint me demander s'il m'avait rapporté une réponse de
+ l'empereur aux ouvertures que le roi m'avait chargé de transmettre à
+ Sa Majesté impériale et royale. Je dis à M. Van-der-Heim que M. de
+ Caraman ne m'avait rien rapporté, que seulement j'étais instruit que
+ Sa Majesté impériale et royale gardait un sentiment profond de
+ l'insulte faite à son ambassadeur et du retard apporté à la
+ satisfaction que j'avais été chargé de demander, comme aussi de
+ l'accueil hostile fait à la patrouille française devant Haarlem, et
+ que Sa Majesté attendait la satisfaction qui lui était due pour ces
+ graves outrages. M. Van-der-Heim me mit alors en avant la
+ proclamation publiée au sujet de l'insulte faite aux gens de M. de
+ La Rochefoucauld et de l'intention où l'on était de suivre cette
+ affaire aussitôt l'arrivée du cocher. Je répondis que la
+ proclamation était à la vérité une mesure convenable mais tardive et
+ surtout insuffisante, que les demandes que j'avais formées de la
+ remise des coupables et de la réintégration de l'ancien bourgmestre
+ n'avaient pas eu d'effet jusqu'ici, et que Sa Majesté impériale et
+ royale n'était satisfaite sur aucun point; comme il m'alléguait que
+ l'on avait abandonné ici toute espèce d'attitude hostile, je lui
+ demandai comment je devais donc considérer ce cercle tracé en avant
+ de l'armée française, ces redoutes, ces canons et tout cet appareil
+ qui semble annoncer qu'on est en présence d'ennemis. Je lui demandai
+ si on ferait autre chose en Hollande dans le cas d'une descente des
+ Anglais. M. Van-der-Heim me répéta ses protestations de l'intention
+ où est le gouvernement de s'en remettre entièrement à la générosité
+ de l'empereur et de renoncer à toute attitude qui pourrait offenser
+ Sa Majesté impériale et royale. Je répondis que dans ces sortes de
+ choses les paroles ne suffisaient pas et que les faits continuaient
+ d'être contre le gouvernement.
+
+ «M. Van-der-Heim me parla sur un ton très amer de la conduite de nos
+ corsaires qui, selon lui, ne respectaient rien, et me dit que si
+ cela devait continuer, il serait impossible d'empêcher les paysans
+ de jeter ces gens à la mer. Je répondis avec hauteur que le jour où
+ un pareil attentat serait commis serait un jour bien funeste pour la
+ Hollande et surtout pour les hommes qui, loin de chercher à adoucir
+ les aigreurs, se seraient montrés zélés à les développer; que pour
+ moi j'étais tranquille sur le sort des Français en Hollande; que Sa
+ Majesté impériale et royale trouverait le moyen de faire respecter
+ ses sujets ou de les venger, s'ils étaient insultés, et, pour
+ montrer que je ne souffrirais pas que l'on me parlât, en Hollande,
+ sur ce ton de menaces, je quittai brusquement M. Van-der-Heim et
+ allai m'asseoir à la partie qui m'était destinée. M. Van-der-Heim a
+ de la raideur, mais j'espère lui prouver que j'en sais trouver
+ aussi, quand les formes de la politesse et de la modération ne
+ suffisent pas.
+
+ «Plusieurs personnes, parmi lesquelles des ministres étrangers, sont
+ venues hier à moi pour me demander s'il était vrai que Sa Majesté
+ l'empereur et roi demandât à la Hollande un emprunt de cinquante
+ millions. Je vis l'intention et me hâtai de répondre que ce fait
+ n'était pas à ma connaissance et que j'avais toute raison de ne pas
+ y croire, que je savais parfaitement que ce que mon souverain avait
+ toujours demandé à la Hollande n'avait pas été de l'argent, dont Sa
+ Majesté impériale et royale n'avait assurément pas besoin, mais une
+ conduite et un système franchement français, et que jamais jusqu'ici
+ un voeu aussi raisonnable n'avait pu être rempli.
+
+ «M. Van-der-Heim vient de répondre à la lettre par laquelle je lui
+ avais renvoyé son mandat. Il prétend qu'il ne me l'a envoyé que
+ parce que la chambre des comptes avait jugé que cette somme m'était
+ due, comme étant de nouveau chargé d'affaires. Telle n'est point
+ certainement l'intention du règlement. Cependant, il est possible
+ qu'il n'y ait pas eu en ceci d'arrière-pensée. Mais en tout état de
+ choses, je ne regrette point le refus que j'en ai fait.
+
+ «On me demande à l'instant chez le roi. Demain matin j'aurai
+ l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de cette nouvelle
+ audience.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 29 juin 1810.
+
+ «Je me suis rendu hier à quatre heures chez le roi, d'après
+ l'invitation que j'en avais reçue du chambellan de service. Sa
+ Majesté m'a témoigné la douleur qu'elle avait ressentie d'apprendre
+ que M. de Caraman n'eût point apporté de réponse aux ouvertures
+ qu'elle m'avait chargé de transmettre de sa part à Votre Excellence.
+ Le roi me dit que s'étant jeté dans les bras de l'empereur et lui
+ ayant remis son sort, celui de ses enfants et de son pays, il avait
+ attendu avec confiance les résultats de sa démarche, et qu'elle
+ était profondément affligée qu'elle n'ait rien obtenu sur le coeur
+ de son auguste frère. Je répondis au roi qu'en effet je n'avais
+ point reçu de réponse à la lettre dont j'avais chargé M. de Caraman.
+ Je répétai à Sa Majesté ce que j'avais dit à son ministre, que
+ seulement il était à ma connaissance que S. M. l'empereur était
+ toujours profondément blessé de l'outrage fait à son ambassadeur,
+ outrage qui n'était point encore réparé, et de l'insulte plus
+ récente faite à ses aigles en avant de Haarlem; que les
+ protestations étaient nécessairement insuffisantes dans des choses
+ qui touchaient d'aussi près à l'honneur des gouvernements et que des
+ faits seuls et des réparations éclatantes pouvaient satisfaire des
+ souverains. Le roi me demanda quelle était donc cette satisfaction
+ éclatante que désirait l'empereur, ajoutant qu'il la donnerait,
+ quelle qu'elle pût être, étant déterminé à faire tout pour apaiser
+ son auguste frère. Je répondis à Sa Majesté qu'elle trouverait ce
+ moyen de satisfaire S. M. impériale dans les deux demandes que
+ j'avais eu précédemment l'honneur de lui faire, savoir: la
+ réintégration de M. Van-der-Poll et la remise des coupables, dans
+ l'affaire des gens de l'ambassadeur, entre les mains des autorités
+ françaises. Ici, le roi montra une profonde répugnance à la
+ réinstallation de M. Van-der-Poll, que Sa Majesté prétendit avoir
+ demandé sa démission et s'être refusé à rentrer dans sa place. Elle
+ me déclara que toute autre satisfaction lui serait moins pénible et
+ serait, dans son opinion, moins avilissante pour son autorité. Sa
+ Majesté ajouta cependant de suite que si l'empereur l'exigeait, elle
+ forcerait ce magistrat à reprendre sa place.
+
+ «Le roi vint ensuite à l'affaire de l'ambassadeur. Sa Majesté
+ m'annonça que la procédure était entamée, que déjà un homme était
+ venu se déclarer le coupable, que c'était un malheureux dont la
+ famille était ruinée et que l'on supposait avoir fait cette démarche
+ pour avoir les mille ducatons promis; que, cependant, on allait
+ l'examiner, et qu'il serait confronté de suite avec le cocher de
+ l'ambassadeur aussitôt son arrivée; mais que la présence de cet
+ homme était indispensable pour les confrontations. Sa Majesté me
+ pria de l'envoyer au grand bailli aussitôt son retour.
+
+ «Le roi me montra aussi le dessein de renvoyer à Paris M. l'amiral
+ Verhuell, comme simple particulier, pour porter aux pieds du trône
+ impérial l'expression de ses sentiments et de ses voeux.
+
+ «Le roi m'ayant parlé de ses lignes, je lui représentai combien
+ cette attitude était injurieuse pour les armes impériales et le
+ scandale qu'elle présentait à l'Europe. Sa Majesté me représenta
+ qu'elle avait renvoyé tous les canonniers qui les occupaient aux
+ batteries des côtes et qu'elles avaient entièrement perdu de vue ce
+ qu'on avait pu y voir de menaçant. Elle ajouta qu'elle n'avait
+ jamais eu la pensée d'arrêter les mouvements des troupes françaises,
+ mais que le dernier traité, ne portant pas qu'elles occuperaient
+ Amsterdam, elle se croyait obligée à ne point y donner son
+ consentement. Que, du reste, l'empereur était assurément bien le
+ maître d'en user comme Sa Majesté le jugerait convenable. Je
+ répliquai au roi qu'il était à ma connaissance que Sa Majesté
+ impériale n'avait aucunement pensé à mettre garnison dans Amsterdam
+ à l'époque où l'on prit occasion de cette supposition pour prendre
+ l'attitude hostile où l'on se trouvait placé vis-à-vis d'elle.
+
+ «À la suite de cette explication, je quittai le roi, qui me
+ renouvela la demande instante de transmettre tout de suite à Votre
+ Excellence le résultat de cette audience et de la prier d'être
+ encore une fois, auprès de Sa Majesté impériale, l'interprète de ses
+ déterminations dans ces circonstances. Sa Majesté désire que Votre
+ Excellence veuille répéter à S. M. l'empereur qu'elle est prête à
+ souscrire à tous les engagements qu'elle voudra lui prescrire pour
+ rentrer dans ses bonnes grâces.
+
+ «Je me sers, Monseigneur, autant que je le puis, comme Votre
+ Excellence peut le concevoir, des expressions mêmes du roi, sans
+ vouloir y ajouter ou y retrancher, pareilles communications ne
+ pouvant être rendues avec trop de fidélité. Je ne cacherai point à
+ Votre Excellence que ces audiences du roi me gênent extrêmement et
+ que j'aurais souhaité que mon ordre d'être indisposé se fût étendu
+ jusqu'aux jours où je suis demandé chez Sa Majesté, je sens que je
+ serais fort à l'aise et traiterais facilement avec un prince de
+ naissance et de toutes les plus puissantes maisons de l'univers;
+ mais ce titre si grand, si imposant pour un Français, de frère de
+ l'empereur, se présente toujours à ma pensée au moment où je discute
+ avec le roi de Hollande. Il détermine ces ménagements et ces égards
+ sur lesquels je sais bien que Votre Excellence ne se trompe pas,
+ mais que S. M. impériale pourrait attribuer à de la faiblesse, et si
+ je n'avais pas déjà le bonheur de pouvoir montrer à mon souverain
+ que je ne connais pas ce sentiment quand il y va de son service.
+
+ «Le roi me fait annoncer à l'instant que, par suite de notre
+ conversation, Sa Majesté vient d'obliger l'ancien bourgmestre à
+ rentrer dans ses fonctions.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 30 juin 1810, 7 heures du matin.
+
+ «La journée d'hier s'est passée sans communication du gouvernement.
+ M. Van-der-Heim est parti de grand matin pour Haarlem où j'ai su que
+ tous les ministres avaient été convoqués en grand conseil. Dans la
+ journée, il m'est venu de la Bourse beaucoup de gens alarmés que
+ j'ai rassurés en leur disant qu'à la vérité il se préparait des
+ événements intéressants pour leur ville, mais que l'on devait tout
+ attendre de la clémence de S. M. l'empereur, si l'on se conduisait
+ dans ces circonstances d'une manière convenable envers la France. Je
+ suis persuadé que le commerce se montrera bien et que le maréchal en
+ sera content.
+
+ «À quatre heures m'est arrivé un aide de camp de M. le maréchal duc
+ de Reggio qui m'apportait la demande que fait le maréchal d'une
+ satisfaction éclatante pour l'insulte faite devant Haarlem à ses
+ aigles, et m'annonçait son arrivée devant les portes d'Amsterdam
+ pour le 4. J'ai envoyé aussitôt chez M. Van-der-Heim, qui n'était
+ pas encore de retour. Craignant qu'on ne voulût gagner du temps et
+ m'échapper, j'écrivis à huit heures à M. Van-der-Heim que je devais
+ absolument le voir le soir même ou aujourd'hui de très bonne heure,
+ et que l'importance des communications que j'avais à lui faire était
+ telle que, s'il devait être retenu à Haarlem, j'irais l'y trouver.
+ Je reçus à minuit une réponse. Il m'annonçait son retour et
+ m'offrait de me recevoir le lendemain à neuf heures; j'acceptai. Je
+ ne réexpédierai l'aide de camp du maréchal qu'après avoir vu M.
+ Van-der-Heim et être convenu de tout avec lui.
+
+ «L'inquiétude pour les fonds a dû s'augmenter parmi ces
+ circonstances, surtout dans l'ignorance où l'on était des
+ déterminations de la cour, et je n'y vois pas un très grand mal. Ils
+ sont tombés à 18, mais en général l'esprit est bon, et tout le monde
+ désire voir la fin de toutes ces mésintelligences. On demande et
+ l'on souhaite universellement que les Français soient bien reçus, et
+ chacun s'y prêtera.
+
+ «J'ai vu hier chez moi le brave de Winter. Il allait partir pour les
+ eaux, mais sur le bruit de ce qui se préparait, il s'est décidé à
+ rester. Ce n'est pas un homme à éloigner dans un moment de crise. Je
+ l'ai engagé à se rendre à Haarlem et à aller y donner de bons
+ conseils. Il sort à l'instant de chez moi et sera chez le roi dans
+ deux heures. J'ai été on ne peut plus content de sa conversation, et
+ son noble caractère ne se dément pas. Voilà les loyales et dignes
+ inspirations auxquelles je voudrais voir l'esprit du roi livré. Je
+ ne rencontre pas depuis hier un honnête homme, un homme d'autorité
+ et de lumières, que je ne l'envoie à Haarlem combattre les mauvais
+ conseils qui pourraient être donnés au roi.
+
+ «L'amiral souhaite que Sa Majesté l'envoie à Utrecht pour arranger
+ toutes choses avec le maréchal duc de Reggio, et je le désire avec
+ lui, car alors je suis bien sûr que les choses se feraient
+ convenablement. Je témoignerai tout à l'heure à M. Van-der-Heim que
+ ce choix me serait agréable, et je ne doute pas qu'il ne le fût à
+ Utrecht.
+
+ «J'ai fait prévenir tous les Français militaires et civils,
+ autorisés ou non autorisés, de se bien conduire, et j'ai toute
+ raison de compter sur eux.
+
+ «Je vais suspendre ma dépêche jusqu'au moment de ma conférence avec
+ M. Van-der-Heim.»
+
+
+ À onze heures.
+
+ «Je sors, Monseigneur, de chez le ministre des affaires étrangères.
+ Je lui ai fait les communications dont M. le maréchal duc de Reggio
+ m'a chargé pour lui. M. Van-der-Heim m'a répondu que l'occupation
+ d'Amsterdam répondait à toutes les satisfactions que je pouvais
+ exiger. J'ai demandé au ministre quelles étaient les intentions du
+ roi pour la réception des troupes. Il m'a annoncé qu'elles étaient
+ toujours telles qu'il avait été autorisé à me les annoncer; que le
+ roi recevrait les troupes françaises en connétable. Je dis à M.
+ Van-der-Heim que je désirais savoir en détail ce que Sa Majesté
+ comptait faire dans cette circonstance, et je le priai de me le
+ faire connaître. Il m'annonça alors que le roi avait chargé M. le
+ ministre de la guerre, homme parfaitement bien intentionné, de
+ régler avec M. le maréchal duc de Reggio tout ce qui concerne
+ l'entrée des troupes et leur réception. J'applaudis à cette
+ décision, mais n'en insistai pas moins pour avoir ce soir
+ communication des déterminations du roi dans cette circonstance si
+ décisive. J'excitai le zèle de M. Van-der-Heim, en lui disant que
+ j'attendais beaucoup pour le roi et pour le pays de ses conseils;
+ qu'il dépendait de lui que j'eusse un bon rapport à faire à S. M.
+ impériale et les moyens de rendre la nation et le gouvernement
+ intéressants à l'empereur. M. Van-der-Heim m'a promis de me
+ rapporter ce soir une réponse positive.
+
+ «J'ai dit à ce ministre que j'apprenais que les canonniers étaient
+ encore aux pièces hier, malgré l'annonce que le roi m'avait faite de
+ l'ordre donné de les envoyer sur les côtes. M. Van-der-Heim me
+ répliqua qu'à la vérité Sa Majesté avait donné cet ordre, mais que
+ le ministre de la guerre lui avait observé que l'on ne pouvait
+ renvoyer les canonniers sans emmener le matériel et qu'il craignait
+ que ce mouvement ne donnât de l'ombrage au maréchal et n'inquiétât
+ le peuple; qu'on les avait laissés pour cette raison, mais que
+ toutes les sentinelles avaient été retirées, et l'ordre donné de
+ laisser tout passer; qu'hier une patrouille française avait
+ librement traversé les lignes.
+
+ «J'ai dit à M. Van-der-Heim que si l'on jugeait ne pas devoir
+ déplacer les pièces d'artillerie, je croyais qu'il convenait au
+ moins de rappeler les canonniers en arrière et de laisser
+ provisoirement la garde des pièces au peu d'hommes d'infanterie que
+ l'on jugerait nécessaires pour cela. Il m'a promis d'en faire la
+ proposition au roi.
+
+ «Demain matin j'espère pouvoir annoncer à Votre Excellence que tout
+ est arrangé selon les voeux du maréchal et à mon contentement.»
+
+
+ CADORE AU ROI LOUIS.
+
+ 2 juillet 1810.
+
+ «Sire,
+
+ «M. Vekenaer m'a remis la lettre que Votre Majesté m'a fait
+ l'honneur de m'adresser. Il a aussi laissé entre mes mains celle qui
+ était destinée à S. M. l'empereur. Je la lui ai présentée.
+ L'empereur m'a dit qu'il ne pouvait en prendre connaissance que
+ lorsque les outrages dont il se plaint auraient été entièrement
+ réparés. Cela me donne, Sire, une tâche pénible à remplir. Je dois,
+ pour répondre à la lettre de Votre Majesté et à la confiance dont
+ elle m'honore, lui faire connaître les sujets de plaintes de
+ l'empereur son frère. Je ne puis mieux le faire qu'en empruntant ses
+ propres expressions. Votre Majesté voudra bien se souvenir que dans
+ ce que j'aurai l'honneur de lui dire, c'est l'empereur bien plus que
+ moi qui lui parle.
+
+ «L'empereur est profondément mécontent; il se regarde comme outragé
+ et ne veut entendre à aucun arrangement avec la Hollande et même à
+ aucun pourparler avant d'avoir eu satisfaction:
+
+ «1º Sur l'offense faite par la populace d'Amsterdam à la livrée de
+ son ambassadeur, sans qu'aucune punition ait été infligée.
+ L'empereur regarde même comme aggravant l'insulte cette proclamation
+ tardive qui annonçait à toute l'Europe l'impunité dont avait été
+ accompagnée cette insulte publiquement faite à un souverain. Elle ne
+ peut être lavée que par le sang.
+
+ «2º Sur le traitement fait à son chargé d'affaires la première fois
+ qu'il a paru en cette qualité à l'audience de Votre Majesté, et sur
+ le silence injurieux gardé envers lui, et cela en présence des
+ ministres de Russie, d'Autriche et de toute l'Europe que l'on
+ rendait témoin de l'humiliation du représentant de l'empereur;
+ aussi, et je dois le faire connaître à Votre Majesté, le chargé
+ d'affaires a reçu la défense de paraître désormais à l'audience de
+ Votre Majesté.
+
+ «3º Le refus fait à une patrouille française de la laisser entrer
+ dans la ville de _Haarlem_. Du moment où l'empereur en a été
+ instruit, il a ordonné au général Molitor de se rendre avec sa
+ division de Hambourg en Hollande.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 2 juillet 1810.
+
+ «L'amiral de Winter est descendu hier chez moi deux heures après
+ l'expédition de ma dépêche. Il arrivait d'Haarlem. Il avait trouvé
+ le roi en conseil délibérant sur les circonstances. L'âme du roi
+ paraissait livrée à la plus profonde amertume, et l'amiral entra
+ dans sa douleur pour l'adoucir et donner plus d'autorité aux
+ conseils qu'il venait offrir. Il dit donc au roi qu'il croyait que
+ l'on devait attribuer le malheur des circonstances au mauvais
+ système où le gouvernement s'était jeté dès l'origine, et qu'il s'en
+ était toujours franchement exprimé, mais qu'il ne s'agissait plus
+ du passé, dont on n'était plus le maître, mais de l'avenir qui nous
+ appartenait encore; qu'en fidèle sujet il venait offrir au roi sa
+ personne, sa vie et ses loyales opinions; que, soit que le
+ gouvernement eût des torts envers l'empereur ou qu'il se crût
+ calomnié auprès de Sa Majesté, ce moment pouvait redresser toutes
+ les opinions et prouver que le roi était toujours ce qu'il devait
+ être pour son auguste frère et pour la France, que le roi devait
+ recevoir les troupes françaises en connétable, les fêter, les
+ accueillir à la tête de son peuple, de ses troupes et de toutes les
+ autorités, et que ce jour du 4, qui paraissait à quelques-uns si
+ calamiteux, pouvait de cette façon devenir un jour de réconciliation
+ entre les deux souverains et fixer sur la nation hollandaise les
+ regards bienveillants de l'empereur. L'amiral fut soutenu, à ce
+ qu'il m'a dit, avec beaucoup de force, par le général Dumonceau, que
+ le maréchal duc de Reggio venait d'envoyer au roi et dont, depuis
+ quelque temps, l'ambassade n'avait pas eu à se louer. Il paraît
+ qu'il s'est bien montré dans ce moment. Les ministres de la guerre
+ et de la marine, quoiqu'avec moins d'énergie, exprimèrent des
+ opinions raisonnables, et il n'y eut pas un conseil décidément
+ mauvais.
+
+ «Le roi déclara à ses ministres et à ses grands officiers ce que
+ déjà il m'avait fait annoncer par le ministre de la marine, qu'il en
+ userait dans cette journée en prince français et en connétable, mais
+ quand on lui demanda le détail de ses intentions, il dit qu'il
+ prescrirait de faire les choses pour le mieux et de façon à donner à
+ l'empereur l'opinion qu'il désirait que Sa Majesté prît de son
+ peuple; et comme on lui demandait encore quelles dispositions il
+ prescrirait pour son palais et pour sa personne, il montra la
+ résolution inébranlable de rester dans son pavillon de Haarlem
+ jusqu'au retour du courrier qu'il venait d'expédier à l'empereur.
+ L'amiral fit les plus grands efforts pour ébranler cette résolution'
+ dont il prévoyait tout le mauvais effet. Le roi lui dit que la
+ fatalité l'entraînait, que rien ne pouvait désormais lui regagner le
+ coeur de son frère, qu'il était décidé à céder à la destinée et
+ qu'il resterait à son pavillon de Haarlem jusqu'au retour de son
+ courrier. L'amiral m'ajouta que Sa Majesté s'était exprimée
+ confidentiellement sur les déterminations graves que ce courrier
+ avait dû porter au pied du trône impérial. Il fut impossible
+ d'amener le roi à se trouver à Amsterdam le jour de l'entrée des
+ troupes. Du reste, il fut décidé par le roi que le général Bruno
+ prendrait le commandement des gardes et recevrait le maréchal à leur
+ tête; que toutes les autorités seraient présentes, que le
+ bourgmestre, M. Van-der-Poll, qui venait enfin de consentir à
+ reprendre son poste, ferait toutes les dispositions pour que la
+ ville eût dans cette grande circonstance l'attitude qu'elle devait
+ avoir, et qu'enfin une fête serait donnée aux soldats par la garde
+ et par les citoyens. L'amiral se proposait en me quittant de se
+ répandre dans la ville où il est fort connu et d'inspirer aux
+ citoyens de toutes les classes les sentiments que l'on devait avoir
+ et montrer dans cette occasion si intéressante. Cet avis de l'amiral
+ me fut fort utile et le soir, aussitôt que j'eus appris le retour de
+ M. Van-der-Heim, je me hâtai de me rendre chez lui. Je lui dis qu'il
+ m'était revenu que le projet du roi était de rester le 4 à son
+ pavillon de Haarlem, et que je ne pouvais croire à une détermination
+ qui ôterait à la fête projetée toute la grâce qu'il était si
+ désirable pour tout le monde de lui donner. M. Van-der-Heim me
+ répondit que personne autour du roi n'en avait pensé ainsi et que
+ dans l'état de brisement où était son âme on n'avait pas cru devoir
+ lui demander encore ce sacrifice qui ne semblait pas nécessaire pour
+ le bon accueil des troupes; que sûrement le roi s'y serait déterminé
+ s'il l'eût cru aussi convenable que je le pensais. Il m'objecta
+ d'ailleurs que le roi, frère de l'empereur et connétable de France,
+ ne pouvait habiter une ville où il ne commanderait pas, qu'il y
+ aurait à tout moment conflit d'autorité, et que Sa Majesté, qui ne
+ serait pas maîtresse de la ville, ne pourrait répondre des
+ mouvements que la malveillance pourrait chercher à y faire naître.
+ Je répondis à M. Van-der-Heim que, comme déjà je le lui avais dit,
+ l'affaire du commandement et du mot d'ordre était une affaire que je
+ croyais facile à régler entre le roi et le maréchal, et
+ qu'assurément le roi pouvait, de la part du maréchal, compter sur
+ les respects et les égards qu'il était à tant de titres en droit
+ d'en attendre; qu'à la rigueur, si cet objet présentait des
+ difficultés que je ne prévoyais pas, le roi serait toujours le
+ maître, après avoir reçu le maréchal et les troupes dont il est le
+ connétable, de retourner à son pavillon pour y suivre ses desseins
+ et attendre le retour de son courrier. Je priai M. Van-der-Heim de
+ retourner cette nuit même à Haarlem ou d'y envoyer quelqu'un de ses
+ collègues pour représenter toutes ces choses au roi, représentations
+ qui, à la vérité, venaient de moi, puisque ce cas n'avait pas été
+ prévu par mes instructions, mais qui m'étaient inspirées par le
+ désir de voir les choses s'arranger au contentement général et de la
+ manière qui pourrait rapprocher davantage Sa Majesté du coeur de son
+ auguste frère. M. Van-der-Heim m'a promis d'envoyer un courrier
+ cette nuit. J'aurai la réponse dans la journée. Je vais expédier M.
+ de Caraman à Utrecht pour informer M. le maréchal. Voici donc,
+ Monseigneur, en résumé l'état des choses:
+
+ «Il n'y aura point de résistance.
+
+ «Les troupes seront reçues en triomphe par la garde, ayant le
+ général Bruno (Français) à sa tête, et par la bourgeoisie ayant à la
+ sienne son ancien bourgmestre.
+
+ «Toutes les autorités seront présentes et en grand gala. Une fête
+ sera donnée aux troupes par la ville.
+
+ «Je tâcherai d'obtenir plus, et surtout la présence du roi. Votre
+ Excellence peut être assurée que j'en sens l'extrême inconvenance
+ et que je ferai tout ce qui pourra dépendre de moi pour y déterminer
+ Sa Majesté.
+
+ «J'ai, Monseigneur, des excuses à faire à Votre Excellence pour
+ l'extrême désordre de mes dépêches, depuis ces quinze derniers jours
+ plus particulièrement, mais je suis obligé d'écrire beaucoup et en
+ courant, de sortir et de recevoir beaucoup de monde, et c'est à
+ peine si j'ai le temps de mettre quelque ordre dans mes idées. J'ai
+ besoin de toute votre indulgence et j'ose la réclamer.
+
+ «_P.-S._--J'apprends à l'instant un fait que l'amiral de Winter n'a
+ pas voulu me dire, c'est que la cour a d'abord fort mal accueilli la
+ chaleur de ses conseils et l'a même assez maltraité, mais que ce
+ brave homme n'en a pas moins soutenu son noble rôle et ses efforts
+ pour sauver son pays et son roi du danger des premiers mouvements et
+ des résolutions irréfléchies. J'ai aussi beaucoup à me louer de M.
+ de Lagendorp, ancien ministre de la guerre.
+
+ «Je n'ai pas encore de certitude sur ce que feront les
+ fonctionnaires publics, mais je crois à ce que j'ai annoncé. Je
+ verrai ce soir le bourgmestre. Je joins ici la pièce oubliée de
+ l'avant-dernier numéro.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 3 juillet 1810.
+
+ «M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, chargé du
+ portefeuille des affaires étrangères, sort à l'instant de chez moi.
+ Il était en grand costume et couvert de tous ses ordres. Ce ministre
+ est venu m'annoncer que le roi avait abdiqué en faveur de son fils
+ aîné, et que l'acte de son abdication avait été adressé par Sa
+ Majesté au Corps législatif; que par cet acte la reine était nommée
+ régente, qu'un conseil provisoire de régence était nommé, qu'il
+ était composé en grande partie du ministère et des grands officiers;
+ que deux personnes de marque avaient été dépêchées en courrier, le
+ premier pour porter cette communication à Sa Majesté l'empereur, et
+ le second à la reine.
+
+ «M. Van-der-Heim m'assura que tout ce qui approche la personne du
+ roi avait tout tenté pour le détourner de cette détermination et
+ pour l'engager à paraître demain à Amsterdam et à remettre son
+ projet à un moment plus convenable; mais le roi était demeuré
+ inébranlable.
+
+ «M. Van-der-Heim m'annonça encore que le roi était parti cette nuit
+ sans prendre congé de personne, qu'on croyait qu'il avait traversé
+ Amsterdam et qu'il était allé se jeter aux pieds de l'empereur. Ce
+ ministre finit en me disant qu'il était chargé par la régence
+ provisoire de me faire part de ce grand événement et de me déclarer
+ officiellement que le gouvernement et la nation se remettaient
+ entièrement et avec un abandon absolu à Sa Majesté l'empereur et roi
+ des destinées de la patrie.
+
+ «J'ai répondu au ministre que je ne pouvais admettre la
+ communication qu'il voulait me faire sur une détermination qui, par
+ sa nature, était aussi grave et aurait exigé, à mes yeux, le
+ concours et l'assentiment de Sa Majesté l'empereur et roi, comme
+ chef de la famille impériale. M. Van-der-Heim me quitta en
+ protestant du profond respect et du dévouement de tous les membres
+ du conseil pour Sa Majesté impériale et royale, comme de leur
+ intention de se conformer à tout ce qu'elle jugerait propre à
+ assurer la tranquillité et le bien-être du pays.
+
+ «J'apprends à l'instant qu'une triple proclamation vient d'avoir
+ lieu. La première est l'acte même d'abdication. On m'assure qu'elle
+ est conçue dans des termes tout à fait inconvenants; mais je ne puis
+ rien affirmer jusqu'à ce que j'aie la traduction. Je ne pourrai
+ peut-être pas me la procurer avant le départ de monsieur de Caraman
+ que je vais expédier à Votre Excellence en courrier; mais je viens
+ de l'engager à sortir une seconde fois pour la relire et en prendre
+ des notes qu'il portera à Votre Excellence; demain je lui en
+ enverrai le texte. La seconde renferme les adieux du Roi à son
+ peuple et l'invite à bien recevoir les Français. La troisième est du
+ conseil de Régence provisoire et prévient de son installation.
+
+ «Depuis cet état de choses, Monseigneur, je ne me considère plus
+ comme accrédité auprès du gouvernement hollandais, et j'interromps,
+ dès ce moment, toutes mes communications avec lui.
+
+ «J'informe par monsieur de Caraman le maréchal duc de Reggio de tout
+ ceci, et le préviens d'être prêt à tout événement, à arriver ici
+ avec sa cavalerie, si les circonstances exigeaient qu'il brusquât
+ son entrée. J'apprends que le peuple se précipite en foule pour lire
+ la triple proclamation. Je vais faire venir le bourgmestre,
+ l'inviter à veiller sur la ville et le rendre responsable des
+ désordres qui pourraient arriver cette nuit si la malveillance
+ pouvait chercher à tirer parti de cet état de choses.
+
+ «Demain l'autorité militaire commencera; je recevrai monsieur le
+ maréchal et vais attendre en particulier les ordres de l'empereur.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 4 juillet 1810.
+
+ «L'armée impériale a fait aujourd'hui à trois heures son entrée
+ triomphale à Amsterdam, ayant son maréchal à sa tête. Les choses se
+ sont passées très convenablement. Le maréchal fait partir ce soir
+ un de ses aides-de-camp porteur de cette bonne nouvelle pour le
+ ministre de la guerre, et j'en profite pour informer également Votre
+ Excellence. Demain j'aurai l'honneur de lui donner des détails.
+
+ «J'ai reçu ce matin de M. Van-der-Heim la communication dont copie
+ ci-jointe. Je n'ai pas cru pouvoir en accuser réception, non plus y
+ répondre. Je joins également ici le numéro du courant qui renferme
+ les différentes proclamations du gouvernement. Je n'ai point le
+ temps de les faire traduire, mais je suppose qu'on le pourra faire
+ dans les bureaux de Votre Excellence, et au besoin M. de Caraman en
+ pourrait donner la traduction.
+
+ «La cour, la ville, le gouvernement, la nation entière, tout est aux
+ pieds de Sa Majesté l'empereur et roi, et implore sa clémence et sa
+ protection; j'attends les ordres de Sa Majesté impériale et les
+ directions de Votre Excellence.»
+
+
+ LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE.
+
+ Amsterdam, 5 juillet 1810 (au soir).
+
+ «Monseigneur, le roi étant parti sans dire à personne où il allait,
+ il circule dans le public de cette capitale les bruits les plus
+ étranges sur le lieu qu'il doit avoir choisi pour sa retraite. Les
+ agioteurs et les malveillants ont voulu accréditer l'absurde
+ nouvelle que Sa Majesté était passée en Angleterre, et les moins
+ déraisonnables en Amérique; mais je suis, de concert avec le
+ ministre de la police, occupé à détruire cette calomnie et même à la
+ recherche de ceux qui ont répandu de tels bruits.
+
+ «Je viens d'écrire au ministre de la police que je désirerais
+ absolument savoir où le roi s'était retiré, avoir des détails sur la
+ santé de Sa Majesté, enfin des renseignements détaillés sur tout ce
+ qui s'est passé dans cette singulière circonstance.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ Amsterdam, 6 juillet 1810.
+
+ «Sa Majesté impériale et royale a dû recevoir par M. le maréchal duc
+ de Reggio le détail de son entrée à Amsterdam, des honneurs civils
+ et militaires qui lui ont été rendus, des discours qui lui ont été
+ adressés et des dispositions généralement bonnes qui lui ont été
+ montrées. Cette circonstance vient à l'appui de ce que j'ai souvent
+ eu l'occasion de dire à Votre Excellence, que la nation est bien
+ disposée et facile à conduire, et que la direction seule des
+ affaires a été très mauvaise. La ville n'a jamais été plus
+ tranquille. À la première stupeur succède l'espoir que Sa Majesté
+ impériale et royale n'abandonnera plus une si bonne nation à
+ elle-même et qu'elle daignera la placer désormais sous sa protection
+ et sa direction la plus immédiate que possible. C'est le cri général
+ de toutes les classes et surtout du commerce. Si l'on rencontre
+ encore une crainte, c'est de ne pas obtenir à cet égard des
+ déterminations tout à fait définitives.
+
+ «Le maréchal m'avait fait prévenir par son chef d'état-major de
+ l'heure où il se présenterait devant les portes. Je suis allé une
+ demi-lieue au-devant de Son Excellence, que je n'ai pas tardé à
+ apercevoir à la tête de son état-major et de sa cavalerie. Je suis
+ alors descendu de voiture, le maréchal a mis pied à terre et nous
+ sommes entrés dans une cabane de pêcheurs, au pied de la digue, où
+ nous nous sommes entretenus assez longuement sur l'état où j'avais
+ laissé la ville et celui où probablement le maréchal allait la
+ trouver, sur l'abdication et le départ du roi et l'impression que
+ cet événement avait produit, et enfin sur l'ensemble des affaires.
+ L'armée avait suspendu sa marche. Après avoir tout concerté pour le
+ mieux, le maréchal est remonté à cheval, je suis remonté en voiture,
+ et les troupes françaises ont fait leur entrée comme le portait le
+ programme. Le maréchal s'est montré particulièrement satisfait de la
+ conduite du lieutenant général Bruno et du bourgmestre.
+
+ «L'avant-veille de son départ j'avais été averti que Sa Majesté
+ avait fait des questions sur ses voitures et que le grand écuyer lui
+ avait répondu dans une bonne intention qu'aucune n'était en état. Je
+ prévins le jour même le maréchal de cette circonstance par M. de
+ Caraman, quoique je susse que cet avis ne pouvait rien empêcher,
+ mais c'était tout ce que je pouvais. Le roi fit acheter une voiture
+ qu'il alla joindre vers une heure du matin à pied avec le général
+ Travers. La princesse Dolgorouki, qui habite une maison près du
+ château, ayant remarqué différents transports de portefeuilles, eut
+ l'éveil et vit le roi au moment où il traversait un petit fossé pour
+ aller gagner sa voiture. Personne ne sait positivement quelle route
+ a suivie Sa Majesté. On assure l'avoir vue au Gueldre, du côté
+ d'Arnheim; d'autres personnes parlent d'embarquement et d'Amérique.
+
+ «Avant-hier une députation de la régence est allée complimenter le
+ jeune prince. Mme de Boubers, sa gouvernante, dit à Son Altesse
+ royale qu'elle devait saluer, mais ne faire aucune réponse, et
+ défendit aux officiers attachés à sa personne de l'appeler autrement
+ que Monseigneur et Votre Altesse royale, jusqu'au moment où elle
+ aurait reçu des ordres de l'empereur.
+
+ «Je prévoyais depuis quelques jours que quelque grande faute allait
+ être faite, et c'est pour la détourner qu'outre ce que je pouvais
+ faire de démarches officielles, j'avais envoyé à Harlem l'amiral de
+ Winter et quelques autres braves gens pour combattre les mauvaises
+ résolutions et donner de bons conseils. J'avais fait plus; j'avais
+ dit à M. Van-der-Heim, pour l'ébranler et après avoir épuisé tous
+ les moyens de persuasion, qu'il ne fallait pas qu'il se fît illusion
+ et que si des déterminations contraires à la gloire du roi pouvaient
+ prévaloir, jamais Sa Majesté l'Empereur ne pourrait croire qu'elles
+ eussent eu leur source dans le coeur de son frère et du connétable
+ de France, et que Sa Majesté en attribuerait très naturellement le
+ blâme à ses mauvais conseillers. M. Van-der-Heim me répondit qu'il
+ voyait où allait ce langage, qu'il avait tout tenté pour amener le
+ Roi à recevoir le maréchal et à faire les choses comme il convenait,
+ mais que cela fait, il obéissait à son souverain en honnête homme et
+ sans examiner s'il y avait du danger attaché à l'exercice de ses
+ devoirs. C'est, je crois, le 30 juin ou le 1er juillet que M.
+ Van-der-Heim me répondit ainsi, et le Roi partit dans la nuit du 2
+ au 3 juillet.
+
+ «Le secret de sa proclamation a été gardé par les ministres, et je
+ n'en ai pu avoir connaissance que lorsque déjà elle était affichée à
+ tous les coins de rue.
+
+ «La lettre du Roi au Corps législatif est de sept pages et renferme,
+ dit-on, des choses très fortes. Ses membres se sont engagés par
+ serment à n'en donner aucune communication. On me l'a promise pour
+ ce soir ou demain matin: je l'enverrai tout de suite à Votre
+ Excellence.
+
+ «Je vais dîner aujourd'hui avec le maréchal chez les magistrats de
+ la ville. J'ai déclaré que j'y paraîtrais comme Français et comme
+ particulier, mais sans caractère diplomatique.
+
+ «Quelqu'un qui arrive à l'instant de Harlem m'assure que le Roi a
+ nommé un conseil d'administration avec pouvoir illimité pour vendre
+ et aliéner le mobilier de la couronne à Utrecht, Soesdyck,
+ Harlem-le-Loo, etc. Sa Majesté a rendu aussi un décret pour liquider
+ les deux millions qu'elle a empruntés sur ses domaines de
+ l'Ost-Frise. Le décret doit être communiqué demain et daté du 30
+ juin. Je vais en prévenir M. le maréchal duc de Reggio pour que l'on
+ fasse suspendre jusqu'au retour des courriers.
+
+ «_P.-S._--Je joins ici le numéro du courant qui renferme le détail
+ de l'entrée de nos troupes et de l'accueil qui leur a été fait. On
+ me fait craindre de ne pouvoir me procurer la copie promise de la
+ lettre du Roi. J'ai promis au maréchal de lui en donner un double si
+ je l'obtiens. On y remarque, m'assure-t-on, cette phrase: Je vais
+ mener le reste de mes jours une vie errante et fugitive. On croit
+ que Sa Majesté s'est dirigée du côté de Farmurigue. Il y a sur cette
+ côte beaucoup de navires américains.»
+
+
+Dès que l'empereur connut l'abdication et le départ de son frère, il
+ordonna au duc de Cadore de lui préparer un projet de note à
+adresser au ministre des affaires étrangères de Hollande, le baron
+de Roëll.
+
+Le duc de Cadore envoya le 5 juillet à Napoléon le projet
+ci-dessous:
+
+
+ «Dans ma note du... j'ai eu l'honneur de vous exposer quelle avait
+ été la conduite de la Hollande et combien elle avait nui à la cause
+ commune en se livrant à un commerce interlope contraire à ses
+ engagements avec la France, contraire au système que les ordres du
+ conseil d'Angleterre de novembre 1807 avaient forcé l'empereur
+ d'adopter, et je montrais à Votre Excellence comment cette suite
+ d'erreurs où la Hollande a été précipitée par l'Angleterre
+ nécessitait sa réunion à l'empire.
+
+ «Cependant l'empereur, quoique bien convaincu que tel était l'unique
+ remède aux maux dont il se plaignait, a cédé aux voeux de son
+ auguste frère en concluant avec lui le traité du 16 mars qui
+ conservait l'indépendance de la Hollande et ne lui occasionnait que
+ les sacrifices indispensables pour le maintien du système et
+ l'intérêt de la cause continentale. Ce traité aurait pu atteindre
+ son but si ses clauses avaient été fidèlement observées. Mais aucune
+ condition n'a été remplie, excepté celles auxquelles le gouvernement
+ hollandais ne pouvait s'opposer, comme la cession de quelques
+ provinces qu'occupaient déjà les troupes françaises. De faibles
+ efforts ont été faits pour armer l'escadre promise et elle n'a pas
+ encore d'équipage: les cargaisons américaines n'ont été livrées qu'à
+ moitié et l'on a donné à leur place les prises des corsaires
+ français. Le commerce interlope a continué; des licences ont été
+ données pour le favoriser. Le gouvernement a montré le même esprit
+ de haine et d'opposition à la France. Il a cherché à rendre cette
+ disposition populaire; la populace de quelques villes a insulté les
+ soldats français, celle d'Amsterdam a insulté l'empereur, dans sa
+ livrée portée par le cocher de son ambassadeur, et cet attentat
+ commis en plein jour est resté impuni. Le chargé d'affaires de
+ France a été l'objet d'une modification offensante pour le souverain
+ qu'il représentait. L'aigle impériale, qui dans toute l'Europe est
+ reçue en triomphe, a été repoussée d'Harlem, insulte qu'aucun
+ souverain de la terre n'aurait pu faire impunément. Si ces griefs
+ multipliés ont justement indigné l'empereur, il a encore été plus
+ touché de la déplorable situation où se trouve la Hollande. Les
+ douaniers français y sont établis et les douanes françaises sont
+ fermées au commerce hollandais. Les uns éloignent toutes les
+ importations du dehors; celles-ci repoussent toute exportation de la
+ Hollande. La misère la plus profonde doit être le résultat de cet
+ état de choses, et cet état ne peut être changé. Pour l'intérêt de
+ la Hollande, on ne peut sacrifier la cause du continent. La
+ révocation des ordres du conseil d'Angleterre aurait pu seule rendre
+ l'indépendance de la Hollande compatible avec l'intérêt de la France
+ et de l'Europe.
+
+ «L'empereur, lorsque cet intérêt est si violemment blessé, lorsque
+ les peuples de Hollande éprouvent par leur isolement nécessaire une
+ si grande misère, ne peut donc tarder de prendre un parti. On
+ satisfait à toutes les convenances, remédie à tous les maux, celui
+ de la réunion de la Hollande à l'empire français. Une absolue
+ nécessité en impose l'obligation. Je dois donc faire connaître à
+ Votre Excellence que Sa Majesté s'est décidée à _rappeler auprès
+ d'elle son auguste frère_ à qui les circonstances ont ôté la
+ possibilité de remplir l'objet pour lequel l'empereur l'avait élevé
+ sur le trône de Hollande et qui était si bien dans son coeur, celui
+ de faire le bonheur de la nation hollandaise, en servant les
+ intérêts de la France.»
+
+
+Cette note résume tous les _prétextes_ saisis par l'empereur pour
+expliquer l'annexion de la Hollande. Une des dernières phrases
+explique pourquoi Napoléon fit tant d'efforts pour obtenir de son
+frère qu'il revînt près de lui en France.
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 7 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, le général Piré que j'ai envoyé ce matin à Harlem pour
+ présenter mes hommages au prince royal et me rapporter des nouvelles
+ de sa santé me rend compte que Son Altesse impériale jouit d'une
+ très bonne santé. Elle a beaucoup pleuré en apprenant le départ du
+ Roi, mais elle est tranquille maintenant et ne fait plus de
+ question.
+
+ «On paraît croire à Harlem que le Roi a pris la route de Brême et
+ que son intention est de s'embarquer pour l'Amérique avec un
+ passeport anglais que Sa Majesté s'est procuré en envoyant il y a
+ quelque temps un officier à Londres.
+
+ «Le général Travers accompagne Sa Majesté ainsi que le contre-amiral
+ Bloys avec un seul valet de chambre. On assure que le Roi a trompé
+ ces deux officiers, qu'ils ne savaient rien de ses projets avant son
+ départ.
+
+ «Le Roi a emporté avec lui tout l'argent qu'il a trouvé dans les
+ caisses des différents services; on évalue la somme, tant en or
+ qu'en bijoux, à 600,000 florins, dont 250,000 florins en lettres de
+ changes[160].
+
+ [Note 160: Ceci était faux; Louis n'avait emporté que mille
+ florins lui appartenant.]
+
+ «Sa Majesté voyage dans une mauvaise voiture de poste du pays.
+
+ «Elle doit avoir fait, la veille de son départ, de fausses
+ confidences à presque tous les officiers de sa maison pour les
+ tromper sur les motifs de son absence, particulièrement à son grand
+ maréchal à qui elle a prescrit quelques dispositions pour sa
+ réception au palais de Loo, en lui faisant donner sa parole
+ d'honneur de n'en rien dire à personne.
+
+ «On a reçu au palais de Loo un billet du général Travers qui
+ annonçait que Sa Majesté faisait un petit voyage et qu'elle
+ arriverait incessamment, et qu'on ne fût point inquiet. Ce billet
+ était sans date et sans désignation du lieu où il avait été écrit.
+
+ «Le grand maréchal du palais et le grand écuyer assurent que les
+ ministres doivent avoir été prévenus la veille du départ du Roi,
+ attendu qu'un officier appelé Goty ou des Goty a remis dans la nuit
+ du 2 au 3 au ministre de la guerre et dans le conseil des ministres
+ qui était assemblé un mot du Roi ainsi conçu: «_Je pars, et au
+ moment où vous lisez ce billet je traverse Amsterdam._» Sa Majesté
+ n'est point entrée en ville comme elle l'écrivait, mais l'a
+ seulement tournée.
+
+ «Le Roi a été reconnu par un Juif à Naarden au moment où le général
+ Travers menaçait un postillon de le tuer s'il ne voulait doubler.
+
+ «Il paraît que le Roi craignait d'être reconnu en relayant.
+
+ «Un courrier venu d'Aix-la-Chapelle doit avoir été chargé par Son
+ Altesse impériale Madame Mère de dire au Roi: «_Dites à mon fils que
+ je ne lui écris pas parce que j'ai peur que vous ne soyez arrêté en
+ route_, mais que tout est prêt ici pour le recevoir et que j'espère
+ l'embrasser bientôt.»
+
+ «Le Roi a donné ordre de vendre les propriétés qui lui appartiennent
+ et même quelques propriétés de la couronne pour payer ses dettes.
+ L'intendant de la couronne a déjà commencé ses opérations à cet
+ égard en vertu d'un décret antidaté.
+
+ «Votre Excellence trouvera ci-joint copie de la lettre écrite par le
+ Roi au Corps législatif avant son départ.
+
+ «_P.-S._--À l'instant où je fermais ma lettre, je reçois celle
+ incluse de Mme de Boubers. Je vous prie d'assurer Sa Majesté de tout
+ mon zèle et de mes précautions en pareille circonstance. Je vais
+ même monter en voiture pour Harlem d'où j'aurai l'honneur de ramener
+ le Roi pour peu que cela me semble nécessaire. Quant à ses besoins,
+ j'y aurai pourvu de la manière qu'on doit attendre de mon
+ dévouement. Ci-joint une autre lettre du ministre de la police du
+ royaume de Hollande; c'est un Orangiste dont j'ai peine à obtenir
+ les renseignements qui me sont nécessaires.»
+
+
+ MME DE BOUBERS À OUDINOT.
+
+ Harlem, 6 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, la situation dans laquelle je me trouve est très
+ embarrassante. J'attends avec la plus grande impatience les ordres
+ de Sa Majesté l'Empereur, auquel je vous prie de vouloir faire
+ connaître la position du prince.
+
+ «Le palais de Harlem, dans lequel il demeure, doit être vendu, ainsi
+ que toutes les maisons que le Roi son père avait. Tous les mobiliers
+ d'Amsterdam, de Loo, d'Utrecht, etc., dans peu de jours; le prince
+ peut être sans asile; je ne pense pas que l'empereur souffre cela,
+ il est très nécessaire que Sa Majesté en soit informé le plus tôt
+ possible.
+
+ «On me laisse avec le prince, sans le moindre argent pour lui,
+ n'ayant pas de quoi envoyer un courrier si la nécessité l'exigeait.
+ On dit les coffres vides, le Roi ayant emporté tout ce qu'il a pu.
+ Personne n'est payé ici depuis trois mois, et je ne serai pas
+ étonnée que d'un moment à l'autre on refuse de fournir la maison du
+ prince.
+
+ «Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur ordonnerait que le prince
+ revînt en France, il me serait de toute impossibilité de faire le
+ voyage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir m'indiquer le moyen de
+ me procurer les fonds qui me seront nécessaires ou de demander à Sa
+ Majesté l'Empereur ses ordres à ce sujet.
+
+ «Je n'ai pu entrer dans ces détails avec M. Pirée[161] que vous avez
+ envoyé au prince. Il était entouré de plusieurs personnes de la
+ cour; ne pouvant lui parler en particulier, j'ai pris le parti de
+ vous écrire pour vous informer de la situation du prince.
+
+ [Note 161: Le général Pirée.]
+
+ «Quant aux précautions pour sa sûreté, le général de Bruno, mon
+ beau-frère, a pris toutes celles qu'il jugeait convenables; mais
+ dans ce moment c'est une grande responsabilité dont je sens toute
+ l'importance.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 7 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, j'ai déjà eu l'honneur de rendre compte à Votre
+ Excellence des différentes versions qui circulaient ici sur la
+ retraite du Roi. Celle qui s'accrédite le plus en ce moment est que
+ Sa Majesté se rend en Amérique; je n'ai point encore de certitude à
+ ce sujet, mais je fais faire toutes les diligences nécessaires pour
+ être bientôt à même de pouvoir faire connaître à Votre Excellence
+ le lieu où Sa Majesté s'est retirée.
+
+ «Je viens d'avoir des nouvelles du Prince Royal; Son Altesse se
+ porte très bien; j'aurai l'honneur d'adresser tous les jours à Votre
+ Excellence le bulletin de sa santé.
+
+ «L'esprit public de la ville d'Amsterdam est bon et la meilleure
+ harmonie continue à régner entre les troupes françaises et les
+ habitants.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 7 juillet.
+
+ «Monseigneur, au reçu de la lettre par laquelle Votre Excellence me
+ fait connaître l'intention de l'Empereur pour le désarmement des
+ lignes d'Amsterdam, j'ai de suite donné l'ordre au commandant de
+ l'artillerie de faire les dispositions nécessaires pour enlever les
+ pièces qui s'y trouvent et les conduire à Anvers.
+
+ «D'après un état d'armement que je me suis procuré de ces lignes, il
+ se trouvait au 6 de ce mois 215 pièces de différents calibres en
+ batteries, tant en bronze qu'en fonte. Des officiers sont occupés en
+ ce moment à en faire le relevé, que j'aurai l'honneur d'adresser à
+ Votre Excellence aussitôt qu'il me sera parvenu.
+
+ «J'ai également donné l'ordre de faire démolir tous les ouvrages qui
+ ont été élevés contre nous.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ 7 juillet.
+
+ «Monseigneur, par le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à
+ Votre Excellence pour lui annoncer mon arrivée à Amsterdam, je l'ai
+ prévenu que j'avais accepté un dîner qui m'était offert par les
+ magistrats de cette ville. Ce dîner a eu lieu hier; je me suis rendu
+ avec tous les généraux, les colonels et officiers supérieurs des
+ corps et d'état-major. Les ministres, le corps diplomatique et les
+ chefs des diverses autorités civiles et militaires y avaient été
+ invités. Le bourgmestre Van-der-Poll qui le présidait en a fait les
+ honneurs aux Français avec les égards qu'il se plaît à leur marquer
+ dans toutes les circonstances. Il a été porté un toast à Leurs
+ Majestés Impériales et Royales qui a été accueilli avec enthousiasme
+ ainsi que celui de l'armée française. J'ai cru devoir en porter un à
+ la prospérité de la ville d'Amsterdam.
+
+ «Cette réunion où une apparente cordialité a régné ne peut
+ qu'ajouter à la bonne opinion que j'ai déjà des magistrats qui
+ administrent cette ville seulement.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 7 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, Votre Excellence a dû voir par toutes les lettres que
+ j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis mon entrée à Amsterdam, que
+ je n'ai qu'à me louer, jusqu'à présent, des magistrats de cette
+ ville et du bon esprit qui anime ses habitants. J'ai donc cru
+ convenable d'adopter envers eux un système de conciliation que je
+ crois dans le sens des volontés de l'Empereur; si cependant il en
+ était autrement, je prie Votre Excellence de me tracer la règle de
+ conduite que je dois suivre pour remplir les intentions de Sa
+ Majesté.»
+
+
+Le 9 juillet, un décret impérial en douze articles ordonne la
+réunion de la Hollande à la France et nomme le duc de Plaisance
+lieutenant général de ce pays. Une circulaire dans ce sens est
+envoyée aux divers représentants à Paris des puissances étrangères
+pour leur expliquer les motifs qui ont nécessité l'annexion. Le
+surlendemain, 11 juillet, M. de Hauterive reçoit l'ordre de partir
+pour Amsterdam afin d'y prendre les papiers des relations
+extérieures, les archives, et de les rapporter à Paris.
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 9 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, n'ayant pu jusqu'à présent avoir aucune communication
+ officielle avec le gouvernement provisoire institué par le Roi et
+ que je n'ai pas cru devoir reconnaître avant d'avoir reçu les ordres
+ de l'Empereur, j'ai pensé que l'état de crise dans lequel cet état
+ de choses pouvait jeter la capitale exigeait que je prisse la haute
+ main sur tous les militaires de ce pays et qu'aucun mouvement de
+ troupes hollandaises ne pût avoir lieu sans mon consentement; j'ai
+ écrit dans ce sens au ministre de la guerre et au gouvernement
+ d'Amsterdam pour leur faire connaître mes intentions à cet égard, de
+ manière que je devienne responsable moi-même des événements qui
+ arriveraient en attendant la décision ultérieure de l'Empereur, que
+ j'attends ainsi que le pays avec une grande impatience. Du reste
+ tout est calme et les fonds gagnent tous les jours.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ 10 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, la Hollande est toujours dans le calme dont j'ai eu
+ l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans mes précédents
+ rapports. Ce pays attend avec une grande impatience la décision de
+ son sort. La majeure partie des habitants croit à la réunion et à
+ voir consolider la dette au taux où elle est baissée. Les autres
+ demandent le maintien du gouvernement royal et la confirmation d'une
+ régence, mais non de celle qui existe; car les personnages qui la
+ composent sont pour la plupart accusés d'avoir contribué à la
+ situation actuelle des choses.
+
+ «J'ai eu l'honneur d'aller hier saluer le Prince Royal; je l'ai
+ laissé bien portant. J'ai consenti à ne point faire transporter Son
+ Altesse royale à Amsterdam, tant à cause des justes observations que
+ m'a faites Mme de Roubers sur la santé de Son Altesse royale que sur
+ ce que je me suis assuré qu'elle est convenablement à Harlem et en
+ sûreté. J'ai de Son Altesse royale une garde d'honneur française qui
+ a son poste au palais et un de mes aides de camp qui fait le service
+ de concert avec les officiers de la maison. Enfin cela se passe avec
+ les mesures qu'il fallait apporter en pareille circonstance.
+
+ «Les fonds n'ont pas varié depuis avant-hier, quoiqu'on ait fait
+ courir plusieurs bruits plus ridicules les uns que les autres.
+
+ «Par ma dernière dépêche, j'ai mandé à Votre Excellence que je
+ mettais un régiment à Harlem, celui qui y était destiné viendra
+ occuper les trois villes les plus près d'Amsterdam, afin d'y être en
+ masse et comme réserve pour cette ville qui, quoique tranquille, a
+ besoin de savoir que nous sommes là.
+
+ «Quand Sa Majesté l'Empereur voudra connaître les principaux
+ contrebandiers de ce pays, il me sera facile de les signaler, car
+ outre les renseignements que je m'étais déjà procurés tant sur leur
+ nom que sur la nature et la valeur approximative des affaires qu'ils
+ ont faites, c'est à qui des bons négociants viendra les dénoncer. Je
+ crois alors qu'une bonne contribution particulière frappée sur eux
+ ne serait pas une injustice.
+
+ «Je pense que Votre Excellence n'aura pas manqué de faire connaître
+ à l'Empereur que l'abdication, les proclamations placardées et le
+ départ du Roi ont eu lieu avant mon entrée à Amsterdam, et que Sa
+ Majesté me rend assez de justice pour penser que si je fusse arrivé
+ à temps j'aurais intervenu et peut-être empêché l'exécution de cet
+ événement extraordinaire.»
+
+
+ CLURKE À OUDINOT.
+
+ 10 juillet 1810.
+
+ «Monsieur le Maréchal, j'ai déjà eu l'honneur d'informer Votre
+ Excellence par une dépêche que je lui ai adressée aujourd'hui par
+ courrier extraordinaire que, d'après un décret impérial rendu à
+ Rambouillet le 9 juillet, la Hollande se trouve dès ce moment réunie
+ à la France.
+
+ «Je joins ici, Monsieur le Maréchal, ampliation de ce décret
+ impérial, afin de mettre Votre Excellence à portée de connaître les
+ dispositions que Sa Majesté impériale et royale a déterminées
+ provisoirement relativement à l'administration de cette portion de
+ l'empire.
+
+ «Votre Excellence verra par l'article 5 que l'Empereur a nommé M. le
+ duc de Plaisance, architrésorier de l'empire, son lieutenant
+ général, et que Son Altesse impériale doit se rendre en cette
+ qualité à Amsterdam. Vous voudrez bien, en conséquence, Monsieur le
+ Maréchal, prendre les ordres de Son Altesse seigneuriale le prince
+ architrésorier, en sa qualité de lieutenant général de l'Empereur,
+ pour tout ce qui aura rapport au service de Sa Majesté dans
+ l'étendue de votre commandement.»
+
+
+ ZAPFFEL, CHEF DE BATAILLON, AIDE DE CAMP DE CLURKE.
+
+ Amsterdam, 11 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, j'ai remis hier à dix heures du soir au maréchal duc
+ de Reggio les dépêches que Votre Excellence m'avait données pour
+ lui. Je profite du départ d'un aide de camp du maréchal pour vous
+ donner le peu de renseignements que j'ai pu me procurer jusqu'à
+ présent. Tout est tranquille en Hollande et principalement à
+ Amsterdam. Le Prince Royal est à Harlem avec une garde d'honneur
+ composée d'une compagnie d'élite du 16e de chasseurs, sous le
+ commandement d'un aide de camp du maréchal qui ne perd pas de vue
+ Son Altesse royale.
+
+ «Le lieu de la retraite du Roi est encore inconnu. Les uns disent
+ qu'il est parti pour l'Amérique et qu'il s'est embarqué à
+ Bremen-Lech, les autres assurent qu'il est en Westphalie. Le
+ ministre de la police dit que Sa Majesté a été vue le 6 à Hanovre.
+ Le bruit court aussi que le Roi doit avoir une entrevue avec Madame
+ Mère. Il a emporté tout l'argent qui se trouvait dans les caisses
+ publiques et pour une très forte somme de lettres de change. Le
+ ministre de Krayendorf a disparu; on dit qu'il s'est embarqué pour
+ l'Angleterre. M. le Maréchal s'occupe de le trouver. Il paraît que
+ l'opinion générale de Hollande n'est pas contraire à la réunion.
+
+ «Ce qui leur déplaît, c'est l'incertitude où ils sont sur leur sort
+ futur. Ils paraissent aussi craindre le système de la conscription;
+ ils demandent également si l'Angleterre continuera à leur payer les
+ intérêts des fonds qu'ils y ont placés et les intérêts se montent,
+ dit-on, à 40 millions de florins par an.
+
+ «Je n'ai pas encore vu M. Serrurier. L'aide de camp du maréchal
+ part à l'instant et je n'ai que le temps de vous renouveler
+ l'assurance de mon respectueux et bien sincère attachement.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 11 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, la surveillance sur la côte a été observée avec autant
+ de scrupule que Sa Majesté peut l'avoir désiré, et qui que ce soit
+ n'est allé en mer, à ma connaissance, depuis le départ du Roi, à
+ moins que ce ne soit l'ex-ministre de la guerre, Krayenhof, que je
+ cherche partout et que je ne puis découvrir, mais sur lequel je n'ai
+ d'autres indices, sinon qu'il serait depuis plusieurs semaines sur
+ les côtes pour y travailler à sa carte qu'on sait qu'il levait au
+ nom du Roi. Je n'ai tant cherché ce fonctionnaire que parce qu'il
+ passe pour un homme perfide et ennemi de la France, qu'enfin j'ai
+ toujours supposé que l'Empereur le poursuivrait un jour pour sa
+ conduite pendant son ministère; au reste, s'il est encore en
+ Hollande, je ne puis manquer de le découvrir, car j'y ai des
+ intelligences partout.
+
+ «Ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence par mes
+ dépêches successives, le Prince Royal est en sûreté et se porte
+ bien; Son Altesse royale est traitée en prince de sa maison et à la
+ disposition exclusive de l'Empereur.
+
+ «Je n'ai pas manqué de rassurer le pays par tous les moyens qui sont
+ en moi et qui peuvent l'amener à voir la réunion d'un oeil
+ tranquille. J'ai constamment parlé dans ce sens, par conséquent dans
+ celui que vous m'ordonnez au nom de l'Empereur, j'ose même assurer
+ que ces précautions ont eu leur utilité et que _si ce n'est chez les
+ personnages en places, qui ont peur de les perdre, on trouvera des
+ applaudissements_.
+
+ «Sa Majesté sait sûrement qu'il n'a pas dépendu de moi d'empêcher
+ que les proclamations du Roi, qui exprimaient si singulièrement ses
+ dernières volontés, ne fussent rendues publiques, puisque c'est le 3
+ qu'il les a fait lui-même placarder dans Amsterdam et mettre dans
+ les journaux, tandis que je ne suis entré que le 4, mais aussitôt
+ entré, je me suis occupé à faire arracher ce qui ne l'était pas
+ encore.
+
+ «Les derniers renseignements que j'ai obtenus sur la marche du Roi,
+ c'est qu'il aurait traversé le 6 la ville de Hanovre, ce qui me fait
+ espérer qu'il se retire à Cassel où certains personnages d'ici
+ assurent qu'il était attendu.
+
+ «L'embargo existe en Hollande depuis que j'y commande, je pense que
+ celui que vous m'ordonnez ne s'étend pas aux pêcheurs qui, au reste,
+ sont surveillés, mais qu'on ne pourrait, ce me semble, empêcher de
+ faire ce métier, sans un grand préjudice, à cette classe nombreuse
+ qui n'existe que par ce moyen, cependant je désire à cet égard une
+ explication de Votre Excellence. On est occupé du désarmement et de
+ l'importation des pièces; le pays n'a point donné des signes de
+ mécontentement à cet égard, seulement le ministre de la guerre a
+ réclamé, et je n'ai, bien entendu, tenu aucun compte de sa
+ protestation, qu'il ne faisait, au reste, que parce qu'il pense, que
+ la mesure est de mon invention.
+
+ «Les fonds ont haussé d'une manière sensible à la bourse d'hier.»
+
+
+ OUDINOT À CLURKE.
+
+ Amsterdam, 12 juillet.
+
+ «Monseigneur, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, à midi seulement, la
+ lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser pour
+ m'annoncer que Sa Majesté l'Empereur avait nommé Son Altesse
+ seigneuriale le prince architrésorier son lieutenant général en
+ Hollande, et que l'intention de l'Empereur était que le prince
+ trouvât partout sur son passage des escortes de cavalerie, depuis
+ Nimègue jusqu'à Amsterdam. À la réception de la lettre de Votre
+ Excellence, je me suis empressé de donner des ordres pour
+ l'exécution des dispositions qu'elle m'a transmises. Comme je n'ai
+ pas de cavalerie au-delà d'Utrecht, je crains fort que les
+ détachements que j'ai fait commander ne puissent arriver à temps
+ pour escorter Son Altesse à son départ de Nimègue; cependant j'ai
+ ordonné que la troupe mît la plus grande diligence dans sa marche,
+ afin de se conformer aux désirs de Sa Majesté.
+
+ «Votre Excellence peut être persuadée que tout sera disposé au delà
+ d'Utrecht pour rendre au prince les honneurs dus à son rang.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ 12 juillet 1810.
+
+ «Si l'on en doit croire les entours du Roi, personne autre que les
+ compagnons de sa fuite n'a été dans la confidence de Sa Majesté, et
+ tout le monde prétend y avoir été trompé. Beaucoup de MM. les gens
+ de la cour qui caressaient lâchement les faibles et les erreurs du
+ Roi l'accusent aujourd'hui avec la même lâcheté, et c'est à qui
+ renchérira de détails et de chefs d'accusation: ces messieurs sont
+ fidèles à leur caractère.
+
+ «Il est certain que le Roi avait fait de fausses confidences à ses
+ officiers, telles que son projet d'aller au Lao, où il avait fait
+ tout disposer pour le recevoir, et à Aix-la-Chapelle où il s'était
+ fait annoncer et qu'il a exécuté son dessein avec une profondeur de
+ secret dont on n'eût pas cru Sa Majesté capable. On assure que deux
+ ou trois de ses ministres au plus ont été dans la confidence; cela
+ me paraît difficile. Mais au moins aucun fonctionnaire, douteux pour
+ la cour et surtout du parti français, n'a été admis au secret.
+ J'aurais pu être informé par eux seuls, car pour les moyens
+ d'argent, cet agent excellent pour arracher les secrets de bureau
+ n'aurait pu prendre sur des hommes de parti et sur des ministres,
+ sans doute égarés au moins, mais honnêtes gens hors de là et
+ supérieurs à de pareilles séductions. Puis la cour était à Harlem,
+ et l'on avait su, par autorité ou par peur, éloigner encore une fois
+ de moi tout ce qui aurait pu m'instruire. Cet extravagant projet
+ d'abdication sans le concours de Sa Majesté impériale et royale et
+ le scandale de la proclamation n'avaient dû ni pu entrer dans la
+ pensée de personne, et avec tous j'y ai été pris au dépourvu. J'ose
+ penser que de beaucoup plus habiles ministres l'auraient été
+ également, et je crois avoir fait dans cette circonstance tout ce
+ qui était humainement possible pour détourner le Roi de mauvaises
+ résolutions et pour lui faire inspirer celles que je croyais
+ conformes à sa gloire et à son intérêt. J'ai eu le bonheur d'obtenir
+ du reste tout ce que j'avais été chargé de demander, mais l'esprit
+ du Roi était hors de ma portée et de mon pouvoir.
+
+ «Quand j'ai été instruit, il était trop tard pour rien empêcher. Le
+ mal était fait. J'aurais inutilement montré du ressentiment et mes
+ cris d'effroi, et j'aurais compromis mon autorité sans rien arrêter.
+ J'ai préféré en laisser l'odieux à la cour, la responsabilité aux
+ ministres et me borner à déclarer froidement que mes fonctions
+ avaient cessé jusqu'au retour de mon courrier.
+
+ «Le résultat de tant de fautes est que le mot de réunion s'articule
+ enfin tout haut à Amsterdam. C'est par le commerce que ce voeu
+ commence à se prononcer. Longtemps comprimée par le respect
+ qu'inspirait une autorité émanée du trône impérial, l'autorité
+ affranchie par le départ du Roi commence à s'énoncer avec force et
+ liberté, et, pour peu qu'elle reçoive d'encouragement, elle
+ deviendra un cri général. Ce n'est pas qu'il n'y ait en Hollande un
+ sentiment profond de la patrie et un regret amer de ne pouvoir plus
+ former une nation, mais les gens raisonnables se demandent où est
+ cette patrie? et ils ne la trouvent ni dans cette marine
+ hollandaise, jadis si puissante, aujourd'hui nulle, ni dans l'armée
+ réduite à 10,000 hommes et bientôt sans recrutement, ni dans ses
+ institutions dégénérées, ni dans ses moeurs si différentes de celles
+ des premiers confédérés d'Utrecht, ni surtout dans aucune des
+ circonstances intérieures et extérieures de cet État, et qui lui ont
+ valu, dans le passé, une épisode brillante, mais passagère, de
+ prospérité. C'est l'intérêt qui forme les sociétés politiques, et
+ c'est lui qui les dissout; et c'est parce que les Hollandais ne
+ trouvent plus dans leur parti social la sûreté, la protection et
+ les grands avantages qu'il leur garantissait autrefois qu'ils sont
+ amenés à en désirer la dissolution et à souhaiter d'entrer dans
+ cette grande famille qui présente aujourd'hui, par-dessus toutes les
+ autres, cet attrait et cette garantie à ses voisins. Beaucoup de
+ négociants sont venus me parler dans cet esprit. J'ai applaudi à
+ leur zèle et au sentiment juste qu'ils me montraient de l'état réel
+ de leur patrie. Je leur ai répondu que j'ignorais l'accueil qu'un
+ pareil voeu recevrait de mon souverain, mais que j'étais assuré que,
+ quelque décision qui lui fût à cet égard inspirée par l'intérêt de
+ son empire, Sa Majesté impériale n'apprendrait jamais sans
+ satisfaction le nom des étrangers qui plaçaient leurs espérances
+ dans sa protection. J'attendrai pour répondre plus positivement les
+ instructions de Votre Excellence, et sur toutes choses j'aurai
+ l'honneur de me concerter avec M. le maréchal duc de Reggio.
+
+ «Je viens de dire, Monseigneur, que l'intérêt bien entendu était le
+ principe qui déterminait le sentiment d'une nation sur son
+ institution, et j'ai expliqué par là comment c'est aujourd'hui le
+ commerce qui exprime le premier ce voeu de réunion. Je n'ai pas pour
+ cela prétendu dire qu'il n'y eût pas de nobles exceptions à cette
+ loi de l'intérêt, et je n'en avais pas besoin, puisque les
+ exceptions n'ont jamais détruit un principe. Oui, sans doute, il est
+ partout des âmes privilégiées parmi les hommes qui, indépendamment
+ de tout calcul, tiennent à leur patrie par un aveugle, mais noble
+ instinct, et la Hollande, malgré son esprit mercantile, renferme
+ encore de nobles citoyens. Mon avis est qu'il faut les admirer et
+ les acquérir, mais qu'ils ne changent rien aux calculs généraux que
+ l'on doit faire sur une nation.
+
+ «Le nivellement des lignes et l'évacuation du matériel de
+ l'artillerie sur Anvers ne rencontrent aucune difficulté. Le
+ ministre de la guerre a d'abord fait quelques représentations, mais
+ le maréchal n'a pas tardé à lui faire expédier les ordres
+ nécessaires à cette opération. Tout le monde voit avec plaisir la
+ destruction de ces lignes, source de tant de chagrins et de fautes.
+ Elles furent commencées en 1787, à l'occasion des Prussiens qu'elles
+ n'arrêtèrent pas, et il a fallu la démence de don Quichotte
+ Krayenhoff pour imaginer qu'elles dussent arrêter les aigles
+ impériales. Amsterdam ne demande qu'à rester la première banque de
+ l'Europe et à se livrer tout entière, à l'ombre d'une grande
+ puissance, à son industrie et à son commerce.
+
+ «Les ministres s'abstiennent de tout acte de régence, et le maréchal
+ les tient en respect.
+
+ «_P.-S._--Le ministère de la police se prétend instruit que le Roi a
+ passé à Hanovre le 6. Depuis là, la trace de Sa Majesté est
+ incertaine. Quelques-uns prétendent qu'il se rend par Lumbourg à
+ Altona où les embarquements pour l'Amérique sont faciles. Peut-être
+ en saurai-je plus demain.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ 13 juillet 1810.
+
+ «J'ai reçu hier à midi le courrier que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'expédier de Rambouillet le 9 de ce mois. J'ai fait
+ part aussitôt à M. le maréchal duc de Reggio des grandes
+ dispositions que votre dépêche renferme.
+
+ «De concert nous avons vu les principaux fonctionnaires et nous
+ sommes satisfaits de la disposition d'esprit dans laquelle le décret
+ de réunion a été reçu. Déjà comme Votre Excellence le verra par mon
+ numéro d'hier, le voeu commençait à s'exprimer hautement pour la
+ réunion, et la nouvelle en a été fort bien accueillie. La réunion
+ est aujourd'hui considérée par les esprits froids comme le port de
+ salut de la Hollande, et si l'on a un regret, c'est qu'elle n'ait
+ pas eu lieu quelques années plus tôt, mais alors les événements
+ n'étaient pas encore mûrs.
+
+ «Je me suis présenté hier soir chez M. Van-der-Heim; j'y retournerai
+ ce matin pour concerter tout ce qui a rapport à l'arrivée de
+ monseigneur l'architrésorier. Le maréchal a donné des ordres pour la
+ réception de Son Altesse, et nous irons dans sa voiture à une
+ demi-lieue au-devant d'Elle.
+
+ «Le bourgmestre continue de se conduire fort bien. Il a mieux reçu
+ que je ne m'y attendais la nouvelle de la réunion. Je savais qu'il
+ craignait d'en être considéré par ses compatriotes comme
+ l'instrument. Le maréchal a été également fort content de lui à
+ cette occasion. M. Van-der-Poll fait toutes ses dispositions pour
+ bien recevoir le prince. Son exemple a de l'autorité dans Amsterdam
+ et entraînera toute la magistrature. Je croirais d'un bon effet que
+ Sa Majesté impériale et royale jugeât devoir faire quelque chose
+ pour ce magistrat.
+
+ «Le commerce est satisfait. L'article 2, qui déclare Amsterdam la
+ troisième ville de l'empire, flatte l'orgueil national et adoucit le
+ chagrin de cesser de former une nation. La mesure de 50 % sur les
+ denrées coloniales en les laissant aux propriétaires a beaucoup
+ tranquillisé le commerce et contente tout le monde. Elle donnera
+ beaucoup au fisc et personne ne s'en plaindra.
+
+ «L'article de la rédaction blesse cruellement les propriétaires de
+ rentes, mais cette mesure était devenue inévitable. On en gémit plus
+ qu'on ne s'en plaint, et la certitude de payements réguliers aidera
+ à adoucir cette plaie. Il faut s'attendre qu'elle produira un vide
+ sensible dans les contributions à venir, mais l'intention de
+ l'Empereur étant de les réduire, cet inconvénient sera moins
+ sensible.
+
+ «Les Hollandais sont également très frappés de la magnifique
+ représentation que Sa Majesté impériale leur accorde dans les trois
+ grands corps de l'État; ils ne s'attendaient pas à plus de moitié.
+ Cette disposition fait plus de bien encore qu'on n'en avoue. Elle
+ ouvre la porte à bien des ambitions et à bien des espérances qui
+ n'osent pas encore éclater parmi les regrets de la patrie, mais qui
+ germent déjà profondément.
+
+ «En général, tout le monde s'accorde à admirer les sages
+ dispositions de ce décret de la réunion si promptement conçu et
+ arrêté.
+
+ «Votre Excellence peut compter sur mon empressement à aider Son
+ Altesse l'architrésorier de l'empire de ce que je puis avoir acquis
+ de connaissance du pays et des personnes.
+
+ «Je rendrai un compte journalier à Votre Excellence, comme elle le
+ demande. Je suis fort aise d'apprendre qu'une estafette va être
+ établie de Paris à Amsterdam. Elle portera à Votre Excellence un
+ bulletin de tous les jours. Jusque-là, il n'a pas dépendu de moi que
+ mes dépêches parvinssent rapidement à Votre Excellence, je ne
+ pouvais que les envoyer au quartier général et les recommander
+ fortement.
+
+ «Le coeur de l'amiral de Winter saigne. Ce brave homme regrette que
+ les fautes de son gouvernement aient amené la réunion de son pays,
+ et il croyait encore à la possibilité de lui conserver une
+ administration séparée et de la rattacher inséparablement à la
+ France. Du reste, c'est un intrépide soldat, un Français de système
+ déjà depuis quinze ans, admirateur enthousiaste de l'Empereur, et
+ qui sera consolé quand il verra son pays heureux sous les lois d'un
+ si grand prince. C'est un de ces hommes dont je parlais hier à Votre
+ Excellence. Le maréchal le juge comme moi.
+
+ «Je ne réexpédierai mon courrier que ce soir à Votre Excellence. Je
+ désire pouvoir lui faire connaître les dispositions que le ministère
+ m'aura montrées, mais je ne doute pas que tant de clémence ne les
+ touche profondément.
+
+ «J'interromps ma dépêche.
+
+ «M. Van-der-Heim sort de chez moi. Il était fort ému; il m'a dit
+ qu'il n'attendait que sévérité de la part de Sa Majesté impériale,
+ et que le ministère n'en éprouvait, au contraire, dans ces
+ circonstances si pénibles pour tous, que des marques de grandeur et
+ de générosité. Il n'avait pas d'expression pour me rendre combien il
+ était frappé et touché de la grandeur d'un pareil traitement. Tous
+ ses collègues partageaient ses sentiments et sa reconnaissance. Ils
+ feront tout, m'a dit M. Van-der-Heim, pour justifier l'estime que Sa
+ Majesté impériale daigne leur montrer. Tout le monde interroge M.
+ Janssens et sort charmé de ses réponses.
+
+ «Le palais est préparé pour recevoir le prince architrésorier, et M.
+ Van-der-Heim m'a dit que le conseil avait décidé de faire rendre à
+ Son Altesse seigneuriale les plus grands honneurs qui soient à
+ accorder.
+
+ «Un courrier du prince, descendu chez le maréchal, lui annonce sa
+ prochaine arrivée. Je dîne chez M. le duc, et, aussitôt que nous
+ serons avertis de l'approche de Son Altesse seigneuriale, nous
+ monterons en voiture pour aller au-devant d'elle.
+
+ «M. Van-der-Heim m'a dit qu'il avait eu ici des nouvelles de Hanovre
+ du Roi; que sa santé était à cette époque bonne; qu'on le supposait
+ dans le voisinage; que le Roi témoignait le désir d'apprendre si les
+ Français avaient été bien reçus et si ses ordres à cet égard avaient
+ été remplis; qu'il ne croyait pas, lui ministre, à un embarquement,
+ et que Sa Majesté avait, lors de l'abdication, montré à la vérité le
+ désir d'être en Amérique, mais une juste répugnance à courir la
+ chance d'être amené en Angleterre. M. Van-der-Heim ajouta avec
+ sensibilité que le dernier voeu, mais bien ardent de ses anciens
+ sujets, était que Sa Majesté impériale pût lui pardonner et le
+ rapprocher d'elle. Il persista dans l'opinion que le Roi n'était
+ point embarqué; mais je ne pus en obtenir l'aveu qu'il connût le
+ lieu de sa retraite.
+
+ «Je verrai ce soir et demain beaucoup de fonctionnaires, de
+ militaires et de négociants, et je remplirai les intentions de Sa
+ Majesté impériale et royale. La garde est enchantée.
+
+ «_P.-S._--On a répandu ici le bruit que Sa Majesté l'Empereur,
+ indigné des faux rapports qui lui avaient été faits par M. de
+ Larochefoucauld sur la Hollande, l'avait fait arrêter et conduire au
+ Temple. Je ne rends compte à Votre Excellence de ce bruit ridicule
+ que parce qu'il a occupé hier et avant-hier tout Amsterdam.»
+
+
+ SERRURIER À CADORE.
+
+ 14 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, l'architrésorier de l'empire est arrivé ce matin; le
+ maréchal duc de Reggio a fait rendre à Son Altesse seigneuriale tous
+ les honneurs dus au lieutenant général de Sa Majesté l'Empereur et
+ Roi, et le gouvernement provisoire avait de son côté fait les
+ dispositions pour bien recevoir Son Altesse. Le bourgmestre et le
+ président des ministres l'ont complimentée. Son Altesse a paru
+ satisfaite de sa réception. Elle est descendue au palais.
+
+ «J'ai reçu ce matin, par un courrier extraordinaire de M. le comte
+ de Lavalette, l'annonce du décret impérial du 10 de ce mois, qui
+ ordonne l'établissement d'un service journalier en estafette de
+ Paris à Amsterdam et d'Amsterdam à Paris. Ce courrier était la
+ première expédition, et désormais ce service ne souffrira plus
+ d'interruption. J'ai fait parvenir sur-le-champ au prince
+ architrésorier les dépêches qu'elle m'a apportées pour lui. J'ai
+ aussi fait remettre celle qui était à l'adresse de M. le maréchal
+ duc de Reggio. L'expédition de l'estafette se fera désormais de chez
+ le prince.
+
+ «Parmi le tumulte des premières présentations je n'ai pu encore
+ entretenir bien sérieusement le prince. Je dois ce soir me rendre
+ chez Son Altesse, après l'expédition de l'estafette, pour parler
+ affaire avec un peu plus de suite.
+
+ «J'ai annoncé à Son Altesse l'arrivée de M. d'Auterive, chargé d'une
+ mission spéciale de Sa Majesté impériale. Je proposerai ce soir au
+ prince les moyens les plus propres à assurer le succès de son
+ opération. Si des papiers ont dû être soustraits, l'enlèvement en
+ aura été fait dans ces huit premiers jours, mais ce qui existe sera
+ conservé, et peut-être sera-t-il possible de retrouver la trace de
+ ce qui a été enlevé. Je ne puis encore rien garantir à cet égard.
+
+ «La seule affaire importante dont j'ai trouvé le moment de parler au
+ prince a été le moyen que j'imagine le meilleur pour arriver à la
+ trace du Roi. M. de La Tour, son médecin, a reçu de M. Van-der-Heim
+ l'ordre de joindre Sa Majesté. Mais, soit scrupule envers la France,
+ soit timidité ou tout autre motif, il a refusé jusqu'ici de partir.
+ M. de La Tour a l'ordre de se rendre à un point quelconque où il
+ recevra de nouveaux ordres qui le conduisent jusqu'au roi. En
+ faisant partir le médecin et en le faisant suivre, on trouverait
+ sûrement la trace de Sa Majesté, à moins que la défiance ne l'ait
+ fait renoncer à son docteur et changer les indications données. Le
+ prince archichancelier est entré dans cette idée. Son Altesse a dit
+ à M. de La Tour que son opinion était que Sa Majesté l'empereur ne
+ trouverait pas mauvais que le médecin du roi l'attachât à ses pas,
+ et son projet est de le faire suivre.
+
+ «J'ai causé ce matin avec les principaux personnages et les
+ ministres. Tout le monde a plus ou moins pris son parti, et toutes
+ les espérances se trouvent du côté du nouvel ordre de choses. Les
+ ministres m'ont dit que tout était facile à arranger, excepté les
+ finances. Leur opinion était que le service de ces six derniers mois
+ d'exercice provisoire présenterait les plus extrêmes embarras. Ils
+ se proposaient d'en rendre immédiatement compte au prince
+ architrésorier.
+
+ «La ville est parfaitement tranquille, et c'est à peine si l'on
+ s'aperçoit que le pays a changé de domination. Le maréchal a donné
+ les ordres pour l'embargo et pour empêcher l'émigration.»
+
+
+ OUDINOT À CLARKE.
+
+ 14 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, le ministre de la marine, président du Conseil des
+ ministres, questionné par quelqu'un sur la retraite du roi, a
+ déclaré qu'il croyait Sa Majesté à Hanovre; sur l'observation qui
+ lui fut faite que le bruit était généralement répandu dans le public
+ que Sa Majesté s'était embarquée pour l'Amérique, il répondit qu'au
+ moment de l'abdication on avait agité dans le Conseil des ministres
+ la question de savoir où il serait convenable que Sa Majesté se
+ retirât et, qu'entre autres opinions émises à cet égard, quelqu'un
+ avait parlé de l'Amérique. Sur quoi le roi avait dit: «_Ah! oui, je
+ voudrais bien être en Amérique._» Mais que l'idée de la possibilité
+ d'être pris en mer par les Anglais et conduit à Londres l'avait
+ empêché de s'embarquer et décidé à se retirer à Loo. Un courrier,
+ expédié au roi par le président de la Régence, s'étant rendu dans ce
+ château et n'ayant point trouvé Sa Majesté, a si bien suivi la trace
+ de sa route qu'il l'a atteint à Hanovre où il lui avait remis ses
+ dépêches. Ce courrier a rapporté que Sa Majesté se portait bien,
+ qu'elle avait demandé avec beaucoup d'intérêt des nouvelles de la
+ Hollande et des détails sur la réception des Français à Amsterdam.
+
+ «Le ministre de la marine a déclaré qu'il n'avait pas de raison de
+ croire que Sa Majesté avait quitté Hanovre.»
+
+
+ LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE.
+
+ Amsterdam, 14 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, S. A. le prince architrésorier de l'empire est arrivé
+ ce matin en bonne santé. Elle a reçu partout les honneurs dus à son
+ rang. Elle n'a point tenu la route de Nimègue, ainsi que Votre
+ Excellence me le mandait, mais bien celle de Mardick et par Gauda.
+
+ «On a remarqué avec satisfaction la garde nationale sous les armes
+ mêler ses témoignages à ceux des troupes françaises et
+ ex-hollandaises, ce qui signifie, ainsi que je l'ai prédit, que le
+ pays sera bientôt à l'unisson des Français. Le bourgmestre, M. Van
+ der Poll, homme essentiel dans son poste, qui n'a cessé de donner
+ des garanties sur ses sentiments pour l'empereur, n'a réaccepté son
+ emploi qu'ensuite de la promesse qu'il pourrait obtenir sa démission
+ après quinzaine. Il demande qu'on lui tienne parole, mais je compte
+ insister près du prince pour que ce magistrat respectable soit de
+ nouveau invité à continuer ses fonctions. Il établit sa demande sur
+ sa mauvaise santé. Le véritable motif est qu'il n'est pas assez
+ courageux pour résister aux apostrophes que lui font les Orangistes
+ de s'être abandonné au système français, qu'enfin il voudrait en se
+ retirant à la campagne y jouir du repos qu'il réclame.
+
+ «Si l'empereur, dont on apprécie tous les bienfaits de son décret en
+ faveur de la Hollande, pouvait donner l'espoir d'une visite dans
+ cette nouvelle partie de son empire, cela donnerait l'élan qu'il
+ faut pour le napoléoniser entièrement. Au reste, la tranquillité
+ règne et personne, je pense, n'osera la troubler.
+
+ «M. le duc de Plaisance étant chargé de l'organisation du pays et
+ des finances, je crois qu'il serait désormais superflu de m'en
+ occuper et d'entretenir Votre Excellence d'autres choses que du
+ militaire.
+
+ «M. le général comte de Lauriston, aide de camp de l'empereur,
+ recevra, ce matin, Son Altesse le grand-duc, qui sera ensuite
+ conduit à Amsterdam. Ce prince trouvera ici les mêmes honneurs qu'à
+ Harlem.
+
+ «Je ne puis m'empêcher de réitérer à Votre Excellence une demande de
+ quatre généraux de brigade et deux ou trois adjudants-commandants,
+ de quelques officiers d'état-major et du génie, et enfin d'un
+ service en chef de santé, et de demander M. le général Maison pour
+ une de mes deux brigades vacantes et les adjudants-commandants
+ désignés par mes précédentes; tous sont dans leurs foyers, quand je
+ pourrais les employer ici utilement.
+
+ «On est occupé à faire la reconnaissance des îles désignées par la
+ lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 9 de
+ ce mois. Ci-joint un mémoire sur celle de Schouren dont je vous ai
+ adressé un exemplaire dans les temps; l'auteur mérite un certain
+ crédit.
+
+ «Demain je passe en revue la garde et le jour suivant celle de deux
+ régiments de ligne. Cette troupe prêtera le serment et d'avance je
+ garantis de l'enthousiasme.
+
+ «Maintenant, mon cher duc, que les intentions de l'empereur seront
+ remplies relativement à ce pays, ne pourriez-vous pas solliciter en
+ ma faveur un congé de vingt à vingt-cinq jours? il m'en faudrait 10
+ pour l'aller et le retour et le reste pour arranger mes affaires qui
+ sont en si mauvais état, faire lever les scellés et enfin prendre de
+ nouveaux termes avec mes créanciers qui me persécutent et troublent
+ mon repos. Voyez, je vous prie, si vous voulez me rendre ce
+ service.»
+
+
+ OUDINOT À CLARKE.
+
+ 14 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, M. le général Lauriston s'est rendu ce matin à Harlem,
+ près de S. A. S. le grand-duc de Berg, qui lui a été remis par M. le
+ général Bruno. Toutes les dispositions prescrites par la lettre que
+ Votre Excellence m'a fait l'honneur de vous écrire le 10 de ce mois,
+ pour faire escorter le prince jusque sur le territoire français, ont
+ été exécutées. J'ai également prévenu l'intendant-général du roi que
+ les domaines appartenant à la couronne ne devaient pas être vendus
+ et que toute disposition faite à cet égard par ordre de Sa Majesté,
+ avant l'arrivée du prince architrésorier, serait déclarée nulle, et
+ je l'ai invité à suspendre l'effet de toutes les ventes qui auraient
+ pu être faites avant cette époque.»
+
+
+ LE DUC DE REGGIO AU DUC DE FELTRE.
+
+ Amsterdam, 24 juillet 1810.
+
+ «Monseigneur, je reçois à l'instant de Hambourg les renseignements
+ suivants sur la route qu'aurait tenue le roi de Hollande. Sa Majesté
+ doit avoir passé le 5 de ce mois à Osnabruck et le 12 à Dresde, se
+ rendant aux bains de Toeplitz et de Carlsbaden en Bohême.»
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+ Pages
+
+ PRÉFACE I
+
+ I. LE ROI JOSEPH 1
+
+ II. LE ROI LOUIS 86
+
+ III. LE ROI JÉRÔME 164
+
+
+ APPENDICE. Correspondance diplomatique relative
+ à la Hollande pendant le règne du roi Louis,
+ de juin 1806 à juillet 1810 i
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER ***
+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
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+<title>The Project Gutenberg e-Book of Les Rois Frères de Napoléon Ier; Author: Le Baron du Casse.</title>
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+Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Les Rois Frères de Napoléon Ier
+ Documents inédits relatifs au premier Empire
+
+Author: Baron Du Casse
+
+Release Date: December 4, 2009 [EBook #30604]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER ***
+
+
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+Produced by Mireille Harmelin, Christine P. Travers and
+the Online Distributed Proofreading Team at
+http://www.pgdp.net (This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
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+</pre>
+
+
+
+<div class="tn">
+<p>Note au lecteur de ce fichier digital:</p>
+
+<p>Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été
+corrigées. Les différentes orthographes n'ont pas été standardisées,
+de même pour les noms propres et les noms de villes.</p>
+</div>
+
+<h1><span class="smaller">LES ROIS</span><br>
+FRÈRES DE NAPOLÉON I<sup>er</sup></h1>
+
+<p class="p2 center">DOCUMENTS INÉDITS<br>
+RELATIFS AU PREMIER EMPIRE</p>
+
+<p class="p2 center"><span class="smaller">PUBLIÉS PAR</span><br>
+LE BARON DU CASSE</p>
+
+<p class="p4 center smaller">PARIS<br>
+LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE <span class="smcap">et</span> C<sup>ie</sup><br>
+108, <span class="smcap">BOULEVARD SAINT-GERMAIN</span><br>
+Au coin de la rue Hautefeuille</p>
+
+<p class="p2 center smaller">1883<br>
+<i>Tous droits réservés.</i></p>
+
+
+<h2>OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:</h2>
+
+<ul class="none ouvrage">
+<li><i>Mémoires du roi Joseph</i>, 10 vol. in-8<sup>o</sup> avec album de 20 batailles
+ gravées. Perrotin, éditeur.</li>
+
+<li><i>Histoire des négociations relatives aux traités de Mortefontaine, de
+ Lunéville et d'Amiens</i>, 3 vol. in-8<sup>o</sup>. Dentu.</li>
+
+<li><i>Mémoires du prince Eugène</i>, 10 vol. in-8<sup>o</sup>. Michel Lévy.</li>
+
+<li><i>Vandamme et sa correspondance</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Arrighi de Casa Nova, duc de Padoue</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Précis des opérations de l'armée de Lyon en 1814</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Précis des opérations de la guerre d'Orient en 1854</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Opérations en Silésie, 1806 et 1807</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup> avec atlas.</li>
+
+<li><i>Mémoires pour l'histoire de la campagne de 1812</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Histoire anecdotique du coup d'État</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Souvenirs d'un officier du 2<sup>e</sup> zouaves</i> (attribué à tort au général
+ Cler), 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Le duc de Raguse devant l'histoire</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Les erreurs militaires de M. de Lamartine</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon I<sup>er</sup></i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Histoire anecdotique de l'ancien théâtre</i>, 2 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+</ul>
+
+
+<h3>ROMANS:</h3>
+
+<ul class="none ouvrage">
+<li><i>Rambures</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Du soir au matin</i>, 1 vol. in-8<sup>o</sup>.</li>
+
+<li><i>Quatorze de dames</i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Les suites d'une partie d'écarté</i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Le conscrit de l'an VIII</i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Le marquis de Porzaval</i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>M. Putau</i>, 1 vol. in-12.</li>
+
+<li><i>Les variétés militaires</i>, 1 vol. in-18.</li>
+
+<li><i>Les origines</i>, 1 vol. in-18.&mdash;Etc., etc., etc.</li>
+
+<li>Sous presse: <i>Le Panthéon fléchois.</i></li>
+</ul>
+
+
+<h2><span class="pagenum"><a id="pageI" name="pageI"></a>(p. I)</span> PRÉFACE</h2>
+
+
+<p>Dans les premières années du second empire, commença à paraître à la
+librairie Perrotin un ouvrage en dix volumes qui fit sensation dans
+le monde littéraire et politique, les <i>Mémoires du roi Joseph</i>, qui
+donnaient sur l'empereur Napoléon I<sup>er</sup>, sur son règne et sur
+l'histoire de cette grande époque des aperçus entièrement nouveaux.
+Des documents importants et irrécusables corroborant les faits se
+trouvaient en grand nombre dans ces dix volumes, et, malgré le
+succès de l'<i>Histoire du Consulat et de l'Empire</i> de M. Thiers, les
+<i>Mémoires du roi Joseph</i> furent accueillis avec une haute faveur
+dans les régions élevées et savantes.</p>
+
+<p>Peu de temps après l'entière publication de cet ouvrage, en parut un
+autre du même auteur et du même genre, <i>Mémoires et correspondance
+du prince Eugène</i>, également en dix volumes.</p>
+
+<p>Ces deux publications historiques capitales, faites avec
+impartialité, donnèrent la pensée au gouvernement impérial de réunir
+en un magnifique ouvrage toutes les lettres écrites ou dictées par
+Napoléon I<sup>er</sup>, et de livrer à la publicité un admirable monument
+d'histoire moderne. Malheureusement, le nombre considérable des
+lettres et des documents collectionnés dans les archives du
+gouvernement et dans les archives des particuliers fit rejeter
+l'idée de joindre à ces lettres de l'empereur les réponses et des
+notes explicatives.</p>
+
+<p>Immédiatement après la mort du dernier des frères de Napoléon
+<span class="pagenum"><a id="pageII" name="pageII"></a>(p. II)</span> I<sup>er</sup>, en 1860, parut également un ouvrage en sept volumes
+intitulé: <i>Mémoires du roi Jérôme.</i></p>
+
+<p>On serait en droit de penser que la collection de ces quatre grandes
+publications est de nature à donner l'idée la plus complète de tous
+les faits historiques qui s'accomplirent sous le premier empire, et
+qu'ils mettent entièrement à jour la politique du grand empereur. Il
+n'en est cependant pas réellement ainsi.</p>
+
+<p>Il faut du temps pour débarrasser l'histoire de ses langes.</p>
+
+<p>Tel document publiable à une époque éloignée aurait eu des
+inconvénients à être publié à une époque plus rapprochée. Mais ce
+qui ne pouvait voir le jour il y a quelques années peut paraître
+aujourd'hui.</p>
+
+<p>Tout n'a donc pas été inséré dans les quatre ouvrages publiés sous
+le deuxième empire. Nous pouvons affirmer néanmoins que rien n'a été
+changé dans les documents qui se trouvent aux Mémoires <i>Joseph</i> et
+<i>Eugène</i>, et que l'auteur s'est borné à supprimer quelques phrases
+et à les remplacer par des points; qu'un certain nombre des lettres
+de Napoléon I<sup>er</sup> a été supprimé dans la correspondance de
+l'empereur, principalement celles écrites au roi Louis, père de
+Napoléon III. Quant aux <i>Mémoires du roi Jérôme</i> publiés sous la
+direction de son fils, le prince Napoléon, et sans nom d'auteur,
+nous croyons savoir que cet ouvrage est loin d'avoir la moindre
+prétention à la vérité historique.</p>
+
+<p>Récemment, un volume intitulé: <i>Napoléon et le roi Louis</i> a paru. Il
+renferme la collection presque complète des lettres de l'empereur au
+troisième de ses frères.</p>
+
+<p>Ces ouvrages, qui ont une grande valeur historique, ne font pour
+ainsi dire qu'effleurer plusieurs des grands faits du premier
+empire. Ainsi, dans l'histoire du règne du roi Louis, les démarches
+faites pour changer en royauté la république batave, les
+négociations entreprises pour mener à bien la mission de M. de
+Labouchère à Londres, sont à peine indiquées. Cela vient de ce que
+l'empereur traçait ses intentions à ses agents, à ses ministres, à
+ses frères à grands traits, laissant souvent à ces derniers le soin
+des moyens à prendre pour l'exécution de sa volonté.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pageIII" name="pageIII"></a>(p. III)</span> Nous avons eu la pensée de recourir à la correspondance
+diplomatique de cette époque pour compléter, autant que possible,
+l'histoire des frères de Napoléon I<sup>er</sup> qui est aussi l'histoire de
+la plupart des États de l'Europe. En outre, nous joindrons à ces
+documents un grand nombre des lettres ou portions de lettres omises
+à dessein dans les ouvrages publiés sous le second empire, puis des
+pièces curieuses relatives à ces souverains et complètement
+inconnues.</p>
+
+<p>Cet ouvrage, sorte de complément de ceux qui déjà ont paru, et
+intitulé: <i>Les rois frères de Napoléon</i>, comprend un grand nombre de
+documents inédits relatifs au premier empire.</p>
+
+
+<h1><span class="pagenum"><a id="page001" name="page001"></a>(p. 001)</span> LES FRÈRES<br>
+DE NAPOLÉON I<sup>er</sup></h1>
+
+
+<h2>I.<br>
+<span class="smaller">LE ROI JOSEPH</span></h2>
+<h3>(1797-1808).</h3>
+
+
+<p>Jusqu'au jour où la politique et la raison d'État vinrent se mettre
+en travers de ses affections naturelles, l'empereur Napoléon I<sup>er</sup> se
+montra un frère dévoué, principalement avec Joseph son aîné, qui, à
+la mort de leur père, Charles Bonaparte, était devenu le chef de la
+famille. Né en janvier 1768, Joseph avait dix-huit mois de plus que
+son second frère Napoléon, né lui-même en août 1769. Lors de la
+perte qu'ils firent de leur père, l'un avait donc 17 ans, l'autre 15
+ans et demi.</p>
+
+<p>Jeté de bonne heure au milieu des affaires publiques, devenu un
+personnage politique important, à l'âge où l'on sort à peine de
+l'adolescence, un général renommé à l'âge où l'on ceint à peine une
+épée, Napoléon, de fait le chef de sa famille, voulut associer ses
+frères à sa grandeur. Une fois à la tête du gouvernement, il les
+porta aux premières charges de l'État; empereur, il voulut pour eux
+des trônes, et, pour les y asseoir, prononça la déchéance des
+anciennes familles royales de l'Europe. Mais si l'ambition dominait
+tout chez ce grand capitaine, chez ce puissant génie, ses frères
+n'avaient pas le <span class="pagenum"><a id="page002" name="page002"></a>(p. 002)</span> même amour des grandeurs. Deux d'entre
+eux, Joseph et Louis, esprits modérés et éclairés, n'acceptèrent des
+couronnes qu'après beaucoup d'hésitation, bien plus pour céder aux
+exigences de leur frère, devenu le maître du monde, que pour obéir à
+leurs propres instincts. L'un d'eux, Lucien, se montra toujours
+rebelle à cet égard aux volontés de Napoléon. Il entendait vivre à
+sa guise, sans se plier aux vues de l'empereur. Enfin, le quatrième,
+Jérôme, léger de caractère, ami du plaisir, acceptait volontiers la
+tutelle fraternelle, à la condition de pouvoir puiser sans cesse
+dans le trésor impérial.</p>
+
+<p>Nous allons exposer les relations de Napoléon avec ses frères à
+différentes époques de leur carrière, en rétablissant certaines
+parties de leur correspondance omises à dessein dans les ouvrages
+publiés jusqu'à ce jour.</p>
+
+<p>Commençons par Joseph, l'aîné des Bonaparte, successivement roi de
+Naples et d'Espagne.</p>
+
+<p>Nous croyons inutile de parler des premières années de Joseph
+Bonaparte. Nous allons le prendre au moment où il commença à entrer
+dans la vie politique et à jouer un rôle dans la diplomatie.</p>
+
+<p>À la suite de sa brillante campagne de 1796 en Italie, le général
+Bonaparte, déjà tout-puissant, fit nommer Joseph ambassadeur dans
+les États romains. Celui-ci se rendit à Rome à la fin de 1797.
+Conformément aux instructions de son frère et du Directoire, il fit
+tous ses efforts pour maintenir l'harmonie entre le gouvernement
+pontifical et la France. Il n'y put réussir. Les relations entre les
+deux États s'envenimèrent par la nomination d'un général autrichien
+(Provera), trois fois prisonnier de l'armée de Bonaparte, comme
+commandant de la troupe pontificale. Les justes plaintes de Joseph à
+cette occasion enhardirent d'une autre part les révolutionnaires
+romains, qui se figurèrent que nous ne pouvions faire autrement que
+de les soutenir dans leurs tentatives pour renverser le gouvernement
+pontifical. Cet état de choses amena l'échauffourée du 7 décembre,
+qui coûta la vie au jeune et brillant général Duphot, et nécessita
+le départ de Rome du ministre de la légation de France. Joseph,
+pendant son séjour dans la ville éternelle, échangea avec son frère
+une correspondance intéressante; nous connaissons les lettres de
+Napoléon par le recueil officiel publié sous le second empire; les
+dépêches de Joseph, au contraire, n'ont été imprimées ni dans les
+<i>Mémoires du roi Joseph</i> ni ailleurs; nous choisissons les plus
+curieuses pour les donner ici.</p>
+
+
+<h3><span class="pagenum"><a id="page003" name="page003"></a>(p. 003)</span> I.</h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Rome, 24 fructidor an V (10 septembre 1797).</p>
+<p class="center smcap">Joseph au général en chef Bonaparte.</p>
+
+<p>J'ai reçu, citoyen général, la lettre à laquelle étaient jointes
+ plusieurs pièces relatives à l'arrestation de MM. Angeloni,
+ Bouchard, Oscarelli<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a>, Vivaldi, etc. Les informations que j'ai
+ prises sur eux, depuis que je suis à Rome, sont conformes à l'idée
+ qu'on en donne dans les lettres qui vous ont été envoyées par le
+ citoyen Monge; ils ont manifesté le désir et le projet de changer le
+ gouvernement romain. S'ils ont senti et pensé comme les Brutus et
+ les grands hommes de l'antiquité, ils ont parlé comme des femmes et
+ agi comme des enfants; le gouvernement les a fait arrêter. Comme ils
+ n'avaient point de plan déterminé, on n'a rien trouvé chez eux qui
+ pût les accuser; mais on en avait trouvé cinquante réunis à la villa
+ Médicis; mais la ville entière connaissait les projets dont ils se
+ vantaient sans avoir aucun moyen de les mettre à exécution.</p>
+
+<p>Quelques-uns d'entre eux, et précisément ceux qui, par leurs
+ talents, paraissent être les chefs, étaient munis de certificats
+ honorables de la commission des Arts<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a>; mais ces certificats et la
+ liaison qu'ils ont eue avec les commissaires français, loin d'être
+ cause de leur arrestation, l'ont suspendue durant quelques instants,
+ et l'on n'a procédé contre eux qu'après que le citoyen Cacault eut
+ déclaré que les certificats des commissaires prouvaient pour le
+ passé et non pour l'avenir; qu'ils ne pouvaient d'aucune manière
+ être regardés comme des actes de garantie pour des faits ignorés et
+ absolument étrangers aux commissaires et à tout autre individu
+ français.</p>
+
+<p>Depuis cet événement, on est convaincu dans Rome que les Français
+ n'ont aucun rapport avec ce qui s'est passé, et aucun d'eux n'a
+ éprouvé le moindre désagrément qui puisse le faire croire.</p>
+
+<p>Cependant, j'ai voulu pressentir quelles étaient les intentions du
+ gouvernement sur les individus arrêtés, et surtout sur ceux auxquels
+ vous croyez devoir prendre un certain intérêt: le secrétaire
+ d'État<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a> m'a assuré <span class="pagenum"><a id="page004" name="page004"></a>(p. 004)</span> que Corroux et son frère n'ont point
+ été arrêtés; que le juif Ascarelli venait d'être mis en liberté;
+ qu'il croyait que Vivaldi allait l'être bientôt; que, quant à
+ Angeloni et Bouchard, qui sont les plus compromis, avant la sentence
+ définitive je serais informé de l'état du procès, et que le
+ gouvernement se prêterait à ce que les Français paraîtront désirer.</p>
+
+<p>Je ne pense pas que le système de sang ou d'extrême rigueur qui a
+ prévalu dans quelques États voisins prenne ici; il y a bien quelques
+ prêtres influents du caractère des persécuteurs des Albigeois, mais
+ ils n'osent pas encore se livrer à l'ardeur de la persécution. Le
+ secrétaire d'État, homme doux et honnête, les surveille. Tant qu'il
+ pourra quelque chose, je ne crains pas les scènes de sang; mais il
+ n'a pas, je pense, tout le crédit qu'il mérite.</p>
+
+<p>Il est inutile que j'entre dans plus de détails: il suffit que je
+ vous assure que je ne perdrai pas de vue le sort des personnes
+ arrêtées.</p>
+</div>
+
+
+<h3>II.</h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Rome, 3 vendémiaire an VI (24 septembre 1797).</p>
+<p class="center smcap">Joseph Bonaparte, ambassadeur de la République, au général en chef
+ Bonaparte.</p>
+
+<p>Hier au soir, le pape<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a> a été indisposé; on espérait cependant
+ qu'il serait en état d'aller aujourd'hui, jour de dimanche, à
+ Saint-Pierre; mais la fièvre l'a saisi avec des attaques
+ d'apoplexie; il a reçu le viatique à trois heures après midi. Il est
+ dans ce moment dans un état presque désespéré, et l'on craint qu'il
+ ne résiste pas au redoublement de demain.</p>
+
+<p>Cet événement peut en faire naître plusieurs d'une nature bien
+ différente, selon les impulsions que l'on donnera à l'opinion et aux
+ affaires de cette ville.</p>
+
+<p>Vous connaissez, citoyen général, les instructions qui m'ont été
+ données par le Directoire; mais sa situation, celle de la France et
+ de l'Italie ne sont plus les mêmes.</p>
+
+<p>Si les républicains qui existent à Rome, et dont quelques-uns sont
+ encore arrêtés, s'ébranlent pour tenter un mouvement qui les
+ conduise à la liberté, il est à craindre que Naples ne profite d'un
+ instant d'oscillation pour faire enfin un mouvement réel et pousser
+ ses troupes jusqu'à Rome. Dans ce cas, nul doute que le succès ne
+ fût pour les partisans de la coalition dans Rome.</p>
+
+<p>Naples ne tentera jamais ce mouvement s'il craint d'être prévenu par
+ les troupes françaises. Il serait donc à désirer que vous puissiez
+ faire filer <span class="pagenum"><a id="page005" name="page005"></a>(p. 005)</span> des forces du côté d'Ancône. Dans toutes les
+ hypothèses, leur présence dans un point avoisiné de Rome aura une
+ influence morale ou absolue.</p>
+
+<p>Les cardinaux dont on parle le plus pour les porter au pontificat
+ sont: Albani, Gerdil, piémontais, et Caprara<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>. Le premier paraît
+ avoir le plus d'influence, il est le centre de la faction impériale;
+ Provera, qui, lui, est envoyé ici par le nonce Albani, est un de ses
+ moyens, et il les emploie tous. C'est un homme d'un extérieur
+ séduisant: du tact, de l'usage, point d'instruction, point de talent
+ transcendant, c'est le doyen des cardinaux.</p>
+
+<p>Le cardinal Gerdil passe pour un saint homme, et un théologien
+ consommé. C'est le choix des prêtres non titrés et des dévotes.</p>
+
+<p>Caprara a des talents. Ennemi du pape actuel, il réunit autour de
+ lui les suffrages d'une partie des mécontents du gouvernement
+ d'aujourd'hui. L'Espagne paraît le porter. On croit en général qu'il
+ réunit aussi le v&oelig;u de la France.</p>
+
+<p>Il est impossible qu'avant la réception de votre lettre, je demande
+ officiellement la liberté des prisonniers et l'éloignement du
+ général Provera; cette mesure me sera dictée par les circonstances,
+ si je les juge de nature à l'exiger.</p>
+
+<p>Placé plus au centre des grands intérêts, vous serez plus à même de
+ me faire connaître quelles doivent être les intentions du
+ gouvernement et quels moyens il peut mettre en usage pour les
+ remplir.</p>
+
+<p>Si le pape prolonge son existence, votre lettre me sera extrêmement
+ utile: dans l'hypothèse contraire, je vous enverrai un exprès en
+ poste. Je vous prie de me faire renvoyer sur-le-champ le courrier
+ porteur de la présente.</p>
+
+<p>Il serait peut-être à propos que, pour tous les événements, vous
+ m'envoyassiez quelques officiers.</p>
+</div>
+
+
+<h3>III.</h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Rome, 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797).
+<p class="center smcap">Joseph, ambassadeur, etc., au général en chef Bonaparte.</p>
+
+<p>J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 8 vendémiaire par mon
+ courrier de retour.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page006" name="page006"></a>(p. 006)</span> Vous êtes déjà instruit du rétablissement de la santé du
+ pape.</p>
+
+<p>Le général Provera, que l'on attendait ici depuis longtemps, est
+ encore à Trieste, d'où le consul romain annonce au secrétaire d'État
+ son prochain départ.</p>
+
+<p>J'ai eu une longue conférence avec le cardinal Doria; je lui ai
+ annoncé la volonté précise du gouvernement français de ne pas
+ souffrir au commandement des troupes du pape un général autrichien.
+ Aujourd'hui, il a dû lui écrire pour lui donner l'ordre de suspendre
+ sa marche. Ma déclaration verbale a été un coup de foudre pour lui;
+ je l'ai accompagnée de tous les raisonnements qui en font sentir la
+ justice, et me suis plaint de plusieurs faits qui décèlent la
+ malveillance tacite des meneurs secrets de la cour de Rome. Vous
+ remarquerez que, depuis le ministère du cardinal Rusca, rien n'a
+ changé que lui-même, son esprit y est resté; il dirige tous les
+ travailleurs, commis et autres employés. Le cardinal Doria ne tient
+ point essentiellement à la faction ennemie de la France; c'est un
+ homme dont les manières françaises et la bonne foi ne peuvent plaire
+ ni aux cardinaux ni à ses coopérateurs dans le ministère. Son
+ élévation à ce poste est une preuve qu'il reste encore à Rome une
+ partie de l'ancienne politique ténébreuse de cette cour: elle met en
+ avant un homme honnête et loyal, incapable de soupçonner les
+ intentions perfides de ceux qui gouvernent sous son nom, en le
+ faisant agir dans leur sens, et, lorsqu'ils ne peuvent pas y
+ réussir, en lui faisant forcer la main par le pape, qui déteste son
+ secrétaire d'État.</p>
+
+<p>Les meneurs réels de la cour de Rome sont un monsignor Barberi,
+ procureur fiscal, l'intime des cardinaux Rusca, Albani; Zelada,
+ secrétaire d'État lors du massacre de Basseville; Sparziani, premier
+ commis du secrétaire d'État Rusca, resté dans la même place sous le
+ cardinal Doria; c'est le rédacteur de la correspondance au nonce
+ Albani, que vous fîtes intercepter avant la dernière campagne contre
+ Rome; c'est à cet homme qu'étaient adressées les lettres du comte
+ Gorri-Rossi de Milan, dont vous m'avez envoyé les copies.</p>
+
+<p>Je n'ai point encore réclamé officiellement les Romains détenus
+ depuis deux mois; j'ai épuisé tous les moyens de douceur auprès du
+ secrétaire d'État. Vous concevez, citoyen général, d'après ce que je
+ vous ai dit ci-dessus de la puissance réelle de ce ministre, que je
+ n'ai dû rien obtenir: ce n'est que par des démarches fortes et
+ officielles que l'on peut faire rentrer dans le devoir, amener à des
+ principes de modération les meneurs et les travailleurs subalternes;
+ c'est ce que je n'ai point encore cru devoir faire, d'après votre
+ silence et celui du ministre des relations extérieures<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>, que j'ai
+ consulté sur cet article.</p>
+</div>
+
+
+
+<h3><span class="pagenum"><a id="page007" name="page007"></a>(p. 007)</span> IV.</h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Rome, 5 frimaire an VI (25 novembre 1797).</p>
+<p class="center smcap">Joseph Bonaparte, etc., au général en chef de l'armée d'Italie.</p>
+
+<p>J'ai reçu votre lettre du 24 brumaire. Le général Provera est parti
+ le lendemain du jour de la réception de votre dépêche, sans que
+ j'aie eu besoin de faire pour cet effet de nouvelles démarches
+ auprès du gouvernement de Rome; il s'est retiré à Naples.</p>
+
+<p>Les détenus pour opinion politique ont été presque tous mis en
+ liberté. Je vous ai déjà écrit à ce sujet.</p>
+
+<p>Le cardinal secrétaire d'État sort à l'instant de chez moi; il se
+ plaint de la municipalité d'Ancône, qui a publié l'espèce de
+ manifeste dont vous trouverez ci-joint une copie. Le pape a été très
+ alarmé de sa lecture, et il a ordonné à son ministre de vous
+ dépêcher un courrier et un autre à Paris pour réclamer la
+ restitution d'Ancône; il serait possible que la dépêche dont ce
+ courrier sera porteur vous parvienne avant la présente.</p>
+
+<p>L'officier cisalpin chargé des dépêches du ministre des relations
+ extérieures n'a éprouvé aucune difficulté pour la reconnaissance de
+ la nouvelle République.</p>
+
+<p>Le secrétaire d'État vient de me donner lecture de la lettre qu'il a
+ écrite à ce sujet au ministre des relations extérieures de la
+ République cisalpine, et, à dire le vrai, Sa Sainteté lui en avait
+ donné l'ordre le premier de ce mois, d'après les instances du
+ cardinal et ce que je lui en avais dit moi-même dans la dernière
+ audience.</p>
+
+<p>Vous saurez sans doute que le duc de Parme s'est enfin décidé à
+ consentir au projet d'échange auquel l'Espagne paraît tenir
+ beaucoup: c'est M. le comte de Valde Pariso, ministre d'Espagne près
+ l'infant, qui le mande à M. le chevalier Azara. Il est à désirer que
+ la détermination de ce prince ne soit pas trop tardive, et que l'on
+ soit à temps pour traiter avec le roi de Sardaigne.</p>
+
+<p>Je ne vous envoie pas encore votre courrier, n'ayant rien de très
+ pressant à vous marquer.</p>
+</div>
+
+<p>Après son retour à Paris en décembre 1797, à la suite du meurtre du
+général Duphot, Joseph reçut du Directoire l'offre de l'ambassade de
+Berlin qu'il refusa pour entrer au conseil des Cinq-Cents dont il
+venait d'être nommé membre par le collège du département du Liamone
+<span class="pagenum"><a id="page008" name="page008"></a>(p. 008)</span> (Corse). Napoléon étant parti pour l'expédition d'Égypte,
+les deux frères entrèrent de nouveau en correspondance.</p>
+
+<p>Le 25 juillet 1798, Napoléon, étant au Caire, eut connaissance par
+des lettres de Paris des bruits qui couraient sur Joséphine. Il en
+éprouva un violent chagrin et écrivit à son frère Joseph la lettre
+ci-dessous qui n'a pas été insérée dans la correspondance de
+l'empereur et ne l'a été qu'en partie dans les <i>Mémoires du roi
+Joseph</i>. La voici tout entière:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Tu verras dans les papiers publics le résultat des batailles et la
+ conquête de l'Égypte qui a été assez disputée pour ajouter une
+ feuille à la gloire militaire de cette armée. L'Égypte est le pays
+ le plus riche en blé, riz, légumes, viande, qui existe sur la terre;
+ la barbarie y est à son comble. Il n'y a point d'argent, pas même
+ pour solder les troupes. Je puis être en France dans deux mois.&mdash;Je
+ te recommande mes intérêts.&mdash;J'ai beaucoup de chagrin domestique,
+ car le voile est entièrement levé. Toi seul me restes sur la terre,
+ ton amitié m'est bien chère, il ne me reste plus pour devenir
+ misanthrope qu'à la perdre et te voir me trahir... C'est une triste
+ position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même
+ personne dans un seul c&oelig;ur... Tu m'entends.</p>
+
+<p>Fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit près de
+ Paris ou en Bourgogne; je compte y passer l'hiver et m'y enfermer,
+ je suis ennuyé de la nature humaine! J'ai besoin de solitude et
+ d'isolement, les grandeurs m'ennuient, le sentiment est desséché. La
+ gloire est fade. À 29 ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus
+ qu'à devenir bien vraiment égoïste! Je compte garder ma maison,
+ jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n'ai plus que de quoi
+ vivre! Adieu, mon unique ami; je n'ai jamais été injuste envers toi!
+ Tu me dois cette justice malgré le désir de mon c&oelig;ur de l'être...
+ Tu m'entends! Embrasse ta femme, Jérôme.</p>
+</div>
+
+<p>Au mois d'octobre 1802, Napoléon, qui déjà songeait à faire
+participer avec lui ses frères aux affaires de l'État, écrivit à
+Joseph une courte lettre dans laquelle se reflètent ses pensées sur
+son frère aîné. La voici; elle n'a pas encore été publiée.</p>
+
+<p class="lettre">J'estime qu'il est utile à l'État et à moi que vous acceptiez la
+ place de chancelier, si le Sénat vous y présente. Je jugerai le cas
+ que je dois faire de votre attachement et de vous, par la conduite
+ que vous tiendrez.</p>
+
+<p>Dans le premier volume des <i>Mémoires du roi Joseph</i>, on trouve un
+fragment historique que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait écrit
+pendant son séjour en Amérique. Il comprend la période qui s'écoule
+de la naissance de Joseph à son arrivée à Naples (1806). À <span class="pagenum"><a id="page009" name="page009"></a>(p. 009)</span>
+la page 97, il est question de la mort du duc d'Enghien. On a
+supprimé de ce fragment les lignes suivantes que nous rétablissons:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma mère était tout en larmes, et adressait les plus vifs reproches
+ au premier consul qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que
+ c'était une action atroce dont il ne pourrait jamais se laver, qu'il
+ avait cédé aux conseils perfides de ses propres ennemis, enchantés
+ de pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page si horrible. Le
+ premier consul se retira dans son cabinet, et peu d'instants après
+ arriva Caulaincourt qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné de la
+ douleur de ma mère qui se hâta de lui en apprendre le sujet. À cette
+ fatale nouvelle, Caulaincourt se frappa le front et s'arracha les
+ cheveux en s'écriant: «Ah! pourquoi faut-il que j'aie été mêlé dans
+ cette funeste expédition!»</p>
+
+<p>Vingt ans se sont écoulés depuis cet événement et je me souviens
+ très bien que plusieurs des personnes qui cherchent aujourd'hui à se
+ laver d'y avoir pris part, s'en vantaient alors comme d'une fort
+ belle chose, et approuvaient hautement cet acte. Pour moi, j'en fus
+ très peiné à cause du respect et de l'attachement que je portais au
+ premier consul; il me parut que sa gloire en était flétrie.</p>
+
+<p>Quelques jours après, ma mère me dit qu'elle avait été assez
+ heureuse pour faire parvenir à une dame que le prince affectionnait,
+ son chien et quelques effets qui lui avaient appartenu.</p>
+
+<p>J'arrive maintenant au grand et important événement qui plaça la
+ couronne impériale sur la tête du premier consul; il s'écoula
+ plusieurs mois entre son élection et le couronnement. Pendant ce
+ temps, l'empereur, voulant entourer le trône de toute la dignité et
+ de tout le respect nécessaire au pouvoir monarchique, rétablit
+ l'ancienne étiquette et la fit observer avec soin. Dès ce moment je
+ cessai d'avoir des relations aussi intimes avec lui, et pendant
+ quelque temps je me trouvai par mon grade et par mes fonctions
+ relégué dans le salon d'attente le plus éloigné de ses appartements.</p>
+
+<p>Je n'en murmurai point et je concevais parfaitement que cela dût
+ être ainsi. Mais il ne manqua pas de gens, courtisans ou autres,
+ qui, sous le masque de l'intérêt, blâmèrent cette manière d'être de
+ Napoléon à mon égard.</p>
+</div>
+
+<p>En 1805, pendant que l'empereur Napoléon combattait les empereurs
+d'Autriche et de Russie en Allemagne, Joseph, resté à Paris avec
+pleins pouvoirs de son frère, écrivit le 19 novembre à ce dernier la
+lettre ci-dessous, omise dans la <i>Correspondance</i> et les <i>Mémoires</i>:</p>
+
+<p class="lettre">
+ Jérôme est parti hier. J'avais dû lui donner lors de son premier
+ départ, il y a vingt jours, quarante mille francs. J'ai dû lui en
+ procurer <span class="pagenum"><a id="page010" name="page010"></a>(p. 010)</span> soixante mille avant-hier, pour qu'il pût partir.
+ Il lui aurait été impossible sans cette somme de quitter Paris. Si
+ Votre Majesté veut faire donner l'ordre de me rembourser cette somme
+ de cent mille francs, elle me fera plaisir, parce que je ne suis pas
+ dans le cas d'en faire longtemps l'avance à Jérôme. Je suis honteux
+ d'entretenir Votre Majesté d'un si petit détail.</p>
+
+<p>Napoléon trouva fort mauvais ce qu'avait fait Joseph et lui répondit
+de Sch&oelig;nbrunn, le 13 décembre 1805, la lettre suivante, également
+omise:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, j'ai lieu d'être surpris que vous ayez tiré des mandats
+ sur un préposé de ma liste civile. Je ne veux rien donner à Jérôme
+ au-delà de sa pension; elle lui est plus que suffisante et plus
+ considérable que celle d'aucun prince de l'Europe. Mon intention
+ bien positive est de le laisser emprisonner pour dettes, si cette
+ pension ne lui suffit pas. Qu'ai-je besoin des folies qu'on fait
+ pour lui à Brest? C'est de la gloire qu'il lui faut et non des
+ honneurs. Il est inconcevable ce que me coûte ce jeune homme pour ne
+ me donner que des désagréments et n'être bon à rien à mon système.
+ Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.</p>
+
+<p>Votre très-affectionné frère.</p>
+</div>
+
+<p>Joseph, voyant que son frère s'était mépris en partie sur ce qui
+avait été fait à l'égard de Jérôme, écrivit de Paris le 22 décembre
+1805:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, j'ai reçu la lettre de Votre Majesté du 22 frimaire,
+ relativement à Jérôme. V. M. a été induite en erreur, je ne me suis
+ pas permis de tirer des mandats sur aucun des préposés de sa liste
+ civile, seulement j'ai demandé à M. Lemaître, préposé du trésorier,
+ s'il trouvait des inconvénients à avancer à Jérôme quatre mois de sa
+ pension; sur son hésitation, je lui ai dit que si M. Estève le
+ trouvait mal, je ferais remettre cette somme dans sa caisse
+ sur-le-champ. Voilà le fait. V. M. est trop juste pour ne pas voir
+ que je n'ai rien pris sur moi qui pût lui déplaire. Jérôme ne
+ pouvait partir sans argent et mon intendant n'avait pas un sol que
+ je puisse lui donner dans ce moment, au-delà des quarante mille
+ francs que je lui ai donnés précédemment.</p>
+
+<p>Je me suis plaint tout le premier au ministre de la police du
+ journaliste qui avait parlé des honneurs qu'on lui rendait. Sur mon
+ ordre, le ministre a fait défense aux autres journalistes de copier
+ cet article qui effectivement n'a pas été répété depuis.</p>
+
+<p>J'ai fait la même plainte au ministre de la marine qui m'a dit qu'il
+ <span class="pagenum"><a id="page011" name="page011"></a>(p. 011)</span> avait une lettre de Jérôme qui démentait les assertions du
+ journaliste et qu'il était très satisfait de lui<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>.</p>
+
+<p>Je suis, etc.</p>
+</div>
+
+<p>Jusqu'alors aucun différend un peu sérieux ne s'était élevé entre
+les deux frères. Napoléon écrivait avec quelque rudesse à son aîné,
+mais toujours en lui montrant une grande affection. Ce fut quelque
+temps après la création de l'empire et les succès de la campagne de
+1805, lorsque la politique fut en jeu, que survint la première
+mésintelligence sérieuse.</p>
+
+<p>Napoléon, une fois sur le trône, voulut mettre une couronne sur la
+tête de Joseph et songea à fonder le royaume de Lombardie. L'aîné
+des Bonaparte, peu ambitieux de sa nature, refusa obstinément,
+donnant pour prétexte que son frère n'ayant pas d'enfant de son
+mariage avec Joséphine, il ne voulait pas aliéner ses droits sur la
+couronne de son propre pays. En vain l'empereur essaya-t-il de le
+faire revenir sur cette résolution, Joseph s'obstina, et le royaume
+d'Italie ayant été fondé, le beau-fils de Napoléon, le prince Eugène
+de Beauharnais, en fut nommé vice-roi par l'empereur. Toutefois, ce
+n'était qu'une étape dans les vastes projets du conquérant.
+Immédiatement après la bataille d'Austerlitz et le traité de
+Presbourg, dès qu'il eut lancé de son camp impérial de Sch&oelig;nbrunn
+(27 décembre 1805) le manifeste par lequel il déclarait à la face de
+l'Europe que les Bourbons de Naples avaient cessé de régner sur
+cette partie de l'Italie, Napoléon nomma Joseph son
+lieutenant-général dans le sud de la Péninsule, mit sous ses ordres
+l'armée française destinée à faire la conquête de ce royaume, bien
+décidé, une fois que son frère serait à Naples, à mettre la couronne
+des Deux-Siciles sur sa tête. Il laissa donc d'abord Joseph faire la
+conquête et entrer à Naples; puis, ce prince ayant demandé à avoir
+auprès de lui pour les attacher à son service deux personnes qui lui
+inspiraient une grande confiance, une véritable amitié, les
+conseillers d'État Miot de Mélito et R&oelig;derer, l'empereur les lui
+envoya. Avant d'expédier le premier, il le fit venir dans son
+cabinet et lui dit:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Vous allez partir pour rejoindre mon frère. Vous lui direz que je le
+ <span class="pagenum"><a id="page012" name="page012"></a>(p. 012)</span> ferai roi de Naples, qu'il restera Grand Électeur et que
+ je ne changerai rien à ses rapports avec la France; mais dites-lui
+ bien aussi qu'il ne faut ni hésitation ni incertitude. J'ai dans le
+ secret de mon sein un autre tout nommé pour le remplacer, s'il
+ refuse. Je l'appellerai Napoléon. Il sera mon fils. C'est la
+ conduite de Joseph à Saint-Cloud, son refus d'accepter la couronne
+ de Lombardie, qui m'a fait nommer Eugène mon fils. Je suis résolu à
+ en faire un autre s'il m'y force encore. <i>Tous les sentiments
+ d'affection cèdent maintenant à la raison d'État. Je ne connais pour
+ parents que ceux qui me servent.</i> Ce n'est point au nom de Bonaparte
+ qu'est attachée ma famille, c'est au nom de Napoléon. Je n'ai pas
+ besoin d'une femme pour avoir un héritier. C'est avec ma plume que
+ je fais des enfants<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>. Je ne puis aimer aujourd'hui que ceux que
+ j'estime. Tous ces liens, tous ces rapports d'enfance, il faut que
+ Joseph les oublie; qu'il se fasse estimer; qu'il acquière de la
+ gloire; qu'il se fasse casser une jambe; qu'il ne redoute plus la
+ fatigue; ce n'est qu'en la méprisant qu'on devient quelque chose.
+ Voyez, moi, la campagne que je viens de faire, l'agitation, le
+ mouvement m'ont engraissé. Je crois que si tous les rois de l'Europe
+ se coalisaient contre moi, je gagnerais une panse ridicule.</p>
+
+<p>Je donne à mon frère une bonne occasion. Qu'il gouverne sagement et
+ avec fermeté ses nouveaux États; qu'il se montre digne du trône que
+ je lui donne. Mais, ce n'est rien d'être à Naples où vous le
+ trouverez sans doute arrivé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de
+ résistance; il faut conquérir la Sicile. Qu'il pousse cette guerre
+ avec vigueur; qu'il paraisse souvent à la tête de ses troupes; qu'il
+ soit ferme, c'est le seul moyen de s'en faire aimer. Je lui
+ laisserai 14 régiments d'infanterie, 5 brigades de cavalerie, à peu
+ près 40,000 hommes. Qu'il m'entretienne cette partie de mon armée,
+ c'est la seule contribution que je lui demande. Surtout, qu'il
+ empêche X..... de voler. Je veux que ce qu'il fera payer aux peuples
+ du royaume de Naples tourne au profit de mes troupes et ne vienne
+ pas engraisser des fripons. Ce qui a été fait dans les États
+ vénitiens est épouvantable. Ce n'est point une affaire terminée.
+ Qu'il le renvoie donc à la première preuve qu'il aura de
+ malversation.</p>
+
+<p>Quant à R&oelig;derer, je n'ai pas voulu le refuser à mon frère. C'est
+ un homme d'esprit qui pourra lui être utile. Il est déjà assez
+ riche. Que mon frère ne laisse pas déshonorer son caractère.</p>
+
+<p>Vous avez entendu, je ne puis plus avoir de parents dans
+ l'obscurité. <span class="pagenum"><a id="page013" name="page013"></a>(p. 013)</span> Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne
+ seront plus de ma famille. <i>J'en fais une famille de rois qui se
+ rattacheront à mon système fédératif.</i></p>
+</div>
+
+<p>Ce discours familier tenu par Napoléon à l'ami, à l'un des futurs
+ministres de Joseph, nous paraît résumer la pensée intime de
+l'empereur et la ligne de conduite qu'il était décidé, dès ce jour,
+à suivre avec ses frères. Nous allons voir du reste qu'il ne s'en
+écarta plus.</p>
+
+<p>Les recommandations relatives à X....., l'empereur les adressa à son
+frère à plusieurs reprises, notamment dans une lettre datée du 2
+mars 1806. Dans cette dépêche, un passage supprimé dans les
+<i>Mémoires du roi Joseph</i> a été rétabli dans la <i>Correspondance de
+l'empereur</i> (page 146, 12<sup>e</sup> volume). Le voici: «Soyez inflexible
+pour les voleurs. X..... est haï de toute l'armée; vous devez bien
+vous convaincre aujourd'hui que cet homme n'a pas l'élévation
+nécessaire pour commander des Français.»</p>
+
+<p>L'empereur, dans une autre lettre à Joseph, exigea que ce dernier
+fit rendre les millions pris dans les États vénitiens. Cette lettre,
+en date du 12 mars, contient le passage suivant:</p>
+
+<p class="lettre">«X..... et Solignac ont détourné six millions quatre cent mille
+ francs, il faut qu'ils rendent jusqu'au dernier sou.» En la
+ recevant, Joseph, très-lié avec X....., le fit venir et lui demanda
+ de restituer de bonne grâce les millions qu'il avait détournés.
+ X..... ne paraissait pas disposé à ce sacrifice. «Écoute, lui dit le
+ roi de Naples, prends garde; tu connais mon frère, il te fera
+ fusiller. Si donc tu ne veux pas rendre l'argent, embarque-le avec
+ toi sur le navire américain en ce moment dans le port de Naples et
+ file dans le Nouveau-Monde. Si tu veux rendre, je te promets de te
+ faire donner par l'empereur une partie de ce que tu restitueras.»
+ X..... consentit enfin. Quelque temps après eut lieu la prise de
+ Gaëte. Reynier était fort embarrassé dans les Calabres. Joseph
+ demanda à X..... de s'y porter avec 30 mille hommes. X..... commença
+ par refuser si on ne lui laissait pas la faculté d'agir dans ce pays
+ comme bon lui semblait. En vain Joseph lui promit de lui faire
+ donner par l'empereur lui-même une grosse somme, il voulut rester
+ libre de faire ce qui lui conviendrait.</p>
+
+<p>Cela n'empêchait pas Napoléon de rendre justice au mérite de X.....;
+aussi écrivait-il au prince Eugène, le 30 avril 1809, après la
+bataille de Sacile: «X..... a des talents militaires devant lesquels
+<span class="pagenum"><a id="page014" name="page014"></a>(p. 014)</span> il faut se prosterner. Il faut oublier ses défauts, car
+tous les hommes en ont, etc.» Mais revenons à Joseph.</p>
+
+<p>Pendant presque tout le règne à Naples du frère aîné de l'empereur,
+les relations entre les deux souverains furent affectueuses, surtout
+pendant l'année 1806. De temps à autre, néanmoins, Napoléon lançait
+dans ses lettres quelques mots de blâme à Joseph. Ainsi, le 24 juin
+1806, il lui écrit de Saint-Cloud la lettre ci-dessous, omise dans
+la <i>Correspondance</i> et aux <i>Mémoires</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai reçu votre lettre du 15 juin. Je vous prie de bien croire que
+ toutes les fois que je critique ce que vous faites, je n'en apprécie
+ pas moins tout ce que vous avez fait<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a>.</p>
+
+<p>Je vois avec un grand plaisir la confiance que vous avez inspirée à
+ toute la saine partie de la nation.</p>
+
+<p>Je ne sais s'il y a beaucoup de poudre à Ancône et à Civita-Vecchia,
+ mais j'ai ordonné que, s'il y en avait, on vous en envoyât
+ sur-le-champ.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande est arrivé à La Haye, il a été reçu avec grand
+ enthousiasme.</p>
+
+<p>Je vous ai déjà écrit pour l'expédition de Sicile qu'il fallait
+ débarquer la première fois en force.</p>
+
+<p>Je vous prie de mettre l'heure de départ de vos lettres, afin que je
+ voie si l'estafette fait son devoir, etc.</p>
+</div>
+
+<p>La reine Julie n'avait pu encore rejoindre son mari avec ses
+enfants; le roi l'attendait avec impatience, et l'empereur désirait
+son départ. Joseph lui écrivit la lettre suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma chère Julie, j'ai reçu ta lettre du 11; je sais que ta santé
+ n'est pas bonne, pourquoi t'obstines-tu à aller le dimanche et le
+ lundi aux Tuileries? tu dois rester chez toi et ne t'occuper que du
+ rétablissement de ta santé; tu sais que rien ne lui est plus
+ nuisible que les veilles et la contrariété; reste donc chez toi avec
+ tes filles et ta s&oelig;ur et tes nièces, amuse-toi avec elles, fais
+ des contes à Zénaïde, à Lolotte et à Oscar<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a> et pense que c'est
+ tout ce que tu peux faire de mieux pour elles, pour toi et pour moi,
+ puisque tu rattrapes par là ta santé.</p>
+
+<p>Tout va bien ici, la ville est tranquille, je m'occupe beaucoup des
+ affaires et je vois avec plaisir que ce n'est pas sans succès; je
+ ferai l'expédition de Sicile dès que j'en aurai les moyens, mais tu
+ ne dois <span class="pagenum"><a id="page015" name="page015"></a>(p. 015)</span> avoir aucune inquiétude pour moi. Cela fait, s'il
+ entrait dans les arrangements de l'empereur de marier Zénaïde ou
+ Charlotte avec Napoléon<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a> au lieu d'un étranger, je m'estimerai
+ heureux si, par l'adoption de notre neveu, l'empereur réunissait sur
+ lui seul toutes ses affections, sans que mon honneur en fût blessé;
+ je demanderai d'être, moi, l'organe de sa volonté au Sénat; par ce
+ moyen je reviendrai vivre avec toi à Mortefontaine, et je
+ m'arracherai, avec plaisir, à cette vie que je ne mène que pour
+ obéir à l'empereur, soit qu'il me voulût à la tête d'une armée, soit
+ que s'y mettant lui-même, il me laissât le soin d'être l'organe de
+ sa volonté à Paris comme il l'a déjà fait une fois. Je crois que
+ l'intérêt de toute la famille, de l'empereur surtout, qui reste seul
+ exposé aux complots ennemis, toutes ces affections de mon c&oelig;ur se
+ trouveraient réunies dans ce projet.</p>
+
+<p>Il est plus que probable que nous n'aurons pas de garçons; d'après
+ cela, qu'y a-t-il de plus glorieux pour moi que de centraliser avec
+ l'empereur toutes nos affections sur le même enfant qui devient
+ aussi le mien? Je crois que tu pourrais en dire deux mots à
+ l'empereur, s'il t'en offre l'occasion.</p>
+
+<p>Je le répète, il ne doit pas rester seul à Paris, la Providence m'a
+ fait exprès pour lui servir de sauvegarde, aimant le repos, pouvant
+ supporter l'activité, méprisant les grandeurs et pouvant porter leur
+ fardeau avec succès; quelles que soient les brouilleries qui ont
+ existé entre l'empereur et moi, il est vrai de dire, ma chère amie,
+ que c'est encore l'homme du monde que j'aime le mieux. Je ne sais
+ pas si un climat, des rivages en tout semblables à ceux que j'ai
+ habités avec lui m'ont rendu toute ma première âme pour l'ami de mon
+ enfance, mais il est vrai de dire que je me surprends pleurant mes
+ affections de 20 ans comme celles de quelques mois; si tu ne peux
+ pas venir tout de suite, envoie-moi Zénaïde; je donnerais tous les
+ empires du monde pour une caresse de ma grande Zénaïde et une
+ caresse de ma petite Lolotte; quant à toi, tu sais bien que je
+ t'aime comme leur mère et comme j'aime ma femme; si je puis réunir
+ une famille dispersée et vivre dans le sein de la mienne, je serai
+ content et je m'adonne à remplir toutes les missions que l'empereur
+ me donnera, comme général, gouverneur, pourvu qu'elles soient
+ temporaires, et que je conserve l'espoir de mourir dans un pays où
+ j'ai toujours voulu vivre.</p>
+
+<p>Je ne sais pas pourquoi je n'écris pas ceci à l'empereur, mais ce
+ sera la même chose si tu lui donnes cette lettre à lire, et je ne
+ vois pas pourquoi je ne lui donnerais pas mon âme à voir tout comme
+ à toi-même.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page016" name="page016"></a>(p. 016)</span> Le 28 juillet 1806, Napoléon, dans une autre lettre,
+reproche au roi Joseph sa trop grande douceur et termine par cette
+phrase: «Ce serait vous affliger inutilement que de vous dire tout
+ce que je pense.» Et un <i>post-scriptum</i>: «Au milieu de tout cela,
+portez-vous bien, c'est le principal.»</p>
+
+<p>Le 9 août, Napoléon dit à son frère, au milieu d'une longue lettre:
+«Votre correspondance est régulière mais insignifiante.» Le 12
+novembre 1806, ayant appris que Joseph montrait quelquefois ses
+lettres à ses amis, il termine celle qu'il lui écrit ce jour-là de
+la manière suivante: «Peut-être ai-je tort de vous dire cela, mais
+si vous montrez mes lettres pour des choses indifférentes, j'espère
+que celle-ci sera oubliée par vous, immédiatement après que vous
+l'aurez lue.»</p>
+
+<p>L'idée favorite de Napoléon était d'imposer à l'Europe un système
+fédératif de rois pris dans sa famille. Il avait placé
+successivement Joseph sur le trône de Naples, Louis sur le trône de
+Hollande, Jérôme sur celui de Westphalie. Roi d'Italie, il avait
+fait son beau-fils, Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un seul de ses
+frères, Lucien, persistait à se montrer rebelle à l'attrait du
+pouvoir suprême, préférant au sceptre une vie de famille douce et
+paisible. Depuis 1803, il vivait à Rome dans une sorte d'exil, marié
+à une femme qui lui convenait, mais que Napoléon ne voulait pas
+reconnaître pour sa belle-s&oelig;ur. Un mot sur l'existence de Lucien
+jusqu'à son entrevue avec l'empereur à Mantoue, en 1807.</p>
+
+<p>Lucien était né à Ajaccio le 21 mars 1775. Obligé de se réfugier en
+France par suite de la proscription que Paoli avait fait prononcer
+contre la famille Bonaparte, Lucien, dont la mère était complètement
+ruinée, sollicita et obtint un emploi dans l'administration des
+subsistances de l'armée des Alpes-Maritimes, et, peu de temps après,
+la place de garde-magasin des subsistances militaires de
+Saint-Maximin, dans le département du Var. Reçu membre et bientôt
+élu président de la Société populaire de cette ville, Lucien épousa
+M<sup>lle</sup> Christine Boyer, qui appartenait à une famille peu aisée mais
+très honorable du pays. Nommé à la fin de 1795 commissaire des
+guerres, il fut envoyé deux ans et demi après, par le département de
+Liamone, au Conseil des Cinq-Cents en qualité de député de la Corse.</p>
+
+<p>Lucien n'avait alors que vingt-trois ans: l'âge légal exigé par la
+Constitution était vingt-cinq ans; mais la commission chargée de la
+vérification des pouvoirs, soit par sympathie pour le nouveau
+membre, <span class="pagenum"><a id="page017" name="page017"></a>(p. 017)</span> soit par considération pour le général Bonaparte
+qui venait de conquérir l'Italie, passa sur l'illégalité de sa
+nomination.</p>
+
+<p>Lucien était né orateur: quelques jours lui suffirent pour faire
+apprécier la puissance de sa parole. Il combattit avec force et
+succès le Directoire, et ne cessa de signaler à la France les
+conséquences inévitables des violations journalières faites à la
+Constitution. Ce fut lui qui fit accorder des secours aux veuves et
+aux enfants des soldats morts sur le champ de bataille, qui fit
+repousser l'impôt que le gouvernement voulait établir sur le sel et
+sur les denrées de première nécessité, et qui décida le Conseil, le
+22 septembre 1798, à renouveler son serment de fidélité à la
+Constitution de l'an III. Convaincu qu'il sauvait la République en
+arrachant le pouvoir aux hommes du Directoire, Lucien, qui venait
+d'être porté à la présidence des Cinq-Cents, seconda de toutes ses
+forces le projet de son frère Napoléon. Ce fut lui qui décida, par
+l'énergie de son caractère et la puissance de sa parole, le succès
+des journées du 18 et du 19 brumaire. Nommé membre du Tribunat,
+institué par la constitution consulaire, et peu de temps après
+ministre de l'intérieur en remplacement de Laplace, Lucien déploya
+dans cette nouvelle position toutes les ressources de son esprit, et
+marqua son ministère par plusieurs actes importants. Ce fut sous son
+administration que les préfectures furent définitivement organisées
+et que les arts et les sciences, négligés par le gouvernement
+directorial, attirèrent de nouveau l'attention et la sollicitude du
+pouvoir. Envoyé en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire
+de la République, il décida Charles IV à s'allier étroitement à la
+France, força le Portugal à signer, le 29 novembre 1801, le traité
+de Badajoz, conclut avec les deux pays plusieurs conventions très
+avantageuses à la France, et prit enfin une part importante à la
+création du royaume d'Étrurie et à la cession faite à la France des
+duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla.</p>
+
+<p>Rentré en France au commencement de 1802, Lucien fut chargé par son
+frère de présenter le Concordat à la sanction du Tribunat; il
+prononça, à cette occasion, un discours remarquable, dont la sagesse
+et la modération furent louées par tout le monde. Le 18 mai suivant,
+il fit adopter le projet d'institution de la Légion d'honneur; son
+discours, plein de vues supérieures, obtint les applaudissements de
+toute l'assemblée. Lucien fut nommé grand officier et membre du
+grand conseil d'administration de l'ordre et enfin membre du Sénat.
+Peu de temps après, l'Institut national, réorganisé sous ses
+auspices <span class="pagenum"><a id="page018" name="page018"></a>(p. 018)</span> par décret du 3 février 1803, l'élisait membre de
+la classe des langues et de la littérature.</p>
+
+<p>Lucien aimait réellement la République; il y voyait le salut de la
+France et le seul gouvernement compatible avec les circonstances.
+Ses vues différaient de celles du premier consul, et plus d'une fois
+cette différence avait provoqué de violentes discussions entre les
+deux frères. Également tenaces, également convaincus de la
+supériorité de leurs idées, Napoléon et Lucien défendirent leurs
+opinions politiques avec la même force; et, comme on devait le
+prévoir, n'ayant pu se convaincre mutuellement, ils se brouillèrent.
+Une affaire de famille acheva de séparer les deux frères. Lucien
+avait perdu sa femme, à peine âgée de vingt-six ans. Il voulait
+épouser M<sup>me</sup> Alexandrine de Bleschamp, alors une des femmes les plus
+belles et les plus spirituelles de Paris, veuve de M. Jouberthon,
+mort à Saint-Domingue où il avait suivi l'expédition du général
+Leclerc. Le premier consul, soit qu'il prévît les grandes destinées
+réservées à ses frères et s&oelig;urs, soit qu'il eût des vues secrètes
+pour Lucien, voulut s'opposer au mariage de son puîné; mais Lucien
+épousa malgré lui la femme qu'il avait choisie. La rupture fut alors
+complète entre les deux frères. Lucien quitta la France au mois
+d'avril 1804, et alla se fixer à Rome, où il fut accueilli avec la
+plus haute bienveillance par le vénérable Pie VII.</p>
+
+<p>L'empereur cependant n'avait pas renoncé à faire rentrer dans son
+système le seul de ses frères qui s'obstinât à ne pas s'y associer.
+Il fit faire officieusement par Joseph des avances à Lucien,
+lorsqu'à la fin de 1807, il se rendit lui-même à Milan pour ceindre
+la couronne de fer. Joseph, ayant vu Lucien à Modène, écrivit de
+cette ville à l'empereur, le 11 décembre 1807:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai rencontré Lucien à Modène; il était fort empressé de se rendre
+ auprès de vous, surtout d'après les dispositions de bonté dans
+ lesquelles je lui ai dit que vous étiez pour lui et pour celle de
+ ses enfants en âge d'être établie. Il vient vous en remercier et il
+ est décidé à l'envoyer à Paris dès que vous le jugerez nécessaire.</p>
+
+<p>Il persiste dans les assurances qu'il m'avait déjà données à mon
+ passage à Rome que, content de son état, il ne désirait en sortir
+ qu'autant que cela pourrait être utile aux vues de Votre Majesté sur
+ sa dynastie et compatible avec le devoir qu'il s'est imposé de ne
+ point abandonner une femme qu'il ne dépend plus de lui aujourd'hui
+ de ne pas avoir, qui lui a donné quatre enfants et dont il n'a qu'à
+ se louer infiniment depuis qu'il vit avec elle.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page019" name="page019"></a>(p. 019)</span> Quelles que soient les observations que je lui aie faites;
+ quelque fortes que m'aient semblé les raisons que je lui ai données,
+ je n'ai pu en tirer autre chose sinon qu'il avait mis son honneur à
+ ne désavouer ni sa femme, ni ses enfants, et qu'il lui était
+ impossible de se déshonorer, ne fût-ce qu'à ses propres yeux. Du
+ reste, prêt à saisir tous les moyens qu'il vous plairait de lui
+ offrir pour sortir de l'état de nullité dans lequel il est. Il
+ trouve juste que vous ne lui donniez aucun droit à l'hérédité en
+ France, puisque vous ne reconnaissez pas les enfants nés de son
+ mariage; mais qu'il lui semblait que dans un établissement étranger,
+ les considérations politiques n'étaient pas les mêmes et que votre
+ indulgence pourrait bien laisser partager cet établissement, quel
+ qu'il fût, à sa femme et à ses enfants.</p>
+
+<p>Sur ce qu'il m'a dit qu'ils étaient sur le point de se mettre en
+ route pour aller se jeter à vos pieds, je l'en ai dissuadé et l'ai
+ engagé à envoyer un courrier qui suspendît leur départ.</p>
+
+<p>Je suis fâché de n'avoir pas autre chose à vous apprendre; mais Dieu
+ est grand et miséricordieux et je reconnais tous les jours davantage
+ qu'avec autant de bonté que moi, vous avez tant de ressources dans
+ l'esprit que tout ce dont vous vous mêlez doit réussir. Je fais bien
+ des v&oelig;ux pour cela.</p>
+</div>
+
+<p>À la réception de cette lettre, Napoléon fit dire à Lucien de se
+rendre à Mantoue où lui-même irait le trouver.</p>
+
+<p>Les deux frères se revirent après quatre ans de séparation.
+Napoléon, nous l'avons dit, regrettait l'éloignement de Lucien et
+par raison politique et par esprit de famille. Il n'avait pas
+renoncé à obtenir de lui une modification dans sa ligne de conduite,
+en s'adressant de nouveau à son ambition. Mais il voulait d'abord le
+détacher de sa femme comme il l'avait fait pour Jérôme, époux de
+l'Américaine Patterson.</p>
+
+<p>Les deux frères arrivèrent à Mantoue le 13 décembre 1807, presque au
+même moment. À peine arrivé, Lucien se rendit au palais et monta à
+l'appartement de l'empereur, qui vint au-devant de lui en lui
+tendant la main avec émotion. Lucien la baisa, puis les deux frères
+s'embrassèrent. Restés seuls, Napoléon aborda franchement la
+conversation et fit connaître ses projets sans le moindre détour. Le
+royaume d'Italie fut offert à Lucien; mais celui-ci, sans dire qu'il
+accepterait dans aucun cas, fit observer à son frère que, roi de ce
+pays, il exigerait immédiatement l'évacuation des troupes françaises
+et suivrait la politique qui lui semblerait la plus profitable à la
+nation italienne. C'était suffisamment dire qu'il régnerait pour lui
+et non suivant <span class="pagenum"><a id="page020" name="page020"></a>(p. 020)</span> les vues de Napoléon; cela ne pouvait
+convenir à l'empereur. Celui-ci lui offrit alors le grand-duché de
+Toscane. Sans se prononcer sur cette proposition, Lucien répondit
+que, s'il devenait duc de Toscane, il marcherait sur les traces de
+Léopold, dont la mémoire était restée si chère aux Toscans. En
+d'autres termes, il déclarait cette fois encore qu'il ne
+gouvernerait que dans l'intérêt de ses sujets. Du reste, dans la
+pensée de Napoléon, l'offre de la Toscane, comme celle de la
+couronne d'Italie, était subordonnée à la condition que Lucien
+divorcerait avec M<sup>me</sup> Alexandrine de Bleschamp. Lucien repoussa
+cette demande avec indignation. Napoléon s'emporta; dans sa colère,
+il brisa une montre en disant qu'il saurait briser de même les
+volontés qui s'opposeraient à la sienne; il alla même jusqu'à
+menacer Lucien de le faire arrêter; Lucien répondit avec dignité à
+cette menace: «Je vous défie de commettre un crime.» Peu d'instants
+après, les deux frères se séparèrent, Lucien pour retourner à Rome,
+Napoléon pour se rendre à Milan.</p>
+
+<p>À la suite de cette entrevue et de cette scène violente, Napoléon
+écrivit à Joseph:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, j'ai vu Lucien à Mantoue, j'ai causé avec lui pendant
+ plusieurs heures; il vous aura sans doute mandé la disposition dans
+ laquelle il est parti. Ses pensées et sa langue sont si loin de la
+ mienne que j'ai eu peine à saisir ce qu'il voulait; il me semble
+ qu'il m'a dit qu'il voulait envoyer sa fille aînée à Paris près de
+ sa grand'mère. S'il est toujours dans ces dispositions, je désire en
+ être sur-le-champ instruit, et il faut que cette jeune personne soit
+ dans le courant de janvier à Paris, soit que Lucien l'accompagne,
+ soit qu'il charge une gouvernante de la conduire à Madame. Lucien
+ m'a paru être combattu par différents sentiments et n'avoir pas
+ assez de force de caractère pour prendre un parti. Toutefois, je
+ dois vous dire que je suis prêt à lui rendre son droit de prince
+ français, à reconnaître toutes ses filles comme mes nièces,
+ toutefois qu'il commencerait par annuler son mariage avec M<sup>me</sup>
+ Jouberthon, soit par divorce, soit de toute autre manière. Dans cet
+ état de choses, tous ses enfants se trouveraient établis. S'il est
+ vrai que M<sup>me</sup> Jouberthon soit aujourd'hui grosse, et qu'il en naisse
+ une fille, je ne vois pas d'inconvénient à l'adopter, si c'est un
+ garçon, à le considérer comme fils de Lucien, mais non d'un mariage
+ avoué par moi, et celui-là je consens à le rendre capable d'hériter
+ d'une souveraineté que je placerais sur la tête de son père,
+ indépendamment du rang où celui-ci pourra être appelé par la
+ politique générale de l'État, mais sans que ce fils puisse prétendre
+ à succéder à son père dans son véritable rang, ni être appelé à la
+ succession de l'Empire français. Vous voyez que j'ai épuisé tous
+ <span class="pagenum"><a id="page021" name="page021"></a>(p. 021)</span> les moyens qui sont en mon pouvoir de ramener Lucien (qui
+ est encore dans sa première jeunesse), à l'emploi de ses talens pour
+ moi et la patrie, je ne vois point ce qu'il pourrait actuellement
+ alléguer contre ce système. Les intérêts de ses enfants sont à
+ couvert, ainsi donc j'ai pourvu à tout. Le divorce une fois fait
+ avec M<sup>me</sup> Jouberthon et Lucien établi en pays étranger, M<sup>me</sup>
+ Jouberthon ayant un grand titre à Naples ou ailleurs, si Lucien veut
+ l'appeler près de lui, pourvu que ce ne soit pas jamais en France
+ qu'il veuille vivre avec elle, non comme avec une princesse sa
+ femme, et dans telle intimité qu'il lui plaira, je n'y mettrai point
+ d'obstacle, car c'est la politique seule qui m'intéresse; après cela
+ je ne veux point contrarier ses goûts ni ses passions. Voilà mes
+ propositions. S'il veut m'envoyer sa fille, il faut qu'elle parte
+ sans délai, et qu'en réponse il m'envoie une déclaration que sa
+ fille part pour Paris et qu'il la met entièrement à ma disposition,
+ car il n'y a pas un moment à perdre; les événements se pressent, et
+ il faut que mes destinées s'accomplissent. S'il a changé d'avis, que
+ j'en sois également instruit sur-le-champ, car j'y pourvoirai d'une
+ autre manière, quelque pénible que cela fût pour moi, car pourquoi
+ méconnaîtrais-je ces deux jeunes nièces qui n'ont rien à faire avec
+ le jeu des passions dont elles ne peuvent être les victimes? Dites à
+ Lucien que sa douleur et la partie des sentiments qu'il m'a
+ témoignées m'ont touché, et que je regrette davantage qu'il ne
+ veuille pas être raisonnable et aider à son repos et au mien. Je
+ compte que vous aurez cette lettre le 22. Mes dernières nouvelles de
+ Lisbonne sont du 28 novembre. Le prince-régent s'était embarqué pour
+ se rendre au Brésil; il était encore en rade de Lisbonne; mes
+ troupes n'étaient qu'à peu de lieues des forts qui ferment l'entrée
+ de la rade. Je n'ai point d'autre nouvelle d'Espagne que la lettre
+ que vous avez lue. J'attends avec impatience une réponse claire et
+ nette surtout pour ce qui concerne Lolotte.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné frère.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;Mes troupes sont entrées le 30 novembre à Lisbonne, le
+ prince royal est parti sur un vaisseau de guerre, j'en ai pris cinq
+ et six frégates. Le 2 décembre, tout allait bien à Lisbonne. Le 6
+ décembre, l'Angleterre a déclaré la guerre à la Russie. Faites
+ passer cette nouvelle à Corfou. La reine de Toscane est ici. Elle
+ veut s'en aller à Madrid.</p>
+
+<p>Milan, 20 décembre à minuit 1807.</p>
+</div>
+
+<p>À l'époque où cette lettre fut écrite, l'empereur commençait à se
+préoccuper des affaires d'Espagne. L'héritier présomptif du trône,
+Ferdinand, fils de Charles IV, lui avait fait faire des ouvertures
+pour obtenir la main d'une Bonaparte. Napoléon avait eu l'idée de
+donner <span class="pagenum"><a id="page022" name="page022"></a>(p. 022)</span> à ce prince, prêt à se jeter dans ses bras, la
+fille de Lucien. C'est ce qui explique la lettre ci-dessus.</p>
+
+<p>Au reçu de cette lettre, Joseph écrivit à Lucien qui lui répondit et
+dont il envoya la lettre à l'empereur le 31 décembre avec celle-ci:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire,</p>
+
+<p>Je vous envoye la réponse que j'ai reçue de Lucien, il veut mener sa
+ fille lui-même jusqu'à Pescara où il la remettra à la personne que
+ vous aurez chargée de la conduire à Milan. J'ai fait inutilement
+ l'impossible pour obtenir davantage de lui, pour son propre bien,
+ pour celui de sa famille, et pour répondre aux vues paternelles de
+ Votre Majesté.</p>
+
+<p>Sa femme n'est pas décidément enceinte, ce que l'on avait dit n'est
+ pas vrai.</p>
+</div>
+
+<p>Bientôt, en vertu des ordres de l'empereur, eut lieu l'expédition de
+Rome et la prise de possession de la ville éternelle par les troupes
+du général Miollis, le Saint-Père s'étant refusé à observer le
+blocus continental. Lucien se trouvait encore à Rome. Il écrivit à
+Joseph pour le prier de demander à l'empereur l'autorisation de se
+retirer près de Naples. Joseph manda à l'empereur le 4 février 1808:</p>
+
+<p class="lettre">Je reçois vos lettres du 26. Nos troupes sont entrées à Rome. Lucien
+ me demande à se retirer dans une campagne aux environs de Naples
+ avec sa famille; il me dit qu'il n'est pas en sûreté à Rome, que la
+ populace croit qu'il a été décidé par Votre Majesté, lors de son
+ entretien avec elle à Mantoue, que les États du Pape lui seraient
+ donnés. Je lui réponds qu'il ne m'est pas possible d'y voir sa
+ femme, que je l'y verrai avec mes nièces si cela est utile à sa
+ santé, que je croyais devoir vous en écrire, que les troupes
+ françaises étant à Rome, je ne voyais pas ce qu'il avait à craindre
+ s'il voulait y rester.</p>
+
+<p>Le 11 mars, l'empereur répondit de Saint-Cloud à Joseph:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, Lucien se conduit mal à Rome, jusqu'à insulter les
+ officiers romains qui prennent parti pour moi, et se montrer plus
+ romain que le pape. Je désire que vous lui écriviez de quitter Rome
+ et de se retirer à Florence ou à Pise. Je ne veux point qu'il
+ continue à rester à Rome, et s'il se refuse à ce parti je n'attends
+ que votre réponse pour le faire enlever. Sa conduite a été
+ scandaleuse, il se déclare mon ennemi et celui de la France; s'il
+ persiste dans ces sentimens, il n'y a de refuge pour lui qu'en
+ Amérique. Je lui croyais de l'esprit, mais je vois que ce n'est
+ qu'un sot. Comment à l'arrivée des troupes françaises pouvait-il
+ rester à Rome? Ne devait-il pas se retirer à la campagne? Bien plus,
+ il s'y met en opposition avec moi. Cela n'a pas de nom. Je ne
+ souffrirai <span class="pagenum"><a id="page023" name="page023"></a>(p. 023)</span> pas qu'un Français et un de mes frères soit le
+ premier à conspirer et à agir contre moi avec la prêtraille.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné frère.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur exigea que son frère Lucien quittât Rome pour aller
+s'établir avec les siens à Florence, et Joseph fut chargé de veiller
+à ce changement de résidence qui eut lieu à la fin d'avril 1808.</p>
+
+<p>Lucien, fatigué des tracas que lui suscitait Napoléon, fut sur le
+point de se rendre en Amérique avec les siens. Il fit part de ce
+projet à l'empereur et à Joseph. Ce dernier lui répondit le 15 mai
+1808:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai reçu ta lettre, mon cher Lucien, j'espère que la réponse que tu
+ auras attendue de l'empereur te fera changer de résolution et que tu
+ pourras rester en Europe. Je fais des v&oelig;ux pour que cela soit
+ ainsi et que tu sois plus heureux dans tes relations directes que tu
+ ne l'as été par mon intermédiaire.</p>
+
+<p>S'il en était autrement et que tu partisses réellement, ce qui me
+ paraît un événement déplorable, tu ne dois pas douter que je ne
+ remplisse tes vues. Je t'embrasse bien tendrement avec ta famille et
+ j'espère que l'immensité des mers ne m'ôtera pas la possibilité de
+ t'embrasser en réalité bientôt.</p>
+</div>
+
+<p>Ce projet, abandonné alors, fut repris par Lucien en août 1810. Le
+10 de ce mois, il s'embarqua pour l'Amérique avec sa famille à bord
+du trois-mâts l'<i>Hercule</i>, frété par lui pour le voyage. Le bâtiment
+avait à peine dépassé la Sardaigne que, rencontré par les croisières
+anglaises, il fut capturé. Lucien et les membres de sa famille,
+déclarés prisonniers de guerre, furent conduits à Malte où ils
+arrivèrent le 24 août, puis transférés en Angleterre où ils
+débarquèrent le 28 décembre. Ils furent relégués à Ludlow
+(principauté de Galles).</p>
+
+<p>Pendant son règne à Naples, Joseph eut encore à supporter, à
+plusieurs reprises, des rebuffades de son frère; ainsi le 12
+novembre 1807, à propos de l'expédition de Sicile, Napoléon lui
+écrivit de Fontainebleau:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, je vois par votre lettre du 3 que vous avez 74,000 hommes
+ soit Français, soit Napolitains, soit Suisses; et cependant, avec
+ ces forces, vous n'êtes pas maître de Reggio et de Scylla; cela est
+ par trop honteux. Je vous réitère de prendre Reggio et Scylla; si
+ vous ne le faites pas, j'enverrai un général pour commander mon
+ armée, ou je retirerai mon armée du royaume de Naples. Quant aux
+ polissons que vous avez autour de vous, qui n'entendent rien à la
+ guerre et qui donnent des avis de l'espèce que je vois dans les
+ mémoires qu'on me met sous les <span class="pagenum"><a id="page024" name="page024"></a>(p. 024)</span> yeux, vous devriez
+ m'écouter de préférence<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>. Quand votre général est venu me trouver
+ à Warsovie, je lui ai déjà dit alors: comment souffrez-vous que les
+ Anglais s'établissent à Reggio et à Scylla? Vous n'avez à combattre
+ que quelques brigands; et les Anglais communiquent avec eux et
+ occupent les points les plus importants du continent d'Italie. Cela
+ me révolte. Cette occupation d'ailleurs tranquillise les Anglais sur
+ la Sicile; ils n'ont rien à craindre tant qu'ils ont ces deux
+ points, et dès lors leurs troupes de Sicile peuvent entreprendre
+ impunément tout ce qu'elles veulent. Mais il paraît, vous et vos
+ généraux, que vous vous estimez heureux que les Anglais veuillent
+ bien vous laisser tranquilles dans votre capitale. Ils ont 8,000
+ hommes et vous en avez 74,000. Depuis quand les Français sont-ils si
+ moutons et si inertes? Ne répondez à cette lettre qu'en m'apprenant
+ que vous avez fait marcher des troupes et que Reggio et Scylla
+ m'appartiennent. Avec l'armée que vous avez, je voudrais non
+ seulement défendre le royaume de Naples et prendre Reggio et Scylla,
+ mais encore garder les États du Pape et avoir les trois quarts de
+ mes troupes sur l'Adige. Du reste, vous n'avez des brigands dans le
+ royaume de Naples que parce que vous gouvernez mollement. Songez que
+ la première réputation d'un prince est d'être sévère, surtout avec
+ les peuples d'Italie. Il faut aussi en chercher la cause dans le
+ tort qu'on a eu de ne point captiver les prêtres, en ce que l'on a
+ fait trop tôt des changemens; mais enfin, cela n'autorise pas mes
+ généraux à souffrir qu'en présence d'une armée aussi puissante les
+ Anglais me bravent. Je ne me donne pas la peine de vous dire comment
+ il faut disposer vos troupes; cela est si évident. Parce que le
+ général Reynier a eu un événement à Meida<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>, ils croient qu'on ne
+ peut aller à Reggio qu'avec 100,000 hommes. Il est permis de n'être
+ pas un grand général, mais il n'est pas permis d'être insensible à
+ un tel déshonneur. Je préférerais apprendre la mort de la moitié de
+ mes soldats et la perte de tout le royaume de Naples, plutôt que de
+ souffrir cette ignominie. Pourquoi faut-il que je sois obligé de
+ vous dire si fortement une chose si simple?&mdash;Quand vous enverrez
+ 10,000 hommes à Reggio et à Scylla, et que vous en conserverez 6,000
+ à Cassano et à Cosenzia, que diable craignez-vous de toutes les
+ armées possibles de l'Angleterre? Quant à Naples, la moitié de vos
+ gardes suffit pour mettre la police dans cette ville, et pour la
+ défendre contre qui que ce soit. Je suppose que vous n'aurez pas
+ laissé Corfou sans le 14<sup>e</sup>, et que vous avez fait exécuter
+ ponctuellement les ordres que je vous ai donnés. Vous avez une
+ singulière <span class="pagenum"><a id="page025" name="page025"></a>(p. 025)</span> manière de faire. Vous tenez vos troupes dans
+ les lieux où elles sont inutiles, et vous laissez les points les
+ plus importants sans défense.&mdash;Votre femme est venue me voir hier.
+ Je l'ai trouvée si bien portante que j'ai été scandalisé qu'elle ne
+ partît point, et je le lui ai dit, car je suis accoutumé à voir les
+ femmes désirer d'être avec leurs maris.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné frère.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;Ne me répondez pas à cette lettre que Reggio et Scylla ne
+ soient à vous.</p>
+</div>
+
+<p>Ces reproches, peu mérités par Joseph et que son frère lui adressait
+pour l'exciter à terminer la conquête de la Sicile, n'empêchaient
+pas Napoléon de lui écrire quelques jours plus tard, le 22 du même
+mois, pour lui annoncer son arrivée à Milan et lui faire connaître
+son désir de le voir. Dès l'année précédente, l'empereur, voyant
+combien ses lettres, souvent acerbes, produisaient d'effet sur son
+frère et lui faisaient de peine, lui avait écrit la lettre du 24
+juin 1806 que nous avons donnée plus haut.</p>
+
+<p>Le 17 février 1808, Napoléon adressa de Paris à Joseph la lettre
+suivante<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, je reçois votre lettre du 11. Je ne conçois pas que vous
+ n'ayez pas voulu recevoir les cardinaux et que vous ayez eu l'air
+ d'aller contre ma direction. Je ne vois pas de difficulté que le
+ cardinal Ruffo de Scylla, archevêque de Naples, soit envoyé à
+ Bologne; que le cardinal qui commandait les Calabrais soit envoyé à
+ Paris et que ceux que vous ne voudrez pas garder soient envoyés à
+ Bologne. Mais il faut d'abord envoyer quelqu'un à Gaëte pour y
+ recevoir leur serment, et ensuite les faire conduire en Italie.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;Je suis surpris que les prêtres à Naples osent bouger.</p>
+</div>
+
+<p>Le blâme contenu dans cette dépêche devint beaucoup plus vif
+quelques jours après, lorsque Napoléon apprit par un rapport du
+général Miollis, commandant les troupes françaises à Rome, que
+Salicetti, le ministre de la police de Naples, avait osé contrevenir
+à ses ordres. Aussi, le 25 mars, envoya-t-il, par courrier
+extraordinaire, à son frère Joseph, la lettre suivante, où son
+mécontentement est exprimé de la façon la plus rude:</p>
+
+<p class="lettre">Je ne puis qu'être indigné de cette lettre de Salicetti<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a>. Je
+ trouve fort <span class="pagenum"><a id="page026" name="page026"></a>(p. 026)</span> étrange qu'on répande qu'on mettra en liberté
+ à Terracine des hommes que j'ai ordonné qu'on conduise à Naples. Il
+ faut avouer qu'on est à Naples bien bête ou bien malveillant. Ces
+ contre-ordres et cette ridicule opposition font sourire la cour de
+ Rome et sont plus nuisibles à Naples qu'ailleurs. J'ai envoyé les
+ cardinaux napolitains à Naples pour y prêter le serment à leur
+ souverain légitime. Cette formalité est nécessaire pour que je les
+ reconnaisse pour cardinaux. Si vous redoutiez leur présence à
+ Naples, il fallait les envoyer à Gaëte et préposer quelqu'un pour
+ recevoir leurs serments. Après cela, vous pouviez en faire ce que
+ vous vouliez. Je ne voyais pas d'inconvénient à les laisser à
+ Naples. Tant de faiblesse et d'ineptie, je ne suis pas accoutumé à
+ les voir où je commande; mais enfin s'il y avait de l'inconvénient à
+ recevoir leur serment à Naples, il n'y en a point à Gaëte. Si vous
+ avez voulu montrer à l'Europe votre indépendance, vous avez choisi
+ là une sotte occasion. Ces prêtres sont des gens contre lesquels je
+ me fâche pour vous. Vous pouvez bien être roi de Naples, mais j'ai
+ droit de commander un peu où j'ai 40,000 hommes. Attendez que vous
+ n'ayez plus de troupes françaises dans votre royaume pour donner des
+ ordres contradictoires aux miens, et je ne vous conseille pas de le
+ faire souvent. Rien, je vous le répète, ne pouvait m'être plus
+ désagréable que de voir contredire ouvertement les mesures que je
+ prends pour mettre Rome à la raison. Si c'est R&oelig;derer ou Miot qui
+ vous a donné ces conseils, je ne m'en étonne pas, ce sont des
+ imbéciles. Mais si c'est Salicetti, c'est un grand scélérat, car il
+ a trop d'esprit pour ne pas sentir combien cela est délicat. Le
+ <i>mezzo termine</i> de retenir les cardinaux dans une place frontière
+ était si simple.</p>
+
+<p>Cette lettre de Napoléon, datée du 25 mars, fut une des dernières
+que l'empereur écrivit à son frère Joseph à Naples. Au commencement
+de mai l'empereur demanda à son frère Louis de renoncer à la
+couronne de Hollande pour prendre celle d'Espagne. Louis ayant
+rejeté cette proposition, Napoléon résolut de placer Joseph sur le
+trône de Charles IV et de donner celui de Naples à Murat, son
+beau-frère. Il écrivit à Joseph de se rendre à Bayonne, ce que
+celui-ci fit dans les premiers jours de juin, tout en regrettant
+d'abandonner le royaume de Naples et le beau ciel d'Italie.</p>
+
+
+<h3>(1808-1814).</h3>
+
+<p>Jusqu'au jour où, contraint par son frère, Joseph consentit à
+échanger le royaume de Naples contre celui de Madrid, les différends
+entre Napoléon et lui eurent peu d'importance. Napoléon avait pour
+<span class="pagenum"><a id="page027" name="page027"></a>(p. 027)</span> son aîné la plus réelle affection; Joseph aimait et
+admirait Napoléon. Néanmoins, si le premier prétendait faire servir
+à ses vastes projets toutes les forces vives des États dont il avait
+doté son frère, ce dernier, pas plus que Louis, et même parfois
+Jérôme, ne voulait consentir à abandonner entièrement les intérêts
+de son peuple pour épouser complètement ceux de la France. Le blocus
+continental tuait le commerce de la nation hollandaise qui ne vivait
+que par le commerce; les levées, en Espagne, et l'entretien
+dispendieux d'une armée nationale ou d'une nombreuse armée
+française, n'allaient pas tarder à épuiser la Péninsule déjà ruinée
+par son ancien gouvernement. Pour faire sortir de l'abîme ces deux
+pays, il fallait de l'argent. Or, Napoléon n'en voulait pas donner
+aux rois ses frères, et entendait au contraire que la majeure partie
+de leurs contributions vint augmenter le trésor français. Il les
+mettait donc dans la position la plus précaire. Ils étaient obligés
+de résister aux exigences du souverain de la France, non seulement
+par amour-propre royal, non seulement pour conserver un peu de
+l'affection de leurs sujets, mais encore parce qu'ils ne pouvaient
+pas faire autrement, les sources de la prospérité étant taries.</p>
+
+<p>Nous allons voir Joseph aux prises avec des difficultés
+insurmontables et réduit aux plus dures extrémités, désirant, dès la
+première année de son séjour à Madrid, quitter l'Espagne, regrettant
+Naples où il avait fait un peu de bien, s'était acquis de grandes
+sympathies et n'osant, comme le fit Louis, abdiquer, pour ne pas
+paraître abandonner un frère qui, enivré de ses victoires,
+commençait à soulever contre lui l'Europe, dont il voulait, en
+quelque sorte, faire la vassale de la France.</p>
+
+<p>La junte assemblée à Bayonne et ouverte le 15 juin 1808, sous la
+présidence de M. Azanza, ayant adopté pour l'Espagne la constitution
+qui lui avait été présentée, ses membres, à la suite de cette mise
+en scène, persuadèrent facilement à Joseph que la nation tout
+entière accueillerait avec enthousiasme le nouveau souverain, frère
+du plus grand génie, du plus puissant monarque du monde. Le nouveau
+roi franchit la frontière et entra en Espagne par Saint-Sébastien
+dans les premiers jours de juillet 1801<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a>, plein de confiance et
+d'espérance. Il <span class="pagenum"><a id="page028" name="page028"></a>(p. 028)</span> ne tarda pas à s'apercevoir qu'on l'avait
+induit en erreur et que les sentiments de la nation étaient loin
+d'être tels que les lui avaient décrits à Bayonne des gens
+intéressés à le tromper, ou à se tromper. Cela ressort de différents
+passages des lettres de Joseph à l'empereur, passages omis dans les
+<i>Mémoires</i> de ce prince. Ainsi, dans une lettre en date de Miranda,
+14 juillet 1808, il écrit à Napoléon: «<i>Il y a des assassins sur la
+route.</i>» Dans une autre de Burgos, 18 juillet, on lit:</p>
+
+<p class="lettre">On n'a pu trouver un guide en offrant de l'or à pleines mains. Il y
+ a peu de jours, un orfèvre de Madrid a poignardé de sa propre main
+ trois Français dans un seul jour; à Miranda, avant-hier, un seul
+ homme a arrêté une voiture dans laquelle se trouvaient un Espagnol
+ et trois Français. Ces trois derniers ont été poignardés et n'ont
+ point été dépouillés. Ce dernier fait s'est passé sur la grande
+ route.</p>
+
+<p>Le 21 juillet, le lendemain de son arrivée à Madrid et de la prise
+de possession du palais de l'Escurial, Joseph mandait à l'empereur:
+«Vous vous persuaderez que les dispositions de la nation sont
+unanimes <i>contre tout ce qui a été fait à Bayonne</i><a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a>.» Il entre
+ensuite dans les détails caractéristiques suivants:</p>
+
+<p class="lettre">Il y avait 2000 hommes employés dans les écuries royales. <i>Tous</i>, à
+ la même heure, ont tenu le même langage et se sont retirés. Je n'ai
+ pas trouvé un seul postillon dans toutes les écuries, à compter
+ d'hier matin à 9 heures. Les paysans brûlent les roues de leurs
+ voitures, afin de n'être pas obligés aux transports. Les domestiques
+ mêmes, des gens qui étaient soupçonnés de vouloir me suivre, les ont
+ abandonnés, etc., etc.....</p>
+
+<p>Bientôt l'empereur comprit qu'il devait se rendre lui-même en
+Espagne et y prendre le commandement de ses armées, s'il voulait
+pacifier ce malheureux pays soulevé de toutes parts contre les
+Français et où l'Angleterre allait faire débarquer des troupes.
+Partout on <span class="pagenum"><a id="page029" name="page029"></a>(p. 029)</span> assassinait les Français, et des généraux,
+profitant du pillage auquel se livrait souvent le soldat, exigeaient
+des indemnités, prélevaient des impôts à leur profit.</p>
+
+<p>Ainsi on lit dans une lettre de Joseph à son frère, en date du 28
+janvier 1809:</p>
+
+<p class="lettre">J'envoie au maréchal Bessières, pour être employé dans un
+ commandement où il puisse vivre comme un autre officier, le général
+ La R..... qui exigeait 10,000 francs par mois en sus de ses
+ appointements, pour vivre à Madrid, et qui a eu la sottise de
+ frapper à toutes les portes pour cela. Voici la lettre qu'il a
+ écrite au corrégidor. Je l'ai remplacé par le général Blondeau qui
+ sera plus modeste.</p>
+
+<p>Joseph crut devoir quitter Madrid pour se rapprocher de la France
+dont il attendait des renforts. Napoléon entra dans la Péninsule,
+prit la direction des affaires militaires. Le roi le rejoignit avec
+sa garde, mais l'empereur ne voulut pas avoir son frère près de lui
+à l'armée et le relégua sur les derrières, puis à Burgos. Cette
+façon d'agir choqua Joseph et ses ministres. Il s'en plaignit dans
+une lettre pleine de noblesse écrite à son frère le 10 novembre, de
+Miranda<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a>. Il ne put rien obtenir et fut sur le point de revenir
+en France abandonnant le trône des Espagnes. Il se résigna à
+attendre pour ne pas être le premier à jeter la pierre à Napoléon.
+Ce dernier entra à Madrid le 4 décembre 1808, et changeant de
+nouveau de politique à l'égard de son frère et de l'Espagne, dans la
+pensée secrète de s'emparer de ce royaume et d'en annexer les
+provinces du Nord, il proposa à Joseph de lui donner la couronne
+d'Italie. Ce dernier, fatigué de ces changements perpétuels, refusa,
+eut plusieurs conférences avec l'empereur et revint dans sa capitale
+où il fit une entrée solennelle le 22 janvier 1809.</p>
+
+<p>Dès son retour à Paris, Napoléon montra de nouveau de la défiance à
+son frère Joseph, recommença à lui reprocher sa façon de gouverner,
+mais sans vouloir le mettre à même, en lui en donnant les moyens, de
+sortir de l'impasse dans laquelle il le tenait. Le 9 février 1809,
+Joseph lui écrivit:</p>
+
+<p class="lettre">Vous écoutez sur les affaires de Madrid ceux qui sont intéressés à
+ vous tromper, vous n'avez pas en moi une entière confiance. Et plus
+ loin: Je serai roi comme doit l'être le frère et l'ami de Votre
+ Majesté, ou <span class="pagenum"><a id="page030" name="page030"></a>(p. 030)</span> bien je retournerai à Mortefontaine<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a> où je
+ ne demanderai rien que de vivre sans humiliation et de mourir avec
+ la tranquillité de ma conscience, etc.</p>
+
+<p>Les choses restèrent dans cet état en Espagne jusqu'au milieu de
+1809; mais alors elles prirent, pour le roi, une tournure des plus
+fâcheuses, ainsi que cela résulte des lettres de Joseph à sa femme,
+la reine Julie. Nous donnerons plus loin ces intéressantes lettres;
+mais, avant, un mot encore sur les exactions de quelques généraux
+français en Espagne et sur quelques affaires de l'époque, relatives
+à Joseph. Le 24 février 1810, il écrit de Xérès au prince de
+Neufchâtel:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>La lettre de Votre Altesse me fait croire que l'empereur me croit
+ instruit d'une contribution de quinze cent mille francs levée par le
+ général Loison, j'aurais désiré savoir en son temps si l'empereur
+ l'a ordonnée et je prie S. M. de réprimer un pareil abus de pouvoir,
+ si elle ne l'a pas autorisée. Tous mes efforts échoueront contre des
+ vexations semblables que se permettraient des généraux particuliers;
+ le général Kellermann est aussi dans ce cas; l'ordre est impossible
+ si des généraux de division font ce que je ne me permettrais pas de
+ faire et S. M. I. et R. est trop juste pour le vouloir.</p>
+
+<p>Tout est ici au mieux; les provinces de l'Andalousie sont pacifiées,
+ parce que la justice y règne et que je n'ai qu'à me louer des
+ généraux qui y sont.</p>
+
+<p>Je prie Votre Altesse d'agréer mon sincère attachement.</p>
+
+<p>Les ordres ont été donnés au général Loison pour les 100,000 francs.</p>
+</div>
+
+<p>Le 2 mars il prévient l'empereur qu'il fait venir près de lui sa
+femme et ses enfants et ajoute:</p>
+
+<p class="lettre">Kellermann, Ney, Thiébaud sont des gens qui ruineront le pays qu'ils
+ doivent administrer, etc.</p>
+
+<p>Tout en signalant les officiers qui se permettaient des exactions,
+Joseph aimait à rendre justice aux gens honnêtes. Ainsi le 21 avril
+1810, il écrit de Madrid au général Reynier:</p>
+
+<p class="lettre">Je reçois la lettre et le rapport que vous avez bien voulu
+ m'adresser le 13. J'ai donné l'ordre de vous renvoyer tous vos
+ détachements, ils sont en marche. Je suis très reconnaissant de tous
+ les soins que vous vous donnez pour le meilleur service public et
+ reconnais bien, dans vous, les principes d'un <i>honnête homme</i> et
+ l'intérêt d'un ami.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page031" name="page031"></a>(p. 031)</span> Le lendemain 24, dans une longue lettre à l'empereur,
+Joseph signale encore les autres généraux pillards. Il dit: «Il n'y
+a pas de doublons exportés par Ney ou par Kellermann qui ne coûte
+une tête française.» De son côté dans une lettre à Berthier, datée
+du 17 septembre 1810 et qui se trouve à la <i>Correspondance</i>,
+Napoléon signale Kellermann et Ney. Enfin, le 27 octobre, il ordonne
+à Berthier de demander au ministre d'Espagne des notes précises sur
+les abus reprochés à Kellermann.</p>
+
+<p>Lors du mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise, le
+roi d'Espagne écrivit et fit porter par son chambellan les deux
+lettres suivantes:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Monsieur mon frère,</p>
+
+<p>Connaissant la bienveillance dont Votre M. I. et R. a honoré M.
+ Azanza, duc de Santa-Fé, je l'ai nommé mon ambassadeur
+ extraordinaire pour porter à V. M. mes félicitations à l'occasion du
+ mariage de V. M. I. et R. et de S. A. I. et R. M<sup>me</sup> l'archiduchesse
+ Marie-Louise.</p>
+
+<p>V. M. me connaît trop intimement pour ne pas deviner à l'avance tous
+ les mouvements de mon c&oelig;ur, je suis toutefois bien aise de saisir
+ cette circonstance solennelle pour assurer V. M. I. de la joie que
+ j'ai éprouvée par l'heureux lien qu'elle contracte dans la vue de
+ perpétuer le bonheur de tant de nations. V. M. trouvera ainsi le
+ bonheur que la nature accorde au commun des hommes.</p>
+
+<p>Je supplie V. M. I. et R. d'agréer ces v&oelig;ux et de les regarder
+ dès aujourd'hui comme des présages qui ne la tromperont pas, ce sont
+ ceux de son premier ami à qui le c&oelig;ur de V. M. I. est plus connu
+ qu'elle ne pense.</p>
+
+<p>Je prie V. M. d'agréer l'hommage de ma tendre amitié.</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">De V. M. I. et R.,</span><br>
+ Le bon et affectionné frère.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Marie-Louise.</p>
+<p class="date">Grenade, le 28 mars 1810.</p>
+
+<p>Madame ma s&oelig;ur, je prie Votre Majesté impériale d'agréer mes
+ félicitations les plus sincères, à l'occasion de son mariage avec S.
+ M. l'empereur des Français, roi d'Italie. Je fais des v&oelig;ux bien
+ vifs pour le bonheur d'une union d'où dépend le bonheur de tant de
+ nations.</p>
+
+<p>Ne pouvant jouir, par moi-même, de l'avantage de présenter à V. M.
+ I. et R. l'expression de mes sentiments, je supplie V. M. d'agréer
+ tout <span class="pagenum"><a id="page032" name="page032"></a>(p. 032)</span> ce que lui dira de ma part M. le duc de Santa-Fé que
+ j'ai chargé de cette honorable mission. Veuillez, Madame ma s&oelig;ur,
+ etc.<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p>Le 2 mai, Joseph écrivit de Séville au duc de Feltre, ministre de la
+guerre de Napoléon:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur le duc, j'ai reçu la lettre par laquelle vous me proposez,
+ de la part de S. M. I. et R., de faire entrer en Espagne le régiment
+ espagnol formé à Avignon. Je juge cette opération fort utile; elle
+ détruira la croyance, généralement répandue, que les régiments
+ espagnols sont destinés à servir au delà des Pyrénées, et cette
+ croyance rend difficile la formation de tout nouveau corps. Je vous
+ prie, Monsieur le duc, de remercier S. M. I. et R. et de vouloir
+ bien hâter l'envoi en Espagne de ce régiment<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>.</p>
+
+<p>Nos affaires devant Cadix vont bien; la tranquillité se rétablit
+ dans ces provinces. Le 4<sup>e</sup> corps est entré à Murcie. Le 2<sup>e</sup> corps a
+ battu l'ennemi qu'il avait devant lui entre Merida et Badajoz.</p>
+
+<p>Vous connaissez, Monsieur le duc, l'ancien et sincère attachement
+ que je vous ai voué.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné.</p>
+</div>
+
+<p>Le 8 février 1810, pendant son voyage en Andalousie, Joseph, croyant
+être très agréable à Napoléon, lui écrivit de Séville:</p>
+
+<p class="lettre">Sire, je m'empresse de vous annoncer que je viens de recevoir, des
+ mains de l'évêque et du chapitre de cette ville, les aigles perdues
+ à Baylen. Je les envoie à V. M. par un officier.</p>
+
+<p>L'empereur se borna à faire répondre à son frère par le
+major-général, auquel il adressa, le 26 avril 1810, la lettre
+ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon cousin, écrivez au roi d'Espagne que je suis instruit qu'il veut
+ envoyer les aigles retrouvées à Baylen, par le général Dessolles;
+ que cela ne m'est pas agréable, qu'il doit charger de cette mission
+ un simple officier, un capitaine ou un lieutenant-colonel, mais non
+ un officier du grade du général Dessolles qui est nécessaire en
+ Espagne.</p>
+
+<p>Si le général Dessolles était déjà parti, prévenez le général
+ Belliard, pour qu'il le retienne et l'empêche de passer Madrid en
+ lui faisant connaître mes motifs.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page033" name="page033"></a>(p. 033)</span> Au commencement de l'année 1810, la situation, en Espagne,
+s'améliorait, grâce aux efforts du roi. Joseph pacifiait
+l'Andalousie, mais, tandis qu'il entrait en vainqueur dans les
+riches cités de cette belle province, l'empereur, sous prétexte que
+le royaume de son frère lui coûtait trop cher et qu'il fallait en
+finir, en faisant administrer les provinces pour le compte de la
+France, rendit le 8 février un décret en vertu duquel le pays fut
+partagé en grands gouvernements administrés par des généraux
+français. Il retira donc le commandement des troupes à Joseph qui
+devint par le fait un roi sans armée, sans finances, sans autorité.
+Macdonald prit le commandement des troupes en Catalogne, Kellermann
+en Aragon, Masséna en Portugal, Soult en Andalousie; Joseph resta à
+la tête de l'armée du Centre (19,000 hommes à peine). Il fut donc
+réduit à ce faible corps, à sa garde et au gouvernement de la
+province de Madrid, n'ayant plus le droit de s'immiscer dans les
+affaires des autres gouvernements de son propre royaume. À partir de
+ce moment, le règne de ce malheureux prince ne fut plus qu'un long
+martyr dont ses lettres à la reine Julie pourront donner une idée.</p>
+
+<p>Des abus criants et sans nombre suivirent de près cette organisation
+nouvelle ou plutôt cette désorganisation complète de l'Espagne,
+ainsi qu'on devait s'y attendre. Les commandants d'armées ne
+voulurent pas se porter secours entre eux et prétendirent agir
+seuls. Tous ne s'inquiétèrent plus que de leur seul intérêt, levant
+des contributions, pillant comme Kellermann ou refusant toute
+obéissance au roi, comme le fit le duc de Dalmatie, ainsi que nous
+le prouverons un peu plus loin.</p>
+
+<p>Nous allons faire connaître maintenant quelques lettres inédites de
+Joseph à sa femme.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Madrid, le 21 janvier 1809.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 16. J'ai fait écrire au père
+ de M<sup>me</sup> de Fréville que je le ferai employer ici, il peut amener sa
+ fille avec lui si cela lui convient, il ne me convient pas qu'elle
+ t'accompagne, elle ne pourrait pas être ici une de tes dames, sa
+ qualité d'espagnole serait loin de lui être favorable, ce n'est pas
+ dans ses rapports avec ce pays.</p>
+
+<p>Toutes les femmes de militaires qui te sont attachées seront bien
+ ici avec toi; si tu peux faire à moins de mener M<sup>me</sup> de Magnitot, tu
+ feras bien de ne pas la conduire avec toi; M. Franzemberg, ton
+ secrétaire, ne sera pas ici officier de la maison pas plus qu'il ne
+ l'était à Naples; <span class="pagenum"><a id="page034" name="page034"></a>(p. 034)</span> quoique Ferri et Des Landes le soient
+ devenus, ils étaient dans les affaires depuis longtemps.</p>
+
+<p>Si tu pars bientôt tu ne verras pas le mariage de.......<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>. M<sup>me</sup>
+ Bernadotte y veillera.</p>
+
+<p>N'amène que les petites Clary et les personnes dont tu as besoin
+ avec toi, tu trouveras ici trois mille familles de Français que je
+ ne puis pas employer et qui sont très malheureux et regrettent les
+ positions dont elles étaient pourvues à Naples.</p>
+
+<p>Fais en sorte que Laulaine, Bernardin de S<sup>t</sup>-Pierre, Andrieux,
+ Chardon, Lécui, pour ce qui lui est personnel, n'éprouvent aucun
+ retard dans le payement de leur pension, le reste suivra le cours de
+ mes affaires financières qui me forcent à payer de préférence les
+ choses les plus pressées.</p>
+
+<p>Tout ce que je t'écris de ces dames, c'est pour qu'ici tu n'aies pas
+ de sujets de dégoût en arrivant, pas plus qu'elles. Je t'embrasse
+ avec mes enfants.</p>
+
+<p>Pour M. Franzemberg, il faut que chacun sache à quoi s'en tenir. Il
+ est des opinions du pays que je ne veux pas heurter pour quelques
+ individus.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrilejos, le 3 juillet 1809.</p>
+
+<p>Ma chère amie, les affaires allaient ici très bien, mais la
+ mésintelligence qui s'est mise entre Soult et Ney, au fond de la
+ Galice, me fait prévoir des malheurs.</p>
+
+<p>Le maréchal Jourdan est dégoûté et demande à se retirer. Je ne le
+ remplacerai pas, quel que soit le successeur que l'empereur lui
+ donne.</p>
+
+<p>Je t'embrasse, ma chère amie, avec Zénaïde et Charlotte; je me porte
+ bien.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Waldemoro, le 6 août 1809.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu votre lettre du 26, je me porte bien. Les
+ 40,000 hommes qui sont devant moi ont repassé le Tage dont ils ont
+ brûlé les ponts. Le 1<sup>er</sup> corps poursuit les Anglais, Soult avec
+ 50,000 hommes marche à eux, je ne doute pas aujourd'hui qu'il ne
+ soit arrivé sur le Tiétar où je l'espérais le 28. Je l'ai débarrassé
+ à Talaveyra de dix mille Anglais, il n'en aura pas plus de vingt
+ mille, à compter d'aujourd'hui, <span class="pagenum"><a id="page035" name="page035"></a>(p. 035)</span> et il aura pour cela ses
+ 50,000 Français et 20,000 que lui amène le maréchal Victor qui suit
+ le mouvement de l'ennemi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Malaga, le 5 mars 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14 février dont était porteur
+ (<i>nom illisible</i>). Elle me confirme dans mon opinion que tu dois me
+ rejoindre le plus tôt possible avec mes enfants et avant le
+ commencement des chaleurs, donc le plus tôt que tu pourras. Dans le
+ cas où, malgré ta bonne santé, tu ne pourrais pas partir aussitôt
+ que je le désire et qu'il convient, j'espère que tu ne souffriras
+ pas que personne prenne ta place, le contre-coup en serait trop
+ sensible et préjudiciable ici. Cette nation, qui aujourd'hui
+ m'accueille avec un enthousiasme que tu ne conçois pas, est
+ tellement fière qu'elle serait humiliée si nous ne restions pas à
+ notre place, sois plutôt malade et évite toute occasion; mais
+ mieux .............. que toute cette scène d'étiquette commence.</p>
+
+<p>Porte avec toi tout ce que nous possédons à Paris réalisé en effets
+ sur l'étranger; tout papier sûr est bon pour nous, qu'il soit à
+ quelle échéance qu'il soit, n'importe sur quelle place de l'Europe,
+ pourvu qu'il soit bon. Renvoie-moi le courrier et dis-moi les
+ personnes que tu préfères que je t'envoie à ta rencontre. Tu
+ arrangeras l'affaire des papiers, il faut des papiers au porteur,
+ les échéances comme les papiers des banques de Paris, Londres,
+ Vienne, ou actions réalisables et qu'on peut garder à volonté.</p>
+
+<p>Dispose de toute autre chose dont je ne parle pas, comme tu
+ l'entendras le mieux; rapporte-moi les papiers que Lance t'apporta;
+ au moins ceux que tu jugeras plus nécessaires, prends des
+ précautions pour que tu puisses demander et ravoir les autres, donne
+ à Fesch tout ce que tu voudras.</p>
+
+<p>Je suis arrivé ici hier, à travers des chemins jugés impraticables;
+ la manière dont j'ai été reçu ici surpasse toute idée; si on me
+ laissait agir librement, ce pays serait bientôt heureux et
+ tranquille. Amène R&oelig;derer, il me serait bien utile et même
+ nécessaire, il s'en retournerait bientôt à Paris. M. Lapommeraye
+ peut venir ........... coûte .............. qu'il connaît bien.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Andujar, le 6 avril 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, M. le duc de Santa-Fé<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a> part dans l'instant, il est
+ <span class="pagenum"><a id="page036" name="page036"></a>(p. 036)</span> instruit de tout ce qui me regarde, même des affaires
+ particulières qui nous intéressent, crois tout ce qu'il te dira, je
+ désire que tout ce que nous possédons en France puisse être réalisé
+ en effets sans échéances fixes sur l'étranger, Nicolas (Clary)
+ pourrait nous servir dans ce cas. Je serai à Madrid avant toi, si je
+ suis instruit à temps de ton départ à Paris. Je t'embrasse avec mes
+ enfants.</p>
+
+<p>Tu verras quels sont les présents que je compte faire pour le
+ mariage et tu m'en parleras.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Cordoue, le 10 avril 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 19 et 21. Gaspard et M.
+ (nom illisible) sont arrivés depuis. Je n'ai rien à dire sur des
+ mesures qui te sont ordonnées par des médecins; mais M. Deslandes te
+ dira quelles sont mes idées sur tout ce que je possède en France. Tu
+ fais bien d'établir ta nièce avec le fils de M. Clément, puisqu'il
+ te convient et qu'il la demande. Tu feras bien de donner à Tascher,
+ Marcelle<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>, ils se conviennent ainsi qu'à leurs parents. M<sup>me</sup>
+ Salligny m'écrit; je t'ai écrit deux fois que je pensais qu'elle ne
+ devait pas te suivre à Madrid où elle ne serait pas convenablement,
+ nulles raisons véritables l'y appellent; elle est veuve, elle a une
+ fortune indépendante, elle a sa mère, je ne sais pas comment elle
+ pourrait se plaire à Madrid où ses relations la placeraient toujours
+ dans une fausse position. Je ne dois pas donc te dissimuler que ce
+ sont des dispositions inébranlables, ma position est déjà assez
+ difficile sans y ajouter d'autres embarras de tous les instants,
+ ainsi que ceux qui me viendraient d'elle<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 16 mai 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis
+ le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu
+ feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour
+ qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui
+ donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut
+ achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour
+ moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en
+ charge.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page037" name="page037"></a>(p. 037)</span> Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas
+ pourquoi tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta
+ nièce et que ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune
+ homme à tous autres n'importe la fortune, etc.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 16 juillet 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa
+ cousine<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a> m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se
+ marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me
+ disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de
+ rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne
+ faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que
+ le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles
+ fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends
+ donc que M<sup>lle</sup> Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien.
+ Je m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer
+ de parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi
+ d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris.</p>
+
+<p>Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les
+ affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une
+ vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots
+ illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse
+ avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir
+ ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je
+ suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. <i>Si on veut
+ que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne
+ doit pas espérer cela de moi.</i> J'ai des devoirs de c&oelig;ur et de
+ besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais
+ jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader
+ pour le bien de ma famille.</p>
+
+<p>J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai
+ jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour
+ vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne.
+ <i>Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon
+ c&oelig;ur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins
+ aux remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long.
+ Tu me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je
+ suis toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de
+ Deslandes, renvoies-le moi</i> (Deux lignes effacées). <i>Je suis obligé
+ de venir au secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien
+ et où la misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des
+ généraux français administrent mes provinces, renvoyent mes employés
+ et que Madrid <span class="pagenum"><a id="page038" name="page038"></a>(p. 038)</span> est le rendez-vous où tous les malheureux
+ aboutissent et où s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état
+ de choses me serait encore plus pénible toi et mes enfants étant
+ ici, et que je n'aurai plus la ressource d'errer avec un
+ quartier-général. Tout cela peut être réparé d'un mot de l'empereur,
+ qu'il trouve bon que je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende
+ l'administration de mes provinces et qu'il croye plus à ma probité
+ qu'à celle de Ney ou de Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il
+ faut que je m'établisse d'une façon définitive</i> à Madrid, il faut
+ que je sache comment je pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le
+ sais pas; l'Andalousie est absorbée par l'armée, les pays épuisés
+ par les insurgés, l'empereur ne sait rien, il faut qu'il connaisse
+ ma position, qu'elle change sa justice ou que je la fasse changer
+ par ma retraite des affaires; tu dois donc venir en Espagne avec la
+ connaissance de ce que veut l'empereur avec le projet d'y rester ou
+ résolue à la quitter pour la vie privée. Il n'y a personne à Paris à
+ qui je puisse écrire. L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais
+ chargé de mes affaires. Quand tu en seras partie, il n'y aura plus
+ aucun moyen de communication. Il est donc bon que tu saches bien
+ avant de partir ce qu'il nous importe de savoir et que nous ne
+ pourrons plus savoir après.</p>
+
+<p>Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>, quelque déplorable
+ que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à
+ la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des
+ habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La
+ guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me
+ laisser faire.</p>
+</div>
+
+<p>(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont
+illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les
+mémoires de Joseph.)</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 29 août 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras
+ reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu
+ sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort
+ avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il
+ faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du
+ trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et
+ comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le
+ nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les
+ provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre <span class="pagenum"><a id="page039" name="page039"></a>(p. 039)</span> ainsi plus
+ longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir.</p>
+
+<p>Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai
+ besoin.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> septembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu
+ M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de
+ nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu
+ ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires,
+ lorsque cette lettre arrivera dans tes mains.</p>
+
+<p>Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait
+ aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône
+ d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais
+ que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs
+ principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme
+ et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions
+ que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste
+ ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux,
+ parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant
+ me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix
+ intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la
+ nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette
+ grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait
+ qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance
+ entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de
+ ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera
+ un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle
+ province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en
+ vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir,
+ si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais
+ pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je
+ voudrais une retraite absolue.</p>
+
+<p>Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple,
+ cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de
+ cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans
+ ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler
+ d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me
+ faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même
+ au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce
+ que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour
+ en sortir; mon âme se trouve dégradée et je préfère la mort à cet
+ état.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page040" name="page040"></a>(p. 040)</span> À cette lettre, qui n'est pas aux mémoires de Joseph, se
+trouvait jointe la lettre du roi d'Espagne à l'empereur en date du
+31 août 1810 (<i>Mémoires de Joseph.</i> Vol. VII, p. 325).</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 9 septembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20, j'attends toujours le
+ résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'empereur, depuis
+ le départ d'Almenara. D'une manière ou d'une autre ces choses
+ doivent être changées, elles ne peuvent pas rester longtemps dans
+ l'état où elles se trouvent, je fais ici une triste figure et j'en
+ mériterais la honte si je permettais qu'elles se prolongent plus
+ longtemps qu'il ne faut pour connaître la volonté de l'empereur.</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Roi d'Espagne, je ne puis l'être que tel que la constitution du
+ pays m'a proclamé.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Retiré de toutes affaires publiques en France ou dans un autre
+ pays, il me convient de connaître même sur cet article la volonté de
+ l'empereur.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Retourner en France conservant quelque prérogative publique, il
+ faut que je sache quels sont mes devoirs et mes droits avant de
+ prendre un parti; je ne veux me décider qu'en pleine connaissance de
+ tout cela, je n'ai ni crainte, ni ambition, ni ressentiment, je sais
+ que la politique fait tout, ainsi je pardonne tout; mais si en
+ m'enlevant le trône d'Espagne, on m'offre un état politique en
+ France, je veux le connaître.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> Je ne veux aucun trône étranger. Je me réserve à me déterminer
+ pour une retraite absolue si ce qu'on me propose en France ne me
+ paraît pas convenable; ce à quoi je suis bien déterminé aujourd'hui;
+ c'est: 1<sup>o</sup> de ne pas rester ici sur le pied où je suis, 2<sup>o</sup> de ne
+ pas accepter un trône étranger, 3<sup>o</sup> de rendre mon existence en
+ France compatible avec mon honneur et la volonté de l'empereur et
+ l'intérêt de la nation, si mon existence semi-politique peut encore
+ lui être utile, sans cependant vouloir jamais me mêler
+ d'administration d'aucun genre et vouloir jamais paraître à la cour.
+ Si ce qu'on me propose ne me convient pas, retraite obscure et
+ absolue; mais les demi-jours, les fausses positions ne sont pas
+ dignes ni de mon nom ni de mon âme, ni supportables avec mon esprit.</p>
+
+<p>Je t'embrasse avec mes enfants et t'engage à être aussi contente que
+ je le suis moi, au milieu des contrariétés qui m'assiègent, et
+ j'éprouve bien aujourd'hui que ce lait nourricier d'une bonne et
+ vraie philosophie n'est pas aussi stérile qu'on veut bien le dire,
+ car, content de moi, je <span class="pagenum"><a id="page041" name="page041"></a>(p. 041)</span> le suis de tout, et regarde en
+ pitié <i>toutes</i> les passions étrangères qui s'agitent, sans me
+ blesser, autour de moi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 7 octobre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 17. Je me porte bien,
+ j'attends tes nouvelles et celles de Colette; mes affaires me
+ paraissent aller bien mal à Paris où on ne sait pas le mal que l'on
+ se fait à soi-même. L'avenir prouvera si j'ai raison.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 3 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 9, 10, 12 octobre,
+ renvoie-moi Gaspard avec des nouvelles sur les bruits qui courent
+ ici et qui font présager de nouveaux changements pour moi; dis-moi
+ ce qu'il en est, tu sais tout ce que je t'ai écrit. Si la retraite
+ est possible, je la préfère à un nouveau trône; si cela est
+ impossible, je préfère retourner à Naples plutôt que de faire une
+ nouvelle royauté quelle qu'elle soit.</p>
+
+<p>La position des affaires ici est horrible et bientôt elle sera
+ irrémédiable. L'empereur n'a rien répondu à tout ce que je lui ai
+ écrit sur un sujet aussi important pour la gloire et le bonheur de
+ deux grandes nations.</p>
+
+<p>Je t'embrasse avec mes enfants, je me porte bien.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 6 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 12 et 14, je t'ai déjà
+ écrit que c'est toi plus que moi qui peut décider s'il convient que
+ tu viennes ici, ce voyage doit être entrepris ou différé selon que
+ les affaires d'Espagne à Paris s'arrangent ou se brouillent, elles
+ ne peuvent pas rester longtemps telles qu'elles sont, cette crise ne
+ peut pas durer, il faut avancer ou reculer. Si je dois retourner en
+ France, il est inutile que tu viennes en Espagne, si je dois rester
+ en Espagne, il faut y venir. Mais, pour que je puisse y rester, il
+ faut que l'empereur fasse ce que je lui ai écrit par la lettre dont
+ était porteur M. d'Almenara, à laquelle il n'a pas répondu.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 16 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 22, 23 et 24, ma position
+ est <span class="pagenum"><a id="page042" name="page042"></a>(p. 042)</span> toujours la même, je suis ici bientôt un être
+ parfaitement inutile; tous les généraux correspondent avec le
+ major-général, prince de Neufchâtel. Les habitants s'exaspèrent tous
+ les jours davantage, le peu de succès que j'avais obtenu est effacé
+ tous les jours. L'empereur ne me répond pas, il ne me reste donc
+ qu'à me retirer des affaires. Ma santé d'ailleurs toujours
+ inaltérable commence à se ressentir de ma position équivoque,
+ ridicule et bientôt déshonorante, si je la supportais plus
+ longtemps.</p>
+
+<p>Occupes-toi donc de me trouver à louer une grande terre à cent
+ lieues ou soixante lieues de Paris; je suis décidé à m'y rendre et
+ de tout quitter, puisque je ne puis pas faire le bien ici et que
+ tout ce que j'ai dit et fait jusqu'ici devient inutile.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 20 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 28 octobre, ma position est
+ toujours la même. J'attends Azanza pour prendre un parti décisif et
+ finir le rôle honteux qu'on me fait jouer ici depuis mon retour de
+ la conquête de l'Andalousie.</p>
+
+<p>Je t'embrasse avec mes enfants.</p>
+
+<p>Lucien a été mené prisonnier à Malte.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 24 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, point d'estafette depuis deux jours. Je n'ai pas de
+ nouvelles directes de Masséna et je ne suis pas sans inquiétude sur
+ son armée. Je me porte bien, j'attends des nouvelles décisives de
+ Paris. Je désire que tu charges James ou mieux encore Nicolas, de
+ savoir s'il serait possible d'acquérir la terre de Montjeu à une
+ lieue d'Autun, après s'être assuré que le château est encore
+ habitable, à moins que tu ne préfères une terre en Provence, je
+ désire un bois de chasse et de l'eau, c'est ce que je trouve à
+ Montjeu; si tu préfères le midi, je te laisse le choix.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 28 novembre 1810.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 4, je me porte bien, les
+ affaires sont ici dans le même état. Je suis toujours sans réponse à
+ tout ce que j'ai écrit. Je ne pense pas pouvoir prolonger cet état
+ humiliant au delà de cette année. Je te prie de remettre à M.
+ Bouchard<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a> l'incluse; engage-le <span class="pagenum"><a id="page043" name="page043"></a>(p. 043)</span> à partir sur-le-champ et
+ de me répondre de dessus les lieux. Il faut finir ceci d'une manière
+ ou d'une autre; quoique je te dise que je me porte bien et que cela
+ soit ainsi, cependant ma constitution n'est plus ce qu'elle était et
+ je sens qu'elle ne résisterait pas à cet état de choses qui n'est
+ pas fait pour un homme tel que moi, toute la puissance de l'empereur
+ ne peut pas faire que je reste ici dans la position du dernier des
+ polissons. Tu peux voir par la lettre ci-jointe comment un général
+ français traite mes ministres. Un voleur effréné que j'ai renvoyé
+ d'ici, il y a trois mois, y revient triomphant. Ce misérable a causé
+ le massacre de plus de cent Français, victimes de l'exaspération des
+ habitants de la province de Guadalaxara et Cuença où il commandait
+ une colonne et où il ravageait tout. J'entre dans ces détails pour
+ que tu saches bien qu'on me force au parti que je prends et que je
+ n'en ai pas d'autre à prendre.</p>
+
+<p>Marius Clary doit être arrivé, j'attendrai la réponse à la lettre
+ que je t'ai écrite par lui avant de partir.</p>
+</div>
+
+<p>La fin de l'année 1810 et le commencement de 1811 ne furent pas plus
+favorables à Joseph; aussi voit-on ses lettres à la reine contenir
+sans cesse les mêmes plaintes, justifiées par la conduite de
+l'empereur à l'égard de l'Espagne.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 8 janvier 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 14 et 16, je suis peiné de
+ la perte de M<sup>lle</sup> Antoinette qui t'était attachée depuis si
+ longtemps; cette pauvre fille avait eu un grand malheur à mes yeux,
+ celui d'avoir occasionné cet accident qui a eu tant d'influence sur
+ notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni
+ de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois
+ ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi
+ lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec
+ mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de
+ mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment
+ m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu
+ partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux
+ pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en
+ désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton
+ absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous
+ dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a> ont anéanti
+ <span class="pagenum"><a id="page044" name="page044"></a>(p. 044)</span> tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans
+ l'esprit d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même
+ situation où je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois
+ ans. J'ai depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me
+ suis vu sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres
+ affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de
+ bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma
+ vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je
+ désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me
+ sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans
+ une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je
+ paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans
+ laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit,
+ attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me
+ paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 6 février 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que
+ celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai
+ adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir
+ accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits
+ les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un
+ dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les
+ nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on
+ m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu
+ ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus
+ rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que
+ j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est
+ assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis
+ hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à
+ des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la
+ fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu
+ dois penser si je désire que tout cela finisse.</p>
+</div>
+
+<p>Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi,
+après l'exposé fidèle de sa situation, dit:</p>
+
+<p class="lettre">Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel
+ ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le
+ prolongeais volontairement.</p>
+
+<p>Et plus loin:</p>
+
+<p class="lettre">Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je
+ pouvais <span class="pagenum"><a id="page045" name="page045"></a>(p. 045)</span> faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me
+ conseillent ne connaissent ma position ici, et nécessairement <i>elle
+ finirait par un événement tragique si elle ne finit pas par mon
+ départ volontaire</i>.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 24 mars 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai
+ écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même
+ état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le
+ permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me
+ rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans
+ quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour
+ cela.</p>
+
+<p>Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à
+ Mortefontaine pour ne plus vous quitter.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort
+justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne.
+Sa belle-s&oelig;ur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le
+comte de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il
+n'entrait pas encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser
+la Péninsule sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que
+tout autre. La guerre devenait imminente avec le Nord, il lui
+paraissait utile d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait
+son caractère loyal, affectueux et son dévouement personnel pour
+lui. Il fit donc écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier
+répondit à son oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7<sup>me</sup>
+volume des <i>Mémoires de Joseph</i> et dont on a retranché cette phrase:</p>
+
+<p class="lettre">Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai
+ craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez,
+ après un rhume et une inflammation de poitrine.</p>
+
+<p>En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même
+jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à
+quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi:</p>
+
+<p class="lettre">Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous
+ importuner des sentiments que vous partagez ou <i>repoussez
+ peut-être</i>.</p>
+
+<p>Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde
+lettre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Madrid, 24 mars 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra
+ <span class="pagenum"><a id="page046" name="page046"></a>(p. 046)</span> cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un
+ moment. Je vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir.
+ Je suis inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas
+ accusé la réception. La première, du 14 février, portée par M. le
+ chef d'escadron Clouet, la 2<sup>me</sup> du 19 mars et la 4<sup>me</sup> du 24.</p>
+
+<p>Le général Blaniac<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a> ne voudrait pas que sa femme vînt le
+ rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que
+ ce n'est pas le moment.</p>
+</div>
+
+<p>Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement
+possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se
+mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la
+lettre ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Madrid, le 16 avril 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie,
+ par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre
+ et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet
+ qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne
+ ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait
+ que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques,
+ sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe
+ pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et
+ l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au
+ prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la <i>Toison
+ d'or</i> au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait
+ agréée. C'était l'usage autrefois.</p>
+
+<p>Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait
+se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se
+hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le
+prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du <i>roi de
+Rome</i>.</p>
+
+<p>Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et
+dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux <i>Mémoires</i>,
+le passage suivant:</p>
+
+<p class="lettre">Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux
+ mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes
+ qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin
+ bien <span class="pagenum"><a id="page047" name="page047"></a>(p. 047)</span> vif par l'état presque désespéré dans lequel se
+ trouve le fils de R&oelig;derer, par une blessure mortelle qu'il a
+ reçue hier soir, dans une affaire particulière. Je trouvais quelque
+ plaisir à mener ce jeune homme à son père. Le destin en décide
+ autrement.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai
+ écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très
+ longues lettres; celle du 19 mars<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a> t'annonçait ma détermination
+ de me mettre en route pour la France; j'étais alors assez malade, je
+ n'ai pas été bien depuis, je suis mieux depuis mon départ de Madrid.
+ Je reçois aujourd'hui une lettre du prince de Neufchâtel qui
+ m'apprend que l'empereur a consenti à me faire un prêt de 500,000
+ francs par mois. J'écris à ce sujet à l'empereur la lettre que tu
+ lui remettras ou lui feras remettre, j'arriverai peu de jours après
+ cette lettre.</p>
+
+<p>Je t'ai écrit il y a quelques jours par M. Jappi que tu dois m'avoir
+ renvoyé avec tes lettres.</p>
+</div>
+
+<p>Le même jour qu'il écrivait à la reine Julie les lettres ci-dessus,
+Joseph adressait à son frère celle qu'on va lire, laquelle a été un
+peu tronquée dans les <i>Mémoires</i>. La voici intégralement:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Santa Maria de la Nieva, le 25 avril 1811.</p>
+
+<p>Sire,</p>
+
+<p>Je suis parti de Madrid le 23 sans avoir reçu aucune réponse aux
+ lettres que j'ai écrites depuis 3 mois à Votre Majesté, à la reine
+ et au prince de Neufchâtel. J'ai retardé tant que j'ai pu mon
+ voyage, mais la nécessité m'a enfin décidé et ce ne sera pas sans
+ peine que les services se soutiendront à Madrid pendant 40 jours,
+ quoique le trésor se trouve déchargé en grande partie de la dépense
+ de ma maison. J'ai dû craindre que Votre Majesté ne se rappelât plus
+ de moi et je n'ai vu de refuge que dans la retraite la plus obscure;
+ aujourd'hui je reçois une lettre du prince de Neufchâtel du 8, qui
+ m'annonce quelque secours; cette lettre me prouve que ma position
+ véritable commence à être connue et il n'est pas douteux que je
+ n'aurai rien à désirer de vous dès que je connaîtrai votre volonté,
+ puisque la mienne sera de m'y conformer autant que cela me sera
+ possible.</p>
+
+<p>Je retournerai en Espagne si vous jugez ce retour utile, mais je ne
+ <span class="pagenum"><a id="page048" name="page048"></a>(p. 048)</span> puis y retourner qu'après vous avoir vu et après vous
+ avoir éclairé sur les hommes et les choses qui ont rendu mon
+ existence d'abord difficile, puis humiliante et enfin impossible et
+ m'ont mis dans la position où je suis aujourd'hui.</p>
+
+<p>Je suis prêt aussi à déposer entre les mains de Votre Majesté les
+ droits qu'elle m'a donnés à la couronne d'Espagne, si mon
+ éloignement des affaires entre dans ses vues, et il ne dépendra que
+ de vous de disposer du reste de ma vie, dès que vous aurez assez vu,
+ pour avoir la conviction que vous connaissez l'état de mon âme et
+ celui des affaires de ce pays où je ne pourrai retourner avec succès
+ que nanti de votre confiance et de votre amitié, sans lesquelles le
+ seul parti qui me reste à prendre est celui de la retraite la plus
+ absolue; dans tous les cas, dans tous les événements je mériterai
+ votre estime. Ne doutez jamais de mon dévouement et de ma tendre
+ amitié.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Burgos, 1<sup>er</sup> mai 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 20 et 22; je t'ai écrit
+ le 16 avril et le 26 d'Almeida. Le voyage est utile à ma santé, je
+ séjournerai ici aujourd'hui pour ôter toute inquiétude que l'on
+ aurait eue en regardant ce voyage comme un départ définitif. J'ai
+ dissipé toutes ces craintes à Valladolid et sur toute la route et
+ j'ai dit que je retournerai dans le mois de juin avec ma famille.
+ Ainsi si les affaires prennent cette tournure à Paris, prépare-toi à
+ venir bientôt en Espagne et le plus tôt est le mieux. Dans ce cas,
+ mon absence ne saurait être trop courte, le bien réel et celui de
+ l'opinion qu'opérerait mon retour, dissiperait bientôt la légère
+ inquiétude occasionnée par mon départ et le bien serait décuple du
+ mal. Il y a beaucoup de choses à faire et plus encore à éviter pour
+ terminer les affaires d'Espagne d'une manière avantageuse aux deux
+ nations; il ne dépendra pas de moi que tout cela ne réussisse. Je
+ serai dans neuf jours à Bayonne, je pourrai peu de jours après
+ recevoir ta réponse à cette lettre. Je désire descendre à
+ Mortefontaine, j'ai avec moi 8 ou 10 personnes et 20 domestiques.</p>
+</div>
+
+<p>Dans cette lettre on voit le roi Joseph renaître à l'espérance; cela
+provenait de ce que ce malheureux souverain, pendant son voyage,
+venait de recevoir de Berthier la nouvelle que l'empereur
+consentirait à lui faire un prêt de 500,000 francs par mois, comme
+il l'annonce à sa femme.</p>
+
+<p>Joseph resta à Paris près de son frère et de sa femme, pendant le
+mois de mai et une partie de celui de juin 1811. L'empereur lui fit
+<span class="pagenum"><a id="page049" name="page049"></a>(p. 049)</span> beaucoup de promesses, ce qui le détermina à retourner en
+Espagne. Dans une circonstance assez secondaire, Napoléon lui fit
+témoigner d'une façon fort dure son mécontentement. Le 11 juin 1811,
+l'empereur écrivit à Berthier:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Saint-Cloud, le 11 juin 1811.</p>
+
+<p>Mon cousin, je vous prie d'aller voir le roi d'Espagne pour lui
+ parler de la dernière audience diplomatique et de l'indécence avec
+ laquelle s'y sont comportés plusieurs Français portant la cocarde
+ espagnole. Ils sont entrés en forçant la consigne et sachant bien
+ que je ne reçois pas les Français qui sont à <i>un service étranger</i>.
+ Heureusement je ne les ai pas vus, je les aurais fait chasser. Vous
+ direz que j'avais entendu, par recevoir les Espagnols, recevoir les
+ trois ministres et quelques chambellans espagnols que le roi a
+ amenés, mais que c'est sur la liste destinée pour le <i>Moniteur</i> que
+ j'ai vu le nom de plusieurs Français, entre autres celui du sieur
+ Tascher qui n'a pas même la permission de porter la cocarde
+ espagnole, et qu'à cette occasion, je ne comprends pas comment on
+ puisse porter une cocarde étrangère sans en avoir l'autorisation;
+ que ce que je désire, c'est que Clary, Miot, Expert et les autres
+ Français portés sur la liste, partent demain et se mettent en route
+ pour Bayonne; que je ne m'oppose pas à ce que le roi en fasse ce
+ qu'il veut en Espagne, mais que je ne puis m'accoutumer à voir des
+ Français venir faire de l'embarras à Paris sous un costume étranger.
+ Le remède à tout, c'est qu'ils partent aujourd'hui ou demain,
+ quoique je ne vois pas quelle nécessité il y avait à ce que le roi
+ mène ce tas de gens avec lui; vous direz également au roi que je ne
+ vois pas d'objection à ce qu'il parte, que quant à mes dispositions,
+ je persiste dans celles dont vous lui avez fait part, que votre
+ lettre doit donc lui servir de règle, que le temps prouvera par la
+ conduite qu'il tiendra si le voyage de Paris lui a été utile et s'il
+ a acquis la prudence nécessaire pour manier ces matières; que, quant
+ à l'argent, je fais donner au roi ces sommes sur les sommes
+ mensuelles que je lui ai promises, mais que c'est bien mal employer
+ son argent que celui destiné à payer les voyages d'un tas de gens
+ inutiles comme Miot, les Expert, etc.....</p>
+</div>
+
+<p>Joseph reçut la visite de Berthier au moment où il partait pour
+l'Espagne. Malgré cette dure leçon, il quitta Paris plein
+d'espérance, croyant avoir la certitude que son frère, selon ses
+promesses, viendrait à son secours, avancerait les fonds nécessaires
+à l'entretien et au salut de la Péninsule. Il ne tarda pas à être
+désabusé, ainsi qu'on va le voir par ses lettres à la reine,
+laquelle ne l'avait pas suivi, attendant pour se rendre à Madrid
+avec ses enfants que les choses eussent pris une meilleure tournure.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page050" name="page050"></a>(p. 050)</span> Joseph lui écrivit le 23 septembre 1811:</p>
+
+<p class="lettre">Ma chère amie, je reçois ta lettre du 10. Tu connaîtras ma
+ situation, elle est peu agréable; tu sais que je devais recevoir un
+ secours d'un million par mois, je reçois à peine la moitié, je ne
+ pourrai pas tenir longtemps si cet état de choses dure. Si ta santé
+ te permet de venir, tâche d'obtenir de l'empereur ce qui m'est dû
+ depuis juillet, à raison d'un million par mois, et même une avance
+ de quelques mois, afin que je ne sois pas dans l'inquiétude comme
+ aujourd'hui, lorsque vous serez arrivées.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> octobre 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je n'ai pas eu de tes lettres par le dernier
+ courrier, les enfants m'ont écrit que tu étais à Compiègne; il m'est
+ dû près de trois millions de francs sur le prêt que l'empereur m'a
+ promis d'un million par mois à dater du 1<sup>er</sup> juillet, aussi suis-je
+ dans les plus grands embarras; écris-moi si tu comptes partir, ne te
+ mets pas en route sans être précédée ou accompagnée par six millions
+ au moins, afin que je puisse avoir l'esprit en repos pour quelque
+ temps, faute de quoi il vaut mieux rester à Paris, car, sans argent,
+ sans troupes, sans commandement véritable, il est impossible que ma
+ position se prolonge longtemps; je me porte bien.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 1<sup>er</sup> novembre 1811.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je n'ai pas reçu de tes lettres par la dernière
+ estafette, j'attends avec impatience de savoir que tu te portes bien
+ et que l'empereur m'envoie effectivement l'argent que je lui ai
+ demandé, sans lequel je ne puis rien faire de bon ici, le million
+ qu'il m'a promis comme avance à dater du 1<sup>er</sup> juillet et un autre
+ million en remplacement du quart des autres arrondissements.</p>
+
+<p>Marius Clary a été très malade, mais il est mieux, tu m'as parlé de
+ deux partis pour sa s&oelig;ur, je ne connais pas le personnel du
+ <i>civil</i>, mais, s'il est bon, je le préfère au <i>militaire</i>, dont tu
+ me parles.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Joseph avait beaucoup d'affection pour le général Hugo,
+employé à Madrid. Le général vivait en mauvaise intelligence avec sa
+femme, il lui écrivit le 30 janvier 1812:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai lu avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous m'avez écrit, ainsi
+ que M<sup>me</sup> Hugo.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page051" name="page051"></a>(p. 051)</span> Mon désir le plus constant est que vous vous arrangiez de
+ manière à être heureux, je n'ai rien négligé pour cela,
+ l'attachement que je vous porte m'en a fait un devoir; mais, si mes
+ v&oelig;ux ne se réalisent pas, je ne dois pas vous cacher que ma
+ volonté est que vous ne donniez pas ici un exemple scandaleux en ne
+ vivant point avec M<sup>me</sup> Hugo comme le public a droit de l'attendre
+ d'un homme qui, par sa place, est tenu à donner le bon exemple.</p>
+
+<p>Quel que soit le regret que j'aurais de vous voir éloigné de moi, je
+ ne dois pas vous cacher que je préfère ce parti au spectacle
+ qu'offre votre famille depuis trois mois.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 1<sup>er</sup> février 1812.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je n'ai rien de bon à t'écrire après la prise de
+ Valence; la récolte a été mauvaise et le blé est très cher, il y a
+ beaucoup de misère ici; je reçois à peine la moitié de ce qui
+ m'avait été promis à Paris, et je serais impardonnable d'être
+ reparti si j'avais pu prévoir l'avenir qui m'attendait dans ce pays.
+ Les avantages que je pouvais tirer de la reddition de Valence par le
+ grand nombre de soldats qui abandonnent l'insurrection, vont bientôt
+ être perdus par le dénûment où je me trouve et d'argent et de moyens
+ de m'en procurer; quelle sera la fin de tout ceci, je l'ignore et ne
+ veux pas la prévoir: 1<sup>o</sup> l'unité dans le commandement et dans
+ l'administration; 2<sup>o</sup> un but fixe et certain offert à toutes les
+ provinces, pourraient encore sauver nos affaires et il faudrait que
+ l'empereur fit encore beaucoup de sacrifices d'argent, sans cela
+ tout ira mal et va déjà si mal que, ne pouvant rien, je dois désirer
+ que cela finisse pour moi le plus tôt possible.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, le 21 février 1812.</p>
+
+<p>J'ai reçu ta lettre du 28 janvier et 1<sup>er</sup> février. Je suis fâché
+ d'apprendre que ta santé n'est pas bonne, je n'ai aucune réponse
+ directe aux lettres que j'ai écrites, il est fâcheux que cela soit
+ ainsi; mais il serait encore plus fâcheux pour moi que je crusse
+ mériter d'être traité comme je le suis, je désire que tout ce qui se
+ passe finisse bien, je le désire sincèrement plus que je ne
+ l'espère.</p>
+
+<p>Ma santé n'est pas très bonne, cependant je serais heureux de penser
+ que la tienne fût de même.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à Julie.</p>
+<p class="date">Madrid, 7 mars 1812.</p>
+
+<p>Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14; je n'ai aucune nouvelle de
+ <span class="pagenum"><a id="page052" name="page052"></a>(p. 052)</span> Paris, tu ne me dis rien des événements qui sont arrivés
+ ou dont nous sommes menacés, ma position ici est impitoyable; que je
+ sauve l'honneur, je regrette peu le reste.</p>
+
+<p>Adieu, ma chère amie, écris-moi la vérité et embrasse nos enfants.</p>
+</div>
+
+<p>Vers cette époque une mesure prise bien tard sans doute, mais enfin
+prise par l'empereur, prêt à partir pour le Nord, rendit un peu de
+courage à Joseph et lui donna quelque espérance. Il apprit que son
+frère plaçait sous son commandement unique toutes les troupes en
+Espagne et lui donnait pour major-général le maréchal Jourdan. Le
+roi se mit immédiatement à la tête de ses armées, mais il s'aperçut
+bientôt de la difficulté qu'il aurait à se faire obéir des
+commandants des divers corps, accoutumés à être indépendants.</p>
+
+<p>Dès qu'il fut entré en campagne, Joseph écrivit à la reine un grand
+nombre de lettres fort importantes. Il lui manda de Valence le 9
+septembre 1812:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma chère amie, tu pourras concevoir par la copie ci-jointe
+ l'enchaînement des événements qui m'ont forcé à quitter Madrid, la
+ résistance qu'a éprouvée l'exécution de mes ordres au Nord et au
+ Midi, la précipitation qu'a mis l'armée de Portugal retirée derrière
+ le Duero à attaquer l'armée anglaise avant l'arrivée des secours qui
+ lui étaient annoncés du Nord et du Centre. Masséna arrive; s'il
+ amène des troupes, si on envoie de l'argent, si les généraux qui ne
+ veulent pas obéir et qui s'isolent dans leurs provinces sont
+ rappelés, les affaires se rétabliront bientôt.</p>
+
+<p>Je me porte très bien, je t'embrasse avec mes enfants, je désire que
+ vous vous portiez aussi bien que moi et vous revoir bientôt, car la
+ vie se passe.</p>
+
+<p>Si l'empereur ne rappelle pas les généraux du Nord et du Midi, il
+ n'y a rien de bon à espérer dans un état de choses où il faut un
+ commandement prompt, absolu, et où l'impunité encourage à la
+ désobéissance et perpétuera les malheurs jusqu'à la perte totale de
+ ce pays.</p>
+</div>
+
+<p>À cette lettre était jointe la copie de la lettre de Joseph à
+Berthier, en date du 4 septembre, qui ne se trouve pas aux Mémoires
+et que voici. Elle est relative à la bataille de Salamanque.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Valence, le 4 septembre 1812.</p>
+
+<p>J'apprends par une voie indirecte que le conseil des ministres ayant
+ eu connaissance des résultats de l'action qui a eu lieu le 21
+ juillet dernier aux environs de Salamanque entre l'armée de Portugal
+ et l'armée <span class="pagenum"><a id="page053" name="page053"></a>(p. 053)</span> anglaise, avait donné des ordres pour faire
+ passer en Espagne des renforts et remis à M. le prince d'Essling le
+ commandement de l'armée de Portugal.</p>
+
+<p>En adressant à V. A. S. mes remerciements de l'empressement qu'elle
+ et le conseil des ministres ont mis à prendre cette mesure, je crois
+ devoir lui communiquer directement un sommaire des événements et de
+ la situation des affaires militaires avant et après cette époque, ma
+ correspondance avec le ministre de la guerre en contient les détails
+ en quelque sorte jour par jour, mais dans la crainte qu'elle ne lui
+ soit pas parvenue, il me paraît utile d'en rassembler ici les
+ principaux faits.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Raguse ne s'étant pas cru en mesure d'attaquer
+ les Anglais, après qu'ils eurent passé l'Agueda le 12 juin, se
+ retira successivement entre la Tormès et le Duero et finalement
+ passa sur la rive droite de ce fleuve.</p>
+
+<p>L'armée de Portugal resta dans cette position en rappelant à elle
+ toutes ses divisions.</p>
+
+<p>L'armée anglaise demeura en observation sur la rive gauche du Duero,
+ et ne fit aucune tentative pour le passer.</p>
+
+<p>Il était aisé de prévoir que le sort de l'Espagne pourrait dépendre
+ d'une affaire qui paraissait inévitable et qu'il était de la plus
+ haute importance de mettre le duc de Raguse en état de combattre
+ avec les plus grandes probabilités de succès.</p>
+
+<p>Je pressai des secours de toutes parts, mais mes ordres ne furent
+ pas exécutés, le général en chef de l'armée du Midi<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a> se refusa
+ aux dispositions que j'avais prescrites, et ce ne fut qu'après
+ beaucoup d'hésitations que celui de l'armée du Nord se détermina à
+ faire partir sa cavalerie et son artillerie que je lui avais ordonné
+ d'envoyer au duc de Raguse.</p>
+
+<p>Réduit par conséquent à mes propres forces, je pris le parti
+ d'évacuer toutes les provinces du Centre; je ne laissai de garnisons
+ qu'à Madrid et à Tolède et je formai un corps de 14,000 hommes avec
+ lequel je partis de Madrid le 21 pour me porter sur le Duero et
+ effectuer ma jonction avec l'armée du Portugal.</p>
+
+<p>J'appris en route que M. le maréchal duc de Raguse avait déjà passé
+ ce fleuve, le 18, à Tordesillas, que l'armée anglaise s'était
+ repliée sur Salamanque; je continuai à marcher avec la confiance
+ d'opérer très promptement ma jonction sur la rive gauche du Duero.</p>
+
+<p>Mais au moment où cette jonction allait avoir lieu, je reçus le 25
+ juillet, à Blasca-Sancho, des lettres de M. le maréchal Marmont et
+ de M. le général Clausel qui m'annonçaient qu'il y avait eu le 22
+ une affaire générale; comme ces lettres fixent d'une manière précise
+ les <i>événements de cette journée où M. le maréchal duc de Raguse, à
+ la veille <span class="pagenum"><a id="page054" name="page054"></a>(p. 054)</span> de recevoir des renforts qu'il attendait depuis
+ un mois, a engagé volontairement une action dont les résultats ont
+ été si graves</i>, j'en adresse une copie à Votre A. S.<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a></p>
+
+<p>L'armée du Portugal faisait sa retraite en toute hâte et sans
+ chercher à s'appuyer des forces que j'avais avec moi, je ne pouvais
+ plus que me retirer et tout ce qui me restait à faire était de
+ tenter de ralentir la poursuite de l'ennemi par ma présence en
+ attirant son attention sur moi.</p>
+
+<p>Je partis donc le même jour, 25, dans l'intention de me replier à
+ petites journées sur Madrid.</p>
+
+<p>Le 27 je fus rejoint par un aide de camp (M. Fabier) de M. le
+ maréchal duc de Raguse qui m'apportait des dépêches de lui et du
+ général Clausel. L'un et l'autre me mandait que la poursuite de
+ l'ennemi était ralentie et me témoignaient le désir de se réunir à
+ moi, si je voulais m'approcher d'eux.</p>
+
+<p>Quoique je sentisse tout le danger de ce mouvement, je ne m'y
+ refusai pas et je me dirigeai sur Ségovie, où je restai quatre jours
+ pour donner le temps à l'armée du Portugal de se porter sur moi;
+ mais elle ne changea pas sa première direction, soit que l'ennemi
+ l'en ait empêchée, soit qu'elle n'ait jamais eu le dessein réel de
+ s'éloigner du Nord. Elle continua sa retraite sur le Duero qu'elle
+ passa et se détacha ainsi totalement de moi.</p>
+
+<p>En revenant à Madrid, le 3 août, avec le petit corps de troupes que
+ je ramenais, j'avais l'espérance d'être joint par dix mille hommes
+ de l'armée du Midi que, depuis le 9 juillet, j'avais donné l'ordre
+ au duc de Dalmatie d'envoyer à Tolède. Je me flattais aussi que le
+ corps du comte d'Erlon, de la même armée, qui était en Estramadure,
+ aurait fait un mouvement pour se rapprocher du Tage, suivant mes
+ instructions; avec ces ressources j'aurais pu défendre et couvrir la
+ capitale contre un détachement que l'armée anglaise eût fait sur
+ moi, après avoir rejeté l'armée du Portugal sur l'Ebre; mais toutes
+ ces espérances s'évanouirent à la réception d'une lettre du duc de
+ Dalmatie qui refusait positivement d'obéir.</p>
+
+<p>D'un autre côté, j'apprenais que <i>l'armée du Portugal s'éloignait de
+ plus en plus du Duero et se retirait sur Burgos</i>; en même temps tous
+ les rapports annonçaient que lord Wellington se préparait à marcher
+ sur la capitale; toute la population y était en mouvement.</p>
+
+<p>En effet, l'ennemi ayant passé les montagnes le 8 et le 9, plus de
+ 2000 voitures partaient de Madrid le 10, en se dirigeant vers le
+ Tage.</p>
+
+<p>Je me portai le même jour de ma personne sur le point où leurs
+ <span class="pagenum"><a id="page055" name="page055"></a>(p. 055)</span> divisions, après s'être retirées des débouchés des
+ montagnes, s'étaient repliées et je fis reconnaître l'ennemi qui les
+ suivait; cette reconnaissance engagea un combat très opiniâtre de
+ cavalerie et dont les résultats furent à notre avantage. L'ennemi
+ perdit trois pièces de canon, beaucoup de morts, de blessés et un
+ assez grand nombre de prisonniers, dont les rapports ne me
+ laissèrent au surplus aucun doute sur le parti que j'avais à
+ prendre.</p>
+
+<p>Je n'avais avec moi que huit mille hommes de disponibles, le reste
+ escortait le convoi. Je passai le Tage le 12 août au soir.</p>
+
+<p>Comme j'avais écrit, dès que j'eus la nouvelle de l'affaire du 22
+ juillet, de Ségovie au duc de Dalmatie d'évacuer l'Andalousie et de
+ venir me rejoindre avec toute son armée, mon premier dessein avait
+ été de marcher au devant de cette armée et de me réunir à elle aux
+ débouchés de la Sierra-Morena, mais des nouvelles lettres que je
+ reçus de M. le maréchal duc de Dalmatie (à 5 lieues d'Ocana), ne me
+ laissant rien à espérer du moins pour le moment, je me décidai à me
+ retirer sur Valence.</p>
+
+<p>En prenant cette résolution j'ai eu en vue deux objets principaux,
+ l'un de mettre en sûreté l'immense population qui m'a suivi, l'autre
+ de protéger et de défendre le royaume de Valence, menacé par un
+ débarquement à Alicante de 13,000 Anglais, Siciliens et Majorcains,
+ qui, réunis aux forces de Freyre et d'O'Donnel, auraient formé un
+ corps de 25 à 30,000 hommes, capable d'inquiéter sérieusement
+ l'armée d'Aragon.</p>
+
+<p>J'ai été assez heureux pour atteindre ce double but, le convoi est
+ arrivé à Valence et la présence inopinée des troupes que j'amenais
+ avec moi a forcé l'ennemi à se retirer sous Alicante et peut-être à
+ s'embarquer.</p>
+
+<p>J'ai trouvé ici des nouvelles de France, dont j'étais privé depuis
+ trois mois.</p>
+
+<p>L'armée se repose d'une route extrêmement fatigante, je fais filer
+ sur les derrières tout ce qui a jusqu'ici embarrassé ma marche et je
+ laisse partir pour la France les familles françaises qui désirent y
+ rentrer.</p>
+
+<p>S'il arrive des secours de France pour réparer les pertes du 22
+ juillet et contre-balancer les renforts que l'ennemi reçoit de la
+ Méditerranée et de l'Océan, si l'on m'envoie 15 à 20 millions en sus
+ des versements habituels du trésor impérial, si, enfin, instruits
+ par ce qui vient de se passer, les généraux commandant les divers
+ corps de l'armée exécutent mes ordres, au lieu de les discuter, ce
+ qui arrivera lorsque l'empereur leur témoignera son mécontentement
+ et en aura rappelé quelques-uns, je ne doute pas que les affaires
+ d'Espagne se rétablissent.</p>
+
+<p>Agréez, etc.</p>
+
+<p><i>P. S.</i> Valence, le 8 septembre 1812. Au moment où je fais partir ce
+ <span class="pagenum"><a id="page056" name="page056"></a>(p. 056)</span> duplicata, je reçois les papiers publics de Paris jusques
+ au 21 août; je ne puis cacher à V. A. S. ma surprise sur la manière
+ dont on y rend compte de l'affaire du 22 juillet. Comment M. Fabier,
+ qui a porté la nouvelle de cette action à Paris et qui m'a
+ accompagné à Ségovie <i>où je suis resté quatre jours</i>, protégeant la
+ retraite de l'armée du Portugal, a-t-il pu laisser ignorer mon
+ mouvement et le dévouement personnel que j'ai mis à rester seul en
+ présence de l'ennemi, tandis que les débris de l'armée du Portugal
+ passaient de l'autre côté du Duero, ainsi que V. A. S. le voit par
+ les détails contenus dans cette lettre? <i>Je ne voulais pas
+ m'appesantir sur cette mauvaise foi et cette perfidie. La bataille
+ du 22 a été perdue parce que le maréchal duc de Raguse n'a pas voulu
+ m'attendre, ni attendre les secours qui lui venaient du Nord; ces
+ secours et ceux que je lui amenais étaient en mesure de le joindre
+ le lendemain ou le surlendemain de l'affaire; mais il paraît que,
+ trompé par une ruse de lord Wellington</i> qui a fait tomber entre ses
+ mains une lettre au général Castanos, dans laquelle il lui mandait
+ que sa position n'était plus tenable et qu'il était obligé de se
+ retirer, M. le duc de Raguse a cru marcher à une victoire assurée,
+ et une soif désordonnée de gloire ne lui a pas permis d'attendre <i>un
+ chef</i>.</p>
+</div>
+
+<p>Une fois encore la reine Julie et ses enfants durent se mettre en
+route pour venir rejoindre le roi Joseph à Madrid, mais ce projet
+dut être abandonné pour l'instant. Le roi fut obligé de quitter sa
+capitale pour chercher à se réunir aux armées de Suchet et de Soult.
+Tandis que ce dernier s'obstinait à rester en Andalousie et que
+Marmont avec l'armée du Portugal se hâtait de livrer
+inconsidérément, près de Salamanque, la bataille des Arapiles, qu'il
+perdait pour n'avoir pas voulu attendre les renforts en marche pour
+le rejoindre, Joseph ralliait Suchet à Valence, apprenait par le
+plus singulier des hasards les infâmes accusations du duc de
+Dalmatie<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>, portait son quartier-général à Valladolid, selon les
+instructions de l'empereur, et écrivait de cette ville, le 3 mai
+1813, à la reine Julie:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 8 avril par des courriers qui
+ portent des lettres de Paris à la date du 16. Je n'ai pas reçu de
+ lettre des enfants, je me persuade toutefois que vous vous portez
+ bien toutes les trois. M. de la Forest<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a><a href="#footnote35" title="Lien vers la note 35"><span class="smaller">[35]</span></a> part pour les eaux, je
+ pense que tu le verras à Paris, son langage est bon, mais il n'est
+ pas secondé par quelques chefs qui en tiennent un différent. Les
+ troubles du Nord de l'Espagne <span class="pagenum"><a id="page057" name="page057"></a>(p. 057)</span> ne peuvent être attribués
+ qu'à l'erreur dans laquelle on laisse les habitants sur leur sort
+ futur; l'opinion a causé tout le mal et l'opinion continue à être
+ trompée et à causer cette résistance nationale qui occupe une grande
+ partie de nos forces. Du reste, l'opinion générale de toutes les
+ provinces et de toutes les classes est uniforme: la paix..... qui
+ conserve la paix avec la France et qui garantit l'intégrité et
+ l'indépendance de la monarchie.</p>
+
+<p>Les opérations ne sont pas encore commencées.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Joseph obtint enfin au commencement de 1813 le rappel du
+maréchal Soult. Il fut informé de cette disposition par une lettre
+du duc de Feltre, auquel l'empereur, qui n'écrivait plus directement
+à son frère, avait envoyé la dépêche suivante, datée de Paris, 3
+janvier:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur le duc de Feltre, le roi d'Espagne demandant qu'on rappelle
+ à Paris le duc de Dalmatie, et ce maréchal le demandant aussi, ou au
+ moins à revenir par congé, envoyez au duc de Dalmatie, par estafette
+ extraordinaire, un congé pour revenir à Paris; le général Gazan
+ prendra le commandement de son corps ou le maréchal Jourdan. Il faut
+ expédier ces ordres par duplicata et triplicata.</p>
+
+<p>Faites connaître au roi, en lui écrivant en chiffres, que, dans les
+ circonstances actuelles, je pense qu'il doit placer son quartier
+ général à Valladolid, que le 29<sup>me</sup> bulletin lui aura fait connaître
+ la situation des affaires du Nord qui exigent tous nos soins et nos
+ efforts, qu'il peut bien faire occuper Madrid par une des extrémités
+ de la ligne, mais que mon intention est que son quartier général
+ soit à Valladolid; et que je désire qu'il s'applique à profiter de
+ l'inaction des Anglais pour pacifier la Navarre, la Biscaye et la
+ province de Santander.</p>
+</div>
+
+<p>Nous allons placer ici l'affaire relative au duc de Dalmatie.</p>
+
+<p>Le maréchal était l'homme qui avait le plus contribué au mauvais
+succès des affaires d'Espagne. Depuis qu'il était en Andalousie, se
+trouvant maître des ressources de cette riche province, il ne
+voulait pas quitter Séville et refusait d'obéir aux ordres du roi,
+lequel avait hâte de concentrer ses forces. Dans le but de pallier
+la faute qu'il commettait en n'obéissant pas aux ordres du roi, son
+chef militaire, puisque Joseph commandait toutes les armées dans la
+Péninsule; dans le but d'échapper aux conséquences de son refus de
+joindre ses troupes à celles des autres corps opérant en Espagne, le
+duc de Dalmatie imagina le plus singulier moyen. Il osa accuser le
+roi Joseph de trahir la France et l'empereur et déclarer qu'il était
+de son devoir de ne pas obéir au roi. Il osa envoyer à Napoléon
+lui-même une dépêche dans ce sens.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page058" name="page058"></a>(p. 058)</span> Voici à cet égard une note copiée au journal du général
+Desprez, colonel, aide de camp de Joseph en 1812, envoyé au duc de
+Dalmatie pour lui porter les ordres du roi, envoyé ensuite à
+l'empereur, à Moscou, pour lui remettre les dépêches de Soult, si
+singulièrement tombées aux mains de Joseph à Valence, ainsi qu'on va
+le voir.</p>
+
+<p>Le colonel Desprez avait été envoyé à Séville par le roi, porter
+l'ordre au maréchal de partir avec l'armée du Midi pour le joindre.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>À peine avais-je quitté l'Andalousie pour revenir près de Joseph,
+ écrit-il, que le duc de Dalmatie s'était occupé de concilier sa
+ propre sûreté avec une désobéissance formelle. Le moyen dont il
+ s'était avisé peut servir à peindre son caractère. Les généraux de
+ division de son corps furent réunis en conseil secret et là, d'une
+ voix émue, il avait annoncé qu'il allait leur faire des révélations
+ aussi pénibles qu'importantes: «J'ai, leur avait-il dit, de fortes
+ raisons de croire que le roi trahit les intérêts de la France. Je
+ sais d'une manière positive qu'il entretient des relations avec la
+ régence espagnole. Son beau-frère, le roi de Suède, lui sert
+ d'intermédiaire. Celui-ci est devenu l'allié des insurgés et déjà
+ 300 Espagnols destinés à former sa garde se sont embarqués à Cadix.
+ Sujet de l'empereur et général français, je dois veiller, avant
+ tout, aux intérêts de mon souverain et à l'honneur de nos armes. Je
+ puis recevoir des ordres qui les compromettront, alors la
+ désobéissance deviendrait un devoir. Dans des circonstances aussi
+ graves, je compte sur votre dévouement à l'empereur et sur votre
+ confiance dans le chef qu'il vous a donné.» Cette démarche avait été
+ habilement conçue dans le cas où le maréchal aurait voulu prendre un
+ parti violent et se trouvait justifiée aux yeux de l'armée.
+ D'ailleurs, il connaissait trop bien le caractère de Napoléon pour
+ craindre que jamais cette excessive défiance lui parût un crime
+ impardonnable. Pour se mettre entièrement à couvert, il avait songé
+ à prévenir le gouvernement français des inquiétudes qu'il avait
+ conçues et des précautions que son dévouement lui avait dictées. Les
+ communications par terre étant interrompues, il fit partir de Malaga
+ un <i>aviso</i> chargé de ses dépêches. À peine le bâtiment était-il
+ sorti du port qu'une corvette anglaise lui avait donné la chasse.
+ Pour échapper à cette poursuite, il était venu se jeter à la côte de
+ Valence. Le capitaine s'étant présenté au duc d'Albuféra, celui-ci
+ prit ses dépêches et les porta au roi; elles furent ouvertes
+ sur-le-champ et on y trouva une longue lettre au ministre de la
+ guerre, où Soult dénonçait formellement celui dont il se disait
+ l'ami le plus dévoué. Je vis cette lettre et il est impossible de
+ concevoir que l'hypocrisie aille plus loin. Après une longue
+ énumération de faits, le maréchal faisait une vive peinture de la
+ douleur qu'il avait éprouvée. Il aurait voulu se dissimuler la
+ vérité, épargner à l'empereur des révélations <span class="pagenum"><a id="page059" name="page059"></a>(p. 059)</span> pénibles,
+ mais le devoir avait parlé plus haut que toute autre considération.</p>
+
+<p>Cette perfidie consterna Joseph. La haute opinion que le maréchal
+ semblait avoir conçue de son esprit, les protestations de tendresse
+ qu'il en recevait, avaient séduit un homme que l'amour-propre
+ rendait excessivement crédule, mais de ce moment toute illusion fut
+ détruite.</p>
+</div>
+
+<p>Cette note, copiée sur le journal du général Desprez, fut
+communiquée à M. de Presle, le jour même où l'aide de camp du roi
+Joseph, devenu un des généraux les plus distingués de l'armée
+française, partit, en 1830, pour l'expédition d'Alger.</p>
+
+<p>L'empereur ne témoigna aucun mécontentement au duc de Dalmatie, ne
+répondit pas à son frère relativement à cette grosse affaire et se
+borna à autoriser le retour en France du maréchal Soult, comme on
+l'a vu, par sa lettre du 3 janvier 1813, au duc de Feltre. Puis, dès
+qu'il connut le résultat de la bataille de Vittoria (24 juin 1813),
+la retraite des armées d'Espagne sur les Pyrénées, l'empereur envoya
+le même duc de Dalmatie prendre le commandement de ses armées
+d'Espagne, commandement que Joseph se hâta de lui remettre.</p>
+
+<p>Ainsi, le malheureux roi d'Espagne, comme l'avait été deux années
+auparavant le roi de Hollande, n'était en quelque sorte qu'un
+souverain nominatif, sans cesse désavoué par l'empereur, désobéi par
+les généraux mis sous ses ordres, et dont les provinces étaient
+dévastées, pillées par plusieurs de ces mêmes généraux. Napoléon lui
+promettait des subsides et trouvait toujours moyen d'éluder une
+partie de ce qu'il s'était engagé à lui fournir; ne répondait ni à
+ses lettres, ni à ses justes réclamations; ne le défendait même pas
+des injurieuses et sottes accusations que portait contre lui un de
+ses propres maréchaux! Bien plus, il semblait admettre que ces
+accusations pouvaient être fondées, car il plaçait ce même maréchal
+à la tête de ses troupes.</p>
+
+<p>En arrivant à Saint-Jean de Luz, le 1<sup>er</sup> juillet 1813, Joseph
+écrivit à la reine:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma chère amie, M. Melito, que j'ai chargé d'une lettre pour
+ l'Empereur, te fera connaître exactement ma position; je ne pense
+ pas que les affaires d'Espagne puissent se rétablir autrement que
+ par la paix générale, je suis resté ici parce que la frontière est
+ menacée, mais dès que cette première frayeur sera dissipée et que la
+ défensive sera bien assurée, ma présence étant inutile, je désire me
+ retirer soit à Mortefontaine, soit dans le Midi; je suppose que l'on
+ formera ici deux armées, qui devront avoir deux chefs différents, je
+ ne crois pas que j'aie ici rien à faire, dès que la première
+ impression sera passée, et que l'empereur <span class="pagenum"><a id="page060" name="page060"></a>(p. 060)</span> aura pris ses
+ mesures. Je ne dois pas te cacher non plus qu'aujourd'hui même je me
+ sens incapable de monter à cheval par mes anciennes douleurs qui
+ m'ont pris cette nuit, soit à la suite des longues pluies que nous
+ avons essuyées, soit à cause du changement de climat et je n'hésite
+ pas à te dire que sous tous les rapports je dois désirer de me
+ retirer. D'un autre côté je suis ici avec une maison qui me coûte
+ encore trois cent mille francs par mois et je n'ai pas un sol pour
+ la payer. Elle vit, depuis la funeste journée du 21, sur le peu
+ d'argent que chacun de mes officiers ou de mes domestiques avait
+ dans sa poche, et pour te donner une plus parfaite idée de ma
+ position, je t'envoie la lettre que je reçois à l'instant même<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a><a href="#footnote36" title="Lien vers la note 36"><span class="smaller">[36]</span></a>.</p>
+
+<p>En me retirant à Mortefontaine, je pourrai y vivre avec mon
+ traitement de France que l'on t'a continué, et si l'empereur veut
+ faire mettre à ma disposition une somme de quelques centaines de
+ mille francs, je pourrai renvoyer tout mon monde avec une légère
+ gratification.</p>
+
+<p>Si l'empereur n'y pense pas, je compte sur Nicolas Clary. En
+ ajoutant aux cent mille francs que je t'ai prié de lui dire de
+ verser à M. James, encore quatre cent mille francs, je pourrai
+ m'acquitter autant que les circonstances le permettent; je suppose
+ que je serai rendu à Mortefontaine avant la fin du mois. La garde,
+ les troupes espagnoles, les militaires des deux nations qui me
+ suivent pourront être habilement employés par l'empereur, et je ne
+ doute pas qu'ils ne servent bien; il me reste le souci de quelques
+ employés français, mais le nombre en est très restreint. Les
+ réfugiés espagnols sont en plus grand nombre, mais j'ai écrit à
+ l'empereur et fait écrire au ministère et je ne doute pas que l'on
+ n'adopte, en leur faveur, les mêmes mesures qui furent prises dans
+ d'autres temps pour les Bataves, les Belges et les Cisalpins. J'ai
+ perdu quelques-uns des diamants qui restaient, mais j'en ai aussi
+ conservé assez pour couvrir Nicolas des avances qu'il serait dans le
+ cas de me faire encore. Au reste j'espère que je n'aurai pas besoin
+ de recourir à lui pour peu que l'empereur connaisse ma position. Le
+ traitement de prince français sera bien suffisant pour la vie que je
+ dois mener après tant de traverses.</p>
+
+<p>Je diminuerai la quotité des pensions que je faisais et les
+ répartirai sur les plus malheureux des hommes respectables que j'ai
+ aujourd'hui le malheur de voir partir à pied pour Toulouse, Cahors,
+ Tarbes, sans pouvoir leur donner un sou. Je suis resté avec un
+ napoléon dans ma poche après le massacre de Thibaut<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a><a href="#footnote37" title="Lien vers la note 37"><span class="smaller">[37]</span></a>, je n'ai pu
+ faire vendre à Bayonne de l'argenterie qui y avait été transportée
+ avec des effets usuels, successivement <span class="pagenum"><a id="page061" name="page061"></a>(p. 061)</span> de Madrid pour le
+ palais de Valladolid et de Valladolid pour celui de Vittoria, d'où
+ M. Thibaut, qui était extrêmement soigneux, économe pour mon
+ service, les avait fait transporter. Tout cela se dirigera sur
+ Paris, il y aura de l'argenterie pour cinquante mille écus que M.
+ James peut faire vendre. J'ai fait v&oelig;u d'employer cette somme
+ ainsi que toutes celles qui proviendront du peu que j'ai emporté
+ d'Espagne, en faveur des malheureux patients espagnols qui me
+ suivent ou qui m'ont précédé en France.</p>
+
+<p>J'espère que tu ne désapprouveras rien de tout cela.</p>
+
+<p>Après tant d'orages, ma chère amie, l'idée du calme me donne quelque
+ soulagement et je ne pense pas sans plaisir que je pourrai m'occuper
+ de mes enfants pendant le peu de temps qui me reste à les voir avant
+ leur établissement.</p>
+
+<p>L'empereur me trouvera toujours s'il a besoin de moi et, dans tous
+ les cas, s'il est vrai qu'il ne lui reste plus rien de fraternel
+ dans l'âme pour moi, je le forcerai à ne pas rougir d'un frère qui
+ se sera montré impassible dans la bonne comme dans la mauvaise
+ fortune.</p>
+
+<p>Il me reste à désirer que tu ne te laisses pas affecter par tout
+ ceci, que tu ramènes des eaux une meilleure santé et que tu croyes
+ bien, quelque chose que tu m'aies dite souvent, que je n'ai d'autre
+ ambition que de remplir ce que je crois mes devoirs; cela fait, je
+ préfère et j'ai toujours véritablement préféré la vie privée aux
+ grandeurs et aux agitations publiques, le présent et l'avenir te
+ prouveront ceci.</p>
+
+<p>Melito est parti avec le peu d'argent qu'il avait dans ses poches;
+ je te prie de lui faire remettre 8000 francs, afin qu'il puisse
+ faire convenablement sa route et revenir m'apporter la réponse de
+ l'empereur le plus tôt possible. Si tu te crois en mesure de lui
+ écrire pour la lui recommander, tu me feras plaisir. C'est le seul
+ homme des anciens amis qui me soit resté attaché jusqu'à la fin. Je
+ voudrais que l'empereur trouvât bon qu'il continuât de porter le
+ titre de comte de Melito que je lui donnai à Naples, où tu te
+ rappelles qu'il servait bien comme ministre de l'intérieur.</p>
+
+<p>Adieu, etc.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Joseph à la reine Julie.</p>
+<p class="date">Bayonne, le 13 juillet 1813.</p>
+
+<p>Ma chère amie, M. R&oelig;derer te donnera de mes nouvelles ou
+ t'écrira; je compte aller prendre les eaux de Bagnères où
+ j'attendrai de tes nouvelles; je viendrai te rejoindre à
+ Mortefontaine ou, si cela contrarie l'empereur, tu viendrais ou tu
+ me donnerais rendez-vous dans une terre que tu aurais fait choisir
+ dans le Midi de la France, tu amènerais nos enfants; je me porte
+ assez bien.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page062" name="page062"></a>(p. 062)</span> Les pertes de l'armée se réduisent à des canons, l'ennemi
+ avoue avoir perdu beaucoup plus de chevaux et d'hommes que nous.</p>
+
+<p>Je laisse l'armée plus forte du double que celle que j'avais à
+ Vittoria.</p>
+
+<p>Si tu dois venir me rejoindre, il serait bon que Nicolas y vînt avec
+ toi; si je dois venir à Paris, je le verrai à Paris.</p>
+</div>
+
+
+<h3>(1814-1841.)</h3>
+
+<p>Joseph n'était pas encore arrivé au port où il espérait se reposer
+des tracas de la vie publique. Le sort lui réservait une autre
+période de tourments.</p>
+
+<p>Revenu des eaux de Bagnères, où sa santé l'avait obligé à un court
+séjour, en août 1813, et installé à Mortefontaine près Paris, le
+frère aîné de l'empereur apprit, dans un entretien qu'il eut avec
+Napoléon, que ce dernier était sur le point de replacer Ferdinand
+VII sur le trône d'Espagne. Après une longue discussion avec
+l'Empereur, il crut devoir lui écrire le 30 novembre 1813:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Sire,</p>
+
+<p>La réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le
+ rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes
+ conséquences et pour l'Espagne et pour la France. Le prince
+ Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien en faveur de la
+ France; il pourra tout contre elle, son apparition excitera d'abord
+ quelques troubles, mais les Anglais s'en empareront bientôt et dès
+ qu'ils lui auront fait tourner les armes contre la France, il aura
+ avec lui, et les partisans des Anglais et les partisans de la France
+ que nous aurons abandonnés et ceux qui tiennent au système de voir
+ leur pays gouverné par une branche de la maison de France, système
+ si heureusement professé à Bayonne et qui, depuis un siècle, a fait
+ la tranquillité de l'Espagne. Tout homme de bien et de sens qui
+ connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des
+ hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces
+ vérités. Je prie V. M. de faire consulter quelques Espagnols
+ éclairés qui sont en France, entr'autres MM. Aranza, O'Farell, qui
+ étaient ministres, nommés par le prince Ferdinand.</p>
+
+<p>Quant à moi, Sire, que V. M. daigne un moment se supposer à ma
+ place. Elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé
+ il y a dix ans au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples
+ avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu de traverses de tous
+ les genres, et malgré cela ayant su me concilier l'estime de la
+ nation, persuadé comme je le suis que tant que la dynastie de V. M.
+ régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou
+ par un <span class="pagenum"><a id="page063" name="page063"></a>(p. 063)</span> prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même
+ les seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience
+ sans reproches et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc
+ que présenter ces réflexions à V. M. I. et R., et, dérobant au grand
+ jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille les
+ coups dont il plaira au destin de frapper encore et l'Espagne et
+ moi, et les bienfaits qu'il nous est permis d'espérer de la
+ puissance de votre génie et de la grandeur du peuple français.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur ne répondit pas à cette lettre. Un mois plus tard, le 29
+décembre 1813, Joseph, voyant le territoire suisse violé et la
+France prête à être envahie, écrivit de nouveau à son frère pour se
+mettre à sa disposition. Napoléon lui répondit durement, tout en
+acceptant sa participation à la défense de l'État<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a><a href="#footnote38" title="Lien vers la note 38"><span class="smaller">[38]</span></a>. À son départ
+pour l'armée, il le nomma son lieutenant-général à Paris.</p>
+
+<p>L'ex-roi de Naples et d'Espagne eut avec son frère, tandis que ce
+dernier était à l'armée, une correspondance longue, suivie, des plus
+importantes, publiée d'abord dans les <i>Mémoires du roi Joseph</i>,
+reproduite plus tard dans le grand ouvrage de la correspondance de
+Napoléon 1<sup>er</sup> (du moins quant aux lettres écrites par l'Empereur à
+son frère).</p>
+
+<p>On a omis cependant dans ces deux ouvrages quelques fragments de
+lettres; nous les ferons connaître au fur et à mesure, à leur date.</p>
+
+<p>Joseph, ayant appris que, suivant son exemple et oubliant les
+différends qu'il avait eus avec l'Empereur, Louis venait de se
+mettre à la disposition de Napoléon, écrivit à l'ex-roi de Hollande
+la lettre ci-dessous, datée de Mortefontaine le 2 janvier 1814:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon cher frère, tu sais comment je suis ici depuis dix mois. Quinze
+ jours seulement après mon arrivée, l'Empereur me dit qu'il voulait
+ rétablir les Bourbons en Espagne. Il me demanda mon avis réfléchi.
+ Il est contenu dans la pièce n<sup>o</sup> 1 que je lui ai adressée deux jours
+ après notre entrevue. Il y a huit jours, maman m'a dit que
+ l'Empereur désirait me voir. J'étais alors retenu dans ma chambre
+ par le rhume violent qui m'y retient encore. J'appris en même temps
+ que l'Empereur avait dit aux sénateurs qu'il avait reconnu Ferdinand
+ et accrédité <span class="pagenum"><a id="page064" name="page064"></a>(p. 064)</span> auprès de lui l'ambassadeur Laforest qui
+ était accrédité auprès de moi. J'écrivis alors à l'Empereur la
+ lettre dont ci-joint la copie sous le n<sup>o</sup> 2<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a><a href="#footnote39" title="Lien vers la note 39"><span class="smaller">[39]</span></a>.</p>
+
+<p>Ma femme la lui remit et il lui dit: <i>Je suis forcé à ceci.</i> Les
+ événements me paraissant de plus en plus graves, je lui ai écrit de
+ nouveau hier<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a><a href="#footnote40" title="Lien vers la note 40"><span class="smaller">[40]</span></a>. Le porteur a reçu la même réponse. Le fait est que
+ je puis tout sacrifier à l'Empereur, à la France et à l'Europe,
+ tout, hormis l'honneur. L'honneur ne me permet pas de me montrer
+ autrement que comme roi d'Espagne, tant que je n'aurai pas abdiqué,
+ ce que je ne puis et ce que je ne veux faire que pour la paix
+ générale et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols par un
+ traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne
+ d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne M. le duc de
+ Cadore.</p>
+
+<p>Qu'on me traite en roi, ou qu'on me laisse dans l'obscurité.</p>
+
+<p>Maman qui ne sait rien de tout cela, n'est mue que par un sentiment,
+ celui de la réunion. Je suis très peiné, mon cher Louis, que ces
+ circonstances retardent le plaisir que j'aurai à t'embrasser après
+ tant de désastres.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Joseph était rentré en grâce près de Napoléon, soit que
+l'Empereur le préférât à ses autres frères, soit qu'il eût en lui
+plus de confiance qu'en Louis et en Jérôme. L'empereur continua à
+traiter ces derniers avec rigueur, ne voulant les voir ni l'un ni
+l'autre et écrivant même le 2 février 1814 à l'Impératrice pour lui
+défendre de recevoir le roi et la reine de Westphalie. Ce fait
+résulte de la lettre suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Marie-Louise à Joseph.</p>
+<p class="date">Paris, 3 février 1814.</p>
+
+<p>Je reçois à l'instant une lettre de l'Empereur du 2 février qui me
+ défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte
+ le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito.</p>
+
+<p>Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les
+ regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la
+ sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,</p>
+<p class="min10emli">Votre affectionnée s&oelig;ur.</p>
+<p class="sig smcap">Louise.</p>
+</div>
+
+<p>À la fin de février 1814, seulement, Napoléon voulut bien se
+<span class="pagenum"><a id="page065" name="page065"></a>(p. 065)</span> rapprocher de ses frères Louis et Jérôme. Il écrivit à
+Joseph, de Nogent-sur-Seine, le 21 février, cette curieuse
+lettre<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a><a href="#footnote41" title="Lien vers la note 41"><span class="smaller">[41]</span></a>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie: je
+ l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation
+ que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au
+ roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme
+ hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison
+ westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester
+ en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou
+ quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans,
+ tous Français, et pour la reine, deux ou trois dames françaises pour
+ l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa
+ dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des
+ lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais.
+ Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen
+ et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et
+ la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autorise le roi à
+ habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui
+ appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine
+ continueront à porter le titre de roi et reine de Westphalie, mais
+ ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se
+ rendra à mon quartier-général d'où mon intention est de l'envoyer à
+ Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de
+ l'armée; si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux
+ avant-postes, de n'avoir aucun train royal, de n'avoir aucun luxe,
+ pas plus de 15 chevaux, de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne
+ tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé. J'écris
+ au Ministre de la Guerre et je lui ferai donner des ordres. Il
+ pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa
+ maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de
+ cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de
+ selle, un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou
+ trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il
+ faut qu'il fasse de bons choix d'aides de camp, que ce soit des
+ officiers qui aient fait la guerre, qui puissent commander des
+ troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verdrun, les
+ Brongnard et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait
+ tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le Ministre de la
+ Guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné frère.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page066" name="page066"></a>(p. 066)</span> Dans une autre lettre à Joseph du 7 février, on lit:</p>
+
+<p class="lettre">Faites donc cesser ces prières de 40 heures et ces <i>Miserere</i>; si
+ l'on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la
+ mort. Il y a longtemps que l'on dit que les prêtres et les médecins
+ rendent la mort douloureuse.</p>
+
+<p>L'Empereur termine celle du 9 février par ces mots:</p>
+
+<p class="lettre">Priez la <i>Madona</i> des armées qu'elle soit pour nous, Louis qui est
+ un saint, peut s'engager à lui donner un cierge allumé.</p>
+
+<p>Ces deux passages ont été supprimés dans les <i>Mémoires</i> et à la
+correspondance.</p>
+
+<p>La veille, le 8 février, Napoléon avait envoyé à son frère aîné une
+très longue lettre, des plus importantes, qui explique, avec une
+autre du 15 mars, et justifie pleinement la conduite de Joseph au 31
+mars. Plusieurs passages de la lettre du 8 février, relatifs au roi
+Louis, ont été supprimés dans les ouvrages qui ont paru; nous
+croyons devoir rétablir cette lettre <i>in-extenso</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Nogent, le 8 février 1814, 4 heures du matin.</p>
+
+<p>Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à 11 heures du soir; elle
+ m'étonne beaucoup, j'ai lu la lettre du roi Louis qui n'est qu'une
+ rapsodie; cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la
+ question.</p>
+
+<p>Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez
+ plus en question la fin, qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand
+ cela arrivera je ne serai plus; par conséquent ce n'est pas pour moi
+ que je parle. Je vous ai dit pour l'Impératrice et le roi de Rome et
+ notre famille ce que les circonstances indiquent et vous n'avez pas
+ compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que si le cas arrivait,
+ ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement, je suis persuadé
+ qu'elle-même a ce pressentiment<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a><a href="#footnote42" title="Lien vers la note 42"><span class="smaller">[42]</span></a>.</p>
+
+<p>Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à
+ propos. Du reste je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais
+ m'être expliqué avec vous, mais vous ne vous souvenez jamais des
+ choses et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui
+ vous reflète cette opinion.</p>
+
+<p>Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de
+ mon vivant, j'ai droit à être cru par ceux qui m'entendent.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page067" name="page067"></a>(p. 067)</span> Après cela, si, par des circonstances que je ne puis
+ prévoir, je me portais sur la Loire, je ne laisserai pas
+ l'Impératrice et mon fils loin de moi, parce que, dans tous les cas,
+ il arriverait que l'un et l'autre seraient enlevés et conduits à
+ Vienne, que cela arriverait bien davantage si je n'existais plus. Je
+ ne comprends pas comment, pendant ces menées auprès de votre
+ personne, vous couvrez d'éloges si imprudents la proposition de
+ traîtres si dignes de ne conseiller rien d'honorable; ne les
+ employez jamais dans un cas, même le plus favorable<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a><a href="#footnote43" title="Lien vers la note 43"><span class="smaller">[43]</span></a>. C'est la
+ première fois depuis que le monde existe, que j'entends dire qu'en
+ France une population de (<i>illisible</i>) âmes assiégée ne pouvait pas
+ vivre trois mois. D'ailleurs nul n'est tenu à l'impossible, je ne
+ peux plus payer aucun officier et je n'ai plus rien.</p>
+
+<p>J'avoue que votre lettre du 7 (février) à quatre heures du soir m'a
+ fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que
+ vous vous laissez aller aux bavardages d'un tas de personnes qui ne
+ réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement: si Talleyrand
+ est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à
+ Paris dans le cas où l'ennemi se rapprocherait, c'est trahir; je
+ vous le répète, méfiez-vous de cet homme; je le pratique depuis
+ seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui, mais c'est sûrement
+ le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a
+ abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai
+ donnés, j'en sais plus que ces gens-là.</p>
+
+<p>S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez
+ instruit avant ma maison: <i>faites partir l'Impératrice et le roi de
+ Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au Conseil d'État et à
+ toutes les troupes de se réunir sur la Loire</i>. Laissez à Paris un
+ préfet et une commission impériale, ou des maires.&mdash;Je vous ai fait
+ connaître que je pensais que Madame et la reine de Westphalie
+ pourraient bien rester à Paris logées chez Madame. Si le vice-roi
+ est revenu à Paris, vous pourrez aussi l'y laisser, <i>mais ne laissez
+ jamais tomber l'Impératrice et le roi de Rome entre les mains de
+ l'ennemi</i>. Soyez certain que dès ce moment l'Autriche, étant
+ désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage, et sous le
+ prétexte de voir l'Impératrice heureuse on ferait adopter aux
+ Français tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient
+ leur suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit.</p>
+
+<p>Au lieu que, dans le cas opposé, l'esprit national du grand nombre
+ d'intéressés à la révolte rendrait tout résultat incalculable.</p>
+
+<p>Au reste, il est possible que l'ennemi, s'approchant de Paris, je le
+ <span class="pagenum"><a id="page068" name="page068"></a>(p. 068)</span> battrai, et cela n'aura pas lieu. Il est possible aussi
+ que je fasse la paix sous peu de jours: mais il en résulte toujours
+ par cette lettre du 7 à 4 heures du soir que vous n'avez pas de
+ moyens de défense..... Pour comprendre ces choses je trouve toujours
+ votre jugement faux; c'est enfin une fausse doctrine. L'intérêt même
+ de Paris est que l'Impératrice et le roi de Rome n'y restent pas,
+ parce que l'intérêt ne peut pas être séparé de leur personne et que
+ depuis que le monde est monde je n'ai jamais vu qu'un souverain se
+ laissât prendre dans des villes ouvertes. Ce serait la première
+ fois.</p>
+
+<p>Ce malheureux roi de Saxe arrive en France, il perd ses belles
+ illusions! (<i>Deux lignes indéchiffrables.</i>) Dans les circonstances
+ bien difficiles de la crise des événements, on fait ce qu'on doit et
+ on laisse aller le reste. Or, si je vis on doit m'obéir, et je ne
+ doute pas qu'on s'y conforme. Si je meurs, mon fils régnant et
+ l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas
+ se laisser prendre et se retirer au dernier village.....</p>
+
+<p>Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on
+ en effet de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils
+ et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux de tout finir en les
+ conduisant prisonniers à Vienne. <i>Je suis surpris que vous ne
+ conceviez pas cela!</i> Je vois que la peur fait tourner les têtes à
+ Paris.</p>
+
+<p>L'Impératrice et le roi de Rome à Vienne ou entre les mains des
+ ennemis, vous et ceux qui voudraient se défendre seraient
+ rebelles!...</p>
+
+<p><i>Quant à mon opinion, je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt
+ que de le voir jamais élevé à Vienne comme un prince autrichien</i>, et
+ j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être aussi persuadé
+ qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent en
+ être.</p>
+
+<p>Je n'ai jamais vu représenter <i>Andromaque</i> que je n'aie plaint le
+ sort d'Astyanax survivant à sa maison et que je n'aie regardé comme
+ un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père.</p>
+
+<p>Vous ne connaissez pas la nation française. Le résultat de ce qui se
+ passerait dans ces grands événements est incalculable.</p>
+
+<p>Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre (sa dernière lettre
+ me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et vous ferait
+ beaucoup de mal).</p>
+</div>
+
+<p>Voici maintenant la lettre du roi Joseph, en date du 7 février 1814
+(11 heures du soir), à laquelle répond la lettre précédente. Elle a
+été supprimée aux <i>Mémoires</i>.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Paris, le 7 février 1814, à 11 heures du soir.</p>
+<p class="adresse">Sire,</p>
+
+<p>J'ai reçu les deux lettres de V. M. d'hier. J'ai vu et écrit au duc
+ de <span class="pagenum"><a id="page069" name="page069"></a>(p. 069)</span> Valmy. Il part ce soir pour Meaux. Il m'a communiqué
+ une lettre du duc de Tarente datée du 6. Il était encore à Épernay
+ et n'avait aucune nouvelle de V. M. depuis 4 jours. Il avait
+ abandonné Châlons après s'y être défendu quelque temps. L'artillerie
+ avait été dirigée sur Meaux. L'ennemi était entré à Sézanne.
+ L'intendant et les caisses avaient échappé à l'ennemi.</p>
+
+<p>Voici l'itinéraire exact de la 9<sup>e</sup> division d'infanterie de l'armée
+ d'Espagne<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a><a href="#footnote44" title="Lien vers la note 44"><span class="smaller">[44]</span></a>.</p>
+
+<p>J'ai envoyé un aide de camp sur la route de Châlons par Vitry. J'ai
+ chargé le Ministre de la Guerre d'en envoyer un autre sur la route
+ de (<i>illisible</i>).</p>
+
+<p>Le Ministre de la Guerre me mande qu'il avait fait envoyer ce matin
+ 2,000 fusils à Montereau.</p>
+
+<p>Je lui ai écrit de (<i>deux mots illisibles</i>) ce soir.</p>
+
+<p>J'ai parlé à Louis du projet de le laisser ici. Il me répond par une
+ longue lettre que je prends le parti d'envoyer à V. M. Il me semble
+ que V. M. m'a dit que les princesses devaient suivre l'Impératrice;
+ s'il en était autrement, il faudrait qu'elle l'écrive d'une manière
+ positive. Je fais des v&oelig;ux pour que le départ de l'Impératrice
+ puisse n'avoir pas lieu. Nous ne pouvons nous dissimuler que la
+ consternation et le désespoir du peuple pourront avoir de terribles
+ et funestes résultats. Je pense avec toutes les personnes qui
+ peuvent apprécier l'opinion, qu'il faudrait supporter bien des
+ sacrifices avant d'en venir à cette extrémité. Les hommes attachés
+ au gouvernement de V. M. craignent que le départ de l'Impératrice ne
+ livre le peuple, de la capitale au désespoir et ne donne une
+ capitale et un empire aux Bourbons. Tout en manifestant ces craintes
+ que je vois sur tous les visages, V. M. peut être assurée que ses
+ ordres seront exécutés pour ma part très fidèlement, dès qu'ils me
+ seront arrivés.</p>
+
+<p>J'ai parlé au général Caffarelli<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a><a href="#footnote45" title="Lien vers la note 45"><span class="smaller">[45]</span></a> pour Fontainebleau, ainsi qu'à
+ M. La Bouillerie<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a><a href="#footnote46" title="Lien vers la note 46"><span class="smaller">[46]</span></a> pour le million de la guerre et les autres
+ objets.</p>
+
+<p>Je ne sais pas jusqu'à quel point ce que j'ai cru remarquer peut
+ paraître convenable à V. M.; mais je puis l'assurer qu'il importe de
+ faire payer un mois d'appointements aux grands dignitaires,
+ ministres, conseillers d'État, sénateurs. On m'en a cité plusieurs
+ dans un véritable besoin et plusieurs seront bien embarrassés pour
+ partir, si le cas se présente, et l'on prévoit qu'ils resteront à
+ Paris.</p>
+
+<p>J'ai eu la visite de M. le maréchal Brune que je n'ai pu voir; je ne
+ <span class="pagenum"><a id="page070" name="page070"></a>(p. 070)</span> doute pas qu'il ne soit venu offrir ses services, je
+ serais bien aise de connaître les intentions de V. M.</p>
+
+<p>Jérôme est contrarié que V. M. ne se soit pas encore expliquée sur
+ la demande que j'ai faite pour lui dans deux de mes précédentes
+ lettres.</p>
+
+<p>On m'assure que M. de Lafayette a été un des premiers grenadiers de
+ la garde nationale qui ait été en faction à l'Hôtel-de-Ville.</p>
+
+<p>Les barrières seront entièrement fortifiées demain et l'on
+ commencera à y transporter de l'artillerie. Le général Caffarelli a
+ répondu au duc de Conegliano qu'il n'avait pas encore l'autorisation
+ du Maréchal du Palais à qui il avait écrit (<i>mots illisibles</i>) la
+ garde impériale fournit un poste de 25 hommes.</p>
+
+<p>P. S.&mdash;Je reçois la lettre de V. M. en date d'aujourd'hui de Nogent.
+ Les dispositions qu'elle prescrit ont déjà été ordonnées et je
+ tiendrai V. M. au courant, à mesure de leur exécution.</p>
+</div>
+
+<p>Après la chute de l'Empire, quelques auteurs de mémoires, des
+historiens mêmes, comme M. de Norvins, ont reproché au roi Joseph
+son départ de Paris et celui de l'Impératrice; ces écrivains ne
+connaissaient pas évidemment la lettre de l'Empereur, du 8 février,
+et ses ordres formels. Joseph, pendant son exil, crut devoir réfuter
+ces assertions. Voici une note à cet égard, écrite tout entière de
+sa main:</p>
+
+<p class="lettre">Il est faux que nul autre que Joseph eût la copie de la lettre de
+ l'Empereur qui prescrivait le départ (celle du 16 mars 1814). Joseph
+ resta à Paris d'après la proposition qu'il en fit au Conseil, ainsi
+ que les Ministres de la Guerre, de la Marine, le premier inspecteur
+ du génie, afin d'atténuer le mauvais effet que devait produire le
+ départ de l'Impératrice, et pour reconnaître, par eux-mêmes, les
+ forces ennemies qui marchaient sur Paris et ne quitter la ville,
+ pour rejoindre la régente sur la Loire, qu'après s'être assurés de
+ l'incontestable supériorité de l'ennemi. Il est faux que Joseph se
+ soit établi aux Tuileries comme lieutenant de l'Empereur, il se
+ rendit avec les Ministres qui étaient restés avec lui en
+ reconnaissance sur la route de Meaux, passa la nuit au Luxembourg,
+ et le lendemain s'établit hors des barrières de Paris pour être à
+ portée de recevoir les rapports des officiers qui étaient en
+ reconnaissance et prévenir l'exaltation qui pouvait être excitée
+ parmi le peuple par l'arrivée des courriers qui se succédaient à
+ chaque moment. Lorsqu'il fut bien reconnu et <i>bien évident pour
+ tous</i> que l'empereur de Russie, le roi de Prusse et le prince de
+ Schwartzemberg étaient à quelques milles de la ville; que le
+ maréchal de Marmont commandant en chef eut déclaré qu'il ne pouvait
+ pas tenir davantage contre des forces <span class="pagenum"><a id="page071" name="page071"></a>(p. 071)</span> sans nulle
+ proportion avec celles qu'il commandait; que si la nuit arrivait
+ sans qu'on eût pris un parti, il ne répondait pas de pouvoir
+ empêcher les ennemis de s'introduire dans la ville, le roi Joseph,
+ de l'avis des ministres qui se trouvaient avec lui, et pour sauver
+ la capitale des désastres qui la menaçaient de la part de l'ennemi,
+ approuva la proposition de capitulation qui lui était faite par le
+ maréchal Marmont et ne partit que lorsqu'il vit les forces ennemies
+ dans Saint-Denis, et ses partis prêts à s'emparer des ponts sur la
+ Seine, qu'ils occupèrent effectivement peu de temps après son
+ passage et celui des membres du Conseil qui, ayant satisfait à leur
+ mandat, allaient rejoindre la régente sur la Loire où elle devait se
+ rendre en exécution des ordres de l'Empereur.</p>
+
+<p>En 1814 se termine le rôle politique de Joseph. Retiré à Prangins,
+en Suisse, sur les bords du lac de Genève, pendant le séjour de
+Napoléon à l'île d'Elbe, il fut assez heureux pour pouvoir le faire
+prévenir que deux misérables avaient juré de l'assassiner. L'un de
+ces hommes fut arrêté, en effet, à son débarquement dans l'île.</p>
+
+<p>Lorsque l'Empereur revint en France, en mars 1815, son frère,
+prévenu, accourut et put le rejoindre à Paris. Après Waterloo, il
+l'accompagna à Rochefort, essaya vainement d'obtenir de lui de
+prendre sa place à l'île d'Aix pendant que lui-même, Napoléon,
+passerait en Amérique. L'Empereur refusa et voulut se confier aux
+Anglais, les considérant comme de nobles et loyaux ennemis. Joseph,
+plus sage et plus heureux, put gagner New-York et se fixa, l'hiver à
+Philadelphie, l'été sur les bords de la Delaware dans une belle
+propriété nommée Pointe-Breeze qu'il acheta.</p>
+
+<p>On a vu quelles étaient les intentions de Joseph en quittant
+l'Espagne (lettre du 1<sup>er</sup> juillet 1813 à la reine Julie)
+relativement à l'argenterie et aux quelques valeurs que son
+trésorier, M. Thibault, avait pu sauver, et qui étaient parvenues à
+Bayonne. Cependant, par la suite, des ministres espagnols ne
+craignirent pas d'accuser le Roi d'avoir détourné à son profit les
+diamants de la couronne.</p>
+
+<p>Voici la vérité sur ce fait:</p>
+
+<p>Joseph avait, comme roi d'Espagne, une liste civile d'un million par
+mois. Il devait toucher 500,000 fr. de l'Empereur et 500,000 fr. du
+trésor espagnol. La plupart du temps, Napoléon ne payait pas son
+frère; en outre, le trésor d'Espagne étant obéré n'avait pas
+d'argent pour payer les 500,000 fr. mensuels. Dans ce cas, le
+ministre des Finances faisait estimer, par des experts du pays, des
+diamants pour <span class="pagenum"><a id="page072" name="page072"></a>(p. 072)</span> la dite somme, et les remettait aux mains de
+Joseph. Ces diamants lui appartenaient donc bien légitimement, et
+l'on a vu par sa correspondance avec sa femme dans quel état de
+dénuement le malheureux prince était revenu en France. On a vu qu'il
+n'avait pas hésité à emprunter à son beau-frère, Marius Clary, pour
+pouvoir donner de l'argent aux serviteurs qui l'avaient accompagné
+sur la terre de France et leur permettre de se rapatrier; on a vu
+même qu'il n'avait pas voulu détourner, à son profit, une obole de
+l'argent provenant de la vente de l'argenterie de la couronne, ce
+qu'il eût pu faire au lieu d'emprunter pour les Espagnols qui
+l'avaient suivi. L'accusation portée contre lui tombe donc
+d'elle-même. D'ailleurs une partie de ces diamants, en vertu de
+l'article XI du traité de Bayonne, avait été emportée par Ferdinand,
+ainsi que nous l'avons dit plus haut.</p>
+
+<p>L'Empereur Napoléon I<sup>er</sup>, pendant les années prospères de son règne,
+alors qu'il était l'arbitre des destinées de l'Europe, avait reçu
+des souverains des lettres auxquelles il attachait une grande
+importance. Il fit faire, dans son cabinet, deux copies de ces 250 à
+300 documents précieux et déposa les originaux aux mains du duc de
+Bassano, secrétaire d'État au département des Affaires étrangères.</p>
+
+<p>En 1815, après Waterloo, avant de quitter l'Élysée pour se rendre à
+la Malmaison, il dit à son frère Joseph, lequel demeurait alors rue
+du Faubourg-Saint-Honoré, 33 (aujourd'hui ambassade d'Angleterre),
+qu'il venait d'envoyer à son hôtel une copie authentique des lettres
+que les divers souverains lui avaient adressées pendant le temps de
+sa prospérité, qu'il le priait de la conserver précieusement. Joseph
+lui ayant fait observer qu'il aimerait mieux avoir les originaux:
+«Non, répondit Napoléon, cela ne vous regarde pas, c'est l'affaire
+de Maret (duc de Bassano), c'est son droit, il sait ce qu'il doit en
+faire.»</p>
+
+<p>De retour à son hôtel, le roi Joseph trouva en effet les copies dans
+son cabinet. Le Prince, se rendant à la Malmaison pour faire ses
+adieux à son frère, chargea son secrétaire, M. de Presle, de diviser
+ses propres papiers, de les mettre avec ces copies de lettres des
+souverains dans des malles au milieu d'effets, et de les envoyer
+chez des personnes où ces documents seraient en sûreté et pourraient
+échapper aux recherches de la police.</p>
+
+<p>Joseph se rendit à Cherbourg, vit son frère à l'île d'Aix, partit
+pour New-York, se fixa sur les bords de la Delaware, et ne s'occupa
+plus de ces papiers. En 1818, Napoléon lui fit dire de
+Sainte-Hélène, <span class="pagenum"><a id="page073" name="page073"></a>(p. 073)</span> par le docteur O'Méara, de publier sa
+correspondance avec les souverains, comme étant la meilleure réponse
+aux calomnies que l'on répandait sur lui et le meilleur moyen
+d'établir, à l'aide de documents historiques incontestables, le
+parallèle entre sa conduite et celle des souverains alliés.</p>
+
+<p>Joseph écrivit à son secrétaire, M. de Presle, alors en Europe, de
+lui expédier les dix caisses dans lesquelles ses papiers avaient été
+placés. Les caisses arrivèrent en Amérique, mais le Roi y chercha
+vainement la copie des lettres des souverains. M. de Presle déclara
+qu'il n'avait plus retrouvé ces copies dans la boîte où il les avait
+cachées, bien que la clef ne l'eût pas quitté. Joseph écrivit en
+Europe, fit démarches sur démarches, aucune n'aboutit.</p>
+
+<p>Maintenant, essayons de suivre la route qu'ont prise les originaux
+et les copies de ces lettres des souverains:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> <i>Les originaux</i>, laissés aux mains du duc de Bassano.</p>
+
+<p>Le duc de Bassano partant pour l'exil, en 1815, fit enfermer ces
+papiers (a-t-il déclaré) dans des caisses en fer-blanc qu'il fit
+cacher dans un château vendu depuis. De retour de l'exil, le duc ne
+retrouva plus l'endroit où les boîtes avaient été enfouies par son
+jardinier. Ce jardinier lui-même était mort.</p>
+
+<p>Il n'en est pas moins positif que ces documents furent en tout ou en
+partie vendus en Angleterre en 1822, à Londres, chez le libraire
+Murray. Les lettres de l'empereur de Russie furent cédées à
+l'ambassadeur, M. de Liéven, pour la somme de 250,000 fr. Ces
+lettres avaient été offertes d'abord au gouvernement anglais qui
+avait refusé d'en faire l'acquisition. On trouvera jointes ici
+plusieurs lettres et notes relatives à ces originaux.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Celle des deux copies qui fut emportée par l'empereur Napoléon
+I<sup>er</sup> lui fut volée à Cherbourg avec une caisse d'argenterie, sans
+que l'on ait jamais pu découvrir l'auteur du vol.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> La seconde copie, celle qui fut envoyée au roi Joseph, placée au
+milieu de hardes et effets, dans une des dix caisses où M. de Presle
+avait caché les papiers du roi, subit le sort suivant:</p>
+
+<p>Les dix caisses furent envoyées d'abord de l'hôtel Joseph, les unes
+chez le nommé Legendre, valet de chambre dévoué, alors à
+Villiers-sur-Marne; d'autres, chez M. Madaud, buraliste de loterie,
+rue Saint-André-des-Arts, et beau-frère de M. Bouchard, un des
+secrétaires du roi Joseph; d'autres encore chez différentes
+personnes, parmi lesquelles <span class="pagenum"><a id="page074" name="page074"></a>(p. 074)</span> la comtesse de Magnitaut. Les
+dépositaires de ces papiers ne tardèrent pas, craignant de se
+compromettre, à demander qu'on les leur retirât; on les fît porter à
+l'hôtel de la reine de Suède, rue d'Anjou-Saint-Honoré, 28. C'est de
+là que M. de Presle les expédia à Joseph, en Amérique.</p>
+
+<p>Les caisses des papiers du roi, parmi lesquelles se trouvait celle
+renfermant la copie des lettres des souverains, ont donc été
+transportées de l'hôtel Joseph chez divers, de chez ces diverses
+personnes à l'hôtel de la reine de Suède. C'est évidemment dans l'un
+de ces deux transbordements que ces copies précieuses pour
+l'histoire auront été soustraites.</p>
+
+<p>On avait perdu en quelque sorte le souvenir de cette affaire qui
+avait fait un certain bruit dans le principe, lorsqu'en 1855, un des
+principaux libraires-éditeurs de Paris proposa à un auteur qui
+s'occupait de l'histoire du premier Empire de demander au
+gouvernement de Napoléon III d'acquérir, moyennant une somme assez
+forte, la copie authentique de 150 lettres écrites par des
+souverains à Napoléon I<sup>er</sup>.</p>
+
+<p>L'éditeur dit à la personne qu'il avait choisie comme intermédiaire
+dans cette affaire qu'il ne connaissait pas le possesseur de ces
+lettres, qu'on en voulait 500,000 francs, qu'elles étaient cachées
+en France. La personne à qui l'éditeur s'adressa, craignant qu'on
+crût qu'elle avait un intérêt dans cette spéculation, ne voulut
+faire aucune démarche.</p>
+
+<p>Toutefois on peut conclure de ce qui précède:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Que les originaux ont été vendus et probablement détruits par
+les intéressés.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Que des deux copies volées, l'une existe encore.</p>
+
+<p>Après avoir reçu la lettre par laquelle O'Méara lui faisait
+connaître le désir de l'Empereur qu'on publiât les lettres des
+souverains, le roi Joseph répondit au docteur:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Philadelphie, le 1<sup>er</sup> mai 1820.</p>
+<p class="adresse">Monsieur,</p>
+
+<p>J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 1<sup>er</sup> mars.
+ Je vous prie de vouloir bien faire vos efforts pour faire parvenir
+ les deux incluses, dont l'une pour l'Empereur, et l'autre pour
+ madame de Montholon, je suis bien fâché des retards qu'elle éprouve
+ à être payée, je lui écris à ce sujet ainsi qu'à l'Empereur.</p>
+
+<p>Je n'ai pas reçu à Rochefort les lettres dont vous me parlez et dont
+ <span class="pagenum"><a id="page075" name="page075"></a>(p. 075)</span> le comte de Las Cases a aussi parlé à ma femme, j'écris à
+ ce sujet pour savoir à qui ces lettres ont été remises et par qui,
+ malheureusement, je ne les ai pas reçues, je regretterais vivement
+ leur perte. L'ouvrage que vous avez publié a ici un succès
+ prodigieux. J'ai perdu aussi, par l'incendie de ma maison, arrivé le
+ 4 janvier, beaucoup de papiers. Les lettres dont vous me parlez
+ eussent aussi été perdues, mais heureusement elles ne m'avaient pas
+ été remises, j'ai fait, dans cette circonstance, d'autres pertes
+ bien sensibles qui me forcent à me rappeler que j'en ai faites de
+ plus grandes pour n'en avoir pas trop de regrets.</p>
+
+<p>Veuillez agréer, Monsieur, mon sincère attachement et ma
+ reconnaissance.</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">Votre affectionné,</span><br>
+<span class="smcap">Joseph de Survilliers.</span></p>
+
+<p>P. S.&mdash;N'ayant aucun rapport personnel avec la reine d'Angleterre,
+ une lettre de moi me paraîtrait moins convenable que de la part de
+ mon frère Lucien ou de la reine de Naples qui ont eu occasion de la
+ connaître personnellement.</p>
+</div>
+
+<p>Voici maintenant quelques documents relatifs aux lettres des
+souverains, et d'abord une note tout entière de la main du roi
+Joseph envoyée à M. Francis Lieber, littérateur et professeur à
+Boston:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Pointe-Breeze, le 28 mai 1822.</p>
+
+<p>Je reçois votre lettre du 24 mai. Je la trouve ici à mon retour d'un
+ petit voyage. Je n'ai pas le temps de retrouver ces lettres qui
+ constatent les dates précises, mais vous pouvez être certain du
+ souvenir que ma mémoire me fournit, encore très présent.</p>
+
+<p>En 1815, avant son départ de Paris, Napoléon avait annoncé à son
+ frère Joseph que, parmi quelques papiers, renfermés dans une caisse
+ qu'il lui enverrait, se trouverait une copie des lettres qui lui
+ avaient été adressées par les divers souverains. Il avait fait faire
+ cette copie par précaution, l'original restant aux archives.
+ Quelques années après, le docteur O'Méara, de retour de
+ Sainte-Hélène, lui fit dire que le désir de l'Empereur était que
+ cette correspondance fût publiée, comme étant la meilleure réponse à
+ toutes les calomnies dont il était l'objet. Mais elle ne fut trouvée
+ dans aucune des dix caisses arrivées aux États-Unis, dans lesquelles
+ on avait réparti les papiers contenus dans la première caisse, en
+ les cachant parmi des livres et des hardes, afin de les soustraire
+ aux investigations de la police de Paris. À la même époque, la
+ maison de Joseph, aux États-Unis, fut la proie des flammes.
+ L'original de la correspondance fut vendu pour trente mille livres
+ sterling à Londres. Elle avait été déposée chez un libraire de cette
+ ville, M. Murray.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page076" name="page076"></a>(p. 076)</span> Ceux qui ont dit que Napoléon avait remis cette
+ correspondance à Joseph, à Rochefort, sont dans l'erreur. Joseph n'a
+ rien reçu de Napoléon à Rochefort, ni à l'île d'Aix où il fut le
+ trouver.</p>
+
+<p>Il ne reste d'espérance que dans la double infidélité de ceux qui,
+ ayant livré l'original à des gens intéressés à les détruire,
+ auraient pu en garder copie, ou bien dans la découverte de la copie
+ annoncée par Napoléon à Joseph avant son départ de Paris, en 1815.
+ S'il en arrive autrement, ce sera une perte de plus que les
+ écrivains consciencieux auront à déplorer.</p>
+</div>
+
+<p>Voici maintenant une autre note extraite du Journal du roi Joseph:</p>
+
+<p>Extrait des notes d'un Américain sur le <i>Commentaire de Napoléon</i>,
+par M. le comte de Bonacosci, qu'il avait adressées à celui-ci
+lorsque cet ouvrage parut, et qu'il a depuis adressées à M. le major
+Lee, auteur de l'histoire de Napoléon (en décembre 1834):</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>L'auteur, Bonacosci, est dans la même erreur que M. de Norvins. Les
+ originaux autographes des lettres des souverains à Napoléon n'ont
+ pas été remis au roi Joseph. L'empereur Napoléon dit au prince peu
+ de jours avant son départ: «Par précaution, j'ai fait faire une
+ copie des lettres des souverains de l'Europe, qui seules peuvent
+ répondre à toutes les calomnies dont ils se servent aujourd'hui
+ contre moi. Maret conserve les originaux, et c'est son droit,
+ conservez ces copies à tout événement.» C'est à Paris et non à
+ Rochefort que cette conversation et la remise de ces titres ont eu
+ lieu. Joseph, en recevant en Amérique la caisse dans laquelle devait
+ se trouver cette copie, l'a cherchée inutilement. Napoléon lui a
+ fait dire par O'Méara, au retour de celui-ci en Europe, de faire
+ publier ces lettres, comme seule et unique réponse à ce débordement
+ d'injures dont on assiégeait alors le captif de Sainte-Hélène.
+ Toutes les recherches ont été infructueuses; les lettres ont-elles
+ été dérobées par les dépositaires ou les détenteurs momentanés de la
+ caisse où elles étaient? Je l'ignore, mais toujours est-il constant
+ que ce ne sont pas celles qui ont été vendues à Londres, puisque ce
+ n'étaient que des copies et que l'on assure que ce furent les
+ lettres autographes qui furent vendues à Londres trente mille livres
+ sterling; elles ont été offertes, par un inconnu venant de Suisse, à
+ M. Murray, imprimeur des plus célèbres de Londres, demeurant
+ <i>Albermale Street</i>, pour trente mille livres sterling. Le
+ gouvernement anglais n'en voulut pas. Ce fut le ministre de Russie
+ qui acheta celles qui pouvaient intéresser la Russie.</p>
+
+<p>Joseph, en quittant son frère à l'île d'Aix pour aller attendre à
+ Royan la nouvelle du passage sans obstacle de Napoléon à travers
+ l'armée anglaise, avant de s'embarquer pour les États-Unis, où ils
+ devaient se <span class="pagenum"><a id="page077" name="page077"></a>(p. 077)</span> retrouver, ne reçut ni lettres, ni paquets
+ d'aucune sorte; des quatre personnes qui l'accompagnaient dans la
+ chaloupe dans laquelle il fit le trajet jusqu'à Rochefort, trois
+ vivent encore et leur mémoire est d'accord avec celle de Joseph sur
+ cette circonstance importante. Si Napoléon a eu l'intention de
+ confier à son frère Joseph des objets dont d'autres se seraient
+ emparés au moment de son départ de l'île d'Aix, Joseph ne peut ni
+ l'assurer, ni le nier, mais ce qui est bien certain, c'est que
+ malheureusement les originaux en question ne lui furent pas remis,
+ pas plus que nulle autre chose, dans cette circonstance.</p>
+</div>
+
+<p>En 1837, le roi Joseph se trouvant en Angleterre, à Londres, et
+ayant eu connaissance par le docteur O'Méara de la vente à la Russie
+d'une partie de la correspondance des souverains, par le libraire
+Murray, fit des démarches pour s'assurer du fait. Il écrivit à un M.
+Charles Philipps très lié avec l'éditeur Ridgway. L'éditeur vit M.
+Murray et répondit la lettre ci-dessous à M. Philipps.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Piccadilly, 4 mars 1837.</p>
+<p class="adresse">Mon cher Monsieur,</p>
+
+<p>D'après votre désir j'ai été voir M. Murray, l'éminent éditeur, dans
+ <i>Albermale Street</i>, relativement à la correspondance originale de
+ plusieurs souverains d'Europe avec l'empereur Napoléon pendant son
+ règne. Il me dit que vers l'année 1822, les lettres originales des
+ différents souverains de l'Europe adressées à Napoléon pendant
+ l'empire lui furent offertes pour vendre; il refusa l'offre parce
+ que quelques-uns de ses conseillers et amis doutaient de leur
+ authenticité (le duc de Wellington fut un de ceux qui mettaient en
+ question leur originalité), doutes qui à présent ne paraissent pas
+ avoir de fondation, et M. Murray regrette amèrement son refus fondé
+ sur ces doutes.</p>
+
+<p>M. Murray dit encore que les lettres lui furent présentées comme
+ ayant été gardées par les soins d'un maréchal de France, mais dont
+ il avait oublié le nom, et en lui nommant le duc de Bassano, il dit:
+ «c'est cela!»</p>
+
+<p>Les lettres écrites par l'empereur de Russie ont été, à la
+ suggestion de M. Murray, offertes pour vendre au prince de Lieven
+ qui a payé dix mille livres sterling pour cette portion de la
+ correspondance.</p>
+
+<p>À vous bien sincèrement,</p>
+
+<p class="sig">Signé: <span class="smcap">J. L. Ridgway</span>.</p>
+</div>
+
+<p>M. Philipps écrivit alors à un serviteur dévoué du roi Joseph, Louis
+Maillard:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">49, Clanvery Lane, Samedi.</p>
+<p class="adresse">Mon cher Monsieur,</p>
+
+<p>J'ai été si occupé durant cette semaine depuis mon retour, que je
+ <span class="pagenum"><a id="page078" name="page078"></a>(p. 078)</span> n'ai pas eu le temps de faire mes respects à M. le
+ Comte<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a><a href="#footnote47" title="Lien vers la note 47"><span class="smaller">[47]</span></a> comme je le désirais beaucoup. M. Ridgway, comme vous le
+ verrez par l'incluse, a fait quelque chose pour nous pendant mon
+ absence. M. Murray est un homme impraticable, il a refusé de donner
+ par écrit ce que cependant, heureusement pour nous, il avait dit
+ verbalement avant que ne s'élèvent ses scrupules.</p>
+
+<p>M. Ridgway est un homme fort respectable, il est prêt à tout moment
+ d'avouer ce que M. Murray lui a dit et ce que je vous envoie écrit
+ de sa main. M. Ridgway se trouve donc dans cette affaire dans la
+ même position qu'aurait été notre pauvre O'Méara s'il vivait encore.</p>
+
+<p>Je tâcherai par le moyen d'un ami de savoir ce que le duc de
+ Wellington sait sur ce sujet, et je ne doute pas que s'il peut
+ donner des informations, je puisse les obtenir.</p>
+
+<p>Il paraît assez clair que le comte avait raison dans ses conjectures
+ et que le maréchal Maret était la personne qui autorisait la vente
+ de la correspondance.</p>
+
+<p>Avec mes compliments respectueux à M. le Comte.</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">À vous sincèrement.</span><br>
+ <span class="smcap">C. Phillips.</span></p>
+</div>
+
+<p>Enfin, en 1850, M. Louis Maillard, l'exécuteur testamentaire de
+Joseph, consulté par M. Ingerstoll, ami du roi, sur la question de
+la correspondance des souverains, lui répondit le 29 avril, de
+Doylestown (Amérique), où il se trouvait encore pour la liquidation
+de la succession de l'ancien roi.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai votre lettre du 25, je ne puis mieux y répondre qu'en vous
+ récitant ce que j'ai entendu dire à M. le comte de Survilliers
+ (Joseph) lui-même à diverses fois.</p>
+
+<p>En 1815, la veille de quitter le palais de l'Élysée pour aller à la
+ Malmaison, l'Empereur me dit qu'il avait envoyé chez moi, rue du
+ Faubourg-Saint-Honoré, où je demeurais alors, les copies des lettres
+ des souverains alliés pour que je les conserve de mon mieux; que les
+ originaux seraient gardés et soignés par le secrétaire d'État, duc
+ de Bassano; je trouvai effectivement ces copies dans mon cabinet de
+ travail et les y laissai avec mes papiers; quelques jours après,
+ lorsque je fus forcé de quitter Paris pour suivre l'Empereur à
+ Rochefort, je recommandai à ma femme et à mon secrétaire, M. de
+ Presle, de ramasser tous mes papiers, de les fermer dans des malles
+ et de les envoyer chez diverses personnes sûres, de connaissance,
+ afin de les sauver des mains de nos ennemis qui allaient entrer dans
+ Paris; mes ordres furent <span class="pagenum"><a id="page079" name="page079"></a>(p. 079)</span> exécutés; mais, peu de temps
+ après mon départ, les amis chez lesquels étaient déposées les
+ malles, craignant les recherches chez eux par la police des
+ Bourbons, prièrent ma femme de faire reprendre ces malles; elles
+ furent portées alors à l'hôtel de la Princesse royale de Suède où
+ elles étaient plus en sûreté. Plus tard, lorsque mon frère,
+ l'Empereur, irrité du cruel traitement qu'il éprouvait à
+ Sainte-Hélène, me fit écrire de publier les lettres des souverains,
+ j'écrivis à M. de Presle, à Paris, de m'envoyer, aux États-Unis, par
+ diverses voies, les malles d'effets et papiers m'appartenant, ce
+ qu'il fit de son mieux, mais je ne trouvai point dans les malles
+ envoyées les copies que je désirais! Depuis je fis faire des
+ recherches, toutes furent inutiles, on m'a dit que l'Empereur avait
+ confié à une autre personne une seconde copie des lettres, mais je
+ ne puis l'affirmer; quant aux lettres originales, si ce que j'ai
+ appris à Londres est vrai, elles ont été vendues; la Russie aurait
+ payé les siennes dix mille livres sterling par son ambassadeur
+ Lieven, et c'est M. le libraire Murray d'Albermale Street qui était
+ chargé de cette négociation dont il a parlé à diverses personnes qui
+ me l'ont rapporté fidèlement.</p>
+
+<p>Voici, Monsieur, ce que je puis vous dire de plus positif sur cette
+ affaire. M. Menneval se trompe, car M. de Presle, que j'ai vu
+ souvent à Londres, Paris et Florence, m'a toujours dit qu'il n'avait
+ trouvé ni envoyé les copies des lettres des souverains, que
+ plusieurs malles avaient été ouvertes, ainsi qu'il croyait, etc.</p>
+</div>
+
+<p>Pour terminer cette notice relative aux lettres des souverains
+étrangers, nous dirons en deux mots que l'éditeur chargé de faire
+vendre la copie dont il est ici question, étant parvenu à en faire
+parler à Napoléon III, ce dernier voulut le recevoir ainsi qu'un
+membre de la commission de l'ouvrage intitulé <i>La correspondance de
+Napoléon I<sup>er</sup></i>. Néanmoins ce souverain ne put causer avec ces deux
+personnes qui, venues à trois reprises différentes, furent
+éconduites chaque fois sans être admises, tant l'Empereur était tenu
+en chartre privée par son entourage. Il y a plus, Sa Majesté ayant
+prescrit que le membre de la commission fût prévenu qu'il était
+libre de s'arranger comme bon lui semblerait pour l'acquisition des
+lettres, jamais cette autorisation de Napoléon III ne lui fut connue
+et il ne sut à quoi s'en tenir qu'après la mise en vente de
+l'ouvrage: <i>La Correspondance</i>, lorsqu'il vit l'Empereur à cette
+occasion.</p>
+
+<p>Il ne nous reste plus qu'à faire connaître encore quelques lettres
+du roi Joseph se rattachant à divers sujets.</p>
+
+<p>Nous avons dit que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait été assez
+<span class="pagenum"><a id="page080" name="page080"></a>(p. 080)</span> heureux, à la suite des événements de 1815, pour trouver
+un refuge en Amérique. Les autres frères de Napoléon I<sup>er</sup> étaient
+exilés hors de France, dans les États de l'Europe, poursuivis
+partout par la haine des souverains alliés. Jérôme, rejeté tantôt
+dans les États autrichiens, tantôt en Italie, resta plusieurs années
+sans donner signe de vie à l'aîné de ses frères. En 1818, Joseph lui
+écrivit des États-Unis d'Amérique, le 10 juillet:</p>
+
+<p class="lettre">Mon cher Jérôme, je n'ai jamais eu de tes lettres depuis notre
+ séparation, j'ai fini par penser que tu avais vu dans ma conduite
+ quelque chose qui avait dû te déplaire. Je l'ai mandé à Julie qui
+ m'assure du contraire. Peut-être as-tu été gêné dans ta
+ correspondance avec moi. Quelles que soient les raisons de ton
+ silence, je t'écris pour t'engager à le rompre, bien convaincu,
+ comme je le suis, que tu ne peux pas douter de la tendresse de mon
+ amitié pour toi. Je n'ai pas vu ici ton ancienne amie et son fils,
+ je n'ai pas cru devoir aller à leur rencontre dans la position
+ étrange où je me suis trouvé. J'ai pensé que, dans l'adversité, il
+ vaut mieux manquer par trop de susceptibilité que par trop
+ d'abandon. Mande-moi ce que tu aurais désiré que j'eusse fait, ce
+ que tu désires que je fasse. Je pense que l'arrivée de Zénaïde
+ changera ma position si dans l'abandon où Julie va se trouver après
+ le départ de sa fille aînée, elle suit le conseil que je lui donne
+ de se rapprocher de Vienne, je te la recommande, mon cher frère,
+ ainsi qu'à ta femme, dont elle ne cesse de m'écrire tout le bien que
+ l'on en dit. Les lettres à son père ont été répétées dans tous les
+ journaux. Elles sont dans la mémoire de toutes les mères et de
+ toutes les épouses. Je te prie de lui dire combien, en mon
+ particulier, je serais heureux d'apprendre qu'elle trouve quelque
+ bonheur dans l'approbation d'elle-même. Mille caresses à ton enfant,
+ ne doutez jamais de ma tendre amitié.</p>
+
+<p>En 1822, le 2 mars, 10 mars et 24 avril, Joseph écrivit à la reine
+Julie, de Pointe-Breeze, sa résidence d'été:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ma chère Julie, je t'ai écrit il y a quelques jours en te témoignant
+ mes inquiétudes sur le silence de Lucien<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a><a href="#footnote48" title="Lien vers la note 48"><span class="smaller">[48]</span></a> et le vôtre au sujet du
+ mariage de Zénaïde.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page081" name="page081"></a>(p. 081)</span> Écris à Désirée<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a><a href="#footnote49" title="Lien vers la note 49"><span class="smaller">[49]</span></a> qu'elle se déshonore à jamais si elle
+ reste plus longtemps à Paris, sa place est auprès de son mari;
+ a-t-elle oublié qu'elle est reine de Suède? C'est aussi ton devoir
+ de lui écrire ce qui est. C'est dur, mais c'est la vérité.</p>
+
+<p>Ma chère Julie, l'occasion étant retardée, j'ai le temps de t'écrire
+ encore deux mots: j'ai reçu une lettre du cardinal du 29 octobre. Il
+ me dit que lui et Maman pensent que le mariage du fils de Louis
+ serait possible si nous voulions que celle de nos filles qui
+ l'épouserait reste avec mon frère Louis.</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Si Zénaïde épouse Charles, il faut marier Lolotte avec le fils
+ de Louis, par procuration, si on ne peut autrement. Dans ce cas je
+ vous attends bientôt.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Si le mariage de Charles manque, il faut que Zénaïde épouse le
+ fils de Louis<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a><a href="#footnote50" title="Lien vers la note 50"><span class="smaller">[50]</span></a> et que, si cela est indispensable, elle reste avec
+ eux quelque temps; dans ce cas, Lolotte épouserait celui des deux
+ fils de Murat que tu choisirais pour son caractère.</p>
+
+<p>Ma chère amie, le général Lallemand te remettra cette lettre. Je te
+ le recommande. Il a passé ici quelques jours avec le fils de
+ Jérôme<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a><a href="#footnote51" title="Lien vers la note 51"><span class="smaller">[51]</span></a>. Pauline n'a pas conservé les mêmes dispositions
+ bienveillantes pour lui. Maman me le recommande et compte faire
+ quelque chose pour lui. Je compte toujours sur le mariage du fils de
+ Louis pour Charlotte et sur celui du fils de Lucien pour Zénaïde.</p>
+</div>
+
+<p>Le prince Charles de Canino et sa femme vinrent, après leur mariage,
+voir le roi Joseph en Amérique et restèrent quelque temps auprès de
+lui. La santé délicate de la reine Julie ne lui permit pas de suivre
+ses enfants. En 1826, des démarches furent faites auprès du roi de
+France pour le retour en Europe de Joseph, par le général Belliard,
+auquel le baron de Damas écrivit le 11 août:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le baron de Damas a l'honneur de prévenir M. le comte Belliard que,
+ d'après la demande qu'il lui a adressée dans sa lettre du 3 de ce
+ mois, il vient, après avoir pris les ordres du roi, d'autoriser le
+ Ministre de Sa Majesté à Washington à comprendre M. et M<sup>me</sup> Charles
+ de Canino sur le passeport de M. le comte de Survilliers, qui pourra
+ débarquer à Anvers ou à Ostende.</p>
+
+<p>Le baron de Damas saisit avec empressement cette occasion de faire
+ agréer à M. le comte Belliard les assurances de sa haute
+ considération.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page082" name="page082"></a>(p. 082)</span> En apprenant en Amérique que le gouvernement des Bourbons
+ne mettait pas d'obstacle à son retour en Europe, Joseph écrivit le
+29 septembre 1826 à Madame de Villeneuve<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a><a href="#footnote52" title="Lien vers la note 52"><span class="smaller">[52]</span></a>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Ma chère belle-s&oelig;ur,</p>
+
+<p>Je reçois votre lettre du 5 août; je n'ai jamais eu l'intention
+ d'aller à Bruxelles; si l'on m'avait accordé de bonne grâce le
+ séjour de la Toscane, j'aurais été volontiers y faire une visite à
+ ma mère, avec l'espoir de ramener ma femme en Amérique où je suis
+ trop bien pour ne pas désirer d'en faire partager le séjour à Julie.</p>
+
+<p>Je suis toujours bien reconnaissant, ma chère belle-s&oelig;ur, des
+ preuves sans cesse renaissantes de votre tendre amitié; Désirée et
+ son mari sont aussi très excellents pour moi; les bons consolent
+ ainsi des indifférents.</p>
+</div>
+
+<p>Pendant son exil en Amérique, le roi Joseph avait pris l'habitude de
+mettre en note, dans une sorte de journal quotidien, tout ce qui se
+passait autour de lui, et lui était personnel. Nous trouvons dans ce
+journal quelques mots relatifs à un homme, M. de Persigny, qui,
+ministre et créé duc par Napoléon III, a marqué sous le second
+Empire. Voici les notes de Joseph, que M. Fialin de Persigny était
+venu trouver à Londres, en avril 1835, pour le déterminer à entrer
+dans une sorte de complot bonapartiste:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. le vicomte de Persigny, rue d'Artois, n<sup>o</sup> 48, à Paris, et à
+ Londres à Grillion, hôtel <i>Albermale Street</i>, arrive avec un billet
+ de M. Presle à M. Maillard; il est l'auteur du n<sup>o</sup> 1 de l'<i>Occident
+ français</i>, il est âgé de 26 ans et paraît plus jeune encore; il
+ montra un excessif enthousiasme pour la mémoire de l'Empereur et
+ même pour le nom de sa famille, dans l'entretien d'une demi-heure
+ que j'ai eu avec lui avant le dîner. Je me retirai de bonne heure;
+ il causa jusqu'à deux heures du matin avec MM. Sari, Thibaud, etc.</p>
+
+<p><i>5 Avril dimanche.</i> Je descends à déjeuner, j'ai un long entretien
+ avec M. de Persigny, il paraît plein d'ardeur, il est partisan le
+ plus absolu du caractère et des desseins de l'Empereur, il a pleuré
+ comme un enfant en voyant son écriture; il s'exprime facilement et
+ avec talent, cependant il ne m'est adressé par personne que je
+ connaisse, il se dit de Roanne sur la Loire, sa famille tient aux
+ Bourbons dont il a entièrement abandonné la cause.</p>
+
+<p><i>6 Avril.</i> Je vais à Londres, j'y mène M. de Persigny, je descends
+ avec Maillard chez le docteur O'Méara.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page083" name="page083"></a>(p. 083)</span> <i>19 Avril</i>, jour de Pâques. M. le vicomte de Persigny me
+ parle encore de ses projets, je lui en fais sentir l'inopportunité
+ actuelle; il me remet un écrit que je ne lis qu'à ma rentrée dans ma
+ chambre. Je promène avec lui, Sari et Maillard.</p>
+
+<p>20. Je fais prendre copie de l'écrit sans signature, je rends
+ l'original à M. de Persigny en lui répétant les mêmes choses, je
+ conviens de l'avantage national du but, mais je ne partage pas ses
+ opinions sur l'efficacité des moyens, ainsi je l'engage à ne pas se
+ compromettre sans espérance raisonnable; ses projets ne m'en
+ présentent aucune.</p>
+
+<p>28. M. le vicomte de Persigny est à la maison, je refuse de recevoir
+ l'ami qui lui est arrivé de Paris, je lui déclare que je n'entends
+ pas me prêter à l'exécution de ses projets, à laquelle je répugne
+ invinciblement; tout pour le devoir, rien pour mon ambition, je n'en
+ ai pas d'autre que celle de contribuer au bonheur de la France, si
+ elle m'offre une chance de la servir, mais jamais rien par une
+ minorité factieuse; il dîne et couche à la maison.</p>
+
+<p>29. M. de Persigny part après déjeuner, je lui répète longuement les
+ mêmes choses.</p>
+</div>
+
+<p>Joseph était encore à Londres, en 1833, lorsque son neveu
+Louis-Napoléon, le futur empereur Napoléon III, lui envoya un petit
+ouvrage qu'il venait de faire paraître; l'ex-roi lui écrivit à ce
+sujet, le 20 septembre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon cher neveu, j'ai reçu avec ta lettre tes <i>Considérations sur la
+ Suisse</i>. Je les ai lues avec un double intérêt. Je regrette que tu
+ ne puisses pas honorablement employer tes talents et ton application
+ à l'étude, au service de la patrie. Charlotte est beaucoup mieux
+ depuis notre séjour à la campagne. Je me trouve par accident en
+ ville aujourd'hui.</p>
+
+<p>Je te prie de me rappeler au bon souvenir de ta maman et de me
+ croire bien tendrement</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">Ton affectionné oncle,</span><br>
+ <span class="smcap">Joseph.</span></p>
+</div>
+
+<p>Enfin, dans les premiers mois de 1841, Joseph put quitter Londres
+pour habiter la Toscane. Il écrivit à ce sujet au général duc de
+Padoue, son cousin, le 8 mars:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Mon cher Cousin,</p>
+
+<p>Je vous confirme ma lettre du 3 de ce mois. Je pense que vous avez
+ vu la duchesse de Crès, à laquelle j'écris aussi dans le même sens.
+ Le jeune Maillard vous dira de ma part que ma demande se borne à ce
+ que <span class="pagenum"><a id="page084" name="page084"></a>(p. 084)</span> l'on ne mette pas d'obstacle à mon séjour en Toscane
+ ou en Sardaigne et qu'on légalise le passeport autrichien que vous
+ avez obtenu pour moi l'année passée, avec lequel je pourrai me
+ rendre en Italie par le Rhin et la Suisse.</p>
+
+<p>Renvoyez-moi donc Adolphe<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a><a href="#footnote53" title="Lien vers la note 53"><span class="smaller">[53]</span></a> avec le passeport en règle aussitôt
+ que vous le pourrez, il vous donnera des nouvelles plus en détail.</p>
+
+<p>Agréez ma vieille et constante amitié.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné cousin.</p>
+</div>
+
+<p>M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, auquel la nièce
+du roi Joseph par sa femme, la maréchale Suchet, duchesse
+d'Albuféra, s'était adressée pour que le roi Louis-Philippe fût
+sollicité afin de permettre au comte de Survilliers (Joseph) de se
+rendre en Italie, écrivit le 9 avril 1841:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Madame la Maréchale,</p>
+
+<p>Le Roi ne fait pas la moindre objection à ce que M. le comte de
+ Survilliers vienne vivre à Gênes ou à Florence; vous en êtes
+ probablement déjà informée, mais je me donne le plaisir de vous le
+ dire moi-même.</p>
+</div>
+
+<p>À cette lettre était jointe la note ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Note:</p>
+
+<p>Le gouvernement non-seulement donne son adhésion à ce que M. le
+ comte de Survilliers vienne s'établir à Gênes, mais encore il
+ exprime le désir que toute facilité lui soit donnée dans cette
+ circonstance. C'est dans ce sens qu'il a répondu à M. l'ambassadeur
+ de Sardaigne et qu'il a expédié, il y a trois jours, ses
+ instructions à son propre ambassadeur près de Sa Majesté sarde.</p>
+
+<p>En octobre dernier, le gouvernement français a fait exprimer au
+ gouvernement du grand-duc de Toscane les mêmes dispositions de sa
+ part à l'égard du comte de Survilliers, qui demandait à résider à
+ Florence; ces dispositions, il les maintient et les renouvellera
+ même au besoin si le gouvernement toscan l'exigeait. Il est vrai que
+ le gouvernement napolitain, s'appuyant sur des dispositions des
+ traités de 1815, prétend que lorsqu'il s'agit de la famille
+ Bonaparte, il faut le concours simultané des quatre puissances;
+ qu'aucune d'elles ne peut agir isolément; mais la France se regarde,
+ depuis 1830, affranchie de l'obligation de cet accord commun; elle
+ croit pouvoir agir seule, librement et comme il lui plaît, et elle
+ l'a constamment fait depuis cette époque.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page085" name="page085"></a>(p. 085)</span> On croit que M. le comte de Survilliers, établi à Gênes,
+ pourra facilement négocier pour venir ensuite à Florence; que
+ l'Autriche prêtera aisément son intervention pour aplanir les
+ difficultés que Naples oppose encore.</p>
+</div>
+
+<p>Nous terminons ici ce qui a trait au frère aîné de l'Empereur, dont
+la vie politique avait cessé depuis 1816. L'ex-roi mourut à
+Florence, en 1843, après avoir fait hommage à la France, pour être
+placés sur le tombeau de Napoléon I<sup>er</sup>, des insignes et des armes du
+grand homme qui lui étaient échus en partage. Il avait nommé pour un
+de ses exécuteurs testamentaires M. Maillard (Louis) qui méritait
+toute sa confiance et qui ne l'avait pas quitté depuis 1808.</p>
+
+<p>Le roi Joseph avait 76 ans lorsqu'il s'éteignit, entouré de sa
+famille et de quelques serviteurs fidèles et dévoués.</p>
+
+<p>Deux années avant sa mort, le roi Joseph éprouva un vif chagrin. Il
+avait pour son neveu, le prince Louis Napoléon, fils de l'ex-roi de
+Hollande, une grande affection. Lorsqu'il apprit à Florence que ce
+jeune homme avait fait la tentative de Strasbourg, il le désapprouva
+hautement. Son père agit de même. La première chose que fit le futur
+empereur Napoléon III, en arrivant en Amérique, fut d'écrire une
+longue lettre à son oncle Joseph pour lequel il avait une grande
+vénération. Cette lettre étant venue aux mains de l'auteur des
+<i>Mémoires du roi Joseph</i>, avec les autres papiers, cet auteur se
+trouva assez embarrassé, ne sachant s'il devait ou non publier cette
+pièce importante pour l'histoire. On était alors en 1855, Louis
+Napoléon était sur le trône. Il se décida à la montrer à l'Empereur,
+mais à lui seul. Reçu un matin dans le cabinet de S. M., aux
+Tuileries, il la lui donna. L'Empereur, après en avoir pris
+connaissance pendant un quart d'heure, la lui rendit en disant: «Je
+ne puis pas la nier, elle est toute de ma main. Je la trouve bien
+cette lettre.&mdash;Moi également, Sire, se hâta de dire l'auteur des
+<i>Mémoires</i>, mais ne sachant pas s'il pouvait convenir à l'Empereur
+sur le trône que le public eût connaissance d'une lettre écrite par
+le proscrit de New-York, j'ai cru devoir la soumettre à Votre
+Majesté.&mdash;Bah, reprit en riant l'Empereur, rien n'empêchera que je
+n'aie fait la tentative de Strasbourg et de Boulogne, ce qui est
+histoire est histoire, je ne m'oppose pas à ce que vous l'insériez
+dans votre curieux ouvrage.» Elle se trouve au 10<sup>e</sup> volume des
+<i>Mémoires du roi Joseph</i>, page 370.</p>
+
+
+<h2><span class="pagenum"><a id="page086" name="page086"></a>(p. 086)</span> II.<br>
+<span class="smaller">LE ROI LOUIS.</span></h2>
+
+<h3>I.<br>
+1778-1806.</h3>
+
+<p>Louis Bonaparte, troisième des frères de Napoléon Bonaparte, naquit
+à Ajaccio (Corse) le 2 septembre 1778, sous le règne de Louis XVI.
+Bien que la famille Bonaparte soit d'origine italienne, l'île de
+Corse ayant été cédée sous Louis XV à la France, Louis et ses frères
+naquirent Français et non Italiens, comme quelques auteurs l'ont
+écrit.</p>
+
+<p>La longue carrière de Louis Bonaparte peut se diviser en trois
+parties bien distinctes:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Celle qui s'étend du jour de sa naissance (1778) au moment où il
+monta sur le trône de Hollande (1806), période pendant laquelle on
+le voit vivre auprès de son frère Napoléon et se montrer entièrement
+dévoué à ses projets.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Celle qui comprend les quatre années de son règne en Hollande,
+son abdication, son exil volontaire, la chute de l'empire (de 1806 à
+1815).</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Enfin, la partie qui embrasse l'exil forcé des membres de la
+famille de l'empereur après Waterloo, jusqu'à la mort de Louis, à
+Florence, le 25 juillet 1846.</p>
+
+<p>Nous parlerons peu des premières années de Louis. Lorsque Paoli
+livra l'île de Corse aux Anglais, la famille Bonaparte vint
+s'établir près de Toulon, à Lavalette, puis bientôt après à
+Marseille. Louis, âgé de 14 ans, se trouvait au milieu des siens. Il
+n'avait pu faire, dans ces temps de troubles, que de médiocres
+études, mais son caractère, empreint déjà d'une teinte
+philosophique, s'était développé par les malheurs mêmes qui avaient,
+depuis sa naissance, accablé ses parents. Élevé par Joseph, l'aîné
+de ses frères, devenu le <span class="pagenum"><a id="page087" name="page087"></a>(p. 087)</span> chef de la famille à la mort de
+leur père Charles Bonaparte (23 septembre 1785), soutenu par
+Napoléon, officier d'artillerie, il entra en 1793 dans la vie
+active, à peine au sortir de l'enfance. Napoléon commandait
+l'artillerie au siège de Toulon, il venait souvent à Marseille, soit
+pour hâter les préparatifs du siège, soit pour y voir sa famille.
+Dans un de ses voyages, il déclara que Louis était d'âge à se faire
+une carrière honorable, et qu'il ne voulait pas le voir plus
+longtemps inactif. Il obtint de leur mère que le jeune homme se
+rendrait à l'école de Châlons pour subir l'examen nécessaire à son
+admission dans le corps de l'artillerie. Louis partit avec des
+passeports visés par les représentants du peuple, mais en passant à
+Lyon, alors sous la terreur qu'inspiraient d'horribles massacres, il
+courut de véritables dangers. Il ne put sortir de cette malheureuse
+ville qu'avec peine et à la faveur de ses passeports. Il continua sa
+route, se dirigeant vers Châlons-sur-Marne. À Chalon-sur-Saône, on
+lui apprit la dissolution de l'école d'artillerie. Effrayé de ce
+qu'il avait vu, de son isolement (Louis avait alors 15 ans), le
+jeune homme revint dans sa famille. Après la prise de Toulon,
+Napoléon Bonaparte, créé général de brigade, vint à Marseille, prit
+avec lui son frère Louis et se rendit à l'armée des Alpes-Maritimes
+où il venait d'être nommé commandant en chef de l'artillerie. Louis
+fut adjoint à son état-major avec le grade de sous-lieutenant. Le
+soir de la prise de Toulon, Napoléon, pour qui, depuis longtemps
+déjà, tout était objet d'étude sérieuse, avait fait visiter à son
+frère les attaques de la ville. Il lui avait indiqué, sur le terrain
+même, les fautes commises, puis, lui montrant l'endroit où la terre
+était jonchée de cadavres, il s'écria:</p>
+
+<p>«Si j'avais commandé ici, tous ces braves gens vivraient encore.
+Jeune homme, apprenez par cet exemple combien l'instruction est
+nécessaire et obligatoire pour ceux qui aspirent à commander les
+autres.»</p>
+
+<p>Louis Bonaparte fit sa première campagne à l'armée des
+Alpes-Maritimes. Il assista à la prise d'Oneille (7 avril 1794), à
+celle de Saorgio (29 avril), au combat de Cairo (21 septembre), et
+fut nommé lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires en
+garnison à Saint-Tropez. Une loi nouvelle exigeait que les officiers
+d'état-major rentrassent dans les régiments. Il resta quelques mois
+dans la petite ville de Saint-Tropez, puis il fut envoyé à l'école
+d'artillerie de Châlons-sur-Marne pour y subir ses examens.</p>
+
+<p>Après la journée du 13 vendémiaire (4 octobre 1795), Bonaparte,
+<span class="pagenum"><a id="page088" name="page088"></a>(p. 088)</span> devenu général en chef de l'armée de l'intérieur, donna
+l'ordre à son frère de se rendre à son état-major auquel il l'avait
+attaché. Louis refusa d'abord de quitter Châlons, désireux de se
+faire recevoir avant tout dans l'artillerie, mais il dut obéir à
+l'ordre formel qui lui fut envoyé, et il se rendit à Paris en
+décembre 1795. Pendant la campagne de 1794 en Italie, les
+représentants du peuple, très désireux de faire quelque chose
+d'agréable au général Bonaparte, avaient voulu conférer à Louis le
+grade de capitaine; Napoléon s'y était opposé, à cause de l'âge de
+son frère (16 ans à peine). Cependant, il se plaisait à rendre
+justice à cet enfant devenu bien vite un jeune homme plein de
+bravoure et de sang-froid. Il racontait avec bonheur que le jour où
+Louis fut au feu pour la première fois, loin de montrer de la
+crainte ou même de l'étonnement, il avait voulu lui servir de
+rempart. Une autre fois, Napoléon et Louis se trouvaient à une
+batterie en barbette sur laquelle l'ennemi faisait le feu le plus
+vif. Les défenseurs baissaient souvent la tête pour éviter les
+boulets. Napoléon remarqua avec joie que son jeune frère, imitant
+son exemple, restait droit et immobile. Il lui en demanda la raison:</p>
+
+<p>«Je vous ai entendu dire, repartit Louis, qu'un officier
+d'artillerie ne doit pas craindre le canon; c'est notre arme!»</p>
+
+<p>Lorsque Napoléon reçut le commandement en chef de l'armée d'Italie,
+en 1796, il résolut de mener avec lui son frère Louis qui arrivait
+de l'école de Châlons. La guerre, pendant laquelle il s'était montré
+d'une grande bravoure personnelle, n'allait ni à ses instincts
+humanitaires, ni à ses goûts philosophiques, ni à ses idées dénuées
+de toute ambition. Ce fut pendant le peu de temps qui s'écoula entre
+le retour de Louis de l'école de Châlons et son départ pour Nice,
+qu'il connut à Paris Madame de Beauharnais, Hortense et Eugène.</p>
+
+<p>Louis avait 18 ans quand il commença sa seconde campagne. Il la fit,
+non plus seulement comme attaché à l'état-major du général en chef,
+mais en qualité de l'un de ses aides de camp. Il était encore
+lieutenant. Bien qu'à un âge où tout ce qui est nouveau attire, où
+tout ce qui est bruit, ambition, renommée, charme, Louis Bonaparte
+sentait un vide dans son c&oelig;ur. La carrière des armes lui
+paraissait sans attrait. Il soupirait déjà après l'étude, la
+retraite, la vie paisible. Ces biens il ne devait pas les connaître
+pendant toute sa longue existence. Son caractère encore rempli de
+contrastes était à la fois grave et romanesque, vif et flegmatique.
+«Louis a de l'esprit, fait-on dire à Napoléon à Sainte-Hélène, il
+n'est point méchant, mais avec ces <span class="pagenum"><a id="page089" name="page089"></a>(p. 089)</span> qualités un homme peut
+faire bien des sottises et causer bien du mal. L'esprit de Louis est
+naturellement porté à la bizarrerie et a été gâté encore par la
+lecture de Jean-Jacques. Courant après une réputation de sensibilité
+et de bienfaisance, incapable par lui-même de grandes vues,
+susceptibles tout au plus de détails locaux, Louis ne s'est montré
+qu'un <i>roi préfet</i><a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a><a href="#footnote54" title="Lien vers la note 54"><span class="smaller">[54]</span></a>.»</p>
+
+<p>Il est permis de douter que Napoléon ait porté un tel jugement sur
+son frère. Louis était fort peu désireux d'une réputation
+quelconque, et ses malheurs, depuis son avènement au trône de
+Hollande, vinrent précisément, ainsi qu'on le verra plus loin, de
+n'avoir pas voulu être un <i>roi préfet</i>. Louis, pendant la campagne
+de 1796, fit preuve de bravoure en plusieurs circonstances, mais
+(comme il le dit lui-même dans l'ouvrage qu'il publia en 1820) il le
+fit par boutade et sans s'occuper d'acquérir une réputation
+militaire. Il montra du zèle, du sang-froid, nul désir d'avancer,
+nulle idée d'ambition. Il avait surtout une répugnance invincible
+pour les excès de toute nature. Il cherchait à remplir ses devoirs,
+ne se ménageant pas, mais sans tirer vanité de ses actions, sans
+chercher à se faire valoir. Au passage du Pô (7 mai) <span class="pagenum"><a id="page090" name="page090"></a>(p. 090)</span> il
+franchit le fleuve un des premiers, avec le colonel Lannes; à la
+prise de Pizzighettone (9 mai) il entra dans la place par la brèche
+avec le général d'artillerie Dommartin; à l'attaque de Pavie, ayant
+reçu l'ordre de suivre l'opération, d'examiner la position de
+l'ennemi et d'en venir rendre compte à son frère, il resta seul, à
+cheval, exposé plus que tout autre au feu terrible des défenseurs de
+la ville. Pavie fut en partie pillée, elle avait mérité ce juste
+châtiment, cependant ce spectacle révolta Louis, et à partir de ce
+moment et pendant le reste de la campagne il fut triste, taciturne.
+Il prit part à la bataille de Valeggio (12 août), au passage de vive
+force du Mincio, à l'investissement de Mantoue. À la tête de deux
+bataillons, il fut chargé de s'emparer du pont de San-Marco sur le
+Chiese, au moment où Bonaparte, après quelques mouvements aussi
+habilement conçus que rapidement exécutés, se préparait à livrer le
+combat de Lonato (13 août) et la bataille de Castiglione. La veille
+de ces belles journées, Louis fut expédié par son frère au
+Directoire pour rendre compte de l'état des choses, et du retour
+offensif des Autrichiens de Wurmser. «Maintenant, «dit-il à son
+jeune aide de camp, tout est réparé: demain je livrerai la bataille;
+le succès sera des plus complets, puisque le plus difficile est
+fait, on doit être entièrement rassuré, je n'ai pas le temps de
+faire de longues dépêches, dites tout ce que vous avez vu.» Louis
+témoignait son regret de quitter l'armée dans un moment pareil. «Il
+le faut, ajouta Napoléon, il n'y a que mon frère que je puisse
+charger de cette mauvaise commission; mais avant de revenir, vous
+présenterez les drapeaux que nous conquerrons demain.» Peut-être
+Napoléon qui, quoi qu'on en ait dit, était bon, sensible surtout
+pour ses frères et pour ses s&oelig;urs, avait-il voulu éloigner ce
+jeune homme des champs de bataille dans lesquels il savait bien
+qu'il devait, avec une poignée d'hommes, remporter la plus éclatante
+victoire ou périr lui et sa petite armée? Louis partit donc, remplit
+sa mission, reçut du Directoire le grade de capitaine et présenta,
+quelques jours après, ainsi que le lui avait promis son frère, les
+drapeaux enlevés par nos soldats à Castiglione, drapeaux que
+Bonaparte avait envoyés par l'aide de camp Du Taillis. Louis se hâta
+ensuite de rejoindre son général et il put assister au troisième
+acte du grand drame qui se jouait alors du Pô à la Brenta. Il prit
+part à la bataille de ce nom, et une part des plus glorieuses aux
+trois journées d'Arcole (15, 16, 17 novembre). À la première
+journée, Louis fut celui des aides de camp de son frère qui
+contribua le plus <span class="pagenum"><a id="page091" name="page091"></a>(p. 091)</span> à le sauver, lorsque le général tomba
+dans le marécage au bas de la chaussée, après les tentatives faites
+inutilement pour déboucher de cette chaussée étroite, sur le village
+d'Arcole. Voyant Napoléon prêt à disparaître dans les eaux
+bourbeuses, il risqua sa vie avec Marmont pour le tirer de ce
+mauvais pas; puis il tenta de nouveau, mais en vain, d'enlever le
+pont<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a><a href="#footnote55" title="Lien vers la note 55"><span class="smaller">[55]</span></a>. Pendant la seconde journée d'Arcole, Louis non seulement
+combattit vaillamment près de son frère, mais il fut chargé de la
+mission difficile et dangereuse de porter des ordres de la plus
+haute importance au général Robert. Il n'y avait pas d'autre chemin
+pour remplir son périlleux devoir que de suivre une chaussée balayée
+par le feu des Autrichiens. En revenant auprès du général en chef
+par la même route, il courut les mêmes dangers, dont cependant il
+fut assez heureux pour se tirer sans blessures: «Je te croyais mort,
+lui dit son frère avec joie en l'embrassant.»</p>
+
+<p>En effet, on était venu annoncer que Louis avait été tué. Peu de
+temps après, lorsque Napoléon marcha sur Rivoli, au secours de
+Joubert, Louis fut encore chargé d'une mission épineuse à Peschiera.
+Il rendit à cette occasion un grand service à l'armée, en ralliant
+une colonne de fuyards et en arrêtant l'ennemi qui s'avançait sur
+ses derrières. Lorsqu'il revint auprès du général en chef, Napoléon
+lui témoigna publiquement la satisfaction que lui faisait éprouver
+sa conduite pendant cette affaire de Rivoli (14 janvier 1797).</p>
+
+<p>Jusqu'en 1796, Louis, d'une forte constitution, avait joui d'une
+bonne santé; mais s'étant trop peu ménagé pendant cette longue
+campagne, ayant d'ailleurs été soumis trop jeune à de trop rudes
+fatigues, ayant éprouvé plusieurs accidents, fait plusieurs chutes
+de cheval, il commença à ressentir les effets d'une existence
+au-dessus de ses forces physiques. À Nice, après le siège de Toulon,
+il était tombé de cheval par la faute de Junot, qui avait effrayé à
+dessein sa monture pour voir s'il était bon cavalier. Il s'était
+fait à l'&oelig;il gauche une blessure grave dont il conserva toujours
+la cicatrice. Après la paix de Campo-Formio, lors de son retour à
+Paris, ses chevaux s'étaient emportés dans la descente de la
+montagne de Saint-André, en Savoie; il s'était démis le genou.</p>
+
+<p>Tout cela, joint aux fatigues de la campagne d'Italie, lui fit
+<span class="pagenum"><a id="page092" name="page092"></a>(p. 092)</span> désirer de prendre, pendant quelque temps, les eaux de
+Barèges qu'on lui avait conseillées, mais il ne put exécuter son
+projet. Napoléon s'apprêtait à s'embarquer pour l'Égypte, il avait
+décidé d'emmener son frère, que d'ailleurs, pour une raison secrète,
+il ne voulait pas laisser à Paris.</p>
+
+<p>Pendant son dernier séjour en France, Louis avait été visiter à la
+célèbre pension de madame Campan, à Saint-Germain, sa s&oelig;ur
+Caroline, et s'était épris d'une amie de cette s&oelig;ur, fort jolie
+personne, dont le père avait émigré. Il confia son penchant à
+Casabianca, ami de son frère Napoléon, ancien officier supérieur de
+la marine, qui fut effrayé pour Louis des conséquences de cette
+passion naissante. «Savez-vous, lui dit-il, que ce mariage ferait le
+plus grand tort à votre frère, et le rendrait suspect au
+gouvernement?» Le lendemain Napoléon fit appeler Louis et lui donna
+l'ordre de partir immédiatement avec ses trois autres aides de camp
+pour Toulon où ils devaient l'attendre et passer avec lui en
+Égypte<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a><a href="#footnote56" title="Lien vers la note 56"><span class="smaller">[56]</span></a>. Louis attendit quelque temps, à Lyon, son frère que le
+Directoire avait retenu dans la crainte de voir la guerre se
+rallumer avec l'Autriche, à la suite d'une imprudence de Bernadotte,
+ambassadeur à Vienne.</p>
+
+<p>Il suivit la division Kléber jusqu'au Caire; mais Napoléon, au
+moment où il partit pour la Syrie, résolut d'expédier en France un
+homme sur lequel il pût compter pour faire connaître exactement au
+Directoire l'état des affaires en Orient et pour lui faire envoyer
+des secours. Il choisit son frère Louis. Il savait que ce retour en
+France était sans inconvénient pour son c&oelig;ur, puisque, après son
+départ de Paris, la jeune personne qu'il aimait avait été forcée de
+se marier. Louis partit donc avec les drapeaux pris sur l'ennemi. Il
+s'embarqua sur la plus petite, la plus vieille, la plus délabrée des
+chaloupes canonnières. La flotte avait été détruite à Aboukir.
+Pendant deux mois, il eut à lutter contre la tempête, à éviter les
+vaisseaux turcs, russes, anglais, portugais croisant dans la
+Méditerranée entre la France et l'Égypte. Il fut retenu pendant 27
+jours en quarantaine à Tarente; de nouvelles tempêtes l'assaillirent
+quand il reprit sa route. Une seule et mauvaise pompe soutenait son
+fragile navire qui faisait eau à <span class="pagenum"><a id="page093" name="page093"></a>(p. 093)</span> chaque instant. La
+situation fut un instant si désespérée qu'il donna l'ordre au
+capitaine de son bâtiment d'entrer à Messine, bien qu'on fût en
+guerre avec Naples. La force du vent ayant poussé le bateau hors du
+détroit, une frégate anglaise lui donna la chasse et il se décida à
+jeter à la mer les drapeaux qu'il devait présenter au Directoire.
+Toutefois, après avoir fait escale à Porto-Vecchio en Corse, il
+parvint à débarquer en France. Aussitôt il fit toutes les démarches
+en son pouvoir pour avoir des secours, mais il ne put obtenir
+d'abord que l'envoi de quelques avisos montés par des officiers
+porteurs de dépêches. Le gouvernement refusa d'expédier des troupes.
+Louis ne trouva d'aide, au ministère de la guerre, que dans le
+général Dupont. Enfin, quand on eut quelques détails sur
+l'expédition de Syrie et sur la seconde bataille d'Aboukir, le
+Directoire se décida à envoyer des secours et des troupes. Louis
+s'occupait des préparatifs du départ, qu'il hâtait de tout son
+pouvoir, lorsque l'on apprit le débarquement à Fréjus du général
+Bonaparte. Louis partit aussitôt pour aller avec Joseph et le
+général Leclerc au devant de Napoléon. Il tomba malade à Autun et ne
+put rejoindre son frère qu'à Paris. Il reprit immédiatement, près de
+sa personne, son poste d'aide de camp, et fut promu chef d'escadron
+au 5<sup>e</sup> de dragons.</p>
+
+<p>Après le coup d'État du 18 brumaire, Louis fut immédiatement promu
+au grade de colonel commandant le 5<sup>e</sup> régiment de dragons. Ce
+régiment tenait alors garnison à Verneuil, étant chargé d'aider à la
+pacification de la Normandie. Louis fut obligé, fort à
+contre-c&oelig;ur, de le rejoindre dans cette ville. Le jeune colonel
+était désolé d'être employé à une mission de ce genre, à
+l'intérieur. Il fit tout son possible pour éviter cette tâche
+désagréable, mais il ne put rien obtenir à cet égard du premier
+consul. À son grand désespoir, la ville de Verneuil ne tarda pas à
+être le théâtre d'un horrible événement, si commun dans les guerres
+civiles. Quatre malheureux prisonniers amenés par des soldats dans
+la ville furent jugés par un conseil de guerre et condamnés à être
+passés par les armes. Louis, pressé de présider le conseil de
+guerre, refusa avec indignation, repoussant prières, ordres,
+menaces. Il écrivit à son frère pour obtenir la grâce des condamnés.
+Il était trop tard, on procéda à leur exécution malgré toutes ses
+tentatives pour les sauver. Cette tragédie l'émut au point de lui
+faire prendre en horreur le métier des armes. Il resta dans son
+logement, comme pour un jour de deuil, ordonna à ses officiers d'en
+faire autant, et accueillit avec joie l'ordre, arrivé quelques
+<span class="pagenum"><a id="page094" name="page094"></a>(p. 094)</span> jours plus tard, de se rendre en garnison à Versailles et
+ensuite à Paris. Deux escadrons du 5<sup>e</sup> de dragons furent alors
+organisés sur le pied de guerre et prêts à faire partie de l'armée
+de réserve qui se rassemblait à Dijon. Louis croyait en prendre le
+commandement, mais ils furent mis sous son lieutenant-colonel et
+lui-même resta à Paris. Ce fut à cette époque que son frère commença
+à lui parler de mariage et à le presser d'épouser la fille de
+Joséphine. Louis, soit qu'il ne voulût faire qu'un mariage
+d'inclination, soit qu'il crût à une incompatibilité d'humeur et de
+caractère entre lui et Hortense, refusa. Peut-être aimait-il encore
+au fond du c&oelig;ur l'amie de pension de sa s&oelig;ur. Au retour de sa
+brillante campagne de Marengo, le premier consul revint à ses idées
+d'union entre son frère et sa fille d'adoption. Pour éviter toute
+contrainte à cet égard, Louis demanda et obtint de faire un long
+voyage sous le prétexte d'assister aux man&oelig;uvres de Postdam. Il
+devait même ensuite compléter ce voyage dans le Nord, en visitant la
+Saxe, la Pologne, la Russie, la Suède et le Danemark. Lorsque Louis
+arriva à Berlin, les man&oelig;uvres étaient terminées, mais il fut
+reçu avec tant de bonne grâce par le roi et la reine Louise, qu'il
+séjourna un mois entier dans la capitale de la Prusse. Il quitta
+cette ville pour se rendre à Dantzick et de là à Saint-Pétersbourg.
+À Dantzick, il tomba malade, et comme, pendant les trois semaines
+qu'il y fut retenu, la guerre éclata de nouveau entre la France et
+l'Autriche, il se décida à revenir à Paris. Après quelques jours
+passés à Brunswick où le duc régnant le reçut à merveille, il revint
+près de son frère. Le premier consul renouvela alors ses instances
+pour lui faire épouser Hortense. Louis ne pouvait se décidera
+s'enchaîner aussi jeune (il n'avait que 23 ans). Pour ne pas céder
+aux sollicitations de Bonaparte et de sa belle-s&oelig;ur, il fit
+comprendre son régiment de dragons dans le corps dirigé sur le
+Portugal. Toutefois, ayant été prendre congé de son frère à la
+Malmaison, il y fut retenu par lui et par Joséphine pendant près de
+trois semaines. Un beau jour, il partit brusquement pour Bordeaux et
+Mont-de-Marsan. Dans cette dernière ville, on le reçut avec de
+grandes démonstrations, et on lui rendit même, à cause de sa parenté
+avec le premier consul, de tels honneurs que, fort modeste et très
+simple de goûts et de manières, il fut choqué de toute la mise en
+scène dont il se trouvait être l'objet. Le préfet vint le
+complimenter à la tête des autorités du département et le président
+du tribunal, vieillard vénérable, commença d'un ton solennel un
+discours dont les premiers <span class="pagenum"><a id="page095" name="page095"></a>(p. 095)</span> mots étaient: «Jeune et
+vaillant héros...» Louis ne put en entendre davantage; il sauta en
+riant sur le discours, l'arracha d'une manière vive mais familière
+des mains du pauvre président auquel il répondit tout haut: «Je vois
+que ce discours s'adresse à mon frère, je m'empresserai de lui faire
+connaître les bons sentiments que vous avez pour lui. Je puis vous
+assurer qu'il y sera très sensible.»</p>
+
+<p>Louis entra en Espagne à la tête de son régiment (1801), il passa
+quelques semaines à Salamanque, vint à Ciudad Rodrigo, puis il se
+rendit avec Leclerc, général en chef de l'armée française, au grand
+quartier général de l'armée espagnole alliée de la nôtre. Joseph,
+l'aîné des Bonaparte, négociait alors la paix générale. Il y eut un
+armistice, le jeune colonel conduisit son régiment à Zamora. Il
+obtint ensuite un congé pour prendre les eaux de Barèges, que sa
+jambe malade et un rhumatisme à la main droite rendaient nécessaires
+à sa santé. Il resta aux eaux les trois mois de juillet, août et
+septembre 1801, et revint à Paris en octobre, au moment de la
+signature des préliminaires de paix avec l'Angleterre (traité
+d'Amiens).</p>
+
+<p>Ni Bonaparte ni Joséphine n'avaient abandonné leurs projets de
+mariage pour Louis et Hortense. Louis plaisantait parfois de ce
+projet dont il regardait l'exécution comme impossible, cependant la
+persistance de son frère et de sa belle-s&oelig;ur finit par
+l'emporter. Un soir, pendant un bal à la Malmaison, il donna son
+consentement et le jour de la cérémonie nuptiale fut fixé au 4
+janvier 1802. Le contrat, le mariage civil, le mariage religieux
+furent hâtés. Tout s'accomplit, mais sous les plus tristes auspices,
+tant était grand et réel le pressentiment secret des deux époux des
+malheurs qui devaient découler pour eux d'une union presque forcée
+et mal assortie. Louis avait 24 ans; sa constitution formée de bonne
+heure et déjà maladive était en avance sur son esprit, sur son
+caractère encore plein de naïveté et de bonne foi. C'est de ce
+moment que date pour lui une sorte de tristesse, de découragement
+moral qui contribuèrent à empoisonner son existence. Du reste, nous
+ne pouvons mieux faire pour donner une idée exacte de cette union
+que de renvoyer le lecteur à ce que le roi Louis, au commencement de
+son ouvrage sur la Hollande, en dit lui-même.</p>
+
+<p>De 1802 à 1804, Louis resta presque constamment soit à son régiment,
+soit aux eaux thermales. En 1804, son frère le nomma général de
+brigade en lui laissant le commandement du 5<sup>e</sup> de dragons.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page096" name="page096"></a>(p. 096)</span> Après la proclamation de l'empire (1804), Louis fut promu
+au grade de général de division et entra en même temps au conseil
+d'État, à la section de la législation. Le 2 décembre 1804 eurent
+lieu le sacre et le couronnement, puis le nouveau souverain pressa
+de tout son pouvoir les préparatifs d'une descente en Angleterre.
+Louis, devenu prince français, reçut le commandement de la réserve
+de l'armée composée de deux régiments de cavalerie et de deux
+divisions d'infanterie. L'empereur le fit colonel général des
+carabiniers. Il s'établit avec ses troupes près de Lille, et comme
+il se trouvait à portée des eaux de Saint-Amand, il en profita pour
+en faire usage, car sa santé devenait de plus en plus mauvaise. Il
+était presque paralysé des doigts de la main droite, et les eaux de
+Plombières où il avait été l'année précédente, loin de le soulager,
+avaient empiré sa situation. Celles de Saint-Amand ne lui réussirent
+pas mieux.</p>
+
+<p>Quand le projet de descente fut abandonné et la campagne d'Allemagne
+entreprise (1805), Louis croyait devoir commander le corps de
+réserve en Allemagne. L'empereur préféra lui confier, en son
+absence, le commandement de Paris et donner la réserve à Murat
+devenu maréchal. Pendant toute cette glorieuse campagne et jusqu'à
+la fin de 1805, Louis resta chargé des importantes fonctions qu'il
+devait à la confiance de son frère. En même temps son frère Joseph
+gouvernait la France au nom de l'empereur.</p>
+
+<p>Louis n'avait dans ses attributions que les affaires militaires.
+Avec peu de troupes, il maintint l'ordre, malgré les embarras
+financiers, les intrigues et l'agitation de tous les partis. Sous
+prétexte de la pénurie des finances, du discrédit de la banque, dans
+l'attente des événements et peut-être aussi poussés par quelques
+factieux, des rassemblements considérables se montraient chaque nuit
+sur divers points de la capitale. Le successeur de Murat au
+commandement de cette grande ville, non seulement parvint à conjurer
+les dangers qui pouvaient résulter de ces attroupements, mais il
+veilla aussi sur les côtes de l'Ouest, sur Brest, sur Anvers et sur
+la Hollande. Il assistait au conseil des ministres et correspondait
+journellement avec Napoléon. Bientôt une nouvelle occasion se
+présenta pour le jeune prince de déployer son activité. Les
+Anglo-Suédois et même les Prussiens menacèrent assez sérieusement
+les côtes de la Hollande et le nord de la France pour que, de la
+Moravie où il était allé combattre les armées austro-russes,
+Napoléon envoyât l'ordre à Louis de former le plus rapidement
+possible une armée du Nord destinée à couvrir les chantiers
+<span class="pagenum"><a id="page097" name="page097"></a>(p. 097)</span> d'Anvers et la Hollande. Le conseil des ministres trouvait
+de grandes difficultés à l'exécution des volontés impériales, Louis
+les leva toutes. Il agit avec tant de zèle et d'intelligence, qu'un
+mois, jour pour jour, après le décret de Napoléon, il put écrire de
+Nimègue au vainqueur d'Austerlitz que l'armée du Nord, complètement
+organisée sous son commandement, était prête à tout. Cette armée se
+composait des deux divisions Laval et Lorge à Juliers (sur le Rhin)
+et de deux autres divisions, en position à Nimègue. Toutes ces
+troupes étaient sur les frontières de la Hollande et de la
+Westphalie, elles couvraient le Rhin, la Hollande, Anvers et
+pouvaient faire face sur tous les points à l'ennemi, de quelque côté
+qu'il voulût se présenter. En moins d'un mois, les places du Brabant
+furent mises en état de défense, les Hollandais reprirent courage,
+et la Prusse qui, peu de jours avant, ne voyait pas un homme pour
+lui disputer les frontières de la France, montra une extrême
+surprise. La rapide formation de l'armée du Nord ne laissa pas que
+d'avoir une certaine influence sur les négociations avec la Prusse.
+Napoléon apprit avec joie que l'armée française du Nord avait
+effrayé cette puissance au point que M. de Haugwitz, ministre du
+cabinet de Berlin, commença par demander que l'ordre fût donné aux
+troupes de Louis, alors sur les frontières du duché de Berg, de
+s'arrêter. L'empereur témoigna à son frère sa satisfaction, non
+seulement dans ses lettres particulières, mais encore dans un des
+bulletins de la grande armée. À la nouvelle de la victoire
+d'Austerlitz et de la paix, Louis renvoya à Paris les troupes tirées
+de cette ville, car l'empereur avait paru mécontent de ce qu'une
+partie de ces troupes avait été renforcer les divisions en Hollande.
+Le prince se rendit ensuite de sa personne à Strasbourg, au-devant
+de son frère qui le reçut froidement. Louis comprit plus tard d'où
+venait cette froideur. Napoléon, après l'avoir blâmé de ce qu'il
+avait distrait des troupes de Paris pour les envoyer dans le Nord,
+le blâma d'avoir trop vite renvoyé ces troupes en France. Enfin, il
+lui sut mauvais gré de son prompt départ de la Hollande. Quelques
+mots échappés à l'empereur, sur ses projets futurs relativement à ce
+pays, commencèrent à l'éclairer.</p>
+
+<p class="lettre">«Pourquoi l'avez-vous quitté? dit-il à Louis; on vous y voyait avec
+ plaisir, il fallait y rester.&mdash;La paix une fois conclue, répondit
+ celui-ci, j'ai tâché de réparer la faute que vous m'aviez reprochée
+ dans vos lettres, en renvoyant à leur poste les troupes que j'en
+ avais fait sortir pour l'armée du Nord. Quant à moi, à qui vous avez
+ laissé le commandement <span class="pagenum"><a id="page098" name="page098"></a>(p. 098)</span> militaire de la capitale en votre
+ absence, mon devoir était de m'y trouver à votre retour, si je
+ n'avais pas cru mieux faire en venant à votre rencontre. Je
+ conviens, ajouta-t-il, que les bruits qui circulaient en Hollande
+ sur moi et sur le changement du gouvernement dans ce pays ont hâté
+ mon départ. Ces bruits ne sont pas agréables à cette nation libre et
+ estimable, et ne me plaisent pas davantage.»</p>
+
+<p>L'empereur fit comprendre alors, par sa réponse, quelque vague
+qu'elle fût, combien ces bruits étaient fondés. Mais Louis s'en
+inquiétait peu; il était persuadé qu'il trouverait aisément moyen de
+refuser le haut rang qu'on lui destinait, rang qu'il n'ambitionnait
+pas et qui faisait l'objet des v&oelig;ux les plus ardents de plusieurs
+autres membres de sa famille.</p>
+
+<p>Après le traité de paix, l'empereur se rendit de Strasbourg à Paris;
+Louis l'y accompagna. On touchait au moment où Napoléon allait
+mettre une couronne sur le front de ce jeune homme dénué de toute
+ambition, d'un caractère déjà naturellement porté à la tristesse, et
+que son union mal assortie rendait plus taciturne encore. Aux tracas
+intérieurs, allaient se joindre pour lui les soucis d'une royauté
+dont il ne sut pas mieux se défendre que de son mariage.</p>
+
+<p>Nous devons dire ici quelques mots des négociations relatives à
+l'érection de la Hollande en royaume en faveur de Louis Bonaparte.</p>
+
+<p>Après Austerlitz et la signature du traité de Presbourg, Napoléon,
+voulant assurer son système du blocus continental, songea à ériger
+en royaume la république batave. Des négociations sérieuses furent
+entamées entre le gouvernement impérial, représenté à La Haye par le
+général comte Dupont-Chaumont et le grand-pensionnaire
+Schimmelpenninck. Lorsque Napoléon crut les négociations assez
+avancées, et eut la certitude que le chef de la république batave
+était dans ses intérêts, il le fit engager (lettre du commencement
+de janvier 1806) à envoyer à Paris une députation chargée de
+s'entendre avec le gouvernement français sur les moyens à prendre
+pour <i>introduire plus de stabilité</i> dans les affaires de Hollande.
+Le 11 février 1806, Schimmelpenninck écrivit à M. de Talleyrand,
+notre ministre des relations extérieures, pour l'assurer de sa
+volonté de se prêter à toutes les vues de l'empereur, relativement à
+l'affermissement de l'union de la France et de la Hollande. Quelques
+jours plus tard, le 27 du mois de février, et lorsqu'il crut l'effet
+de sa lettre du 11 produit, le grand-pensionnaire demanda par
+<span class="pagenum"><a id="page099" name="page099"></a>(p. 099)</span> une note confidentielle un accroissement de territoire
+pour la Hollande, du côté de la Prusse, accroissement promis,
+disait-il, et toujours ajourné. La Hollande désirait le pays situé
+entre l'Ems et le Wéser (l'Ost-Frise, la principauté de Jever, le
+bas évêché de Munster, le comté d'Oldenbourg, le comté de Bentheim,
+Steinvord, le haut évêché de Munster, etc.), pour reculer les
+frontières bataves jusqu'à l'embouchure du Wéser. Dans cette note
+toute confidentielle et adressée à M. de Talleyrand, il est fait
+appel à la générosité de l'empereur, pour lequel le dévouement du
+pays sera inaltérable.&mdash;Le 29 mars, le gouvernement français fut
+prévenu que l'amiral Verhuell, de retour à La Haye de sa mission à
+Paris, avait eu des conférences avec le grand-pensionnaire, à la
+suite desquelles la convocation des États avait été décidée pour le
+1<sup>er</sup> avril. Le 31 mars, Verhuell écrivit à Talleyrand que
+l'impression produite sur le grand-pensionnaire, relativement aux
+intentions de l'empereur, avait été vive; qu'il ne pouvait résoudre
+seul la question déclarée <i>invariable</i> par Napoléon; que le prince
+Louis et sa femme seraient bien reçus en Hollande, et que les
+notables n'hésiteraient pas à se ranger autour d'eux. Bientôt, les
+intentions de l'empereur sur la Hollande commençant à être devinées,
+des brochures contre la domination de l'étranger furent publiées
+dans ce pays. Napoléon devint furieux<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a><a href="#footnote57" title="Lien vers la note 57"><span class="smaller">[57]</span></a>. Le 15 avril, le général
+Dupont prévint que les États allaient envoyer à Paris une commission
+en tête de laquelle seraient Verhuell, Goguel, Van Styrum, Six et
+Porentzel. En effet, la députation arriva à Paris le 25 avril.
+Verhuell se hâta de voir Talleyrand avant la réception de la
+députation. L'empereur apprit alors qu'une assez violente opposition
+au gouvernement monarchique se laissait entrevoir à La Haye; qu'une
+adresse se signait à Harlem, demandant, au nom des précédents du
+pays et de l'honneur national, le maintien de la république. Cela
+n'empêcha pas la commission de rédiger deux adresses à Napoléon pour
+lui demander d'accorder à la Hollande son frère Louis comme <i>chef
+suprême de la république batave</i>, roi de Hollande. Un traité fut
+alors conclu (le 24 mai à Paris, et ratifié le 28 à La Haye) pour
+l'adoption du gouvernement monarchique. Le grand-pensionnaire refusa
+de ratifier le traité, mais il promit de rester simple particulier
+<span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> à La Haye et d'y vivre tranquille. Il est juste d'ajouter
+que l'avènement du roi Louis et de la reine Hortense au trône de
+Hollande fut assez bien accueilli dans tout le pays. Un seul cas
+d'opposition se présenta. M. Serrurier, ministre français, qui avait
+remplacé momentanément à La Haye le général Dupont en congé, rendit
+compte de ce fait, dans une lettre du 14 août, à Talleyrand. Une
+tentative de révolte eut lieu parmi les matelots de l'un des
+bâtiments de la flotte, à l'occasion de la prestation de serment au
+roi. Le marin qui portait la parole au nom de ses camarades fut tué
+sur place, d'un coup de pistolet, par l'amiral De Winter. Tout
+rentra à l'instant dans l'ordre, et le serment fut prêté sans
+résistance.</p>
+
+<p>La royauté fut établie en Hollande, et fondée sur des lois
+constitutionnelles. Le prince Louis ne fut pas consulté. Il apprit
+par des rumeurs sans authenticité qu'il était fortement question de
+lui pour cette nouvelle couronne. Les membres de la députation
+vinrent enfin le trouver (le 5 juin, après la déclaration faite par
+l'empereur au Sénat), ils l'informèrent de tout, en l'assurant que
+la nation serait heureuse de le voir à sa tête. Louis, fort peu
+désireux de s'expatrier, dépourvu d'ambition, refusa, donnant pour
+prétexte les droits de l'ancien Stathouder. La députation revint
+bientôt à la charge, en lui annonçant la mort du Stathouder. «Le
+prince héréditaire, lui dit-elle, a reçu Fulde en indemnité; vous
+n'avez donc plus d'objection raisonnable; nous venons, appuyés du
+suffrage des neuf dixièmes de la nation, vous prier de lier votre
+sort au nôtre, et de nous empêcher de tomber en d'autres mains.»
+Napoléon fut plus explicite, il fit entendre à son frère qu'il avait
+accepté pour lui et que s'il ne l'avait pas consulté, c'est qu'un
+sujet ne pouvait refuser d'obéir. Le prince réfléchit alors que s'il
+persévérait dans son refus, il lui arriverait sans doute ce qui
+était arrivé à Joseph qui, après avoir rejeté l'offre de l'Italie,
+se trouvait à Naples. Il résolut toutefois de faire une nouvelle
+tentative et il écrivit à Napoléon que s'il était nécessaire que ses
+frères s'éloignassent de la France, il lui demandait le gouvernement
+de Gênes ou du Piémont. Napoléon refusa. Quelques jours après, le
+prince de Talleyrand, ministre des relations extérieures, vint lire,
+à Saint-Cloud, à Louis et à Hortense, le traité avec la Hollande et
+la constitution de ce pays. Le prince eut beau dire qu'il ne pouvait
+juger sur une simple lecture un projet de cette importance,
+qu'étranger aux discussions et au travail qui avaient eu lieu, il
+ignorait si on ne lui faisait pas promettre plus qu'il ne lui serait
+possible de tenir, <span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> il fallut accepter. Louis avait été
+nommé grand-connétable de France, l'empereur décida que cette
+dignité lui serait conservée. Louis voulut tirer prétexte de sa
+santé, du climat de la Hollande, Napoléon répondit qu'il valait
+mieux mourir sur un trône que vivre prince français. Il n'y avait
+plus qu'à obéir, c'est ce qu'il fit en assurant qu'il se dévouerait
+à son nouveau pays avec zèle et qu'il chercherait à justifier, dans
+l'esprit de la nation, la bonne opinion que l'empereur avait sans
+doute donnée de lui. Le 5 juin avait été fixé pour la proclamation
+du nouveau roi. Après un discours de l'amiral Verhuell et une
+réplique de Napoléon, ce dernier, s'adressant à son frère, lui dit:
+«Vous, prince, régnez sur ces peuples.... Qu'ils vous doivent des
+rois qui protègent ses libertés, ses lois, sa religion; mais ne
+cessez jamais d'être Français. La dignité de connétable de l'empire
+sera conservée par vous et vos descendants; elle vous retracera les
+devoirs que vous avez à remplir envers moi, et l'importance que
+j'attache à la garde des places fortes qui garnissent le nord de mes
+états et que je vous confie.» Louis répliqua, et dans son discours
+on put remarquer cette phrase: «Je faisais consister mon bonheur à
+admirer de plus près toutes les qualités qui vous rendent si cher à
+ceux qui, comme moi, ont été si souvent témoins de la puissance et
+du génie de Votre Majesté. Elle permettra donc que j'éprouve des
+regrets en m'éloignant d'elle, mais ma vie et ma volonté lui
+appartiennent. J'irai régner en Hollande, puisque ces peuples le
+désirent et que Votre Majesté l'ordonne.» Dans son message au sénat,
+à propos du royaume de Hollande, Napoléon termine en disant: «Le
+prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a
+donné une preuve de l'amour qu'il a pour nous, et de son estime pour
+les peuples de la Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de
+si grandes obligations.»</p>
+
+<p>On voit par ce qui précède que le nouveau souverain avait fait pour
+refuser la couronne tout ce qu'il était humainement possible; que
+loin de désirer la haute position qui lui était offerte, il la
+redoutait; qu'en un mot, il sacrifiait à la politique de son frère
+sa liberté, son indépendance, ce qui lui restait de bonheur sur la
+terre. Toutefois, dès qu'il eut accepté, son intention bien arrêtée
+fut de se consacrer entièrement à sa nouvelle patrie, et de régner
+<i>pour la Hollande seule</i>; de là vinrent les tiraillements, puis
+bientôt après les discussions et enfin les rapports quasi-hostiles
+qui ne tardèrent pas à s'établir entre les deux frères, entre les
+deux souverains, et qui aboutirent <span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> finalement à
+l'abdication de Louis et à la réunion de la Hollande à la France.</p>
+
+<p>En plaçant sur la tête de Louis la couronne de Hollande, Napoléon
+entendait faire de lui un <i>roi-préfet</i>; en acceptant cette couronne,
+Louis voulait être un <i>roi-souverain</i>. La politique de l'empereur
+jeta toujours du froid entre lui et ceux des membres de sa famille
+qu'il mit sur les trônes. Cela ne pouvait être autrement. Selon
+qu'on se place à un point de vue différent, on voit les mêmes choses
+sous un aspect qui n'est pas le même. Napoléon partait de ce
+principe, que tout souverain par sa grâce à lui, l'empereur des
+Français, devenait par le fait même, non seulement son obligé comme
+homme, comme roi, mais encore qu'il devait contraindre les peuples
+dont il lui donnait le gouvernement à tout sacrifier à la politique
+française, même les intérêts les plus chers. C'était partir d'un
+principe injuste et inapplicable dans la pratique. En supposant
+qu'un roi sur le trône consente à n'être qu'un préfet couronné, ses
+peuples n'ayant pas les mêmes motifs pour suivre le sillon tracé par
+un état voisin, pourront vouloir s'en écarter. De là doit résulter
+forcément des levains de discorde, soit entre le souverain
+protecteur et le souverain protégé, soit entre le souverain protégé
+et les sujets. Voilà pourquoi, à partir du jour où il se mit à
+fabriquer des rois de famille, Napoléon fut toujours en discussion
+avec les siens. Un seul des princes qu'il éleva près de lui suivit
+aveuglément sa politique, le prince Eugène; pourquoi? La raison en
+est bien simple, c'est qu'Eugène n'était que <i>vice-roi</i> et non roi
+d'Italie. Le jour où il eût gouverné en son nom, Eugène, malgré son
+affection profonde, son respect sans bornes pour son père adoptif,
+n'eût probablement pas consenti à tout ce que voulait l'empereur.
+Eugène, en restant vice-roi d'un état dont la couronne était sur la
+tête de Napoléon, remplissait son devoir, sans éprouver aucune
+répugnance à agir comme il le faisait. Murat à Naples, Joseph en
+Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, n'étaient pas dans
+la même position. <i>Rois-préfets</i>, ils perdaient leur prestige aux
+yeux de leurs sujets; <i>rois-souverains</i>, prenant les intérêts de
+leurs peuples, ils contrariaient souvent les vues de celui qui les
+avait mis sur le trône, ils excitaient son ressentiment, se
+faisaient accuser par lui d'ingratitude; puis, comme malgré son
+affection pour les siens Napoléon n'était pas homme à abandonner,
+pour quelque considération que ce pût être, ses gigantesques
+projets, il cherchait bientôt à briser ceux qu'il avait élevés. De
+là ces lettres acerbes entre lui et ses frères, <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> ces
+reproches continuels, ces refus de sa part d'accéder à leurs
+demandes, quelquefois fort justes, et de remplir même les
+engagements qu'il avait contractés à leur égard. Joseph, en Espagne,
+avait beau être roi par la grâce de son frère, pouvait-il abandonner
+les intérêts de l'État dont on lui confiait les rênes, jusqu'à
+accueillir, comme le voulait l'empereur, la ruine financière
+d'abord, le démembrement de ses États ensuite? Louis, roi malgré lui
+de la Hollande, pouvait-il voir sans chagrin le dépérissement du
+pays dont il avait juré de maintenir les droits, parce qu'il entrait
+dans le système de la France de sacrifier tous les intérêts
+commerciaux pour réduire l'Angleterre?</p>
+
+<p>Avec son accession au trône de Hollande, se termine la première
+partie de l'existence de Louis Bonaparte, période heureuse si on la
+compare à celles qui la suivirent.</p>
+
+
+<h3>II.<br>
+Juin 1806-1808.</h3>
+
+<p>Le roi et la reine quittèrent Paris dans les premiers jours de juin
+1806, et arrivèrent dans leurs États le 18. Ils descendirent d'abord
+à la maison royale, dite <i>du Bois</i>, à une lieue de La Haye, où ils
+reçurent les députations et les accueillirent avec la plus extrême
+affabilité. Le 23 juin eut lieu l'entrée solennelle des deux
+souverains à La Haye. Le roi crut devoir ne s'environner que de
+troupes nationales; il congédia, après l'avoir très bien traité, un
+corps français mis à sa disposition par l'empereur. Ce dernier en
+fut choqué, mais les Hollandais surent beaucoup de gré à Louis de sa
+conduite à cette occasion. Bientôt, malgré tout ce que purent faire
+le roi et la reine, une certaine jalousie se fit sentir à leur
+nouvelle cour entre les Français et les Hollandais admis auprès
+d'eux. La nation, de son côté, tout en reconnaissant la supériorité
+de l'administration française que l'on commençait à introduire en
+Hollande, se prit à regretter ses vieilles pratiques. Il y eut des
+bals, des concerts, des fêtes que la reine Hortense, femme des plus
+aimables et des plus gracieuses, embellissait par la bienveillance
+avec laquelle elle recevait indistinctement tout le monde. Le roi,
+qui ne pouvait pas se dissimuler la division existant déjà entre les
+Hollandais et les Français, semblait accueillir les premiers plus
+volontiers que les seconds; les <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> seconds au contraire
+paraissaient plus agréables à la reine. En montant sur le trône,
+Louis prit très au sérieux ses nouveaux devoirs envers la Hollande,
+mais il ne tarda pas à comprendre combien il lui serait difficile de
+concilier les intérêts de la nation avec ce que l'empereur attendait
+de lui. Ce fut sans doute parce qu'il était résolu à tout sacrifier
+à sa nouvelle patrie qu'il avait désiré renoncer au titre de
+connétable. Napoléon, qui le devina, l'avait contraint, comme on l'a
+vu, à conserver cette haute dignité militaire. Pour juger les actes
+du roi Louis, il ne faut pas oublier cette position mixte et fausse
+dans laquelle il se trouva pendant tout le temps de son règne. On a
+vu Louis refusant la couronne, on l'a vu l'acceptant malgré lui, on
+va le voir maintenant désireux d'user d'un pouvoir indépendant,
+résister à Napoléon et essayer un instant de lutter. Il voulait
+franchement le bien de ses sujets, cette pensée l'occupait
+constamment, mais ce qu'il voulait faire pour atteindre ce but
+n'entrait nullement dans les desseins de l'empereur et presque
+toutes les mesures du roi étaient précisément une sorte
+d'opposition, de protestation contre le système continental, par
+lequel Napoléon voulait contraindre l'Angleterre de céder à ses
+volontés.</p>
+
+<p>Louis s'entoura d'hommes de mérite et qu'il prit exclusivement parmi
+les Hollandais. Il commença par faire subir quelques changements à
+divers points secondaires de la constitution qu'il avait adoptée,
+puis il se mit à étudier la situation des affaires. Cette étude lui
+révéla le déplorable état du trésor et de l'administration des
+digues, l'incohérence des lois judiciaires, la faiblesse de l'armée.
+Seule, la marine était dans d'assez bonnes conditions. Elle avait
+deux flottilles, l'une pour la garde des côtes et des ports, l'autre
+en station à Boulogne-sur-Mer. Le Helder, Amsterdam, Rotterdam
+possédaient de beaux vaisseaux et de bons officiers pour les
+commander. L'exercice des cultes était libre, mais l'État salariait
+les ministres de la religion dominante (la religion réformée) et
+laissait l'église catholique dans le plus profond dénuement. Ceux
+qui la professaient n'étaient admis dans aucun emploi public; les
+juifs étaient rebutés, méprisés. Le commerce languissait, les
+manufactures ne marchaient pas. Les universités étaient dans un état
+assez satisfaisant. Tel était l'état moral et matériel de la
+Hollande à cette époque. Le nouveau souverain ne perdit pas un
+instant pour porter remède au mal, autant que cela était en son
+pouvoir. Afin d'alléger les finances, il sollicita de l'empereur le
+renvoi des troupes françaises et la diminution des <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span>
+armements maritimes, écrivant qu'il abdiquerait si la France ne
+s'acquittait pas vis-à-vis de la Hollande, et si les troupes de
+Napoléon restaient plus longtemps à la solde de son royaume.
+L'empereur mécontent accéda néanmoins aux v&oelig;ux de son frère,
+moins peut-être pour lui être agréable que pour augmenter ses forces
+en Allemagne. On touchait à la guerre avec la Prusse. Louis sentit
+la nécessité d'organiser son armée pour pouvoir, à toute
+éventualité, se suffire à lui-même. Bientôt la guerre étant déclarée
+à la cour de Berlin, il forma deux corps de 15,000 hommes, le
+premier dont il se réserva le commandement et qu'il dirigea sur
+Wesel (fin de septembre 1806), le second aux ordres du général
+Michaud et qui fut placé au camp de Zeist. Il reçut alors de
+l'empereur, par M. de Turenne, des dépêches dans lesquelles son
+frère mettait à découvert ses vastes conceptions pour la campagne
+contre la Prusse. Napoléon lui disait entre autres choses:</p>
+
+<p class="lettre">«Vous ferez une diversion utile à Wesel, où je vous prie de réunir
+ votre armée grossie de troupes françaises. Cette armée portera le
+ nom d'armée du Nord. Vous ferez en sorte qu'on la croie beaucoup
+ plus forte qu'elle ne l'est. Si les Prussiens se jettent vers la
+ Hollande et prennent le change, ils sont perdus; s'ils ne le font
+ pas, ils le sont encore. Tandis qu'ils croient que j'établis ma
+ ligne d'opération parallèlement à eux et au Rhin, j'ai déjà calculé
+ que peu d'heures après la déclaration, ils ne peuvent m'empêcher de
+ déborder leur gauche et de porter sur elle plus de forces qu'ils ne
+ pourront en opposer, et qu'il n'est nécessaire pour sa destruction.
+ La ligne rompue, tous les efforts qu'ils feront pour secourir leur
+ gauche tourneront contre eux; séparés, coupés dans leur marche, ils
+ tomberont successivement dans mes lignes. Les résultats sont
+ incalculables. Peut-être serai-je à Berlin avant six semaines. Mon
+ armée est plus forte que celle des Prussiens, et quand même ils me
+ battraient d'abord, aussitôt après ils me trouveront sur leur centre
+ avec 100,000 hommes de troupes fraîches poursuivant mon plan, etc.,
+ etc.»</p>
+
+<p>Tout en admirant l'habile stratégie du grand capitaine, Louis reçut
+avec désespoir l'ordre d'amalgamer l'armée hollandaise avec l'armée
+française. Chaque régiment dut être embrigadé avec un régiment
+français, sous les ordres d'un général français; l'artillerie
+hollandaise, quoique agissant en dehors de l'artillerie française,
+reçut un commandant français; enfin Mortier, à la tête du 8<sup>e</sup> corps
+stationné à Mayence, fut chargé d'une expédition contre l'électeur
+de Cassel, avec lequel Louis vivait en très bonne intelligence, et
+le maréchal eut, pour le soutenir, des troupes de Hollande à portée
+de ses principales <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> forces. Quoi qu'il en soit, le roi fit
+encore ce que désirait Napoléon; il opéra l'amalgame, laissa au camp
+de Zeist le général Dumonceau, nommé commandant des troupes
+stationnées dans le pays, et lui-même, avec le général Michaud,
+rejoignit l'armée française à la tête du corps directement sous ses
+ordres. Ce corps hollandais prit position à Wesel. Le 15 octobre, le
+roi se porta en Westphalie avec 20,000 hommes, 3,000 chevaux et 40
+pièces attelées. Son armée avait pris le nom d'armée du Nord. Elle
+occupa Munster, Osnabruck, Paderborn, tandis que la division
+Daendels envahissait l'Ost-Frise. Au moment où les Hollandais
+allaient attaquer Hammeln et Nienbourg, le maréchal Mortier leur
+demanda de le soutenir. Le roi marcha en personne sur la Hesse,
+ajournant ses opérations contre les deux places fortes citées plus
+haut. Le 1<sup>er</sup> novembre, il était près de Cassel, lorsqu'il fut joint
+par un écuyer de l'électeur que le roi Louis aimait et dont il
+envahissait à regret le territoire. Le roi fit donner à l'électeur
+le conseil de rester neutre, mais Mortier était déjà à Cassel et
+l'électeur n'eut d'autre parti à adopter que la fuite. Louis vit le
+maréchal et fut stupéfait d'apprendre de sa bouche qu'il avait ordre
+de mettre sous son commandement tous les corps hollandais. Choqué,
+il revint immédiatement avec ses troupes en Hollande, envoyant un
+aide de camp à Berlin, à son frère, pour se plaindre et lui dire que
+tout allant bien, et les Hollandais n'étant plus nécessaires, il les
+ramenait dans leur pays. À la suite de plusieurs longues
+conversations qu'il eut avec le général Dupont-Chaumont, ministre de
+France auprès du gouvernement hollandais, il comprit que l'empereur
+ne considérait pas les affaires de ce pays comme terminées, et que
+pour lui il devait se considérer à l'armée comme un prince français.</p>
+
+<p>À dater de ce moment, le système de l'empereur relativement à la
+Hollande commença à ne plus être un mystère pour Louis. Du moins le
+roi crut entrevoir que l'intention de son frère était d'amener, à
+force de rigueurs, ce malheureux pays à regarder comme un bienfait
+sa réunion à la France. Dès qu'il crut reconnaître chez Napoléon ce
+projet funeste à son royaume, il prit la résolution de ne plus agir
+qu'en souverain et dans toute la plénitude des devoirs que lui
+imposait ce titre.</p>
+
+<p>«Ne pouvant ni <i>ne voulant</i>, disait-il, tenir tête à la France, à
+force ouverte, il faut au moins que le public connaisse la vérité,
+qu'il soit convaincu que si j'ai pu être trompé, rien ne pourra me
+<span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> détacher d'un pays devenu le mien, auquel me lient les
+devoirs et les serments les plus sacrés.»</p>
+
+<p>On conçoit que de pareilles paroles rapportées à Napoléon ne
+pouvaient adoucir le tout-puissant empereur à l'égard de son frère
+et de la Hollande. Se croyant, à tort ou à raison, éclairé sur les
+projets ultérieurs de son frère, se montant peut-être aussi la tête,
+et attribuant à l'empereur des desseins non encore bien arrêtés dans
+la pensée de Napoléon, desseins sur lesquels il est possible qu'une
+sorte de soumission l'eût fait revenir, Louis, de retour à La Haye,
+ne voulant pas envoyer ses troupes en Prusse et voulant les occuper
+près de ses États, fit bloquer les places de Hammeln et de Nienbourg
+sans les faire attaquer. Le général Daendels occupa Rinteln sur le
+Weser, entre Hammeln et Nienbourg. Le roi apprit alors que Blücher
+avait été battu à Lubeck. Ne pouvant se faire à l'idée d'être
+considéré à la grande armée comme un simple officier général, il
+renvoya à Mortier toutes les troupes françaises qui se trouvaient
+amalgamées avec les troupes hollandaises, puis il fit venir le
+général Dumonceau, auquel il confia le commandement général, le
+chargea du blocus et écrivit à son frère qu'il était obligé de
+retourner lui-même en Hollande et ne pouvait se rendre ni en
+Hanovre, ni à Hambourg comme l'empereur le voulait. Peu de jours
+après, les places de Hammeln et Nienbourg se rendirent. Les
+Hollandais furent heureux de revoir leur souverain. D'abord ils
+aimaient déjà réellement ce prince, ensuite ce que redoutait avant
+tout la population de ce pays, c'était un gouvernement militaire et
+un roi aimant à faire la guerre.</p>
+
+<p>La Hollande respirait à peine, qu'un nouveau malheur vint la
+frapper, on apprit le fameux décret de Berlin et les mesures prises
+par Napoléon pour le blocus continental. C'était non seulement la
+mort d'un pays qui ne vivait que par le commerce, mais ce devait
+être encore une cause de perpétuelle dissension entre ce royaume et
+l'empire français. Louis en fut atterré. Il comprit que ce système
+poussé à l'extrême ruinerait peut-être par la suite l'Angleterre,
+mais qu'à coup sûr il ruinerait auparavant la Hollande et les États
+commerçants. Il chercha à éluder les dispositions les plus rigides
+du décret. Malgré ses efforts et sa prudence, il ne put réussir à
+donner le change à l'empereur. Ce dernier était trop bien instruit
+par ses agents de ce qui se passait chez ses voisins pour ignorer la
+vérité. Furieux, il éleva la voix plus despotiquement. Le roi dut se
+résigner à faire paraître le 15 décembre 1806 un décret réglant dans
+ses États le <span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> blocus continental. L'empereur néanmoins ne
+se montra pas satisfait. Il avait une méfiance telle à l'égard de la
+Hollande qu'il fut sur le point d'ordonner des visites domiciliaires
+dans ce pays. Ses agents lui persuadaient que des relations
+commerciales existaient toujours entre l'Angleterre et la Hollande,
+et de fait ces rapports, peut-être exagérés, étaient cependant basés
+sur un fonds de vérité.</p>
+
+<p>Malgré tous les ennuis qui accablaient son âme, Louis ne perdait pas
+de vue les institutions pouvant être utiles à son nouveau pays. Il
+fit rédiger un code civil et un code criminel, il compléta le
+système des contributions, système établissant une égalité parfaite
+entre tous les habitants. Il fit paraître de sages réformes sur les
+corporations et sur les maîtrises. Il voulut ensuite instituer comme
+en France de grands officiers du royaume, des maréchaux, des
+colonels généraux, et enfin il proposa au corps législatif une loi
+portant création de deux ordres de chevalerie, l'ordre de l'<i>Union</i>
+et celui du <i>Mérite</i>. L'institution des grands officiers déplut à
+l'empereur.</p>
+
+<p>Au mois de janvier 1807 une triste circonstance permit à Louis de
+montrer ses sentiments d'humanité. Leyde éprouva un épouvantable
+désastre. Un bateau chargé de poudre fit explosion au milieu de la
+ville. Il s'y rendit aussitôt, prodigua les secours, les
+consolations, dispensa les habitants de toute contribution pendant
+dix ans, fit la remise aux débiteurs des arrérages des impôts non
+acquittés. En un mot, sa conduite lui gagna tous les cours, à tel
+point que la Société philanthropique de Paris lui adressa
+l'expression de sa vive admiration pour sa bienfaisance, et le pria
+de permettre que la Société offrit à la ville de Leyde les secours
+dont elle pouvait disposer<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a><a href="#footnote58" title="Lien vers la note 58"><span class="smaller">[58]</span></a>. La France avait exigé beaucoup de
+sacrifices de la Hollande, de telle sorte que bien malgré lui le roi
+fut obligé d'avoir recours à de nouveaux impôts. L'esprit national
+fut froissé, car pour établir les impôts, il fallait nécessairement
+contrarier d'anciens usages, et la nation hollandaise est une de
+celles qui tient le plus aux coutumes, aux m&oelig;urs, aux habitudes
+qui lui ont été transmises par ses pères. Louis fut très peiné
+d'être forcé d'agir ainsi, mais les circonstances étaient trop
+impérieuses pour qu'il lui fût permis de tergiverser. Il fit ensuite
+établir un nouveau cadastre et créa une direction des beaux-arts,
+<span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> à la tête de laquelle fut placé le savant Halmon. Les
+mesures vexatoires et blessantes pour l'amour-propre du roi, prises
+à son égard par Napoléon pendant la campagne de Prusse; les effets
+désastreux pour la Hollande du blocus continental, les lettres
+acerbes de l'empereur aigrirent à tel point les relations entre les
+deux souverains, que Louis en vint à être convaincu que même avant
+de mettre la couronne de Hollande sur sa tête, son frère avait eu le
+projet de démembrer ce pays et de le réunir à la France. Louis le
+répète à chaque page dans l'ouvrage qu'il publia plus tard sur la
+Hollande, ouvrage qui choqua Napoléon à Sainte-Hélène. Il est permis
+de douter que cette pensée ait réellement existé dès 1806 dans
+l'esprit de Napoléon, mais ce qu'il y a de positif, c'est que le roi
+Louis le crut et ne mit plus de bornes à sa résistance aux volontés
+du gouvernement impérial. Avec un homme aussi absolu que l'empereur,
+c'était une lutte dangereuse. La Hollande envoya néanmoins une
+députation au château de Finkenstein. Napoléon l'accueillit assez
+bien, mais se plaignit de son frère, et le prince de Talleyrand, en
+recevant les députés à Berlin, leur dit: «Votre roi veut donc
+favoriser absolument les Anglais?»</p>
+
+<p>Tant que Louis fut à l'armée, la reine Hortense resta auprès de
+l'impératrice, sa mère, à Mayence; elle revint au commencement de
+1807 avec ses deux enfants auprès de son mari. On fut heureux de la
+revoir, car son affabilité lui avait gagné tous les c&oelig;urs. Elle
+ne tarda pas à éprouver un malheur qui lui causa ainsi qu'au roi le
+plus violent chagrin. Après un voyage fait par ce dernier dans ses
+États, ils perdirent leur fils, le prince royal, qui leur fut enlevé
+en quelques jours par le croup, le 5 de mai. La douleur de Louis et
+d'Hortense fut affreuse et tellement profonde que l'empereur les en
+blâma. La reine, ne pouvant supporter la vue de ce qui lui rappelait
+son enfant, partit pour les Pyrénées. Le roi se hâla de pourvoir aux
+affaires les plus importantes, telles que le complètement de
+l'armée, la préparation des projets de lois à présenter à la session
+législative, et surtout les besoins du trésor; puis il rejoignit sa
+femme. Louis, en fuyant les lieux qui lui retraçaient l'image
+toujours présente à ses yeux de son fils, avait en outre deux motifs
+pour s'éloigner momentanément de la Hollande: rétablir sa santé que
+le climat empirait visiblement; se soustraire au spectacle de la
+détresse causée dans le pays par le blocus continental. Ne pouvant
+empêcher les souffrances de son peuple, il voulait n'en pas être le
+témoin. Le 30 mai 1807, il <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> se rendit dans les Pyrénées en
+passant par Paris. Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et
+le besoin qu'il pouvait avoir de prendre les eaux, s'étonnèrent de
+le voir s'éloigner de ses États dans un moment aussi critique. En
+effet, ce fut précisément pendant son absence que fut signé le
+traité de Tilsitt, après la victoire de Friedland, et à la suite
+d'une campagne dans laquelle les troupes hollandaises s'étaient fort
+distinguées.</p>
+
+<p>Après Tilsitt, Napoléon revint en France, Louis en fut informé aux
+eaux, il se hâta de quitter les Pyrénées. À son passage à Paris, il
+vit l'empereur qui lui dit en riant qu'il ne devait pas être étonné
+si on lui rendait compte de l'entrée sur le territoire de Hollande
+de douaniers et de gendarmes français chargés de punir les
+contrebandiers. «Au reste, ajouta-t-il, cela sera fait à cette
+heure.»</p>
+
+<p>Le roi n'en entendit pas davantage, et prenant vivement à c&oelig;ur ce
+dont il venait d'être instruit, il partit pour ses États et voyagea
+sans s'arrêter jusqu'à Anvers. Là il eut des détails sur ce qui
+avait été fait. Des gendarmes déguisés s'étaient introduits dans les
+places de Berg-op-Zoom, de Breda, de Bois-le-Duc, et y avaient fait
+des arrestations. L'indignation de Louis fut à son comble, il
+destitua le général Paravicini de Capeln, gouverneur de
+Berg-op-Zoom, le président de Breda, et sollicita, mais en vain,
+l'élargissement des prisonniers conduits en France.</p>
+
+<p>Le 23 septembre 1807, il revint à La Haye<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a><a href="#footnote59" title="Lien vers la note 59"><span class="smaller">[59]</span></a>. La reine ne l'y
+accompagna pas. Soit qu'il ne pût lui-même habiter une ville où il
+avait perdu son fils, soit pour un tout autre motif, cette ancienne
+résidence des stathouders lui déplut, il transporta le siège du
+gouvernement à Utrecht. Il s'y rendit au mois d'octobre et s'y
+installa fort mal, lui et sa cour, malgré tous les travaux qu'il fit
+faire. Louis semblait poursuivi par le malheur, il portait partout
+un visage triste que ne pouvaient parvenir à égayer ni les acteurs
+français venus de <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> Paris, ni les bals et les réunions qui
+se succédaient autour de lui.</p>
+
+<p>D'ailleurs, l'absence de la reine frappait toutes les fêtes d'une
+sorte de langueur. On se souvenait combien à La Haye sa spirituelle
+vivacité savait animer les cercles où elle brillait par le charme de
+sa jeunesse et de sa bonté. Le 11 novembre Louis obtint, après
+beaucoup d'instances, un traité entre la France et la Hollande; mais
+ce traité, signé à Fontainebleau et en vertu duquel la Hollande
+cédait Flessingue, parut tellement onéreux au roi, qu'il eut de la
+peine à se décider à le ratifier. Il ne le fit que dans l'espérance
+de conjurer de plus grands malheurs et d'éviter de plus grands
+sacrifices. L'année 1807 s'acheva péniblement et tristement pour ce
+malheureux prince, qui cherchait en vain dans les beaux-arts une
+distraction à ses chagrins. Des modifications eurent lieu dans son
+ministère. L'amiral Verhuell, qui portait le titre de maréchal,
+quitta le portefeuille de la marine pour l'ambassade de
+Saint-Pétersbourg. Le roi le trouvait trop dévoué aux intérêts de la
+France et pas assez à ceux de la Hollande. Le ministre de la guerre
+Hogendorp fut envoyé à Vienne, et M. Van-Maanen, procureur du roi à
+La Haye, prit le ministère de la police. L'amiral Verhuell n'alla
+pas en Russie, l'empereur le réclama comme ambassadeur en France. Le
+gouvernement français envoya comme ambassadeur en Hollande M. de la
+Rochefoucauld qui, au dire du roi Louis, avait la mission de
+préparer la réunion de la Hollande à l'empire.</p>
+
+<p>La paix de Tilsitt fut loin d'apporter quelques adoucissements aux
+rigueurs du blocus continental. Le système gigantesque de Napoléon
+pour abattre l'Angleterre et l'amener à merci prit un développement
+plus considérable encore. Jusqu'alors la France et les États qui
+dépendaient en quelque sorte de cette puissance étaient seuls
+contraints à observer les mesures rigoureuses du blocus. Après
+Tilsitt, l'Europe entière dut s'y soumettre. La Prusse y fut
+contrainte et remplit ses engagements avec la plus grande énergie.
+Le Danemark l'adopta avec joie, espérant venger le bombardement de
+Copenhague. La Hollande exécuta aussi par force les mesures
+ordonnées, mais de mauvaise grâce, parce que cela ruinait son
+commerce et que son commerce c'était son existence. L'empereur ne
+pouvait pardonner au roi et au pays leur répulsion pour son vaste
+plan rendu plus rigoureux encore par le décret daté de Milan le 17
+décembre. La conduite récente des Anglais envers le Danemark, les
+instances de la France avaient aussi déterminé la Russie à se
+déclarer, en sorte que le tableau <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> de l'Europe à cette
+époque était des plus singuliers. Les puissances continentales d'un
+côté, l'Angleterre de l'autre, s'acharnaient à porter la ruine et la
+désolation dans le monde entier.</p>
+
+<p>Au commencement de 1808, l'empereur Napoléon en était venu au point
+de déclarer coupable de <i>haute trahison</i> tout fonctionnaire qui
+favoriserait les contraventions au décret du blocus. Les 18 et 23
+janvier, Louis, cédant aux injonctions de son frère, prit encore de
+nouvelles dispositions plus rigides. Peu de temps après l'arrivée en
+Hollande de M. de Larochefoucauld, qui vint remplacer
+Dupont-Chaumont, le bruit se répandit de la cession du Brabant et de
+la Zélande en échange des villes anséatiques. Offensé de cette
+nouvelle, que la diplomatie française semblait prendre plaisir à
+accréditer dans l'ombre, le roi s'en expliqua nettement avec
+Napoléon, qui répondit d'une manière ironique et évasive, terminant
+sa courte lettre par cette phrase: «Encore une fois, puisque cet
+arrangement ne vous convient pas, c'est une affaire finie. Il était
+inutile même de m'en parler, puisque le sieur de la Rochefoucauld
+n'a eu l'ordre que de sonder le terrain.»</p>
+
+<p>Louis fût peut-être parvenu à assurer la prospérité de son royaume
+s'il n'eût été contrecarré dans ses projets par les vastes desseins
+de son frère, ou s'il eût voulu suivre aveuglément la politique du
+grand homme, car les mesures qu'il avait prises l'année précédente,
+surtout les mesures financières, avaient eu un succès inespéré.
+Utrecht ne devait pas être longtemps la résidence du roi. Ce prince,
+soit qu'il se fût vite dégoûté de ce séjour, soit qu'il pensât
+qu'Amsterdam, grand centre de population, remplît mieux les
+conditions d'une capitale, y transporta le siège du gouvernement. À
+cette même époque, les affaires d'Espagne avaient pris un nouvel
+aspect. Napoléon songeait à placer un membre de sa famille sur le
+trône de ce pays. Soit qu'il fût ennuyé de la lutte du roi de
+Hollande avec lui, soit qu'il eût l'espoir que Louis suivrait mieux
+la politique française à Madrid, soit qu'il fût bien aise d'avoir un
+prétexte pour annexer la Hollande à ses États, peut-être aussi dans
+le but d'arracher son frère à un climat contraire à sa santé,
+l'empereur lui proposa la couronne d'Espagne. Le 27 mars 1808 il lui
+écrivit:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Mon frère, le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix
+ a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à
+ Madrid. Dans cette circonstance, mes troupes étaient éloignées de 40
+ lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec
+ 40,000 hommes. <span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> Jusqu'à cette heure le peuple m'appelle à
+ grands cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre
+ qu'en donnant un grand mouvement au continent, j'ai résolu de mettre
+ un prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande
+ ne vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de
+ ses ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou
+ non, il n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette
+ situation des choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous
+ serez souverain d'une nation généreuse, de 11 millions d'hommes et
+ de colonies importantes. Avec de l'économie et de l'activité,
+ l'Espagne peut avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux
+ dans ses ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre
+ opinion sur ce projet. Vous sentez que ceci n'est encore qu'un
+ projet, et que, quoique j'aie 100,000 hommes en Espagne, il est
+ possible, par les circonstances qui peuvent survenir, ou que je
+ marche directement et que tout soit fait dans quinze jours, ou que
+ je marche plus lentement et que cela soit le secret de plusieurs
+ mois d'opérations. Répondez-moi catégoriquement: Si je vous nomme
+ roi d'Espagne, l'agréez-vous? puis-je compter sur vous? Comme il
+ serait possible que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et
+ qu'alors il faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances
+ que l'on ne peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots: J'ai
+ reçu votre lettre de tel jour, je réponds oui, et alors je compterai
+ que vous ferez ce que je voudrai; ou bien non, ce qui voudra dire
+ que vous n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire
+ une lettre où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous
+ voulez, et vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme à
+ Paris. Si j'y suis, elle me la remettra, sinon elle vous la
+ renverra.</p>
+
+<p>«Ne mettez personne dans votre confidence et ne parlez, je vous
+ prie, à qui que ce soit de l'objet de cette lettre; car il faut
+ qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc.,
+ etc.<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a><a href="#footnote60" title="Lien vers la note 60"><span class="smaller">[60]</span></a>»</p>
+</div>
+
+<p>Le roi refusa, indigné de ce qu'il considérait comme une spoliation
+envers le malheureux Charles IV. «Je ne suis pas un gouverneur de
+province, disait-il à ce sujet, il n'y a d'autre promotion pour un
+roi que celle du ciel, ils sont tous égaux. De quel droit
+pourrais-je aller demander un serment de fidélité à un autre peuple,
+si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en
+montant sur le trône?»</p>
+
+<p>L'empereur, mécontent de ce refus, donna la couronne d'Espagne
+<span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> à Joseph; il continua à se plaindre de la Hollande,
+«nation <i>souple</i> et <i>fallacieuse</i>, dit-il dans un moment d'humeur,
+et chez laquelle se fabriquent toutes les nouvelles qui peuvent être
+défavorables à la France.» Ses agents de police secrète, et ils
+étaient nombreux, même à la cour du roi Louis, lui affirmaient que
+les Hollandais faisaient avec l'Angleterre des affaires importantes
+par la contrebande. Il en était bien quelque chose, et le contraire
+eût été difficile. En vain les principaux organes de la presse
+criaient à la calomnie, en déclarant faux tout ce qu'on rapportait à
+Napoléon. Ce dernier savait très bien à quoi s'en tenir et répétait
+à qui voulait l'entendre «que tout le pays de Hollande était entaché
+d'anglomanie et que le roi en était le premier <i>smogleur</i>.» Tous les
+rapports affectueux entre les deux frères avaient cessé, l'horizon
+politique entre les deux pays s'obscurcissait, il était impossible
+que la Hollande ne reconnût pas qu'elle courait à une crise
+dangereuse pour elle. Louis, pressé par une puissance formidable à
+laquelle il ne pouvait opposer qu'une bien faible résistance, fut
+obligé de se résigner. Une circonstance se présenta de prouver à
+l'empereur qu'il n'était pas aussi dévoué à l'Angleterre que
+Napoléon voulait bien le dire, il la saisit avec empressement.</p>
+
+<p>Le roi était allé à Aix-la-Chapelle pour y voir Madame mère; là il
+apprit que les Anglais occupaient l'île de Walcheren et qu'ils
+cherchaient à s'emparer de la flotte française en station sur
+l'Escaut. Il n'hésita pas un instant et expédia sur-le-champ l'ordre
+à ses généraux de se rapprocher avec leurs forces de la ville
+d'Anvers, pour protéger la flotte contre les entreprises des
+Anglais; toutes les tentatives des Anglais eussent été vaines, si le
+général Bruce, officier hollandais qui commandait le fort de Batz,
+n'eût trahi ses devoirs en secondant les vues de l'ennemi et en
+laissant sans défense ce fort où il pouvait longtemps se maintenir.
+Les troupes hollandaises, furieuses d'une trahison à laquelle elles
+n'avaient eu aucune part, reprirent le fort. Le général Bruce fut
+destitué et jeté en prison.</p>
+
+<p>D'Aix-la-Chapelle, en passant par Amsterdam, le roi rejoignit ses
+généraux dans les environs d'Anvers, où il forma un corps d'armée.
+Des troupes françaises se réunirent aux hollandaises, et quoiqu'il
+s'y refusât de bonne foi vis-à-vis des généraux français, le roi fut
+obligé de prendre le commandement des troupes rassemblées sur ce
+point. Il se rendit à la déférence qu'on lui marquait, mais avec la
+crainte qu'elle ne fût point approuvée par l'empereur. Il ne s'était
+point <span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> trompé, le prince de Ponte-Corvo vint bientôt
+prendre ce même commandement au nom de Napoléon. Louis quitta
+aussitôt Anvers, emmenant sa garde et laissant le commandement de
+ses propres troupes au général Dumonceau. Cette conduite de
+l'empereur était mortifiante pour le roi. Il pensa qu'on se méfiait
+de lui, et ses conjectures sur des événements qu'il pressentait
+depuis longtemps ne tardèrent pas à prendre de la consistance par la
+quantité de troupes françaises que l'on rassemblait dans le Brabant.</p>
+
+<p>La ville de Flessingue, bien défendue, pouvait opposer une longue
+résistance et peut-être même en faire abandonner le siège; mais
+après une défense très faible, le général Monnet, avec 4,000 hommes
+de garnison, se rendit aux Anglais. Il fut mis en jugement.</p>
+
+<p>Comme l'occupation de la Zélande par les Anglais n'avait pas altéré
+l'amour des Hollandais pour leur souverain, on célébra la fête du
+roi Louis à Amsterdam et dans toute la Hollande avec les
+démonstrations de la joie, jamais la cour n'avait été plus brillante
+que pendant ces trois jours de fêtes.</p>
+
+<p>À l'anniversaire de la fête de Sa Majesté, on joignit la fête de
+l'ordre de l'<i>Union</i>, le roi y distribua des décorations. Parmi les
+nouveaux chevaliers figuraient de braves officiers blessés à la
+reprise du fort de Batz.</p>
+
+<p>Cependant les Anglais, dès qu'ils eurent inondé la Zélande de leurs
+marchandises, l'évacuèrent. On les vit s'éloigner avec peine, parce
+qu'ils avaient ravivé le commerce dans cette partie de la Hollande.
+Les produits de fabrique anglaise refluaient jusque dans le palais
+du roi, où tout le monde, depuis le grand dignitaire jusqu'au plus
+simple serviteur, voulait en avoir et s'en parer: on en trouvait
+partout et partout on en désirait, en dépit du décret du roi qui les
+prohibait. Ainsi se trouvaient justifiés en partie les rapports des
+agents de l'empereur et le jugement que Napoléon portait sur les
+tendances des Hollandais.</p>
+
+<p>Peu de temps après la conclusion de la paix avec la Prusse et la
+Russie, une partie de l'armée hollandaise dut franchir les Pyrénées
+pour aller combattre en Espagne. Les régiments bataves déployèrent
+beaucoup de bravoure et montrèrent une discipline remarquable. Le
+roi, qui n'entrevoyait même plus pour la suite une amélioration à la
+fausse position de ses États vis-à-vis de la France, n'en continuait
+pas moins de travailler aux réformes intérieures, ainsi qu'on le
+verra par le récit des événements en 1809.</p>
+
+
+<h3><span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> III.<br>
+
+1809&mdash;Mai 1810.</h3>
+
+<p>En 1809, tandis que Napoléon battait l'Autriche sur les bords du
+Danube, que le prince Eugène faisait en Italie et en Hongrie les
+brillantes campagnes qui illustrèrent son nom, que le roi Joseph
+luttait contre les Anglo-Espagnols, souvent avec succès, le roi
+Louis s'efforçait de vaincre les répugnances d'une nation
+stationnaire et de lui procurer les bienfaits d'une administration
+analogue à celle de la France, et cependant en rapport avec les
+m&oelig;urs et les coutumes des habitants. Le 13 janvier, il proposa au
+Corps législatif un projet de loi relatif à l'introduction d'un
+système uniforme de poids et mesures, basé sur celui de l'Empire
+français; il fit adopter un nouveau code criminel qui devait avoir
+force de loi à dater de février 1810. Apprenant qu'une inondation
+terrible ravageait la Hollande, il se rendit sur les lieux pour
+s'assurer de la situation des choses, s'exposant à de véritables
+dangers pour porter des secours et juger des mesures à prendre. À
+Gorcum, à Nimègue, il paya de sa personne, étudiant avec soin le
+système d'endiguement qui fait la sauvegarde du pays; il visita, non
+seulement les villes, mais encore les plus pauvres villages de cette
+partie de la Hollande; il distribua des décorations et des
+récompenses à plusieurs ministres de la religion, qui tous étaient à
+leur poste; il fit surseoir à la perception de tous les impôts dans
+les districts inondés, forma un comité central du Watterstadt,
+comité qu'il composa des plus habiles ingénieurs pour conférer avec
+eux sur les moyens de dresser un plan général d'amélioration pour
+préserver les pays les plus exposés. Louis visita ensuite les digues
+du Leek, et ne rentra à Amsterdam qu'après avoir pris connaissance
+de tous les travaux à effectuer. Il s'occupa aussi d'un travail
+important sur les cultes<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a><a href="#footnote61" title="Lien vers la note 61"><span class="smaller">[61]</span></a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> Au commencement de mars, le roi fit un voyage dans le
+département de l'Over-Yssel. Son but était d'inspecter le pays pour
+un grand projet du Watterstadt (l'agrandissement du lit de l'Yssel),
+d'examiner l'état des finances communales et d'aplanir certaines
+difficultés entre les catholiques et les protestants, pour la
+possession des églises. Pendant cette tournée dans ses états, il
+reçut à l'improviste de l'empereur le décret qui disposait du
+grand-duché de Berg en faveur du prince royal de Hollande,
+Napoléon-Louis. Ce décret se terminait ainsi: «Nous nous réservons
+le gouvernement et l'administration du grand-duché de Berg et de
+Clèves, jusqu'au moment où le prince Napoléon-Louis aura atteint sa
+majorité; nous nous chargeons dès à présent de la garde et de
+l'éducation dudit prince mineur, conformément aux dispositions du
+titre 3 du 1<sup>er</sup> statut de notre maison impériale..» Le roi fut
+content de cette donation, parce qu'il crut y voir l'intention
+secrète de son frère d'en faire jouir la Hollande; cependant il ne
+put s'empêcher d'être blessé de n'avoir pas été prévenu et d'avoir
+appris la cession par une simple lettre d'avis; mais ce qui lui fit
+un chagrin profond, c'est de voir que sans son consentement, on
+séparait à jamais son fils de lui, privant ainsi un père de ses
+droits de tutelle et de surveillance. Il ne témoigna à l'empereur
+que sa gratitude, espérant voir luire des jours plus heureux pour
+lui et pour son peuple. Lors de son retour à Amsterdam, il réunit le
+Corps législatif en session extraordinaire, et l'on s'occupa d'un
+projet de loi relatif à la noblesse, projet de loi qui fut adopté.
+Il différait des lois françaises en ce que toute l'ancienne noblesse
+du pays fut reconnue, en ce que la nouvelle n'eut pas de majorat, et
+enfin en ce que le roi faisait ériger un certain nombre de terres en
+comtés ou baronnies, et qu'il se réservait le droit de les donner
+aux personnes qui mériteraient ces récompenses, à condition que ces
+domaines rentreraient à la couronne dans le cas où la succession
+directe viendrait à manquer. C'est cette dernière disposition que le
+roi regardait comme la seule et véritable base constitutionnelle de
+la noblesse, dans un gouvernement monarchique, mais libre. Il
+voulait même qu'à la mort d'un homme ayant bien mérité de la patrie,
+et qui avait obtenu un comté, une baronnie, ce comté, cette baronnie
+fissent retour à la couronne, ne pouvant passer en la possession du
+fils sans une nouvelle donation du roi, faite à la majorité de ce
+fils, s'il en paraissait digne. «La noblesse n'est honorable et
+réelle, disait le roi Louis, que lorsqu'elle s'unit au mérite
+personnel. Le fils du gentilhomme doit <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> être préféré à tout
+autre pour succéder à son père, à mérite égal, jamais sans mérite et
+sans autre titre que celui de la naissance. Seule la famille
+régnante doit être exceptée, parce qu'elle n'est pas établie pour
+l'intérêt et l'avantage des membres de cette famille, mais pour
+l'utilité de la société; c'est donc, dans ce cas, une espèce de
+magistrature.» Telles étaient les idées de Louis sur la noblesse, et
+nous les trouvons bonnes et rationnelles. «La noblesse, prétendait
+plaisamment le roi, ressemble à l'empreinte des monnaies, qui est
+réelle si le métal qu'elle couvre a une valeur intrinsèque, mais qui
+est nulle et sans prix si le métal est faux.»</p>
+
+<p>Le 10 avril, après la session extraordinaire du Corps législatif, le
+roi partit d'Amsterdam pour visiter le Brabant et la Zélande. Dans
+un des villages où il se rendit, régnait une maladie contagieuse qui
+répandait la désolation. 140 maisons sur 180 étaient atteintes du
+fléau. Louis entra dans toutes les demeures infectées par la
+contagion, adressant des paroles d'encouragement aux malheureux
+habitants, distribuant lui-même des secours; puis il ordonna de
+faire venir à la hâte tous les médicaments nécessaires, et il quitta
+ce malheureux village en disant au curé: «Disposez sans ménagement
+de tout ce qui est en ma puissance, quelque chose qu'exige la
+maladie.» Pendant tout son long voyage, comme dans ceux qui
+l'avaient précédé, le roi fit un bien immense aux pays qu'il visita,
+et se fit adorer de tous les habitants, qui ne pensèrent jamais à
+lui attribuer les malheurs résultant pour eux du système impérial.
+Il revint à Amsterdam par Berg-op-Zoom, le 20 mai. Cependant, ainsi
+qu'on l'a vu plus haut, la France et l'Autriche étaient de nouveau
+en guerre. Tandis que la grande armée de Napoléon s'emparait de
+Vienne (mai 1809), les Hollandais poursuivaient dans le nord de
+l'Allemagne le partisan prussien Schill et le duc de Brunswick-Oels,
+qui avait formé un corps d'armée en Bohême, d'où il s'était jeté en
+Westphalie où régnait, depuis Tilsitt, Jérôme, le plus jeune des
+frères de Napoléon. Les troupes hollandaises se mirent à la
+poursuite de Schill qui, après plusieurs marches et combats, se
+réfugia dans Stralsund. La ville fut enlevée et le partisan prussien
+y trouva la mort et la fin de ses aventures singulières. Après cette
+expédition, une partie de l'armée hollandaise quitta Stralsund pour
+se joindre aux troupes du roi Jérôme et combattre le duc de
+Brunswick. Les Hollandais formèrent l'avant-garde de l'armée de
+Westphalie et montrèrent dans ces deux courtes campagnes le plus
+brillant courage. Pendant que la Hollande <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> envoyait ses
+enfants combattre pour la cause française, des articles violents et
+injustes étaient insérés contre elle dans les journaux de France.
+Louis s'en plaignit à l'empereur, qui lui répondit, le 17 juillet,
+de Sch&oelig;nbrunn:</p>
+
+<p class="lettre">Mon frère, je reçois votre lettre du 1<sup>er</sup> juillet. Vous vous
+ plaignez d'un article du journal.... c'est la France qui a sujet de
+ se plaindre du mauvais esprit qui règne chez vous. Si vous voulez
+ que je vous cite toutes les maisons hollandaises qui sont les
+ trompettes de l'Angleterre, ce sera fort aisé. Vos règlements de
+ douane sont si mal exécutés, que toute la correspondance de
+ l'Angleterre avec le continent se fait par la Hollande. Cela est si
+ vrai que M. de Staremberg, envoyé d'Autriche, a passé par ce pays
+ pour se rendre à Londres.... La Hollande est une province anglaise.</p>
+
+<p>Il y avait du vrai dans ces reproches de l'empereur, mais les
+reproches de Napoléon auraient dû s'adresser moins à son frère qu'à
+la nation hollandaise, dont les intérêts étaient trop en souffrance
+pour qu'elle ne cherchât pas à éluder les dispositions des décrets
+impériaux qui ruinaient son commerce.</p>
+
+<p>L'Autriche, battue à Raab en Hongrie, à Wagram près de Vienne,
+traita de la paix, qui fut conclue le 15 octobre. L'empereur revint
+à Paris, et y convoqua les souverains alliés de la France. Le but
+ostensible de cette réunion était le couronnement solennel des rois
+créés par le traité de Presbourg. Louis résolut de ne pas s'y
+rendre, craignant qu'une fois en France on ne le laissât plus
+revenir dans ses états.</p>
+
+<p>Tout à coup, l'amiral Werhuell arriva à Amsterdam, disant n'avoir
+d'autre mission que de parler à son souverain de la position
+particulière du pays, et cela de son propre mouvement; mais bientôt
+il chercha à décider le roi à se rendre à Paris, et laissa percer
+ainsi le véritable motif de son voyage. Les rois alors dans la
+capitale de la France étaient ceux de Saxe, de Bavière, de
+Wurtemberg, de Westphalie, de Naples et le vice-roi d'Italie. Louis
+refusa, prétextant qu'on ne l'avait pas engagé. Quelques jours
+après, il reçut une invitation formelle de l'empereur. Le moment
+était critique; il était dangereux de rien refuser à Napoléon, il
+paraissait dangereux à Louis de quitter la Hollande, car les troupes
+françaises s'avançaient de plus en plus de la Zélande sur le
+Brabant, s'établissant dans le pays. Il fallait donc, ou lever le
+masque et préparer la défense du territoire contre un ennemi qui
+faisait trembler l'Europe entière, ou essayer de prolonger <span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span>
+une existence pénible, en se pliant à la nécessité. Le roi consulta
+ses ministres; un seul, celui de la guerre, fut d'avis d'opposer une
+légitime défense. L'armée semblait disposée à ce parti violent. Pour
+combattre avec quelque chance de n'être pas écrasée, la Hollande
+devait forcément s'allier avec l'Angleterre, et jouer en désespérée
+son existence politique. Le roi était fort embarrassé; ses ministres
+le pressèrent, le conjurèrent de céder, de partir pour la France. Il
+céda, leur déclarant que c'était contre son opinion.</p>
+
+<p>Avant de se rendre à leurs v&oelig;ux, il convoqua le Corps législatif,
+qu'il laissa assemblé pendant son absence, afin que la nation fût
+prête à tout événement. Dans son message, il développa la situation
+du pays, et annonça son départ. Il se mit en route le 27 novembre,
+emmenant son ministre des affaires étrangères, son grand maréchal,
+un de ses aides de camp, deux écuyers et un chambellan. En passant à
+Bréda, il donna l'ordre <i>écrit</i> aux gouverneurs de cette place, de
+Berg-op-Zoom et de Bois-le-Duc, de n'obéir qu'à un <i>ordre signé par
+lui-même</i> et de n'admettre aucune troupe étrangère. On a vu que
+l'année précédente, l'empereur avait proposé la cession par la
+Hollande du Brabant et de la Zélande, contre de grands
+dédommagements en Allemagne, et qu'ensuite, sur le refus du roi
+Louis, Napoléon avait paru abandonner ce projet. Il n'en était rien,
+ainsi que la suite le prouva. Dès les premiers jours de 1810,
+l'annexion de la Hollande était résolue, et le ministre de la guerre
+recevait l'ordre de former l'armée du nord. Plein d'une défiance
+fort bien justifiée contre le gouvernement français, le roi convint
+secrètement, avec ses ministres, que tout acte, toute pièce qui ne
+se terminerait pas par quelques mots hollandais ou par la devise de
+l'ordre de l'Union, serait regardée comme nulle. Louis arriva à
+Paris, le 1<sup>er</sup> décembre 1809. Sa première entrevue avec son frère
+fut orageuse. Il était descendu chez sa mère, au faubourg
+Saint-Germain. Il semblait en disgrâce, très peu de personnes eurent
+le courage de le venir voir. La session du Corps législatif allait
+être ouverte par l'empereur. Le roi ne fut pas engagé à y paraître
+avec les autres princes de la famille impériale. Le lendemain, il
+connut le passage du discours relatif à la Hollande. «La Hollande,
+avait dit Napoléon, placée entre la France et l'Angleterre, en est
+également froissée; elle est le débouché des principales artères de
+mon empire. Des changements deviendront nécessaires, la sûreté de
+mes frontières et l'intérêt bien entendu des deux pays l'exigent
+impérieusement.» Le ministre de l'intérieur <span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> fut plus
+explicite, il s'exprima ainsi devant le même Corps législatif: «La
+Hollande n'est réellement qu'une portion de la France... la nullité
+de ses douanes, les dispositions de ses agents, et l'esprit de ses
+habitants qui tend sans cesse à un commerce frauduleux avec
+l'Angleterre, tout fait un devoir de lui interdire le commerce du
+Rhin et du Weser... Il est temps que tout cela rentre dans l'ordre
+naturel.» En lisant ces passages, le roi comprit que son voyage
+était une faute. Il voulut cependant profiter de son séjour à Paris
+pour obtenir, de concert avec la reine Hortense, une séparation de
+corps. Le conseil de famille refusa. On demanda au roi son
+consentement à la dissolution du mariage de Napoléon avec Joséphine;
+il voulut refuser, puis il céda; il eut même la faiblesse de
+paraître à la cérémonie du mariage de Napoléon avec Marie-Thérèse,
+ainsi qu'à la fête d'adieu donnée par la ville de Paris. Il se
+trouva aussi à la cérémonie du 1<sup>er</sup> janvier 1810, mais à partir de
+ce jour, il ne parut plus en public pendant les cinq mois qu'il
+resta à Paris. Alors commença pour le malheureux roi de Hollande un
+véritable esclavage. Il fut emprisonné dans la capitale de la
+France. En vain, il chercha à s'échapper pour retourner en Hollande,
+en vain il essaya quelques courses à sa terre de Saint-Leu; il était
+bien et dûment prisonnier, gardé à vue, sous la surveillance d'une
+police qui faisait chaque jour son rapport sur lui. Avant de quitter
+la Hollande pour se rendre à Paris, Louis, agité de funestes
+pressentiments, craignant, une fois aux mains de son frère, d'être
+privé de son libre arbitre, ainsi que cela arriva en effet, avait
+remis au ministre de la marine, Van der Heim, président du conseil,
+l'ordre formel ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, je m'absente
+ pour quelques jours et juge convenable de vous laisser la présidence
+ du corps des ministres. La manière dont les affaires doivent se
+ traiter est réglée par les deux décrets de ces jours; mais il reste
+ un objet qui a besoin d'un ordre secret et confidentiel, et c'est le
+ but de cette lettre.</p>
+
+<p>Je rends les ministres et vous et celui de la guerre
+ particulièrement, responsables si des troupes françaises entrent
+ dans Amsterdam, ou si ma garde et le 5<sup>e</sup> régiment d'infanterie,
+ destinés à la garde de ce poste important, n'y restent pas
+ constamment employés. Le ministre de la guerre commandera pendant
+ l'absence des généraux <i>Tarrayre</i> et <i>Travers</i>, toutes les forces
+ militaires d'Amsterdam. Le général <i>Verdooren</i> sera sous ses ordres;
+ ne pouvant jamais donner un ordre que d'autres troupes que des
+ troupes hollandaises occupent ma capitale et le palais, je vous
+ ordonne de n'obéir à aucune sommation que l'on pourrait vous faire
+ <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> pour occuper <i>Amsterdam</i> et ses lignes, Naarden y
+ comprises, et de donner au ministre de la guerre l'ordre de
+ l'empêcher par tous les moyens qui sont en son pouvoir, et de
+ signifier à ceux qui pourraient tenter d'y vouloir pénétrer par
+ force qu'ils sont responsables des conséquences, et vous leur ferez
+ connaître que <i>je ne le veux point</i>; qu'on ait la certitude des
+ ordres <i>que j'ai</i> donnés à cet égard. Si de même on veut occuper une
+ autre partie quelconque du territoire, je vous ordonne de n'y
+ consentir que sur un ordre écrit de ma main en entier, signé en
+ hollandais finissant par un ou deux mots: <i>doc Wel en Zic nict om</i>.
+ Faites connaître aux ministres que chacun est responsable pour sa
+ partie, pour tout ce qui ne pourrait pas avoir été prévu avant mon
+ départ, et qu'on doit regarder tout <i>acte</i> de ma part comme nul,
+ s'il n'est signé en hollandais et finissant par la devise: <i>doc Wel
+ en Zic nict om</i>.</p>
+</div>
+
+<p>Cet ordre n'était pas resté longtemps un secret pour l'empereur, car
+la division française du général Maison s'étant présentée pour
+entrer à Berg-op-Zoom, l'entrée lui avait été refusée. (<i>Lettre du
+duc de Feltre au roi Louis</i>, 20 janvier 1800.)</p>
+
+<p>Indigné de la conduite qu'on tenait à son égard à Paris, Louis fit
+porter par un de ses écuyers, M. de Bilandt, l'ordre formel et
+réitéré de défendre le pays au moyen des inondations, et surtout
+d'empêcher l'occupation d'Amsterdam. Napoléon en fut informé, manda
+son frère et eut avec lui une altercation violente. Le roi
+maintenant les ordres qu'il avait envoyés, l'empereur changea de
+ton, et lui dit froidement: «Eh bien! choisissez: ou contremandez la
+défense d'Amsterdam, destituez Krayenhoff et Mollerus (ministres de
+la guerre et des affaires étrangères), ou voici le décret de réunion
+que je fais partir à l'instant même, et vous ne retournerez plus en
+Hollande; il m'est indifférent que l'on me taxe d'injustice et de
+cruauté, pourvu que mon système avance: vous êtes dans mes mains.» À
+ces mots, à la vue du décret, Louis sentit qu'il ne pouvait se tirer
+de ce mauvais pas qu'en gagnant du temps. Il réfléchit un instant,
+et prit la résolution de céder, puis de s'évader pendant la nuit;
+mais à peine rentré dans l'hôtel de Madame mère, il vit arriver
+jusque chez lui des gendarmes d'élite, chargés de ne pas le perdre
+de vue. Toutes les mesures pour l'empêcher de retourner en Hollande
+étaient prises. Le ministre de la guerre, alors duc de Feltre, vint
+à son tour se plaindre de ce que les commandants des places fortes
+en avaient refusé l'entrée aux troupes françaises, et sur le refus
+du roi de donner des explications, il se retira en disant: «Ainsi
+votre Majesté déclare la guerre à la France et à l'empereur.&mdash;Pas de
+mauvaise plaisanterie, <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> a répondit Louis, un prisonnier ne
+déclare pas de guerre. Que l'empereur me laisse en liberté et alors
+il fera ce qu'il voudra.» Ce même jour, 18 janvier 1810, le ministre
+écrivit au roi une lettre par laquelle il le prévenait que
+l'empereur avait donné ordre que les pays entre l'Escaut et la Meuse
+fussent occupés militairement par le duc de Reggio, et qu'on fît
+passer par les armes quiconque y apporterait la moindre opposition.
+Forcé dans ses retranchements, le roi permit aux troupes françaises
+de cantonner provisoirement dans les places, mais il ordonna de
+protester contre toute usurpation de pouvoir ou d'autorité. Bientôt
+on commença à annoncer la réunion du Brabant et de la Zélande à la
+France, ensuite on en prit possession militairement. Le 24 janvier,
+Bréda et Berg-op-Zoom furent occupées par deux brigades françaises.
+Les autorités hollandaises protestèrent vainement; quelques jours
+après, les autres places furent également occupées et on exigea le
+serment de fidélité à l'empereur. Les Hollandais le refusèrent
+partout, bravant les menaces et les mauvais traitements. Les
+journaux français ne tarissaient pas en invectives contre la
+Hollande, en reproches adressés au roi. Ce dernier fit un message au
+Corps législatif de Hollande, pour lui exprimer son chagrin et sa
+position. Voici ce document, daté de Paris, 1<sup>e</sup> février 1810.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Le roi de Hollande, au Corps législatif.</p>
+
+<p>Messieurs, j'ai été trompé dans mon attente de revenir avant le 1<sup>er</sup>
+ janvier; par les pièces ci-jointes du <i>Moniteur</i> d'hier (c'est celui
+ du 31 janvier, et les pièces se trouvent dans la <i>Gazette royale</i>
+ des 5 et 6 février, n<sup>o</sup> 31-32), vous verrez que l'issue des affaires
+ est subordonnée à la conduite que tiendra le gouvernement anglais.</p>
+
+<p>Le chagrin que j'ai ressenti a été bien augmenté par la fausse
+ accusation que l'on nous a faite, d'avoir trahi la cause commune,
+ c'est-à-dire de n'avoir pas fidèlement rempli nos engagements; et je
+ vous écris ceci pour diminuer l'impression qu'une accusation si
+ injuste et si criante fera naître dans vos c&oelig;urs et dans ceux de
+ tous les véritables Hollandais.</p>
+
+<p>Tandis que pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis le
+ commencement de mon règne, la nation entière, et vous surtout,
+ appelés à veiller à ses intérêts, avez supporté avec peine et
+ patience l'augmentation des impositions, le redoublement de la dette
+ publique tout aussi bien que les préparatifs de guerre beaucoup trop
+ grands en proportion de la population et de la situation du royaume,
+ nous pensions peu qu'on nous accuserait d'avoir trahi nos devoirs et
+ de n'avoir pas assez fait; et cela dans un moment où la situation
+ des affaires sur <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> mer nous opprimait plus que tous les
+ autres pays ensemble, et que pour surcroît de malheur, nous avions
+ encore à endurer un blocus du continent. C'est le sentiment
+ intérieur de ceci qui doit, Messieurs, nous animer à la docilité,
+ jusqu'au moment où la justice de S. M. l'empereur, mon frère, nous
+ délivrera d'une accusation que nous sommes si loin de mériter.</p>
+
+<p>Je ne puis encore calculer combien de temps je serai empêché de voir
+ s'accomplir le premier et le plus ardent de mes souhaits: celui de
+ retourner dans ma capitale et de me trouver au milieu de vous dans
+ ces moments critiques. Quelque éloigné que soit ce moment, soyez
+ assurés que rien ne sera en état de changer mon attachement pour la
+ nation, mon zèle à travailler pour son intérêt, ni mon estime et ma
+ confiance en vous.</p>
+
+<p class="sig smcap">Louis.</p>
+</div>
+
+<p>Vers la même époque, le gouvernement français essaya par la Hollande
+de faire une tentative auprès de l'Angleterre pour l'ouverture d'une
+négociation. Le ministre de France, M. de Champagny, duc de Cadore,
+après avoir assuré le roi Louis que l'empereur n'avait nulle envie
+de réunir la Hollande à l'empire, qu'il ne voulait pas même prendre
+le Brabant et la Zélande; que, loin de là, il augmenterait son
+royaume du grand-duché de Berg, ajoutant que s'il voulait faire
+preuve d'une obéissance aveugle aux volontés de Napoléon, tout
+changerait; que Napoléon, mécontent de la conduite de son frère,
+demandait pour première preuve que ce dernier était décidé à suivre
+désormais la politique de la France, de se prêter à un stratagème
+qui consistait à envoyer quelqu'un en Angleterre pour voir si
+l'appréhension de la réunion de la Hollande ne déterminerait pas
+cette puissance à entrer en pourparlers pour la paix. Alors M. de
+Champagny mit sous les yeux du roi le modèle d'une lettre que Louis
+devait écrire à un de ses ministres. Louis rejeta d'abord avec
+indignation cette rédaction, parce qu'on lui faisait dire qu'il
+était convaincu de la nécessité de la réunion, puis sur les
+instances qu'on fit auprès de lui, sur l'assurance qu'on lui donna
+que tout cela n'avait d'autre but que de faire bien comprendre aux
+Anglais l'imminence d'une réunion, il se décida à rédiger dans ce
+sens une lettre à ses ministres.</p>
+
+<p>Nous allons donner toutes les pièces, tous les documents relatifs à
+cette haute comédie politique imaginée par Napoléon et dans laquelle
+le roi Louis, alors sous l'entière dépendance de l'empereur à Paris,
+fui contraint, bien malgré lui, de prendre un rôle. Comme nous
+venons de le dire, le tout-puissant souverain de la France, à
+l'apogée <span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> de son pouvoir et désireux de la paix maritime,
+crut, au moyen d'une mise en scène habile, en faisant craindre au
+gouvernement britannique une réunion prochaine de la Hollande à son
+vaste empire, arriver à l'ouverture de négociations pour la
+cessation de la guerre. Louis rédigea un projet de lettre destiné à
+ses ministres en Hollande, lesquels devaient se réunir pour élaborer
+une sorte de procès-verbal à expédier au président du conseil en
+Angleterre, sir Arthur Wellesley, afin de prévenir le gouvernement
+du danger qui menaçait les Îles britanniques si l'empereur Napoléon
+donnait suite au projet qu'il semblait prêt à exécuter, de réunir la
+Hollande à ses états et d'en faire un département français. En
+effet, cela doublait la puissance maritime de l'empire. Or, rien ne
+pouvait empêcher cette réunion si Napoléon l'ordonnait.
+L'indépendance de la Hollande ne pouvait être indifférente pour
+l'Angleterre, et dans ces conditions une paix maritime pouvait être
+avantageuse pour la France, pour la Hollande, et pour l'Angleterre
+elle-même. Telle était l'opinion de l'empereur.</p>
+
+<p>Le 9 janvier, le roi Louis écrivit donc de Paris la lettre
+ci-dessous.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Louis à ses ministres.</p>
+<p class="adresse">Messieurs,</p>
+
+<p>Depuis six semaines que je suis auprès de l'empereur, mon frère, je
+ me suis constamment occupé des affaires du royaume. Si j'ai pu
+ effacer quelques impressions défavorables ou du moins les modifier,
+ je dois avouer que je n'ai pu réussir à concilier dans son esprit
+ l'existence et l'indépendance du royaume avec la réussite et le
+ succès du système continental, et en particulier de la France contre
+ l'Angleterre. Je me suis assuré que la France est fermement décidée
+ à réunir la Hollande malgré toutes les considérations, et qu'elle
+ est convaincue que son indépendance ne peut plus se prolonger si la
+ guerre maritime continue. Dans cette cruelle certitude, il ne nous
+ reste qu'un espoir, c'est celui que la paix maritime se négocie;
+ cela seul peut détourner le péril imminent qui nous menace. On
+ propose la cession du Brabant et de la Zélande, de fournir 14
+ vaisseaux et 25,000 hommes, et j'ai la certitude que même après cela
+ le reste de la Hollande serait bientôt demandé. Ainsi l'intention
+ claire et formelle de la France est de tout sacrifier pour acquérir
+ la Hollande et augmenter par là, quelque chose qui doive lui en
+ coûter, les moyens maritimes à opposer à l'Angleterre. Je suis
+ obligé de convenir que l'Angleterre aurait tout à craindre d'une
+ pareille augmentation de côtes et de marine pour la France. Il est
+ donc possible que leur intérêt porte les Anglais à éviter un coup
+ qui peut leur être aussi funeste. Faites donc en sorte, de
+ vous-mêmes, sans que <span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> j'y sois nullement mentionné, que le
+ ministère anglais soit prévenu du danger imminent de votre pays.
+ Mais il n'y a pas de temps à perdre. Envoyez de suite quelqu'un du
+ commerce, sur et discret, en Angleterre, et envoyez-le-moi de suite
+ dès qu'il sera de retour. Faites-moi savoir l'époque à laquelle il
+ pourra l'être, car nous n'avons pas de temps à perdre, il ne nous
+ reste plus que peu de jours. Deux corps de la grande armée marchent
+ sur le royaume. Le maréchal Oudinot vient de partir pour en prendre
+ le commandement. Faites-moi savoir ce que vous aurez fait en
+ conséquence de cette lettre et quel jour je pourrai avoir la réponse
+ de l'Angleterre.</p>
+
+ <p>Sur ce, Messieurs, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.</p>
+</div>
+
+<p>Projet de lettre jointe à celle du roi, et devant être adressée au
+marquis de Wellesley:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Quelque étrange que puisse paraître la démarche d'une nation qui,
+ pour se sauver d'un péril imminent qui la menace, croit ne trouver
+ d'autre moyen de salut qu'en s'adressant à la puissance même avec
+ laquelle cette même nation se trouve en état de guerre ouverte, tel
+ est cependant le résultat des circonstances qui ont amené l'état
+ actuel des choses sur le continent, que cette démarche
+ extraordinaire est devenue indispensable pour ceux qui, pendant
+ l'absence de leur souverain, composent le gouvernement de Hollande.</p>
+
+<p>Si d'une part ce n'est pas sans peine (pourquoi le
+ déguiserions-nous?) que nous nous voyons réduits à une démarche à
+ laquelle aucune autre considération que celle de la perte de notre
+ existence politique n'aurait été capable de nous engager; d'un autre
+ côté, ce n'est que dans la conviction la plus intime d'agir
+ conformément au plus sacré des devoirs politiques que nous devons
+ croire pouvoir nous y déterminer et passer sur toutes les raisons
+ qui ont pu nous arrêter un instant, au risque même de voir notre
+ conduite désavouée, pour ne pas dire davantage, par le monarque même
+ dont la conservation en fait un des principaux motifs, mais dont
+ l'urgence du danger ne nous a point permis de demander
+ l'approbation.</p>
+
+<p>En effet, M. le marquis, il ne s'agit dans ce moment de rien moins
+ que la Hollande soit rayée de la liste des nations et d'en faire une
+ province de la France.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, un orage nous menaçait, et le roi, convaincu que
+ le seul moyen de l'écarter était une entrevue avec son auguste
+ frère, n'a pas hésité un seul instant de se rendre auprès de lui,
+ lorsqu'il voyait toute autre tentative inutile. Mais quelqu'aient
+ été les efforts qu'il a employés, les sacrifices auxquels il a voulu
+ se résigner, rien n'a été capable de concilier dans l'esprit de
+ l'empereur Napoléon l'existence et l'indépendance de la Hollande
+ avec la réussite du système continental.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> Les nouvelles informations officielles qui nous sont
+ transmises de Paris nous assurent que la France est fermement
+ décidée à réunir la Hollande, et que l'époque de ce grand événement
+ n'est éloignée que de quelques jours. Déjà, le maréchal destiné à
+ l'exécution de ce plan, vient de partir. Déjà l'armée sous ses
+ ordres paraît s'approcher de nos frontières, sans qu'aucune instance
+ de notre part soit capable d'en arrêter les progrès. Dans cette
+ cruelle certitude, un seul espoir nous reste, c'est celui d'une
+ prompte négociation de paix entre la France et l'Angleterre. Cela
+ seul peut détourner le péril qui nous menace, et sans la réussite de
+ ces négociations, c'en est fait de l'existence politique de la
+ Hollande, qui, une fois perdue, ne saurait lui être rendue sans un
+ bouleversement total de l'ordre actuel des choses sur le continent,
+ circonstance à laquelle il nous paraît aussi difficile de croire
+ qu'impolitique de la désirer. Il est possible que nous nous faisions
+ illusion, mais l'expérience du passé nous engage à croire que toutes
+ les puissances, surtout l'Angleterre, sont intéressées à la
+ conservation de notre existence politique et à ne négliger aucun
+ moyen convenable pour parer le coup qui nous menace. La Hollande,
+ puissance indépendante, ne pourra jamais porter le moindre ombrage à
+ la grande force à laquelle l'Angleterre a su s'élever; réunie au
+ contraire à la France, et les grandes forces qu'elle possède encore
+ mises à la disposition du monarque qui gouverne ce vaste empire, et
+ dont Votre Excellence est trop juste elle-même pour ne pas
+ reconnaître le génie transcendant, la Hollande pourra donner
+ indubitablement à la France les moyens de prolonger encore bien
+ longtemps une lutte qui a déjà trop duré pour le malheur des
+ nations.</p>
+
+<p>Ce n'est pas tout: l'indépendance même de l'Angleterrre dans ses
+ relations directes avec le continent nous paraît menacée pour
+ toujours du moment que la Hollande sera irrévocablement réunie à la
+ France, et l'Angleterre par conséquent réduite à l'alternative de ne
+ cultiver ses relations que par des voies longues et détournées ou de
+ se soumettre à tous les inconvénients que pourra éprouver son
+ commerce, en prenant par les états de la puissance la plus
+ prépondérante du continent.</p>
+
+<p>Pardonnez, M. le marquis, notre zèle nous emporte trop loin, mais
+ nous croyons qu'il est d'un intérêt si majeur pour l'Angleterre de
+ ne point voir la Hollande devenir province française, que nous osons
+ demander en considération sérieuse à Votre Excellence de contribuer,
+ pour tout ce qui dépend d'elle, à prévenir ce désastre par une
+ prompte ouverture de négociations de paix. Nous sentons qu'une
+ pareille démarche peut paraître au premier abord contraire à la
+ juste fierté du gouvernement anglais, mais lorsque nous considérons
+ que la première base sur laquelle reposeront ces ouvertures serait
+ d'exiger formellement que tout restât relativement à la Hollande sur
+ le pied actuel, nous <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> pensons, au contraire, que bien loin
+ de blesser la fierté de votre gouvernement, des ouvertures de paix
+ de sa part ne sauraient que lui être glorieuses.</p>
+
+<p>Voilà ce que le désir de notre conservation nous a suggéré de
+ soumettre immédiatement à Votre Excellence. Nous aurions pu sans
+ doute nous étendre davantage, si nous n'eussions craint de faire
+ tort à sa pénétration, en entrant dans des développements
+ ultérieurs.</p>
+
+<p>Au cas où Votre Excellence penserait que ce que nous avons dit
+ mérite quelque attention du gouvernement anglais, qu'elle veuille
+ bien se persuader qu'il n'y a pas de temps à perdre, chaque instant
+ est infiniment précieux.</p>
+
+<p>Nous terminerons cette lettre par l'expression de l'espoir que nous
+ aurons pour opérer auprès de Votre Excellence la même conviction qui
+ réside auprès de nous à l'égard du contenu.</p>
+
+<p>Cela étant, nous aimons à nous flatter du plus heureux succès, la
+ sagesse connue de Votre Excellence nous est le sûr garant qu'elle
+ saura trouver les moyens de conduire l'important ouvrage dont il
+ s'agit à une fin heureuse. Et après une gloire militaire acquise à
+ si juste titre, quelle ne serait pas la satisfaction pour Votre
+ Excellence elle-même de voir pendant son ministère actuel luire le
+ jour heureux à l'humanité souffrante, dont la justice ne saurait
+ manquer de reconnaître en elle un des grands hommes d'état auxquels
+ il était réservé de réaliser l'espoir des nations.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur, peu satisfait de ce projet de lettre, écrivit à ce sujet
+le lendemain, 17 janvier, au duc de Cadore:</p>
+
+<p class="lettre">Monsieur le duc de Cadore, vous trouverez ci-joint une lettre du roi
+ de Hollande avec un projet de dépêches au ministre des affaires
+ étrangères d'Angleterre. Vous ferez connaître au roi que je
+ n'approuve point ce projet de dépêche, et que je n'approuve point
+ non plus qu'il retourne en Hollande. Cela serait contraire aux
+ circonstances actuelles. Mes troupes ont déjà reçu l'ordre de se
+ diriger sur Dusseldorf et d'entrer en Hollande. Je vous envoie
+ ci-joint trois pièces: 1<sup>o</sup> un projet de note que vous remettrez à M.
+ de Roëll, le ministre des affaires étrangères de Hollande; 2<sup>o</sup> un
+ projet de procès-verbal d'une séance du conseil de Hollande; 3<sup>o</sup> un
+ projet de lettre du président de ce conseil au président du conseil
+ d'Angleterre.</p>
+
+<p>L'empereur attachait une telle importance à cette affaire, que
+lui-même fît écrire, sous sa dictée, la note ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Note dictée par l'empereur et sans date.</p>
+
+<p>Je pense qu'il est convenable que quinze ou vingt des plus notables
+ <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> de la nation hollandaise se rendent à Paris. Là, on leur
+ fera connaître la situation des choses et la volonté où je suis de
+ réunir leur pays, en leur disant tout ce que j'ai fait pour leur
+ bien-être.</p>
+
+<p>Si la guerre maritime dure encore, l'indépendance de leur pays est
+ impossible, mais que l'empereur demande que cette démarche soit
+ faite, pour faire connaître la position de la Hollande au
+ gouvernement anglais. Enfin, si on veut faire la paix ou plus tôt ou
+ plus tard, la paix se fera. En la faisant aujourd'hui, la Hollande
+ conservera son indépendance.</p>
+
+<p>Cette démarche aussi peut frapper Londres, et mettre dans l'embarras
+ les ministres anglais.</p>
+
+<p>Que le Corps législatif fasse faire des démarches en Angleterre pour
+ faire connaître que la paix peut conserver l'indépendance de la
+ Hollande.</p>
+
+<p>Il faut pour cela que le discours soit fait de façon à prouver que
+ la Hollande sent l'impossibilité de conserver son indépendance si la
+ guerre dure. La réunion du Brabant est indifférente à l'Angleterre.</p>
+
+<p>Causer de cela avec le ministre des affaires étrangères et
+ l'ambassadeur, et voir le parti à prendre.</p>
+
+<p>Que la Hollande se donnera franchement à la France si on ne fait
+ rien avec l'Angleterre.</p>
+</div>
+
+<p>Alors le duc de Cadore fît rédiger un second projet, qui, revu avec
+beaucoup de soin et corrigé de la main de l'empereur, fut envoyé de
+Paris à MM. Van der Heim, Mollerus et autres ministres de Hollande.</p>
+
+<p>Voici ce document:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Projet de procès-verbal.</p>
+
+<p>Que si l'Angleterre connaissait le sort qui menace la Hollande, ce
+ pourrait être pour la Grande-Bretagne une occasion de se relâcher de
+ ses mesures et d'ouvrir au moins une négociation provisoire par
+ laquelle la France serait engagée à renoncer aux décrets de Berlin
+ et de Milan, et l'Angleterre à ses ordres du conseil et à ses
+ prétentions relatives aux droits de blocus; et que ce simple
+ arrangement rendant à la guerre le caractère qu'elle avait il y a
+ trois ans, la Hollande pourrait en conséquence exister comme elle
+ existait alors, en commerçant avec les neutres, sans nuire aux
+ intérêts du continent: que les Anglais jugeraient peut-être que le
+ moment est favorable pour entamer les négociations d'une paix qui
+ serait utile à l'Angleterre, Sa Majesté assurant l'indépendance
+ d'une nation dont le voisinage lui est si avantageux, et qui est la
+ plus directe et la plus courte communication avec le continent; que
+ dans ces circonstances il est évident que des négociations de paix
+ ou du moins des arrangements provisoires peuvent seuls conserver à
+ la Hollande son existence politique, et qu'en conséquence il sera
+ <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> envoyé le plus promptement possible auprès du gouvernement
+ anglais un agent secret chargé de lui faire connaître la situation
+ de la Hollande, et de lui communiquer la note du ministre des
+ relations étrangères de France et le présent procès-verbal. Que si
+ l'Angleterre ne consentait pas à profiter de cette circonstance pour
+ faire des ouvertures de paix, elle pourrait, du moins, rétablir les
+ choses telles qu'elles étaient avant les ordres du conseil et
+ s'entendre pour une négociation relative à l'échange des prisonniers
+ de guerre; et que par là elle rendrait à la guerre actuelle le
+ caractère d'une guerre ordinaire, et éviterait les malheurs qui
+ menacent la Hollande. Que si, au contraire, l'Angleterre est
+ inaccessible à ces considérations, la nation hollandaise n'aura pas
+ d'autre parti que de se soumettre avec dévouement au grand homme qui
+ veut la réunir à son empire, en lui laissant son organisation
+ intérieure et en ouvrant à son commerce tout le continent européen.</p>
+
+<p>Quelques députés au Corps législatif et autres personnes notables
+ pourront être convoqués à ce conseil et signer ce procès-verbal.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Louis, qui avait voulu d'abord décliner toute participation
+dans ce projet et refuser un rôle dans cette haute comédie
+politique, circonvenu, avait fini par se rendre, comme on l'aura vu,
+et était devenu l'âme de l'affaire. Il fit passer en Hollande le
+projet de lettre ci-dessous, à joindre avec les dépêches à expédier
+en Angleterre.</p>
+
+<p>Projet de lettre que le président du conseil des ministres de
+Hollande devra écrire au président du conseil d'Angleterre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai l'honneur de vous envoyer une note du ministre des affaires
+ étrangères de France, ainsi que le procès-verbal d'une séance du
+ conseil tenu en conséquence. Votre Excellence reconnaîtra trop bien
+ par le but de ma démarche, pour que j'aie besoin de lui dire à quel
+ point l'indépendance de la Hollande est menacée; et elle sait
+ combien la réunion de la Hollande à la France serait funeste pour
+ l'Angleterre. Les résolutions de l'empereur ne peuvent être
+ détournées que par un traité de paix, où l'on mettrait pour
+ condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la
+ Hollande; où, par une négociation provisoire relative à l'échange
+ des prisonniers de guerre, et à la suppression des décrets de Berlin
+ et de Milan, et des ordres du conseil d'Angleterre, l'on mettrait
+ également pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à
+ l'égard de la Hollande. Si les deux puissances ne voulaient pas
+ s'entendre pour rendre la paix et le bonheur à l'humanité, elles
+ pourraient, du moins, par un arrangement, établir des principes sur
+ le commerce des neutres et l'échange des prisonniers, ce qui ôterait
+ à la <span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> guerre ce caractère farouche et désespéré qu'elle a
+ pris depuis quelques années: arrangement d'autant plus avantageux
+ pour l'Angleterre qu'il sauverait l'indépendance de la nation
+ hollandaise. Mais si tant de considérations d'humanité et de
+ politique ne peuvent rien sur le gouvernement britannique, il ne
+ nous restera qu'à nous rallier de bonne foi au grand empereur qui
+ veut nous admettre dans son empire, et reconnaître que les actes
+ qu'il fait contre notre indépendance ne sont point le résultat du
+ caprice et de l'ambition, mais celui de l'inflexible nécessité.</p>
+
+<p>Il me reste à vous prier de ne donner aucune communication de cette
+ lettre, afin qu'elle ne parvienne pas aux oreilles de notre
+ souverain. J'espère, lorsque j'aurai reçu la réponse de Votre
+ Excellence, lui faire agréer la démarche que je fais dans ce moment.
+ Sa Majesté reconnaîtra la pureté de mes motifs, mais encore est-il
+ convenable qu'elle ne l'apprenne pas par d'autre que moi-même.</p>
+</div>
+
+<p>Enfin, le 24 janvier 1810, un troisième projet de note fut remis au
+baron de Roëll. L'empereur avait revu avec soin cette note, dont
+l'original porte des corrections de sa main. Voici ce dernier projet
+qui fut confié à un Hollandais, M. Labouchère, et porté par lui à
+Londres:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">24 janvier 1810.</p>
+
+<p>Le soussigné, ministre des relations extérieures de France, est
+ chargé de faire connaître à Son Excellence M. le baron de Roëll,
+ ministre des affaires étrangères de Hollande, la détermination à
+ laquelle la situation actuelle de l'Europe oblige Sa Majesté
+ impériale. Si cette détermination est de nature à contrarier les
+ v&oelig;ux d'une partie de la nation hollandaise, si elle afflige le
+ c&oelig;ur de son roi, l'empereur en est fâché sans doute, et ne le
+ prend qu'avec regret, mais l'impitoyable destinée qui préside aux
+ affaires de ce monde et qui veut que les hommes soient entraînés par
+ les événements, oblige Sa Majesté de suivre d'un pas ferme les
+ mesures dont la nécessité lui est démontrée, sans se laisser
+ détourner par des considérations secondaires.</p>
+
+<p>Sa Majesté impériale, en plaçant un de ses frères sur le trône de
+ Hollande, n'avait pas prévu que l'Angleterre oserait proclamer
+ ouvertement le principe d'une guerre perpétuelle, et que, pour la
+ soutenir, elle adopterait pour base de sa législation les monstrueux
+ principes qui ont dicté ses ordres du conseil de novembre 1807.
+ Jusqu'alors son droit maritime était sans doute combattu par la
+ France et repoussé par les neutres; mais enfin il n'excluait pas
+ toute navigation et laissait encore une sorte d'indépendance aux
+ nations maritimes. Il y avait peu d'inconvénient pour la cause
+ commune à ce que la Hollande commerçât avec l'Angleterre, soit par
+ l'entremise des neutres, soit en employant leur pavillon. Marseille,
+ Bordeaux et Anvers jouissaient du même avantage. <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span>
+ L'Angleterre avait encore à ménager les Américains, les Russes, les
+ Prussiens, les Suédois, les Danois, et ces nations formaient une
+ sorte de lien entre les puissances belligérantes.</p>
+
+<p>La quatrième coalition a détruit cet état de chose. L'Angleterre,
+ parvenue à réunir contre la France la Russie, la Prusse et la Suède,
+ ne s'est plus vue obligée à tant de ménagements; c'est alors
+ qu'abusant et des mots et des choses, elle a élevé la prétention de
+ faire taire et disparaître tous les droits des neutres devant un
+ simple décret de blocus. L'empereur s'est vu forcé d'user de
+ représailles, et, à son arrivée à Berlin, il a répondu au blocus de
+ la France par la déclaration du blocus des Îles britanniques. Les
+ neutres et surtout les Américains demandèrent des explications sur
+ cette mesure. Il leur fut répondu que, quoique l'absurde système de
+ bloquer un état tout entier fut une usurpation intolérable,
+ l'empereur se bornerait à arrêter sur le continent le commerce des
+ Anglais; que le pavillon neutre serait respecté sur mer; que ses
+ bâtiments de guerre et ses corsaires ne troubleraient point la
+ navigation des neutres, le décret ne devant avoir d'exécution que
+ sur terre. Mais cette exécution même, qui obligeait de fermer les
+ ports de la Hollande au commerce anglais, blessait les intérêts
+ mercantiles du peuple hollandais et contrariait ses anciennes
+ habitudes. Première source de l'opposition secrète qui commença
+ d'exister entre la France d'un côté, et de l'autre le roi et la
+ nation hollandaise. Dès lors Sa Majesté entrevit avec peine que le
+ moyen qu'elle avait choisi entre des partis extrêmes, pour concilier
+ l'indépendance de la Hollande avec les intérêts de la France, ne
+ remédierait à rien et qu'il faudrait un jour étendre les lois
+ françaises aux débouchés de la Hollande et réunir ce royaume à
+ l'empire. La paix de Tilsitt eut lieu. L'empereur de Russie,
+ provoqué par les outrages que l'Angleterre avait faits à son
+ pavillon pendant qu'il combattait pour elle, et indigné de
+ l'horrible attentat de Copenhague, fit cause commune avec la France.</p>
+
+<p>La France espéra alors que l'Angleterre verrait désormais
+ l'inutilité d'une plus longue lutte et qu'elle entendrait à des
+ paroles d'accommodement; mais ces espérances s'évanouirent bientôt.
+ En même temps qu'elles s'évanouissaient, l'Angleterre, comme si
+ l'expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur et eût brisé
+ tous les freins, mettait ses projets à découvert et publiait ses
+ ordres du conseil de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire
+ qui a indigné l'Europe. Par cet acte, l'Angleterre réglait ce que
+ pourraient transporter les bâtiments des nations étrangères, leur
+ imposait l'obligation de relâcher dans ses ports, avant de se rendre
+ à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt.
+ Ainsi, elle se rendait maîtresse de la navigation universelle, ne
+ reconnaissait plus aucune nation maritime comme indépendante,
+ rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait à ses
+ lois, ne leur permettait <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> de commercer que pour son profit,
+ fondait ses revenus sur l'industrie des nations et sur les produits
+ de leur territoire, et se déclarait la souveraine de l'Océan, dont
+ elle disposait comme chaque gouvernement dispose des rivières qui
+ sont sous sa domination.</p>
+
+<p>À l'aspect de cette législation, qui n'était autre chose que la
+ proclamation de la souveraineté universelle, et qui étendait sur
+ tout le globe la juridiction du Parlement britannique, l'empereur
+ sentit qu'il était obligé de prendre un parti extrême et qu'il
+ fallait tout employer plutôt que de laisser le monde se courber sous
+ le joug qui lui était imposé. Il rendit son décret de Milan, qui
+ déclare dénationalisés les bâtiments qui ont payé le tribut à
+ l'Angleterre qui était imposé. Les Américains, menacés de nouveau de
+ se trouver soumis au joug de l'Angleterre, et de perdre leur
+ indépendance si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur
+ tous leurs bâtiments et renoncèrent à toute navigation et à tout
+ commerce, sacrifiant ainsi l'intérêt du moment à l'intérêt de tous
+ les temps, la conservation de leur indépendance.</p>
+
+<p>Le succès des vues de l'empereur dépendait surtout de l'exécution
+ universelle et sans exception de ses décrets. La Hollande a été un
+ obstacle à cette exécution. Elle ne s'est soumise qu'en apparence à
+ ces décrets. Elle a continué de faire le commerce interlope avec
+ l'Angleterre. De fréquentes représentations ont été faites au
+ gouvernement hollandais; elles ont été suivies de mesures de rigueur
+ qui attestaient le mécontentement de l'empereur. Deux fois les
+ douanes françaises ont élevé une barrière entre la France et la
+ Hollande. L'empereur voulait tout tenter avant de se résoudre à
+ détruire l'indépendance d'une nation qu'il avait protégée et
+ favorisée, en lui donnant pour souverain un prince de son sang. Il a
+ cherché à épuiser tous les moyens de conciliation, afin de pouvoir
+ se rendre ce témoignage qu'il ne cédait qu'à l'impérieuse nécessité.</p>
+
+<p>Le moment est venu de prendre un parti. Déjà l'empereur a fait
+ connaître à la nation française, à l'Europe, la nécessité d'apporter
+ quelques changements à la situation de la Hollande, puisque la
+ nation hollandaise, loin d'avoir le patriotisme dont les Américains
+ ont fait preuve, ne paraît guidée que par une politique purement
+ mercantile et l'intérêt du moment présent. C'est de la part de
+ l'empereur une résolution inébranlable que de n'ouvrir jamais ses
+ barrières au commerce de la Hollande; il croirait les ouvrir au
+ commerce anglais. La Hollande peut-elle donc exister dans cet état
+ d'isolement, séparée du continent et cependant en guerre avec
+ l'Angleterre?</p>
+
+<p>D'un autre côté, l'empereur la voit sans moyens de guerre et presque
+ sans ressources pour sa propre défense. Elle est sans marine, les
+ seize vaisseaux qu'elle devait fournir ont été désarmés. Elle est
+ sans armée de terre. Lors de la dernière expédition des Anglais,
+ l'île de Walcheren, <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> Bath et le Sud-Beveland n'ont opposé
+ aucune résistance. Sans armée, sans douane, on pourrait presque dire
+ sans amis et sans alliés, la nation hollandaise peut-elle exister?
+ Une réunion de commerçants, uniquement animée par l'intérêt de leur
+ commerce, peut former une utile et respectable compagnie, mais non
+ une nation. L'empereur est donc forcé de réunir la Hollande à la
+ France, et de placer ses douanes à l'embouchure de ses rivières.
+ Laisser les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut à la
+ Hollande, n'est-ce pas les livrer au commerce anglais, et ces grands
+ fleuves ne sont-ils pas les artères de la France, comme la Hollande
+ est une alluvion de son territoire?</p>
+
+<p>Sans les ordres du conseil de novembre 1809, la France se serait plu
+ à maintenir l'indépendance de la Hollande, parce qu'elle était
+ compatible avec la sienne; mais depuis lors, rien de ce qui favorise
+ le commerce anglais n'est compatible avec la souveraineté et
+ l'indépendance des puissances du continent.</p>
+
+<p>Sa Majesté désire la paix avec l'Angleterre. Elle a fait à Tilsitt
+ des démarches pour y parvenir, elles ont été sans résultat. Celles
+ qu'il avait concertées avec son allié à Erfurth, l'empereur de
+ Russie, n'ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc longue,
+ puisque toutes les démarches tentées pour arriver à la paix ont été
+ inutiles. La proposition même d'envoyer des commissaires à Morlaix
+ pour traiter de l'échange des prisonniers, quoique provoquée par
+ l'Angleterre, est restée sans effet, lorsqu'on a craint qu'elle pût
+ amener un rapprochement.</p>
+
+<p>L'Angleterre, en s'arrogeant par ses ordres du conseil de 1807 la
+ souveraineté universelle, et en adoptant le principe d'une guerre
+ perpétuelle, a tout brisé et a rendu légitimes tous les moyens de
+ repousser ses prétentions. Par sa réunion avec la France, la
+ Hollande s'ouvrira le commerce du continent, et ce commerce utile à
+ la cause commune deviendra une source de richesses pour ses
+ industrieux habitants.</p>
+
+<p>Deux voies se présentent pour opérer cette réunion: la négociation
+ ou la guerre. L'empereur désire s'entendre avec la nation
+ hollandaise, lui conserver ses privilèges et tout ce qui, dans son
+ mode d'existence, serait compatible avec les principes qu'il a
+ constamment soutenus, et ne pas être <i>réduit à fonder son droit sur
+ les plus légitimes de tous: la nécessité et la conquête</i>.</p>
+</div>
+
+<p>En exécution des ordres du roi Louis, les ministres du gouvernement
+hollandais envoyèrent M. Labouchère à Londres, avec mission de faire
+connaître au ministère britannique l'état des choses, de lui faire
+envisager combien il serait avantageux à l'Angleterre que la
+Hollande ne fût pas réunie à la France, enfin de l'engager à entrer
+en négociation pour une paix générale.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> M. Labouchère, riche et honorable commerçant très connu et
+très estimé à Londres, devait envoyer le récit détaillé de ses
+démarches, des réponses qui lui seraient faites, et revenir en
+Hollande avant de se rendre à Paris près du roi. Les instructions
+données à M. Labouchère sont libellées en date du 1<sup>er</sup> février. Le
+12 du même mois, sir Arthur Wellesley répondit: que l'Angleterre
+compatissait aux maux de la Hollande, que la mission de M.
+Labouchère n'était pas de nature à donner lieu à aucune observation
+sur une paix générale; que la France n'avait encore manifesté aucun
+symptôme, ou d'une disposition à la paix ou d'une tendance à se
+départir de ses prétentions, prétentions qui jusqu'alors avaient
+rendu nulle la volonté si bonne du gouvernement de la
+Grande-Bretagne pour mettre fin à la guerre.</p>
+
+<p>En recevant cette réponse à Londres, M. Labouchère s'empressa de
+rendre compte au gouvernement hollandais de l'inutilité de ses
+démarches et de la persuasion où il était que toute tentative
+échouerait.</p>
+
+<p>Ainsi se termina ce singulier épisode politique. On voulut essayer
+de le reprendre, et le 20 mars l'empereur écrivit à son frère de
+renvoyer à Londres M. Labouchère, non plus au nom du ministère
+hollandais, mais en son nom, avec une note non signée et non d'une
+écriture connue. Cette note, jointe à la lettre de l'empereur, se
+trouve à la page 319 du 20<sup>e</sup> volume de la correspondance de Napoléon
+I<sup>er</sup>. Vers cette époque on répandit en Hollande le bruit de la mort
+du roi et de la régence de la reine. Ce bruit venait de ce que
+Louis, dont la santé était fort délabrée déjà, n'avait pu subir
+toutes les vexations auxquelles il avait été soumis sans tomber
+sérieusement malade. Il fut retenu assez longtemps au lit par une
+fièvre nerveuse. Tous les souverains et les princes alors à Paris
+s'empressèrent de le venir voir. Napoléon seul s'en abstint quelque
+temps. Il parut enfin un beau matin, brusquement, en se rendant à la
+chasse. La conversation des deux frères fut assez amicale. Ni l'un
+ni l'autre n'aborda la question des grands intérêts politiques.
+Pendant la maladie du roi, les troupes françaises continuaient à
+s'approcher d'Amsterdam. Louis trouva moyen d'envoyer encore des
+ordres formels pour qu'on mît cette capitale dans le plus imposant
+état de défense<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a><a href="#footnote62" title="Lien vers la note 62"><span class="smaller">[62]</span></a>. Une fois à peu près rétabli, il voulut
+s'assurer par lui-même s'il était encore prisonnier <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> en
+France. Il se rendit à son château de Saint-Leu. Le doute ne lui fut
+pas permis. On n'avait pas encore arraché à ce malheureux prince
+toutes les concessions que l'on désirait. On ne tarda pas à lui
+faire à cet égard des ouvertures qu'il commença par repousser, comme
+d'habitude, et puis qu'il finit par écouter, attendu qu'il ne
+pouvait faire autrement sans mettre dans le plus grand péril
+l'indépendance de la Hollande. Or, Louis espérait toujours que de la
+force du mal naîtrait le bien, que les mesures du blocus poussées à
+l'extrême amèneraient une paix maritime, que lors de cette paix la
+Hollande pourrait sortir de ses ruines. Il voulait donc gagner du
+temps pour atteindre à cette paix. La question la plus importante, à
+ses yeux, c'était de faire vivre de la vie politique, et à l'état de
+nation, un royaume à qui la France enlevait chaque jour un lambeau.
+Pour maintenir les Hollandais sur le tableau des puissances
+européennes, le roi consentit à tout ce qu'on voulut, à l'exception
+de la conscription, coutume qui répugnait par trop à son peuple, et
+de l'imposition sur la rente, mesure qu'il considérait comme
+équivalente à une banqueroute. Interdiction de tout commerce et de
+toute communication avec l'Angleterre, mise sur pied, entretien
+d'une flotte considérable, d'une armée de terre de 25,000 soldats,
+suppression de la dignité du maréchalat, destruction de tous les
+privilèges de la noblesse contraires à la constitution donnée par
+l'empereur, tout fut accordé.</p>
+
+<p>Le 24 février 1810, avait paru au <i>Journal officiel</i> un article
+virulent contre la Hollande. Le roi en fut très affecté et chargea
+Werhuell d'en parler au duc de Cadore, et de prier ce dernier de
+demander à l'empereur de faire connaître ses intentions pour que le
+gouvernement hollandais accédât à ses désirs, si la chose était
+possible. Werhuell écrivit dans ce sens au duc de Cadore, et dès le
+lendemain le roi Louis reçut de son frère un projet de traité.</p>
+
+<p>En marge de ce traité le roi Louis écrivit: «<i>Je consentirai à tous
+les sacrifices que l'empereur exigera, pourvu que je puisse tenir
+les engagements que je contracterai; pourvu encore que le reste de
+la Hollande puisse exister, et surtout si ces sacrifices ôtent tout
+sujet de mécontentement de la part de mon frère et me donnent la
+possibilité de regagner son amitié et sa bienveillance; et c'est par
+cette raison que je désirerais qu'on omît des considérants ces mots:
+différents survenus entre eux.</i> Je n'ai pas d'autre différent que la
+peine de voir l'empereur et mon frère fâché contre moi.»</p>
+
+<p>Ce traité se composait de 15 articles, pour quelques-uns desquels le
+<span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> roi demanda des modifications. Il proposa ensuite neuf
+articles additionnels. L'empereur consentit à quelques-unes des
+modifications proposées par son frère et rejeta les autres.</p>
+
+<p>Daté du 16 mars, ce traité contenait en outre les quatre articles
+secrets suivants:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>1<sup>o</sup> Le roi ne s'oppose pas à ce que le corps de 18,000 hommes du
+ deuxième article soit commandé par un général nommé par l'empereur.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Il consent à ce que les bâtiments chargés de contrebande qui
+ arriveraient dans les rades de Hollande y soient arrêtés et déclarés
+ de bonne prise, et toutes les marchandises anglaises et coloniales
+ confisquées, sans égard à aucune déclaration.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Qu'il est dans le projet du roi d'éloigner de sa personne les
+ ministres qui ont eu l'intention de défendre Amsterdam, et n'ont pas
+ craint de provoquer la colère de la France. Sa Majesté veillera à ce
+ que dans aucun discours ou publication quelconque il n'y ait rien
+ qui tende à favoriser les sentiments haineux de la faction anglaise
+ contre la France.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> Sa Majesté s'engage à cesser insensiblement d'entretenir des
+ ministres en Russie et en Autriche, de manière à ce que cette mesure
+ ne soit pas un sujet de remarque et que les cours ne puissent s'en
+ formaliser.</p>
+</div>
+
+<p>Après être tombé d'accord sur le traité avec son frère, le roi Louis
+envoya à ses ministres en Hollande la lettre ci-dessous, qui fut lue
+en séance du Conseil d'état, en présence de tous les membres du
+cabinet, par le vice-président du Conseil.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Paris, 21 février 1810.</p>
+<p class="center">Le roi au Conseil d'état.</p>
+
+<p>Quoique le troisième mois après mon départ tire déjà à sa fin, il
+ n'y a encore rien de décidé au sujet de l'état de nos affaires. Je
+ ne puis cependant mieux employer le premier moment de ma guérison
+ qu'en vous renouvelant l'assurance que j'emploierai continuellement
+ tous les moyens possibles pour conserver l'existence de ce royaume.
+ Il ne faut pas le feindre, ceci nous coûtera des sacrifices grands
+ et pénibles; mais s'il y a seulement une lueur de possibilité qui
+ nous assure la continuation de l'existence de la Hollande après tout
+ ce qu'on exige d'elle, je n'hésiterai pas un moment de me reposer
+ sur la magnanimité de l'empereur mon frère, dans l'espoir que les
+ raisons de mécontentement une fois remédiées, nous obtiendrons le
+ dédommagement que nous pouvons prétendre à si bon droit et dont nous
+ aurons besoin plus que jamais.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> Mon intention, en me conformant à tout ce que l'empereur,
+ mon frère, exigera de nous, est de lui montrer que nous avons
+ beaucoup d'ennemis, que nous sommes la victime du vice, de viles
+ passions et d'intérêts; mais que nous n'avons cessé de continuer
+ toujours d'admirer l'empereur et de nous comporter comme des amis et
+ des alliés fidèles de la France, et éprouvés par mille sacrifices.
+ Si, comme j'ai raison de me flatter, je puis réussir dans mes
+ intentions réelles, le reste suivra de soi-même, tandis que ce doit
+ être l'intérêt et le désir de la France de protéger et d'agrandir la
+ puissance de ses amis, au lieu d'y apporter atteinte. Je vous invite
+ ainsi de réunir tous vos efforts pour prévenir les émigrations dans
+ les pays étrangers ou autres démarches désespérées et d'animer la
+ nation à attendre, avec la modération qui fait le fond de son
+ caractère, et convient à sa juste cause, le décret que l'empereur
+ donnera pour notre sort. Il ne m'est pas inconnu tout ce que chacun
+ souffre. J'ai fait pour plaider notre cause tout ce qui était en mon
+ pouvoir; ni la perte de mon temps, ni la mauvaise réussite de mes
+ peines n'ont pu me décourager, aussi ai-je tout <i>espoir d'espérer</i>
+ que si nous pouvons faire un arrangement qui n'exclue pas
+ entièrement la possibilité de notre existence, la Hollande pourra
+ encore échapper à cette tempête, surtout si après tout cela il ne
+ reste, non seulement aucun sujet de mécontentement, mais aucun
+ prétexte de mésentendu ou de mécontentement, et c'est à quoi je
+ tâche de faire aboutir tous mes efforts.</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">Votre roi,</span><br>
+ <span class="smcap">Louis.</span></p>
+</div>
+
+<p>Cet acte, connu du maréchal Oudinot, fut envoyé par lui au major
+général, le 3 mars, de Bois-le-Duc, avec la lettre suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence copie de
+ deux lettres<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a><a href="#footnote63" title="Lien vers la note 63"><span class="smaller">[63]</span></a> du roi de Hollande, au Corps législatif et au
+ Conseil d'état de son royaume. En lisant ces lettres, Votre
+ Excellence ne sera point surprise des obstacles que l'on m'oppose et
+ des espérances des Hollandais. Il n'est pas douteux qu'outre ces
+ lettres, le roi n'envoie des ordres secrets pour qu'il soit pris des
+ mesures qui reculent le moment de notre entrée en Hollande, et pour
+ que les magistrats se refusent à tout ce qui aura l'air de prise de
+ possession.</p>
+
+<p>La tranquillité continue de régner dans le Brabant, mais le pays
+ n'est pas riche; il a souffert par les inondations dans les années
+ précédentes, et l'armée ne pourra guère y vivre qu'au jour le jour.</p>
+
+<p>J'attends toujours une décision relativement au séquestre des
+ caisses <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> publiques et aux hussards hollandais qui sont à
+ Bréda et dont le corps est en Espagne.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;Je reçois à l'instant un rapport de M. le général Dessaix,
+ qui m'annonce que quelques troupes hollandaises sont sur la rive
+ droite du Wahal et ont ordre de ne laisser passer aucun militaire
+ étranger.</p>
+
+<p>Leurs hussards bordent la rive droite et paraissent destinés à
+ observer nos mouvements, et à en donner la nouvelle.</p>
+
+<p>J'ai ordonné que l'on mît en état le pont volant qui est à Nimègue;
+ il peut porter 300 hommes à la fois.</p>
+
+<p>Les eaux de la Meuse ont considérablement augmenté cette nuit et
+ l'on ne peut communiquer que très difficilement avec Bommel et
+ Gorcum.</p>
+</div>
+
+<p>Lorsque Napoléon eut obtenu tout ce qu'il désirait pour l'instant,
+la surveillance qui pesait sur le roi cessa par son ordre, et
+lui-même chercha à rétablir entre eux des rapports d'amitié.
+L'empereur lui témoigna même le désir qu'il fût jusqu'à Soissons
+au-devant de l'archiduchesse Marie-Louise, pour l'accompagner au
+château de Compiègne. Louis, dont la santé s'était un peu améliorée,
+se livra à quelques distractions et assista à une partie des fêtes
+qui eurent lieu à l'occasion du mariage de Napoléon, bien qu'il fût
+loin d'approuver le divorce, car il aimait beaucoup l'impératrice
+Joséphine. Arrivé à Compiègne le 24 mars, dans la matinée, le roi
+apprit bientôt que ses appartements étaient contigus à ceux de la
+reine Hortense. On semblait vouloir exiger un rapprochement qui
+n'était pas dans ses idées. Pour éviter toute discussion à cet
+égard, le 30 mars, deux jours après que l'empereur et l'impératrice
+furent au château, il donna ordre de préparer ses équipages pour son
+départ la nuit même. Un incendie, qui eut lieu au moment où il
+allait s'éloigner, le retint encore quelques jours. Enfin, le 8
+avril, après une dernière entrevue avec son frère, entrevue dans
+laquelle Napoléon annonça à Louis que la reine le suivrait dans ses
+états avec le prince royal, le roi de Hollande put quitter la
+France. Il se dirigea sur Amsterdam par Aix-la-Chapelle, tandis que
+Hortense prit la route ordinaire. Le retour du roi causa la plus
+vive sensation dans tout le pays, surtout lorsqu'on sut que la reine
+allait arriver également. On adorait cette princesse et l'on
+espérait que la bonne intelligence ne serait plus troublée entre les
+deux époux. Hortense arriva en effet avec le prince royal; mais, par
+ordre de Louis, toutes les communications entre les appartements
+<span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> de cette princesse et les siens furent murées, la
+séparation de corps fut rendue ostensible, le roi même sembla
+prendre à tâche de prouver son éloignement pour la reine, en sorte
+que les courtisans ne savaient plus s'ils avaient tort ou raison,
+dans leur intérêt, d'aller rendre leurs hommages à Hortense. Cette
+contrainte ne dura pas longtemps, Hortense résolut de quitter la
+Hollande, mais son mari ne lui en laissa pas d'abord la possibilité.
+Il fit pour elle ce que l'empereur avait fait pour lui, tout
+récemment, à Paris. Ce ne fut que quelque temps après, en employant
+la ruse, après un court séjour au château de Lao, en laissant son
+fils qu'elle adorait, que la reine put s'échapper. On crut que le
+roi serait furieux en apprenant son départ ou plutôt sa fuite; il
+n'en fut rien. Il se montra très calme, ne parla pas d'Hortense, et
+ne quitta plus le jeune prince royal. En vertu du traité du 16 mars
+1810 entre la France et la Hollande, traité imposé au roi, signé par
+Werhuell, et ratifié conditionnellement par Louis, qui avait ajouté
+de sa main: <i>autant que possible</i>, les troupes françaises, vers la
+fin d'avril, occupèrent Leyde et La Haye. D'autres troupes furent
+dirigées sur la Frise, et le duc de Reggio, commandant en chef,
+établit son quartier général à Utrecht. Il était clair qu'on voulait
+s'emparer du pays, mais qu'opposer aux volontés de Napoléon? la
+raison du plus fort n'est-elle pas toujours la meilleure? Le roi,
+indigné des usurpations d'autorité qui se renouvelaient sans cesse,
+se plaignit au maréchal. Ce dernier répondait en montrant les ordres
+de l'empereur<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a><a href="#footnote64" title="Lien vers la note 64"><span class="smaller">[64]</span></a>.</p>
+
+<p>Le 29 avril, Napoléon et la nouvelle impératrice se rendirent à
+Bruxelles, pour gagner de là les frontières enlevées à la Hollande
+et nouvellement annexées à la France. Louis quitta Amsterdam le 4
+mai pour être le 5 à Anvers et les y recevoir. Sa visite faite, il
+repartit. Chacun voyait bien que sa couronne chancelait sur sa tête.
+Il n'était plus qu'un semblant de roi. Le maréchal exerçait, au nom
+de l'empereur, une puissance absolue. Napoléon écrivit à cette
+époque (20 mai)<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a><a href="#footnote65" title="Lien vers la note 65"><span class="smaller">[65]</span></a> une lettre tellement forte à son frère, que
+l'idée d'abdiquer ou de se défendre dans la capitale de ses états
+commença à germer <span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> en son âme. Un événement presque
+ridicule précipita la crise devenue imminente. Un cocher de
+l'ambassadeur de France eut une dispute suivie d'une rixe dans la
+rue près du palais de l'ambassade. M. de la Rochefoucauld jeta feu
+et flammes, demanda une réparation ostensible; l'empereur prétendit
+qu'on avait insulté son ambassadeur en insultant sa livrée, et
+prétexta de là pour écrire au roi une nouvelle et dernière lettre
+plus dure encore que la précédente, et qui se trouve également à la
+page 276 de l'ouvrage de M. Rocquain.</p>
+
+<p>Le roi venait à peine de recevoir cette lettre, lorsqu'il apprit à
+son pavillon de Haarlem, où il se trouvait alors, que le duc de
+Reggio demandait l'occupation de la capitale et l'établissement de
+son quartier général à Amsterdam<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a><a href="#footnote66" title="Lien vers la note 66"><span class="smaller">[66]</span></a>. À cette foudroyante nouvelle,
+Louis, frémissant d'indignation, résolut de défendre sa capitale
+jusqu'à la dernière extrémité. Il comptait sur le peuple et sur
+l'armée, mais pour exécuter un semblable projet, il fallait d'abord
+inonder le pays, exposer les habitants à toutes les horreurs, et
+sans espoir de ne pas succomber un jour. Les ministres, les généraux
+furent d'un avis opposé au sien; lui-même, naturellement d'un
+caractère doux et bon, lorsqu'il envisagea froidement les
+conséquences de sa résolution extrême, sentit son c&oelig;ur touché de
+compassion pour ses peuples. Il crut donc faire mieux en abdiquant
+en faveur de ses enfants, sous la régence de la reine, assistée d'un
+conseil de régence.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je vais mettre, dit-il, l'empereur au pied du mur, et le forcer de
+ prouver à la face de l'Europe et de la France le secret de sa
+ politique envers la Hollande et envers moi, depuis cinq années. Je
+ mets mon fils à ma place. Si toutes les querelles faites à moi et à
+ mon gouvernement sont véritables, il reconnaîtra mon fils, qui lui
+ laissera tous les moyens de faire tout ce qu'il veut relativement au
+ commerce et à l'Angleterre, puisque, par la constitution du royaume,
+ à mon défaut, la régence lui appartient de droit.</p>
+
+<p>Si, au contraire, il profite de mon abdication pour s'emparer de la
+ Hollande, il sera prouvé incontestablement aux yeux de tous les
+ Français <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> que toutes les accusations étaient des querelles
+ d'Allemand, que c'était là où l'on en voulait venir; et du moins ni
+ le droit de conquête, ni une cession, ni une soumission quelconque,
+ ne donneront la moindre ombre de légalité à cette usurpation de la
+ Hollande; je ne craindrai plus que l'on se serve de mon nom pour
+ s'en emparer avec quelque apparence de droit.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi rédigea ensuite de sa main un message au Corps législatif. Ce
+message était violent: c'était l'histoire des griefs de la Hollande
+contre la France. Il était de nature à exaspérer l'empereur, à nuire
+au pays, à la régence de son fils; toutes ces considérations
+l'engagèrent à en rédiger un autre. Il écrivit aussi son acte
+d'abdication et une proclamation au peuple. Dans son message à
+l'Assemblée législative, il laissa deviner qu'il abdiquait parce
+qu'il n'avait pu se défendre; dans son acte d'abdication, il eut la
+générosité de se laisser envisager comme le seul obstacle au bonheur
+de la Hollande; dans sa proclamation au peuple, il annonça l'entrée
+des Français à Amsterdam, en recommandant de voir en eux des amis.
+Pour éviter qu'on ne cherchât à s'emparer de sa personne, le roi
+voulut que tous ces actes, datés de Haarlem le 1<sup>er</sup> juillet 1810, ne
+fussent publiés qu'après son départ.</p>
+
+<p>Il mit ensuite ordre à ses affaires d'intérêt, puis à minuit, après
+avoir inondé son fils de ses larmes, il sortit de son pavillon à
+pied, par le jardin, pour gagner sa voiture. Il fit une chute dans
+le fossé, chute qui faillit l'empêcher de partir. Enfin, ce bon et
+malheureux prince quitta la Hollande, regretté de tout le monde. Il
+informa l'empereur de sa résolution extrême. Napoléon, sans
+précisément regretter l'abdication de son frère, fut péniblement
+affecté de son départ, qui n'était nullement dans sa politique. Les
+troupes françaises entrèrent à Amsterdam, et le 11 juillet la
+Hollande fut réunie à la France.</p>
+
+<p>Lorsque Louis Bonaparte était monté sur le trône de Hollande, de par
+la volonté de Napoléon, le pays avait une population de 2,100,000
+habitants. Après le traité du 16 mars 1810, ayant perdu le Brabant
+hollandais, la Zélande, y compris l'île de Schouwen, la Gueldre
+située sur la rive gauche de la Meuse, elle avait été réduite à
+1,667,000 habitants, et son territoire s'était trouvé diminué de
+1322 lieues carrées.</p>
+
+<p>Voilà quel avait été, en définitif, l'avantage que ce pays avait
+retiré du protectorat de la France. On comprend que, dans d'aussi
+tristes conditions, le roi Louis ait cru devoir faire le sacrifice
+d'une couronne <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> qu'il avait acceptée parce qu'il ne pouvait
+faire autrement, et avec l'intention formelle d'être utile à sa
+nouvelle patrie.</p>
+
+
+<h3>IV.<br>
+
+Juillet 1810-1846</h3>
+
+<p>En apprenant l'abdication et le départ du roi Louis, l'empereur
+envoya prendre par un de ses aides de camp (le général de Lauriston)
+le jeune prince royal. Il le remit aux mains de sa mère à son
+arrivée à Paris, et lui dit:</p>
+
+<p class="lettre">
+ Venez, mon fils, je serai votre père, et vous n'y perdrez rien. La
+ conduite de votre père afflige mon c&oelig;ur; sa maladie seule peut
+ l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la
+ vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma
+ politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont
+ envers moi, vos seconds envers la France. Tous vos devoirs, même
+ ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent
+ qu'après.</p>
+
+<p>Ici se termine la seconde partie de l'histoire du roi Louis de
+Hollande. Nous avons exposé longuement les différentes phases de son
+règne si court et pourtant si plein de péripéties, nous avons montré
+les causes qui rendirent ce règne malheureux pour le roi. Nous
+n'avons pas à nous prononcer sur le plus ou moins de loyauté de la
+conduite de Napoléon à l'égard de Louis, sur le plus ou moins de
+raisons qu'avait Louis pour résister à la grande politique de
+Napoléon. D'un côté, si la politique excuse bien des choses, d'un
+autre côté, un roi ne comprend pas ses devoirs de la même façon
+qu'un simple particulier. Quoi qu'il en soit, le règne du roi Louis
+ne fut pas inutile pour la Hollande et stérile pour le pays.</p>
+
+<p>En quittant la Hollande, le roi Louis fit connaître, par une
+circulaire adressée aux diverses cours de l'Europe, les motifs et
+les conditions de son abdication. En outre, un conseiller d'état fut
+expédié à la reine Hortense, alors à Plombières. On a vu que
+Napoléon avait rendu inutiles toutes ces précautions pour assurer la
+couronne au prince royal et, à son défaut, au second des enfants de
+Louis. Avant de partir, le roi avait vendu la petite terre
+d'Ameliswerd, située près d'Utrecht, et avait laissé ses revenus du
+mois de juin à son fils, n'emportant que dix mille florins en or et
+ses décorations en brillants. Il <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> se dirigea sur T&oelig;plitz
+où il arriva le 9 juillet, prenant des précautions pour n'être pas
+arrêté en route par ordre de l'empereur. Il avait choisi le titre de
+comte de Saint-Leu, voulant retourner plus tard en France, dans la
+terre de ce nom, si on reconnaissait son fils; mais lorsqu'il eut
+appris ce qu'avait fait Napoléon, le doute n'étant plus permis, il
+se décida à habiter un pays neutre. Il hésita entre l'Amérique, la
+Suisse ou l'Autriche. Jusqu'à ce qu'il pût vivre à Rome, dont le
+climat était nécessaire à sa santé, il choisit les états
+autrichiens. Il écrivit donc à l'empereur François II, déclarant
+qu'il désirait rester indépendant de Napoléon, mais non son ennemi.</p>
+
+<p>Il traversa Dresde et se rendit ensuite aux eaux de T&oelig;plitz. Le
+11 juillet 1810, il écrivit de cette dernière ville à M. de
+Bourgoing, ambassadeur de France:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur de Bourgoin, je suis passé avant-hier à Dresde; mais, comme
+ je désire vivement rester inconnu, je ne vous ai point fait avertir.
+ Je suis aux bains de T&oelig;plitz, où je compte rester, s'il m'est
+ possible, toute cette saison; je n'ai pas voulu que l'ambassadeur de
+ l'empereur fût instruit par d'autres que par moi de mon arrivée dans
+ ce pays, du but de mon voyage et de mon projet. Vous serez peut-être
+ instruit, à l'heure qu'il est, que j'ai abdiqué en faveur de mon
+ fils aîné. Je ne devais pas faire autrement, les choses étant venues
+ au point qu'il m'aurait fallu me déshonorer, et ravaler entièrement
+ l'autorité royale en mettant ma capitale sous les ordres d'un
+ officier, ainsi que tout le pays, simulacre inutile et peut-être
+ plus. Je ne pouvais souffrir cette dernière humiliation, surtout
+ après avoir mis toute la résignation possible en acceptant le traité
+ commandé par mon frère, sans écouter aucun sentiment d'orgueil,
+ d'amour propre ou d'intérêts personnels. La politique de mon frère
+ ou de la France commandant l'anéantissement de mon gouvernement,
+ ainsi qu'il était impossible de me le celer, j'ai dû, ou sacrifier
+ mon rang et descendre du trône, ou résister, c'est-à-dire succomber
+ en défendant la juste cause d'un pays malheureux et injustement
+ maltraité; mais si j'avais pu oublier que la Hollande serait devenue
+ le théâtre de toutes les horreurs de la guerre, seul fléau que j'ai
+ pu parvenir à écarter de son sol durant mon règne, je ne pouvais
+ oublier que c'est à cette terrible extrémité que les ennemis de la
+ Hollande et les miens, et ceux de l'empereur, auraient voulu réduire
+ le pays; mais j'ai tout fait pour éviter un si grand malheur, et mon
+ frère, s'il est bien informé, doit être bien convaincu que, seul,
+ j'ai empêché l'explosion du mécontentement et du désespoir même d'un
+ peuple maltraité et vexé chaque jour davantage d'une manière aussi
+ peu politique qu'elle était injuste et contraire, non seulement au
+ droit des gens et <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> aux égards qu'on doit à un pays
+ paisible, mais encore entièrement contraire aux stipulations
+ précises du traité du 16 mars de cette année. Si j'avais pu me
+ dissimuler que, loin d'être sauvé par la résistance, mon royaume
+ aurait été ruiné de fond en comble, comment aurais-je pu oublier que
+ j'étais né Français, que mes enfants le sont comme moi, que je suis
+ connétable et prince français, et qu'enfin, malgré tant de peine et
+ de calomnies, j'étais parvenu à concilier à la France les habitants
+ malheureux et ruinés de la Hollande, gémissant sous le poids des
+ barrières du commerce et de la navigation? Je ne pouvais pas faire
+ perdre à la Hollande le fruit de tant de sollicitudes, et j'ai été
+ persuadé comme je le suis, et le serai toujours, que je n'avais pas
+ d'autre parti à prendre que celui de l'abdication. Par là, la
+ régence qui gouvernera au nom de mon fils fera entièrement la
+ volonté de S. M. l'empereur et de ses ministres, ce que je ne
+ pouvais faire qu'autant que j'étais convaincu que cela n'était pas
+ contraire à mon devoir. Si mon fils était majeur, j'eusse renoncé
+ pour lui aussi; mais comme il ne l'est pas, j'espère qu'avant sa
+ majorité la paix maritime sera arrivée et le pillage des douaniers
+ et des corsaires fini. D'ici là, mon frère s'apercevra qu'il m'a
+ accusé injustement, que je ne lui ai rien dit que de vrai sur la
+ Hollande, et mon fils sera plus heureux et plus tranquille que son
+ pauvre père. D'après ce petit exposé, vous voyez que je ne pouvais
+ rester en Hollande, ne régnant plus. Forcé à un parti qui m'a
+ profondément affligé, j'ai dû songer à obtenir une retraite entière
+ où je sois inconnu, et c'est ce qui m'a fait choisir ce lieu jusqu'à
+ la fin de la belle saison.</p>
+
+<p>J'ai rendu compte à mon frère de mon abdication; j'ai tout lieu de
+ penser qu'il l'approuvera, puisque j'ai assuré plusieurs fois, par
+ écrit, verbalement et par des actes officiels faits au général
+ français en Hollande, écrit à la légation française à Amsterdam, et
+ à celle de Hollande à Paris, que si l'on ordonnait toujours un
+ traité si dur par lui-même, comme on a commencé d'abord à le faire,
+ surtout si l'on faisait occuper la capitale par les troupes
+ françaises, je regarderais cela comme la dissolution de mon
+ gouvernement, et que, quand même je pourrais être assez aveugle pour
+ ne pas le sentir davantage, cela arriverait de fait, le commandant
+ des troupes françaises, des miennes, comme celui de ma capitale
+ n'étant plus sous mes ordres. Je vous prie, M. de Bourgoing, de
+ vouloir rendre compte à S. M. l'empereur de mon arrivée ici, de mon
+ vif désir de rester dans les environs pour y soigner tranquillement
+ ma santé, et que je le prie de me permettre ensuite de résider tout
+ à fait dans les environs de Dresde, d'où je pourrais venir aux eaux
+ chaque année et m'y préparer durant l'hiver par le régime et la
+ retraite. Cela n'est sujet à aucun inconvénient. J'ai pris le nom de
+ Saint-Leu; je suis fermement résolu à passer le reste de ma vie dans
+ la plus profonde <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> retraite, quelque chagrin que je puisse
+ en éprouver. Je vous prie surtout de plaider ma cause: le plus grand
+ malheur de ma position, c'est de ne pouvoir pas rentrer en France,
+ où je devrais paraître dans mon rang et avec des fonctions
+ quelconques, ce qui est impossible et le sera toujours; je n'ai
+ qu'un v&oelig;u, rester simple particulier le reste de ma vie. J'ai
+ choisi Dresde sous le rapport de la salubrité de l'air et des eaux;
+ cependant, si l'empereur voulait que je sois ailleurs, je m'y
+ rendrai avec soumission. Je vous prie de ne me connaître et de ne me
+ parler, si je vous vois, que sous le nom de M. de Saint-Leu; vous me
+ feriez beaucoup de peine en faisant autrement.</p>
+
+<p>Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de ma considération.</p>
+</div>
+
+<p>M. de Bourgoing se hâta de transmettre au duc de Cadore la lettre du
+roi. Le ministre des relations extérieures de France lui écrivit le
+27 juillet:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Votre lettre n<sup>o</sup> 319, à laquelle vous aviez joint votre réponse au
+ roi de Hollande, m'est parvenue promptement. Elle m'a été remise par
+ M. de Langenau. J'ai attendu ensuite avec une impatience que
+ l'empereur a partagée, la lettre précédente qui devait renfermer les
+ premières nouvelles du roi de Hollande dont nous ignorions encore la
+ retraite. Elle n'est arrivée que trois jours après. Vous n'aviez
+ envoyé votre courrier qu'à Francfort. Là, la lettre a été mise à la
+ poste, je ne sais par qui, et elle n'est arrivée au ministère que
+ deux jours après les lettres que j'ai présumé être parties de
+ Francfort à la même époque. Le prince d'Eckmul a été instruit par le
+ général Compans de l'arrivée de votre courrier à Francfort et des
+ nouvelles qu'il apportait deux jours avant celui où j'ai reçu votre
+ lettre.</p>
+
+<p>Je n'entre dans ce détail, Monsieur, que pour vous faire sentir la
+ nécessité d'envoyer directement vos courriers à Paris, surtout
+ lorsqu'ils doivent annoncer des événements importants dont je vous
+ suppose jaloux de donner les premières nouvelles. C'est par M. de
+ Langenau que l'on a appris à Paris que le roi de Hollande était à
+ T&oelig;plitz; jusque-là nous ignorions où il était.</p>
+
+<p>Vous vous êtes renfermé en lui répondant dans les bornes
+ convenables. Vous ferez bien, si l'occasion s'en présente à vous
+ d'une manière naturelle, de représenter à ce prince que sa place
+ n'est pas en pays étranger, que sa dignité, les titres auxquels il
+ n'a pas renoncé et sa qualité de Français et de prince français le
+ rappellent en France, que son retour lui est prescrit par ses
+ devoirs envers l'empereur, chef de sa famille et son souverain,
+ envers sa famille et son pays. Vous lui direz les choses comme de
+ vous-même et avec toutes les formes de respect propres à faire
+ excuser la liberté que vous oserez prendre. Vous pourrez même lui
+ dire:&mdash;Je ne sais ce que l'empereur a pu écrire à Votre Majesté,
+ <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> mais si mon respect et mon dévouement pour l'empereur, que
+ j'ai l'honneur de servir, et mon attachement à votre personne
+ pouvaient m'autoriser à m'expliquer avec franchise, j'oserais dire à
+ V. M., etc., etc. Je vous invite d'ailleurs à transmettre avec
+ exactitude les détails qui vous parviendront sur le séjour du roi à
+ T&oelig;plitz et à prendre des mesures pour en bien connaître toutes
+ les circonstances. L'empereur prend trop d'intérêt au sort de son
+ frère, quels que puissent être ses torts envers lui, pour ne pas
+ désirer d'être fidèlement instruit de tout ce qui le concerne, et si
+ vous parveniez à déterminer le roi à rentrer en France, l'empereur
+ vous saurait gré de cette preuve de votre zèle à le servir.</p>
+</div>
+
+<p>En vain, notre ministre à Dresde fit auprès de Louis toutes les
+démarches pour l'engager à se rendre en France, le roi de Hollande
+refusa, et M. de Bourgoing ayant fait connaître ces refus réitérés,
+M. de Cadore lui écrivit:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">De Paris, le 30 août 1810.</p>
+
+<p>Monsieur, j'ai reçu votre lettre du 18 août dans laquelle vous me
+ rendez compte des efforts que vous avez faits pour vous rapprocher
+ du roi de Hollande et lui faire la communication que je vous avais
+ indiquée dans ma lettre du 27 juillet. Cette lettre, Monsieur, ne
+ vous prescrivait pas de n'entretenir le prince que verbalement; elle
+ ne vous défendait pas de vous adresser à lui par écrit. Vous y avez
+ trouvé cette expression: «<i>dire ces choses comme de vous-même</i>,»
+ etc. Mais le mot <i>dire</i>, dans un sens figuré, s'applique aussi à ce
+ que l'on écrit. On dit par écrit comme verbalement. Ce que je vous
+ recommandais surtout était de chercher une occasion naturelle de
+ faire ces représentations. Un rendez-vous aux frontières, que vous
+ aviez sollicité du roi, n'était pas une occasion naturelle; on en
+ aurait beaucoup parlé. L'occasion naturelle était une réponse que
+ vous auriez pu faire à une lettre du roi. Il est fort heureux que le
+ roi ait refusé l'entrevue que vous lui avez fait demander. Il n'est
+ pas probable que vous puissiez trouver maintenant une occasion très
+ naturelle de donner au prince les conseils indiqués dans ma lettre,
+ et l'empereur désire que vous ne preniez plus aucune part à cette
+ affaire. S. M. veut que, si vous êtes consulté encore par le comte
+ de Saint-Leu, vous vous absteniez de lui répondre, que vous lui
+ laissiez faire ce qu'il désire et que vous ne vous mettiez plus en
+ peine de ce qui le regarde, ce qui ne doit pas empêcher de faire
+ connaître ce que vous apprendrez de lui.</p>
+</div>
+
+<p>Louis était tellement las des grandeurs et excédé de tout ce qu'il
+avait souffert sur le trône, qu'il souhaitait avant toute chose le
+repos; aussi le 20 juillet écrivit-il à son oncle, le cardinal
+Fesch, la curieuse lettre suivante:</p>
+
+<p class="lettre"><span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> Mon cher oncle, je suis aux eaux de T&oelig;plitz depuis dix
+ jours; j'en éprouve beaucoup de bien. J'ai écrit à maman et à
+ Pauline, mais je suis si loin que je crains, avec raison, que mes
+ lettres ne leur parviennent pas. Vous êtes à présent peut-être le
+ seul de la famille auprès de l'empereur. Dites-moi, je vous prie, si
+ vous croyez qu'il me permette enfin de vivre tranquille et obscur.
+ C'est là tout mon désir. Après les malheurs que j'ai éprouvés, je ne
+ puis plus rien être, et si l'empereur le veut, je vous prierai de me
+ vendre vos biens en Corse et j'irai m'y établir; mais comme je suis
+ résigné à tout plutôt qu'à être quelque chose, après n'avoir pu
+ rester sur le trône de Hollande, je crains qu'il n'y consente pas.
+ Si je pouvais obtenir de m'y retirer avec le plus jeune de mes
+ enfants, je me trouverais bien heureux, puisque je serais à jamais
+ tranquille. Veuillez, mon cher oncle, vous en informer directement
+ chez mon frère et me dire sa réponse et votre opinion. J'attends
+ votre réponse avec impatience.</p>
+
+<p>Ce malheureux prince commençait en effet à goûter un repos
+salutaire, après tant de péripéties. Lorsqu'il apprit la réunion de
+la Hollande à la France, désespéré de voir les droits de ses enfants
+méconnus, il ne put qu'adresser à toutes les cours une protestation
+dans laquelle il établissait qu'ayant accepté le trône sans
+conditions, ayant exécuté toutes ses conventions avec la France,
+n'ayant abdiqué qu'à la dernière extrémité, après avoir été
+contraint par la force à signer le traité du 16 mars 1810, Napoléon,
+son frère, n'avait pas le droit de réunir la Hollande à l'empire et
+de frustrer de la couronne le prince son fils.</p>
+
+<p>Le roi ne tarda pas à éprouver quelques chagrins d'une autre nature
+et qui, pour être d'un ordre moins élevé que les chagrins de la
+politique, n'en jetèrent pas moins dans son c&oelig;ur une affliction
+réelle et un profond dégoût de la nature humaine. Il ne s'était fait
+accompagner dans son exil volontaire que par deux hommes, le général
+Travers et le contre-amiral Bloys, qui lui devaient tout et qu'il
+avait choisis parmi une foule de personnes loyales et sûres; ces
+deux hommes le quittèrent au bout de quelque temps, le laissant
+seul, sans famille, presque sans relation d'aucune espèce, sur une
+terre étrangère. Tout à coup il vit paraître près de lui le
+chevalier (plus tard duc) Decazes, son ancien secrétaire de cabinet,
+jadis secrétaire des commandements de Madame mère, alors conseiller
+à la cour de justice de Paris. M. Decazes venait l'engager à rentrer
+en France. Louis fut inébranlable dans sa résolution de ne pas
+revenir dans sa patrie, et comme les climats tempérés lui étaient
+favorables, il quitta <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> T&oelig;plitz pour se rendre à Gratz en
+Styrie, partie la plus méridionale des états autrichiens. Il eût
+préféré Rome ou Naples, mais Rome n'était plus indépendante, et
+Naples était sous l'influence de Napoléon. M. Decazes l'accompagna à
+Gratz, renouvelant sans succès les tentatives qu'on l'avait chargé
+de faire pour persuader au prince de rentrer en France.</p>
+
+<p>Pendant ce court voyage, il fut rejoint par M. Lablanche, secrétaire
+de l'ambassadeur français à Vienne, qui lui apportait une sommation
+de se rendre à Paris.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, disait M. Otto<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a><a href="#footnote67" title="Lien vers la note 67"><span class="smaller">[67]</span></a> dans cette lettre du 12 octobre, l'empereur
+ m'ordonne d'écrire à Votre Majesté dans les termes suivants: Le
+ devoir de tout prince français et de tout membre de la famille
+ impériale est de résider en France, et il ne peut s'absenter qu'avec
+ la permission de l'empereur. Après la réunion de la Hollande à
+ l'empire, l'empereur a toléré que le roi résidât à T&oelig;plitz, sa
+ santé paraissait lui rendre les eaux nécessaires; mais aujourd'hui
+ l'empereur entend que le prince Louis, comme prince français et
+ grand dignitaire de l'empire, y soit rendu au plus tard au 1<sup>er</sup>
+ décembre prochain, sous peine d'être considéré comme désobéissant
+ aux constitutions de l'empire et au chef de sa famille, et traité
+ comme tel.</p>
+
+<p>Je remplis, Sire, mot pour mot, la mission qui m'est confiée, et
+ j'envoie le premier secrétaire d'ambassade pour être assuré que
+ cette lettre aura été remise exactement.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté d'agréer l'hommage de mon profond respect.</p>
+</div>
+
+<p>Louis resta sourd à cette sommation, comme il était resté sourd aux
+prières; il espérait être enfin délivré de cette persécution d'un
+nouveau genre, il n'en était rien. Son ancien secrétaire, M.
+Decazes, lui fut envoyé de nouveau et ne réussit pas mieux qu'à son
+premier voyage. Il y avait à peine deux mois que l'ex-roi de
+Hollande habitait Gratz, lorsqu'il connut tout à coup, par le
+<i>Moniteur</i> du 15 décembre, le sénatus-consulte du 10 du même
+mois<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a><a href="#footnote68" title="Lien vers la note 68"><span class="smaller">[68]</span></a>. Indigné, il envoya le 30 au sénat la protestation
+suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sénateurs, le <i>Moniteur</i> du 15 arrive; j'étais loin de m'attendre au
+ coup mortel, à l'atteinte ineffaçable que me porterait le
+ sénatus-consulte du 10 décembre.</p>
+
+<p>Je dois au nom de l'empereur, qui est aussi le mien, à mes enfants
+ <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> et au peuple à qui j'appartiens depuis le 5 juin 1806, de
+ déclarer publiquement, comme je déclare en ce moment:</p>
+
+<p>Que, lié à jamais, ainsi que mes enfants, au sort de la Hollande, je
+ refuse pour moi, comme pour eux, l'apanage dont il est fait mention
+ dans ledit sénatus-consulte. J'ordonne, par le présent acte que je
+ porte à sa connaissance, à la reine, de refuser pour elle, comme
+ pour ses enfants, la moindre partie d'un tel don, et de se contenter
+ de ses propriétés particulières jointes aux miennes.</p>
+
+<p>J'ordonne, par le présent acte, au sieur Tivent, intendant général
+ de la couronne, à qui j'ai confié l'administration de ces
+ propriétés, comme chargé de mes affaires particulières, de mettre la
+ reine en possession de tout ce qui m'appartient individuellement,
+ consistant dans toutes les acquisitions qui, depuis le 5 juin 1806,
+ n'ont pas été réunies au domaine de la couronne par l'acte d'achat.</p>
+
+<p>Je déclare, en outre, que je désavoue toutes les accusations,
+ lettres et écrits quelconques, lesquels tendraient à faire croire
+ que j'ai trahi mon pays, mon peuple, moi-même, ou manqué à ce que je
+ devais et aimerai toujours à devoir à la France, ma première patrie,
+ que j'ai servie, depuis mon enfance, de c&oelig;ur et d'âme. Placé sur
+ le trône de la Hollande, <i>malgré moi</i>, mais lié à ses destinées par
+ mes affections, mes serments et les devoirs les plus sacrés, je ne
+ veux et ne peux vouloir que rester Hollandais toute ma vie. En
+ conséquence, je déclare le don dudit apanage nul et de nul effet
+ pour moi, comme pour mes enfants, et pour leur mère, annulant
+ d'avance tout consentement ou acceptation donnés, soit directement,
+ soit indirectement.</p>
+
+<p>En foi de quoi j'ai rédigé le présent acte écrit et signé de ma
+ main. Je prie le Sénat de le recevoir et de faire agréer mon refus à
+ l'empereur.</p>
+</div>
+
+<p>Le même jour, il écrivit à la reine:</p>
+
+<p class="lettre">Ma douleur et mon malheur seraient à son comble si je pouvais
+ accepter l'apanage honteux que me destine, ainsi qu'à mes enfants,
+ le sénatus-consulte que je vois dans le <i>Moniteur</i> du 15 de ce mois.
+ Je vous ordonne de refuser jusqu'à la moindre partie de ce don vil
+ et douloureux. J'annule d'avance toutes les acceptations ou
+ consentements que vous pourriez donner, soit pour vous, soit pour
+ mes enfants. Toutes mes propriétés particulières sont à votre usage
+ et à celui de mes enfants. Je vous autorise, par l'écrit ci-joint, à
+ vous en mettre en possession; cela, joint à vos propres biens, vous
+ suffira pour vivre en simple particulière. Reine, épouse, mère, sous
+ tous les rapports, tout autre don vous offenserait, et je vous
+ désavouerais en tout temps comme en tout lieu.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles le roi goûta
+enfin quelque tranquillité; il en profita pour se livrer à son goût
+dominant, l'étude des arts et de la littérature.</p>
+
+<p>La campagne de Russie amena le désastre des armées françaises dans
+le Nord, comme l'injuste guerre d'Espagne avait amené les désastres
+de l'armée française dans le Midi. La fortune se lassait de suivre
+Napoléon. Profondément affligé des malheurs de sa patrie, Louis,
+resté toujours bon Français, écrivit le 1<sup>er</sup> janvier 1813 à
+l'empereur la lettre ci-dessous:</p>
+
+<p class="lettre">Sire, profondément affligé des souffrances et des pertes de la
+ Grande-Armée, après des succès qui ont porté les armes françaises
+ jusqu'au pôle; pouvant aisément juger combien vous êtes pressé,
+ combien il est urgent de réunir tous les moyens de défense
+ possibles, au moment enfin où une lutte terrible va continuer et se
+ prépare encore plus furieuse; convaincu qu'il n'y eut jamais pour la
+ France, pour votre nom, pour vous, de moment plus critique, je
+ croirais manquer à tous mes devoirs à la fois, si je ne cédais à la
+ vive impulsion de mon c&oelig;ur. Je viens donc, Sire, offrir au pays
+ dans lequel je suis né, à vous, à mon nom, le peu de santé qui me
+ reste et tous les services dont je suis capable, pour peu que je
+ puisse le faire avec honneur. Je suis, de Votre Majesté, le
+ respectueux et tout dévoué frère.</p>
+
+<p>Cette lettre fut envoyée par l'ambassadeur de France à Vienne et
+placée dans une autre lettre écrite à Madame mère. L'empereur y
+répondit, le 16 janvier 1813, qu'il voyait avec plaisir les
+sentiments qui animaient Louis, mais qu'il lui avait fait connaître
+déjà que ses devoirs envers l'empereur, sa patrie et ses enfants,
+exigeaient son retour en France; qu'il le recevrait comme un père
+reçoit son fils, qu'il avait des idées fausses sur la situation des
+affaires, que lui, Napoléon, avait un million d'hommes sur pied,
+deux cents millions dans ses caisses, que la Hollande était
+française à jamais, etc. Cette lettre, d'un style plus modéré que
+les précédentes, contenait cependant encore quelques expressions
+personnelles blessantes pour le roi. C'était, du reste, la première
+que Louis recevait de Napoléon depuis celle de mai 1810, finissant
+par ces mots: «c'est la dernière lettre de ma vie que je vous
+écris». Le roi, dont les propositions n'avaient pas été acceptées,
+fit un voyage au mois de juin 1813 aux bains de Neuhans, près de
+Gratz, pour sa santé. Il en revint au mois de juillet, et le 8 il se
+décida à faire des démarches auprès du congrès dont on annonçait
+l'ouverture à Prague, sous la médiation de l'Autriche. Des <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span>
+protestations, des notes envoyées à tous les souverains, n'eurent
+aucun résultat. Voyant la guerre prête à éclater entre l'Autriche et
+la France, Louis ne voulut pas rester plus longtemps dans les états
+de l'empereur François II, malgré les bienveillantes instances de ce
+souverain pour l'y retenir. Il crut donc devoir se rapprocher de sa
+patrie, et le 10 août il partit pour la Suisse<a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a><a href="#footnote69" title="Lien vers la note 69"><span class="smaller">[69]</span></a>.</p>
+
+<p>En arrivant à Ischl, il écrivit à Napoléon:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Sire,</p>
+
+<p>Les approches de la guerre avec la France m'avaient fait songer,
+ depuis plusieurs mois, à quitter ce pays; voulant être sûr de ne
+ point me trouver enfermé dans un pays ennemi, je suis parti le 10
+ août. Je vous écris des frontières de la Bavière.</p>
+
+<p>Le duc d'Otrante, que j'ai vu à son passage par Leybach, m'a
+ beaucoup parlé; je lui ai caché mon dessein, parce que je voulais
+ que vous l'apprissiez par moi seul.</p>
+
+<p>Sire, j'avais le projet de me rendre dans une retraite sûre et
+ définitive dont j'ai plus besoin que jamais. La Bosnie m'était
+ ouverte; comme un pays tranquille, amie naturelle de la France, elle
+ me convenait sous tous les rapports, même sous celui du climat;
+ mais, Sire, quand j'étais au moment de partir, j'ai appris les
+ malheurs d'Espagne, j'ai appris que les ennemis étaient de ce côté
+ sur les frontières, j'ai vu que la guerre était imminente, que vous
+ alliez avoir un million d'hommes armés contre vous... Je ne me suis
+ pas cru le maître de me soustraire à la crise imminente et terrible
+ qui se prépare. Je suis peu de chose, mais ce que je suis je le dois
+ à la Hollande, et après à la France et à vous. Je vais donc en
+ Suisse pour pouvoir en être appelé par vous, quand vous croirez
+ pouvoir le faire sans m'ôter l'espoir de <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> rentrer en
+ Hollande à la paix générale, ni d'une manière contraire au serment
+ que je lui ai prêté, car, comme il est cependant impossible que vous
+ ayez voulu faire de moi et de mes enfants des êtres provisoires, il
+ est impossible que Votre Majesté ne veuille pas leur rétablissement
+ et le rétablissement de la Hollande, quand toutes les affaires
+ relatives au commerce et à la navigation seront terminées. Enfin,
+ Sire, si je puis jamais être utile et à la France et à V. M., elle
+ saura mieux que moi la manière dont cela convient à celui de ses
+ frères qui est devenu roi de Hollande... Si cela n'est jamais le
+ cas, je serai dans un pays qui, du moins, ne cessera jamais d'être
+ ami de la France; quand je suis venu en Autriche, j'étais persuadé
+ que le pays de l'impératrice de France ne serait de longtemps en
+ guerre avec elle, et à coup sûr de mon vivant.</p>
+
+<p>Je vous prie de faire attention, Sire, que je viens à vous pour
+ souffrir; que je le désire plus vivement à mesure que le péril
+ augmente; que, dans la malheureuse position où m'ont placé les
+ événements, j'ai dû ne plus partager la prospérité de ma maison,
+ mais non me soustraire à ses dangers. Puissent, Sire, ceux qui la
+ menacent, n'être pas aussi réels que je le crains! Mais les
+ armements sont immenses, et dans un tout autre ordre et esprit que
+ précédemment. Tout le monde gémit et réclame la guerre contre la
+ France. Sire, je fais mon devoir, et envers la Hollande, et envers
+ la France, et envers vous, en me rapprochant de tous trois, en me
+ mettant plus à votre portée. Jamais je n'aurai à me reprocher de les
+ avoir privés par ma faute de mes faibles efforts, quels qu'ils
+ puissent être, et cette conviction me consolera, quelque chose qui
+ arrive.</p>
+</div>
+
+<p>Cette lettre resta sans réponse. Louis fit quelques courses pour
+visiter la Suisse, puis il attendit à Saint-Gall les suites des
+événements qui grossissaient de toutes parts. Après la malheureuse
+bataille de Leipsick, Murat, ayant quitté l'armée française pour
+revenir à Naples, passa par la Suisse; il vit le roi son beau-frère
+et lui conseilla de rentrer en Hollande par le secours des
+alliés<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a><a href="#footnote70" title="Lien vers la note 70"><span class="smaller">[70]</span></a>. Louis répondit qu'il ne le ferait pas, attendu qu'on
+n'admettrait jamais la neutralité de la Hollande et qu'il ne
+voudrait, pour aucun trône du monde, faire la guerre à son pays.
+Toutefois, voulant profiter des circonstances pour une nouvelle
+tentative faite bien moins dans son intérêt que dans celui de ses
+enfants, il envoya un des officiers de son ancienne garde attendre
+Napoléon à son passage à Mayence, avec mission de lui remettre une
+lettre.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> Louis demandait qu'on le laissât retourner en Hollande et
+qu'on lui permit de traverser la France pour se rendre à Amsterdam.
+Persuadé qu'au point où en étaient les affaires, l'empereur serait
+ravi de lui céder de nouveau un pays qui allait tomber aux mains des
+alliés, et qu'il croyait être seul à même de sauver et de soustraire
+à la coalition, l'ex-roi de Hollande vint jusqu'à Pont-sur-Seine,
+après avoir écrit à l'impératrice régente et au prince Cambacérès;
+mais, à son grand étonnement, il apprit qu'on refusait de le
+recevoir à Paris. Il rentra donc en Suisse, et là fut rejoint par
+l'officier envoyé à Napoléon. Cet officier, et bientôt après les
+lettres de Berthier et du duc de Vicence, lui firent connaître la
+réponse de l'empereur.</p>
+
+<p>«J'aime mieux que la Hollande retourne sous le pouvoir de la maison
+d'Orange, avait dit Napoléon, que sous celui de mon frère.»</p>
+
+<p>Malgré tous les échecs, malgré tous les déboires, Louis crut encore
+devoir faire une tentative en octobre 1813, lorsqu'il connut les
+événements qui venaient d'avoir lieu en Hollande, l'insurrection de
+ce pays contre la France, son abandon par les troupes de l'empereur
+et l'établissement d'une espèce de gouvernement provisoire exercé
+par les magistrats d'Amsterdam. En conséquence, il adressa, le 29
+novembre, de Soleure, à ce gouvernement provisoire, une longue
+lettre dans laquelle, passant en revue toutes les phases de son
+règne, il relatait ses droits et ceux de ses enfants. Il n'avait ni
+désiré, ni recherché la couronne, il ne s'était décidé à l'accepter
+que sur l'instance de la députation batave, et dans l'espoir
+d'assurer à son pays d'adoption la protection puissante de la
+France; il avait fait tout ce qui était humainement possible pour
+maintenir l'intégrité du territoire, l'indépendance de la nation; il
+avait cherché à faire jouir les peuples des bienfaits de lois
+équitables, il n'avait abdiqué qu'en faveur de son fils, tout
+récemment il avait voulu se rendre à Amsterdam pour mettre la nation
+hollandaise à même de se prononcer librement pour lui ou pour la
+maison d'Orange.</p>
+
+<p>Louis commençait ce long, intéressant et véridique plaidoyer en
+disant que les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouvait
+la Hollande l'obligeaient à sortir de sa retraite, que ces
+circonstances devaient ou compléter les obligations qui
+l'attachaient au pays depuis huit ans, ou l'en dégager entièrement.
+Il terminait en promettant d'achever ce qui n'avait été qu'esquissé
+par l'acte d'union d'Utrecht, en assurant une constitution plus
+étendue, et en affirmant qu'il ferait tous ses efforts pour
+maintenir l'état de paix et de neutralité. <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> Quelques
+personnes lui proposèrent de se rendre en Hollande pour y décider le
+peuple en sa faveur, il refusa. «Je ne puis y rentrer, répondit-il,
+que rappelé par la nation; il ne convient ni à mon caractère ni au
+bien de la Hollande que j'y rentre par la guerre ou par les
+troubles! Je dois me borner à faire savoir aux Hollandais que mon
+dévouement au pays est toujours le même, le reste les regarde.»</p>
+
+<p>Sa démarche auprès des magistrats d'Amsterdam n'obtint aucun succès,
+la maison d'Orange fut rétablie sur le trône. Dès lors, Louis se
+considéra comme entièrement dégagé de toute obligation envers la
+nation hollandaise, et il résolut de rentrer chez lui, à Saint-Leu,
+espérant qu'on l'y laisserait jouir de la tranquillité qui semblait
+le fuir en tous lieux. Le prince de Talleyrand lui ayant fait
+connaître l'entrée des alliés en Suisse, l'ex-roi de Hollande hâta
+son départ, et le 22 décembre 1813, après avoir fait une déclaration
+conforme à sa lettre du 29 novembre, il se rendit à Lyon et de là à
+Paris, où il arriva le 1<sup>er</sup> janvier 1814. Il descendit chez Madame
+mère, mais il ne put voir l'empereur. On lui insinua même l'ordre de
+s'éloigner à quarante lieues de la capitale de la France. Il refusa
+d'obéir, «personne, dit-il, n'ayant le droit de m'empêcher de
+demeurer chez moi.» Enfin le 10 janvier, il put être admis auprès de
+l'empereur, grâce à la médiation de l'impératrice. L'entrevue fut
+froide, les deux frères ne s'embrassèrent pas. Louis pria Napoléon
+d'écarter toujours, dans leurs conversations, ce qui pouvait
+concerner la Hollande. Quelques jours auparavant, le roi avait reçu
+de l'empereur la lettre autographe ci-dessous:</p>
+
+<p class="lettre">Mon frère, j'ai reçu vos deux lettres et j'ai appris avec peine que
+ vous soyez arrivé à Paris sans ma permission. Vous n'êtes plus roi
+ de Hollande depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à
+ la France. Vous ne devez plus y songer. Le territoire de l'empire
+ est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous
+ venir comme prince français, comme connétable de l'empire, vous
+ ranger auprès du trône? Je vous recevrai, vous serez mon sujet; en
+ cette qualité, vous y jouirez de mon amitié et ferez ce que vous
+ pourrez pour le bien des affaires. Il faut alors que vous ayez pour
+ moi, pour le roi de Rome, pour l'impératrice, ce que vous devez
+ avoir. Si, au contraire, vous persistez dans vos idées de roi et de
+ Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris... Je ne veux
+ pas de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi
+ une lettre que je puisse faire imprimer.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> Le roi désirait ardemment être employé, être utile à la
+France dans ce moment de crise, sans recevoir ni rang, ni apanage,
+ni titres, lesquels eussent été en opposition avec sa déclaration de
+Lausanne, lesquels l'eussent empêché de s'éloigner de France dans le
+cas où la victoire eût rendu la Hollande à celle-ci, et qui, dans ce
+cas, eussent été un assentiment tacite à la réunion, mais il éprouva
+avec une cruelle amertume combien, dans l'exil et le climat froid de
+la Styrie, trois années d'isolement et de chagrin avaient délabré sa
+santé. Il essaya vainement de se tenir à cheval, il ne pouvait même
+rester debout quelque temps.</p>
+
+<p>Il vit une seconde fois son frère, la veille du départ de Napoléon
+pour l'armée, le 23 janvier 1814. L'empereur semblait décidé à faire
+la paix après la première victoire, mais il se laissa entraîner
+ensuite dans un système opposé. Louis, d'accord avec Joseph, lui
+adressa presque journellement des lettres dans lesquelles il le
+suppliait de traiter le plus vite possible avec les alliés. Le 16
+mars, il lui écrivit: «Si Votre Majesté ne signe pas la paix,
+qu'elle soit bien convaincue que son gouvernement n'a guère plus de
+trois semaines d'existence. Il ne faut que du sang-froid et un peu
+de bon sens pour juger l'état des choses en ce moment<a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a><a href="#footnote71" title="Lien vers la note 71"><span class="smaller">[71]</span></a>.»</p>
+
+<p>Ces mots étaient prophétiques.</p>
+
+<p>Louis demeura à Paris les mois de janvier, février et mars, jusqu'au
+30 de ce dernier mois, qu'il suivit l'impératrice à Blois. Il
+insista pour que celle-ci n'abandonnât pas la capitale malgré
+l'entrée des alliés, mais elle ne l'osa pas.</p>
+
+<p>L'empereur, dans ses instructions, déclarait traîtres tous ceux qui
+resteraient à Paris dans le cas où cette ville serait occupée par
+l'ennemi, et même tous ceux qui conseilleraient à l'impératrice de
+le faire..... Louis arriva à Blois avec Marie-Louise, qu'il avait
+rejointe à Rambouillet, étant parti après elle. Il séjourna à Blois
+jusqu'au 9 avril, époque à laquelle le retour des Bourbons fut
+connu. Des officiers de l'armée alliée étant venus chercher
+l'impératrice, l'ex-roi de Hollande prit congé d'elle et revint en
+Suisse. Il parvint le 15 avril à Lausanne. On lui avait fait dire
+avant son départ de Blois qu'il pouvait habiter la France; il pensa
+que son devoir s'y opposait, et qu'il devait partager la mauvaise
+fortune de sa famille. Peu de temps après <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> la rentrée de
+Louis à Lausanne, le gouvernement des Bourbons érigea la terre de
+Saint-Leu en duché, sans même l'en prévenir. À cette nouvelle et à
+celle du traité de Fontainebleau, le prince fit une protestation,
+déclarant qu'il renonçait à tous les avantages qui lui étaient faits
+par la convention du 11 avril, qu'il y renonçait également pour ses
+enfants; que, simple particulier depuis son abdication, vivant comme
+tel, étranger à toute autre position, ayant refusé toutes les
+offres, ayant rejeté l'apanage qu'on lui voulait donner par le
+sénatus-consulte du 10 décembre 1810, il n'entendait conserver
+d'autres dépendances à sa propriété de Saint-Leu que celles qui y
+étaient en 1809, et qui, seules, lui appartenaient. Louis resta en
+Suisse jusqu'au mois de septembre, prolongeant son séjour dans ce
+pays, par l'espoir d'obtenir de sa mère qu'on lui remît son fils
+aîné. Toutes ses démarches ayant été inutiles, il se retira à Rome,
+où le Saint-Père le reçut avec joie. Le chef de l'église n'avait
+point oublié la conduite du roi Louis à son égard, les offres de
+service qu'il lui avait faites, les témoignages d'affection et de
+fidélité qu'il lui avait fait donner par le prélat Ciamberlani,
+supérieur des missions en Hollande, et cela dès le commencement des
+différends du pontife avec l'empereur Napoléon. Le prince arriva à
+Rome le 24 septembre 1814, et il s'empressa de réclamer hautement
+l'aîné de ses fils. Il recourut même aux tribunaux qui, le 7 mars
+1815, lui donnèrent gain de cause; mais le 20 du même mois, Napoléon
+était remonté sur le trône, tous les statuts de famille furent remis
+en vigueur, en sorte que ce qui concernait les Bonaparte dépendit
+encore uniquement de la volonté de l'empereur qui s'opposa au désir
+de son frère. Enfin, après la seconde abdication, le malheureux roi
+Louis obtint de la reine Hortense son fils aîné qui, dès lors,
+demeura avec lui. Pendant les cent-jours, Louis, dont la santé était
+gravement altérée, qui avait un impérieux besoin de repos, de
+tranquillité et de soins, qui n'avait plus de devoirs à remplir,
+résista aux pressantes sollicitations de se rendre auprès de sa
+s&oelig;ur à Naples, ou bien à Paris. Il pensait d'ailleurs que le
+premier devoir social, que le caractère distinctif des gens de bien,
+la maxime la plus essentielle à la conservation, à l'ordre et au
+repos de la société, consiste dans le respect le plus profond envers
+les gouvernements établis.</p>
+
+<p>C'est vraisemblablement en vertu de ce principe qu'il professait
+hautement, que le roi Louis blâma les tentatives de son fils à
+Strasbourg et à Boulogne, ainsi qu'on le verra plus loin.</p>
+
+<p>Le roi Louis, philosophe par nature, supporta la chute de sa
+<span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> famille et la sienne avec résignation, dignité et grandeur
+d'âme. Méprisant le luxe, n'aimant pas la puissance du rang suprême,
+dans laquelle il ne voyait qu'obligations et devoirs, il se livra
+sans partage à l'étude des belles-lettres. Si des idées tristes
+interrompaient souvent la sérénité habituelle, la douceur normale de
+son âme, c'est que sa tendresse paternelle s'inquiétait pour
+l'avenir de ses enfants. Il quitta Rome pour le beau climat de la
+Toscane et le ciel pur de Florence. En 1831, il éprouva une immense
+douleur, il perdit l'aîné de ses deux enfants, le prince
+Napoléon-Louis, mort dans l'insurrection des Romagnes. Lorsque
+l'ancien roi de Naples et d'Espagne, Joseph, vint des États-Unis à
+Londres, pour essayer, après 1830, de soutenir les droits du fils de
+Napoléon au trône de France, Louis eut avec son frère aîné de
+fréquentes correspondances.</p>
+
+<p>Avant la fin de sa longue et pénible carrière, l'ex-roi de Hollande
+devait éprouver encore deux profonds chagrins, qui hâtèrent ses
+derniers instants. Le premier fut la tentative de Strasbourg, faite
+par le dernier de ses enfants, le prince Louis-Napoléon, suivie
+bientôt après de la tentative de Boulogne; le second fut le refus
+des gouvernements de France et d'Angleterre de permettre à ce fils
+de venir lui fermer les yeux.</p>
+
+<p>Lorsque l'ex-roi de Hollande connut les tentatives de son fils, il
+était malade à Florence. Il n'avait cessé d'être en relation suivie
+avec le duc de Padoue, son parent. Il lui écrivit le 15 novembre
+1836:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="adresse">Mon cher cousin,</p>
+
+<p>Je m'adresse à vous avec confiance dans le nouveau malheur que
+ j'éprouve et qui tombe sur moi comme un coup de foudre. Malgré le
+ malheur que j'ai eu il y a six ans de perdre mon fils aîné, par
+ suite d'une intrigue et d'une séduction infernale, son frère, qui
+ fut compromis aussi alors, s'est laissé de nouveau entraîner dans
+ une action aussi folle que grave. Vous savez mon état de santé, vous
+ savez qu'il m'est impossible d'agir par moi-même. Veuillez donc, je
+ vous prie, faire des démarches en mon nom auprès du gouvernement et
+ des personnes que j'ai connues autrefois, telles que le duc de
+ Cazes, s'il est à Paris, le comte Molé et tous ceux que vous croirez
+ être plus accessibles à mes prières, pour les engager à obtenir du
+ gouvernement que mon fils soit renvoyé en Angleterre avec sa mère.
+ On peut oublier son incartade en considération de la folie et je
+ dirai presque du ridicule d'une telle tentative et de ce qu'elle n'a
+ coûté la vie à personne.</p>
+
+<p>Il est inutile que je vous parle de la reconnaissance que je vous
+ aurai d'un tel service, la gravité de la chose parle assez
+ d'elle-même.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> Je me persuade que vous ne me refuserez pas un service
+ aussi important; en tout cas, veuillez me faire parvenir votre
+ réponse le plus promptement possible.</p>
+
+<p>Adieu, mon cher cousin, recevez l'assurance de mon sincère
+ attachement.</p>
+</div>
+
+<p>À la même époque, le 21 novembre 1836, la reine Hortense écrivait
+d'Arenenberg à M. de Padoue:</p>
+
+<p class="lettre">Monsieur le duc, en revenant chez moi, on m'a remis votre lettre.
+ Elle eût été d'une grande consolation pour moi, et peut-être
+ n'aurais-je pas entrepris un voyage aussi pénible, si j'avais su à
+ temps que la vie de mon fils n'était pas en danger, mais cette
+ incertitude était affreuse, et j'en allais appeler à vous tous, à
+ vos anciens sentiments, pour m'aider à obtenir une vie qui m'était
+ si chère, lorsque j'ai appris qu'il n'y avait rien à craindre pour
+ elle. Je ne me suis pas montrée, je n'ai pas même été jusqu'à Paris;
+ je ne voulais troubler personne, sans cela j'aurais été charmée de
+ vous revoir ainsi que votre fille<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a><a href="#footnote72" title="Lien vers la note 72"><span class="smaller">[72]</span></a>. Vous devez penser qu'elle
+ m'est toujours chère, que son bonheur m'intéresse et que je serai
+ toujours heureuse de vous assurer tous deux de mes sentiments.</p>
+
+<p>Le prince Louis-Napoléon, étant parvenu à s'échapper du château de
+Ham avant la mort de son père, espéra pouvoir passer en Italie et
+arriver assez à temps pour le voir une dernière fois. L'Angleterre
+ne le permit pas, les passeports nécessaires lui furent refusés. Le
+malheureux père mourut à Florence le 25 juillet 1846, à la suite
+d'une congestion cérébrale, sans avoir pu recevoir les embrassements
+d'un enfant adoré. Il avait 68 ans, était toujours en exil et séparé
+de tous les siens. Ses restes furent déposés d'abord dans l'église
+de Santa-Croce à Florence. En 1848, un des premiers actes de son
+fils, dès que les portes de la France s'ouvrirent devant lui, fut de
+remplir les intentions testamentaires du roi son père en faisant
+placer son corps dans l'église de Saint-Leu, près de celui de
+Charles Bonaparte. En 1835, à propos des bruits accrédités par
+quelques journaux du mariage du prince Louis-Napoléon avec la jeune
+reine de Portugal, Dona Maria, le fils du roi Louis trouva occasion
+de faire connaître l'impression profonde que la belle conduite de
+son père avait laissée dans son c&oelig;ur. Il écrivit au rédacteur
+d'un de ces journaux la lettre suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> Arenenberg, le 14 décembre 1835.</p>
+
+<p>Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont accueilli la nouvelle
+ de mon départ pour le Portugal comme prétendant à la main de la
+ reine Dona Maria. Quelque flatteuse que soit pour moi la supposition
+ d'une union avec une jeune reine, belle et vertueuse, veuve d'un
+ cousin qui m'était cher, il est de mon devoir de réfuter un tel
+ bruit, puisqu'aucune démarche qui me soit connue n'a pu y donner
+ lieu.</p>
+
+<p>Je dois même ajouter que, malgré le vif intérêt qui s'attache aux
+ destinées d'un peuple qui vient d'acquérir sa liberté, je refuserais
+ l'honneur de partager le trône de Portugal, si le hasard voulait que
+ quelques personnes jetassent les yeux sur moi.</p>
+
+<p>La belle conduite de mon père, qui abdiqua en 1810 parce qu'il ne
+ pouvait allier les intérêts de la France avec ceux de la Hollande,
+ n'est pas sortie de mon esprit. Mon père m'a prouvé, par un grand
+ exemple, combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je
+ sens en effet qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays
+ par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français,
+ persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre
+ d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle
+ quinze années de gloire; j'attends avec calme dans un pays
+ hospitalier et libre que le peuple rappelle dans son sein ceux
+ qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir, de
+ servir un jour en France comme citoyen et comme soldat, fortifie mon
+ âme et vaut, à mes yeux, tous les trônes du monde.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Louis publia plusieurs ouvrages d'un mérite réel, en voici la
+liste:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> En 1800, un roman en 3 volumes, intitulé <i>Marie ou les peines de
+l'amour</i>. Nous avons déjà dit un mot de ce roman, dont il fit
+paraître une 2<sup>e</sup> édition en 1814, sous le titre de <i>Marie ou les
+Hollandaises</i>.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> En 1813, un livre de poésies, intitulé <i>Odes</i>, qui fut édité à
+Vienne. C'est une de ces odes dont nous avons cité quelques jolis
+vers, les adieux à Gratz.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> En 1814, un mémoire sur la versification, en réponse à une
+question proposée par la deuxième classe de l'Institut. Ce mémoire
+imprimé à Rome en 2 volumes, en 1825, sous le titre d'<i>Essai sur la
+versification</i>, remporta le prix de la question mise au concours.
+Dans cet ouvrage, l'auteur demande la suppression de la rime dans
+les vers, la conservation de la césure et l'ancien nombre de
+syllabes. Il complète leur rhythme par une distribution régulière
+des accents, ce qui les fait essentiellement différer des vers
+blancs. Il note pour cette <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> accentuation la pénultième des
+mots finissant par des e muets et la finale de tous les autres. Il
+appliqua lui-même ce système, dont il est l'inventeur, en faisant
+une tragédie, une comédie, un opéra, une ode, et en s'excusant de
+n'avoir pas poussé jusqu'à l'épopée.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> En 1820, trois volumes, intitulés <i>Documents historiques sur le
+gouvernement de la Hollande</i><a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a><a href="#footnote73" title="Lien vers la note 73"><span class="smaller">[73]</span></a>.</p>
+
+<p>5<sup>o</sup> L'<i>Histoire du Parlement anglais</i>, depuis son origine en 1234,
+jusqu'à l'an VII de la République française, suivi de la grande
+charte avec des notes autographes de Napoléon. Ce livre, un volume,
+parut en 1820, à Paris.</p>
+
+<p>6<sup>o</sup> En 1828, une réponse à sir Walter Scott sur son histoire de
+Napoléon, brochure de 160 pages.</p>
+
+<p>7<sup>o</sup> En 1834, une brochure d'une cinquantaine de pages, intitulée
+<i>Observations sur l'histoire de Napoléon par M. de Norvins</i>. C'est
+une réfutation sans réplique d'un assez grand nombre de faits
+avancés inconsidérément par cet historien trop officieux de
+l'empereur.</p>
+
+<p>Nous terminerons ce travail sur le roi Louis par une lettre qui lui
+fut écrite de Londres par son frère Joseph, le 1<sup>er</sup> août 1834, et
+qui nous paraît de nature à faire connaître le caractère de ces deux
+princes.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon cher frère, je n'ai pas répondu plus tôt à ta lettre du 3
+ juillet, je suis encore convalescent d'une douloureuse esquinancie
+ qui m'a tenu plus de quinze jours au lit et dont les suites me
+ tiennent encore à la maison, à cause du temps humide et nébuleux qui
+ règne depuis ma convalescence.</p>
+
+<p>Personne n'est moins dogmatique que moi, et si tu es d'humeur à
+ régayer le tableau que tu fais si sombre de la vie par de nouveaux
+ rapports qui puissent embellir le déclin de ta vie, personne n'en
+ sera plus heureux que moi, chacun a le sentiment et la mesure de ce
+ qu'il peut et doit pour son propre bonheur, et on fait légitimement
+ de tenter un sort meilleur lorsqu'on en espère du bonheur.</p>
+
+<p>Je ne m'appesantirai pas davantage sur la thèse du mal ou du bien de
+ cette vie, je crois la vérité dans le mélange de quelques plaisirs
+ et de plus de douleurs; mais on multiplie, on aggrave les douleurs
+ en s'étudiant à voir tout en mal et on ne remédie à rien par de la
+ mauvaise humeur; sans doute et le bonheur et la vertu sont en
+ minorité <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> sur la terre, j'en conviens, et il faut s'y
+ soumettre, c'est notre lot, celui qui se soumet à ce qu'il ne peut
+ empêcher est le moins malheureux et le plus sage. Faire de nécessité
+ vertu, considérer plus bas que nous pour se trouver moins
+ malheureux, se consoler dans la bonne conscience, si on croit à une
+ autre vie, ne voir que le vrai bonheur: tu sais tout cela mieux que
+ moi, mais je répète les appuis sur lesquels je me suis appuyé dans
+ ma longue vie.</p>
+
+<p>J'ai eu une bonne femme et je n'ai pas vécu avec elle depuis trente
+ ans; j'ai sans cesse combattu sans ambition les brigands, les
+ ennemis de mon pays, des exigences que je n'approuvai pas; l'homme
+ le plus aimant de la terre a passé sa vie sans sa famille, dans un
+ autre monde; depuis 1830, j'ai dépensé pour la cause de mon neveu
+ plus d'un million de francs, c'était la moitié de ce qui me restait
+ de disponible après l'incendie de ma maison en Amérique, en 1820. Je
+ crois être assuré que c'est la politique qui a mis le feu à ma
+ maison pour y détruire les lettres que Napoléon m'avait confiées.
+ Revenu en Europe sur l'invitation de Julie et la tienne, j'ai comme
+ toi voulu aider Caroline et Jérôme; j'ai cru que toute querelle
+ domestique se dissiperait à ma voix fraternelle et je puis dire
+ paternelle. Qu'ai-je recueilli de mes soins, de ma bonne volonté?
+ Caroline, par ses soupçons, par son abnégation de toute fierté, les
+ autres, par leur peu de sympathie et l'appui qu'ils paraissent avoir
+ donné à ses calomnies contre mon oncle le cardinal, contre moi-même,
+ m'ont fait sentir qu'il était encore de plus grands maux que ceux
+ que nous devons à la persécution des rois conjurés contre nous; ton
+ fils mort était aussi mon fils; celui qui a épousé mon aînée je l'ai
+ vu, comme Caroline, aux pieds de nos ennemis... Ce qui m'empêche
+ d'aller en Italie, c'est qu'on sait que je possède des secrets que
+ vous ignorez. Je lutte contre la mauvaise fortune et je n'en suis
+ pas abattu; ma santé faiblit, il est vrai, mais j'ai 71 ans: combien
+ sont plus infirmes que moi! Julie, mes filles, toi, m'avez conservé
+ votre c&oelig;ur dans toute sa pureté; ton fils, ma s&oelig;ur, Charles,
+ mes neveux, que de sujets de douleurs! Notre oncle m'eût resté ami,
+ sa s&oelig;ur lui a laissé les portraits de famille sous toutes les
+ formes, sous toutes les reliures; l'homme qui m'a dit de la part de
+ notre mère, sous le plus inviolable secret, qu'il était chargé de
+ vendre le collier qu'elle destinait au roi de Rome pour 200,000
+ francs, prix qu'elle n'avait pas trouvé à Rome, me dit aussi qu'elle
+ avait disposé du médaillon contenant le portrait de l'empereur,
+ valant plus de 60,000 francs, il a été trouvé: le collier a été
+ vendu par l'ordre de Madame, elle a disposé du prix, elle l'a voulu
+ et personne n'a rien à y voir: le cardinal n'y est pour rien, le
+ cardinal n'a pas voulu risquer des funérailles dignes de la mère de
+ Napoléon et de nous tous pour la même raison que moi-même en
+ Amérique je n'ai pas dû <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> affronter les préventions et les
+ âmes toutes puissantes de la Sainte-Alliance, par la même raison que
+ tu n'as pas dû ni pu rendre à notre fils les honneurs funéraires qui
+ lui étaient dus; mais notre oncle m'a souvent entretenu du monument
+ somptueux qu'il a l'intention de consacrer à sa s&oelig;ur, mais où?
+ quand? et ne lui faut-il pas l'assentiment de nous tous? Je lui ai
+ écrit qu'en sus de ce qu'il ferait, j'y contribuerais aussi pour ma
+ part. Je ne doute pas que tu ne fasses comme moi, mais où? Faut-il
+ suivre l'exemple que tu as donné à Florence, où est mort ton fils?
+ Faut-il suivre celui qu'a donné ta femme à l'occasion de ton autre
+ fils et demander en grâce que notre mère soit enterrée où nous ne
+ pouvons ni vivre ni mourir? Le cardinal a pensé à Ajaccio, mais cela
+ est-il convenable? Notre oncle n'est pas un génie de premier ordre,
+ mais on le calomnie lorsqu'on lui refuse les qualités du c&oelig;ur et
+ des talents et des connaissances dont s'honoreraient bien des
+ ecclésiastiques considérés dans ce monde.</p>
+
+<p>Si tu crois à mes paroles, à ma probité, à mon honneur, crois que tu
+ t'es trompé sur notre oncle le cardinal Fesch; je désire te
+ convertir à ma croyance, parce que je suis sûr de ce que je dis, que
+ j'ai connu notre oncle lorsque vous ne pouviez pas l'apprécier dans
+ votre enfance, lorsque nous étions tous orphelins de notre père, et
+ notre mère a toujours disposé de ce qui appartenait à son frère pour
+ le bien de la famille à son grand contentement, lorsque la mort
+ prématurée de notre père nous laissa dans les embarras occasionnés
+ par les dépenses au-dessus de sa fortune qu'il avait été obligé de
+ faire dans ses missions de Paris et à Versailles<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a><a href="#footnote74" title="Lien vers la note 74"><span class="smaller">[74]</span></a>.</p>
+
+<p>Je suis fatigué, la tête me tourne, je t'embrasse de tout mon
+ c&oelig;ur, mon cher Louis.</p>
+</div>
+
+
+<h2><span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> III.<br>
+LE ROI JÉRÔME.</h2>
+
+
+<h3>De 1784 à 1808.</h3>
+
+<p>Jérôme Bonaparte, le dernier des fils de Charles Bonaparte et le
+plus jeune des frères de l'empereur Napoléon I<sup>er</sup>, a parcouru une
+longue carrière et assisté aux plus grands événements.</p>
+
+<p>Non seulement il fut témoin, mais souvent acteur dans le grand drame
+de 1800 à 1815. Le rôle important qu'il y a joué ne s'est pas
+terminé avec le premier empire, car son nom se rattache également à
+la seconde élévation de sa famille. Il est peu de vies où les
+alternatives de grandeur et de mauvaise fortune se soient aussi
+brusquement succédé.</p>
+
+<p>À neuf ans, il est rejeté de la Corse, sa patrie, sur la terre de
+France, fuyant exilé avec sa famille. Un de ses frères s'élève par
+son génie aux premiers rangs de la hiérarchie militaire et lui fait
+donner une éducation brillante; mais ce frère veut que Jérôme, dont
+les premières années ont été consacrées à l'étude, devienne vite un
+homme et un homme utile à la France. Il en fait un marin, bientôt
+après un général, puis un prince, puis un roi. À vingt-trois ans le
+jeune homme ceint son front d'une couronne royale. Six ans plus
+tard, à l'âge où l'on n'est pas encore sorti de la jeunesse, ce
+souverain par les conquêtes des Français est contraint d'abandonner
+un trône qui s'écroule, entraîné dans les désastres de la France.
+Jusqu'alors il s'est élevé, il redescend. Il se souvient de son
+premier métier, laisse tomber le sceptre du roi pour ressaisir
+l'épée du soldat. Le dernier sur le champ de bataille de Waterloo,
+il y verse son sang et rallie les débris de la grande armée, prêt à
+les mener à de nouveaux combats, si telle est la volonté du génie
+devant lequel il s'est toujours incliné.</p>
+
+<p>De 1784, époque de sa naissance, à 1813, époque de la chute du
+<span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> royaume de Westphalie, Jérôme monte les degrés, s'élevant
+sans cesse. De 1813 à 1847, il les descend. Proscrit par la
+politique de l'Europe coalisée contre le plus grand génie des temps
+modernes, brutalement repoussé par la famille de sa femme, les
+princes de Wurtemberg, dépouillé par des gens qui le flattaient au
+temps de sa prospérité et qui lui devaient tout, traqué par les
+gouvernements de l'Autriche, de l'Allemagne et de l'Italie, ne
+sachant où reposer sa tête, il voit enfin dans sa patrie éclater une
+révolution qui lui donne l'espoir d'y rentrer bientôt. Illusion
+trompeuse, le temps n'est pas venu. Proscrit depuis quinze ans, la
+fortune ne lui a pas fait assez expier les faveurs qu'elle lui a
+accordées pendant la première partie de sa vie.</p>
+
+<p>Dix-sept ans encore les portes de la France lui sont fermées ainsi
+qu'aux siens. Ses enfants n'ont connu jusqu'alors que l'exil. Sa
+vertueuse femme ne doit plus revoir sa seconde patrie. Enfin des
+démarches incessantes, une lutte courageuse triomphent de tous les
+obstacles, il peut venir s'asseoir au foyer qui lui rappelle de si
+grands souvenirs.</p>
+
+<p>Jérôme commence à remonter les degrés qu'il a descendus depuis 1813.</p>
+
+<p>Quelques mois après son retour en France, une révolution plus
+radicale que celle de 1830 éclate de nouveau. Un membre de la
+famille Bonaparte, son neveu, par la magie de son nom, est élevé au
+premier rang. Jérôme va reprendre une grande position dans l'État.
+Le grade conquis par son épée et par ses services militaires lui est
+rendu, il devient le gardien des cendres du grand homme et le
+gouverneur de l'hôtel consacré aux soldats mutilés. Il se retrouve
+avec les vieux compagnons d'armes dont plusieurs ont suivi ses pas
+sur les champs de bataille du premier empire. Il est mis ensuite à
+la tête du premier corps de l'État. Enfin, le second empire le place
+sur les degrés mêmes du trône. Jérôme a donc remonté un à un tous
+les degrés de l'échelle sociale lorsque la mort vient terminer sa
+carrière.</p>
+
+<p>Telles sont, à grands traits, les principales phases de cette
+existence que l'on peut dire tout exceptionnelle et qui embrasse
+dans son ensemble le consulat, l'empire, les cent-jours, les deux
+restaurations, le gouvernement de juillet, la république de 1848 et
+les huit premières années du second empire.</p>
+
+<p>Depuis sa naissance jusqu'au moment où il entra dans la marine, nous
+avons peu de choses à dire sur Jérôme Bonaparte.</p>
+
+<p>Il naquit à Ajaccio, le 15 novembre 1784, de Charles Bonaparte et de
+Lætitia Ramolino. Son enfance se passa comme celle de tous les
+<span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> enfants qui naissent les derniers dans une famille
+nombreuse. Il fut en quelque sorte le Benjamin, non seulement de sa
+mère (son père mourut avant qu'il le pût connaître), mais de son
+oncle, plus tard cardinal Fesch, et de ses autres frères. Napoléon
+surtout avait pour Jérôme un faible qui perça toujours. Cette
+prédilection ne se démentit dans aucune des circonstances de sa vie
+militaire et politique.</p>
+
+<p>À l'âge de neuf ans, comme nous l'avons dit, Jérôme dut abandonner
+la maison paternelle pour un premier exil dont il comprit déjà les
+douleurs. Sa famille, bannie de l'île de Corse, se retira en France,
+et il fut placé au collège de Juilly pour y faire ses études. On
+était en 1793. La révolution menaçait de s'étendre sur l'Europe
+entière liguée contre elle. Personne ne se doutait alors que dans
+les rangs des défenseurs de la République combattait l'homme
+prodigieux qui devait bientôt la dominer.</p>
+
+<p>Pour le jeune Jérôme, six années s'écoulèrent (de 1793 à 1799), dans
+les études et les plaisirs du lycée. Après le 18 brumaire (9 nov.
+1799), il sortit du collège pour continuer son éducation sous les
+yeux de ce frère que six années avaient grandi de façon à attirer
+sur lui les regards du monde entier.</p>
+
+<p>Jérôme, alors âgé de quinze ans, vint, au commencement du consulat,
+loger au château des Tuileries, à l'entresol, au-dessous des
+appartements occupés par le premier consul au pavillon de Flore. Dès
+cet instant il laissa percer, avec la fougue naturelle à la
+jeunesse, les qualités et les défauts d'un caractère que le temps et
+les diverses phases par lesquelles il passa ne modifièrent qu'en
+partie. Un esprit juste, un jugement solide, une grande bravoure
+personnelle, une véritable noblesse, surtout dans l'adversité, de la
+bienfaisance, de l'esprit naturel, la passion des plaisirs, une
+vivacité tournant quelquefois à l'étourderie, une certaine légèreté
+qui paralysait souvent ses belles qualités, l'amour de la
+représentation et du faste, tels sont les traits dominants du
+caractère de ce prince. Toujours porté au bien lorsqu'il suivait
+l'impulsion de son c&oelig;ur, Jérôme en était parfois détourné quand
+sa nature impressionnable l'entraînait dans des écarts qui alors
+n'influaient du reste que sur sa conduite privée.</p>
+
+<p>Lorsque le général Bonaparte revint d'Italie après Marengo, il fit
+entrer son frère Jérôme dans la garde consulaire, aux chasseurs à
+cheval. L'enfant, âgé de seize ans, eut une altercation avec le
+frère de Davout; ils se battirent, et, à la suite de cette aventure,
+Bonaparte ordonna à Jérôme de quitter son régiment.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> Le premier consul, à cette époque, commençait à donner une
+sérieuse attention à tout ce qui se rattachait à la marine. Il
+prévoyait sa lutte avec l'Angleterre, il voulait battre par ses
+armes l'éternelle et implacable rivale de la France. Pour cela il
+fallait commencer par rendre à la marine française cette confiance
+en elle que l'émigration et ses derniers revers lui avaient fait
+perdre; il fallait relever le personnel tout en activant les
+réparations du matériel et les nouvelles constructions. Or, rien
+n'était plus fait, d'après lui, pour concourir à ce résultat et pour
+prouver au corps des officiers et des matelots son estime, que de
+placer dans ses rangs son propre frère, dont le caractère audacieux
+se prêtait aux aventures de la carrière maritime. Jérôme était fort
+heureux de cette résolution. Ce fut donc avec une joie véritable
+qu'il reçut sa nomination d'aspirant de 2<sup>e</sup> classe, datée du 29
+novembre 1800.</p>
+
+<p>À peine revenu de la campagne de Marengo, le premier consul tourna
+ses regards vers l'Égypte dont il désirait secourir l'armée. Ce
+n'était pas chose facile; la marine française, à cette époque, était
+fort peu en état de lutter avec avantage contre la marine de la
+Grande-Bretagne dont les flottes bloquaient nos ports.</p>
+
+<p>Non seulement il fallait, pour jeter des troupes sur les côtes
+d'Alexandrie, embarquer dans le plus grand secret des hommes et un
+matériel considérable, mais il était nécessaire de trouver un marin
+ou assez habile pour tromper la surveillance fort active des
+croisières anglaises, ou assez audacieux pour passer à travers les
+bâtiments ennemis. Bonaparte fit choix pour cette dangereuse mission
+du contre-amiral Ganteaume, qui avait été assez heureux pour le
+ramener d'Égypte malgré les Anglais. Il lui confia une escadre
+composée de sept vaisseaux de ligne, de deux frégates et d'un
+lougre<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a><a href="#footnote75" title="Lien vers la note 75"><span class="smaller">[75]</span></a>. Le jeune Jérôme Bonaparte fut placé avec son grade
+d'aspirant de 2<sup>e</sup> classe sur le vaisseau amiral.</p>
+
+<p>Il accompagna Ganteaume dans cette campagne maritime où, malgré son
+habileté et son courage, l'amiral ne réussit pas à porter en Égypte
+les renforts qu'attendait Bonaparte.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> Jérôme fit bravement ses premières armes, le 24 juin, dans
+le combat livré entre Candie et l'Égypte par <i>l'Indivisible</i> et <i>le
+Dix-Août</i>, au vaisseau anglais de 74, <i>le Swiftsure</i>, un des plus
+beaux de l'escadre de l'amiral Keith. Ce vaisseau venait de quitter
+l'escadre ennemie au mouillage d'Aboukir et faisait route pour
+Malte. Après l'avoir chassé quelques heures, <i>l'Indivisible</i> et <i>le
+Dix-Août</i> le joignirent à portée de pistolet, l'attaquèrent et s'en
+emparèrent après un combat des plus vifs.</p>
+
+<p>Le premier consul accueillit avec joie la nouvelle de ce combat, et,
+pour récompenser les deux équipages qui y avaient pris une part
+glorieuse, il rendit un décret en date du 22 août 1801, accordant
+deux grenades, deux fusils et quatre haches d'honneur pour les
+hommes qui s'étaient le plus distingués dans cette affaire.</p>
+
+<p>Le contre-amiral Ganteaume, voulant témoigner à Jérôme Bonaparte sa
+satisfaction de sa conduite pendant l'action, ne crut pouvoir mieux
+faire que de lui confier l'honorable mission de se rendre à bord de
+la prise, de l'amariner et de recevoir l'épée du capitaine.</p>
+
+<p>Après ce combat, dédommagement assez faible de la non-réussite de
+l'expédition, l'escadre fit voile pour Toulon. Elle captura
+plusieurs bâtiments de commerce anglais d'une petite valeur, et vint
+mouiller sur la rade de Toulon au commencement d'août 1801, ayant
+deux cents prisonniers anglais avec l'état-major et le commandant du
+vaisseau <i>le Swiftsure</i>.</p>
+
+<p>En rentrant à Toulon Ganteaume fit son rapport au premier consul et
+rendit bon compte de la conduite de Jérôme, car le 16 août le
+général Bonaparte écrivit à son frère une lettre des plus
+flatteuses<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a><a href="#footnote76" title="Lien vers la note 76"><span class="smaller">[76]</span></a>.</p>
+
+<p>Telle fut la première campagne maritime de Jérôme Bonaparte.
+Quelques jours après son arrivée à Toulon, le 26 août 1801, il
+débarqua et fut rejoindre son frère à Paris. Il était resté à bord
+de <i>l'Indivisible</i> depuis le 28 novembre 1800, c'est-à-dire 8 mois
+et 28 jours. C'était, pour un marin aussi jeune, un assez rude
+apprentissage.</p>
+
+<p>Lorsque Jérôme Bonaparte revint de sa première expédition, le 26
+août 1801, il n'avait pas encore atteint sa dix-septième année.
+Malgré sa jeunesse, il s'était fait remarquer par sa bravoure, son
+intelligence et ses dispositions pour le métier de marin. Il sentait
+que, frère du chef de l'État, tous les yeux étaient fixés sur lui,
+et il mettait à remplir ses devoirs un zèle qui disposait en sa
+faveur.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> Après son débarquement à Toulon, l'aspirant se rendit à
+Paris, où il fut accueilli avec joie par le premier consul. Il
+séjourna deux mois aux Tuileries, puis, le 29 novembre 1801, il fut
+nommé à la première classe de son grade et reçut l'ordre de se
+rendre à Rochefort pour être embarqué sur l'un des bâtiments
+destinés à l'expédition de Saint-Domingue.</p>
+
+<p>À cette époque, Joseph Bonaparte, chargé de la conclusion du traité
+de paix avec l'Angleterre, était prêt à se rendre à Amiens ainsi que
+lord Cornwallis, plénipotentiaire de la Grande-Bretagne. Les
+préliminaires avaient été échangés à Londres le 12 octobre, et rien
+ne s'opposait à ce que le général Bonaparte, devenu l'arbitre de
+l'Europe, dirigeât ses flottes vers nos colonies des Antilles, qui
+cherchaient à échapper à la domination française.</p>
+
+<p>En vue de ce but, une grande expédition avait été décidée. Elle
+devait se composer de trois divisions navales portant des troupes de
+débarquement. La première division, organisée à Brest, était sous
+les ordres de l'amiral Villaret-Joyeuse, réunissant à son
+commandement celui des deux autres divisions. Il avait mis, le 29
+octobre, son pavillon sur le vaisseau <i>l'Océan</i>. La seconde
+division, en rade de Rochefort, sous le contre-amiral
+Latouche-Tréville, avait pour vaisseau amiral <i>le Foudroyant</i>, sur
+lequel Jérôme allait s'embarquer. Cette division avait à rallier une
+escadre de six vaisseaux espagnols alors en rade de Cadix, sous
+l'amiral Gravina. La troisième division était composée de bâtiments
+hollandais rassemblés à Flessingue.</p>
+
+<p>Le général Leclerc, beau-frère du premier consul et mari de Pauline
+Bonaparte, commandait en chef l'expédition. Son chef d'état-major
+était le général Dugua. Leclerc arriva à Brest le 19 novembre 1801,
+et passa une grande revue des troupes le 20.</p>
+
+<p>La longue lutte que nous venions de soutenir si péniblement contre
+les flottes de la Grande-Bretagne avait vivement préoccupé le
+premier consul. Dès que la paix avec l'Angleterre fut assurée, il
+donna une attention toute particulière à la marine de guerre.
+Convaincu qu'on pouvait beaucoup attendre et obtenir de nos marins,
+aussi bien que de nos soldats de l'armée de terre, il résolut de
+tout mettre en &oelig;uvre pour éviter à l'avenir les fautes qui,
+depuis le commencement de la Révolution, avaient concouru à
+affaiblir notre puissance maritime; ce n'était plus l'organisation
+médiocre dont on s'était contenté depuis 1789 qu'il fallait à
+Bonaparte, mais une organisation forte, un matériel puissant, une
+discipline solide, une union parfaite entre les équipages <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span>
+et les troupes. D'après lui, un des grands moyens d'obtenir sur mer
+des succès semblables à ceux obtenus sur le continent, c'était
+d'exciter l'émulation chez les matelots, de leur inspirer, de leur
+<i>souffler</i> cet enthousiasme auquel nos soldats avaient dû, en grande
+partie, leurs victoires.</p>
+
+<p>Le premier consul avait été, du reste, merveilleusement secondé en
+cela par l'amiral Villaret-Joyeuse. Ce dernier avait, à force de
+persévérance, introduit sur les vaisseaux de son escadre une
+discipline parfaite.</p>
+
+<p>Les trois divisions navales partirent de Brest, de Rochefort et de
+Flessingue; celle de Villaret-Joyeuse devait rallier les deux
+autres, mais la division batave ne put le joindre à cause des vents
+contraires. Elle mit le cap directement sur Saint-Domingue, en ayant
+soin de ne pas se montrer avant les vaisseaux de l'amiral commandant
+en chef la flotte. La division de Latouche-Tréville, au lieu de
+porter sur Belle-Isle ainsi que cela lui était prescrit, fit route à
+l'ouest en sortant de Rochefort.</p>
+
+<p>L'aspirant de 1<sup>re</sup> classe Jérôme Bonaparte, embarqué sur le vaisseau
+<i>le Foudroyant</i>, monté par Tréville, arriva avec le contre-amiral au
+Cap, vers la fin de 1801. Il y resta jusqu'au 9 février 1802. Le 4
+mars, en vertu des ordres du général en chef Leclerc, il passa avec
+le grade d'enseigne<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a><a href="#footnote77" title="Lien vers la note 77"><span class="smaller">[77]</span></a> sur le vaisseau <i>le Cisalpin</i> (capitaine
+Bergeret<a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a><a href="#footnote78" title="Lien vers la note 78"><span class="smaller">[78]</span></a>), bâtiment envoyé en France.</p>
+
+<p>Le jeune officier de marine fut chargé de dépêches pressées qu'il
+devait remettre au premier consul. Bien qu'il donnât de belles
+espérances, il est permis de penser que ce ne furent ni sa capacité
+ni sa parenté avec le premier consul et le général en chef qui le
+firent choisir pour une mission de haute importance. Il est à
+présumer que Leclerc, voyant la maladie décimer les troupes et les
+équipages, prit, à l'insu de Jérôme lui-même, un prétexte pour
+l'envoyer en France et le soustraire à la pernicieuse influence d'un
+climat sous lequel il devait succomber bientôt lui-même.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, le jeune Bonaparte embarqua au Cap sur <i>le
+Cisalpin</i>, ayant pour compagnon d'armes Halgan, plus tard amiral,
+<span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> avec lequel il se lia dès lors d'une véritable amitié. Le
+5 mars le vaisseau mit à la voile, et le 10 avril les vigies
+signalèrent le feu d'Ouessant. Le lendemain, à dix heures du matin,
+le navire entrait dans le port de Brest.</p>
+
+<p>À peine débarqué, Jérôme songea à se rendre à Paris pour remettre
+ses dépêches au premier consul. Il prit une chaise de poste, emmena
+avec lui Halgan, devenu son ami, et franchit rapidement la distance
+qui le séparait de Nantes, en passant par Quimper, Vannes,
+Laroche<a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a><a href="#footnote79" title="Lien vers la note 79"><span class="smaller">[79]</span></a>. À quelques lieues de Nantes il eut une aventure qui
+peint son caractère déterminé. Le postillon qui conduisait sa
+voiture refuse tout à coup d'aller plus loin. Il met pied à terre et
+s'assied tranquillement sur le bord du fossé de la route. Jérôme et
+Halgan descendent de leur chaise de poste et, pressés d'arriver, ils
+essaient de faire remonter à cheval leur capricieux conducteur.
+C'est en vain. Prières, promesses, menaces, tout échoue devant son
+entêtement breton. Jérôme, voyant qu'il n'obtiendrait rien, pousse
+Halgan dans la voiture et, s'adressant au postillon, lui dit:
+«Veux-tu nous conduire, oui ou non?&mdash;Non, répondit ce
+dernier.&mdash;Alors je me charge de ce soin,» reprend le jeune officier.
+Et, bien qu'en culotte courte et en bas de soie (tenue qu'il a
+toujours affectionnée), Jérôme saute en selle après avoir ramassé le
+fouet et enlève les chevaux qu'il lance au grand galop sur la route
+de Nantes. Il fait en ville une entrée triomphale, tête nue, en
+uniforme de marin, avec son compagnon dans la chaise de poste, le 13
+avril 1802.</p>
+
+<p>Jérôme, laissant Halgan à Nantes, se dirigea vers Paris où il remit
+ses dépêches au premier consul, qui le garda près de lui jusqu'au
+commencement de juin 1802. Pendant son séjour aux Tuileries, ami
+fidèle et dévoué, Jérôme plaida si chaudement la cause d'Halgan près
+du général Bonaparte, qu'à son départ pour embarquer de nouveau il
+eut le bonheur d'emporter à Nantes la nomination du lieutenant de
+vaisseau, son camarade du <i>Cisalpin</i>, au commandement du brick
+<i>l'Épervier</i>.</p>
+
+<p>Le premier consul, désireux de perfectionner l'éducation maritime de
+son jeune frère et de le mettre à même d'étudier les colonies
+françaises, avait décidé qu'il ferait un voyage aux Antilles sur le
+brick <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> <i>l'Épervier</i>, et qu'il visiterait toutes les
+positions importantes de cette partie de l'Océan. En conséquence,
+Jérôme revint à Nantes le 7 juin 1802. Il devait prendre la mer,
+comme nous l'avons dit, sur le brick <i>l'Épervier</i>, sous les ordres
+d'Halgan. Les officiers de ce brick, ses camarades, étaient MM.
+Vincent Meyronnet, qui joua par la suite un certain rôle en
+Westphalie, Gay, le chirurgien M. Rouillard<a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a><a href="#footnote80" title="Lien vers la note 80"><span class="smaller">[80]</span></a>. Le bâtiment avait
+pour destination la Martinique. Jusqu'à la fin d'août, Halgan et
+Jérôme restèrent à Nantes, attendant les ordres de départ.</p>
+
+<p>Ce temps se passa pour eux en fêtes, car c'était à qui des habitants
+notables ou des autorités de la ville recevrait le plus jeune des
+frères du premier consul et son ami.</p>
+
+<p>Le 29 août, le brick appareilla et vint mouiller sur la rade de
+Minden; le 31, il fit voile en suivant les côtes, et, par suite d'un
+gros temps, vint relâcher le 4 septembre en vue du port de Lorient,
+dans la rade. Le 6, il entra dans le port. Jérôme, jeune et ami du
+plaisir, profitant de ce qu'on était obligé de passer quelques jours
+à Lorient pour faire au bâtiment des réparations indispensables,
+partit le 5 pour Nantes, où il passa quelques jours.</p>
+
+<p>Le 18 septembre il était à son poste et le brick appareilla. Le 25,
+on était en vue de Lisbonne, l'amitié d'Halgan fut mise à une rude
+épreuve. Jérôme voulut visiter cette capitale et demanda au
+commandant de relâcher dans ce port. Halgan refusa et l'on continua
+à faire voile pour la Martinique. Le 28 octobre, à midi, la terre
+était en vue. À 5 heures du soir <i>l'Épervier</i> mouilla au fort
+Diamant où régnaient la fièvre jaune et une grande mortalité.</p>
+
+<p>Dès le lendemain 29, Halgan et Jérôme furent rendre visite au
+capitaine général, l'amiral Villaret-Joyeuse, le même officier
+général auquel avait été dévolu le commandement dans l'expédition de
+Saint-Domingue. Le contre-amiral Villeneuve, commandant les forces
+navales stationnées aux Îles du Vent et à Cayenne, était alors
+absent. Il revint quelques jours plus tard au fort Royal, sur son
+vaisseau <i>le Jemmapes</i>. Dans l'intervalle, voici ce qui avait eu
+lieu:</p>
+
+<p>Jérôme était parti de France comme aspirant de l<sup>re</sup> classe et en
+qualité d'officier du brick commandé par Halgan; mais à peine arrivé
+à la Martinique, le capitaine général Villaret, soit qu'il eût des
+instructions secrètes (chose très probable) émanant du premier
+consul, soit parce qu'il crût bien faire, nomma le jeune Bonaparte
+lieutenant <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> de vaisseau, par décision du 2 novembre 1802;
+puis, sans doute pour suivre un plan convenu, Halgan s'étant trouvé
+subitement indisposé ou ayant dû se trouver hors d'état de commander
+le brick, le commandement du navire fut remis provisoirement au
+nouveau lieutenant de vaisseau qui se trouva donc, à l'âge de 18
+ans, à la tête d'un bâtiment d'une certaine importance<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a><a href="#footnote81" title="Lien vers la note 81"><span class="smaller">[81]</span></a>. Sans
+doute on avait pensé que Jérôme trouverait de plus grandes facilités
+pour son voyage d'exploration dans la nouvelle position qui lui
+était faite.</p>
+
+<p>Le contre-amiral Villeneuve, pour qui le frère du premier consul
+avait une lettre du ministre de la marine, confirma ce qu'avait fait
+Villaret-Joyeuse. Il se rendit à bord de <i>l'Épervier</i> le 21
+novembre, donna quelques conseils et des instructions détaillées à
+Jérôme, et lui prescrivit de partir le 29 novembre pour aller
+d'abord à Sainte-Lucie, colonie française des Îles du Vent, au sud
+de la Martinique, puis à Tabago, qui faisait partie des Îles sous le
+Vent, au nord-est de la Guyane. Bien qu'on fût à la fin de novembre,
+la température était très élevée. Jérôme, plein d'ardeur et n'ayant
+pas la prudence qui convient dans les climats dangereux où règnent
+si souvent des fièvres terribles, se fatigua outre mesure en
+explorant Sainte-Lucie et en montant sur une soufrière dans le fort
+de la chaleur du jour. Il fut pris par une fièvre violente qui
+inquiéta les officiers du brick au point qu'ils crurent devoir
+revenir à Saint-Pierre (Martinique), en faisant prévenir le
+contre-amiral Villeneuve de ce qui venait d'arriver. Villeneuve
+courut immédiatement auprès du malade, et reconnut avec joie que
+l'accident n'aurait aucune suite fâcheuse. Il en rendit compte au
+ministre Decrès qui avait remplacé Forfait.</p>
+
+<p>Jérôme, hors du danger causé par son imprudence, était moins
+désireux de reprendre la mer pour continuer son voyage. L'équipage
+de son bâtiment avait été, en moins d'un mois, tellement décimé par
+la maladie, qu'il se trouvait à la fin de décembre complètement
+désorganisé. À la maladie s'était jointe aussi la désertion, en
+sorte qu'il fut contraint de renoncer à l'idée de faire voile pour
+Tabago. Villeneuve attendait la frégate <i>la Consolante</i> et voulait
+lui offrir de se rendre avec lui, sur ce bâtiment, dans les
+différentes colonies qu'il avait à visiter encore; mais Jérôme,
+fatigué des ennuis, du tracas <span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> qu'il avait éprouvé sur son
+brick, sollicita de quitter son commandement. Villeneuve en écrivit
+à Decrès qui, le 25 février 1803, répondit à ce sujet: «Il faut,
+général, déterminer Jérôme à garder son commandement et à faire aux
+colonies le séjour que le premier consul désire de lui. Je joins ici
+une lettre pour lui.» On constitua alors tant bien que mal un
+équipage au brick <i>l'Épervier</i> qui put enfin partir. Ce bâtiment
+mouilla à la Basse-Terre (Guadeloupe, nord-ouest de la Martinique).
+Il fut reçu par le contre-amiral Lacrosse, capitaine général de
+cette colonie, qui lui fit visiter le pays dans le plus grand
+détail<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a><a href="#footnote82" title="Lien vers la note 82"><span class="smaller">[82]</span></a>.</p>
+
+<p>Du 8 février au commencement d'avril 4803, Jérôme termina ses
+voyages dans les différentes colonies qu'on lui avait donné mission
+de visiter en détail, car le 4 avril, le contre-amiral Villeneuve,
+dans une dépêche au ministre, rend compte du prochain départ de
+Jérôme Bonaparte et de sa répugnance à passer par Saint-Domingue, où
+son beau-frère, le général Leclerc, était mort.</p>
+
+<p>Le brick <i>l'Épervier</i> cependant n'était pas encore parti le 27
+avril, puisqu'à cette date le capitaine de vaisseau Lafond,
+commandant par intérim les forces navales stationnées aux Îles sous
+le Vent et à Cayenne, écrivait de Saint-Pierre de la Martinique, à
+bord de la frégate <i>la Didon</i>, au ministre de la marine:</p>
+
+<p>«Le brick <i>l'Épervier</i>, commandé par le lieutenant de vaisseau
+Bonaparte, est toujours en station au fort de France. Le général
+Villeneuve, avant son départ<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a><a href="#footnote83" title="Lien vers la note 83"><span class="smaller">[83]</span></a>, m'a dit qu'il lui avait donné
+l'ordre de s'en retourner en France, et que par conséquent il ne
+faisait plus partie de la station.»</p>
+
+<p>Pendant un mois encore <i>l'Épervier</i> resta à la Martinique. Plusieurs
+circonstances fatales avaient empêché Jérôme de quitter l'Amérique,
+et ces circonstances eurent, ainsi qu'on le verra bientôt, une
+influence très grande et très singulière sur les premières années de
+sa vie. D'abord, la maladie et la désertion avaient dépeuplé son
+bord et l'on n'avait pu recruter l'équipage de façon à mettre le
+bâtiment en état d'entreprendre un long voyage pour regagner
+l'Europe, ensuite Jérôme était tombé malade au commencement de mai.
+Cela ressort <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> du passage d'une longue lettre écrite le 19
+juin du port du Passage par le capitaine Lafond au ministre de la
+marine, lettre dans laquelle on lit:</p>
+
+<p>«Lors de mon départ du fort de France (8 mai 1803), le brick
+<i>l'Épervier</i> était mouillé à Saint-Pierre. Jérôme avait la fièvre,
+mal à la tête et aux reins, symptômes de la fièvre jaune; mais, au
+moment de mettre sous voile, son médecin a fait dire qu'il allait
+mieux. Il avait écrit au général Villaret qui, vraisemblablement,
+vous donnera des détails sur sa maladie.»</p>
+
+<p>Lorsqu'au mois de juin 1803 on fut à peu près paré et que Jérôme se
+trouva à même de mettre à la voile, les relations entre la France et
+l'Angleterre étaient devenues d'une nature telle que la guerre
+semblait imminente. En effet, le traité d'Amiens ne tarda pas à être
+rompu, et dès lors les Anglais, qui savaient Jérôme encore dans les
+colonies, attachèrent une importance réelle à s'emparer de sa
+personne, d'autant qu'ils étaient furieux de ce qu'en représailles
+d'hostilités commises sur mer par les vaisseaux de la
+Grande-Bretagne sans déclaration préalable, le premier consul avait
+retenu tous les Anglais alors en France.</p>
+
+<p>Les choses en étaient là, et cependant la rupture entre les deux
+grandes nations n'était pas encore connue en Amérique lorsque Jérôme
+eut l'ordre formel de Villaret de prendre la mer pour regagner
+l'Europe, s'il en était temps encore. Le 1<sup>er</sup> juin il mit à la
+voile. Un coup de tête du jeune homme l'arrêta court dans son
+voyage. Voici ce qui s'était passé. Jérôme avait soumis à une
+visite, en mer, un gros bâtiment qu'il supposait Français et qui
+était Anglais. Effrayé des conséquences que pouvait avoir cette
+affaire, il en avait rendu compte à Villaret-Joyeuse. Ce dernier le
+blâma et lui donna l'ordre de revenir en France. Jérôme fit quelques
+observations tellement justes à l'amiral que ce dernier s'opposa à
+son départ, ce qui fut fort heureux, car le brick <i>l'Épervier</i>,
+ayant pris la mer le 20 juillet sans Jérôme, fut capturé le 27 par
+les Anglais.</p>
+
+<p>Jérôme Bonaparte ne quitta pas l'Amérique et, le 20 juillet 1803, il
+abandonna le commandement de son brick. Nous l'avons laissé à la
+Pointe-à-Pitre (Martinique), le 15 juin 1803; nous le retrouvons à
+Baltimore, dans l'État de Maryland (États-Unis d'Amérique), à la fin
+de juillet de la même année.</p>
+
+<p>Le 26 juillet il écrivit de cette ville au citoyen Pichon,
+commissaire général des relations commerciales de la France aux
+États-Unis, pour <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> lui faire connaître que le lieutenant
+Meyronnet, commandant en second <i>l'Épervier</i>, avait quitté le brick,
+chargé d'une mission de son commandant pour négocier leur passage
+sur un bâtiment de commerce américain <i>le Clothier</i>, dont l'armateur
+refusait de s'arrêter en Espagne; que, décidé à céder à la nécessité
+et à suivre la destination de ce bâtiment pour Bordeaux, il
+renvoyait Meyronnet à Philadelphie pour faire hâter l'expédition du
+navire sur lequel il se hasarderait à revenir en Europe; enfin qu'il
+attendait à Baltimore que le bâtiment à bord duquel il devait
+prendre passage fût au bas de la rivière du Patapsco, qui se jette
+dans la baie de Chesapeake.</p>
+
+<p>Ainsi, à la fin de juillet 1803, Jérôme était prêt à s'embarquer sur
+un bâtiment américain et à braver les croisières anglaises pour
+retourner en France. Il était <i>incognito</i> aux États-Unis d'Amérique,
+où il entretenait une correspondance assez suivie avec notre consul
+général, M. Pichon. Ce dernier mettait beaucoup de déférence dans
+ses relations avec le frère du premier consul, jeune homme qui, bien
+que n'ayant pas encore dix-neuf ans révolus, avait déjà les allures
+princières qu'il ne devait plus abandonner. Il lui fournissait des
+sommes assez considérables, hâtait de tous ses moyens le moment de
+l'embarquement et lui donnait même au besoin des conseils que Jérôme
+paraissait assez peu disposé à suivre.</p>
+
+<p>Cependant son <i>incognito</i> ne pouvait être bien longtemps observé.
+Les Anglais, à l'affût de ce que devenait l'ancien commandant de
+<i>l'Épervier</i>, ne tardèrent pas à savoir où il se trouvait et à
+donner son signalement sur toute la côte à leurs bâtiments. Un
+capitaine Murray, alors à Baltimore, dévoila la présence dans cette
+ville de Jérôme, en sorte que les difficultés devenaient de plus en
+plus grandes pour lui de quitter l'Amérique. M. Pichon cependant le
+pressait de s'embarquer, répondant de l'armateur et du capitaine de
+navire américain qui devait le mener en France. Il l'engageait à
+faire monter à bord les personnes de sa suite<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a><a href="#footnote84" title="Lien vers la note 84"><span class="smaller">[84]</span></a> et à suivre le
+bâtiment sur un bateau pilote jusqu'à la sortie de la baie pour
+pouvoir, soit revenir à terre, soit s'embarquer définitivement,
+selon ce que ferait la croisière anglaise. Les choses en étaient là,
+au commencement d'août, lorsque <span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> Jérôme, qui comprenait
+quel effet déplorable pouvait produire en France la nouvelle de la
+capture, par les Anglais, du frère du premier consul, résolut
+d'attendre les ordres du chef de l'État, et d'envoyer pour les
+prendre son lieutenant Meyronnet qui, lui, passerait plus facilement
+et pourrait donner connaissance de la position dans laquelle il se
+trouvait aux États-Unis.</p>
+
+<p>Pichon, en apprenant la nouvelle détermination du jeune officier de
+marine, l'engagea à quitter Baltimore et à faire un voyage
+instructif dans l'ouest. Le consul général français avait-il déjà
+connaissance de la passion naissante qui devait aboutir à un mariage
+et voulait-il en détourner Jérôme, ou bien pensait-il remplir les
+intentions du premier consul à l'égard de son frère en l'engageant à
+voyager? c'est ce que rien ne fait pressentir dans sa
+correspondance. Toujours est-il que Jérôme ne suivit pas le conseil
+qui lui était donné, pas plus que celui de cesser ses rapports avec
+un M. Barny, chez lequel il était logé à Baltimore et contre lequel
+le consul général cherchait à le mettre en garde.</p>
+
+<p>Le 30 août, Pichon écrivit au ministre des relations extérieures une
+longue lettre relative au jeune Bonaparte. Cette dépêche, fort
+curieuse, résume tout ce qui a rapport au frère du premier consul
+depuis le 22 juillet 1803<a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a><a href="#footnote85" title="Lien vers la note 85"><span class="smaller">[85]</span></a>.</p>
+
+<p>Jérôme était arrivé à Georgetown<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a><a href="#footnote86" title="Lien vers la note 86"><span class="smaller">[86]</span></a>, y avait passé trois jours,
+avait cherché divers moyens de retourner en Europe, tantôt voulant
+passer à bord d'un navire de commerce, puis à bord d'une frégate
+américaine qu'il emprunterait aux États-Unis, enfin comme passager
+sur un bâtiment de guerre destiné à la Méditerranée.</p>
+
+<p>Tous ces projets n'avaient pu avoir de suite. Il n'était possible
+d'en accueillir aucun, pas même le dernier, auquel il s'était
+arrêté, de demander passage sous son nom. Pendant ce temps <i>le
+Clothier</i>, en partance de Philadelphie le 7 août, avait mis à la
+voile.</p>
+
+<p>Jérôme passa le mois de septembre 1803 à Baltimore. Fort épris de
+M<sup>lle</sup> Paterson, très jolie jeune personne, fille d'un des riches
+négociants de cette ville, il lui fit une cour assidue à laquelle
+M<sup>lle</sup> Paterson fut loin d'être insensible. Les choses en vinrent au
+point qu'on commença, vers le mois d'octobre, à parler de mariage.
+Quoique la France <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> eût encore un gouvernement qui
+conservait le nom et un semblant de formes républicaines, tout le
+monde en Europe, comme en Amérique, comprenait que cet état
+cesserait sous peu et que l'homme qui avait reconstruit l'édifice
+social était destiné à monter sur le trône. Personne n'ignorait la
+bonté, la faiblesse du premier consul pour son jeune frère; or une
+union contractée dans ces conditions avec Jérôme était, pour une
+famille de négociants d'Amérique, une fortune inouïe. Aussi, loin de
+s'opposer à la réalisation de ce projet, les Paterson, le père
+lui-même, semblaient y prêter les mains. La jeune personne, fort
+éprise, était décidée à tout pour épouser celui qu'elle aimait.
+Toute cette petite intrigue ne tarda pas à être connue du consul
+général.</p>
+
+<p>Pichon fut effrayé des conséquences d'un mariage que le chef de
+l'État n'approuverait certainement pas, puisqu'il était contraire à
+toutes les lois françaises. En effet, Jérôme, loin d'avoir atteint
+vingt et un ans, n'avait pas alors dix-neuf ans révolus, et même en
+eût-il eu vingt et un, il ne pouvait se passer du consentement de sa
+mère pour que l'acte fût valide. À peine le représentant de la
+France aux États-Unis fut-il informé de ce qui avait lieu à
+Baltimore, qu'il écrivit: 1<sup>o</sup> à Jérôme pour le prévenir que l'union
+qu'il voulait contracter était <i>nulle</i> aux yeux de la loi; 2<sup>o</sup> à M.
+Paterson le père, pour mettre sous ses yeux la loi française; 3<sup>o</sup>
+enfin à M. d'Hebecourt, l'agent consulaire français dans le
+Maryland, pour lui donner des instructions en cas qu'on voulût
+passer outre et ne pas tenir compte de ses observations.</p>
+
+<p>Jérôme eut connaissance aussi par Pichon des lettres écrites à MM.
+Paterson et d'Hebecourt<a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a><a href="#footnote87" title="Lien vers la note 87"><span class="smaller">[87]</span></a>, puis le ministre des relations
+extérieures de France (Talleyrand) reçut communication de toutes les
+pièces relatives à cette affaire. Ceci se passait pendant le mois
+d'octobre 1803. Ces démarches du consul général, ces observations
+fort justes parurent produire un certain effet, car le mariage de
+Jérôme sembla quelque temps un projet abandonné. Pichon en profita
+pour engager vivement le jeune officier à s'embarquer sur une
+frégate française, <i>la Poursuivante</i>, alors en relâche à Baltimore.
+Mais la famille Paterson, d'accord avec Jérôme, abusait le consul
+général; le mariage, s'il avait été un instant rompu, s'était
+renoué. Jérôme ne songea plus à retourner en France pour le moment.
+Il déclara formellement <span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> qu'il ne se rendrait pas à bord de
+<i>la Poursuivante</i> et qu'il attendrait à Baltimore les ordres du
+premier consul. Au reste, ajoutait-il, il était en mission et
+n'avait d'ordre à recevoir que du ministre.</p>
+
+<p>Pendant ce temps-là Decrès, ayant connu par le lieutenant Meyronnet
+la position de Jérôme aux États-Unis, avait soumis l'affaire au
+premier consul, qui lui prescrivit d'expédier de nouveau le
+lieutenant de Jérôme avec des instructions pour le retour en France
+de ce dernier. Meyronnet partit donc pour se rendre en Amérique
+précisément à l'époque où l'affaire du mariage se dénouait
+inopinément à Baltimore.</p>
+
+<p>Ainsi que nous l'avons dit, Pichon était persuadé que sur ses
+observations fort judicieuses, la famille Paterson et Jérôme
+lui-même avaient complètement abandonné leurs projets. Il était donc
+fort tranquille de ce côté lorsque, le 25 décembre, il apprit tout à
+coup par M. Lecamus que le jeune Bonaparte, à qui il avait envoyé
+une somme assez considérable, venait de faire célébrer son mariage à
+Baltimore, quatre jours auparavant, le 21. Bien plus, il fut informé
+par l'agent consulaire français, M. Sottin, que l'union, renouée
+tout à coup, avait eu lieu en sa présence, parce qu'il n'avait pas
+cru devoir faire au premier consul l'affront de refuser d'assister à
+cet acte.</p>
+
+<p>Pichon s'empressa de témoigner à Sottin son mécontentement de ce
+qu'il avait assisté au mariage et de ce qu'il avait signé un acte
+contraire à la loi française, et donné l'apparence légale à un acte
+nul aux yeux de cette loi. Il rendit compte ensuite de toute cette
+affaire au ministre des relations extérieures; puis, quelques
+semaines plus tard, le 20 février, il écrivit de nouveau une lettre
+des plus curieuses relative à Jérôme, à M<sup>lle</sup> Paterson et à la
+famille de cette dernière.</p>
+
+<p>La nouvelle de ce mariage, contracté malgré la loi, malgré toutes
+les représentations du consul français, arriva à Paris lorsque
+Napoléon avait changé son titre de premier consul contre une
+couronne impériale. Furieux de voir que son jeune frère était le
+premier à enfreindre les lois de son pays, il défendit immédiatement
+de reconnaître cette union.</p>
+
+<p>On trouve à cet égard, au <i>Moniteur</i> du 13 vendémiaire an XIII (4
+mars 1805), la note suivante:</p>
+
+<p class="lettre">Par un acte de ce jour, défense est faite à tous officiers de l'état
+ civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la transcription
+ de l'acte de célébration d'un prétendu mariage contracté en pays
+ étranger, en âge <span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> de minorité, sans le consentement de sa
+ mère, et sans publication préalable dans le lieu de son domicile.</p>
+
+<p>En outre, quelques jours plus tard, l'empereur rendit, comme chef de
+la famille impériale, le décret suivant:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui ces présentes
+ verront, salut;</p>
+
+<p>Aussitôt que nous avons été informé d'un prétendu mariage, contracté
+ dans les pays étrangers par notre frère Jérôme Bonaparte, encore
+ mineur, sans aucun consentement de nous, ni de madame notre mère, et
+ contre les dispositions des articles 63, 148, 166, 168, 170 et 171
+ du code civil, nous avons cru devoir, pour le maintien des lois et
+ de la subordination qu'elles établissent dans les familles, faire,
+ par notre décret du 11 ventôse an 13, défenses à tous les officiers
+ de l'état civil de l'Empire, de recevoir sur leurs registres la
+ transcription de l'acte de célébration dudit mariage prétendu.</p>
+
+<p>Ces précautions ne nous ayant point paru suffisantes pour garantir
+ de toute atteinte la dignité de notre couronne, et pour assurer la
+ conservation des droits, qu'à l'exemple de tous les autres princes,
+ nous exerçons sur tous ceux qui ont l'avantage de nous appartenir,
+ nous avons jugé qu'il importait au bien de l'État et à l'honneur de
+ notre famille impériale, de déclarer d'une manière irrévocable la
+ nullité dudit prétendu mariage, comme aussi de prévenir et de rendre
+ vaines toutes tentatives qui seraient faites pour y donner suite ou
+ effet.</p>
+
+<p>À ces causes nous avons ordonné et décrété, ordonnons et décrétons
+ ce qui suit:</p>
+</div>
+
+<p>Suit le décret en 5 articles qui rend nul le mariage de Jérôme et
+déclare les enfants illégitimes, etc., etc.</p>
+
+<p>Neuf ans plus tard, en 1812, bien après le mariage de Jérôme, devenu
+prince français et roi de Westphalie, avec la princesse Catherine de
+Wurtemberg, l'assemblée générale de Maryland déclara l'union de ce
+prince avec M<sup>lle</sup> Paterson nulle et sans effet, et les deux
+contractants divorcés, mais sans que cela puisse illégitimer
+l'enfant issu de cette union.</p>
+
+<p>Ainsi, pour résumer cette singulière union: un enfant, ayant
+dix-neuf ans à peine, devient épris d'une jeune personne. Sans égard
+pour les observations qui lui sont faites, sans prendre souci des
+lois de son pays, dont il est éloigné, sans prévenir même sa
+famille, il épouse, <i>du consentement du père qui n'ignore ni les
+conséquences ni les nullités de cet acte</i>, la fille d'un homme
+honorable. Ce père a été <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> bien et <i>dûment prévenu que le
+mariage est nul aux yeux de la loi française</i>.</p>
+
+<p>La mère du jeune homme proteste, le chef de la famille, devenu chef
+de l'État et qui a le devoir de faire exécuter les lois, déclare non
+seulement le mariage nul, mais les enfants à naître <i>illégitimes</i>;
+neuf ans plus tard, le divorce est prononcé dans le pays même où
+l'union a été contractée, et cela par l'assemblée juge en pareille
+matière, lorsque déjà le marié a épousé une autre femme.</p>
+
+<p>Tel est le résumé de cette bizarre affaire, que l'on peut considérer
+comme ayant eu pour cause, d'un côté le coup de tête d'un jeune
+c&oelig;ur amoureux, d'un autre l'ambition d'une famille qui voit dans
+ce mariage, qu'elle espère faire reconnaître un jour ou l'autre, un
+motif de puissance à venir<a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a><a href="#footnote88" title="Lien vers la note 88"><span class="smaller">[88]</span></a>.</p>
+
+<p>Jérôme Bonaparte et M<sup>lle</sup> Paterson se trouvaient dans une position
+assez équivoque. Le mariage n'étant pas valide devant la loi
+française, les représentants de la France en Amérique ne pouvaient
+l'admettre. Tous deux vécurent dans la famille de la jeune personne
+jusqu'à l'époque où l'on apprit l'avènement de Napoléon au trône
+impérial. Aussitôt Jérôme songea à retourner en France, d'autant
+plus que dans l'intervalle il avait reçu, par le lieutenant
+Meyronnet, les instructions du ministre de la marine. Il fut donc
+résolu qu'il s'embarquerait sur la frégate <i>la Didon</i>. Pichon
+espérait enfin le voir quitter l'Amérique, mais il n'en devait être
+encore rien. <i>La Didon</i> se trouva bloquée par des forces
+supérieures, et Jérôme, ayant reçu des lettres de sa famille qui lui
+faisaient sans doute connaître que son mariage ne serait pas
+reconnu, ne voulait plus partir.</p>
+
+<p>Le projet de départ fut remis au mois d'octobre. Le capitaine de
+vaisseau Brouard se trouvait prêt à mettre à la voile avec les
+frégates qu'il commandait. Jérôme avait promis de partir; mais tous
+les jours c'était de la part du jeune officier des objections, des
+tergiversations. Si, d'une part, en prévision des grands événements
+qui se préparaient en Europe, il tardait à Jérôme de courir auprès
+de son frère pour jouer un rôle digne de lui et pour obtenir son
+pardon, d'un autre, il était retenu en Amérique par la famille
+Paterson à laquelle il avait <span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> promis de ne pas abandonner
+sa femme avant d'avoir obtenu la reconnaissance de son mariage.</p>
+
+<p>À la fin de décembre cependant, Jérôme s'embarqua avec M<sup>lle</sup>
+Paterson, à l'insu de tout le monde, sur un bâtiment américain nommé
+<i>le Philadelphie</i>; mais ce navire se perdit au bas de la rivière. Il
+avait été frété par Jérôme Bonaparte lui-même, pour le ramener en
+France avec sa jeune femme et la tante de cette dernière. Pichon,
+informé de cette circonstance, se hâta de se rendre auprès d'eux,
+dans l'État de Delaware.</p>
+
+<p>Bientôt après le jeune homme fit une autre tentative pour son retour
+en France. Il monta à bord du <i>Président</i>, frégate française; mais
+une frégate anglaise étant venue se placer en face du bâtiment,
+M<sup>lle</sup> Paterson eut peur et voulut descendre. Jérôme et elle
+revinrent encore une fois à Baltimore.</p>
+
+<p>En 1804, le consul général français, rappelé en France à cause du
+mariage Paterson, écrivit au ministre des relations extérieures (31
+mars) la longue lettre ci-dessous relative à cette affaire:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Citoyen Ministre, à la suite de la correspondance que j'ai eu
+ l'honneur de suivre avec vous relativement à M. Bonaparte, j'ai
+ celui de vous adresser ci-inclus l'extrait d'une dépêche que j'ai
+ écrite au ministre de la marine. Cette dépêche avait pour objet
+ d'informer ce ministre, dans le département duquel la chose
+ rentrait, de ce que j'avais fait vis-à-vis de M. Bonaparte en
+ conséquence des instructions que je vous ai communiquées dans la fin
+ de ma dépêche du 30 pluviôse. Je me proposais, comme je vous l'ai
+ marqué, de presser M. Jérôme de s'embarquer sur la <i>Poursuivante</i>
+ quand elle serait prête. C'est, comme vous le voyez et comme vous
+ l'aurez appris longtemps avant par l'arrivée de la frégate, ce que
+ j'ai fait, mais sans succès.</p>
+
+<p>C'est postérieurement à mes instances à cet égard envers M. Jérôme,
+ citoyen Ministre, que votre lettre du 4 frimaire m'est parvenue. Je
+ ne l'ai reçue que le 4 de ce mois; M. Bonaparte avait reçu
+ antérieurement les dépêches du ministre de la marine. Si votre
+ lettre me fût parvenue plus tôt, citoyen Ministre, je me serais
+ abstenu de donner à M. Jérôme aucun conseil; quant à celui que j'ai
+ donné, qui n'a pas obtenu votre approbation, les événements
+ subséquents indépendamment des circonstances qui dans le temps m'y
+ déterminèrent, l'auront, je l'espère, complètement justifié à vos
+ yeux.</p>
+
+<p>Depuis quinze jours, citoyen Ministre, j'ai l'avis que le
+ gouvernement en nommant un ministre plénipotentiaire a cru devoir
+ aussi, en conséquence des lettres de M. Jérôme, me donner un
+ successeur comme consul général. L'attente où j'ai été journellement
+ de cette nouvelle <span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> mission m'a empêché de vous écrire
+ ultérieurement sur cet officier et sur l'embarras où je me trouve
+ quant aux demandes d'argent qu'il m'a adressées à mon dernier voyage
+ à Baltimore. J'espérais qu'une nouvelle légation m'ôterait de
+ l'alternative excessivement fâcheuse où je me suis trouvé
+ constamment par rapport à lui de faire trop ou trop peu. J'ai avancé
+ depuis le mois de décembre à M. Jérôme 13,000 dollars, dont 3,000
+ pendant mon dernier séjour à Baltimore vers la fin de février.
+ Depuis il m'a fait presser de payer trois à quatre mille dollars de
+ dettes qu'il avait contractées et au payement desquelles je croyais
+ qu'il avait appliqué les fonds que je lui avais remis
+ antérieurement. La considération du service public qui devient de
+ jour en jour plus onéreux ici, l'impossibilité de se procurer des
+ fonds sur des traites, la crainte d'être trop facile en avances et
+ le désir de me décharger sur mes successeurs de ces demandes
+ embarrassantes, m'ont fait prier M. Bonaparte d'attendre quelque
+ temps. L'intervalle qui s'est écoulé depuis les avis que j'ai reçus
+ de France et les instances des créanciers de M. Jérôme me
+ détermineront à faire des avances ultérieures qui, j'ose le croire,
+ seront approuvées du premier consul. Je serai en outre obligé de
+ faire à M. Bonaparte des payements pour pourvoir à son existence
+ d'une manière convenable.</p>
+
+<p>J'ai appris que M. Jérôme se plaignait beaucoup de mes derniers
+ refus d'argent ou plutôt de mes réponses déclinatoires et qu'il les
+ attribuait à de la pique résultant de mon rappel. J'ose croire que
+ vous me connaissez trop, citoyen Ministre, pour penser que je sois
+ accessible à ces motifs. Les torts de M. Bonaparte envers moi n'ont
+ pas pris un caractère plus grave par l'effet qu'ils ont pu produire.
+ Du moment où je les ai connus, quelles qu'en pussent être les
+ suites, j'ai su quelle opinion m'en former; mais, comme vous l'avez
+ vu, ils n'ont eu aucune influence sur ma conduite envers lui; j'ai
+ fait aux convenances publiques le sacrifice des sentiments que j'ai
+ dû éprouver; j'ai même attendu pour m'en exprimer avec vous, citoyen
+ Ministre, comme je le dois à moi-même, que les résultats en fussent
+ connus, désirant laisser une libre action aux rapports de M.
+ Bonaparte. À présent que l'effet est produit, vous me permettrez,
+ citoyen Ministre, d'en appeler à vous sur ce que j'ai dû sentir
+ quand j'ai appris qu'un jeune homme de 19 ans que j'ai reçu à ma
+ table, qui m'a reçu à la sienne, avec qui j'ai passé deux jours
+ entiers, le dernier surtout, dans une sorte de familiarité, qui, ce
+ dernier jour, m'a demandé et a obtenu de moi de bons offices
+ personnels qui supposent une bienveillance réciproque, que ce jeune
+ homme qui m'a quitté en me serrant la main, ait pu, deux jours
+ après, fabriquer dans l'ombre des interprétations calomnieuses et
+ malignes à des conversations de table auxquelles vous devez croire
+ que l'âge de M. Bonaparte ne m'a pas permis de prendre un bien grand
+ intérêt.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> Si j'avais eu le temps de vous rendre, citoyen Ministre,
+ toutes les interpellations singulières et excentriques que M.
+ Bonaparte m'a faites à son arrivée et auxquelles j'ai dû répondre en
+ lui faisant voir l'inconvenance et l'impossibilité d'y satisfaire,
+ vous auriez eu la clef des délations de M. Bonaparte.</p>
+
+<p>L'excessive familiarité qu'il était probablement habitué à prendre
+ avec tout le monde dans les colonies m'aurait, je vous l'assure,
+ porté à ne me tenir près de lui que le temps nécessaire pour lui
+ rendre les services et les devoirs de ma place, si, par déférence
+ pour sa famille et pour sa position, je n'avais cru devoir, dans
+ l'isolement où il était, lui tenir littéralement compagnie; je dois
+ dire que, sous ce dernier rapport, M. Jérôme a changé en mieux
+ depuis son séjour aux États-Unis. Mais outre que je ne me sentais
+ nullement disposé à vous rendre compte des choses que l'âge excuse
+ et qui auraient eu l'air, de ma part, d'un rapport, comme je n'avais
+ aucun motif ni dans ma conscience, ni dans la conduite de M.
+ Bonaparte envers moi, qui pût me faire craindre des démarches comme
+ celles qu'il a faites, je n'ai pu songer à anticiper sur leurs
+ effets. Si j'eusse pu prévoir par quelque indice ces délations,
+ j'aurais dès lors, comme depuis j'en ai ouï parler, eu trop de
+ confiance dans votre justice, citoyen Ministre, et dans celle du
+ premier consul, pour croire que sur des représentations que l'âge de
+ l'officier et sa position devaient discréditer, mon sort, comme
+ homme public, pût être décidé sans me donner l'occasion de me
+ justifier d'accusations que j'ignore encore, surtout quand j'ai la
+ confiance que ma conduite comme agent du gouvernement n'a pu que me
+ mériter son approbation.</p>
+
+<p>Je dis que j'ignore encore sur quoi portent les délations de M.
+ Jérôme, car je ne puis croire que ce qu'il m'a envoyé trois mois
+ après, sur un reproche indirect que je lui en fis, soit une copie
+ exacte de ce qu'il a écrit et de ce dont il n'a probablement dans le
+ temps pas gardé de minute; ce qu'il m'a communiqué me prête des
+ choses qui n'ont pas de sens et entre autres il me faire dire qu'il
+ n'y a en France ni droit civil, ni droit militaire.</p>
+
+<p>Au surplus, citoyen Ministre, je vous demande pardon de vous avoir
+ entretenu si longtemps de choses qui me concernent. C'est pour me
+ dispenser de vous en parler à Paris et n'avoir qu'à vous prier, en
+ tout cas, de remercier le premier consul de la faveur qu'il m'avait
+ faite en me confiant cette place et à vous assurer de ma
+ reconnaissance pour la bienveillance que vous m'avez témoignée.</p>
+</div>
+
+<p>Pichon, appelé plus tard par Jérôme en Westphalie, devint un de ses
+conseillers d'État.</p>
+
+<p>En février 1805, sans faire connaître son projet aux autorités
+<span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> françaises, Jérôme prit passage sur l'<i>Ering</i>, en
+destination pour Lisbonne, avec sa femme et son beau-père.</p>
+
+<p>Cette fois, il revit l'Europe après une traversée heureuse. Il vint
+débarquer à Lisbonne le 8 avril, et, laissant dans cette ville sa
+femme et M. Paterson, il partit à franc étrier pour Madrid, courant
+nuit et jour pour rejoindre l'empereur, alors au couronnement à
+Milan.</p>
+
+<p>Le <i>Moniteur</i> du 9 mai 1805 annonçait le fait par la note suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Lisbonne, 8 avril 1805.</p>
+
+ <p>M. Jérôme Bonaparte est arrivé ici sur le bâtiment américain sur
+ lequel étaient comme passagers M. et M<sup>lle</sup> Paterson. M. Jérôme
+ Bonaparte vient de prendre la poste pour Madrid et M. et M<sup>lle</sup>
+ Paterson se sont rembarques. On les croit retournés en Amérique.</p>
+</div>
+
+<p>Le 24 avril il était à Turin, et il ne tarda pas à rejoindre son
+frère auprès de qui il rentra bientôt en grâce, ainsi qu'on le
+verra. Quant à M<sup>lle</sup> Paterson, elle dut renoncer à toute idée de
+reconnaissance et de validation de son mariage. En compensation,
+elle reçut une pension viagère de 60,000 francs. L'empereur ne lui
+permit pas de débarquer en France et donna à cet égard des
+instructions secrètes<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a><a href="#footnote89" title="Lien vers la note 89"><span class="smaller">[89]</span></a>.</p>
+
+<p>Sottin, blâmé, essaya de se justifier dans une lettre adressée à
+Pichon. Quant à Jérôme, une fois en Europe, il fit tenir à
+l'empereur une lettre de soumission et de regret qui lui valut le
+pardon de son frère. Ce dernier l'appela près de lui à Milan, et
+ordonna que tous les ports de France fussent fermés à la famille
+Paterson. Il chargea ensuite son oncle le cardinal Fesch de se
+rendre auprès du pape pour obtenir l'annulation du mariage religieux
+contracté à Baltimore.</p>
+
+<p>Le 9 juin 1805, le cardinal écrivit à Napoléon:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, j'ai présenté hier la tiare<a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a><a href="#footnote90" title="Lien vers la note 90"><span class="smaller">[90]</span></a> à Sa Sainteté. Elle vous en
+ remerciera par sa lettre. Je suis arrivé à temps pour faciliter et
+ éclaircir les doutes de Sa Sainteté sur le mariage de Jérôme. Après
+ des recherches faites dans les bureaux de la Propagande, l'évêque de
+ Baltimore est simplement évêque de l'endroit sans avoir de pouvoirs
+ plus étendus, ainsi, le cas de nullité par suite de la présence du
+ propre pasteur a lieu, mais on objecte que le concile de Trente
+ n'ayant point été publié dans ces pays-là, on doit régler les
+ mariages comme en Hollande, où les <span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> mariages clandestins
+ sont valides, selon la déclaration de Benoit XIV. Cependant, j'ai
+ trouvé l'autorité du savant Estins appuyée par le concile de Cambrai
+ qui déclare que dans le cas que des étrangers se marient dans un
+ pays où le concile de Trente n'a pas été publié, il faut déclarer
+ leur mariage nul par défaut du propre curé; lorsque dans leur pays
+ natal, ou de résidence, cette obligation existe. Jérôme est né en
+ Corse où ce concile a été publié, il réside à Paris où cette
+ obligation existe, par une loi expresse, qui publie cette
+ disposition particulière du concile de Trente sur la présence du
+ propre curé, ainsi, nul doute que ce mariage ne soit déclaré nul
+ selon les autorités susdites.</p>
+
+<p>Le pape voudrait bien décider l'affaire en déclarant la nullité;
+ mais il est encore dans l'indécision et le doute. On a présenté les
+ questions sous un autre nom et en secret. Le pape voudrait mettre
+ tout le monde d'accord. V. M. doit être bien convaincue du zèle et
+ de l'activité que je mets dans cette affaire. J'espère de n'avoir
+ pas été inutile<a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a><a href="#footnote91" title="Lien vers la note 91"><span class="smaller">[91]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p>Pour terminer ce qui dans l'histoire du dernier des frères de
+Napoléon a trait à sa première femme, M<sup>lle</sup> Elisa Paterson, nous
+donnerons encore ici deux lettres envoyées par Napoléon, la première
+datée d'Alexandrie, 2 mars 1805, et adressée à l'archichancelier
+Cambacérès; la seconde du 9 décembre 1809, adressée au ministre des
+affaires étrangères duc de Cadore. Voici la première:</p>
+
+<p class="lettre">Je ne conçois rien à vos jurisconsultes. Ou M<sup>lle</sup> Paterson est
+ mariée ou non. Non, il ne faut aucun acte pour annuler son mariage,
+ et si Jérôme voulait contracter un nouveau mariage en France, les
+ officiers de l'état civil l'admettraient et il serait bon.</p>
+
+<p>Voici la seconde:</p>
+
+<p class="lettre">Écrivez au général Thurreau<a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a><a href="#footnote92" title="Lien vers la note 92"><span class="smaller">[92]</span></a> que je l'autorise à donner tous les
+ fonds dont M<sup>lle</sup> Paterson pourrait avoir besoin pour sa subsistance,
+ me réservant de régler son sort incessamment; que du reste, je ne
+ porte aucun intérêt en cela que celui que m'inspire cette jeune
+ personne; mais que si elle se conduisait assez mal pour épouser un
+ Anglais, alors mon intérêt pour ce qui la concerne cesserait, et que
+ je considèrerais qu'elle a renoncé aux sentiments qu'elle a exprimés
+ dans sa lettre et qui seuls m'avaient intéressé à sa situation.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> Jérôme ne revit plus qu'une seule fois M<sup>lle</sup> Paterson. Ce
+fut pendant son exil, longtemps après la chute du premier empire et
+la mort de Napoléon I<sup>er</sup>. Ils se rencontrèrent par hasard à Florence
+et ne s'adressèrent pas la parole, mais le prince conserva toujours
+une correspondance épistolaire avec son fils Jérôme
+Bonaparte-Paterson, pour qui la reine Catherine montra une grande
+bienveillance, et qu'il vit à Paris sous le second empire, en 1853,
+l'empereur Napoléon III l'ayant fait venir en France, ainsi que son
+fils, qui eut un grade dans l'armée. M<sup>me</sup> Jérôme Bonaparte-Paterson
+a survécu plusieurs années à son mari, car elle est morte seulement
+en 1879.</p>
+
+<p>Cependant Napoléon, loin d'avoir abandonné ses vastes projets
+maritimes, donnait à cette époque plus de soins que jamais à cette
+partie des forces vives de son vaste empire. Les flottes reformées
+de la France commençaient, grâce à lui, à lutter avec avantage
+contre celles de l'Angleterre. La plus belle armée et la mieux
+disciplinée qui se fût encore vue campait sur les côtes de la
+Manche, les yeux tournés vers la Tamise, et n'attendant que le
+signal pour s'élancer de l'autre côté du détroit. L'empereur avait
+fait de deux de ses frères, Joseph et Louis, des colonels; Lucien,
+franchement républicain et rebelle à sa main puissante, s'était
+détaché de lui; Jérôme devait continuer son métier de marin, métier
+dans lequel il avait réellement donné déjà des espérances. Telle
+était la volonté puissante d'un génie qui trouvait alors bien peu de
+contradiction. Jérôme était tout disposé à reprendre la mer. Aussi
+accepta-t-il avec joie de se rendre à Gênes pour y commander la
+frégate <i>la Pomone</i>.</p>
+
+<p>Napoléon fit connaître au ministre de la marine Decrès son intention
+à l'égard de son jeune frère par une longue instruction en date du
+18 mai.</p>
+
+<p>Jérôme devait prendre non seulement le commandement de <i>la Pomone</i>,
+mais aussi celui de deux bricks. Après s'être rendu avec sa division
+à Toulon, il devait croiser dans les eaux de Gênes pour exercer ses
+équipages et presser tous les matelots de la Corse et de l'île
+d'Elbe. L'empereur recommandait au ministre de faire en sorte que la
+division commandée par son frère ne s'éloignât pas trop de la côte
+et que le second à bord de <i>la Pomone</i> fût un bon marin.</p>
+
+<p>Dans cette instruction dictée et signée par Napoléon lui-même, on
+peut à notre avis reconnaître chez l'empereur la crainte d'exposer
+un frère bien jeune encore, le désir de lui faire acquérir de la
+gloire en le mettant en vue, et aussi celui d'être utile à sa marine
+de guerre <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> en faisant comprendre à tous qu'un membre de la
+famille impériale serait un jour à la tête des flottes.</p>
+
+<p>Une autre lettre, écrite également par l'empereur à son ministre de
+la guerre Berthier, descend dans les détails les plus curieux sur la
+conduite que le jeune commandant de <i>la Pomone</i> doit tenir à son
+bord. On y lit en tête: «Mon cousin, faites connaître à M. Jérôme
+qu'il étudie bien les man&oelig;uvres du canon, parce que je lui ferai
+commander l'exercice, etc.»</p>
+
+<p>Jérôme recevait en même temps ses instructions et le brevet de
+capitaine de frégate<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a><a href="#footnote93" title="Lien vers la note 93"><span class="smaller">[93]</span></a>.</p>
+
+<p>Jérôme, une fois à la tête de sa division à Gênes, trouva sans doute
+que le frère de l'empereur devait être plus qu'un simple capitaine
+de frégate, et surtout que son rang ne lui permettait pas de n'avoir
+point table ouverte, car il prit de son autorité privée les insignes
+de capitaine de vaisseau, se crut le droit de nommer aux emplois de
+son bord et se fit payer ses frais sur le pied des officiers de ce
+grade. Une très singulière correspondance résulta de ce sans-gêne du
+jeune officier. Le ministre de la marine, informé par Jérôme
+lui-même, lui écrivit:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 12, par laquelle vous
+ m'informez que vous avez reçu de S. M. l'empereur l'ordre de garder
+ à bord de <i>la Pomone</i> le capitaine Charrier. Vous avez pensé devoir
+ prendre les marques distinctives du grade de capitaine de vaisseau
+ et vous y ajoutez de très justes observations sur ce qui résulterait
+ d'inconvénient à les quitter, après avoir été reconnu dans ce grade
+ par la division sous vos ordres.</p>
+
+<p>Je ne puis, Monsieur, que soumettre à S. M. cette circonstance très
+ sérieuse sur laquelle elle seule peut prononcer. Mais je dois
+ improuver la facilité avec laquelle vous avez préjugé ses intentions
+ à cet égard.</p>
+
+<p>Je dois vous prévenir aussi que S. M. donne seule en Europe des
+ avancements même provisoires dans la marine, et qu'en conséquence
+ celui de M. Chassériau doit nécessairement être ajourné jusqu'à ce
+ que S. M. le lui ait conféré, car par décret du 30 vendémiaire an
+ VI, elle a défendu qu'aucun titre ou grade ne fût valable et ne
+ donnât lieu à appointements qu'autant qu'il a été donné et confirmé
+ par elle.</p>
+
+<p>Au reste, l'intérêt que vous inspire l'enseigne Chassériau me
+ persuade <span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> qu'il a des droits au grade supérieur. Je vais
+ les examiner, et je désire qu'ils soient tels que je puisse proposer
+ à S. M. de le lui conférer.</p>
+</div>
+
+<p>Le 6 fructidor an XIII (24 août 1805) on écrivit de Boulogne au
+ministre de la marine:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>L'inspecteur de marine à Gênes observe que M. Jérôme Bonaparte a
+ reçu son traitement de table comme capitaine de vaisseau, quoique
+ cet officier n'ait réellement que le grade de capitaine de frégate.</p>
+
+<p>Il demande à ce sujet les ordres de Monseigneur.</p>
+
+<p>Point de doute qu'il n'y ait lieu à improuver le paiement fait à M.
+ Jérôme; cependant avant de présenter un projet de lettre en
+ conséquence à Son Excellence, on la prie de donner ses ordres.</p>
+</div>
+
+<p>Le ministre de la marine écrivit au-dessous de cette note, de sa
+main: <i>Traitement selon son grade.</i></p>
+
+<p class="lettre"><i>Écrire</i>: Il est ridicule qu'on me fasse entrer dans ces détails.
+ Chacun sait qu'on ne doit toucher que le traitement de son grade,
+ or, j'ai fait connaître celui que S. M. a bien voulu accorder à M.
+ Bonaparte. Ainsi, que l'inspecteur fasse son devoir et refuse de
+ signer.</p>
+
+<p>Le 27 brumaire an XIV (48 novembre 1805), le préfet maritime à Gênes
+adresse l'état des sommes payées dans ce port au commandant Jérôme.</p>
+
+<p>Il résultait de cet état que le bureau des armements à Gênes lui
+avait payé ses frais de table 24 fr. par jour comme capitaine de
+vaisseau de 2<sup>e</sup> classe, parce que le bureau l'avait trouvé inscrit
+en cette qualité sur le rôle lors de la prise de service, le 15
+messidor an XIII, et que le bureau des revues l'avait traité comme
+capitaine de frégate, 20 fr., parce qu'il n'était porté qu'avec ce
+titre sur son livret.</p>
+
+<p>Cela venait de ce qu'au passage de l'empereur à Gênes, le bruit
+public avait couru que Jérôme était nommé capitaine de vaisseau, et
+que le jeune homme en avait pris les insignes<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a><a href="#footnote94" title="Lien vers la note 94"><span class="smaller">[94]</span></a>.</p>
+
+<p>Peu de temps après avoir donné le commandement de la petite division
+alors à Gênes, l'empereur lui annonça à lui-même, 3 juin, de Milan,
+qu'il l'avait nommé au grade de capitaine de frégate. On voit dans
+cette lettre et dans celles qu'il lui écrivit à cette époque quel
+cas il faisait de son caractère.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> Bientôt Napoléon se rendit à Gênes et mit deux frégates de
+plus (<i>l'Uranie</i> et <i>l'Incorruptible</i>) sous le commandement de son
+jeune frère. Le 5 juillet il lui envoya une instruction très précise
+sur ce qu'il avait à faire avec son escadre légère.</p>
+
+<p>Jérôme devait compléter ses équipages, se rendre à Bastia, y prendre
+tous bons matelots, recueillir des renseignements sur la situation
+des Anglais aux îles de la Madeleine, côtoyer ensuite la Sardaigne
+jusqu'aux trois quarts de la côte, s'emparer des bâtiments qui se
+trouveraient dans le port de la Madeleine, se présenter devant
+Alger, exiger qu'on lui remette les esclaves génois, italiens et
+français détenus dans les prisons du dey, et revenir soit à Toulon,
+soit à Gênes, en ayant soin de ne pas rester plus de six jours sur
+les côtes d'Afrique.</p>
+
+<p>Ce fut à cette époque que Napoléon I<sup>er</sup> revit son frère Lucien, dont
+il désapprouvait le mariage, comme il avait désapprouvé celui de
+Jérôme. Ce dernier ayant cru pouvoir lui écrire pour lui parler de
+Lucien une lettre qui ne nous est pas parvenue, l'empereur lui
+répondit durement le 9 juin 1805, de Milan:</p>
+
+<p class="lettre">Mon frère, j'ai reçu votre lettre. Je ne tarderai pas à me rendre à
+ Gênes. Tout ce que vous pouvez me dire ne peut influer en rien sur
+ ma résolution. Lucien préfère une femme... à l'honneur de son nom et
+ de sa famille. Je ne puis que gémir d'un si grand égarement d'un
+ homme que la nature a fait naître avec des talents, et qu'un égoïsme
+ sans exemple a arraché à de belles destinées et a entraîné loin de
+ la route du devoir...&mdash;M<sup>lle</sup> Paterson a été à Londres, ce qui a été
+ un sujet de grand mouvement parmi les Anglais.&mdash;Elle ne s'en est
+ rendue que plus coupable.</p>
+
+<p>Vers le milieu de juillet, la division navale de Gênes fut en état
+de prendre la mer. Elle allait mettre à la voile, lorsque des
+nouvelles de Livourne annoncèrent qu'Alger avait été envahi par les
+tribus des montagnes ou Kabaïles. Jérôme crut devoir différer son
+départ et demander de nouveaux ordres. Le ministre lui fit connaître
+que l'empereur ne croyait pas à la vérité de ces nouvelles, mais que
+les faits fussent-ils bien réels, il n'y voyait qu'un motif de plus
+pour son frère de hâter son départ et de remplir sa mission.</p>
+
+<p>Jérôme se tint prêt à appareiller. Il avait pris à peu près de force
+des matelots sur d'autres navires pour compléter ses équipages, et
+bien que ses caronnades ne fussent pas encore toutes arrimées, il
+résolut de faire terminer ce travail en mer et de mettre à la voile.
+<span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> En effet, dans la nuit du 6 au 7 août il leva l'ancre et
+mit le cap sur la Corse, mais il fut d'abord contrarié par un calme
+et de petits vents jusqu'au 9, ensuite par une bourrasque de l'ouest
+qui occasionna des avaries à la division et le força de venir
+relâcher à Toulon pour avoir des pièces de rechange.</p>
+
+<p>Après un séjour de soixante-douze heures employées à se réparer, la
+division commandée par Jérôme partit de nouveau. Elle se composait
+alors des trois frégates <i>la Pomone</i>, <i>l'Uranie</i> et
+<i>l'Incorruptible</i>, des bricks <i>l'Endymion</i> et <i>le Cyclope</i>, auquel
+le préfet maritime voulut bien adjoindre le brick <i>l'Abeille</i>, bon
+marcheur destiné à servir d'éclaireur.</p>
+
+<p>Le jeune capitaine de frégate remplit la mission que l'empereur
+venait de lui confier avec la plus grande énergie et le plus grand
+succès; aussi Napoléon et Decrès lui témoignèrent-ils combien ils
+étaient satisfaits de sa conduite dans cette circonstance.</p>
+
+<p>Le 11 septembre 1805, Decrès écrivit à Jérôme, de Paris:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur le commandant, la plus brillante réussite vient de
+ couronner la mission que S. M. l'empereur vous avait confiée; vous
+ portant rapidement de Toulon sur Alger, l'arrivée inattendue de
+ votre division ainsi que la fermeté de vos demandes ont affermi la
+ considération de la Régence pour le pavillon de S. M. Vous avez
+ brisé les fers d'un grand nombre de Liguriens qui depuis longtemps
+ souffraient les horreurs de la captivité et votre retour à Gênes a
+ été marqué par les bénédictions des nouveaux Français.</p>
+
+<p>Personne ne pouvait, et à plus de titres que moi, prendre plus de
+ part à des succès aussi flatteurs pour vous et je m'empresse de
+ joindre mes sincères félicitations à celles qui vous ont déjà été
+ offertes.</p>
+</div>
+
+<p>De la main du ministre:</p>
+
+<p class="lettre">Toute l'Europe a les yeux sur vous et particulièrement la France et
+ la marine de S. M. Vous devez à celle-ci de lui donner l'exemple de
+ l'activité et du dévouement à votre métier. Vous le concevez comme
+ moi-même et ce sera pour moi un devoir agréable à remplir que de
+ faire remarquer à l'empereur le développement de ces qualités dans
+ toutes les opérations dont vous chargera sa confiance.</p>
+
+<p>L'empereur ne laissa pas à son frère le temps de prendre un peu de
+repos. Après sa campagne à Alger, il lui donna le commandement du
+vaisseau de 74 <i>le Vétéran</i>, le meilleur de l'escadre du
+contre-amiral Willaumez, escadre chargée de se rendre en Amérique et
+de faire le plus de mal possible à la marine et aux colonies
+anglaises.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> Willaumez, avant de partir, reçut du ministre des
+instructions très précises pour tenir sa mission secrète vis-à-vis
+tout le monde<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a><a href="#footnote95" title="Lien vers la note 95"><span class="smaller">[95]</span></a>, et pour traiter Jérôme Bonaparte en simple
+capitaine de vaisseau; mais à peine en mer, il crut devoir s'écarter
+de ses instructions. Soit pour flatter le jeune frère de l'empereur
+et se le rendre favorable, soit parce qu'il avait reconnu en lui
+l'étoffe d'un marin de grand mérite, il le nomma son second, bien
+qu'il fût le moins ancien des commandants de vaisseau de la flotte,
+il lui fit connaître le but de l'expédition et écrivit à Decrès que
+Jérôme avait été désigné par les autres officiers pour le poste
+qu'il lui confiait, comme étant reconnu le plus capable.</p>
+
+<p>Cette violation du secret de l'expédition fit comprendre à Jérôme
+que la flotte devait tenir la mer beaucoup plus longtemps que le
+ministre ne le lui avait dit et l'indisposa d'une façon violente. Le
+jeune homme, ami des plaisirs, n'était pas d'humeur à s'éterniser à
+son bord.</p>
+
+<p>Il témoigna son mécontentement, et Willaumez en vint bientôt à
+craindre que Jérôme, assez peu patient de sa nature, n'écrivît à
+Decrès une lettre violente. Aussi crut-il devoir essayer d'arrêter
+le jeune homme dans cette voie, en lui adressant, en date du 14
+décembre 1805, une longue dépêche que l'on trouvera plus loin.</p>
+
+<p>Donnons d'abord deux lettres relatives à l'expédition, l'une du
+ministre au préfet maritime, en date du 12 novembre, l'autre de
+Willaumez au ministre en date du 6 décembre 1805.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je réponds, Monsieur, à vos dépêches des 11, 13 et 15 courant,
+ relativement aux escadres expéditionnaires.</p>
+
+<p>Le motif de la substitution de <i>l'Éole</i> au <i>Jupiter</i> n'a eu d'autre
+ objet que de mettre un vaisseau plus solide dans la division
+ Willaumez à la place d'un autre qui l'était moins. Ainsi, si par les
+ réparations faites au <i>Jupiter</i>, ce vaisseau est aussi solide que
+ <i>l'Éole</i>, il n'y aura pas lieu à cette substitution.</p>
+
+<p>Je ne vois aucun inconvénient à mettre <i>l'Indienne</i> à la place de
+ <i>la Comète</i>, si celle-ci n'est pas prête.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> Le motif qui m'avait empêché de comprendre <i>l'Indienne</i> au
+ nombre des frégates en partance était fondé sur le peu d'opinion que
+ j'avais de ses qualités; ainsi je vous laisse libre d'employer cette
+ frégate au lieu de <i>la Comète</i>, si vous la croyez plus propre à une
+ longue campagne. Je vous prie de concerter cela avec le général
+ Lassègnez.</p>
+
+<p>Par votre lettre du 13, vous m'annoncez qu'on procède à la formation
+ des équipages, cette opération doit être achevée aujourd'hui.</p>
+
+<p>Il faut que les bâtiments qui partent soient bien armés, et je ne
+ puis m'abstenir de vous recommander particulièrement <i>le Vétéran</i>.</p>
+
+<p>L'un des deux contre-amiraux a élevé la question si M. Jérôme
+ Bonaparte commanderait en second ou s'il prendrait rang dans le
+ commandement d'après l'ancienneté de son grade?</p>
+
+<p>M. Jérôme est capitaine de vaisseau en date du 1<sup>er</sup> vendémiaire de
+ cette année, an XIV.</p>
+
+<p>L'empereur n'ayant donné aucun ordre qui lui fût particulier
+ relativement au commandement, la règle ordinaire du service doit
+ naturellement être suivie.</p>
+
+<p>Si dans la division de Gênes que M. Jérôme a commandée, il a eu sous
+ ses ordres des officiers plus anciens en grade que lui, cela a été
+ une suite d'un ordre particulier de Sa Majesté, qui n'a point eu
+ lieu dans le cas présent.</p>
+
+<p>Je remarque dans votre lettre du 15 qu'il est quelques vaisseaux
+ auxquels vous ne complétiez d'abord que 100 jours d'eau. Je ne puis
+ qu'approuver la successive progression de ce complément, mais il
+ importe que toute l'escadre ait définitivement 4 mois d'eau au
+ moment du départ.</p>
+
+<p>J'ai lieu d'espérer que le 30, les deux divisions seront enfin
+ prêtes à mettre à la voile, ne négligez rien pour devancer ce terme,
+ s'il est possible, et continuez à m'informer par chaque courrier du
+ progrès des travaux.</p>
+
+<p>Dès que les escadres seront prêtes, vous m'en avertirez par le
+ télégraphe; ni l'une, ni l'autre ne devront appareiller avant
+ d'avoir reçu, soit par le télégraphe, soit par courrier, l'ordre de
+ mettre sous voiles, en réponse à votre lettre télégraphique.</p>
+</div>
+
+<p>L'amiral Willaumez au ministre de la marine (6 décembre 1805):</p>
+
+<p class="lettre">Monseigneur, le vent est faible et variable depuis plusieurs jours,
+ du nord-ouest à l'ouest. Aujourd'hui, il est au sud-ouest, le ciel
+ est brumeux et quoique le baromètre soit haut, l'opinion générale
+ est que nous aurons un coup de vent du sud-ouest. Ce sera après ce
+ temps, lorsqu'il viendra à souffler de la partie du nord, que je
+ pourrai appareiller et faire bonne route. Je désire très ardemment
+ que ce moment arrive bientôt. Je dois dire à Votre Excellence que
+ c'est aussi le v&oelig;u <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> de toute l'escadre, particulièrement
+ de M. le commandant Jérôme. Il se tient à son bord, y surveille les
+ exercices avec la plus grande exactitude et ne cesse de donner
+ l'exemple du zèle, de l'activité, du talent. Il me disait hier: «Une
+ demi-heure après votre signal d'appareiller, je suis sous voiles.»
+ Je verrai avec grand plaisir qu'avant mon départ, S. M. veuille
+ mettre M. Jérôme à la tête des capitaines de vaisseau. Je suis
+ persuadé, Monseigneur, que vous reconnaîtrez dans cette demande que
+ j'ai suivi avec une attention particulière et sans préjugés, la
+ conduite de votre ami dans le service, et que c'est cette conduite
+ qui seule a fixé mon jugement.</p>
+
+<p>Voici maintenant la lettre de Willaumez à Jérôme:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Cette lettre particulière que j'ai l'honneur de vous écrire est
+ dictée par les circonstances et mon attachement pour votre personne.
+ Souffrez que je vous parle d'amitié.</p>
+
+<p>Je vous engage à ne pas écrire au ministre avec humeur, vous pouvez
+ bien lui faire sentir que vous jugez devoir être plus longtemps
+ dehors qu'il ne vous l'avait fait espérer, mais conservez-le comme
+ un ami chaud qui a de l'esprit et qui ne laisse pas échapper les
+ occasions de vous servir auprès de S. M. Vous sentez, d'un autre
+ côté, que vous me mettriez mal avec S. E. si elle apprenait tout ce
+ que vous savez de confidentiel sur mes instructions.</p>
+
+<p>N'oubliez jamais, je vous en supplie, que tous les regards des
+ marins sont tournés vers vous, particulièrement dans l'escadre; de
+ votre exemple peuvent suivre ses succès ou sa perte.</p>
+
+<p>Je ne considère pas ici mon intérêt particulier auprès de l'honneur
+ de notre marine et de la gloire des armes de notre magnanime
+ souverain; il est nul, mais je ne puis vous dissimuler que si on
+ venait à s'apercevoir de votre mécontentement, il en pourrait
+ résulter une influence fâcheuse sur mes opérations et comme vous, un
+ des premiers affligé si nous ne réussissions pas dans toutes nos
+ entreprises, je ne doute nullement que vous ne contribuiez autant
+ par votre conduite que par vos moyens à animer chacun
+ d'encouragement, de détermination et de résolution à bien faire
+ jusqu'au dernier jour.</p>
+
+<p>L'escadre est bien composée, l'esprit des hommes de toutes classes
+ est fort bon; nous pouvons faire de grandes choses. Nous parcourons
+ des climats doux et une navigation facile nous conduit
+ infailliblement à faire beaucoup de mal aux implacables ennemis de
+ la France.</p>
+
+<p>L'expérience que vous acquérez chaque jour vous sera très utile pour
+ le service de votre pays et la prospérité de la marine à la tête de
+ laquelle vous êtes destiné à vous trouver.</p>
+
+<p>Écoutez les conseils d'un homme qui aime sa patrie, qui est tout
+ <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> dévoué au service de notre empereur et qui vous
+ affectionne de c&oelig;ur depuis plusieurs années.</p>
+
+<p>Faites-moi l'amitié de croire que je n'ai dans cette conduite que
+ l'amour de la gloire que me tracent les instructions de S. M. et
+ votre intérêt personnel. Un sacrifice de quelques mois vous vaudra
+ nombre d'années de bonheur et vous fera obtenir de votre auguste
+ frère toutes sortes de satisfactions.</p>
+</div>
+
+<p>Jérôme répondit à Willaumez:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur le général, je reçois votre lettre, je ne puis vous savoir
+ mauvais gré de ce que vous m'y dites. Cependant, je croyais vous
+ avoir plus que persuadé que rien ne me détournerait de mon devoir et
+ que j'ai un intérêt trop direct à la réussite de nos opérations pour
+ afficher un mécontentement que je n'ai point. La tenue de mon
+ vaisseau et de mon équipage, la manière dont l'un et l'autre
+ man&oelig;uvrent ont dû vous prouver que si tous les vaisseaux et
+ équipages de l'escadre imitaient mon exemple, les uns et les autres
+ y gagneraient.</p>
+
+<p>Monsieur le général, quant aux peines morales, vous savez qu'elles
+ ne se guérissent pas facilement. Je vous remercie du sentiment qui a
+ dicté votre lettre, et la seule chose qui puisse m'y déplaire c'est
+ que vous m'ayez pu croire un enfant susceptible de faire partager
+ aux autres les contrariétés que je puis éprouver.</p>
+</div>
+
+<p>Nous ne raconterons pas la campagne de Willaumez qui ne fut pas
+heureuse. Nous dirons toutefois que cet amiral, après avoir commis
+la faute de faire connaître à Jérôme des choses qu'il devait tenir
+secrètes, après avoir désigné pour son second ce jeune homme, après
+l'avoir consulté sur ses opérations, eut le tort de ne pas suivre
+les avis du capitaine du <i>Vétéran</i>, qui montra alors une grande
+sagacité.</p>
+
+<p><i>Le Vétéran</i>, s'étant trouvé séparé de l'escadre, revint seul en
+France, échappa aux vaisseaux anglais, se mit à l'abri dans la baie
+de la Forêt, sur les côtes de Bretagne, près Concarneau.</p>
+
+<p>Decrès, mécontent du retour de Jérôme et n'étant pas éloigné
+d'admettre que le jeune capitaine s'était égaré volontairement,
+semblait disposé au blâme; mais tel ne fut pas l'avis de l'empereur
+qui, ayant des vues sur son jeune frère, le reçut à merveille, puis
+lui donna le titre de prince, le grand cordon de la Légion d'honneur
+et le nomma contre-amiral.</p>
+
+<p>Bientôt il ordonna son passage de l'armée de mer dans l'armée de
+terre, le fit général de division et lui confia un corps de Bavarois
+et <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> de Wurtembergeois, à la tête duquel le jeune prince
+fit, pendant la guerre de Prusse, en 1806 et 1807, la conquête des
+places fortes de la Silésie. Il fut très utile à la grande armée
+opérant contre les forces de la Prusse et de la Russie, car cette
+armée lui dut en plusieurs circonstances son ravitaillement, et par
+contre la possibilité des succès qui amenèrent la paix de Tilsitt et
+la création du royaume de Westphalie.</p>
+
+<p>La campagne de Silésie comme celle de Willaumez sont deux pages
+d'histoire qui ont trouvé une large place dans les deux premiers
+volumes des <i>Mémoires du roi Jérôme</i> et dans les deux volumes
+intitulés: <i>Opérations du 9<sup>e</sup> corps de la grande armée en 1806 et
+1807.</i></p>
+
+<p>Nous résumons seulement en quelques mots la campagne de Willaumez.
+Les instructions de Napoléon à l'amiral intiment: de tenir la mer
+quatorze mois avec ses six vaisseaux et ses deux frégates, de se
+rendre de Brest dans l'Océan Atlantique méridional, de faire relâche
+au Cap un mois pour s'y refaire; de répandre le bruit qu'il se
+rendait à l'Île-de-France, et, au lieu de prendre à l'est, de
+revenir vers l'ouest, à vingt lieues de Sainte-Hélène, d'y établir
+une croisière pour enlever les convois anglais venant des Indes; de
+se porter ensuite vers les Antilles, de saccager aux Barbades les
+établissements anglais; de remonter sur Terre-Neuve pour en détruire
+les pêcheries, et de revenir dans un port de France sur l'Océan,
+après avoir attaqué partout l'ennemi trouvé inférieur en forces.</p>
+
+<p>Willaumez remplit mal les intentions de l'empereur. Il commença par
+envoyer une de ses frégates prendre à Sainte-Croix de Ténériffe
+quelques prisonniers faits dans les premiers jours de la navigation.
+Au moment où la frégate arriva à Sainte-Croix, cette colonie étant
+tombée aux mains des Anglais, elle se rendit au Cap, où elle fut
+capturée. Le contre-amiral, à cette nouvelle, renonçant à la relâche
+au Cap, se porta autour de Sainte-Hélène, manqua le passage des
+convois des Indes et se rendit à San-Salvador pour y faire de l'eau.
+Il resta vingt jours dans la baie de Tous-les-Saints, et le 23 avril
+mit le cap sur Cayenne, puis sur la Martinique, ayant renoncé à son
+excursion sur les Barbades. Le 15 août, une forte tempête dispersa
+ses bâtiments. Déjà le 29 juillet Jérôme avait perdu l'escadre. Ses
+vaisseaux eurent différents sorts, lui-même revint à grand'peine à
+Brest au commencement de 1807 sur <i>le Foudroyant</i>.</p>
+
+<p>Le vaisseau <i>le Vétéran</i> avait pour second le capitaine de frégate
+Halgan, ancien commandant du brick <i>l'Épervier</i>, devenu amiral,
+<span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> homme de mer consommé et ami de Jérôme. Il fut chargé par
+le ministre de faire alléger le bâtiment et de le faire entrer dans
+le port de Concarneau.</p>
+
+<p>Ce brave officier avait à son bord le fils de M. de Salha, autre
+marin dont le père joua un rôle en Westphalie. M. de Salha père,
+aide-de-camp du prince Jérôme pendant la campagne de Silésie, en
+relation avec son ancien camarade Halgan, lui écrivit le 27 mai
+1807, du quartier général de Jérôme, alors à Schweidnitz, une lettre
+qui nous a paru avoir une certaine importance. La voici:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Si mon fils avait été aussi prompt à suivre sa route qu'à quitter
+ Brest, il serait ici depuis longtemps. Je l'ai attendu avec la
+ dernière impatience depuis le 1<sup>er</sup> de ce mois, il arriva à Breslau
+ le 16 à 6 heures du soir, deux heures après mon passage, ayant été
+ expédié du camp de Frankeinstein pour aller porter à l'empereur la
+ nouvelle d'un assez joli succès de notre petit corps d'armée...
+ L'empereur est au château de Finkenstein, à une vingtaine de lieues
+ de Dantzick, j'ai dû attendre pendant plusieurs jours la réponse à
+ mes dépêches, j'arrivai hier et le prince au moment où il recevait
+ la petite relation de mon voyage fit entrer Prosper qui fut bientôt
+ dans mes bras. Arrivé depuis huit à dix jours, il a fait déjà deux
+ fois le service d'officier d'ordonnance et a été comblé de caresses
+ par le prince et tout ce qui l'entoure. Ce début enchante mon jeune
+ homme; un habit de hussard, des chevaux, c'est de quoi tourner une
+ tête de 18 ans, mais, à ma grande satisfaction, cela ne le distrait
+ pas du sentiment de la reconnaissance. Il prononce la sienne pour
+ vous avec une fréquence et une vivacité qui me persuadent de son bon
+ c&oelig;ur, qualité qui n'est pas aujourd'hui bien commune. Vous lui
+ avez fait, mon cher capitaine, quelques avances dont il croit le
+ montant de 540 francs. Son exactitude pourrait être en défaut à cet
+ égard et je vous prie de la redresser en réclamant le remboursement
+ qui vous est dû de M<sup>lle</sup> Christine Dapot, demeurant à Bayonne,
+ laquelle sera prévenue par ce courrier de vous faire toucher à Paris
+ ou partout ailleurs le montant de vos débours pour Prosper.</p>
+
+<p>Il m'eût été plus agréable, mon cher camarade, de m'acquitter ici.
+ Ma lettre précédente vous a prouvé que je l'espérai. L'empereur a
+ répondu en propres termes et de sa main qu'un capitaine comme vous
+ était trop intéressant à conserver dans le commandement d'un
+ bâtiment pour qu'on vous donnât actuellement l'ordre de prendre
+ votre poste auprès de notre jeune prince. Cet honorable témoignage
+ doit vous consoler un peu, votre place ici est assurée et le genre
+ de service que vous suivez aux yeux de S. M. et du prince
+ consolident vos droits qui n'ont pas besoin de l'être dans le
+ c&oelig;ur du prince. Ne vous affectez donc pas, <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> mon cher
+ camarade, la contrariété est pour vos camarades qui se félicitent de
+ compléter leur réunion en vous recevant.</p>
+
+<p>J'ai rapporté ici la nouvelle de la reddition très prochaine et sans
+ doute déjà effectuée de Dantzick dont la défense a été très
+ honorable pour le septuagénaire Kalkreuth. Sa place manquant de
+ poudre, la corvette le <i>Dauntlen</i> a essayé, à travers mille coups de
+ canon, d'en introduire 200 milliers. Le vent secondait
+ merveilleusement son audace, cette corvette est arrivée toutes
+ voiles dehors assez près des murs de la place, mais, ayant touché,
+ elle a dû se rendre; les rouges de Paris montèrent à l'assaut pour
+ déshabiller l'équipage. Cet événement était la conversation du
+ château. La possession de Dantzick amènera de nouveaux événements.
+ L'empereur n'est pas sans projets vastes sur la Baltique. Les Danois
+ nous aideront de tout leur pouvoir, les Prussiens branlent au manche
+ par la mésintelligence bien marquée entre les Russes et eux. S. M.
+ veut des officiers de marine sur les bords de la Baltique, etc.</p>
+
+<p>Prosper parle avec admiration de la tenue de votre frégate, agréez
+ les témoignages bien vrais de sa reconnaissance et de la mienne.
+ Présentez mes hommages à tout ce qui appartient à la famille du
+ respectable général Cafarelli.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;Meyronnet, après un mois de séjour auprès du roi de
+ Hollande, vient d'arriver; je lui ai transmis votre souvenir.</p>
+</div>
+
+<p>Le traité de Tilsitt, signé le 7 juillet 1807, reconnut dans
+l'Europe centrale un nouveau royaume, celui de la Westphalie, et
+pour souverain de cet État le plus jeune des frères de Napoléon,
+Jérôme, alors âgé de vingt-trois ans.</p>
+
+<p>La Westphalie fut formée: 1<sup>o</sup> de toute la Hesse électorale; 2<sup>o</sup> de
+contrées enlevées à la Prusse par la conquête, savoir: l'Eichsfeld,
+le Hohnstein, le Hartz, Halberstadt, Quedlinbourg, la Vieille
+Marche, le cercle de la Saale, Hildesheim, Paderborn, Minden et
+Ravensberg; 3<sup>o</sup> de contrées démembrées de l'Électorat: la Haute et
+Basse-Hesse, savoir: Hersfeld, Fritzlar, Ziegenhain, Pleisse,
+Schmalkalden.</p>
+
+<p>Ces différentes provinces furent unies entre elles par: le duché de
+Brunswick au nord, par le comté de Schaumbourg à l'ouest, celui de
+Wernigerode à l'ouest, le comté d'Osnabruck au nord-ouest, pays qui
+firent partie intégrante du nouveau royaume. On divisa le territoire
+en huit départements: 1<sup>o</sup> de l'Elbe au nord-est, chef-lieu
+Magdebourg; 2<sup>o</sup> de la Fulde au sud, chef-lieu Cassel, capitale du
+royaume; 3<sup>o</sup> du Hartz à l'est, chef-lieu Heiligenstadt; 4<sup>o</sup> de la
+Leine au centre, chef-lieu Gottingen; 5<sup>o</sup> de l'Ocker au nord,
+chef-lieu Brunswick; <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> 6<sup>o</sup> de la Saale au sud-est, chef-lieu
+Halberstadt; 7<sup>o</sup> de la Werra au sud-ouest, chef-lieu Marbourg; 8<sup>o</sup>
+du Weser au nord-ouest, chef-lieu Osnabruck.</p>
+
+<p>Pour la Westphalie comme pour Naples, l'Espagne, la Hollande,
+l'empereur consentait bien à affubler ses frères du manteau royal, à
+poser sur leur tête la couronne et à leur laisser le titre de roi,
+mais il n'en voulait faire réellement que les premiers préfets de
+son vaste empire. Les contributions, les impôts, d'après ses idées,
+devaient venir grossir les revenus de la France, les pays conquis et
+cédés devaient entretenir une partie de ses armées. Peu lui
+importait que les États de ses frères fussent accablés, pressurés,
+ruinés et incapables de subsister, il n'entendait donner qu'un
+citron dont il avait exprimé le jus.</p>
+
+<p>Ce fut surtout pour le royaume de Westphalie qu'il déploya toutes
+les rigueurs de son système de fer; aussi le jeune Jérôme, pendant
+les sept années de son règne, ne fut-il, par le fait, qu'un roi <i>in
+partibus</i> toujours dans la main puissante de son frère et n'osant se
+permettre, sans l'autorisation de l'empereur, la révocation d'un
+agent, le choix d'un ministre.</p>
+
+<p>La correspondance des Français envoyés par le gouvernement impérial
+en Westphalie, correspondance que nous allons publier en grande
+partie, fera comprendre mieux que toute autre chose la pression
+exercée par Napoléon I<sup>er</sup> sur le nouveau royaume et sur son jeune
+souverain.</p>
+
+<p>L'empereur commença par dicter un projet de constitution par lequel
+il se réservait la moitié des domaines allodiaux des princes
+dépossédés, fixait le contingent du royaume à 25,000 hommes de
+toutes armes, dont moitié fournis par la France, mais <i>soldés</i> et
+<i>entretenus</i> par la Westphalie; le conseil d'État, les États du
+royaume étaient constitués. Le projet, en outre, imposait le Code
+Napoléon, la conscription comme loi fondamentale et défendait
+l'enrôlement à prix d'argent.</p>
+
+<p>Cette constitution, signée de lui le 15 novembre 1807, il l'envoya
+au roi son frère, avec ordre de la promulguer telle quelle et de la
+faire exécuter, lui laissant pour toute faculté celle de la
+compléter par des règlements discutés en son conseil d'État.</p>
+
+<p>Le conseil d'État fut divisé en trois sections: justice et
+intérieur, finances, guerre; les États furent composés de cent
+membres; la Chambre des comptes de vingt membres laissés à la
+nomination du <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> roi; le ministère de six ministres à
+portefeuille: secrétairerie d'État et des relations extérieures,
+justice et intérieur, finances, commerce et trésor, guerre, haute
+police.</p>
+
+<p>En attendant l'arrivée à Cassel du nouveau roi, une régence
+administra au nom de l'empereur, percevant les impôts, faisant
+rentrer les contributions de guerre et payant les dépenses des
+troupes françaises qui occupaient le territoire. Les membres de
+cette régence étaient: le comte Siméon, le comte Beugnot et M.
+Jollivet, conseillers d'État, le général de la Grange, gouverneur de
+la Hesse. Elle eut ordre de fonctionner jusqu'au 1<sup>er</sup> décembre;
+mais, comme l'empereur n'avait pas révoqué les administrateurs
+français, les malheureuses provinces continuèrent à être pressurées
+au milieu d'un conflit incessant. Tantôt les ordres de la régence
+étaient méconnus par les agents de l'autorité impériale, tantôt ces
+derniers étaient forcés de céder le pas au gouvernement provisoire.</p>
+
+<p>Dès qu'il eut connaissance des intentions de Napoléon à son égard et
+du traité de Tilsitt, Jérôme, impatient d'avoir des notions exactes
+sur le royaume dont la couronne lui était donnée, fit partir deux de
+ses aides de camp, les colonels Morio et Rewbell, avec mission de se
+rendre en Allemagne et de lui faire des rapports sur les provinces
+composant ses États.</p>
+
+<p>Nous allons mettre sous les yeux du lecteur deux lettres de Morio et
+une de Rewbell, adressées à Jérôme avant l'arrivée de ce dernier en
+Westphalie:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Morio à Jérôme.</p>
+<p class="date">Minden, 2 août 1807.</p>
+
+<p>Votre Majesté sait que Hildesheim est une belle et riche province.
+ Le comté de Schauenburg est encore plus beau. Ce pays est, ainsi que
+ Lippe, Buckeburg, cultivé comme un jardin. Il a des mines de
+ houille, peu productives à la vérité, mais qui peuvent peut-être
+ gagner avec une administration plus éclairée. Les jolis bains de
+ Nenndorf qui ne sont qu'à trois milles d'Hanovre dépendent de
+ Schauenburg.</p>
+
+<p>J'ai oublié de dire à Votre Majesté que les habitants de Hildesheim
+ voulaient prêter de suite, en mes mains, le serment de fidélité à
+ Votre Majesté. J'ai répondu que le serment se prêterait avec la
+ prise de possession qui aurait lieu le 1<sup>er</sup> septembre.</p>
+
+<p>Toutes les provinces attendent avec impatience ce moment de prise de
+ possession. Effectivement, il arrêtera les réquisitions, la sortie
+ d'argent; <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> et ce jour-là seulement votre peuple se croira
+ un corps de nation. Partout l'intendant général ou l'administrateur
+ général de la grande armée ont ordonné de vendre tout ce qui était
+ en magasin, et de presser la rentrée des fonds, comme si ces pays
+ devaient être rendus à un ennemi.</p>
+
+<p>Votre royaume, Sire, ne cesse pas d'être français, en passant dans
+ les mains de Votre Majesté. Aussi les ressources de l'État sont à
+ ménager par la France comme par nous. La remise au 15 août, de
+ toutes les sommes dues, ferait un bien grand effet en faveur de
+ Votre Majesté. Au reste plus de la moitié des provinces a payé la
+ totalité de l'imposition de guerre.</p>
+
+<p>Schauenburg sera réuni à Minden pour former un département. Tous
+ s'accordent à me dire que Harvensberg doit aussi entrer dans le même
+ arrondissement.</p>
+
+<p>Je vais ce matin visiter l'abbaye de Corvey<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a><a href="#footnote96" title="Lien vers la note 96"><span class="smaller">[96]</span></a> pour remplir
+ l'instruction de Votre Majesté relativement à la dotation de son
+ ordre de chevalerie.</p>
+
+<p>Minden était tout prussien il y a huit jours. La nouvelle certaine
+ de la paix et du traité qui la cède à Votre Majesté, l'a changée
+ totalement. Elle attend avec joie votre arrivée; elle se promet de
+ grands avantages: 1<sup>o</sup> du rapprochement de la capitale; 2<sup>o</sup> de la
+ réunion au royaume, de Brunswick, de Hildesheim, de Schauenburg; 3<sup>o</sup>
+ du commerce avec la France; 4<sup>o</sup> des routes qu'elle croit voir
+ établies par la ville pour les communications du Rhin avec l'Elbe.</p>
+
+<p>Minden est beaucoup mieux placée que Hammeln pour être place de
+ guerre. Ainsi, dès que l'empereur fait raser la place hanovrienne,
+ il sera plus simple et plus militaire de fortifier un jour Minden,
+ si l'on veut un point fort sur le Weser. Nienburg hanovrien est
+ totalement rasé depuis quelque temps.</p>
+
+<p>Les provinces de Minden et de Harsewinkel envoient aussi des députés
+ à Paris.</p>
+
+<p>On est très content ici de l'intendant M. Sicard, sous-inspecteur
+ aux revues. Il m'accompagne à Corwey et à Paderborn qui sont de son
+ ressort.</p>
+
+<p>Je serai peut-être ce soir à Paderborn; dans tous les cas je serai
+ le 4 au soir de retour à Cassel et partirai le 5 ou le 6 pour Paris,
+ où j'arriverai le 12.</p>
+
+<p>La population de vos sujets ne s'élevant qu'à 1,900,000 et celle des
+ vassaux à 300,000 âmes au plus, il serait possible que l'empereur
+ <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> augmentât votre pays. Alors, Sire, tous les hommes
+ éclairés désirent d'abord quelques arrondissements dans le Hanovre,
+ ensuite le cours de l'Ems.</p>
+
+<p>Osnabruck n'a que 36,000 âmes; et cependant je devrais en faire un
+ département. Le Teklenburg est aux portes de la ville même
+ d'Osnabruck. Si Votre Majesté pouvait obtenir cette petite province,
+ elle arrondirait ce département coupé par Teklenburg. En général, on
+ voudrait avoir le cours de l'Ems depuis sa naissance dans la
+ principauté de Ravensberg jusqu'à son entrée dans la principauté
+ d'Arenberg. Cela vous donnerait une petite portion de la province de
+ Münster avec Teklenburg et Lingen. Je parlerai plus au long de cela
+ dans mon mémoire.</p>
+
+<p>Dans ma première lettre de Cassel, j'ai parlé de l'importance de
+ Schmalkaden, situé près Eisenach, à cause de la fabrique de fusils.
+ Votre Majesté trouvera au Harz les bâtiments d'une ancienne fabrique
+ qui a été détruite par les Français, sous le maréchal prince
+ Bernadotte, et dont les ouvriers ont été envoyés en France. Votre
+ Majesté pourra la rétablir.</p>
+
+<p>J'ai oublié de dire à Votre Majesté qu'elle avait à Brunswick un
+ théâtre français soutenu des fonds du feu duc.</p>
+
+<p>Les forêts de Minden sont mal entretenues. Le grand maître des
+ forêts n'est pas bon. Au reste, dans la plupart des provinces
+ prussiennes, les bois n'ont pas une police très sévère. Les agents
+ sont pourtant instruits. Il manquait la volonté du gouvernement.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Morio à Jérôme.</p>
+<p class="date">Paderborn, 3 août 1807.</p>
+
+<p>Corvey me paraît très propre à la dotation et au dépôt de votre
+ ordre de chevalerie. Les bâtiments sont beaux et spacieux, situés
+ sur le Weser, au centre du royaume. J'aurai l'honneur d'en parler à
+ Votre Majesté, en détail, à mon arrivée à Paris.</p>
+
+<p>Corvey et Paderborn manquent de route. Le premier pays a plus de
+ 5000 âmes par mille.</p>
+
+<p>Dans ces deux provinces, j'ai été reçu en <i>triomphateur</i>, au son des
+ cloches et par les magistrats à la tête de tout le peuple des lieux
+ que je traversais. À Paderborn surtout, on m'a rendu des honneurs et
+ fait des fêtes extraordinaires. Le directeur des postes est venu à
+ la tête d'une douzaine de postillons jouant du cor, m'attendre à une
+ lieue. J'ai trouvé une garde d'honneur à cheval à trois quarts de
+ lieue de la ville, et toute la garde nationale à pied en dehors de
+ la ville, avec un peuple immense, <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> criant: Vive l'empereur!
+ Vive le roi Jérôme! On avait placé des signaux sur la route par
+ laquelle j'arrivais et envoyé des estafettes au-devant de moi.</p>
+
+<p>J'ai été conduit en triomphe au milieu de toute la ville jusqu'au
+ palais du comte de Wesghall, chez qui j'étais logé. Le peuple s'est
+ jeté sur ma voiture et l'a dételée. Tout ce que j'ai pu faire alors,
+ a été de mettre pied à terre pour éviter des honneurs que j'ai cru
+ n'appartenir qu'à la personne même de Votre Majesté et non point à
+ son agent. Le peuple n'en a pas moins conduit ma voiture jusqu'au
+ palais qui m'était destiné. Un arc de triomphe avait été dressé en
+ verdure; on y lisait en latin et en allemand: <i>Vive Jérôme Napoléon,
+ roi de Westphalie.</i></p>
+
+<p>Toutes les autorités de la province, toutes les corporations sont
+ venues complimenter en moi l'empereur Napoléon, et leur nouveau roi.
+ J'ai conservé une foule d'adresses en français que je porterai à
+ Votre Majesté. Toutes respirent l'enthousiasme pour le grand
+ empereur et pour son digne et auguste frère; mais toutes ces
+ adresses sont froides à côté de l'ivresse populaire. Jusqu'aux
+ enfants de quatre ans qui étaient <i>en corps</i> avec des drapeaux, des
+ branches d'arbres. On a jeté des fleurs sur mon passage dans vingt
+ endroits. Sur mon palier étaient placées des jeunes filles vêtues de
+ blanc, qui ont couvert les marches de fleurs, au moment de mon
+ passage.</p>
+
+<p>Le prince évêque m'a ensuite donné un très beau dîner auquel ont
+ assisté les premières personnes de la province. Tout le peuple était
+ sous les fenêtres avec une musique nombreuse qu'il a interrompue
+ cent fois par des vivat.</p>
+
+<p>Je le répète encore aujourd'hui à Votre Majesté, je ne conçois pas
+ ce qu'on pourra faire pour elle, après ce qu'on a fait pour son
+ envoyé.</p>
+
+<p>On donne ce soir un grand bal pour moi.</p>
+
+<p>J'ai visité la résidence qui est à trois quarts de lieue de la
+ ville. C'est un vieux château qui n'est plus propre qu'à une
+ caserne.</p>
+
+<p>Cette province est presque toute catholique. Elle m'a demandé, comme
+ les autres, la permission d'envoyer des députés à Paris, porter à
+ vos pieds, Sire, l'hommage d'un peuple entièrement dévoué et
+ remercier Sa Majesté l'empereur du cadeau qu'elle leur a fait de son
+ auguste frère.</p>
+
+<p>Les eaux minérales de Briburg sont susceptibles d'un grand
+ accroissement. Votre Majesté a cinq eaux minérales fréquentées dans
+ son royaume, outre une dizaine d'autres sources qui pourraient être
+ exploitées également.</p>
+
+<p>Ce sont deux bonnes provinces que Corvey et Paderborn; mais il reste
+ beaucoup à faire pour elles. Point de débouché, point d'industrie,
+ point de commerce. Tout le monde demande des grandes routes. J'ai
+ <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> assuré que c'était un des premiers objets dont
+ s'occuperait Votre Majesté.</p>
+
+<p>Paderborn a payé toute sa contribution de guerre. Cette capitale est
+ la seule où je n'aie pas trouvé l'accise établie. Les Prussiens
+ n'avaient pas encore osé l'introduire.</p>
+
+<p>Je partirai demain matin à 3 heures pour Cassel où je serai le soir.
+ Je visiterai en route deux maisons royales de Hesse.</p>
+
+<p>Une chronique fort plaisante et fort extraordinaire est la sienne.
+ C'est le 24 juillet 1802 que l'on apprit à Paderborn la fâcheuse
+ nouvelle de la réunion de cette province à la monarchie prussienne;
+ et ce fut le 3 août suivant que le premier agent prussien (général
+ comte Schlamberg) parut dans cette ville. C'est aussi le 24 juillet
+ 1807 que l'on sut à Paderborn la réunion de cette province à la
+ Westphalie; et c'est encore le 3 août que le premier agent du roi de
+ Westphalie est venu dans Paderborn. Il n'y a eu de différence que
+ dans la réception. Toutes les portes et fenêtres étaient fermées
+ pour l'entrée des Prussiens, et des arcs de triomphe ont été dressés
+ pour recevoir les Français.</p>
+
+<p>Le jour même de l'entrée des Prussiens, les agents de cette cour
+ firent ôter de la grande salle de la régence tous les tableaux
+ (assez mal peints d'ailleurs) qui s'y trouvaient. Un seul, jugé un
+ peu meilleur, fut conservé. Ce tableau y est encore, et il se trouve
+ que c'est un saint Jérôme.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Rewbell à Jérôme.</p>
+<p class="date">Cassel, 5 août 1807.</p>
+
+<p>Votre Majesté m'ayant ordonné de lui rendre compte des moindres
+ détails de ses résidences, j'ai l'honneur de lui envoyer l'état du
+ linge de table et de lit qui se trouve dans les châteaux de Cassel
+ et de Wilhelmsh&oelig;he.</p>
+
+<p>Le major Zurwenstein est arrivé aujourd'hui vers les quatre heures
+ avec les chevaux de Votre Majesté. Tous sont en fort bon état. Le
+ passage continuel des troupes par Cassel, la pauvreté des habitants
+ m'a entièrement détourné de l'idée de loger militairement les gens
+ de l'écurie. J'ai donc pris le parti de conseiller au major
+ d'accorder un traitement de 8 gros à chaque palfrenier, en outre de
+ ses gages, pour sa nourriture. J'espère, Sire, que cette mesure sera
+ approuvée par vous, et qu'elle se trouvera d'accord avec vos
+ sentiments. Je continuerai ce traitement jusqu'à ce qu'il plaise à
+ Votre Majesté de fixer les salaires d'une manière définitive de sa
+ maison, ou jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement.</p>
+
+<p>Les chevaux des aides de camp et leurs domestiques ont été placés
+ <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> provisoirement dans les écuries du château de
+ Wilhelmsh&oelig;he où ils seront surveillés très sévèrement. Cette
+ mesure m'a encore paru nécessaire pour éviter, dans les premiers
+ moments, toute espèce de désordre et de mécontentement. La grande
+ surcharge de logement qui pèse particulièrement sur Cassel
+ m'enhardit, quoique Votre Majesté ne m'ait chargé que du
+ gouvernement de Cassel et de Wilhelmsh&oelig;he, à lui communiquer
+ quelques réflexions tendantes au bien général de son royaume.</p>
+
+<p>La route militaire depuis plus de sept mois traverse la Hesse; il y
+ a quatre gîtes: <i>Marbourg</i>, <i>Hosdoy</i>, <i>Wabern et Cassel</i>; dans ce
+ dernier toutes les troupes qui viennent de France ont séjour.</p>
+
+<p>Les fournitures en tous genres auxquelles les habitants ont dû
+ pourvoir ont épuisé ce pays, qui aujourd'hui peut espérer quelques
+ soulagements. Le moyen de les lui procurer serait d'obtenir une
+ division de la route militaire, surtout pour le retour de l'armée;
+ et cette division peut aisément avoir lieu en dirigeant tout ce qui
+ doit se rendre dans le midi de la France par Marbourg et Strasbourg,
+ ce qui doit se rendre dans l'intérieur, partie par Erfurt, Hanau,
+ Mayence, partie par Brunswick, Cassel et Mayence, et ce qui doit
+ aller dans le Nord, par la Westphalie et Wesel.</p>
+
+<p>Il y aurait parce moyen, Sire, quatre routes: celles de Wurtzbourg,
+ de Cassel, d'Erfurt et de Wesel. Toutes à la vérité traverseront
+ encore une partie des états de Votre Majesté; mais au moins la
+ charge sera partagée, le fardeau en sera plus supportable,
+ l'écoulement des troupes plus facile.</p>
+
+<p>Il restera à organiser le service sur les différents points d'étape,
+ et à savoir s'il conviendrait mieux de faire un service régulier,
+ que de laisser les administrations locales y pourvoir, comme cela se
+ pratique aujourd'hui.</p>
+
+<p>En Hesse, les magasins de l'État présentent des ressources, que
+ peut-être on ne trouve pas dans les autres provinces; et alors sans
+ approvisionnements formés d'avance, il est à craindre que le service
+ ne manque, surtout s'il se présente des masses.</p>
+
+<p>Toujours est-il, je crois, Sire, avantageux de faire fixer les
+ routes que l'armée prendra et les gîtes où elle recevra ses
+ subsistances, sauf à prendre ensuite telles dispositions que Votre
+ Majesté jugera convenable.</p>
+</div>
+
+<p>Morio ne se borna pas à envoyer des lettres et des rapports au roi,
+il prit des dispositions relatives aux finances, mesure que
+l'intendant général Daru trouva fort mauvaise et dont il référa à
+l'empereur par la lettre ci-dessous, écrite de Berlin, en date du 5
+août 1807:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Par suite des dispositions générales prescrites pour la vente de
+ tous les objets qui appartiennent à l'armée, l'administration
+ française était <span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> au moment de traiter pour les <i>sels
+ fabriqués</i> qui existent dans l'arrondissement de Magdebourg, lorsque
+ M. Morio, colonel aide de camp de Sa Majesté le roi de Westphalie a
+ invité au nom de ce prince M. l'administrateur général des finances
+ à faire surseoir à ces ventes, en lui annonçant qu'on faisait à cet
+ égard des démarches auprès de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Je supplie Votre Majesté de me faire connaître si ce sursis doit
+ être maintenu, ou si je dois faire procéder à la vente des sels et
+ autres objets qui doivent être réalisés au profit de l'armée dans la
+ partie de la Prusse échue à Sa Majesté le roi de Westphalie, de la
+ même manière que dans les autres provinces prussiennes, pour tout ce
+ qui a été reconnu être la propriété de l'armée, et inventorié avant
+ l'époque où la remise des provinces sera faite au roi.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur envoya l'ordre à Daru de ne rien changer aux dispositions
+prises, et nous ne serions pas étonné que de là date le peu de
+sympathie que Napoléon témoigna toujours depuis à Morio.</p>
+
+<p>Le roi Jérôme arriva à la résidence de Wilhelmsh&oelig;he, près Cassel,
+à laquelle il donna le nom de Napoléonsh&oelig;he, le 7 décembre 1807;
+il adressa une proclamation à ses sujets, choisit neuf conseillers
+d'État et nomma ministres provisoires: MM. Siméon (justice et
+intérieur), général Lagrange (guerre), Beugnot (finances), Jollivet
+(trésor et comptes). Il décréta en outre que les fonctions de la
+régence du royaume cesseraient à dater de ce jour, et donna l'ordre
+de tenir à sa disposition les fonds existant dans les caisses de
+l'État depuis le 1<sup>er</sup> décembre. Toutes ces dispositions paraissaient
+fort naturelles et Jérôme ne devait pas supposer que son frère
+voulût le faire roi d'un pays épuisé par les exigences de la France
+et hors d'état de faire face même aux premières et aux plus
+indispensables dépenses. C'est cependant ce qui arriva.</p>
+
+<p>Daru, l'intendant général de la grande armée, homme strict, dur,
+ayant d'ailleurs des instructions précises, fut chargé de faire
+verser les contributions de la Westphalie dans les caisses de
+l'armée française. Il refusa de laisser exécuter l'ordre du roi pour
+les fonds réclamés par le jeune souverain et en référa de nouveau à
+Napoléon qui approuva sa conduite.</p>
+
+<p>Jérôme, sans un sou pour l'État, n'ayant pour lui-même que dix-huit
+cent mille francs empruntés à la caisse des dépôts et consignations
+de Paris, se décida à faire exposer à l'empereur par ses nouveaux
+ministres, anciens membres de la régence, la position financière de
+la Westphalie.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> MM. Beugnot, Jollivet et Siméon firent un rapport duquel il
+ressortait que le pays était en déficit de six millions; que
+l'entretien des troupes françaises coûterait trois millions de plus
+que la somme affectée au budget de la guerre, et que, par
+conséquent, le nouveau roi allait commencer son règne avec une dette
+de neuf millions, somme énorme, à cette époque, pour un royaume
+comme la Westphalie. Ce rapport exposait en outre: que l'on ne
+pouvait espérer soutenir les recettes en 1808 sur le pied de l'année
+1807, surtout si l'empereur exigeait l'acquittement de la
+contribution extraordinaire de guerre; qu'il était impossible
+d'augmenter les impôts dans un pays privé de tout commerce, où
+l'agriculture était en souffrance, où les peuples n'étaient pas
+jadis imposés, les souverains remplacés par le roi, vivant avec
+leurs revenus et soldant les dépenses de l'État.</p>
+
+<p>Les ministres du roi concluaient à un emprunt et imploraient la
+bienveillance de l'empereur. Napoléon, avant de prendre une
+décision, fit étudier la question par son propre ministre des
+finances qui lui adressa un contre-rapport duquel il résultait: 1<sup>o</sup>
+que les revenus de la Westphalie pouvaient être estimés à quatre
+millions de plus; 2<sup>o</sup> que la dépense pour la perception était
+exagérée; 3<sup>o</sup> que néanmoins il était impossible d'exiger
+immédiatement la contribution extraordinaire de guerre et la
+contribution ordinaire; 4<sup>o</sup> que la proposition d'un emprunt devait
+être prise en sérieuse considération.</p>
+
+<p>À cet exposé de l'état pitoyable des finances westphaliennes
+ajoutons encore: qu'il était dû un arriéré de trois mois dans tous
+les services; que le roi réclamait le paiement des six premiers mois
+de sa liste civile, fixée à cinq millions, et le paiement, par
+anticipation, des six derniers; que les agents impériaux avaient
+touché d'avance les revenus et n'avaient acquitté aucune dépense.</p>
+
+<p>Au moment où l'état des choses était ainsi exposé à Napoléon, ce
+dernier apprit par son frère lui-même un acte de générosité qui lui
+parut déplacé et ridicule. Jérôme l'informa par lettre du 28
+décembre qu'il venait de créer comte de Furstenstein et de donner
+une terre de quarante mille livres de rente à son secrétaire Le
+Camus<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a><a href="#footnote97" title="Lien vers la note 97"><span class="smaller">[97]</span></a>. L'empereur <span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> s'empressa de témoigner son
+mécontentement à Jérôme par une lettre en date du 5 janvier 1808, et
+déclara que si son frère trouvait de l'argent pour payer des favoris
+et des maîtresses, il saurait bien en trouver pour solder ses
+dettes.</p>
+
+<p>Ce don de la terre de Furstenstein à M. Le Camus ne fut nullement
+bien vu des Allemands, ainsi que le prétendait le roi Jérôme dans sa
+lettre à l'empereur. Cette affaire lui fit le plus grand tort dans
+l'esprit positif et organisateur de Napoléon. Il devait en être
+ainsi. En effet, n'est-il pas singulier de voir le jeune roi
+annoncer pompeusement, dans sa lettre du 28 décembre, qu'il a cru
+devoir imiter ses prédécesseurs dans cette circonstance et faire un
+don de quarante mille livres de rente à son secrétaire, lorsque
+trois jours auparavant, le 25, il écrivait pour exposer sa misère,
+disant qu'il n'avait pas un sou dans sa caisse<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a><a href="#footnote98" title="Lien vers la note 98"><span class="smaller">[98]</span></a>?</p>
+
+<p>Outre ce sujet de mécontentement contre son frère, l'empereur en
+trouva un autre dans une lettre en forme de note qui lui fut
+adressée de Cassel, par M. Jollivet, à la fin de décembre 1807; la
+voici:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le peuple de Cassel s'est singulièrement refroidi depuis l'arrivée
+ du roi. On chante misère, on se plaint. Les choses ne vont pas comme
+ on se l'était promis.</p>
+
+<p>Les Français qui s'étaient rendus en Westphalie se retirent en foule
+ et entièrement mécontents. On se désole à la ville, on se déplaît à
+ la cour où il n'y a, dit-on, ni argent, ni plaisir. Tout le monde
+ est triste.</p>
+
+<p>Le roi ne reçoit pas beaucoup de témoignages de respect. Rarement le
+ salue-t-on dans les rues où il passe souvent à cheval. Il a perdu
+ dans l'opinion publique. Quelques affaires de galanterie lui ont
+ déjà nui. On sait dans le public qu'une des femmes de la reine a été
+ renvoyée à cause de lui. Le premier chambellan (M. Le Camus) avait
+ néanmoins trouvé moyen de retenir cette femme à Cassel pour le
+ compte de son maître. La reine a insisté pour qu'elle en sortît. La
+ police l'en a enfin débarrassée. M. le Camus passe pour un serviteur
+ complaisant de son roi. Une comédienne de Breslau, que le roi y
+ avait connue pendant sa campagne de Silésie, doit avoir été attirée
+ à Cassel par les soins <span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> de M. Le Camus et par ordre de son
+ maître. On raconte quelques autres histoires du même genre. Les
+ mères de Cassel qui ont de jolies filles craignent de les laisser
+ aller aux bals et aux fêtes de la cour. La reine est aimée. On
+ craint beaucoup pour son bonheur domestique.</p>
+
+<p>Le chef de la police de Cassel (M. La Jarriette) passe pour un
+ brouillon et pour un bavard. Sa police est le secret de la comédie
+ et elle ne sert qu'à indisposer tout le monde. C'est un homme
+ tranchant, plein de jactance et qui veut que personne n'ignore ce
+ qu'il fait. Il paraît surtout attacher de l'importance à être maître
+ de tous les secrets de la poste et il s'y prend de manière à ce que
+ tout le monde le sache. Puis il s'amuse à colporter les histoires
+ d'amour qu'il a surprises; puis il cherche à se donner les airs d'un
+ homme qui a toute la confiance du roi, toute celle de la reine et
+ toute celle des ministres. On le regarde comme un intrigant et comme
+ un sot. Du reste, il ne contribue pas peu à indisposer les habitants
+ de Cassel contre la cour et à leur faire prendre une mauvaise idée
+ du gouvernement. Le tout va fort mal.</p>
+</div>
+
+<p>Ce genre de lettre en forme de note ou <i>bulletin</i> était fort souvent
+employé par les agents de l'empereur sur son désir, et nous verrons
+bientôt l'ambassadeur de France à la cour de Cassel, M. le baron de
+Reinhard, agir de même, par ordre.</p>
+
+<p>Napoléon, loin de venir en aide à son frère Jérôme, maintint ses
+prétentions sur les domaines, sur la contribution de guerre de
+vingt-six millions payable en douze mois, et l'intendant-général
+Daru ainsi que M. Jollivet<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a><a href="#footnote99" title="Lien vers la note 99"><span class="smaller">[99]</span></a> reçurent des instructions très
+positives pour exiger une rente de sept millions sur les revenus des
+domaines. Le dernier, en vertu d'un décret du 3 janvier 1808, fut
+chargé, sous la direction immédiate de Daru, de l'exécution des
+articles relatifs aux arrangements avec la Westphalie pour la
+fixation des contributions arriérées ordinaires et de guerre, pour
+le partage de tous les domaines dont moitié pour l'empereur et
+moitié pour le roi, et eut défense d'occuper aucun emploi dans le
+nouveau royaume.</p>
+
+<p>Jérôme et la reine Catherine quittèrent Napoléonsh&oelig;he et firent
+leur entrée à Cassel, fort bien accueillis par la population; mais,
+ainsi que nous l'avons dit, en montant sur le trône le jeune roi se
+trouva immédiatement aux prises avec les grandes difficultés de la
+grosse question financière.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> La Westphalie pouvait produire un revenu net d'une
+quarantaine de millions, en y comprenant ceux des domaines; mais les
+dépenses du budget s'élevaient à trente-sept millions, il fallait
+servir trois à quatre millions pour l'intérêt de la dette et
+l'empereur réclamait vingt-cinq millions de la contribution de
+guerre. Comment faire face à de pareilles exigences avec une aussi
+modique ressource?</p>
+
+<p>Depuis le jour où les troupes françaises étaient entrées dans les
+pays devant former le royaume de Westphalie, c'est-à-dire depuis le
+1<sup>er</sup> octobre 1806 jusqu'au 1<sup>er</sup> octobre 1807, le trésor français
+avait encaissé tous les revenus, ne payant que la partie la plus
+indispensable des choses locales. Un arriéré considérable existait
+donc déjà au 1<sup>er</sup> octobre 1807, et il n'y avait rien dans les
+caisses du royaume. La rentrée des contributions ordinaires était en
+outre paralysée par la concurrence que lui faisait la perception de
+la contribution de guerre, et le roi lui-même, avec les dix-huit
+cent mille francs de son emprunt à Paris, ne pouvait aller bien
+loin. Aussi le jeune prince dut-il avoir recours, pour sa personne,
+à un emprunt de deux millions qu'il fit négocier à des conditions
+onéreuses avec un banquier juif nommé Jacobson.</p>
+
+<p>Daru, appelé à Cassel auprès de Jérôme, eut un entretien très long
+avec lui, mais ne céda sur aucune question. Il fut convenu que ce
+qui restait dû de la contribution de guerre serait acquitté par la
+Westphalie par douzième, à dater du 1<sup>er</sup> juillet 1808, au moyen
+d'obligations; que le roi conserverait la gestion des domaines
+jusqu'au partage définitif.</p>
+
+<p>M. Jollivet pour l'empereur, M. de Malchus pour le roi, furent
+chargés des détails de la liquidation qui traîna encore en longueur
+et fut un sujet de mécontentement exprimé sans cesse par l'empereur
+à son frère. Enfin la convention fut signée, à la date du 22 avril
+1808, sous le nom de traité de Berlin. La dette de la Westphalie fut
+totalisée à vingt-six millions, pour l'acquittement desquels il fut
+remis d'abord douze millions cent trente mille francs d'obligations
+avec première échéance au 1<sup>er</sup> mai 1808. Sept millions de revenus
+annuels furent assurés à l'empereur sur les biens des domaines.</p>
+
+<p>Par la suite, pour s'acquitter envers la France, le gouvernement de
+Jérôme dut recourir à un emprunt forcé de vingt millions.</p>
+
+<p>Au commencement de janvier 1808, Jérôme éprouva une sorte de
+satisfaction en recevant la décoration de la Couronne de fer; il
+écrivit le 18 à l'empereur, à cette occasion:</p>
+
+<p class="lettre"><span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> Sire, je viens de recevoir par M. Mareschalchi la
+ décoration de la Couronne de fer que Votre Majesté a bien voulu
+ m'envoyer. Cette faveur m'est bien précieuse parce qu'elle me donne
+ une preuve certaine de la continuation des bontés de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Nous allons donner une série de lettres écrites en 1808, que nous
+annotons, et qui n'ont pas trouvé place, pour un motif ou pour un
+autre, soit dans la correspondance de l'empereur, soit dans les sept
+volumes des Mémoires du roi Jérôme. Voici d'abord une lettre
+particulière de M. de Salha à Halgan qui jette un certain jour sur
+la cour de Cassel et sur le nouveau royaume.</p>
+
+<p>M. de Salha, capitaine de frégate, embarqué avec Jérôme et Halgan,
+devenu un des aides de camp du roi, brave marin, mais esprit
+ordinaire, nommé en 1809 comte de H&oelig;ne, fut d'abord gouverneur
+des pages, puis ministre de la guerre après le général d'Albignac.
+Halgan, resté au service de France, y devint amiral. Il avait
+commandé le brick <i>l'Épervier</i> et était second sur le vaisseau <i>le
+Vétéran</i>, pendant la campagne de Willaumez. Salha et Halgan étaient
+fort liés. Ce dernier revit le prince Jérôme à Paris, sous le second
+empire.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, 18 janvier 1808.</p>
+
+<p>Je tiens trop à votre amitié, mon cher Halgan, pour différer une
+ réponse à votre lettre des premiers jours de cette année, je le
+ suppose, car elle est sans date. Mes regrets de ne vous avoir pas
+ trouvé à Paris sont des plus grands. Cette circonstance eût donné
+ peut-être une direction différente au courant qui m'a mené en
+ Westphalie. Le roi a exigé rigoureusement en partant ma démission.
+ J'ai fait un vrai sacrifice en renonçant à mon titre d'officier
+ français. Prosper<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a><a href="#footnote100" title="Lien vers la note 100"><span class="smaller">[100]</span></a> a été pour beaucoup dans cette détermination
+ qui peut me laisser encore des regrets à venir. Les vôtres pendant
+ quelques instants ont pu avoir des motifs contraires; s'ils
+ existaient encore, je vous dirais que les événements vous ont
+ parfaitement bien servi. Votre position est mille fois préférable à
+ toute autre ici. Vous conservez un titre réel près de S. M. et vous
+ jouissez en même temps des avantages d'un état dont rien ne vous
+ aurait dédommagé dans ce lieu d'exil; la gêne de la cour, la
+ contrainte d'une étiquette rigoureuse, l'embarras des places, le
+ caractère de courtisan enfin n'avait pas de quoi vous plaire. Le roi
+ travaille de son mieux à organiser et à préparer des moyens de
+ prospérité pour l'avenir, ils ne se réaliseront pas tant que l'on
+ exigera sévèrement la rentrée des contributions dont ce pays était
+ grevé à notre arrivée. Notre liste civile de <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> 5 millions
+ est bien maigre pour deux jeunes souverains également magnifiques
+ dans leurs goûts. Il nous faudrait les coudées franches, au lieu de
+ cela nous sommes contrariés par les volontés du roi des rois, qui a
+ retenu une inspection suprême sur ce nouveau royaume. Nous régnons à
+ demi dans une résidence dont il est bien difficile d'écarter
+ l'ennui. Le roi donne souvent des bals, des parties ou courses de
+ traîneaux, nous avons aussi une Comédie française sous la
+ surintendance de Le Camus, connu aujourd'hui sous le nom de comte de
+ Furtenstein, titre accompagné d'une terre, fief de la couronne, de
+ 11,000 écus valant de revenu net 40,000 francs de France pour lui et
+ ses héritiers. C'est de quoi obtenir la main de la plus belle et de
+ la plus noble Westphalienne. Le grand maréchal Megronnet est aussi
+ pressé par le roi de se marier, le docteur Garnier<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a><a href="#footnote101" title="Lien vers la note 101"><span class="smaller">[101]</span></a> leur en
+ donne l'exemple; il épouse la fille d'un payeur, nommé M. Balti, née
+ à Bayonne; l'amoureux docteur sera au comble de ses v&oelig;ux
+ d'aujourd'hui en huit et recevra sans doute des témoignages
+ sensibles des bontés de nos jeunes souverains.</p>
+
+<p>En arrivant ici, le roi m'a nommé colonel, ainsi que la plupart de
+ ses aides de camp; de plus il m'a donné la direction en chef de la
+ maison des Pages, de fort bons appointements, mais qui se fondent
+ ici avec une rapidité extraordinaire, en sorte qu'aucun de nous ne
+ peut se flatter au bout de l'année d'avoir cent louis pour aller
+ chercher des jouissances dont on ressent si fort la privation au
+ milieu d'un peuple apathique si étranger à notre caractère et à nos
+ usages. Ceci est une véritable émigration; quand reverrons-nous
+ notre heureuse patrie? La maladie, dite du pays, atteint les
+ Français en Hollande, à Naples, et comment y échapper en Westphalie?</p>
+
+<p>Écrivez-moi quelquefois, mon cher Halgan, parlez de moi au général
+ Cafarelli et à toute sa famille pour qui je conserverai toute la vie
+ les sentiments du plus grand attachement et d'une parfaite
+ reconnaissance. Combien j'ai été peiné de ne pas m'être trouvé à
+ Paris avec le digne préfet et de n'avoir pu causer avec lui, je l'ai
+ dit plusieurs fois à l'ami Rouillard dans le peu d'instants où nous
+ nous sommes vus.</p>
+
+<p>Je ne veux pas me laisser entraîner plus longtemps au plaisir de
+ causer avec vous. Prosper vous offre les v&oelig;ux d'un c&oelig;ur
+ reconnaissant, et moi ceux de l'attachement le plus durable. Je ne
+ puis vous parler de M. de Chambon parce qu'il est toujours à Paris.</p>
+
+<p>Un mot de souvenir à Dupetit-Thouars, quand vous le verrez.</p>
+</div>
+
+<p>M. Béranger, directeur de la caisse d'amortissement de Paris, à
+laquelle Jérôme avait emprunté, avant son départ pour Cassel, une
+somme de dix-huit cent mille francs, ayant réclamé le versement de
+<span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> cette somme au ministre des finances de Westphalie et n'en
+ayant pas reçu satisfaction, envoya à Napoléon la note ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">17 mars 1808.</p>
+<p class="center"><i>Caisse d'amortissement,</i></p>
+
+<p>Sire, il n'y a pas eu de variations sensibles dans le cours des
+ effets. Je viens de recevoir une lettre du ministre des finances de
+ Westphalie qui me renvoie au trésorier de la Couronne pour le
+ paiement des termes échus de l'emprunt de 1,800,000 francs.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur écrivit de sa main en marge de cette note:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Renvoyée au roi de Westphalie pour se faire rendre compte pourquoi
+ son ministre se moque ainsi de ses engagements et tire sur une
+ caisse qui n'est pas, j'espère, à ses ordres.</p>
+
+<p>Paris, 17 mars 1808.</p>
+<p class="sig smcap">Napoléon.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 2 février 1808.</p>
+
+<p>Sire, je viens de recevoir du général de division
+ Lefebvre-Desnouettes, grand-major de ma couronne, la communication
+ d'une lettre du maréchal Bessières par laquelle je vois qu'il a plu
+ à Votre Majesté de l'appeler auprès d'elle en qualité de colonel des
+ chasseurs de sa garde<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a><a href="#footnote102" title="Lien vers la note 102"><span class="smaller">[102]</span></a>.</p>
+
+<p>J'avouerai à Votre Majesté que j'avais toujours regardé le général
+ Lefebvre comme devant rester à mon service, que j'étais assuré à cet
+ égard par son contentement personnel et par la lettre de passe qui
+ lui avait été expédiée par ordre de Votre Majesté et que, l'ayant
+ nommé depuis général de division et grand écuyer du royaume, cette
+ nouvelle m'a vivement affecté.</p>
+
+<p>Ce n'est pas, Sire, que je ne me regarde toujours comme heureux de
+ faire quelque chose qui soit agréable à Votre Majesté, mais elle
+ sentira encore que j'aurais eu le droit d'attendre, avant tout
+ autre, une communication plus officielle de cette décision.</p>
+
+ <p>Dans cet état de choses, j'attendrai à connaître le désir de Votre
+ Majesté avant que de me résoudre à laisser partir le général
+ Lefebvre <span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> de mes états, mais je crois ne pas devoir laisser
+ ignorer à Votre Majesté combien j'étais loin de m'attendre à ce
+ changement.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 23 février 1808.</p>
+
+<p>Sire, je reçois à l'instant la lettre que Votre Majesté a bien voulu
+ m'écrire de Paris, en date du 16<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a><a href="#footnote103" title="Lien vers la note 103"><span class="smaller">[103]</span></a>. Je prie Votre Majesté de
+ croire que je n'ai absolument en vue que de faire tout ce qui peut
+ lui convenir; si j'ai mal fait dans cette circonstance, c'est par
+ ignorance. Je ferai cependant observer à Votre Majesté que je
+ n'avais désigné un ministre pour Vienne que d'après la lettre de M.
+ de Champagny, écrite de Milan, dont j'ai envoyé la copie à Votre
+ Majesté. J'ai eu tort de choisir M. de Merweld, mais j'ignorais
+ absolument ce qui se passe. Il m'avait fait cette demande, il est
+ riche et avait des parents à Vienne; j'ai encore cru bien faire,
+ j'en ai rendu compte à Votre Majesté qui ne m'a rien répondu;
+ cependant il ne partira pas, mais je désirerais savoir (comme il
+ était déjà désigné pour aller à Vienne), si Votre Majesté croit
+ qu'il y aurait de l'inconvénient à l'envoyer à Munich. J'attendrai
+ au reste à connaître les intentions de Votre Majesté. Je le répète,
+ Sire, je n'ai qu'un désir, celui de faire tout ce qui peut convenir
+ à Votre Majesté.</p>
+
+<p>Quant à M. d'Hardenberg, il m'a été proposé par les conseillers de
+ Votre Majesté, ainsi que les sept autres préfets, et, comme je n'en
+ connaissais aucun, j'ai approuvé le travail parce que je ne pouvais
+ le juger, sauf à le rectifier par la suite. Au reste, je puis dire à
+ Votre Majesté que je suis fort content de M. d'Hardenberg et qu'il
+ n'est pas le frère de celui de Prusse, mais un parent très éloigné.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté d'être persuadée que si je recevais plus
+ souvent de ses lettres, je ferais tout ce qu'elle désire, ne m'étant
+ proposé en montant sur le trône que de rendre mes peuples heureux et
+ de contenter en tout Votre Majesté auprès de laquelle je serais bien
+ plus heureux.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 26 février 1808.</p>
+
+<p>Sire, étant informé que M. Jollivet doit se plaindre à Votre Majesté
+ de n'avoir pas été invité à la fête qui a eu lieu pour
+ l'anniversaire de la naissance de la reine, j'ai voulu prévenir
+ Votre Majesté des motifs <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> qui m'ont décidé, afin d'éviter
+ le plus léger doute sur mes intentions qui seront toujours d'être
+ agréable à Votre Majesté.</p>
+
+<p>La fête qui s'est donnée était tout à fait intime et dans une très
+ petite maison de campagne, cependant deux conseillers d'État
+ français y étaient invités, tandis que mon ministre de la guerre ne
+ l'était pas. Ce motif aurait été suffisant, mais il en existe un
+ autre. Il est arrivé plusieurs fois que M. Jollivet, invité à la
+ cour, n'y venait point, non plus que sa femme; que d'autres fois ils
+ s'y rendaient bien, mais se permettaient de sortir du cercle avant
+ que la reine ni moi en fussions sortis, quoique cela leur ait été
+ plusieurs fois reproché.</p>
+
+<p>Je ne rends compte de cette circonstance à Votre Majesté que parce
+ que mon plus vif désir est de la persuader que je n'ai d'autre but
+ que de lui plaire.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 12 mars 1808.</p>
+
+<p>Sire, je viens de recevoir la lettre du 6 mars que Votre Majesté a
+ bien voulu m'écrire. Les reproches qu'elle m'adresse sur l'audience
+ des Juifs ne me sont pas applicables; c'est M. Siméon qui les a
+ convoqués à mon insu et je les ai reçus dans mon cabinet, sans
+ aucune cérémonie, et ignorant absolument tout ce qu'ils allaient me
+ dire. Ceux aussi que Votre Majesté me fait relativement au <i>Moniteur
+ Westphalien</i> doivent également être appliqués à MM. Siméon et
+ Beugnot. Ils m'ont proposé une gazette officielle, ils l'ont dirigée
+ et je me suis borné à leur dire de faire ce qu'ils jugeraient
+ convenable à ce sujet.</p>
+
+<p>M. Beugnot a sollicité depuis huit jours la permission de retourner
+ à Paris pour le mariage de sa fille et pour des affaires
+ particulières, et il n'est resté jusqu'à ce jour à Cassel que parce
+ que j'ai désiré qu'il assistât au Conseil d'État pendant la
+ discussion du projet sur les forêts qui est de la plus grande
+ importance sous le rapport des finances<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a><a href="#footnote104" title="Lien vers la note 104"><span class="smaller">[104]</span></a>.</p>
+
+<p>M. Siméon paraît désirer rester auprès de moi et je le garde avec
+ autant de plaisir que j'en aurais eu à conserver M. Beugnot, s'il
+ l'avait accepté.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté de croire que dans toutes les circonstances je
+ chercherai toujours à faire ce qui pourra lui être agréable.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 13 mars 1808.</p>
+
+<p>Sire, je viens de recevoir à l'instant la nouvelle de Vienne que le
+ <span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> comte Charles de Grüne, nommé ministre de l'Autriche près
+ de moi, était sur son départ pour Cassel. Je supplie Votre Majesté
+ de me dire qui je dois envoyer à Vienne.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse auquel je n'ai fait d'autre communication que celle
+ de mon avènement au trône, a jugé à propos de m'écrire, en outre de
+ la réponse à cette notification, une lettre particulière dans
+ laquelle il m'exprime le désir qu'il a que nous établissions le plus
+ tôt possible entre nous les communications qu'il désire de voir
+ subsister. Comme j'ignore où nous en sommes avec ces deux cours, je
+ désire que Votre Majesté veuille me dire ce que je dois faire et
+ qu'elle soit persuadée, quant aux insinuations faites à Vienne par
+ l'entremise du ministre de Hollande, que c'est une légèreté de ma
+ part dont je sens la conséquence et qui n'est due qu'à la présence
+ de ce ministre auprès de moi que j'ai chargé, lors de son départ
+ pour Vienne et sans réflexion, de ma communication.</p>
+
+<p>J'espère que Votre Majesté n'a pu me supposer d'autres motifs ni
+ intentions dans cette circonstance et je me plais à croire qu'elle
+ connaît trop bien la pureté de mon c&oelig;ur et de mes sentiments pour
+ me taxer un seul instant d'ingratitude.</p>
+</div>
+
+<p>On voit par cette lettre combien le jeune roi se faisait petit
+auprès de son frère, sous la dépendance duquel il était en tout et
+pour tout. La lettre suivante corrobore ce que nous avançons:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Napoléonsh&oelig;he, 14 mai 1808.</p>
+
+<p>Sire, le comte de Wintzingerode, mon sujet, m'a été présenté
+ dernièrement. Il m'a demandé d'être envoyé comme ministre
+ plénipotentiaire près la cour de Vienne. Cette mission m'ayant paru
+ trop délicate pour me décider sur le champ, je m'empresse de
+ consulter Votre Majesté afin qu'elle me fasse connaître ses
+ intentions à cet égard.</p>
+
+<p>J'attendrai la réponse de Votre Majesté avant de donner une solution
+ au comte de Wintzingerode.</p>
+</div>
+
+<p>Le comte de Wintzingerode, ministre de Westphalie à la cour de
+France en 1810, fut très hostile, après 1815, à son ancien souverain
+et à la reine.</p>
+
+<p>Au commencement de juin 1808, l'empereur fit écrire par Berthier au
+roi Jérôme pour se plaindre de ce que les soldats français étaient
+vexés, refusés dans ses hôpitaux, et que, si cela continuait, il
+enverrait dans le pays quinze mille hommes.</p>
+
+<p>Les rapports faits à Napoléon à cet égard étaient faux. Ajoutons que
+les mêmes reproches, aussi injustes, étaient adressés à la même
+<span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> époque aux rois d'Espagne et de Hollande. Il est permis de
+penser que c'était une sorte de: <i>garde à vous!</i> envoyé à ses frères
+par l'empereur.</p>
+
+<p>Jérôme répondit le 12 juin au prince de Neufchâtel:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon cousin, j'ai reçu la lettre que V. A. S. m'a écrite de la part
+ de Sa Majesté l'Empereur et Roi, mon auguste et très honoré frère.
+ J'ai chargé mon ministre de la guerre de répondre à V. A., quant à
+ ce qui concerne les fausses calomnies que l'on se plaît à débiter
+ sur le mauvais traitement qu'éprouvent les Français dans mon
+ royaume.</p>
+
+<p>V. A. S. m'ajoute que si ces prétendues vexations continuent, S. M.
+ l'Empereur enverra 15,000 Français dans mes États! S. M. peut le
+ faire sans doute! mais ne doit-elle pas être convaincue que, malgré
+ l'extrême pauvreté de mes sujets, si les Français ne pouvaient plus
+ exister dans les pays au delà de l'Elbe, je n'attendrais aucun ordre
+ pour partager avec eux ce qui pourrait me rester!..... N'est-elle
+ pas bien persuadée encore, que le titre qui m'est le plus cher, est
+ celui de prince français, et que je regarde comme mon premier devoir
+ celui de les faire respecter!</p>
+
+<p>Je répondrai toutefois à V. A. que je suis instruit par mes
+ ministres, et que je me suis assuré par moi-même, dans la tournée
+ que j'ai faite dans mes États: que toutes les plaintes, que toutes
+ les rixes qui ont eu lieu et qui ont indisposé mes sujets, n'ont
+ existé que parce que, depuis mon avènement au trône, les officiers,
+ soldats, voyageurs et courriers français ont continué dans mes États
+ les mêmes vexations qu'ils y exerçaient en temps de guerre, sans
+ réfléchir ni avoir égard à l'inviolabilité et au respect dus à un
+ royaume aussi étroitement allié que dévoué entièrement à la France;
+ mais pouvais-je l'empêcher?</p>
+
+<p>J'ai chargé mon ministre de la justice de mettre sous les yeux de V.
+ A. S. les différentes plaintes qui sont parvenues au pied du trône,
+ dans l'espace de deux semaines; V. A. y verra que des officiers se
+ logent de force chez les bourgeois; que des soldats battent des
+ paysans et des citoyens paisibles; que des courriers maltraitent ou
+ tirent des coups de fusils à des postillons; que des douaniers
+ insultent jusqu'à des officiers et les menacent de leur ôter leur
+ épée; que des canonniers forcent des corps de garde, etc.; et tout
+ cela par la seule raison qu'ils sont Français, et que les
+ Westphaliens sont faits pour leur obéir.</p>
+
+<p>Ce que j'ai fait en Silésie en de pareilles circonstances, ce que
+ j'ai fait, dans toutes les occasions où j'ai commandé sous Sa
+ Majesté l'Empereur, je n'ai pas voulu le faire comme roi de
+ Westphalie; j'ai fermé les yeux sans agir (et la lettre de V. A. S.
+ me prouve que j'avais bien prévu), parce que j'ai craint que S. M.
+ ne m'accusât de partialité.</p>
+
+<p>Cependant l'Empereur peut-il croire que j'oublie un instant que ma
+ <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> première patrie est la France, et que je regarde comme ma
+ plus grande gloire celle de ne l'avoir quittée que pour lui servir
+ d'avant-garde!</p>
+
+<p>J'espère et je me plais à croire que V. A. S., en mettant sous les
+ yeux de S. M. l'Empereur ma lettre et celles de mes ministres, la
+ convaincra que non seulement les rapports qui lui ont été faits sont
+ faux, mais encore qu'ils sont méchants; et que si quelque chose de
+ ce genre pouvait exister, ce ne serait qu'à moi seul, comme
+ souverain gouvernant par moi-même, et non par mes ministres, qu'il
+ faudrait s'adresser.</p>
+</div>
+
+<p>Si le roi Jérôme consentait volontiers à exécuter en tout et pour
+tout les volontés de son frère et à reconnaître sa suprématie même
+sur les affaires intérieures de ses États, comme il aimait le faste
+et la représentation, il lui sembla que la création d'un ordre de
+chevalerie dans le genre de l'ordre de la Légion d'honneur de France
+ferait bien en Westphalie et attirerait sur son royaume une certaine
+considération. Il imagina donc une décoration et consulta l'empereur
+à cet égard par la lettre suivante, datée de Napoléonsh&oelig;he, 11
+juillet 1808.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je soumets à l'approbation de Votre Majesté l'institution d'un
+ ordre royal de Westphalie. L'assemblée des États, dont je suis déjà
+ fort content, devant terminer sa mission dans un mois, je désirerais
+ lui communiquer ce projet avant cette époque, si Votre Majesté y
+ consentait.</p>
+
+<p>Je sais que cette institution plaira beaucoup aux Allemands. Votre
+ Majesté connaît leur caractère; beaucoup d'entre eux ont été obligés
+ de quitter leurs décorations, et rien ne leur sera plus agréable que
+ de voir fonder un nouvel ordre de leur royaume.</p>
+
+<p>J'ai conservé depuis le commencement de l'année, pour la dotation de
+ cet établissement, les revenus de l'abbaye de Quedlimbourg et ceux
+ de la grande prévôté de Magdebourg s'élevant à 300,000 fr. par an;
+ ainsi rien ne m'arrêtera de ce côté.</p>
+
+<p>Les grand'croix, les commandeurs et les chevaliers jouiront d'un
+ revenu annuel de 2,000 fr., et, indépendamment de la croix que je ne
+ compte pas donner aux simples soldats à moins de circonstances
+ extraordinaires, j'ai l'intention de créer des médailles d'or et des
+ médailles d'argent: les premières, du revenu de 150 fr.; les autres,
+ de 100 fr.<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a><a href="#footnote105" title="Lien vers la note 105"><span class="smaller">[105]</span></a>.</p>
+
+<p>En outre de cette base générale, il serait nommé parmi les
+ grand'croix et les commandeurs dix grandes et vingt petites
+ commanderies: les premières, du revenu de 10,000 fr.; les secondes,
+ de celui de 5,000 fr.</p>
+
+<p>Je remets à Votre Majesté le dessin de cet ordre; elle y verra
+ l'aigle <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> comme la marque distinctive de notre maison, et le
+ gros bleu comme la couleur du royaume. Je n'ai pas encore adopté de
+ devise.</p>
+
+<p>Au reste rien n'est fait et ne le sera que Votre Majesté ne m'ait
+ répondu. Je lui présente seulement mes premières idées sur ce
+ projet, d'après la connaissance que j'ai du bon effet qui
+ résulterait de son exécution.</p>
+</div>
+
+<p>On prétend que l'empereur, qui avait souvent le mot pour rire, en
+examinant le dessin très surchargé de la croix de Westphalie, dit en
+plaisantant: <i>Il y a bien des bêtes dans cet ordre-là.</i></p>
+
+<p>Néanmoins l'ordre de Westphalie fut créé, suivant le désir de
+Jérôme, mais il ne subsista pas longtemps.</p>
+
+<p>Le retard de Jérôme dans le paiement à la caisse des dépôts de son
+emprunt de dix-huit cent mille francs indisposa à tel point
+l'empereur contre son frère qu'il lui adressa plusieurs dépêches
+très dures. Jérôme répondit, le 28 juillet 1808, de
+Napoléonsh&oelig;he, une lettre très digne que voici:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je reçois les différentes lettres que Votre Majesté m'a
+ écrites en réponse à celles que j'ai eu l'honneur de lui adresser.
+ Je ne m'attendais pas à la réponse qu'elle m'y fait. Que puis-je
+ répondre, Sire, à Votre Majesté, lorsqu'elle me dit que ce que je
+ fais n'est pas d'un homme d'honneur! Sans doute, dans ce cas, je
+ suis bien malheureux puisque je ne peux mourir après l'avoir lu.</p>
+
+<p>Si je n'ai pas payé les 1,800,000 fr. que je dois à la caisse
+ d'amortissement, c'est que je ne les avais pas et que je pensais que
+ l'intention de Votre Majesté n'était pas que je payasse des intérêts
+ ruineux pour m'acquitter envers elle; mais, Sire, je viens
+ d'ordonner qu'un emprunt égal à cette somme fût fait de suite,
+ n'importe à quel taux; et, avant trois mois, mes billets seront
+ retirés. Sire, je suis de votre sang, et jamais je ne me suis écarté
+ de la route de l'honneur que Votre Majesté m'a tracée, et, dans les
+ circonstances difficiles, elle trouvera en moi un frère prêt à tout
+ lui sacrifier.</p>
+
+<p>Si Votre Majesté veut me faire l'honneur de croire ce que je lui
+ dis, je puis lui donner ma parole que je n'ai pas entendu parler ni
+ reçu de lettres de M. Hainguerlot<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a><a href="#footnote106" title="Lien vers la note 106"><span class="smaller">[106]</span></a> depuis mon départ de Paris.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> Une nouvelle inconséquence de Jérôme indisposa encore
+beaucoup Napoléon à son égard. Le jeune prince aimait le luxe, les
+fêtes, l'étiquette. Tout en se plaignant de la modicité de sa liste
+civile, il ne fut pas plus tôt sur le trône qu'il se donna une cour
+fastueuse copiée sur celle des Tuileries et fort en dehors de toute
+proportion avec l'exiguïté de ses États; qu'on en juge.</p>
+
+<p>Il créa: un grand maréchal du palais, Meyronnet, son ancien
+lieutenant à bord de <i>l'Épervier</i>, qu'il fit comte de Willingerode;
+deux préfets du palais, Boucheporn et de Reyneck; trois maréchaux ou
+fourriers du palais, les colonels de Zeweinstein et Bongars, M.
+Barberoux-Wurmb; un grand-chambellan, le comte de
+Waldenbourg-Truchsess; quinze chambellans, Le Camus, le comte de
+Bohlen, le baron de Hammerstein, le baron Bigot de Villandry, le
+comte de Wesphallen, M. d'Esterno, le baron de Hartz, le comte de
+Velsheim, Cousin-Marinville, le baron de Munchenhausen, le baron de
+Sinden, le baron de Spiegel, le baron d'Assebourg, le comte de
+Meerveld, le baron de D&oelig;rnberg; un grand-maître des cérémonies,
+le comte de Bocholtz; huit maîtres ou aides des cérémonies, MM. de
+Courbon, Marseille-Laflèche, Beugnot, baron de Gondmain, Gardine,
+comte de Pappenheim; plus de vingt aides de camp ou officiers
+d'ordonnance, le colonel de Salha, gouverneur des pages, Gérard, le
+prince de Hesse Philipsthal, de Spaderborn, Morio, Rewbell,
+d'Albignac, plus tard ministre de la guerre, Lefebvre-Desnouettes,
+que nous avons vu rappelé par l'empereur, le colonel
+Danstoup-Verdun, les généraux Du Coudras et Usslar; un grand-écuyer,
+six écuyers d'honneur, le comte de Stolberg-Wernigerode, le baron
+Lepel, le colonel Kl&oelig;sterlein; un premier aumônier, l'évêque
+baron de Wend; des aumôniers, des chapelains en grand nombre, trois
+secrétaires des commandements, Marinville, de Coninx, Bercagny; un
+grand-veneur, le comte de Hardenberg.</p>
+
+<p>La maison de la reine fut installée sur un pied tout aussi splendide
+et non moins nombreux: une grande-maîtresse, la comtesse de
+Truchsess; sept dames du palais, la comtesse de Gilsa, dont le mari
+était directeur des haras, la baronne de Pappenheim, MM<sup>mes</sup> Morio,
+Blanche Laflèche, Du Coudras, de Witzleben, la princesse de
+Hohenlohe-Kirchberg; plusieurs chambellans, les barons de
+Bodenhausen, <span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> de Pappenheim, de Bischoffshausen, de Schele;
+plusieurs écuyers d'honneur, le marquis de Maubreuil, le baron de
+Menguersen de Busche, M. de Malsbourg, le baron de Mesenholm; un
+secrétaire des commandements, M. de Pfeiffer.</p>
+
+<p>On comprend que Napoléon I<sup>er</sup> fut choqué d'un pareil dévergondage de
+gens inutiles que son frère payait fort cher, lui l'homme de guerre
+dont les prodigalités allaient toujours chercher les gens utiles
+dans toutes les professions, ou ceux qui risquaient sans cesse leur
+existence sur les champs de bataille.</p>
+
+<p>Aussi a-t-on vu qu'il avait tancé son frère d'une façon bien
+vigoureuse, puisqu'il l'accusait presque de manquer à l'honneur.
+Avec un peu plus de réflexion et de tenue, le jeune roi eût pu faire
+sur sa liste civile de cinq millions, surtout en Allemagne, au
+milieu d'un peuple simple et aux idées antiques, des économies qui
+lui eussent permis de payer son emprunt, ce qui eût en outre disposé
+favorablement Napoléon en sa faveur.</p>
+
+<p>Malgré les préoccupations constantes que donnaient à Jérôme l'état
+déplorable des finances du royaume et la rigidité inflexible de
+l'empereur à cet égard, malgré les remontrances incessantes de son
+frère, le jeune roi menait assez joyeuse vie à Cassel et à
+Napoléonsh&oelig;he, entouré de la vertueuse reine, d'un essaim de
+jolies femmes, de favoris toujours prêts à exécuter ses moindres
+fantaisies.</p>
+
+<p>Vers le commencement d'août 1808, quelques changements eurent lieu
+dans les rangs élevés. La secrétairerie d'État, d'abord confiée au
+savant Jean de Muller, passa aux mains de Le Camus, comte de
+Furtenstein, marié à la fille du grand-veneur, comte de Hardenberg,
+riche seigneur allemand. Le général Morio, un instant ministre de la
+guerre, céda son portefeuille à M. de Bulow, déjà ministre des
+finances depuis la rentrée en France de M. Beugnot. Jérôme fait
+connaître les motifs du changement de Morio à son frère, par une
+lettre en date du 16 août<a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a><a href="#footnote107" title="Lien vers la note 107"><span class="smaller">[107]</span></a>. Ce qui ne l'empêcha pas de rendre le
+portefeuille au général quelques jours plus tard.</p>
+
+<p>Au mois de septembre 1808, une sorte de petite émeute causée à
+Brunswick, chef-lieu de l'Ocker, par une circonstance insignifiante,
+éclata tout à coup. Rapport fut fait au roi, qui envoya cette pièce
+à son frère en lui demandant ses ordres:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center"><span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> <span class="smcap">Jérôme à Napoléon.</span></p>
+<p class="date">Napoléonsh&oelig;he, 8 septembre 1808.</p>
+
+<p>Sire, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté un rapport qui vient
+ de m'être fait par mon ministre des finances, chargé provisoirement
+ du département de la Guerre, relativement à un événement fâcheux qui
+ a eu lieu les 4 et 5 à Brunswick.</p>
+
+<p>Quelque grands que soient dans cette affaire les torts des gendarmes
+ français, je n'ai rien voulu ordonner à leur égard, sans connaître
+ les intentions de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Je soumets donc à Votre Majesté le rapport de mon ministre, ainsi
+ qu'il me l'a présenté, et je la prie de me faire connaître la
+ conduite qu'elle désire que je tienne en cette circonstance.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Rapport au roi Jérôme.</p>
+
+<p>Sire, je reçois des lettres du préfet de l'Ocker, du commandant de
+ place de Brunswick et du colonel Mauvillon, commandant le 2<sup>e</sup>
+ régiment de ligne, dont je m'empresse de présenter l'extrait à Votre
+ Majesté; elles confirment les détails des événements fâcheux qui ont
+ eu lieu à Brunswick dans les journées du 4 et du 5.</p>
+
+<p>Il résulte uniformément de ces divers rapports que le brigadier de
+ gendarmerie Lefèvre, accompagné des gendarmes Deligny et Chastelan,
+ eut au foyer de la Comédie une dispute avec quelques bourgeois. Ces
+ militaires n'étaient point en uniforme et paraissaient ivres. La
+ querelle s'étant continuée au sortir du spectacle, le brigadier
+ Lefèvre courut chez lui prendre son sabre, et, revenant armé à la
+ rencontre des bourgeois qui ne l'étaient pas, frappa le nommé
+ Lietge, maître vitrier, et le tua sur la place.</p>
+
+<p>Le brigadier Lefèvre meurtri au bras de plusieurs coups de bâton
+ qu'il venait de recevoir dans cette querelle fut, à l'instant même,
+ arrêté sur la place par un détachement de la garde qui rétablit la
+ tranquillité dans la rue, et l'ordre fut donné au juge de paix dans
+ l'arrondissement duquel venait d'être commis ce meurtre, de
+ commencer sur le champ l'instruction de l'affaire.</p>
+
+<p>Cependant le chef d'escadron Béteille, commandant la gendarmerie
+ française, fit mettre le meurtrier en liberté, et ne voulut point
+ déférer à la réquisition du commandant d'armes et du maire de la
+ ville de Brunswick qui demandaient l'arrestation des deux autres
+ gendarmes.</p>
+
+<p>Ce déni de justice produisit une impression fâcheuse, et la populace
+ laissa entrevoir le projet formé d'arracher le gendarme Lefèvre de
+ la maison où il était retiré. Le colonel Schraidt se décida à le
+ faire transporter <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> à l'hôpital dans une chaise et à
+ l'accompagner lui-même avec l'adjudant de place, le maire de la
+ ville, le commissaire de police et quelques autres fonctionnaires
+ publics. La vue de ces magistrats ne put contenir une multitude
+ furieuse, et une grêle de pierres fut lancée contre la chaise et le
+ cortège. Le gendarme Lefèvre en fut presque accablé. Bientôt
+ l'attroupement qui s'était formé autour de l'hôpital fut dissipé par
+ les soins et les instances du commandant Schraidt, mais ayant appris
+ dans la soirée que le peuple voulait encore forcer l'hôpital et
+ immoler le gendarme Lefèvre à sa vengeance, il fit demander la force
+ armée, et le colonel Mauvillon envoya un détachement de 30 hommes.
+ Cette troupe fut assaillie elle-même par les pierres qu'on lançait
+ de plusieurs maisons et par les injures de la populace.</p>
+
+<p>Le colonel Mauvillon doubla alors son détachement et marcha lui-même
+ en bon ordre avec son régiment à la hauteur de l'hôpital. Cependant
+ plusieurs soldats ayant été blessés par le peuple, il fît tirer
+ quelques coups de fusil en l'air pour l'effrayer. Toutes les avenues
+ furent occupées, et, après plusieurs tentatives, fermes et prudentes
+ à la fois, on parvint à dissiper les attroupements; une femme a été
+ tuée et un bourgeois blessé; le colonel Mauvillon pense que c'est
+ par les bourgeois eux-mêmes qui, à ce qu'il dit, ont tiré plusieurs
+ coups de fusil de leur côté. La ville fut parcourue toute la nuit
+ par des patrouilles, et la tranquillité n'a plus été troublée.</p>
+
+<p>Il paraît que les autorités civiles et militaires ont parfaitement
+ rempli leur devoir, et qu'elles ont été constamment animées du
+ meilleur esprit. Le colonel Mauvillon fait le plus grand éloge du
+ zèle et de l'activité qu'ont déployés le commandant et l'adjudant de
+ place; il s'applaudit aussi de la discipline et du calme manifestés
+ par les soldats du 2<sup>e</sup> régiment, en butte aux coups et aux insultes
+ de la populace; le dernier des recrues est demeuré ferme à son rang
+ et a obéi avec intelligence et promptitude à tous les ordres de son
+ chef.</p>
+
+<p>Aussitôt que l'ordre a été rétabli, on a fait arrêter les hôtes des
+ maisons d'où ont été lancées les pierres contre la force armée.</p>
+
+<p>Tous les rapports attestent que les gendarmes français qui ont donné
+ lieu à ce désordre ont eu le premier tort; plusieurs témoins
+ certifient que la dispute a été provoquée par eux, et que l'effet en
+ a été d'autant plus prompt et d'autant plus funeste qu'ils étaient
+ depuis longtemps haïs des bourgeois à cause de leurs vexations et de
+ leur insolence.</p>
+
+<p>Le colonel de Bongars<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a><a href="#footnote108" title="Lien vers la note 108"><span class="smaller">[108]</span></a>, envoyé sur les lieux par Votre Majesté,
+ est parti hier et lui transmettra un rapport plus circonstancié sur
+ ces événements.</p>
+
+<p class="date">Cassel, 8 septembre 1808.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> Napoléon lui répondit, le 14 septembre, qu'il fallait punir
+le gendarme français, mais surtout l'allemand qui avait été cause de
+l'émeute; qu'on l'assurait que la police était mal faite en
+Westphalie; que bientôt il aurait des émeutes plus sérieuses, et que
+si les gendarmes français lui étaient inutiles, il n'avait qu'à les
+renvoyer en France.</p>
+
+<p>Étant à Erfurt, l'empereur donna l'ordre de désigner pour la
+Westphalie, comme ministre de famille, le baron de Reinhard,
+diplomate distingué, qui se rendit immédiatement de Coblentz à Paris
+pour y recevoir du duc de Cadore, ministre des relations
+extérieures, les instructions les plus détaillées et les plus
+précises. Le baron de Reinhard arriva à Cassel à la fin de décembre
+1808. Il trouva le corps diplomatique composé des ministres dont les
+noms suivent: de Wurtemberg, baron de Geinengen; de Saxe, comte de
+Sch&oelig;nburg; de Bavière, comte de Leichenfeld; de Hollande,
+chevalier de Huygens; de Darmstadt, baron de Moronville; de Prusse,
+M. Kuster; du prince primat, comte de Beust; du grand-duc de Bade,
+baron de Seckendorff, chargé aussi des affaires de Francfort;
+d'Autriche, comte de Grüne; de Russie, prince de Repnin.</p>
+
+<p>Un peu avant l'arrivée de Reinhard, le roi Jérôme, blessé des actes
+arbitraires et du sans-façon des agents français, même infimes,
+expédia son aide de camp, le général Girard, à l'empereur, avec les
+deux lettres ci-dessous, datées du 11 décembre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, le général Girard, mon aide-de-camp, aura l'honneur de
+ remettre cette lettre à Votre Majesté; je le charge de passer au
+ dépôt du 1<sup>er</sup> régiment des chevau-légers<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a><a href="#footnote109" title="Lien vers la note 109"><span class="smaller">[109]</span></a> pour tâcher de
+ remonter les hommes à pied; j'espère que Votre Majesté est plus
+ contente de mon régiment.</p>
+
+<p>J'ai écrit plusieurs fois à Votre Majesté, et je n'ai pas reçu un
+ mot de réponse; j'espère cependant qu'elle n'est pas fâchée contre
+ moi, car je n'ai rien fait pour cela, et qu'au contraire le but de
+ toutes mes actions est de vous plaire.</p>
+
+<p>Ma santé est tout-à-fait rétablie, on me conseille cependant de
+ changer d'air pendant quelques semaines; si Votre Majesté n'est pas
+ de retour à Paris en janvier et qu'elle l'approuve, j'irai passer
+ huit jours à Amsterdam, à la fin du mois de janvier.</p>
+
+<p>Sire, en m'abstenant de toutes réflexions, j'ai l'honneur de mettre
+ <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> sous les yeux de Votre Majesté plusieurs notes plus
+ arbitraires l'une que l'autre, en la priant de vouloir bien mettre
+ ses décisions sur chacune d'elles et de me les faire connaître.</p>
+
+<p>J'espère que Votre Majesté voudra bien arrêter les prétentions, tous
+ les jours plus fortes, de ses agents en Westphalie, dont les titres
+ très-subalternes de quelques-uns ne modèrent pas des mesures
+ humiliantes pour moi et d'après la continuation desquelles, il me
+ serait impossible de gouverner plus longtemps ce pays.</p>
+</div>
+
+<p>Habituellement, l'empereur ne répondait pas aux justes réclamations
+de ce genre que lui adressaient ses frères. C'est ce qui eut lieu
+encore dans cette circonstance et força Jérôme à envoyer de nouveau
+à Paris, au commencement de février, un autre de ses aides de camp,
+le général Morio.</p>
+
+<p>Dès son arrivée à Cassel, Reinhard avait envoyé au duc de Cadore
+(Champagny) de longues lettres publiées au 3<sup>e</sup> volume des Mémoires
+du roi Jérôme.</p>
+
+<p>Champagny lui répondit de Paris, les 21 et 26 janvier 1809:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monsieur, j'ai reçu les différentes dépêches que vous m'avez fait
+ l'honneur de m'adresser depuis le n<sup>o</sup> 1 jusqu'au n<sup>o</sup> 6
+ inclusivement. J'ai eu soin de rendre compte à Sa Majesté Impériale
+ des détails les plus intéressants qu'elles renfermaient.</p>
+
+<p>Vous êtes chargé, Monsieur, d'appeler l'attention de Sa Majesté le
+ roi de Westphalie sur la rédaction des gazettes qui se publient dans
+ ses États. Il est important qu'elle soit confiée à des hommes
+ habiles et sûrs qui, lisant avec soin les gazettes de Vienne et de
+ Presbourg, s'attachent à réfuter et à combattre surtout par l'arme
+ toute puissante du ridicule les articles de ces gazettes qui
+ pourraient être dirigés contre la France ou la Confédération du
+ Rhin. Ceux qui prêtent des idées de guerre à l'Autriche, se plaisent
+ à faire une longue énumération de ses forces militaires, ignorant
+ apparemment ou plutôt feignant d'ignorer que la France a encore
+ 150,000 hommes en Allemagne, qu'un même nombre de troupes françaises
+ se trouve en Italie, que la Confédération du Rhin peut mettre au
+ premier signal 120,000 hommes sur pied, que la conscription qui
+ s'organise en ce moment donnera 80,000 hommes de nouvelles levées,
+ et qu'enfin la retraite des Anglais permet à Sa Majesté Impériale de
+ disposer en cas de besoin d'une grande partie des troupes qui se
+ trouvent en Espagne.</p>
+
+<p>En vous faisant connaître les intentions de Sa Majesté Impériale, je
+ suis sûr que vous ne négligerez rien pour en assurer la complète et
+ parfaite exécution. Je vous prierai seulement de vouloir bien
+ m'instruire <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> des mesures qui seront prises à cet égard par
+ le gouvernement westphalien.</p>
+
+<p>J'ai reçu, Monsieur, vos dépêches des 13 et 15 janvier n<sup>o</sup> 8 et 9.
+ Sa Majesté les a eues l'une et l'autre sous les yeux et a lu la
+ seconde avec plaisir. Son intention est que vous entriez dans les
+ plus grands détails sur toutes les parties de l'administration du
+ royaume de Westphalie, que vous parliez de la conduite du Roi, de
+ celle des ministres, des opérations du gouvernement. Elle veut être
+ informée de tout avec la plus grande exactitude afin de pouvoir
+ éclairer et guider, si besoin est, la marche d'un gouvernement qui
+ l'intéresse à tant de titres. Elle me charge de vous dire que vos
+ dépêches ne seront point vues, et qu'on ignorera la source des
+ renseignements que vous aurez donnés et dont elle croira faire
+ usage. La délicatesse qui vous fait craindre d'employer les chiffres
+ aurait l'inconvénient extrême de gêner votre franchise. Sa Majesté
+ veut donc que vous écriviez souvent en chiffres; dès que vous vous
+ en servirez habituellement, cela paraîtra tout simple; qui,
+ d'ailleurs, peut y trouver à redire? et comment même le saura-t-on,
+ à moins qu'on ne viole le secret de vos dépêches, et qu'on ne prouve
+ ainsi combien la précaution de chiffrer est nécessaire?</p>
+
+<p>Dans les cas graves, s'il en survenait, et pour faire connaître des
+ actes très importants du gouvernement du Roi, vous expédieriez des
+ courriers extraordinaires.</p>
+
+<p>Sa Majesté désire encore qu'à vos dépêches vous joigniez des
+ bulletins non signés, et contenant les nouvelles de société, les
+ bruits de la ville, les rumeurs, les anecdotes vraies ou fausses qui
+ circulent, en un mot une sorte de chronique du pays propre à le bien
+ faire connaître.</p>
+
+<p>Une autre lettre que vous recevrez en même temps que celle-ci, vous
+ instruit des intentions et vous transmet les ordres de Sa Majesté
+ relativement aux Français qui sont ou qui voudraient entrer au
+ service du Roi.</p>
+</div>
+
+<p>Ainsi, il ressort bien nettement de ces deux lettres de Champagny à
+Reinhard que l'empereur voulait avoir auprès de Jérôme, comme auprès
+de ses frères Joseph et Louis, sous le nom de ministres de famille,
+des hommes chargés d'une sorte d'espionnage politique et
+particulier.</p>
+
+<p>À dater de la réception des ordres de Champagny, la correspondance
+entre lui et Reinhard ne fut plus interrompue.</p>
+
+<p>Reinhard écrit de Cassel, le 3 février 1809:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Monseigneur, Votre Excellence peut être assurée que dans tout ce qui
+ dépendra de moi, son intention sera remplie, et je ne cesserai point
+ <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> d'insister auprès du gouvernement westphalien pour que la
+ mesure proposée reçoive sa prompte exécution.</p>
+
+<p>M. d'Esterno, ministre du roi à Vienne, ayant demandé un congé pour
+ affaires de famille, on a saisi cette occasion pour y envoyer M. le
+ baron de Linden, ministre de Westphalie près le prince Primat, et
+ qui est regardé ici comme une des colonnes de la diplomatie
+ Westphalienne. M. de <i>Linden</i> connaît déjà Vienne; il s'y est rendu
+ sous le prétexte de terminer un procès. Sa mission est secrète, et
+ ce n'est pas M. de Furstentein qui m'en a fait la confidence.
+ Cependant il m'a fait lecture d'une lettre écrite de Munich et de
+ Vienne que j'ai facilement reconnue comme étant l'ouvrage de cet
+ agent. Elle m'a paru écrite avec justesse. M. de Linden attribue en
+ grande partie les faillites qui ont eu lieu en Autriche, à ce que
+ les spéculations en denrées coloniales que plusieurs maisons avaient
+ faites, sur la foi de l'engagement pris par leur gouvernement de
+ prohiber l'entrée des marchandises anglaises, avaient été trompées
+ par l'admission dans le port de Trieste d'une très grande quantité
+ de ces marchandises. Il fait un tableau qui me paraît assez vrai de
+ la fermentation guerrière qui s'est emparée des têtes autrichiennes,
+ et de la faiblesse du gouvernement qui, incapable de diriger le
+ mouvement des esprits, risque d'en être compromis et d'y céder
+ peut-être, s'il ne le partage point, et donne la mesure de son
+ incapacité et de son irrésolution à ses propres sujets s'il le
+ partage. Il dit que deux députés des insurgés espagnols ont été
+ admis récemment à Trieste. Il ajoute que les États des différentes
+ provinces ont été convoqués pour délibérer sur une solde à accorder
+ aux milices, et que comme on avait promis à la France que cette
+ milice n'en aurait point, la curiosité publique attendait le
+ gouvernement à la tournure qu'il donnerait à sa proposition.</p>
+
+<p>Quant à M. le comte de Grüne, nommé par la cour de Vienne pour
+ résider à Cassel, il déclare qu'il est prêt à partir, mais que
+ n'ayant pas encore reçu ses lettres de rappel, du poste de
+ Copenhague, il est obligé d'attendre que sa première mission soit
+ terminée dans les règles. M. de Grüne attendra; son gouvernement
+ attendra; il n'y a que la France qui soit prête.</p>
+</div>
+
+<p>Nous arrivons maintenant aux curieux bulletins prescrits par
+l'empereur et dans lesquels se reflètent les petites intrigues de la
+cour de Westphalie:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, ce 5 février 1809.</p>
+
+<p>Monsieur le comte de <i>Wernigerode</i>, grand-maréchal du Palais, part
+ demain pour Marseille.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> «Eh bien! grande-maîtresse, dit-il en riant il y a quelques
+ jours à Madame la comtesse de Truchsess, je pars; tâchez de mettre
+ ce temps à profit, je resterai un mois, et si vous ne l'empêchez, je
+ reviendrai!»&mdash;«Un mois! grand Maréchal! c'est bien court, mais nous
+ verrons.» Le mois ne sera pas mis à profit; car Madame la Comtesse
+ aussi part aujourd'hui pour aller revoir Monsieur son père, en
+ attendant que son mari la rejoigne pour son voyage d'Italie. Ce
+ voyage et la démission acceptée de Madame la grande-maîtresse se
+ trouvent dans le <i>Moniteur Westphalien</i> d'hier. Voici un mois de la
+ vie de Madame de Truchsess.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">5 février 1809.</p>
+
+<p>La semaine dernière a vu se renouveler dans l'intérieur du palais
+ les tracasseries qui avaient déjà eu lieu avant l'arrivée de la
+ légation française à Cassel. M<sup>me</sup> de Launay, fille de M. Siméon,
+ ayant profité au premier bal masqué de la liberté du déguisement,
+ avait fait quelques plaisanteries à M. de Pappenheim. Ces choses,
+ fort innocentes d'elles-mêmes, furent le lendemain rapportées à la
+ Reine, non telles qu'elles avaient été dites, mais empoisonnées et
+ commentées avec la charité qu'on a dans les cours, en sorte que le
+ lendemain il n'était bruit que des propos de M<sup>me</sup> de Launay et du
+ mécontentement de la reine contre elle.</p>
+
+<p>M. Siméon en fut aussi affligé que sa fille: il alla trouver le roi
+ à qui il se plaignit décemment de <i>M<sup>me</sup> de Truchsess</i>, auteur de ces
+ bruits. Le Roi s'emporta contre elle; il dit que c'était une
+ <i>faiseuse d'histoires</i>, qu'elle mentait, que son père mentait, que
+ son frère mentait, et qu'il n'y avait que le mari qui valût quelque
+ chose dans la famille.</p>
+
+<p>Le soir, la grande-maîtresse ayant paru devant le roi, en fut
+ froidement accueillie: elle pleura, jeta les hauts cris, s'évanouit.
+ En dernier résultat, elle a offert sa démission qui a été acceptée
+ avec plaisir par le roi, mais (on croit) avec peine par la reine qui
+ lui est fort attachée.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Truchsess joint à de la beauté beaucoup de grâce et de
+ séduction dans l'esprit. Elle était l'ornement d'une cour qui
+ pourtant n'est pas dépourvue de beautés, mais son goût pour
+ l'intrigue et pour les tracasseries gâte toutes ses heureuses
+ qualités. Il paraît que le but secret de toutes ses man&oelig;uvres
+ était de regagner le c&oelig;ur du roi. On ne peut expliquer que de
+ cette manière plusieurs parties de sa conduite qui, sans cela,
+ paraîtraient hors de toute mesure. Il est vrai qu'on ne serait pas
+ juste non plus, si on la jugeait d'après ce qu'en disent ses
+ ennemis.</p>
+
+<p>Son goût pour écrire ne peut être ni aussi vif ni aussi actif qu'on
+ le suppose: il y a certainement eu dans sa conduite beaucoup de
+ choses étourdies qu'on a revêtues de fausses couleurs; comme elle
+ maltraitait <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> tout le monde, tout le monde la traitait avec
+ rigueur, et souvent d'innocentes plaisanteries ont pu être données
+ pour un secret désir de perdre ce qui l'entourait. Quoi qu'il en
+ soit, comme elle passait presque toutes ses journées en tête-à-tête
+ avec la reine à qui elle avait persuadé qu'il n'était pas de sa
+ dignité de vivre avec les autres dames, on disait que pour charmer
+ l'ennui de cette solitude, elle amusait la reine en lui racontant
+ des histoires et des anecdotes qui n'avaient pas tout-à-fait pour
+ objet de mettre les Français en grand crédit auprès de Sa Majesté.</p>
+
+<p>Elle annonce qu'elle accompagnera son mari qui part sous peu de
+ jours pour l'Italie. Mais elle est si redoutée qu'on n'ose se livrer
+ à la joie, et en effet il se pourrait qu'elle se décidât, pour le
+ plaisir de désoler ses ennemis, à ne pas désemparer.</p>
+
+<p>Avant-hier, 3 février, il y a eu bal masqué à la cour. La reine y a
+ dansé dans un quadrille polonais composé de toutes personnes de
+ l'intérieur. Comme le nombre de celles présentées à la cour est très
+ borné, on était convenu d'admettre au bal beaucoup d'étrangers.
+ L'ordre était de ne se point démasquer: le roi s'y est fort amusé,
+ il s'est travesti plusieurs fois; la reine a paru également prendre
+ part au divertissement où on a pu voir que le génie et la variété
+ des travestissements étaient entièrement dirigés vers le but de
+ plaire à Leurs Majestés.</p>
+</div>
+
+<p>La comtesse de Truchsess, grande-maîtresse de la maison de la reine,
+était jolie et intrigante. Elle avait été bien, disait-on, avec le
+jeune roi. La reine l'aimait beaucoup. On l'appelait plaisamment sa
+gouvernante. M. de Truchsess était un brave homme qui, renvoyé dans
+ses terres à cause des intrigues de sa femme, fut remplacé à la
+cour, dans ses hautes fonctions, par le colonel Salha. L'ancien
+capitaine de frégate Salha était de Marseille, où il avait de la
+famille et des intérêts. Voilà ce qui explique les deux bulletins de
+Reinhard, du 5 et 6 février, et le troisième du 16 du même mois.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">16 février 1809.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> la comtesse de Truchsess avait donné sa démission le 3 au soir.
+ Le lendemain en s'éveillant, elle la trouva acceptée sur sa table de
+ nuit. On prétend qu'elle ne s'y attendait pas. Le dimanche après, 5
+ février, il y eut cercle et bal à la Cour; on prétend qu'elle avait
+ demandé à y être reçue dans son rang de grande-maîtresse. Elle fut
+ invitée: quant au rang, on lui déclara qu'elle aurait celui de femme
+ de grand dignitaire: elle vint pourtant. En entrant dans la grande
+ salle, à chaque pas qu'elle faisait en avant, on aurait dit qu'elle
+ allait en faire <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> un autre en arrière. Sa figure décomposée
+ travaillait à prendre une contenance: elle aborda en hésitant les
+ premières dames; elle se remit après quelques saluts qui lui furent
+ rendus. Pour entrer dans la salle du bal où étaient le roi et la
+ reine, les dames furent appelées par classes: les dames du palais;
+ les dames des grands dignitaires; M<sup>me</sup> de Truchsess allait entrer
+ seule: elle hésita. Enfin il s'en trouva une seconde; les dames des
+ ministres d'État; les dames des ministres étrangers; les dames
+ présentées; les demoiselles invitées. Il y en avait d'assez
+ vieilles; malgré cela, le bal était fort beau.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Truchsess joua son rôle admirablement pendant le reste de la
+ soirée. Le surlendemain, son mari en donna une chez elle; les
+ billets portaient qu'il y aurait un violon. C'était pour ouvrir sa
+ maison, dont l'ameublement venait d'être achevé. Du corps
+ diplomatique on n'avait invité que le ministre de France avec sa
+ femme, et celui de Bavière avec la sienne, parente de M<sup>me</sup> de
+ Truchsess, et qui, la veille, avait porté un toast à: «<i>ce qui vient
+ d'arriver</i>.» Il y eut un violon et point de bal; des tables de jeu
+ et point de jeu; des groupes et point de conversation; un souper
+ pourtant, car on mangea beaucoup pour sortir d'embarras. À en croire
+ M<sup>me</sup> de Truchsess, elle était enchantée de ce que cela s'était enfin
+ arrangé: elle projetait le voyage d'Italie, de Naples surtout où
+ elle trouverait ses parents (avec lesquels elle était encore
+ brouillée la veille); celui de Paris sûrement, si la Cour y était;
+ celui de K&oelig;nisgsberg où son mari a des terres. <i>Elle craignait
+ seulement qu'on ne le pressât trop de revenir.</i> En attendant, on la
+ pressait de partir, et elle choisit pour son départ le jour où M.
+ Siméon donna un bal masqué auquel le roi et la reine ont assisté.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Launay avait reçu du Roi un cadeau de quelques schaals et
+ d'une robe magnifique. Le jour du bal de son père, la Reine lui fit
+ un accueil extrêmement gracieux. Sous tous ces rapports, son
+ triomphe fut complet. L'assemblée n'était pas nombreuse, mais elle
+ était choisie. La gaieté, l'élégance, le bon goût y régnaient.</p>
+
+<p>Le jour même du départ de M<sup>me</sup> de Truchsess, le roi envoya
+ l'intendant-général de la liste civile pour faire l'inventaire des
+ meubles de son palais. Cet hôtel avait été occupé par le ministre
+ des finances qui, pour faire place à M<sup>me</sup> de Truchsess, alors en
+ faveur, avait été obligé de l'<i>évacuer en vingt-quatre heures</i>;
+ aussi M. D'Albignac, grand-écuyer, dit-il au roi: «<i>Vive ce départ,
+ il vous donne quatre-vingts mille livres de rente.</i>»</p>
+
+<p>Les fêtes du carnaval se terminèrent par un grand bal masqué donné
+ par le maréchal du palais. Mille billets avaient été distribués:
+ neuf cents personnes au moins furent présentes; le roi avait envoyé
+ des billets aux notables de Münden, petite ville à quelques lieues
+ de Cassel, qui s'était distinguée dernièrement par la promptitude et
+ l'activité des <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> secours qu'elle avait portés à un village
+ incendié. Ils arrivèrent soixante-quinze en dix voitures: ils se
+ crurent transportés dans un monde enchanté; un d'eux avait perdu son
+ billet, et son désespoir était de penser à ce que dirait le roi de
+ son impolitesse lorsqu'il s'apercevrait de son absence. Le roi et la
+ reine furent reçus par des bergers et des bergères portant des
+ guirlandes, et formant un berceau sous lequel passèrent Leurs
+ Majestés. Le bal fut ouvert par un quadrille espagnol. Il est
+ impossible de peindre la variété, l'élégance et le mouvement de
+ cette fête. M. le général Du Coudras fit jouer des pantins avec un
+ talent unique. La reine avait arrangé une foire. Dans une douzaine
+ de boutiques, ses dames distribuaient de petits cadeaux. La reine
+ avait une cassette remplie de bijoux; elle était d'une gaieté
+ délicieuse; quelques-uns prétendaient que sans s'en douter elle se
+ réjouissait de n'avoir plus <i>de gouvernante</i>. Le bal se prolongea
+ jusqu'à cinq heures du matin.</p>
+
+<p>Comme on avait engagé tout le monde à faire quelques folies, les
+ membres du corps diplomatique s'étaient réunis pour représenter un
+ jeu d'échecs, et, puisqu'il devait y avoir un roi battu, on était
+ convenu de prendre le costume de mameluck. Seize enfants devaient
+ faire les pions. Cependant à la Cour on trouva avec raison que dans
+ une telle foule un tel nombre d'enfants pourrait avoir des
+ inconvénients, et le projet fut abandonné. Le ministre de France,
+ invité par une députation de ses collègues à se mettre à la tête
+ d'une mascarade représentant un bey d'Égypte avec son harem, y
+ consentit. La procession se présenta devant le Roi et la Reine;
+ quelques présents, quelques vers furent offerts et agréés: tout se
+ passa en pantomime; le Roi trouva l'exécution noble: elle parut
+ faire plaisir généralement.</p>
+
+<p>À une heure, quelques personnes choisies se rendirent au souper dans
+ l'appartement de la Reine: dans ce nombre furent les ministres de
+ France et de Hollande. Les épouses des autres ministres y furent
+ invitées sans leur mari. Cette distinction fut très-sensible à ces
+ derniers. Le ministre de Saxe s'en plaignit à M. de Furstenstein;
+ celui de Bavière avait fait un voyage exprès, dit-on, pour ne point
+ risquer d'être exclu du souper. M. de Furstenstein a répondu qu'il y
+ avait eu erreur. D'autres sans doute et avec raison ont cru y voir
+ une distinction faite en faveur des ministres de famille; mais comme
+ la Cour ne s'est point expliquée à cet égard, les préférences et les
+ exclusions ont l'apparence d'être personnelles.</p>
+</div>
+
+<p>Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le roi, ne recevant pas de
+réponse de l'empereur relativement à ses justes réclamations à
+l'égard des agents français en Westphalie et désirant mettre son
+frère bien au courant de la situation financière du pays, lui
+expédia son premier aide de camp, le général Morio, avec la lettre
+ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> <p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 3 février 1809.</p>
+
+<p>Sire, j'envoie auprès de Votre Majesté le général Morio, mon premier
+ aide de camp; il a été un de mes ministres, il était présent à tous
+ mes conseils d'administration, et connaît très bien la situation de
+ mon royaume. Votre Majesté pourra avoir de lui tous les
+ renseignements qu'elle désirera prendre sur l'état du trésor, comme
+ sur les autres parties d'administration.</p>
+
+<p>Je ne puis prendre de biais avec Votre Majesté ni la tromper en
+ aucune manière dans une circonstance aussi majeure, mais il est
+ certain que le royaume de Westphalie ne peut résister plus de 6 mois
+ au mauvais état des finances.</p>
+
+<p>Quant à moi, Sire, je me trouverai toujours bien partout où je serai
+ placé par Votre Majesté, si je conserve toute son amitié.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur était peu porté à aimer et à estimer les officiers qui
+quittaient son service pour celui de ses frères; il répondit à
+Jérôme, le 11 février 1809:</p>
+
+<p class="lettre">Je suis étonné que vous m'envoyiez le général Morio, qui est une
+ espèce de fou. Vous trouverez bon que je ne le voie pas. Quant à la
+ situation de votre trésor et de votre administration, cela ne me
+ regarde pas. Je sais que l'un et l'autre vont fort mal. C'est une
+ suite des mesures que vous avez prises et du luxe qui règne chez
+ vous. Tous vos actes portent l'empreinte de la légèreté. Pourquoi
+ donner des baronnies à des hommes qui n'ont rien fait? Pourquoi
+ étaler un luxe si peu en harmonie avec le pays et qui serait seul
+ une calamité pour la Westphalie par le discrédit qu'il jette dans
+ l'administration? Tenez vos engagements avec moi, et songez qu'on
+ n'en a jamais pris qu'on ne les ait remplis. Ne doutez jamais du
+ reste de tout l'intérêt que je vous porte.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 18 février 1809.</p>
+
+<p>Dans une dépêche précédente<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a><a href="#footnote110" title="Lien vers la note 110"><span class="smaller">[110]</span></a> j'ai rendu compte des recettes et
+ des dépenses présumées de la liste civile. Quant aux finances de
+ l'État, on m'assure que le déficit de l'année passée est de douze
+ millions et qu'une crise est inévitable, peut-être dans six mois. Il
+ est certain que les Juifs ont prêté de l'argent. On parle de trois
+ millions. Pour remplir <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> le déficit, on s'occupe surtout à
+ pousser l'exploitation du sel aussi loin qu'elle peut aller. On
+ compte sur un grand débit en Hollande. Avant la dernière levée, le
+ Roi entretenait huit mille hommes de troupes. On parle d'une forte
+ réduction dans sa garde. Si la guerre a lieu, on ne doute pas que le
+ désir du Roi d'être appelé à l'armée ne soit rempli. L'on s'en
+ promet des moyens de faire de grandes économies pendant son absence.</p>
+
+<p>Sa Majesté Impériale a voulu que je lui rendisse compte de la
+ conduite des ministres. Le premier en ligne est M. <i>Siméon</i>: il
+ réunit à l'amour du travail et à la probité des connaissances, des
+ talents et de l'amabilité. Il est peut-être le seul qui avant de
+ fléchir devant la volonté suprême ose se permettre quelquefois des
+ représentations, qui ne sont pas toujours bien accueillies. En
+ public, il a constamment été traité avec une grande distinction, et
+ l'on croit que la faveur lui est revenue. Son département marche. Le
+ général <i>Eblé</i><a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a><a href="#footnote111" title="Lien vers la note 111"><span class="smaller">[111]</span></a> est infatigable au travail. Il se trouve,
+ dit-il, au milieu d'un chaos à débrouiller, de fripons à déjouer;
+ entravé par une triple administration, celle de l'armée, de la garde
+ et des troupes françaises, il ne sort presque point, mais tout son
+ extérieur montre une santé fortement dérangée; s'il continue ainsi,
+ le travail le tuera dans un an.</p>
+
+<p>Le comte de <i>Furtenstein</i> a grandi depuis que je l'ai vu à Dresde.
+ Il est de tous les ministres le plus constamment près de la personne
+ du Roi. Son ministère lui laisse encore quelques loisirs pour les
+ plaisirs. Il a les formes aimables et il se met peu à peu au niveau
+ de sa position. On s'aperçoit de temps en temps, même dans des
+ occurrences de routine, que le chef et les employés ont besoin
+ d'expérience. On rend justice à la droiture de son caractère. Les
+ soins à prendre pour sa famille font partie de ses occupations. Ce
+ qui le justifie, c'est que les s&oelig;urs sont aimables, les
+ beaux-frères des hommes de mérite.</p>
+
+<p>M. <i>Bulow</i> était employé dans l'administration prussienne à
+ Magdebourg. Sa probité est intacte, mais on le dit peu capable de
+ sortir de la route ordinaire. Il serait peut-être à sa place si les
+ affaires étaient à la leur. Mais il les y fera venir difficilement.
+ On l'accuse de ne point aimer les Français; est-ce par aversion ou
+ seulement parce qu'il est ministre des finances?</p>
+
+<p>M. <i>de Volfradt</i><a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a><a href="#footnote112" title="Lien vers la note 112"><span class="smaller">[112]</span></a> est un homme de bien et de mérite, un peu
+ doucereux et probablement sans énergie comme son ancien maître.
+ L'organisation de son ministère l'occupe tout entier. Il est encore
+ à l'épreuve et c'est ce que le Roi lui-même, dit-on, lui a déclaré.</p>
+
+<p>Parmi les prétendants à la place de ministre, on nomme toujours
+ <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> M. Pothau<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a><a href="#footnote113" title="Lien vers la note 113"><span class="smaller">[113]</span></a> pour l'intérieur, M. Bercagny pour les
+ finances ou la justice. On prétend que M. de Truchsess visait à
+ celui des relations extérieures.</p>
+
+<p>Parmi les membres du corps diplomatique, le ministre de Bavière a
+ une réputation de malignité et d'orgueil; celui de Hollande, de
+ petites finaceries et d'économie batave; celui de Saxe, bon, souple,
+ né courtisan, tremble d'avoir des affaires; celui de Wurtemberg,
+ poli et réservé, laisse dans le doute si sa nullité est de nature ou
+ de calcul; celui de Darmstadt, avec de la mesure, a une tournure de
+ franchise et de loyauté militaire; le chargé d'affaires de Prusse,
+ avec ses profondes révérences et son très modeste extérieur, est
+ vrai représentant d'un roi de Prusse: d'ailleurs il est instruit,
+ honnête homme, on se loue ici de sa conduite.</p>
+
+<p>M. <i>Bercagny</i>, sans avoir le titre de ministre d'état, l'est
+ peut-être plus que les autres: les talents, les connaissances
+ administratives, la finesse, l'activité ne lui manquent point; on
+ craint seulement que cette dernière qualité ne l'entraîne à faire
+ naître des affaires pour rendre sa place plus importante. On
+ attribue au Roi un penchant naturel pour faire, sous tous les
+ rapports, l'essai et l'usage de son pouvoir; et le mérite de M.
+ <i>Bercagny</i> sera d'autant plus grand, s'il reste fidèle à
+ l'institution de la police qui est de prévenir les occasions de
+ punir. Tous les Westphaliens ne sont pas contents, tous ne sont pas
+ fidèles, mais ils ne conspirent point. Ce sont plutôt des indices
+ que des faits qui donnent lieu à ces remarques; mais on craint dans
+ une matière aussi grave des événements possibles qui pourraient
+ changer la marche sage et mesurée du gouvernement, ou le
+ développement d'un système qui pourrait le dénaturer.</p>
+
+<p>On parle ici d'un parti allemand et d'un parti français; parmi les
+ Allemands il existe un parti de l'ex-électeur et un parti du roi;
+ mais si dans le parti du roi on distingue un parti allemand et un
+ parti français, on commet une erreur qui pourrait conduire à des
+ conséquences fâcheuses. Le vrai parti français sera celui qui,
+ comptant sur l'inébranlable solidité du nouvel ordre de choses, se
+ reposera sur le temps pour acquérir de la fortune et des
+ distinctions et ne voudra pas recueillir dans une première année ce
+ qui doit être le fruit d'une longue carrière de travail et de
+ fidélité.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Champagny à Reinhard.</p>
+<p class="date">Paris, le 23 février 1809.</p>
+
+<p>Monsieur, S. M. l'Empereur et Roi a eu sous les yeux vos dépêches
+ <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> des 3, 5 et 9 février, n<sup>os</sup> 13, 14 et 15, et les deux
+ bulletins y joints, et m'a donné un ordre qu'il m'est agréable de
+ remplir, celui de vous témoigner sa satisfaction pour ces dépêches
+ et de vous mander qu'il les a lues avec intérêt.</p>
+
+<p>Bien que les dépenses du roi n'aient pas été aussi grandes que vous
+ l'avez dû croire, ignorant que le Roi ne touchait point son
+ traitement de prince français, comme elles ont de beaucoup dépassé
+ sa liste civile, l'Empereur lui a écrit pour lui en témoigner son
+ mécontentement; mais le Roi s'en excuse en niant la vérité du
+ reproche. Sa Majesté sent combien il est nécessaire d'inspirer à ce
+ prince un esprit d'économie et elle vous charge de profiter des
+ occasions que le Roi, s'entretenant avec vous, vous fournira pour le
+ faire, avec l'à-propos et la mesure qui vous sont propres.</p>
+
+<p>Du reste, S. M. croit utile que vous sachiez que ce que le Roi vous
+ a dit d'une question que l'Empereur lui aurait faite à votre sujet
+ et de sa réponse n'est qu'une forme plus aimable donnée par ce
+ prince à un compliment auquel vous ne sauriez mieux répondre qu'en
+ redoublant d'attention et de vigilance.</p>
+
+<p>Quant aux doutes que ma lettre du 25 janvier vous avait laissés, Sa
+ Majesté me charge de vous faire connaître que les Français employés
+ dans le palais au service du Roi et naturalisés Westphaliens, tels
+ que M. le comte de Fürstenstein et autres qui peuvent être dans le
+ même cas, n'étant plus Français sont libres d'accepter les
+ décorations qui leur sont données. Tous les autres n'en peuvent
+ accepter sans l'autorisation de Sa Majesté I. et R.</p>
+
+<p>Sa Majesté vous recommande de voir souvent M. Siméon et le général
+ <i>Eblé</i> pour connaître leur opinion et leur position et la lui faire
+ connaître.</p>
+</div>
+
+<p>Des symptômes assez sérieux commençaient à faire prévoir une prise
+d'armes de l'Autriche et il était à craindre que des troubles ne
+vinssent à éclater en Westphalie. Jérôme, prévenu par divers
+rapports et par quelques correspondances, en écrivit à l'empereur.
+On trouvera aussi plus loin, à la date du 24 février, une lettre de
+Reinhard à ce sujet, adressée à M. de Champagny.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 23 février 1809.</p>
+
+<p>Sire, j'envoie à Votre Majesté, par courrier extraordinaire, deux
+ dépêches chiffrées que j'ai reçues hier, non pas d'un agent
+ secondaire, mais d'un homme jouissant d'une grande fortune en ce
+ pays qui m'est entièrement dévoué et qui a des relations intimes
+ avec les personnes les plus distinguées de Vienne.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> Bien que je pense que Votre Majesté soit déjà instruite
+ d'une partie des détails contenus dans ces dépêches, j'ai cru ne pas
+ devoir les lui laisser ignorer et j'y joins un état des forces de
+ l'Autriche.</p>
+
+<p>Les régiments westphaliens, dont j'ai annoncé le départ à Votre
+ Majesté, sont arrivés à Mayence. Il y a eu quelques déserteurs parce
+ qu'on leur a fait croire sur la route qu'ils allaient être désarmés
+ à Mayence et envoyés dans les Îles. Je vais les remplacer sur le
+ champ et porter cette division à 8000 hommes<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a><a href="#footnote114" title="Lien vers la note 114"><span class="smaller">[114]</span></a>.</p>
+
+<p>J'ai donné le commandement de cette division au général Morio que je
+ veux mettre à même de prouver à Votre Majesté ses véritables
+ sentiments.</p>
+
+<p>Sous ses ordres seront les généraux de brigade Weber et Boerner et
+ le chef d'état-major Hersberg.</p>
+
+<p>Je viens d'ajouter une seconde compagnie d'artillerie.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 19 mars 1809.</p>
+
+<p>Sire, quoique bien persuadé que Votre Majesté soit instruite de tous
+ les projets de l'ennemi, je ne crois pas devoir me taire sur le
+ rapport qui vient de m'être fait par des officiers de ma maison,
+ ayant, pour leurs affaires personnelles, des relations étroites en
+ Hanovre.</p>
+
+<p>D'après ce rapport «il paraît que les Anglais ont formé le projet de
+ débarquer 30 à 40 mille hommes sur les côtes de Hanovre pour
+ attaquer ce pays et pénétrer en Hollande.»</p>
+
+<p>J'annonce avec satisfaction à Votre Majesté que la levée de la
+ conscription se fait avec le plus grand zèle dans la majeure partie
+ de la Westphalie et principalement dans les départements de l'Elbe
+ et de l'Ocker dont l'esprit est excellent.</p>
+
+<p>Quant au pays de l'ancienne Hesse, il est décidément mauvais et je
+ désirerais bien que Votre Majesté m'autorisât à répartir dans cette
+ partie de mon royaume un des régiments français qui sont à
+ Magdebourg, afin de dissiper les esprits remuants et de contenir les
+ malveillants.</p>
+
+<p>Si Votre Majesté consent à cette demande, j'enverrai en remplacement
+ à Magdebourg un régiment westphalien de même force.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté de me répondre sur cet objet.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+ <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> <p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, le 24 février 1809.</p>
+
+<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> m'a fait part des nouvelles qu'il a
+ reçues de Vienne et qui ont déterminé le Roi à envoyer hier un
+ courrier à Sa Majesté l'Empereur. Il m'a parlé aussi d'une lettre de
+ M. <i>Hesstinger</i> à Darmstadt, qui, ayant à écrire à M. <i>Pothau</i>,
+ l'informe en confidence du mécontentement général qui, d'après les
+ renseignements parvenus à M. <i>Hesstinger</i> et qu'il dit avoir fait
+ connaître à Votre Excellence, régnerait en Westphalie et qui selon
+ lui pourrait amener une explosion générale. M. de <i>Furstenstein</i> m'a
+ dit qu'il n'attachait pas une grande importance à cet avertissement;
+ que la police était parfaitement faite en Westphalie; que le peuple
+ était bon; que les nobles étaient fidèles; que le Roi était aimé et
+ qu'il était d'ailleurs exactement informé de tout ce qui se passait
+ dans son royaume. Quoique je partage à plusieurs égards cette
+ opinion de M. de <i>Furstenstein</i>, je me réserve cependant,
+ Monseigneur, de revenir sur cet objet sous le double rapport des
+ faits et des réflexions qui s'y rapportent.</p>
+</div>
+
+<p>On voit que M. Reinhard, moins optimiste que M. de Furstenstein,
+était aussi plus clairvoyant. On touchait aux aventures de Schill,
+du duc de Brunswick et à la guerre avec l'Autriche.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, ce 28 février 1809.</p>
+
+<p>J'ai annoncé à Votre Excellence que j'aurais quelques détails à
+ ajouter au compte que j'ai rendu dans ma lettre n<sup>o</sup> 17 de l'audience
+ particulière que j'ai eue de Sa Majesté westphalienne. M. le comte
+ <i>de Furstenstein</i> était venu me dire que je n'aurais qu'à m'adresser
+ au chambellan de service et que le Roi me recevrait immédiatement.
+ Je suppose, ajouta-t-il, que vous avez quelque chose de particulier
+ à dire à Sa Majesté. «Non, dis-je, il ne s'agit que de communiquer
+ les vues de l'Empereur concernant l'organisation du contingent
+ westphalien: je suis un ignorant qui ira prendre une leçon chez un
+ maître consommé dans l'art militaire.» Sur cela M. <i>de Furstenstein</i>
+ m'apprit que le Roi avait mal dormi.&mdash;C'est qu'on veille un peu tard
+ (il y avait eu deux nuits de bal pour l'anniversaire de la
+ Reine).&mdash;Oui, dit M. <i>de Furstenstein</i>, le Roi travaille souvent
+ fort avant dans la nuit.</p>
+
+<p>Lorsque j'arrivai, M. le comte <i>de Furstenstein</i> était avec le Roi.
+ Je fus introduit dès qu'il fut sorti. Ce n'est, dit le Roi, qu'une
+ circulaire, <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> qu'une note diplomatique. Quand je l'eus
+ informé que le même courrier m'avait apporté l'ordre de proposer aux
+ princes de Waldeck et de la Lippe quelques changements relatifs à
+ l'organisation de leur contingent, le Roi me cita l'exemple de
+ quelques soldats westphaliens enrôlés dans le pays de Schauenbourg.
+ «J'ai fait dire au prince, ajouta-t-il, que s'il ne les rendait pas,
+ j'enverrais des gendarmes pour les faire chercher et que je pourrais
+ bien le faire venir lui-même. (Le prince vint en effet à Cassel pour
+ s'excuser.) Ces petits princes m'ont proposé de m'envoyer des
+ ministres, je n'en ai pas voulu.»</p>
+
+<p>Par une transition un peu brusque le Roi me parla ensuite des
+ comptes de M. <i>Jollivet</i>, où se trouve porté jusqu'à l'herbe qui
+ croît sur la place Frédéric et sous les croisées du château sur les
+ bords de la Fulde.</p>
+
+<p>Il paraît que cet article et plusieurs autres que Sa Majesté me cita
+ avec une irascibilité qui m'a paru légitime, s'étaient trouvés
+ compris dans la moitié des domaines réservée à Sa Majesté l'Empereur
+ et qu'ils avaient été évalués à une certaine somme dont M.
+ <i>Jollivet</i>, par une raison de devoir aussi très légitime, demandait
+ le remboursement. «J'aurais pu envoyer ces beaux comptes à
+ l'Empereur; mais je n'ai pas voulu faire tort à M. <i>Jollivet</i> dans
+ l'esprit de mon frère: Cependant, je sais que M. <i>Jollivet</i> est mon
+ espion. À quoi bon écrire à Paris que j'ai donné un diamant, que
+ j'ai couché avec une belle? Un ministre ne doit point s'occuper de
+ ces bagatelles; il doit mander que le Roi se porte bien, que la
+ Westphalie marche dans le système de la France, et voilà tout. Que
+ résulte-t-il de cet espionnage? Cela peut donner un instant
+ d'humeur; des frères peuvent se brouiller un instant et peut-être
+ cela m'est-il déjà arrivé; mais ils se réconcilient. J'aime et je
+ respecte l'Empereur comme mon père; l'Empereur dans un moment de
+ vivacité peut me faire quelques reproches, mais ensuite on
+ s'explique et l'on sait mauvais gré à celui qui a été la cause de la
+ brouillerie.&mdash;Votre Majesté, dis-je, a daigné me dire qu'elle était
+ contente de moi; j'ose me flatter qu'elle l'est encore et je la
+ supplie surtout de croire que ma conduite tendra constamment à
+ entretenir les sentiments d'amour qui lient les deux augustes
+ frères.&mdash;Oui, dit le Roi, et puis revenant aux comptes de M.
+ <i>Jollivet</i>, et puis l'apostrophant et évitant avec une adresse
+ admirable de me donner le droit de m'expliquer ce vous qui semblait
+ cependant me regarder aussi: si vous mandez jusqu'à ce qui se passe
+ dans ma cuisine, je vous traiterai comme le ministre de Bavière,
+ comme le ministre de Wurtemberg, et non comme ministre de famille;
+ je ne vous admettrai chez moi que dans les occasions de cérémonie
+ (le Roi, me demandai-je, aurait-il lu mon dernier bulletin? Il était
+ parti par cette voie peu sûre d'Hanovre); d'ailleurs M. <i>Jollivet</i>
+ n'a jamais été accrédité près de moi; je pourrais le regarder comme
+ étranger; je pourrais <span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> même, s'il voulait me tracasser, le
+ prier de partir; cependant c'est un honnête homme, c'est un brave
+ homme, mais il se noie dans les détails. Si vous étiez chez le roi
+ de Bavière, chez le roi de Wurtemberg (toujours M. <i>Jollivet ou
+ moi</i>?) alors, à la bonne heure, il faudrait tout observer, tout
+ écrire; mais tout ce que mon frère voudra savoir je le lui écrirai
+ moi-même, et pour être bien avec l'Empereur il faudra être bien avec
+ moi.» Je saisis ces dernières paroles: «Sire, Votre Majesté me fait
+ la leçon; elle prêche un converti, et je la prie d'être convaincue
+ que ce que je désire ardemment, c'est d'obtenir et de mériter sa
+ confiance.» Cette conversation, Monseigneur, qui dura près d'une
+ demi-heure et dans laquelle je me sais gré de m'être restreint à ce
+ peu de mots que l'abondance et peut-être une intention préméditée du
+ Roi me permirent de placer, m'a paru devoir être rapportée parce
+ qu'elle peint et le caractère du Roi et ma situation. J'ai eu
+ pendant un instant le projet de dire à M. de <i>Furtenstein</i> qu'il
+ n'avait qu'à consulter Wicquefort ou Burlamaqui, pour se convaincre
+ que l'idée que le Roi se faisait des devoirs d'un ministre était un
+ peu trop étroite, mais j'ai réfléchi que la sagacité de Sa Majesté
+ s'était prémunie contre toute objection. C'est parce qu'il est frère
+ de l'Empereur que le Roi trouve qu'il est inutile qu'on écrive ce
+ que sa confiance le porterait au besoin à écrire lui-même. C'est
+ parce qu'il est frère de l'Empereur que Sa Majesté impériale veut
+ être informée de tout; et dans cette différence d'opinion mon devoir
+ est tracé, il consiste à obéir à mon souverain.</p>
+
+<p>Cependant, depuis cette audience, j'ai pris occasion de demander à
+ plusieurs personnes qui m'ont parlé de l'état des finances, et même
+ à M. <i>Bercagny</i>, si personne n'avait proposé au Roi de mettre la
+ véritable situation de ses affaires sous les yeux de Sa Majesté
+ impériale? Qu'il me semblait que c'était là le seul moyen de sortir
+ d'embarras et d'éviter de grands inconvénients; enfin qu'instruire
+ l'Empereur était rendre le plus grand service au Roi. M. <i>Bercagny</i>
+ m'a répondu qu'il croyait qu'un enchaînement malheureux de
+ circonstances avait empêché que cela ne se fût jamais fait d'une
+ manière détaillée et lumineuse; que M. <i>Beugnot</i>, l'homme le plus
+ propre à faire un pareil exposé, s'en étant chargé et étant tombé
+ malade, avait trouvé Sa Majesté impériale partie pour Bayonne; que
+ depuis le Roi n'avait envoyé à Paris que des aides-de-camp et qu'en
+ général il était difficile de trouver ici un homme capable de
+ répondre, sous ce rapport, à l'attente de l'Empereur.</p>
+
+<p>Le lendemain de mon audience, M. de <i>Bulow</i>, ministre des finances,
+ me dit: Votre visite d'hier va nous coûter encore quelques
+ millions.&mdash;Je répondis qu'il n'y avait dans les intentions de Sa
+ Majesté impériale rien qui dût amener ce résultat.&mdash;Mais le Roi l'a
+ dit.&mdash;Au contraire, dans ce que le Roi a dit vous pourriez y trouver
+ une épargne; car si le contingent doit toujours être de 25,000
+ hommes et qu'il soit question <span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> de former deux divisions
+ westphaliennes; le Roi se proposant de demander, dans la même
+ proportion, une diminution des troupes françaises à votre solde, y
+ gagnerait tout ce que, selon lui, un pareil nombre de troupes
+ westphaliennes coûte de moins.</p>
+
+<p>C'est depuis quelques jours, Monseigneur, que les doléances sur
+ l'état des finances westphaliennes me parviennent de toutes parts.
+ Tous les ministres et un grand nombre de conseillers d'État m'en ont
+ parlé, à l'exception de M. <i>de Furstenstein</i> qui s'en tient à la
+ politique et qui, du reste, voit tout en couleur de rose. C'est que
+ peu à peu les états de recette et de dépense de l'année passée se
+ complètent, que le bilan se fait et que l'abîme est devant les yeux.
+ Il peut s'être glissé dans les renseignements que j'ai déjà transmis
+ à Votre Excellence, des inexactitudes de détail; mais les résultats
+ sont certains. Pour l'année courante, le ministre des finances
+ espère 38 millions; il en promet 36. Sur cette somme, il faudra pour
+ les troupes westphaliennes 13 à 14 millions que le ministre de la
+ guerre espère de réduire à onze ou à douze; pour les troupes
+ françaises huit millions. Or les autres dépenses sont évaluées par
+ le budget:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" summary="Dépenses.">
+<colgroup>
+ <col width="10%">
+ <col width="40%">
+ <col width="20%">
+ <col width="5%">
+ <col width="20%">
+ <col width="5%">
+</colgroup>
+<tr>
+<td colspan="2">Dette publique, intérêts,</td>
+<td class="right">3,700,000</td>
+<td>fr.</td>
+<td rowspan="2" class="right">4,500,000</td>
+<td rowspan="2">fr.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2">Amortisation,</td>
+<td class="right">800,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="4">Liste civile,</td>
+<td class="right">5,000,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="4">Conseil d'État,</td>
+<td class="right">322,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="4">Ministère de la justice et de l'intérieur,</td>
+<td class="right">5,000,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind1em">&mdash;</td>
+<td colspan="3">des finances, du commerce et du trésor,</td>
+<td class="right">8,463,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind1em">&mdash;</td>
+<td colspan="3">du secrétaire d'État et des rel. ext.,</td>
+<td class="right">1,090,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind1em">&mdash;</td>
+<td colspan="3">de la guerre,</td>
+<td class="right">20,000,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="4">&nbsp;</td>
+<td class="right">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2">&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="right">Total,</td>
+<td class="right">44,375,000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>On porte à un million la dette flottante de la liste civile. Si
+ celle-ci doit encore puiser dans le trésor public, voilà le tonneau
+ des Danaïdes; et comment dès cette seconde année les économies du
+ Roi peuvent-elles faire rentrer la dépense dans les limites qui ont
+ été si fortement excédées?</p>
+
+<p>Les sujets de la Westphalie payent 19 à 20 francs par tête. De tout
+ temps cette proportion était en Allemagne; en temps de guerre, sans
+ commerce et sans la possibilité d'établir un système productif et
+ bien combiné d'impositions indirectes, elle pourra difficilement se
+ maintenir, au moins il sera impossible de la dépasser. Et que
+ pourra-t-on attendre de la ressource des emprunts?</p>
+
+<p>Dans ma dépêche n<sup>o</sup> 16 j'ai informé Votre Excellence qu'on comptait
+ beaucoup sur le débit des sels westphaliens en Hollande. Depuis
+ quelques jours MM. <i>Vanhal</i> et <i>Grellet</i>, négociants d'Amsterdam,
+ sont arrivés ici. Il s'agit, autant que je puis en juger dans ce
+ moment, d'une espèce <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> de traité de commerce, en vertu
+ duquel ces maisons feraient des avances en argent qui leur seraient
+ remboursées par des sels, des cuivres, des fers et d'autres minéraux
+ qu'ils auraient la faculté d'extraire de la Westphalie. L'avance
+ dont on parle est de 6 millions. Le ministre de Hollande a présenté
+ ces négociants à M. le comte de <i>Furstenstein</i>; hier ils ont eu avec
+ le ministre des finances une conférence où leurs propositions ont
+ été acceptées; aujourd'hui le tout sera soumis à l'approbation de Sa
+ Majesté. Ils se sont présentés chez moi pour me demander des lettres
+ de recommandation pour les agents français à Brême par où
+ l'exportation doit se faire en suivant le Weser. Je leur ai promis
+ ces lettres; mais je les ai prévenus que mon devoir serait de rendre
+ compte de cette transaction à mon gouvernement. Ils m'ont dit que M.
+ <i>de Furstenstein</i> se proposait de m'en parler.</p>
+
+<p>M. le baron de Linden, ministre plénipotentiaire de Westphalie près
+ le prince-primat, vient d'être nommé ministre plénipotentiaire à
+ Berlin. M. <i>Siméon</i> fils, qui depuis trois mois y était arrivé comme
+ chargé d'affaires, a été nommé ministre plénipotentiaire à Darmstadt
+ et chargé d'affaires à Francfort. Le Roi a fait cette distinction
+ parce qu'il est survenu que le prince-primat n'avait point encore
+ accrédité de ministre auprès de la cour de Westphalie. M. <i>de
+ Norvins</i>, secrétaire général du ministère de la guerre, a été nommé
+ chargé d'affaires près la cour de Bade. On dit que M. <i>d'Esterno</i>
+ par ordre du Roi a dû retourner à Vienne. Lorsque M. <i>de
+ Furstenstein</i> me parla du retard de l'arrivée du comte de Grüne, je
+ lui demandai si ce retard avait influé sur la permission donnée à M.
+ <i>d'Esterno</i> de s'absenter de son poste? Il me répondit que non. M.
+ <i>de Linden</i>, de son côté, est sur le point de quitter Vienne. Ses
+ dernières lettres annoncent que les troupes autrichiennes se mettent
+ en mouvement, que la guerre est résolue à Vienne, que l'archiduc
+ <i>Charles</i> commandera en Allemagne une armée qu'on dit être de
+ 120,000 hommes et qui pourra être de 130,000; que l'archiduc <i>Jean</i>
+ commandera 100,000 hommes du côté de l'Italie; l'archiduc
+ <i>Ferdinand</i> l'armée de Bohême.&mdash;C'est ainsi que la destinée poursuit
+ sa marche et que les décrets de la providence s'exécutent, lorsque
+ l'heure de la chute des empires a sonné!</p>
+</div>
+
+<p>La guerre avec l'Autriche devenant de jour en jour plus probable,
+l'empereur voulut avoir des notions certaines sur le contingent
+westphalien, et fit envoyer l'ordre au baron Reinhard de lui faire
+connaître exactement l'état des troupes de Jérôme. Vers le
+commencement de mars, le ministre adressa, sur ce sujet, à M. de
+Champagny, une très longue lettre que nous allons analyser.</p>
+
+<p>M. Reinhard s'étant adressé, pour avoir des renseignements exacts,
+<span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> à M. de Norvins, alors secrétaire-général au département
+de la guerre, et le général Eblé, ministre, ayant refusé de
+communiquer les états de situation, M. de Norvins avait tiré de sa
+mémoire les chiffres et les notions d'où il résultait: que l'armée
+westphalienne était forte de 12 à 13 mille hommes dont 500
+officiers, présents sous les drapeaux, que sur ce nombre 7000
+étaient en marche et en Espagne, et 2500 à Cassel; que le matériel
+d'artillerie, fort pauvre, consistait en dix-huit bouches à feu
+données par l'empereur; que le général Morio venait d'acheter
+vingt-deux caissons et leurs attelages, que les généraux étaient
+pour la plupart vieux, usés, incapables, etc. La lettre de Reinhard
+se terminait ainsi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le général <i>Eblé</i>, Monseigneur, est venu m'entretenir de ses
+ chagrins et de ses sollicitudes. Il craint, malgré toute la
+ persévérance de son travail, de n'être pas en état de mettre de
+ l'ordre dans l'administration et dans l'organisation de l'armée
+ westphalienne et de remplir l'attente de S. M. I. Le Roi, dit-il,
+ n'est pas toujours disposé à s'occuper des détails. Beaucoup
+ d'heures se perdent à attendre dans l'antichambre. On est distrait
+ et l'on ne donne pas assez d'attention à ce qui n'amuse pas assez.
+ Souvent même une chose a été convenue et le lendemain c'est à
+ recommencer, parce que M. le comte de Bernterode (Du Coudras)
+ peut-être s'y est opposé. Au conseil d'État (et ceci ce n'est pas le
+ général Eblé qui me l'a dit) le ministre de la guerre, qui n'est pas
+ orateur, fait sa proposition. Un orateur, par exemple le général
+ Morio, parle contre avec éloquence. Le général Eblé hausse les
+ épaules et se tait. Souvent l'éloquence l'emporte. Souvent aussi le
+ roi dit: Morio, vous n'y êtes pas!&mdash;Mais voici ce que le général
+ Eblé m'a raconté, et ce qui lui a fait de la peine.</p>
+
+<p>Au dernier conseil, le comte de Hardenberg, grand-veneur, dit, au
+ sujet d'une certaine affaire: Je m'arrangerai là-dessus avec le
+ ministre de la guerre&mdash;Ce n'est pas cela, dit le roi en plein
+ conseil, vous êtes grand-officier et c'est au ministre de la guerre
+ à s'arranger avec vous. Il semble que si cette maxime est bonne, il
+ faudrait au moins pour la proclamer attendre que le temps et l'usage
+ l'eussent consacrée?</p>
+
+<p>M. <i>d'Albignac</i>, grand-écuyer, en déplorant comme le général Eblé
+ les désordres des finances, l'impossibilité de continuer les
+ dépenses de la cour sur le pied où elles sont, est réduit à la
+ nécessité de se renfermer dans un respectueux silence après s'être
+ fait dire souvent: «Ce ne sont point là vos fonctions.» Il m'a
+ exprimé le désir ardent de voir le Roi appelé à l'armée. Il ne voit
+ que ce seul moyen d'espérance et presque de salut. Au retour
+ d'Erfurt, m'a-t-il dit, le Roi était un tout autre <span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> homme.
+ Ses conversations avec l'Empereur l'avaient changé, mais huit jours
+ après, les femmes, la Reine, les intrigants l'avaient de nouveau
+ circonvenu.&mdash;Et comment fait, lui demandai-je, le trésorier-général
+ M. Du Chambon qui paraît être un très honnête homme?&mdash;Il se désole
+ et puis il s'étourdit, dit-il.</p>
+
+<p>Il est de mon devoir, Monseigneur, non d'accuser M. <i>de Bulow</i>,
+ ministre des finances, mais de dire que beaucoup de personnes
+ l'accusent. Aux yeux de M. <i>Jollivet</i>, c'est un ennemi des Français,
+ qui n'est jamais de bonne foi. Aux yeux de M. <i>d'Albignac</i>, c'est un
+ Prussien qui nous trahit et qui dans cette vue augmente le désordre
+ et favorise les dépenses. Aux yeux du Roi lui-même, m'a-t-on dit,
+ c'est un homme qui ment avec un sang-froid imperturbable.</p>
+
+<p>Le général <i>Eblé</i> aussi m'a dit que sa conduite commençait à lui
+ inspirer des doutes; qu'ils étaient convenus de faire en commun au
+ Roi des représentations sur l'état des finances et sur
+ l'impossibilité de faire ou de continuer certaines dépenses; mais
+ qu'au moment décisif M. <i>de Bulow</i> avait fléchi et qu'il avait fini
+ par dire qu'il y avait moyen de trouver de l'argent. M. <i>de Bulow</i>
+ est celui des ministres que je connais le moins, et qui, quoique je
+ ne laisse pas de causer souvent avec lui, se tient assez en réserve
+ avec moi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 10 mars 1809.</p>
+
+<p>J'étais déjà informé que le Roi ne touchait point son traitement de
+ prince français; mais je n'ai point rectifié cette erreur, parce
+ qu'elle se rectifiait d'elle-même: quant à la dépense de la liste
+ civile que j'ai portée à 13 millions en treize mois, je l'ai évaluée
+ ainsi sur l'autorité de deux ministres d'État. D'autres
+ renseignements, comme j'ai eu l'honneur de l'écrire à Votre
+ Excellence, la restreignaient à dix ou douze millions. J'ai ensuite,
+ dans une autre dépêche, porté le déficit du trésor public pendant
+ l'année passée à douze millions. Le déficit est entre le trésor
+ public et la liste civile, et celui du trésor public, proprement
+ dit, n'est que de six millions.</p>
+
+<p>Que le Roi soit parvenu à porter la recette de sa liste civile, au
+ moins pour l'année passée, à sept millions et demi, jusqu'à huit
+ millions, c'est ce qui m'a été assuré de trop de côtés, pour que je
+ puisse légitimement en douter. On m'a cité comme non compris dans
+ l'arriéré des six millions du trésor public:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" summary="Arriéré.">
+<colgroup>
+ <col width="5%">
+ <col width="45%">
+ <col width="20%">
+ <col width="25%">
+ <col width="5%">
+</colgroup>
+<tr>
+<td class="top">1<sup>o</sup></td>
+<td colspan="2">Obligations souscrites par le Roi et remises à la caisse
+ d'amortissement de Paris,</td>
+<td class="right">1,500,000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top"><span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> 2<sup>o</sup></td>
+<td colspan="2">Restitutions et charges concernant les domaines
+ réservés à Sa Majesté l'Empereur,</td>
+<td class="right">1,500,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">3<sup>o</sup></td>
+<td colspan="2">Emprunts du Roi,</td>
+<td class="right">2,000,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">4<sup>o</sup></td>
+<td colspan="2">Dette flottante de la liste civile d'après l'autorité
+ d'un ministre d'État (le général Eblé) (un million);
+ d'après d'autres renseignements,</td>
+<td class="right">500,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="right">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="right">5,500,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="3">En y ajoutant la liste civile et supplément,</td>
+<td class="right">7,500,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="right">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2">&nbsp;</td>
+<td>Le total sera de</td>
+<td class="right">13,000,000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>D'après le même calcul le total du déficit du trésor public et de la
+ liste civile sera de 11,500,000 fr. à 12 millions.</p>
+
+<p>Il se peut que dans cette évaluation même il y ait encore quelque
+ double emploi, et que, par exemple, une partie de l'emprunt ait été
+ employée à éteindre des obligations, et je suis d'autant plus porté
+ à croire que ma première évaluation a été exagérée, que le Roi,
+ ayant la réputation d'être vrai, aurait certainement dédaigné de
+ nier ce qui aurait été d'une parfaite exactitude.</p>
+
+<p>J'étais, je l'avouerai, un peu effrayé, lorsqu'après avoir évalué,
+ en vertu d'informations qui dataient de la fin de décembre et du
+ commencement de janvier, à deux millions seulement l'excédant des
+ dépenses de la liste civile, j'appris de plusieurs côtés qu'elles
+ avaient monté en totalité à une somme de 13 millions. Mon devoir me
+ pressa d'en informer Sa Majesté, et en ce moment-ci je préfère de
+ répondre promptement à la lettre de Votre Excellence déjà trop
+ retardée, par des éclaircissements encore incomplets, plutôt que
+ d'attendre ceux que des recherches ultérieures pourraient me
+ fournir, et que je me réserve de transmettre. L'administration
+ directe des finances de la Westphalie est entre les mains des
+ Allemands qui, par plus d'un motif que je dois ou respecter ou
+ excuser, se tiennent vis-à-vis de moi dans une réserve qui ne m'a
+ pas encore permis de chercher à puiser abondamment dans les sources
+ d'informations dont ils sont dépositaires, et je ne dois pas
+ brusquer une confiance qui ne m'est pas refusée, mais qui n'ose pas
+ passer les bornes du devoir ou de la circonspection. D'un autre
+ côté, tant que je conserverai l'espérance d'obtenir mes
+ renseignements de la persuasion qui devrait être celle de tout
+ Westphalien, que c'est l'identité d'intérêt, que c'est l'amitié pour
+ le souverain et pour le pays qu'il gouverne, qui les réclament pour
+ en faire le meilleur usage, je répugnerai à employer des moyens dont
+ le moindre inconvénient est d'offrir peu de garantie pour
+ l'exactitude.</p>
+
+<p>Je n'ose pas non plus me flatter, Monseigneur, que le Roi me
+ fournisse des occasions fréquentes de lui donner des conseils
+ d'économie; à l'exception d'une seule occasion dont je me suis
+ emparé, je n'ai encore <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> eu l'honneur de voir Sa Majesté que
+ dans les cercles de cour, et Votre Excellence aura pu se convaincre
+ par la conversation dont je lui ai rendu compte et dont sa dépêche
+ vient de me donner la clef, que dans l'opinion de Sa Majesté, des
+ communications de cette nature avec le ministre de France
+ sembleraient déroger à une intimité à laquelle le Roi attache un
+ prix si légitime. Peut-être votre correspondance ultérieure,
+ Monseigneur, m'ouvrira-t-elle quelques facilités à cet égard,
+ peut-être pourrai-je saisir quelque circonstance où faisant
+ connaître au Roi les sentiments de mon âme, je le disposerai à
+ m'accorder une confiance que je m'étais préparé d'avance à ne point
+ espérer après un séjour de deux ou trois mois seulement. Quelque
+ délicate que puisse être ma mission, je n'y vois point de devoirs
+ incompatibles, mais seulement des devoirs de première et de seconde
+ ligne: ils sont tous dans ce que Sa Majesté, avec une bonté qui m'a
+ pénétré d'admiration, a daigné me faire répondre au sujet du
+ compliment que m'a fait Sa Majesté westphalienne.</p>
+
+<p>L'économie personnelle du roi, insuffisante sans doute pour remédier
+ à la pénurie des finances de l'État, aurait cependant sur leur
+ amélioration une influence incalculable, et cette vérité est
+ tellement sentie, qu'il y a peu de jours, un des plus estimables
+ conseillers d'État m'a dit que si, en doublant la liste civile, on
+ pouvait établir la certitude d'un ordre parfait et invariable, et
+ celle d'intéresser le roi aux finances de l'État autant qu'aux
+ siennes propres, on ferait le marché le plus avantageux pour la
+ Westphalie.</p>
+
+<p>Les discussions relatives à la négociation de l'emprunt ou du traité
+ hollandais ne sont pas encore terminées. Avant-hier, en allant chez
+ M. le comte de Furstenstein, je rencontrai l'un des négociants qui
+ avait rendez-vous chez ce ministre pour la même heure: il me dit que
+ la négociation avait rencontré quelques difficultés, qu'elle faisait
+ jaser, qu'on prétendait que les intérêts monteraient à onze ou douze
+ pour cent (d'autres disent treize), tandis qu'ils ne seraient que de
+ six. Les deux manières de compter au reste peuvent se concilier.
+ L'emprunt, m'a-t-on dit, doit se faire réellement à 6 pour cent
+ d'intérêts; mais les prêteurs auront en même temps, pour le compte
+ du gouvernement, la régie de l'extraction et de la vente des sels et
+ métaux dont ils seront nantis, et sous ce rapport, il leur sera
+ alloué des provisions et des frais. Quoi qu'il en soit, Monseigneur,
+ le besoin d'argent pour le trésor de Westphalie est impérieux et
+ urgent. Les difficultés qui se sont élevées semblent prouver qu'on
+ ne veut pas y procéder légèrement. Le crédit de la Westphalie, le
+ commerce de Hollande y sont intéressés; les deux rois en désirent le
+ succès; quant à moi j'attends toujours qu'on m'en parle. L'emprunt
+ sera de six millions de francs.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+ <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 10 mars 1809.</p>
+
+<p>Depuis les fêtes de l'anniversaire de la reine, il n'y a point eu de
+ cercle à la cour. Au second bal, Sa Majesté en valsant avec le roi
+ se trouva mal. Elle eut une suffocation qui cependant passa
+ heureusement et ne laissa point de suite. Dans la semaine passée, la
+ reine pendant quelques jours se tint enfermée dans ses appartements.
+ Le roi a souffert et souffre encore d'un rhumatisme auquel il était
+ déjà sujet l'année passée: un peu de fièvre s'y joint vers la nuit.
+ Il y a eu quelques concerts dans l'intérieur.</p>
+
+<p>M. le comte de <i>Bernterode</i> (général du Coudras) donna quelques
+ jours un bal pour la fête de M<sup>me</sup> la comtesse: on tira un feu
+ d'artifice dans la cour; la maison étant située au milieu de la
+ ville, le roi, pour maintenir les règlements de police, condamna M.
+ de <i>Bernterode</i> à une amende de 25 frédérics, et M. <i>Bercagny</i> fut
+ condamné à la même amende pour avoir été témoin de l'infraction, et
+ ne s'y être pas opposé. M<sup>me</sup> de Bernterode ce jour-là reçut de la
+ Reine un beau présent consistant en colliers et en pendants
+ d'oreille de perles et d'améthystes.</p>
+
+<p>Le Moniteur westphalien d'hier annonce que M. le comte de
+ <i>Truchsess</i> étant obligé de résider sur ses terres, près de
+ K&oelig;nigsberg, Sa Majesté avait accepté la démission qu'il avait
+ donnée de sa place de grand-chambellan. Il y avait encore des
+ personnes qui croyaient aux revenants. Toutes les personnes de la
+ cour se louent de l'affabilité de la reine, depuis que M<sup>me</sup> de
+ <i>Truchsess</i> est partie. On s'étonne comment avec tant d'esprit cette
+ dame a pu trouver le secret de ne point laisser un seul ami.</p>
+
+<p>M. le comte et M<sup>me</sup> la comtesse de <i>Boehlen</i>, tous deux attachés à
+ la cour, vont la quitter pour résider dans leurs terres. M. de
+ <i>Boehlen</i> avait la direction de la garde-robe que le valet de
+ chambre, Louis, chassé il y a quelque temps, avait exploitée à son
+ profit. M. de <i>Boehlen</i> était absent depuis deux mois.</p>
+
+<p>Hier, dit-on, les officiers de la garde ont été convoqués pour être
+ avertis de se tenir prêts à entrer en campagne. On en infère que le
+ roi lui-même se dispose à partir pour l'armée.</p>
+
+<p>Un événement extraordinaire arriva dernièrement à Brunswick. Le
+ valet de chambre du général de Helleringen, commandant du
+ département de l'Ocker, entre en plein jour dans l'appartement de
+ son maître assis devant une table de manière à lui tourner le dos;
+ il s'en approche, passe une corde autour du cou du général et
+ cherche à l'étrangler. Le général se lève, lutte avec l'assassin et
+ se débarrasse de la corde. Celui-ci <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> sort, rentre et tire à
+ bout portant un coup de pistolet dont le général est blessé. Dans
+ l'intervalle on accourt et l'assassin est saisi. Il est en prison et
+ l'on ne conçoit pas encore la cause de cet attentat.</p>
+
+<p>M. le baron de <i>Keudelstein</i> (<i>La Flèche</i>) est en ce moment à
+ Brunswick pour se concerter avec les autorités de cette ville, sur
+ les réparations à faire au château que le roi a promis d'habiter
+ pendant quatre mois de l'année.</p>
+
+<p>Sous le rapport de l'industrie, comme sous plusieurs autres, la
+ ville de Cassel est bien en arrière de celle de Brunswick. On cite
+ des habitants de la première des traits de paresse qui sont
+ incroyables. Les artisans refusent d'augmenter le nombre de leurs
+ ouvriers, du moment où ils ont assez d'ouvrage pour gagner leur
+ subsistance journalière. Il s'agissait de faire faire des galons, il
+ y en avait de différentes largeurs. Ceux à qui on proposa la
+ fourniture la refusèrent en entier, uniquement par la raison que des
+ galons de petite largeur leur donnaient trop de peine, quoique du
+ reste ils eussent les métiers et les instruments nécessaires pour
+ les faire.</p>
+
+<p>La reine a fait l'acquisition d'une petite maison de campagne sur le
+ chemin de Napoléonsh&oelig;he où elle se propose d'établir une vacherie
+ suisse.</p>
+
+<p>Le second jour de la fête il y eut à Napoléonsh&oelig;he un petit opéra
+ intitulé le <i>Retour d'Aline</i>, où joua M. le comte de Furstenstein.
+ Le feu d'artifice fut contrarié par la neige et par quelques
+ accidents.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 16 mars 1809.</p>
+
+<p>Impatient d'éclaircir la question si embrouillée de l'état des
+ finances westphaliennes, je me suis prévalu du nouveau titre que les
+ intentions de Sa Majesté l'empereur me donnaient auprès de M.
+ <i>Siméon</i>. Je lui ai fait part des informations que j'avais
+ recueillies à ce sujet, et je lui ai demandé les siennes. Voici la
+ réponse de M. <i>Siméon</i>: il y a eu pour l'année passée excédant et
+ déficit à la fois. Le budget, rédigé encore sous M. <i>Beugnot</i>, avait
+ évalué les recettes à 23 millions. Les dépenses des ministères
+ avaient été réglées en conséquence: elles devaient être, par
+ exemple, de 5 millions pour le ministère de l'intérieur et de la
+ justice. Mais M. <i>Bulow</i> trouva que l'évaluation avait été trop
+ forte et qu'il fallait la réduire à 18 millions. Chaque ministère
+ subit en conséquence une réduction proportionnelle. Celui de
+ l'intérieur et de la justice ne devait recevoir que 3 millions &frac12;;
+ cependant comme au bout de l'année les recettes se trouvèrent avoir
+ monté à 22 millions, il y eut un excédant de 4 millions. Mais
+ l'administration peu économique du <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> général Morio et
+ l'excédant des dépenses que causait l'entretien des troupes
+ françaises, avaient produit dans le département de la guerre un
+ déficit qui absorba non seulement l'excédant de 4 millions, mais
+ bien au-delà. La liquidation des dépenses de ce département n'étant
+ pas encore achevée, on ne peut connaître le montant précis du
+ déficit.</p>
+
+<p>Ayant dit à M. <i>Siméon</i> que la source des renseignements qui
+ portaient le déficit des finances de l'État à 6 ou même à 12
+ millions remontait au conseiller <i>Malchus</i>, directeur de la caisse
+ d'amortissement, il m'a répondu que M. <i>Malchus</i> était l'ennemi
+ déclaré de M. de <i>Bulow</i>, et qu'on avait tort d'ajouter une foi
+ entière à ce qu'il disait au désavantage de son antagoniste.</p>
+
+<p>Quant à M. de <i>Bulow</i> lui-même, M. <i>Siméon</i> m'en a dit beaucoup de
+ bien, il a ajouté que quand il y aurait des reproches à lui faire,
+ il serait absolument impossible de le remplacer dans le moment
+ actuel; mais il m'a confirmé ce qui m'avait déjà été rapporté des
+ préventions qui ont été inspirées au roi contre la véracité et même
+ contre la probité de ce ministre.</p>
+
+<p>M. <i>Lefebvre</i><a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a><a href="#footnote115" title="Lien vers la note 115"><span class="smaller">[115]</span></a> et moi ayant cherché des occasions d'entretenir
+ M. de <i>Bulow</i> directement de la situation des finances, ce ministre
+ s'est fortement récrié contre l'imputation d'un déficit de l'année
+ passée. Il a assuré que tout ce qui concernait cet exercice était
+ parfaitement en règle et assuré; mais il a confirmé en même temps
+ tout ce que j'ai déjà écrit sur le déficit de l'année courante. Il a
+ ajouté que quant aux dépenses de la liste civile, c'était autre
+ chose, et que cela ne le regardait ni pour le passé, ni pour
+ l'avenir. Cependant il a soutenu que le roi n'avait rien pris sur
+ les budgets des dépenses de l'État. Enfin il m'a remis la note
+ ci-jointe sur les finances de 1808. Elle est, dit-il, le résumé du
+ tableau qui sous peu sera mis sous les yeux du public.</p>
+
+<p>Votre Excellence a maintenant sous les yeux un tableau officiel et
+ ostensible qui ne coïncide nullement avec les autres renseignements,
+ au moins jusqu'à ce qu'on puisse juger de quoi s'est composée la
+ recette. Je crois, Monseigneur, devoir terminer là mes informations
+ préliminaires, et ne reprendre cette matière que lorsque le temps et
+ les circonstances m'auront permis d'y apporter un plus grand jour.
+ Ma position ne me permet pas d'établir en ce moment une espèce de
+ confrontation qui d'ailleurs ne pourrait donner que des résultats
+ incomplets. Votre Excellence me permettra seulement de lui soumettre
+ les observations suivantes.</p>
+
+<p>M. de <i>Bulow</i> m'a dit lui-même qu'une rentrée de 12 millions sur
+ l'emprunt forcé de 20 millions s'était trouvée assurée au premier
+ janvier, et qu'il comptait sur la totalité des 20 millions. Tous les
+ autres <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> témoignages ne portent la recette qu'on peut
+ espérer de l'emprunt forcé qu'à 8 ou 9, tout au plus à 10 millions:
+ ainsi dans cette circonstance, au moins, il paraît hors de doute ou
+ que M. de <i>Bulow</i> se serait trop flatté, ou qu'il n'aurait pas dit
+ la vérité. M. <i>Siméon</i>, qui d'ailleurs ne paraît s'être occupé des
+ finances que par aperçu, croit à la probabilité d'un déficit de 5 à
+ 6 millions pour l'année passée; M. <i>Jollivet</i> en assure l'existence
+ et le porte à 6.</p>
+
+<p>Si la recette de 29,700,000 fr. se compose effectivement de revenus
+ réels et imputables à l'année 1808, il est à présumer que la crainte
+ du déficit de l'avenir, causé par les dépenses du département de la
+ guerre, aura fait exagérer le mauvais état des finances, même pour
+ le passé, surtout aux yeux des Allemands; que cette clameur générale
+ qui s'est élevée, se sera égarée dans son objet, et qu'elle aura été
+ en partie artificielle pour décréditer M. de Bulow.</p>
+
+<p>Quant aux paiements arriérés qui existent réellement dans plusieurs
+ parties et qui, par exemple, dans quelques branches de l'instruction
+ publique, comprennent jusqu'à huit mois, outre que cet arriéré peut
+ avoir des causes locales, M. de <i>Bulow</i> m'a dit qu'il en existait
+ sans doute, puisque les rentrées, quoique assurées, n'étaient pas
+ encore toutes réalisées, mais que positivement ces rentrées feraient
+ face à tout.</p>
+
+<p>J'ai fait observer à ce ministre que puisque les revenus de l'année
+ avaient si heureusement excédé l'estimation, c'était preuve que la
+ Westphalie avait de grandes ressources, et qu'on pouvait espérer
+ que, son système financier étant actuellement organisé, elle
+ supporterait même une forte augmentation de dépenses.</p>
+
+<p>M. de <i>Bulow</i> m'a répondu que la constitution avait fait tarir
+ plusieurs sources de revenu; qu'on ne pouvait pas compter dès les
+ premiers moments sur un succès complet des opérations nouvelles; que
+ les provinces les plus riches étaient surchargées de frais
+ d'entretien des gens de guerre, qu'elles s'en ressentaient déjà au
+ point de faire craindre qu'elles ne pourraient bientôt plus payer
+ leurs impositions; et tout-à-coup il s'est rejeté sur le chapitre
+ des dépenses que causaient les troupes françaises. On dit, a-t-il
+ ajouté, que je suis l'ennemi des Français: mais je suis ministre des
+ finances, je dois défendre les intérêts qui me sont confiés, et
+ lorsque je vois, d'un côté, les soldats français logés et nourris
+ chez les habitants, les transports faits par réquisition; lorsque
+ d'un autre je vois accourir ici tant de Français qui cherchent à
+ faire une fortune rapide et accaparer toutes les places et tous les
+ profits, m'est-il permis de rester indifférent?</p>
+
+<p>Il me reste à dire, Monseigneur, que lorsque j'ai évalué les
+ dépenses de l'année courante à 45 ou 46 millions, les nouveaux
+ régiments qui se lèvent, et les dépenses qu'exige la mise en
+ activité du contingent entier, n'y étaient pas compris, et que le
+ tableau de la totalité des dépenses <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> qui a été mis sous les
+ yeux du roi monte à 52 millions. Vous voyez toujours, Monseigneur,
+ cette alternative: ou bien il n'y a point eu d'arriéré pour l'année
+ passée, mais le déficit de l'année courante sera d'autant plus fort;
+ ou bien il y a eu du déficit l'année passée, et celui de l'année
+ courante sera d'autant moindre; et l'intérêt de ce pays-ci c'est de
+ soutenir que les dépenses de l'armée et de la guerre sont les seules
+ causes de désordre. Quant aux dépenses de la liste civile, rien n'a
+ contredit jusqu'à présent les renseignements que j'ai transmis.</p>
+
+<p>Dans cette situation des choses, l'opération qui se fait avec la
+ Hollande pourrait être un véritable bienfait. Hier l'approbation de
+ Sa Majesté hollandaise est arrivée, et le traité ne tardera pas à
+ être conclu. Il est vrai que les conditions seront un peu onéreuses.
+ Les voici: intérêts 6 pour cent et en outre un et demi pour cent en
+ loterie; commission 2 pour cent; frais de l'opération, au moins 5
+ pour cent; les frais, disent les prêteurs, seront de première mise:
+ ils n'auront pas besoin d'être renouvelés, quand l'opération
+ durerait pendant vingt ans. L'emprunt actuel sera de 3 millions de
+ florins en actions de 1000 florins pour lesquelles on s'inscrira à
+ la bourse d'Amsterdam. Les Hollandais recevront les denrées au lieu
+ du dépôt; ils se chargeront de leurs transports aux frais de la
+ Westphalie. Sa Majesté le roi de Hollande en permettra l'importation
+ et le débit.</p>
+
+<p>D'un autre côté, on a calculé que le prix des sels en Hollande était
+ en ce moment quadruple de celui qu'ils ont aux lieux de dépôt en
+ Westphalie, et comme ils font l'objet principal de l'opération
+ entière, on a trouvé que six mille lafts suffiraient à peu près pour
+ couvrir l'emprunt.</p>
+
+<p>M. le comte de <i>Furtenstein</i>, comme je le prévoyais, ne m'a parlé de
+ rien. Cependant les négociants hollandais étant revenus pour me
+ demander des lettres de recommandation pour les agents français à
+ Bremen, j'ai d'autant moins hésité à leur confirmer ma promesse, que
+ Votre Excellence étant instruite depuis 15 jours de cette opération,
+ se trouvera en mesure de faire parvenir ses ordres soit à moi, soit
+ à M. Legau.</p>
+
+<p>Les négociants hollandais m'ont dit que le succès de cette opération
+ avait éprouvé ici beaucoup de difficultés. On prétend que la
+ jalousie contre M. de <i>Bulow</i> en a été la cause; que les préventions
+ du roi contre ce ministre viennent de M. de <i>Furstenstein</i> et de M.
+ <i>Bercagny</i>, et que le projet de placer des Français à la tête des
+ finances et de l'intérieur existe toujours. Sa Majesté I. et R. m'a
+ recommandé de lui faire connaître l'opinion et la situation de M.
+ <i>Siméon</i> et de M. le général <i>Eblé</i>. J'ai déjà en partie satisfait à
+ cet ordre, voici ce qu'il me reste à ajouter.</p>
+
+<p>La situation de M. <i>Siméon</i> s'est beaucoup améliorée: il a regagné
+ du crédit et de l'influence. Son fils, que le roi n'avait pas trop
+ bien traité, <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> a obtenu un poste plus avantageux. Il paraît
+ certain qu'on avait proposé au roi un projet d'après lequel le
+ directeur de la haute police aurait été une espèce de premier
+ ministre, et que le roi l'a rejeté. L'opinion de M. <i>Siméon</i> sur le
+ roi est celle de tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Il rend
+ une justice entière à son c&oelig;ur et à son esprit: il admire la
+ droiture et la noblesse de l'un, la sagacité et la pénétration de
+ l'autre; il ne dissimule point quelques défauts de caractère ou
+ d'inexpérience. Le roi lui paraît trop impérieux sans être toujours
+ ferme. Les idées qu'il se fait des droits et des devoirs de la
+ royauté lui paraissent encore ou incomplets ou erronés; il craint
+ qu'entouré par trop de médiocrités dans son intérieur, le roi ne se
+ laisse trop aller à des ministres, et qu'il ne lui soit difficile
+ d'acquérir ce coup d'&oelig;il de monarque qui embrasse l'ensemble, et
+ qui sait mettre toutes les choses à leur véritable place. Quant aux
+ finances, M. <i>Siméon</i> pense aussi que la Westphalie ne pourra pas
+ supporter à la longue les charges qui pèsent sur elle en ce
+ moment-ci; sur les dépenses de la liste civile, il s'en rapporte à
+ la voix publique.</p>
+
+<p>Le général <i>Eblé</i> se plaint de ce que le roi, dans son cabinet, ne
+ donne pas toujours aux détails des affaires la même attention qu'il
+ leur donnerait au conseil d'État. Il trouve de la difficulté à
+ concilier toujours ses devoirs comme ministre de la guerre en
+ Westphalie et comme général français dans des questions concernant
+ les frais d'entretien, ou la conduite des troupes auxiliaires. Il
+ m'a avoué que cette considération avait influé aussi sur la demande
+ qu'il avait faite à M. le comte de <i>Hunebourg</i> d'être employé
+ activement en cas de guerre. Il m'a chargé surtout de faire
+ connaître à Sa Majesté I. et R. sa fidélité de tous les temps et son
+ entier dévouement. Il évalue les dépenses accessoires à faire pour
+ mettre le contingent sur le pied ordonné par Sa Majesté à 3 millions
+ sur lesquels M. de <i>Bulow</i> lui a accordé un acompte de 500,000 fr.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;Le roi, il y a quelques jours, demanda au général <i>Eblé</i> un
+ état de situation de ses troupes. Le général le lui porta. Il n'est
+ pas exact, dit le roi.&mdash;Mais, Sire, il est conforme aux états qui se
+ trouvent dans mes bureaux.&mdash;Enfin le roi insista, et le ministre fut
+ obligé d'y faire différents changements dont le résultat était une
+ différence de 7 à 800 hommes au plus.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 17 mars 1809.</p>
+
+<p>Le roi est sorti hier pendant quelques minutes en voiture. Le temps
+ était pluvieux; il devait aller le soir au spectacle en grande loge.
+ Mais un accès de fièvre assez forte l'a pris. On croit que c'est une
+ suite des douleurs de ses rhumatismes.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> S. M. depuis quelque temps n'avait pas l'air d'une parfaite
+ santé.</p>
+
+<p>Le Roi, à cause de son indisposition, n'avait pas non plus reçu la
+ cour dimanche dernier. Le même jour, il fit publier dans le palais
+ un ordre par lequel les entrées journalières auprès de Leurs
+ Majestés furent restreintes aux grands officiers et aux personnes de
+ service du jour. Depuis cet ordre, on a vu paraître pour la première
+ fois en fracs, dans les soirées de la ville, les personnes attachées
+ au palais et M. le comte de <i>Furstenstein</i>. On assure que M<sup>me</sup> de
+ X... jouit en ce moment de la confiance du roi. Elle attend son mari
+ qui sera, dit-on, nommé aide de camp de S. M.</p>
+
+<p>Depuis quelque temps, M<sup>me</sup> de X... paraît rarement dans les sociétés
+ ou les quitte à neuf heures. On <i>prétend qu'elle ne s'est point
+ encore rendue</i>. Si elle se fait désirer longtemps, et si la passion
+ du roi est assez forte pour ne point chercher à se distraire
+ ailleurs, elle aura bien mérité de ce jeune prince.</p>
+
+<p>M. de <i>Marinville</i>, secrétaire intime du roi, qu'on dit être employé
+ aussi pour une certaine partie des plaisirs de S. M., est devenu
+ gardien de la cassette du roi, à la place de M. <i>Duchambon</i>, dont
+ les représentations quelquefois un peu importunes avaient déplu.
+ Cependant M. <i>Duchambon</i> reste trésorier général de la couronne. M.
+ le comte de <i>Lerchenfeld</i>, ministre de Bavière, a fait, il y a
+ quelques jours, pour la troisième fois depuis deux mois, une course
+ qui paraît encore devoir aboutir à Francfort. L'objet de la première
+ était un rendez-vous, moitié d'amour, moitié de politique, avec M<sup>me</sup>
+ la <i>princesse de la Tour et Taxis</i>. Il en revint malade. Dans la
+ seconde il avait vu le <i>prince-primat</i>. Il en revint rempli de
+ fausses nouvelles qu'il débita avec beaucoup d'assurance, même à M.
+ le comte de <i>Furstenstein</i>, et qui se trouvèrent démenties trois
+ jours après. On ne sait pas encore ce qu'il rapportera de la
+ troisième. Cependant, comme le gouvernement westphalien ne s'est
+ point formalisé de ces voyages hors du pays où il est accrédité, il
+ y a lieu de croire qu'ils ont été autorisés, et que le roi est au
+ moins en partie dans le secret de ces absences.</p>
+
+<p>La foire de Cassel a commencé lundi dernier: elle durera quinze
+ jours. Elle est fréquentée par un assez grand nombre de marchands.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 21 mars 1809.</p>
+
+<p>M. <i>Bercagny</i> m'a parlé longtemps contre M. de <i>Bulow</i> et ne m'a pas
+ caché qu'il avait accusé ce ministre auprès du roi lui-même. Voici
+ les principaux, ou plutôt les seuls griefs que M. <i>Bercagny</i> ait
+ articulés. M. <i>Beugnot</i> était dans l'usage de laisser dans les
+ caisses départementales tous les fonds nécessaires aux dépenses
+ locales. Il entretenait souvent <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> S. M. de la pénurie du
+ trésor et de la nécessité de ménager les ressources de la
+ Westphalie. M. de <i>Bulow</i> n'eut rien de plus pressé que de se faire
+ valoir par l'abondance avec laquelle il savait faire affluer
+ l'argent au trésor; il y fit venir celui réservé par M. <i>Beugnot</i>;
+ il en fit l'étalage aux yeux de S. M. En attendant, un grand nombre
+ d'employés dans les départements ne furent pas payés. Les juges de
+ paix, les officiers de police furent laissés dans la misère. Les
+ plaintes arrivèrent aussi de tous côtés; il fallut à grands frais
+ renvoyer l'argent. M. de <i>Bulow</i> a accumulé aussi les recettes
+ communales avec celles du trésor public. Enfin M. de <i>Bulow</i> est un
+ charlatan, un intrigant du grand genre. Le roi s'est moins contenu
+ dans ses dépenses, parce qu'on lui a persuadé que cela était moins
+ nécessaire. M. <i>Bercagny</i> craint que M. de <i>Bulow</i> ne parvienne à se
+ faire renvoyer par une boutade; qu'alors il ne soit regretté et il
+ ne dissimule point que ce n'est que son grand cordon de la légion
+ d'honneur qui le protège. «Mais, dis-je à M. <i>Bercagny</i>, M. de
+ <i>Bulow</i> a obtenu un excédant dans les recettes de l'an
+ passé?»&mdash;«Excédant, dit M. <i>Bercagny</i> en haussant les épaules...»,
+ mais il n'entra dans aucun détail. Quoi qu'il en soit, Monseigneur,
+ M. <i>Bulow</i> peut avoir été faible; il peut avoir osé se permettre ce
+ qu'un conseiller d'État français pourrait prendre sur lui; il peut
+ avoir succombé à l'envie de plaire et de faire autrement que son
+ prédécesseur; aujourd'hui du moins son langage a changé, et il dit
+ hautement que si les dépenses continuent sur le pied actuel, il ne
+ reste qu'à mettre la clef sous la porte.</p>
+
+<p>L'affaire de l'emprunt hollandais n'est point encore terminée. On
+ parle sourdement d'un projet de banque territoriale ou plutôt d'une
+ banque à billets hypothéqués sur des immeubles. Je persiste à penser
+ que, même aux conditions onéreuses que j'ai fait connaître,
+ l'opération de l'emprunt est bonne pourvu qu'on n'en abuse pas. Elle
+ serait détestable si, pour obtenir beaucoup d'argent à la fois, elle
+ dépouillait le royaume de ses produits bruts, si l'on encombrait les
+ marchandises de la Hollande et si l'on anticipait ainsi peut-être
+ sur les revenus de plusieurs années.</p>
+
+<p>Je suis convaincu, Monseigneur, que vous rendrez justice à la
+ sollicitude avec laquelle je m'appesantis sur l'état des finances.
+ C'est le côté faible du pays, et j'ose ajouter du roi. Le pays peut
+ être sauvé d'embarras imminents; il en est temps encore; le roi peut
+ être sauvé d'une situation pénible, d'un découragement qui déjà le
+ gagne et du regret de céder à la nécessité tandis qu'on est digne
+ d'acquérir la gloire d'une résolution libre et généreuse.</p>
+
+<p>Votre Excellence peut prévoir aussi deux événements dont l'un ou
+ l'autre, ou tous les deux peut-être, peuvent arriver dans l'espace
+ d'un mois: le départ du Roi pour l'armée et un changement important
+ dans les projets. Dans les deux cas, je croirai devoir me prévaloir
+ de l'autorisation <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> qui m'a été donnée de vous en informer,
+ Monseigneur, par un courrier extraordinaire.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 29 mars 1809.</p>
+
+<p>J'ai reçu la dépêche par laquelle Votre Excellence me charge de
+ donner communication à la cour de Cassel de la disposition que Sa
+ Majesté impériale a faite du grand duché de Berg, en faveur du fils
+ aîné de S. M. le roi de Hollande. Je me suis acquitté de cet ordre,
+ et j'ai adressé une copie de l'acte à M. le comte de <i>Furstenstein</i>.</p>
+
+<p>J'ai demandé au général <i>Eblé</i> dans quelle intention le roi avait
+ ordonné, dans l'état de situation de ses troupes, que le
+ prince-connétable lui avait demandé, les changements dont j'ai parlé
+ dans le post-scriptum de mon n<sup>o</sup> 24. Ce ministre m'a dit que ce
+ n'était point dans la vue de porter un plus grand nombre d'hommes
+ effectifs que celui qui existait réellement, mais dans celle de
+ montrer que son armée entière était, jusqu'aux moindres détails,
+ organisée sur le modèle français, et en état de marcher.</p>
+
+<p>Les monnaies, Monseigneur, m'amènent naturellement aux finances,
+ mais ce sera, je l'espère, pour en sortir au moins pour quelque
+ temps. J'ai trouvé l'occasion de prendre connaissance d'une pièce
+ authentique et officielle qui ne laisse aucun doute sur le déficit
+ des finances de l'État. C'est un rapport fait par une commission
+ spéciale du conseil d'État sur les dépenses de l'armée et sur les
+ moyens de les réduire à une proportion convenable avec les revenus.
+ Dans ce rapport, les dépenses de l'armée pour l'année courante sont
+ évaluées comme suit:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" summary="Troupes.">
+<colgroup>
+ <col width="75%">
+ <col width="20%">
+ <col width="5%">
+</colgroup>
+<tr>
+<td>Troupes westphaliennes,</td>
+<td class="right">14,250,000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>Troupes françaises,</td>
+<td class="right">7,990,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>Arriéré du dépar<sup>t</sup> de la guerre pour l'année passée,</td>
+<td class="right">6,000,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="right">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="right">28,240,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>En y ajoutant les autres dépenses de l'État, telles que
+ je les ai déjà fait connaître dans mon n<sup>o</sup> 19,</td>
+<td class="right">24,375,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="right">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td>La dépense totale sera de</td>
+<td class="right">52,615,000</td>
+<td>fr.</td>
+</table>
+
+<p>Dans les dépenses de la guerre ainsi énoncées, se trouvent comprises
+ celles de la conscription nouvelle et de la levée des deux nouveaux
+ régiments.</p>
+
+<p>À l'égard de l'arriéré de 6,000,000 le rapport s'exprime ainsi:
+ «Quand il serait vrai qu'une partie de ce déficit sera couverte par
+ un excédant dans les recettes, etc.». Mais d'un autre côté le
+ général <i>Eblé</i> estime que l'arriéré ira à 7 millions et au-delà.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> En évaluant en conséquence l'arriéré de l'État entre 5 et 6
+ millions, et l'arriéré de la liste civile, tel que je l'ai énoncé
+ dans mon n<sup>o</sup> 22, entre 4 et 6 millions, l'arriéré total de l'année
+ passée sera toujours entre 10 et 12 millions, et rien ne m'autorise,
+ jusqu'à présent, à me départir de cette estimation. Or, Monseigneur,
+ les recettes présumées de l'année devant monter au plus à
+ 38,500,000, l'arriéré de l'État pour l'année sera de 14,000,000.</p>
+
+<p>Je reviens au rapport qui a été soumis à Sa Majesté, mais sur lequel
+ il n'a été et dans les circonstances actuelles il n'a pu être pris
+ aucune détermination. Ce rapport met en principe que, dans la
+ proportion des recettes de l'État, les dépenses de la guerre ne
+ peuvent excéder 13 millions. Il prouve par des faits que, dans le
+ système allemand, l'entretien de 25,000 hommes ne coûterait que 10 à
+ 11; et que dans le système prussien il ne coûterait que 8 millions.
+ Il recherche les causes qui augmentent les dépenses pour l'armée
+ westphalienne, et il indique les moyens de les réduire. Les causes
+ d'augmentation, il les trouve principalement en ce qu'une armée de
+ 25,000 hommes pour l'entretien et l'administration a été organisée
+ entièrement sur le pied de l'armée française, qui est de 600,000
+ hommes; en ce que la garde par son nombre, par ses dépenses et par
+ son administration séparée, est hors de proportion avec le reste de
+ l'armée et avec les moyens du royaume (la garde est de 2473 hommes,
+ elle coûte, selon le rapport, 1,800,000 fr.; les frais de première
+ mise des deux nouveaux régiments en coûtent autant); en ce que
+ toutes les fournitures se font par entreprise et rien par économie;
+ en ce que le matériel et le personnel de l'armée n'étant point
+ séparés, il n'existe aucun contrôle pour les dépenses, et que les
+ facultés du ministre de la guerre le plus probe, le plus actif, ne
+ sauraient suffire à une pareille surveillance, etc., etc. Les moyens
+ de réduction seraient de rendre le soldat allemand à ses anciens
+ usages pour le pain, pour l'habillement, pour les masses, de
+ rétablir surtout l'usage des retenues, ce qui produirait l'épargne
+ de plus d'un tiers sur la solde.</p>
+
+<p>Le général <i>Eblé</i> pense que la dernière conscription de 7000 hommes
+ suffira à peine pour remplir tous les cadres, le vide qu'a laissé la
+ désertion, et les nouveaux corps accessoires devenus nécessaires
+ pour organiser les deux divisions conformément aux vues de Sa
+ Majesté I. et R. Sa modestie est telle, que malgré son travail
+ infatigable, quoiqu'il ne se permette presque pas un seul moment de
+ distraction, il craint que ses moyens ne soient au-dessous de sa
+ place; qu'on ne lui fasse ce reproche, et que tandis que ses
+ camarades vont recueillir de la gloire sous les yeux de l'empereur,
+ il n'ait à lutter infructueusement dans une situation difficile et
+ peut-être ingrate. Ce qui l'afflige surtout, c'est qu'il croit
+ remarquer que le roi n'a pas assez confiance en lui. Je l'ai
+ <span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> rassuré sur tous les points: je lui ai fait sentir qu'au
+ moins le roi ne lui refuserait pas la confiance de l'estime. Je l'ai
+ consolé par mon propre exemple, et en effet, Monseigneur, c'est la
+ même nuance de caractère de Sa Majesté qui, pour le général <i>Eblé</i>
+ et pour moi, produit les mêmes effets. Elle ne nous empêchera pas de
+ sentir, d'aimer et d'admirer ses excellentes qualités, et pour ce
+ qui me concerne personnellement, s'il est certain que plus de
+ confiance de la part de Sa Majesté me rendrait plus heureux, je dois
+ dire en même temps que la manière dont la plupart des personnes qui
+ approchent du jeune monarque se conduisent à mon égard ne me laisse
+ rien à désirer.</p>
+
+<p>L'affaire de l'emprunt hollandais est terminée. Les deux négociants
+ sont partis sans me demander de lettres pour M. Lagau. Ils doivent
+ revenir. Ils devaient fournir sur-le-champ 2 millions d'argent
+ comptant; ils sont allés chercher un troisième.</p>
+
+<p>M. de Moronville, ministre de Darmstadt près cette cour, est parti
+ ce matin en congé. Il sera chargé de conduire à l'armée l'un des
+ fils du grand-duc. Son départ laisse des regrets à ceux qui l'ont
+ connu.</p>
+
+<p>La police a recueilli plusieurs indices de menées secrètes qui ont
+ lieu en ce moment, dans une partie de la Westphalie, sous les
+ auspices de l'ancien électeur. Il y a des émissaires, des affiches,
+ des promesses pour les militaires qui voudraient quitter le service
+ de la Westphalie. L'effet de ces man&oelig;uvres est suffisamment
+ neutralisé par la marche imposante des troupes françaises qui
+ successivement traversent ce pays. Le 25<sup>e</sup> régiment d'infanterie et
+ deux régiments de cuirassiers ont passé par Cassel.</p>
+</div>
+
+<p>On était à la veille de la singulière aventure du major prussien
+Schill et des soulèvements de quelques parties du nouveau royaume.
+La police avait vent de quelques trames en cours de préparation,
+mais ne tenait nullement le fil de la machination.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 29 mars 1809.</p>
+
+<p>Le Moniteur westphalien fait mention aujourd'hui d'une excursion que
+ le roi fit dernièrement pour Münden où Sa Majesté alla voir un yacht
+ que le roi de Hollande lui avait envoyé. La modestie du roi n'a pas
+ permis qu'on y parlât des bienfaits qu'il a répandus sur sa route.
+ Il s'est entretenu familièrement avec des habitants de la ville et
+ de la campagne qui étaient accourus pour le voir. Il a fait
+ man&oelig;uvrer un bataillon westphalien qui se trouvait là; et comme
+ c'était un jour de dimanche, il lui a fait distribuer 25 frédérics
+ qui ont été reçus aux cris de: Vive le Roi! Il rencontra, au retour,
+ des conscrits cheminant gaiement <span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> et criant: <i>Vivat der
+ König!</i> d'aussi loin qu'ils purent l'apercevoir, il les encouragea
+ et leur fit également donner une petite gratification.</p>
+
+<p>D'un autre côté, M. le colonel Bongars<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a><a href="#footnote116" title="Lien vers la note 116"><span class="smaller">[116]</span></a> épargna dernièrement au
+ roi quelques frédérics, sous prétexte d'avoir mal entendu. Le roi,
+ un soir, voulant aller à l'Orangerie avec la reine, et ne trouvant
+ aucune de ses voitures prêtes, commanda qu'on fît avancer le premier
+ cocher qu'on trouverait: il ordonna ensuite au colonel Bongars de
+ donner à cet homme 25 frédérics; M. Bongars en donna 5.</p>
+
+<p>La santé de Sa Majesté paraît assez bien rétablie: la reine à son
+ tour a été incommodée pendant quelques jours.</p>
+
+<p>Il y a eu concert et cercle jeudi passé à la cour, pour la première
+ fois depuis un mois.</p>
+
+<p>M. de <i>Lerchenfeld</i>, ministre de Bavière, est désolé de l'habitude
+ que le roi a prise depuis quelques semaines de donner à souper aux
+ personnes attachées au palais, les jours d'assemblée chez ce
+ ministre. Il parle de faire un quatrième voyage de plus longue durée
+ que les autres, et dans lequel il emmènerait sa femme. On prétend
+ que le souper auquel celle-ci avait été invitée par la reine, sans
+ son mari, et où elle manqua seule de toutes les femmes des autres
+ ministres, a donné lieu à ces soupers qui désolent M. de
+ <i>Lerchenfeld</i>.</p>
+
+<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> vient de se fiancer avec la fille
+ aînée de M. le comte de <i>Hardenberg</i>, conseiller d'État et
+ grand-veneur. Ce mariage paraît bien assorti et d'une bonne
+ politique. Il attachera au roi une famille considérée, mais dont la
+ fortune a beaucoup souffert, et qui n'avait pas la réputation
+ d'aimer beaucoup les Français.</p>
+
+<p>Le général <i>Eblé</i> aussi attend M<sup>lle</sup> Freteau pour l'épouser: elle
+ appartient à une famille infiniment respectable de l'ancienne robe
+ de Paris, mais elle n'a, dit-on, que 18 ans, et le général Eblé en a
+ plus de cinquante. Et son ministère?</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 15 avril 1809.</p>
+
+<p>Le Moniteur westphalien d'hier donne des nouvelles du voyage de LL.
+ MM.; on dit aujourd'hui que leur retour n'aura lieu que le 23.</p>
+
+<p>Avant-hier a passé un courrier extraordinaire venant du
+ quartier-général de M. le duc d'<i>Auerstaedt</i> et portant des dépêches
+ pour le roi. Le département des relations extérieures ayant reçu
+ hier de Stuttgard, par estafette, la nouvelle qu'un corps
+ considérable a passé l'Inn près de <i>Braunau</i>, je présume que les
+ dépêches de ce courrier auront donné à Sa Majesté connaissance de
+ cet événement important. Voilà donc la <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> guerre commencée!
+ Si la justice de notre cause et le nom de Napoléon doivent déjà
+ faire pressentir, même à nos ennemis, que les arrêts de la destinée
+ seront accomplis; si déjà la grande catastrophe qui se prépare
+ n'appartient plus au domaine de l'incertitude, qui ne peut plus
+ tomber que sur les événements qui l'amèneront, c'est cependant avec
+ un frémissement involontaire qu'on entend retentir au loin ce
+ premier coup de canon; nouveau signal de la fureur aveugle, de la
+ mort et de la chute d'un empire!</p>
+
+<p>Un courrier westphalien, renvoyé de Vienne par M. d'<i>Esterno</i>, a
+ porté la nouvelle de l'entrée dans cette capitale du ministre
+ anglais et la proclamation de l'<i>archiduc Charles</i>, aussi remplie
+ d'illusions que d'impostures. M. d'<i>Esterno</i> explique ce qui y est
+ dit des troupes étrangères qui, dans une union intime, vont
+ combattre à côté des armées autrichiennes, par un débarquement que
+ les Anglais vont faire à Trieste.</p>
+
+<p>Il n'est pas douteux, Monseigneur, que parmi ces frères allemands
+ qui, encore en rangs paisibles, attendent leur délivrance,
+ l'Autriche ne compte surtout un grand nombre de Westphaliens. Des
+ faits dont j'ai déjà rendu compte, des renseignements venant de
+ Vienne, et de nouvelles correspondances interceptées, en offrent la
+ preuve. Du reste, les événements qui pourraient faire quitter à ces
+ rangs leur attitude paisible ne sont guère dans l'ordre des
+ probabilités, et les derniers placards d'insurrection dont j'ai
+ rendu compte à Votre Excellence, sont, ainsi que ceux qui les
+ avaient précédés, restés sans effet.</p>
+
+<p>À la suite de l'attentat de <i>Stendal</i>, plusieurs habitants de cette
+ ville ont été arrêtés. J'apprends qu'un d'eux s'est tué dans sa
+ prison; mais ce qui donne une nouvelle importance à cette affaire,
+ ce sont les révélations faites par un homme, porteur de
+ correspondances suspectes, revenant de Berlin, et arrêté à
+ Magdebourg. C'est un paysan des environs de Bielefeld qui avait
+ entrepris le second voyage, sur l'instigation de quelques anciens
+ baillis de son canton. Il fut adressé deux fois au major <i>Blücher</i>
+ et au major <i>Schill</i>, tous deux au service actuel de Prusse. Ce fut
+ le major <i>Schill</i>, le même qui avait acquis quelque célébrité dans
+ la dernière guerre, qui le fit loger et nourrir gratis, et habiller
+ à neuf. Dans sa seconde course, dès qu'il fut entré sur le
+ territoire prussien, et qu'il se fut annoncé comme porteur d'un
+ message pour le major <i>Schill</i>, il fut escorté de poste en poste par
+ des hussards du corps de cet officier, excepté la dernière station
+ qui précède Berlin. Il portait des billets du major <i>Schill</i>
+ adressés à quatre baillis, billets insignifiants en apparence, mais
+ qui expriment l'espérance de se revoir bientôt. En même temps, le
+ major, qui se croit sans doute un héros, envoye son portrait aux
+ quatre baillis. Le major Blücher avait remis au messager une espèce
+ de lettre circulaire où il exhorte au courage et à la persévérance.</p>
+
+<p>Un fait, Monseigneur, qui avait déjà frappé mon attention, lorsque
+ <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> je l'ai lu dans les papiers allemands et que j'ai relu
+ hier dans la feuille du <i>Publiciste</i> d'avril, me paraît avoir un
+ rapport assez marqué avec l'événement de <i>Stendal</i> et avec la
+ déposition de ce paysan. Le voici: «Berlin, 27 mars. Le 16, les
+ hussards de <i>Schill</i> sont partis inopinément de cette capitale pour
+ aller prendre des cantonnements dans les environs, du côté de
+ Lichtenberg. On croit que ce corps est chargé d'observer les
+ traîneurs des troupes qui traversent actuellement la moyenne Marche
+ et d'empêcher qu'elles ne s'écartent de la route militaire pour se
+ répandre dans les campagnes et y commettre des excès<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a><a href="#footnote117" title="Lien vers la note 117"><span class="smaller">[117]</span></a>.»</p>
+
+<p>J'ai fait part de cette circonstance à M. <i>Siméon</i> qui était venu
+ m'informer de l'arrestation faite à Magdebourg. Elle lui a paru
+ d'autant plus remarquable que le prisonnier avait aussi déposé qu'il
+ avait rencontré, en revenant de Berlin, ces hussards qui s'étaient
+ soigneusement informés du nombre de troupes qui pouvaient être à
+ Magdebourg.</p>
+
+<p>Le préfet du département de l'Elbe avait adressé son rapport au
+ ministre de l'intérieur qui l'a reçu cacheté du sceau du cabinet du
+ roi. Il est en conséquence probable que Sa Majesté aura déjà pris
+ connaissance des faits, et l'on attribue à cette circonstance
+ l'ordre qu'a reçu avant-hier M. <i>Bercagny</i> de se rendre à Brunswick.
+ Le ministre de la justice, de son côté, y a adressé son rapport, et
+ il a déjà donné des ordres pour l'arrestation provisoire des quatre
+ baillis et de quelques autres personnes compromises. On se demande,
+ Monseigneur: serait-il possible que le gouvernement prussien eût
+ connaissance de ces man&oelig;uvres et y connivât, ou bien est-ce l'or
+ anglais qui, à l'insu de ce gouvernement, entraîne à une conduite
+ aussi criminelle des hommes inconsidérés et présomptueux? Si cette
+ dernière hypothèse est fondée, elle prouve dans quel état déplorable
+ de déconsidération et d'impuissance doit être tombé un gouvernement
+ dont les chefs de la force armée osent se permettre des actes qui
+ peuvent compromettre jusqu'à l'existence de leur patrie.</p>
+
+<p>Ce qui indispose particulièrement en ce moment-ci un grand nombre
+ d'habitants de la Westphalie, c'est la contribution personnelle
+ portée à 4,400,000 francs, et destinée à entrer dans la caisse
+ d'amortissement. On la perçoit actuellement pour l'année passée;
+ dans un mois elle devait être perçue pour l'année courante; c'est du
+ moins ce qu'on m'a assuré. Cet impôt, qui est une espèce de
+ capitation, est reconnu par l'administration même comme ayant été
+ assis sur des bases entièrement fautives, et les inconvénients qu'a
+ fait découvrir sa perception, sont si graves, que, malgré le besoin
+ extrême qu'on a d'accélérer les rentrées, on est obligé de s'occuper
+ des moyens d'y remédier en changeant le principe de l'imposition.
+ Dans le même temps, un décret royal a accumulé <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> le paiement
+ de deux douzièmes de la contribution foncière, en ordonnant qu'à
+ l'avenir les douzièmes seraient payés d'avance.</p>
+
+<p>Des réclamations lamentables ont été adressées ici de Marbourg
+ depuis qu'on y a appris que l'université était menacée de sa
+ dissolution. Les autres universités se montrent plus résignées à
+ leur sort, parce qu'il était plus prévu. On espère que Sa Majesté se
+ laissera fléchir, et que la suppression de Marbourg n'aura pas lieu,
+ du moins en ce moment-ci.</p>
+
+<p>Le ministre des finances attend d'un jour à l'autre le retour d'un
+ des négociants hollandais avec lesquels il a négocié l'emprunt de 6
+ millions. Il craint que la déclaration de guerre ne nuise à cette
+ opération, et même il vient de me dire qu'il n'y compte plus. Il se
+ plaint aussi des effets momentanés d'une opération financière du
+ gouvernement français qui, dit-il, a soutiré, dans l'espace de dix
+ jours, à la Westphalie seule, plus de 6 millions, et qui entrave
+ singulièrement la perception des impôts. Cet embarras est passager,
+ mais il survient dans un moment où déjà l'on n'est pas trop à son
+ aise.</p>
+
+<p>Depuis le départ de M. le comte de <i>Furstenstein</i>, le
+ secrétaire-général des relations extérieures, autorisé par ce
+ ministre, me communique assez exactement les nouvelles qui arrivent
+ à son département; et j'en sais d'autant plus de gré à M. de
+ <i>Furstenstein</i> que l'époque est plus importante. C'est dans ces
+ communications que j'ai trouvé aussi la solution de ce qui avait été
+ une énigme pour moi, c'est-à-dire la cause de cette froideur dont
+ j'ai dit un mot à Votre Excellence dans mes n<sup>os</sup> 29 et 30. Sous la
+ même date que celle de votre lettre à laquelle était jointe la copie
+ de la lettre de Sa Majesté à l'empereur d'Autriche, M. de
+ <i>Wintzingerode</i> avait rendu compte de plusieurs communications
+ confidentielles que Votre Excellence lui avait permis de prendre; et
+ quoique le texte même de la lettre de l'empereur soit assurément une
+ chose plus précieuse que l'extrait un peu informe qu'en avait fait
+ M. de <i>Wintzingerode</i>, je ne sais quelle jalousie avait fait croire
+ qu'il était de la dignité du roi de recevoir de pareilles
+ communications plutôt par le ministre de Westphalie que par le
+ ministre de France. Je sais que M. de <i>Furstenstein</i> s'est expliqué
+ dans ce sens. Comme à son retour j'aurai des remercîments à faire à
+ ce ministre, je saisirai l'occasion pour faire un premier essai, en
+ abordant cette matière délicate.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 20 avril 1809.</p>
+
+<p>J'ai reçu la lettre de Votre Excellence du 10 avril, par laquelle
+ elle me charge de faire souvenir Sa Majesté westphalienne et M. le
+ prince de Waldeck des arrangements au moyen desquels il leur sera
+ facile de <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> couvrir les avances que le trésor public a
+ faites pour leurs contingents; je me suis empressé d'exécuter vos
+ ordres.</p>
+
+<p>M. le comte de <i>Furstenstein</i> est revenu de Brunswick hier. Le roi,
+ qui n'est point allé à Magdebourg, est attendu aujourd'hui. Le
+ courrier qui lui a été expédié de Strasbourg, par Sa Majesté
+ l'empereur, a passé par Cassel le 17 au soir. Il s'est rencontré
+ avec le courrier de l'armée venant de Donawert et chargé par Sa
+ Majesté d'un paquet de monseigneur le prince de <i>Neufchatel</i>. On
+ croit que ce papier renferme les instructions concernant le
+ commandement qui a été confié à Sa Majesté et dont on dit qu'elle
+ est extrêmement satisfaite, après l'extension qui paraît y avoir été
+ donnée.</p>
+
+<p>Des lettres récentes de Hollande annoncent <i>que l'emprunt sera
+ rempli</i>. Seulement sa concurrence avec quelques opérations
+ financières qui en ce moment ont lieu en Hollande même, retardera un
+ peu l'entière exécution de celle qui concerne la Westphalie; cette
+ nouvelle est très heureuse, car la pénurie du trésor public à Cassel
+ se fait de plus en plus péniblement sentir.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;LL. MM. sont revenues aujourd'hui à midi: elles ont fait
+ leur entrée au bruit du canon. On fixe au 25 le nouveau départ du
+ roi, en conséquence des instructions plus récentes venues de
+ Strasbourg.</p>
+</div>
+
+<p>Vers le mois de mars 1809, lorsque la guerre avec l'Autriche parut
+imminente, une rumeur sourde se répandit au centre de l'Allemagne,
+dans la Hesse électorale, dans le duché de Brunswick, dans la
+Vieille-Marche et dans la plupart des départements du royaume de
+Westphalie. Le gouvernement français avait su, dès le mois d'août
+1808, par la lettre interceptée de Stein au prince de Wittgenstein,
+qu'il existait un vaste réseau d'associations politiques occultes,
+n'attendant qu'une occasion, un signal, pour faire éclater un
+soulèvement contre nous. Les mesures prises par Napoléon pour
+l'abolition des sociétés secrètes n'eurent qu'un résultat, celui de
+les rendre plus prudentes, plus dissimulées et, partant, plus
+dangereuses.</p>
+
+<p>La Prusse était le foyer principal de ces sociétés et cela se
+comprend; l'Empereur n'avait-il pas réduit ce royaume à sa plus
+simple expression? n'avait-il pas ruiné ses finances? anéanti ses
+armées? ne soulevait-il pas chaque jour des difficultés nouvelles
+pour retarder l'évacuation de ses places fortes et pour maintenir
+ses armées françaises dans les provinces laissées par le traité de
+Tilsitt au roi Frédéric-Guillaume III?</p>
+
+<p>Voici quel était au commencement d'avril l'état des troupes
+françaises <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> et de la confédération ainsi que de leurs
+emplacements. En Westphalie, huit à neuf mille hommes de l'armée de
+Jérôme; à Magdebourg, un régiment français et un westphalien; dans
+les villes fortes de Stettin, de Glogau, de Custrin, dix mille
+soldats français vivant chez l'habitant; la division hollandaise
+Gratien, à Lunebourg, au nord-est du Hanovre; à Stralsund dans la
+Poméranie suédoise, deux bataillons du duc de Mecklembourg-Schwerin
+et un de Mecklembourg-Strelitz (treize cents hommes).</p>
+
+<p>Lorsque Napoléon partit pour se mettre à la tête de la Grande Armée,
+il prescrivit la formation d'un 10<sup>e</sup> corps pour être placé sous les
+ordres de son frère Jérôme, et composé des troupes westphaliennes en
+Allemagne, de la division Gratien, des troupes saxonnes du colonel
+Thielmann. Ce 10<sup>e</sup> corps avait mission de couvrir la Westphalie, la
+Saxe, et la partie orientale de l'Allemagne. Il pouvait être
+renforcé par l'armée de réserve du vieux duc de Valmy (quartier
+général à Dessau), chargée d'empêcher les Autrichiens de prendre à
+revers les corps de Napoléon opérant sur le Danube.</p>
+
+<p>Le 3 avril 1809, dans la nuit, une centaine de militaires allemands
+ayant pour chef un M. de Katt, ancien capitaine aux hussards de
+Schill, venant de Spandau, ville prussienne, pénétrèrent dans la
+petite place de Stendal, se formèrent en bataille sur le marché,
+prirent les chevaux et les armes des gendarmes westphaliens, et
+pillèrent les caisses. Le 4, à huit heures du matin, ils se
+dirigèrent sur Bourgstadt, cherchant, mais inutilement, à entraîner
+les paysans, dont un très petit nombre les suivit.</p>
+
+<p>Cette singulière et intempestive levée de boucliers était la
+conséquence d'un plan d'insurrection générale suscitée par les
+sociétés secrètes, insurrection à la tête de laquelle se trouvaient
+le major Schill, le duc de Brunswick-Oels, le capitaine de Katt. Ce
+dernier, n'ayant pas eu la patience d'attendre le signal du
+soulèvement, brusqua la prise d'armes, espérant entraîner le
+gouvernement prussien à déclarer la guerre à la France, pendant que
+Napoléon était encore en Espagne et allait se trouver aux prises
+avec l'Autriche. L'échauffourée ridicule de Katt fut désavouée par
+le gouvernement prussien, et n'eut d'autre suite que de compromettre
+le major Schill et de hâter son mouvement, ainsi que nous le verrons
+plus loin.</p>
+
+<p>Pendant que Napoléon, traversant l'Espagne et la France en toute
+hâte, courait se mettre à la tête de sa grande armée, en Allemagne,
+le roi Jérôme quittait Cassel le 9 avril avec la reine pour visiter
+les <span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> deux départements de l'Ocker et de l'Elbe, et les
+villes de Brunswick et de Magdebourg. Reinhard rendit compte de ce
+voyage par une lettre en date du 15 avril:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Leurs Majestés sont arrivées dimanche dernier au soir à Weende,
+ domaine royal près de G&oelig;ttingen. Elles y ont passé la nuit. Le
+ lendemain elles ont couché à Seesen dans la maison de M. Jacobsohn,
+ président du Consistoire juif. M. Jacobsohn est un négociant très
+ estimable et très estimé; il a formé à Seesen, à ses frais, pour les
+ jeunes gens de sa nation, un établissement d'instruction qui se
+ distingue par la nouveauté de l'objet et par les bons principes qui
+ le dirigent.</p>
+
+<p>On dit que la Reine en arrivant à Brunswick s'est trouvée
+ incommodée. On n'apprend pas encore que le Roi soit parti pour
+ Magdebourg. Immédiatement après leur arrivée à Brunswick, LL. MM.
+ ont envoyé ici des ordres pour faire venir des lits et plusieurs
+ valets de chambre et de pied. M<sup>me</sup> la baronne de Keudelstein et M<sup>me</sup>
+ d'Otterstedt qui, il y a un mois, croyait déjà être parvenue au
+ terme de sa grossesse, ont accompagné la Reine. Les personnes
+ principales qui sont avec le Roi sont: M. le comte de Furstenstein,
+ M. Cousin de Marinville, M. le baron de Keudelstein, M. Bongars. M.
+ le comte de Willingerode, grand-maréchal du Palais, revenu le 10 de
+ Marseille et de Paris, est aussi allé rejoindre Sa Majesté.</p>
+</div>
+
+<p>À peine de retour dans sa capitale, Jérôme fut informé par son
+ministre de la police de la fermentation que l'on remarquait dans
+les différentes provinces de son royaume. Inquiet pour la reine,
+sentant qu'il serait beaucoup plus fort pour résister à l'orage,
+lorsque sa femme serait à l'abri de tout danger, ayant bientôt
+d'ailleurs à se mettre à la tête du 10<sup>e</sup> corps, il crut devoir se
+séparer momentanément de la princesse qu'il envoya rejoindre
+l'impératrice Joséphine de qui elle était tendrement aimée.</p>
+
+<p>Catherine arrivée à Francfort écrivit de cette ville, le 26 avril
+1809, à Napoléon:</p>
+
+<p class="lettre">Sire, le Roi rend compte à Votre Majesté des motifs qui le portent à
+ veiller à ma sûreté en m'envoyant auprès de S. M. l'Impératrice;
+ l'insurrection qui s'augmente de moment en moment et qui est
+ générale dans tout le Royaume, la nécessité où le Roi se trouve de
+ ne point diviser le peu de forces qu'il a pour veiller à ma sûreté
+ m'ont engagée à consentir à me séparer de lui dans un moment aussi
+ critique; si ce n'était pour lui laisser la liberté nécessaire de
+ veiller à sa propre sûreté et à celle de ses États, je n'aurais pu
+ m'y décider et j'aurais pour moi la confiance <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> dans les
+ succès de Votre Majesté, mais c'est un sacrifice nécessaire à la
+ sûreté et à la tranquillité du Roi.</p>
+
+<p>À peine la reine avait-elle quitté Cassel qu'une conspiration à la
+tête de laquelle était un des colonels de la propre garde de Jérôme
+fut découverte par le plus grand des hasards. M. de D&oelig;rnberg, le
+principal conjuré qui trahissait son souverain, quoiqu'il fût comblé
+de ses bienfaits, devait pénétrer la nuit dans le palais du Roi,
+l'enlever, ce qui eût été très facile, et le livrer aux Anglais.</p>
+
+<p>M. Reinhard rendit compte des événements de Cassel à l'Empereur par
+une notification en date du 26 avril envoyée par le comte de
+Fürstenstein, et par une lettre du 29 au duc de Cadore. Voici ces
+deux documents:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bercagny à Reinhard.</p>
+<p class="date">26 avril 1809.</p>
+
+<p>Le samedi, 22 avril, le gouvernement fut averti que plusieurs
+ rassemblements de paysans se formaient sur les hauteurs de
+ Napoléonsh&oelig;he, ainsi qu'à Homberg, et dans divers autres villages
+ environnant Cassel. Le Roi envoya de suite quelques détachements de
+ sa garde pour dissiper ces attroupements et faire rentrer les
+ paysans dans le devoir, mais ceux-ci excités par quelques
+ malveillants, parmi lesquels on distinguait le sieur D&oelig;rnberg,
+ colonel des chasseurs de la garde, qui s'était mis à leur tête, et
+ quelques autres personnes moins marquantes, refusèrent obstinément
+ d'obéir. On fut obligé de les y contraindre par la force; plusieurs
+ des insurgés furent tués, et un grand nombre amenés prisonniers à
+ Cassel. Le lundi 24, tout était entièrement disparu.</p>
+
+<p>Il paraît que cette insurrection, préparée depuis longtemps par des
+ agents secrets de l'électeur, devait être générale; mais les mesures
+ promptes et vigoureuses prises par le gouvernement l'ont arrêtée
+ dans sa naissance. Les insurgés avaient peu de fusils, et n'étaient
+ armés, pour la plupart, que d'instruments aratoires. On les avait
+ entraînés par l'espoir du pillage et la menace d'incendier leurs
+ maisons s'ils refusaient de marcher. On s'était efforcé de leur
+ persuader que tout était disposé en Westphalie pour une révolution,
+ et qu'ils allaient être appuyés par des armées prêtes à entrer dans
+ le royaume; mais bientôt, revenus de leur égarement, ils se sont
+ empressés de rentrer dans leurs foyers et de reprendre leurs
+ travaux. Les rapports qui arrivent aujourd'hui des divers points où
+ l'insurrection avait éclaté annoncent que la tranquillité est
+ rétablie partout. Quelques-uns des principaux moteurs sont arrêtés;
+ et <span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> il paraît que S. M. aura la consolation de n'avoir
+ qu'un petit nombre de coupables à punir.</p>
+
+<p>Les habitants de Cassel, loin de prendre aucune part à ces
+ désordres, ont saisi cette circonstance pour donner des preuves
+ particulières de leur dévouement à leur souverain; et toutes les
+ classes de citoyens ont sollicité la faveur de servir Sa Majesté, et
+ d'être employés à maintenir la tranquillité dans la ville, et à la
+ défendre si elle était attaquée.</p>
+</div>
+
+<p>Le soussigné, en adressant, d'après l'ordre du Roi, la présente
+communication à Son Excellence M. Reinhard, envoyé extraordinaire et
+ministre plénipotentiaire de France, saisit cette occasion pour lui
+renouveler les assurances de sa haute considération.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p>
+<p class="date">Cassel, 29 avril 1809.</p>
+
+<p>Ce fut une estafette, envoyée par le roi de Wurtemberg à la reine
+ déjà partie, qui apporta le bulletin de la bataille du 21
+ (Landshut); une autre estafette envoyée par le roi de Wurtemberg à
+ son ministre près cette cour, porta le bulletin de la bataille du 22
+ (Eckmuhl), et un courrier de retour, du ministre de Bavière, apporta
+ celui du 23, écrit sur le champ de bataille de Ratisbonne. Il serait
+ impossible de peindre l'impression produite par des événements qui
+ semblent éclipser jusqu'aux miracles d'Austerlitz et d'Iéna, et déjà
+ j'apprends que ceux qui espéraient différemment disaient
+ aujourd'hui: <i>Dieu le veut.</i></p>
+
+<p>Ni les nouvelles, Monseigneur, ni les troupes qui étaient déjà en
+ nombre suffisant, n'ont été nécessaires pour dissiper les
+ attroupements du 22 et du 23; mais ce sont nos victoires seules qui
+ détruiront jusqu'à la pensée d'une révolte dans les esprits les plus
+ mal intentionnés. C'est le feu du ciel qui est tombé ainsi sur tous
+ les projets déloyaux et insensés.</p>
+
+<p>Un régiment hollandais venant d'Altona, et l'avant-garde de deux
+ mille hommes venant de Mayence avec six canons, sont entrés hier à
+ Cassel.</p>
+
+<p>J'ai annoncé à Votre Excellence l'arrestation de deux anciens
+ serviteurs de l'Électeur dont les noms avaient été mis, par les
+ meneurs des rebelles, au bas d'une proclamation. Ce sont MM. de
+ Lenness et de Schmeerfeld, homme d'un âge déjà avancé. Il ne s'est
+ point trouvé de preuves contre eux; mais comme anciennement suspects
+ ils ont été conduits à Mayence où ils seront détenus en prison.
+ Plusieurs officiers des cuirassiers ont été arrêtés ou destitués.
+ C'est le seul régiment qui se soit mal conduit, et dans lequel il y
+ ait eu des défections. Plusieurs autres arrestations ont eu lieu,
+ celle d'un curé par exemple qui avait <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> béni des drapeaux,
+ celle de la femme d'un officier qui avait envoyé à son mari par la
+ poste une écharpe pour le garantir en cas de danger. D'autres ont
+ déjà été relâchés. Une centaine de paysans a péri. Cent cinquante
+ environ ont été entassés dans les prisons de Cassel. Le comte et la
+ comtesse de B&oelig;hlen de la Poméranie ci-devant suédoise, l'un
+ chambellan, l'autre dame de la reine, ont reçu l'ordre de quitter
+ Cassel dans les vingt-quatre heures et de rendre leurs décorations.
+ Ce qu'on sait du motif, c'est que le Roi a reproché à M. de
+ B&oelig;hlen de s'être promené au parc à huit heures du soir avec un
+ inconnu, et d'avoir dit en le quittant: Je désire que ce plan
+ réussisse.</p>
+
+<p>La dame à l'écharpe de garantie demeurait à Homberg, petite ville où
+ il y a un chapitre protestant de dames nobles. L'abbesse était
+ s&oelig;ur de l'ex-ministre Stein. La s&oelig;ur d'un ex-ministre de
+ l'Électeur en était aussi. Cette petite ville était le foyer de
+ l'insurrection. Les chanoinesses ont été arrêtées et conduites à
+ Cassel.</p>
+
+<p>M. le comte de Furstenstein m'a adressé par ordre du Roi une note
+ concernant cette insurrection. J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous
+ en transmettre ma copie, ainsi que celle de ma réponse.</p>
+
+<p>Je n'ai rien à ajouter pour le moment aux causes qui ont amené cet
+ événement, et dont ma correspondance a rendu compte à Votre
+ Excellence. Mais il faut sans doute vous entretenir des fortes et
+ pénibles impressions qu'ils ont produites et des conséquences qui
+ peuvent en résulter. Qu'un attentat qui paraît avoir eu pour objet
+ la personne sacrée du Roi ait profondément affecté l'âme généreuse
+ et confiante de ce jeune monarque; que les Français qui l'entourent
+ après avoir craint pour lui et pour eux-mêmes, indignés, exaltés, se
+ fassent un mérite exclusif de leur fidélité; que les défiances, les
+ soupçons s'étendent au delà des bornes légitimes; que beaucoup
+ d'Allemands consternés ne se croient pas assez protégés par le
+ sentiment de leur innocence; que liés avec des coupables par des
+ relations de famille ou de société, ils craignent de paraître
+ coupables eux-mêmes; qu'il en résulte un état d'anxiété, voilà ce
+ qui n'est que trop naturel.</p>
+
+<p>Mais quelles sont les maximes qu'adoptera désormais le gouvernement?
+ Sera-ce la sévérité ou la clémence que la politique conseillera de
+ faire prévaloir? Des passions subalternes et quelques intérêts
+ particuliers ne s'empareront-ils pas de la circonstance pour amener
+ des changements, soit dans les personnes, soit dans le mode de
+ l'administration?</p>
+
+<p>M. Bercagny, dont la place en ce moment acquiert une grande
+ importance, m'a parlé à ce sujet dans un sens qui me paraît
+ extrêmement sage. Il m'a dit qu'il avait calmé lui-même des
+ mouvements trop fougueux de quelques Français, et qu'il sentait
+ toute l'importance qu'il y avait à ce qu'il ne s'établît point de
+ scission ni de <span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> distinction entre les sujets ou les
+ serviteurs de Sa Majesté sous le rapport de la nation à laquelle ils
+ appartiennent.</p>
+
+<p>J'en étais là, Monseigneur, lorsqu'il m'a été annoncé de la part de
+ Sa Majesté qu'Elle me recevrait en audience particulière pour lui
+ remettre la lettre par laquelle Sa Majesté l'empereur des Français,
+ roi d'Italie, lui annonce l'heureux accouchement de S. A. I. madame
+ la vice-reine d'Italie, lettre que j'avais reçue avant-hier. Je
+ reviens de cette audience. Le Roi m'a témoigné son étonnement de ce
+ que le courrier qu'il avait envoyé au quartier-général impérial
+ n'était pas encore revenu. Il m'a ensuite parlé des événements du
+ jour; et je lui ai dit que toute la conduite qu'il a tenue dans ces
+ circonstances pénibles, que surtout tous les actes qui portent
+ l'empreinte de l'impulsion de son propre esprit et de son caractère,
+ ont dû lui attirer l'amour et l'admiration, et c'est très
+ certainement l'effet qu'ils ont produit sur moi. En effet sa
+ résolution de monter à cheval et de se montrer du côté même où l'on
+ avait vu paraître les rebelles au moment où dans leurs
+ rassemblements on le disait déjà prisonnier; celle de ne point
+ quitter sa résidence au moment terrible où rien ne semblait encore
+ garantir la fidélité de ses gardes; son allocution aux officiers;
+ les deux proclamations qu'il a dictées; les mots qu'il a dits et
+ dont j'ai cité quelques-uns; tout cela est vraiment royal. Il est
+ certain, m'a dit Sa Majesté, que sans la découverte de M. de
+ Malmsbourg, je me trouvais surpris. Les rebelles devaient arriver
+ dans la nuit, les conjurés entraient dans mon appartement sans
+ obstacle et sans défiance; et croiriez-vous qu'il y avait une foule
+ de gens qui savaient le complot, et qui ne se croyaient pas obligés
+ de le révéler. Cependant, a ajouté Sa Majesté, l'Allemand par son
+ caractère n'est pas traître.&mdash;C'est une manière de voir fausse et
+ criminelle, ai-je répondu, par laquelle ceux dont parle Votre
+ Majesté se sont fait illusion à eux-mêmes, et cependant oserais-je
+ dire à Votre Majesté, à présent que le danger est passé, que les
+ espérances coupables ne renaîtront plus, que le sentiment même qu'on
+ peut supposer en avoir été la cause, une certaine ténacité
+ d'attachement, tournera au profit de votre règne, et que plus le
+ temps et les événements s'éloigneront du passé, plus la fidélité à
+ Votre Personne et à Votre Dynastie deviendra inébranlable et
+ assurée.</p>
+
+<p>On ne peut, Monseigneur, arrêter sa pensée sans frémir sur les
+ malheurs qui seraient tombés sur ceux-là même qui, dans leur
+ aveuglement, désiraient peut-être le succès de l'insurrection.
+ Aujourd'hui en punissant les perfides d'action et les traîtres, il
+ sera facile d'être généreux envers les coupables d'intention ou
+ d'égarement. J'apprends que l'intention de Sa Majesté est de publier
+ une amnistie générale pour tous les paysans. Les autres seront mis
+ en jugement, et même à l'égard de ceux-ci, il paraît que l'intention
+ du Roi est de faire prévaloir la clémence.</p>
+
+<p>Sa Majesté a fait la réponse la plus terrible et la plus sublime aux
+ <span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> manifestes d'insurrection de l'Autriche, en se servant du
+ courage et du dévouement de ces mêmes Allemands, qu'on voulait
+ séduire, pour écraser les armées autrichiennes. Il y aura solidarité
+ de destinée, et ce sera une glorieuse récompense de la fidélité des
+ uns, lorsqu'elle obtiendra le pardon ou repentir des autres. J'ose
+ avouer à Votre Excellence que lorsque j'ai vu le Roi déjà porté à
+ pressentir que tel serait le système qu'adopterait son auguste
+ frère, je me suis abandonné moi-même à ces beaux pressentiments.</p>
+
+<p>Sa Majesté m'a fait l'honneur de me parler de son voyage prochain à
+ Hambourg. Je désirerais beaucoup, Monseigneur, de recevoir vos
+ ordres pour savoir si de préférence je dois suivre le Roi ou rester
+ à Cassel. Jusqu'à présent rien n'annonce que l'intention de Sa
+ Majesté soit de se faire accompagner par les membres du corps
+ diplomatique, et s'il m'est permis d'opter, je ne quitterai point
+ cette résidence. Mais il peut arriver des cas où des instructions
+ éventuelles seraient pour moi d'un grand prix pour diriger ma
+ conduite.</p>
+</div>
+
+<p>Ainsi, le mois d'avril 1809 avait vu se produire, en Westphalie: la
+ridicule équipée du capitaine de Katt à Stendal, et la conspiration
+plus sérieuse du colonel de D&oelig;rnberg. Le 28, commença la
+singulière course du major de Schill, et bientôt après l'entreprise
+désespérée du duc de Brunswick-Oels. Les affaires de Schill et du
+duc de Brunswick sont rapportées longuement et très exactement dans
+le quatrième volume des Mémoires du roi Jérôme. Nous n'en ferons pas
+l'historique, nous nous bornerons à donner quelques lettres et
+bulletins qui y ont trait:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 3 mai 1809.</p>
+
+<p>Le mariage du comte de Furstenstein avec M<sup>lle</sup> de Hardenberg a été
+ célébré dimanche dernier au palais. La société a été peu nombreuse,
+ la corbeille riche et magnifique. Il y a eu souper et bal. Le lit
+ nuptial a été dressé dans une pièce attenante à la salle du
+ conseil.&mdash;M. de Gilsa, ancien grand-écuyer de l'électeur, père de
+ treize enfants vivants, et n'ayant d'autre moyen d'existence que les
+ appointements des places que son épouse et lui remplissent à la
+ cour, a profité de cette circonstance pour demander au Roi la grâce
+ de son gendre, le sieur de Buttlar, compris dans l'art. 1<sup>er</sup> du
+ décret du 29. S. M. la lui a promis.&mdash;La s&oelig;ur de M<sup>me</sup> de Stein
+ soutient son rôle d'héroïne. Elle ne sort point; elle provoque son
+ supplice. Elle est du reste vieille, laide, contrefaite. Une s&oelig;ur
+ de M<sup>me</sup> de Gilsa, dignitaire du même chapitre, a refusé la
+ permission que le Roi avait donnée à son frère de la prendre chez
+ lui.&mdash;Le <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> Roi a fait plusieurs nominations d'officiers pour
+ remplacer ceux qui ont été destitués ou arrêtés.&mdash;On a trouvé parmi
+ les papiers D&oelig;rnberg un paquet cacheté et portant l'inscription:
+ <i>à ouvrir après ma mort</i>. On dit que ce paquet ne renferme que des
+ lettres d'amour, dont quelques-unes de M<sup>me</sup> de P. Cet homme, peu de
+ jours avant sa défection, avait fait venir sa femme et ses trois
+ enfants qui résident à Brunswick et qui se trouvent aujourd'hui dans
+ la misère. Quatre mille francs que le roi lui avait donnés se sont
+ trouvés intacts dans son secrétaire. Il paraît que ce n'est pas sans
+ combats intérieurs qu'il s'est chargé du rôle de traître; il y a
+ dans sa conduite présomptive délire et inconséquence.&mdash;Pendant la
+ crise, la ville de Cassel paraissait plus calme qu'à l'ordinaire. Le
+ peuple semblait apathique, mais il montrait une grande incrédulité
+ sur nos victoires.&mdash;Quelques mauvais sujets avaient excité des
+ mouvements dans une commune du département du Harz. Ils furent
+ arrêtés, et le préfet manda au ministre de l'intérieur qu'il avait
+ pris les mesures les plus efficaces pour empêcher que la contagion
+ ne gagnât le département de la Werra. C'était dans ce dernier
+ département qu'était le foyer de l'insurrection.&mdash;Le baron de Wendt,
+ aumônier du Roi, envoyé dans les communes catholiques de la Hesse,
+ qui en effet n'ont pas remué, dit à son retour qu'il les avait
+ exhortés à ne point se mêler de ces affaires, à labourer leurs
+ champs et à laisser faire les autres. Il n'y entendait pas malice.</p>
+
+<p>MM. de Malsbourg et de Coninx, conseillers d'État, allant l'un et
+ l'autre dans ses terres, l'un vers Paderborn pour calmer les
+ esprits, furent arrêtés tous les deux et coururent quelques dangers.
+ Le second fut sauvé par une ancienne femme de chambre de sa femme,
+ qu'il rencontra voyageant en compagnie avec un étudiant. Elle lui
+ fit prendre le rôle et le costume de son amant, et ce fut sous son
+ escorte qu'il revint à Cassel.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">15 mai 1809.</p>
+
+<p>Un membre du Conseil d'État disait dernièrement qu'il fallait
+ chasser tous les Allemands de la Wesphalie.&mdash;Un chef du département
+ des relations extérieures a proposé gravement au ministre de Saxe de
+ troquer le royaume de Wesphalie.&mdash;M. de Wolfradt, ministre de
+ l'intérieur, ayant obtenu par le canal de M. Bercagny un emploi pour
+ un Allemand qu'il lui avait recommandé, lui exprima sa
+ reconnaissance avec un tel élan de sensibilité qu'il alla jusqu'à
+ lui baiser la main. Je suis d'autant plus touché de cette faveur,
+ ajoute M. de Wolfradt, que c'est la première que vous ayez accordée
+ à un Allemand. M. Bercagny, furieux, lui répondit: Monsieur, si tout
+ autre qu'un ministre d'État m'avait fait un pareil compliment, je
+ l'aurais jeté hors de la porte.&mdash;La <span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> commission spéciale a
+ condamné à mort un maréchal-des-logis des cuirassiers convaincu
+ d'avoir assisté à l'enlèvement d'une caisse par les paysans
+ révoltés. Elle a condamné à la même peine un jeune homme de vingt-un
+ ans, officier du même régiment. Il a été exécuté avant-hier. Il
+ avait demandé de commander lui-même l'exercice pour son exécution.
+ On eut le tort de le lui permettre; il mourut avec beaucoup de
+ courage.&mdash;La gendarmerie avait ramassé quatre-vingt-treize conscrits
+ qui avaient déserté après la publication du premier décret
+ prononçant la peine de mort contre ce crime; à cause des
+ circonstances actuelles, ils furent tous condamnés. Assemblés sur le
+ lieu de l'exécution, on leur déclara que deux seulement seraient
+ fusillés, et que le sort en déciderait. Cette clémence, tempérée par
+ une sévérité nécessaire, a produit un très bon effet.
+ Malheureusement, le sort se montra injuste, là où le Roi s'était
+ montré si bon, il tomba au sort les deux plus doux, peut-être les
+ plus innocents de la troupe.&mdash;M. de Buttlar, gendre de M. de Gilsa,
+ a obtenu sa grâce. Il n'a perdu que son emploi, et a été conduit en
+ France. Il sera détenu pendant deux ans.&mdash;Le Roi fait souvent passer
+ la revue des troupes. Il se promène beaucoup à cheval et quelquefois
+ à pied dans le beau parc de Cassel qui a été interdit au public
+ pendant certaines heures de la journée et de la soirée.&mdash;On avait
+ fait espérer à un des régiments de cuirassiers français qui
+ traversaient la Wesphalie que le Roi le passerait en revue. Le
+ régiment attendit pendant deux heures à la pluie à la porte de
+ Cassel, et la revue n'eut pas lieu. Quelqu'un en parla à Sa
+ Majesté:&mdash;J'étais, dit le Roi, embarrassé de décider à qui
+ j'accorderais la droite. Si c'était aux cuirassiers, j'affligerais
+ ma garde, et elle n'avait encore rien fait pour la mériter.</p>
+</div>
+
+<p>Nous allons faire connaître de quelles forces disposait le roi
+Jérôme à cette époque critique:</p>
+
+<p>Du 10<sup>e</sup> corps dont il avait le commandement et qui était composé:
+1<sup>o</sup> de trois mille cinq cents hommes en garnison sur l'Oder ou dans
+la Poméranie; de quatre cents hommes (général Liebert) à Stettin; de
+onze cents hommes (général Coudras) à Stralsund; de deux mille
+hommes à Custrin; de la division westphalienne d'Albignac à la
+poursuite de Schill; de la division hollandaise Gratien également en
+marche sur Stralsund, et recevant des ordres tantôt de son
+souverain, tantôt de Jérôme; de la division westphalienne de la
+garde (deux mille cinq cents combattants), commandée par les
+généraux du Coudras comte de Bernterode, Bongars pour les gardes du
+corps, colonel comte de Langenswartz pour les grenadiers à pied,
+major Fulgraff pour les chasseurs à pied, colonel Wolff pour les
+chevau-légers, <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> prince de Philipsthal pour les chasseurs
+carabiniers, envoyés à Halberstadt. Quartier général à Cassel, chef
+d'état-major général le général Rebwell. La division westphalienne
+de la ligne avait ses trois régiments d'infanterie à Magdebourg,
+1<sup>er</sup>, 5<sup>e</sup>, 6<sup>e</sup>; le régiment de cuirassiers à Halberstadt. La
+division Gratien forte de deux brigades, d'un régiment de
+cuirassiers et de trois compagnies d'artillerie, était à Stralsund
+où elle détruisit les bandes de Schill. Enfin à Cassel et à
+Magdebourg se trouvaient encore, sous le colonel Chabert, des
+détachements français et du régiment Grand-Duché de Berg envoyé de
+Mayence lors des troubles, environ trois mille hommes.</p>
+
+<p>Tout cela composait bien un corps d'environ seize mille combattants,
+mais la garnison de Magdebourg en immobilisait cinq mille, mais
+l'empereur redemandait dans toutes ses lettres le renvoi du régiment
+Grand-Duché de Berg, mais la division hollandaise ne devait pas
+tarder à recevoir de son roi l'ordre de rentrer en Hollande à cause
+du débarquement des Anglais aux bouches de l'Escaut, en sorte que,
+par le fait, Jérôme ne pouvait mettre en ligne plus de huit à neuf
+mille hommes, en y comprenant deux mille Saxons à Dresde sous les
+ordres du colonel Thielmann.</p>
+
+<p>Il y avait bien aussi à Dessau, sous le nom de Corps d'observation
+de l'Elbe, deux divisions aux ordres du duc de Valmy, mais ce
+dernier avait défense de disposer d'un homme sans l'ordre formel de
+l'empereur, à moins que ce ne fût pour la défense de Mayence.</p>
+
+<p>Cependant le duc de Brunswick-Oels, secondé par l'Autriche, était
+parvenu à lever à ses frais, en Bohême, une légion qui, revêtant
+l'uniforme noir, prit le nom de: <i>Armée de la Vengeance</i>, et le duc
+dépossédé de Hesse leva également une autre légion de sept à huit
+cents hommes portant l'uniforme vert.</p>
+
+<p>Vers le milieu de mai 1809, ces deux légions, soutenues par quelques
+troupes autrichiennes, s'établirent vers Neustadt, Gabel et Rümburg
+sur la frontière de Bohême, menaçant la Saxe. À cette nouvelle,
+notre allié, le roi de Saxe, se retira à Leipzig, au nord-ouest de
+ses États, vers la Westphalie, demandant à Jérôme de marcher à son
+secours, affirmant que la Prusse avait déclaré la guerre, que
+l'avant-garde de Guillaume marchait sous les ordres de Blücher.
+Napoléon, recevant cette nouvelle de son frère Jérôme, répondit que
+les Prussiens n'étaient pour rien dans cette levée de boucliers, que
+le 10<sup>e</sup> corps suffisait pour tenir tête à l'ennemi du côté de
+Dresde, ville qu'il fallait occuper et garder. Il défendit au duc de
+Valmy de déplacer ses divisions.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> Sur les ordres de Jérôme, le colonel Thielmann, avec ses
+deux mille Saxons, se porta de Dresde sur la frontière de la Lusace,
+livra quelques combats au duc de Brunswick dans les montagnes, le
+chassa de Zittau et de Rümburg. Mais voyant l'ennemi man&oelig;uvrer
+pour gagner les défilés de Leitmeritz et de T&oelig;plitz et se porter
+sur Dresde par la route de Dippoldiswalde, il se hâta de se replier
+sur la capitale du royaume pour la défendre. En effet, un corps
+autrichien de six mille hommes, commandé par le général Am-Ende,
+s'était rendu à Leitmeritz pour appuyer le duc. Le 10 juin, les
+Autrichiens et les bandes de Brunswick, ayant opéré leur jonction,
+marchèrent sur Dresde. Le 11, ils y entrèrent. Thielmann, se voyant
+trop inférieur en force pour lutter dans la ville, préféra tenir la
+campagne. Il avait pris la résolution de se replier sur le 10<sup>e</sup>
+corps, lorsque dans la nuit du 11 au 12 juin il crut pouvoir essayer
+de surprendre les bivouacs du duc. Après un combat des plus vifs, la
+cavalerie autrichienne de Am-Ende força les Saxons à se replier sur
+Leipzig par Wilsdruf. Thielmann ne fut pas d'abord poursuivi, le
+général autrichien ayant voulu recevoir du gouvernement de la Bohême
+l'autorisation de se porter sur Leipzig. Le 19, cette autorisation
+étant arrivée permit aux deux alliés de suivre Thielmann qu'ils
+rencontrèrent près de la ville. La lutte ne fut pas longue, le
+colonel saxon avait trop peu de monde, il passa l'Elster et se
+replia par Lutzen sur la Saale. Le 22, il fut joint à Weissenfels
+par les troupes du roi Jérôme. Ce dernier, ayant à Cassel le
+régiment grand duc de Berg et sa garde (trois mille hommes), expédia
+l'ordre à Albignac et à Gratien, l'un à Domitz, l'autre à Stralsund,
+de le venir joindre à marches forcées à Sondershausen, en descendant
+l'un par Magdebourg, l'autre par Brunswick. Lui-même avait
+l'intention de se porter sur Sondershausen avec sa garde, et de là
+sur Dresde. Mais les opérations contre Schill n'ayant pas permis à
+ses deux généraux de se mettre en marche pour la Westphalie avant
+les premiers jours de juin, le Roi modifia ses projets primitifs.
+Cependant, en apprenant le 15 juin l'entrée à Dresde des
+Autrichiens, il fit partir le 16 ses troupes, et le 18 il se mit
+lui-même en marche après de nouveaux ordres envoyés à Albignac et à
+Gratien.</p>
+
+<p>L'empereur ne plaisantait pas pour ce qui avait trait aux affaires
+de la guerre. Il écrivait à Eugène, le vice-roi d'Italie: «Mon fils,
+la guerre est une chose sérieuse»; à Joseph, à Naples: «Les états de
+situation de mes troupes sont les romans que je lis avec le plus de
+plaisir». Aussi les négligences de Jérôme à cet égard <span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> lui
+étaient-elles très sensibles. Le 16 juin 1809, il manda au prince de
+Neufchatel:</p>
+
+<p class="lettre">Mon cousin, écrivez au roi de Westphalie, commandant le 10<sup>e</sup> corps
+ d'armée, que je n'ai aucune situation, que je ne reçois aucun
+ rapport, que j'ignore où sont mes troupes, que depuis dix-sept jours
+ que l'affaire de Schill s'est passée, je n'en ai pas encore reçu de
+ rapport officiel; que si, comme commandant du 10<sup>e</sup> corps, il ne
+ correspond pas fréquemment avec vous et ne vous rend pas compte de
+ tout ce qui intéresse ce corps d'armée, je me verrai obligé d'y
+ nommer un autre commandant.</p>
+
+<p>Jérôme crut de sa dignité de mener avec lui à l'armée, non seulement
+un grand nombre d'équipages, de gens de cour, chambellans et autres,
+mais même les ministres plénipotentiaires étrangers accrédités
+auprès de sa personne. Averti de cette circonstance par les lettres
+de Reinhard, Napoléon, qui aimait à voir faire la guerre
+sérieusement, comme il la faisait lui-même, trouva fort mauvaise
+cette manière d'agir de son frère.</p>
+
+<p>Cependant le 21 juin, les divisions Albignac et Gratien après des
+marches rapides se joignirent aux autres troupes de Jérôme qui se
+trouva ainsi à la tête d'une douzaine de mille hommes. Le 22,
+Albignac rallia les Saxons sur la Saale à Weissenfels, et les
+opérations commencèrent.</p>
+
+<p>Nous donnerons plus loin quelques lettres de M. Reinhard relatives à
+cette campagne de Saxe pendant laquelle il ne quitta pas le quartier
+général du Roi, campagne qui mécontenta fort l'empereur; mais avant,
+analysons rapidement les événements militaires.</p>
+
+<p>Le 24 juin, Jérôme, ayant rallié les troupes du 10<sup>e</sup> corps et étant
+arrivé de sa personne à Querfurt, passa la Saale et poussa l'ennemi
+sur Leipzig qu'il évacua le lendemain. Le Roi entra le 26 à Leipzig,
+pendant que le général d'Albignac continuait à pousser les
+Autrichiens sur Dresde. Un petit engagement eut lieu à Waldheim, et
+pendant la nuit le duc de Brunswick se séparant de Kienmayer avec
+ses bandes fila sur Chemnitz au sud-est pour gagner Bayreuth et la
+Westphalie, tandis que les landwehr de Kienmayer se ralliaient sur
+Dresde, et que lui-même avec ses troupes régulières prenait la route
+de Bayreuth. Le 29, tout le 10<sup>e</sup> corps étant concentré à Waldheim,
+Jérôme marcha sur Dresde. Le 30, le colonel Thielmann commanda
+l'avant-garde du 10<sup>e</sup> corps, et le général d'Albignac pénétra à
+Dresde où le Roi fit son entrée le 1<sup>er</sup> juillet.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> À Dresde, Jérôme apprit que ses États paraissaient peu
+tranquilles, qu'une expédition anglaise semblait menacer les côtes
+de la Hollande, et que le duc de Brunswick se dirigeait sur la
+Westphalie. Ces nouvelles le déterminèrent à abandonner Dresde où
+l'empereur voulait qu'il se maintînt. Le 4, il quitta cette ville,
+faisant engager fortement le roi de Saxe à rentrer dans sa capitale.</p>
+
+<p>Reinhard écrivit à Champagny, de Mersebourg et de Leipzig le 26
+juin, et de Dresde le 1<sup>er</sup> juillet, les deux lettres suivantes:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Mersebourg, 26 juin 1809.</p>
+
+<p>Le Roi est arrivé à Querfurt avant-hier matin à onze heures (24
+ juin); hier, à dix heures du matin, il est arrivé à Mersebourg.</p>
+
+<p>La division du général Gratien, le régiment de Berg et une grande
+ partie de la garde marchent avec Sa Majesté. La totalité de ces
+ troupes est entre 6 et 7,000 hommes; celles du général d'Albignac,
+ en y comprenant les Saxons, montent au même nombre dans lequel il y
+ a 1,300 chevaux. L'artillerie des deux corps est de 52 pièces; celle
+ des Hollandais surtout est très belle et parfaitement tenue. Le
+ corps hollandais et environ 800 Français, répartis entre les deux
+ divisions, sont ce que nous avons de mieux en officiers et en
+ soldats. D'après des renseignements qu'on a lieu de croire exacts,
+ les forces du duc d'Oels montent en tout à 9,080 hommes. Sa bande
+ noire, qui s'appelle la <i>Légion de la Vengeance</i>, est une mauvaise
+ troupe; quelques escadrons d'Uhlans, du régiment de Blankenstein,
+ méritent un peu plus de considération. Le 23, le duc d'Oels fit un
+ mouvement en avant, et les troupes saxonnes furent obligées de
+ reculer jusqu'à Weissenfels. Ce mouvement avait pour objet de
+ masquer la retraite. En effet, dès le 24, l'ennemi évacua Leipsig où
+ nos troupes sont entrées hier au soir à deux heures. Ce matin toutes
+ nos troupes se sont portées en avant: le Roi partira à onze heures.</p>
+
+<p>On a intercepté une lettre où l'archiduc Charles reproche au duc
+ d'Oels les excès commis en Saxe par sa troupe, qui doit, dit-il,
+ être entièrement soumise aux lois de la discipline autrichienne,
+ aussi longtemps qu'elle aura besoin d'être soutenue par les
+ Autrichiens. Déjà le duc d'Oels était subordonné au général
+ autrichien Am-Ende, et c'est à celui-ci qu'il adressa la députation
+ de Dresde qui était venue à sa rencontre.</p>
+
+<p>Le général Gratien a présenté hier au Roi les principaux officiers
+ de sa division; Sa Majesté s'est entretenue pendant longtemps avec
+ eux. Il <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> règne une grande activité au quartier-général. Le
+ général d'Albignac a été fidèle à l'ordre de ne rien hazarder.
+ Depuis que les ennemis se retirent, quelques personnes pensent qu'il
+ aurait pu se porter sur leur derrière: il valait encore mieux ne
+ commettre aucune imprudence.</p>
+
+<p>La ville de Cassel est tranquille. Cependant, le général Eblé a pris
+ occasion d'un mouvement qui a eu lieu à Carlshaven contre des
+ gendarmes, pour écrire en deux mots au Roi: que jamais la Westphalie
+ n'a été aussi près d'une insurrection générale. Une preuve des
+ man&oelig;uvres clandestines qui continuent à y avoir lieu, c'est qu'on
+ a arrêté dernièrement une voiture chargée d'armes et de poudre à
+ canon au moment de son passage par Homberg. Dans une lettre
+ interceptée de l'électeur de Hesse, il est dit qu'on ne fera rien de
+ bon aussi longtemps que cet entêté de roi de Prusse ne se déclarera
+ point. Il est certain que les matières combustibles sont entassées
+ partout; mais toutes les étincelles ne seront point propres à y
+ mettre le feu.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Leipzig, le 26 au soir.</p>
+
+<p>Le Roi est entré à Leipzig à deux heures du soir, à cheval et à la
+ tête de ses troupes. Il ne reste plus de doute sur la retraite des
+ ennemis et sur la difficulté qu'il y aura à les atteindre. Sa
+ Majesté partira demain: le corps diplomatique ne le suivra pas
+ immédiatement.</p>
+
+<p>Ce soir le Roi m'a fait entrer dans son cabinet: il m'a répété que
+ depuis Sundershausen il n'avait pas eu le temps d'écrire à S. M.
+ l'Empereur. Comme il a paru attacher quelque intérêt à ce que
+ j'écrivisse, j'expédierai cette lettre par estafette jusqu'à
+ Stuttgard.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Dresde, ce 1<sup>er</sup> juillet 1809.</p>
+
+<p>Le Roi partit de Leipzig le 28 à onze heures du matin: la division
+ hollandaise l'avait précédé la veille. Sa Majesté passa la nuit à
+ Grimma. Le lendemain 29, le quartier-général devait être transporté
+ à Waldheim, petite ville située dans un défilé. Le Roi était en
+ arrière, et nos voitures l'avaient cette fois précédé, lorsqu'à une
+ demi-lieue de Waldheim nous rencontrâmes le général d'Albignac qui
+ ordonna aux bagages de rebrousser chemin. Les ennemis ayant fait un
+ mouvement sur leur gauche s'étaient portés sur Chemnitz. Le
+ quartier-général fut établi à Hartha, village en arrière de
+ Waldheim. Hier à deux heures de l'après-midi, le Roi est arrivé à
+ Nossen d'où il est parti ce matin à cinq heures. À dix heures, Sa
+ Majesté a fait son entrée à Dresde à la tête de ses gardes et des
+ cuirassiers saxons, au bruit des canons du rempart et des cloches de
+ la ville. Elle s'est logée au palais de Brühl.</p>
+
+<p>Les ennemis avaient quitté Dresde avant-hier. Le général Kienmayer,
+ arrivé depuis quelques jours, avait établi un camp. Ce camp a été
+ levé hier et il n'est pas douteux que dès demain les ennemis seront
+ rentrés <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> dans les frontières de la Bohême. Nos hussards
+ leur ont déjà enlevé quelques chariots. À la tête de la colonne qui
+ s'est montrée à Chemnitz et qui avant-hier encore poussait des
+ patrouilles d'uhlans jusqu'à Penig, où est le duc d'&OElig;ls. Il a peu
+ de troupes réglées avec lui: sa bande noire qui s'est très mal
+ comportée partout, et ce qui est à la solde de l'électeur de Hesse,
+ paraît en composer la partie principale. Cependant, la retraite vers
+ la Bohême de ce corps qui avant-hier encore se trouvait en quelque
+ sorte sur nos derrières, ne paraît pas bien constatée. Du reste, il
+ est peu probable qu'il risquera de prolonger son incursion. Quand le
+ duc d'&OElig;ls qui n'est point, comme on l'avait dit, entièrement
+ subordonné au général autrichien, mais qui est considéré comme une
+ espèce d'allié, voudrait, en profitant de l'absence du roi, se jeter
+ dans la Westphalie, ce serait probablement parce que ses alliés
+ voudraient en être quittes; il serait abandonné par les troupes
+ autrichiennes et il ne lui resterait qu'une bande moins dangereuse
+ que celle de Schill. Ce nouveau libérateur de l'Allemagne, ivre de
+ tabac et de bière et de quelques vivat de la populace de Leipzig,
+ voulait enrôler sous ses drapeaux tous les étudiants de cette
+ université. On lui a ri au nez. Par représailles il a levé une
+ contribution de 6,000 thalers à Leipzig et de 5,000 à Dresde. Les
+ Autrichiens se sont partout conduits avec beaucoup de ménagements.
+ Leur retraite au reste, et même quelques bruits que nous avons
+ trouvés ici circulant, semblent prouver qu'il s'est déjà passé
+ quelque événement important sur le Danube, et c'est vers ce côté-là
+ que nous ne cessons de tourner nos regards.</p>
+
+<p>Il y a eu le 28 un petit engagement entre les troupes du général
+ d'Albignac et celles du duc d'&OElig;ls, en avant de Waldheim. Il
+ paraît que c'était une affaire de reconnaissance et que le tout
+ s'est réduit à quelques blessés de part et d'autre. Le général
+ d'Albignac a repris le commandement de la cavalerie et c'est le
+ colonel Thielmann, qui déjà avait remplacé le général Dyherrn dans
+ le commandement des troupes saxonnes, qui commande aujourd'hui
+ l'avant-garde. Le prince de Hesse a été commandant de la ville de
+ Dresde. Sous les Autrichiens c'était le prince de Lobkowiz,
+ commandant les milices de Bohême.</p>
+
+<p>Je vous ai déjà parlé, Monseigneur, d'un mouvement qui avait éclaté
+ à Carlshaven: il a été dissipé par quelques gendarmes. Celui qui a
+ eu lieu à Marbourg a été plus sérieux: quatre ou cinq cents paysans
+ sont entrés dans la ville, mais ils en ont été promptement chassés
+ par la garde départementale. Cet événement a donné lieu à
+ l'arrestation d'un inconnu qui se nommait Ermerich, qui résidait à
+ Marbourg depuis trois mois, et qu'on dit avoir été colonel en
+ Angleterre. M. Lefebvre m'a envoyé et j'ai l'honneur de vous
+ transmettre la copie d'une lettre qu'on a trouvée dans ses papiers.
+ C'est un homme de soixante-quatre ans: il nie encore tout.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> Ces mouvements, Monseigneur, ont été sans doute la cause
+ d'une certaine inquiétude que vous aurez pu remarquer dans la
+ dernière conversation du roi dont j'ai eu l'honneur de rendre compte
+ à Votre Excellence. Du reste, quelque vastes que puissent être les
+ vues des meneurs, il est certain que les paysans n'ont pu être
+ séduits que par des causes locales; c'est la contribution
+ personnelle qui a occasionné le petit désordre de Carlshaven; ce
+ sont les droits de consommation qui ont conduit les paysans à
+ Marbourg et l'on me mande que ce sont eux-mêmes qui ont arrêté et
+ livré l'inconnu dont je vous ai parlé. Ce qui doit rassurer
+ entièrement, c'est que 1,500 hommes de l'armée de réserve se sont
+ rendus à Marbourg du moment où une lettre du préfet de la Werra
+ avait donné à Hanau connaissance de ce mouvement.</p>
+
+<p>Le roi avait expédié de Leipzig un de ses officiers d'ordonnance au
+ roi de Saxe pour l'inviter à revenir dans ses États. Cet officier
+ est revenu avant-hier. Je ne connais point directement le résultat
+ de sa mission; mais le ministre de Saxe croit savoir que l'intention
+ de sa Majesté n'est point de revenir aussi promptement que nous
+ l'espérions. Le roi lui a encore hier écrit par un autre officier.</p>
+
+<p>J'apprends qu'on suppose réellement au duc d'&OElig;ls le projet de se
+ porter en Westphalie. Le général Bongars a été détaché de Nossen
+ avec deux régiments de cuirassiers et un bataillon français pour se
+ mettre à sa poursuite.</p>
+
+<p>Le roi m'a dit que l'empereur présumait qu'il aurait pris position à
+ Erfurt. Il m'a dit que dans quinze jours il comptait être à
+ Hambourg. Au quartier-général et même dans les propos du comte de
+ Furstenstein, il n'est question que d'aller en Bohême. À Cassel, on
+ attend Sa Majesté dans cinq ou six jours en vertu de la promesse que
+ Sa Majesté a donnée. Le roi a dit lui-même que depuis son absence,
+ tout est en stagnation et en désordre.</p>
+
+<p>Le roi a voulu que les ministres étrangers l'accompagnassent,
+ d'après le principe qu'il nous a exprimé hier qu'ils n'étaient
+ attachés qu'à sa personne. Il n'en est pas moins vrai que de temps
+ en temps nous nous sentons ici un peu déplacés et nous le serions
+ bien davantage s'il s'agissait d'entrer en Bohème. Quant à moi je
+ n'ai d'autre volonté que de connaître mon devoir et vos ordres.
+ Jusque-là mon devoir est certainement de ne point m'éloigner du
+ frère de l'empereur; et s'il s'agissait réellement de s'avancer en
+ Bohême, le mot que le roi lui-même m'a dit sur la position à prendre
+ à Erfurt suffirait peut-être pour me faire écouter. Un jour, nous
+ avions été abandonnés au milieu des bagages. Nous fîmes au comte de
+ Furstenstein des représentations concernant notre considération et
+ notre sûreté: elles ont été écoutées et nos trois voitures suivront
+ désormais immédiatement celle du roi.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> Cependant l'expédition d'Am-Ende et du duc de Brunswick se
+rattachait à une autre opération sur la Bavière et sur la Bohême. Le
+général autrichien Radiwowitz avec 10,000 hommes, occupant Bayreuth
+le 10 juillet, coupa la route de Ratisbonne au Danube, tandis
+qu'Am-Ende entrait à Dresde.</p>
+
+<p>L'empereur, à cette nouvelle, envoya le duc de Valmy à Strasbourg,
+et le remplaça à la tête de son corps d'armée, qui devint <i>réserve
+de l'armée d Allemagne</i>, par Junot, qu'il destina à opérer de
+conserve avec le roi Jérôme.</p>
+
+<p>Le duc d'Abrantès eut ordre de rétablir la route de Ratisbonne, puis
+de pénétrer en Bohême avec son corps et le 10<sup>e</sup>. Arrivé le 27 juin à
+la tête de ses troupes, il porta la division Rivaud sur Nuremberg,
+dont elle chassa les Autrichiens et les força à se replier vers la
+Bohême par Bayreuth et Hof.</p>
+
+<p>Le même jour, 27 juin, Kienmayer avait pris le commandement des deux
+corps autrichiens, Am-Ende et Radiwowitz, et les avait portés sur
+Hof et sur Bayreuth.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, Junot poussa l'ennemi vers le nord par Nuremberg,
+Jérôme le poussa vers le sud sur la même route, mais bientôt le duc
+d'Abrantès se trouvant seul en présence des 25,000 hommes de
+Kienmayer fut obligé de se replier sur Amberg. Le 10 juillet,
+Jérôme, auquel Junot a donné pour lieu de réunion Hof afin d'agir de
+concert, ne trouve plus les troupes du duc d'Abrantès, et seul à son
+tour, devant les forces imposantes de l'adversaire, il opère sa
+retraite par Schleiz sur Leipzig pour couvrir son royaume.</p>
+
+<p>Jérôme était resté trop ou trop peu de temps à Dresde. En se mettant
+immédiatement à la poursuite des Autrichiens d'Am-Ende, ne les
+quittant pas, opérant sur le sud et Junot sur le nord, ils prenaient
+peut-être l'ennemi entre deux feux. En se maintenant à Dresde, il
+obéissait aux ordres de l'empereur, qui attachait avec raison à la
+conservation de cette capitale une grande importance.</p>
+
+<p>Nous allons continuer à donner quelques lettres écrites par Reinhard
+pendant les premiers jours de cette campagne.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Freyberg, ce 4 juillet 1809.</p>
+
+<p>Le roi est parti de Dresde ce matin à huit heures: il est arrivé ici
+ à deux. Le colonel Thielmann s'est porté en avant de Pirna, le
+ général Bongars doit se trouver en avant de notre côté, puisque le
+ roi a appris hier que le duc d'&OElig;ls se retirait en grande hâte
+ vers la Bohême. <span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> À notre arrivée à Freyberg on disait qu'il
+ n'était qu'à cinq lieues de distance de Marienberg. On assurait à
+ Dresde qu'il avait reçu trois courriers qui le rappelaient en
+ Bohême. L'intention du roi ce matin était de passer ici la journée
+ de demain.</p>
+
+<p>Le chef de l'état-major m'avait déjà dit qu'avant d'entrer dans ce
+ pays ennemi, le roi attendrait les ordres de Sa Majesté Impériale.
+ M. le comte de Furstenstein m'ayant dit ensuite que nous allions à
+ Freyberg et de là probablement à Altenbourg, je lui ai témoigné mon
+ extrême satisfaction de ce que cette marche coïncidait si bien avec
+ les vues de l'empereur que je ne connaissais au reste que par le roi
+ lui-même; que sans nous éloigner de l'ennemi nous nous approchions
+ ainsi de la contrée où nous pourrions donner la main au corps du duc
+ d'Abrantès, et même des frontières westphaliennes. M. de
+ Furstenstein m'a répondu que Sa Majesté l'empereur ne paraissait pas
+ supposer que le roi pût disposer d'une aussi grande force; qu'au
+ reste Sa Majesté n'entrerait point en Bohême avant d'avoir connu les
+ intentions de son auguste frère. J'ai saisi cette occasion pour
+ assurer M. de Furstenstein que mon inclination autant que mon devoir
+ me prescrivait de suivre le roi partout où il irait.</p>
+
+<p>À Dresde, le roi est allé à l'opéra le jour de son arrivée: le
+ lendemain on a chanté un <i>Te Deum</i> dans toutes les églises. Pendant
+ ce temps il y a eu cercle à l'hôtel de Brühl et Sa Majesté s'est
+ fait présenter les officiers civils et militaires du roi de Saxe.
+ Hier elle a passé en revue les troupes qui se trouvaient à Dresde.
+ Le ministre de Saxe en Westphalie a négocié pour le compte du roi un
+ emprunt de 80,000 francs destinés à là solde des troupes. Il s'est
+ rendu utile pendant la marche par les moyens d'informations qu'il a
+ procurés.</p>
+
+<p>Je n'ai point encore entretenu Votre Excellence des inquiétudes du
+ ministre de Hollande qui en effet ne paraissent point être sans
+ fondement. De tous les ministres qui accompagnent le roi, M. de
+ Huygens seul n'a point encore eu l'honneur de dîner avec Sa Majesté;
+ mais ce qui l'a surtout affligé c'est qu'un certain article du
+ journal de l'empire, où la Hollande est représentée comme la source
+ de tous les bruits faux et malveillants contre la France, a été
+ réimprimé par ordre du roi dans la gazette de Leipzig<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a><a href="#footnote118" title="Lien vers la note 118"><span class="smaller">[118]</span></a>. Le
+ lendemain M. de Huygens prit occasion de l'autorisation qu'il avait
+ reçue de suivre Sa Majesté pour se plaindre de la publication de cet
+ article qui ferait une peine extrême à son maître. Quoi qu'il en
+ soit, d'après les informations que j'ai pu obtenir, ce qui <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span>
+ en ce moment s'est interposé entre les deux frères, c'est un peu
+ d'humeur qui se dissipera, et il n'est guère probable que les choses
+ iront jusqu'au rappel de M. de Huygens, comme celui-ci paraît le
+ craindre. Quant au rappel de M. Munchhausen, il est certain que le
+ roi de Hollande l'avait demandé: il l'a dit lui-même à ce ministre
+ qu'il a toujours bien traité et qu'il traite bien même, à son
+ départ. Ce ne fut qu'à la dernière audience qu'il lui demanda s'il
+ ne devinait point le motif qui lui avait attiré ce que Sa Majesté
+ avait cru devoir faire? M. de Munchhausen ayant répondu que cela lui
+ était impossible, le roi ne s'en est point expliqué davantage.</p>
+
+<p>Le Conseil privé de Dresde avait envoyé un M. de Manteufel pour
+ recommander le sort de la Saxe à l'empereur d'Autriche. Cette
+ démarche, qui pouvait être excusable de la part d'un conseil
+ municipal, ne l'est point de la part d'un conseil de ministres
+ d'État. Aussi, à l'audience de dimanche, le roi en a-t-il hautement
+ exprimé sa surprise et son indignation. Il a dit que si cela était
+ arrivé dans un autre pays que la Saxe dont le souverain était connu
+ par sa loyauté et son attachement à la cause commune, les suites
+ pourraient en être très graves; mais que sûrement le roi de Saxe
+ serait celui qui se montrerait le plus péniblement affecté de cette
+ mission déplacée. À côté de l'ordre du jour de Sa Majesté
+ westphalienne que j'ai transmis à Votre Excellence avec ma dernière
+ expédition, était affichée partout une proclamation de Sa Majesté
+ saxonne dont j'ai l'honneur de joindre ici la traduction quoique je
+ doive supposer que M. de Bourgoing vous l'aura déjà envoyée<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a><a href="#footnote119" title="Lien vers la note 119"><span class="smaller">[119]</span></a>. Le
+ roi a été plus content de sa réception à Dresde que de celle qu'on
+ lui avait faite à Leipzig: cette dernière ville en sa qualité de
+ ville de commerce a son esprit d'égoïsme, sa manufacture de fausses
+ nouvelles, sa populace oisive et souffrante. À Dresde, d'ailleurs,
+ la proclamation du roi de Westphalie avait déjà produit un bon
+ effet. Depuis que la Prusse n'est plus comptée au nombre des
+ puissances, les Saxons, peu flattés dans tous les temps de partager
+ leur souverain avec les Polonais, affectent par une sorte
+ d'opposition de se montrer attachés à l'Autriche; mais le génie de
+ cette nation polie, spirituelle et énervée, diffère essentiellement
+ de celui des Autrichiens; aussi n'ai-je nullement partagé
+ l'inquiétude du roi sur la fidélité des troupes saxonnes. Un homme
+ de lettres, Adam Muller, un des coryphées de cette école moderne qui
+ fait dépendre le salut de l'Europe du rétablissement du
+ catholicisme, connu d'ailleurs à Dresde et en Allemagne par un cours
+ de lectures publiques où l'on trouve de l'esprit de néologisme et
+ des paradoxes, avait servi de secrétaire au prince de Lobkowiz. Il a
+ reçu l'ordre de quitter la Saxe et s'est rendu à Berlin.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> M. le colonel Clary, chargé par le roi d'Espagne de porter
+ à S. M. westphalienne l'ordre de la Toison d'or, a obtenu la
+ permission d'accompagner, de suivre le roi dans cette campagne: il a
+ suivi le quartier-général depuis Sondershausen. Le roi, de son côté,
+ vient d'instituer une décoration de médailles d'or et d'argent pour
+ récompenser, parmi les sous-officiers et les soldats de son armée,
+ le mérite et les services militaires. Une pension de 100 fr. est
+ attachée à la médaille d'or et une de 50 fr. à la médaille d'argent.
+ Je n'ai pu prendre copie du décret d'institution qui aura déjà paru,
+ vu qu'il paraîtra dans le <i>Moniteur westphalien</i>.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Ce 4 au soir.</p>
+
+<p>Le corps du duc d'&OElig;ls tient encore entre Schauberg et Zwickau.
+ Avec les milices et les uhlans on le croit encore fort de 6 à 7,000
+ hommes. Ce partisan a enlevé toutes les armes à feu qu'il a pu
+ saisir dans cette contrée où la liberté de la chasse fait attacher
+ du prix à de bons fusils. Le général Bongars est à Leipzig, ce qui
+ probablement a fait dire ce matin à Dresde que le duc d'&OElig;ls était
+ à Halle. Des avis de la frontière parlent du corps de l'électeur de
+ Hesse comme devant venir se joindre à celui du duc d'&OElig;ls. Il
+ parait que c'est le corps qui avait pénétré dans Bayreuth et que
+ l'approche du général Rivaud, qui, le 28, était à Wurtzbourg, aura
+ forcé de rentrer en Bohème. Le roi s'est informé des routes de la
+ Bohême, de la Franconie et de la Thuringue: laquelle prendra-t-il?</p>
+
+<p>M. de Malsbourg, écuyer de S. M. envoyé à Francfort auprès du roi de
+ Saxe depuis notre entrée à Dresde, et le retour de M. de Courbon
+ nous fera connaître sans doute la résolution définitive de ce
+ souverain. M. Bigot, officier d'ordonnance, est parti hier pour le
+ quartier général impérial, où M. Guériot, parti de Leipzig dix-huit
+ heures après l'expédition de mon estafette du 26, doit déjà être
+ arrivé.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Freyberg, ce 5 juillet 1809.</p>
+
+<p>J'ai reçu la lettre du 22 juin par laquelle Votre Excellence
+ m'accuse réception de mes lettres n<sup>os</sup> 51 et 52, et me transmet les
+ ordres que Sa Majesté Impériale a daigné me faire réitérer dans
+ cette occasion. Je m'efforcerai, Monseigneur, dans ma position
+ actuelle, de les remplir de mon mieux, quelque indigne que je sois
+ de rendre compte des opérations militaires. Heureusement le ministre
+ de Saxe, remplissant les fonctions de chef d'espionnage, est assez
+ au courant des mouvements dont on fait un grand mystère au
+ quartier-général à nous autres profanes du corps diplomatique. Le
+ ministre des affaires étrangères porte l'habit et prend quelquefois
+ le langage d'officier d'ordonnance; il ne nous appartient plus et
+ c'est presque de vive force que j'ai été obligé d'emporter
+ avant-hier un moment de conversation avec lui. Le roi <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span>
+ l'avait chargé en ma présence de me communiquer les bulletins; il ne
+ l'a pas fait; le chef d'état-major m'avait promis la communication
+ de ses rapports: je me suis lassé de les demander. Comme au reste
+ ces informations parviendront à Sa Majesté Impériale par un autre
+ canal et que Votre Excellence pourra lire les bulletins un peu plus
+ tard dans le moniteur westphalien, il n'y a point d'inconvénients et
+ je suis même très éloigné de me plaindre d'une situation qu'il était
+ facile de prévoir et qui ne me rend responsable que de mes propres
+ erreurs.</p>
+
+<p>C'est par le ministre de Saxe que j'ai appris que les troupes
+ saxonnes détachées à la poursuite du général Kienmayer, qui s'était
+ retiré au-delà de Peterswalde avec 3,000 hommes environ de troupes
+ réglées, avait ordre de se rapprocher d'ici et que le général
+ Bongars était à Leipzig. J'ai pensé que ce pourrait être pour aller
+ à la rencontre du roi de Saxe; d'autres disent que c'est pour se
+ procurer plusieurs objets qui manquent à ses cuirassiers; d'autres
+ qu'une partie de sa cavalerie a eu ordre de se rendre à Cassel.
+ J'apprends que le général Bongars aussi doit se rapprocher de nous.
+ La position de Freyberg est plus centrale en effet; cependant
+ <i>Dresde, où n'est restée aucune troupe, sera de nouveau livrée aux
+ incursions ennemies</i>.</p>
+
+<p>Le roi, depuis qu'il est à l'armée, a donné tout son temps à ses
+ occupations: il a fait presque toute la route à cheval. Le général
+ Rewbell, chef de l'état-major, et le comte de Bernterode du Coudras,
+ capitaine de ses gardes, sont habituellement auprès de lui; le comte
+ de Furstenstein ne quitte point sa personne. Le général
+ Klosterlerod, les colonels Chabert, de Lepel, Verdun, de Borstel, de
+ Schlosheim, Zeweinstein, de Laville, Villemereuil, le prince de
+ Salm, font le service du quartier-général. MM. de Soudressons, l'un
+ maréchal de la cour, l'autre préfet du palais, M. de Marinville,
+ secrétaire du cabinet, et deux pages composent le reste de sa suite.</p>
+
+<p>Aux membres du corps diplomatique, s'est joint depuis hier au soir
+ le ministre de Prusse, qui, quoique à peine rétabli, s'est mis en
+ route immédiatement après avoir reçu de Berlin l'ordre de suivre Sa
+ Majesté.</p>
+
+<p>Il n'est plus douteux que le corps ennemi a été constamment plus
+ faible que le nôtre et qu'en y comprenant la Landwehr il n'a jamais
+ dépassé 10,000 hommes. Une mésintelligence constante a régné entre
+ les Autrichiens et le corps du duc d'&OElig;ls.</p>
+
+<p>Le général Rewbell se plaint de la jalousie qui règne chez nous,
+ entre les Saxons, les Hollandais et les Westphaliens. En Saxe, on
+ prétend que les Autrichiens ont tenu une meilleure discipline que
+ les nôtres sans exception. Cependant il n'y a point d'excès graves;
+ les gardes par besoin ont, dit-on, enlevé ou échangé quelques
+ chevaux. Le <span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> comte de Bernterode a fait couper la queue à
+ un cheval qu'il se destinait. Le général Rewbell l'a fait rendre.</p>
+
+<p>Le général d'Albignac a beaucoup perdu de sa réputation. Le général
+ Gratien avait offert son concours à D&oelig;mitz pour ne laisser
+ échapper aucun ennemi: l'autre a voulu avoir seul la gloire et
+ l'ennemi s'est échappé. Le ministre de Hollande m'a assuré que
+ Gratien avait reçu à Rostock l'ordre de ne point attaquer Schill et
+ de revenir, mais que c'était cet ordre en poche qu'il avait marché
+ sur Stralsund. Les généraux hollandais se distinguent par leur tenue
+ et leur maturité dans une position difficile. Le régiment de Berg
+ (officiers et soldats) est mal discipliné. Rewbell se plaint du
+ comte de Bernterode qui, dit-il, ne fait que des bévues. Le général
+ Allix se plaint du général Rewbell pour avoir laissé son parc
+ d'artillerie à Dresde sans aucune troupe pour le protéger. Comme
+ notre marche est devenue un peu incertaine, les soldats commencent à
+ penser qu'on n'a pas grande envie de se battre.</p>
+
+<p>Le général Royer a fait enlever de Marbourg le nommé Ermerich et les
+ autres prisonniers, probablement pour les mettre à l'abri d'un coup
+ de main de quelque bande insurgée. M. Siméon les a réclamés;
+ j'apprends qu'ils vont être ramenés à Cassel.</p>
+
+<p>Pour donner à Votre Excellence une idée de l'esprit de cette ville,
+ je ne saurais mieux faire que de transcrire quelques passages de la
+ correspondance de M. Lefebvre.</p>
+
+<p>Le roi a visité ce matin les bâtiments où se fait la fonte ou
+ l'amalgame du minerai. J'avais parlé à M. de Furstenstein de M.
+ Werner comme d'un homme du mérite le plus distingué et comme du
+ premier minéralogiste de l'Allemagne. Mais un chef des mines qui ne
+ savait pas le français a conduit Sa Majesté, et le prince de Salm a
+ servi d'interprète.</p>
+
+<p>Les généraux hollandais, le général d'Albignac et le colonel
+ Thielmann se sont réunis ici aujourd'hui; on attend demain le
+ général Bongars et un régiment hollandais venant de Magdebourg.</p>
+
+<p>Le roi nous a dit qu'il avait fait écrire au général Kienmayer pour
+ lui demander si le duc d'&OElig;ls était à la solde de l'Autriche: que
+ dans le cas contraire il ne pourrait le traiter que comme un
+ aventurier.</p>
+
+<p>La gazette de Leyde, en imprimant l'article dont j'ai parlé dans mon
+ numéro précédent, l'accompagne d'une réfutation. M. de Huygens vient
+ de demander à M. de Furstenstein, comme le seul moyen de rendre
+ justice et satisfaction à Sa Majesté hollandaise, que la réfutation
+ aussi soit imprimée dans les gazettes qui sont sous l'influence du
+ gouvernement westphalien. Ce ministre l'a promis.</p>
+
+<p>Depuis que je suis au quartier-général j'ai envoyé toute ma
+ correspondance à Votre Excellence par estafette, mon n<sup>o</sup> 55, le 24
+ juin, de Querfurt à Francfort; mon n<sup>o</sup> 56, le 26 à minuit, de
+ Leipzig à Stuttgard. <span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> Un officier saxon, que le roi avait
+ retenu et qui est parti de Dresde le 2 juillet au matin pour
+ Francfort, s'est chargé, sous les auspices de M. de Furstenstein et
+ sous l'enveloppe de ministre de Westphalie à Francfort, de mon n<sup>o</sup>
+ 57. Je me propose d'envoyer la présente expédition par estafette, de
+ Chemnitz, où nous allons demain matin, à Stuttgard: c'est un détour
+ sans doute, mais je n'ose pas encore m'écarter de la route de
+ Francfort, dans l'incertitude où je suis sur l'état des affaires en
+ Franconie.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i></p>
+<p class="date">Ce 5 au soir.</p>
+
+<p>Un courrier du roi, revenant de Cassel, m'apporte à l'instant, de la
+ part de M. Lefebvre, la dépêche que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'adresser le 26 du mois passé. Je me félicite,
+ Monseigneur, d'avoir pressenti et prévenu les intentions de S. M.
+ Impériale. Votre Excellence aura pu se convaincre que je n'ai jamais
+ été incertain sur le parti que j'avais à prendre, quoique dans un
+ temps où il n'était point question de s'éloigner des frontières de
+ la Westphalie et où l'on assurait que l'on n'entrerait point en
+ Saxe, j'ai cru devoir chercher quelque expédient pour ne rien
+ préjuger sur les ordres de Sa Majesté l'empereur quels qu'ils
+ puissent être.</p>
+
+<p>Je me suis empressé de communiquer à M. le comte de Furstenstein et
+ les bulletins que M. Lefebvre avait déjà copiés pour les faire
+ imprimer à Cassel, et le contenu de votre dépêche. J'ai dit à ce
+ ministre que, quoiqu'il n'y soit question que du langage ostensible
+ que j'avais à tenir, il en résultait cependant que déjà la marche du
+ roi répondait parfaitement aux vues de Sa Majesté Impériale, et que
+ la réponse confidentielle et positive que Sa Majesté allait recevoir
+ pouvait en quelque sorte être prévue. M. de Furstenstein a paru
+ incertain s'il convenait que le roi entrât personnellement en
+ Bohême. Comme il s'agit aujourd'hui de trois corps, l'opération aura
+ besoin d'être concertée: on ne courra plus le risque de s'aventurer,
+ et si le roi entre en Bohême, il y paraîtra d'une manière glorieuse
+ et digne de sa personne. C'est du reste à Chemnitz qu'il faudra
+ prendre une résolution, et la lettre de Votre Excellence ne pouvait
+ arriver plus à propos. Le courrier de M. Bourgoing, en remettant
+ votre paquet à M. Lefebvre, a dit de vive voix qu'on disait à
+ Francfort que le roi de Saxe en partirait mercredi 6, mais qu'il
+ n'irait que jusqu'à Leipzig. J'ai informé M. de Furstenstein de ce
+ oui-dire, mais je n'ai pu deviner ce que signifiait le sourire avec
+ lequel il l'a reçu. Il signifiait à peu près qu'on n'était pas très
+ content de Sa Majesté saxonne et qu'on ne croyait pas à son retour.</p>
+
+<p>Lorsque j'ai annoncé au ministre de Saxe que toutes les
+ contributions levées par des bandes ou patrouilles autrichiennes
+ seraient restituées aux dépens des pays héréditaires, il m'a demandé
+ en riant si les <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> dépenses occasionnées par la présence des
+ troupes amies retomberaient aussi sur l'Autriche. Il a ajouté aussi
+ qu'il espérait que je représenterais à Sa Majesté impériale mon
+ maître combien cette marche était coûteuse pour la Saxe. Il m'a paru
+ que cette observation lui avait déjà été faite de Francfort, et sa
+ position en effet est délicate.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Schleiz, ce 12 juillet 1809.</p>
+
+<p>À peine mes collègues et moi avions-nous fait partir un exprès de
+ Werdau pour porter à Géra nos paquets, d'où ils ont été expédiés par
+ une estafette à Francfort, que nous apprîmes par hasard, comme à
+ l'ordinaire, que le roi allait partir, non pour Géra, mais pour
+ Reichenbach. Ce départ fut annoncé le 10, à onze heures du matin; il
+ eut lieu à midi. D'après tout ce que j'ai pu recueillir depuis, le
+ motif de ce changement subit de détermination était qu'on avait
+ appris vaguement que le duc d'Abrantès s'était retiré et même qu'il
+ avait éprouvé un échec. Quoiqu'il se soit passé trois jours depuis
+ que ce prétendu événement aurait eu lieu, tout ce qui me paraît
+ constaté, c'est que le duc d'Abrantès ne s'avance point à notre
+ rencontre, qu'il n'y a point eu de jonction, ni peut-être de
+ communication directe entre les deux corps. Le roi au reste dit
+ positivement que le duc d'Abrantès est sous ses ordres; il a même
+ assuré avant-hier que c'était lui-même qui avait donné à ce général
+ l'ordre de se retirer pour serrer d'autant plus sûrement l'ennemi
+ entre les deux corps. Cette manière ingénieuse de justifier
+ éventuellement la retraite du duc d'Abrantès est un trait de
+ générosité, et c'est par la même impulsion que le roi a fait son
+ mouvement en avant<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a><a href="#footnote120" title="Lien vers la note 120"><span class="smaller">[120]</span></a>.</p>
+
+<p>Lorsqu'on fut arrivé à Reichenbach, on afficha un ordre du jour qui
+ défendit à toutes les voitures de suivre l'armée, à l'exception de
+ celles du roi et de celles qui auraient une permission expresse du
+ chef de l'état-major. Après une conversation avec M. le comte de
+ Furstenstein dans laquelle ce ministre nous répéta que le roi
+ verrait toujours avec plaisir que nous le suivissions, rien ne fut
+ changé à l'égard de l'ordre donné pour les voitures du corps
+ diplomatique, et le lendemain matin, 11 juillet à quatre heures, on
+ se mit en marche pour Plauen. Dans la journée d'hier, les ennemis
+ tenaient encore à Hof; il y eut même une affaire de reconnaissance
+ avec un détachement du général d'Albignac, contre lequel les ennemis
+ firent sortir de Hof trois escadrons et deux bataillons d'où l'on
+ inféra qu'ils y étaient en force. Ce n'est qu'hier au soir ou dans
+ la nuit passée qu'ils ont évacué cette ville. Cependant au moment de
+ notre entrée à Plauen, un détachement de sept hussards noirs parut
+ encore à &OElig;lsnitz à deux lieues de Plauen.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> Aujourd'hui, le roi a voulu partir de Plauen à trois heures
+ du matin: il n'a pu en sortir qu'après quatre heures, à cause des
+ bagages et des colonnes qui défilaient. À midi, son quartier-général
+ s'est trouvé établi à Schleiz. Trois trains d'artillerie, tous les
+ généraux, tous les corps, excepté les Saxons et le colonel
+ Thielmann, sont réunis ici. Les Saxons mêmes, qui de Marienberg
+ devaient se porter à Dresde, ont eu ordre de se rapprocher de nous.
+ Le général Bongars nous avait joints à Reichenbach.</p>
+
+<p>Ce matin, la nouvelle était que le général Klenau avec 3,000 hommes
+ était venu de Bohême joindre le général Kienmayer. Cette nouvelle
+ par plusieurs raisons paraît apocryphe.</p>
+
+<p>Nous voici maintenant sur la grande route de Géra et de Hof, ainsi
+ que sur la route de Iéna. Le roi reviendra-t-il à son premier projet
+ dont il me parla à Werdau? Ou se portera-t-il de nouveau sur Hof?
+ C'est ce que nous n'apprendrons peut-être que demain matin.</p>
+
+<p>Sa Majesté a reçu à Reichenbach les dépêches de Sa Majesté le roi de
+ Saxe portées par un officier. Ce souverain n'a pas encore jugé à
+ propos de quitter Francfort; et il est à peu près décidé maintenant
+ qu'il n'y aura point d'entrevue. On dit que c'est le mouvement que
+ les Autrichiens avaient fait sur Chemnitz qui l'a fait changer de
+ résolution. Le roi qui avait constamment tenu S. M. saxonne au
+ courant de sa marche et des points où l'entrevue pourrait avoir
+ lieu, paraît avoir reçu cette nouvelle avec un certain déplaisir. Il
+ a dit à l'officier que peut-être dans deux ou trois jours ses
+ promenades en Saxe finiraient par l'ennuyer et qu'alors il
+ retournerait à Cassel. Sa Majesté vient d'expédier pour sa capitale
+ un courrier chargé, comme on croit, d'y annoncer son arrivée
+ prochaine.</p>
+
+<p>Ce matin, avant de partir de Plauen, le roi m'a dit qu'il avait reçu
+ des nouvelles de S. M. Impériale; que le passage du Danube avait eu
+ lieu, et que déjà 3,000 Autrichiens avaient été faits prisonniers.
+ Le capitaine Gueriot, étant parti du quartier-général impérial le 4,
+ la veille du passage, a appris les nouvelles subséquentes en route
+ par un officier wurtembergeois.</p>
+
+<p>Le ministre de Prusse, toujours malade et invité par nous tous à
+ retourner, a pris à Reichenbach le parti de s'en aller à Géra. Le
+ ministre de Saxe, tombé malade aussi, est resté à Plauen. Ce matin,
+ le roi a chargé M. le comte de Furstenstein, en notre présence,
+ d'annoncer à M. de Sch&oelig;nbourg qu'il pouvait retourner à Cassel.
+ Ce ministre ayant dit également au ministre de Hollande que rien
+ n'empêchait les autres membres du corps diplomatique de partir
+ aussi, je pense que notre retour pour notre résidence ordinaire ne
+ sera plus guère différé.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> Weimar, 13 juillet 1809.</p>
+
+<p>Hier au soir les ministres de Bavière et de Hollande se rendirent au
+ quartier du roi pour demander à M. de Furstenstein une explication
+ positive sur les intentions de Sa Majesté concernant notre départ.
+ Je n'avais pas voulu les accompagner, parce qu'il m'avait paru qu'il
+ me convenait d'être le dernier à demander cette explication et que
+ M. de Furstenstein jugerait peut-être convenable de me la donner de
+ son propre mouvement.</p>
+
+<p>Mes collègues trouvèrent ce ministre accompagnant Sa Majesté dans
+ une promenade au jardin, bien mal entretenu, du prince de
+ Reuss-Schleiz. Il n'y avait qu'un jeu de quilles, le roi y joua avec
+ gaîté. Dans ce moment arriva le major Sand, annonçant qu'il avait
+ rencontré l'ennemi en avant de Plauen; que les tirailleurs l'avaient
+ poursuivi, lui avaient tué six chevau-légers; qu'il estimait de
+ 10,000 hommes les deux colonnes qu'il avait vu descendre des
+ hauteurs et qu'à neuf heures du matin l'ennemi était entré à Plauen.</p>
+
+<p>Le ministre de Wurtemberg vint m'annoncer cette nouvelle; je montai
+ au château. Bientôt le général Rewbell vint au-devant de moi. «Que
+ nous sommes heureux, dit-il, d'être sortis de ce mauvais trou de
+ Plauen! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, lorsque je vis cette
+ position détestable. Encore dans la marche de ce matin, l'ennemi
+ avait diverses routes pour nous couper; par l'une, à moitié chemin
+ entre Plauen et Schleiz, il tombait sur le milieu de notre colonne:
+ il nous anéantissait par l'autre, à la jonction de la grande route;
+ à notre route de traverse, il nous devançait ou nous empêchait de
+ prendre position.» Cela est fort heureux sans doute, mais pourquoi
+ les cheveux du chef de l'état-major ne se dressent-ils que lorsqu'on
+ est déjà arrivé dans la position qu'il a dû reconnaître, indiquer et
+ ordonner?</p>
+
+<p>Un instant après, le major Borstell nous annonça que l'ordre du roi
+ était que toutes les voitures sortissent à l'instant de la ville
+ pour être parquées à un quart de lieue de la ville, et que nous
+ avions à nous dépêcher. Je répondis qu'avant tout j'avais besoin de
+ consulter M. le comte de Furstenstein pour savoir si je devais me
+ séparer de ma voiture; que ne croyant pas pouvoir la laisser en
+ ville, je pourrais me trouver obligé d'en sortir aussi, et que
+ jusque-là je priais que l'ordre ne me fût point appliqué.</p>
+
+<p>M. de Furstenstein parut. Nous l'entourâmes tous; mais je ne crus
+ devoir parler que pour moi. Je dis à ce moment qu'attendu l'ordre
+ concernant les voitures, j'étais prêt à envoyer la mienne à
+ l'instant même à Cassel, sous la conduite d'un domestique éprouvé,
+ <i>ainsi que tout ce qu'elle renfermait</i>, et à suivre Sa Majesté avec
+ plaisir, par devoir et par dévouement; seulement que je devais dans
+ ce cas prier Sa <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> Majesté de me donner les moyens de
+ l'accompagner (le roi avait promis de me prêter une de ses
+ calèches). M. de Furstenstein alla sur le champ en parler au roi et
+ revint immédiatement nous annoncer que, dans les circonstances
+ actuelles, Sa Majesté trouvait bon que nous retournassions à Cassel.
+ Je demandai en conséquence qu'il nous fût permis de prendre congé de
+ Sa Majesté. Nous fûmes admis sans délai: il était dix heures:</p>
+
+<p>«Eh bien! Messieurs, dit le roi, vous voulez partir?&mdash;Votre Majesté,
+ répondis-je, veut que nous partions.&mdash;Oui, dit le roi, vous
+ m'embarrasseriez.» Il parla ensuite de la situation des choses: «Je
+ m'attendais, nous dit-il, à être attaqué à deux heures (c'est ce que
+ nous avait déjà dit le général d'Albignac). J'irai au devant d'eux,
+ c'est-à-dire je chercherai à les attirer dans la position que j'ai
+ choisie, où je réponds d'eux, et où je pourrai tenir pendant trois
+ jours contre 20 et même 30,000 hommes. Il faut espérer que le duc
+ d'Abrantès les suit: je ne sais ce qu'il fait; il s'endort, je crois
+ (ce n'est qu'à Iéna que nous avons appris que le duc d'Abrantès
+ était entré à Bayreuth le 6; il paraît certain qu'aucune
+ communication directe et suivie n'existe entre le roi et ce
+ général). S. M. nous parla ensuite de la position de Plauen et du
+ bonheur de l'avoir quittée, à peu près dans les mêmes termes que le
+ général Rewbell; Elle nous congédia en nous invitant à partir
+ promptement. Le roi nous avait proposé de prendre la route de
+ Saalfeld; je proposai celle de Neustadt, de Kahla et de Iéna. C'est
+ cette dernière que nous avons prise. Nous sommes partis de Schleiz à
+ minuit; nous sommes arrivés à Weymar ce soir à deux heures, sans le
+ moindre accident et surtout sans la moindre inquiétude. En effet,
+ comme on ne saurait douter que le passage du Danube n'ait eu lieu,
+ les ennemis qui depuis plusieurs jours pouvaient en connaître le
+ résultat devaient chercher, dans ce moment de confusion où je les
+ suppose, à éloigner le corps du roi de leurs frontières; ils ne se
+ porteront pas en avant de Plauen, mais longeant la Bohême et
+ cherchant même à gagner Dresde, ils se tiendront sur la défensive.
+ Le roi, de son côté, avant d'entreprendre quelque chose de décisif,
+ attendra les nouvelles du Danube.</p>
+
+<p>Le ministre de Bavière nous a déjà quittés pour se rendre à
+ Francfort. Les ministres de Wurtemberg et de Hollande sont ici avec
+ moi. Ce dernier voyageait dans la voiture du ministre de Saxe, où il
+ laissa tous ses effets. M. de Sch&oelig;nbourg, avec la fièvre et sans
+ chevaux, n'ayant pu quitter Plauen, nous sommes inquiets de ce qui
+ lui sera arrivé.</p>
+
+<p>Je me propose d'attendre ici un ou deux jours; M. le colonel Clary
+ aussi doit venir nous joindre: ensuite je continuerai ma route pour
+ Cassel.</p>
+
+<p>C'est ainsi, Monseigneur, que s'est terminé pour nous ce voyage
+ militaire où, je l'avoue, nous nous sentions tous, sans exception,
+ un peu <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> déplacés et où moi, personnellement, je crains
+ d'autant plus de l'avoir été que je ne puis espérer d'avoir été
+ capable de vous transmettre sur les événements de la campagne, et, à
+ leur défaut, sur les mouvements des troupes, des notions dignes de
+ fixer l'attention de Sa Majesté Impériale.</p>
+</div>
+
+<p>On comprend qu'en lisant les dépêches de Reinhard, l'empereur ait
+trouvé assez mauvais la manière dont le jeune roi menait ses troupes
+et exécutait ses ordres, aussi lui écrivit-il de Sch&oelig;nbrunn, le
+17 juillet à six heures du soir:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, le major-général m'a mis sous les yeux votre lettre du 7
+ juillet. Je ne puis que vous répéter que les troupes que vous
+ commandez doivent être toutes réunies à Dresde. Il n'y a à la guerre
+ ni frère de l'empereur ni roi de Westphalie, mais un général qui
+ commande un corps.</p>
+
+<p>Dans les 18,000 hommes dont vous faites le compte, vous ne comprenez
+ pas la brigade La Roche, qui est d'un millier de dragons. Vous
+ pouvez y joindre en outre le 22<sup>e</sup> de ligne.</p>
+
+<p>Pendant la durée de l'armistice, les Saxons peuvent se recruter de
+ quelques milliers d'hommes et remonter leur cavalerie.</p>
+
+<p>Vous pouvez attirer à vous tous les Hollandais, de sorte que vous
+ puissiez vous présenter à l'ouverture des hostilités avec 25,000
+ hommes sur les frontières de la Bohême, ce qui obligera l'ennemi à
+ vous opposer une pareille force, et, comme le théâtre de la guerre
+ sera nécessairement porté de ce côté, nous serions bientôt en mesure
+ de nous joindre par notre gauche ou par notre droite.</p>
+</div>
+
+<p>Jérôme, arrivé à Cassel le 19 juillet 1809, écrivit à Napoléon le
+20:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire de
+ Sch&oelig;nbrunn en date du 14. La retraite du duc d'Abrantès sur le
+ Danube m'avait forcé de prendre position à Schleitz et de quitter
+ l'offensive, l'ennemi étant dès lors très supérieur à moi. J'étais
+ dans cette position lorsque j'appris la nouvelle des grandes
+ victoires de Votre Majesté et le débarquement des Anglais. Je jugeai
+ dès lors que je n'avais pas à craindre que le corps autrichien
+ m'attaquât. Je n'étais pas assez fort pour le poursuivre en Bohême,
+ ce qui me décida à me porter tout d'un coup sur la Baltique par deux
+ marches de onze lieues chacune. J'arrivai le 17 à Erfurt; l'ennemi
+ ne fit pas un seul pas pour me suivre et il ne le pouvait, d'après
+ la défaite de l'armée autrichienne. Le 18, j'ai appris l'armistice;
+ cela m'a fait persévérer dans ma marche sur le Hanovre, puisque je
+ n'avais rien à craindre pour la Saxe pendant six semaines, et que
+ dans les quinze jours réservés pour la dénonciation de <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span>
+ l'armistice, j'avais le temps de me reporter du Hanovre sur les
+ frontières de la Bohême. J'ignorais totalement que Votre Majesté pût
+ tenir à ce que j'occupasse Dresde, et, craignant même qu'elle n'y
+ désapprouvât mon séjour, je n'y étais resté que le temps nécessaire
+ pour faire rafraîchir mes troupes. La division hollandaise, qui est
+ réduite presque à rien (les quatre régiments d'infanterie n'ayant
+ pas 900 bayonnettes chacun et le régiment de cavalerie n'ayant que
+ 280 chevaux), est restée à Erfurt pendant que le général Gratien est
+ occupé à régler l'armistice avec le général autrichien qui est à
+ Plauen. Je compte faire rejoindre cette division à Hanovre, quand
+ j'aurai la certitude que les Anglais débarquent en force, ce qui me
+ paraît bien douteux d'après tous les événements.</p>
+
+<p>D'après les intentions de Votre Majesté, j'ai donné l'ordre au
+ régiment de ligne français et aux chevau-légers polonais qui sont
+ dans les forteresses de l'Oder de rejoindre mon armée à Hanovre;
+ mais je ferai observer à Votre Majesté que ces villes vont se
+ trouver presque sans garnison.</p>
+
+<p>J'augmente mes troupes tant que je puis; mais, je puis l'assurer à
+ Votre Majesté (et elle peut s'en convaincre par les rapports de
+ toutes les personnes qui connaissent la situation actuelle de la
+ Westphalie), ce royaume ne peut aller encore quatre mois tel qu'il
+ est, comme je l'ai déjà écrit à Votre Majesté que je ne trompe
+ jamais. Depuis trois mois, la liste civile, les ministres et les
+ fonctionnaires publics ne sont pas payés et n'ont reçu que de
+ faibles à-comptes sur leurs traitements, et la solde des troupes
+ sera suspendue dans deux mois si Votre Majesté ne change pas l'état
+ du royaume. Cependant, il est impossible d'y mettre plus d'ordre et
+ d'économie que je ne le fais. Aucun budget n'est atteint, mais les
+ rentrées réelles sont bien loin des recettes présumées. Enfin la
+ Westphalie ne peut se soutenir si elle continue à payer le restant
+ de la contribution de guerre, ce qui fait sortir annuellement 7
+ millions de numéraire de la circulation.</p>
+
+<p>La Westphalie ne peut exister sans la France; mais aussi la
+ Westphalie peut être d'une très grande utilité au système politique
+ de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté de croire que tout ce que je lui dis là n'est
+ que la stricte et exacte vérité.</p>
+</div>
+
+<p>Les explications données par le roi Jérôme à Napoléon ne
+convainquirent nullement ce dernier et ne le firent pas changer
+d'avis, car le 27 juillet 1809, M. de Champagny, alors auprès de
+l'empereur à Vienne, écrivit à Reinhard la lettre suivante:</p>
+
+<p class="lettre">Sa Majesté m'avait chargé de vous faire connaître combien Elle avait
+ été affligée du résultat de l'expédition du 10<sup>e</sup> corps d'armée en
+ Saxe et <span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> en Franconie. Elle me charge encore de vous écrire
+ une seconde fois sur ce sujet. Si des fautes ont été commises, si le
+ résultat n'a pas été, comme l'empereur l'avait espéré, d'enrichir la
+ réputation militaire de son auguste frère, l'empereur pense que
+ c'est moins le tort de Sa Majesté westphalienne, dont la jeunesse ne
+ peut faire supposer une grande expérience, que celui des personnes à
+ qui Elle avait accordé sa confiance. L'empereur veut donc que vous
+ parliez à M. le comte de Furstenstein, à M. le général Rewbell et à
+ M. le général d'Albignac, et que vous leur fassiez entendre que,
+ s'ils ne veulent point être l'objet du mécontentement et de la
+ sévérité de Sa Majesté, ils doivent s'attacher à ce que l'influence
+ qu'ils exercent ait pour résultat d'amener dans la marche des
+ affaires, soit militaires, soit civiles, le sérieux et la suite
+ qu'elles exigent. L'abandon de la Saxe et de Dresde, le retour à
+ Cassel lorsque l'objet de la campagne n'était pas rempli, le cortège
+ du corps diplomatique avec une armée où l'empereur ne veut que des
+ soldats, sont des choses que l'empereur désapprouve. Ce serait un
+ malheur qui nous affligerait tous que l'empereur remît en d'autres
+ mains le commandement de ce corps d'armée<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a><a href="#footnote121" title="Lien vers la note 121"><span class="smaller">[121]</span></a>. Que tous les amis du
+ roi (et qui le connaît lui est sûrement attaché) se réunissent donc
+ pour prévenir ce malheur et concourent à donner aux affaires et
+ surtout aux opérations militaires une direction plus ferme. Vous
+ savez quel prix l'empereur met à la gloire militaire, et tout ce qui
+ pourrait porter la plus légère atteinte à celle des armes
+ françaises, plus que toute autre chose affecterait vivement Sa
+ Majesté.</p>
+
+<p>Au mécontentement causé à l'empereur par la conduite un peu légère
+de son frère, pendant la campagne de Saxe, vint bientôt se joindre
+le mécontentement que lui firent éprouver la question financière en
+Westphalie et le non acquittement des obligations de ce pays envers
+la France. Et cependant!... Un État miné dès l'origine et ne
+parvenant à se procurer des ressources pour son existence
+journalière qu'à l'aide de subterfuges pouvait-il faire face à des
+exigences pareilles à celles qu'imposait Napoléon? N'était-ce pas
+demander des choses impossibles à ce pays?... Revenons un instant à
+la question de finance.</p>
+
+<p>Le 21 juillet M. Jollivet écrivait de Cassel:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le mal est empiré depuis que, par une dépêche du 4 avril dernier,
+ j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence de l'état financier de
+ ce pays-ci et des dispositions peu courtoises du gouvernement
+ westphalien <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> relativement aux intérêts de Sa Majesté
+ Impériale et à ceux de ses donataires.</p>
+
+<p>Par un ordre particulier du roi, la caisse d'amortissement a cessé
+ ses paiements envers l'empereur.</p>
+
+<p>En conséquence, les bons de caisse délivrés en paiement de la dette
+ reconnue par le traité de Berlin du 22 avril 1808, et montant à
+ 500,000 fr. par mois, n'ont point été acquittés pour les mois de mai
+ et de juin derniers.</p>
+
+<p>Ceux du mois de juillet, dont le dernier est échu hier et que Son
+ Excellence le ministre du trésor public à Paris vient d'adresser au
+ sieur Brichard pour en faire le recouvrement, ne le seront pas
+ davantage: on a été obligé de les protester.</p>
+
+<p>Il en sera de même du mois d'août et des suivants. En un mot, le
+ gouvernement ne fait ni ne paraît vouloir faire aucune disposition
+ pour sortir de cette léthargie.</p>
+
+<p>Dès le premier refus, je me suis empressé de réclamer auprès de Sa
+ Majesté le roi de Westphalie. Le roi m'a répondu qu'il avait rendu
+ compte à Sa Majesté l'empereur de l'impossibilité où il se trouvait
+ de faire honneur à cette dette, que l'empereur, connaissant sa
+ situation, avait trouvé bon cet ajournement et qu'il était inutile
+ que j'insistasse là-dessus.</p>
+
+<p>De son côté, M. Malchus, directeur de la caisse d'amortissement,
+ craignant d'être accusé d'avoir mal défendu sa caisse, a donné et
+ fait agréer sa démission. On lui savait, de plus, très mauvais gré à
+ la cour d'avoir concouru avec moi à la conclusion du traité de
+ Berlin.</p>
+
+<p>Il est remplacé par M. de Malsbourg, auparavant directeur du trésor
+ public, place dont celui-ci a cru devoir donner sa démission, parce
+ que, n'y ayant habituellement de fonds que jusqu'à concurrence de la
+ moitié ou du tiers des sommes nécessaires au service, il a trouvé
+ moins affligeant de passer à la caisse d'amortissement où il n'y a
+ plus maintenant à se défendre contre personne, et qui n'est
+ aujourd'hui qu'une espèce de réservoir où puise le ministre des
+ finances pour ajourner, s'il est possible, la catastrophe.</p>
+
+<p>Il faut qu'en ce moment la crise soit bien violente, puisque la
+ liste civile, qui a le pas sur tous les autres services, est
+ arriérée d'un mois et demi, et que le roi s'est trouvé obligé, dans
+ l'expédition qu'il vient de faire en Saxe pour repousser les
+ Autrichiens, d'emprunter 70,000 fr. d'un banquier saxon.</p>
+
+<p>Quinze jours ou trois semaines avant l'ouverture de cette campagne,
+ le roi avait détaché M. le commandant Rewbell pour Bremen et
+ Hambourg. On ignorait l'objet de cette mission qui a été tenu fort
+ secret. Mais des lettres de commerce, venues de Hambourg à Cassel et
+ Francfort, en ont fait connaître le but. Il s'agissait de proposer
+ aux magistrats <span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> de ces deux villes de recevoir garnison
+ française ou de s'en exempter à prix d'argent. Ces magistrats ont
+ refusé, ne voulant obéir qu'à un ordre formel de S. M. l'empereur
+ que M. Rewbell n'a pu leur montrer.</p>
+
+<p>Hier matin, Sa Majesté le roi de Westphalie a annoncé qu'il venait
+ de recevoir l'ordre de Sa Majesté Impériale de former à Hanovre un
+ camp de 15,000 hommes pour couvrir l'embouchure de l'Elbe et du
+ Weser et d'envoyer des garnisons à Bremen et à Hambourg.</p>
+
+<p>Il est assez vraisemblable que, dans la pénurie extrême d'argent où
+ l'on se trouve ici, M. Rewbell, s'il n'y a pas nécessité urgente d'y
+ laisser des garnisons, s'empressera de renouer la négociation
+ manquée il y a six semaines. C'est du moins l'opinion de l'un des
+ ministres du roi de qui je tiens ces détails et qui m'a ajouté qu'on
+ espérait en tirer 5 à 6 millions, soit à titre d'emprunt, soit tout
+ autrement, attendu qu'il ne fallait plus compter sur l'emprunt de
+ Hollande qui, en effet, a manqué totalement.</p>
+
+<p>Cette dernière circonstance avait déterminé le ministre des finances
+ à proposer la suppression de plusieurs monastères de religieuses et
+ la vente de leurs biens. Elle a été effectuée moyennant 2,200,000
+ fr.; mais le banquier Jacobson, qui les a achetés, a retenu sur le
+ prix une somme de 1,200,000 fr. en reste de 1,500,000 fr. qu'il
+ avait prêtés au roi et qui ne figurent point dans ma dépêche du 4
+ avril dernier, parce que cet emprunt avait été tenu fort secret et
+ qu'il n'a percé qu'à l'occasion de la vente des monastères dont il
+ s'agit.</p>
+
+<p>Ces monastères n'ont donc aidé le trésor royal westphalien que
+ jusqu'à concurrence d'un million.</p>
+
+<p>Le ministre des finances vient encore d'en mettre d'autres en vente;
+ mais personne ne se présente pour les acheter, et, s'il les vend, ce
+ ne pourra être qu'à très vil prix.</p>
+
+<p>Tandis que les sources tarissent de toutes parts, le roi ne néglige
+ point d'augmenter sa liste civile. Par décret du 1<sup>er</sup> juin dernier,
+ Sa Majesté y a ajouté les biens de l'ordre teutonique, non sans
+ opposition de plusieurs de ses ministres et de son Conseil d'État;
+ mais il a fallu céder, parce que (a très bien observé le roi) ce
+ n'est pas à l'État, mais au prince qu'il a été dans l'intention de
+ Sa Majesté l'empereur de donner les biens de l'ordre teutonique
+ supprimé par son décret du 24 avril précédent.</p>
+
+<p>On présume ici que le revenu des biens de l'ordre teutonique situés
+ en Westphalie s'élève de 3 à 400,000 fr. par an.</p>
+
+<p>J'ai fait connaître à Votre Excellence l'espèce de guerre à mort
+ qu'ont vouée aux domaines impériaux le ministre des finances
+ westphaliennes et les divers agents sous ses ordres. Sa conduite, à
+ cet égard, est un véritable dévergondage. Il n'y a pas jusqu'à des
+ pots de vin, qui autrefois et très abusivement se prélevaient sur
+ les fermiers lors du renouvellement <span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> des baux à loyer et
+ des adjudications de dîmes, qu'il ne veuille aujourd'hui faire
+ revivre au profit du trésor public westphalien, et cela sur les
+ domaines impériaux, nonobstant le traité de Berlin qui les fait
+ passer dans la main de Sa Majesté Impériale et dans celle des
+ donataires qu'Elle a bien voulu en gratifier, francs et quittes de
+ toutes dettes et charges.</p>
+
+<p>Ci-inclus la copie de la lettre du directeur impérial à Cassel, du
+ 20 de ce mois, qui rend compte à son supérieur de cette nouvelle
+ prétention et des moyens dont le ministre des finances a usé envers
+ les agents inférieurs pour la faire réussir.</p>
+
+<p>Je vais tâcher, s'il en est temps encore, de prévenir le mal qui
+ peut en résulter. Mais j'ai peu d'espérance de détruire ou de
+ modifier une influence qui s'accroît dans la même proportion que les
+ besoins du chef de l'État; et je persiste à croire que le remède ne
+ peut venir que de l'exercice de la toute-puissance de Sa Majesté
+ Impériale.</p>
+
+<p>Cette opinion est fondée sur ce que les alentours du roi ont, depuis
+ plus de six mois, tellement bercé Sa Majesté de l'idée que le
+ royaume de Westphalie ne pouvait supporter une distraction d'un
+ revenu de 7 millions en faveur des donataires de l'empereur, que le
+ roi lui-même a fini par croire que la force des choses amènerait
+ l'anéantissement de cette disposition du traité de Berlin, d'où
+ résulte, comme si la chose était déjà arrivée, défaut absolu de
+ protection, et, de la part du ministre des finances, malveillance
+ entière aussitôt qu'il s'agit de l'intérêt de Sa Majesté l'empereur
+ et de ses donataires.</p>
+
+<p>En conséquence, les domaines impériaux sont impitoyablement frappés
+ de toutes sortes de réquisitions; les fermiers en réclament la
+ déduction sur leurs fermages. Déjà quelques tribunaux l'ont
+ prononcée ainsi.</p>
+
+<p>Le S<sup>r</sup> Barrois, directeur général de ces domaines, qui a succédé au
+ S<sup>r</sup> Ginoux, craint la contagion de cet exemple et n'ose aller en
+ avant. Pendant cette incertitude, le recouvrement est ralenti; le
+ roi lui-même garde et ne veut pas rendre des domaines de Sa Majesté
+ Impériale qui sont entrés dans des dotations; les donataires se
+ plaignent de tous côtés de ne rien recevoir; le directeur général ne
+ peut faire connaître à chacun d'eux leur vraie situation
+ relativement au gouvernement westphalien, sans risquer d'en voir
+ naître un éclat qui pourrait ne pas se trouver dans la politique de
+ l'empereur.</p>
+
+<p>En un mot, les choses à cet égard prennent à bas bruit une tournure
+ si grave que le S<sup>r</sup> Barrois a résolu de se rendre demain à Hanau,
+ près de Villemanzy, ou pour faire accepter sa démission, ou pour en
+ obtenir un plan quelconque de conduite qui le mette à l'abri de tout
+ reproche de négligence.</p>
+
+<p>Tels sont, Monseigneur, les renseignements qu'il me fallait ajouter
+ à ceux contenus dans ma dépêche du 4 avril dernier, afin que Votre
+ <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> Excellence se trouve en mesure, si elle le juge
+ nécessaire, de les mettre sous les yeux de Sa Majesté Impériale.</p>
+
+<p><i>P. S.</i> J'oubliais de dire ici que la liste civile recevait en ce
+ moment un nouvel accroissement par le sequestre des domaines du
+ prince de Kaunitz-Rittberg, de Vienne, situés au comté de Rittberg
+ enclavé dans le royaume de Westphalie. Le revenu n'en est point
+ encore connu.</p>
+
+<p>J'apprends à l'instant: 1<sup>o</sup> que les monastères achetés par le
+ banquier Jacobson lui ont été vendus comme produisant un revenu de
+ 28,000 thalers faisant 108,780 fr., et que dans la quinzaine il les
+ a loués 34,000 thalers faisant 132,090 fr.;</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Que ce bon marché le détermine à se mettre sur les rangs pour
+ acheter les autres biens qui sont à vendre.</p>
+</div>
+
+<p>Après la réception des dépêches du duc de Cadore relatives à la
+campagne de Saxe et au mécontentement de l'empereur, M. Reinhard,
+assez embarrassé pour jouer le rôle délicat qui lui était imposé,
+eut plusieurs conversations avec les personnes faisant l'objet des
+lettres de Champagny et répondit au ministre des relations
+extérieures de France les deux lettres suivantes, datées de Cassel
+les 4 et 8 août 1809:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>La dépêche chiffrée par laquelle Sa Majesté daigne me faire
+ connaître, pour mon instruction seule, le jugement qu'Elle a porté
+ de l'expédition de Sa Majesté westphalienne en Saxe et m'ordonne de
+ nouveau de l'instruire de tout ce qui est propre à faire apprécier
+ le gouvernement de la Westphalie auquel Elle prend un si vif
+ intérêt, me laisse dans la ligne qui m'avait été tracée jusqu'à ce
+ moment par les instructions de Votre Excellence.</p>
+
+<p>La seconde dépêche, qui me charge de faire connaître directement à
+ M. le comte de Furstenstein et à MM. les généraux Rewbell et
+ d'Albignac le mécontentement de Sa Majesté, me fait sortir de cette
+ ligne: elle m'impose de nouveaux devoirs et une responsabilité
+ nouvelle.</p>
+
+<p>Dès hier et avant-hier je me suis acquitté des ordres qui m'ont été
+ donnés auprès de M. le comte de Furstenstein et de M. le général
+ d'Albignac. Le général Rewbell est absent. Dès hier et avant-hier je
+ me suis occupé des éléments d'un nouveau rapport à soumettre à Votre
+ Excellence sur l'état actuel de la Westphalie. Mais plus la
+ circonstance me paraît grave et importante, et plus, Monseigneur, je
+ sens le besoin de me recueillir afin que le rapport que j'ai à faire
+ soit digne d'être mis sous les yeux de Sa Majesté impériale, non
+ seulement par sa scrupuleuse fidélité, mais encore par l'exactitude
+ de ses aperçus. Les reproches que Sa Majesté impériale adresse aux
+ personnes désignées ne sont que trop fondés; mais si l'on peut
+ espérer qu'ils produiront sur <span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> leur conduite personnelle un
+ effet salutaire, il n'en résulterait peut-être pas encore une
+ amélioration très sensible dans la marche des affaires générales,
+ puisque l'influence de ces personnes sur le Roi n'est qu'indirecte,
+ partielle et intermittente. Comme il s'agit avant tout d'épargner un
+ chagrin pénible au roi, chagrin qui affligerait profondément et ses
+ serviteurs (et, comme le dit avec vérité Votre Excellence, tous ceux
+ qui le connaissent lui sont attachés), je n'ai point hésité, et
+ d'après votre lettre même, et de l'aveu de M. le comte de
+ Furstenstein, à en entretenir M. Siméon et M. le général Eblé.</p>
+
+<p>Toutes ces conversations, Monseigneur, n'ont encore amené aucun
+ résultat de détermination: elles n'en amèneront peut-être aucun de
+ fait, puisqu'en dernière analyse, tout dépend de la volonté du Roi
+ qui est forte et absolue, sans être ferme et constante.</p>
+
+<p>Dans cet état de choses, quelques jours encore me paraissent
+ nécessaires pour laisser fermenter et éclaircir les sensations et
+ les idées; et ce sera dans le courant de la semaine prochaine que
+ j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence une expédition où,
+ je l'espère, Votre Excellence trouvera au moins de mon côté la
+ preuve de l'absolu dévouement avec lequel j'ai à cour de servir Sa
+ Majesté l'Empereur, mon bienfaiteur et mon maître.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Le 8 août 1809.</p>
+
+<p>J'ai à vous rendre compte des conversations que j'ai eues d'après
+ les ordres de Sa Majesté impériale avec M. le général d'Albignac et
+ M. le comte de Furstenstein. Le premier allait partir pour son
+ expédition, lorsque j'ai saisi une occasion qui se présentait à
+ propos pour le faire prier de passer chez moi. Après lui avoir parlé
+ en termes généraux de la commission dont j'étais chargé, je lui ai
+ montré la lettre de Votre Excellence. M. d'Albignac en a été
+ profondément affligé. «Je ne me mêlerai point, a-t-il dit, de ce qui
+ regarde les autres personnes qui ont aussi encouru le mécontentement
+ de Sa Majesté impériale. Pour moi, je dirai que je ne suis que
+ soldat et que je ne sais qu'obéir. D'ailleurs, comment ai-je pu
+ devenir l'objet des reproches de Sa Majesté l'Empereur, moi qui
+ pendant toute la campagne n'ai vu le roi que trois ou quatre fois et
+ pendant autant de quarts d'heure?&mdash;Vous avez, ai-je répondu, été
+ chargé de l'expédition contre Schill, votre nom a paru souvent et
+ pendant que vous commandiez l'avant-garde, il a paru souvent seul
+ dans les bulletins de l'expédition en Saxe. Sa Majesté impériale a
+ dû penser, en conséquence, que vos conseils avaient influé sur la
+ conduite des affaires.&mdash;Des conseils, a dit M. d'Albignac, le roi
+ n'en reçoit de personne, c'est l'homme le plus absolu que je
+ connaisse.&mdash;Et cependant, ai-je repris, comment se fait-il qu'il y
+ ait eu tant d'ordres et de contre-ordres dont vous vous plaigniez
+ vous-même? D'où vient ce système vacillant dont Sa Majesté impériale
+ se plaint avec <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> tant de raison?» M. d'Albignac a gardé le
+ silence. «Le roi, ai-je dit, a le coup d'&oelig;il vif, prompt et
+ juste; il le sait, peut-être s'y fie-t-il trop, et de là ce qu'il y
+ a de prompt et d'absolu dans ses volontés. Peut-être ses idées
+ manquent-elles quelquefois de liaison. L'objet n'a pas été considéré
+ sur toutes ses faces; la justesse de son esprit le lui fait
+ apercevoir, et de là cette versatilité. Avec un esprit comme le sien
+ il y a de la ressource, et cette versatilité même donne les moyens
+ d'influer sur ses déterminations.&mdash;Oui, quand on y est, ou qu'il
+ n'est pas trop tard; mais, a-t-il ajouté avec le mouvement d'un
+ homme pénétré, comment me justifier, lorsque je ne le pourrais qu'en
+ accusant le Roi? Encore une fois je ne suis que soldat et je ne fais
+ qu'obéir.&mdash;Cela ne vous sauvera pas; encore une fois, le roi est
+ jeune et vous avez sa confiance.&mdash;Le roi a déclaré qu'il ne
+ reconnaîtrait aucune supériorité: d'ailleurs comment pourrais-je
+ m'en arroger, moi dont l'avancement trop rapide pour mon mérite ne
+ me donne aucun droit de prétendre à aucune supériorité ni
+ d'expérience ni de lumières?&mdash;Oui vous étiez tous dans ce cas, et le
+ sentant vous-même et pouvant prévoir la responsabilité qui pèserait
+ sur vous, pourquoi n'avez-vous pas engagé Sa Majesté à emmener le
+ général Eblé?&mdash;Je l'ai désiré, demandez au général Eblé ce que je
+ lui ai dit à ce sujet avant de partir? Que me reste-t-il à présent,
+ qu'à me faire tuer ou à rentrer dans l'armée de l'empereur comme
+ simple lieutenant de cavalerie.&mdash;Mais pensez donc au roi, vous lui
+ êtes attaché: nous avons à craindre tous un coup sensible qui
+ pourrait le frapper.&mdash;Monsieur, m'a dit le général d'Albignac, j'en
+ suis au désespoir, mais je vous le répète, je n'ai point
+ d'influence; aucun de nous n'en a et n'en aura.»&mdash;Il s'est levé en
+ me serrant la main et les larmes aux yeux pour aller se mettre à la
+ tête de son détachement.</p>
+
+<p>Le général d'Albignac, Monseigneur, a la réputation d'un homme franc
+ et d'un honnête homme. Il s'est souvent prononcé contre des abus et
+ surtout contre l'excès des dépenses, lors même qu'elles concernaient
+ son propre département. Il brûlait d'ambition de se faire une
+ réputation militaire et il est profondément affecté de l'avoir
+ manqué, autant que je puis me permettre de juger. Je crains que
+ malgré l'esprit qu'il a, ses moyens ne répondent pas à ses désirs.
+ Son caractère, d'ailleurs, est d'une véhémence qui souvent avoisine
+ la brutalité, et lorsque dans sa dernière campagne contre Schill il
+ s'est trouvé aux prises avec le flegme allemand, ou avec les
+ formalités des employés civils, son emportement quelquefois n'a plus
+ connu de bornes: de là des plaintes et des reproches réciproques; et
+ tandis que le général d'Albignac ne voyait dans les autorités
+ civiles que des partisans de l'ennemi et des traîtres, celles-ci
+ trouvaient en lui un despote dont le pays avait à souffrir plus que
+ de l'ennemi. La jalousie de métier l'avait brouillé avec le général
+ Gratien: il <span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> s'en est corrigé, et pendant la campagne de
+ Saxe, je lui ai entendu faire l'éloge de l'expédition de Stralsund;
+ mais une forte animosité a éclaté entre lui et le général Rewbell.
+ On s'est querellé même en présence du roi, voilà du moins un choc
+ d'où pouvait jaillir la lumière, et il semble que le roi qui l'a
+ souffert souffrirait aussi des conseils.</p>
+
+<p>Je dis à M. de Furstenstein que j'avais reçu deux dépêches de Votre
+ Excellence: que dans la première S. M. I. me faisait connaître pour
+ mon instruction seule qu'elle n'approuvait pas la manière dont avait
+ été conduite l'expédition en Saxe; que j'aurais renfermé
+ scrupuleusement en moi-même cette communication, si par la seconde
+ dépêche je n'avais point été chargé d'une commission pénible: que Sa
+ Majesté pensait que si des fautes avaient été commises, il fallait
+ moins les attribuer au roi qu'aux personnes auxquelles il accordait
+ sa confiance. «Cela, me dit M. de Furstenstein en m'interrompant, ne
+ peut me concerner en aucune manière: je suis tout à fait étranger
+ aux affaires militaires.»&mdash;«Je demande pardon à Votre Excellence,
+ les vues de Sa Majesté s'étendent plus loin, et les personnes à qui
+ je suis chargé de parler sont les généraux d'Albignac et Rewbell, et
+ M. le comte de Furstenstein.»&mdash;«Pour les affaires civiles je ne m'en
+ mêle pas plus que des affaires militaires, et je me tiens exactement
+ renfermé dans mes fonctions. D'ailleurs, le roi ne souffre pas qu'on
+ lui donne des conseils et il chasserait celui qui l'oserait. Je suis
+ attaché à Sa Majesté, je cherche à la servir fidèlement, mais je
+ n'ai aucune influence.»&mdash;«Sa Majesté suppose avec raison de
+ l'influence à celui qui est constamment auprès de la personne du roi
+ et qui vit dans une certaine intimité avec Sa Majesté. L'influence,
+ d'ailleurs, consiste ou à donner des conseils ou à empêcher l'effet
+ de ceux qui ne seraient pas bons, à provoquer certaines mesures ou à
+ s'y opposer.»&mdash;«Mais comment peut-on croire que je donne des
+ conseils perfides, moi qui donnerais ma vie pour le roi?»&mdash;«J'ose
+ dire que personne ne le croit; mais (voyant que je n'avançais point)
+ je dois vous demander, monsieur le Comte, la permission de vous
+ montrer, comme j'y suis autorisé, la lettre de M. de Champagny.»</p>
+
+<p>La lecture de cette lettre fit une forte impression sur M. de
+ Furstenstein. «Si j'ai eu le malheur, dit-il, de déplaire à Sa
+ Majesté impériale, il ne me reste qu'à donner ma démission.»&mdash;«Non:
+ il ne suffirait pas de ne s'occuper ici que de soi-même puisqu'il
+ s'agit de nous réunir tous pour épargner un chagrin au roi, et je
+ prie Votre Excellence de me seconder comme je la seconderai autant
+ que cela est en moi.»&mdash;«Monsieur Reinhard, ce que vous savez depuis
+ hier, le roi le sait depuis trois jours; je savais aussi que Sa
+ Majesté impériale est mécontente de moi, et depuis deux jours j'en
+ suis malade, mais comment faire? Le roi écrira à l'empereur: il le
+ priera de lui dire ce qu'il veut qu'il fasse, et il fera tout ce que
+ Sa Majesté impériale voudra.»&mdash;«Cela est très <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> bien:
+ l'empereur est le frère aîné ou, pour me servir d'une expression de
+ Sa Majesté elle-même, le père du roi. L'empereur est celui auquel
+ personne au monde ne peut se comparer, enfin il est le maître. Mais
+ dès ce moment il existe ici deux hommes qui appartiennent au roi et
+ qui appartiennent aussi à l'empereur: c'est M. Siméon et M. le
+ général Eblé. Pourquoi ne se concerterait-on pas avec eux dans une
+ circonstance aussi importante?» M. de Furstenstein n'est point entré
+ dans cette idée: du moins il ne lui a pas donné de suite et il m'a
+ paru que c'était parce que, comme MM. Siméon et Eblé eux-mêmes, il
+ n'en attendait pas beaucoup de succès. «Pourquoi, continuai-je, le
+ roi n'a-t-il pas emmené pour l'expédition de Saxe le général
+ Eblé?»&mdash;«Le général Eblé était trop nécessaire ici. D'ailleurs, si
+ le roi n'a été entouré que de jeunes officiers, ce n'est pas sa
+ faute, il avait demandé des officiers de mérite à Sa Majesté
+ impériale<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a><a href="#footnote122" title="Lien vers la note 122"><span class="smaller">[122]</span></a>. On a, m'a dit ensuite M. de Furstenstein, fait
+ beaucoup de faux rapports à l'empereur. «Par exemple?»&mdash;M. de
+ Furstenstein après un moment d'hésitation: «Par exemple on a mandé
+ que le roi avait écrit une lettre inconvenante au général Kienmayer
+ (mais vous n'y étiez plus alors), tandis que le roi n'a point écrit,
+ mais qu'il a seulement envoyé un officier avec un message verbal;
+ (après un moment d'hésitation encore) on a aussi mandé que le roi
+ amenait avec lui six voitures attelées de six ou huit
+ chevaux.»&mdash;«Moi je n'ai parlé que des voitures du corps
+ diplomatique, et j'ai dit que nous en avions trois.»&mdash;«Le roi,
+ Monseigneur, n'avait que deux calèches, l'une pour lui et l'autre
+ pour ses valets de chambre. Les fourgons appartenant à la bouche,
+ etc. pouvaient être au nombre de quatre, mais indépendamment de
+ cela, le train était hors de proportion avec le corps d'armée. En
+ Saxe, il fallait 1,800 chevaux de réquisition: celle qui parvint à
+ Gotha, pendant que nous y étions, était encore de 1,300. Les
+ Hollandais surtout avaient un train énorme.»</p>
+
+<p>Ma conversation avec M. de Furstenstein s'est prolongée pendant près
+ d'une heure. Sans égard pour les chevaux attelés, je me sentais
+ pressé d'obtenir quelque chose, et qui nous aurait vus aurait dit
+ que c'était moi qui recevais les reproches. Le ton de M. de
+ Furstenstein devenait quelquefois confidentiel, mais sans abandon,
+ et surtout il n'est entré dans aucun détail d'explication ni de
+ justification. Le général d'Albignac avait été surpris à
+ l'improviste: il n'avait pris conseil que de ses sentiments. M. de
+ Furstenstein s'était préparé: il avait pris conseil d'autrui.</p>
+</div>
+
+<p>Suit dans la lettre de Reinhard le portrait du comte de Furstenstein
+inséré au liv. XIII (4<sup>e</sup> volume) des Mémoires de Jérôme.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p><span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> Pour ce qui concerne le général Rewbell, Monseigneur, je ne
+ l'ai guère vu qu'à la cour, et, pendant la campagne de Saxe, on
+ disait ici généralement qu'il s'était distingué en Silésie. Pendant
+ tout l'hiver dernier il avait été écarté, lorsque le comte de
+ Bernterode avait la faveur: quand elle lui est revenue, il n'a
+ montré que de la morgue et de la fatuité. Il faut voir les hommes en
+ position pour les juger.</p>
+
+<p>Je venais, Monseigneur, d'achever ce paragraphe, lorsqu'on est venu
+ me dire, encore sous grand secret, que le général Rewbell avait
+ écrit au roi pour demander une indemnité pour sa troupe, à laquelle
+ il avait promis, lui Rewbell, le pillage de la ville de Brunswick.
+ La ville de Brunswick, Monseigneur, où se tient en ce moment une
+ foire célèbre depuis plusieurs siècles et qu'un usage sacré met plus
+ éminemment en ce moment sous la protection du droit des gens, la
+ ville de Brunswick, seconde ville du royaume, seconde résidence du
+ roi, s'était conduite avec une sagesse admirable pendant les
+ derniers événements. Dans une population de 30,000 hommes, aucun
+ habitant n'avait manqué à son devoir; la populace même n'avait pas
+ commis le moindre désordre. Le duc d'&OElig;ls avait respecté les lieux
+ où avait vécu son père il n'avait rien exigé, il n'avait compromis
+ personne. Après son départ les proclamations qu'il avait fait
+ afficher furent arrachées sur-le-champ; et le général Rewbell avait
+ promis le pillage de cette ville aux troupes westphaliennes!</p>
+
+<p>Il faut rendre justice au roi: il a été profondément affecté de
+ cette inconcevable démence. Le conseil des ministres s'est occupé
+ hier de la rédaction d'un décret qui destitue le général Rewbell et
+ le déclare incapable à jamais de servir Sa Majesté. Le général
+ Bongars a été envoyé pour prendre le commandement de sa troupe. Le
+ décret n'a point encore été signé: il sera probablement adouci si le
+ général Rewbell dans l'intervalle est encore parvenu à bien mériter
+ contre le duc d'&OElig;ls. M. Siméon voulait qu'on se bornât à la
+ destitution. Les autres ministres ont insisté pour la sévérité
+ entière, et je jurerais, Monseigneur, que dans leur âme ils n'ont
+ été guidés que par l'horreur que leur inspirait son action.</p>
+
+<p>Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de mes conversations
+ avec M. Siméon et avec M. le général Eblé. Ces deux ministres
+ confirment ce que m'ont assuré les deux premiers interlocuteurs, que
+ personne n'exerce une influence directe et soutenue sur l'esprit du
+ roi; que ses volontés changent souvent, mais qu'elles sont toujours
+ absolues. Malheureusement, il n'y a point là de contradiction, même
+ apparente. Tout s'explique par l'idée exagérée que le roi se fait de
+ la puissance souveraine, par le désir de régner seul, par son âge et
+ par ses habitudes. Avec un jeune prince comme lui, personne n'a
+ d'influence, et tout le monde en a. Croyant toujours agir d'après
+ lui-même, il n'agit <span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> que d'après des inspirations prises au
+ hasard, et comme la plupart de ses résolutions sont plutôt dictées
+ par un aperçu prompt et rapide que par l'étude et la réflexion, la
+ justesse même de son esprit le rend vacillant, lorsqu'à une idée qui
+ lui paraissait bonne il en trouve à substituer une qui lui paraît
+ meilleure. En vain les bien intentionnés voudraient-ils se
+ concerter, le roi se défie des concerts: la malveillance s'en
+ prévaudrait, ce serait le moyen de tout perdre. Avoir des volontés,
+ c'est à ses yeux avoir du caractère, tandis que trop souvent c'est
+ en manquer. «L'empereur aime que l'on ait du caractère», voilà son
+ refrain lorsqu'on lui représente les conséquences d'une certaine
+ manière de penser et d'agir qui semblerait blesser ses rapports
+ personnels avec son auguste frère; tant il est vrai que lors même
+ qu'un esprit mal entendu d'indépendance ou d'opposition semble
+ diriger sa conduite, le roi ne s'y livre que dans la persuasion
+ d'être d'accord avec la pensée secrète de l'empereur.</p>
+
+<p>Pour moi, dans toutes les occasions soit publiques, soit
+ particulières, où j'ai l'honneur d'approcher Sa Majesté, je n'ai
+ reconnu que des preuves d'une vénération profonde dont le roi est
+ pénétré pour Sa Majesté impériale. Jamais je n'ai aperçu en lui un
+ mouvement qui ne fût dicté par le respect, ou par la confiance, ou
+ par l'orgueil de lui appartenir. Je me suis convaincu que tout ce
+ qui paraîtrait contraire à ces sentiments intimes ne vient que d'une
+ erreur de l'esprit et que cette erreur s'est déjà affaiblie.
+ J'oserais dire que les fautes commises dans l'expédition de Saxe ont
+ été prévues et en quelque sorte expiées par l'aveu qu'il m'a fait à
+ Leipzig, que, si au lieu de vingt-quatre ans il en avait eu trente,
+ il ne l'aurait pas entreprise.</p>
+
+<p>C'est à cette pensée, c'est à cette conviction que l'expérience
+ s'acquiert et ne s'anticipe point que, comme Sa Majesté impériale
+ l'a déjà fait avec tant de sagesse dans la lettre que Votre
+ Excellence m'a écrite, il convient de le ramener. Le roi prend trop
+ la mesure de sa supériorité sur ceux qui l'entourent habituellement.
+ Il lui en coûte de reconnaître celle de l'âge, de l'expérience et
+ des études, et parce que souvent son résumé vaut mieux qu'un long
+ rapport, qu'une longue discussion, parce que les qualités éminentes
+ qu'un roi possède sont bientôt représentées par la flatterie comme
+ les seules qu'un roi doive posséder, Sa Majesté méconnaît la
+ longueur du chemin et la grandeur des efforts qu'il lui restait à
+ faire pour arriver à la perfection. Elle m'a dit deux fois en
+ voyage: «Depuis que je ne suis plus à Cassel, tout y va mal: la tête
+ y manque». Elle l'a dit sans amour-propre, parce qu'elle le croyait
+ et parce que dans un certain sens elle avait raison. Les
+ circonstances pénibles où elle s'est trouvée et où elle se trouvera
+ encore pourront devenir une source de biens. La sagesse de Sa
+ Majesté impériale saura y puiser le remède de l'avenir.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> La gloire militaire intéresse directement et éminemment Sa
+ Majesté impériale. Une autre crise se prépare pour ce royaume par
+ l'état des finances auquel Sa Majesté impériale est aussi
+ directement intéressée. Si la paix qui paraît prochaine doit donner
+ le repos aux peuples d'Allemagne, si elle doit consolider la
+ Confédération du Rhin, ce bienfait encore ne peut émaner que des
+ mains de Sa Majesté l'empereur. Tout ce que je me permettrai
+ d'ajouter, Monseigneur, c'est que je suis convaincu de la nécessité
+ de venir au secours des intentions et des mesures du roi et qu'aucun
+ des sujets de Sa Majesté impériale qui sont ici ne saurait remplir
+ dans toute son étendue et sous tous les rapports de convenance une
+ si haute mission.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;Votre Excellence trouvera dans le moniteur westphalien du 8
+ une lettre du ministre de l'intérieur au préfet de Brunswick: elle
+ fait allusion au décret de destitution du général Rewbell; mais ce
+ décret n'est point encore imprimé. Il avait été envoyé à
+ l'imprimerie, composé et traduit: M. de Bercagny ayant attendu
+ jusqu'à minuit l'ordre positif d'insertion ne voulut pas passer
+ outre. Le considérant est très fort et presque infamant contre cet
+ officier; le dispositif a été restreint à la destitution. On dit
+ qu'hier il est arrivé à Minden à quatre lieues de Cassel, et que de
+ là il a écrit à Sa Majesté.</p>
+
+<p>Le général Bongars écrit que les troupes dont il venait de prendre
+ le commandement se livrent à des excès et au pillage dans le pays de
+ Hanovre, et que les habitants en sont exaspérés. Le duc d'&OElig;ls
+ doit avoir passé Nienbourg. Le général Gratien a reçu un courrier du
+ roi de Hollande: on croit que son corps a été rappelé à cause du
+ débarquement des Anglais.</p>
+</div>
+
+<p>Nous avons dit que le 27 juin le duc de Brunswick s'était séparé de
+ses alliés et avait pris la route de la Westphalie. Lorsque
+l'armistice de Znaïm fut conclu, le gouvernement autrichien lui fit
+dire de cesser les hostilités. Il refusa, ne se regardant pas comme
+engagé par les mesures du cabinet de Vienne, et résolu à tenir seul
+la campagne. Le roi Jérôme mit à ses trousses le général Rewbell. Le
+duc se dirigea de Plauen sur Zwickau, espérant faire soulever les
+anciens États et au pis aller donner la main aux Anglais. Le 22
+juillet il se mit en marche de Zwickau sur Leipzig, adressa une
+allocution aux officiers d'abord, aux soldats ensuite de sa légion,
+pour leur faire savoir qu'il était décidé à persévérer dans son
+entreprise, les laissant libres de déposer les armes s'ils le
+voulaient. Un petit nombre se retira, mais il lui resta une troupe
+dévouée et résolue de près de 3,000 combattants, dont 700 cavaliers
+avec quelques bouches à feu.</p>
+
+<p>Le 25 juillet, il parut devant Leipzig sans avoir été inquiété.
+<span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> Le 26, il poursuivit sa route sur Brunswick par Halle et
+Halberstadt.</p>
+
+<p>Cette marche était audacieuse et pleine de danger. En effet, la
+division hollandaise Gratien était à Erfurth, à vingt lieues sur sa
+gauche; les Saxons de Thielmann à Dresde; au nord, la garnison de
+Magdebourg; enfin, la division Rewbell de Westphalie, ancienne
+d'Albignac, forte de 6,000 hommes, était entre Brême et Celle, dans
+le Hanovre, prête à se porter aux bouches du Weser ou de l'Elbe, sur
+la route même que le duc devait tenir pour gagner la mer. En
+apprenant la marche en avant de la légion noire, Thielmann partit de
+Dresde, Gratien partit d'Erfurth, tous deux se réunirent en arrière
+de Leipzig. Rewbell, sur l'ordre de Jérôme, se concentra à Celle et
+s'avança sur Brunswick. Le 29 juillet, le duc s'approcha
+d'Halberstadt. Le 5<sup>e</sup> de ligne westphalien aux ordres du colonel
+comte de Willingerode (Meyronnet, grand maréchal du palais de Jérôme
+et un de ses favoris, envoyé de Magdebourg à Hambourg), venait
+d'arriver à Halberstadt. Surpris par le duc d'&OElig;ls qui enfonça les
+portes de la ville à coups de canon, le régiment, après une
+résistance honorable de trois heures, fut fait prisonnier ainsi que
+son colonel blessé pendant l'action. Les officiers furent remis aux
+mains des Anglais, les soldats renvoyés, à l'exception de 300 qui
+grossirent les rangs de la légion. À la suite de ce succès,
+Brunswick hâta sa marche sur la capitale de ses anciens États. Il
+adressa deux proclamations aux habitants, mais sans effet. À son
+approche les autorités avaient quitté la ville. Le 1<sup>er</sup> août,
+Gratien et Thielmann ralliés entraient à Halberstadt, et Rewbell
+s'avançant par la route de Brunswick atteignait &OElig;lpern. Le duc
+marcha résolument à la rencontre de Rewbell, lui tendit habilement
+une embuscade, le battit et le força à passer l'Oker. Le malheureux
+général westphalien parvint à rallier les débris de sa division aux
+forces de Gratien et de Thielmann à Wolfenbuttel (deux lieues de
+Brunswick). Le duc ayant à quelques lieues derrière lui les 10,000
+hommes de Gratien, Thielmann et Rewbell, et personne devant lui, se
+hâta de gagner de vitesse ses ennemis et d'atteindre les bouches du
+Weser. Il parvint avec beaucoup d'habileté à entrer au petit port
+d'Elsfleth, sur le Weser, à six lieues de Brême, et à se rembarquer
+avec sa légion, après avoir fourni la course la plus audacieuse. Le
+14 août il débarqua en Angleterre où il fut accueilli avec la plus
+haute distinction.</p>
+
+<p>Tous les événements qui avaient eu lieu en Westphalie n'étaient pas
+de nature à satisfaire Napoléon qui crut devoir enlever à son
+<span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> frère le commandement du 10<sup>e</sup> corps. Prévenu par le
+major-général et fort attristé de cette décision, Jérôme écrivit de
+Napoléonsh&oelig;he, le 25 août 1809, à l'empereur:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Sire, le major-général, par sa lettre du 13, me fait connaître
+ l'ordre de Votre Majesté du 11, qui forme un 8<sup>e</sup> corps aux ordres du
+ duc d'Abrantès et m'ôte le commandement de la Saxe et des troupes
+ saxonnes.</p>
+
+<p>«Votre Majesté a voulu par là m'ôter réellement tout commandement
+ militaire; car 6,000 recrues westphaliennes et quelques dépôts qui
+ se trouvent dans la place de Magdebourg, etc... ne sont pas
+ susceptibles de me mettre à même de faire la guerre activement et
+ même de défendre Magdebourg que les Prussiens ne manqueraient pas
+ d'attaquer si les hostilités recommençaient, car ils y ont beaucoup
+ d'intelligences.</p>
+
+<p>«Il ne me restera donc que le chagrin de ne pouvoir prendre part à
+ la guerre si elle a lieu.»</p>
+</div>
+
+<p>L'année 1809 s'écoula assez tristement pour le jeune roi à qui
+Napoléon n'écrivait plus et à l'égard duquel il montrait en toute
+circonstance une froideur, disons même une raideur souvent peu
+justifiée et qui causait un véritable chagrin à Jérôme.</p>
+
+<p>Le ministre Reinhard continuait, par ses bulletins directs à
+l'empereur, par ses lettres au duc de Cadore, à relater tout ce qui
+se passait, tout ce qui se disait en Westphalie.</p>
+
+<p>Le 10 août, il envoya à Paris le bulletin suivant:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Les gazettes ont annoncé que le roi étant à Grimma avait retiré de
+ l'eau un soldat de sa garde qui se noyait dans la rivière de Mulde.
+ Voilà ce qui s'est passé. Les gardes du corps traversaient la
+ rivière tout près du pont pour faire abreuver leurs chevaux. En
+ revenant, deux ou trois chevaux perdirent terre ou se couchèrent;
+ les cavaliers tombèrent dans l'eau. Le roi se trouvait à quelque
+ distance causant avec le ministre de Hollande. Dès l'instant où l'on
+ entendit des cris, le roi se jeta dans une nacelle avec les
+ ministres de Hollande et de Bavière. Arrivé sur les lieux, il trouva
+ les hommes déjà retirés. Toute la cour était accourue; M. de
+ Furstenstein et quelques autres étaient sur le pont. Le ministre de
+ Hollande, en homme prudent, quitta la nacelle. Le roi seul avec
+ celui de Bavière s'obstina à remonter la rivière. M. de Furstenstein
+ du haut du pont lui cria de ne point s'exposer.&mdash;«Ah! voilà, dit le
+ roi, la diplomatie qui s'en mêle; envoyez-moi une note.»&mdash;Après
+ avoir passé le pont très habilement, le courant poussa la nacelle
+ contre un pilier où elle resta collée. Enfin, les officiers du roi
+ de droite et de gauche entrèrent dans la rivière. Le roi sauta hors
+ du bateau ayant de <span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> l'eau jusqu'aux genoux. Peut-être ce
+ jeu n'avait-il pas été sans danger; mais le roi, dans ce moment,
+ était si gai, si bon, si aimable, que l'impression que cette scène
+ me donna ne me laissa pas penser aux inconvénients qu'elle pouvait
+ avoir.&mdash;À l'époque de son mariage, M. de Furstenstein rompit une
+ liaison avec M<sup>me</sup> de P. On prétend que dans cette occasion, il fit
+ l'éloge de sa vertu au roi, ce qui inspira à ce dernier le désir
+ d'en triompher. Depuis cette époque, toutes les distinctions furent
+ pour elle. Des négociations, dit-on, furent entamées. Le roi partant
+ pour la Saxe promit de revenir dans dix jours. Après son retour, on
+ disait qu'un contrat avait été signé et que ce contrat était un peu
+ cher, lorsqu'on vit M<sup>me</sup> de P. partir pour Weymar. Elle est revenue
+ depuis le retour de la reine. Son mari, premier chambellan, avait
+ reçu, il y a quelques jours, une mission pour Aix-la-Chapelle. Il en
+ est déjà revenu et l'on peut encore croire à la vertu de M<sup>me</sup> de
+ P.&mdash;La petite maison de la reine est achetée, on en évalue l'achat à
+ 100,000 thalers et l'on trouve cette dépense un peu forte, parce
+ qu'il est incertain que la reine y mettra jamais les pieds.&mdash;Le roi
+ étant allé déjeuner dernièrement dans une maison de campagne du
+ banquier Jordis dit en sortant au jardinier: «Cette maison
+ m'appartient.» Le marché fut conclu pour 30,000 thalers. Elle en
+ avait coûté 7,000 à M. Jordis. On estime les améliorations à 5,000.
+ On a déjà tracé une allée qui y conduit depuis la grande route.
+ Quoique la distance ne soit pas grande, il faudra encore acheter le
+ terrain par où passera l'allée.&mdash;Une caisse venant de Paris,
+ contenant pour le roi des bijoux d'une valeur considérable et
+ adressée à M. Cousin de Marinville, avait été remise à un homme de
+ la poste allant au quartier général. Sa voiture s'étant rompue, il
+ remit à un maître de poste la caisse dont il ignorait la valeur.
+ Celui-ci l'expédia pour Plauen où elle tomba directement aux mains
+ du général Kienmayer.</p>
+
+<p>Le roi annonça lui-même le sort du général Rewbell à sa femme. Elle
+ était à folâtrer avec les dames de la cour, lorsque le roi lui dit:
+ Betty, j'ai à vous parler. Elle fut atterrée; elle demanda s'il n'y
+ avait aucune grâce à espérer? Tout ce que je puis vous dire de
+ consolant, dit le roi, c'est qu'il vaudrait mieux pour vous et pour
+ lui que votre mari fût mort. Elle fut ramenée à la ville. M<sup>me</sup>
+ Rewbell est américaine, jolie, naïve, ne sachant contraindre ni
+ dissimuler aucun de ses mouvements. Quelques jours auparavant elle
+ avait été désolée d'une petite disgrâce qui lui était attribuée. Le
+ roi lui ayant retiré ses entrées pendant quelques jours pour avoir,
+ sans sa permission, passé la nuit en ville où elle était allée pour
+ voir ses enfants, elle ne put se pardonner les larmes que cet ordre
+ un peu inhumain lui avait fait verser. Le roi lui a fait conseiller,
+ dit-on, de se rendre provisoirement à Bernterode, terre du général
+ Ducoudras.&mdash;Le général alla, il y a peu de jours, <span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> annoncer
+ à M. Siméon que le roi lui avait fait don de la terre de
+ Bernterode.&mdash;«Mais elle est donnée. Le roi veut l'acheter à tout
+ prix, il veut que vous vous occupiez des formalités du contrat.»&mdash;Le
+ directeur de l'instruction publique, dans sa dernière expédition à
+ G&oelig;ttingue, avait défendu aux étudiants de porter des bonnets
+ d'une certaine forme et couleur, ainsi que des moustaches, signes de
+ ralliement des associations (<i>Bundsmannschaften</i>). Depuis cette
+ époque, les étudiants portent des bonnets de femme et des chapeaux
+ de paille. Ils envoyent leurs moustaches coupées au pro-recteur. Des
+ plaisanteries pareilles ont été de tout temps l'effet de pareilles
+ défenses, mais on dit que près de 400 étudiants des pays étrangers
+ ont pris l'engagement de quitter G&oelig;ttingue à la fin du trimestre
+ suivant et de se rendre à Heidelberg.&mdash;Le spectacle allemand vient
+ d'être congédié, il sera remplacé par un ballet venant de Paris.</p>
+</div>
+
+<p>Le même jour, 10 août 1809, Reinhard écrivit à Champagny:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai d'autant moins hésité à confier à M. Lefebvre la mission qui va
+ le conduire auprès de Votre Excellence, qu'outre l'importance des
+ circonstances qui m'a paru la rendre nécessaire, il m'avait témoigné
+ le désir de faire ce voyage qu'il croit pouvoir devenir utile à ses
+ intérêts personnels.</p>
+
+<p>Je m'en rapporte avec une entière confiance au compte qu'il vous
+ rendra, Monseigneur, de la situation des choses de ce pays-ci.
+ L'étude que nous en avons faite nous a été commune et nos aperçus
+ ont rarement différé. La nécessité indispensable de venir au secours
+ des affaires éprouve un grand obstacle par le caractère du roi. Les
+ ménagements à employer sont du ressort de la sagesse et de la
+ prévoyance; mais la question est de savoir si, malgré tous les
+ ménagements, ce caractère permettrait le succès d'une mesure
+ quelconque dont le but ou l'effet serait de restreindre son
+ autorité.</p>
+
+<p>J'avoue que je l'ai pensé. Il a reçu la leçon des événements. Des
+ crises pénibles menacent son royaume: il s'agit de maintenir la
+ gloire d'une couronne.</p>
+
+<p>Cependant, l'opinion des personnes qui approchent Sa Majesté de plus
+ près et plus souvent que moi, la conversation même que vient d'avoir
+ avec elle M. Lefebvre, prouvent qu'il est difficile de calculer ce
+ que serait capable de faire ou de sacrifier un roi absolu de
+ vingt-cinq ans dont les passions seraient irritées ou qui se
+ croirait blessé dans sa dignité. Sous ce rapport, il est aisé de
+ pressentir l'effet pénible que pourrait avoir pour nous deux le
+ voyage de M. Lefebvre, si, je ne dis pas en conséquence, mais à la
+ suite de ce voyage, il arrivait des événements qui ne seraient point
+ agréables à Sa Majesté.</p>
+
+<p>Je ne saurais non plus dissimuler à moi-même ni à Votre Excellence
+ <span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> que, par les ordres que j'ai eu à exécuter en vertu de
+ votre dépêche du 27 juillet, ma position a changé et qu'elle est
+ devenue plus délicate que jamais.</p>
+
+<p>Je dois peut-être à l'opinion que le roi a de mon intégrité de
+ n'avoir point déplu et de n'avoir été soupçonné que légèrement. Je
+ devrai à mon entière soumission aux ordres de l'empereur, à la
+ maxime qui sera toujours sacrée pour moi, de dire la vérité telle
+ que je l'aperçois, telle que je la vois, à l'étude constante de
+ faire mes rapports (<i>sine ira et studio</i>), la continuation de la
+ protection et de la bienveillance de Sa Majesté impériale.</p>
+</div>
+
+<p>M. Reinhard ayant fait connaître au ministre des relations
+extérieures de Westphalie que l'empereur avait été fort mécontent de
+ce que la cour diplomatique avait suivi le roi pendant la campagne
+de Saxe, le comte de Furstenstein lui écrivit le 10 août 1809:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>L'empereur n'a point approuvé que MM. les membres du Corps
+ diplomatique aient suivi le roi en Saxe. Aucune invitation formelle
+ ne les avait engagés à cette démarche: ils avaient été laissés
+ libres d'agir d'après les instructions de leurs cours respectives.
+ Sa Majesté pensait alors que son absence de Cassel serait de très
+ courte durée et qu'elle ne serait pas obligée de passer de sa
+ personne les frontières pour chasser l'ennemi de la Saxe, mais les
+ ministres furent congédiés aussitôt que les opérations militaires
+ firent sentir que leur présence était déplacée. Je restai auprès du
+ roi pour recevoir et expédier d'après ses ordres le travail des
+ ministres qui arrivait journellement de Cassel. Je ne suis point
+ militaire et je suis absolument étranger à tout ce qui s'est passé
+ dans cette campagne.</p>
+
+<p>Les affaires intérieures ont fixé l'attention de S. M. I. et elle
+ voit avec déplaisir leur affligeante situation. La cause ne peut
+ m'en être imputée. Ministre secrétaire d'État et des relations
+ extérieures, je n'ai point d'administration et je n'exerce point de
+ contrôle sur mes collègues. Je ne conçus jamais l'ambition d'être un
+ ministre dirigeant, je n'en ai point le talent, et le caractère
+ connu de S. M. ne permet pas de croire que personne puisse en avoir
+ l'influence. La crise actuelle ne provient que de causes étrangères
+ à la manière d'administrer. Elle se trouvé dans les troubles qui ont
+ agité l'État, la misère qui y règne depuis longtemps et l'extrême
+ rareté du numéraire. Les charges du royaume sont fortes et le
+ département de la guerre seul absorbe plus de la moitié des revenus.
+ Le moment actuel n'admet point un système d'économie dans cette
+ partie de l'administration, et les dépenses ne peuvent qu'augmenter.
+ Dans cet état de choses Votre Excellence jugera facilement des
+ entraves que doit éprouver le gouvernement dans sa marche.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> Cette sorte de justification du comte de Furstenstein
+n'était pas exacte sur tous les points. Les ministres étrangers
+avaient suivi Jérôme en Saxe pour obéir à la volonté de ce prince et
+ne l'avaient quitté qu'à son retour à Cassel. La crise financière
+n'était pas la conséquence des troubles intérieurs du royaume, mais
+des exigences de l'empereur à l'égard de ce malheureux pays.
+Napoléon, d'ailleurs, ne pouvait pardonner à Jérôme quelques
+dépenses inutiles, quelques générosités intempestives.</p>
+
+<p>M. Lefebvre, premier secrétaire d'ambassade, envoyé auprès de
+l'empereur, étant arrivé et ayant remis sa dépêche, le duc de Cadore
+écrivit, le 21 août 1809, à Reinhard:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. Lefebvre arrivé ici le 18, m'ayant remis vos dépêches du 8 et du
+ 10 août, n<sup>os</sup> 70 et 71, et vos trois lettres non numérotées du 6 et
+ du 9, je les ai envoyées le jour même à Sa Majesté l'empereur et
+ roi.</p>
+
+<p>Sa Majesté me donne l'agréable commission de vous mander qu'Elle les
+ a lues avec attention et avec intérêt.</p>
+
+<p>Elle me charge aussi de vous faire connaître qu'en sa qualité
+ d'auteur et de garant de la Constitution du royaume de Westphalie,
+ Elle imputera les violations que cet acte aurait éprouvées aux
+ ministres dont le devoir non seulement est d'en suivre, mais encore
+ d'en maintenir religieusement les dispositions, et que, <i>si contre
+ le v&oelig;u de la Constitution la liste civile est accrue</i>, Elle en
+ rendra responsables les ministres des finances et du trésor public.</p>
+
+<p>Il convient, Monsieur, que vous tourniez l'attention de ces
+ ministres sur ce genre de responsabilité auquel ils n'ont peut-être
+ pas songé; mais vous choisirez pour le faire l'occasion et la forme
+ qui vous paraîtront propres à remplir cet objet sans alarmer la
+ susceptibilité du roi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 1<sup>er</sup> septembre 1809.</p>
+
+<p>M. Lefebvre est revenu à Cassel le 29 au soir, ayant achevé son
+ voyage en moins de six jours. Il m'a remis les deux dépêches du 21.
+ Sa Majesté impériale en daignant me faire connaître qu'Elle a lu mes
+ rapports avec attention et intérêt m'a accordé une récompense dont
+ je n'ai jamais senti l'inestimable valeur plus profondément que dans
+ les circonstances actuelles. Je me réserve, Monseigneur, de vous
+ rendre compte de l'exécution de vos ordres concernant
+ l'accroissement de la liste civile. Pour aujourd'hui, je me borne à
+ vous informer d'un objet qui m'a attiré la visite de M. de Bercagny.
+ «Le roi, m'a-t-il dit, est blessé du décret impérial qui établit une
+ ligne de douanes françaises au travers <span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> de ses États; il
+ aurait désiré qu'au moins le ministre de France eût été chargé d'en
+ donner connaissance. Il a donné ou va donner l'ordre de s'opposer à
+ l'établissement de cette ligne et sa volonté est dans ce moment
+ tellement forte que toute représentation serait inutile. Si j'avais
+ su cela par le roi, a ajouté M. de Bercagny, mon devoir serait de me
+ taire; mais je l'ai su indirectement, puisque la police doit savoir
+ tout, je crains qu'il n'en résulte un nouveau sujet de malaise pour
+ Sa Majesté.» J'ai remercié M. de Bercagny de sa confidence, et j'ai
+ dit que s'il ne s'agissait que d'une question de forme, je
+ m'empresserais de demander à 'Votre Excellence l'ordre de faire au
+ roi la communication officiel du décret impérial; mais que
+ j'apprendrais avec peine que l'opposition portât sur le fond.
+ J'apprends au reste que la ligne des douanes est déjà établie.</p>
+
+<p>J'ai oublié de dire dans mon avant-dernière dépêche que, pendant les
+ deux jours que j'ai passés à Napoléonsh&oelig;he, le roi s'est abstenu
+ de me parler d'aucun autre objet que de ce qui se rapportait
+ immédiatement à la solennité du jour, et que je n'ai pas cru qu'il
+ m'appartînt de prendre l'initiative.</p>
+
+<p>Il paraît que l'ordre donné par Sa Majesté Hollandaise au général
+ Gratien de revenir en Hollande avec sa division, le refus de Sa
+ Majesté le roi de Westphalie d'autoriser formellement le départ de
+ ce général, et les incertitudes qui en sont résultées dans la marche
+ de la division, sont devenus un nouveau sujet de discussion entre
+ ces deux frères. M. Huygens a été chargé de remettre au roi une
+ lettre de son souverain, qu'on dit écrite avec une sensibilité
+ voisine de l'amertume.</p>
+
+<p>M. de Gilsa, ci-devant grand écuyer de l'électeur de Hesse et
+ continué dans les fonctions du même département sous les ordres du
+ grand écuyer d'aujourd'hui<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a><a href="#footnote123" title="Lien vers la note 123"><span class="smaller">[123]</span></a>, vient d'être nommé envoyé
+ extraordinaire de Westphalie auprès de Sa Majesté le roi de
+ Hollande, aux appointements de 36,000 fr. et sa femme conservant
+ ceux de dame d'honneur. C'est un homme de bien, père de treize
+ enfants vivants, et très heureux de sa mission qu'il n'a acceptée
+ qu'après avoir confessé au roi qu'il allait faire ses premières
+ armes en diplomatie. On dit que M. Girard, général, est nommé
+ ministre du roi à Munich, en remplacement de M. Sch&oelig;ll.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, 8 septembre 1809.</p>
+
+<p>Le roi est parti mardi dernier pour faire un voyage aux mines du
+ Harz; il s'est fait accompagner par les ministres des finances et de
+ la <span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> justice. M. le comte de Furstenstein, après avoir
+ annoncé au corps diplomatique que le voyage ne serait que de cinq ou
+ six jours, a profité de l'absence de Sa Majesté pour passer quelques
+ jours dans les terres du comte de Hardenberg, son beau-père.</p>
+
+<p>Avant-hier, à quatre heures du matin, est arrivé un courrier du roi
+ portant ordre de faire marcher sur-le-champ à Hanovre les
+ chevau-légers de la garde et les chasseurs carabiniers. Dans le même
+ temps s'est répandu dans le public le bruit que les Anglais avaient
+ fait une descente à Brême. Ce bruit était faux, mais on continue à
+ parler d'une affaire que le général Bongars aurait eue avec les
+ Anglais. Le ministre de la guerre ne paraît avoir aucune
+ connaissance d'un pareil événement et il ignore les motifs de
+ l'ordre donné pour la marche des troupes. On croit en même temps, et
+ avec un peu plus de vraisemblance, à un voyage du roi à Hanovre et à
+ Hambourg.</p>
+
+<p>Le Harz et ses mines sont un objet très intéressant et pour la
+ curiosité et pour l'administration. Le travail des mines entretient
+ une population de 30,000 âmes; cependant le produit en est presque
+ nul, du moins lorsqu'on porte en compte le prix du bois nécessaire à
+ leur exploitation. Ce n'est que parce que cette denrée se trouve à
+ portée et qu'il serait difficile d'en faire un autre emploi que le
+ produit des mines peut être regardé comme avantageux, même sous le
+ simple rapport du revenu. Du reste, le nouveau mode d'administration
+ qui n'est en activité que depuis peu de mois, et les améliorations
+ qu'il sera possible de faire, suffisent pour faire attendre de ce
+ voyage des résultats utiles et importants.</p>
+
+<p>Je suis informé que M. de Bulow a proposé au Conseil des ministres
+ un projet d'emprunt à faire aux villes de Hambourg et Brème et il
+ paraît que ce voyage aux mines du Harz est lié à ce projet. Dans le
+ public on dit qu'il s'agit de les vendre et M. de Bercagny n'est pas
+ éloigné de croire à cette mesure qui pourrait dépopulariser ses
+ antagonistes et compromettre leur responsabilité. Selon toute
+ apparence, il s'agit d'hypothéquer les revenus des mines pour cet
+ emprunt, qui ne réussira point, à moins d'employer une sorte de
+ violence. Il y a dans tout ceci quelque chose qu'on me cache, ainsi
+ qu'au public. On dit même que le comte de Furstenstein s'est opposé
+ au projet en question, et, d'après toutes ces données, je soupçonne
+ qu'il s'agit d'une chose qu'on prévoit qui pourrait déplaire à Sa
+ Majesté impériale.</p>
+
+<p>Le départ de M. de Bulow m'a empêché de lui parler à fond sur la
+ liste civile; je devais avoir avec lui un rendez-vous qui aura lieu
+ après son retour. Mais je me suis déjà entretenu avec M. Siméon qui,
+ plus d'une fois, m'avait témoigné son regret de ce que la liste
+ civile dépassait la ligne constitutionnelle.</p>
+
+<p>M. Pothau a fait imprimer un mémoire en réfutation du rapport du
+ <span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> ministre des finances sur l'administration des postes.
+ Celui-ci s'est plaint au roi de ce que son rapport fait par ordre et
+ dans la supposition qu'il ne serait pas publié a été imprimé par M.
+ Pothau. Le rapport et la réponse étant en contradiction absolue sur
+ tous les faits et sur tous les principes, une commission du Conseil
+ d'État composée de MM. de Martens et de Malsbourg a été nommée pour
+ vérifier les uns et pour discuter les autres.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">Cassel, le 15 septembre 1809.</p>
+
+<p>Le roi est revenu de son voyage hier au soir à huit heures. Sa
+ Majesté quittant le Harz avait passé par Goslar, Brunswick et
+ Hildesheim et s'était arrêtée pendant trois jours à Hanovre.</p>
+
+<p>Comme vraisemblablement je ne verrai, avant le départ de cette
+ lettre, aucune des personnes de la suite de Sa Majesté, je dois m'en
+ rapporter provisoirement aux paragraphes du moniteur westphalien, ne
+ connaissant encore que quelques détails du séjour que le roi a fait
+ à G&oelig;ttingen.</p>
+
+<p>Une fermentation nouvelle avait éclaté parmi les étudiants de cette
+ université. Le cheval d'un gendarme avait été heurté par celui d'un
+ étudiant allant au galop et trop mauvais cavalier apparemment pour
+ pouvoir le retenir. L'étudiant se sentant poursuivi se sauva dans
+ une maison: le gendarme le pistolet à la main le prit au collet et
+ le conduisit en prison. Tous les étudiants prirent le parti de leur
+ camarade, la police prit celui du gendarme; des rapports, des
+ estafettes furent envoyés à la capitale. Il fut décidé que le
+ gendarme serait déplacé, mais qu'en même temps il serait avancé en
+ grade. Le gendarme avant de quitter G&oelig;ttingen ne manqua pas de
+ s'y montrer avec les marques de son nouveau grade; grande rumeur
+ parmi les étudiants. Des listes furent colportées; 400 jeunes gens
+ signèrent l'engagement de quitter l'université après l'expiration du
+ semestre d'études.</p>
+
+<p>Le roi fit appeler le pro-recteur: il lui parla avec beaucoup de
+ bonté et de condescendance, et le chargea d'être l'interprète auprès
+ des étudiants. Il convint que le gendarme avait eu tort; à la
+ remarque du pro-recteur qu'il avait été avancé en grade, il répondit
+ que c'était une mesure du gouvernement, étrangère à la question: il
+ dit que son âge le rapprochait un peu de la jeunesse des étudiants
+ pour pouvoir se mettre à leur place; qu'il voulait que l'université
+ de G&oelig;ttingen fût la première de l'Allemagne; que ces complots de
+ départ étaient ridicules, et que quand 200 s'en iraient, il serait
+ assez puissant pour en attirer 400 autres.</p>
+
+<p>Les déclarations de Sa Majesté, transmises par le pro-recteur,
+ avaient <span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> produit le meilleur effet, lorsque les étudiants
+ apprirent que six d'entre eux venaient d'être relégués. C'étaient
+ ceux qui avaient colporté les listes de départ; alors les jeunes
+ têtes se rallumèrent, et l'on dit qu'une centaine d'étudiants
+ étrangers a déjà quitté l'université pour n'y plus revenir.</p>
+
+<p>Il paraît que le projet était d'aliéner pour douze ans les mines du
+ Harz soit à la ville d'Hambourg si l'emprunt réussissait, soit au
+ banquier Jacobson, et que le roi a voulu attendre à Hanovre le
+ résultat de la négociation avec Hambourg. Si cela est, la marche des
+ troupes westphaliennes sur cette ville s'explique assez. Quand de
+ pareils projets pourraient réussir dans les circonstances actuelles,
+ ce seraient toujours des palliatifs ruineux, peut-être même
+ illégitimes, sans le concours des États que le roi voudrait
+ convoquer, mais auxquels les ministres ne savent que proposer.</p>
+
+<p>Le général Berner, officier de mérite, est revenu d'Espagne. Le
+ général Morio, tombé devant Girone malade d'une fièvre putride, et
+ transporté à Perpignan, est allé se rétablir à Montpellier. Le
+ ministre de Bavière est revenu de sa campagne dans un état de santé
+ tellement délabré qu'il reste peu d'espoir de sa guérison. Le
+ général Rewbell s'est embarqué à Emdem avec sa famille pour
+ Baltimore. La vente de son mobilier n'a point suffi pour payer ses
+ dettes. M. de Furstenstein s'est rencontré dans la terre de son
+ beau-père avec M. de Hardenberg, l'ancien ministre d'État prussien.
+ Ils n'auront pu se trouver ensemble longtemps: car immédiatement
+ après le départ du premier, un courrier était venu l'appeler auprès
+ du roi, à Hanovre.</p>
+</div>
+
+<p>En septembre 1809, le roi et la reine firent un voyage aux mines du
+Hartz. Jérôme, de retour, écrivit de Napoléonsh&oelig;he à l'empereur
+le 20 du même mois:</p>
+
+<p class="lettre">«Sire, je suis de retour d'un voyage que j'ai fait dans le Harz;
+ j'ai en même temps visité deux régiments de mes troupes qui sont à
+ Hanovre. La misère est portée à un tel point dans tout le royaume
+ (personne ne pouvant être payé) que si Votre Majesté ne vient à son
+ secours, il ne peut aller encore deux mois; comme j'ai déjà eu
+ l'honneur de l'annoncer à Votre Majesté, les troupes ne sont plus
+ entièrement soldées et si je n'avais eu la faculté de les mettre
+ dans les villes hanséatiques et dans le Hanovre, je serais hors
+ d'état de les nourrir. Malgré tous les soins que je porte à mon
+ administration, je crois qu'il est impossible de la soutenir plus
+ longtemps, et je prie Votre Majesté de me permettre de me retirer en
+ France. Là, comme ailleurs, je m'efforcerai de lui prouver qu'elle
+ n'a personne qui lui soit plus entièrement dévoué que moi. Toutes
+ les mesures que Votre Majesté croira devoir <span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> prendre pour
+ fixer le sort de mes États, je les approuverai et les seconderai de
+ tout mon pouvoir.»</p>
+
+<p>On voit que par son système l'empereur Napoléon I<sup>er</sup> rendait
+impossible le règne de ses frères dans les États qu'il leur avait
+octroyés. Joseph en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en
+Westphalie, sombraient sous la question financière.</p>
+
+<p>Nous continuons à donner quelques lettres ou extraits de lettres de
+Reinhard au duc de Cadore.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, ce 21 septembre 1809.</p>
+
+<p>J'avais à entretenir M. le ministre des finances du domaine de
+ Rittberg, et la conversation étant tombée sur d'autres objets,
+ l'occasion de m'acquitter de l'ordre que Votre Excellence m'avait
+ donné par sa dépêche du 21 s'est présentée naturellement. M. de
+ Bulow me parla de la mission de M. de Bocholtz<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a><a href="#footnote124" title="Lien vers la note 124"><span class="smaller">[124]</span></a> dont il prétend
+ n'avoir eu aucune connaissance: il me parut douter si M. de Bocholtz
+ serait l'homme propre à donner sur l'état des finances des
+ renseignements aussi exacts et aussi complets qu'on pouvait le
+ désirer. Il pensait, et j'étais fort de son avis, que le meilleur
+ parti à prendre serait de se conduire dans l'hypothèse où la
+ Westphalie serait réduite à ses propres ressources, et qu'en
+ dernière analyse tout dépendait de l'esprit de sagesse de son
+ gouvernement. «D'ailleurs, lui dis-je, avant de se relâcher sur des
+ engagements que le gouvernement westphalien a contractés envers la
+ France et qu'il paraît être en ce moment dans l'impossibilité de
+ remplir, Sa Majesté impériale serait en droit de s'informer des
+ causes qui ont amené cet état de détresse; et s'il résultait de ces
+ informations qu'une partie des revenus de l'État a été détournée de
+ sa véritable destination; que ceux de la liste civile, par exemple,
+ ont été étendus au-delà des limites légitimes, elle pourrait pour
+ intervenir faire valoir son titre d'auteur et de garant de la
+ Constitution.»&mdash;«Il me semble, me dit alors M. de Bulow, que vous
+ avez quelque chose à me dire, et je vous prie de me le faire sans
+ détour. Auriez-vous à me faire une communication de la nature de
+ celles que vous avez été chargé de faire à quelques
+ militaires?»&mdash;«Point du tout, lui dis-je, les circonstances ne se
+ ressemblent point, mais puisque vous le savez déjà, je vous dirai
+ que je suis prévenu qu'en sa qualité d'auteur et de garant de la
+ Constitution du royaume de Westphalie, Sa Majesté imputera les
+ violations que cet acte aurait éprouvées aux ministres, et que cette
+ disposition pourrait s'appliquer particulièrement aux accroissements
+ donnés à la liste civile.»&mdash;«En faisant serment d'obéissance à mon
+ souverain, me répondit M. de Bulow, j'ignorais que <span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> j'étais
+ encore responsable envers un autre souverain; mais cette
+ responsabilité même, je n'ai point à la craindre, et il est certain
+ que sous mon administration, il n'est pas sorti du Trésor un seul
+ denier en augmentation de la liste civile.»&mdash;«Cet autre souverain,
+ repris-je, est l'auteur et le garant de la Constitution en vertu de
+ laquelle le roi règne et les ministres président à l'administration.
+ Sa Majesté l'empereur a le droit d'en surveiller le maintien autant
+ et plus encore que s'il s'agissait de l'exécution d'un traité.» M.
+ de Bulow entendit cela,&mdash;«mais, dit-il, en vertu de mon serment je
+ suis obligé de ne rien laisser ignorer au roi, et vous me permettrez
+ de lui donner connaissance de notre conversation.»&mdash;«Si vous croyez,
+ répliquai-je, que le devoir vous y oblige, je ne saurais m'y
+ opposer. Je vous prie seulement de considérer qu'il est de notre
+ intérêt commun que cet avertissement, qui en temps et lieu peut
+ produire un excellent effet, n'en produise pas un mauvais, et que la
+ susceptibilité du roi soit ménagée. En conséquence la confidence que
+ j'ai l'honneur de vous faire est livrée à votre sagesse et à votre
+ discernement.»&mdash;«Connaissez-vous le roi, me demanda M. de
+ Bulow?»&mdash;«Je crois le connaître assez, quoique moins bien que
+ vous.»&mdash;«Eh bien! croyez-vous qu'il souffre qu'on lui résiste?»&mdash;«Et
+ quand on résiste la Constitution à la main.»&mdash;«Et même la
+ Constitution en main. Il y avait un temps, m'a dit M. Siméon, où le
+ roi disait ne vouloir gouverner que par la Constitution, mais il a
+ changé de langage.» Après ces préliminaires, M. de Bulow entra en
+ matière. Après m'avoir répété, ce dont je l'assurais, que je ne
+ doutais pas que le roi n'avait jamais touché du trésor public que
+ les prorata de cinq millions, à l'exception cependant du mois
+ d'octobre et du mois de novembre 1807, antérieurs à l'administration
+ de M. de Bulow, il me fit l'énumération des autres articles qui
+ composent aujourd'hui la liste civile. La voici:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" summary="Liste civile.">
+<colgroup>
+ <col width="5%">
+ <col width="70%">
+ <col width="20%">
+ <col width="5%">
+</colgroup>
+<tr>
+<td class="top">1<sup>o</sup></td>
+<td>Intérêts des capitaux donnés par Sa Majesté l'empereur.</td>
+<td class="right">500,000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">2<sup>o</sup></td>
+<td>Domaines de la couronne.</td>
+<td class="right">350,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">3<sup>o</sup></td>
+<td>Ordre Teutonique.</td>
+<td class="right">300,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">4<sup>o</sup></td>
+<td>Redevance d'un pour cent des fiefs déclarés allodiaux.</td>
+<td class="right">400,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">5<sup>o</sup></td>
+<td>Sept domaines repris sur des donataires français.</td>
+<td class="right">250,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="top">6<sup>o</sup></td>
+<td>Domaines réclamés par le roi pour compléter un million
+ de revenus en sus de la liste civile.</td>
+<td class="right">650,000</td>
+<td>&nbsp;</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>«Or, dit M. de Bulow, tous ces articles ont constamment été
+ étrangers à mon administration, et la Constitution ne dit pas que ce
+ que Sa Majesté tient d'une autre source doive être défalqué des cinq
+ millions de la liste civile. Quant aux domaines de la couronne, la
+ dignité du roi exige qu'il y en ait. Le produit de ceux dont Sa
+ Majesté jouit est peu considérable, et nous nous promettons bien
+ qu'Elle se désistera de la prétention des 650,000 francs, dont Elle
+ n'a pas encore joui, et qu'il paraît qu'on a portés en compte
+ lorsqu'on a fait monter les revenus de <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> la liste civile à
+ 7,500,000 francs. Les biens de l'Ordre Teutonique et les redevances
+ pour les fiefs déclarés allodiaux ont été attribués au roi par des
+ décrets rendus au Conseil d'État, les uns parce que le texte du
+ décret impérial ne paraissait pas au moins s'opposer à ce que le roi
+ se les appropriât, et les autres parce que Sa Majesté trouvait juste
+ d'être indemnisée des avantages dont Elle aurait profité en cas de
+ mouvance. Les deux décrets ont été rendus contre mon avis, mais je
+ n'ai pu pousser plus loin mon opposition, parce que ni l'un ni
+ l'autre objet n'étaient encore entrés dans mes attributions. Quant
+ aux sept domaines pris sur plusieurs donataires impériaux, j'ignore
+ s'ils seront remplacés ou restitués soit en nature, soit en argent.
+ Mais cet article encore n'est point de ma compétence.» Je n'ai rien
+ à ajouter, Monseigneur, à la justification de M. de Bulow, si ce
+ n'est qu'il a porté plus bas l'évaluation des articles n<sup>os</sup> 3 et 4,
+ que je ne l'ai fait dans ma lettre n<sup>o</sup> 71, d'après l'assertion de M.
+ Siméon. Celle des redevances, en effet, ne peut guère être connue
+ que par approximation, et il est possible que les biens de l'Ordre
+ Teutonique, en ce moment où il reste des pensions et des indemnités
+ à payer, ne rapportent à la liste civile que le revenu net tel que
+ l'a estimé M. de Bulow. Ce que M. de Bulow m'a dit sur les finances
+ de l'État est vague et n'ajoute rien aux aperçus que Votre
+ Excellence connaît déjà. Il se nourrit encore de la gloire de son
+ excédant de cinq millions de l'année passée. Pour l'année courante
+ il n'en espère que trente au lieu de trente-huit. Cependant il est
+ convenu que l'absence des troupes françaises causait au trésor un
+ grand soulagement, et que l'épargne qui en résultait pouvait
+ balancer et au-delà les pertes que les incursions ennemies avaient
+ causées à la Westphalie. Il m'a dit que la contribution personnelle
+ pour l'an 1808 était rentrée, mais qu'on n'avait pu mettre encore en
+ recouvrement celle pour l'an 1809. De là vient la détresse pour la
+ caisse d'amortissement que cette contribution est destinée à
+ alimenter. Malheureusement les fonctionnaires publics, surtout ceux
+ du culte et de l'instruction publique, ne sont pas payés davantage
+ que les créanciers de l'État, et le ministre de la guerre continue à
+ se plaindre amèrement de ce que ses ordonnances ne sont pas
+ acquittées.</p>
+
+<p>Malgré tous ces embarras le ministre des finances, qui a la
+ réputation d'espérer toujours, persiste à dire que les ressources de
+ la Westphalie sont assez grandes pour suffire à un état de dépenses
+ bien ordonné et au paiement des dettes et de leurs intérêts. Ce qui,
+ plus que tout autre chose, lui paraît être hors de proportion avec
+ les revenus, c'est l'état militaire. Le projet concernant les
+ sémestriers a été adopté par le roi; mais comme le décret entier,
+ qui embrasse plusieurs objets d'administration militaire, présente
+ un ensemble de dispositions liées entr'elles, il faut en attendre
+ l'adoption définitive. M. de Bulow a fait imprimer <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> le
+ compte des recettes et des dépenses de l'année passée. Ce compte,
+ qui ne renferme que les mouvements du trésor public, ne peut être
+ contrôlé que par celui du ministère des finances dont le ministre
+ promet aussi la publication; et ce ne sera que lorsque cette
+ dernière publication aura paru que mes recherches dirigées par des
+ données certaines pourront me conduire à un résultat digne d'être
+ soumis à Votre Excellence.</p>
+
+<p>M. de Bulow m'a parlé aussi de l'emprunt qui se négocie en ce moment
+ à Hambourg. Il s'agissait, m'a-t-il dit, de le conclure sur les
+ mêmes bases que celui qui avait été projeté en Hollande, à
+ l'exception des sels cependant dont Hambourg n'a pas besoin. Or, ces
+ sels étaient l'objet principal de la négociation hollandaise. Quoi
+ qu'il en soit, il est en ce moment question du produit des mines
+ dont il paraît qu'on propose d'aliéner l'exploitation pour un temps
+ déterminé. M. de Bulow prétend être étranger à cette affaire qui se
+ traite aujourd'hui directement par le cabinet et par l'entremise du
+ banquier Jordis, homme sans fortune, sans crédit et sans
+ considération. «Je ne connais, ajouta M. de Bulow, que deux manières
+ de traiter cette affaire: ou bien qu'un banquier connu et estimé se
+ mette à la tête et donne l'exemple en souscrivant pour une somme
+ importante, ou bien qu'un agent avoué présente au nom du
+ gouvernement les sûretés, offre les conditions et traite sous les
+ auspices de la foi publique,» M. de Bulow ne croit point au succès
+ de cet emprunt.</p>
+
+<p>Le public ne sait pas encore bien s'expliquer le dernier voyage du
+ roi à Hanovre, et je ne suis pas plus instruit à cet égard que le
+ public. Le passage du duc d'&OElig;ls et ses conséquences peuvent y
+ être entrés pour quelque chose. On parle aussi de quelques
+ fournitures, de souliers par exemple, faites ou commandées dans
+ cette occasion. Le général Bongars et le banquier Jordis y sont
+ venus de Hambourg rendre compte de leur négociation. Dans le public
+ on s'attendait à une prise de possession. Sa Majesté a été très
+ satisfaite de la cordialité avec laquelle Elle a été reçue par les
+ habitants du Harz. À Brunswick on a cru s'apercevoir d'une froideur
+ qui contrastait avec la joie que les habitants de cette ville
+ avaient témoignée dans d'autres occasions. Au moment de son arrivée
+ à Brunswick le roi ordonna au ministre des finances de payer tous
+ les arrérages. «J'ai prévenu les ordres de Votre Majesté, répondit
+ M. de Bulow, tout est payé.» En effet, il avait fait arriver
+ d'avance tout l'argent des caisses des environs.</p>
+
+<p>Dans la conversation que le roi eut avec M. Lefebvre après son
+ retour de Vienne, Sa Majesté ne manqua pas de lui reparler de ses
+ soupçons contre M. Jollivet. Ces soupçons, Monseigneur, je l'avoue,
+ sont pénibles pour moi, et je prie Votre Excellence de croire que,
+ même au risque de les attirer sur moi, je désirerais que le roi ne
+ les ait pas conçus. M. Jollivet remplit parfaitement son devoir dans
+ l'administration <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> qui lui est confiée, et si notre position
+ est délicate, nous ne pouvons tous les deux prendre pour règle de
+ conduite que notre dévouement à S. M. I. Du reste cette matière ne
+ me paraît point être de nature à me permettre de m'en expliquer
+ jamais avec M. Jollivet.</p>
+
+<p>M. de Bercagny doit aller à Mayence au devant de sa femme que le roi
+ lui a ordonné de faire venir. Il parait que dans ces derniers temps
+ plusieurs circonstances ont nui à M. de Bercagny dans l'esprit de S.
+ M., et si cette diminution momentanée de son influence peut
+ l'engager à faire un retour sur lui-même et à se prescrire des
+ règles fixes et équitables pour sa conduite, il en résultera un
+ grand bien. Malheureusement je viens d'apprendre un trait qui m'en
+ fait désespérer. La haute police prétend savoir d'après plusieurs
+ indices que feu M. de Müller avait eu connaissance de la
+ conspiration de D&oelig;rnberg. J'oserais, moi, donner un démenti
+ formel à cette assertion au nom de M. de Müller dans la tombe, non
+ seulement à cause de la connaissance que j'avais de son caractère,
+ mais encore d'après toute sa manière d'être dans les circonstances
+ d'alors. Quoi qu'il en soit, la haute police ne peut vouloir
+ fouiller ainsi dans la cendre des morts qu'avec le projet de
+ déterrer quelqu'accusation contre les vivants; et lorsqu'elle aura
+ tiré le voile qui couvre encore le mystère, on verra que M. de
+ Bercagny, et deux ou trois associés qui le valent, sont les seuls
+ serviteurs vraiment fidèles et nécessaires de Sa Majesté.</p>
+</div>
+
+<p>On a vu que l'empereur avait fait établir en Westphalie (où les
+marchandises anglaises commençaient à être introduites) une ligne de
+douanes. Jérôme s'était opposé à cette mesure. Reinhard écrivit à
+l'empereur le 25 septembre 1809:</p>
+
+<p class="lettre">«Il est pénible pour moi d'avoir à revenir sur ce qui se passe en
+ Westphalie, relativement à la nouvelle ligne de douanes dont Elle a
+ ordonné l'établissement; mais je ne crois pas pouvoir me dispenser
+ de mettre sous vos yeux, Sire, le nouveau rapport qui m'est fait par
+ M. Collin, afin que Votre Majesté puisse donner les ordres qu'Elle
+ jugera convenable sur cet important objet.»</p>
+
+<p>D'après l'ordre de l'empereur, Cadore écrit à Reinhard, de Vienne,
+le 3 octobre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Sa Majesté l'empereur avait ordonné en Westphalie l'établissement
+ d'une nouvelle ligne de douanes, pour s'opposer avec plus
+ d'efficacité à l'introduction des marchandises anglaises. Les
+ brigades de Neukirchen et d'Alfaugen (?) ayant été obligées, le 9
+ septembre, de cesser leurs fonctions, il s'est introduit sur leurs
+ postes, du 9 au 13 inclusivement, plus de trois cents voitures de
+ marchandises anglaises, escortées pour la plupart par des gendarmes
+ westphaliens et des paysans armés. J'ai <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> l'honneur de vous
+ envoyer une copie du rapport qui rend compte de ces faits et qui a
+ été mis sous les yeux de l'empereur.</p>
+
+<p>«Sa Majesté vous charge de faire les plus vives instances pour que
+ le gouvernement de Westphalie cesse de s'opposer à l'établissement
+ de cette ligne de douanes. Sa Majesté use de son droit de
+ protecteur, en prenant des mesures pour fermer tout accès au
+ commerce de l'Angleterre dans les États de la Confédération. Elle a
+ été étonnée de ce que, dans les moyens qu'elle prenait pour faire la
+ guerre à l'Angleterre, la Westphalie était le pays où elle éprouvait
+ des obstacles. Je vous prie, Monsieur, de m'informer du résultat de
+ vos démarches.»</p>
+</div>
+
+<p>Quelques mois plus tard, Champagny écrivait encore à ce sujet (de
+Paris, le 8 février 1810):</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Je viens d'être instruit par Son Excellence le Ministre des
+ finances qu'un mouvement séditieux a eu lieu en Westphalie contre le
+ service des douanes impériales. Le 15 novembre dernier, à la suite
+ d'une saisie faite par les préposés de Cuxhaven, pour contravention
+ au décret du 29 octobre précédent, de dix-neuf petites embarcations
+ chargées de sucre, café et autres denrées, les objets saisis
+ composant le chargement de trente-trois voitures furent conduits à
+ Bremerlehe, sous l'escorte d'un détachement de cuirassiers
+ westphaliens. Le convoi arriva en bon ordre, mais l'heure ne permit
+ pas d'opérer immédiatement le chargement sur bateau pour Brême. On
+ mit donc provisoirement les marchandises en magasin à Bremerlehe
+ même, avec d'autant plus de confiance que l'escorte était forte,
+ qu'il y avait dans la ville une garnison westphalienne et qu'on
+ pouvait ainsi espérer secours et protection en cas de tentatives
+ d'enlèvement de la part du peuple, mais cette garnison, cédant à
+ l'impulsion de la multitude, qui ne tarda point à manifester ses
+ mauvaises intentions, fut la première à favoriser le pillage et
+ enleva elle-même des marchandises.</p>
+
+<p>«Les soldats de l'escorte prirent part aussi à ce pillage au lieu de
+ s'y opposer, et une patrouille envoyée par le commandant et les
+ préposés ne put empêcher qu'une partie des marchandises (480 bûches
+ de bois de teinture, 64 sacs et un tonneau de sucre rafiné, ainsi
+ que 4 sacs de café) ne fût enlevée.</p>
+
+<p>«Je vous prierai, monsieur le baron, de vouloir bien porter ces
+ faits à la connaissance du gouvernement westphalien et de demander
+ que les auteurs de ce désordre soient recherchés et punis. Vous
+ voudrez bien me faire part du résultat de vos démarches à cet
+ égard.»</p>
+</div>
+
+<p>Le ministre des finances du royaume de Westphalie, M. de Bulow,
+était, en sa qualité d'allemand, en butte à la haine du parti
+français. Reinhard, dans ses lettres et dans ses bulletins, laisse
+pressentir sa prochaine disgrâce.</p>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, le 28 septembre 1809.</p>
+
+<p>«La cour est revenue de Napoléons-H&oelig;he à Cassel mardi dernier.
+ Quoique la détermination en ait été prise subitement, elle a été
+ suffisamment motivée par le temps froid et pluvieux qui ne cessait
+ de rendre le séjour de Napoléons-H&oelig;he malsain et désagréable.</p>
+
+<p>«L'exemple de la France et de la Hollande, où les gardes nationales
+ ont montré une si noble ardeur à marcher contre un ennemi déjà en
+ présence, avait inspiré à M. Bercagny l'idée de faire paraître
+ devant le roi, le jour de sa fête, la garde nationale de Cassel.
+ Comme elle est composée d'un corps d'arquebusiers en uniformes, et
+ du reste de la bourgeoisie qui n'en a point, il s'agissait de donner
+ des uniformes à toute la garde. Une souscription devait être ouverte
+ en faveur de ceux qui n'avaient pas assez de fortune pour s'en
+ procurer de leurs propres moyens. On espérait que quatre ou cinq
+ cents hommes pourraient se présenter en uniforme le jour où le roi
+ les passerait en revue. Dimanche dernier, M. Bercagny vint
+ m'entretenir de son projet comme d'une chose qui plairait sûrement à
+ l'empereur. Il en exposa les avantages avec enthousiasme. Il était
+ sûr que tous les départements s'empresseraient d'imiter la cour et
+ la capitale. «J'ai proposé au roi, me dit-il, d'ordonner que toute
+ la cour prît l'habit de garde national; il est vrai que Sa Majesté
+ me répondit que cela ne prendrait point, et que ce ne serait qu'un
+ habit de plus.» Je convins avec M. Bercagny que son idée était
+ excellente; cependant je l'avertis de n'y point mettre trop de
+ chaleur, parce que le flegme allemand n'aimait point à être trop
+ pressé.</p>
+
+<p>«Le lendemain matin, je vis passer dans la rue et j'entendis des
+ cris qui me parurent être des <i>vivat</i>; voilà, dis-je, M. Bercagny
+ qui a donné de bonne heure à boire à sa garde nationale; je me
+ trompais. La bourgeoisie assemblée par le maire avait refusé de se
+ mettre en uniforme, et les cris que j'entendais étaient des cris
+ d'opposition.</p>
+
+<p>«Il paraît que la crainte vague de prendre un engagement dont on ne
+ connaissait pas assez ni l'objet ni le terme, et une jalousie déjà
+ existante entre les arquebusiers et le reste de la garde ont été la
+ cause de ce refus qui heureusement n'a heurté que les espérances
+ trop vives de M. Bercagny. Le gouvernement, qui ne s'était pas
+ encore prononcé, s'est décidé sagement à ne donner pour le moment
+ aucune suite à cette affaire. Je suis persuadé qu'on pourra la
+ reprendre avec succès, si l'on y met le temps nécessaire, et
+ peut-être aussi en la faisant manier par des personnes plus
+ populaires que M. Bercagny. Le roi ce jour-là vint en ville sans
+ escorte et sans garde, et cette démarche simple prouva <span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> aux
+ gens qui étaient déjà tentés de crier à la révolte, qu'il était
+ étranger à cet incident et qu'il n'y mettait aucune importance.</p>
+
+<p>«Il paraît que les troupes westphaliennes ont quitté la ville de
+ Hambourg et qu'elles sont revenues à Hanovre. Le cinquième régiment,
+ le même qui s'était trouvé à Halberstadt, est revenu de Magdebourg à
+ Cassel. On dit que le nombre d'hommes sous les armes dont il est
+ composé n'excède pas encore 800.</p>
+
+<p>«La négociation du général Bongars et du banquier Jordis paraît
+ avoir abouti à deux cent mille francs pour accélérer le départ des
+ troupes. J'ai une lettre d'Hambourg où il est question de dix-sept
+ cent mille francs, mais je crois qu'il y a un zéro de trop. Quant à
+ l'emprunt, le sénat de Hambourg propose toujours des conditions
+ telles que le conseil du roi a dû nécessairement les refuser.</p>
+
+<p>«M. de Bulow affirme que les recettes vont en ce moment assez bien;
+ cependant à Brunswick encore, il s'était trop pressé en annonçant
+ que tout avait été payé. M. de Wolfradt ne manqua pas de montrer au
+ roi une lettre du préfet qui assurait le contraire. M. de Bulow
+ répondit qu'il avait fallu quelques jours pour exécuter les ordres
+ donnés; M. de Wolfradt soutient que c'est encore un mensonge. M. de
+ Bulow à contre lui un très fort parti composé à peu près de la
+ totalité des Français et même de plusieurs Allemands. Il est accusé
+ de fournir au roi tout l'argent qu'il demande pour ses dépenses, ce
+ qui est faux et absurde; d'augmenter à dessein le désordre et la
+ détresse des finances, pour amener des troubles et la ruine de
+ l'État, ce qui est chimérique. On a dit au roi qu'il avait profité
+ de sa place pour payer ses dettes. Il en avait: elles provenaient de
+ ses ancêtres, il en a toujours mis l'état sous les yeux de Sa
+ Majesté, en prouvant que sa fortune réelle les excédait de beaucoup.
+ On m'assure que depuis qu'il est ministre elles n'ont point été
+ diminuées. «Je ne tiens point à ma place, me dit dernièrement M. de
+ Bulow, mais j'y resterai aussi longtemps que le roi voudra me la
+ conserver, parce que je suis certain que je serais remplacé par un
+ imbécile ou par un fripon.» On est au reste généralement persuadé
+ qu'il ne se soutiendra plus longtemps. La tournure que prendra
+ l'affaire des postes, où la famille de M. de Furstenstein fait cause
+ commune, peut en décider, car, quoiqu'il soit plus que probable que
+ M. de Bulow a raison dans le fond, il paraît avoir exagéré quelques
+ détails. On dit que le roi pense encore de temps en temps à M.
+ Hainguerlot.</p>
+
+<p>«Les ordres pour le mouvement des troupes continuent à être donnés à
+ l'insu de M. le ministre de la guerre. Il en est de même des
+ nominations militaires, sur lesquelles on dit que le comte de
+ Bernterode exerce une plus grande influence. On cite la nomination
+ d'un colonel pour le sixième régiment. C'est un certain Laruelle ne
+ sachant ni l'allemand ni le français et recommandable seulement pour
+ avoir le même <span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> bon ton que M. de Bernterode. On craint une
+ nomination pareille pour le premier régiment. Le comte Bernterode,
+ ajoute-t-on, veut se faire nommer inspecteur général de l'armée. Le
+ général B&oelig;rmer est négligé. Les officiers allemands sont dégoûtés
+ de tant de passe-droits. Il convient de citer mon autorité: c'est le
+ général d'Albignac. Mais ce que j'ai dit du peu d'influence du
+ général Eblé, je le tiens de ce ministre lui-même à qui je n'ai pu
+ m'empêcher de dire qu'un homme de son mérite était assez fort pour
+ lutter et pour l'emporter. Encore un trait que m'a raconté le
+ général Eblé. Dans un groupe de courtisans à Napoléons-H&oelig;he, il
+ était question de Sa Majesté l'empereur et du roi de Hollande. Et
+ nous aussi, dit, en se frottant le menton, le comte de Bernterode,
+ nous nous raccommoderons.</p>
+
+<p>«L'esprit des départements ne s'est pas encore amélioré. Aucune
+ dépense n'est payée; les impôts ne rentrent qu'à force d'exécutions
+ militaires. Voilà le refrain. À Brunswick, on vend le portrait, on
+ porte les couleurs du duc d'Oels, on y attend les Anglais. On ne les
+ attendra plus quand la paix sera signée.</p>
+
+<p>«On a fait des réparations au palais. On allait y bâtir une salle de
+ spectacle; mais on a trouvé que le local ne s'y prêtait point et
+ l'on se borne à continuer la construction de celle de
+ Napoléons-H&oelig;he. D'un autre côté, on prend quelques mesures
+ d'économie; la table du maréchal a été restreinte à douze couverts.
+ Le palais de Brunswick n'est pas encore achevé et il paraît certain
+ que la cour ne s'y rendra point pendant l'hiver prochain.»</p>
+</div>
+
+<p>Le 12 octobre Reinhard envoie de Cassel la lettre suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Le 3 octobre, l'avant-veille de mon départ, s'est passé à Cassel un
+ événement dont il est de mon devoir de rendre un compte détaillé à
+ Votre Excellence. Le ministre des finances était ce jour-là à dîner
+ avec quelques autres ministres et conseillers d'État chez le grand
+ veneur, M. le comte d'Hardenberg, revenu le même jour de sa
+ campagne. Pendant le dîner il reçoit un billet de sa femme; il se
+ lève de table, disant qu'un événement désagréable arrivé dans son
+ intérieur l'oblige de se rendre chez lui. On se perd en conjectures,
+ on envoie pour savoir de ses nouvelles; il fait dire qu'une affaire
+ survenue avec la police l'empêche de revenir. Voici le fait.</p>
+
+<p>«Le sieur Schalch, commissaire général de la haute police à Cassel,
+ avait proposé au valet de chambre de M. de Bulow de lui procurer
+ l'entrée du cabinet de son maître. Le domestique en informa non M.
+ de Bulow, mais Madame, qui lui ordonna d'accepter la proposition en
+ se faisant donner une promesse par écrit. Le sieur Schalch la donna
+ signée de son nom et scellée du sceau de la haute police. Un nommé
+ Dumoulin, d'une famille prussienne et commis dans les bureaux de M.
+ de <span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> Bulow, était chargé d'examiner et d'enlever les
+ papiers. Le jour où M. de Bulow allait dîner chez M. de Hardenberg
+ paraît une occasion favorable. Le valet de chambre introduit le
+ sieur Dumoulin dans le cabinet du ministre et M<sup>me</sup> de Bulow le
+ surprend assis au bureau de son mari, examinant ses papiers. M. de
+ Bulow arrive, et, muni du billet du sieur Schalch, se rend
+ immédiatement chez le roi. Il représente à Sa Majesté que l'attentat
+ qui vient d'être commis ne concerne point sa personne, mais celle du
+ roi, que les papiers qui se trouvaient dans le cabinet d'un ministre
+ d'État ne sont pas les siens, mais ceux du roi; qu'en conséquence il
+ n'a rien à demander personnellement, et qu'il appartient entièrement
+ à Sa Majesté de faire justice.</p>
+
+<p>«Le roi se montre indigné; il donne sur le champ l'ordre de faire
+ arrêter les sieurs Schalch et Dumoulin. Le premier est mis au
+ castel; le second s'étant réfugié, dit-on, chez M. Bercagny, est
+ réclamé par le préfet de Cassel. M. Bercagny répond qu'il ne sait
+ pas où est ledit Dumoulin, et que d'ailleurs un ordre du préfet ne
+ suffirait pas pour le faire mettre en prison. L'ordre en conséquence
+ est expédié par le ministre de la justice; le sieur Dumoulin aussi
+ est conduit au château. J'appris ces faits le lendemain de M. de
+ Coninx qui avait assisté au dîner. M. de Bulow me les confirma en
+ masse; il me répéta ce qu'il avait dit au roi. Du reste il avait
+ l'air modestement heureux d'un homme qui avait déjoué un complot
+ dangereux et qui avait été plus fin que ses ennemis.</p>
+
+<p>«Le même jour, au spectacle, j'entendis M. le général Eblé demander
+ au ministre de l'intérieur qui n'est nullement ami du ministre des
+ finances: «Que pensez-vous de l'affaire de M. de Bulow?»&mdash;«Je pense,
+ dit M. de Wolfradt, que M. Schalch n'a pas agi sans l'autorisation
+ de M. Bercagny, et que M. Bercagny n'a pas agi sans.......» Ici la
+ phrase fut interrompue. M. Lefebvre, pendant mon absence, ayant
+ écrit jour par jour tout ce qui s'est passé à la suite de cet
+ événement, je ne saurais mieux faire, Monseigneur, que de vous
+ envoyer l'extrait des notes qu'il m'a remises lors de mon retour.
+ Votre Excellence jugera facilement de la satisfaction que cet
+ événement a produite, et peut-être, dans aucune circonstance, un
+ esprit de parti qui ne devrait pas exister ne s'est montré plus
+ ouvertement et plus mal à propos que dans celle-ci. Le sieur
+ Dumoulin s'obstinant dans son refus de répondre, le ministre de la
+ justice avait ordonné de lui mettre les menottes. M. de Wolfradt
+ vient de me dire qu'aujourd'hui, au lever du roi, plusieurs Français
+ l'ont interpellé pour savoir si le fait était vrai, et qu'ils en
+ jettent les hauts cris.</p>
+
+<p>«Faut-il remonter aux causes de cet attentat? Ma correspondance
+ antérieure en a dit assez pour me dispenser ici de fatiguer Votre
+ Excellence par des conjectures; mais je dois citer un fait qui m'a
+ été rapporté en confidence. Dans une conversation sur la querelle
+ qui existe entre <span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> M. Pothau et M. de Bulow, quelqu'un
+ demanda au premier pourquoi il était si difficile d'entamer un homme
+ ennemi des Français et contre lequel il s'élevait de si fortes
+ préventions? «Ah! dit M. Pothau, si nous pouvions nous procurer deux
+ pièces que nous savons être dans son cabinet, nous prouverions bien
+ qu'il est traître, mais il faudrait une autorisation.»</p>
+
+<p>«Quoi qu'il en soit, Monseigneur, la doctrine professée par le sieur
+ Schalch, et dans son interrogatoire et dans une lettre qu'il a
+ écrite au ministre de la justice, est aussi celle de M. Bercagny,
+ qui donnait une trop grande latitude à quelques expressions du roi
+ sur une attribution de surveillance générale contre laquelle tous
+ les ministres protestent depuis un an, et voudrait même insinuer que
+ cette doctrine est conforme à l'opinion de Sa Majesté. Si j'avais
+ réussi, disait M. Bercagny, encore ce matin (je cite M. de
+ Wolfradt), j'aurais obtenu un grand cordon; j'ai échoué....... Mais
+ abstraction faite de la moralité de l'entreprise, un directeur de la
+ haute police doit-il échouer ainsi?</p>
+
+<p>«Le sieur Schalch est natif de Schaffouse; c'est un homme d'une
+ réputation tarée; on m'en a raconté un trait qui mériterait non le
+ cordon, mais la corde. Un autre Suisse avait reçu d'un oncle une
+ traite qui ne suffisait point à ses besoins; il s'en plaignit. Eh
+ bien! dit le sieur Schalch, ajoutez un zéro!&mdash;Il sera destitué et
+ banni du royaume.</p>
+
+<p>«La direction de la haute police va rentrer provisoirement dans les
+ attributions du ministère de la justice. Les commissaires généraux
+ de police seront subordonnés aux préfets. M. Bercagny sera préfet de
+ police à Cassel. Le décret qui crée une direction séparée de la
+ haute police subsiste. Si la nécessité l'exige, un nouveau directeur
+ pourra être nommé. M. Siméon m'a dit qu'à présent les plaintes
+ contre M. Bercagny pleuvaient et qu'il en résultait en toute
+ hypothèse que c'était un homme qui n'avait exercé son emploi que
+ dans la vue de se faire une fortune dans deux ans. Le roi est très
+ prévenu contre M<sup>me</sup> de Bulow; il l'appelle un monstre, pour avoir
+ joué un rôle insidieux qui dégradait son caractère de femme. Que ce
+ soit elle ou non, il est certain que ce rôle qu'elle a joué ou
+ qu'elle s'est laissé attribuer a quelque chose qui répugne à la
+ délicatesse. Mais sans le flagrant délit, comment obtenir la preuve?</p>
+
+<p>«J'ai oublié d'informer Votre Excellence que M. B. Huygens, ministre
+ de Sa Majesté hollandaise, est rappelé et qu'il a été nommé
+ conseiller d'État. On dit qu'il ne sera remplacé que par un chargé
+ d'affaires.»</p>
+</div>
+
+<p>Par suite de cette maladresse de la police dans l'affaire Bulow,
+Bercagny fut remplacé dans ses fonctions par le général Bongars,
+chef de la gendarmerie, le commissaire général Schlach fut expulsé
+<span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> du royaume, et une scission eut lieu dans le cabinet. Le
+parti allemand représenté par Bülow, plus puissant que jamais, après
+Siméon, entra en lutte avec le parti français représenté par le
+comte de Fürstenstein et M. de Salha, devenu comte de H&oelig;ne et
+ministre de la guerre. Mais Bülow par son influence, Siméon par son
+talent, étaient autrement forts que MM. Le Camus et de Salha,
+ministres assez médiocres.</p>
+
+<p>Revenant sur l'affaire relative à M. Hainguerlot, Reinhard écrivit
+le 17 octobre 1809, de Brême, où il se trouvait, au duc de Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«La dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire sous
+ la date du 9 a été envoyée à Cassel par estafette par M. Durand. M.
+ Lefebvre me l'a expédiée par un courrier. J'ai trouvé tous les
+ cachets intacts. Je dois vous rendre compte, Monseigneur, du fait
+ qui m'a donné lieu d'écrire le mot concernant M. Hainguerlot. Je
+ tiens de M. Lefebvre que M. Courbon lui a dit que lorsqu'au mois
+ dernier le roi l'expédia pour Vienne auprès de Sa Majesté
+ l'empereur, le roi qui était seul dans son cabinet appela devant lui
+ M. de Marinville, son secrétaire intime, et lui demanda: «Avez-vous
+ écrit ce que je vous ai dit au sujet de M. Hainguerlot?» Et que M.
+ de Marinville lui répondit: «Oui, Sire;» qu'après un moment de
+ silence, Sa Majesté lui dit: «Non, toute réflexion faite, ne
+ l'écrivez point.»</p>
+
+<p>«Cette circonstance m'avait été racontée à l'époque à peu près de la
+ rédaction de ma dépêche et il paraît en effet que, dans la crise où
+ était alors la situation de M. de Bulow, le nom de M. Hainguerlot
+ avait été prononcé, non dans le public, non par des personnes de
+ l'administration, mais très dans l'intérieur de la cour; et voilà
+ comment, étant loin d'y attacher toute l'importance que la chose
+ méritait, j'ai été conduit à écrire la phrase en question. Si j'ai
+ écrit: <i>on dit</i>, je ne saurais justifier ce mot dans toute son
+ exactitude, j'aurais dû écrire: <i>il paraît</i>. Comme toutes les
+ circonstances du fait qui a été raconté par M. de Courbon à M.
+ Lefebvre ne sont plus présentes à ma mémoire, j'engage ce dernier,
+ qui ne verra point cette réponse, à vous en rendre compte
+ directement dans une lettre particulière; et je me borne à lui
+ écrire, comme je me bornerai à lui dire, qu'une phrase que je vous
+ avais écrite au sujet de M. H. vous avait engagé à me demander
+ quelques éclaircissements à ce sujet.</p>
+
+<p>«Je me permettrai seulement d'ajouter, Monseigneur, que, si dans la
+ circonstance dont je parle, le souvenir de M. Hainguerlot s'est
+ présenté dans l'esprit de Sa Majesté, le souvenir d'autres
+ particularités que j'ignore s'y est présenté aussi et l'a emporté;
+ que ce fait est antérieur à <span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> la nomination de M. Girard
+ pour Carlsruhe où M<sup>me</sup> Girard<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a><a href="#footnote125" title="Lien vers la note 125"><span class="smaller">[125]</span></a> s'est rendue quinze jours après
+ le départ de son mari, et que, si le nom de M. Hainguerlot a été
+ prononcé après cette époque, il est plus que douteux que le roi en
+ ait donné la moindre occasion.»</p>
+</div>
+
+<p>Le 18 octobre, M. Reinhard manda de Cassel au duc de Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«L'attention de Sa Majesté a été si souvent appelée sur les finances
+ de la Westphalie, que ce n'est pas sans un sentiment de répugnance
+ qu'on se voit obligé de ramener sans cesse sa réflexion sur ce
+ triste tableau. Des réformes de valets ont eu lieu dans l'intérieur
+ du palais, mais on ne peut raisonnablement se flatter d'en attendre
+ une amélioration dans les finances. Quelques réductions partielles
+ ne forment point un système complet d'économie. Ce qu'une sage
+ administration doit se prescrire, c'est de ne point charger sa
+ dépense au delà des forces de son budget. Mais, Monseigneur,
+ l'économie est une vertu dont le goût viendra tard ici; elle choque
+ les penchants d'un jeune roi né avec de nobles et généreuses
+ inclinations qui met la libéralité au premier rang des qualités d'un
+ souverain, et qui, comme il m'a fait l'honneur de me le dire à
+ moi-même, n'a d'abord vu dans la royauté que le plaisir de donner.
+ Toutefois, Sa Majesté impériale peut être sous ce rapport sans
+ inquiétude. Tous les ministres sont d'accord pour combattre le
+ penchant du roi à des dépenses peu proportionnées avec les forces de
+ l'État. Le ministre des finances, éveillé par le dernier et sérieux
+ avertissement qu'il a reçu, ne souffrira aucune application des
+ revenus publics à des objets qui ne seraient pas autorisés par la
+ Constitution. M. de Bulow est un homme franc, plein de ressources,
+ et peut-être, quoi qu'on en publie, celui de tous les ministres qui
+ est le mieux à sa place.</p>
+
+<p>«Le roi, sur la demande de la ville de Brême, a supprimé une foule
+ de droits aussi injustes qu'onéreux que s'étaient arrogés sur le
+ commerce les commandants qui avaient été successivement stationnés
+ dans cette ville. Il a également réduit au-dessous des demandes et
+ des espérances du sénat les dépenses de table du général qui y
+ commande; enfin si Sa Majesté s'est vue dans l'obligation d'envoyer
+ une partie de ses troupes vivre momentanément chez ses voisins, il
+ est du moins de la justice de déclarer que la conduite de ces
+ troupes a été partout exempte de reproches.</p>
+
+<p>«Le chargé d'affaires qui doit remplacer M. le ministre de Hollande
+ étant arrivé hier, M. le chevalier de Huygens se propose de demander
+ demain son audience de congé et de quitter Cassel vers le
+ commencement de l'autre semaine.»</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> Lefebvre, qui remplaçait Reinhard à Cassel pendant le
+voyage de ce dernier à Brême, écrivit, le 20 octobre, au duc de
+Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«M. Reinhard, en me faisant passer la réponse ci-jointe à la dépêche
+ que je lui avais transmise à Brême d'après vos ordres, m'écrit qu'il
+ aurait bien désiré que j'eusse pris sur moi de l'ouvrir et que la
+ chose principale regardait M. Hainguerlot; que Sa Majesté impériale
+ a été frappée d'un passage de la correspondance qui le concerne: «On
+ dit que le roi pense de temps, en temps encore à M. Hainguerlot;»
+ que Votre Excellence désire quelques éclaircissements sur ce qui a
+ donné lieu à cette phrase; enfin M. Reinhard me mande qu'il répond à
+ Votre Excellence, en lui racontant le fait autant qu'il peut se le
+ rappeler. Mais, comme c'est à moi que la chose a été communiquée
+ dans le temps, il m'engage à vous en écrire, Monseigneur, dans une
+ lettre particulière.</p>
+
+<p>«Voici les faits aussi exacts que je puis me les rappeler moi-même:</p>
+
+<p>«Je m'entretenais un jour avec M. Siméon (et non avec M. de Courbon,
+ comme M. Reinhard m'écrit qu'il l'a mandé à Votre Excellence), je
+ m'entretenais, dis-je, avec M. Siméon des finances de ce pays, du
+ parti qui devenait tous les jours plus violent contre M. de Bulow et
+ de la complaisance avec laquelle le roi commençait à écouter les
+ accusations contre ce ministre; je demandai alors à M. Siméon à qui
+ il pensait que pût être remise une commission si difficile dans le
+ cas où Sa Majesté se déciderait à retirer le portefeuille à M. de
+ Bulow. «Je ne vois, dit-il, personne ici qui ait les épaules assez
+ fortes pour un tel fardeau. Tous ceux qui crient contre le ministre
+ actuel auraient lieu de crier bien davantage contre son successeur.
+ On dit que l'on a fait demander il y a quelque temps l'abbé Louis à
+ Sa Majesté impériale; mais le roi s'accommoderait mal de l'humeur
+ dure et de l'esprit exact de l'abbé Louis. Le roi voudrait bien sans
+ doute qu'il lui fût permis de faire venir Hainguerlot, mais
+ l'empereur ne souffrirait jamais cet homme ici.» Voilà, Monseigneur,
+ dans quel sens la chose a été dite, et celui aussi dans lequel doit
+ être entendue la phrase de M. Reinhard. Cette phrase ne veut point
+ dire que le roi pense à appeler M. Hainguerlot, mais qu'il
+ l'appellerait s'il ne savait point qu'il s'exposerait au
+ mécontentement et qu'il encourrait la disgrâce de Sa Majesté
+ impériale.</p>
+
+<p>«Si, après cette explication, Votre Excellence voulait me permettre
+ d'ajouter quelque chose de moi-même, je n'hésiterais point à
+ l'assurer que, quel que puisse être un reste d'attachement que le
+ roi conserve pour cette famille, jamais ce prince, rempli de
+ reconnaissance comme il l'est et de vénération pour son auguste
+ frère, ne se permettrait une telle démarche dans l'état de discrédit
+ où est tombé M. Hainguerlot, et après <span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span> que Sa Majesté
+ impériale a fortement exprimé sa volonté de ne le point souffrir
+ auprès de la personne du roi. Sa Majesté a sans doute un sentiment
+ très vif de l'indépendance, je dirai même une volonté passionnée
+ d'être et de paraître roi. Ce prince semble blessé de tout ce qui
+ arrête son autorité ou lui indique qu'elle a des bornes. C'est là
+ son côté faible. Plus on va et plus on rencontre en lui une
+ disposition prompte à se raidir contre tout ce qui peut indiquer un
+ pouvoir hors de lui. Mais en avouant cela il faut aussi convenir que
+ cet esprit d'indépendance fléchit sans résistance devant la volonté
+ de Sa Majesté impériale dans tout ce qui peut intéresser la gloire
+ de ses armes et tendre à l'accomplissement de ses hauts desseins, et
+ il paraît que ce n'est de la part de ce prince ni soumission forcée,
+ ni résignation née du calcul de sa faiblesse, mais que cette
+ obéissance, en tant qu'elle se rapporte à des choses de quelque
+ haute importance, est le résultat d'un système puisé autant dans les
+ sentiments de reconnaissance et de vénération dont il m'a toujours
+ paru pénétré pour Sa Majesté impériale que dans le sentiment d'un
+ intérêt commun.»</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur, qui voulait tout savoir, avait auprès de son frère
+Jérôme deux hommes chargés de lui faire connaître tout ce qui se
+passait en Westphalie, M. Reinhard, sous le nom d'ambassadeur de
+famille, le comte Jollivet, chargé de liquider la partie financière
+concernant la France. Jérôme, espionné jusque dans l'intérieur de
+ses appartements par les agents secondaires des agents de son frère,
+ayant découvert par hasard à quelles menées il était en butte,
+écrivit le 20 octobre, de Cassel, à l'empereur qui avait cessé de
+répondre à ses lettres:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Sire, malgré l'oubli total dans lequel Votre Majesté paraît décidée
+ à me laisser, puisque je ne reçois aucune réponse à mes lettres, je
+ ne puis m'empêcher de lui faire part de la conduite scandaleuse que
+ l'un de ses agents se permet de tenir, non seulement vis-à-vis de
+ moi et de mon gouvernement, mais encore par rapport à mes affaires
+ particulières. Votre Majesté aura de la peine à croire que, depuis
+ un mois, quatre de mes domestiques, tant de la chambre que de la
+ bouche et des écuries, ont été renvoyés parce qu'ils ont été
+ convaincus d'être les espions du comte Jollivet.</p>
+
+<p>«Enfin, Sire, le scandale est porté à un point tel qu'il n'est plus
+ de la dignité de votre frère de le souffrir! Moi-même j'ai surpris
+ un de mes huissiers feuilletant mes papiers sur mon propre bureau,
+ et l'ayant sommé de me déclarer qui lui faisait commettre une action
+ aussi criminelle, il m'a déclaré, en se jetant à mes pieds, que
+ depuis un an il était payé par le comte Jollivet qui lui avait dit
+ que c'était par ordre <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> de l'empereur! C'est le nom de Votre
+ Majesté qu'on employait pour engager à une pareille action! C'est un
+ agent de Votre Majesté que j'ai toujours comblé de bontés qui la
+ faisait commettre! Loin de donner de l'éclat à une pareille action,
+ je l'ai étouffée et me suis contenté de renvoyer ces domestiques
+ infidèles en laissant même ignorer au comte Jollivet la cause de
+ leur renvoi.</p>
+
+<p>«Mais, Sire, c'est à Votre Majesté que je m'adresse pour demander le
+ rappel de M. Jollivet; il est impossible que Votre Majesté veuille
+ mon déshonneur à ce point! Je serais indigne de vous appartenir si
+ je souffrais chez moi et avais l'air de ménager plus longtemps un
+ homme aussi méprisable. Je prie Votre Majesté de croire que, malgré
+ la triste situation dans laquelle je me trouve et l'abandon total
+ dans lequel elle me laisse, elle n'a personne qui lui soit plus
+ tendrement attaché que moi.»</p>
+</div>
+
+<p>Ne recevant pas de réponse de l'empereur, Jérôme se décida à lui
+écrire de nouveau le 30 octobre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Sire, malgré l'abandon dans lequel me laisse Votre Majesté et que
+ je n'ai rien fait pour m'attirer, je vous demanderai de la prier de
+ décider de ma situation qui est tout-à-fait fausse comme roi de
+ Westphalie. Daignez décider, Sire, si je dois me conduire comme
+ sujet ou comme souverain. Le choix de mon c&oelig;ur est et sera
+ toujours d'être sujet de Votre Majesté, je n'aime ni l'allemand ni
+ l'Allemagne, et je suis tout français. Cependant, je ne puis être
+ ces deux choses à la fois et Votre Majesté conviendra avec moi que
+ lorsque des douaniers viennent à main armée et de force s'établir
+ chez un souverain sans que celui-ci en ait la moindre connaissance
+ par traité, ni par notification officielle, à moins qu'il ne fût un
+ lâche et un malheureux proscrit, il a dû les renvoyer; quand même je
+ n'aurais été, Sire, que gouverneur pour Votre Majesté, certes vos
+ ministres et vos conseillers d'État n'auraient pas établi dans mon
+ gouvernement des lignes de douanes sans ma participation; d'autant
+ plus, Sire, que ce n'est pas au milieu du pays d'Osnabruck que l'on
+ peut espérer d'empêcher la contrebande, mais sur les frontières.
+ Voilà cependant, Sire, le crime que l'on ose m'imputer à vos yeux;
+ et, pour avoir fait ce que tout homme eût fait à ma place, ce que
+ Votre Majesté eût certainement fait elle-même, on ose dire que je ne
+ vous aime pas, que je ne suis pas français! Comme si mon pays
+ n'était pas la France, et que je ne respectasse pas dans Votre
+ Majesté mon frère et mon bienfaiteur!</p>
+
+<p>«Sire, je suis de votre sang et, aussi longtemps que Votre Majesté
+ laissera sur ma tête la couronne qu'elle a daigné y poser, je ne
+ saurais agir autrement que ne doit le faire un roi, frère de
+ l'empereur. Tout m'impose l'obligation d'être jusqu'au dernier
+ souffle de ma vie lié à <span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> votre système politique, à celui
+ que vous avez créé pour votre famille et pour la France, mais,
+ m'asseyant vous-même sur un trône, vous avez entendu que je serais
+ indépendant pour les affaires intérieures du royaume que vous me
+ donniez. Je le répète, Sire, je n'aime ni l'Allemagne ni l'allemand,
+ mais, dans toutes les circonstances de ma vie, je suivrai la route
+ de l'honneur que Votre Majesté m'a si bien tracée.</p>
+
+<p>«J'ai désiré sans doute d'avoir un peuple à gouverner; je l'avoue à
+ Votre Majesté, je préférerais vivre en particulier dans son empire à
+ être comme je suis souverain sans nation. Votre nom seul, Sire, me
+ donne l'apparence du pouvoir, et je le trouve bien faible quand je
+ songe que je suis dans l'impossibilité de me rendre utile à la
+ France, qui, au contraire, sera toujours obligée d'entretenir cent
+ mille bayonnettes pour étayer un trône sans importance.</p>
+
+<p>«Je finis, Sire, avec la conscience intime que, quels que soient les
+ torts dont on cherche à me noircir, Votre Majesté ne peut pas
+ persister, avec réflexion, à me croire coupable d'indifférence et
+ d'ingratitude.»</p>
+</div>
+
+<p>Peu de temps après, le roi obtint la permission de se rendre à
+Paris. Lefebvre, chargé de remplacer Reinhard, écrivit de Cassel, le
+10 novembre 1809, au duc de Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Je n'ai pas rendu compte à Votre Excellence, dans ma dernière
+ dépêche, d'un entretien que le général Eblé a eu avec Sa Majesté, la
+ veille même de son départ pour Paris. Je n'en connaissais alors que
+ ce qui m'avait été rapporté par M. Siméon, qui m'avait demandé le
+ secret, et j'ai mieux aimé attendre de savoir tous les détails par
+ le ministre de la guerre lui-même, pour n'avoir rien à mander que
+ d'exact à Votre Excellence.</p>
+
+<p>«Elle a pu voir, par la correspondance de M. Reinhard, que depuis
+ longtemps le général Eblé éprouve des dégoûts. Il cherchait
+ l'occasion de demander au roi la permission de se retirer en France,
+ lorsque le roi qui en avait appris quelque chose, je ne sais
+ comment, ni par qui, lui dit, il y a quelques semaines: «Eh bien!
+ général, on prétend que vous voulez nous quitter?»&mdash;«Cela est vrai,
+ Sire, répondit le général Eblé; j'ai déjà eu l'honneur de dire à
+ Votre Majesté qu'on ne pouvait bien servir deux maîtres à la fois,
+ j'ai cru longtemps que je pourrais concilier mes devoirs envers
+ l'empereur, mon souverain, et Votre Majesté; je vois malheureusement
+ que cela est impossible.»&mdash;«Mais qu'espérez-vous donc? Le sénat?
+ Est-ce que vous êtes sûr de l'obtenir?»&mdash;«Sûr, non pas, Sire, mais
+ mes services passés me donnent le droit de prétendre à cette
+ honorable récompense, et les bontés de l'empereur, celui de
+ l'espérer.»&mdash;«Vous pourriez vous tromper dans vos espérances, ce que
+ je vous offre est plus sûr, vous êtes marié, votre femme <span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span>
+ est ici, la voilà grosse; restez avec moi, j'aurai soin de vous,
+ d'elle et de vos enfants. Je ne vous demande point aujourd'hui votre
+ dernier mot, pensez-y; nous en reparlerons.»</p>
+
+<p>«Le jour du départ de Sa Majesté, le général Eblé étant allé prendre
+ ses ordres, le roi lui dit: «Eh bien! voulez-vous toujours me
+ quitter?»&mdash;«Mes raisons sont toujours les mêmes, Sire, répliqua le
+ ministre.»&mdash;«Vos raisons!... reprit le roi, avec un air de bonté:
+ croyez-moi, restez avec moi. Je remettrai, puisque vous le voulez,
+ votre lettre à l'empereur, mais je ne veux pas que vous me quittiez.
+ Je n'ai pas mérité ce procédé. Après tout, rien ne presse, n'est-il
+ pas vrai?»&mdash;«Non, Sire.»&mdash;«Attendez mon retour et nous verrons
+ après.» Le général Eblé m'a dit qu'il y avait consenti et que les
+ choses en étaient demeurées là. C'est ce que m'a aussi confirmé M.
+ Siméon.</p>
+
+<p>«La cause des dégoûts de M. le général Eblé n'est peut-être pas
+ aisée à assigner, Monseigneur. D'après tout ce que j'ai pu
+ recueillir de lui-même, il paraît que l'impossibilité de faire ici
+ tout le bien qu'il aurait désiré est la plus forte. D'un côté il se
+ plaint des envahissements tous les jours plus grands de M. le comte
+ de Bernterode, qui s'est créé, dit-il, comme un second ministère, et
+ a élevé, pour ainsi dire, autel contre autel. À cet objet de plainte
+ se rattachent aussi, si j'ai bien jugé, les ordres que, sans les lui
+ communiquer, le roi adresse souvent de son cabinet aux généraux ou
+ chefs de corps employés hors de ses États. Ces ordres contrarient
+ souvent ceux donnés par le ministre. De là, selon lui, versatilité
+ dans les dispositions générales ou de détail, confusion dans les
+ mouvements des troupes, et déconsidération de son autorité. Enfin il
+ paraît que l'inexactitude du trésor public à acquitter les
+ ordonnances de la guerre dérange sans cesse les plans du général
+ Eblé, ruine ses dispositions et s'oppose à l'économie sévère qu'il
+ serait si essentiel d'établir dans toutes les parties du service
+ dont il est chargé. Ces raisons peuvent être vraies au fond,
+ Monseigneur, mais il est également certain que sa retraite porterait
+ un grand préjudice aux intérêts de Sa Majesté. Le général Eblé est
+ un homme laborieux, exact, sévère et qui sera très difficilement
+ remplacé ici. Il a rétabli l'ordre dans le département de la guerre,
+ où avant lui il n'y avait que pillage. De grandes économies ont été
+ faites sur toutes les parties; d'autres ne peuvent manquer d'avoir
+ lieu, s'il continue de garder le portefeuille; enfin tout ce qu'avec
+ des moyens bornés, mais distribués avec sagesse et intelligence, on
+ a pu obtenir, a été obtenu.</p>
+
+<p>«Peut-être aussi, et je ne craindrais pas de le dire à M. le général
+ Eblé, y aurait-il un peu d'ingratitude de sa part à quitter ainsi le
+ service du roi. Sa Majesté a pour lui (et il en convient lui-même)
+ la plus haute estime; jamais il n'a cessé d'être traité avec tous
+ les égards dus à son âge et à son expérience. Il a même éprouvé peu
+ de ces négligences <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> qui sont si fort dans le caractère du
+ roi, je dirai plus, il est vraisemblable (et je n'en veux pas faire
+ une accusation contre ce ministre) que le crédit du général comte de
+ Bernterode n'aurait pas été porté aussi loin, si le général Eblé,
+ comme l'a exprimé M. Reinhard dans sa correspondance, avait su
+ défendre son travail devant le roi ou réclamé avec plus d'insistance
+ contre l'abus de ce pouvoir étranger. Mais enfin, de quelque manière
+ qu'on envisage la chose, le chagrin de ne pas faire tout le bien
+ qu'on voudrait n'est pas un motif suffisant de retraite, et je
+ conserve encore l'espérance, qu'au retour du roi, M. le général Eblé
+ se laissera aller à prendre une autre détermination.</p>
+
+<p>«La reine a fait toutes ses dispositions pour partir, dans le cas où
+ elle serait appelée par le roi à Paris, ce qu'elle paraîtrait
+ désirer vivement.»</p>
+</div>
+
+<p>À la suite de conversations sur le royaume de Westphalie, Napoléon
+ayant demandé à Jérôme une note sur ce que l'on pourrait faire pour
+tirer ses États de la position précaire dans laquelle ils se
+trouvaient, Jérôme lui écrivit le 6 décembre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Le royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec le Hanovre,
+ Fulde, Hanau et tous les petits princes enclavés dans son
+ territoire, l'empereur ne lui donne point un débouché quelconque
+ pour son commerce;</p>
+
+<p>«Si l'empereur ne fait point la remise de la contribution arriérée,
+ que les faibles revenus de l'État empêchent d'acquitter, ainsi que
+ celle des domaines dont l'empereur n'a point encore disposé et qui
+ se montaient, à mon départ de Cassel, à 400,000 francs.»</p>
+</div>
+
+<p>La cession du Hanovre par la France fut décidée en principe, et
+Jérôme dut croire que cette augmentation de territoire, de
+population, de revenus, viendrait en dédommagement des exigences de
+son frère. Le comte de Fürstenstein qui, sur de nouvelles instances
+du roi, venait d'être nommé par l'empereur grand'croix de la Légion
+d'honneur, fut chargé de traiter de la remise avec le duc de Cadore,
+mais lorsqu'on arriva à la cession, on fut bien obligé de
+reconnaître que les avantages de cette cession n'en compensaient pas
+les inconvénients. L'empereur, en annexant à la Westphalie la
+province du Hanovre, se réservait d'en distraire des territoires
+ayant quinze mille habitants, et un revenu de quatre millions cinq
+cent soixante mille francs, exempts de tous impôts pendant dix
+années. Les agents stipulèrent en outre: que les six dotations
+instituées dans le royaume de Jérôme, en vertu du traité de Berlin,
+du 22 avril 1808, et toujours contestées par le jeune roi, seraient
+remises aux donataires <span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> ainsi que le montant des revenus
+s'élevant à près de trois cent mille francs; les dettes du pays de
+Hanovre seraient à la charge de la Westphalie; l'arriéré de la
+contribution de guerre due à la France serait arrêté à seize
+millions et acquitté par le versement à la caisse du domaine
+extraordinaire de cent soixante bons de cent mille francs avec
+intérêt à cinq pour cent et payables par dixième d'année en année;
+le contingent militaire du royaume serait porté à vingt-six mille
+hommes, dont quatre mille de cavalerie et deux mille d'artillerie;
+jusqu'à la fin de la guerre maritime, la Westphalie s'engagerait à
+<i>entretenir</i> six mille hommes de troupes françaises, en outre des
+douze mille cinq cents qui lui étaient imposés par le traité de
+Berlin. Pour que le mot <i>entretenir</i> ne pût donner lieu à de fausses
+interprétations, le duc de Cadore en envoyant ses instructions au
+baron Reinhard, chargé de la remise du Hanovre, lui manda:
+«L'expression <i>entretenir</i> dont le traité s'est servi, en parlant
+des dix-huit mille cinq cents hommes de troupes françaises, étant
+peut-être trop générale et par cette raison point assez précise, ce
+qui pourrait donner lieu à des difficultés, le procès-verbal devra
+en fixer le sens et dire: qu'<i>entretenir</i>, c'est solder, nourrir,
+habiller ces troupes et pourvoir à tous leurs besoins quelconques,
+comme le trésor public de France solde, nourrit, entretient les
+troupes des armées qui restent en Allemagne.»</p>
+
+<p>Reinhard se conforma à cet ordre du ministre, mais cela ne parut pas
+suffisant à l'empereur qui refusa de sanctionner le traité parce
+qu'il n'y était pas spécifié que les troupes françaises entretenues
+par la Westphalie auraient les prestations du pied de guerre.
+Toutefois cette difficulté fut promptement aplanie.</p>
+
+<p>Sans doute par cette annexion les États de Jérôme acquéraient un
+territoire assez considérable, une population de près de trois cent
+mille âmes, une zone maritime importante entre les embouchures de
+l'Elbe et du Weser. La Westphalie prenait rang en tête des États de
+la Confédération, mais l'obligation d'entretenir dix-huit mille
+hommes au lieu de douze, la dette hanovrienne considérable, laissée
+à la charge de la Westphalie, annulaient et au-delà les avantages.
+On reconnut bientôt que le nouveau territoire coûterait dix millions
+de plus qu'il ne rapporterait. Ainsi donc, loin d'alléger les
+charges pécuniaires des États de son frère, l'empereur augmentait
+ses embarras. Le traité fut cependant signé le 14 janvier par le
+comte de Fürstenstein et le duc de Cadore.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> Le 20 décembre, Reinhard, resté à Cassel pendant le voyage
+du roi, adressa à Champagny la lettre ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Un courrier du roi, expédié le 14 décembre 1809, a confirmé la
+ nouvelle du départ prochain de Sa Majesté, et les ordres concernant
+ sa réception dans ses États et dans sa capitale. Le roi se propose
+ d'arriver à Marbourg le 24, où tous les ministres d'État seront
+ obligés de se rendre (Marbourg est éloigné de Cassel de neuf bons
+ milles d'Allemagne). Le lendemain, Sa Majesté déjeunera à Wabern,
+ village à trois milles de Cassel, où se trouve un château royal. Le
+ 26, il y aura audience du corps diplomatique. Un appartement dans le
+ palais se prépare pour la réception du grand maréchal nommé en
+ remplacement du comte Willingerode. La curiosité cherche en vain à
+ deviner le nom de ce nouveau dignitaire. Le général Launay, gendre
+ de M. Siméon, les barons Dumas et Damas entreront au service
+ militaire de Sa Majesté. Le général Morio est déjà arrivé, revenant
+ d'Espagne, et rétabli de sa maladie. Le conseil d'État s'assemble
+ fréquemment pour préparer les projets de loi qui seront présentés
+ aux États. Puisqu'on croit savoir aujourd'hui que là reine restera à
+ Paris, on présume qu'après quelque séjour à Cassel le roi y
+ retournera aussi, et qu'il accompagnera Sa Majesté impériale dans
+ son voyage en Espagne.</p>
+
+<p>«Le roi trouvera ses sujets impatients de son heureux retour et
+ pleins d'espérances dans les résultats de son absence, qu'ils
+ pourront appeler heureuse aussi, puisque Sa Majesté reviendrait avec
+ de nouveaux moyens de prospérité pour ses États, avec de nouvelles
+ idées de bienfaisance et de gloire, puisées dans cette source
+ intarissable d'où nous voyons émaner toutes les conceptions
+ créatrices, tous les actes conservateurs qui appartiennent au siècle
+ de Napoléon.</p>
+
+<p>«Déjà quelques passages des lettres écrites par le roi ont fait
+ présager combien la Westphalie aura à se féliciter de son voyage, et
+ déjà ces présages se trouvent en partie confirmés par le discours
+ adressé au Corps législatif de France par M. le ministre de
+ l'intérieur.</p>
+
+<p>«J'essaierais en vain, Monseigneur, de vous peindre l'impression que
+ propagent au loin ces paroles d'immense valeur prononcées par la
+ bouche impériale, ces discours qui en sont les commentaires et qui
+ déroulent le passé et l'avenir; mais qu'il me soit permis de saisir
+ un mot qui appartient à la sphère où Sa Majesté impériale a bien
+ voulu essayer l'emploi de mes faibles moyens. Il est dit que les
+ villes Anséatiques conserveront leur indépendance, et qu'elles
+ serviront en quelque sorte de moyens de représailles envers
+ l'Angleterre. Cette idée, j'ose le dire, était constamment devant
+ notre esprit. De là la distinction que nous proposions de faire
+ entre le temps de paix et le temps de guerre, de là cette
+ proposition de laisser dans leurs rapports à venir une certaine
+ <span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> latitude, un certain vague qui permettrait de les modifier
+ selon les circonstances; mais l'impression lumineuse nous manquait:
+ elle a été trouvée et le problème est résolu.»</p>
+</div>
+
+<p>Nous continuerons à faire connaître les lettres les plus importantes
+de Reinhard et ses bulletins, comme offrant le résumé le plus
+curieux et le plus impartial de l'histoire de la Westphalie et de
+son jeune souverain.</p>
+
+<p>Le 17 janvier 1810, il écrit de Cassel à Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. de Marinville est arrivé samedi dernier. Il a annoncé que le
+ retour de M. le comte de Furstenstein ne pourrait guère avoir lieu
+ que vers la fin de cette semaine. Il en est résulté que le jour de
+ l'ouverture des États, dont les membres sont réunis ici depuis le
+ 1<sup>er</sup> janvier, n'a pu être encore déterminé. En attendant, le Conseil
+ d'État, dont les séances ont été fréquentes pendant quelque temps,
+ et les départements ministériels, ont préparé leur travail, le
+ compte du ministre des finances s'imprime, et ceux qui en ont déjà
+ connaissance en disent beaucoup de bien.</p>
+
+<p>Ces premiers jours qui se sont écoulés depuis le retour de LL. MM.
+ ont été ceux d'une satisfaction réciproque, et en même temps ceux
+ d'une attente générale des éclaircissements qu'on recevra sur les
+ destinées de la Westphalie, soit par ce qui aura été conclu à Paris,
+ soit par ce qui sera annoncé et proposé à l'assemblée des États. Je
+ partage cette attente, Monseigneur, et jusqu'à ce qu'elle soit
+ remplie je me vois restreint à vous faire le simple récit des
+ événements du jour.</p>
+
+<p>Le roi a accordé le titre de comte à MM. de Bulow et de Wolfradt,
+ ministres d'État; à M. de Lepel, son premier écuyer d'honneur, le
+ même qui l'avait accompagné à Paris, et à M. de Pappenheim, son
+ premier chambellan. MM. de Leist, conseiller d'État et directeur de
+ l'instruction publique, de Coninx, conseiller d'État et directeur
+ des domaines, et Marinville, secrétaire intime du cabinet, ont
+ obtenu le titre de baron.</p>
+
+<p>Le roi s'est chargé de transmettre à Sa Majesté impériale la lettre
+ par laquelle M. le général Eblé lui demande son agrément pour donner
+ sa démission de la place de ministre de la guerre. Il paraît que M.
+ le général d'Albignac, grand écuyer, sera chargé, par intérim, du
+ portefeuille.</p>
+
+<p>Le général de Bernterode, malade depuis longtemps, et dont la
+ maladie avait empiré dans ces derniers temps, a été forcé de
+ demander un congé de quelques mois pour se rendre en France, et pour
+ tâcher de rétablir sa santé. C'est M. le général de Launay, gendre
+ de M. Siméon, qui le remplace par intérim dans ses fonctions.</p>
+
+<p> <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> C'est aussi par intérim que M. le général Morio est chargé
+ des fonctions de grand maréchal. Il occupe un appartement dans le
+ palais.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p>
+<p class="date">Cassel, le 24 janvier 1810.</p>
+
+<p>M. le comte de Furstenstein est arrivé samedi dernier. Il a paru le
+ lendemain au bal masqué de la cour. C'est là, et hier, chez le
+ ministre de Russie, que j'ai eu l'honneur de le rencontrer. Chez moi
+ il a fait sa visite par cartes, et je ne l'ai point trouvé lorsque
+ je suis allé la lui rendre en personne. Il en résulte que je ne sais
+ pas un mot de ce que M. de Furstenstein a pu porter de Paris. Il est
+ vrai que les lieux où nous nous sommes rencontrés, n'étaient guère
+ favorables à une conversation d'affaires, mais ce ministre, très
+ poli d'ailleurs et très aimable avec moi, ne paraissait avoir nulle
+ envie d'entretenir une pareille conversation.</p>
+
+<p>Il est possible que le roi ait ordonné de garder le secret des
+ arrangements convenus jusqu'au jour de l'ouverture des États. Ce
+ jour, avant le retour de M. de. Furstenstein, avait été fixé au 28,
+ dimanche prochain, et les membres des États l'attendent avec
+ impatience. Sur cent membres, soixante-seize seront présents à la
+ session. Treize étaient morts dans l'intervalle; les autres sont
+ absents par congé ou pour cause de maladie. Les membres des comités
+ ont déjà été élus, et depuis huit jours ils sont entrés en
+ communication avec les ministres pour préparer le travail.</p>
+
+<p>M. Pichon<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a><a href="#footnote126" title="Lien vers la note 126"><span class="smaller">[126]</span></a> est arrivé quelques jours avant M. de Furstenstein.
+ M. de Norvins<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a><a href="#footnote127" title="Lien vers la note 127"><span class="smaller">[127]</span></a> aussi est revenu.</p>
+
+<p> Pour ne rien laisser en arrière sur cet objet, je dirai que dans la
+ conversation que Sa Majesté eut avec moi au mois de mars dernier, et
+ dont je rendis compte à Votre Excellence, le roi, parmi ses autres
+ griefs contre M. le comte Jollivet, me cita celui d'avoir refusé de
+ dîner à la table de son grand maréchal, et d'avoir dit qu'il n'était
+ point fait pour cela. Le roi m'assura que ce refus avait été porté à
+ la connaissance de Votre Excellence, et que vous l'aviez
+ désapprouvé; qu'ensuite M. Jollivet avait sollicité comme une grâce
+ d'être admis à la table du grand maréchal.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> <p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p>
+<p class="date">Cassel, 30 janvier 1810.</p>
+
+<p>L'ouverture des États du royaume a eu lieu avant-hier. La cérémonie
+ a été belle et imposante. Le roi a prononcé le discours du trône
+ lentement, avec précision et noblesse. Les auditeurs n'en ont pas
+ perdu une seule parole.</p>
+
+<p>Le discours dont j'ai l'honneur de vous adresser un exemplaire est,
+ comme me l'assure M. le comte de Furstenstein, entièrement l'ouvrage
+ du roi, à quelques changements près relatifs seulement au style et
+ au poli des phrases. Il est certain du moins que ni M. Siméon, ni
+ aucun autre ministre, ne l'a rédigé, et ceux qui en attribuent la
+ rédaction à M. de Bruyère assurent que le paragraphe où le roi parle
+ de la distinction qu'on voudrait faire entre sa personne et entre la
+ France lui appartient exclusivement.</p>
+
+<p>La manière dont le roi parle de ses relations avec son auguste frère
+ agrandit le roi lui-même et montre sous le jour le plus vrai et le
+ plus beau les intérêts de sa personne et ceux de sa politique.
+ J'ajouterai qu'on m'a assuré que ce que Sa Majesté professe ici
+ solennellement devant tout son peuple est une maxime que, depuis son
+ retour de Paris, on lui a entendu répéter souvent dans ses
+ conversations et pendant le travail de son cabinet.</p>
+
+<p>M. le comte de Furstenstein m'a dit que conformément aux intentions
+ de Sa Majesté Impériale la réunion du pays de Hanovre à la
+ Westphalie ne serait point encore annoncée au public. Il m'a dit
+ aussi que la dette contractée pour l'entretien des troupes
+ westphaliennes en Espagne était comprise dans les arrangements
+ conclus à Paris. Néanmoins je n'ai pas manqué de lui adresser copie
+ de la lettre par laquelle Votre Excellence m'informe que cette dette
+ monte aujourd'hui à la somme de 581,043 fr. 66 c.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p>
+<p class="date">Cassel, 2 février 1810.</p>
+
+<p>Le discours du roi a déjoué l'attente générale, en ce qu'il n'a
+ point annoncé littéralement les arrangements conclus à Paris. Comme
+ on était généralement persuadé que le retard de l'ouverture des
+ États était causé par le retard du retour du ministre des relations
+ extérieures, on en a inféré que le roi lui-même avait espéré de
+ pouvoir faire connaître à cette époque des détails qui intéressent
+ tout le royaume; et comme on croit être certain de la réunion du
+ pays de Hanovre à la Westphalie, <span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span> on se persuadera que ce
+ silence provisoire pourrait avoir rapport avec des négociations
+ entamées avec l'Angleterre.</p>
+
+<p>Le roi est revenu de ce voyage avec une certaine fraîcheur de bonté
+ et de contentement. Son temps est partagé, comme par le passé, entre
+ le travail et les plaisirs. Dernièrement, il fut question, au
+ Conseil d'État, des embarras que causait le système adopté pour les
+ corvées. Le roi déclara qu'il en apercevait bien les véritables
+ causes; que c'était l'intérêt des propriétaires qui était parvenu à
+ laisser incomplètes et à rendre vagues les dispositions de la loi;
+ que de là naissait une multitude de procès et que le but qu'on
+ s'était proposé était manqué. Il ajouta que le devoir d'un roi était
+ de considérer les masses et non les individus et qu'il veillerait à
+ ce qu'à l'avenir ses intentions fussent mieux remplies. Le roi avait
+ raison.</p>
+
+<p>Les spectacles, les promenades à Napoléons-H&oelig;he et à Schönfeld,
+ petite campagne achetée il y a quelque temps du banquier Jordis; les
+ bals, les bals masqués surtout, auxquels le roi et la reine prennent
+ également plaisir, remplissent les soirées de Leurs Majestés. La
+ reine a eu, dit-on, récemment un double chagrin: elle désirait qu'on
+ payât ses dettes, ce qui n'a point été accordé. Elle voulait, le
+ jour de l'ouverture des États, paraître sur le trône avec le roi,
+ qui lui fit l'observation que dans une cérémonie de cette nature
+ cela ne serait pas conforme à l'usage. Elle fut placée sur un
+ fauteuil en face du trône. Dans ses apparitions publiques, un
+ certain embarras, que les uns prennent pour de l'orgueil et que ceux
+ qui connaissent mieux Sa Majesté n'attribuent qu'à la timidité, n'a
+ point encore quitté la reine. Dans les petites réunions, elle se
+ montre charmante, pleine d'esprit et d'amabilité.</p>
+
+<p>Le roi montre une grande satisfaction de la réunion du pays de
+ Hanovre. Quelques-uns de ses conseillers pensent que les avantages
+ et les charges de cet agrandissement se compenseront peut-être
+ pendant longtemps encore; ils craignent la masse des dettes dont le
+ pays est accablé, la misère dont les sources pourront être taries
+ difficilement pendant la durée de la guerre, la diminution des
+ revenus par la séparation des domaines, peut-être aussi la nécessité
+ de partager les emplois avec les survenants hanovriens. Quelques-uns
+ ont pensé que pendant un certain temps il faudrait donner au Hanovre
+ une administration séparée.</p>
+
+<p>Il parait être question de le séparer en quatre départements;
+ d'autres prétendent qu'il serait avantageux de ne le diviser qu'en
+ deux. Quoi qu'il en soit, une accession de territoire qui étendra le
+ royaume de Westphalie jusqu'à la mer, entre deux rivières
+ navigables, une population de 600,000 âmes de plus, une jeunesse
+ propre au service militaire et laissée en réserve depuis plusieurs
+ années: voilà certainement des avantages suffisants pour faire
+ considérer désormais la Westphalie comme une puissance.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> M. le général Éblé a remis hier au général d'Albignac sa
+ signature du ministère. Le roi lui avait exprimé le désir de le
+ conserver jusqu'à ce que toutes les dispositions concernant les
+ troupes françaises dont l'arrivée est attendue fussent prises. Il a
+ cédé à la représentation que lui fit le général Éblé qu'il vaudrait
+ peut-être mieux les accoutumer d'emblée à la signature du chef qui
+ doit le remplacer. Cependant le général d'Albignac ne paraît pas
+ être destiné à le remplacer définitivement, et les amis même de ce
+ dernier qui lui ont conseillé d'accepter le portefeuille par intérim
+ comme une distinction honorable, pensent que ses forces et son
+ caractère naturellement fougueux pourraient ne pas suffire à
+ soutenir longtemps un pareil fardeau. Aussi le décret royal dit-il
+ seulement que le général d'Albignac aura la signature en l'absence
+ du ministre, dont la démission définitive reste subordonnée à
+ l'agrément de Sa Majesté Impériale qu'il se propose d'aller
+ solliciter en personne. Il n'y a qu'une voix sur le compte du
+ général Éblé et sur la perte peut-être irréparable que ferait en le
+ perdant la Westphalie. Cette opinion, le roi la lui a exprimée
+ lui-même, et ce ministre m'a témoigné encore hier combien il en
+ était touché, mais il en revient toujours à son refrain qu'il ne lui
+ est pas possible de servir deux maîtres.</p>
+
+<p>Depuis le retour du roi, on croit remarquer dans M. Siméon un
+ chagrin mal caché qu'on attribue généralement à ce qu'il avait
+ véritablement espéré de recevoir dans cette circonstance quelque
+ témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale. J'ignore
+ s'il s'en est ouvert à quelqu'un. Pour moi déjà, depuis quelque
+ temps, il a fallu me résigner à le trouver plus réservé, et j'ai
+ pensé que ce pouvait être en partie parce que depuis la restriction
+ des fonctions de M. Bercagny il se regardait un peu comme ministre
+ de la police. Depuis que son fils et son gendre se trouvent placés
+ au service de Westphalie, il doit se regarder comme y étant attaché
+ lui-même par des liens plus étroits, et quelques personnes pensent
+ qu'il pourrait finir par s'y attacher tout à fait. Le roi continue à
+ le traiter avec une grande distinction, sans peut-être avoir pour
+ lui une très haute estime. Son caractère flexible, que d'autres
+ appellent faible, une urbanité qui ne dépare point, mais qui fait
+ trop ressortir ses cheveux gris, la diminution d'un ascendant qui
+ plie sous la dépendance toujours croissante de sa situation peuvent
+ en être la cause. Cependant, M. Siméon, qui de tous les Français est
+ certainement celui qui a le mieux réussi en Westphalie, m'a toujours
+ paru et me paraît encore, à cause de ses défauts mêmes, le plus
+ propre à réussir. Sans connaître un mot de la langue, sans avoir
+ rapproché en aucune manière ses idées et ses habitudes du génie
+ allemand, le calme et l'équité de son caractère, sa manière de
+ penser libérale, l'ensemble de ses lumières et de ses connaissances
+ ont suffi pour lui donner, presque par instinct, ce discernement de
+ ce qui convient ou ne convient <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> pas dans les circonstances
+ actuelles, ce tact du milieu à garder entre deux extrêmes, cette
+ propension à maintenir l'équilibre parmi les passions, les opinions
+ et les intérêts opposés qui le font chérir et respecter par tous, et
+ surtout par les Allemands.</p>
+
+<p>M. le comte de Bulow n'a point encore cessé d'être l'objet des
+ soupçons et de la haine de la plupart des Français employés en
+ Westphalie. M. de Bercagny, quoique simple préfet de police de
+ Cassel, continue à travailler directement et fréquemment avec le
+ roi. Depuis que dans les départements les commissaires de police ont
+ été subordonnés aux préfets, la marche des affaires s'est évidemment
+ simplifiée et est devenue plus aisée. On n'entend parler ni de
+ désordres, ni de mauvaises dispositions. Il n'en paraît être resté
+ quelques traces que dans ce malheureux département de la Werra. M.
+ Delius, préfet d'Osnabruck, dont l'innocence a été pleinement
+ reconnue, a été renvoyé à son poste.</p>
+
+<p>M. le comte Jollivet annonce son départ pour le 1<sup>er</sup> avril. Depuis
+ quelque temps, il se montre peu, et l'on se montre peu chez lui. Les
+ dispositions du roi à son égard ne paraissent pas avoir changé. À la
+ première audience, après le retour du roi, après que Sa Majesté
+ m'eut dit un mot sur mon voyage de Hambourg, elle se tourna vers M.
+ Jollivet: «Et vous, Monsieur, dit-elle, pendant ce temps-là, vous
+ n'avez pas bougé!» On prétend, au reste, que l'affaire de l'huissier
+ surpris en fouillant les papiers du roi a été éclaircie, et que ce
+ n'est plus M. Jollivet qui est soupçonné, mais M. Bercagny. Il m'a
+ toujours paru qu'il ne pouvait pas y avoir la moindre raison de
+ soupçonner M. Jollivet<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a><a href="#footnote128" title="Lien vers la note 128"><span class="smaller">[128]</span></a>.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">12 février 1810.</p>
+
+<p>Depuis le retour du roi, il y a eu deux bals parés et deux bals
+ masqués à la cour, et un bal masqué chez M. le comte de
+ Furstenstein. Celui d'hier, qui s'est donné au palais, a été
+ extrêmement brillant. On avait répandu à tort qu'on n'y serait point
+ admis en domino; mais ce bruit s'étant accrédité, on a vu paraître
+ d'autant plus de masques de caractère. La cour a paru d'abord en jeu
+ de piquet, mascarade plus savante que spirituelle; mais bientôt de
+ ce pêle-mêle fantasque sortit une belle ordonnance de rivières et de
+ villes dansantes. Le roi de Trèfle se changea en rivière du Weser,
+ et les villes d'Hameln et de Hanovre vinrent fraterniser avec celles
+ de Brunswick et de Magdebourg. Une élite de dames de la cour,
+ changeant de masque une troisième fois, reparurent en Égyptiennes
+ pour former un quadrille avec le roi. Dans la foule, des chevaliers
+ teutoniques étaient en templiers, M<sup>me</sup> Dumas en <span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span>
+ jardinière, M. Hugot en paysan, M. de Bercagny en innocent; les
+ membres des États en dominos modestes formaient une espèce de
+ parterre. Le jour de l'ouverture des États et de la représentation
+ de <i>Revanche</i>(?), le roi se retira du bal vers minuit et alla passer
+ la nuit à Sch&oelig;nfeld<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a><a href="#footnote129" title="Lien vers la note 129"><span class="smaller">[129]</span></a>. <i>On n'a pas remarqué qu'une dame de la
+ cour se fût absentée.</i> Hier matin, le roi a paru au cercle de la
+ cour dans le costume de l'ordre de la couronne de Westphalie. C'est
+ un habit français de couleur grise qui fait ressortir la couleur du
+ ruban de l'ordre, avec des brandebourgs et des broderies en argent.
+ Les décorations ne sont toujours pas encore arrivées de Paris. Un
+ chapitre de l'ordre est annoncé pour le 15. Au bal masqué que donna
+ M. de Furstenstein, M. Mollerus, chargé d'affaires de Hollande,
+ affecta de se faire passer pour le roi, et il y réussit assez. M. de
+ Norvins, tout fier d'être pris sous le bras par Sa Majesté, se
+ croyait déjà sûr pour le lendemain d'une place de ministre
+ plénipotentiaire. On dit que le roi a trouvé la conduite de M.
+ Mollerus impertinente. Pour M. de Norvins, il n'est pas même sur la
+ liste des chevaliers de l'ordre.....</p>
+
+<p>Le ministre de Russie avec sa famille est parti aujourd'hui pour
+ Weimar où l'on célébrera dans quelques jours la naissance de la
+ Grande-Duchesse. Son absence sera de quinze jours. Le public de
+ Cassel, toujours bénévole, répandait, dès avant son départ, qu'il
+ partait en vertu d'une déclaration de guerre entre la France et la
+ Russie. M. de Rechberg, chargé d'affaires de Bavière à Berlin, nommé
+ ministre plénipotentiaire en Westphalie, est attendu ici d'un jour à
+ l'autre.</p>
+
+<p>Le prince Repnin donnait chez lui des assemblées deux fois par
+ semaine. Elles languissaient d'autant plus, que presque jamais on
+ n'y voyait paraître les dames de la cour. À cet égard, le prince
+ Repnin paraît avoir hérité du guignon de M. Lerchenfeld, et Sa
+ Majesté se plaît quelquefois à faire éprouver de pareilles
+ contrariétés. Dernièrement, ce fut le tour du ministre de France,
+ qui avait invité les ministres et plusieurs membres des États à un
+ dîner donné à l'occasion du retour du comte de Furstenstein. À cinq
+ heures, M. de Furstenstein et M. Siméon envoyèrent dire que le roi
+ les avait nommés pour aller dîner avec lui à Sch&oelig;nfeld.</p>
+
+<p>Depuis le commencement de cette année s'est établi à Cassel un
+ casino où l'on se réunit pour la lecture de feuilles politiques et
+ littéraires de France et d'Allemagne. Toute la ville de Cassel y a
+ pris part. C'est le premier établissement de ce genre formé dans
+ cette capitale qui, sous le rapport de la civilisation littéraire,
+ si l'on peut s'exprimer ainsi, ne paraît pas appartenir au nord de
+ l'Allemagne.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+ <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">23 février.</p>
+
+<p>Le bal masqué chez M. Siméon a surpassé les autres en élégance. La
+ cour y a paru en double mascarade, d'abord en <i>Mariage de Figaro</i>,
+ et après le souper en <i>Caravane du Caire</i>. Le roi, en costume de
+ Figaro, a dansé, au son des castagnettes, une danse espagnole avec
+ M<sup>me</sup> de Boucheporn<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a><a href="#footnote130" title="Lien vers la note 130"><span class="smaller">[130]</span></a> et distribuait des fleurs. Le général
+ Hammerstein et la comtesse de Bochholz (ornée des diamants de la
+ reine) représentaient le comte et la comtesse Almaviva. M<sup>me</sup>
+ Delaunay<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a><a href="#footnote131" title="Lien vers la note 131"><span class="smaller">[131]</span></a> a reçu du roi, dans cette occasion, un beau collier de
+ diamants: elle est heureuse de sa grossesse et de l'arrivée de son
+ mari.</p>
+
+<p>Dimanche prochain, nouveau bal masqué chez M. le comte de Bochholz.
+ Les membres des États, gravement assis, en dominos, ont l'air de
+ dresser actes de toutes ces merveilles pour en faire le récit après
+ le retour dans leurs foyers. (<i>Prælia conjugibus loquenda.</i>)</p>
+
+<p>Dans le premier bal paré de la cour, qui eut lieu après le retour du
+ roi, on avait envoyé des billets d'invitation à quelques dames de la
+ ville, de réputation un peu équivoque. Le roi s'étant fait présenter
+ la liste ne voulut point qu'elles fussent admises. Il resta
+ inexorable, et les chambellans furent obligés d'avertir les dames en
+ question qu'il y avait une méprise dans l'envoi des billets. M<sup>me</sup>
+ Delaunay, dans ses invitations, a été moins scrupuleuse.</p>
+
+<p>Un des frères de M. de Furstenstein, arrivé d'Amérique dans l'été
+ dernier, est reparti pour Amsterdam où il doit se rembarquer. Un
+ autre frère, qui est chambellan du roi, l'a accompagné. On suppose
+ que ce voyage de M. Lecamus concerne les anciennes relations du roi
+ avec M<sup>lle</sup> Paterson<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a><a href="#footnote132" title="Lien vers la note 132"><span class="smaller">[132]</span></a>.</p>
+
+<p>On parle d'un prochain voyage du roi pour Paris à l'occasion du
+ mariage de Sa Majesté l'Empereur. On prétend même que le jour en est
+ fixé au 18 mars.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">9 mars 1810.</p>
+
+<p>Le mercredi des Cendres a commencé par un déjeuner splendide à la
+ cour, lequel a terminé à six heures du matin le bal masqué qui a
+ fait la clôture du carnaval. En remontant, il faudrait rendre compte
+ d'un bal masqué chez M. de Pappenheim, qui n'a pas eu lieu, parce
+ que la <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> reine était incommodée; d'un bal masqué et paré
+ chez M. le général d'Albignac; d'un bal chez le ministre de Russie;
+ d'un bal masqué chez M. le comte de Bochholz. Il faudrait faire
+ l'éloge d'un quadrille chinois, d'un ballet des quatre parties du
+ monde; d'un superbe ballet, les Noces de Gamache, dans lesquels le
+ roi et la reine ont figuré. Il faudrait montrer la reine en vieille
+ juive, en sauvage américaine, en paysanne de la Forêt-Noire; le roi
+ changeant de dominos et de masques en véritable caméléon; les plus
+ belles dames de la cour déguisant leurs attraits sous l'accoutrement
+ de vieilles laides. Il faudrait faire mention de l'appétit
+ merveilleux des masques du Mardi-Gras et de la fureur avec laquelle
+ ils ont dévasté les buffets royaux; et en se réjouissant avec les
+ marchands qui ont vendu jusqu'à leurs fonds de boutique, il faudrait
+ gémir en même temps avec ceux qui, faisant leurs comptes en Carême,
+ s'aperçoivent avec effroi de ce que leur a coûté le carnaval.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Cadore.</p>
+<p class="date">Cassel, 12 mars 1810.</p>
+
+<p>La députation hanovrienne ne sera présentée que demain. Tous ceux
+ qui la composent, et qu'on dit être au nombre de soixante, ne sont
+ pas encore arrivés. En conséquence, le roi ne partira
+ qu'après-demain.</p>
+
+<p>Aujourd'hui s'est faite par M. de Leist, et au nom du roi, la
+ clôture de la session des États. Le Code de procédure a été la
+ dernière loi qui leur a été proposée.</p>
+
+<p>Le cortège qui, cette fois, suivra Leurs Majestés à Paris est très
+ nombreux et très brillant. La reine n'avait emmené que M<sup>mes</sup> de
+ Bochholz et de L&oelig;wenstein; hier sont parties M<sup>mes</sup> de
+ Keudelstein, Morio et de Pappenheim; aujourd'hui M<sup>me</sup> de Boucheporn.
+ M. de Marinville et le comte de Meerveldt ont déjà précédé le roi.</p>
+
+<p>Hier a eu lieu la distribution de l'ordre de Westphalie. Tout s'est
+ passé conformément au programme imprimé dans le <i>Moniteur
+ Westphalien</i>. Le roi a prononcé un petit discours plein de
+ convenance et de dignité. Celui de M. le comte de Furstenstein sera
+ probablement imprimé, et j'aurai l'honneur, Monseigneur, de vous
+ l'envoyer. Plus de cent chevaliers ont reçu la croix et prêté le
+ serment à genoux devant l'Évangile qui, à la vérité, n'était qu'un
+ missel catholique. C'était peut-être une supercherie de la part de
+ Mgr l'évêque de Wend, mais les protestants (et le plus grand nombre
+ des chevaliers était de cette confession) ne s'en sont pas
+ formalisés.</p>
+</div>
+
+<p>Dans une autre lettre au même personnage, du 28 avril, Reinhard
+parle des abus commis par des officiers de la cour:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Il existe ici, outre le beau parc de Napoléons-H&oelig;he, un parc plus
+<span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> près de la ville qui, de tout temps, a été ouvert au
+public. Que la reine ait fait entourer de barrières une partie de
+celui de Napoléons-H&oelig;he et qu'elle l'ait réservé pour ses
+promenades particulières, rien de plus naturel, et personne n'y a
+trouvé à redire. Mais le parc, qui est au bas de la ville, est
+devenu presque tout à fait inaccessible au public. Depuis quelque
+temps, les voitures en sont totalement exclues; en été, il n'est
+ouvert que pendant les heures les plus chaudes de la journée, et
+même alors tous les sentiers en sont interdits. C'est que M. le
+grand veneur veut protéger les couvées de perdrix.</p>
+
+<p>Un lièvre ne peut-il plus arriver au marché que muni d'un certificat
+d'origine? C'est que M. le grand veneur veut procurer au roi
+quelques écus de revenu sur les produits de la chasse.</p>
+
+<p>À quatre lieues de Cassel sont les bains d'Hof-Geismar, appartenant
+au roi, assez fréquentés autrefois, et qui les jours de dimanche et
+de fête servaient de lieu d'amusement à toute la population à la
+ronde. Il y avait deux chambres de bain à bassins: c'étaient les
+deux plus agréables; mais l'une d'elles a été couverte de planches
+parce que M. l'intendant de la maison voulait y placer l'argenterie
+dont il n'y existe pas encore une seule pièce. Un restaurateur à
+privilège exclusif est allé s'y établir l'année dernière: il a
+rançonné cruellement tous les étrangers. Après avoir fait déserter
+tout le monde, il a fini par faire banqueroute. Son successeur, déjà
+banqueroutier, rançonnera, fera déserter et finira de même. C'est
+que M. l'intendant de la maison veut avoir la gloire d'en tirer un
+gros bail, sans compter peut-être le pot de vin. Une troupe
+française et une troupe allemande jouaient alternativement dans la
+même salle. La troupe allemande ne laissait pas de faire des
+recettes, lorsque la troupe française allait jouer à
+Napoléons-H&oelig;he. La troupe allemande a été renvoyée. Il n'y a plus
+de bonne musique, mais il y a un mauvais ballet. Le parterre est
+désert et le public est mécontent, mais toutes ces loges ont été
+prises par abonnement, parce que le roi l'a désiré. On dit que le
+roi y dépense 400,000 francs et qu'ils ne couvrent pas les frais.
+Mais M. de Bruyère, directeur du spectacle, avait trouvé que les
+Allemands, mauvais observateurs des règles de l'unité, changeaient
+trop souvent de décorations.</p>
+
+<p>La raideur des habitants de Cassel, leur peu d'empressement à
+construire des maisons et leur avidité à hausser le prix des loyers
+avaient déplu au roi. Pour les en punir, sur le conseil de M. le
+général d'Albignac, on y a mis en garnison deux régiments, outre la
+garde, qui est déjà assez nombreuse. Il en résulte que les habitants
+sont écrasés et que les loyers ont renchéri. Cependant on a exempté
+d'imposition et de logement de gens de guerre les maisons nouvelles
+qui seraient bâties, et il est question de renvoyer les régiments.</p>
+
+<p>Les foires sont un élément assez important du commerce d'Allemagne.
+<span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> Les époques où elles ont lieu dans les différentes villes
+sont combinées. De Brunswick, les marchands vont à Cassel, de Cassel
+à Francfort, de Francfort à Leipzig. Malgré l'absence de la cour, la
+dernière foire de Cassel a été assez fréquentée et les marchands
+n'ont pas été mécontents de leurs ventes. Mais ces marchands, malgré
+le débit qu'ils ont trouvé, jurent de n'y point revenir. C'est que
+tous leurs profits sont absorbés par les impôts, mis d'abord pour le
+roi, ensuite pour la ville, enfin et surtout pour M. de Bercagny.</p>
+
+<p>M. de Bercagny ne néglige aucun petit profit. Tous les joueurs de
+vielle, les aveugles, joueurs de violon sont obligés de lui payer
+quatre sols par jour, et la musique des rues ne désempare pas. Les
+meneurs d'ours et de singes sont de plus assujettis au droit de
+patentes. Il y a eu dernièrement au conseil d'État une grave
+discussion de plusieurs heures sur tous ces objets d'industrie.</p>
+
+<p>Un misérable pamphlet sur le duc d'&OElig;ls, écrit en style de
+gargotte, est colporté par une vieille femme à Brunswick. Le général
+Bongars en fait une conspiration: il en importune le roi jusque dans
+Paris et provoque toute sa sévérité. Il arrache à la faiblesse de M.
+Siméon un projet de décret sur les cartes de sûreté.</p>
+
+<p>Il s'agit de donner de la considération aux gendarmes. Un gendarme
+abuse de son pouvoir à G&oelig;ttingue: on lui sacrifie l'Université,
+et quatre cents étudiants étrangers la quittent. Cependant, il y a
+peu de jours, un gendarme passa la mesure à Marbourg. Il perce de
+son sabre un conscrit qui fumait et qui n'avait pas obéi assez vite
+au commandement d'ôter sa pipe. Il paraît qu'on a l'intention de
+faire fusiller le meurtrier, mais il y a conflit de juridiction, et
+l'on ne sait pas encore qui l'emportera de M. Siméon ou de M. le
+général d'Albignac. On m'a dit que M. Siméon avait adressé
+dernièrement au roi un rapport très véhément contre MM. d'Albignac
+et Bongars. C'est peut-être un malheur que M. Siméon ait perdu
+beaucoup de sa considération. Il paraît que son influence se
+trouvera à peu près circonscrite dans les fonctions de son
+ministère.</p>
+
+<p>Le roi a écarté M. de Marinville de son cabinet. On dit qu'il a
+trouvé des infidélités à lui reprocher. M. de Norvins a demandé et
+obtenu son congé. C'est un homme d'esprit et de talent, mais d'une
+vanité et d'une prétention excessives. On assure que dans cette
+occasion le roi a énoncé une maxime qui me paraîtrait très
+dangereuse. Il ne veut, dit-on, avancer que des Français qui, ne
+tenant plus à la France par aucun lien, lui soient entièrement
+attachés et ne puissent attendre leur fortune que de sa protection.
+Ce serait vouloir n'attirer en Westphalie que des aventuriers, et
+nous n'en manquerons point; c'est la maxime contraire qu'il serait à
+désirer que le roi suivit.</p>
+
+<p>Ceux qui sont revenus de Paris, et quelques autres dont on annonce
+<span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> le retour prochain, ne paraissent pas avoir été satisfaits
+de leur voyage. On cite quelques mots de Sa Majesté Impériale sur le
+luxe des habits, sur la rapidité des avancements. Ces mots ont
+retenti à Cassel. Qui les aurait dits ici aurait été accusé de
+mécontentement ou d'envie. Cependant, tous les Allemands aiment M.
+Siméon, tous les Allemands regrettent amèrement la perte du général
+Éblé. Qu'ils voient à côté du roi des Français dignes de l'estime et
+de la confiance, et capables de quelque indulgence pour les
+habitudes nationales, et ils les porteront aux nues.</p>
+
+<p>Je n'ai point encore parlé à Votre Excellence de M. Pichon. Il
+s'occupe beaucoup de l'étude des finances du pays: il énonce
+quelquefois au conseil d'État des idées saines et qui porteront
+fruit. Mais il ne doit pas trop se presser; il a le désir du bien,
+mais il est jeune, il est vif, quelquefois tranchant, et il manque
+encore d'expérience.</p>
+</div>
+
+<p>On voit par le tableau tracé dans cette lettre que l'Empereur était
+parfaitement au courant de ce qui se passait en Westphalie à tous
+les points de vue. Le bulletin suivant du 19 mai 1810 est relatif
+aux intrigues du trop célèbre marquis de Maubreuil avec la baronne
+de Keudelstein.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Avant-hier, la poste de Cassel a distribué des lettres qu'on dit au
+ nombre de seize, timbrées de Paris et renfermant une <i>Épître à
+ Blanche</i>. Parmi les personnes qui ont reçu cet envoi se trouvent le
+ préfet de la police, M<sup>me</sup> la comtesse de Furstenstein, le ministre
+ de France et son secrétaire de légation, M<sup>me</sup> la comtesse de
+ Sch&oelig;nbourg, amie de Blanche, enfin Blanche elle-même et son mari,
+ M. Laflèche, baron de Keudelstein, qui, heureusement, se trouvait en
+ voyage.</p>
+
+<p>Il est inutile de caractériser cette production qui se trouve jointe
+ à ce bulletin. Elle est calomnieuse en toute hypothèse et elle ne
+ peut inspirer que de l'indignation.</p>
+
+<p>Quant à l'auteur de ces envois, les soupçons ne peuvent se porter
+ que sur un M. de Maubreuil, amant de Blanche ou de Jenny, sa
+ belle-s&oelig;ur, ou de toutes les deux. On prétend que l'auteur des
+ envois ne peut être celui des vers, puisque M. de Maubreuil n'en
+ fait point. On soupçonne un M. de Boynest, aide des cérémonies
+ renvoyé par le roi; mais on dit que s'il fait des vers il en fait de
+ plus mauvais que ceux de l'épître. On se souvient que M. de Norvins
+ en fait d'assez bons; mais on le croit trop homme de bien pour
+ prostituer son talent dans une pareille circonstance. «<i>L'indigne
+ amant de ta s&oelig;ur</i>,» c'est M. de Courbon. Pendant le carnaval
+ passé, dans un des bals de la cour, lorsque tout le monde se fut à
+ peu près déjà retiré, M. de Maubreuil, qui était alors officier aux
+ gardes, fit une scène publique à M. de Courbon, en lui reprochant sa
+ liaison avec M<sup>me</sup> Jenny Laflèche. Son emportement ayant passé
+ <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span> toutes les bornes de la décence, le colonel Laville,
+ chargé de la police du palais, le mit aux arrêts; le duel qui devait
+ s'ensuivre fut empêché par ordre supérieur, et M. de Maubreuil reçut
+ pour voyager un congé indéfini, équivalant à une démission. On
+ prétend que ce M. de Maubreuil qui, d'ailleurs, ne manque pas de
+ courage, est un terrible amant, et qu'il avait pour coutume de
+ s'introduire le sabre en main chez quiconque osait adresser la
+ parole aux dames qui étaient ou qu'il lui prenait fantaisie de
+ déclarer ses maîtresses.</p>
+
+<p>Le prince Repnin avait fait venir de Iéna le docteur Starke, pour
+ accoucher sa femme. En arrivant, il trouva d'abord à accoucher M<sup>lle</sup>
+ Delaitre, actrice du théâtre westphalien. Il se trouva ensuite
+ pressé de partir pour accoucher M<sup>lle</sup> Jægermann, actrice du théâtre
+ de Weimar. On prétend que les deux petits princes des deux actrices
+ sont d'une plus noble extraction que le petit prince russe.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> Blanche ne sort point depuis qu'elle est revenue de Paris. Elle
+ avait annoncé qu'elle resterait chez elle pendant deux mois. <i>Et
+ c'était avant la lettre!</i></p>
+</div>
+
+<p>Dans une autre lettre au duc de Cadore, du 26 mai, Reinhard revient
+sur la pénurie des finances westphaliennes. «La dette publique de la
+Westphalie, écrit-il, sans y comprendre celle du Hanovre, monte,
+telle qu'elle est à peu près constatée, à 93 millions; celle du
+Hanovre, les répétitions à faire au nom de S. M. l'Empereur, la
+feront monter à 180 au moins; et, le Hanovre compris, les revenus du
+royaume de Westphalie ne pourront jamais être portés beaucoup au
+delà de 40 millions.» Et il ajoute:</p>
+
+<p class="lettre">Sans parler de ce que, dans les circonstances actuelles, tant de
+ sources de profits et de revenus sont obstruées, l'État, toujours
+ pressé par des besoins impérieux, ne peut rien faire pour soulager
+ ceux qu'il voit dans la détresse; il est même obligé de revenir sur
+ des soulagements qu'il avait annoncés, et toute sa ressource est
+ dans les efforts qu'il fait pour répartir également le fardeau.
+ C'est ainsi qu'après avoir reconnu qu'il valait infiniment mieux
+ payer par abonnement les frais de table des officiers; après avoir
+ assigné 1,200 francs par mois au général de division, 700 au général
+ de brigade, 60 au capitaine et 50 au lieutenant, on a réparti sur la
+ totalité du département de l'Elbe des dépenses qui, pour la seule
+ ville de Magdebourg où trois cents maisons restent désertes, montent
+ par mois à 22,000 francs. On sera obligé d'employer le même
+ expédient à Brunswick, où le préfet a déclaré que les frais de
+ logement et d'entretien des gens de guerre amèneraient
+ l'impossibilité absolue de payer les impôts ordinaires. C'est ainsi
+ qu'après un décret royal qui proclame une amnistie pour les
+ conscrits réfractaires dont le nombre <span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> avait été très grand
+ pendant les troubles de l'année passée, le général d'Albignac,
+ annonçant aujourd'hui que cette amnistie s'applique aux peines et ne
+ s'étend pas aux amendes, exige de ceux mêmes qui sont rentrés sous
+ les drapeaux ces amendes qui, pour les seuls districts de la Fulde
+ et de Paderborn, montent à la somme de 323,000 francs. Encore ces
+ amendes sont-elles exigées d'après l'ancien tarif qui en fixait le
+ minimum à 250 francs, tandis que le nouveau tarif l'a fixé à 100,
+ après qu'on eût reconnu l'impossibilité de faire payer une plus
+ forte somme à des paysans pauvres et ruinés.</p>
+
+<p>Reinhard termine cette lettre en rappelant les éloges que certaines
+feuilles publiques «et surtout les gazettes littéraires de
+G&oelig;ttingue et de Halle très répandues en Allemagne» donnaient au
+roi pour tout le bien qu'il avait fait à ces universités:</p>
+
+<p class="lettre">Leist me disait dernièrement: «C'est par l'université de
+ G&oelig;ttingue et par l'éclat qu'ils lui ont donné, que Georges II et
+ son ministre, M. de Münchhausen, ont acquis l'estime dont ils
+ jouissaient auprès de leurs contemporains et qui a été transmise à
+ la postérité.» Pour ce qui concerne M. de Münchhausen,
+ l'établissement de l'université de G&oelig;ttingue faisait l'occupation
+ de sa vie entière; pour Georges II, les contemporains et la
+ postérité l'ont sans doute jugé d'après d'autres données encore;
+ mais il n'en est pas moins vrai que ce que le Roi a fait pour
+ G&oelig;ttingue remplit une des pages les plus honorables et les plus
+ ineffaçables de son histoire.</p>
+
+<p>Une lettre au duc de Cadore du 4 juin donne des détails sur la
+répugnance des Hanovriens à fournir des soldats au roi de
+Westphalie. Reinhard pense qu'il «faudra user de quelques
+précautions pour amener à se soumettre une population qui s'obstine
+à ne point renoncer à l'espérance de rentrer sous la domination
+anglaise.» Il annonce, d'après le n<sup>o</sup> 66 du <i>Moniteur Westphalien</i>,
+une nouvelle vente de 6 couvents dont la valeur était estimée à
+2,200,000 francs. «Après les couvents viendra le tour des chapitres;
+en attendant, ce sont les capitaux qui s'en vont, et la caisse des
+économats restera bientôt à sec.»</p>
+
+<p>Le 12 juin, il revient sur cette grave question des finances
+westphaliennes:</p>
+
+<p class="lettre">Un décret royal daté de Rouen<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a><a href="#footnote133" title="Lien vers la note 133"><span class="smaller">[133]</span></a> met à la disposition du ministre
+ des finances une somme de 250,000 fr. à prendre sur le produit de la
+ <span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> vente prochaine des couvents et à négocier en attendant à
+ un demi pour cent par mois et à un pour cent de commission pour
+ servir à l'indemnité des donataires impériaux dépossédés auxquels
+ s'applique l'article 5 du traité du 14 janvier. L'emploi de cette
+ somme ne peut avoir pour objet que de leur payer les revenus
+ arriérés; et cette disposition ne saurait être regardée comme un
+ arrangement définitif. Du reste, M. de Bulow exprime dans ses
+ dernières lettres son regret extrême d'avoir échoué dans l'ensemble
+ de son projet concernant l'acquisition des domaines impériaux. Mais
+ il lui reste toujours la ressource d'allécher les grands donataires
+ par sa fidélité à s'acquitter de ses engagements envers ceux de
+ 4,000 fr. et au-dessous; et, sous ce rapport, le refus de céder à la
+ Westphalie la totalité des domaines me paraît être un bienfait pour
+ les possesseurs des petites donations.</p>
+
+<p>Le lendemain, il revenait sur le même sujet:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je viens de recevoir la visite de M. Malchus et je lui fais une
+ amende honorable. Nous avons causé longtemps ensemble et j'en ai été
+ fort content.</p>
+
+<p>Il m'a d'abord donné des éclaircissements satisfaisants sur tous les
+ objets de réclamation relatifs à son administration. Le solde de ce
+ qui nous revenait sur les postes et sur les douanes a été
+ entièrement réglé et acquitté, sans même que l'administration
+ française ait eu besoin de faire usage de la lettre que je lui avais
+ écrite. Il m'a expliqué ce qui pouvait avoir donné lieu aux
+ prétentions des fermiers dont parlait votre lettre du 8 mai. Pour
+ les charges extraordinaires de guerre les fermiers avaient été
+ imposés à un tiers et les propriétaires à deux tiers. Après la prise
+ de possession du Hanovre le gouvernement westphalien déchargea les
+ domaines et laissa à la charge des fermiers le tiers, comme un impôt
+ personnel qui ne peut ni ne doit être à celle des donataires. Quant
+ aux fonds destinés à l'entretien des troupes françaises, cet objet
+ aussi, d'après l'attestation même de M. le général Brugères, paraît,
+ pour le moment, entièrement en règle.</p>
+
+<p>M. Malchus m'a entretenu de l'état du pays et de l'esprit de ses
+ habitants. Il croit entrevoir encore des ressources qui ne
+ permettent pas de désespérer de son rétablissement. L'esprit de la
+ noblesse et des classes qui tenaient immédiatement à elle par un
+ intérêt commun lui paraît incorrigible; en effet ce sont des
+ souverains détrônés.</p>
+
+<p>De deux projets de division territoriale que M. Malchus avait
+ envoyés au Roi, S. M. a approuvé celui que M. Malchus préférait
+ lui-même, et il croit que cette approbation a été donnée sous les
+ auspices de S. M. Imp. On a essayé de lever par enrôlement
+ volontaire les deux régiments de cavalerie que M. le général
+ Hammerstein est chargé d'organiser dans le Hanovre; mais on doute
+ que ce mode réussisse; et il faudra plus tard avoir recours à la
+ conscription.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> La lettre suivante, du 9 juillet, est relative à
+l'abdication du roi Louis de Hollande:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>La nouvelle de l'abdication de Sa Majesté le Roi de Hollande m'a été
+ donnée par le ministre de Russie dont le collègue à Amsterdam avait
+ chargé d'une lettre pour le Prince Repnin le courrier qu'il
+ expédiait pour Saint-Pétersbourg. La veille, M. de Bercagny était
+ venu m'en parler comme d'un bruit qui se répandait, et plutôt pour
+ sonder la légation française, si elle en était déjà instruite, que
+ pour lui communiquer franchement les circonstances de cet événement
+ qui était déjà parvenu à sa connaissance.</p>
+
+<p>En effet, M. de Gilsa, ministre de Westphalie en Hollande, avait
+ envoyé M. de Trott, son secrétaire de légation, chargé de ses
+ dépêches et porteur des proclamations qui ont été publiées dans
+ cette circonstance. M. Hugot l'avait sur-le-champ envoyé au-devant
+ du Roi; mais M. de Trott lui avait raconté le fait. J'ai été, je
+ l'avoue, peiné de cette réserve mal entendue qui m'exposait à
+ apprendre un événement de cette nature par le canal du ministre de
+ Russie qui, au reste, lui-même ne paraît l'avoir appris que par
+ quelques lignes écrites à la hâte et ne renfermant aucun détail.</p>
+
+<p>Il paraît que Sa Majesté Westphalienne avait fait préparer, il y a
+ déjà quelque temps, un appartement aux bains de Neudorf, pour le Roi
+ de Hollande. Quoiqu'on soit convaincu ici que le projet de se rendre
+ aux bains de Neudorf n'avait rien de commun avec la résolution que
+ Sa Majesté Hollandaise a prise depuis, on croit cependant à la
+ possibilité de son exécution. On parle d'une visite que Madame mère
+ se propose de faire à son fils à Cassel. Les gens sensés voient avec
+ douleur que des conseils maladroits ou perfides aient empêché le Roi
+ de Hollande de concilier avec Sa Majesté Impériale le désir qu'il
+ avait de faire le bien de son royaume; ils regardent comme un grande
+ erreur de l'esprit la prétention de vouloir s'isoler dans une lutte
+ générale; ils pensent que dans un vaste plan de campagne, chacun
+ doit garder le poste qui lui est assigné; que s'écarter des idées
+ directrices, c'est compromettre le succès de l'ensemble; et que le
+ pouvoir qui méconnaîtrait sa source serait un effet qui ne voudrait
+ pas dépendre de sa cause. M, de Trott inculpe les conseils de MM.
+ Mollerus et Huygens. Ce dernier est un esprit étroit qui, se noyant
+ dans de petits détails, est peu capable de s'élever à des idées
+ générales. J'avoue que je le croyais peu susceptible de prédilection
+ pour un système quelconque, et encore moins la présomption téméraire
+ d'influer sur une détermination importante.</p>
+</div>
+
+<p>La lettre suivante, du 13 juillet, se rapporte au même objet:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je venais d'achever ma dépêche que je me proposais de faire partir
+ <span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> aujourd'hui par le courrier ordinaire, lorsque le Roi m'a
+ envoyé M. le baron de Boucheporn, maréchal de sa cour, pour
+ m'inviter à me rendre au nouveau bâtiment des écuries où je
+ rencontrai Sa Majesté qui désirait de me parler. M. de Boucheporn
+ revenait d'Amsterdam par Deventer et Osnabruck; il venait de
+ descendre de voiture et de rendre compte au Roi de son voyage.</p>
+
+<p>Sa Majesté, m'ayant aperçu, me fit l'honneur de m'appeler, et me
+ permettant de l'accompagner dans sa promenade, me dit qu'Elle avait
+ envoyé M. de Boucheporn d'Aix-la-Chapelle à Amsterdam, pour porter
+ au Roi, son frère, une lettre contenant une commission que Sa
+ Majesté l'Empereur lui avait donnée, et dont il était inutile de me
+ parler, puisqu'Elle avait déjà envoyé la copie de cette lettre à Sa
+ Majesté Impériale; que M. de Boucheporn avait trouvé le Roi parti,
+ et qu'il était parti lui-même d'Amsterdam après le retour de M. le
+ colonel Richerg que le Roi son frère avait envoyé à l'Empereur pour
+ lui donner connaissance de son abdication; qu'en route il avait eu
+ des nouvelles du voyage du Roi à Deventer et à Osnabruck, d'où il
+ s'était rendu directement à Cassel, et que tous les renseignements
+ qu'il avait recueillis semblaient indiquer que le Roi de Hollande
+ s'était embarqué.</p>
+
+<p>M. de Boucheporn a raconté à Sa Majesté les détails suivants: le Roi
+ avait fait jusqu'à onze heures du soir une partie de jeu avec
+ quelques dames, parmi lesquelles était madame de Huygens: en se
+ levant il leur avait dit adieu avec une expression qui ne les a
+ frappées qu'après l'événement. Après avoir embrassé son fils, il
+ monta dans une voiture de place, pour se rendre à Amsterdam. Arrivé
+ à son palais, il fit le triage de ses papiers; il en brûla beaucoup,
+ il en emporta d'autres; il emporta aussi ses ordres, excepté celui
+ de France, et il écrivit sa démission de la dignité de connétable.
+ Personne (c'est du moins ce dont M. de Huygens a chargé M. de
+ Boucheporn d'assurer Sa Majesté) n'avait été mis dans le secret. Le
+ Roi doute même si M. Mollerus, qui est ici, a pu être instruit de
+ quelque chose par son père.</p>
+
+<p>À Osnabruck, la trace du voyage ultérieur semble se perdre. Le Roi a
+ envoyé un courrier à Neudorf pour s'assurer positivement si son
+ frère est arrivé; mais il lui paraît impossible que, si cela était,
+ on eût ignoré à Cassel un fait qui ne pouvait plus être caché depuis
+ que l'officier qui courait après avait publié que le comte de
+ Saint-Leu, c'était le Roi de Hollande.</p>
+
+<p>Sa Majesté ne m'a point dit sur quels renseignements se fonde la
+ crainte où elle paraît être que son frère ne se soit embarqué.
+ Lorsque M. Boucheporn passa par Osnabruck, on devait y savoir déjà,
+ par le retour des postillons, si la direction que la voiture a prise
+ la rapprochait <span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> ou l'éloignait des bords de la mer. Je dois
+ ajouter que le Roi m'a nommé Batavia et qu'il a paru se rappeler que
+ les pensées de son frère se portaient quelquefois vers cette colonie
+ éloignée.</p>
+
+<p>Voilà, Monseigneur, les notions que Sa Majesté m'a commandé de
+ transmettre à Votre Excellence. Elle se propose d'adresser, demain
+ ou après-demain, un courrier à Sa Majesté Imp. Ce courrier suivra de
+ près le mien, et portera la confirmation entière de ce qui ne paraît
+ déjà guère douteux, que Sa Majesté Hollandaise ne s'est point rendue
+ à Neudorf.</p>
+</div>
+
+<p>En apprenant le départ du roi de Hollande et en recevant copie de la
+lettre que son frère Jérôme lui avait adressée, Napoléon écrivit à
+ce dernier le 13 juillet, de Rambouillet, la lettre suivante, omise
+aux <i>Mémoires de Jérôme</i> et à la <i>Correspondance</i> de l'Empereur:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, j'ai reçu votre courrier. Je vous remercie des
+ communications que vous me faites. Votre lettre au Roi de Hollande
+ est fort, bien, et vous avez bien exprimé ma pensée. Je ne crains
+ qu'une chose pour le Roi; c'est que tout cela ne le fasse passer
+ pour fou, et il y a dans sa conduite une teinte de folie. Si vous
+ apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à
+ revenir à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre
+ la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait
+ entrevoir d'Amsterdam que le Roi pourrait se rendre en Amérique, et
+ qu'il s'est procuré à cet effet un passeport par un officier qu'il
+ aurait envoyé à Londres. S'il vous est possible de vous opposer à ce
+ projet insensé, même par la force, faites-le. J'ai envoyé Lauriston
+ prendre le grand duc de Berg à Amsterdam pour le ramener à Paris.</p>
+
+<p><i>P. S.</i> La famille avait besoin de beaucoup de sagesse et de bonne
+ conduite. Tout cela ne donnera pas d'elle une bonne opinion en
+ Europe. Heureusement que j'ai tout lieu de penser que l'Impératrice
+ est grosse.</p>
+</div>
+
+<p>N'osant pas recevoir dans ses États le Roi Louis, sans en avoir reçu
+l'autorisation de Napoléon, Jérôme écrivit à ce dernier de
+Napoléonsh&oelig;he, le 28 juillet 1810:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, j'ai reçu hier soir les premières nouvelles du roi de Hollande
+ contenues dans deux lettres, l'une du 16 et l'autre du 21 juillet.</p>
+
+<p>Dans la première, il me dit que non seulement son intention n'a pas
+ été en abdiquant de se soustraire à l'autorité de Votre Majesté,
+ mais au contraire qu'il désire savoir si vous lui permettez d'aller
+ vivre en particulier à Saint-Leu. Je prie Votre Majesté de me faire
+ connaître ses intentions afin que je puisse lui répondre à ce sujet.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> Dans la seconde, il m'exprime le désir de vendre pour cinq
+ cent mille francs de diamants qu'il possède, ce qui prouve qu'il est
+ loin d'avoir emporté beaucoup d'argent. Comme il m'est impossible de
+ disposer d'une pareille somme, je ne pourrai que lui répondre
+ négativement.</p>
+
+<p>Dans le cas où Votre Majesté trouverait convenable qu'il retournât à
+ Saint-Leu, après la saison des eaux, approuvera-t-elle que je
+ l'engagea passer par Cassel?</p>
+
+<p>Je compte partir dans trois jours avec la reine pour Hanovre où
+ j'espère recevoir la réponse de Votre Majesté.</p>
+</div>
+
+<p>Jérôme partit le 31 juillet de Cassel pour se rendre à Hanovre et
+visiter les nouvelles provinces annexées à son royaume. D'après une
+lettre de Reinhard, du 3 août, il paraît y avoir reçu un bon
+accueil. Il célébra la fête de l'empereur à Hanovre même, et le
+lendemain le roi écrivait à son frère:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je suis arrivé avant-hier à Hanovre de mon retour des côtes;
+ le pays que j'ai parcouru est susceptible de grands accroissements
+ sous le rapport du commerce; un canal pour joindre l'Elbe et le
+ Weser pourra être commencé et fini dans trois années. La position de
+ mes États me rend entièrement maître du commerce de ces deux
+ fleuves, et l'Oste et la Gueste peuvent, avec quelques travaux,
+ recevoir et abriter même pendant l'hiver des bâtiments de cinq cents
+ tonneaux et des frégates. La position de Cuxhaven permet d'en faire
+ un port très essentiel, surtout pendant l'hiver; il peut avec
+ quelques dépenses offrir un refuge à une frégate, mais j'observe à
+ Votre Majesté qu'il faut une année de travail.</p>
+
+<p>J'ai passé en revue à Wenden les 2<sup>e</sup> et 9<sup>e</sup> de cuirassiers, à
+ Lunebourg le 3<sup>e</sup> et à Hanovre le 12<sup>e</sup>. Il est impossible, Sire, de
+ trouver une division mieux tenue pour les hommes ainsi que pour les
+ chevaux. J'ai été reçu par ces braves gens avec enthousiasme. Je les
+ ai fait man&oelig;uvrer.</p>
+
+<p>J'ai également passé la revue d'une de mes brigades d'infanterie;
+ elle était forte de 4,500 hommes. Ils se conduisent très bien et
+ sont tous fiers de se trouver les compagnons des Français, avec
+ lesquels ils vivent en frères. Le service, d'après le rapport du
+ général Morand, se fait avec exactitude et aucun homme ne déserte.</p>
+
+<p>Je ne puis assez supplier Votre Majesté de diminuer les troupes
+ françaises. Je sais bien, Sire, qu'il est de toute justice que ces
+ troupes soient dans mes États puisque c'est la teneur du traité,
+ aussi ce n'est que comme une faveur que je fais cette demande à
+ Votre Majesté, et surtout d'après l'état d'épuisement où je vois le
+ pays.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté d'agréer avec bonté l'expression de mon tendre
+ et inviolable attachement.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> Les trois lettres suivantes, des 24, 28 et 30 septembre,
+mentionnent la démission du général d'Albignac, ministre de la
+guerre, qui venait, quelques mois auparavant, de remplacer le
+général Eblé. Cette démission, offerte avec l'espoir qu'elle serait
+refusée, fut acceptée sur-le-champ, et le général Salha nommé à la
+place d'Albignac. Reinhard trace le portrait suivant du nouveau
+ministre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, le 30 septembre 1810.</p>
+
+<p>Il me paraît certain que parmi les Français qui sont à son service
+ en Westphalie, le Roi n'aurait pas pu faire un meilleur choix que
+ celui de M. le général Salha. C'est un homme d'un jugement mûr et
+ solide, d'un caractère ferme, et qui se distinguait à la cour par la
+ dignité de sa conduite. Il y paraissait plus estimé qu'aimé,
+ quoiqu'il porte dans sa physionomie et dans ses yeux quelque chose
+ qui invite à l'attachement. Pour ce qui concerne ses talents
+ administratifs, il faut l'attendre à l'épreuve. Il y a peu de temps
+ qu'ayant fait l'acquisition de la terre de H&oelig;ne, le Roi lui
+ accorda des lettres patentes de comte.</p>
+</div>
+
+<p>Le nouveau ministre de la guerre allait, comme tous ses
+prédécesseurs, se trouver en face d'une situation financière fort
+compromise. Le même jour, 2 octobre, Champagny écrivait à ce propos
+à Reinhard deux lettres fort pressantes; il réclamait surtout
+impérieusement le paiement de l'arriéré de solde dû aux troupes
+françaises que la Westphalie devait entretenir. Reinhard s'empressa
+d'aller trouver les ministres, et, dans une dépêche du 8 octobre, il
+rend compte au duc de Cadore de son entrevue avec eux:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je leur ai dit que toute réponse autre que celle qui énoncerait les
+ mesures prises pour acquitter sur-le-champ les sommes qui restent
+ dues serait un <i>non</i>. Ils m'ont assuré que sur le budget de 747,000
+ francs par mois, pour l'entretien des troupes françaises, 600,000
+ francs avaient constamment été payés: qu'ainsi l'arriéré pour six
+ mois n'allait pas à un million. Cependant il résulte du tableau
+ ci-joint des dépenses faites pour le ministère de la guerre sous
+ l'administration du général d'Albignac que pendant ces six mois, sur
+ 5,231,044 francs qui auraient dû être payés, il n'a été payé que
+ 3,617,409 francs. Ce qui laisserait un déficit de 1,613,687 francs.</p>
+
+<p>Votre Excellence me rend la justice de croire que je n'ai rien
+ négligé pour obtenir que cet objet fût mis entièrement en règle.
+ Aussi en sentais-je toute l'importance. La réception de vos lettres,
+ aussi pressantes que multipliées, a été suivie immédiatement de la
+ transmission par écrit de vos réclamations au ministre des relations
+ extérieures, et <span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> quelquefois en même temps au ministre de
+ la guerre directement. En outre j'ai saisi toutes les autres
+ occasions qui se présentaient pour entretenir de vive voix et ces
+ deux ministres et celui des finances. M. le général d'Albignac me
+ disait encore en partant que c'était sur ce budget de 747,000
+ francs, si le ministre des finances l'avait payé en entier, qu'il
+ avait espéré de faire des économies pour payer 100,000 fr.
+ d'à-compte pour la solde arriérée des troupes westphaliennes en
+ Espagne; comment se ferait-il donc, s'il était vrai qu'on eût payé
+ sur ce budget 600,000 francs par mois, que la solde des troupes
+ françaises en Westphalie soit arriérée de près de quatre mois? Mais
+ la preuve qu'on n'a payé qu'environ 517,000 francs par mois est dans
+ le tableau des dépenses du général d'Albignac.</p>
+
+<p><i>À dix heures du soir</i>, M. le comte de Bulow s'était fait annoncer
+ chez ma femme, sans doute pour être présent lorsque la réponse du
+ gouvernement westphalien me serait apportée. Je l'ai reçue. J'ai
+ conduit M. de Bulow dans mon cabinet, et je l'ai lue devant et avec
+ lui. M. de Bulow m'a dit qu'il ne doutait pas que Sa Majesté
+ Impériale y verrait la bonne volonté du Roi; que faire quelque chose
+ au-delà était absolument impossible; que ce qu'on promettait de
+ faire était d'une difficulté extrême; mais qu'il en avait calculé la
+ possibilité et qu'il en répondait. J'ai dit à M. de Bulow que
+ j'allais la transmettre telle que je la recevais, et qu'il dépendait
+ de Sa Majesté Imp. de décider si elle renfermait un <i>oui</i> ou un
+ <i>non</i>.</p>
+
+<p>«Mais comment, a dit M. de Bulow, nous payons et nous payons tout,
+ et Sa Majesté Impériale ne nous demande que cela.»&mdash;«Elle vous
+ demande de payer sur-le-champ le mois tout en entier, tous les mois
+ suivants en entier.»&mdash;«Mais payer sur-le-champ l'arriéré serait
+ impossible, sans faire manquer les services suivants et encourir de
+ nouveau le mécontentement de l'Empereur.»&mdash;«Puisqu'il ne s'agit que
+ d'un million, pourquoi ne l'empruntez-vous pas, et même
+ provisoirement sur les budgets des ministères?»&mdash;«Nous ne pouvons
+ pas emprunter, personne ne veut nous prêter; et emprunter sur les
+ budgets des ministres ce serait désorganiser tous les
+ services.»&mdash;«Sa Majesté l'Empereur vous a fait déclarer, dès le mois
+ d'avril, que le trésor public de France ne ferait aucune avance pour
+ cette dépense. En laissant en arrière un million ce serait donc le
+ trésor public de France qui serait obligé de faire l'avance.
+ Croyez-vous que Sa Majesté Impériale reviendra sur une détermination
+ qu'Elle a prise?»&mdash;«Le trésor de France n'aura besoin de faire
+ aucune avance. Les troupes ont reçu la moitié de leur solde échue.
+ Elles vont recevoir la solde entière des mois suivants: elles sont
+ logées, nourries, habillées; un arriéré de la solde de six mois et
+ plus est presque d'usage, même en France. Je vous proteste que les
+ troupes sont et seront contentes.»&mdash;«Enfin, <span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> M. le comte,
+ c'est à Sa Majesté Impériale à prononcer. Mais en toute hypothèse,
+ gare l'inexactitude à remplir les engagements solennels que vous
+ contractez pour l'avenir!»</p>
+
+<p>Je n'ai rien à ajouter, Monseigneur, pour l'engagement de payer
+ cette dette, sans objection, sans réserve, le oui est positif; mais
+ c'est un million qui reste en arrière.</p>
+</div>
+
+<p>Cependant un autre désastre menaçait le royaume de Westphalie.
+L'empereur ayant échoué dans toutes ses intentions de paix avec
+l'Angleterre revint résolu de ne s'en rapporter qu'à sa puissance
+pour la stricte observation du blocus continental, cette mesure
+pouvant, d'après lui, amener la Grande-Bretagne à merci. Il décida
+donc qu'il annexerait à la France non seulement la Hollande, mais
+aussi les embouchures des principales rivières du Nord, la majeure
+partie du Hanovre et un peu de la Westphalie, en donnant à son frère
+de ridicules compensations territoriales.</p>
+
+<p>Le duc de Cadore lui remit le 11 octobre 1810 une note qui se trouve
+<i>in extenso</i> à la page 491 du 4<sup>e</sup> volume des <i>Mémoires de Jérôme</i>;
+et quelques jours plus tard, le 25 octobre 1810, après avoir reçu
+les ordres de l'empereur, il fit tenir au ministre du roi de
+Westphalie à Paris la note suivante dont il envoya le même jour une
+copie à Reinhard avec la courte lettre qui la précède:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'adresse aujourd'hui à M. le comte de Wintzingerode, par ordre
+ exprès de Sa Majesté, la lettre dont je joins ici copie.</p>
+
+<p>Vous direz à M. le comte de Furstenstein qu'il recevra par le
+ Ministre du Roi à Paris la réponse à la note qu'il vous avait
+ remise. Vous ne lui cacherez point que vous en avez connaissance; et
+ si elle ne lui était pas encore parvenue, vous lui feriez lire la
+ lettre que j'ai l'honneur de vous adresser et qui est cette réponse.</p>
+
+<p>Vous répéterez à M. le comte de Furstenstein ce que j'ai écrit à M.
+ de Wintzingerode, que le Roi peut toujours continuer d'administrer
+ le Hanovre; mais que l'Empereur ne se tient plus pour engagé<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a><a href="#footnote134" title="Lien vers la note 134"><span class="smaller">[134]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p>Note à M. le Comte de Wintzingerode, ministre de Sa Majesté le roi
+de Westphalie. Cette note a été soumise à l'approbation de
+l'empereur; la dernière phrase soulignée est de la main de Sa
+Majesté.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je me suis empressé de porter à la connaissance de Sa Majesté
+ <span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> l'Empereur et Roi la note en date du 6 de ce mois par
+ laquelle Votre Excellence demande au nom de sa cour que l'acte
+ dressé le 11 mars pour la remise du Hanovre soit approuvé et
+ confirmé par Sa Majesté Impériale et Royale.</p>
+
+<p>Deux articles de cet acte, l'un relatif à l'entretien des troupes
+ françaises en Westphalie, l'autre concernant les domaines réservés
+ dans le Hanovre et les revenus de ces domaines, ayant été rédigés de
+ manière à paraître susceptibles d'une interprétation abusive et
+ totalement contraire à l'esprit du traité de Paris, Sa Majesté
+ voulut être rassurée par des déclarations positives et précises
+ faites au nom du Roi, déclarations que je fus chargé de demander et
+ qui furent aussi demandées par le ministre de Sa Majesté à Cassel.</p>
+
+<p>Sur le premier objet, la déclaration du gouvernement westphalien ne
+ laissa rien à désirer.</p>
+
+<p>Mais relativement aux domaines, au lieu de déclarer «que leurs
+ revenus devant, pendant l'espace de dix années, à compter du jour de
+ la remise du Hanovre, rester identiquement les mêmes, aucune loi
+ générale ou particulière du royaume de Westphalie, aucun acte du
+ gouvernement westphalien dont l'effet serait de changer la nature
+ des dotations ou d'en diminuer et réduire les revenus, ne pourraient
+ leur être, et ne leur seraient, dans aucun cas, et sous aucun
+ prétexte, appliqués avant l'expiration de ces dix ans,» le ministère
+ westphalien ne s'est exprimé que d'une manière indirecte, en termes
+ vagues et plus propres à confirmer qu'à détruire les craintes que
+ l'article de l'acte de remise avait inspirées; et toutes les
+ instances du ministre de France à Cassel n'ont pu en obtenir une
+ déclaration plus franche et plus conforme à la juste attente de Sa
+ Majesté l'Empereur et Roi.</p>
+
+<p>Pendant que le gouvernement westphalien semblait ainsi vouloir se
+ ménager les moyens d'éluder un de ses principaux engagements, un
+ autre plus essentiel encore n'était pas exécuté.</p>
+
+<p>La solde et les masses des troupes françaises en Westphalie
+ n'étaient pas acquittées. Des réclamations multipliées et presque
+ journalières lui ont été adressées et l'ont été sans fruit. Loin de
+ satisfaire à un engagement qu'il devait regarder comme doublement
+ sacré, il n'en promet pas même l'accomplissement. Il n'annonce que
+ l'impuissance absolue où il dit être de le remplir.</p>
+
+<p>Par l'effet de ces deux circonstances, Sa Majesté l'Empereur et Roi,
+ loin de pouvoir approuver et confirmer l'acte de remise du Hanovre,
+ se voit à regret dans la nécessité, non de reprendre et de retirer
+ au Roi l'administration du Hanovre, mais de regarder le traité si
+ avantageux pour la Westphalie, par lequel il lui avait donné ce
+ pays, comme rompu par le fait de la Westphalie elle-même; et <i>en
+ conséquence se <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> croit en droit de disposer à l'avenir du
+ Hanovre comme le voudrait la politique de la France</i>.</p>
+</div>
+
+<p>En lisant cette note comminatoire, le roi Jérôme comprit les
+intentions de son frère. Toutefois, il donna des ordres à ses
+ministres, surtout au comte de Fürstenstein, pour que l'on rassurât
+Reinhard. Ce dernier écrivit le 1<sup>er</sup> novembre au duc de Cadore:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sur l'article de l'identité des revenus des domaines hanovriens
+ pendant dix ans, M. de Furstenstein a protesté que jamais
+ l'intention du gouvernement westphalien n'avait été de tergiverser
+ ou d'éluder; et que la preuve qu'on avait attaché aux termes de sa
+ note du 29 juillet le même sens que je leur avais supposé dans ma
+ note du même jour, était qu'on n'avait pas contredit la mienne. Il a
+ ajouté que sans doute la lettre de Votre Excellence au comte de
+ Wintzingerode affligerait beaucoup le Roi; mais Sa Majesté Impériale
+ le trouverait toujours soumis à ses volontés.</p>
+
+<p>Dans la même conférence, j'ai fait connaître à M. de Furstenstein
+ les intentions de Sa Majesté l'Empereur concernant le titre de
+ colonel-général de la garde westphalienne. Ce ministre m'a répondu
+ qu'en effet il se rappelait que déjà, il y a quatorze ou quinze
+ mois, le Roi en avait eu des indications et qu'il était convaincu
+ que Sa Majesté se conformerait entièrement à cet égard à la manière
+ de voir de Sa Majesté Impériale.</p>
+
+<p>M. de Furstenstein m'a cité aussi quelques traits d'une conversation
+ que vous eûtes, Monseigneur, avec M. le Comte de Wintzingerode et où
+ vous parliez de différentes dépenses du Roi qui paraissent avoir été
+ remarquées comme inutiles ou excessives par Sa Majesté l'Empereur.
+ On a reproché au Roi, m'a dit ce ministre, d'avoir fait restaurer
+ son palais et de vouloir bâtir une ville. Il s'agit d'une rue
+ nouvelle de vingt maisons dont la liste civile ferait les
+ avances.&mdash;Les dépenses, quelles qu'elles soient, a continué M. de
+ Furstenstein, concernent uniquement la liste civile, et sont par
+ conséquent étrangères aux engagements contractés par le trésor
+ public du royaume. Cela est vrai, Monseigneur, cependant la remarque
+ faite par Sa Majesté Impériale ne porte point à faux, puisqu'un peu
+ plus d'économie dans les dépenses de la liste civile, soit celles
+ que Votre Excellence a citées, soit d'autres, aurait dispensé de la
+ nécessité de songer à aliéner une somme de 2,500,000 francs de
+ capitaux, pour payer des dettes urgentes.</p>
+
+<p>J'ai revu hier au soir M. le comte de Furstenstein. Il m'a dit que
+ le Roi avait reçu ma communication avec une résignation entière; et
+ que Sa Majesté répondait directement à Sa Majesté Impériale<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a><a href="#footnote135" title="Lien vers la note 135"><span class="smaller">[135]</span></a>;
+ <span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> qu'à cet effet il expédierait aujourd'hui un courrier dont
+ il m'a invité à profiter.</p>
+</div>
+
+<p>Cependant malgré la détresse des finances, malgré les charges
+nouvelles que les envahissements de l'empire français allaient faire
+peser sur le nouveau royaume, on songeait à y faire de grosses
+dépenses militaires: le roi, frappé des travaux défensifs accomplis
+à Anvers, voulait mettre Cassel, sa capitale, à l'abri d'un coup de
+main en l'entourant de murailles et de larges fossés, qui
+serviraient en même temps comme de réservoir pour recevoir le trop
+plein des eaux de la Fulda. Il avait commencé à grands frais la
+formation d'un camp de troupes westphaliennes. Ce dernier projet
+surtout irrita l'empereur, et l'on dut se hâter d'annoncer au
+<i>Moniteur Westphalien</i> que le camp était dissous. En annonçant ce
+résultat au ministre (13 octobre), Reinhard revenait sur l'entretien
+des troupes françaises en Westphalie stipulé par le traité du 14
+janvier, mais que le gouvernement du roi Jérôme se déclarait
+incapable d'assurer pour l'année 1811.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Il est à remarquer que l'engagement contracté par ce traité comprend
+ tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la paix maritime, et qu'ainsi
+ c'est mal à propos qu'on affecte de mettre en question si
+ l'intention de Sa Majesté Impériale sera de faire séjourner ses
+ troupes en Westphalie au-delà de l'année courante: quoi qu'il en
+ soit, le Conseil des Ministres avait proposé une rédaction qui
+ déclarait d'une manière bien plus positive encore cette
+ impossibilité vraie ou prétendue; mais le Roi s'y est opposé. Ce
+ qui, m'a dit M. de Furstenstein, augmentera encore les embarras,
+ c'est qu'en Hanovre on pouvait entretenir les troupes françaises du
+ produit d'une contribution de guerre que le Roi a laissée subsister
+ pour l'année courante, mais qu'il faudra nécessairement faire cesser
+ pour l'année prochaine. Aussi ceux des ministres qui, dans le temps,
+ avaient conseillé au Roi de ne point accepter le pays d'Hanovre aux
+ conditions proposées, prétendent aujourd'hui que tous les embarras
+ de la Westphalie viennent de cette réunion, et M. de Furstenstein
+ m'a dit lui-même que, quelqu'avantageuse qu'il la crût sous le
+ rapport de la politique, il commençait cependant à se repentir du
+ traité du 14 janvier.</p>
+
+<p>Je reprends ma conversation avec M. de Bulow: «Tant que je serai
+ ministre du Roi, mon devoir sera de faire marcher l'administration
+ qui m'est confiée, et de conserver au trésor les moyens de payer les
+ dépenses sans lesquelles il n'y aurait plus de gouvernement.» Ceci
+ me conduisit à lui demander si toutes les dépenses étaient
+ nécessaires <span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span> et légitimes? M. de Bulow protesta que dans
+ toutes il mettrait la plus stricte économie; que pour celles du Roi
+ il avait sa liste civile qui sans doute n'était pas dans une
+ proportion exacte avec les revenus du royaume et qui l'engageait à
+ entretenir sa cour avec un éclat peu nécessaire en Allemagne; que le
+ luxe auquel on s'était habitué avait encore l'inconvénient de faire
+ sortir beaucoup d'argent du royaume; qu'en dernière analyse, ce
+ n'était pas le Roi qui en profitait, mais l'intendant de la liste
+ civile, marchand failli avec tous les fripons dont il était entouré;
+ que sans la démarcation tracée entre les revenus du Souverain et
+ ceux de l'État, il était sûr que Sa Majesté se serait contentée de
+ moins et serait également heureuse. Je lui demandai si au moins la
+ liste civile n'empiétait pas sur les revenus de l'État? Je lui
+ rappelai la responsabilité dont je l'avais entretenu dans une autre
+ occasion, et je le priai de me dire s'il était vrai que tous les
+ fonds des relations extérieures se versaient dans la caisse du
+ trésor de la couronne et que M. de Furstenstein les tirait par une
+ ordonnance en bloc. M. de Bulow me dit que pour lui les ordonnances
+ de M. de Furstenstein le mettaient en règle et qu'il me priait d'en
+ parler à ce dernier; enfin qu'il était ministre du Roi et qu'il ne
+ pouvait pas se croire soumis à une double responsabilité. Le
+ lendemain, M. Siméon, envoyé sans doute par M. de Bulow, revint sur
+ cet objet et m'assura que la seule dépense où la liste civile avait
+ empiété sur le trésor public était que le Roi avait fait indemniser
+ les propriétaires des cinq domaines dont M. de La Flèche s'était
+ emparé, sur le produit d'une vente de couvents, et que par un
+ arrangement qui datait encore du temps de M. Beugnot, beaucoup trop
+ magnifique dans ses arrangements financiers, il avait été convenu
+ que le produit des économats au-delà de la somme de 500,000 francs,
+ qui serait versée à la caisse d'amortissement, tournerait au profit
+ du Roi.</p>
+
+<p>Par un mouvement spontané, M. de Bulow me dit encore que, si le Roi
+ voulait l'écouter, il se ferait des idées différentes sur la nature
+ de sa royauté, et qu'il ne se croirait pas dans la même position que
+ par exemple un Roi de Danemark. Je lui répondis qu'il me semblait
+ cependant, et que plusieurs circonstances prouvaient qu'à cet égard
+ les idées du Roi s'étaient beaucoup rectifiées. «Oui, dit-il, aussi
+ sa position est-elle devenue plus difficile, et quoiqu'assurément je
+ n'aie pas la mission de vous dire cela, savons-nous ce que nous
+ allons devenir?»</p>
+
+<p>Dans toute cette conversation, Monseigneur, M. de Bulow m'a montré
+ beaucoup d'adresse, beaucoup d'incohérence, l'envie de résister, le
+ désir de plaire; enfin comme son caractère, elle n'a pas été d'un
+ seul jet. Il m'avait parlé de la pesanteur du fardeau qu'il avait à
+ supporter. «Oui, lui dis-je, j'admire et j'aime la facilité avec
+ laquelle <span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> vous le supportez. Sans compliment, je ne connais
+ personne qui soit capable d'en faire autant. Vous marchez à travers
+ les difficultés en vous jouant; mais, au nom de Dieu, ne vous jouez
+ pas à l'Empereur.» Ce mot, Monseigneur, l'affligea et il me répondit
+ ce que le respect le mieux senti dut lui inspirer.</p>
+
+<p>M. de Bulow réunit à un vrai talent un travail infatigable et
+ l'adresse d'un homme du monde à beaucoup de désintéressement
+ personnel. Il veut faire sa place de la manière dont il l'a conçue.
+ Il se persuade qu'il la quittera sans regret, lorsqu'il ne la croira
+ plus tenable. Il n'est pas homme à grandes conceptions, soit que les
+ difficultés du moment l'absorbent, soit qu'il pense que l'heure n'en
+ est pas encore venue. L'espèce d'empire qu'en dépit de tant
+ d'ennemis acharnés il exerce sur le Roi, me paraît reposer sur des
+ motifs honorables à tous les deux. M. de Bulow connaît les Allemands
+ et les Français: il tient des uns et des autres. Nous pourrions
+ facilement trouver un ministre plus traitable; mais en
+ trouverions-nous un aussi facilement qui nous ménageât, pendant
+ aussi longtemps, autant de moyens?</p>
+
+<p>Quant aux recettes, M. Pichon pense qu'il ne serait pas absolument
+ difficile de les augmenter de quatre ou cinq millions. Il prétend,
+ par exemple, que les droits de consommation rendent huit millions au
+ lieu de sept, et qu'on pourrait aisément trouver deux millions de
+ plus sur le prix du sel vendu dans l'intérieur et surtout dans
+ l'étranger. Il dit que le ministre des finances convient de la
+ possibilité d'augmenter les recettes; mais qu'il ne veut y venir
+ qu'à la dernière extrémité.</p>
+
+<p>On a renoncé définitivement au projet de rendre plus productive la
+ contribution personnelle qui ne rendra que 2,500,000 francs. Mais
+ comme, d'après les nouveaux calculs de M. Malsbourg, la caisse
+ d'amortissement aura besoin de 6,500,000 francs, on se propose de
+ trouver quatre millions par une espèce d'imposition de guerre; et
+ c'est ce qui occupe en ce moment la section des finances.</p>
+</div>
+
+<p>Sur cette double question financière et militaire, Champagny
+répondait le 12 novembre à Reinhard:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai reçu et mis sous les yeux de l'Empereur les deux dernières
+ dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser.</p>
+
+<p>Sa Majesté Impériale s'est arrêtée principalement au compte que vous
+ rendez de vos conversations avec les ministres des finances et de la
+ guerre, avec le ministre secrétaire d'État sur la composition de
+ l'armée westphalienne. Sa Majesté n'a pu s'empêcher de remarquer que
+ tandis que le Roi et les ministres renouvelaient leurs
+ protestations, les choses n'en restaient pas moins toujours dans le
+ même état. Souvent l'Empereur a répété au Roi son frère qu'il ne
+ devait point avoir de régiments de cuirassiers, parce que cette arme
+ est trop dispendieuse, que les chevaux <span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> du pays n'y sont
+ pas propres; et que d'ailleurs des régiments de cavalerie légère et
+ de lanciers, plus faciles à lever et d'un entretien moins
+ dispendieux, conviendraient beaucoup mieux au système militaire de
+ l'Empire ainsi qu'aux intérêts du trésor westphalien. Cependant le
+ Roi ne paraît point avoir suivi ce conseil: il multiplie inutilement
+ les cadres et les armes, et se voit entraîné par là à de nouvelles
+ dépenses.</p>
+
+<p>Lorsque Sa Majesté Impériale a envoyé 18,000 Français en Westphalie,
+ son but a été en partie de dispenser le Roi d'entretenir un trop
+ grand nombre de troupes et tant d'officiers sur la fidélité desquels
+ on ne peut point compter. Les troupes westphaliennes sont en effet
+ les moins sûres de la confédération; et on les a vues se battre
+ contre nous avec ardeur, par l'effet d'une haine ancienne qu'ils ont
+ contractée en servant dans les rangs anglais. Sa Majesté Impériale
+ ne veut plus en envoyer en Catalogne: ce serait recruter les bandes
+ ennemies. Les Rois de Bavière et de Saxe, le Grand-Duc de
+ Hesse-Darmstadt, dont les États sont anciennement constitués,
+ peuvent avec plus de raison compter sur la fidélité des leurs;
+ cependant ils ne s'amusent point à créer de nouveaux corps, et ne
+ cherchent au contraire qu'à faire reposer tranquillement leurs
+ troupes.</p>
+
+<p>En définitif l'intention de Sa Majesté Impériale est que le Roi
+ renonce à ses régiments de cuirassiers et qu'il n'augmente point des
+ troupes qu'il ne peut nourrir et sur lesquelles il ne peut se fier.</p>
+
+<p>Au reste Sa Majesté Impériale ne prend à cela qu'un intérêt
+ d'affection pour le Roi et de sollicitude pour un État qu'Elle a
+ fondé. Ce qui lui importe, et ce qu'Elle veut, c'est que l'on tienne
+ les engagements pris avec Elle et que la solde de ses troupes soit
+ payée, tant pour le présent que pour l'arriéré.</p>
+
+<p>Sa Majesté Impériale a vu avec déplaisir que le gouvernement
+ westphalien cherchât à s'attribuer une espèce de droit d'inspection
+ sur les troupes françaises stationnées en Westphalie, en demandant à
+ nos généraux des états de situation des corps sous leurs ordres. Sa
+ Majesté Impériale a blâmé ceux de ses généraux qui se sont prêtés au
+ v&oelig;u du gouvernement westphalien. Aucune autorité étrangère ne
+ peut exercer d'inspection sur les troupes françaises.</p>
+
+<p>La Westphalie s'est engagée à entretenir jusqu'à la fin de la guerre
+ maritime un corps de dix-huit mille cinq cents Français; et pour
+ remplir cet engagement, elle n'a pas besoin de connaître la position
+ exacte de ces troupes. Il suffit que le nombre fixé ne soit point
+ excédé, ce qu'on reconnaîtra toujours facilement par les états de
+ récapitulation que fournira l'état-major général.</p>
+</div>
+
+<p>Poussé dans ses derniers retranchements, à bout de patience,
+<span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> aussi bien que ses frères Joseph et Louis, en présence du
+système de l'Empereur, le roi Jérôme écrivit la lettre suivante,
+digne, vraie et respectueuse, à laquelle il ne reçut aucune réponse,
+comme pour celle du 30 octobre:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, mon désir le plus prononcé est de tenir tous les engagements
+ que j'ai pris envers Votre Majesté, et tous mes efforts ne tendront
+ jamais qu'à ce but, mais je la prie de me permettre quelques
+ observations qui me sont dictées par la situation affligeante où je
+ me trouve et qu'il ne peut être dans les desseins de Votre Majesté
+ de prolonger.</p>
+
+<p>Votre Majesté n'a point ratifié l'acte de cession du Hanovre et
+ cependant, tandis que je suis privé des diverses branches des
+ revenus publics de cette province, je me vois chargé des frais de
+ son administration et de l'entretien de 6,000 cavaliers français
+ qui, au terme des traités, doivent être soldés et nourris par elle.
+ Il est impossible que Votre Majesté ait voulu m'imposer les charges
+ sans me donner les moyens d'y subvenir. Ce poids entier retombe
+ maintenant sur mes anciennes provinces et elles sont hors d'état de
+ le porter. Je prie Votre Majesté de prendre en sérieuse
+ considération la situation de la Westphalie et de me faire connaître
+ positivement ses intentions. Si elle daigne se faire remettre sous
+ les yeux ma lettre du 31 octobre dernier, elle y verra relativement
+ au Hanovre l'exposé sincère de mes sentiments; s'il convient aux
+ desseins politiques de Votre Majesté de m'ôter ce qu'elle m'a donné,
+ je suis prêt à satisfaire à tous ses désirs, à me contenter de
+ toutes ses volontés, à m'imposer moi-même et de bon c&oelig;ur, comme
+ un gage de ma reconnaissance envers elle, tous les sacrifices qui
+ pourraient lui être utiles ou seulement agréables, c'est là ce que
+ je répéterai à Votre Majesté dans tous les instants de ma vie, mais
+ si elle me laisse dans le rang où elle m'a fait monter, qu'elle ne
+ me prive pas des moyens de m'y maintenir avec honneur et sûreté,
+ qu'elle me permette de faire parvenir jusqu'à elle les souffrances
+ de mes peuples, et qu'elle me laisse l'espérance de les voir
+ soulager à mes sollicitations.</p>
+
+<p>Oui, Sire, je le répète, les douanes, les forêts, les postes, toutes
+ les principales branches des revenus publics du Hanovre sont entre
+ les mains des agents de Votre Majesté, et tandis que cette province
+ m'est étrangère puisque le traité par lequel elle m'est cédée n'est
+ point ratifié, je me vois contraint d'en salarier les
+ administrations et d'y entretenir les troupes qui ne doivent être
+ qu'à sa charge.</p>
+
+<p>J'ose penser qu'il suffit de ce simple exposé des faits pour que
+ Votre Majesté prenne à cet égard une détermination que je sollicite
+ avec ardeur, et cet objet étant pour moi et pour mon pays de la plus
+ haute importance, j'expédie cette lettre à Votre Majesté par un
+ courrier extraordinaire.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> Les observations présentées à l'empereur et au duc de
+Cadore étaient si vraies, les réclamations du gouvernement
+westphalien si justes que le ministre des relations extérieures de
+France crut devoir mettre sous les yeux de Napoléon un long mémoire
+daté du 24 décembre 1810 et duquel il ressort: Que le
+sénatus-consulte qui avait réuni à l'empire la plus grande partie du
+département du Wéser enlevait à la Westphalie 23 mille sujets et 5
+millions 460 mille francs de revenus; que les parties du Hanovre
+destinées à être données en compensation à la Westphalie suffiraient
+pour le nombre de sujets et pour les revenus, si les contributions
+pouvaient être maintenues, mais que le gouvernement westphalien
+tenait pour impossible le maintien de la contribution de guerre; que
+les domaines encore disponibles n'existaient pas, qu'il n'y avait
+donc d'autre moyen d'indemniser le roi que de diminuer les troupes
+françaises entretenues par la Westphalie et de faire remise au pays
+des revenus et des contributions arriérés. Le mémoire du duc de
+Cadore demandait que la France prît à sa charge la dette du Hanovre,
+et la Westphalie celle de la province du Wéser, que le contingent
+westphalien fût fixé à 20 mille hommes.</p>
+
+<p>Ces conclusions ne furent pas adoptées par l'empereur. Le roi très
+abattu des dernières mesures prises par son frère, envoya à Paris M.
+de Bulow pour y remplacer le baron de Mulcher et discuter ses
+intérêts.</p>
+
+<p>L'année 1811 commença à Cassel sous de tristes auspices pour le
+jeune roi et ses malheureux États. Jamais la fable du loup et de
+l'agneau n'avait reçu une application plus vraie. Après avoir fait
+valoir des prétextes de toute nature, Napoléon auprès duquel la
+raison politique l'emportait sur toute considération, décidé à ne
+pas laisser le Hanovre à son frère, lui fit savoir, par son agent,
+qu'il enlevait cette province à la Westphalie, ainsi qu'une partie
+du département du Wéser, pour les réunir à la France, attendu que
+les conditions du traité n'ayant pas été exécutées par le Roi, il
+considérait ce traité comme rompu de fait. L'empereur daignait
+promettre des compensations qui furent illusoires comme d'habitude.
+Un décret en date du 22 janvier ordonna la prise de possession
+immédiate du territoire annexé, et le versement dans la caisse de
+l'empire français de tous les revenus de ces territoires depuis le
+1<sup>er</sup> janvier. En vertu de l'article 3, une partie du duché de
+Lunebourg était cédée au Roi, mais avec cette restriction que les
+revenus, les domaines affectés à <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> des dotations étaient
+exceptés de la cession. D'après ce devis, le Hanovre semblait
+n'avoir jamais fait partie du royaume de Westphalie. On cédait, en
+compensation du département du Weser, une partie d'une province déjà
+annexée depuis un an aux États de Jérôme. Ce dernier ne voulut pas
+d'abord accepter cette compensation fictive et chargea à part le
+comte de Bulow, son ministre des finances, de négocier et d'obtenir
+des dédommagements réels.</p>
+
+<p>Pendant que M. de Bulow essayait d'entrer en arrangement avec le
+gouvernement français, Reinhard, toujours à Cassel et à l'affût de
+toutes les nouvelles, de tous les événements importants ou non, qui
+se passaient dans ce malheureux pays, continuait à rendre compte
+directement à l'Empereur ou à son ministre, le duc de Cadore.</p>
+
+<p>Voici quelques-unes des dépêches et des bulletins de l'ambassadeur
+français à Cassel.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à Champagny.</p>
+<p class="date">29 janvier 1811.</p>
+
+<p>Le cérémonial du dernier bal a fait une trop grande sensation et
+ dans le corps diplomatique, et dans la ville, pour que je puisse me
+ dispenser de demander à ce sujet les ordres de Votre Excellence.
+ Déjà au bal précédent le premier chambellan avait exigé que les
+ dames se tinssent debout, tandis que M. de Furstenstein leur disait
+ de s'asseoir. Cette fois, le Roi lui-même, qui plus que jamais
+ s'occupe d'étiquette, a coupé le n&oelig;ud. M. de Furstenstein devait
+ annoncer cette décision aux femmes des ministres; et le hasard
+ voulut que ma femme fût seule présente. Il ne le fit cependant pas,
+ disant que ce n'était pas l'usage de la cour de France. Quant au
+ privilège d'être seul assis que le Roi a accordé à ce ministre, Sa
+ Majesté le fonde sur ce qu'ayant le collier de l'ordre, M. de
+ Furstenstein est son <i>cousin</i> et doit être assimilé aux grands
+ dignitaires. C'est une manière d'éluder la difficulté, et M. de
+ Furstenstein sans porter le titre de prince en aura tous les
+ privilèges. J'ignore encore si le ministre saxon, qui n'existe qu'à
+ la cour et pour la cour et dont la femme courant après toutes les
+ fêtes et après toutes les faveurs s'est trouvée absente, avait été
+ prévenu de tout ce qui arriverait. Il m'avait demandé en entrant ce
+ que j'avais résolu de faire pour le souper et j'avais répondu que
+ nous serions debout et les femmes assises. La femme du ministre de
+ Prusse était malade. Votre Excellence voit au reste que, même dans
+ ces occasions-là, le Roi a soin de distinguer le ministre de France.
+ Pour cette fois, je m'abstiendrai entièrement d'énoncer dans la
+ société mon opinion sur ce qui s'est <span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> passé, précisément
+ parce que j'attends les instructions de Votre Excellence.</p>
+
+<p>Je n'avais appris toutes ces circonstances que vers la fin du
+ souper. M. Jacoulé a fait une terrible grimace en voyant assis M. le
+ comte de Furstenstein, qui d'ailleurs avait l'air plutôt confus que
+ glorieux de la distinction qui lui était accordée.</p>
+</div>
+
+<p>Lorsque l'Empereur eut pris connaissance de la dépêche de Reinhard
+et de la nouvelle mesure d'étiquette introduite à la cour de son
+frère pour M. Lecamus devenu comte de Furstenstein, il fut choqué de
+cette innovation et écrivit le 20 février au duc de Cadore la lettre
+ci-dessous, omise à la <i>Correspondance de Napoléon I<sup>er</sup></i>:</p>
+
+<p class="lettre">Monsieur le duc de Cadore, je vous renvoie trois portefeuilles de
+ votre correspondance. Qu'est-ce que cette prérogative de M. de
+ Furstenstein de s'asseoir aux cercles de la cour de Cassel devant le
+ corps diplomatique et les grands de l'État? Demandez des
+ renseignements plus détaillés que cela. Il n'y a pas d'objections à
+ ce que le Roi exige que les femmes se tiennent debout quand il
+ danse. En général, un Roi ne doit pas danser, si ce n'est en très
+ petit comité. Cependant, cet usage ne choque aucune convenance. Mais
+ vous devez charger mon ministre de s'opposer formellement à ce que
+ le comte de Furstenstein soit appelé <i>cousin</i> et s'assoie devant le
+ corps diplomatique et les grands de l'État. Cette prérogative ne
+ peut appartenir à qui que ce soit en Westphalie, parce qu'elle est
+ contraire à toute idée reçue, et que je ne veux pas qu'elle existe.
+ Personne en France ne s'asseoit à la cour parmi les princes du sang.
+ Les maréchaux ne s'asseyent pas. Quant aux grands dignitaires, cela
+ tient au <i>décorum</i> de l'Empire, et quels sont les grands
+ dignitaires? Lorsque le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, le Vice-Roi
+ d'Italie, qui sont revêtus de grandes dignités, s'asseyent, il est
+ juste que les premiers grands du plus grand Empire du monde qui leur
+ sont assimilés s'asseyent; mais il est absurde de donner ce
+ privilège dans une petite monarchie. Cela est contre l'opinion de
+ toute l'Europe, et il y a dans cette conduite un peu de folie. Il
+ faut donc que mon ministre fasse connaître au ministre des Relations
+ extérieures de Westphalie que mon intention n'est pas de souffrir
+ ces aberrations du Roi, et que j'exige qu'il ne soit donné aucune
+ suite à cette innovation. Parlez de ceci à M. de Wintzingerode et à
+ M. de Bulow. Faites-leur connaître que le Roi ferait bien mieux de
+ modeler son étiquette sur celle de la Cour de Saxe que de faire à sa
+ tête et de se faire tourner en ridicule. Parlez sérieusement à M. de
+ Wintzingerode là-dessus; il devrait donner des conseils à sa cour
+ sur ce, etc., etc.</p>
+
+<p>L'empereur, non content de sa dépêche au duc de Cadore, écrivit
+<span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> lui-même à son frère le même jour 10 février. Le roi
+Jérôme répondit le 17 du même mois une lettre respectueuse, dans
+laquelle il ne laisse pas de faire ressortir les injustices dont on
+s'est rendu coupable à son égard. Cette lettre, que voici, ne se
+trouve pas aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire,
+ en date du 10 février; tout ce qu'elle contient est vrai, seulement
+ j'aurais désiré qu'on ne laissât pas ignorer à Votre Majesté que le
+ soir où le comte de Furstenstein a été assis, <i>je n'y étais pas</i>,
+ que c'était dans un salon particulier et que c'était une erreur du
+ préfet qui n'avait pas senti que les ministres étrangers pouvant
+ entrer, ce n'était plus <i>un salon particulier</i>; cela ne s'est jamais
+ fait et ne <i>se fera plus</i>. Quant au titre de cousin, comme ayant le
+ grand collier de l'ordre, je ne le donne qu'en écrivant une lettre
+ de chancellerie de l'ordre, pour <i>rassembler</i> le chapitre ou faire
+ une <i>promotion</i>, mais jamais je n'ai eu assez peu de sens ni
+ d'esprit pour ne pas sentir que si j'eusse pu faire comme on l'a dit
+ à Votre Majesté, j'aurais mérité les petites maisons.</p>
+
+<p>Je le répète, Sire, je ne fais jamais un pas sans avoir Votre
+ Majesté en vue, sans désirer de lui plaire, et surtout sans
+ ambitionner qu'elle puisse dire: jamais mon frère Jérôme ne m'a
+ donné de chagrin. C'est bien le fond de ma pensée, Sire, et si je me
+ trompe, un conseil paternel de Votre Majesté est plus que suffisant,
+ non seulement pour me faire changer, mais pour me convaincre que
+ j'avais tort. Pourquoi donc Votre Majesté est-elle si avare de ses
+ conseils? et pourquoi suis-je le seul qui lui inspire assez peu
+ d'intérêt pour qu'elle ne veuille pas m'écrire ce qui peut lui
+ déplaire? Dans les circonstances critiques où je me trouve, Votre
+ Majesté n'a pas même daigné me dire: faites <i>ce que je désire, cela
+ me sera agréable</i>; c'est par le moniteur que j'apprends que je perds
+ <i>le quart de mes États</i> et <i>le tiers de mes revenus</i>, et le débouché
+ de mes rivières, sans qu'un seul mot de Votre Majesté vienne me
+ rassurer et me dire: c'est telle ou telle conduite que vous devez
+ tenir; avouez, Sire, que Votre Majesté est bien sévère pour moi qui
+ n'ai jamais désiré et ne désirerai jamais que de contribuer à votre
+ contentement.</p>
+
+<p>Je finis, Sire, car je me vois, par l'abandon de Votre Majesté,
+ entouré d'écueils sur lesquels je ne pourrai manquer de me perdre,
+ si elle persiste dans cette indifférence pour moi. Que Votre Majesté
+ se mette un instant à ma place, souverain d'un pays ruiné, accablé
+ sous le faix des charges extraordinaires, auquel on dit: je vous
+ prends le quart de vos États, de vos revenus, et cependant je ne
+ vous ôte aucune charge, ni vous donne aucun dédommagement, que
+ feriez-vous, Sire? ce que je fais, vous laisseriez prendre, vous ne
+ vous opposeriez à rien; <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> au contraire, mais en conscience
+ vous ne feriez pas comme le roi de Hollande, qui a dit à ses sujets:
+ je cède une partie de mes États, parce que l'on me les demande.</p>
+
+<p>Je vous prie, Sire, au nom de votre ancienne amitié pour moi, de me
+ diriger et ne pas m'abandonner, car vous seriez fâché un jour
+ d'avoir perdu un être qui vous aime plus que sa vie.</p>
+</div>
+
+<p>À peine cette lettre était-elle partie que le jeune roi, avide
+d'étiquette et toujours prêt à singer le gouvernement impérial,
+donnait encore prise aux critiques fort justes et aux boutades
+souvent un peu sévères de Napoléon qui, tout en ayant pour lui une
+affection réelle, le traitait en fort petit personnage. Le 49
+février, Jérôme avait mis à l'ordre de son armée le règlement
+suivant:</p>
+
+<p class="lettre">1<sup>o</sup> Trois de nos aides de camp seront désignés chaque trimestre pour
+ faire le service auprès de Notre Personne; 2<sup>o</sup> le ministre de la
+ guerre fera mettre leur nom à l'ordre du jour de l'armée; 3<sup>o</sup>
+ lorsqu'un de nos aides de camp de service arrivera, soit dans une
+ division, soit dans une place forte ou à l'armée, l'ordre qu'il
+ transmettra de notre part, par écrit ou verbalement, sera
+ obligatoire. Cependant, les gouverneurs, les généraux et les
+ commandants de place pourront, dans les circonstances qu'ils
+ jugeront importantes, exiger que l'aide de camp leur transmette par
+ écrit l'ordre qu'il aura été chargé de leur signifier, et il ne
+ pourra alors s'y refuser; 4<sup>o</sup> l'aide de camp de service en mission,
+ recevra, soit à l'armée, soit dans les divisions ou les places
+ fortes, les honneurs que l'on rend au plus haut grade militaire.</p>
+
+<p>Puis, croyant être très agréable à son frère, il adressait (5 mars)
+une proclamation maladroite aux populations que lui enlevait le
+décret du 22 janvier 1811:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Habitants du territoire westphalien, réunis à l'empire français!</p>
+
+<p>Les circonstances politiques m'ayant déterminé à vous céder à Sa
+ Majesté l'empereur des Français, je vous dégage du serment de
+ fidélité que vous m'avez prêté. Si quelquefois vos c&oelig;urs ont su
+ apprécier les efforts constants que j'ai faits pour votre bonheur,
+ je désire en recueillir la plus douce récompense en vous voyant
+ porter à Sa Majesté l'empereur et à la France le même amour, le même
+ dévouement et la même fidélité dont vous m'avez si souvent donné des
+ preuves, et particulièrement dans les circonstances critiques des
+ dernières années.</p>
+
+<p>Mes v&oelig;ux les plus ardents sont et seront toujours de vous voir
+ jouir, sous votre nouveau maître, d'un bonheur aussi parfait que le
+ mérite votre caractère brave et loyal.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur trouva fort mauvaise la mesure prise pour les aides de
+<span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> camp et critiqua beaucoup de passages de la proclamation,
+ainsi qu'on le verra dans les lettres suivantes:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Champagny à Reinhard.</p>
+<p class="date">Paris, le 19 mars 1811.</p>
+
+<p>Sa Majesté m'ordonne de vous communiquer quelques réflexions qu'elle
+ a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Elle a
+ relevé certaines expressions de la proclamation du roi aux habitants
+ de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Ces mots: <i>je vous
+ cède</i> lui ont paru inconvenants. On ne cède pas des hommes comme on
+ cède un troupeau de moutons, ou du moins on ne le leur dit pas.
+ Cette autre phrase: <i>ayez pour l'empereur l'amour que vous avez pour
+ moi</i>, semble présomptueuse. Ces pays ont-ils été assez longtemps
+ sous la domination westphalienne pour lui être bien profondément
+ attachés? Je ne parle pas du rapprochement entre l'empereur et le
+ roi dont Sa Majesté a lieu de se formaliser.</p>
+
+<p>Mais ce qui a paru plus étrange à l'empereur, c'est un ordre du roi
+ de Westphalie que Sa Majesté a vu dans une gazette et par lequel ce
+ prince exprime sa volonté que ses aides de camp auxquels il donne
+ des missions commandent partout où il n'est pas, et de préférence à
+ toute autorité existante. Sa Majesté voit dans cette disposition le
+ bouleversement de tout ordre public. Des aides de camp qui sont plus
+ que des ministres et qui exercent, partout où le Roi n'est pas, une
+ autorité sans limites! Jamais l'empereur n'a remis entre les mains
+ de personne un pouvoir aussi discrétionnaire. Sa Majesté a beaucoup
+ employé ses aides de camp qui, formés par elle, étaient dignes de
+ toute confiance; mais elle ne leur donnait que des missions
+ d'informations dans lesquelles ils n'avaient aucune autorité à
+ exercer.</p>
+
+<p>Faites ces réflexions, Monsieur, aux ministres du Roi, mais avec
+ réserve et ménagement. L'empereur les accuse de ces erreurs que
+ l'inexpérience du Roi peut, quels que soient son esprit, son tact et
+ ses lumières, lui faire quelquefois commettre et qui devraient être
+ évitées par des ministres qui joignent à l'habitude des affaires la
+ connaissance de la manière dont on doit les traiter. L'empereur est
+ persuadé qu'une représentation juste sera toujours écoutée par son
+ auguste frère dont il connaît et le bon esprit et le désir de faire
+ tout bien.</p>
+</div>
+
+<p>Reinhard répondit à Champagny, le 24 mars 1811:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Votre Excellence m'a communiqué quelques réflexions que Sa Majesté
+ impériale a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien.
+ <span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> Sa Majesté a trouvé inconvenantes certaines expressions de
+ la proclamation du Roi aux habitants de la partie de la Westphalie
+ cédée à l'empire. Cette proclamation, Monseigneur, m'a toujours pesé
+ sur le c&oelig;ur; elle a été rédigée dans le cabinet de Sa Majesté.
+ Les ministres n'ont pu obtenir que le changement de quelques
+ phrases; et encore n'ont-elles pas été changées au gré de leurs
+ désirs. L'intention du Roi était bonne; il voulait montrer en même
+ temps et sa déférence pour son auguste frère, et l'accord parfait
+ avec lequel tout s'était passé. Mais l'amour-propre s'en est mêlé et
+ dès lors on n'a pas voulu toucher à la part qu'il s'était faite.
+ Quant à moi, ne voulant pas analyser les expressions qui m'avaient
+ frappé, j'avais prié M. le comte de Furstenstein d'engager le Roi à
+ ne point faire de proclamation. Quelques jours après, Sa Majesté me
+ demanda si je l'avais lue; je répondis que oui et que même M. le
+ comte de Furstenstein me l'avait montrée avant l'impression. Sur le
+ reste, je gardai le silence, et il me parut que le Roi comprenait ce
+ que ce silence voulait dire.</p>
+
+<p>Quant aux pouvoirs extraordinaires donnés aux aides de camp de Sa
+ Majesté, on m'avait assuré que cette mesure avait été discutée et
+ arrêtée au conseil d'État, et que plusieurs personnes s'en étaient
+ affligées. Mais, je ne crois point qu'elle ait été publiée dans
+ aucun papier westphalien; et la gazette dans laquelle Sa Majesté
+ impériale l'a lue m'est restée inconnue. Je viens d'en parler à M.
+ le comte de Furstenstein qui m'a dit que c'était un ordre du jour
+ qu'il me communiquerait.</p>
+
+<p>Je me suis, en effet, déjà acquitté auprès de ce ministre de la
+ commission dont Votre Excellence m'a chargé pour les ministres du
+ Roi, et je crois l'avoir fait entièrement dans l'esprit de vos
+ instructions. Déjà hier, j'avais dit au Roi que dans les dépêches
+ que le courrier m'avait portées, j'avais trouvé des expressions
+ pleines d'amitié et d'estime pour Sa Majesté. Le Roi me répondit que
+ j'étais moi-même témoin de tout ce qu'il faisait, et qu'il me
+ rendrait juge de ses intentions et de ses sentiments. C'est par la
+ même route que je suis entré en matière avec M. le comte de
+ Furstenstein. «Mais, ai-je ajouté, plus Sa Majesté impériale rend
+ justice au caractère et au bon esprit de son auguste frère, et plus
+ elle est naturellement disposée à imputer à ses ministres ce que
+ peut-être elle ne trouve pas digne de son approbation dans les actes
+ de ce gouvernement, et je suis convaincu, Monsieur le Comte, qu'elle
+ a entièrement raison.» M. de Furstenstein m'a répondu par son
+ refrain ordinaire que je ne connaissais pas assez le caractère du
+ Roi, qui ne se laissait pas conseiller.&mdash;«Je juge, lui ai-je dit, du
+ caractère du Roi, par la manière dont il s'est constamment montré à
+ mes yeux. Toutes les fois que j'ai eu l'honneur de m'entretenir avec
+ lui, je lui ai trouvé de la mesure, de la justesse, de la prudence,
+ enfin beaucoup de pouvoir sur lui-même. Il se peut, à la vérité, que
+ le maintien qu'il prend vis-à-vis <span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> du ministre de France ne
+ soit pas exactement le même que celui qu'il a vis-à-vis de ses
+ serviteurs qui lui sont directement subordonnés; mais avec un
+ c&oelig;ur et un esprit comme le sien, il y a constamment de la
+ ressource. On peut laisser passer un premier mouvement, et je suis
+ persuadé qu'avec un peu d'insistance et de courage, la vérité et la
+ raison finiront toujours par être écoutées.» Après avoir parlé ainsi
+ en thèse générale, M. de Furstenstein m'a demandé si quelque acte
+ particulier du gouvernement avait donné lieu à ces réflexions. Je
+ lui ai cité ceux dont il s'agit. M. de Furstenstein m'a beaucoup
+ remercié. Il m'a dit sous combien de rapports il était intéressé à
+ ce que le Roi méritât l'approbation constante de Sa Majesté
+ impériale, et avec un certain élan il a ajouté qu'il se promettait
+ bien de ne point laisser échapper cette occasion pour faire sentir à
+ Sa Majesté que les ministres n'avaient pas si grand tort d'oser
+ quelquefois lui faire des représentations. Au sujet de la
+ proclamation, il m'a assuré que le Roi s'y était déterminé d'après
+ une lettre de M. de Malchus qui lui avait écrit: <i>que M. le général
+ Compans le désirait</i>, et qu'en s'y refusant, le Roi aurait craint
+ d'être accusé de susceptibilité. Il m'a demandé si Sa Majesté
+ impériale en témoignait un fort mécontentement; je lui ai répondu
+ qu'au contraire elle avait à c&oelig;ur sur cet objet de ne point
+ blesser la sensibilité du Roi, et qu'en m'autorisant à en dire
+ quelques mots à ses ministres, elle me recommandait de le faire avec
+ beaucoup de réserve et de ménagement.</p>
+
+<p>Votre Excellence se rappellera peut-être qu'en lui rendant compte,
+ au mois d'août 1809, de la situation des choses d'alors, je terminai
+ ainsi une de mes dépêches: «Tout ce que je me permettrai d'ajouter,
+ c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des
+ intentions et des mesures du Roi, et qu'aucun des sujets de Sa
+ Majesté impériale qui sont ici (j'y comprenais alors M. Siméon et M.
+ le général Eblé) ne pourrait remplir dans toute son étendue et sous
+ tous les rapports de convenance une aussi haute mission.»</p>
+
+<p>La sagesse de Sa Majesté impériale a certainement mieux senti que
+ moi tous les inconvénients que devait avoir une mesure pareille à
+ celle que je voulais indiquer. Aujourd'hui, elle aurait encore celui
+ d'être tardive dans un sens et prématurée dans un autre. Mais j'ai
+ la persuasion qu'elle est devenue moins nécessaire. En comparant le
+ Roi tel qu'il était il y a deux ans, avec ce qu'il est aujourd'hui,
+ je suis convaincu qu'il a gagné, si j'ose m'exprimer ainsi, surtout
+ en docilité. Mais ses ministres craignent tous un premier mouvement
+ et quelque résolution subite, difficile à rétracter, d'un souverain
+ dont ils dépendent. Il a trop su les habituer à céder à sa volonté
+ fortement prononcée. Il leur manque d'oser revenir à la charge. Pour
+ leur donner un courage qu'ils n'ont point, je ne connais qu'un seul
+ moyen: c'est d'être assurés à tout événement de la protection de Sa
+ Majesté impériale. Cette assurance <span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> de protection resterait
+ un secret entre le ministre de France et celui des ministres du Roi
+ auquel elle daignerait accorder une aussi haute preuve de confiance;
+ un seul suffirait.</p>
+
+<p>Mais lequel? M. le comte de H&oelig;ne, très honnête homme, n'est qu'un
+ troisième commis. Il prend à la lettre toutes les paroles du Roi. Il
+ n'entend pas ce qu'on voudrait lui faire comprendre. De tous les
+ ministres, il est celui qui se tient le plus en garde contre la
+ légation française. M. le comte de Wolfradt, très honnête homme
+ aussi, est trop timide et trop peu adroit; il ne sait pas assez la
+ langue française. M. le comte de Furstenstein est l'homme du Roi;
+ pour lui, il suffit du ressort de la responsabilité. M. le comte de
+ Bulow a trop une marche et une manière à lui; mais on peut compter
+ sur lui dans des circonstances déterminées. M. Siméon est un peu sec
+ quelquefois, et toutes les affaires ne sauraient être de son
+ ressort; mais il apportera à toutes de la maturité et de
+ l'expérience, et c'est précisément ce dont il s'agit ici. Sa qualité
+ de Français, son âge, son bon sens et la modération de son esprit
+ peuvent le faire croire capable de prendre de l'ascendant sur le
+ Roi, sans perdre sa confiance et sans en abuser; et comme le Roi
+ n'aime point à consulter, il y aurait deux maximes de gouvernement à
+ établir. L'une, que l'exécution de toute mesure quelconque partît de
+ celui des ministres qu'elle concerne, et l'autre, que lorsque des
+ actes quelconques émanent directement du cabinet, les ministres
+ eussent le temps de faire des représentations lorsqu'ils le
+ jugeraient nécessaire.</p>
+</div>
+
+<p>Sans nous arrêter sur une lettre du 24 mars où Reinhard raconte
+divers incidents survenus à la cour de Cassel, nous extrayons d'une
+lettre adressée par le même à Champagny (23 mars) une conversation
+que Reinhard eut avec le roi. Le ministre des finances de
+Westphalie, M. de Bulow, avait été envoyé à Paris pour tâcher
+d'obtenir des adoucissements à la triste condition faite par
+l'empereur au malheureux royaume. Après un préambule que nous
+omettons, Reinhard s'exprime ainsi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le comte de Furstenstein, ai-je dit, m'a laissé dans le doute si M.
+ de Bulow doit <i>terminer</i> et revenir, ou signer et revenir. Il n'y a
+ rien à signer, a dit le Roi. Lorsque toutes les conditions sont
+ dictées par une seule des parties et qu'elles sont avantageuses à
+ une seule, ce n'est pas un traité. Que l'empereur ordonne: tout ce
+ qu'il ordonnera sera fidèlement exécuté; mais qu'il ne demande pas
+ que je me déshonore.&mdash;«Cependant, Sire, l'empereur offre des
+ avantages à Votre Majesté: d'abord ses domaines en Westphalie non
+ encore donnés; ensuite l'arriéré des revenus du Hanovre.»&mdash;«Oui, dit
+ le Roi, les domaines non donnés et <i>non destinés</i>, ce qui les réduit
+ à un revenu de 2 ou 300,000 fr. <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> tout au plus, tandis que
+ je perds 12 millions et 600,000 âmes. Les revenus arriérés du
+ Hanovre sont peu de chose: deux ou trois millions tout au plus,
+ peut-être rien.»&mdash;«Encore, Sire, sont-ce là des avantages que Votre
+ Majesté n'obtiendra qu'en signant, et qui constituent la
+ réciprocité.» Alors le Roi s'est récrié sur ce qui s'est passé à la
+ suite du traité concernant le Hanovre, et je l'ai interrompu en
+ disant que c'était toujours avec peine que je rappelais à Sa Majesté
+ que sa manière de voir et celle de Sa Majesté impériale sur la
+ cession du Hanovre étaient différentes.»&mdash;«Mais tout cela n'était
+ qu'un prétexte, m'a dit le Roi, parlons franchement: rien ne sortira
+ de ce cabinet.»&mdash;«Parlons franchement, Sire, supposons que ce ne
+ soit qu'un prétexte; mais Votre Majesté connaît le <i>motif</i>.
+ L'empereur a changé d'intention, parce que les circonstances lui en
+ ont fait la loi; il en a changé quant au Hanovre et quant aux villes
+ anséatiques. La politique de l'empereur ne reste pas stationnaire;
+ Votre Majesté marche à côté de lui: voudrait-elle rester en
+ arrière?»&mdash;«Eh bien, que l'empereur me dise son motif et qu'il ne
+ fasse pas valoir seulement le prétexte.»&mdash;«Et quand ce prétexte,
+ Sire, serait un caprice, pourquoi n'aimeriez-vous pas à y
+ déférer?»&mdash;«Oui, si c'était de frère à frère, alors l'empereur sait
+ bien que tout est à sa disposition, tout mon royaume, ma vie même;
+ mais <i>tout cela se traite diplomatiquement et je ne puis céder</i>. Je
+ viens d'écrire à Bulow mon dernier mot: les domaines de l'empereur
+ non donnés; et quant aux 12,500 hommes de troupes françaises, que la
+ Westphalie se charge de leur nourriture et <i>la France de leur solde
+ et de leur entretien</i>, afin que je puisse montrer un avantage à mon
+ peuple.»&mdash;«Je suis fâché, Sire, que ce soit votre dernier mot, car
+ le duc de Cadore m'a écrit que l'empereur a dit aussi le sien. Du
+ reste, Sire, officiellement je n'ai rien à dire, ce n'est que par
+ forme de bon office et dans les intérêts même de Votre Majesté; et
+ comme M. de Furstenstein m'a dit que M. de Bulow serait ici dans
+ deux ou trois jours, au fond toutes mes réflexions sont tardives et
+ inutiles.»&mdash;«Furstenstein vous a dit que Bulow revenait? Bah,
+ Furstenstein ne sait rien, c'est moi seul qui conduis toute la
+ négociation, qui écris toutes les lettres de mon cabinet.» Ainsi,
+ Monseigneur, je dois croire que M. de Bulow est encore à Paris, et
+ Votre Excellence jugera si, à lui ou à son maître, on pourra faire
+ passer le Rubicon. Si c'est à lui, sans le consentement du Roi, il
+ est perdu.</p>
+
+<p>Je dois vous dire, Monseigneur, le secret de la pensée et de la
+ conduite du Roi. Il m'a dit à moi-même que Sa Majesté impériale
+ avait accusé le roi Louis, son frère, de lâcheté pour avoir cédé par
+ un traité une partie de son royaume. Aussi répondit-il aux instances
+ de tous ses ministres:&mdash;«Vous ne savez ce que vous dites, je ne
+ signerai pas, l'empereur me mésestimerait.»</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> La conversation épuisée sur ce point, Reinhard aborda
+ensuite un sujet plus délicat. Le roi s'était fait livrer des
+lettres où le secrétaire général du département des finances, nommé
+Provençal, appelait M. de Bulow «le messie, le sauveur de la
+Westphalie». Ce Provençal et un autre commis de M. de Bulow avaient
+été aussitôt destitués «comme Prussiens». Reinhard estimait «que ces
+lettres étaient bien sottes, mais que le roi venait de trahir le
+secret de l'ouverture des lettres». C'est sur ce point qu'il amena
+l'entretien:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Après cet objet terminé, il y a eu quelques moments de silence, et
+ j'attendais le Roi; craignant d'être congédié, j'ai rompu le
+ silence, d'autant plus qu'avec beaucoup de bonté, le Roi m'avait
+ invité à lui parler à c&oelig;ur ouvert.&mdash;«Dans une si belle
+ circonstance, Votre Majesté aura quelque grâce à faire d'<i>hier
+ matin</i>.» Le Roi m'a fait répéter ma phrase:&mdash;«Ah! vous parlez de ces
+ lettres! Ce sont des bêtises, vous sentez bien que ce n'était qu'un
+ prétexte, et je n'ai fait qu'exécuter un dessein que j'avais depuis
+ trois mois. J'avais aussi peu envie de me mettre en colère que vous
+ en avez à présent. Ce Provençal et ce Sigismond sont des Prussiens.
+ Depuis six mois, j'avais donné une décision qui renvoyait les
+ Prussiens de mon service: «Je ne veux avoir à mon service que des
+ Westphaliens et des Français.»&mdash;«Des Prussiens, Sire, que M. de
+ Bulow a pris à Magdebourg.»&mdash;«Non, qu'il a fait venir de Berlin.»
+ Cela est vrai, quant à Sigismond, homme d'un grand talent, mais
+ d'une mauvaise réputation. M. Provençal, dont M. de Bulow ne se
+ servait que pour la rédaction, est un ancien ministre protestant. M.
+ de Bulow l'en raillait quelquefois, et de là ces expressions en
+ style de bible qui avaient tant déplu au Roi. M. de Furstenstein a
+ donné cette explication au roi, moi-même je l'ai confirmée; aussi
+ ces lettres ne sont-elles plus qu'un prétexte.&mdash;«Ce Sigismond est un
+ espion; il a écrit à Berlin des lettres <i>que Linden m'a renvoyées</i>
+ et pour lesquelles je pourrais le faire pendre. Mais cela irait plus
+ haut, et je ne veux pas en faire une affaire. Imaginez-vous qu'il
+ rendait compte de chaque conscrit, du mouvement de chaque compagnie,
+ enfin de tout ce qui se fait chez moi.»&mdash;«Ce n'étaient donc pas des
+ lettres particulières?»&mdash;«Oui, particulières; mais vous sentez
+ qu'elles allaient à une autre adresse. Quant à l'autre, je savais
+ que Bulow avait une correspondance secrète, qu'il ne se servait ni
+ de ma poste ni de mes courriers; qu'on lui envoyait son valet de
+ chambre qui remettait les lettres à la poste de Giessen. J'ai voulu
+ savoir ce que c'était; il y a eu 39 numéros, je les ai tous lus.
+ J'envoyais dans le pays du grand-duc de Hesse des gendarmes
+ déguisés; je faisais prendre et copier les lettres, et puis on leur
+ donnait cours. On y parlait de tout ce que je faisais, vrai ou faux,
+ n'importe. Je ne pouvais pas (je vous en demande pardon), pis...
+ sans que Bulow n'en <span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span> fût informé.» Ceci, Monseigneur, est
+ la seconde version: hier le Roi disait que c'était la direction
+ générale des postes à Paris qui lui avait envoyé ces lettres, parce
+ qu'elle en avait été indignée. Le fait est que M. de Bercagny tient
+ ses décacheteurs de lettres à sept lieues d'ici; que d'autres ont
+ été ouvertes à Giessen, et que la lettre à <i>Messie</i> avait été remise
+ au secrétaire du cabinet du Roi, il y a deux jours.</p>
+
+<p>«On parle d'intrigues, a dit le Roi, j'en ris. Si je laissais faire,
+ les Français écraseraient les Allemands, et les Allemands
+ chasseraient les Français.»&mdash;«Cela est vrai, Sire, Votre Majesté
+ tient assez l'équilibre; mais elle est placée trop haut pour ne pas
+ voir autrement ce qui se passe au-dessus d'elle que ceux qui sont
+ placés à distance. Ceux-ci, voyant certains hommes approcher souvent
+ et journellement de votre personne, leur attribuent une influence
+ qu'ils n'ont pas.»&mdash;«Ah, Bercagny! Il est officier de la maison...
+ Bercagny! je n'ai aucune confiance en lui. Vous savez ce que j'en
+ pense, c'est un bavard; il couche toutes les nuits avec des filles.
+ Il va jouer au reversi avec mes chambellans, pour faire dire qu'il
+ va au palais, et va chez Brugnière pour faire croire qu'il entre
+ dans mon cabinet. Il fait comme le duc de Richelieu qui faisait
+ arrêter sa voiture à la porte des honnêtes femmes, pour qu'on dit
+ qu'il couchait avec elles.&mdash;Sire, c'est au moins celui qui remue le
+ plus.&mdash;Jamais je n'ai rien pu savoir de lui sur la police.&mdash;Je suis
+ enchanté que Votre Majesté confirme mon opinion; il m'a paru que,
+ dans certaines crises, sa police n'était pas merveilleuse.&mdash;<i>Aussi,
+ ce n'est pas par lui que j'ai eu ces lettres.</i>»</p>
+
+<p>La conversation est ensuite tombée sur M. de Bulow. Le Roi m'a dit
+ que les Français ne lui en voulaient pas, puisqu'aucun d'eux ne
+ désirerait, ni n'était capable d'avoir sa place.&mdash;«Il y en a
+ quelques-uns cependant, et à vous dire vrai, Sire, depuis deux ans
+ que je suis ici, j'ai vu M. de Bulow l'objet d'un acharnement
+ perpétuel.»&mdash;«Ce sont plutôt les Allemands. Du reste, c'est un homme
+ à grands moyens.»&mdash;«Sire, M. de Bulow a une certaine légèreté dont
+ j'ai été quelquefois dans le cas de me plaindre moi-même; il sent sa
+ supériorité dont il abuse peut-être quelquefois. Du reste, il est
+ homme d'honneur et fidèle serviteur.»&mdash;«Le croyez-vous?»&mdash;«Oui,
+ Sire.»&mdash;«Croyez que pour changer de serviteurs, il faut que je me
+ retourne plus d'une fois sur mon oreiller. D'ailleurs, c'est un
+ homme difficile à remplacer.»&mdash;«Oui, Sire, il fait aller sa machine,
+ et ce n'est pas une chose aisée en Westphalie. (J'aurais voulu,
+ Monseigneur, rengainer ce mot qui, je m'en apercevais, ne faisait
+ pas une bonne impression.) Votre Majesté ne peut s'occuper de tous
+ les détails.»&mdash;«Il le faut pourtant, car je veux voir clair.» Le Roi
+ l'a ensuite accusé de n'avoir pas fait à Paris aussi bien qu'il
+ aurait pu faire.&mdash;«Cependant, Sire, tout son intérêt y <span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span>
+ était.»&mdash;«D'ailleurs, il y avait un ennemi, si je l'avais su, je ne
+ l'aurais pas envoyé.»</p>
+
+<p>Dans cette conversation, le Roi a passé en revue tous ses serviteurs
+ à peu près, Français et Allemands, et sur presque tous, il disait à
+ peu près ce que j'en pense. «M. Pichon, avocat et écolier, croit
+ qu'il sera ministre des finances; ce serait une plaisanterie. M.
+ Pothau, c'est un pauvre homme; il m'a dit lui-même que s'il était
+ placé au Trésor, il serait un homme perdu et que même il ne voulait
+ rien pour les postes, que sa véritable place était au tribunal
+ d'appel. Le général Morio! J'en ai été mécontent comme ministre de
+ la guerre, peu content comme général en Espagne, pas trop content
+ comme capitaine de la garde, mais il est excellent grand écuyer; il
+ a diminué le nombre de mes chevaux, en me donnant deux attelages de
+ plus, et il a déjà fait une économie de 200,000 francs. La Flèche:
+ il me fait perdre 150,000 fr. dont il a dépassé son budget, sans
+ rime ni raison; je l'épargne parce qu'il m'est personnellement
+ attaché, mais je ne puis payer cette dette qui me ruine, ou du moins
+ ne puis la payer qu'en deux ou trois ans. Furstenstein ne prend
+ jamais l'initiative; il m'est personnellement dévoué, l'empereur
+ lui-même l'a distingué en l'admettant à sa table; c'est un homme
+ modeste qui ne demande qu'à être auprès de ma personne, qui se
+ contenterait de tout, et qui est si peu remuant qu'il ne fait même
+ pas tout ce qu'il devrait faire dans sa place.»</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;J'adresse à Votre Excellence la décision du Roi concernant
+ ses aides de camp en mission, telle que M. de Furstenstein me l'a
+ transmise. Il n'y est pas question d'autorités civiles; il faut
+ qu'il y ait là-dessous quelque malentendu que je ne puis encore
+ expliquer.</p>
+</div>
+
+<p>Le duc de Cadore mit en note au bas de cette lettre de Reinhard, de
+sa main:</p>
+
+<p class="lettre">(<i>Note du Ministre.</i>) L'empereur veut qu'on fasse connaître à M.
+ Reinhard que l'ordre du jour du Roi du 19 janvier 1811 est absurde
+ dans tous les points et contraire à tous les usages, ainsi qu'à
+ toutes les règles observées dans tous les pays. L'empereur n'est pas
+ content de cette conversation de M. Reinhard.</p>
+
+<p>Une lettre de Champagny, adressée de Paris le 3 avril, accentua
+encore davantage ce sentiment de désapprobation. Après avoir essayé
+de se justifier, Reinhard continue de tenir le ministère au courant
+de tout ce qui se passait en Westphalie. Il lui écrivit le 11 avril:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai fait hier à M. le comte de Furstenstein la question
+ confidentielle que j'avais annoncée à Votre Excellence dans mon
+ numéro 220. Ce ministre m'a répondu que Sa Majesté impériale avait
+ été prévenue par <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span> le Roi de la démission donnée à M. de
+ Bulow immédiatement après l'événement par un courrier parti le même
+ jour (par conséquent le 9); que depuis un certain temps déjà, le Roi
+ n'avait plus en lui la même confiance, et qu'avant tout il voulait
+ voir clair dans ses finances, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir.
+ J'ai dit que sans doute le Roi était le maître de donner ou de
+ retirer sa confiance; qu'au reste M. de Bulow, ayant l'honneur
+ d'être décoré du grand cordon de la Légion, appartenait sous ce
+ rapport un peu à Sa Majesté l'empereur et méritait quelques égards.
+ Cela m'a conduit à dire un mot du traitement qu'on fait éprouver à
+ ses employés. La réponse a été la même que le Roi avait fait donner
+ à M. de Bulow par M. Siméon. Je ne vous parlerai plus de ces
+ détails, Monseigneur. Quand une fois on est engagé à marcher à
+ petits pas dans ce petit labyrinthe, on n'en sort plus, à moins de
+ faire un pas d'homme pour le franchir.</p>
+
+<p>J'avais cru devoir différer ma visite chez M. de Bulow jusqu'après
+ ma conversation avec M. de Furstenstein. J'y suis allé. Cet
+ ex-ministre m'a dit qu'il attachait beaucoup de prix à ma visite,
+ parce qu'il avait désiré de m'entretenir de sa conduite depuis son
+ retour, afin de ne point paraître sous un faux jour aux yeux de mon
+ gouvernement. Il m'a fait un récit abrégé de sa longue conversation
+ avec le Roi, du langage dont il s'est servi pour lui démontrer la
+ nécessité de signer la convention, du tableau qu'il a fait à Sa
+ Majesté des règles de conduite, des moyens de garantie et des
+ ressources pour l'avenir; enfin de ce que le salut du Roi et du
+ royaume était dans un plan d'économie sévère et dans une soumission
+ entière à Sa Majesté l'empereur; des explications, des épanchements
+ et des assurances qu'il a obtenus de la bouche du Roi, et des
+ illusions sur le retour entier de sa confiance qu'il se faisait en
+ sortant de cette conversation au moment où l'on arrêtait ses
+ employés. «Au Conseil des ministres, a-t-il ajouté, j'ai exposé les
+ désavantages et les avantages de deux projets de convention que j'ai
+ rapportés de Paris, les instructions du Roi et les volontés de Sa
+ Majesté impériale. Le Roi ne semblait écouter que moi. Lorsqu'il a
+ été question de signer, j'ai prié d'en être dispensé. Je craignais
+ d'être renvoyé à Paris et de rester une seconde fois en butte à mes
+ ennemis. J'ai proposé M. de Wintzingerode; il a été arrêté que je
+ signerais ici et que je ne retournerais pas à Paris.»</p>
+
+<p>Quand nous en étions là, M. Siméon est arrivé. M. de Bulow s'est
+ plaint alors avec amertume de la nuée d'espions de police qui
+ entouraient sa maison, qui, montre et tablettes en main, notaient
+ ouvertement tous ceux qui entraient et qui sortaient, enfin qui
+ avaient l'air de le garder comme un criminel. Il a dit que M. Siméon
+ étant ministre de la police, lui, devenu particulier, ne pouvait
+ regarder ces indignités que comme autorisées par M. Siméon. Nous lui
+ avons conseillé d'ignorer <span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> ces incidents, dont sûrement le
+ Roi n'était pas instruit. Aussi je les ignore, a-t-il dit, et ce
+ n'est que mon estime pour vous qui m'a engagé à en parler. M. Siméon
+ lui a promis de reparler au Roi de ce qui concernait ses employés.</p>
+
+<p>J'ai fait part à M. de Bulow, devant M. Siméon, de la question que
+ j'avais faite à son sujet à M. de Furstenstein. M. de Bulow m'a
+ interrompu. «Quoique je me tienne infiniment honoré, m'a-t-il dit,
+ par la décoration que Sa Majesté l'empereur a daigné m'accorder, je
+ ne crois cependant appartenir qu'au Roi seul.»&mdash;«Par cette
+ décoration donnée par Sa Majesté l'empereur, ai-je répondu, vous
+ appartenez un peu à son intérêt, et s'il eût été possible qu'une des
+ inculpations qu'on vous a faites fût fondée, Sa Majesté impériale
+ n'aurait pu y rester indifférente. Quant à moi qui ai l'honneur de
+ porter la même décoration dans un grade inférieur, je vous dois une
+ considération qui s'accorde parfaitement avec l'estime que m'inspire
+ votre mérite, et voilà le motif de la visite que j'ai cru devoir
+ vous faire publiquement, et comme particulier, et comme ministre de
+ France.»</p>
+
+<p>Quand M. Siméon fut parti, j'ai demandé à M. de Bulow comment le Roi
+ avait pu être induit à croire à la rétrocession de la ville de
+ Lunebourg? J'ai en effet, a-t-il dit, à me justifier à cet égard
+ auprès de vous, et il m'a expliqué la chose comme il m'a assuré
+ l'avoir expliquée à Votre Excellence. Il m'a parlé ensuite du prix
+ infini qu'il attachait à pouvoir se dire dans sa retraite que mon
+ gouvernement lui rendait justice, et que les efforts qu'on ferait
+ peut-être pour le dénigrer à ses yeux ne produiraient aucun effet.
+ Enfin il m'a protesté combien il se sentait heureux d'être soulagé
+ du fardeau qui l'avait accablé et que dans aucune hypothèse il ne
+ désirerait reprendre.</p>
+
+<p>J'ai trouvé, Monseigneur, M. de Bulow dans un état d'exaltation qui
+ lui donnait de la fierté et presque de la raideur; mais, au degré
+ près, je l'ai trouvé le même qu'il s'est toujours montré. Ce qui est
+ certain à mes yeux, c'est que M. de Bulow est un homme qui a
+ profondément la conscience de la pureté de ses intentions et de sa
+ conduite.</p>
+</div>
+
+<p>M. de Bulow avait été disgracié pour avoir consenti à signer à Paris
+les conventions qui démembraient le royaume de Westphalie; le bruit
+courut même un moment qu'il avait été arrêté par ordre du roi. Il
+n'en était rien. Reinhard s'y opposa d'ailleurs de toute son
+autorité. Plusieurs de ses lettres du mois d'avril sont tout
+entières consacrées à ces incidents. Celle du 13 se termine ainsi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je ne crois pas, Monseigneur, que les événements et mes idées sur
+ l'avenir aient acquis assez de maturité pour que dès aujourd'hui je
+ puisse mettre sous vos yeux le tableau de la situation nouvelle des
+ <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> choses. Je me bornerai en conséquence à compléter mon
+ récit de ce qui s'est passé et à vous peindre l'attitude actuelle
+ des personnes influentes.</p>
+
+<p>M. de Bulow a dit au Roi, dans sa conversation, que pour être roi de
+ ses sujets, il devait se considérer uniquement comme vice-roi de
+ l'empereur; que quelque désavantageuse que fût la convention à
+ signer, elle renfermait une garantie précieuse de la convention du
+ royaume; que le royaume avait en lui-même les moyens financiers
+ nécessaires pour se maintenir, mais que ces moyens ne pouvaient être
+ réalisés que <i>par une économie et un ordre sévères</i>; que les deux
+ conventions contenaient la volonté immédiate de Sa Majesté
+ impériale; que si les conditions en étaient peu avantageuses, elles
+ l'étaient plus que celles que plusieurs autres États avaient
+ obtenues; que quand Sa Majesté impériale aurait voulu favoriser le
+ Roi davantage, elle n'aurait pas pu le faire dans le moment actuel;
+ que les espérances pour l'avenir restaient entières, etc.</p>
+
+<p>Celui des griefs du Roi que M. de Bulow m'a cité consistait en ce
+ <i>qu'il se faisait trop aimer et qu'il se faisait un parti</i>. Il a été
+ question de lettres interceptées. M. de Bulow a justifié celles dont
+ il avait connaissance; son désir jusqu'au dernier moment était de
+ mettre sous les yeux du Roi la liasse de celles qu'il avait reçues
+ et surtout toutes les lettres numérotées de M. Provençal.</p>
+
+<p>Dans la courte conversation qu'il a eue avec moi, avant sa
+ catastrophe, il ne m'a point montré l'espérance décidée de parvenir
+ à effacer toutes les préventions du Roi; mais aux personnes avec
+ lesquelles il vivait dans une grande intimité, il a dit qu'il
+ croyait être sûr d'en venir à bout. Après la conversation même, il
+ en est sorti rayonnant.</p>
+
+<p>Le Roi, dans cette conversation, avait-il déjà le projet déterminé
+ de renvoyer le lendemain M. de Bulow? Forcé par l'avis unanime de
+ son Conseil à signer la convention, a-t-il voulu marquer son
+ mécontentement en disgraciant le négociateur? Je ne crois ni l'un ni
+ l'autre. C'est par un retour sur la conversation qui venait d'avoir
+ lieu, que les vérités fortes qu'il avait entendues lui auront fait
+ une impression douloureuse, de même que quelquefois on ne sent pas
+ une blessure au moment où le coup a été porté. Ceux dont l'intérêt
+ était de forger le fer pendant qu'il était chaud l'auront ensuite
+ entraîné d'un mouvement accéléré.</p>
+
+<p>Il me paraît certain que les lettres interceptées ont été le levier
+ le plus puissant dont s'est servi M. de Bercagny pour n'y voir qu'un
+ moyen d'information. Le Roi a manqué d'impassibilité; il a reproché
+ publiquement jusqu'à des lettres d'amour à un jeune officier.
+ Cependant, dans tout ce qui a transpiré, on ne cite absolument rien
+ qui ait <span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> pu réellement blesser la dignité du Roi ou qui
+ prouve que des secrets de son palais aient été trahis.</p>
+
+<p>Le Roi n'a cru et n'a voulu agir que par lui-même. Il a blâmé
+ quelques maladresses de M. de Bercagny; mais pour ne point le faire
+ soupçonner de partialité, il lui avait adjoint MM. de Bongars et de
+ Gilsa. Il a voulu que l'ensemble des mesures fût regardé comme étant
+ émané de sa volonté suprême.</p>
+
+<p>M. Siméon s'est conduit avec fermeté et sagesse. Il a fait au roi
+ des représentations et ne s'est arrêté qu'à la limite où il aurait
+ cru ou manquer de soumission, ou risquer de se perdre lui-même. Il a
+ dit hautement sa pensée et ses sentiments à ses collègues et surtout
+ à M. de Furstenstein. Il n'a point abandonné M. de Bulow. C'est dans
+ le rapport, à la suite duquel le sieur Hortsmann a été relâché,
+ qu'il a fait voir au Roi le néant de tous les fantômes dont on
+ l'avait entouré et dont celui du cocher déguisé n'est qu'un faible
+ échantillon. Le Roi a chargé M. de Furstenstein de dire à M. Siméon,
+ s'il croyait devoir lui donner des conseils, qu'il ne lui en
+ demandait pas.&mdash;N'importe, les conseils ont produit leur effet.</p>
+
+<p>M. de Furstenstein était prévenu de tout ce qui devait arriver, mais
+ il n'a point voulu s'en mêler. Il a dit qu'il se trouvait bien comme
+ il était, et qu'il n'avait rien contre M. de Bulow; il a détourné le
+ Roi de faire mettre les scellés sur ses papiers. Vis-à-vis de moi,
+ il a pris le langage d'un homme qui défend les mesures de son
+ maître.</p>
+
+<p>Il n'en est pas de même de M. Hugot, son secrétaire général. Les
+ passions grossières de cet homme qui n'est ni aimé, ni estimé, le
+ poussent à l'excès de l'absurdité. Il a quelque talent pour la
+ rédaction et la mémoire des lois françaises et westphaliennes; il
+ est nécessaire à M. de Furstenstein, mais l'aversion du Roi contre
+ lui, la tournure de son esprit et de sa personne lui interdisent à
+ jamais l'espoir de sortir de son rang subalterne. Sa méchanceté est
+ gratuite; elle est l'effet du caractère haineux et vindicatif d'un
+ prêtre.</p>
+
+<p>M. de Wolfradt a vu ces événements avec douleur; il est resté
+ passif. Le public s'obstine à croire que son tour viendra bientôt.
+ M. le comte de H&oelig;ne est nul. M. Morio se cache. M. Pichon,
+ pendant la crise, a évité toutes les sociétés, et surtout la mienne.
+ M. de Malmsbourg ayant laissé dans la caisse d'amortissement un fond
+ de 3,500,000 francs pour commencer les paiements au premier juillet,
+ le public attend son successeur à l'épreuve.</p>
+
+<p>M. de Bercagny est plus aimable et plus spirituel que jamais; il a
+ donné hier un dîner de vingt couverts. Le nommé Savagner, son
+ secrétaire général, est un scélérat que lui-même avait été obligé de
+ chasser et qu'il a repris après le renvoi de Schalch. Soit pudeur,
+ soit bon esprit, M. de Bercagny pèse au Roi. Il avait eu le projet
+ de le nommer <span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span> préfet d'Hanovre. M. de Wolfradt effrayé l'en
+ détourna, tandis que M. Siméon ne demandait pas mieux; ou bien y
+ aurait-il de la dissimulation?</p>
+
+<p>M. de Malchus devait son entrée au Conseil d'État à M. de Bulow. Il
+ est revenu de Paris, accusant le ministre d'avoir voulu le perdre.
+ Il ne s'est point montré chez moi depuis le retour de la transaction
+ avec M. le général Compans. Il a vécu depuis quelque temps dans
+ l'intimité de M. de Bercagny. Il a juré à M. de Bulow de n'avoir
+ point contribué à sa chute. Il a affecté de s'opposer à sa
+ nomination définitive, et ce n'est que depuis hier qu'il a accepté
+ le titre d'Excellence.</p>
+
+<p>M. de Malchus passe pour être un bon travailleur, mais se perdant
+ dans les détails et incapable de saisir un ensemble. Le Roi ne
+ l'estime et le public ne l'aime point. On le dit sans âme et
+ ambitieux à l'excès avec un extérieur calme et simple.</p>
+
+<p>L'emprunt forcé devant être employé aux dépenses courantes, on ne
+ prévoit pas d'embarras pendant les six mois prochains. Les
+ obligations westphaliennes sont fortement tombées pendant la semaine
+ dernière. Celles à 4 <span class="smaller"><sup>0</sup>/<sub>0</sub></span> sont au-dessous de 40; mais ce n'est qu'un
+ signe de l'impression profonde qu'ont faite les circonstances qui
+ ont accompagné la disgrâce de M. de Bulow.</p>
+
+<p>Cette disgrâce, Monseigneur, fait le triomphe d'un parti: ce
+ parti-là n'est point le parti français auquel, à peu d'exceptions
+ près, appartiennent tous les bons serviteurs du Roi. Par une assez
+ sage distribution des places, le Roi a pourvu à ce que, pour le
+ moment, les vainqueurs ne pussent pas trop abuser de la victoire.
+ Les conséquences se développeront plus tard.</p>
+
+<p>Aussi, tout en présageant que, par les derniers événements, la
+ situation de la Westphalie s'est détériorée, quand ce ne serait que
+ parce que, dans cette disette de talents, il y aura un homme de
+ talent de moins, je regarde les derniers arrangements comme les
+ moins mauvais qu'on ait pu faire dans cette circonstance. <i>Mais il
+ est à désirer que le Roi se défasse de M. de Bercagny.</i></p>
+
+<p>J'ai de forts indices pour soupçonner que ma dépêche, où je traçais
+ tout le plan qui s'est réalisé depuis, a été livrée par celui de mes
+ valets que j'avais chargé de la porter à Mayence, et qui depuis est
+ devenu l'espion de ma maison. Comme je n'ai rien à cacher, et que le
+ moment actuel ne paraît point propice pour faire un éclat, je le
+ garderai pendant quelques jours encore. Mais si j'obtenais la
+ certitude ou plutôt la preuve de la trahison de la dépêche,
+ suffirait-il de le chasser?</p>
+</div>
+
+<p>Après les petites intrigues d'intérieur du gouvernement westphalien,
+revint la grosse question des finances. L'empereur ordonna, à cette
+époque, au prince d'Eckmülh de réclamer de la Westphalie la
+<span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> réparation des importantes fortifications de Magdebourg et
+l'approvisionnement de siège de cette place. Or, c'était une dépense
+de trois millions, et Napoléon avait décidé le 29 janvier que cette
+dépense serait couverte par le produit des droits imposés aux
+denrées coloniales. Reinhard fut chargé de réclamer du gouvernement
+de Jérôme l'exécution de la mesure relative à Magdebourg. Il fit des
+démarches auprès du comte de Furstenstein et auprès du roi, puis il
+répondit le 7 mai au duc de Bassano qui avait remplacé le duc de
+Cadore au ministère des relations extérieures:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. le comte de Furstenstein, en me disant que la demande
+ d'approvisionnements de siège pour Magdebourg serait le coup de
+ grâce pour les finances westphaliennes, ajouta que du budget des
+ finances pour l'année 1811 qui, après plusieurs séances, avait été
+ arrêté dans le conseil d'administration de dimanche, résultait un
+ déficit de 14 millions, et que pour l'année prochaine, ce déficit
+ serait incalculable. M. Pichon vient de me donner le commentaire de
+ ces paroles.</p>
+
+<p>Voici ce que M. Pichon m'a dit: le déficit de l'année 1811 est de 14
+ millions au moins; selon lui, il sera de 18, et en toute hypothèse,
+ il le sera en ajoutant les frais d'approvisionnements de Magdebourg.
+ L'arriéré de 1810 est de 9 millions, ce qui fait en total 27
+ millions. Il s'agissait de couvrir ce déficit. Le travail sur cet
+ objet a été renvoyé samedi, à 7 heures du soir, à l'examen d'une
+ commission présidée par M. de Malchus, laquelle s'est séparée à
+ minuit. M. Pichon a passé la nuit à travailler.</p>
+
+<p>Pour couvrir le déficit, on emploiera d'abord le produit de
+ l'emprunt forcé qui sera de huit millions. M. Pichon dit que cette
+ somme rentrera en entier, puisqu'elle sera levée sur les rôles de
+ l'emprunt forcé de 1808, et que les contribuables seront dans
+ l'alternative de payer ou de s'en aller. Or, ces rôles ont été faits
+ dans l'assurance que l'emprunt forcé serait payé une seule fois, et
+ les contribuables ont cru alors payer la totalité. Il se trouve
+ aujourd'hui que, parce qu'on avait évalué par erreur à 20 millions
+ l'emprunt forcé qui, dans la réalité, n'en a produit que dix, les
+ contribuables n'en ont payé que la moitié.</p>
+
+<p>Les intérêts de la dette exigibles à la caisse d'amortissement
+ jusqu'à la fin de 1811 sont de dix millions. Ces dix millions ne
+ seront pas payés. M. de Malchus proposait de les capitaliser. L'avis
+ de M. Pichon était de nantir la caisse d'amortissement, pour le
+ paiement de ces intérêts, d'une valeur de dix millions en domaines
+ nationalisés par le décret du 1<sup>er</sup> décembre 1810, et d'admettre les
+ coupons d'intérêts à l'achat de ces biens. <i>S'il y avait une
+ garantie</i>, m'a dit M. Pichon, on pourrait calculer que les
+ possesseurs de coupons perdront vingt pour cent tout au plus.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> Les neuf millions restant du déficit seront rejetés sur
+ l'année prochaine.</p>
+
+<p>On croit obtenir pour l'année prochaine une augmentation de quatre
+ millions dans les impôts.</p>
+
+<p>On évalue à 40 millions la totalité des domaines nationalisés
+ disponibles. Avec ce fonds, tant qu'il durera, on pourra encore
+ marcher. Il y a encore moyen de trouver des acheteurs. Un M.
+ Godefroi, négociant à Hambourg, a fait sonder les dispositions de M.
+ Malchus pour un achat de quatre à cinq millions.</p>
+
+<p>Et que deviendront, ai-je demandé à M. Pichon, les
+ obligations?&mdash;Elles n'auront plus de cours, elles tomberont à néant.
+ Voilà donc table rase pour le grand livre!</p>
+
+<p>Il faut maintenant, a continué M. Pichon, que le Roi, connaissant
+ parfaitement l'état de ses finances, s'y conforme. Il est impossible
+ d'entretenir une armée westphalienne de 30,000 hommes, qu'on compte
+ augmenter encore. Le Roi dit que Sa Majesté l'empereur le veut
+ ainsi. Vous avez dit le contraire, que faut-il croire?&mdash;Le Roi,
+ ai-je répondu, ne m'a jamais dit que Sa Majesté le voulait ainsi,
+ mais seulement qu'elle ne désapprouvait pas son état militaire
+ actuel. Cette approbation me paraît conditionnelle. L'obligation de
+ remplir ses engagements envers la France est la première; qu'ensuite
+ le Roi entretienne une armée si ses finances peuvent y suffire, Sa
+ Majesté impériale, sans doute, n'a aucun motif pour s'y opposer. Je
+ dois dire cependant que la conduite des troupes westphaliennes en
+ Espagne n'a pas donné une haute opinion de la confiance qu'on peut y
+ placer; mais, à dire vrai, je doute que vous déterminiez Sa Majesté
+ à diminuer son armée. Le Roi, à cet égard, ressemble à un joueur qui
+ poursuit une grande chance, laquelle doit ou l'enrichir ou le
+ ruiner. Une fois engagé, il peut se croire obligé à doubler la mise.</p>
+
+<p>Le Roi, a poursuivi M. Pichon, persiste à exiger que sa liste civile
+ soit de six millions: cela est impossible. D'ailleurs vous n'ignorez
+ pas que ses revenus ne se bornent point à cette somme, et que par
+ différents moyens il a su les augmenter encore considérablement.
+ Tels sont les capitaux ci-devant hessois qui d'après le traité de
+ Berlin ont une destination particulière. Tels sont les domaines
+ impériaux dont il s'est emparé et dont le trésor public a fourni ou
+ doit fournir l'indemnité. Les revenus de ses propres domaines ne
+ sont pas compris non plus dans les six millions. Enfin la liste
+ civile doit 600,000 francs à la caisse d'amortissement.</p>
+
+<p>Voici, Monseigneur, ce que j'ai appris de M. Pichon sur cette dette.
+ À la fin de l'année dernière (probablement à l'époque où il y avait
+ à mettre au courant l'arriéré de la solde et de la masse des troupes
+ françaises), le trésor se trouvant sans fonds pour payer la liste
+ civile se fit <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> avancer 400,000 francs par la caisse
+ d'amortissement. «Il y a eu depuis, dit M. Pichon, une reculade pour
+ le remboursement.» Il paraît donc que le trésor s'étant acquitté
+ envers la liste civile, la dette envers la caisse d'amortissement
+ est restée à la charge de celle-ci. À quelle époque cela a-t-il eu
+ lieu? Je l'ignore. J'ignore également comment de 400,000 francs la
+ dette est montée à 600,000 francs.</p>
+
+<p>J'ai dit, Monseigneur, dans une lettre antérieure, qu'avec 3,200,000
+ fr. en caisse, M. de Malsbourg se proposait de payer au premier
+ juillet les coupons d'intérêt à bureau ouvert, et que c'était là que
+ le public attendait M. Pichon. Je sais qu'avec son air de
+ nonchalance ordinaire, M. Morio parlant du déficit de M. de Laflèche
+ a dit que c'eût été un bon moment pour restreindre les dépenses et
+ pour devenir sage; mais la liste civile ayant réussi à faire un
+ emprunt de 4,500,000 francs, on ne songeait qu'à bâtir et à faire
+ des folies; qu'ainsi était le Roi, que dès qu'il avait de l'argent
+ comptant, cela s'écoulait entre ses mains. Or personne n'a pu me
+ dire où et comment la liste civile a fait un emprunt de 4 ou 500,000
+ francs. Je poursuis.</p>
+
+<p>J'ai conseillé au Roi, m'a dit M. Pichon, de mettre son budget sans
+ réserve sous les yeux de l'Empereur et de lui dire: Sire, voilà où
+ j'en suis, conseillez-moi, aidez-moi. Le Roi n'a pas voulu.....
+ Enfin le Roi se perd, si l'Empereur ne vient pas à son secours, s'il
+ n'interpose pas son autorité.</p>
+
+<p>Ensuite M. Pichon me disant que sa place <i>actuelle</i> était sans
+ responsabilité, et me rappelant ce que je lui avais dit dans le
+ temps, que comme garant de la Constitution westphalienne, Sa Majesté
+ Impériale s'en prendrait à la responsabilité des ministres, m'a
+ demandé si à ce sujet j'avais fait une notification par écrit. J'ai
+ répondu que non, mais que dans plusieurs circonstances j'avais
+ rappelé à tous et un chacun cette responsabilité.&mdash;Mais, a dit M.
+ Pichon, si les ministres n'agissent que par ordre du Roi? Le Roi
+ doit avoir au moins le même pouvoir dont jouit un maréchal ou un
+ gouverneur général.&mdash;Cela peut, ai-je répondu, n'être que
+ comminatoire; mais aussi cela peut un jour tomber sur la tête de
+ quelqu'un comme un coup de foudre.&mdash;Cela m'est égal, a dit M.
+ Pichon, je dirai toujours la vérité au Roi: je viens de la lui dire
+ fortement sur l'état déplorable des finances de sa maison: je lui
+ demanderai la permission d'aller à Paris. Là je lui dirai à quelles
+ conditions je pourrai le servir. Ses bienfaits m'ont mis au niveau
+ de mes dépenses. D'ailleurs avant tout je reste français: jamais je
+ ne prêterai un serment qui puisse me perdre cette qualité.</p>
+
+<p>M. Pichon, Monseigneur, jouit en ce moment de la confiance presque
+ exclusive du Roi. Ce que cette conversation m'a démontré, c'est
+ qu'il se regarde déjà comme ministre des finances, mais qu'il se
+ fait encore illusion. M. Pichon est plein de franchise. Il est
+ infatigable au travail, <span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> son caractère honnête, ses
+ connaissances sont vastes, ses vues étendues; mais son esprit est
+ souvent faux, et son ambition égale sa présomption. Il m'a accusé
+ d'avoir voulu l'écarter des affaires: il a méconnu les conseils de
+ l'amitié. Son impatience et une malheureuse inquiétude, que lui
+ avaient donnée ses premières dépenses, l'ont jeté dans une fausse
+ route. En le plaignant, en prévoyant qu'il court à sa perte, mon
+ opinion est et doit être aujourd'hui qu'il n'y a que M. Pichon qui
+ parmi les aspirants que peut offrir la Westphalie puisse être
+ ministre des finances. Il est l'auteur des projets dont l'exécution
+ va commencer; l'impulsion est donnée, il est français, il fera
+ prévaloir toutes les idées d'administration française. Il dira au
+ Roi la vérité ou ce qu'il croira tel, par instinct et sans
+ réfléchir. Il s'opposera souvent à ses volontés: ses collègues
+ s'accoutumeront à ses vues et à sa manière d'être. Si le Roi me
+ consultait, ce qu'il ne fera point assurément, jamais je ne lui
+ dirais qu'il faut nommer M. Pichon, je ne veux pas avoir M. Pichon
+ sur mon âme; mais quand il l'aura nommé, je lui dirai que c'est là
+ ce qu'il fallait faire pour être conséquent.</p>
+
+<p>Du reste, Monseigneur, si Votre Excellence se fait rendre compte de
+ ma correspondance, elle trouvera que M. Pichon ne m'a appris rien de
+ nouveau sur le <i>déficit</i>, et qu'après l'écart concernant la caisse
+ d'amortissement, on rentre dans l'ornière de M. de Bulow.</p>
+
+<p>Mais cet écart, Monseigneur, ne peut pas laisser d'entraîner des
+ conséquences funestes. Dans la stagnation actuelle de toutes les
+ affaires, avec le bas prix des grains dans un état agricole qui
+ tirait de leur exportation la plus grande partie de son numéraire,
+ avec la vigueur qu'il faudra employer pour faire rentrer les impôts,
+ et ce qui reste à percevoir de l'emprunt forcé, la cessation absolue
+ du paiement des intérêts de la dette publique, événement inouï en
+ Allemagne, accroîtra nécessairement à un degré difficile à calculer
+ les embarras et la misère. On combinera avec cette mesure
+ l'isolement du Roi et le camp de Catharinenthal (qui au reste n'est
+ composé que de quelques bataillons de la garde). Mais le Roi en
+ partant pour Paris<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a><a href="#footnote136" title="Lien vers la note 136"><span class="smaller">[136]</span></a> laissera-t-il entre les mains de M. de
+ Bongars un pouvoir sans contrôle? Hélas! faudra-t-il prévoir des
+ malheurs que peuvent causer dans la nouvelle crise qui menace la
+ Westphalie des mesures qui ne seraient point guidées par la sagesse?</p>
+</div>
+
+<p>Dans une autre lettre du 17 mai, Reinhard rapporte un entretien
+qu'il eut avec le roi, au sujet de l'approvisionnement à Magdebourg,
+et le refus absolu que Jérôme opposa à toutes ses demandes sur ce
+chapitre. Cependant le séjour que le roi fit à Paris lors des fêtes
+pour <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> le baptême du roi de Rome fit fléchir ses résolutions
+qui semblaient si fermes. Comme le dit Reinhard: «On a toujours
+remarqué que le roi rapportait de Paris des maximes saines et des
+résolutions parfaites, qui ne durent pas toujours» (lettre à
+Bassano, du 8 juillet); et il ajoute: «On a dû discuter au conseil
+des ministres les moyens d'approvisionnement. On tâchera de trouver
+des fonds pour l'acquisition des objets les plus pressants, qu'il
+faudra payer comptant. On se procurera les grains par voie de
+réquisition, et au moyen de bons payables en deux ans.»</p>
+
+<p>La même lettre jette un jour assez curieux sur la haute police en
+Westphalie:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Depuis que la haute police est à peu près détachée de la préfecture,
+ celle-ci prend son essor contre les contraventions à ses règlements
+ dans les rues et dans les cabarets. Comme elle tire ses fonds
+ principaux des amendes et d'autres revenant-bons qu'elle s'est
+ créés, son industrie s'exerce de mille manières. Elle a pour maxime
+ de laisser vieillir ses règlements pour faire donner dans le piège
+ plusieurs contrevenants à la fois. Alors les amendes pleuvent sur de
+ malheureux paysans ou ouvriers qui expient un délit commis par
+ ignorance par la perte du gain d'une semaine. La haute police, de
+ son côté, ne respecte pas davantage la liberté personnelle. Une
+ circulaire récente du général Bongars ordonne à tous les maires du
+ royaume de faire arrêter sur-le-champ toute personne qui leur
+ paraîtra suspecte. C'est le besoin de créer des contraventions et
+ des délits qui se commettent par des employés français; la règle est
+ de les renvoyer en France, lorsqu'ils s'en sont rendus coupables
+ d'une manière trop éclatante, afin d'en soustraire la connaissance
+ aux tribunaux du pays. C'est ainsi que dernièrement le chef du
+ bureau de recrutement au ministère de la guerre fut renvoyé en
+ France pour des malversations énormes. Cela peut n'être pas très
+ légal et peut avoir d'autres inconvénients encore; mais cela est
+ conforme à la prudence.</p>
+
+<p>P. S.&mdash;Le retour de M<sup>me</sup> Savagner n'a rien de commun avec la
+ disgrâce de son mari. Voici le fait. M. de Bercagny demandait à M.
+ Savagner des rapports très importants: celui-ci en demandait à ses
+ subalternes. L'un de ces hommes, voyant qu'on cherchait absolument
+ des indices de conspiration, imagina d'en forger une dans laquelle
+ il impliqua plusieurs personnages importants. Ce manège ayant duré
+ pendant quelques mois, le Roi eut enfin l'esprit de se douter que M.
+ Bongars et M. Bercagny étaient pris pour dupes. L'homme aux rapports
+ fut arrêté, menacé, confronté avec son commettant et finit par
+ <span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> avouer qu'il avait inventé toute la conspiration pour se
+ faire valoir. Sur cela le Roi a résolu de supprimer la préfecture de
+ police et l'on me dit que M. de Bercagny sera créé chambellan, ayant
+ la surintendance du spectacle<a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a><a href="#footnote137" title="Lien vers la note 137"><span class="smaller">[137]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p>Quelques jours après, nouvelle arrestation! C'est une lettre de
+Reinhard à Bassano, de Cassel, 15 juillet 1811, qui nous l'apprend:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Il s'est passé il y a trois jours un événement qui a beaucoup occupé
+ l'attention du public à Cassel. M. Savagner, secrétaire général de
+ la préfecture de police, a été arrêté pendant la nuit de jeudi
+ dernier, dans son lit, et ses papiers ont été visités. Le lendemain
+ on lui a signifié sa destitution et son bannissement de la
+ Westphalie. Il doit partir demain.</p>
+
+<p>Il existe plusieurs versions sur la cause de cette disgrâce. On
+ l'attribue à des malversations découvertes, à des propos offensants
+ tenus sur la personne du Roi (et en effet quelques personnes ont
+ subi des interrogatoires à ce sujet); à la dénonciation faite par M.
+ Savagner d'une prétendue conspiration qui s'est trouvée sans
+ fondement; enfin à des poursuites dirigées contre lui par le
+ gouvernement français pour d'anciennes malversations commises en
+ France.</p>
+
+<p>La lettre du Roi, adressée à ce sujet au ministre de l'Intérieur et
+ que j'ai lue, porte: que le sieur Savagner ayant, par des pratiques
+ hautement repréhensibles, cherché à surprendre notre religion et à
+ abuser de la confiance que nous accordons à toutes les autorités
+ instituées par nous, Nous ordonnons, etc.</p>
+</div>
+
+<p>Une affaire d'une autre nature vint à cette époque (juillet 1811)
+indisposer l'empereur contre les agents du roi de Westphalie. Un
+certain Hermann, commissaire à Magdebourg, fît, le 9 de ce mois, un
+rapport à M. de Sussy sur la conduite du préfet de Magdebourg.</p>
+
+<p>Napoléon prit connaissance de cette pièce et la transmit au duc de
+Bassano avec la lettre suivante omise à la <i>Correspondance</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Trianon, 20 juillet 1811.</p>
+
+<p>Je vous envoie une lettre du sieur Hermann, commissaire à Magdebourg
+ pour la réception des marchandises coloniales provenant de la
+ Prusse. Vous y verrez quelle est la conduite du préfet de
+ Magdebourg. Parlez-en au ministre de Westphalie; écrivez à mon
+ ministre à Cassel de porter plainte contre le préfet de Magdebourg;
+ chargez-le d'exprimer <span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> à cette cour tout mon mécontentement
+ que dans une ville que j'ai conquise et où sont mes troupes, on
+ tienne une conduite aussi contraire à mes intérêts; qu'on n'aurait
+ point osé se comporter ainsi dans un pays ennemi.</p>
+</div>
+
+<p>Voici maintenant le rapport du sieur Hermann, en date de Magdebourg,
+9 juillet 1811:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Permettez-moi d'appeler un moment votre attention sur un objet dont
+ j'ai déjà eu l'honneur de vous entretenir plusieurs fois. C'est le
+ défaut d'emplacement et la mauvaise volonté de M. le comte de
+ Schullembourg, préfet de cette ville.</p>
+
+<p>Cet administrateur a témoigné cette mauvaise volonté dans toutes les
+ occasions depuis le premier jour où il a été question de faire ici
+ l'entrepôt des marchandises coloniales. À chaque demande j'ai
+ éprouvé un refus. Pour chaque grenier de la douane, pour chaque
+ emplacement il m'a fallu faire intervenir l'autorité du gouverneur
+ de Magdebourg et le préfet a semblé prendre à tâche de jeter par là
+ de l'odieux sur l'opération dans la ville, et de la rendre
+ désagréable au gouvernement de Cassel.</p>
+
+<p>Le 4 de ce mois, me voyant à la veille de manquer tout à fait
+ d'emplacement, j'ai été voir M. le préfet pour lui demander une
+ église convenable: il me l'a refusée sous un prétexte. Je lui en ai
+ proposé trois autres: il me les a refusées sous d'autres prétextes.
+ Tout avec lui est embarras. Enfin, voulant éviter de faire usage de
+ l'autorité militaire, j'ai écrit à M. le préfet la lettre que vous
+ trouvez ci-jointe. Il m'a répondu le lendemain. Il est impossible en
+ lisant sa lettre de se dissimuler que M. le préfet est plein d'un
+ venin secret qu'il ne peut s'empêcher de répandre lorsqu'il s'agit
+ de la France. En réponse je lui ai adressé le numéro 3 et j'ai tâché
+ de lui faire sentir le plus doucement possible combien ses
+ observations étaient déplacées. Il m'a répliqué par le numéro 4. Il
+ est impossible de faire une proposition plus absurde à un
+ commissaire de Sa Majesté l'Empereur, de lui prescrire des
+ conditions d'une manière plus impérative. J'ai répondu à cela par
+ une lettre n<sup>o</sup> 5 et il a fini par m'envoyer celle n<sup>o</sup> 6, dans
+ laquelle il se plaît encore à s'escrimer contre les fonctionnaires
+ publics qui lui ont, dit-il, souvent manqué de parole.</p>
+
+<p>Je pourrais encore laisser à M. le préfet la consolation de se
+ démener contre les Français et les fonctionnaires publics de la
+ France, mais il me déclare positivement, dans sa lettre n<sup>o</sup> 4, que
+ dans aucun cas il ne peut plus rien faire pour l'opération dont je
+ suis chargé, c'est-à-dire qu'il ne me donnera plus aucun
+ emplacement. L'église Sainte-Catherine que je me suis vu forcé de
+ prendre est une des plus petites de la ville. <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> Elle est
+ dans un grand éloignement, elle est voûtée en dessous, et par
+ conséquent a besoin d'être ménagée. Elle ne contiendra pas les
+ 10,000 quintaux métriques environ qu'il me reste à faire débarquer
+ de l'arrondissement de Stettin; mais il me faudrait deux églises
+ encore pour mettre à couvert les 40,000 quintaux métriques qui
+ doivent venir de K&oelig;nigsberg. Par la mal-façon du préfet,
+ aujourd'hui déjà il a fallu suspendre le déchargement et il ne
+ pourra être repris qu'après-demain, parce que l'église ne peut être
+ évacuée plus tôt. Les Prussiens ne se plaignent pas d'un si petit
+ retard; mais si, à l'arrivée des barques de K&oelig;nigsberg, il y
+ avait un retard de quinze jours seulement, ils auraient droit, ce me
+ semble, de demander un dédommagement.</p>
+
+<p>Ayez la bonté, je vous prie, Monsieur le comte, de faire un rapport
+ à ce sujet à Sa Majesté l'Empereur et de la supplier de vouloir bien
+ charger son ministre à Cassel de demander au gouvernement
+ westphalien qu'il soit adressé ordre au préfet de Magdebourg de
+ mettre à ma disposition les emplacements qui me seront nécessaires
+ et de mettre à cela autant de bonne volonté qu'il en a mis de
+ mauvaise jusqu'à présent; autrement je ne puis répondre de rien. Le
+ préfet semble prendre à tâche de forcer le général à user de
+ l'autorité militaire pour pouvoir crier à la tyrannie. Le général ne
+ se soucie pas de se faire trop de querelles avec le gouvernement
+ westphalien. En conséquence je risque de rester avec les bateaux en
+ panne sur l'Elbe sans pouvoir rien mettre à terre.</p>
+
+<p>Je crains aussi qu'en faisant tant de bruit pour une église on
+ n'indispose la canaille et qu'elle ne cherche à mettre le feu à
+ quelque magasin. Je crois qu'il serait bon de faire quelques
+ largesses aux pauvres de la paroisse de l'église Sainte-Catherine.
+ Si vous m'y autorisez, je leur ferai donner 2 ou 300 écus, ce qui
+ est beaucoup moins que le loyer que coûterait un pareil emplacement,
+ et lorsque je serai forcé de demander une autre église, les pauvres
+ de la paroisse qui s'attendront aussi à un bienfait s'en réjouiront
+ au lieu de s'en affliger. Il n'y a pas un meilleur moyen de répondre
+ aux sarcasmes du préfet.</p>
+</div>
+
+<p>Envoyé à Brunswick pendant la foire importante qui se tenait chaque
+année dans cette grande ville, pour observer les dispositions des
+habitants, Reinhard y séjourna quelques semaines, rendit compte de
+ce qu'il avait observé et reprit, à son retour à Cassel, sa
+correspondance avec le duc de Bassano.</p>
+
+<p>Au commencement de décembre 1811, les bruits de guerre avec la
+Russie ayant pris une certaine consistance, le roi Jérôme crut
+devoir adresser une longue lettre à son frère, pour mettre sous ses
+yeux le tableau fidèle de la situation de ses États. Il lui écrivit
+donc de <span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> Cassel le 5 décembre une lettre<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a><a href="#footnote138" title="Lien vers la note 138"><span class="smaller">[138]</span></a>, où Jérôme
+donnait à son frère, dans un langage cette fois vraiment noble et
+élevé, presque prophétique, des avertissements auxquels Napoléon
+répondit par cette lettre sèche et dure (10 déc. 1811), qui n'est ni
+dans la <i>Correspondance</i>, ni aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Mon frère, je reçois votre lettre du 5 décembre. Je n'y vois que
+ deux faits: 1<sup>o</sup> que les propriétaires à Magdebourg, à Hanovre
+ abandonnent leurs maisons pour ne pas payer les surcharges que vous
+ leur imposez;&mdash;2<sup>o</sup> que vous croyez n'être pas sur de vos troupes et
+ que vous m'avertissez de ne pas compter sur elles. Quant au premier
+ objet, il ne me regarde pas. Je vous ai constamment recommandé
+ d'avoir pour principe de contenir les ennemis de la France, de ne
+ point leur donner une excessive confiance, d'assurer la place
+ importante de Magdebourg en accordant plus de confiance aux généraux
+ qui y commandent, enfin de mettre de la suite et de l'économie dans
+ le système des finances de la Westphalie.</p>
+
+<p>Quant au second objet, c'est ce que je n'ai cessé de vous répéter,
+ depuis le jour où vous êtes monté sur le trône: peu de troupes, mais
+ des troupes choisies et une administration plus économique auraient
+ été plus avantageuses à vous et à la cause commune. Quand vous aurez
+ des faits à m'apprendre, j'en recevrai la communication avec
+ plaisir. Quand, au contraire, vous voudrez me faire des tableaux, je
+ vous prie de me les épargner. En m'apprenant que votre
+ administration est mauvaise, vous ne m'apprenez rien de nouveau.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur n'en prit pas moins en sérieuse considération ce que
+Jérôme lui écrivait, car il manda le même jour, 10 décembre 1811, à
+son ministre des relations extérieures:</p>
+
+<p class="lettre">Monsieur le duc de Bassano, je vous envoie pour vous seul une lettre
+ du roi de Westphalie que vous me renverrez. Tirez-en la substance,
+ non sur la forme d'une lettre du Roi, mais comme extrait d'une
+ communication de la Cour de Cassel. Vous enverrez cet extrait à mon
+ ministre à Cassel, et vous le chargerez d'avoir des conférences avec
+ les ministres du Roi, pour connaître les faits, ce qui a donné lieu
+ à cette opinion qui paraît être celle du Roi, enfin quel est le
+ remède. Si les troupes ne sont pas sûres, à qui en est la faute? Le
+ Roi lève trop de troupes, fait trop de dépenses et change trop
+ souvent ses principes d'administration. Mon ministre fera vérifier
+ les faits à Magdebourg, à Hanovre; la France <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> ne tire
+ cependant rien de ces pays. Vous lui recommanderez d'avoir des
+ conférences sérieuses avec les ministres du Roi, de bien asseoir son
+ opinion sur ces différentes questions et de vous les faire
+ connaître.</p>
+
+<p>Les lettres qui suivent présentent un intérêt moins général:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 19 décembre 1811.</p>
+
+<p>La haute police du royaume déploie en ce moment une activité assez
+ grande. La nomination des commissaires de police, même dans les
+ petites villes, qui jusqu'à présent avait appartenu au ministère de
+ l'intérieur, sera désormais du ressort de la haute police. Elle fait
+ tenir par la gendarmerie jusque dans les bourgs et dans les villages
+ des registres où le nom et la fortune de presque tous les habitants
+ se trouvent inscrits et où il y a une colonne d'observations.
+ Plusieurs arrestations, dit-on, ont eu lieu, soit ici, soit
+ ailleurs. Quelques employés des postes surtout ont été ou arrêtés ou
+ renvoyés, soit pour avoir favorisé des correspondances suspectes,
+ soit pour s'en être permis eux-mêmes qui ne convenaient point. Un
+ jeune étudiant de G&oelig;ttingue a été conduit à Cassel pour avoir
+ écrit une lettre où il racontait avec une inexpérience enfantine
+ l'histoire du transparent. Comme il n'a que dix-huit ans, qu'il
+ n'est venu à l'Université que depuis six semaines et qu'il a de bons
+ témoignages concernant la régularité de sa conduite et son assiduité
+ aux études, il a été relâché avant-hier après une détention de
+ quinze jours. Ils s'appelle Westphal et est natif de Berlin. Le
+ ministre de Prusse avait intercédé en sa faveur. On nomme aussi
+ quelques personnes, du reste insignifiantes, dont on a examiné les
+ papiers.</p>
+
+<p>Il paraît, cependant que, dans certaines circonstances, le zèle de
+ la haute police passe un peu la mesure. Un baron d'Elking, natif de
+ Brème, dont le père avait été syndic de cette ville, arrivé ici avec
+ ses propres chevaux et deux domestiques, ayant pris des chambres
+ dans une maison particulière et averti qu'il fallait se munir d'une
+ carte de sûreté, avait envoyé son chasseur chez M. de Bongars, qui
+ connaissait sa famille, pour demander cette carte et pour lui
+ annoncer sa visite pour le lendemain. La commission fut mal faite
+ et, au milieu de la nuit, M. d'Elking fut obligé de quitter son lit
+ et fut conduit à la police. Il semble que, dans ce cas, ce sont
+ d'abord les propriétaires qui sont responsables, qu'ensuite,
+ lorsqu'il s'agit de simples éclaircissements, la police en prenant
+ ses précautions pourrait attendre le jour pour se les faire donner.
+ Quoi qu'il en soit, M. d'Elking s'étant présenté chez moi comme
+ sujet français et m'ayant raconté ce fait, j'ai cru devoir dire au
+ <span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> commissaire général de police que si pareille chose
+ arrivait encore à un sujet français, je serais obligé de m'en
+ plaindre à sa cour et à la mienne.</p>
+
+<p>On croit ici que la haute police, en redoublant en ce moment de
+ surveillance, suit les directions de M. le maréchal prince d'Eckmuhl
+ et que ces mesures sont liées à celles de l'arrestation du sieur
+ Becker à Gotha.</p>
+</div>
+
+<p>Le 24 décembre, le général Morio, grand écuyer, fut assassiné dans
+les écuries du Roi par un maréchal-ferrant: Reinhard rendit compte
+de cet événement et de la mort du général par une lettre en date du
+25, dont nous extrairons un passage:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Le général Morio est tombé victime d'une vue sage et dictée par
+ l'esprit de justice qui l'avait porté à employer dans son
+ administration des ouvriers allemands, concurremment avec les
+ ouvriers français. Il avait adjoint un maréchal ferrant d'Hanovre à
+ son assassin qui, blessé encore par un refus d'augmentation de
+ gages, demanda et obtint son congé. Cet homme était au service du
+ Roi depuis sept ans: il paraît qu'il se sentit humilié, soit de
+ rester ici sans emploi, soit de rentrer en France. On avait toujours
+ remarqué quelque chose de sournois dans son caractère; aussi le
+ général, tombant du coup, s'écria: «C'est Lesage qui me tue.»</p>
+
+<p>Comme en histoire naturelle on croit utile de faire la description
+ de certains monstres, on doit attacher quelqu'intérêt à connaître
+ l'action monstrueuse de cet homme dans ses motifs et dans ses
+ développements. Il est né à Tarascon, pays, dit-on, fertile en
+ contrebandiers et où les assassins ne sont nullement inconnus. On
+ ignore s'il a joué un rôle dans la Révolution; mais au service du
+ Roi il s'est toujours bien conduit; aussi n'avait-on pas fait la
+ moindre difficulté de lui accorder le certificat de bonne conduite
+ qu'il demandait pour rentrer en France. On lui offrit des frais de
+ voyage qu'il refusa avec hauteur, mais le lendemain il revint dire à
+ M. de Saint-Sauveur qu'il avait réfléchi sur ce qu'on trouverait son
+ refus insolent et qu'il accepterait l'indemnité. Il possédait une
+ paire de pistolets: il en acheta une seconde sous le prétexte qu'on
+ volait du fer dans son atelier, ou plutôt ce vol était véritable, et
+ ce fut le général Morio qui donna l'ordre de lui fournir des armes.
+ Chargé de chaînes, voici ce qu'il a déclaré au général Bongars dans
+ son interrogatoire:</p>
+
+<p>«Depuis plus d'un mois, j'étais déterminé à tuer ou le général Morio
+ ou M. de Gilsa et ensuite à me tuer moi-même; mais c'est depuis le
+ 19 que ma résolution était de les tuer l'un et l'autre, Gilsa parce
+ qu'il a donné le mauvais conseil, Morio le premier parce qu'il l'a
+ exécuté. <span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> Depuis le 19, le général Morio se trouva
+ plusieurs fois à portée de mon pistolet; mais je voulais attendre
+ qu'ils fussent réunis. Lorsque j'ai voulu tirer le second coup sur
+ Gilsa, j'ai trouvé dans mon point de mire M. de Saint-Sauveur qui
+ est honnête homme, c'est ce qui a sauvé Gilsa.» Son second coup n'a
+ point été tiré contre M. de Saint-Sauveur, mais contre un
+ palefrenier qui l'a échappé par un miracle. La balle s'est coupée en
+ deux contre une petite clef qu'il avait dans sa poche et qui s'est
+ dessinée sur sa chair.&mdash;«Mais comment, dit M. de Bongars, avez-vous
+ pu commettre un pareil crime pour une bagatelle?»&mdash;«Mon honneur a
+ été outragé; vous, dans ce cas, lui auriez demandé raison; et il
+ aurait été obligé de vous la faire. Moi, on m'aurait jeté dans un
+ cul de basse-fosse et chassé du royaume. Ainsi ne pouvant le tuer
+ par devant je l'ai tué par derrière.»&mdash;«Mais il ne mourra pas,» dit
+ M. de Bongars.&mdash;«Il mourra, dit le scélérat, j'ai vu le trou où la
+ balle est entrée.»</p>
+
+<p>On a trouvé chez lui le testament qu'il avait annoncé. Il y est dit
+ que Morio et Gilsa étant deux coquins qui trompaient le Roi, il a
+ voulu en faire justice. «Lorsque je ferrais seul les chevaux,
+ disait-il encore, pas un clou ne portait à faux; depuis que ce
+ misérable Allemand m'est adjoint, il y a toujours six chevaux au
+ moins qui couchent sur la litière.»</p>
+
+<p>Depuis qu'il est arrêté, il n'a voulu ni manger ni boire. «Les
+ formalités de mon procès, dit-il, seront assez longues pour me
+ donner le temps de mourir de faim et de n'être pas déshonoré par la
+ mort sur l'échafaud.» Il a mangé depuis.</p>
+
+<p>Tous, Français et Allemands trouvent un adoucissement au chagrin que
+ cause cette catastrophe en ce que l'assassin n'est pas un Allemand.
+ Tous frémissent de l'idée des conséquences qu'aurait pu entraîner le
+ même coup si l'on avait pu l'attribuer à l'esprit de parti.</p>
+
+<p>La dissection du cadavre a montré la balle dans la moelle épinière
+ même. Aussi le général s'est-il cru mort du premier moment. Toute la
+ partie inférieure de son corps était sans sentiment. Dans son
+ testament, qu'il a dicté et signé, il a légué les trois quarts de
+ son bien à sa femme enceinte et l'autre quart à ses frères qui sont
+ sans fortune.</p>
+</div>
+
+<p>La mort tragique du général Morio causa un vif chagrin au jeune roi;
+dans un bulletin expédié à Paris par Reinhard, le 9 janvier 1812, il
+est question de la somme dépensée au service funèbre.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Depuis la mort du général Morio on regarde comme les hommes les plus
+ influents les généraux Bongars et Allin. Le roi lui-même a dit à ce
+ dernier qu'il espérait qu'il remplacerait Morio. C'est un excellent
+ officier d'artillerie, du reste très sourd au physique et au moral
+ et ne connaissant que ses mathématiques. Son nom, très probablement,
+ reparaîtra quelquefois dans ma correspondance.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> Le roi est toujours inquiet des conspirations. M. Bongars
+ doit avoir découvert à Brunswick un embaucheur et fait arrêter un
+ fermier chargé de fournir les fonds. Il est très vrai que sur les
+ revenus des dotations hanovriennes il n'y a que 300,000 francs de
+ payés, et que le reste est assigné sur des marchés conclus dont le
+ produit n'est pas encore tout à fait disponible. À plus forte
+ raison, je ne puis croire au paiement du premier terme du capital.
+ On se flatte ici que l'indemnité pour la nourriture de nos troupes
+ sera imputée sur les 2,400,000 francs dus en 1812 pour la
+ contribution de guerre, et c'est ainsi qu'on fait les fonds pour la
+ dette la plus pressée. J'en ai la preuve sous les yeux.</p>
+
+<p>On se montre une liste des cadeaux faits par le roi depuis
+ l'incendie du château. La voici: la maison et mobilier au comte de
+ Bochholtz, 100,000 francs; la maison et mobilier au comte de
+ L&oelig;wenstein, 80,000 francs; gratification aux cinq ministres sur
+ le produit des bulletins des lois, 50,000 francs; à M<sup>me</sup> Morio: en
+ or, 36,000 francs, plus un médaillon en diamants avec les portraits
+ du roi et de la reine, 10,000 francs, enterrement du général Morio,
+ 20,000 francs; sur le budget du ministre de l'intérieur, loterie de
+ bijoux à Catharinenthal, 25,000 francs; à la reine, en perles,
+ 36,000 francs; budget du grand écuyer, 850,000 francs.</p>
+</div>
+
+<p>Quelques jours après l'envoi de ce bulletin, le 23 janvier 1842,
+Reinhard terminait une longue lettre au duc de Bassano par les deux
+phrases suivantes omises aux <i>Mémoires de Jérôme</i>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Il paraît que depuis les dernières représentations faites lors de
+ l'enterrement du général Morio, le roi boude le corps diplomatique.
+ Entre les bals masqués qui se donnent chez les ministres de Sa
+ Majesté, il y en a de masqués et de parés à la cour même, dont les
+ ministres étrangers sont exclus. Cela fait beaucoup de peine au
+ ministre d'Autriche qui a été mon principal instigateur (?), mais
+ qui n'en aime pas moins à savoir où passer ses soirées.</p>
+
+<p>Le public de Cassel, qui a entendu parler des dernières libéralités
+ du roi et qui est témoin des plaisirs du Carnaval, prétend que la
+ cour jette l'argent par les fenêtres parce que le roi sait que
+ Cassel ne sera pas longtemps sa résidence.</p>
+</div>
+
+<p>En même temps que ces lettres et ces bulletins de Reinhard étaient
+mis sous les yeux de l'empereur, ce dernier recevait de son frère
+une dépêche en date du 11 janvier (<i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol.
+5<sup>e</sup>, page 179), dans laquelle le roi, exposant la situation précaire
+des finances de son royaume, implorait un dégrèvement. On conçoit
+que les rapports du ministre de France à Cassel n'étaient pas de
+nature à engager Napoléon à satisfaire au désir du roi de
+Westphalie.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> Vers cette époque la guerre avec la Russie devenait de jour
+en jour plus probable. Napoléon manda à tous les princes de la
+Confédération qu'ils eussent à préparer leur contingent. Jérôme
+s'empressa de seconder de tout son pouvoir, dans ses États, les
+intentions de son frère.</p>
+
+<p>Le 17 janvier 1812, Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>On lit déjà dans le <i>Moniteur westphalien</i> quelques nominations qui
+ semblent indiquer que l'armée va être mise sur le pied de guerre. Le
+ roi a nommé deux payeurs-généraux et plusieurs officiers
+ d'ordonnance parmi lesquels on cite MM. de Lowenstein et de
+ Badenhausen, chambellans, et un comte de la Lippe. Le prince de
+ Hesse-Philippsthal dont le mariage avec sa nièce va se célébrer
+ aujourd'hui sera un des aides-de-camp de Sa Majesté. On dit dans le
+ public que le quartier général du roi sera à Erfurth. Le général de
+ Hammerstein se dispose à partir pour prendre le commandement de
+ l'avant-garde. Tous les officiers, toute la cour, s'il était
+ possible, voudraient joindre l'armée.</p>
+
+<p>Il y a eu pendant le Carnaval six bals masqués chez les ministres du
+ roi et les grands officiers, deux bals masqués et deux bals parés à
+ la cour, dans ce qu'on appelle l'intérieur, et un bal paré aussi
+ dans l'intérieur chez M. de Furstenstein. Le roi a défendu que le
+ dernier bal masqué qui devait se donner hier au théâtre eût lieu,
+ attendu que le carême a commencé.</p>
+
+<p>La remise des cinq dotations, montant à un revenu de 145,000 francs
+ dont le roi s'était emparé en 1809 et que plusieurs traités avec la
+ France l'avaient forcé de rendre, a enfin été effectuée. J'avais
+ annoncé dans mes numéros 263 et 264 que le roi s'en était indemnisé
+ pour une somme de 3 millions d'obligations provenant de créances du
+ roi d'Angleterre sur le pays d'Hanovre dont M. Pichon avait fait
+ cadeau à Sa Majesté; mais il y a eu double indemnité. La direction
+ des domaines de l'État a cédé au roi pour 2 millions de biens du
+ clergé de Hildesheim; elle a reçu en échange une dotation qui devait
+ être restituée, et c'est elle qui ensuite l'a rendue au donataire.
+ Un contrat formel a été passé à ce sujet entre le roi et M. Malchus.
+ En récompense ce ministre a reçu du roi, le 9 de ce mois, 20,000
+ francs de sa cassette et 100,000 francs en obligations de l'emprunt
+ forcé, bonnes à employer comme argent comptant dans l'acquisition de
+ la terre de Marienborn dont M. Morio n'avait pas consommé l'achat.
+ La manière dont les intérêts de M<sup>me</sup> Morio ont été stipulés dans
+ cette occasion m'est encore inconnue. À ces faits qui, ainsi que
+ plusieurs dont j'ai déjà fait mention, sont tous connus du public,
+ il faut en ajouter d'autres qu'on ne croit ici pouvoir expliquer que
+ par la supposition que le roi a cessé entièrement de prendre intérêt
+ à la situation de son royaume. Il a donné au sieur Roulland, son
+ deuxième <span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> chirurgien, 100,000 francs en obligations, pour
+ lui faire, dit-il, 4,000 francs de revenu. Cet homme, à qui le roi
+ n'avait presque jamais adressé la parole, est tombé des nues. Un
+ comte de Blumenthal, ancien maire de Magdebourg, ensuite chambellan,
+ retiré dans ses terres, enfin revenu à Cassel pour s'y établir, a
+ reçu 12,000 francs.</p>
+
+<p>Je regarde, Monseigneur, ces dernières prodigalités comme l'effet de
+ l'impression qu'ont fait sur l'esprit du roi les communications
+ récentes que j'ai été chargé de faire. Il se raidit en se punissant
+ lui-même contre les reproches trop fondés qui lui ont été adressés.
+ Il regarde la Westphalie comme perdue pour lui. Il met toutes les
+ chances dans son armée et dans le commandement qu'il espère obtenir.
+ Tous ses regards se tournent sur la Prusse et sur la Pologne; mais
+ l'impression que tout cela fait sur le public et sur tous ses
+ serviteurs honnêtes est inexprimable. Le public date cet abandon ou
+ le laisse aller de l'incendie du château. D'un autre côté, il n'est
+ que trop vrai que depuis l'entrée au ministère de M. de Malchus,
+ depuis le travail du budget qui a mis à nu son impuissance et la
+ disproportion entre les recettes et les dépenses, le désordre et la
+ corruption se répandent d'une manière effrayante dans toutes les
+ branches de l'administration.</p>
+
+<p>Les administrations militaires subalternes en sont surtout
+ infectées. M. Pichon garde le silence depuis qu'il habite le palais
+ le mieux meublé de Cassel; mais au moins il travaille. Les
+ conseillers d'État allemands sont tous sans la moindre influence.
+ L'abattement est dans toutes les âmes.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 30 janvier 1812.</p>
+
+<p>Si tout ce que je viens d'alléguer tend à prouver que la Westphalie
+ en ce moment possède encore des moyens pour faire ce que lui
+ prescrit une politique sage et dévouée en ne désorganisant point le
+ service accoutumé et régulier des fournitures à faire aux troupes
+ françaises, Votre Excellence d'un autre côté est assez informée par
+ mes rapports journaliers que la détresse des finances westphaliennes
+ est réelle, qu'elle va en croissant, et qu'un surcroît d'avances à
+ faire les épuiserait totalement dans un avenir très prochain. Pour
+ faire juger Votre Excellence à quel point on se procure ici des
+ ressources, je n'ai qu'à citer ce que je tiens de Sa Majesté
+ elle-même, que les domaines de l'État se vendent à neuf et à huit
+ fois le revenu. Une dépréciation pareille aurait probablement lieu
+ si l'on se pressait de vendre à la fois une trop grande quantité des
+ produits des mines qui peuvent être encore disponibles. Le banquier
+ Jacobson avec lequel on a conclu les derniers marchés <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span>
+ parait avoir fait une spéculation dans l'hypothèse d'une guerre
+ prochaine. C'est la même hypothèse qui a fait monter assez
+ considérablement le prix des grains.</p>
+
+<p>Un observateur placé hors de la Westphalie, mais dans le voisinage,
+ que j'avais interrogé sur la disposition des esprits et que je crois
+ digne de confiance, m'écrit: «Je suis sûr, comme vous, qu'il n'y a
+ pas encore de danger pressant. Il n'y a ni foyer de mécontents, ni
+ point de ralliement, ni chef de parti; au contraire, il n'y aurait
+ ni plainte, ni élan si on montrait de la confiance aux nouvelles
+ grandes familles et si on allégeait les impôts; aussi longtemps que
+ régnera une parfaite cordialité, une tranquille aisance, il n'y a
+ rien à craindre dans ce qui est soumis au grand empereur. On admire,
+ on craint, on respecte dans les petites souverainetés autrichiennes
+ (j'excepte Coethen). On aime et on se tranquillise; mais c'est la
+ Westphalie où le mécontentement est bien grand. L'idée qu'on a du
+ luxe, de la pompe asiatique de la cour, au lieu d'en imposer, aliène
+ les esprits. On ne croit pas à la pureté des m&oelig;urs. On exagère
+ sans doute dans les contes qu'on en fait; mais tout cela attire une
+ grande mésestime, et puis les impositions toujours nouvelles
+ occasionnent des plaintes aussi toujours nouvelles et mènent au
+ désespoir. Les pays de Hesse, Paderborn ne sont pas riches du tout.
+ Ils n'ont pas de ressources, ils n'ont que des pleurs. Si le c&oelig;ur
+ compatissant du roi savait la pure vérité, tout changerait bientôt
+ de face. De plus, on s'imagine que le maître actuel pourra recevoir
+ une autre destination. Le manque d'héritier augmente les
+ inquiétudes. Si on fait des contes dangereux en parlant
+ d'insurrections qui éclateront, on ne peut nier qu'il y en a des
+ germes. Peut-être si on avait à faire à d'autres pays qu'à
+ l'Allemagne, ce serait bien pire; mais vous savez que le Germain est
+ tranquille, patient, ami de l'ordre, peu fait pour les révolutions;
+ seulement il ne faut pas le pousser à bout.</p>
+
+<p>Si le roi, au lieu de se dédire des fournitures, avait dit: «Tous
+ les fonds de l'État sont insuffisants aux dépenses courantes; mais
+ le moment presse; voilà ma liste civile de six millions. J'en
+ consacre un pour l'entretien des troupes de mon frère. Plus de bals
+ masqués, plus de cadeaux pour les costumes jusqu'à ce que j'aie
+ pourvu à l'essentiel. L'emploi des capitaux qui m'ont été cédés par
+ l'empereur sera pour l'armée.» Mais au lieu de cela on montre une
+ avidité scandaleuse pour faire payer d'avance le cadeau de 400,000
+ francs qu'on a fait offrir par la ville à la reine; et on laisse là
+ des casernes à moitié achevées. On se fait remplacer par des
+ domaines de l'État les cinq domaines qu'il a fallu restituer aux
+ donataires impériaux; et dans la crise la plus importante on vit
+ dans une dissipation de dépenses et d'amusements qui fait dire dans
+ la ville de Cassel et dans tout le royaume que le roi n'agit ainsi
+ que parce qu'il se voit au dernier jour de son règne.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> Il est douloureux, Monseigneur, d'avoir à dire ces vérités,
+ mais je serais coupable en les dissimulant.</p>
+</div>
+
+<p>Continuant ses investigations sur la conduite et les libéralités du
+jeune roi, M. Reinhard adresse encore au duc de Bassano les lettres
+suivantes:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, le 20 février 1812.</p>
+
+<p>J'ai reçu en même temps une lettre pour M. le ministre de la guerre
+ de Westphalie où Monseigneur le major général de la grande armée
+ demande l'état de situation du contingent westphalien qu'il évalue
+ environ à 21,000 hommes, 3,400 se trouvant à Dantzig et 600 en
+ Espagne. M. le comte de H&oelig;ne m'a dit que les troupes mises sur le
+ pied de guerre atteignaient de bien près ce nombre. Il a observé, au
+ reste, qu'il fallait porter à 1,200 celui des troupes qui se
+ trouvaient en Espagne, savoir: un bataillon de 600 hommes en
+ Catalogne et un régiment de cavalerie légère de 600 hommes à l'armée
+ du Midi. Je lui ai demandé si le roi regardait son contingent comme
+ devant être composé en entier de Westphaliens?&mdash;«Sans doute, a-t-il
+ répondu, puisque nous n'avons aucune autorité sur les 12,500 hommes
+ de troupes françaises.»&mdash;«Je ne fais, ai-je dit, cette question que
+ pour mon instruction particulière, elle n'a point d'autre objet.» Du
+ reste, M. le comte de H&oelig;ne ne m'a point dissimulé que le mot
+ <i>contingent</i> dont la France avait soin de se servir en parlant de
+ l'armée westphalienne ne lui paraissait pas d'un heureux augure pour
+ le désir du roi d'obtenir un commandement particulier.</p>
+
+<p>On se flatte de faire réussir à Francfort la négociation d'un
+ emprunt de deux millions contre un dépôt de la valeur de trois
+ millions en produit des mines. Il est aussi question d'une vente de
+ sels à l'extérieur pour la valeur d'un million. M. Pichon prévoit un
+ déficit de vingt millions, seulement pour les six premiers mois de
+ cette année.</p>
+
+<p>Le roi a envoyé, le jour des noces du prince de Hesse-Philippsthal,
+ à la mariée une corbeille magnifique et au prince, dit-on, un
+ portefeuille contenant deux cent mille francs en obligations. Je ne
+ saurais encore garantir ce dernier fait qui s'est accrédité dans le
+ public, sans doute pour rester en proportion des autres libéralités.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, 27 février 1812.</p>
+
+<p>L'emprunt de deux millions négocié à Francfort pour le gouvernement
+ westphalien par le banquier Jordis au moyen d'un dépôt en produits
+ des mines paraît avoir réussi, on dit même qu'il pourra être porté à
+ trois millions. Je n'en connais encore les conditions que très
+ imparfaitement. On ne croit point qu'elles soient fort avantageuses,
+ mais les besoins étaient urgents. On me fait espérer positivement
+ qu'une partie <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> de cet argent sera employée à remplir les
+ obligations contractées envers la France, et particulièrement à
+ payer les 400,000 francs sur la contribution de guerre échus au 31
+ janvier.</p>
+
+<p>Le roi continue à faire des donations entre vifs, en obligations qui
+ lui appartiennent sur l'État. M. le comte de Furstenstein a encore
+ reçu deux cent mille francs le jour de la fête de la reine. M.
+ Malchus a fait pour M. Siméon l'acquisition d'une terre dont il
+ paraît que le roi avancera les fonds et qui a été adjugée à 168,000
+ francs. Ces obligations sont au porteur. Elles ne sont qu'au cours
+ de 44; mais il paraît que le roi autorise quelquefois à les faire
+ valoir davantage en acquisitions de domaines. M. Pichon a remis au
+ roi, il y a peu de temps, pour 500,000 francs de ces obligations; il
+ vient d'en signer d'autres pour 600,000 qui seront mises à la
+ disposition de Sa Majesté. Voilà la raison pourquoi le système d'un
+ grand livre à inscriptions et transferts n'a pas été adopté. Le roi
+ se croyait dévoilé par cette formalité; cependant le secret n'en est
+ pas mieux gardé et les libéralités qui se font n'en peuvent pas
+ moins être constatées. Le roi se regarde en ce moment (ce sont les
+ expressions de plusieurs de ses serviteurs) comme un gouverneur qui
+ va quitter sa province et qui se débarrasse des effets qu'il ne peut
+ ou ne veut pas emporter.</p>
+</div>
+
+<p>Dans une lettre du 12 mars 1812, Reinhard donne encore un exemple de
+la prodigalité du roi:</p>
+
+<p class="lettre">Le roi a donné à la fille du conseiller d'État Coninx, ancien
+ intendant des domaines royaux, une dot de deux cent mille francs en
+ obligations. Abstraction faite de tout ce qu'on peut dire pour ou
+ contre les motifs qu'il a pour faire de tels dons, provenant d'une
+ telle source, il est au moins certain qu'ils ont une influence
+ funeste sur le crédit des papiers de l'État, puisque ceux qui
+ reçoivent des obligations n'ont rien de plus pressé que de s'en
+ défaire. Le domaine acquis par M. Malchus s'appelle Marienrode et
+ non Marienborn. Son acquisition n'a rien de commun avec les intérêts
+ de M<sup>me</sup> Morio. Il paraît aussi que les cinq domaines enlevés aux
+ donataires impériaux et cédés par le roi à l'État ne seront pas
+ restitués en nature, mais en argent.</p>
+
+<p>Peu de temps après, Jérôme fut appelé <i>incognito</i> à Paris par
+Napoléon. Il rentra bientôt à Cassel, et eut la satisfaction
+d'annoncer que son frère lui avait confié le commandement en chef de
+toute la droite de la grande armée (60,000 hommes); les
+Westphaliens, sous les ordres de Vandamme, composaient le 8<sup>e</sup> corps.</p>
+
+<p>Ce n'est pas ici le lieu de raconter la part honorable que prit
+Jérôme aux opérations qui signalèrent le début de la mémorable
+<span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> campagne de 1812; on en trouvera tous les éléments dans
+les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, et dans un volume intitulé <i>Mémoire
+pour servir à la campagne de 1812</i><a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a><a href="#footnote139" title="Lien vers la note 139"><span class="smaller">[139]</span></a>. Il suffit de dire qu'à la
+suite de dissentiments avec l'empereur, Jérôme fut relevé de son
+commandement. Citons cependant la lettre qu'avant cet événement il
+écrivait de Grodno le 5 juillet à sa femme, la reine Catherine,
+qu'il avait laissée à Cassel, régente du royaume:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Ta dernière lettre est du 22, je ne l'ai reçue qu'hier. Tu vois que
+ je suis arrivé à Grodno avec ma cavalerie légère. J'ai aussi été
+ obligé d'y rester quelques jours qui n'ont fait de mal à personne.</p>
+
+<p>L'empereur est entré à Vilna le même jour que je suis entré à
+ Grodno. Ainsi, il ne pourra qu'être, j'espère, satisfait de son aile
+ droite. Ma cavalerie est à vingt ou trente lieues en avant, mais les
+ Russes ayant quelques jours de marche, nous ne pouvons les attaquer,
+ et, à l'exception de quelques convois et quelques Cosaques, nous ne
+ faisons qu'user nos souliers.</p>
+
+<p>L'armée russe, par les savantes man&oelig;uvres de l'empereur, est
+ entièrement coupée en trois; aussi, je ne sais pas trop où elle se
+ réunira, à moins que ce ne soit derrière leurs marais ou la Dwina,
+ encore je doute que celle de Bagration, qui m'est opposée, puisse y
+ parvenir; du moins, je ferai tout pour tâcher de l'empêcher.</p>
+
+<p>Tu sais sans doute que la diète de Varsovie s'est déclarée diète
+ générale du royaume de Pologne et a proclamé son existence, etc.</p>
+
+<p>Je jouis de la meilleure santé; l'empereur ne s'est jamais si bien
+ porté; il est dans son centre; il n'a même pas besoin de jouer
+ serré; il pelotte en attendant partie, et je crois qu'il finira
+ quand cela lui conviendra, car c'est bien le cas de dire que même
+ sur l'opinion il peut ce qu'il veut.</p>
+
+<p>J'ai été obligé d'ôter à Vandamme le commandement du 8<sup>e</sup> corps; il
+ en faisait de toutes les couleurs, pillant, volant, donnant des
+ soufflets, des coups de pied à tout le monde, etc. C'est incroyable
+ la haine que son nom inspire dans ce pays, les habitants en ont une
+ frayeur inconcevable. Je présume que l'empereur le renverra chez lui
+ ou lui donnera un commandement sur les derrières.</p>
+
+<p>Je compte partir aujourd'hui et j'espère dans quelques jours
+ rejoindre l'empereur, cela me rendra bien heureux.</p>
+</div>
+
+<p>La veille du jour où il allait être relevé de son commandement, il
+écrivait encore à sa femme de Mir, 13 juillet 1812, midi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je répondrai cette fois, ma chère Toinette, à ta lettre du 27, sur
+ tous <span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> les points, c'est ce que je fais toujours; mais tu
+ prétends que je déchire tes lettres avant ou sitôt après les avoir
+ lues.</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Il n'est pas douteux que les ministres ne doivent te communiquer
+ les rapports qu'ils m'adressent; il me semble même que c'est ce
+ qu'ils font, puisque je les reçois presque toujours et par toi et
+ par eux.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> M. Siméon a pu tenir dans sa maison le conseil des bâtiments,
+ puisque ce n'est qu'une affaire de maison, qui n'a rien de commun
+ avec l'État; mais pour tenir ce conseil, il fallait le convoquer; et
+ pour le convoquer, il a fallu que Boucheporne, qui fait les
+ fonctions de secrétaire du cabinet, prît tes ordres; car il n'y a
+ que le secrétaire du cabinet qui puisse convoquer un conseil
+ d'administration de la maison. Il ne faut pas te gêner et le dire
+ clairement à M. Siméon.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> M. Siméon <i>ne peut</i> tenir un conseil des ministres chez lui: 1<sup>o</sup>
+ parce qu'il faut prendre tes ordres pour le rassembler; 2<sup>o</sup> parce
+ que c'est directement défendu par une instruction, tous les conseils
+ <i>doivent être tenus dans mon palais</i>.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> Il doit te rendre compte de tout ce qu'il fait et reçoit, comme
+ il le ferait pour moi, et je ne conçois pas comment il a pu se
+ permettre de donner une permission, soit aux conseillers d'État,
+ soit aux ministres de France et d'Autriche, sans prendre tes ordres;
+ tes rapports avec moi ne l'empêchent nullement de te rendre compte
+ <i>de tout, il faut l'exiger</i>. À l'âge de M. Siméon, on n'est plus
+ dirigé que par deux passions: l'avarice et l'ambition; il faut
+ réprimer la dernière, et pour cela, il suffit d'un peu de fermeté.</p>
+
+<p>Je ne veux pas des plans que l'on m'a envoyés. Je veux, puisqu'il
+ faut dépenser huit à dix millions en six ans, que l'on construise
+ sur l'emplacement de la rue Royale, où demeure la comtesse d'Oberg,
+ un peu plus en arrière. Donnes-en l'ordre à Moulard pour qu'il se
+ fasse faire le plan. J'espère que pour cette fois j'ai répondu à
+ toutes les affaires.</p>
+
+<p>Maintenant parlons de nous:</p>
+
+<p>Tu ne dois pas t'étonner si tu reçois de mes nouvelles beaucoup plus
+ rarement, car je suis aux frontières de l'ancienne Pologne,
+ poursuivant le prince Bagration qui se retire avec 80,000 hommes. Il
+ y a deux jours que 3,000 hommes de cavalerie de mon avant-garde ont
+ eu un engagement sérieux avec l'arrière-garde ennemie ici-même; les
+ Polonais se sont battus comme des diables, et s'ils avaient eu la
+ patience d'attendre l'arrivée des cuirassiers et des hussards,
+ l'ennemi n'aurait pas emporté ses oreilles; mais ils ont voulu aller
+ toujours en avant, et comme l'ennemi était beaucoup plus fort, ils
+ n'ont pu que lui faire beaucoup de mal, mais sans aucun résultat.</p>
+
+<p>Dans peu de jours, les Russes auront évacué toute l'ancienne
+ Pologne, <span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> ce qui est inconcevable; le pays est assez beau,
+ mais il faut y être obligé pour y rester, car c'est au bout du
+ monde.</p>
+
+<p>Tu as sans doute reçu mes lettres de Grodno, etc.; les postes vont
+ très doucement, et je crois même être à peu près le seul qui reçoive
+ aussi souvent des nouvelles de chez moi.</p>
+
+<p>Je vais partir pour Nesvig, assez jolie petite ville de Pologne; car
+ celle-ci est assez misérable.</p>
+</div>
+
+<p>À quelques jours de là, la situation avait bien changé, et c'était
+sur un autre ton que Jérôme écrivait à Napoléon, de Tourets, 17
+juillet, à 8 h. du matin:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, je reçois à Touretz la lettre que V. M. m'a fait l'honneur de
+ m'écrire en date d'hier. J'ai quitté Nesvig, ayant été prévenu que
+ les Autrichiens allaient y arriver.</p>
+
+<p>La manière dont j'ai reçu l'ordre d'être sous le commandement du
+ prince d'Eckmühl sans en avoir été prévenu ni par V. M., ni par le
+ prince de Neufchâtel; la lettre dure que V. M. m'a écrite en date du
+ 10, dans laquelle elle me disait que je n'avais qu'à m'en aller,
+ qu'elle ne mettait point d'obstacle à mon départ; l'extrême inimitié
+ que le prince d'Eckmühl m'a toujours portée; le mésentendu qui avait
+ existé entre ce prince et moi avant l'arrivée de V. M. à l'armée, et
+ enfin le malheur que j'avais de ne m'attirer que des reproches et de
+ ne jamais réussir à contenter V. M. malgré ma bonne volonté; tout
+ m'a fait croire qu'Elle voulait que je quittasse le commandement
+ comme Elle semblait me le dire dans sa lettre du 10.</p>
+
+<p>Dieu m'est témoin, sire, que jamais une mauvaise idée n'est entrée
+ dans mon âme et que vous et l'honneur avez toujours été mes seuls
+ guides.</p>
+
+<p>Actuellement, il dépend de V. M. d'achever de me perdre ou de me
+ sauver, puisqu'ayant remis le commandement depuis trois jours, ayant
+ fait avec ma garde des marches rétrogrades et annoncé que V. M.
+ m'appelait sur un autre centre, je ne puis plus retourner. V. M.
+ pourrait, la retraite du prince Bagration s'effectuant sur Mogouir,
+ me donner un commandement sur les côtes en cas de descente des
+ Anglais et de mouvement dans cette partie, ou enfin toute autre
+ destination qu'il lui plaira. J'espère encore que dans une
+ circonstance comme celle-ci d'où dépend le sort de toute ma vie,
+ elle ne m'abandonnera pas.</p>
+</div>
+
+<p>Le 28 juillet, nouvelle lettre du roi à la reine, écrite de
+Bialistok:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>J'ai reçu ce matin à Bialistok tes lettres du 17 et du 20 en même
+ temps. Tu peux bien penser que, si je retourne, c'est que je dois le
+ <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span> faire, c'est que je ne puis faire autrement, sans me
+ déshonorer. Comment, moi qui commande l'aile droite, composée de
+ quatre corps d'armée, on m'ordonne, en cas de réunion ou de
+ bataille, d'être sous les ordres d'un simple maréchal qui ne
+ commande qu'un seul corps? L'empereur a bien senti que ce ne pouvait
+ être, car c'eût été m'afficher aux yeux de toute l'Europe, comme un
+ homme incapable, et n'eût-on pas dit avec raison: Quand il s'agit de
+ parades et de marches, le roi est assez bon pour commander; mais
+ quand il s'agit de se battre, il doit et ne peut qu'obéir? Il eût
+ autant valu me donner un coup de pistolet que de me déshonorer de la
+ sorte. Et de quelle manière je reçois cet ordre par le prince
+ d'Eckmühl! Cet ordre est daté du 6. Je reçois des lettres de
+ l'empereur et du prince de Neufchâtel des 6, 7, 8, 9, 10 et 11, et
+ on ne m'en dit pas un mot; on ne me le fait pas même soupçonner, et
+ c'est lorsque je me bats avec l'ennemi, lorsque je fais le reproche
+ au prince d'Eckmühl de ce qu'il perd du temps, et lui mande que s'il
+ veut faire deux marches de tel côté, Bagration était à nous; c'est
+ alors, dis-je, pour toute réponse qu'il m'envoie l'ordre qui me met
+ sous ses ordres. Tu sens bien que je n'ai pu que le transmettre à
+ mes généraux et me retirer. L'empereur n'eût pas fait autrement. Je
+ ne pouvais autrement agir sans me déclarer incapable aux yeux de
+ l'armée et de l'Europe; je n'ai pas mis la moindre humeur dans ma
+ conduite et l'empereur ne pourra, lorsqu'il sera de sang-froid, que
+ me rendre justice, et sentir qu'il a de grands torts vis-à-vis de
+ moi dans cette circonstance.</p>
+
+<p>Bref, l'essentiel en ce moment, ce que l'<i>empereur désire le plus</i>,
+ c'est qu'il n'y ait pas le moindre éclat, et que cela paraisse une
+ chose simple; d'ailleurs, rien ne l'est effectivement davantage, on
+ veut que je serve, moi qui commande la droite, sous les ordres d'un
+ maréchal; je ne le veux ni ne le peux vouloir, voilà tout; je me
+ retire, c'est tout simple.</p>
+
+<p>Du reste, c'est mon armée seule qui a eu quelques engagements, qui a
+ arrêté l'ennemi; il n'y a pas eu un coup de fusil tiré depuis mon
+ départ, et je crains bien qu'il n'y en ait pas de sitôt, car les
+ Russes ont déclaré vouloir toujours se retirer.</p>
+
+<p>À mon retour, je t'en dirai davantage; tu dois toujours bien dire
+ qu'ayant demandé à revenir chez moi, l'empereur l'a trouvé tout
+ simple, les premières opérations étant terminées.</p>
+
+<p>Je t'écrirai demain plus en détail après le retour du baron de
+ Sorsum que j'ai envoyé auprès de l'empereur.</p>
+</div>
+
+<p>Cependant Reinhard, resté à Cassel, continuait de tenir l'empereur
+et le duc de Bassano au courant de ce qui se passait en Westphalie:
+le 2 mai il expédiait le bulletin suivant:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date"><span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> Cassel, 2 mai 1812.</p>
+
+<p>On parle beaucoup à Cassel de la nomination, à la place du receveur
+ général du département de la Fulde, d'un sieur Alexandre, économe de
+ la maison des pages du roi. C'est le père d'une demoiselle fort
+ jeune et fort jolie qui, après avoir épousé pour la forme, dit-on,
+ un Escalonne, employé aux postes de l'armée, est partie pour le
+ quartier général de Kalisch. Son départ ayant coïncidé avec celui du
+ roi, le public voit en elle la maîtresse de camp de Sa Majesté.</p>
+
+<p>On dit que les gardes-du-corps vont revenir, attendu qu'ils sont
+ trop peu nombreux pour servir en ligne et qu'ils jouissent de
+ distinctions que Sa Majesté impériale n'a accordées à aucun corps de
+ sa propre garde. Leur colonel, M. le chevalier Wolf, vient d'être
+ nommé général de brigade.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">30 juin 1812.</p>
+
+<p>M. le comte de Pappenheim, premier chambellan du roi, frère du
+ ministre de Darmstadt à Paris, était atteint depuis plusieurs
+ semaines d'un dérangement d'esprit qui, après quelques accès de
+ fureur, a amené un abattement assez voisin de l'imbécillité. Il a
+ été conduit à Paris. Sa femme, dame du palais, est partie pour une
+ terre que M. de Waldener, son père, possède dans le département du
+ Bas-Rhin. Les uns attribuent la maladie de M. de Pappenheim à des
+ causes physiques, les autres à des causes morales. Ce n'était jamais
+ un homme d'un grand esprit; mais il paraît avoir été élevé dans des
+ principes sévères dont on dit que l'ambition de devenir grand
+ chambellan l'avait fait dévier, en connivant à certains arrangements
+ qui concernaient M<sup>me</sup> de Pappenheim.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> la baronne de Bigot est partie pour aller joindre son mari,
+ ministre du roi, à Copenhague. Un voyage qu'elle avait fait à Paris,
+ sans la permission de Sa Majesté, et quelques démarches qu'elle y
+ fit, dont le roi eut connaissance, avaient déplu. Après son retour,
+ elle avait été exclue de la cour: néanmoins, elle semblait préférer
+ l'état d'abandon où sa disgrâce la plaçait à Cassel à l'honneur de
+ faire les affaires du roi en Danemark, lorsque tout à coup M. Siméon
+ reçut les pleins pouvoirs de son mari pour le divorce. M. de
+ Furstenstein lui ayant mandé que le roi, justement irrité de la
+ conduite et des liaisons affichées de M<sup>me</sup> Bigot, ne voulait point
+ qu'elle allât à Copenhague écrire les dépêches de son mari, ses amis
+ lui ont conseillé de partir sur le champ, et, par l'intercession de
+ M. Siméon, M. Bigot a consenti à la recevoir.</p>
+
+<p>La demoiselle Alexandre, mariée Escalonne, qui avait précédé de peu
+ de jours le roi partant pour Glogau, est revenue subitement avec sa
+ mère, pendant qu'on était encore occupé à expédier d'ici des cadeaux
+ que le roi, disait-on, lui destinait. On ne sait pas encore comment
+ expliquer cette séparation soudaine, lorsque M<sup>me</sup> Escalonne
+ paraissait <span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> encore jouir d'une faveur trop prononcée pour
+ faire croire que le moment était arrivé où Sa Majesté s'en
+ dégoûterait. M<sup>me</sup> Morio, qui la semaine dernière avait reçu une
+ invitation pour être du voyage de Napoléons-Höhe, s'en étant excusée
+ parce qu'elle était au terme de sa grossesse, avait été contrainte
+ de s'y rendre par ordre de la reine, et ce ne fut que sur une
+ attestation des médecins qu'elle obtint la permission de retourner à
+ Cassel.</p>
+
+<p>D'un autre côté, M. le comte de Bochholtz s'étant trouvé absent de
+ Cassel, lors du retour de la reine de Dresde, a reçu avis que
+ pendant l'été il ne serait jamais du voyage. En conséquence, il est
+ retourné dans ses terres. On dit que M<sup>me</sup> la comtesse de
+ L&oelig;wenstein, dame du palais, est la seule qui ait obtenu du roi la
+ promesse qu'elle le suivrait dans le cas où il serait roi de
+ Pologne. Ce qui est certain, c'est que M<sup>me</sup> de L&oelig;wenstein se
+ distingue de ses compagnes par ses moyens, par son ton et par son
+ esprit de conduite. Quoi qu'il en soit, il est douteux si M. de
+ Bongars fera tarir les pleurs que la crainte d'être délaissées en
+ Westphalie fait verser à certaines dames de la cour, qui, ayant
+ attaché leur sort et celui de leur mari au roi, ne prévoient point
+ quelle existence pourrait compenser celle qu'elles perdraient dans
+ le cas où leurs appréhensions se vérifieraient.</p>
+
+<p>M. Siméon vient de me prévenir confidentiellement que d'après une
+ invitation reçue de S. M. l'impératrice la reine partira pour Dresde
+ ce soir à onze heures. M. de Collignon, son écuyer, ayant été chargé
+ de la précéder de quelques heures pour féliciter Leurs M. I., je
+ profite de son départ pour transmettre de mon côté la nouvelle du
+ voyage de la reine à V. Exc. M. Siméon en donnera demain matin
+ connaissance officielle au Corps diplomatique.</p>
+
+<p>Il est arrivé avant-hier un nouveau courrier du roi. Sa M. n'a point
+ ratifié le projet de vente du domaine de Barby, dont l'ancien
+ fermier avait offert 1,050,000 en argent comptant. L'administration
+ est embarrassée de ce refus qui fait manquer une ressource sur
+ laquelle on avait compté. M. le Ministre des finances a convoqué
+ hier la section du conseil d'État pour proposer plusieurs projets
+ d'augmentation de recettes et particulièrement de la contribution
+ foncière. Il s'occupe aussi d'une vente d'une partie considérable
+ des dîmes appartenant à l'État. Il se pourra aussi qu'on ait recours
+ à un emprunt forcé qui serait le troisième depuis l'avènement du
+ roi. Mais plusieurs personnes regardent ce projet comme
+ impraticable. La suspension du paiement des intérêts de la dette du
+ premier semestre ne paraît pas douteuse: on en proposera
+ probablement pour la seconde fois la capitulation.</p>
+
+<p>La reine écoute avec une grande attention les rapports qui lui sont
+ faits. Elle montre beaucoup d'application au travail. Elle paraît
+ saisir avec discernement le n&oelig;ud des affaires. Cette espèce
+ d'initiation ne peut <span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> avoir que des suites très heureuses.
+ Tout ce que j'apprends à ce sujet confirme la haute idée que j'ai
+ toujours eue de ses moyens intellectuels.</p>
+
+<p>M. le comte de Schulembourg, préfet de Magdebourg, le même qui, à la
+ suite de quelques différends qu'il avait eus avec le général
+ Michaud, avait été éloigné pendant quelque temps de ses fonctions,
+ vient d'être nommé conseiller d'État en remplacement de M. de
+ Henneberg, décédé. On ne sait pas encore qui lui succédera.</p>
+
+<p>On dit que le général comte de Wellingerode reviendra de l'armée. M.
+ le général Allin a été nommé général de division. On dit ici que le
+ roi lui confiera ou lui a confié le commandement de toute
+ l'artillerie du corps d'armée qu'il commande.</p>
+</div>
+
+<p>Le 19 mai nouvelle lettre au duc de Bassano. Lettre importante sur
+les finances de la Westphalie:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>La question insoluble qui cause l'embarras du gouvernement
+ westphalien, réduite aux termes les plus simples, est toujours
+ celle-ci: les dépenses de la Wesphalie étant de soixante millions et
+ les recettes étant de quarante, comment porter la recette à vingt
+ millions de plus, puisqu'on ne veut ou ne peut pas réduire la
+ dépense?</p>
+
+<p>La dépense de la guerre, en y comprenant tous les frais d'entrée en
+ campagne, est de vingt-huit millions, peut-être de trente. Quand
+ même la volonté expresse du roi ne défendrait pas d'y faire des
+ retranchements, les circonstances actuelles doivent interdire à tout
+ homme sensé d'en proposer. Si, dans le cours de la seconde moitié de
+ l'année, les événements doivent amener en tout ou en partie cette
+ diminution sur laquelle compte M. de Malchus, il est au moins
+ démontré qu'elle arrivera trop tard pour influer efficacement sur la
+ crise du mois de juin.</p>
+
+<p>Il est encore interdit de faire tomber la diminution des dépenses
+ sur la liste civile qui est de six millions, telle qu'elle était en
+ 1810, lorsque le royaume comptait onze départements.</p>
+
+<p>J'ai déjà indiqué combien les ressources qu'offriront les recettes
+ extraordinaires consistant uniquement en vente des domaines
+ resteront au-dessous de ce qu'elles devaient produire pour ramener
+ l'équilibre.</p>
+
+<p>Il paraît qu'on a reconnu l'impossibilité d'un troisième emprunt
+ forcé dans lequel d'ailleurs, de toute nécessité, il faudrait
+ recevoir ce qui n'est pas encore rentré des obligations du dernier.</p>
+
+<p>Reste l'augmentation des recettes ordinaires.</p>
+
+<p>S. M. veut que tous les traitements soient réduits de moitié, à
+ l'exception de la liste civile et des traitements militaires. C'est
+ cette proposition qui a été discutée pendant quatre heures, dans un
+ conseil des <span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> ministres qui s'est tenu samedi dernier. De
+ fortes objections y ont été faites. On a dit que quand cette mesure
+ pourrait s'appliquer aux traitements un peu considérables, la plus
+ grande partie des traitements, à cause de leur modicité, ne pourrait
+ y être assujétie sans les plus graves inconvénients, ni même sans
+ danger pour la morale et pour la tranquillité publique; qu'à la
+ vérité les traitements des juges étaient un peu plus considérables
+ en Westphalie qu'en France; mais que c'était d'après des
+ considérations importantes et sur la demande expresse des États
+ qu'on les avait augmentés, parce qu'en Allemagne, de génération en
+ génération, des familles entières, sans fortune, mais riches d'une
+ considération héréditaire, ne vivaient que de leurs emplois, que la
+ désolation et la misère qui résulteraient de la diminution de ces
+ traitements aliéneraient du gouvernement cette classe de ses
+ serviteurs les plus immédiatement en contact avec le peuple, enfin
+ que l'épargne qu'on pourrait faire par ce moyen ne monterait
+ peut-être pas à 500,000 francs, qu'au reste, il convenait d'en faire
+ le calcul, et c'est ce dont a été chargé M. le Ministre des
+ finances.</p>
+
+<p>Pour ce qui concerne la liste civile, on a remarqué que dans une
+ aussi grande détresse, si les ministres, les conseillers d'État, les
+ autres fonctionnaires supérieurs devaient faire un aussi grand
+ sacrifice, il serait assez étonnant que les officiers de la cour,
+ pour des fonctions honorables sans doute, mais peu pénibles,
+ conservassent la totalité de leurs larges traitements; que cette
+ liste civile, qui constitutionnellement ne devrait être que de cinq
+ millions, en y comprenant les revenus des domaines de la couronne,
+ était déjà dans une proportion trop forte avec les revenus du
+ royaume; qu'elle avait ensuite été portée à six millions, lorsqu'en
+ 1810 le royaume se trouva composé de onze départements;
+ qu'aujourd'hui le royaume étant réduit à huit départements, elle
+ restait toujours la même; qu'il fallait ajouter à ces six millions
+ près d'un million d'autres revenus que la couronne s'était
+ successivement appropriés, ce qui portait la proportion de la liste
+ civile avec la totalité des revenus de l'État au sixième. Enfin, on
+ a demandé si, lorsqu'on allait retrancher le nécessaire aux juges,
+ aux curés, aux instituteurs publics, on pourrait, avec justice,
+ laisser subsister à la charge de l'État une dépense de 400,000
+ francs pour le spectacle français. C'est jeudi prochain que le
+ ministre des finances donne son avis et ses moyens au conseil des
+ ministres. M. Pichon, de son côté, prépare un travail sur le même
+ objet.</p>
+
+<p>M. Pichon, partant de la supposition qu'on ne puisse pas diminuer
+ les dépenses, en conclut avec beaucoup de logique qu'il faudra donc
+ hausser les recettes jusqu'au niveau des besoins. La base de son
+ travail sera donc une augmentation d'impôts de douze à quinze
+ millions. Il soutient que, pour imposer un pays, il n'est pas
+ nécessaire de connaître <span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> les localités, que sans y avoir
+ égard les nouveaux départements allemands après leur réunion ont été
+ sur le champ assimilés à la France; que les premiers fonctionnaires
+ sont des Français ne connaissant pas même la langue; qu'on peut
+ augmenter les impôts à volonté, pourvu que la répartition soit
+ égale; que la règle et l'uniformité feront tout et que c'est là ce
+ qui manque à la Westphalie. Il a dit à la reine qu'il allait lui
+ révéler tout le secret de l'artifice par lequel ses serviteurs
+ détournaient le roi de l'augmentation des impôts: qu'entre eux ils
+ disaient: le roi est dissipateur, toute augmentation de recette sera
+ dévorée et s'engloutira surtout dans la dépense pour l'armée, tandis
+ qu'ils disaient au roi: si vous augmentez les recettes, l'empereur
+ est là qui en profitera pour étendre les ressources qu'il tire de
+ votre royaume.</p>
+
+<p>À cela on répond que les maximes d'ordre et d'uniformité peuvent
+ être bonnes pour un état de choses permanent, tranquille et prospère
+ et non lorsqu'on est tellement talonné par le besoin qu'on ne peut
+ marcher qu'au jour la journée; qu'en semant l'alarme partout, M.
+ Pichon fait tarir les ressources disponibles; que si les charges
+ locales pour l'entretien, pour le passage des troupes, les
+ réquisitions, la suspension du paiement des intérêts ou leur
+ capitalisation peuvent être regardées comme des impôts inégalement
+ répartis, ils pourvoient à la nécessité du moment et permettent
+ d'attendre celui où l'on pourra employer le seul remède qui sera la
+ réduction des dépenses; que parmi ces charges il en est de plusieurs
+ millions que la Westphalie supporte sans qu'elles entrent dans le
+ compte des recettes générales; qu'ainsi, en les remplaçant par des
+ impôts réguliers, uniformes, on ne se procurerait pas une ressource
+ disponible: que tout impôt a sa nature qu'il était dangereux et
+ impossible d'excéder, et que mille faits semblent prouver que dans
+ la plupart des impôts la Westphalie est déjà parvenue à ce maximum;
+ qu'en Westphalie une contribution foncière de 11,500,000 francs
+ équivaut exactement au taux de cette même contribution telle qu'elle
+ est établie en France; et qu'en général il est absurde de prendre
+ pour exemple la France riche de mille moyens qui manquent à ce
+ royaume.</p>
+
+<p>Comme, d'après la connaissance que j'ai de ce pays-ci, il m'est
+ impossible de croire à l'efficacité du remède héroïque que propose
+ M. Pichon, je ne pourrais, en croyant à ses pronostics, que
+ rétracter entièrement ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans mon
+ n<sup>o</sup> 336: que je croyais qu'au milieu des difficultés la Westphalie
+ pourrait cependant aller sans secousses jusqu'à la fin de l'année,
+ et dès lors il faudrait vous faire prévoir des troubles et des
+ désordres qu'il me semble important d'éviter dans les circonstances
+ actuelles. Néanmoins, je ne me rétracterai point encore et,
+ quelqu'illusion que puisse se faire à certains égards M. le ministre
+ des finances, je me tranquilliserai par l'assurance <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> avec
+ laquelle encore aujourd'hui il m'a dit que le résultat du travail
+ qu'il proposerait au conseil prouverait la possibilité de surmonter
+ la crise de juin et les embarras de l'année.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Du 22.</p>
+
+<p>Dans le conseil des ministres qui s'est tenu hier, M. le ministre
+ des finances a prouvé que dans les quatre premiers mois de l'année
+ il avait, par des moyens tant ordinaires qu'extraordinaires, fait
+ rentrer plus de dix-sept millions (ce qui joint aux trois millions
+ et demi qui étaient en caisse au 1<sup>er</sup> janvier fait près de vingt-un
+ millions), et que d'après cette proportion, la recette serait de
+ cinquante-un millions au bout de l'année, sur cinquante-neuf
+ millions de dépenses. Il est convenu, à la vérité, que dans les
+ circonstances actuelles il ne se flattait point de pousser le
+ produit des ventes des domaines aussi loin qu'il l'avait espéré;
+ mais il a assuré que néanmoins il ferait face aux besoins du mois de
+ juin. Il a proposé des moyens d'augmentation des impôts pour trois
+ millions, moitié sur la contribution directe, moitié sur les impôts
+ indirects. Une partie des dépenses locales qu'en 1810 le trésor
+ public avait prises à sa charge, sera en même temps de nouveau
+ rejetée sur les communes. Quant à la contribution foncière, il a
+ démontré qu'au taux de douze millions, elle était portée plus haut
+ en Westphalie qu'en France, puisqu'en Westphalie, outre les dîmes
+ qu'on payait encore partout, il y avait encore quatre millions de
+ revenus des domaines impériaux situés dans le ci-devant Hanovre qui
+ en étaient exempts en vertu des traités. Enfin, il a calculé qu'en
+ charges locales non comprises dans les recettes du trésor, la
+ Westphalie payait au moins dix millions par an.</p>
+
+<p>M. Pichon, sans avoir l'air de trop désapprouver les projets du
+ ministre des finances, s'est tenu sur la réserve. La diminution des
+ traitements a été trouvée inadmissible d'une commune voix. Le tout a
+ été adressé à la reine par un courrier qui est parti ce matin. On
+ attend maintenant la décision du roi.</p>
+</div>
+
+<p>La nouvelle de la disgrâce du roi fit éprouver un grand chagrin à la
+reine; suivant le désir de Jérôme, elle ne divulgua pas cette
+affaire, mais elle ne put dissimuler sa tristesse. Tout le monde en
+fut frappé, et Reinhard écrivit le 23 juillet de Cassel:</p>
+
+<p class="lettre">La reine est toujours triste et inquiète. Le maréchal de la cour lui
+ demanda dernièrement si elle n'ordonnerait pas une petite fête dans
+ son intérieur pour le jour anniversaire de son mariage. Pour toute
+ réponse, elle fondit en larmes. Dans le 4<sup>e</sup> bulletin, elle a cru
+ trouver je ne sais quelle intention dans ce passage: «Le roi de
+ Westphalie est arrivé à Grodno avec les 7<sup>e</sup> et 8<sup>e</sup> corps et avec le
+ corps du prince Poniatowsky», puisqu'on désignait le corps polonais
+ par le nom de son chef, tandis <span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> que les deux autres corps
+ n'étaient désignés que par leurs numéros. Elle a fait part de sa
+ peine à tous ses ministres qui se sont efforcés en vain de lui
+ prouver qu'elle se chagrinait sans raison.</p>
+
+<p>Déjà la reine Catherine avait reçu la lettre du roi en date du 15.
+Bientôt elle en reçut une nouvelle de Bialistock du 28 juillet, 8 h.
+du matin; c'est à cette dernière que fait allusion Reinhard dans la
+lettre suivante au duc de Bassano:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, le 30 juillet 1812.</p>
+
+<p>Aux inquiétudes habituelles de la reine paraît se joindre, depuis
+ quelques jours, un nouveau sujet d'alarme. Elle paraît craindre que
+ la retraite du général Vandamme n'ait produit une impression
+ fâcheuse sur l'esprit de S. M. imp., avec d'autant plus de raison
+ que c'était le roi lui-même qui avait demandé que ce général fût mis
+ à la tête des troupes westphaliennes, et cette crainte est partagée
+ par les ministres de S. M. On sait que Monseigneur le prince
+ d'Eckmühl est arrivé à Minsk où l'on s'attendait que le roi
+ dirigerait sa marche. On lit dans quelques gazettes que les Saxons
+ se joindront au corps du prince de Schwartzemberg; on est incertain
+ si les Polonais, dont on dit que deux régiments s'avançant avec trop
+ de précipitation contre des Cosaques soutenus par l'infanterie russe
+ ont reçu un léger échec, se trouvent encore sous son commandement;
+ on croit même savoir que l'une des deux divisions westphaliennes a
+ reçu une destination nouvelle. Hier, la reine ne vint au spectacle
+ qu'à huit heures, et le public accoutumé à ces retards attendait
+ qu'on commençât, avec sa résignation habituelle. Cette fois,
+ cependant, le retard avait été causé par une lettre du roi que M. de
+ Pothau venait de lui porter et dont la reine n'a point communiqué le
+ contenu. Déjà il lui était échappé de dire <i>combien il serait
+ fâcheux que le roi ne fût pas bien avec S. M. l'empereur ou qu'il
+ revint de l'armée</i>; et la pensée même de cette possibilité avait
+ effrayé.</p>
+
+<p>Déjà, après son dernier retour de Paris, le roi s'expliquait sur le
+ compte du général Vandamme avec moins de faveur qu'auparavant; à
+ peine arrivé à l'armée, on apprenait qu'il y avait eu entre eux une
+ explication assez vive, mais qui avait été suivie d'une
+ réconciliation. On craint ici que l'inconséquence et les prétentions
+ de certains officiers ne sachant pas distinguer entre leur position
+ de cour et leurs devoirs comme militaires n'aient entraîné le roi
+ toujours trop accessible à des impressions qui touchent à son
+ amour-propre, et l'on sent profondément combien il aurait mieux valu
+ supporter, même, au besoin, quelques légers désagréments de la part
+ d'un homme qu'on avait choisi soi-même que de s'attirer un nouveau
+ reproche de versatilité et d'inconstance.</p>
+</div>
+
+<p>Reinhard attribuait à la tristesse de la reine une cause (le
+différend <span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> du roi avec Vandamme) qui n'était pas la
+véritable. Cette princesse connaissait l'affaire du prince
+d'Eckmuhl. Aussi, malgré son désir de voir le roi de retour à
+Cassel, elle ne se faisait pas illusion sur les conséquences
+fâcheuses que pouvait avoir ce retour.</p>
+
+<p>Par le fait, l'empereur, mécontent d'abord de la détermination de
+son frère, finit par reconnaître sans doute que les torts étaient du
+côté de Davoust, car il lui fit écrire une lettre de blâme par le
+major général et laissa Jérôme agir à sa guise, lui recommandant
+seulement le silence sur cette affaire. Toutefois, la nouvelle ne
+tarda pas à s'en répandre en Westphalie et le duc de Bassano
+l'annonça à Reinhard par la lettre suivante, en date du 31 juillet
+1812, écrite de Vilna:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je ne vous envoie pas les bulletins, parce qu'il est impossible au
+ moment où ils arrivent d'en faire plus d'une ou deux copies qui ont
+ une destination marquée; mais je vous enverrai, désormais, de
+ courtes notices, indépendamment de celles que vous recevez
+ régulièrement.</p>
+
+<p>Les pressentiments de la reine se réalisent: le roi a eu, en effet,
+ des torts qui le mettent dans une position très pénible. Lorsque son
+ armée s'est trouvée réunie à celle du prince d'Eckmühl, ainsi que
+ l'armée polonaise, le maréchal a eu le commandement de toutes les
+ forces qui se trouvaient ainsi rassemblées. Une armée de 120,000
+ hommes exigeait un chef d'une grande expérience, et tous les
+ avantages de cette nature appartenaient certainement au prince
+ d'Eckmühl. Le roi a aussitôt déclaré que s'il n'avait pas le
+ commandement, il se retirerait. Les représentations de Sa Majesté,
+ qui n'aurait pu céder à des considérations et à des affections
+ particulières sans exposer de si grands intérêts, n'ont pas produit
+ d'effet. Le roi a oublié que, lorsqu'il demanda à servir, il fut
+ bien entendu qu'il ne serait pas roi à l'armée, et il a persisté à
+ l'être. Il va partir, et il a dû recevoir à Varsovie l'ordre de
+ retourner à Cassel.</p>
+</div>
+
+<p>Arrivé à Varsovie au commencement d'août 1812, le roi Jérôme écrivit
+à la reine:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Je reçois à Varsovie ta longue lettre de conseils du 26; je te
+ remercie pour ton intention; mais je croyais n'avoir jamais laissé
+ douter que je ne suis pas de ceux qui se <i>déshonorent</i>, et que je ne
+ fais que ce que je dois faire. Je trouve aussi qu'il est un peu
+ hasardé à toi, ma chère amie, de parler si longuement sur une
+ question que tu ne connais nullement, et j'avais le droit de penser
+ t'avoir inspiré assez de confiance pour te <i>rassurer entièrement</i>
+ sur ma conduite qui n'est jamais dirigée ni par l'humeur, ni par un
+ coup de tête.</p>
+
+<p>L'empereur ne m'a jamais ôté le commandement de mes troupes, ni
+ <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span> des Saxons, ni d'aucun autre de mes corps; ainsi tu vois
+ que ce que tu me dis sur ce sujet dans ta lettre du 23 est encore un
+ des cent mille contes absurdes qui se débitent à Cassel, de même que
+ la destruction du 2<sup>e</sup> régiment de cuirassiers, qui n'a pas donné
+ (encore aujourd'hui) <i>un seul coup de sabre</i>, il n'y a que la
+ cavalerie légère polonaise qui ait pu atteindre la cavalerie ennemie
+ qui se retirait et qui, <i>depuis</i> mon départ, est entièrement hors
+ d'atteinte.</p>
+
+<p>Je ne veux pas faire davantage le grondeur, quoique j'en aurais
+ sujet, car tu ne sais peut-être pas que M. Pothau, qui ne se doute
+ de rien, écrit au comte de Furskeinstein que rien n'a transpiré de
+ la dépêche du roi apportée par l'estafette, mais <i>qu'il a remarqué
+ que la reine était triste</i>, ce qui est justement le contraire de mes
+ intentions et de celles de l'empereur qui veut que tout ceci n'ait
+ pas le moindre éclat.</p>
+
+<p>L'empereur a bien senti que je ne pouvais rester après l'ordre
+ inconcevable qu'il m'avait donné, car c'est <i>alors que je me serais
+ déshonoré</i>, puisque j'aurais dit moi-même à toute l'Europe: «Je ne
+ suis bon que pour passer des revues et des parades, mais lorsqu'il
+ faut se battre, je sens que je dois obéir et, quoique commandant la
+ droite et quatre corps d'armée, je suis sous les ordres d'un
+ maréchal qui n'en commande qu'un seul.»</p>
+
+<p>D'ailleurs, l'affectation à ne parler, dans les bulletins, que du
+ prince Poniatowski, la manière de dire: le roi est arrivé à Grodno,
+ comme on l'aurait dit de Louis XIV, lorsqu'il allait avec toute sa
+ cour au siège de Philipsbourg, prouve seulement que l'empereur ne me
+ voulait plus à l'armée.</p>
+
+<p>Et à te parler franchement, je te dirai que je crois que l'empereur
+ me voulait donner d'abord le trône de Pologne, <i>que je ne désire
+ nullement</i>, et que dans ce moment il a changé de pensée, et comme je
+ commandais les Polonais, il était fâché de me voir où j'étais et où
+ j'ai été très bien pour lui.</p>
+
+<p>Actuellement, il faut tout simplement dire que j'ai demandé à
+ revenir chez moi, ne pouvant supporter l'inconstance du climat, et
+ que l'empereur l'a permis.</p>
+
+<p>Je t'envoie l'article à mettre dans le <i>Moniteur</i> et surtout prends
+ garde de laisser paraître de la tristesse, car alors on fera cent
+ contes, qui ne seront plaisants ni pour l'empereur, ni pour moi, ni
+ pour toi.</p>
+
+<p>Quant à l'article finances, pour l'année prochaine, j'y mettrai tant
+ d'ordre que cela ira, j'en réponds.</p>
+
+<p>Je voulais que tu vinsses à Brunswick; mais j'ai réfléchi que cela
+ fera un grand dérangement pour toute la maison, une grande dépense
+ et beaucoup d'embarras par rapport aux chevaux, surtout dans ce
+ moment de récolte.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> Le ministre de l'intérieur doit se préparer à venir
+ m'attendre à Halle; je lui enverrai l'ordre par le courrier Viantex,
+ car celui que tu m'as envoyé va très doucement.</p>
+
+<p>Tu dois faire pour le 15 août ce que tu me disais dans ta dernière
+ lettre; tu dois aussi recevoir les félicitations le matin et donner
+ audience au ministre de France et à sa femme les premiers. Tout le
+ monde doit être en grande tenue, bien entendu que les hommes ne
+ doivent pas avoir le manteau qui ne sert que dans une cérémonie du
+ Trône.</p>
+
+<p>Tu peux faire dîner avec toi M. et M<sup>me</sup> Reinhard, avec la grande
+ maîtresse, la dame de service et le ministre de la justice.</p>
+
+<p>Tu donneras la droite au ministre de France, la gauche au ministre
+ de la justice, etc.</p>
+
+<p>Je te presse sur mon c&oelig;ur et aurai grand bonheur à t'embrasser,
+ mais ce ne pourra être avant le 18.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;Je me hâte d'ouvrir ma lettre pour t'annoncer une dépêche
+ de l'empereur, <i>très satisfaisante</i>. S. M. paraît s'être convaincue
+ que je pouvais faire autrement, m'engage à retourner dans mes États
+ avec mes gardes du corps, mais <i>met</i> pour <i>condition que rien ne
+ transpirera</i>, et que je dirai, et tu dois le dire toi-même, que ma
+ santé n'a pu supporter le climat.</p>
+
+<p>Je t'envoie un article pour le <i>Moniteur</i>; en conséquence, aie bien
+ soin de songer que la continuation de l'amitié de l'empereur <i>est
+ attachée à ce que l'on croie</i> que c'est cette seule raison qui me
+ <i>fait quitter</i>.</p>
+</div>
+
+<p>Le 4 août, Reinhard manda de Cassel:</p>
+
+<p class="lettre">La reine a reçu hier un paquet de M. de Marinville, à Varsovie, qui
+ lui apprend que les Russes ont quitté le camp retranché de Dryssa et
+ se sont retirés de la Dwina. Elle n'a point voulu montrer la lettre,
+ disant qu'elle contenait encore autre chose. On ignore si dans le
+ même paquet il y avait des lettres du roi. Le secrétaire-général des
+ relations extérieures, M. Hugot, a reçu une lettre de M. le comte de
+ Furstenstein datée de Novogrodek. Ce fait a transpiré et n'a pas
+ causé peu de surprise. M. Siméon s'explique à ce sujet avec beaucoup
+ de réserve. Du reste, j'ai lieu de croire que si quelqu'un est
+ instruit ici de la véritable situation du roi, concernant son
+ commandement, c'est tout au plus la reine.</p>
+
+<p>M. Reinhard était dans l'erreur, l'affaire du roi était le secret de
+la comédie; tout le monde à Cassel la connaissait, mais évitait d'en
+parler. La reine, malgré les lettres rassurantes de son mari, ne
+pouvait surmonter le chagrin que lui faisait éprouver son brusque
+<span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> retour. Elle lui avait même écrit à ce sujet une lettre
+des plus fortes, le 30 juillet, en apprenant ce qui s'était passé.</p>
+
+<p>On aurait tort de croire, malgré les prétendues lettres de Napoléon
+à Jérôme, malgré celles que ce dernier écrivait à sa femme, que
+l'empereur pardonna facilement à son frère son coup de tête. Il lui
+tint bien longtemps rancune, il ne se remit entièrement bien avec
+lui qu'en 1815, à Waterloo; il refusa constamment de lui donner des
+commandements de quelque importance. Il cessa presque entièrement sa
+correspondance avec lui et, le 31 juillet 1813, il écrivit au major
+général la lettre ci-dessous qui nous paraît caractéristique<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a><a href="#footnote140" title="Lien vers la note 140"><span class="smaller">[140]</span></a>:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Napoléon à Berthier.</p>
+<p class="date">Mayence, 31 juillet 1813.</p>
+
+<p>Mon cousin, répondez au roi de Westphalie que jamais il n'aura aucun
+ commandement dans l'armée française si: 1<sup>o</sup> il ne fait connaître
+ qu'il désapprouve la conduite qu'il a tenue l'année passée en
+ quittant l'armée sans ma permission et qu'il en est fâché, et 2<sup>o</sup> si
+ en prenant du service dans mon armée, il ne se soumet à obéir à tous
+ les maréchaux commandant des corps d'armée, que je n'aurais pas
+ spécialement mis sous ses ordres; ne devant avoir d'autre grade dans
+ mon armée que le grade de général de division, et ne devant
+ commander de droit, en cas de circonstances imprévues, qu'à des
+ généraux de division.&mdash;Que ce qui vient d'arriver en Espagne fait
+ connaître de plus en plus l'importance de tenir à ces principes; que
+ la guerre est un métier, qu'il faut l'apprendre; que le roi ne peut
+ pas commander, parce qu'il n'a jamais vu de bataille; que le roi
+ d'Espagne à qui j'ai fait dans le temps de semblables observations,
+ en est aux regrets et aux larmes de ne pas les avoir
+ comprises.&mdash;Vous ajouterez que, vu toutes les difficultés qui ont eu
+ lieu pour la convocation, j'ai pris le parti d'en faire un ordre du
+ jour; qu'il m'a paru urgent de décider ainsi cette affaire, vu que
+ déjà des détachements destinés pour Cassel étaient partis de
+ Mayence.&mdash;Faites d'ailleurs remarquer au roi que j'ai pris un ordre,
+ parce qu'un ordre est un ordre d'un général en chef, et que la
+ Westphalie et le roi lui-même font partie de mon armée; que c'est
+ par un ordre que j'ai réglé ce qui est relatif à Leipzik, et
+ qu'enfin c'est de cette manière que j'opère, surtout sur le
+ territoire allié.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;Cet ordre ne doit pas être publié.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> Mais reprenons la suite des faits, dont cette lettre nous a
+détournés. Le 12 août, Reinhard annonçait au duc de Bassano
+l'arrivée du roi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Avant-hier, à sept heures du matin, le canon a annoncé au public
+ l'heureuse arrivée de S. M. le roi, qui avait eu lieu dans la nuit
+ au palais de Napoléons-Höhe.</p>
+
+<p>S. M. le roi a reçu le même jour, à son lever, les officiers de sa
+ maison. Toutes les personnes qui jouissent des grandes entrées ont
+ eu la faveur d'y être admises. Le soir, tous les habitans de Cassel
+ ont illuminé leurs maisons.</p>
+
+<p>Par décret royal, daté de Varsovie le 2 août, M. le colonel baron de
+ Borstel a été nommé général de brigade, chargé du commandement de la
+ 1<sup>e</sup> brigade de la 1<sup>re</sup> division des troupes westphaliennes.</p>
+
+<p>Le colonel Lageon du 7<sup>me</sup> régiment d'infanterie de ligne a été nommé
+ chef d'état-major de la garde royale.</p>
+
+<p>Après avoir copié ces articles du <i>Moniteur westphalien</i>, qui sont
+ les seuls concernant le roi et le royaume qui ont paru depuis le
+ retour de S. M., je continue les rapports que j'ai à faire à V.
+ Exc., et qui ne seront encore guère plus importants.</p>
+
+<p>Le roi se porte bien. Il a reçu toute sa cour avec autant
+ d'affabilité que de gaieté. Il y a eu spectacle à Napoléons-Höhe
+ avant-hier et hier dans les appartements intérieurs. Hier matin, S.
+ M., après avoir déjeuné à sa petite maison de Sch&oelig;nfeld, est
+ venue en ville. Elle est entrée dans son palais, s'est rendue chez
+ son peintre, et de là au château incendié. Son architecte a fait
+ trois plans de construction d'un nouveau palais: le premier se
+ rapporte à la reconstruction de l'ancien château; le deuxième
+ transforme en palais royal le palais actuel des États; d'après le
+ troisième on construirait un palais entièrement nouveau hors de
+ l'enceinte de la ville. Dans les deux premiers on a suivi des vues
+ d'économie, il ne s'agirait guère que d'une dépense de trois ou
+ quatre millions. On m'a dit que le roi encore hier s'était expliqué
+ dans le même sens qu'il m'avait parlé, il y a quelques mois, et
+ qu'il avait déclaré qu'il n'habiterait plus l'ancien château; mais
+ qu'en attendant que ses moyens lui permettent d'en bâtir un nouveau,
+ il le ferait arranger pour y donner de grandes audiences dans des
+ occasions solennelles.</p>
+
+<p>Je n'ai encore vu ni le roi, ni personne de sa suite, excepté le
+ chambellan comte d'Oberg et le comte de Furstenstein. Ce dernier m'a
+ parlé de la maladie que le roi avait eue à Varsovie et dont il était
+ maintenant rétabli. Comme je ne me croyais pas en ce moment chargé
+ de prendre aucune initiative, notre conversation s'est promptement
+ détournée sur des sujets indifférents. M. de Furstenstein avait le
+ maintien modeste; il ne portait même aucune décoration.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> Ces deux courtisans se sont beaucoup plaints des Polonais,
+ de leur esprit de désordre et de pillage, de la haine qu'ils
+ portaient aux Allemands et de la perfidie avec laquelle ils
+ accusaient les autres des excès qu'ils commettaient eux-mêmes. Ce
+ langage où peut-être ils n'avaient pas entièrement tort me paraît
+ avoir été tenu avec intention.</p>
+
+<p>Voilà, monseigneur, tout ce que m'ont appris mes communications
+ directes. Voici ce que j'ai appris indirectement:</p>
+
+<p>Le roi, ou ne parle point du tout à ceux qui étaient restés à Cassel
+ de ce qui s'est passé et a amené son retour, ou il leur dit qu'il
+ est au mieux avec S. M. l'empereur, que surtout le dernier courrier
+ qui a déterminé son départ accéléré de Varsovie, lui en a porté
+ l'assurance et que bientôt on en verra les preuves. La reine même,
+ depuis le retour du roi, a beaucoup pleuré pendant deux jours.</p>
+
+<p>Aujourd'hui a été tenu le premier conseil des ministres. J'ignore
+ encore ce qui s'y est passé; mais, d'après ce qui s'est traité au
+ conseil d'administration qui s'est tenu après, je vois qu'entre
+ autres choses, il y a été question de la lettre que j'avais remise
+ hier concernant les diverses réclamations du domaine extraordinaire.
+ Le roi veut que l'état de ses finances soit débrouillé dans trois
+ mois: c'est ce qu'il a déjà voulu souvent.</p>
+
+<p>Quant à ceux qui sont revenus avec lui, tous le blâment et tous
+ cherchent à se disculper. Le général Chabert fait valoir une lettre
+ qu'il a écrite au roi, en commun avec le général Allin, pour amener
+ S. M. à des résolutions plus sages. Ils n'ont pas laissé ignorer le
+ contenu de celle qu'a portée au roi ce courrier par lequel il dit
+ avoir reçu de si heureuses assurances.</p>
+
+<p>Le courrier dit être parti du quartier général impérial deux jours
+ après M. de Brugnières (secrétaire du cabinet du roi), et avoir été
+ obligé de se cacher vingt-quatre heures dans des marais. Arrivé
+ auprès du roi, il a été fort étonné de ne point trouver M. de
+ Brugnières. Voilà ce que raconte le général Chabert qui le croit
+ pris. M. de Furstenstein dit qu'il arrivera incessamment.</p>
+</div>
+
+<p>La fin de l'année 1812 fut triste pour le roi Jérôme que son frère
+continua à battre froid. Revenu dans ses États, il y trouva plus que
+jamais les embarras financiers et la misère, l'empereur lui
+demandant toujours de nouveaux sacrifices et opposant aux justes
+réclamations du gouvernement westphalien une fin de non recevoir qui
+se traduisait par la morale de la fable du loup et de l'agneau.</p>
+
+<p>La correspondance de M. Reinhard avec Napoléon et avec le duc de
+Bassano mettra les lecteurs au courant de ce qui se passa dans le
+petit royaume de Jérôme, royaume voué à une dissolution prochaine.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span> Quant à l'armée levée avec tant de soin et au prix de tant
+de sacrifices par le roi, il n'en devait plus être question; à la
+retraite de Russie, après les batailles où cette armée avait
+illustré son drapeau, elle fut anéantie complètement.</p>
+
+<p>Nous allons donner les lettres ou les extraits de lettres les plus
+essentielles omises aux Mémoires de Jérôme:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 8 août 1812.</p>
+
+<p>Dans mes numéros précédents, j'ai informé V. Exc. que
+ progressivement, d'abord la Reine, ensuite ses principaux
+ serviteurs, enfin le public avaient reçu des alarmes sur la
+ situation du Roi.</p>
+
+<p>Cependant, avant-hier encore, Elle fit défendre à M. Hugot par M.
+ Pothau de parler à qui que ce soit de la lettre du ministre
+ westphalien à Dresde et Elle engagea M. Siméon à faire passer au Roi
+ un projet de constitution espagnole envoyé par M. de Wintzingerode,
+ en disant que cette pièce l'intéresserait. Mais en refusant ses
+ confidences à M. Siméon, Elle les avait faites à d'autres et je
+ savais depuis hier que M. de Marinville attendait le Roi à Varsovie
+ le 29 et très positivement le 30.</p>
+
+<p>Ce matin, après avoir reçu vos dépêches du 27 et du 31 juillet, je
+ me suis rendu chez M. Siméon, et me prévalant de l'autorisation de
+ communiquer les nouvelles que je recevais du gouvernement
+ westphalien, je lui ai fait remarquer cette expression «le corps que
+ commandait le Roi de Westphalie» qui se trouve dans votre dépêche du
+ 27. M. Siméon de son côté avait à m'apprendre qu'hier, dans la nuit,
+ Messieurs d'Oberg et Schlikler, chambellans de S. M., étaient
+ arrivés et avaient porté à la Reine la nouvelle du retour prochain
+ du Roi. Il m'a montré en même temps un bulletin qui aurait déjà dû
+ paraître aujourd'hui et qui paraîtra demain dans le moniteur
+ westphalien où il est dit que le Roi revient pour cause de santé.</p>
+
+<p>Je me suis alors permis, Monseigneur, de mettre M. Siméon au fait du
+ véritable état des choses qu'il ne pressentait que trop. J'ai ajouté
+ que ce serait lui seul à qui je ferais cette révélation en le
+ laissant le maître de l'usage qu'il voudrait en faire auprès de la
+ Reine. Il m'a répondu qu'il ne lui en dirait rien pour ne point
+ l'affliger davantage.</p>
+
+<p>M. Siméon, depuis l'arrivée des chambellans, n'avait point vu la
+ reine, mais Elle avait montré la lettre du Roi au maréchal du
+ Palais, M. de Boucheporn. Il paraît, m'a dit M. Siméon, que la Reine
+ lui avait écrit fortement, puisque dans sa lettre le Roi dit qu'il
+ est très bien avec S. M. l'empereur; qu'après avoir chassé au loin
+ le prince Bagration, <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> l'objet de sa campagne est rempli et
+ qu'il ne lui reste plus rien à faire; que d'ailleurs sa santé ne
+ supporte point le climat et quant aux finances qu'il les
+ raccommodera aisément dans l'espace de deux ans.</p>
+
+<p>On sait aussi, j'ignore si c'est par la lettre du Roi ou par le
+ rapport des chambellans, qu'une espèce de dyssenterie obligeant S.
+ M. de voyager à petites journées, Elle n'arrivera ici que le 18.
+ Plusieurs personnes à la suite du Roi ont écrit à leur femme,
+ entr'autres le général Chabert; mais toutes les lettres sont sans
+ date.</p>
+
+<p>Je m'empresse, Monseigneur, de vous donner ces nouvelles
+ préliminaires d'un retour causé par des circonstances où il doit
+ être si difficile au roi de se dissimuler ses torts à lui-même.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 10 août 1812.</p>
+
+<p>La journée d'hier ne nous a rien appris de nouveau. Quoiqu'on soit
+ informé que le retour du roi ne doit avoir lieu que le 18, on se
+ flatte, et moi surtout j'espère qu'il reviendra pour le 15. Au moins
+ ce serait ce que le roi pourrait faire de plus conforme à l'opinion
+ qu'il paraît désirer lui-même que le public prenne de sa situation
+ actuelle. M. le comte de Bocholtz, qui est revenu de sa campagne et
+ qui pendant cette semaine ainsi que M. Siméon encore sera du voyage
+ de Napoléonshöhe, m'a offert de demander à la reine ses intentions
+ concernant la célébration de la fête du 15, afin que de mon côté je
+ puisse prendre mes arrangements en conséquence. J'ai appris depuis
+ par M. Siméon qu'il y aurait ce jour-là grande audience du corps
+ diplomatique le matin, et le soir cercle, spectacle et souper.</p>
+
+<p>Du reste, Monseigneur, quelles que puissent être les dispositions du
+ roi, en revenant dans ses États, et sans m'inquiéter de ce qui dans
+ ces circonstances pourrait rendre pénible ma position personnelle,
+ c'est précisément le moment actuel qui semble m'imposer le devoir
+ indispensable de remettre sous les yeux de V. Exc. l'état où se
+ trouve la Westphalie.</p>
+
+<p>Après avoir sacrifié le bien-être de son royaume à la création d'une
+ armée qu'on ne lui demandait pas et qui, tout compris, monte au
+ nombre de 36,000 hommes, le roi par sa déplorable inconsistance perd
+ aujourd'hui le fruit de tous ses soins et se voit rejeté loin de
+ toutes ses espérances. Il trouvera son trésor épuisé, ses sujets
+ accablés, ses ministres désolés, sa considération entamée, le crédit
+ anéanti, les ressources de l'avenir dévorées d'avance.</p>
+
+<p>J'aime à me persuader que la facilité avec laquelle dans l'espace de
+ deux ans le roi espère rétablir ses finances est la preuve d'une
+ résolution <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> fortement prise et non d'une présomption
+ naturelle à son âge; mais alors même, combien de victoires aura-t-il
+ à remporter sur ses goûts et sur ses habitudes, et combien aura-t-il
+ à regretter de s'être privé légèrement de tant de moyens qui
+ auraient suffi pour conserver l'aisance à son royaume et la
+ splendeur à son trône, et qui n'existent plus! Comment réussira-t-il
+ à s'affectionner pour ses États qu'il a si souvent paru trouver trop
+ étroits pour son ambition!</p>
+
+<p>Mais en admettant que son désir de bien faire ait pris un nouveau
+ degré d'énergie, comment et par qui sera-t-il secondé? Et quand il
+ existerait autour de lui des hommes dignes de sa confiance, comment
+ se préservera-t-il à l'avenir des mauvais conseils et des influences
+ funestes qu'il lui sera si difficile d'éviter, parce qu'il se croit
+ au-dessus de leur atteinte?</p>
+
+<p>Déjà ceux qui dans cette campagne paraissent avoir joui de la
+ confiance particulière de S. M. ne sont pas ceux que l'opinion
+ publique aurait désignés de préférence. M. le général Chabert,
+ quoique très bon pour dresser des recrues, n'avait pas fait ses
+ preuves pour remplir la place de chef d'état-major, ni le comte de
+ Wickenberg, homme sans talents et sans éducation, n'avait été jugé
+ capable de jouer un premier rôle dans de grandes opérations
+ militaires. Quant à M. de Furstenstein qui doit son existence de
+ favori à son dévouement sans doute, mais avant tout à son
+ infériorité, il est certain qu'en se désolant autant qu'il en est
+ capable, il n'aura jamais osé sortir de sa nullité.</p>
+
+<p>Revenu dans sa résidence, qui le roi retrouverait-il? M. Siméon, bon
+ dans sa partie, sage dans ses vues et dans ses conseils, mais sans
+ fermeté et paralysé par son âge et par sa position? Messieurs de
+ Höne et de Wolfradt, pleins d'excellentes intentions, mais sans
+ coup-d'&oelig;il, incapables d'énergie ou de conquérir une confiance
+ qu'ils n'ont point? M. de Malchus, homme sans conceptions et sans
+ entrailles, indifférent au mépris et à la haine qui le poursuivent?
+ M. Pichon, capable de bouleverser l'État pour satisfaire son
+ ambition ou pour faire triompher un avis mal dirigé, dont la
+ conduite rend de plus en plus suspects les motifs de son zèle, dont
+ le caractère et la moralité paraissent tourmentés d'une crise
+ constante et violente et qui, jouissant d'une très grande influence
+ et n'ayant encore réussi qu'à porter la confusion dans la
+ comptabilité dont il fait et refait journellement le système, a
+ toujours pour ressource de dire qu'on ne l'a pas écouté? Enfin, M.
+ de Bongars dont les mains manient la police comme un enfant
+ manierait un rasoir, qui pour augmenter les fonds de son département
+ assujettit toute l'université de Göttingue à se munir de cartes de
+ sûreté, établit à Brunswick trois maisons de prostitution à la fois,
+ à Hanovre des maisons de jeu où vont se réunir toutes les servantes
+ et qui expose le royaume au danger <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> continuel de passer de
+ la terreur au désespoir et du désespoir à la révolte?</p>
+
+<p>Je ne vous retrace point, Monseigneur, le tableau des finances; vous
+ savez que je n'ai point osé porter ma prévoyance plus loin que la
+ fin de l'année. Vous savez à quel prix on s'est procuré des
+ ressources insuffisantes. Puisse S. M. I. daigner jeter un regard de
+ commisération sur ce malheureux pays et ne point abandonner un jeune
+ roi, dont les défauts en partie proviennent de ses qualités, aux
+ difficultés de sa position, à l'amertume de ses chagrins et aux
+ erreurs de son âge!</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 15 août 1812.</p>
+
+<p>J'ai reçu hier au soir la circulaire de Votre Excellence, du 7, qui
+ nous fait connaître les dernières nouvelles de l'armée et qui nous
+ fait présager les nouveaux succès du grand mouvement en avant qui
+ s'est préparé sous les plus heureux auspices.</p>
+
+<p>M. Brugnière est revenu: je ne l'ai point vu encore; mais j'apprends
+ qu'il n'a pas même pu pénétrer jusqu'à Wilna, de manière que son
+ courrier seul avait des dépêches à rapporter et qu'on conçoit
+ comment il a pu ne pas se presser de revenir. Il a raconté avec
+ indignation des médisances que les Polonais se sont permises sur le
+ compte du roi et que M. le comte de Furstenstein m'a répétées. Non
+ seulement ils l'accusaient de s'être fait donner de l'argent en
+ Pologne, chose qui n'est nullement dans le caractère de Sa Majesté,
+ mais l'insolence a été poussée à Varsovie au point d'envoyer un
+ commissaire dans les écuries où étaient les chevaux du roi pour
+ chercher s'il ne s'en trouvait point qui appartinssent aux Polonais.
+ Sur la plainte du roi, ce commissaire a été mis aux arrêts, où il
+ est resté pendant un mois. On sait en effet qu'il y a dans le
+ caractère national des Polonais une disposition à l'ingratitude et à
+ la jalousie contre les étrangers quels qu'ils soient et que c'est de
+ gaîté de c&oelig;ur qu'ils aiment à nuire, surtout à ceux aux pieds
+ desquels ils se prosternent pendant la faveur, lorsqu'ils croient
+ s'apercevoir que la faveur s'en est détournée.</p>
+
+<p>Tous les bruits de débarquement, soit d'Anglais, soit de Suédois ou
+ de Russes, se sont tout à coup calmés. On assure aujourd'hui que la
+ Suède a levé l'embargo qu'elle avait mis sur les bâtiments français
+ et qu'après avoir touché deux mois de subsides des Anglais elle leur
+ a déclaré qu'ils demandaient des choses trop difficiles.</p>
+
+<p>M. Pichon me dit que son successeur est déjà nommé et désigné et que
+ ce sera M. Dupleix, de retour de son emploi d'intendant de l'armée
+ Westphalienne. Il revenait d'une conversation qu'il avait eue avec
+ le <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> roi, après un conseil d'administration où il avait
+ présenté l'état de distribution du mois de septembre. Je sais qu'en
+ allant à ce conseil M. Pichon entrevoyait encore la possibilité de
+ rester, mais qu'en sortant elle l'avait abandonné. Quant à M.
+ Dupleix, sa réputation est celle d'un homme actif et intelligent,
+ mais il n'a pas au même degré celle d'intégrité.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, le 16 août 1812.</p>
+
+<p>En adressant à V. Exc. le n<sup>o</sup> 194 du Moniteur westphalien, contenant
+ le programme de la fête qui s'est donnée hier à Napoléonshöhe,
+ j'ajouterai quelques détails qui ne s'y trouvent point.</p>
+
+<p>Avant la réception du corps diplomatique, Leurs Majestés m'ont reçu
+ en audience particulière. Le teint du roi est un peu hâlé; il paraît
+ avoir maigri un peu; du reste, il jouit d'une bonne santé. En
+ entrant, j'ai dit que je venais féliciter S. M. de l'anniversaire de
+ la naissance de l'empereur, son frère, et y joindre tous mes v&oelig;ux
+ pour la gloire de S. M. impériale et pour le bonheur de son auguste
+ maison. Le roi m'a prévenu qu'il m'enverrait une lettre pour S. M.
+ impériale que je devais faire passer par l'estafette. Je ne l'ai
+ point reçue encore. En parlant des nouvelles de l'armée, il a dit
+ qu'on voyait que l'armée du prince Bagration était plus forte que
+ l'empereur ne l'avait supposé. Il n'a été question, en aucune
+ manière, des événements qui ont précédé ou causé son retour. Le
+ front du roi était un peu voilé: le mien l'était peut-être un peu
+ aussi. Je crois que tous les deux nous cherchions à cacher un
+ sentiment pénible. On avait reçu, la veille, une lettre de M. Bigot
+ à Copenhague. Le roi s'est expliqué sur la conduite du prince royal
+ de Suède en des termes qui prouvaient combien il sentait tout ce
+ qu'elle avait d'inconséquent et d'inconcevable. J'en ai profité pour
+ abonder dans son sens. M. Bigot avait mandé que le duc d'&OElig;ls et
+ Dörnberg étaient arrivés à Stockholm; et le roi m'a appris que ce
+ dernier avait été à Prague et avait demandé deux millions pour faire
+ soulever la Hesse à l'ancien électeur qui avait répondu que, tant de
+ fois trompé, il les donnerait lorsqu'il serait rétabli à Cassel. La
+ reine m'a chargé très expressément de transmettre à S. M. impériale
+ ses félicitations et ses expressions d'attachement et de respect.</p>
+
+<p>Tous les membres du Conseil d'État sont venus me porter leurs
+ félicitations. J'ai trouvé peu disposées à converser les personnes
+ revenues avec le roi. En général, le sentiment de la situation où le
+ roi s'est placé paraissait tellement dominer toute la cour, qu'on
+ peut dire que dans ce beau jour la joie ne battait que d'une seule
+ aile. L'illumination n'avait pas été commandée, mais toutes les
+ autorités et un grand nombre de particuliers ont illuminé de leur
+ propre mouvement.</p>
+
+<p>Depuis le retour du roi, je n'ai point encore trouvé l'occasion de
+ <span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> parler à M. Siméon; mais M. Pichon a eu avec moi une
+ conversation qui m'a paru sensée. Il m'a dit que le roi nourrissait
+ dans son intérieur un sentiment profond de chagrin et d'amertume, et
+ que pour son bonheur et son avenir il paraissait importer
+ extrêmement que ce sentiment fût adouci; que malheureusement, soit
+ légèreté, soit faiblesse, les personnes qui l'entouraient de plus
+ près avaient, dans les circonstances comme celles où il se trouve
+ maintenant, quelquefois l'air de lui donner raison ou du moins ne
+ lui donnaient pas entièrement tort; que son amour-propre s'en
+ prévalait et s'en raidissait; qu'il fallait en ce moment qu'aucun de
+ ses vrais serviteurs ne le flattât ou ne l'entretînt dans des
+ illusions, et qu'il appartenait à S. M. impériale seule de tempérer
+ pour le guérir une juste sévérité par la tendresse, par l'indulgence
+ et par la générosité.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p>
+<p class="date">Cassel, 26 août 1812.</p>
+
+<p>Tandis que les changements résolus dans le ministère paraissent
+ provisoirement ajournés, il en est arrivé un dans l'intérieur du
+ palais auquel on ne s'attendait pas. M<sup>me</sup> la baronne d'Otterstadt,
+ dame du palais, s&oelig;ur du comte de Zeppelin, ministre des relations
+ extérieures à Stuttgard, confidente unique de la reine, a donné et
+ reçu sa démission. Elle va quitter Cassel dans 3 ou 4 jours.</p>
+
+<p>Son mari, inspecteur général des forêts, espèce d'aventurier, le
+ plus circonspect et le plus fin des hommes en théorie et le plus
+ étourdi en pratique, avait reçu, il y a quelque temps, la défense de
+ paraître à la cour, hors les jours des grandes audiences. M<sup>me</sup>
+ d'Otterstadt qui, de son côté, avait reçu plusieurs dégoûts, demanda
+ que cette défense fût levée et menaça, dit-on, de donner sa
+ démission que le roi s'empressa d'accepter.</p>
+
+<p>M. de Furstenstein dit que M. d'Otterstadt s'était mêlé de choses
+ sales, c'est-à-dire il s'était entremis dans une correspondance
+ entre le prince royal de Wurtemberg et M<sup>me</sup> Blanche Laflèche,
+ baronne de Keudelstein. Un certain Delorme, porteur de la
+ correspondance, fut arrêté par le commissaire de police de Mayence,
+ sur la réquisition de M. de Bongars. Après la lecture des lettres,
+ le roi fit expédier à M<sup>me</sup> Blanche, qui est actuellement à Gênes,
+ l'ordre de ne point revenir et de renvoyer son chiffre, marque
+ distinctive des dames du palais. Il ne paraît point qu'elle ait de
+ pension et on craint que les secours qui servaient à élever les
+ enfants à Paris ne soient supprimes.</p>
+
+<p>Le public, se souvenant d'anciennes médisances, attribue la disgrâce
+ <span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> de M<sup>me</sup> d'Otterstadt à des papiers trouvés dans le
+ portefeuille du général comte de Lepel, mort à Mojaisck.</p>
+
+<p>La reine, dit-on, en annonçant cette démission à la grande
+ maîtresse, fondait en larmes: en public, elle s'est contenue. M<sup>me</sup>
+ d'Otterstadt était son amie d'enfance, elle remplissait toutes ses
+ heures solitaires; et ce qu'on ne conçoit pas, c'est que M<sup>me</sup>
+ d'Otterstadt ait pu remplir un vide. C'est une femme sans éducation,
+ sans esprit, sans amabilité, mais bonne et tellement réservée que
+ c'est à elle qu'il faut attribuer l'ignorance presque absolue où la
+ reine est restée sur <i>les inconstances du roi</i>. Si la reine éprouve
+ jamais le besoin de remplacer cette confidente, elle n'en pourra
+ choisir aucune qui convienne au roi autant que M<sup>me</sup> d'Otterstadt
+ sous ce rapport, si ce qui est incroyable est vrai, que la reine
+ soit jalouse jusqu'à l'emportement et que son calme ne soit que
+ l'effet de sa sécurité, le départ de cette dame pourra amener des
+ suites d'une grande influence sur le caractère de la reine et sur
+ les relations de l'intérieur du palais.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> d'Otterstadt tenait de la cour de Wurtemberg une pension de
+ 3,000 francs dont le roi s'était chargé et qu'il a doublée. Elle va
+ se retirer provisoirement à Francfort. Le ministre de Wurtemberg est
+ fort affecté de ce déplacement.</p>
+
+<p>Le jour de la disgrâce de M<sup>me</sup> d'Otterstadt, M<sup>me</sup> la comtesse de
+ Lowenstein, après quelques jours d'absence, a reparu à la cour avec
+ une robe neuve et tellement élégante qu'elle a fait le désespoir des
+ dames du palais. M<sup>me</sup> de Lowenstein poursuit la marche honorable
+ qu'elle s'est tracée pour parvenir à une faveur exclusive. Le
+ premier but qu'elle aura à atteindre sera d'être nommée dame
+ d'atour.</p>
+
+<p>On l'a vue dernièrement se promener à Napoléonshöhe entre le comte
+ et la comtesse de Blumenthal, tandis que leur fille se promenait
+ avec le général Wolf dans une entrevue d'épreuves. M<sup>lle</sup> de
+ Blumenthal, peu jolie au reste, venait d'atteindre sa seizième
+ année: ses parents, dit-on, s'étaient empressés de faire hommage au
+ roi de ses prémices, le général Wolf devait l'épouser en
+ conséquence. C'est un juif baptisé: la généalogie ne pouvait pas
+ faire obstacle, plus de seize quartiers y étaient. Mais cet officier
+ déclara qu'il ne croyait pas que M<sup>lle</sup> de Blumenthal pût lui
+ convenir. Bon père, M. de Blumenthal, chambellan du roi, avait été
+ maire de Magdebourg; il paraît que c'est en cette qualité qu'il a
+ obtenu la croix de la Légion d'honneur.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> la comtesse de Pappenheim est revenue à la cour et est logée
+ vis-à-vis le palais, dans le dernier appartement qu'a occupé le
+ grand maréchal. Son mari est toujours à Paris, entre les mains du
+ docteur Pinel.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> <p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p>
+<p class="date">Cassel, 4 septembre 1812.</p>
+
+<p>C'est M<sup>me</sup> la comtesse de Lowenstein qui depuis le retour du roi a
+ joui des faveurs de Sa Majesté. Il y a eu, dit-on, une petite
+ distraction en faveur de M<sup>lle</sup> Alexandre, mariée Escalonne, revenue
+ du camp de Pologne. Mais M<sup>me</sup> de Lowenstein a pris son mal en
+ patience et le roi lui est revenu. Cette dame se distingue par son
+ esprit de conduite: malgré cela elle réussira difficilement à rendre
+ le roi constant.</p>
+
+<p>On annonce l'arrivée d'une Polonaise dont le logement en ville est
+ déjà préparé. Un officier polonais, qui s'était attaché au roi comme
+ officier d'ordonnance et qui était venu avec M. Brugnière, étant
+ reparti, on croit qu'il sera allé au devant de sa compatriote.</p>
+
+<p>M<sup>mes</sup> Blanche et Jenny Laflèche, femmes de l'ex-intendant de la
+ liste civile et de son frère le chambellan, partent pour se rendre à
+ Gênes par Paris. Il est incertain si elles reviendront. À la cour on
+ prétend qu'à la suite d'un engagement pris avec le prince royal de
+ Wurtemberg, M<sup>me</sup> Blanche ira habiter les bords du lac de Constance.
+ Cette famille est extrêmement déchue. Le conseiller d'État est un
+ étourdi, le chambellan est un mauvais sujet. Cependant les dames ont
+ toujours conservé une amie ardente en M<sup>me</sup> la comtesse de Schomberg,
+ femme du ministre de Saxe.</p>
+
+<p>On parlait pendant quelques jours d'une espèce de disgrâce où était
+ tombé M. le comte de Furstenstein. Il n'en est rien et il est
+ certain qu'il occupera le magnifique hôtel qui sera délaissé par M.
+ et M<sup>me</sup> Pichon. Ce qui est vrai, c'est que le roi avait insisté de
+ nouveau pour que M<sup>me</sup> de Furstenstein demandât une place de dame du
+ palais et qu'elle et son mari s'y sont de nouveau refusés.</p>
+
+<p>Le comte de Pappenheim a été atteint à Paris de plusieurs attaques
+ d'apoplexie qui font espérer que sa fin sera prochaine. On ne croit
+ point que M<sup>me</sup> de Pappenheim doive revenir à la cour de Westphalie
+ et l'on assure que M. de Waldener son père s'y oppose. Quant au
+ comte de Wellingerode, on le dit entièrement abandonné des médecins.</p>
+
+<p>On avait préparé pour M<sup>me</sup> la duchesse de Rovigo l'appartement de la
+ comtesse de Pappenheim; mais à la porte de la ville on avait oublié
+ de dire que cette dame était absente. M<sup>me</sup> la duchesse, déclarant
+ qu'elle n'aimait pas la société des femmes, alla descendre à
+ l'auberge de la Maison-Rouge où l'aubergiste ne voulut pas la
+ recevoir, ni même, dit-on, la laisser reposer dans son salon. Sur
+ ces entrefaites, M. de Bongars survint, et sur la plainte de M.
+ Bourienne il en fit le rapport <span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> au roi qui ordonna la
+ punition de l'aubergiste, telle qu'elle est énoncée dans l'arrêté
+ ci-joint du commissaire de police.</p>
+
+<p>La manière dont l'aubergiste a raconté à M. Siméon comment la chose
+ s'était passée est un peu différente. Du reste, depuis longtemps cet
+ homme était signalé comme n'aimant pas les Français. Son ancienne
+ enseigne étant <i>à l'Électeur</i>, après l'avoir ôtée, il n'en mit point
+ d'autre et son auberge ne fut connue que sous le nom de la
+ Maison-Rouge.</p>
+
+<p>La femme du ministre de Prusse n'a point obtenu la permission de
+ prendre avant son départ congé de la reine.</p>
+
+<p>Le musicien Rode et le danseur Duport sont ici. Le premier a déjà
+ joué devant la cour et donnera un concert au public. Duport, dit-on,
+ ne dansera point pour avoir fait dire dans une gazette de Berlin
+ qu'il se rendait à Cassel sur une invitation du roi.</p>
+
+<p>Pendant les courses de la cour sur la Fulde et sur le Weser, elle
+ est escortée sur les deux rives par des gardes du corps et des
+ lanciers. On prétend que c'est parce que M. de Bongars rêve toujours
+ encore conspiration.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 18 septembre 1812.</p>
+
+<p>Voici comment, dans le dernier voyage de Brunswick, le roi a raconté
+ confidentiellement à l'un de ceux qui l'y ont accompagné les motifs
+ de son départ de l'armée.</p>
+
+<p>L'aile droite de la grande armée avait une destination particulière
+ et séparée, celle de couper le corps de Bagration. Cette destination
+ a été remplie. Après que ce but fut atteint, Sa Majesté l'empereur
+ jugea à propos de renforcer le centre. Des corps furent détachés de
+ l'armée que le roi avait commandée jusqu'alors. Dès lors, cette
+ armée séparée fut subordonnée à la direction générale et la présence
+ du roi devint sans objet. Sa Majesté l'empereur a senti parfaitement
+ que le roi ne pouvait être sous le commandement de personne et c'est
+ d'accord avec lui que le roi est revenu.</p>
+
+<p>J'ai eu plusieurs fois occasion de dire à Votre Excellence un mot
+ sur les irrégularités qui se commettent en Westphalie dans la vente
+ des domaines de l'État. Mais celles qui se commettent dans la vente
+ des dîmes dans le district de Hildesheim sont tellement publiques,
+ tellement indécentes et paraissent tellement constatées que je dois
+ en faire une mention particulière. Je savais déjà par M. Pichon que,
+ soit qu'il voulût seulement se procurer des renseignements, soit
+ qu'il eût réellement le projet de faire une acquisition très
+ profitable, il s'était adressé à un homme en place dans ce pays-là,
+ pour s'informer du prix courant <span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> des dîmes et pour lui
+ donner la commission d'en acheter. Cet homme lui répondit qu'aucune
+ vente ne se faisait en public et que le beau-frère de M. de Malchus
+ engageait tous les amateurs à s'adresser directement au ministère
+ des finances où on leur ferait de meilleures conditions. Cela n'est
+ pas très légal, cependant cela pouvait s'excuser par la pénurie du
+ trésor et par le besoin où l'on était de se procurer de l'argent
+ promptement et à tout prix. Mais j'ai su depuis par une source très
+ authentique que toute cette transaction dont l'objet se monte à près
+ de deux millions est exclusivement entre les mains de deux
+ beaux-frères et d'un parent de M. de Malchus, dont l'un fait
+ l'estimation des dîmes, l'autre en conclut les marchés et le
+ troisième en reçoit le prix.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 28 septembre 1812.</p>
+
+<p>Vendredi dernier, le roi me fit encore appeler dans son cabinet. Il
+ n'est pas besoin de dire que la victoire de Mojaisk, la part qu'y
+ ont eue les troupes westphaliennes, le problème de l'entrée ou
+ paisible ou sanglante dans Moscou furent le thème principal de cet
+ entretien qui ensuite est devenu aussi vague que la conversation
+ précédente dont j'ai rendu compte à Votre Excellence. Cependant, un
+ des ministres du roi m'a fait la confidence que le roi avait voulu
+ me sonder sur certaines dispositions ou intentions de Sa Majesté
+ impériale qu'assurément je ne m'étais jamais vanté de connaître.
+ Quoi qu'il en soit, cette fois encore je suis resté fidèle à la
+ maxime de ne point prendre l'initiative sur les choses délicates qui
+ concernent la campagne que Sa Majesté a faite en Pologne; et comme
+ le roi de son côté n'a pas pris l'initiative, j'ignore s'il a inféré
+ de notre conversation que j'étais instruit de quelque chose ou que
+ je ne savais rien. Du reste, quelque effort que fasse le roi pour
+ cacher la situation intérieure de son âme, il me paraît certain que
+ plus les événements de la campagne sont glorieux et plus l'idée d'en
+ être éloigné le tourmente. Aussi croit-on s'apercevoir que Sa
+ Majesté souffre et maigrit; et je vous avoue, Monseigneur,
+ qu'attaché comme je le suis à ce prince doué de tant d'heureuses
+ qualités et reconnaissant de la bienveillance qu'il m'a souvent
+ témoignée, je ne puis que me sentir attristé et de sa situation qui
+ à la fois lui impose la gêne de voiler ses torts et lui ôte les
+ moyens de les réparer, et de la mienne qui me défend de lui donner
+ des conseils qu'on ne me demande point ou de lui témoigner un
+ intérêt dont on ne veut pas être censé avoir besoin. Aussi,
+ Monseigneur, serait-il bien heureux pour moi le jour où interprète
+ de la bonté généreuse de Sa Majesté impériale, je pourrais lui
+ porter la seule consolation capable de guérir sa blessure.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> <p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 19 octobre 1842.</p>
+
+<p>Tandis qu'une salle de spectacle se construit au palais du roi, le
+ lieu des séances du Conseil d'État a été transporté dans le palais
+ des États où sera aussi logée une partie des artistes au service du
+ roi qui habitaient jusqu'à présent le garde-meuble. Ce même palais
+ renferme une bibliothèque et plusieurs collections assez
+ intéressantes ou curieuses. Ces dernières ont déjà beaucoup diminué,
+ on dit qu'elles vont être transportées on ne sait où. Il se trouvait
+ au château de Napoléonshöhe la bibliothèque à l'usage personnel de
+ l'ancien Électeur, très bien choisie et composée de livres de prix;
+ elle pourrit aujourd'hui dans un galetas du garde-meuble, entassée
+ dans des corbeilles et à la merci du premier venu.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 21 novembre 1812.</p>
+
+<p>La cour est revenue mardi dernier du voyage de Catharinenthal. Elle
+ a assisté le même jour en grande loge à la 1<sup>re</sup> représentation de
+ l'opéra de la Vestale donné avec une magnificence qui approchait
+ bien près de celle de Paris. Seulement le théâtre a paru un peu trop
+ étroit pour le char triomphal attelé de quatre chevaux blancs.</p>
+
+<p>La petite salle de spectacle construite dans l'intérieur du château
+ a été inaugurée avant-hier. Le roi a acheté autour de cette
+ résidence provisoire plusieurs maisons nouvelles dont on a déjà
+ démoli et déblayé l'intérieur. Ces changements continuels, ces
+ dépenses très considérables pour agrandir et embellir un local qui
+ n'en est pas susceptible et qui ne doit servir que par intérim, la
+ célérité nuisible avec laquelle le roi veut que les ordres qu'il
+ donne à cet égard soient exécutés, désolent l'intendant de sa
+ maison, mais le roi dit que c'est là sa jouissance. Néanmoins cet
+ intendant assure que la totalité des budgets pour la maison de S. M.
+ où les écuries seules absorbent 12 à 1,300,000 francs n'excède pas
+ la somme de 4,700,000 francs. À la vérité ces constructions et les
+ dépenses de la cassette n'y sont pas comprises. La répugnance de la
+ reine surtout à faire réparer l'ancien palais incendié et à revenir
+ l'habiter paraît invincible.</p>
+
+<p>Quant au budget de l'État, M. de Malchus, dit-on, se propose de ne
+ le soumettre au roi qu'au mois de décembre. Pour le moment le trésor
+ est assez à l'aise, principalement parce que la solde de plusieurs
+ mois n'a pas encore été payée à l'armée.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> Je reçois à l'instant la lettre de V. Exc. du 11 novembre,
+ avec la lettre jointe de M. le duc de Rovigo. J'aurai l'honneur d'y
+ répondre incessamment.</p>
+</div>
+
+<p>Les lettres et bulletins de ce genre donnaient beaucoup d'humeur à
+Napoléon qui voyait son jeune frère gaspiller l'argent pour des
+futilités, tandis qu'il eût voulu que tout fût consacré alors à
+entretenir la guerre et à faire de nouveaux armements; cela explique
+en quelque sorte la fin de non recevoir qu'il opposait aux demandes
+incessantes et justes de la Westphalie.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 16 décembre 1812.</p>
+
+<p>Sire, j'apprends à l'instant le passage de Votre Majesté par Dresde,
+ je m'empresse de lui exprimer mon désir bien naturel sans doute
+ d'aller en personne lui présenter les expressions de mon tendre et
+ inviolable attachement.</p>
+
+<p>Je serai heureux si Votre Majesté veut me permettre d'aller passer
+ quelques jours auprès d'elle.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 17 décembre 1812.</p>
+
+<p>Un décret royal a aboli la charge de grand maître de la reine: celle
+ du chevalier d'honneur y a été substituée. On la croyait
+ généralement destinée à M. de Maupertuis, et tout annonce que la
+ famille Fursteinstein s'en flattait. Elle a été, dit-on,
+ désorientée, lorsqu'il y a quelques jours, le roi déclara que ce ne
+ serait point M. de Maupertuis. On nomme aujourd'hui M. le comte de
+ Busche, ancien ministre de Westphalie à Saint-Pétersbourg. On dit
+ que M<sup>me</sup> Mallet, première lectrice de la Reine, a repris un certain
+ ascendant et qu'il y a eu une explication de la reine avec le roi.
+ Quelques indices pourraient même faire penser que le roi de
+ Wurtemberg est intervenu. Il est du moins certain qu'il a écrit
+ dernièrement une lettre au roi, son gendre. En même temps, M. de
+ Gemmingen, ministre de Wurtemberg, a été appelé subitement à
+ Stuttgard; il est parti ce matin. Plusieurs personnes pensent qu'il
+ ne reviendra point; quant à lui, il ne paraît se douter de rien. Les
+ motifs qui avaient dicté au roi de Wurtemberg le choix d'un ministre
+ bonhomme, mais sans esprit et sans influence, peuvent avoir été très
+ bons sous plusieurs rapports: ils ont cependant eu ce résultat
+ fâcheux pour la reine qu'elle s'est un peu trop abandonnée <span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span>
+ elle-même; cette apathie éternelle, vraie ou apparente, a quelque
+ chose qui nuit et qui fait de la peine; et c'est déjà un mal que le
+ mieux qu'on puisse dire de cette princesse soit qu'elle ne fait
+ point de mal.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 18 décembre 1812.</p>
+
+<p>Sire, je m'empresse d'adresser à Votre Majesté, à l'occasion de la
+ nouvelle année, mes félicitations et l'expression sincère de mes
+ sentiments inaltérables. Je serais particulièrement heureux, sire,
+ si Votre Majesté me permettait d'aller l'assurer de vive voix de mon
+ tendre et inviolable attachement.</p>
+
+<p>J'attends la réponse de Votre Majesté avec bien de l'impatience.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur ne permit pas à son frère de se rendre à Mayence pour son
+passage. Le jeune roi, de plus en plus affecté de sa disgrâce auprès
+de son frère, resta à Cassel, qu'il allait à la fin de 1813
+abandonner sans retour.</p>
+
+<p>À la fin de décembre 1812, l'empereur ayant désiré avoir des notions
+vraies et confidentielles sur plusieurs des ministres et des
+principaux personnages du royaume de Westphalie, M. Reinhard envoya
+à Paris, sur chacun de ces personnages, des aperçus curieux et
+sincères.</p>
+
+<p>Nous allons faire connaître ce qui concerne les plus en vue de ces
+hommes d'État:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Cassel, 29 décembre 1812.</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Wolfrath</span>, ministre de l'intérieur, grand croix de
+ l'ordre de Saxe, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p>
+
+<p>Il a commencé sa carrière comme avocat à Brunswick où, par
+ l'intégrité de son caractère, il s'attira la faveur du dernier duc
+ qui le nomma d'abord conseiller de la cour, ensuite directeur de la
+ chancellerie de justice, et à la fin, ministre. À la formation du
+ royaume, il fut nommé ministre de l'intérieur. Quelque grand et
+ sincère que fût jadis son attachement à la maison de Brunswick, on
+ ne peut pas lui reprocher la moindre bévue politique depuis la mort
+ de son ancien maître. Il est un des plus fidèles serviteurs du roi
+ de Westphalie dont l'intérêt ainsi que celui du royaume lui sont les
+ plus sacrés. Il est seulement à plaindre que, par une ancienne
+ habitude, il soit encore trop attaché aux anciens usages et formes
+ dont il lui est presque impossible de se défaire. C'est lui qui est
+ cause que tant d'anciennes choses se <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> conservent encore,
+ lesquelles, d'après la constitution, ne devraient plus exister. On
+ lui reproche aussi une lenteur terrible dans les expéditions qui se
+ font à ses bureaux. Son principe est que les règlements français sur
+ l'administration intérieure sont excellents pour la France, mais
+ moins bons pour les peuples d'Allemagne.</p>
+
+<p>Il voudrait admettre partout des restrictions qui produisent un
+ mélange affreux. Il est un des plus grands admirateurs de
+ l'empereur. Ceux qui le connaissent particulièrement soutiennent
+ qu'il l'aime encore plus qu'il n'ose le dire, de crainte de paraître
+ par là trop bon français et de perdre l'affection du roi qui ne veut
+ apercevoir en ses ministres que des gens qui lui soient uniquement
+ attachés. C'est par cette raison même que son influence sur les
+ préfets, sous-préfets, maires de canton et maires de commune n'a
+ jamais été avantageuse pour le gouvernement français. Il a toujours
+ cru devoir leur faire sentir à toute occasion le grand avantage de
+ n'être pas soumis aux droits réunis, à l'enregistrement, etc. M. de
+ Wolfrath est un de ceux qui pour faire aimer le gouvernement
+ westphalien sacrifieraient tout autre intérêt. Les Français attachés
+ à la Westphalie l'estiment assez à l'égard de son caractère, mais
+ ils lui reprochent aussi sa lenteur et son entêtement de conserver
+ tant d'anciennes formes.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> M. le baron <span class="smcap">Malchus</span>, comte de <span class="smcap">Marienrode</span>, ministre des finances,
+ commandeur de l'ordre de la Couronne.</p>
+
+<p>Il y a seize ans qu'il n'était que gouverneur des enfants de M. de
+ Brabeck, près de Hildesheim, par l'intercession duquel il obtint la
+ place de syndic auprès du chapitre dans cette ville.</p>
+
+<p>Lorsque le pays de Hildesheim, en conformité du traité de
+ Ratisbonne, fut occupé par les Prussiens, M. Malchus révéla à la
+ commission prussienne le secret de tous les capitaux que le chapitre
+ avait eu soin de soustraire aux perquisitions des organisateurs. En
+ récompense de ce service, le roi de Prusse le nomma conseiller de la
+ guerre et des domaines en la chambre des domaines à Halberstadt. À
+ l'époque de la fondation du royaume de Westphalie, M. Malchus
+ s'empressa de mettre le gouvernement en état de s'emparer de
+ plusieurs capitaux également inconnus. Le roi le nomma conseiller
+ d'État, sur la proposition de M. de Bulow, ministre des finances. M.
+ Malchus sut bientôt gagner la confiance du roi, tantôt par des
+ propositions financières, tantôt par des sommes qu'il savait faire
+ entrer dans la caisse royale par ses recherches. Il fut nommé à
+ plusieurs commissions extraordinaires, entre autres à l'organisation
+ du pays d'Hanovre. Après cette organisation, il fut envoyé à Paris
+ pour obtenir quelques avantages dans les domaines. Enfin, lorsque M.
+ de Bulow fut déposé de la place de ministre des finances, M. Malchus
+ l'obtint, au grand étonnement de toute la cour qui avait désigné le
+ conseiller d'État Pichon pour successeur <span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span> du comte de
+ Bulow. M. Malchus n'avait jamais été aimé de personne. Sa nomination
+ de ministre fit une impression désagréable sur tous les employés au
+ service. Il fut regardé comme une sangsue qui n'épargnerait rien
+ pour se confirmer dans l'opinion du roi et qui n'oublierait pas non
+ plus son intérêt particulier.</p>
+
+<p>Le roi le nomma ministre des finances, du trésor et du commerce; il
+ continua à être à la tête de ces trois départements sans aucun
+ contrôle; mais cela ne dura pas longtemps. Il fut nommé, au grand
+ dépit de M. Malchus, un intendant général du trésor public, en la
+ personne de M. Pichon, conseiller d'État. Tout le monde
+ applaudissait à cette nomination qui faisait d'autant plus de
+ plaisir que M. Pichon réunissait tous les suffrages et qu'il était
+ généralement connu pour le meilleur intendant et le plus
+ désintéressé serviteur du roi.</p>
+
+<p>J'ai déjà cité dans l'histoire de l'esprit public le désordre qui
+ règne dans les finances. Les cabales et intrigues qui commencèrent
+ entre M. Malchus et M. Pichon le mirent à son comble. Celui-ci
+ voulait introduire l'administration du trésor purement sur le pied
+ français, tandis que celui-là y voulait conserver les formes
+ adoptées et se réserver d'y mettre du sien à son aise. M. Pichon,
+ dégoûté de toutes ces tracasseries, demanda enfin au roi d'être
+ nommé ministre du trésor. Le roi refusa cette prière, et M. Pichon
+ donna sa démission qui fut acceptée, au grand triomphe de M. Malchus
+ et au grand dépit du public. M. Pichon va s'en retourner en France.
+ Il a la satisfaction d'être le plus estimé Français qui ait été au
+ service de la Westphalie.</p>
+
+<p>M. Malchus est un homme dont l'égoïsme dépasse toute idée. Pourvu
+ qu'il réussisse en ses projets particuliers, il servira tout aussi
+ bien le dey d'Alger que le roi d'Angleterre. Sa souplesse l'aidera à
+ se pousser partout. Comme il ne doute point que la fin de son
+ ministère ne soit très proche, il a eu soin de se mettre en état
+ d'attendre l'avenir sans inquiétude. Il s'est mis en possession du
+ beau domaine de Marienrode qu'il vient d'acheter au roi, lequel pour
+ preuve de sa satisfaction, lui a fait encore un cadeau de 120,000
+ francs. Le public est étonné que M. Malchus ait pu payer la somme
+ énorme de presque un million de francs le domaine de Marienrode.
+ Tout le monde sait qu'il n'a jamais eu de fortune. On dit qu'il a
+ gagné par les man&oelig;uvres de papiers publics dont il réglait les
+ chances.</p>
+
+<p>M. Malchus a pour habitude de relancer sur la France les demandes
+ qu'il fait au peuple westphalien. Les besoins de l'armée lui servent
+ toujours de prétexte, et comme cette armée, dit-il, n'existe que
+ pour l'empereur Napoléon, c'est à celui-ci que les Westphaliens
+ doivent s'en prendre.</p>
+
+<p>Il est vrai qu'il est difficile d'avoir toujours à sa disposition
+ les sommes dont le roi a besoin pour couvrir les frais énormes que
+ le luxe <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span> de la cour et ses autres dépenses exigent. Mais il
+ n'est pas moins vrai que les mesures de M. Malchus ne sont calculées
+ que pour les besoins du moment et qu'il est bien loin d'établir un
+ système financier tel que la Westphalie l'exigerait.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> <span class="smcap">M. Siméon</span>, ministre de la justice, commandant de la Légion
+ d'honneur, grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, grand commandeur
+ de la couronne de Westphalie.</p>
+
+<p>Il est le plus estimé de tous les ministres. La partie judiciaire va
+ si bien en Westphalie qu'on croirait que le code Napoléon y est déjà
+ introduit depuis dix ans.</p>
+
+<p>M. Siméon est réputé très bon français. Il est à plaindre qu'il ne
+ soit pas à la tête des autres parties de l'administration. Il est
+ président de la commission du Sceau des Titres.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Furstenstein</span>, ministre des relations extérieures,
+ secrétaire d'État, grand commandeur de l'ordre de la Couronne,
+ grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert, de l'Éléphant, de
+ l'Aigle-Noir, des Séraphins, de l'Aigle-d'Or wurtembergeois.</p>
+
+<p>Il a le surnom de Furstenstein de la dotation d'une partie de biens
+ considérables du ci-devant ministre hanovrien Dide de Furstenstein
+ que le roi lui a conférés. Au commencement de sa nomination, on ne
+ doutait point qu'il ne serait le premier favori du roi et le
+ <i>factotum</i> dans le gouvernement. Il est réellement un des premiers
+ favoris du roi; mais quant à son autorité, il ne l'emploie jamais
+ qu'aux affaires qui regardent son ministère, de manière que ses plus
+ proches parents ne puissent compter sur sa protection. Il a épousé
+ la fille du comte de Hardenberg, grand veneur westphalien.</p>
+
+<p>5<sup>o</sup> Le prince Ernest de <span class="smcap">Hesse-Philipsthal</span>, grand officier de la
+ Couronne, grand-croix de l'Aigle-Noir.</p>
+
+<p>Il est le fils du prince Adolphe de Hesse Philipsthal Barchfeld,
+ prince apanage de l'ancienne maison de Hesse Philipsthal et dont la
+ fortune a été toujours très médiocre. Il s'est marié avec une
+ princesse de Hesse Philipsthal d'une autre ligne collatérale de
+ l'ancienne maison régnante.</p>
+
+<p>Le grand chambellan est un homme sans prétention, loyal et beaucoup
+ estimé. Il ne peut pas briller par l'étendue de son esprit, mais il
+ ne manque pas d'instruction. Son attachement au roi de Westphalie
+ est hors de contestation. Il aimerait également la France s'il y
+ vivait. Sa s&oelig;ur est mariée avec le comte Laville-sur-Illion,
+ gouverneur du palais de résidence. L'un et l'autre ne peuvent pas
+ être comptés pour des gens qui signifient grand'chose.</p>
+
+<p>6<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Hardenberg</span>, grand veneur, grand-croix de l'ordre
+ des Deux-Siciles, commandeur de l'ordre de la Couronne, Hanovrien de
+ naissance.</p>
+
+<p>Il était ci-devant bailli hanovrien à Rotenkirchen et, dans le
+ dernier <span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> temps de l'Électorat, gouverneur du château royal
+ à Hanovre. Sa fortune est très grande et ses revenus seraient très
+ grands, s'il était possible d'introduire l'ordre dans son économie.
+ Malgré ses biens immenses, il n'a jamais d'argent et il emprunte à
+ tout le monde.</p>
+
+<p>Il a deux frères, dont l'un, le comte de Hardenberg, était autrefois
+ président d'une cour de justice et membre de la commission du
+ gouvernement à Hanovre; et l'autre, gentilhomme à la cour de
+ Hanovre.</p>
+
+<p>L'aîné de ces deux frères a épousé une fille naturelle du dernier
+ duc de Courlande, et se trouve à présent à sa terre de Rannewitz en
+ Mecklembourg. Il a sollicité très vivement la place du premier
+ président de la cour impériale, à Hambourg; aussi, la commission du
+ gouvernement l'a proposé. N'ayant pas réussi en ce projet à Paris,
+ il a, à présent, l'intention d'aller à Vienne où son frère, le
+ ci-devant gentilhomme, a établi un bureau de banquier.</p>
+
+<p>Tous ces trois frères étaient connus autrefois pour être animés d'un
+ esprit entièrement dévoué à l'Angleterre. Le banquier viennois se
+ détachait le premier de ce sentiment, croyant avoir raison de se
+ plaindre qu'on ne l'avançât pas d'après son mérite. Le grand veneur
+ suivit cet exemple à l'époque de la fondation du royaume de
+ Westphalie. Il a déclaré publiquement son convertissement politique
+ en donnant sa fille pour épouse à M. Lecamus, depuis comte de
+ Furstenstein. Le comte de Hardenberg de Rannewitz, piqué de ce qu'on
+ n'a pas voulu de lui, conserve encore son dévouement à l'Angleterre.
+ Sa fille est mariée au jeune comte de Platen, neveu de M. le comte
+ de Munster, résidant aussi en Mecklembourg. Le voyage de M. de
+ Hardenberg à Vienne m'a paru, au commencement, un peu suspect; mais
+ je ne doute plus, d'après les renseignements que j'ai eu l'occasion
+ de me procurer, qu'il n'ait d'autres intentions qu'à voir s'il
+ pourra s'associer avec son frère le banquier.</p>
+
+<p>7<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Bochholz</span>, grand officier de la Couronne, grand
+ maître des cérémonies, conseiller d'État, grand aigle de la Légion
+ d'honneur, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p>
+
+<p>Il est natif de Munster où son père était autrefois prévôt du
+ chapitre. Il passe pour le plus riche particulier attaché à la cour.</p>
+
+<p>Son inclination innée pour l'Autriche est encore très vive. Il n'a
+ jamais cru le trône de France bien affermi qu'après le second
+ mariage de l'empereur. Il est honnête homme et incapable de malices
+ quelconques.</p>
+
+<p>8<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Biedersee</span>, conseiller d'État, commandeur de l'ordre de la
+ Couronne, Prussien de naissance.</p>
+
+<p>Il était ci-devant président de la régence de Halberstadt, et l'est
+ maintenant de la cour d'appel à Cassel. Il est honnête homme, mais
+ un peu égoïste. Son ancien attachement à la Prusse s'effaça sitôt
+ qu'il se trouva dans une position à ne plus avoir à craindre pour
+ <span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> sa subsistance. La seule pensée d'un changement de
+ gouvernement le fait trembler, puisqu'il craint d'en souffrir des
+ pertes particulières. Ce n'est que cette peur qui lui inspire de la
+ répugnance contre la France. Il passe pour un homme instruit, juste
+ et très appliqué. La cour d'appel jouit, sous sa présidence, d'une
+ parfaite réputation. Il n'est pas riche et ne pourra vivre sans être
+ employé.</p>
+
+<p>9<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Leist</span>, conseiller d'État, directeur général de
+ l'instruction publique, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est
+ le fils d'un ci-devant bailli hanovrien qui demeure encore à
+ Ebstorf, près de Lunebourg.</p>
+
+<p>Il s'est appliqué, dès sa première jeunesse, tellement aux sciences,
+ qu'il fut déjà jugé un savant avant d'avoir fréquenté l'université
+ de Göttingue où, ses études finies, il s'établit comme professeur en
+ droit. Sa renommée de savant lui attira l'attention des ministres de
+ Bulow et de Wolfrath qui le proposèrent au roi pour conseiller
+ d'État en la section de la justice et de l'intérieur. Sa
+ connaissance en écoles et universités lui procura la direction
+ générale de l'instruction publique.</p>
+
+<p>Il a le grand mérite d'avoir banni des universités westphaliennes
+ tous ces ordres, associations et agrégations qui s'y étaient
+ manifestés parmi les étudiants, et lesquels y causaient les plus
+ grands désordres.</p>
+
+<p>Il a su insinuer également d'une manière très adroite aux
+ professeurs qu'il ne leur convient pas du tout de se mêler des
+ affaires de politique. Les universités de Marbourg et de Göttingue
+ me paraissent être entièrement métamorphosées depuis deux ans. MM.
+ les professeurs, instruits que la police de M. de Leist les observe
+ partout, se gardent bien de n'ouvrir leur c&oelig;ur qu'aux personnes
+ de la plus intimé connaissance, de sorte qu'il est impossible que
+ les élèves soient entichés de la fièvre de fronder et se préparer
+ leur propre malheur, comme à Heidelberg.</p>
+
+<p>M. de Leist est un homme d'une ambition sans bornes: il est plein de
+ cette présomption dont les professeurs allemands sont si facilement
+ saisis. C'est son faible de s'entendre louer, et quiconque sait
+ toucher adroitement cette corde disposera bientôt de M. de Leist. Sa
+ nomination de conseiller d'État l'éblouissait tellement que dès ce
+ jour-là son ancien vrai attachement au gouvernement hanovrien
+ changea en une haine si forte qu'il ne sut trouver des propos assez
+ durs pour témoigner sa répugnance. Il s'imagina longtemps que le roi
+ de Westphalie n'avait pas besoin de la protection de la France. Sa
+ fausse politique l'a séduit même quelquefois, au point de concevoir
+ les ridicules idées que le gouvernement westphalien ne fût point
+ obligé de recevoir des préceptes de l'empereur.</p>
+
+<p>Le public l'accuse de fausseté en ses principes et prétend qu'il
+ serait <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> capable de sottises encore plus grandes, pourvu que
+ le roi les prît pour marques d'attachement à sa personne.</p>
+
+<p>M. de Leist craint beaucoup que le royaume ne soit incorporé
+ incessamment à l'empire. L'on a remarqué qu'il parle avec
+ enthousiasme de la France, depuis que le roi est revenu de l'armée.</p>
+
+<p>Il a pour épouse la fille d'un ci-devant secrétaire du ministère
+ hanovrien, M. Klackenbring, qui est mort en démence. Sa fortune est
+ médiocre; son frère unique est secrétaire-général de la préfecture à
+ Göttingue.</p>
+
+<p>10<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Meerveldt</span>, conseiller d'État, maître-général des
+ requêtes, commandeur de l'ordre de la Couronne. Il est natif du pays
+ de Paderborn et fut ci-devant sacristain de la cathédrale de
+ Hildesheim, place à laquelle ne pouvaient arriver que les nobles
+ d'un certain nombre de quartiers.</p>
+
+<p>Il est lié avec la famille des comtes de Meerveldt, en Autriche,
+ sans cependant les connaître personnellement. M. de Meerveldt est un
+ des plus honnêtes hommes qui entourent le roi. Son aversion pour les
+ Prussiens en a fait un bon serviteur westphalien. Il fait ses
+ fonctions avec une exactitude ponctuelle et s'est fait estimer de
+ tout le monde. Sa fortune est très considérable; il n'est pas marié.
+ Son attachement au roi de Westphalie est sincère. Il aime moins la
+ France parce qu'il croit que le roi, son maître, a des raisons de se
+ plaindre de la France.</p>
+
+<p>11<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Schulte</span>, conseiller d'État, membre de la commission du
+ sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne. Il est
+ Hanovrien; son bien de souche est à Burgoittensen, petit endroit
+ dans le département des Bouches de l'Elbe. Sa fortune est une des
+ plus considérables du royaume.</p>
+
+<p>Ayant achevé ses études à Göttingue, il fut employé comme auditeur
+ et puis comme conseiller à la chancellerie de la justice à Stade,
+ capitale de l'ancien duché de Bremen.</p>
+
+<p>Ensuite, il fit un voyage en Angleterre et obtint d'être nommé
+ conseiller à la Chambre des domaines, à Hanovre. Du temps de
+ l'occupation française, sous le gouvernement du général Lasalcette,
+ il fut nommé membre de la commission du gouvernement, résidant à
+ Hanovre. À l'époque de la réunion du pays d'Hanovre à la Westphalie,
+ M. de Schulte fut fait conseiller d'État, à cause de sa fortune
+ qu'on voulut qu'il mangeât à Cassel.</p>
+
+<p>On ne peut pas lui disputer de l'esprit et de l'instruction; mais il
+ serait difficile de trouver un homme plus froid et plus fier que
+ lui. Son aversion pour la France s'est adoucie un peu depuis que ses
+ biens sont en France. Il est, néanmoins, très sujet à caution, et
+ quand les circonstances <span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> exigeraient jamais de mettre en
+ sûreté les personnes disposées à soutenir les projets des Anglais ou
+ des séditieux quelconques, je serai d'avis de ne point oublier M. de
+ Schulte.</p>
+
+<p>Il s'est marié trois fois: sa première femme fut une demoiselle de
+ Bothmer, d'Hanovre, dont il a eu une fille; celle-ci étant morte, il
+ épousa une demoiselle de Busche Munch, fille du feu chambellan de
+ Busche, à Hanovre, qui est morte en couches; à présent, il a pour
+ troisième femme la fille du ci-devant général de Wangenheim.</p>
+
+<p>M. de Schulte a touché à chaque mariage des dots considérables, de
+ sorte que sa fortune en a considérablement grossi. Son oncle est le
+ général anglais de Schulte, qui a pour résidence la terre de
+ Burgoittensen.</p>
+
+<p>12<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Hardenberg</span>, conseiller d'État, chevalier de la
+ Couronne, grand-croix de l'ordre de Sainte-Anne.</p>
+
+<p>Il est le frère du ministre-chancelier de Hardenberg, à Berlin, dont
+ il partage toujours les maximes et principes. Sa carrière ancienne
+ fut celle des baillifs hanovriens. Il eut le beau bailliage de
+ Grohude, près de Hameln, dont il est encore fermier général. Ses
+ finances sont ordinairement très embrouillées. Ayant pour femme la
+ s&oelig;ur du feu ministre hanovrien, de Steinberg, il partageait
+ l'attachement général de tous les Hanovriens à leur gouvernement;
+ mais cet attachement a cessé depuis qu'il est persuadé que le pays
+ d'Hanovre ne sera plus rendu à l'Angleterre.</p>
+
+<p>Il ne voudrait pas que le royaume soit réuni à la France: voilà le
+ seul point qui lui fasse de la peine. Je réponds cependant qu'il
+ n'entreprendra jamais rien contre la France.</p>
+
+<p>13<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Malsbourg</span>, conseiller d'État, président de la section des
+ finances, commandeur de l'ordre de la Couronne. Hessois de
+ naissance, il fut ci-devant conseiller intime de l'Électeur de
+ Hesse. Ses compatriotes l'aimaient assez.</p>
+
+<p>En l'absence du ministre des finances, c'est lui qui en tient le
+ portefeuille. Il est un homme droit et de bonne volonté, mais dans
+ l'esprit duquel les nouvelles formes ont encore bien de la peine
+ d'entrer aisément. Il n'est pas marié; sa fortune est médiocre.
+ Étant avec ses amis intimes, il aime à laisser passer le temps passé
+ devant son imagination: il le regrette de temps en temps; mais il
+ est trop honnête homme pour n'être pas un fidèle serviteur du roi.</p>
+
+<p>14<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Witzleben</span>, conseiller d'État, directeur général
+ des eaux et forêts, chevalier de l'ordre de la couronne.</p>
+
+<p>Il est natif du pays de Nassau et fut ci-devant grand veneur à la
+ cour de Hesse-Cassel. Il fait son service avec exactitude et jouit
+ de la réputation d'un bon homme. Du reste, c'est un homme qui ne
+ s'occupe <span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> que de son métier et qui est très insignifiant
+ par rapport à la politique.</p>
+
+<p>Son ancienne carrière était celle de professeur en droit des gens, à
+ Göttingue, où il était beaucoup estimé. Il est parfait honnête homme
+ et jouit aussi à la cour d'une très bonne réputation. Le
+ gouvernement français pourra compter sur la justesse de ses
+ principes et son zèle à lui être utile.</p>
+
+<p>15<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Patje</span>, conseiller d'État, président de la
+ Chambre des comptes, commandeur de l'ordre de la Couronne.</p>
+
+<p>Il commença sa carrière comme secrétaire à la Chambre des domaines,
+ à Hanovre. Ses talents et son application le distinguèrent bientôt
+ si avantageusement que le roi d'Angleterre le fît venir à Londres
+ pour concerter avec lui les mesures financières qu'il eut
+ l'intention d'introduire. Aussi est-il resté fidèle à la partie des
+ finances jusqu'à la fin de l'existence de l'électorat d'Hanovre.</p>
+
+<p>Lorsque les Français vinrent occuper le pays d'Hanovre en 1803, et
+ qu'une députation des membres des États fut chargée du gouvernement,
+ le ministère nomma M. Patje membre de cette députation, dans le
+ dessein de faire surveiller par lui la conservation des droits
+ royaux pendant l'occupation française. Les manières insinuantes et
+ la connaissance parfaite du pays lui attiraient la faveur et la
+ bienveillance de tous les généraux et des autorités français,
+ prussiens, russes, hollandais, espagnols, etc., qui venaient occuper
+ le Hanovre. Ses relations avec le prince de Ponte-Corvo tinrent
+ d'une vraie amitié.</p>
+
+<p>Pendant la courte apparition que M. de Munster fit dans le Hanovre
+ en 1805, M. Patje fut nommé conseiller intime du cabinet. En 1809,
+ le gouverneur général Lasalcette le nomma président de la commission
+ du gouvernement qui remplaça la députation des membres des États, et
+ ce fut en cette qualité qu'il se présenta au roi de Westphalie à
+ l'époque où le Hanovre fit partie de son royaume.</p>
+
+<p>Le roi témoigna beaucoup de confiance à M. de Patje, ce qui fut
+ cause d'une métamorphose totale qui s'opéra sur le système politique
+ qu'il avait adopté fidèlement jusqu'alors. D'un très fidèle partisan
+ anglais, M. Patje devint tout à coup l'ennemi déclaré du
+ gouvernement des insulaires. Il s'est dévoué si entièrement à la
+ Westphalie qu'il a oublié même que le royaume tient son existence de
+ l'empereur. La perte des domaines qu'il a administrés depuis plus de
+ trente ans lui cause bien du chagrin. Il trouve injuste cette
+ privation des revenus si considérables et voit avec dépit les
+ donataires français se mettre en possession de ces domaines sans
+ lesquels il s'imagine que le roi ne pourra subsister.</p>
+
+<p>M. de Patje se trouve en ce moment-ci à Hambourg où il travaille
+ <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> avec M. le comte de Chaban à la séparation de la dette
+ publique entre la France et la Westphalie.</p>
+
+<p>Il est de l'âge d'environ soixante-dix ans. Sa fortune est très
+ considérable; il n'a qu'une petite-fille, M<sup>lle</sup> de Wense, pour
+ héritière. Son beau-fils, M. de Wense, ancien capitaine hanovrien,
+ vit en particulier à Hildesheim.</p>
+
+<p>16<sup>o</sup> M. le baron de <span class="smcap">Berlepsch</span>, conseiller d'État, chevalier de
+ l'ordre de la couronne.</p>
+
+<p>Hanovrien et ancien président de la cour de justice aulique à
+ Hanovre. Il a joué un rôle assez singulier à l'époque de la
+ Révolution française. Sa prédilection pour les révolutions en
+ général fut si marquée, et ses mesures si inconsidérées commencèrent
+ à devenir tellement choquantes qu'il fut destitué de sa place et
+ rayé de la liste des membres des États. M. de Berlepsch alla se
+ plaindre de cet attentat contre le gouvernement hanovrien à la
+ chambre de justice de Wetzlar. Le procès a duré jusqu'à la réunion
+ du pays à la Westphalie où M. de Berlepsch fut nommé d'abord préfet
+ à Marbourg, puis conseiller d'État. Il est encore aujourd'hui un
+ terrible raisonneur, surtout quand il s'agit de censurer les mesures
+ du gouvernement. Quoiqu'il soit assez connu et qu'on n'ait rien à
+ craindre de ses exploits, je crois pourtant qu'il serait utile de
+ contenir sa langue, s'il devenait sujet français. Sa fortune est
+ assez considérable. Il s'est séparé de sa femme qui pendant quelque
+ temps fît quelque figure par ses poésies, et laquelle s'est remariée
+ à un nommé Harns, fermier dans les environs de Göttingue.</p>
+
+<p>M. de Berlepsch a l'esprit enjoué et caustique: on se divertit à
+ l'entendre radoter.</p>
+
+<p>17<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Reineck</span>, conseiller d'État, membre de la commission du
+ sceau des titres, chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet de
+ Cassel.</p>
+
+<p>Il était autrefois conseiller de régence à Aroldsen dans le pays de
+ Waldeck. C'est un homme qui réunit beaucoup d'adresse à autant
+ d'instruction. Son administration du département va très bien; il
+ jouit d'une bonne réputation dans Cassel, mais on dit généralement
+ qu'il a une grande aversion pour la France. Je ne le connais pas
+ assez pour en juger avec certitude. On m'a assuré que c'est lui qui,
+ pour confirmer les Westphaliens dans la confiance de leur
+ gouvernement, donna toujours des couleurs sombres à la position des
+ sujets français. On l'accuse d'être cause, par ce tableau, de la
+ peur panique qu'a éveillée la possibilité d'être réuni à l'empire.</p>
+
+<p>18<sup>o</sup> M. le comte de <span class="smcap">Schulenbourg</span>, conseiller d'État du service
+ extraordinaire, grand-aigle de la Légion d'honneur, grand-croix des
+ ordres de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge.</p>
+
+<p>Sa carrière est assez connue. D'ancien général de la cavalerie
+ prussienne <span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> et ministre d'État, il s'est laissé faire
+ d'abord général de division et puis conseiller d'État westphalien,
+ parce que sa terre de Kehnert est située dans le royaume. Il y vit
+ très retiré, rongeant son dépit contre le monde entier et ne pouvant
+ pas encore concevoir comment il se soit fait que la Prusse ait pu
+ succomber à la France. Il ne s'occupe que de l'exploitation de ses
+ biens et ne voit presque personne. Il ne sera jamais dangereux pour
+ la France.</p>
+
+<p>19<sup>o</sup> M. de <span class="smcap">Reimann</span>, conseiller d'État du service extraordinaire,
+ chevalier de l'ordre de la Couronne, préfet du département de
+ l'Oker, à Brunswick.</p>
+
+<p>Il est né Prussien et était ci-devant employé à la Chambre des
+ domaines à Minden en qualité de conseiller des guerres. Lorsque la
+ Prusse prit possession du pays de Paderborn, c'est M. de Reimann qui
+ fut chargé de l'organisation de ce pays. Il s'en est acquitté
+ parfaitement, à la satisfaction du gouvernement et de la province. À
+ l'avènement du roi de Westphalie, il fut nommé préfet et
+ l'administration de son département pouvait servir de modèle à tous
+ les autres. Il est à présent à Brunswick où sa présence fut jugée
+ nécessaire pour mettre un terme aux querelles qui s'étaient établies
+ entre les Français et les Westphaliens. Il a su trouver les moyens
+ de parvenir à son but. M. de Reimann est un homme éclairé qui sait
+ très bien que le sort de la Westphalie dépend de notre empereur. Il
+ ne s'est jamais compromis ni par des expressions, ni par des faits
+ inconsidérés.</p>
+
+<p>20<sup>o</sup> M. le comte <span class="smcap">de Lepel</span>, général de brigade, conseiller d'État,
+ président de la section de la guerre, chevalier de l'ordre de la
+ Couronne.</p>
+
+<p>Il est ancien Hessois et a été déjà général au service de l'électeur
+ de Hesse.</p>
+
+<p>Il n'y a pas de doute que M. de Lepel est beaucoup attaché au roi de
+ Westphalie; mais il est très douteux qu'il ait les mêmes sentiments
+ pour l'empereur.</p>
+
+<p>À l'occasion de la séparation des départements hanséatiques, il
+ s'est permis de si fortes expressions et a pris aussi dans la suite
+ si peu de précautions en parlant de la France en général, qu'il est
+ impossible de lui accorder la moindre confiance. Il est détesté à
+ Cassel pour ses manières rudes et outrageantes. Son orgueil et la
+ façon dont il en use avec ses subordonnés lui ont attiré une haine
+ générale. Le roi lui veut du bien. On se disait pendant quelque
+ temps que la reine ne se sentait aucun éloignement à le voir, mais
+ ce bruit s'est bientôt perdu.</p>
+
+<p>21<sup>o</sup> M. <span class="smcap">de Dohm</span>, conseiller d'État du service extraordinaire,
+ commandeur de l'ordre de la Couronne.</p>
+
+<p>Cet ancien ministre prussien s'est fait connaître assez en Allemagne
+ par le nombre considérable des commissions dont son ancien
+ gouvernement <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> l'a chargé. Son système en ce temps-là était
+ entièrement anti-français. Enragé de ce que la Prusse n'ait pas fait
+ la guerre à la France en 1805, il ne manqua pas de mettre en
+ mouvement tout ce qui dépendait de lui pour faire réussir celle de
+ 1806. L'issue de cette guerre le força de quitter le service
+ prussien et d'embrasser celui de la Westphalie puisqu'il avait tout
+ son bien dans ce royaume. Le roi de Westphalie le traita avec
+ beaucoup de bonté, il le nomma même ambassadeur à la cour de Dresde.
+ M. de Dohm ne pouvait cependant résister à l'envie de se retirer du
+ service. Il obtint la permission du roi de s'en aller dans sa terre
+ près de Nordhausen où il mène aujourd'hui encore la vie la plus
+ retirée. Il n'est que Prussien, les autres nations lui sont
+ indifférentes; il n'aime pas du tout les Anglais. S'il était
+ possible de rendre à la Prusse son ancienne grandeur, il serait le
+ premier à y contribuer. Cette espérance échouée, on peut considérer
+ M. de Dohm comme un être innocent qui ne fera aucun mal. Son rôle
+ est fini, son âge avancé demande ce repos qu'il a trouvé.</p>
+</div>
+
+<p>L'année 1813, qui devait être la cinquième et la dernière du règne
+de Jérôme, s'annonça à ce prince sous de tristes auspices.</p>
+
+<p>Dans les premiers jours de janvier, Napoléon fit savoir à son frère
+qu'il devait réunir à Magdebourg, la place la plus importante de ses
+États, un des points essentiels de la base d'opération ou de défense
+des armées françaises, des approvisionnements considérables pour une
+forte garnison et pour le ravitaillement d'armées d'opération.</p>
+
+<p>Jérôme, tout en protestant de son désir de remplir les volontés de
+l'empereur, fit valoir le dénûment complet de la Westphalie, qui
+avait fait des sacrifices énormes depuis 1811, son épuisement total,
+l'impossibilité absolue de rien faire si on ne lui venait en aide,
+soit en lui remboursant ses avances à l'empire français, soit en lui
+donnant quelques millions. Longtemps Napoléon fit la sourde oreille,
+puis il accorda de mauvaise grâce un faible et ridicule secours de
+500,000 francs, réduit à 250,000, dont l'envoi présenta de longues
+difficultés. Cet argent arriva trop tard.</p>
+
+<p>La correspondance diplomatique roula d'abord sur l'affaire de
+Magdebourg, et comme le baron Reinhard, dans presque toutes ses
+dépêches, dans ses bulletins à l'empereur et au ministre des
+relations extérieures, duc de Bassano, laissait percer une sorte de
+critique sur la conduite de Jérôme, sur ses dépenses inutiles, sur
+le luxe de la cour de Westphalie, enfin sur les aventures galantes
+du jeune roi, Napoléon, dont toutes les idées étaient alors tournées
+à la <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> conservation de ses conquêtes, au maintien de son
+influence en Europe, ne pardonnait pas à son frère la légèreté de sa
+conduite, disant, non sans quelque raison, que si le roi de
+Westphalie trouvait bien de l'argent pour bâtir des châteaux, des
+salles de spectacle, et pour faire des cadeaux à ses maîtresses, aux
+dames de sa cour, à ses favoris, il en devait trouver, <i>a fortiori</i>,
+pour des dépenses de première nécessité, d'où dépendait l'existence
+de ses États.</p>
+
+<p>Le fait est, néanmoins, qu'un léger sacrifice d'argent de la part de
+Napoléon, une bonne division française envoyée à Cassel, eussent
+suffi, selon toute apparence, pour sauver Cassel et la Westphalie.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 2 janvier 1813.</p>
+
+<p>Ce que la seconde dépêche me charge de faire connaître
+ particulièrement à la cour de Westphalie, je l'ai déjà fait entrer
+ dans une conversation provisoire que j'ai eue avec M. le comte de
+ Furstenstein au moment de son départ pour Catharinental. Ce ministre
+ m'a assuré qu'une économie sévère et beaucoup de retenue pendant
+ l'hiver et le carnaval entraient dans les plans du roi. Il est
+ certain, Monseigneur, que depuis l'éloignement de M.
+ Laflèche-Keudelstein qui vient de partir pour Paris par congé, comme
+ on dit, mais très probablement pour ne point revenir, on aperçoit
+ plus d'ordre et de sagesse dans l'administration et l'emploi des
+ fonds de la liste civile; et qu'en ce moment, la seule dépense
+ importante, d'une inutilité reconnue, consiste dans ce que fait le
+ roi pour embellir et pour agrandir l'habitation provisoire qu'il
+ occupe depuis l'incendie du château. Mais, ce sur quoi j'insisterai
+ beaucoup et que je présenterai comme un devoir indispensable à
+ remplir et comme un titre à acquérir à l'approbation de Sa Majesté
+ impériale, c'est l'armement et l'approvisionnement de la place de
+ Magdebourg, et, certes, il est impossible que le roi ne sente pas
+ que, dans les circonstances actuelles, il lui convient davantage de
+ construire un arsenal qu'un palais.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le duc de Bassano à Reinhard.</p>
+<p class="date">Fontainebleau, 26 janvier 1813.</p>
+
+<p>J'ai mis sous les yeux de Sa Majesté vos dépêches des 18 et 20 de ce
+ mois, n<sup>os</sup> 418 et 420. Elle est satisfaite des démarches que vous
+ avez faites et du compte que vous en rendez.</p>
+
+<p>Je vous envoie la copie d'un décret sur l'approvisionnement de la
+ place de Magdebourg. Cet approvisionnement doit être pour 15,000
+ hommes <span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> et 2,000 chevaux pendant un an, tant en vivres
+ qu'en effets d'habillement, pour une garnison de cette force et pour
+ un hôpital extraordinaire de 2,000 malades.</p>
+
+<p>Dans la rigueur du droit, cet approvisionnement devrait être fait
+ par le royaume de Westphalie; mais Sa Majesté veut ménager les
+ moyens du roi afin qu'il ne néglige pas la formation de son
+ contingent. Elle prend en conséquence à sa charge la moitié de
+ l'approvisionnement de Magdebourg.</p>
+
+<p>Elle laisse le roi le maître de faire lui-même et par ses agents
+ cette moitié de l'approvisionnement qui serait payé comptant à
+ proportion des versements. Elle a pensé que le roi pourrait trouver
+ quelque avantage à se charger de cette opération en employant ou des
+ moyens de crédit ou des revirements commodes pour ses finances, ou
+ tout autre expédient qui lui conviendrait.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, le 28 janvier 1813.</p>
+
+<p>Le roi n'a pas tardé à faire répondre à ma note du 14 janvier,
+ concernant l'approvisionnement de la place de Magdebourg.</p>
+
+<p>Avant de recevoir cette réponse, j'avais reçu une lettre de M. le
+ ministre, directeur de l'administration de la guerre, qui, en me
+ chargeant d'employer tous mes soins pour que les mesures les plus
+ promptes soient prises pour approvisionner au complet la place de
+ Magdebourg, m'envoyait un état des denrées nécessaires pour
+ l'approvisionnement d'un an pour 15,000 hommes et 500 chevaux. Je me
+ suis empressé de faire passer cet état avec une nouvelle note à M.
+ le comte de Furstenstein, et ce ministre le tenait déjà lorsque je
+ suis arrivé pour lui parler de la sienne.</p>
+
+<p>Votre Excellence trouvera la copie de cette note ci-jointe. Elle
+ n'est qu'une répétition des mêmes offres que le roi avait déjà
+ faites à M. le comte de Narbonne, sans avoir égard à l'état de la
+ question, telle que je l'avais posée d'après vos ordres; et ce que
+ mon devoir était surtout de ne pas laisser passer sans
+ contradiction, c'est la demande renouvelée de 3,770,000 francs<a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a><a href="#footnote141" title="Lien vers la note 141"><span class="smaller">[141]</span></a>
+ qu'on prétend avoir dépensés en 1811 pour l'entretien des troupes
+ françaises, en sus de la compensation qu'on avait obtenue:
+ arrangement sur lequel, d'après les intentions connues de Sa Majesté
+ impériale, il n'y avait plus à revenir.</p>
+
+<p>Toutes ces considérations m'ont engagé à prier ce ministre de
+ <span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> reprendre sa note. M. de Furstenstein m'a répondu que la
+ forte résolution du roi de tenir religieusement ce qu'il promettait
+ le déterminait à ne rien promettre au-delà de ce qu'il pourrait
+ tenir; que sa note disait exactement les mêmes choses que le roi
+ avait déjà écrites à Sa Majesté l'empereur; que les 3,700,000 francs
+ ne comprenaient pas seulement l'excédent des avances faites en 1811,
+ mais encore d'autres sommes que la Westphalie avait à réclamer,
+ telles que la part qui lui avait été promise dans le produit des
+ denrées coloniales séquestrées à Magdebourg, etc.; que ce n'était
+ pas précisément au paiement de cette somme que le roi tenait, mais à
+ un secours, à une avance quelconque de la part de la France, soit en
+ argent comptant, soit en moyens de crédit. J'ai néanmoins insisté à
+ ce qu'il reprit sa note. Je l'ai engagé de nouveau à en parler au
+ roi et ajoutant que quoique je ne pusse me flatter d'avoir sur
+ l'esprit de Sa Majesté une influence égale à la sienne, je
+ n'hésiterais pas à lui demander une audience pour le même motif. M.
+ de Furstenstein m'y a beaucoup encouragé, non sans protester contre
+ l'influence que je supposais qu'il avait sur l'esprit du roi. Dans
+ ma conversation, j'étais surtout parti de ce point, que le roi avait
+ calculé les offres qu'il faisait et pour la recomposition de son
+ contingent et pour l'approvisionnement de Magdebourg, sur les moyens
+ tant ordinaires qu'extraordinaires qui étaient à sa disposition:
+ qu'ainsi il n'y avait pas impossibilité absolue de porter plus haut
+ l'approvisionnement de Magdebourg; mais qu'il s'en suivrait
+ seulement que le roi ne pourrait pas employer à la formation de son
+ contingent la totalité des sommes qu'il voulait y consacrer; que dès
+ lors il s'agissait de savoir lequel de ces deux objets était pour le
+ moment le plus important et le plus pressé, et que j'avais lieu de
+ penser que Sa Majesté l'empereur attachait la plus haute importance
+ à l'approvisionnement le plus prompt et le plus complet de
+ Magdebourg, tandis que le roi préférerait peut-être employer ses
+ plus grandes dépenses pour la réorganisation de son armée. J'aurai
+ tout-à-l'heure à rendre compte à Votre Excellence du résultat qu'a
+ produit ce raisonnement.</p>
+
+<p>De chez M. de Furstenstein, je suis allé chez M. le ministre des
+ finances qui, tandis que le premier m'avait fait les démonstrations
+ accoutumées d'une bonne volonté impuissante, m'a parlé en vrai
+ ministre des relations extérieures. Il m'a entretenu de tous les
+ sacrifices faits par la Westphalie, de toutes les conventions, de
+ toutes les promesses faites et non tenues par la France, de ses
+ efforts pour porter le budget de 1813 à 44 millions de revenu qu'il
+ aurait réduit à 40, si avant de le mettre sous les yeux du roi il
+ avait connu le 29<sup>e</sup> bulletin, de l'impossibilité de rester ministre
+ des finances, en admettant des demandes aussi vagues et aussi
+ illimitées que les nôtres. Au milieu de tout cela, je lui ai parlé
+ de l'approvisionnement de Magdebourg. M. de Malchus <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> m'a
+ dit qu'il s'engageait formellement qu'au 5 février il y aurait à
+ Magdebourg un approvisionnement complet pour trois mois et pour
+ 15,000 hommes, conformément à l'état envoyé par M. le comte de
+ Cessac, et qu'en outre M. le ministre de la guerre se chargeait, par
+ le moyen de ses fournisseurs ordinaires, d'un autre
+ approvisionnement de deux mois. À l'objection que j'ai faite que je
+ savais que cet approvisionnement n'avait été dans les derniers temps
+ que pour 2,400 hommes, il a répondu que cela regardait M. le
+ ministre de la guerre; mais M. le comte de Höne m'a promis depuis,
+ sur sa responsabilité, que cet approvisionnement de deux mois serait
+ pour 12,500 hommes et même pour 15,000. Le roi a chargé M. de
+ Malchus exclusivement de tout ce qui concerne le nouvel
+ approvisionnement de Magdebourg; mais comme le marché que M. de Höne
+ a fait avec des fournisseurs tient encore, il paraît que ce sera sur
+ les fonds qui restent à la disposition du ministre de la guerre que
+ sera pris cet approvisionnement de deux mois. Le budget de ce
+ ministre pour 1813 est de 19,400,000 francs, dont 17 millions pour
+ les troupes westphaliennes et 200,000 francs par mois pour
+ l'entretien des troupes françaises. La vanité de M. de Malchus l'a
+ fait convenir qu'il avait fait des épargnes pendant l'année passée,
+ et sans elles, m'a-t-il dit, le roi n'aurait pas pu faire les offres
+ qu'il a faites à l'empereur. Quant à M. de Höne, il prétend que
+ toutes les épargnes qu'il a pu faire sur la solde ont été absorbées
+ par le matériel qu'il a fallu fournir à l'armée entrant en campagne
+ et par la formation des nouveaux régiments.</p>
+
+<p>Tel était, Monseigneur, l'état des choses, lorsque M. Balthazar,
+ aide de camp de M. le duc de Feltre, est arrivé. La lettre qu'il m'a
+ portée de la part de Son Excellence indiquait quatre objets
+ principaux de sa mission: l'approvisionnement de la place de
+ Magdebourg, le complétement de sa garnison, la formation de nouveaux
+ cadres et de nouveaux corps westphaliens et, en outre, la formation
+ à Magdebourg de nouveaux magasins considérables qui puissent
+ alimenter une armée nombreuse pendant plusieurs mois.</p>
+
+<p>Comme épisode tenant au sujet, je dois dire à Votre Excellence que
+ j'étais chargé par M. le duc de Feltre de présenter M. Balthazar à
+ la cour de Westphalie, et de lui faciliter les moyens de parvenir
+ jusqu'au roi avec lequel il serait bien qu'il eût une conversation.
+ Je m'acquittai de ce double devoir en prévenant en même temps le
+ chambellan de service que je présenterais M. Balthazar à l'audience
+ du corps diplomatique qui devait précisément avoir lieu hier matin;
+ et M. de Furstenstein que je désirais que Sa Majesté accordât à cet
+ officier une audience particulière. Le roi fit dire à M. Balthazar
+ de s'adresser au ministre de la guerre. J'insistai: M. Balthazar
+ ajouta qu'il avait non seulement une lettre à remettre à Sa Majesté,
+ mais encore des choses particulières <span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> à lui dire sur des
+ mesures non patentes encore qu'on prenait en France. En attendant
+ que M. de Furstenstein négociât, nous allâmes chez le ministre de la
+ guerre que nous engageâmes de son côté à obtenir une audience pour
+ M. Balthazar.</p>
+
+<p>À mon retour chez moi, je trouvai M. Siméon que le roi m'envoyait
+ extra-officiellement pour confirmer son refus de voir M. Balthazar,
+ pour me dire d'aller passer au cabinet et pour me prévenir de la
+ réponse que Sa Majesté allait faire à M. le duc de Feltre. J'avais
+ pensé que l'embarras de répéter à M. Balthazar toutes ses
+ déclarations précédentes et la crainte d'être trop pressé par cet
+ officier étaient les seules causes de ce refus; mais Sa Majesté ne
+ m'a pas laissé ignorer que si elle accordait des audiences à un aide
+ de camp de l'empereur, il n'en était pas de même d'un major aide de
+ camp du ministre de la guerre. Et puisque dans un moment aussi grave
+ le roi n'oublie point l'étiquette, il faudra bien, Monseigneur, dire
+ un mot sur une petite contestation qui s'est élevée pendant que M.
+ de Narbonne était ici. Le roi avait choisi le seul jour ou je
+ pouvais espérer voir ce général à dîner chez moi, pour nous faire
+ inviter à la table du maréchal de la cour. Je refusai, comme une
+ lettre de M. le duc de Frioul m'en donnait le droit; mais comme M.
+ de Furstenstein à qui nous avions dit nos raisons et qui s'était
+ chargé de la négociation revint pour me dire que je ferais plaisir
+ au roi en y allant, je déclarai que j'y voyais un ordre de Sa
+ Majesté et je me rendis à la table du maréchal en laissant à la
+ mienne ceux de mes convives que les ordres du roi ne m'avaient pas
+ enlevés. Nous eûmes ensuite l'honneur de faire au cercle la partie
+ de Leurs Majestés, d'assister au spectacle de la cour et de souper à
+ la table de la reine.</p>
+
+<p>Je reviens à mon sujet. Dans la conférence avec M. le comte de Höne,
+ M. Balthazar a reçu l'assurance d'un approvisionnement de
+ Magdebourg, au moins pour cinq mois, et de 18,000 hommes qui au 1<sup>er</sup>
+ mai seraient à la disposition de Sa Majesté impériale. Quant aux
+ magasins à former pour des armées, M. de Höne, ainsi que les autres
+ ministres, en a déclaré l'impossibilité. Ce ministre n'a vu aucune
+ difficulté à ce que le roi fît entrer dès à présent à Magdebourg le
+ 9<sup>e</sup> régiment ainsi que plusieurs dépôts qui pourraient y recevoir
+ leurs conscrits, il y a même vu des avantages. Mais étant allé le
+ soir même en parler à Sa Majesté, il a trouvé que le roi avait de la
+ répugnance à donner ces ordres immédiatement. Je ne doute au reste
+ aucunement que ces ordres ne soient donnés dès que Sa Majesté
+ l'empereur l'exigera.</p>
+
+<p>Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de ma conversation
+ avec le roi. Sa Majesté m'a fait lecture de sa lettre à M. le duc de
+ Feltre où, après avoir commencé par renouveler ses premières offres,
+ elle déclare que, si Sa Majesté l'empereur le préfère, le roi fera
+ l'approvisionnement de Magdebourg pour un an et pour 20,000 hommes;
+ mais <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> qu'alors il ne pourra mettre à la disposition de
+ l'empereur que 6,000 hommes d'infanterie et 800 chevaux. «Je me
+ chargerai ensuite, a-t-il ajouté, d'entretenir de mes propres moyens
+ une force suffisante (de 4 à 5,000 hommes) pour la sûreté de ma
+ personne et pour celle du pays, mais il me faudrait alors une
+ garantie que ces troupes resteront à ma disposition et ne pourront
+ m'être enlevées par aucun ordre.» Le roi parlait d'abord d'une
+ convention, ensuite d'une promesse officielle et enfin d'une
+ garantie quelconque.</p>
+</div>
+
+<p>La Westphalie n'avait pas assez de ressources pour faire à
+Magdebourg de grands approvisionnements et pour mettre en même temps
+sur pied une armée d'une vingtaine de mille hommes. Il fallait
+opter. L'empereur devait évidemment préférer qu'un de ses
+boulevards, Magdebourg, fût en état de faire une longue défense;
+Jérôme, qui savait bien que Napoléon finirait toujours par faire
+l'approvisionnement, était naturellement plus enclin à se créer une
+armée qui pût le défendre lui et son royaume.</p>
+
+<p>Vers cette époque les armées ennemies gagnant du terrain vers le
+Nord, Jérôme commença à être inquiet pour la reine et désira son
+départ pour Paris. M. Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano.</p>
+
+<p>Ayant eu à cette époque plusieurs conversations d'un certain intérêt
+avec le roi, le ministre en rendit compte par la lettre suivante au
+duc de Bassano, datée de Cassel 1<sup>er</sup> mars 1813, 3 heures après midi.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Oui, a dit le roi, il y va de votre propre intérêt et je vous en
+ avertis. Lorsque la Westphalie succombera de misère et que les
+ habitants aimeront mieux se faire tirer des coups de fusil que de
+ donner leur dernier morceau de pain, c'est à vous qu'on reprochera
+ de n'en avoir pas fait connaître la véritable situation. Votre
+ devoir est de dire la vérité, même au risque de déplaire, d'être
+ rappelé, d'être disgracié: après trois mois on vous rendra justice.»</p>
+
+<p>À ce discours qui a été très long, j'ai répondu que Sa Majesté
+ impériale connaissait par moi et sans moi la situation de la
+ Westphalie: que, lorsqu'il s'agissait de remplir mon devoir, je ne
+ manquais ni de franchise, ni de fermeté; qu'assurément je n'avais
+ rien dissimulé et de ce que le roi m'avait dit, et de ce que je
+ pensais moi-même sur l'insuffisance des moyens de la Westphalie;
+ qu'avant tout il importait de bien convaincre Sa Majesté l'empereur
+ que toutes les ressources quelconques de ce pays étaient
+ consacrées..... Ici le roi m'a coupé la parole.&mdash;«Eh! vous voyez
+ bien, avec plus de trois mois d'approvisionnement pour Magdebourg,
+ avec mon contingent entier à réorganiser, avec 40,000 hommes de
+ troupes françaises dans le royaume.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> Je n'ai peut-être pas tort, Monseigneur, en considérant
+ cette attaque personnelle que le roi m'a faite, comme une espèce de
+ riposte à la lettre que j'avais écrite avant-hier à M. de
+ Furstenstein. Aussi c'est avec calme que j'invoque le témoignage de
+ toute ma correspondance avec Votre Excellence. Mais je me permettrai
+ une seule observation. Quant au passé, je dirai avec vous,
+ Monseigneur, qu'il est sans remède, mais quant au présent il serait
+ possible que Sa Majesté impériale, frappée de quelques notions de
+ détails que j'ai cru de mon devoir de donner, par exemple d'une
+ réserve du trésor qui existait à la fin de l'année, de la
+ prédilection du roi pour sa garde, des projets des fournisseurs, de
+ leur intelligence avec des protecteurs, etc., en conclût que le roi
+ ne veut pas faire en ce moment tout ce qu'il peut, ou que ses
+ ministres sacrifient la célérité et l'ensemble du service à leur
+ intérêt personnel. Je dois répéter ici, et je crois fermement que
+ les circonstances sont devenues trop graves pour ne point les
+ absoudre de cette accusation et que ce qui peut rester à leur charge
+ est d'une faible importance en comparaison des dépenses immenses et
+ simultanées qu'exige le moment actuel. Je dois particulièrement
+ rendre au ministre de la guerre la justice d'assurer que, si c'est
+ lui qui semble ralentir les opérations et qui passe des marchés
+ onéreux, c'est précisément lui qui est le moins soupçonné de
+ concussions ou de vues intéressées: que c'est un très honnête homme,
+ très laborieux, très dévoué à l'empereur et au roi; mais que c'est
+ un homme faible, susceptible de recevoir toutes les impressions
+ qu'on lui donne, et seulement au niveau de sa place lorsque les
+ événements le sont aussi. Enfin les fournisseurs refusent et
+ voudraient être en dehors de leurs marchés, quelque avantageux
+ qu'ils puissent être: et ce n'est pas là une grimace! Je crois que
+ c'est tout dire.</p>
+</div>
+
+<p>Extrait d'une lettre du roi arrivée le 6 mars à 6 heures du soir, et
+adressée à l'ambassadeur de Cassel à Paris:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Les événements se pressent. La grande armée va être réunie derrière
+ l'Elbe. 30,000 hommes et 3,000 chevaux sont à l'entour de
+ Magdebourg. Passé le 15 mars, si l'empereur ne m'envoie pas
+ d'argent, il me sera impossible de les nourrir. <i>Il faudra qu'ils
+ soient à discrétion chez l'habitant.</i> Qu'en arrivera-t-il? Trois
+ mois d'approvisionnement viennent d'être faits par la Westphalie. Le
+ quatrième est sur le point d'être achevé.</p>
+
+<p>Les contributions, entre autres, du département de l'Elbe ne
+ rentrent presque plus. Si l'empereur ne nous fait pas payer quatre
+ millions à compte sur ce qu'il nous doit, la marche du gouvernement
+ se trouvera arrêtée <i>tout-à-coup</i>, et les suites en sont
+ incalculables.</p>
+
+<p>Mon peuple est bon: tant qu'il aura quelque chose, il le donnera.
+ Mais quand chaque sujet se trouvera <i>vis-à-vis de rien</i>, n'ayant
+ plus que <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> le choix de mourir de faim ou d'un coup de fusil,
+ il n'est pas douteux qu'il ne préfère courir la dernière chance.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi ayant obtenu de l'empereur de faire partir la reine
+Catherine, Reinhard écrivit de Cassel le 8 mars 1812 au duc de
+Bassano:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>D'après ce que le roi m'avait dit hier sur le départ de la reine, je
+ ne m'attendais pas à lire dans le moniteur westphalien d'aujourd'hui
+ que la reine partait pour Paris sur l'invitation de Sa Majesté
+ impériale, et que ce départ aurait lieu après-demain. Le roi m'avait
+ dit que Sa Majesté l'empereur l'autorisait à faire partir la reine,
+ lorsque l'empereur Alexandre ou Kutusoff serait à Berlin ou à
+ Dresde. Il est vrai que, par son courrier de retour, le prince
+ vice-roi l'avait informé que, les Russes passant l'Oder en force et
+ ayant déjà sur la rive gauche 80 pièces de canon, il se décidait à
+ quitter la position de Berlin pour n'être pas coupé par sa droite.</p>
+
+<p>Le préfet du palais, Boucheporn, partira demain avec une partie du
+ service; mesdames de Bocholtz, de Furstenstein, de Pappenheim,
+ d'Oberg, la princesse de Philippsthal, M. le comte de Busche,
+ chevalier d'honneur, M. le comte d'Oberg, premier écuyer d'honneur
+ de la reine, seront du voyage. Il y a en ce moment conseil des
+ ministres.</p>
+
+<p>On dit que c'est hier au soir que le roi, étant au spectacle, a reçu
+ une lettre par le prince vice-roi, portée par un officier
+ d'ordonnance de Sa Majesté impériale allant en courrier à Paris.
+ Après le spectacle, M. Pothau a été appelé et les ordres ont été
+ donnés. M. de Furstenstein assure que le roi n'a point reçu de
+ lettre du vice-roi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, le 11 mars 1813.</p>
+
+<p>La reine est partie hier après midi, à deux heures, par la route de
+ Wetzlar. Le roi l'a accompagnée jusqu'à Wabern. La princesse de
+ Philippsthal a obtenu la permission de rester, comme venant de se
+ relever de ses couches et se trouvant encore indisposée. Le baron de
+ Boucheporn, maréchal de la cour, l'a précédée: il a dû arriver à
+ Paris quelques jours avant Sa Majesté.</p>
+
+<p>Ce sont les nouvelles que M. Athalin avait portées de Berlin et du
+ quartier général du vice-roi qui ont amené la détermination de ce
+ prompt départ. Le roi m'a dit lui-même que deux heures avant
+ l'arrivée de M. Athalin, lorsque j'avais eu l'honneur de voir Sa
+ Majesté, il n'en avait pas encore eu la pensée. Le lendemain matin,
+ le passeport d'un inspecteur des postes qui me fut porté pour être
+ visé m'en donna le premier soupçon qui fut converti en certitude
+ quelques minutes après, <span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> lorsque je reçus le moniteur
+ westphalien annonçant que la reine partait sur l'invitation de Sa
+ Majesté impériale.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 24 mars 1813.</p>
+
+<p>Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté en date du 14 courant et
+ je m'empresse de lui envoyer ci-jointe la copie du décret que j'ai
+ signé et fait expédier depuis le 20. Elle y verra que tout ce
+ qu'elle désire est fait, mais, Sire, je vous supplie de ne pas
+ laisser succomber par le manque de quelques millions un pays tel que
+ le mien, qui vous est d'une si grande utilité.</p>
+
+<p>Le déficit sur les revenus du mois passé pour les départements de
+ l'Elbe, de la Saale et de l'Oder est de trois millions, ce mois-ci
+ il sera du double: nous sommes au 24 et 500,000 francs ne sont pas
+ encore rentrés; cependant, Sire, confiant dans la parole de Votre
+ Majesté, mon armée s'organise, tout se fait et se livre, mais le
+ mois prochain rien ne pourra être payé, si Votre Majesté ne vient à
+ mon secours.</p>
+
+<p>À la fin de la semaine prochaine, 10 bataillons d'infanterie, plus
+ 2,000 cavaliers bien montés et équipés et 24 pièces de canon
+ pourront partir avec moi pour Brunswick et se porter jusque sur
+ l'Elbe si Votre Majesté le désire.</p>
+</div>
+
+<p>M. Reinhard écrit tantôt que le roi ne veut pas de commandement,
+tantôt que le roi désire un commandement.</p>
+
+<p>Le roi Jérôme désirait ardemment un commandement assez important
+pour que cette position le mît en relief. Doué d'une grande
+confiance en son aptitude militaire, et d'un amour-propre excessif,
+il ne mettait pas en doute qu'il ne fût aussi capable que le prince
+Eugène et tous les maréchaux de l'empire, sans en excepter un seul,
+de gagner des batailles et de rappeler la victoire sous nos
+drapeaux. Mais telle n'était pas l'opinion de l'empereur qui, tout
+en appréciant la bravoure et les belles qualités militaires de
+Jérôme, était loin de lui reconnaître le génie nécessaire à un chef
+d'armée. En 1854, lors de la guerre d'Orient, sous le second empire,
+le vieux prince crut un instant que son neveu lui donnerait le
+commandement en chef de son armée, attendu, disait-il, que lui seul
+en France avait l'habitude de la grande guerre et des grands
+commandements et était en état de remuer des masses.</p>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> <p class="center smcap">Jérôme à Napoléon.</p>
+<p class="date">Cassel, 14 avril 1813.</p>
+
+<p>Sire, je viens d'apprendre l'arrivée de Votre Majesté à Mayence et
+ m'empresse d'envoyer auprès d'elle mon ministre des finances, il est
+ plus à même que personne de faire connaître à Votre Majesté notre
+ situation financière; elle est telle, Sire, que, depuis le 11,
+ toutes les ordonnances qui ne sont pas pour la solde et les
+ traitements ont été suspendues au trésor, et qu'à la fin du mois, je
+ dois opter entre le paiement de l'armée ou celui des fonctionnaires
+ publics. La suppression du paiement des ordonnances tirées par les
+ ministres a fait un tel mauvais effet que l'habillement et le
+ harnachement, la livraison des chevaux ont été totalement suspendus.</p>
+
+<p>Je vous supplie, Sire, de ne point nous laisser tout à fait écrouler
+ et de nous envoyer quelques millions afin de nous soutenir; quel
+ chagrin pour moi, Sire, de me voir détruit par celui même qui m'a
+ créé!</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 12 avril 1813.</p>
+
+<p>Le roi, informé par moi que M. le maréchal duc de Valmy envoyait
+ quatre bataillons à Wetzlar sur les confins de la Westphalie et du
+ grand duché de Berg, a désiré que M. le maréchal en envoyât deux
+ autres à Marbourg et m'a chargé de lui faire connaître ce désir.</p>
+
+<p>Le roi a passé la journée d'hier à Napoléonshöhe: le temps était
+ magnifique. Le soir il y a eu spectacle et souper: la réunion était
+ nombreuse. On disait que le roi avait voulu montrer qu'il n'avait
+ pas fait emballer les meubles de ce château et qu'il avait voulu
+ faire déballer aux dames peureuses leurs manteaux de cour.</p>
+</div>
+
+<p>On commençait à craindre les conspirations en Westphalie,
+principalement à Cassel, que l'ennemi savait fort mal gardé, et
+autour du roi, déjà à cette époque hors d'état de défendre sa
+résidence et son royaume.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard à l'Empereur.</p>
+<p class="date">Cassel, 8 mai 1813.</p>
+
+<p>Le roi m'a fait communiquer par le général Bongars un rapport du
+ sieur Delagrée, chef d'escadron de la gendarmerie westphalienne,
+ concernant plusieurs mesures de précaution et de sévérité que M. le
+ maréchal, <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> prince d'Eckmühl, a prescrites au général
+ Bourcier revenu à Hanovre après avoir vu le maréchal à Minden.</p>
+
+<p>Le roi m'ayant fait appeler ensuite m'a fait lecture de la lettre
+ qu'il se proposait d'envoyer à M. le maréchal. Sa Majesté déclare au
+ prince qu'elle ne peut croire que de pareils ordres aient été donnés
+ et qu'elle les regarde comme entièrement contraires aux intentions
+ de Votre Majesté. Elle pense que si des mesures de sévérité sont
+ nécessaires dans son royaume, elles doivent être prises par le
+ souverain qui a déjà établi des commissions militaires à Wanfried
+ (où quelques habitants avaient livré à l'ennemi quelques chevaux et
+ un gendarme), à Lichtenau près Paderborn (où des voitures du roi et
+ des voyageurs français avaient été insultés). Elle fait entendre que
+ de pareils procédés pourraient la conduire à prendre un parti
+ extrême, etc., etc.</p>
+
+<p>J'ai cherché, Sire, à dissuader le roi de l'envoi de cette lettre.
+ Les ordres du prince semblaient dater de la fin d'avril: peut-être
+ renoncerait-il de lui-même à leur exécution. Il me paraissait
+ préférable de notifier au général Bourcier que, s'il y avait des
+ mesures à prendre, des coupables à punir dans son royaume, le roi
+ s'en chargerait. Mais le roi me répondit que cette manière d'agir ne
+ serait point généreuse, qu'elle compromettrait le général Bourcier
+ qui était subordonné au maréchal; que, d'ailleurs, des troupes
+ françaises étaient déjà arrivées à Hanovre et qu'il voulait que le
+ prince s'expliquât catégoriquement sur les ordres qu'il avait
+ donnés. Sa Majesté a désiré en même temps que je rendisse compte de
+ cet incident à Votre Majesté. La lettre du roi au maréchal a dû
+ partir hier par courrier; j'ignore si elle est partie. Quant à la
+ ville de Hanovre et aux Hanovriens, l'enquête portera-t-elle sur
+ leurs v&oelig;ux et sur leurs espérances, ou sur leurs démonstrations
+ et sur leurs actions? Tous les rapports de la police semblent les
+ absoudre d'actions criminelles: l'ordre public n'a été troublé nulle
+ part; les démonstrations mêmes ont été ou contenues ou réprimées; et
+ si, dans une effervescence d'opinions, la responsabilité cesse
+ d'être personnelle, la fidélité et l'obéissance ne suffiront plus
+ pour discerner l'innocent du coupable.</p>
+</div>
+
+<p>Le roi Jérôme écrivit de Cassel, au commencement de juin 1813, au
+général Dombrowski à Wittemberg de se rendre à Hersfeld le 10 juin,
+et il lui dit:</p>
+
+<p>«D'après les instructions que j'ai reçues de S. M. l'empereur, vous
+devez diriger vos deux bataillons d'infanterie et votre artillerie
+de Hersfeld par Rothembourg à Eschwege et vos deux régiments de
+cavalerie de Hersfeld sur Kreutzbourg, afin qu'ils puissent s'unir à
+moi et chasser l'ennemi de l'autre côté de l'Elbe.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> Le duc de Valmy, auquel Dombrowski soumit cette lettre en
+demandant des ordres à son chef immédiat, écrivit à l'empereur pour
+avoir ses ordres. Ce dernier manda à Berthier le 10 juin: «Le roi de
+Westphalie a écrit la lettre ci-jointe au général Dombrowski.
+Écrivez à ce général pour lui faire connaître la marche qu'il doit
+suivre.» Et en post-scriptum: «Écrivez au roi de Westphalie pour lui
+faire connaître l'inconvenance d'employer mon nom pour changer la
+direction de la marche des troupes; que cela peut mettre les
+généraux dans l'embarras; que c'est contraire à toutes les formes;
+que personne n'a le droit de prendre mon nom et de supposer que j'ai
+donné des ordres quand ce n'est pas.»</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin de Reinhard.</p>
+<p class="date">Cassel, le 2 juin 1813.</p>
+
+<p>On dit que les ennemis annoncent le projet de faire une pointe sur
+ Cassel. Enflés par quelques succès, il ne serait pas en effet
+ impossible qu'ils poussassent leur témérité à ce point. Il est vrai
+ qu'avec ce qui est parti pour Minden nous aurions 4 à 5,000 hommes
+ d'infanterie et environ 1,000 chevaux à leur opposer: mais quelles
+ troupes et comment dirigées? Si cela continue, de surprise en
+ surprise, ou même avertis mais mal informés, sans prudence, sans
+ ensemble, nous serons détruits en détail.</p>
+
+<p>Depuis plus de trois mois que le roi est à Napoléonshöhe, je n'ai eu
+ l'honneur d'approcher de Sa Majesté qu'une seule fois. Mais M. de
+ Furstenstein continue à être invisible: son cabinet est au salon de
+ service. M. Siméon est toujours, M. de Höne, M. de Bongars sont tour
+ à tour du voyage. M. de Höne avait été malade: il est retourné
+ aujourd'hui à Napoléonshöhe. Il doit, dit-on, proposer au roi de
+ mettre toutes ses forces disponibles sous les ordres du général
+ Teste. Il est à prévoir que cette proposition ne sera point agréée.
+ Le roi paraît se trouver de nouveau dans un de ces accès de dégoût
+ où, se livrant à l'apathie, il cherche des distractions dans des
+ plaisirs dont le secret n'est pas assez gardé pour ne point faire
+ une impression fâcheuse sur le public. Je ne méconnais point ce
+ qu'en ce moment la situation du roi a de pénible sous tant de
+ rapports que je connais et peut-être sous quelques rapports que
+ j'ignore: mais le travail et le dévouement surmonteraient facilement
+ des peines qu'on ne se serait pas attirées soi-même, et ce sont ces
+ dernières qui sont poignantes et qui découragent. Au milieu de tout
+ cela, on se croit trop petit souverain avec deux millions d'âmes: on
+ s'en sépare d'affection et d'intérêts. On est jaloux des conseils,
+ on s'impatiente <span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> de la vérité. Voilà près de cinq ans
+ depuis que Sa Majesté impériale a daigné me confier la mission de
+ Westphalie; et laissant à part ce qui doit être imputé à des
+ événements qui n'ont pas dépendu du gouvernement de ce royaume, je
+ ne puis me dissimuler, je ne puis, quelque chagrin que j'en aie,
+ dissimuler à Votre Excellence qu'en principes d'administration, en
+ talents et en connaissances, en moralité surtout, les choses y sont
+ toujours allées en empirant.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bulletin.</p>
+<p class="date">Cassel, 20 mai 1813.</p>
+
+<p>Une semaine passée en voyage à Napoléonshöhe me met à portée d'en
+ décrire les usages et de rendre compte du genre habituel de vie que
+ le roi a adopté dans cette résidence d'été.</p>
+
+<p>Le costume de voyage est un petit uniforme bleu, brodé en argent,
+ pantalon bleu et bottes à l'écuyère. On garde ce costume jusqu'à
+ l'heure du dîner excepté les dimanches et jeudis, jours où tous ceux
+ qui ont les grandes entrées paraissent au lever du roi.</p>
+
+<p>La semaine de voyage commence dimanche au soir et finit le dimanche
+ suivant après le spectacle. Les invités sont rarement au-dessus du
+ nombre huit, quatre hommes et quatre femmes. <i>Rarement les femmes et
+ les maris sont invités ensemble.</i> Dans la semaine passée, nous
+ étions au nombre de six. Le ministre de la guerre, le baron de
+ Schulte, conseiller d'État, la comtesse de Furstenstein, madame la
+ comtesse de Jagow, femme d'un chambellan du roi, madame Chabert,
+ femme du capitaine de la garde, madame de Schlicher, dame du palais,
+ étaient de semaine.</p>
+
+<p>Le lever a lieu vers les dix heures. À 11 heures, déjeuner; à 6
+ heures &frac12;, dîner. Il n'y a rien de recherché, ni dans les plats, ni
+ dans les vins; la table est bien servie, mais sans profusion. Le roi
+ déjeune et dîne seul: il est cependant d'usage d'inviter une fois à
+ dîner et une fois à déjeuner à la table de S. M. les personnes du
+ voyage. Le déjeuner eut lieu à Schönfeld, petite maison de campagne
+ du roi située entre le parc de Cassel et Napoléonshöhe, et le dîner
+ à Mouland, petit village chinois bâti par l'ancien électeur et dont
+ les maisons, encore en état de servir, viennent d'être réparées et
+ remeublées avec une simplicité élégante.</p>
+
+<p>Après le déjeuner, jusqu'à deux heures, promenade devant le château
+ et entretiens du roi avec les personnes qu'il fait appeler. Après 2
+ heures, le roi se retire, ou bien il y a promenade en voiture.
+ Pendant la semaine dernière, le roi a passé deux revues, l'une des
+ grenadiers de sa garde et l'autre des cuirassiers: il a présidé une
+ fois son conseil <span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> d'État. Il est allé deux fois à Cassel
+ pour voir les travaux de son palais.</p>
+
+<p>Lorsque le temps le permet, le roi dîne en plein air ou dans un
+ petit pavillon du jardin de la reine. Après le dîner, on reste
+ devant le château avec ou sans le roi. À 9 heures on se réunit soit
+ dans les appartements de Sa Majesté, soit dans la petite salle de
+ spectacle. Ces jours passés, il y avait un petit concert de trois ou
+ quatre musiciens et jeu ou spectacle. Le jeu dominant, c'est le
+ whist. Le genre de spectacle que le roi préfère, c'est la comédie.
+ La petitesse de la salle de l'intérieur ne permet pas de donner de
+ grandes pièces qui sont réservées pour le dimanche.</p>
+
+<p>À 10 heures du soir, tout est fini et le roi se retire. Le roi est
+ toujours aimable: on dirait cependant qu'il est devenu plus grave.
+ L'ordre et la décence règnent partout. La table du maréchal est de
+ dix-huit à vingt personnes.</p>
+
+<p>La princesse de Löwenstein étant dans son huitième mois de grossesse
+ a cessé de paraître à la cour. Elle vint cependant dimanche en robe
+ du matin et partit le lendemain après avoir déjeuné avec le roi.
+ Cette dame, par beaucoup d'esprit de conduite, s'est fait une
+ existence à part qui ressemble un peu à celle d'une favorite en
+ titre. Aucune des dames invitées ne pouvait avoir de prétentions.</p>
+
+<p>On dit que le roi se souvient encore quelquefois de madame Escalonne
+ qui avait été avec lui pendant sa dernière campagne de Pologne.</p>
+
+<p>Sa Majesté prenait depuis quelques jours des bains pour lesquels on
+ faisait venir l'eau de Pyrmont.</p>
+</div>
+
+<p>Le danger devenant de jour en jour plus imminent pour la Westphalie
+et pour Cassel, Reinhard, sur les instances de Jérôme, envoya au
+général Lemoine une dépêche pour qu'il vint à Cassel avec sa
+division. Cette mesure fut désapprouvée par Napoléon, qui fit écrire
+à Reinhard de Dresde, le 10 août 1813, par M. de Bassano:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Dresde, 30 août 1813.</p>
+
+<p>L'empereur a pris lecture de votre lettre du 27, qui annonce que
+ vous avez invité le général Lemoine à se porter avec son corps sur
+ Cassel. Sa Majesté n'approuve point cette démarche: les
+ circonstances n'exigent point un pareil mouvement; et la présence du
+ corps du général Lemoine sur le Weser est trop nécessaire pour qu'il
+ doive se déplacer légèrement. Ce général a ses instructions: il faut
+ dans votre correspondance avec lui vous borner à l'instruire de
+ l'état des choses et des nouvelles qui vous parviennent.</p>
+</div>
+
+<p>Le même jour, l'empereur écrivit de Dresde à Berthier: «Mandez à
+Lemoine de ne pas aller du côté de Cassel, de rester à Minden pour
+faire exercer ses troupes et former sa petite division. Que son
+premier <span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> but doit être de couvrir Wesel et qu'il est
+autorisé également à se porter sur Magdebourg si le général
+Lemarrois se trouvait avoir une garnison trop faible; enfin qu'il
+doit avoir de la troupe en observation sur le Weser; mais qu'il ne
+doit pas se remuer légèrement.»</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, 12 septembre 1813.</p>
+
+<p>Le roi me dit à l'instant qu'il envoie un courrier à Sa Majesté
+ impériale avec les nouvelles qu'il a reçues du côté de Brunswick. Ce
+ ne sont à la vérité que des rapports de gendarmes, mais ils viennent
+ de différents côtés: ils s'appuient et se confirment. Il paraît
+ qu'un corps ennemi, qu'on porte à 15,000 hommes avec 16 pièces de
+ canon et dans lequel se trouve de la cavalerie anglaise venant de
+ Domitz, a passé l'Elbe le 9. On annonçait en même temps pour le 11
+ le passage d'un autre corps destiné à occuper Haarbourg, le prince
+ d'Eckmühl étant revenu à Hambourg. Le roi transmet ces nouvelles
+ directement à Sa Majesté impériale et lui demande des ordres
+ éventuels.</p>
+
+<p>Le général Lemoine doit avec son corps arriver aujourd'hui à
+ Brunswick dont des patrouilles ennemies, depuis quelques jours, se
+ sont approchées jusqu'à quatre lieues. Monseigneur le major général,
+ en m'annonçant que Sa Majesté impériale n'avait point approuvé la
+ lettre que j'avais écrite à ce général pour l'engager à venir
+ couvrir Cassel, m'écrivit qu'il <i>était nécessaire sur le Weser</i>.
+ J'ignore en conséquence si le mouvement qu'il fait sur Magdebourg où
+ il est appelé par le général Lemarrois est conforme aux intentions
+ de Sa Majesté. Je n'ai reçu de lettres, depuis plusieurs jours, ni
+ de l'un ni de l'autre de ces généraux. J'ignore si le général
+ Lemoine a emmené toutes les troupes, hors celles qui sont sous les
+ ordres du général Laubardière et qui sont peu considérables.</p>
+
+<p>En ce moment, Monseigneur, je suis moins rassuré que dans les jours
+ du mois d'avril dernier, dans le cas où l'ennemi menacerait la ville
+ de Cassel qui est certainement un point très important sous les
+ rapports militaire et politique. Le roi pense que l'ennemi ne peut
+ se hasarder à ce point, et ses raisonnements sont fort justes; mais
+ nous vivons d'une crise pleine d'événements imprévus et je voudrais
+ au moins voir le roi entouré, outre ses hussards, de quelque
+ infanterie française<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a><a href="#footnote142" title="Lien vers la note 142"><span class="smaller">[142]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> Nous voici arrivé au moment de l'entrée à Cassel du général
+Tchernischeff et à l'évacuation de cette ville par Jérôme.</p>
+
+<p>Cet épisode, raconté tout au long et dans les plus grands détails
+par le roi dans sa lettre du 4 octobre 1813 au ministre duc de
+Feltre, dans l'espèce de précis historique que M. Hugot fit alors
+avec M. Reinhard, l'est également dans une lettre du roi à
+l'empereur. Ce dernier document n'ayant pas trouvé place aux
+<i>Mémoires de Jérôme</i>, nous allons le donner ici, mais nous le ferons
+précéder de la dépêche suivante de M. Reinhard, laquelle contient
+une assez singulière conversation du roi:</p>
+
+<p class="lettre">Dès le 12, après avoir reçu des nouvelles alors exagérées des forces
+ ennemies qui avaient passé à Danneberg, le roi envoya un courrier à
+ Sa Majesté l'empereur pour demander des ordres éventuels sur ce
+ qu'il devait faire, si l'ennemi menaçait sa capitale. Ayant appris
+ les passages du côté de Dessau, que les rapports annonçaient comme
+ étant ceux d'un corps d'armée entier, Sa Majesté me dit qu'elle
+ n'avait point reçu et que probablement elle ne recevrait pas
+ d'ordres de l'empereur, et me demanda ce que je pensais qu'il
+ convenait de faire. Après plusieurs préambules, le roi me pressant
+ toujours, je conclus qu'il faudrait se retirer quand le danger
+ serait imminent et certain. «Mais, dit le roi d'un air assez
+ délibéré, si je faisais comme les petits princes, si je restais? Mon
+ intention est de rester.»&mdash;«Mais Votre Majesté s'exposerait.»&mdash;«Sans
+ doute, dit le roi, il faudrait que l'ennemi le voulût.» Je changeai
+ de conversation et quelque temps après je revins à la circonstance.
+ Je citai le grand-duc de Toscane qui en 1799 avait voulu rester, et
+ qui en 24 heures reçut l'ordre de partir. «Sa position, dit le roi,
+ était différente de la mienne.»&mdash;«Oui, dis-je, peu de semaines
+ auparavant, il avait payé deux millions pour sa neutralité.»
+ J'ajoutai que, si l'ennemi permettait aux petits princes de rester,
+ c'était dans l'espérance qu'ils embrasseraient ce qu'ils appellent
+ la cause commune; «et c'est, dis-je, ce que Votre Majesté ne peut ni
+ ne voudra faire.» La conversation en resta là, et je crus
+ m'apercevoir que le roi était satisfait de ce que je venais de dire.
+ Néanmoins, quelque soit l'intention avec laquelle il a mis cette
+ idée en avant, elle m'a paru trop extraordinaire pour que je puisse
+ me dispenser d'en rendre compte à Votre Excellence. Du reste, on
+ prend au château des précautions à tout événement. Il y a même trois
+ chevaux sellés pour le roi qui y entrent toutes les nuits.</p>
+
+<p>Il est difficile d'admettre que la possibilité de rester dans ses
+États fût jamais passée par la tête du roi. Son attachement à la
+France et <span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> à son frère, la rectitude de son jugement, la
+loyauté de son caractère ne permettent pas de le supposer. Jérôme a
+dit depuis que Tchernischeff lui avait proposé de rester et qu'il
+avait repoussé avec indignation cette proposition<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a><a href="#footnote143" title="Lien vers la note 143"><span class="smaller">[143]</span></a>; mais ce qui
+ne permet pas d'admettre non plus que les souverains ligués contre
+Napoléon aient pu avoir cette pensée, c'est que le but avéré du
+général russe était de faire Jérôme prisonnier à Cassel.</p>
+
+<p>Voici maintenant la lettre du roi, de Wetzlar, 29 septembre 1813.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Sire, le 24, j'appris que l'ennemi était entré à Mulhausen, avec
+ 4,000 chevaux, 2,000 chasseurs et 16 pièces de canon; en même temps
+ le général Lemarrois annonçait au ministre de France que 3 régiments
+ d'infanterie russe, 800 chevaux et 12 pièces de canon avec lesquels
+ une division s'étaient battue à Wollmerstadt se dirigeaient sur
+ Brunswick. Il ne me parut plus douteux qu'ils ne voulussent faire
+ une tentative sur Cassel. J'en prévins le duc de Valmy et l'engageai
+ à faire passer par Cassel sa 34<sup>e</sup> colonne de marche forte de 3,200
+ hommes, en lui observant que, si mes craintes n'étaient pas fondées,
+ cette colonne ne perdrait qu'un jour de marche et que, s'il en
+ arrivait autrement, elle servirait soit à repousser l'ennemi de
+ Cassel où j'étais décidé à l'attendre, soit à assurer ma retraite en
+ cas de nécessité. Le 26, le général Bastineller qui observait dans
+ le Harz les mouvements de l'ennemi m'annonça qu'il se portait au
+ nombre de 7,000 hommes sur Eschwege, et le général Zandt qui était
+ en position à G&oelig;ttingen me rendit compte en même temps que
+ l'ennemi était entré en force dans Brunswick. Cependant, comptant
+ sur l'arrivée de la colonne française que j'avais demandée au duc de
+ Valmy, je fis mes dispositions de défense. Je donnai ordre au
+ général Bastineller d'appuyer sa gauche à Witzenhausen et sa droite
+ à Melsungen afin que l'ennemi ne pût intercepter la route de
+ Francfort en passant le gué qui est près de ce dernier endroit.</p>
+
+<p>Le général Bastineller ne put exécuter assez promptement ce
+ mouvement, l'ennemi étant en forces devant lui. Il me rendit compte
+ que 800 chevaux et 4 pièces de canon étaient parvenus à tourner sa
+ droite et se hâtaient d'arriver sur Cassel. Le 27, je lui donnai
+ l'ordre de prendre position en avant de Cassel. Le même ordre fut
+ donné au général Zandt, mais l'ennemi les gagna de vitesse, renversa
+ le même jour à 11 heures du soir les avant-postes qui étaient à Elsa
+ et à Kauffungen et hier 28, à 4 heures du matin, j'en reçus la
+ nouvelle. Je fis sur-le-champ prendre les armes au peu de troupes
+ que j'avais avec moi. J'envoyai 25 hussards, 2 compagnies de
+ chasseurs de la garde pour reconnaître l'ennemi, <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> au milieu
+ duquel ils se trouvèrent un quart d'heure après être sortis de la
+ ville. Le brouillard était si épais que l'on pouvait à peine se voir
+ à deux pas. Ce détachement se replia sur la porte de Leipsick en
+ assez bon ordre, quoiqu'il eût perdu la moitié de son monde par
+ l'artillerie ennemie. Deux pièces de canon que j'avais placées à la
+ porte de Leipsick ripostaient vivement à l'ennemi dont les boulets
+ traversaient la ville, mais ces deux pièces furent démontées en peu
+ de temps et après une demi-heure de combat. Pendant ce temps, je
+ faisais barricader le pont qui communique du faubourg à la ville. À
+ peine cette opération fut achevée que l'ennemi enfonça la porte à
+ coups de canon et vint braquer une pièce vis-à-vis du pont, ouvrit
+ la prison d'État qui en est près et fit sortir tous les prisonniers.
+ Je perdis sur ce point beaucoup de monde. Une partie de mes
+ hussards, ne sachant point encore monter à cheval et n'étant point
+ équipés, me demandèrent des fusils et défendirent ce pont, ma
+ dernière ressource.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, 400 chevaux avaient passé la Fulde à gué et
+ venaient par la porte de Francfort. Le moment était critique, je me
+ mis à la tête de mes gardes du corps, de deux escadrons de hussards,
+ je fis longer la rivière à mes grenadiers de la garde pour s'emparer
+ du gué. Je sortis par la porte de Francfort. À peine avais-je fait
+ deux cents pas qu'un peloton d'avant-garde m'annonça que l'ennemi
+ était en bataille devant lui. Je m'avançai de suite au galop pour le
+ reconnaître, mais le brouillard était si épais que je me trouvais au
+ milieu de lui à pouvoir faire le coup de sabre; je le fis charger
+ aussitôt par le 2<sup>e</sup> escadron de hussards pendant que je le faisais
+ tourner par sa droite par les gardes du corps, afin de le rejeter
+ sur les grenadiers qui occupaient déjà le gué. Cela me réussit, il
+ fut mis en déroute et les grenadiers en tuèrent un bon nombre. Ce
+ mouvement força l'ennemi d'évacuer la partie de la ville qu'il
+ occupait du côté de la porte de Leipsick, craignant que je ne le
+ prisse à dos en passant moi-même le gué, ce que j'étais loin de
+ vouloir faire, étant convaincu que cette avant-garde allait être
+ fortement soutenue.</p>
+
+<p>Après avoir ainsi dégagé la ville, je pris position à une demi-lieue
+ en arrière avec mes gardes du corps, mon bataillon de grenadiers et
+ 400 hussards, les seuls qui fussent en état de se tenir à cheval et
+ de donner un coup de sabre. J'attendis dans cette position, depuis
+ 10 heures que le combat avait cessé jusqu'à 3 heures, espérant à
+ chaque instant, mais en vain, voir déboucher les colonnes des
+ généraux Zandt et Bastineller. Ne les voyant pas paraître, je
+ renforçai les postes de la ville par une compagnie de chasseurs
+ carabiniers et deux pièces d'artillerie et, comme l'ennemi remontait
+ la Fulde pour arriver à Wabern avant moi, je me repliai sur Jesberg,
+ décidé à m'y tenir et à attendre la colonne française que je ne
+ doutais pas que le duc de Valmy m'envoyât. Quel fut mon étonnement
+ en recevant à 10 heures du soir, par le retour <span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> de mon
+ courrier, une lettre en réponse à la mienne, par laquelle le duc de
+ Valmy m'annonce ne pouvoir prendre sur lui une pareille mesure. Dans
+ cet état de choses, il ne me restait d'autre parti à prendre, ne
+ pouvant point tenir chez moi ni compter sur des secours, que de me
+ retirer vers Coblentz, mais je ne passerai point le Rhin avant de
+ connaître les intentions de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Je réunirai mes troupes à Wetzlar. J'aurais préféré rester avec
+ elles à Marbourg, mais l'esprit public y étant très mauvais, la
+ désertion se mettrait parmi le peu de soldats qui me restent.</p>
+
+<p>Il est bien entendu, Sire, que si j'apprenais que quelque corps
+ français marchât pour me soutenir, je pourrais rentrer à Cassel dans
+ peu de temps.</p>
+
+<p>Mon régiment de hussards français s'est conduit pendant toute la
+ journée d'hier avec beaucoup de valeur; j'ai dû malheureusement en
+ perdre beaucoup qui, n'ayant pas l'habitude du cheval, tombaient en
+ chargeant l'ennemi.</p>
+</div>
+
+<p>La correspondance de Reinhard et celle de M. de Malartie, son
+secrétaire de légation, du 10 octobre au 10 novembre 1813, feront
+connaître les événements qui eurent lieu en Westphalie pendant le
+dernier mois du règne de Jérôme, la rentrée du roi dans sa capitale
+et sa retraite définitive.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Malartie au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Coblentz, le 10 octobre 1813.</p>
+
+<p>La lettre ci-jointe de M. le baron Reinhard instruira Votre
+ Excellence de la résolution qu'il a prise de me faire partir hier
+ matin pour Coblentz, afin que je fusse à portée de l'informer de la
+ marche du roi et de l'époque présumée de son retour dans la
+ capitale.</p>
+
+<p>Je suis arrivé ici hier à midi; ce matin à 8 heures j'ai vu M. le
+ comte de Furstenstein et le préfet du département.</p>
+
+<p>Déjà beaucoup de serviteurs du roi sont retournés à Cassel. Je
+ citerai entre autres le directeur général des postes, le préfet de
+ police, le ministre des finances, l'intendant général du Trésor,
+ l'intendant de la maison du roi.</p>
+
+<p>Le roi a des nouvelles du général Allix qui a dû quitter Cassel
+ avant-hier pour suivre le général Czernischeff. Sa Majesté a envoyé
+ un courrier au général Allix pour lui ordonner de s'arrêter, mais je
+ ne crois pas que le général ait besoin d'instructions à cet égard.
+ Il n'a avec lui que 4,000 hommes et, si je me rappelle bien les
+ conversations que nous avons eues souvent ensemble en pesant
+ l'hypothèse que malheureusement <span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> nous avons vue se
+ réaliser, son plan est de prendre position en avant de Göttingen,
+ près d'Heiligenstadt, peut-être même du côté d'Halbertstadt; de
+ s'éclairer avec le plus grand soin et de man&oelig;uvrer de manière à
+ couvrir Brunswick et Cassel contre des attaques d'ennemis qui ne
+ peuvent réussir que dans des coups de main et qui doivent être
+ eux-mêmes tout étonnés de leurs succès passagers. Je fais seulement
+ des v&oelig;ux pour que la santé du général Allix se soutienne. Mais ce
+ sont les mouvements de la grande armée et ceux du prince de la
+ Moskowa qui décideront du sort ultérieur de la Westphalie.</p>
+
+<p>Je ferai mon possible, Monseigneur, pour recueillir des détails
+ exacts sur ce qui s'est passé à Cassel pendant l'occupation. Jusqu'à
+ présent les rapports sont ou exagérés ou contradictoires. Le roi
+ s'est montré bien douloureusement affecté de la conduite de quelques
+ personnes qu'il avait comblées de bienfaits, et qui ont paru en
+ avoir perdu le souvenir: mais on ne sait encore rien de positif.</p>
+
+<p>Il est pour moi extrêmement délicat, Monseigneur, d'avoir à parler à
+ Votre Excellence de la position gênée où se trouve le roi à
+ Coblentz. Le bruit est que S. M. part ce soir et l'on fait des
+ préparatifs dans sa maison. D'un autre côté, M. de Furstenstein a
+ dit positivement à M. Duntzau et à moi que le roi ne partait point
+ encore. Il m'a dit de plus que S. M. avait écrit à M. le duc de
+ Valmy qu'il voulait savoir sur combien de troupes françaises il
+ pouvait compter pour se maintenir dans son royaume et pour ne plus
+ être exposé à en sortir. Je lui ai demandé si le roi avait des
+ nouvelles de l'empereur. Oui, m'a-t-il répondu. «S. M. a de
+ l'empereur une lettre du 4. L'empereur ne lui parle point de
+ l'événement de Cassel. Il l'ignorait encore. Le roi ne peut pas
+ concevoir cela.» Je n'avais rien à dire, Monseigneur, je me suis tu.</p>
+
+<p>M. Duntzau, préfet de Coblentz, que je connaissais d'ancienne date,
+ m'a paru sentir parfaitement l'importance de tous les différents
+ devoirs qui lui sont imposés dans la circonstance présente. Sa
+ douceur et son aménité lui ont procuré le bonheur de plaire au roi.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> la princesse de Löwenstein, la comtesse de la Ville-Illion,
+ M<sup>me</sup> de Furstenstein, M<sup>me</sup> Chabert sont ici. Ces dames dînent avec
+ le roi et S. M. passe la soirée avec elles et les officiers de sa
+ maison.</p>
+
+<p>Du reste, le roi vit d'une manière fort retirée.&mdash;J'ai dit à M. de
+ Furstenstein que je suivrai ses conseils pour savoir si je devais
+ demander que S. M. m'admît à l'honneur de lui faire ma cour.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Du 13, à dix heures du matin.</p>
+
+<p>Le roi vient de partir. M. Duntzau a accompagné S. M. jusqu'aux
+ frontières du département et est revenu enchanté de toute
+ l'amabilité dont il a été comblé.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> Le roi compte coucher à Wetzlar. Je le suivrai dans la
+ journée. Je suis parti d'auprès de M. de Reinhard sans argent et
+ sans voiture. Il faut que je m'occupe un peu de moi-même.
+ D'ailleurs, il n'y a plus de chevaux à la poste. M<sup>me</sup> de Löwenstein,
+ M<sup>me</sup> de la Ville-Illion, M<sup>me</sup> de Furstenstein restent ici pour le
+ moment. M. Siméon partira dans quelques jours pour Paris. Ce
+ respectable vieillard ne quitte le roi qu'avec un regret qui fait
+ autant d'honneur au souverain qu'au ministre. Surtout, quoique
+ depuis longtemps il songeât au repos, ce n'était pas dans une
+ circonstance critique qu'il eût voulu se séparer du roi dont il a vu
+ poindre la jeunesse et auquel il a rendu tant de services
+ essentiels. Le roi sentira peut-être trop tard que M. Siméon était
+ un des appuis de son trône. Le peuple n'en est pas à le sentir. Je
+ ne sais, mais la vieillesse de M. Siméon, de longtemps encore,
+ n'approchera de la caducité, et si l'empereur rendait au ministre
+ qu'il avait prêté à son frère l'honneur de siéger au conseil, il est
+ à croire qu'il trouverait en lui un serviteur d'autant plus éclairé
+ qu'un séjour de six ans en Allemagne a dû augmenter la masse de ses
+ connaissances et donner à ses réflexions un nouveau poids.</p>
+
+<p>M. de Wolfradt sera son successeur.</p>
+
+<p>On m'a assuré, mais je ne voudrais pas garantir cette assertion, que
+ M. de Czernischeff avait un plan exact du château qu'habitait le
+ roi, qu'il est arrivé sans guide jusqu'à la chambre de Sa Majesté,
+ et qu'il a dit que si un gendarme ne s'était pas échappé de ses
+ mains il prenait le roi dans son lit<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a><a href="#footnote144" title="Lien vers la note 144"><span class="smaller">[144]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<p>À cette date s'arrête, dans les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, ce qui est
+relatif à ce prince en Westphalie.</p>
+
+<p>Les mémoires ne reprennent qu'en 1814. Il nous a été possible, à
+l'aide de la correspondance diplomatique, de combler cette lacune.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, le 18 octobre 1813.</p>
+
+<p>Le roi a nommé le général Allix son lieutenant, parce qu'il ne croit
+ pas pouvoir se mettre en personne à la tête de 4,000 hommes. Il
+ regrette d'être revenu. Si l'ennemi marche de nouveau contre Cassel,
+ ou si les troupes qui sont ici ont ordre de marcher ailleurs, il se
+ retirera d'un pays mûri partout pour la révolte, et en attendant,
+ lorsque tout est désorganisé, lorsque le service de S. M. I. exige
+ qu'on ne s'occupe que de rassembler toutes les parties éparses pour
+ pourvoir aux besoins les <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> plus urgents de l'armée, il ne
+ médite que des projets de vengeance! Ses premiers dignitaires sont
+ arrêtés, exilés pour n'avoir pas toujours porté l'ordre, pour
+ n'avoir pas suivi sa personne, etc. La commission nommée par
+ Czernischeff, composée des hommes les plus estimables,
+ fonctionnaires du roi, se dévouant à la circonstance, mais
+ absolument incapables d'en sentir les difficultés, et commettant des
+ fautes graves de forme, qu'on convertit en crimes de lèse-majesté,
+ seront traduits à une commission militaire; son intention, j'en suis
+ persuadé, est de faire grâce, mais il veut qu'ils soient condamnés à
+ mort.</p>
+
+<p>Ces pensées tout à fait étrangères au moment, qui exige d'autres
+ soins, l'absorbent lui et son lieutenant. M. Siméon voulait revenir,
+ c'est le roi qui n'a pas voulu, parce qu'il craignait d'en être
+ contrarié. Toutes les prisons sont pleines. La terreur règne, et le
+ seul excès criminel qui ait été commis l'a été par un étranger
+ portant en poche un brevet de duc.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, le 19 octobre 1813.</p>
+
+<p>Il a fallu interrompre ma lettre d'hier pour me livrer aux visites,
+ aux rapports, aux lamentations qui de toutes parts affluent autour
+ de moi. Depuis les ministres du roi jusqu'aux particuliers, personne
+ ne connaît le but de cette commission militaire appelée à juger la
+ commission de Cassel nommée par l'autorité du conseil municipal sous
+ l'autorisation du général russe. Pour m'éclairer enfin, je me suis
+ décidé à aller directement chez le général Allix, unique moteur de
+ cette mesure, puisque le roi l'a prise sur ses rapports et puisque
+ c'est encore sur son rapport qu'elle a été maintenue hier au conseil
+ des ministres.</p>
+
+<p>Après une conversation de deux heures qui est devenue d'autant plus
+ vive que je comprenais moins le général Allix se tournant toujours
+ dans un cercle vicieux et n'osant pas prononcer le mot qui
+ trancherait la difficulté, il s'est trouvé que tandis que d'après
+ l'unanimité des rapports je n'avais vu dans tout ce qui s'est passé
+ le 30, lors de la reddition de la ville, que la peur des bourgeois,
+ craignant de voir leur ville et leurs maisons incendiées et
+ convaincus de l'absurdité de défendre une place ouverte avec moins
+ de 300 hommes de troupes, le général Allix posait en fait que Cassel
+ avait été en pleine révolte. Ce fait posé, il n'y avait plus rien à
+ dire, et la commission militaire était de droit. Mais malheur à
+ l'homme capable de sacrifier en ce moment la vie d'une vingtaine
+ d'hommes respectables et, par l'effet que cette procédure peut
+ produire sur un peuple exaspéré, celle des Français dans le cas
+ d'une seconde retraite, peut-être la sûreté du roi, peut-être les
+ ressources les plus précieuses pour la grande armée à un
+ amour-propre irrité.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Et que c'est là l'unique cause qui a fait établir comme
+ principe la révolte de Cassel, le général Allix lui-même m'en a
+ donné la conviction intime. Il m'est impossible, Monseigneur,
+ d'entrer dans des détails dont la discussion entraînerait des
+ journées entières: je dois pour cette fois me prévaloir de ma
+ qualité d'honnête homme et d'homme de sens et demander à être cru
+ sur ma parole. Aussi ne suivrai-je pas plus loin le général Allix.
+ Je dirai seulement que tandis qu'il soutient que cette procédure est
+ nécessaire pour l'exemple, je soutiens, moi, que les hommes dont il
+ s'agit, eussent-ils mérité de perdre la tête, ce n'est pas le moment
+ de les mettre en jugement.</p>
+
+<p>Si après cela je disais que le général Allix a montré du zèle et du
+ caractère en défendant la ville et surtout en s'empressant d'y
+ rentrer, il faudrait dire aussi que le général Allix a laissé à une
+ lieue de la ville, sous la garde d'une sentinelle, six canons que
+ l'ennemi a enlevés le 28 avec leurs munitions, et que le
+ commandement de 4 à 5,000 hommes de troupes françaises lui inspire
+ des projets d'un écervelé.</p>
+
+<p>Avant d'aller voir le général Allix, j'avais vu M. de Marienrode,
+ qui m'a montré sur toutes ces affaires la même manière de penser que
+ moi. Je lui ai demandé s'il avait déjà commencé l'envoi des trois
+ cents quintaux de farine par jour demandés pour Erfurth. Il m'a
+ répondu qu'il en avait fait la répartition entre les départements en
+ omettant ceux qui dans ce moment étaient hors d'état d'y contribuer,
+ mais qu'il ne lui avait pas encore été possible de faire commencer
+ les livraisons.</p>
+
+<p>Les contributions ne rentrent plus, les contribuables demandent
+ qu'on aille les chercher. Depuis son retour le roi n'a pu réunir
+ cent mille francs dans son trésor. Les préfets craignent de donner
+ des nouvelles des mouvements de l'ennemi. La présence du roi et le
+ devoir de garder sa personne et sa capitale paralysent l'activité de
+ nos troupes. Il ne les commandera point, il ne s'en séparera point.
+ J'apprends cependant que M. le duc de Feltre a écrit au comte de
+ Salha que ces troupes doivent être sous les ordres immédiats du roi.
+ J'ai trouvé le roi beaucoup plus calme aujourd'hui qu'hier, comme
+ s'il avait reçu des nouvelles de S. M. I. Il en recevait en ma
+ présence du général Amey qui lui annonce l'entrée de Tettenborn à
+ Brême le 15. Un bataillon suisse s'y est rendu par capitulation. Il
+ sera conduit en France. Un second bataillon s'est retiré avec le
+ général Lauberdière sur Leipzig.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, le 24 octobre 1813.</p>
+
+<p>Le roi m'a fait appeler hier soir à onze heures. Le colonel
+ Lallemand venait d'arriver. Il avait laissé S. M. l'empereur le 18
+ sortant de Leipzig à la tête de sa garde impériale. Il était arrivé
+ à Erfurth au <span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> milieu des troupes qui revenaient. Il s'était
+ glissé à Gotha à travers les cosaques. Il m'a porté votre lettre du
+ 6 octobre, que je conserverai éternellement comme le mouvement le
+ plus touchant et le plus honorable de votre bienveillance et de
+ votre intérêt.</p>
+
+<p>L'intention du roi est de se retirer à Marbourg après avoir reçu des
+ nouvelles de S. M. impériale, à moins qu'il ne soit forcé de le
+ faire plus tôt. Il a distribué les 8,000 hommes en colonnes mobiles,
+ en gardes pour sa personne, et en garnison pour Cassel. Il est à
+ craindre que les événements ne permettent pas à Sa Majesté impériale
+ de les lui laisser plus longtemps. Prévenu par M. de Feltre qu'elles
+ devaient être sous son commandement immédiat, il en a donné le
+ commandement sous ses ordres au général Rigaut, qui est ici. Le
+ général Allix, blessé de se le voir ôter, a fait de nouvelles
+ folies. Elles ont indisposé le roi qui lui a donné sa démission; cet
+ homme pourrait devenir notre perte; en ce moment, il est nécessaire
+ de l'écarter de toute influence politique.</p>
+
+<p>Aucun mouvement sérieux ni combiné n'a éclaté en Westphalie. Mais
+ nous sommes cernés partout. Un nouveau corps de 10,000 hommes avait
+ dirigé, dit-on, sa marche sur Cassel. Il l'a suspendue. Les cosaques
+ occupent toute l'autre rive de la Werra. Il en arrive des
+ patrouilles nocturnes jusqu'à quelques portées de fusil de la ville.
+ L'ennemi est devant Minden; on s'y est fusillé au pont, mais il ne
+ paraît pas assez nombreux.</p>
+
+<p>Que dire? que faire? Ah! si nous pouvions avoir un mot de S. M.
+ impériale. Nous savons du moins qu'elle se porte bien. Ma conduite
+ est simple. C'est de partager la destinée du roi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cassel, ce 25 octobre 1813.</p>
+
+<p>Le roi, décidé à quitter Cassel, soit à cause des inconvénients de
+ la guerre, soit à cause des embarras de l'administration auxquels il
+ ne peut remédier, informé en outre ce matin par le général Rigaut
+ que l'ennemi est réuni en force à Duderstadt, prendra demain la
+ route d'Arolsen et ensuite celle de Paderborn et de Lippstatt, au
+ lieu de la route de Wabern et de Marbourg qu'il était résolu de
+ prendre encore ce matin. Je précéderai S. M. de quelques heures,
+ surtout parce qu'avec ses troupes et à cheval elle prendra une route
+ peu praticable pour les voitures. Cette lettre partira après notre
+ départ et je l'écris au clair, parce qu'il serait possible que
+ lorsqu'elle rencontrera Votre Excellence, elle ne se trouvât pas à
+ portée de ses archives. Mon c&oelig;ur est oppressé, mais le courage et
+ la confiance ne m'ont point abandonné.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> <p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Arnsberg, dans le grand-duché de Darmstadt, 28 octobre 1813.</p>
+
+<p>J'envoie cette lettre sous le couvert de M. le duc de Valmy; et
+ comme, lorsqu'elle parviendra à Votre Excellence, vous aurez reçu
+ celles que, depuis notre retour à Cassel, je vous avais adressées
+ par l'entremise de M. d'Hédouville, je ne remonterai dans mon récit
+ qu'à la veille du second départ du roi de sa capitale. Ce ne sera
+ même qu'un très court résumé, en attendant la direction que Votre
+ Excellence me donnera pour les rapports qu'il me reste à lui faire.</p>
+
+<p>Dès que le roi eut appris par le colonel Lallemand les événements
+ militaires jusqu'au 18 et l'arrivée du prince de la Moskowa à
+ Buttelstadt, il se décida d'autant mieux à partir de Cassel, que
+ d'un côté il se sentait favorisé par l'embarras de ses finances
+ auquel il ne pouvait remédier, et que d'un autre côté les rapports
+ qu'il recevait mettaient hors de doute qu'un nouveau corps ennemi
+ aussi nombreux était en marche sur Cassel.</p>
+
+<p>Dans la matinée du 26, jour du départ, le canon fut distinctement
+ entendu à Cassel à deux et à six heures. À six heures, le roi partit
+ de Napoléonshöhe à cheval, précédé et entouré des troupes qu'il
+ avait désignées pour former sa garde, et qui étaient composées d'un
+ bataillon d'infanterie légère, de 2 à 300 grenadiers de la garde, de
+ 60 gardes d'honneur, d'une compagnie de cuirassiers, d'une de
+ dragons, tous Français, et d'environ cent gardes du corps,
+ Westphaliens.</p>
+
+<p>Les premières mesures avaient été prises pour se retirer par
+ Marbourg. Le roi préféra ensuite la route directe de Cologne ou de
+ Dusseldorf par les montagnes. Celle qui conduit de Napoléonshöhe à
+ Arolsen étant impraticable pour les voitures, le roi, comme je n'ai
+ pas l'habitude du cheval, m'engagea à prendre la route de poste et
+ me chargea de dire au prince de Waldeck qu'il désirait d'être reçu
+ sans cérémonie et de pouvoir être à Arolsen comme s'il était chez
+ lui. J'avouerai, Monseigneur, que je ne trouvai aucune difficulté à
+ porter la cour de Waldeck à se conformer aux désirs de S. M. Le roi
+ prétend savoir que, lors de la première apparition des Russes, le
+ prince a fait avec eux un traité de neutralité. Quoi qu'il en soit,
+ la peur de se compromettre et le malaise où l'arrivée du roi mettait
+ cette petite cour se sont montrés par plusieurs traits, dont
+ quelques-uns dans d'autres circonstances mériteraient d'être
+ relevés.</p>
+
+<p>Nous trouvâmes à Arolsen les ministres de Saxe et de Darmstadt. Le
+ premier, qui y était avec sa famille, paraissait décidé à ne point
+ retourner encore en Saxe, le second manifestait le désir de se
+ rendre promptement auprès de son maître.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> Le 27, le roi partit à 7 heures du matin par Jadsbrogne
+ pour Bridsove dans l'ancien duché de Westphalie, route de neuf à dix
+ lieues, par des chemins presqu'impraticables. Aujourd'hui, S. M. est
+ arrivée par Meschede à Arnsberg, capitale du même duché. Demain,
+ elle se rendra à Iserlohn, dans le grand-duché de Berg, sept lieues;
+ après demain, sept lieues, à Hagen, où elle attend ses équipages qui
+ viennent par Paderborn, Lippstadt et Hamm. Le 31, on ira à Lennep,
+ neuf lieues, et le 1<sup>er</sup> novembre à Cologne.</p>
+
+<p>Les trois journées depuis Cassel ont été fatigantes pour les
+ troupes, aussi l'infanterie est-elle restée à Meschede. Ce sera à
+ Hagen que les troupes se trouveront toutes réunies.</p>
+
+<p>Le roi n'a eu, à ma connaissance, de nouvelles directes de Cassel
+ que par une seule lettre du général Rigaut. Ce général n'avait plus
+ laissé d'avant-poste qu'à Liebenau; il comptait évacuer Cassel
+ aujourd'hui en se retirant par Paderborn; c'est par cette route que
+ s'est retiré tout ce qui n'a pas suivi le roi. Les ministres sont
+ partis comme nous, mardi 26, mais à six heures du soir. Le
+ lendemain, M. de Malartie est arrivé avec eux à Paderborn. Une
+ escorte de 250 hussards Jérôme-Napoléon les accompagnait; dès qu'ils
+ ont été passés, les paysans ont commencé à commettre des excès;
+ quelques Français ont été pillés.</p>
+
+<p>Le général Allix est parti pour la France.</p>
+
+<p>Le 25, le prince d'Eckmuhl était encore à Ratsbourg. Le 21, le
+ général Lauberdière était rentré à Bremen.</p>
+
+<p>J'expédierai, Monseigneur, cette lettre d'Iserlohn et j'y ajouterai,
+ s'il y a lieu, ce que la journée de demain pourra apporter de
+ remarquable.</p>
+
+<p>Le roi n'ayant reçu à Iserlohn aucune nouvelle et la poste n'étant
+ pas partie, je continue ma lettre d'ici, où S. M. est arrivée à
+ quatre heures du soir. Ses équipages l'avaient jointe à Hagen. Elle
+ avait fait à cheval, heureusement, par un temps assez beau, toute
+ cette route, où nous avons passé par les chemins les plus
+ abominables que j'aie jamais rencontrés.</p>
+
+<p>Le général Wolff et le colonel Verges, partis le 24 d'Eisenach d'où
+ ils ont encore ramené 50 cavaliers du beau régiment des
+ chevau-légers, sont arrivés aujourd'hui de Cassel, qu'ils avaient
+ quitté dans la matinée du 27. Alors tout y était calme; le général
+ Rigaut ne paraissait pas encore disposé à partir et l'ennemi, qui
+ s'était avancé contre lui, paraissait avoir pris une autre
+ direction.</p>
+
+<p>Le comte Beugnot est arrivé de Dusseldorf pour prendre les ordres du
+ roi. Ce matin encore, l'intention de S. M. était de se rendre
+ directement à Cologne; j'ignore si elle en a changé. Comme demain
+ les troupes doivent se réunir et se reposer à Elberfeld, il est
+ possible que le roi passe aussi la journée dans cette vallée si
+ remarquable par les <span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> enchantements que l'industrie et la
+ liberté du commerce y avaient produits.</p>
+
+<p>Le roi étant en correspondance suivie avec M. le duc de Valmy et ne
+ m'ayant pas prévenu de l'envoi de ses courriers ni de ses officiers,
+ dont l'un a été expédié au roi de Naples, je dois d'un côté supposer
+ Votre Excellence déjà instruite du voyage de S. M., et les cinq
+ jours depuis notre départ de Cassel s'étant passés en route, sans
+ événements et sans nouvelles, j'ai d'un autre côté jugé inutile de
+ prendre une voie extraordinaire pour vous transmettre des détails
+ sans intérêt.</p>
+
+<p>J'apprends à l'instant que M. le comte Beugnot est reparti
+ subitement pour Dusseldorf et qu'il doit revenir demain, j'en
+ conclus que le roi aura pris la résolution de partir pour
+ Dusseldorf, où il pourra en même temps très convenablement laisser
+ ses troupes.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Ce 31.</p>
+
+<p>M. le comte Beugnot est retourné hier à Dusseldorf, parce que dans
+ les circonstances actuelles et chargé de l'approvisionnement de
+ Wesel, il ne peut guère s'en absenter. Le roi passera la journée
+ ici. Il est un peu incommodé, mais demain il se rendra droit à
+ Cologne.</p>
+
+<p>J'ai reçu des nouvelles de M. de Malartie de Lippstadt. Il est parti
+ de Cassel le 26 après les ministres et après avoir mis ordre à tout
+ ce dont je l'avais chargé. Il a prouvé que si, lors de la première
+ surprise, il n'avait pas encore l'habitude du danger, il lui avait
+ été très facile de la prendre; et j'ai lieu d'être satisfait sous
+ tous les rapports de sa conduite.</p>
+
+<p>J'ai reçu aussi de M<sup>me</sup> la princesse de Detmold une lettre qui est
+ un document très convenable de son dévouement à la Bavière et à la
+ cause de S. M. l'empereur. Les deux officiers français dont j'ai
+ parlé à Votre Excellence, chargés d'organiser le contingent de la
+ Lippe et partis de Cassel le 20, ne sont arrivés à Detmold que le
+ 25. Votre Excellence pensera sûrement qu'en ce moment leur mission a
+ cessé d'être utile.</p>
+
+<p>Le roi paraît persuadé que le général Rigaut a évacué Cassel le 27.
+ S. M. craint qu'il ne se soit trop pressé.</p>
+
+<p>J'éprouverai, Monseigneur, un bonheur extrême en recevant les
+ premières nouvelles qui m'annonceront votre heureuse arrivée à
+ Mayence. J'attends soit à Cologne, soit auprès du roi, si S. M.
+ quitte cette ville, les ordres que vous aurez la bonté de me faire
+ parvenir.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cologne, le 3 novembre 1813.</p>
+
+<p>Le roi est arrivé à Cologne le 1<sup>er</sup> à quatre heures du soir; je l'ai
+ suivi de près. Hier sont arrivés les comtes de Höne, de Wolfradt, de
+ <span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> Marienrode, M. de Bongars, etc., qui avaient pris la route
+ de Paderborn. M. de Malartie, qui était avec eux, est arrivé ce
+ matin. Je viens de voir le roi après M. de Rumigny, auquel S. M.
+ était très impatiente de parler. Elle avait reçu hier une lettre de
+ M. le duc de Valmy, écrite au nom de S. M. impériale, et qui lui
+ annonçait que M. le duc de Tarente allait prendre le commandement
+ des troupes sur toute la ligne du Rhin depuis Mayence jusqu'à Wesel.
+ Le roi m'a dit qu'il attendrait certainement M. le maréchal à
+ Cologne, mais informé par M. de Rumigny que S. M. impériale partait
+ pour Paris, il m'a montré un grand désir de la suivre dès que M. le
+ duc de Tarente aurait pris le commandement. Ce sera une chose à
+ concerter entre S. M. et S. Exc.</p>
+
+<p>Quant à la mission de M. de Rumigny, il n'est que trop douteux s'il
+ pourra la remplir dans toute son étendue. Le roi m'a dit que le
+ général Amey, réuni au général Lauberdière, a quitté Minden, que les
+ avant-postes et l'arrière-garde du général Rigaut ont déjà été
+ attaqués par les Russes à Lippstadt, j'ignore quel jour,
+ probablement le 31, et que le prince d'Eckmuhl ayant demandé à se
+ retirer sur le Rhin, l'ennemi lui a répondu qu'il fallait se rendre
+ prisonnier. M. de Rumigny écrit en ce moment à Votre Excellence,
+ chez moi. Il continuera ensuite sa route par Wesel. Les affaires de
+ la conscription avaient conduit M. le préfet de la Roer à Cologne.
+ Le roi l'a trouvé ici. Les lettres dont M. de Rumigny est porteur
+ pour lui lui ont été remises. Il les a lues en notre présence, et à
+ chaque paragraphe il a dit que c'était fait.</p>
+
+<p>Le roi a congédié la plupart de ses gardes du corps qui l'avaient
+ suivi jusqu'à Cologne. Avant de quitter Cassel, il leur avait laissé
+ la liberté de le suivre ou de rester. Cependant en route, lorsqu'on
+ approchait du Rhin, plusieurs, même les officiers, avaient déserté.
+ Les Westphaliens qui restaient avaient demandé la permission de
+ retourner chez eux. Refusée d'abord, elle vient de leur être
+ accordée.</p>
+
+<p>Le roi attend décidément M. le duc de Tarente à Cologne. Si, comme
+ on nous l'assure, l'ennemi est à Montabaur, il est à craindre que M.
+ le maréchal ne s'arrête à Coblentz.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cologne, le 5 novembre 1813.</p>
+
+<p>Le roi est parti ce matin à neuf heures pour Aix-la-Chapelle. J'ai
+ vu S. M. hier en sortant d'une longue conférence qu'elle avait eue
+ avec M. le duc de Plaisance, qui était arrivé la veille et lui avait
+ porté une lettre de S. M. impériale. Il résulte de ce que le roi m'a
+ dit que S. M. impériale ne désire point qu'il choisisse le moment
+ actuel pour se <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> rendre à Paris, et qu'elle préfère que le
+ roi établisse sa résidence provisoirement dans l'un des quatre
+ départements du Rhin. Le roi, après avoir conféré avec M. le préfet
+ de la Roer, s'est décidé pour Aix-la-Chapelle. Dans le commencement
+ de sa conversation avec moi, S. M. disait qu'elle y passerait deux
+ ou trois jours; vers la fin, elle a parlé de trois semaines ou d'un
+ mois, et comme l'ordre a été donné d'y louer pour le roi une maison
+ entière, je ne doute point que son intention ne soit d'y attendre
+ les directions ultérieures de son auguste frère.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Bassano à Reinhard.</p>
+<p class="date">Mayence, le 4 novembre 1813.</p>
+
+<p>Je n'apprends qu'en ce moment que S. M. l'empereur a écrit de
+ Westphalie au roi par M. le duc de Plaisance, que son intention est
+ que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Save,
+ de la Roer ou du Rhin-et-Moselle et qu'elle y fasse venir la reine.
+ Les dispositions de S. M. à cet égard sont précises, et elle désire
+ que le roi ne s'en écarte point. Elles sont déterminées par des
+ considérations telles que si le roi ne s'y conformait pas,
+ l'empereur serait obligé de prendre, même envers sa personne, des
+ mesures pour en assurer l'exécution. S. M. juge convenable que vous
+ vous expliquiez avec le roi à ce sujet, en mettant dans cette
+ explication toutes les formes et tous les ménagements possibles. Le
+ but sera rempli si le roi est bien persuadé des intentions bien
+ positives de l'empereur.</p>
+
+<p>L'empereur a été également mécontent de ce que le roi a fait et de
+ ce qu'il n'a pas voulu faire. Il ne veut pas donner à Paris et à la
+ France le spectacle d'un roi détrôné qui, dans son malheur, n'a pas
+ la consolation d'avoir laissé des amis dans le pays qu'il a
+ gouverné. Il ne permet pas au roi de venir à Mayence. Le roi n'ayant
+ jamais voulu suivre les conseils de l'empereur ni faire aucune des
+ choses qui importaient si entièrement à son intérêt et à celui de sa
+ couronne, ses entrevues avec S. M. ne pouvaient, d'après de telles
+ dispositions, qu'être pénibles et sans objet.</p>
+
+<p>La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris, a déplu à
+ l'empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux
+ chagrins dans sa position actuelle, en faisant venir la reine près
+ de lui.</p>
+
+<p>S. M. a su récemment, et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement,
+ que la reine s'occupe avec des gens d'affaires à acheter pour le roi
+ des maisons de plaisance aux environs de Paris, et notamment le
+ château de Stains. D'après le statut de famille, un prince sur un
+ trône étranger ne peut rien posséder en France sans la permission de
+ l'empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Ils sont
+ d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement
+ comment un <span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span> roi dans sa position, et lorsque la France
+ n'est occupée que des sacrifices à faire pour soutenir l'honneur
+ national, se livre à des projets qui lui sont personnels.</p>
+
+<p>Ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, c'est que ni
+ le roi ni la reine ne fassent parler d'eux. Moins ils feront de
+ bruit, mieux cela vaudra. Le roi est à sa place dans un département
+ voisin de ses États. Il serait, par exemple, d'une manière très
+ convenable au château de Bruhl. La manière d'être la plus simple et
+ l'attitude la plus modeste sont les convenances impérieuses du
+ moment. S. M. fait sans doute une grande différence entre le roi de
+ Westphalie et le roi d'Espagne; cependant elle a voulu que ce
+ dernier ne vînt point à Paris, restât à Mortefontaine, n'y vît ni
+ les ministres, ni les sénateurs, ni aucun des fonctionnaires
+ publics, et se tînt dans l'incognito le plus complet.</p>
+
+<p>S. M. m'a ordonné d'entrer avec vous dans ces détails pour votre
+ gouverne. Elle a pour but que le roi sache bien à quels désagréments
+ il s'exposerait en s'écartant de ses volontés. Usez du reste de ces
+ communications avec prudence et pour prévenir des fautes contre
+ lesquelles S. M. devrait sévir; mais ayez soin de n'aigrir ni
+ humilier personne. S. M. s'en repose sur votre tact et votre
+ excellent esprit.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Cologne, le 6 novembre 1813.</p>
+
+<p>Le courrier qui m'a apporté les deux dépêches de Votre Excellence,
+ datées du 4, m'a trouvé à ma campagne, où j'étais allé ce matin avec
+ l'intention de revenir ce soir. Ma lettre d'hier vous aura informé,
+ Monseigneur, que le roi est parti hier pour Aix-la-Chapelle.
+ J'ajouterai qu'il avait envoyé le maréchal de sa cour pour y louer
+ une maison pour un mois, aux conditions dont il était convenu avec
+ M. le préfet du Roer et, comme il paraît, après avoir fait tomber M.
+ le duc de Plaisance d'accord avec lui sur la convenance de ce
+ séjour. Quant à la reine, le roi m'avait dit lui-même que S. M.
+ impériale lui avait écrit qu'il était le maître de la faire venir
+ auprès de lui s'il voulait.</p>
+
+<p>Ce qui m'importe le plus, Monseigneur, c'est d'être assuré que le
+ roi ne quittera pas Aix-la-Chapelle avant que je ne me sois acquitté
+ auprès de S. M. des ordres que j'ai reçus de Votre Excellence.
+ Malgré la certitude qui paraît résulter des données que je viens
+ d'exposer, je serais parti cette nuit même si M. le préfet de la
+ Roer, précédé d'un courrier, ne partait pas demain matin, et dans
+ l'impossibilité où je prévois que je serais d'aller plus vite que
+ lui, je suis convenu avec lui de lui remettre une lettre pour M. de
+ Furstenstein, que son courrier portera dès le moment de son arrivée,
+ et qui, je n'en doute point, produira l'effet que je désire, dans le
+ cas même, si improbable qu'il soit, où le <span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> roi, changeant
+ encore de résolution, aurait voulu quitter Aix-la-Chapelle
+ après-demain.</p>
+
+<p>Par ce moyen, je gagnerai la journée de demain pour remplir l'autre
+ commission dont Votre Excellence m'a chargé. Attendu la difficulté
+ de trouver des hommes propres aux genres d'informations que vous
+ demandez, je regrette infiniment de n'avoir pas reçu vos ordres
+ seulement deux fois vingt-quatre heures plus tôt. J'aurais alors pu
+ retenir quatre ou cinq gendarmes westphaliens, gens éprouvés et
+ Allemands, que le roi a congédiés et qui ont repassé le Rhin hier.
+ Je fais en ce moment prendre des informations pour connaître tous
+ les Westphaliens de cette classe, ou à peu près, qui peuvent encore
+ se trouver à Cologne. Je laisserai M. de Malartie ici pour suivre
+ cet objet pendant mon absence à Aix-la-Chapelle, où peut-être je
+ trouverai moi-même une partie de ce que je cherche.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, le 9 novembre 1813.</p>
+
+<p>Hier, après mon arrivée, je suis allé voir M. le comte de
+ Furstenstein; il me suffisait d'avoir encore honoré le roi. Je me
+ suis borné à dire à son ministre que les instructions de S. M. I.
+ étaient positives sur deux points: le premier que le roi élirait
+ pour sa résidence quelque château situé dans un des trois
+ départements de la Roer, de la Save et de Rhin-et-Moselle, et le
+ second que S. M. fit venir la reine auprès d'elle. M. de Furstentein
+ m'a dit que le roi me recevrait à son lever.</p>
+
+<p>Je m'y suis rendu, il n'y a point eu de lever. Le général Wolff
+ venait d'arriver de Mayence. À onze heures j'ai obtenu d'être
+ annoncé et le roi m'a fait dire qu'il me recevrait à une heure.</p>
+
+<p>Il est deux heures. Le roi m'a reçu avec une espèce de cérémonial.
+ Je suis entré en matière en lui disant exactement ce que j'avais
+ déjà dit à M. de Furstenstein; j'ai ajouté que, d'après ce que S. M.
+ m'avait dit elle-même, ce que renfermait la lettre de Votre
+ Excellence devait déjà en grande partie lui être écrit. Le roi m'a
+ répondu que quant au choix de sa résidence, le général Wolff, parti
+ de Mayence soixante heures après ma dépêche, lui avait porté des
+ propositions différentes, et qu'il lui était impossible de faire
+ venir la reine aux avant-postes. J'ai insisté sur les deux points;
+ j'ai dit que les instructions de S. M. I. à cet égard étaient
+ positives et dictées par des considérations de la plus haute
+ importance et que j'avais l'ordre de le déclarer. J'ai répliqué à
+ plusieurs observations que le roi avait faites, comme par exemple
+ qu'il était toujours souverain, et peut-être le seul souverain resté
+ fidèle, qu'on voulait attenter à sa liberté personnelle, aux droits
+ qu'un mari avait sur <span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> sa femme, etc. J'y ai répliqué,
+ dis-je, avec modération, et par des raisonnements fort aisés à
+ trouver, mais le roi s'est emporté de plus en plus.&mdash;«Au surplus,
+ a-t-il continué, c'est une affaire de famille entre l'empereur et
+ moi; et si l'empereur vous charge de me dire quelque chose,
+ adressez-vous à M. le comte de Furstenstein.»&mdash;«C'est à Votre
+ Majesté, ai-je dit, que j'ai été chargé de faire connaître les
+ volontés de l'empereur, et puisque c'est une affaire entre lui et V.
+ M., elle ne voudra pas y faire intervenir un tiers. Il me suffit au
+ reste que V. M. ait bien entendu la mission dont j'étais chargé, et
+ il ne me reste qu'à rendre compte de la réponse qu'elle vient de me
+ faire. Mais V. M. me permettra-t-elle de lui dire qu'il est
+ impossible que ce qu'elle a entendu de moi et ce qui est si
+ pleinement dans les convenances politiques et dans les vôtres, sire,
+ ait produit sur elle l'effet que je vois?»</p>
+
+<p>Alors le roi m'a dit: «Oui, j'ai le c&oelig;ur plein d'amertume et je
+ ne le montre qu'à vous. Je sais qu'on traite en ce moment de mon
+ royaume, qu'on en traite sans moi, et peut-être on l'a déjà cédé.
+ J'ai demandé comment le roi le savait. L'empereur l'a dit, ou à peu
+ près, au général Wolff, et je le sais encore par d'autres sources.
+ Comment l'empereur justifiera-t-il ce procédé envers un souverain et
+ frère si fidèlement dévoué, aux yeux de l'Europe?»&mdash;J'ai répondu
+ qu'aux yeux de l'Europe le roi ne pouvait jamais avoir raison contre
+ l'empereur, que supposé qu'il fût vrai, qu'il fallût céder, ce que
+ le frère de l'empereur perdait, l'empereur le perdait également, et
+ que c'était peut-être le moment de lui rappeler que dans d'autres
+ époques il m'avait souvent témoigné que la couronne lui pesait.</p>
+
+<p>Dans une autre occasion, je me suis permis de lui dire qu'en ce
+ moment S. M. ne devait pas s'étonner si S. M. I. considérait moins
+ ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Ce mot a
+ changé la tournure de la conversation.&mdash;«Oui, a dit le roi,
+ l'empereur est dans un moment malheureux; il est contrarié, je le
+ sens; aussi n'écrivez rien qui puisse déplaire. Je ne défends que
+ mes droits personnels.»&mdash;Quant aux propositions portées par le
+ général Wolff, le roi m'a parlé du château de Pont où S. M. I. lui
+ permettrait de se rendre lorsqu'il le demanderait. «Cette retraite,
+ m'a-t-il dit, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi, qui
+ préfère Aix-la-Chapelle; pour appeler la reine près de lui, c'est le
+ château de Laeken (près Bruxelles) qui réunit toutes les
+ convenances; jamais mon intention n'a été de me rendre en ce moment
+ à Paris, etc.»</p>
+
+<p>La poste me presse, Monseigneur, je n'ai ici ni estafette ni
+ courrier hors celui que m'offre le roi. Je réserve pour demain
+ plusieurs particularités.</p>
+
+<p>En résumé, je dois dire que le roi me paraît décidé à ne point faire
+ <span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> venir la reine à Aix-la-Chapelle. Quant au séjour de Pont,
+ ses objections m'ont paru faibles; mais j'ai écarté toute discussion
+ à ce sujet comme étant étrangère à ma mission.</p>
+
+<p>J'ai dit au roi tout ce qui pouvait se dire dans les limites de ma
+ mission et dans la situation actuelle de son âme. J'ai d'ailleurs pu
+ me convaincre que ce qu'il avait appris par d'autres sources ne lui
+ permettait point de se méprendre sur l'esprit de mes instructions et
+ qu'il n'ignorait pas même ce qui concerne la nécessité éventuelle
+ des mesures à prendre contre sa personne.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.</p>
+
+<p>À peine ma lettre de ce jour avait-elle été envoyée à la poste pour
+ Mayence, que le roi m'a fait appeler pour me dire qu'un de ses
+ courriers avait rencontré S. M. I. à Verdun, et qu'il lui avait
+ parlé. Il paraît que l'intention du roi est d'aller à Pont, comme
+ d'après ce que S. M. m'a dit hier. Elle en avait reçu la proposition
+ de S. M. l'empereur par le général Wolff. Quant à moi qui ne connais
+ que mes ordres, je ne puis faire autre chose que de les répéter au
+ comte de Furstenstein et de mettre sur sa responsabilité personnelle
+ ce qui pourrait se faire de contraire aux instructions de S. M. I.
+ dans une circonstance où le roi m'assure que des indications
+ postérieures qu'il a reçues de S. M. I. ont rendu mes instructions
+ superflues. Ce ministre sort de chez moi. Je dois rendre justice à
+ sa manière de voir, à ses alarmes, à ses efforts. Je porterai cette
+ lettre à S. M., qui est pressée d'envoyer son courrier; je la lui
+ lirai, je la conjurerai d'attendre au moins une lettre de son
+ auguste frère, qui ne saurait tarder. Dieu veuille que nous soyons
+ écoutés.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.</p>
+
+<p>Il était évident que le roi avait différé de me recevoir pour se
+ recueillir après les nouvelles que lui a portées le général Wolff et
+ pour prendre une détermination préalablement à son entretien avec
+ moi. Je me flattais qu'il aurait renoncé au château de Laeken et que
+ la seule question importante serait de savoir si S. M. I. consentait
+ à ce que le roi restât à Aix-la-Chapelle. Je ne prévoyais aucune
+ difficulté sur le voyage de la reine. M. de Furstenstein avait déjà
+ parlé à Cologne de la proposition d'habiter le château de Brühl.
+ Deux considérations importantes <span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span> ont empêché le roi de
+ l'occuper: l'une qu'il n'est qu'à la distance d'une petite lieue des
+ bords du Rhin, et qu'il aurait fallu une force armée pour mettre S.
+ M. à l'abri des incursions des partisans; l'autre que le château
+ n'est pas meublé et se ressent fortement de l'abandon total où l'a
+ laissé le prince d'Eckmuhl depuis qu'il en est possesseur. Si le roi
+ était venu l'habiter, ma maison de campagne, ancienne dépendance de
+ ce château, aurait servi d'avant-garde, et je me serais trouvé fort
+ heureux d'être le voisin et en quelque sorte le vassal de Sa
+ Majesté.</p>
+
+<p>Lorsque j'ai parlé au roi de quelque château dans les trois
+ départements indiqués et voisin de ses États, il m'a parlé de
+ châteaux voisins de Paris. «C'est précisément des châteaux voisins
+ de Paris que l'empereur ne veut pas que l'on habite en ce moment-ci.
+ L'empereur sait qu'on s'y occupe déjà des acquisitions de châteaux
+ pour V. M., ce qu'il trouve irrégulier à cause du statut de famille
+ et inconvenable dans les circonstances actuelles.»&mdash;«Le statut de
+ famille, me répondit le roi, n'a pas empêché le roi d'Espagne
+ d'habiter Mortefontaine.»&mdash;«Mais il l'aura acquis de l'agrément de
+ l'empereur et il l'habite sans voir personne et dans le plus grand
+ incognito; c'est même ce que je suis chargé de représenter à V.
+ M.»&mdash;«Sans voir personne? Le roi d'Espagne va seulement coucher
+ toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour
+ s'amuser. Jamais je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle: 500
+ cosaques peuvent arriver par Dusseldorf, rien ne les en empêche. La
+ place de la reine n'est pas aux avant-postes, tandis qu'à Laeken
+ elle est à quatre-vingts lieues du Rhin.» J'ai répondu que les
+ cosaques n'arriveraient point plus facilement à Aix-la-Chapelle qu'à
+ Laeken. «Oui, c'est comme quand on était à Dresde, on disait qu'ils
+ ne passeraient pas l'Elbe. Si l'empereur veut que je fasse venir la
+ reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'impératrice?»&mdash;«Parce que
+ l'impératrice est chez elle et que la reine est chez l'empereur,
+ qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut pas la recevoir
+ malgré lui.»&mdash;«Eh! bien, je lui ordonnerai d'aller chez elle; je la
+ suivrai, mais ce sera moi seul qui commanderai à ma femme. Je sais
+ que je suis sous la puissance du plus fort; mais on sait que j'ai du
+ caractère; je m'exposerai plutôt à une esclandre, et il faudra que
+ celui qu'on m'enverra pour me forcer soit bien ferme sur ses
+ étriers. Que l'empereur attende encore quinze jours, et il verra ce
+ qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois
+ des traîtres (comme ce roi de Suède) affermis sur leur trône, et moi
+ seul, constamment resté fidèle, je perds le mien. On m'a fait des
+ propositions pour rester à Cassel; je les ai rejetées; l'empereur le
+ sait, il l'a dit au général Wolff. (Si Votre Excellence a reçu ma
+ dépêche n<sup>o</sup> 527 du 22 septembre, elle y aura trouvé le récit d'une
+ conversation avec le roi qui semble s'y rapporter.) Je pourrais
+ passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes États, et
+ j'y serais <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> bien reçu!» Je me suis borné à répondre que S.
+ M. serait bien malheureuse séparée de l'empereur comme une branche
+ de son tronc<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a><a href="#footnote145" title="Lien vers la note 145"><span class="smaller">[145]</span></a>.</p>
+
+<p>C'est lorsque le roi me vantait les services qu'il avait rendus à S.
+ M. I. que je lui ai dit qu'en ce moment l'empereur considérait moins
+ ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Soit
+ adresse, soit promptitude, le roi a pris pour un assentiment ce qui
+ était un reproche, et je n'ai pas jugé convenable de contrarier le
+ changement de ton qui s'en est suivi.</p>
+
+<p>J'ai pensé, Monseigneur, qu'il importait à Votre Excellence de
+ connaître à fond les dispositions actuelles de l'âme du roi. Je puis
+ l'assurer qu'elle était telle antérieurement à sa conversation avec
+ moi; peut-être même était-ce son dessein de me la montrer exaltée;
+ d'ailleurs il s'est assez dit des paroles (le roi lisait des lettres
+ que lui a portées le général Wolff) pour m'expliquer ce qui se
+ passait en lui. Je l'ai laissé calme, écartant l'attitude du roi
+ vis-à-vis du ministre, parlant de son auguste frère avec des
+ expressions et des sentiments où j'ai retrouvé sa raison et son
+ c&oelig;ur et espérant tout d'un délai de quelques jours.</p>
+
+<p>Le roi me disait hier qu'il était toujours roi, toujours souverain.
+ «Souverain, ai-je répondu, V. M. ne l'est pas ici.»&mdash;«Oui, je le
+ suis ici, et même plus qu'à Cassel.» J'ai résolu de ne plus aller à
+ la cour que lorsque le roi me ferait appeler. Je me suis défendu à
+ Cassel de l'habitude des salons de service dont M. de Furstenstein
+ est le pilier. Il paraît qu'il a voulu me la faire prendre hier,
+ mais il me trouvera indocile. Ces petites considérations n'influent
+ certainement pas sur ma manière de traiter les affaires; mais depuis
+ Cologne les choses ont été poussées assez loin pour qu'il soit bon
+ que Votre Excellence en soit informée. La manière dont ce favori
+ était avec le roi pendant le dernier voyage était assez curieuse. Il
+ boudait visiblement à cause des disgrâces que le roi aurait fait
+ éprouver à son frère et à la famille de son frère; il prenait même
+ la liberté de contredire et d'aller quelquefois en voiture lorsque
+ le roi voulait impitoyablement qu'il allât à cheval. Le roi le
+ caressait en l'agaçant. Pendant les repas il lui lançait des
+ boulettes de pain; il l'appelait traître et perfide. Enfin la paix a
+ été faite.</p>
+
+<p>Il paraît que tous les officiers restés en arrière sont actuellement
+ réunis autour du roi. Les généraux Lajou, Zandt, comte de Wittenberg
+ et plusieurs autres officiers sont arrivés après avoir quitté le
+ <span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> général Rigaut à Elberfeldt. Ils espèrent tous d'entrer au
+ service de S. M. I. et je crois qu'en général l'acquisition sera
+ très bonne. Ce sont des Français, à l'exception de six ou huit
+ Allemands dont la fidélité a été éprouvée par les événements.</p>
+
+<p>De tous ces officiers, le seul qui m'ait paru jouer un rôle
+ maussade, c'est le capitaine-général de gardes.</p>
+
+<p>Le prince de Löwenstein, pauvre prince, pauvre mari, pauvre
+ officier, est auprès du roi en qualité de premier chambellan, à
+ cause de la princesse son épouse, seule dame à la suite de S. M. Le
+ comte de Furstenstein la craint, et il la dit très méchante, très
+ intéressée, et il peut avoir raison; il croit qu'il sera bien
+ difficile de l'éloigner du c&oelig;ur du roi, et en effet c'est la
+ seule femme de la cour qui se soit toujours conduite avec adresse et
+ en poursuivant un but qu'elle est parvenue à atteindre.</p>
+
+<p>Le roi a fait vendre à Cologne, au plus vil prix, un assez grand
+ nombre de chevaux, parmi lesquels était un bel attelage de six
+ chevaux qui ont été vendus pour 1,900 fr. On a vu avec regret que
+ dans ces ventes on avait compris les chevaux des gardes du corps,
+ que le roi renvoyait après leur avoir fait ôter leurs uniformes, que
+ plusieurs étaient hors d'état de remplacer par d'autres habits, et
+ sans leur faire payer la solde qu'il avait cependant touchée du
+ trésor. C'est désespérés de ce délaissement et se proposant de le
+ publier partout que ces jeunes gens sont partis.</p>
+
+<p>Le général Bongars est encore ici, quoique réduit à une parfaite
+ nullité. Il avait amené cinq gendarmes qu'il a été obligé de mettre
+ à la disposition du comte de Malsbourg, grand écuyer. J'en ai
+ demandé quelques-uns au roi, pour m'en servir pour la commission
+ dont Votre Excellence m'a chargé. Le roi me les a refusés, disant
+ qu'il en avait besoin pour escorter ses bagages. Toutes les
+ communications entre les deux rives du Rhin étant déjà à peu près
+ rompues, je crains que M. de Malartie ne trouve beaucoup de
+ difficultés pour remplir les vues de Votre Excellence. Les
+ correspondances de commerce sont les meilleures; je lui ai indiqué
+ quelques maisons, mais je me suis convaincu qu'il vaudra mieux
+ profiter des nouvelles qu'elles reçoivent pour leur compte que
+ d'effaroucher leur pusillanimité en leur demandant des services
+ directs. M. le duc de Tarente m'a promis aussi de faire connaître à
+ M. de Malartie ce qui parviendrait à sa connaissance. Ici nous
+ sommes sans nouvelles, le roi lui-même n'en a point.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au duc de Bassano.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p>
+
+<p>Je viens de recevoir un billet officiel de M. le comte de
+ Furstenstein <span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> qui me prévient que le roi partira cette nuit
+ pour Pont-sur-Seine. J'ai l'honneur d'en transmettre la copie à
+ Votre Excellence, ainsi que celle de ma réponse. C'est tout à fait
+ malgré moi que j'ai écrit dans cette circonstance pénible et
+ délicate, mais le roi m'y a forcé. Si je n'eusse pas répondu au
+ billet de M. de Furstenstein, il aurait pris tout ce qui s'était
+ passé verbalement pour de vaines paroles. Il a fallu employer pour
+ le retenir, s'il était possible, le seul moyen qui me restait.</p>
+
+<p>Voilà, Monseigneur, ma mission terminée. Peut-être les circonstances
+ nouvelles justifieront-elles l'impatience du roi. Mais il est
+ malheureux qu'il n'ait pas voulu sentir ce qu'il devait au moins aux
+ apparences pour montrer le prix qu'il mettait à sa couronne. C'est
+ là encore ce que je m'étais efforcé de lui représenter; mais,
+ pénétré de l'idée qu'on traitait de la cession de son royaume, il
+ s'est surtout irrité, non contre la proposition de résider dans un
+ des trois départements désignés, mais contre le motif comme étant
+ voisin de ses États.</p>
+
+<p>Je n'ai rien à ajouter à ma lettre d'hier. Je ne prendrai pas congé
+ du roi, à moins que S. M. ne me fasse appeler.</p>
+
+<p><i>P. S.</i>&mdash;J'apprends par le ministre de la guerre (car je ne suis
+ point allé aujourd'hui à la cour et je n'ai point vu M. de
+ Furstenstein) que le roi laisse ici sa maison avec tous les
+ services, sous la direction de M. le comte Marienrode (Malchus).</p>
+
+<p>Le nombre des officiers venus avec le roi ou venus le joindre, et
+ devant toucher leur solde, est de quatre-vingt-treize. Ils seront
+ tous payés jusqu'au 1<sup>er</sup> novembre. M. Höne estime à soixante-dix le
+ nombre de ceux qui demanderont à servir en France.</p>
+
+<p>On attendait aujourd'hui les ennemis à Deutz, vis-à-vis de Cologne.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Copie du billet de M. de Furstenstein.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de prévenir V. Exc. que le roi mon maître se mettra
+ en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine,
+ appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé
+ convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a><a href="#footnote146" title="Lien vers la note 146"><span class="smaller">[146]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Reinhard au comte de Furstenstein.</p>
+<p class="date">Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.</p>
+
+<p>Je viens de recevoir le billet que V. Exc. m'a fait l'honneur de
+ <span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> m'écrire pour me prévenir que S. M. le roi se mettra en
+ route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine
+ appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé
+ convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur. Après les
+ communications verbales que j'ai eu à faire à V. Exc. et après la
+ connaissance que j'ai eu l'honneur de donner directement à S. M. des
+ intentions de l'empereur mon maître, il ne me reste qu'à répéter que
+ les volontés de S. M. I., telles que M. le duc de Bassano me les a
+ fait connaître par une dépêche du 4 novembre envoyée par courrier,
+ sont positives sur deux points; le premier que S. M. s'établisse
+ dans un château des départements de la Sarre, de la Roer ou du
+ Rhin-et-Moselle; et le second qu'elle y fasse venir la reine. Cette
+ dépêche ajoute que les intentions de S. M. impériale sont
+ déterminées par des considérations telles que, si le roi ne s'y
+ conformait pas, l'empereur serait obligé de prendre des mesures pour
+ en assurer l'exécution.</p>
+
+<p>Mon devoir, Monsieur le comte, se bornait à faire bien entendre à S.
+ M. que telles sont les volontés de son auguste frère. Je ne puis
+ m'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications
+ directes que le roi a pu recevoir depuis. Après avoir satisfait,
+ dans cette circonstance pénible, autant qu'il était en moi, à ma
+ responsabilité et à ma conscience, il ne me reste qu'à rendre compte
+ à mon gouvernement de la détermination que le roi a prise.</p>
+</div>
+
+<p>Le brusque départ de Jérôme de l'armée en 1812, après l'ordre secret
+de l'empereur dont le prince d'Eckmülh s'était si brutalement
+prévalu, avait irrité Napoléon contre son frère au point de
+l'empêcher d'avoir pour lui les mêmes égards qu'autrefois.</p>
+
+<p>Les lettres du baron Reinhard, empreintes d'une grande vérité, ses
+rapports secrets n'étaient pas de nature à ramener l'harmonie entre
+les deux frères. Napoléon n'écrivait plus que très rarement, et pour
+les affaires de politique et de guerre, à Jérôme. Il lui refusait
+les moyens de soutenir, de sauver la Westphalie, ne s'attachant qu'à
+la conservation des places-fortes (comme celle de Magdebourg) qui
+pouvaient jouer un grand rôle dans son système.</p>
+
+<p>À la fin de 1813, la désobéissance du roi aux ordres qu'il lui avait
+fait donner par le duc de Bassano pour sa résidence, ordres dont
+Jérôme s'était affranchi, malgré tout ce qu'avait pu faire et écrire
+l'empereur, le froissa de plus en plus. Les choses en arrivèrent à
+ce point que ce dernier ne voulut recevoir à Paris ni son frère ni
+la reine Catherine, qu'il aimait et estimait beaucoup.</p>
+
+<p>Jérôme partit d'Aix-la-Chapelle avec quelques personnes de sa
+<span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span> suite le 11 novembre 1813, malgré les représentations du
+baron Reinhard, pensant bien que Napoléon n'userait pas de violence
+pour le retenir. Il passa quelques instants au château de
+Pont-sur-Seine chez Madame Mère et rejoignit sa femme chez le roi
+Joseph, au château de Mortefontaine, près Senlis.</p>
+
+<p>Le 29 novembre, il fit demander à l'empereur de le recevoir.
+L'empereur refusa. Alors Jérôme, qui avait fait l'acquisition du
+joli château de Stains, près Saint-Denis, une des causes, on l'a vu,
+qui avaient mécontenté l'empereur, fut avec sa femme y fixer sa
+résidence.</p>
+
+<p>Napoléon quitta Paris pour se rendre à l'armée. L'impératrice
+Marie-Louise lui ayant témoigné le désir de voir Jérôme, il lui
+défendit de recevoir le roi et la reine de Westphalie. L'impératrice
+adressa le 4 février 1814 à Joseph, lieutenant-général du royaume,
+la lettre ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Paris, 4 février 1814.</p>
+
+<p>Mon cher frère, je reçois à l'instant une lettre de l'empereur du 2
+ qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun
+ prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public ni
+ incognito.</p>
+
+<p>Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les
+ regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la
+ sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli">Votre affectionnée s&oelig;ur,</span><br>
+Signé: <span class="smcap">Louise</span>.</p>
+
+</div>
+
+<p>Joseph, ayant demandé à Napoléon quelques jours plus tard de lui
+faire connaître ses intentions à l'égard de Jérôme, reçut la lettre
+suivante:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Nogent-sur-Seine, le 21 février 1814.</p>
+
+<p>Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je
+ l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation
+ que je donne à tous les princes français; vous le ferez connaître au
+ roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme
+ hollandais. Le roi Jérôme donnera des congés à toute sa maison
+ westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester
+ en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou
+ quatre aides-de-camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans,
+ tous Français; et pour la reine deux ou trois dames françaises pour
+ l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa
+ dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des
+ lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais.
+ Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen
+ et l'autre tiers au lycée de Paris. <span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span> Immédiatement après,
+ le roi et la reine seront présentés à l'impératrice et j'autorise le
+ roi à habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle
+ lui appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine
+ continueront à porter le titre de roi et de reine de Westphalie,
+ mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi
+ se rendra à mon quartier-général, d'où mon intention est de
+ l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département
+ et de l'armée, si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux
+ avant-postes, de n'avoir aucun train royal, aucun luxe; pas plus de
+ quinze chevaux; de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas
+ un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé.&mdash;J'écris au
+ ministre de la guerre et je lui ferai donner des ordres. Il
+ pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa
+ maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de
+ cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de
+ selle; un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou
+ trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il
+ faut qu'il fasse de bons choix d'aides-de-camp; que ce soient des
+ officiers qui aient fait la guerre et puissent commander des
+ troupes, et non des hommes sans expérience comme les <i>Verduns</i>, les
+ <i>Brugnères</i> et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait
+ tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le ministre de la
+ guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.</p>
+
+<p class="sig">Votre affectionné frère.</p>
+</div>
+
+<p>La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements pendant le
+mois de mars 1814 empêcha sans doute Jérôme de se rendre à l'armée
+de Lyon. Il se trouvait encore à Paris lors du départ de
+l'impératrice pour Blois le 29 mars. Il la suivit, ainsi que
+Catherine qui ne voulut pas la quitter, et n'abandonna Marie-Louise
+que quand cette princesse se fut remise elle-même avec le roi de
+Rome aux mains de son père l'empereur d'Autriche, à Orléans, le 9
+avril. Le 10, la reine Catherine revint à Paris pour voir le prince
+royal de Wurtemberg, son frère, qui, à Cassel, avait été comblé par
+elle et par son mari. Le prince ne voulut pas la recevoir, et le
+vieux roi leur père fit demander à Catherine par son ambassadeur, le
+comte de Wintzingerode, d'abandonner son mari. Indignée d'une telle
+proposition, la reine répondit par un refus énergique à cette
+singulière ouverture.</p>
+
+<p>Elle ne trouva un bon accueil qu'auprès de son parent l'empereur
+Alexandre. La proposition du roi de Wurtemberg à sa fille ayant fait
+comprendre à cette vertueuse princesse ce que l'on tramait contre
+<span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> elle et contre son mari, elle ne songea plus qu'à
+rejoindre ce dernier. Jérôme de son côté partit pour la Suisse et de
+là gagna Trieste, dans les États autrichiens. La reine Catherine
+quitta l'hôtel du cardinal Fesch dans la nuit du 17 au 18 avril,
+accompagnée du comte de Fürstenstein et de la comtesse de Bocholz.
+Des voitures de suite portaient ses domestiques et ses bagages. Elle
+se dirigea vers Orléans. Arrivée la nuit à Étampes, elle y trouva un
+message de son mari la prévenant que, menacé par le parti royaliste,
+il avait cru prudent de s'éloigner au plus vite et qu'il se rendait
+à Berne, où il lui donnait rendez-vous. Catherine continua sa route.</p>
+
+<p>En passant à Dijon, elle rencontra l'empereur conduit à l'île
+d'Elbe, y reçut ses derniers embrassements et gagna Nemours le 21.
+Le 22 avril, en arrivant au relai de Frossard, elle fut arrêtée et
+complètement dévalisée par le marquis de Maubreuil, l'ancien
+officier aux chevau-légers westphaliens, l'ancien écuyer du roi
+Jérôme, l'amant de Blanche Carrega. Forcée de revenir une fois
+encore à Paris, la malheureuse princesse ne put se réunir que plus
+tard à son mari.</p>
+
+<p>Tous deux se trouvaient à Trieste avec le jeune prince dont la reine
+venait d'accoucher (frère aîné de la princesse Mathilde et du prince
+actuel Jérôme-Napoléon) lorsqu'on apprit dans cette ville, au mois
+de mars 1815, le débarquement de l'empereur sur les côtes de France
+et son retour à Paris.</p>
+
+<p>Trompant la surveillance de la police autrichienne, Jérôme, décidé à
+rejoindre à tout prix son frère, s'embarqua sur un petit navire, et
+à la suite de mille dangers, après avoir vu Murat à Naples, il
+parvint auprès de Napoléon qui, cette fois, l'accueillit avec
+bienveillance et lui donna le commandement de la 6<sup>e</sup> division (2<sup>e</sup>
+corps, général Reille) par une décision impériale en date du 3 juin.
+Le général de division Guilleminot, un des meilleurs officiers
+d'état-major de l'armée, fut désigné pour remplir les fonctions de
+chef d'état-major de la division Jérôme. L'ex-roi de Westphalie
+reçut deux jours plus tard la lettre suivante de Napoléon:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Au prince Jérôme.</p>
+<p class="date">Paris, 5 juin 1815.</p>
+
+<p>Mon frère, j'ai reçu votre lettre; je ne puis pas consentir à ce que
+ vous paraissiez à l'armée française entouré d'Allemands. De tous
+ ceux <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> qui sont avec vous, vous n'en pouvez conserver qu'un
+ qui sera votre écuyer<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a><a href="#footnote147" title="Lien vers la note 147"><span class="smaller">[147]</span></a>. Je leur donnerai des grades et des
+ traitements en France. Envoyez au ministre de la guerre leurs états
+ de service. Vous aurez un maréchal de camp pour premier
+ aide-de-camp, et deux chefs de bataillon et quatre capitaines pour
+ aides-de-camp; vous n'avez pas besoin d'officiers d'ordonnance.</p>
+</div>
+
+<p>Après la bataille de Waterloo (18 juin), pendant laquelle le prince
+Jérôme déploya une grande énergie et la plus brillante valeur, ce
+prince, fortement contusionné par une balle, fut un instant investi
+par son frère du commandement en chef des débris de l'armée, dont il
+rallia quelques tronçons. Il vint ensuite à Paris. Là, traqué,
+recherché, il fut sauvé par Fouché, ministre de la police, qui,
+sachant le danger qu'il courait et étant lié avec lui, lui procura
+les moyens de passer à l'étranger et de rejoindre la reine.</p>
+
+<p>De la fin de 1815 à la fin de 1847, Jérôme resta en exil
+quasi-prisonnier tantôt en Wurtemberg, tantôt sur le sol autrichien,
+puis dans les États pontificaux, enfin à Florence, en Suisse et en
+Belgique. Sa femme lui donna une fille (la princesse Mathilde) en
+1820 et un fils (le prince Napoléon-Jérôme) en 1823. Il blâma la
+conduite de ses neveux les deux fils du roi Louis dans l'affaire des
+Romagnes contre le pape, de qui sa famille avait reçu le plus
+sympathique accueil.</p>
+
+<p>Voici, relativement à cette affaire, quatre lettres qui nous ont
+paru intéressantes. Elles sont adressées par Jérôme à ses neveux les
+princes Napoléon et Louis (ce dernier depuis l'empereur Napoléon
+III), au roi Louis leur père, à la reine Hortense et à la duchesse
+de Rovigo, avec laquelle l'ex-roi était resté en relation
+épistolaire.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme aux princes Napoléon et Louis.</p>
+<p class="date">Rome, 25 février 1831.</p>
+
+<p>Mes chers neveux, cette lettre vous sera remise par le baron de
+ Stölting, qui vous entretiendra de toute la position actuelle. C'est
+ avec le plus profond chagrin que j'ai appris qu'envisageant mal
+ votre position et celle de toute votre famille, vous vous êtes
+ laissé entraîner au milieu du mouvement. Que dirait l'empereur s'il
+ pouvait voir ses neveux, destinés <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> à être un jour le
+ soutien de sa dynastie, payer l'asile que le saint-père accorde à
+ toute sa famille en s'armant contre ce même souverain et en
+ compromettant ainsi le sort de ses parents!</p>
+
+<p>Songez, mes chers neveux, au chagrin, à l'affliction de votre père
+ et mère, de votre respectable grand'mère, si vous persistiez dans
+ une démarche où un moment d'enthousiasme a pu vous entraîner, mais
+ que la raison comme la politique vous font une loi d'abandonner.</p>
+
+<p>Je vous en conjure, écoutez la voix d'un vieux soldat et d'un oncle
+ qui vous aime comme ses propres enfants et qui ne vous conseillerait
+ pas une démarche contraire à l'honneur ni à votre caractère d'homme.</p>
+
+<p>Songez que ce n'est que de cette manière que vous devez entrer dans
+ la carrière des armes; le temps viendra peut-être où vous pourrez le
+ faire avec honneur, et alors, si vous persistiez dans votre
+ démarche, vous vous ôteriez tout moyen de reparaître un jour sur la
+ scène politique avec honneur, et vous vous attireriez la malédiction
+ de vos parents.</p>
+
+<p>Adieu, mes chers neveux, je nourris l'espoir que vous ne vous
+ refuserez pas à suivre les conseils d'un oncle qui vous chérit
+ tendrement.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme au comte de Saint-Leu.</p>
+<p class="date">Rome, 26 février 1831.</p>
+
+<p>Mon cher frère, aussitôt que M. Bressieux m'a rendu compte de la
+ position de vos enfants à Spoletto, je n'ai pas balancé à faire une
+ démarche que vous eussiez faite à ma place pour mes enfants. Je me
+ suis, sans perdre de temps, rendu chez le pape et le secrétaire
+ d'État; j'ai été vraiment touché de la manière dont Sa Sainteté et
+ son ministre ont envisagé la question; ils étaient non seulement au
+ courant de tout, mais encore m'ont appris que le prince Louis avait
+ eu la veille un petit engagement à Otricoli, et que le fils du
+ prince de Canino s'était enfui de la maison paternelle.</p>
+
+<p>J'ai représenté à S. S. que les princes se rendaient au-devant de
+ leur mère, lorsqu'à Peruggia, ils ont été reconnus et se sont laissé
+ entraîner par l'enthousiasme populaire, mais sans préméditation de
+ leur part ni sans plan arrêté, puisqu'ils se trouvent manquer des
+ objets les plus nécessaires. J'ai prié S. S. de me donner des
+ passeports pour le baron de Stölting, que j'ai expédié sur-le-champ
+ avec une lettre pour les princes que vous trouverez ci-jointe, ainsi
+ que pour les colonels Armandi et Sircognani que je connais
+ particulièrement. Je fais remettre en même temps aux princes les
+ fonds nécessaires pour retourner à Florence, ayant appris par M.
+ Bressieux qu'ils en étaient dépourvus.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> J'espère, mon cher frère, avoir rencontré votre approbation
+ en accomplissant ce que j'ai considéré comme mon devoir, quelle
+ qu'en puisse être l'issue. Le cardinal a écrit une lettre dont le
+ baron de Stölting a été également chargé.</p>
+
+<p>Madame, qui est très affligée de ce qui se passe, me charge de vous
+ dire qu'elle n'écrit pas par ce courrier, mais que sa santé est
+ bonne.</p>
+</div>
+
+<p>Le prince Jérôme écrit le même jour à la reine Hortense deux mots
+dans le même sens.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à la duchesse de Rovigo.</p>
+<p class="date">Rome, 15 mars 1831.</p>
+
+<p>..... Les troupes du pape sont à Civita-Castellana au nombre de
+ 2,000 hommes, que l'on peut compter comme autant de troupes pour les
+ constitutionnels. L'enthousiasme depuis Bologne jusqu'à Otricoli est
+ incroyable; s'il y avait des armes, déjà 60,000 hommes seraient en
+ ligne.</p>
+
+<p>Vous serez bien étonnée, chère duchesse, de savoir que c'est ce même
+ Sircognani que vous ayez vu si souvent faire votre partie d'écarté
+ qui est le héros du jour. C'est lui qui fait trembler Rome et qui,
+ probablement avant une dizaine de jours, y entrera. On aime le
+ saint-père, qui le mérite sous tous les rapports; mais on exècre le
+ gouvernement des prêtres, lesquels, s'ils venaient à triompher,
+ commettraient les plus horribles cruautés. Pendant un instant qu'ils
+ ont cru à l'entrée des Autrichiens, ils ne parlaient que de pendre,
+ fusiller et confisquer. Qu'arrivera-t-il de tout cela, Dieu seul le
+ sait!</p>
+
+<p>Quant à moi, je me tiens absolument éloigné de tout ce mouvement et
+ suis un observateur impartial, qui voit, entend et juge sans jamais
+ émettre une opinion. Lorsque le temps viendra de se montrer avec
+ honneur, ce ne sera jamais que comme Français, d'autant plus qu'il
+ m'est clairement démontré que c'est à notre belle patrie que chacun
+ en veut. J'espère qu'elle sortira triomphante de cette lutte et
+ apprendra au monde que c'est elle qui doit donner la loi et non la
+ recevoir.</p>
+
+<p>La mère de mes neveux (la reine Hortense) s'est rendue à Bologne
+ pour les conduire en Suisse.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Jérôme à la duchesse de Rovigo.</p>
+<p class="date">Rome, 31 mars 1831.</p>
+
+<p>C'est avec un bien vif chagrin que vous et votre famille aurez
+ appris <span class="pagenum"><a id="page484" name="page484"></a>(p. 484)</span> la mort de notre cher Napoléon; il a expiré à Forli
+ le 17, par suite d'une rougeole méconnue. Son frère le prince Louis
+ seul était auprès de lui, sa malheureuse mère n'étant arrivée que le
+ lendemain. Elle est à Ancône avec le seul fils qui lui reste; où
+ ira-t-elle? je l'ignore. Depuis un mois, les communications directes
+ avec les Marches étant interrompues, c'est par suite de tous ces
+ troubles que les lettres de Pompeï ne vous seront pas parvenues.</p>
+
+<p>Les insurgés se sont battus contre les Autrichiens devant Forli avec
+ quelque avantage; ils ont fait une capitulation avec le cardinal
+ Benvenuti qui se trouve à Ancône, mais cette capitulation n'a pas
+ été ratifiée. À Modène, on fusille, on pend, on exile, on confisque.
+ Le pape, qui est bon, voudrait accorder un pardon entier, mais il y
+ a des cardinaux tellement énergumènes que l'on peut douter si le
+ pape et son secrétaire d'État pourront faire ce qu'ils désirent tous
+ deux, pardonner.</p>
+
+<p>Les constitutionnels sont exaspérés contre la France, qui les a
+ sacrifiés, à ce qu'ils disent. Le fait est qu'il ne reste guère à
+ cette armée d'insurgés qu'à se faire tuer, si l'on n'intervient en
+ leur faveur, au moins en négociation. Quant à moi, je soupire après
+ ma patrie, car il est affreux de ne savoir sur quoi ni sur qui
+ s'appuyer.</p>
+</div>
+
+<p>Dans une lettre du 12 avril au duc de Rovigo, le roi écrit: «Il est
+certain que le fameux Sircognani a trahi les siens pour 10,000
+piastres et un passeport; on assure qu'Armandi et Bussy en ont fait
+autant et ont sacrifié ce malheureux Zucchi qui s'est fié à de
+pareilles canailles. Du reste, ils n'ont que ce qu'ils méritent.»</p>
+
+<p>Jérôme, comme ses frères Joseph et Louis, n'approuva pas les coups
+de tête de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne. Il
+ne cessa, surtout depuis la révolution de Juillet et la mort de la
+reine (29 novembre 1835 à Lausanne), de revendiquer ses droits de
+Français et l'autorisation de rentrer dans sa patrie.</p>
+
+<p>Il obtint enfin de revenir à Paris à la fin de 1847 et allait
+recevoir une rente viagère de cent mille francs, lorsque la
+révolution de 1848 jeta hors de France la dynastie de Juillet.</p>
+
+<p>L'ex-roi Jérôme et son fils s'empressèrent d'envoyer au gouvernement
+provisoire leur adhésion à la République.</p>
+
+
+<h3><span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> <span class="smcap">Conclusion.</span></h3>
+
+<p>Nous avons dit que pendant sa longue carrière, si mouvementée, si
+singulière, le dernier des frères de Napoléon I<sup>er</sup> semble avoir été
+condamné par le destin à des vicissitudes plus extraordinaires
+encore que celles des autres frères de Napoléon.</p>
+
+<p>Depuis l'abandon de ses États en 1813, il avait passé par toutes les
+phases du malheur, conservant toujours une certaine dignité et de la
+générosité dans le caractère. La révolution de 1848 allait le faire
+remonter aux plus hautes dignités.</p>
+
+<p>Son neveu le prince Louis-Napoléon ayant été élu président de la
+République, Jérôme devint un des principaux personnages de l'État,
+et pour que rien ne parût manquer à l'originalité de cette destinée
+unique de l'ancien souverain, il occupa, pendant les douze ans qui
+s'écoulèrent de 1848 à l'époque de sa mort en 1860, les positions
+les plus bizarres.</p>
+
+<p>Le président lui rendit son grade de général de division, grade
+auquel il avait été nommé en 1806, il y avait quarante-deux ans, en
+sorte qu'il devint le plus ancien divisionnaire des armées
+européennes. Il eut ensuite le poste de gouverneur des Invalides,
+gardien des cendres de son frère déposées à l'hôtel des vieux
+soldats. Quelques mois plus tard, le prince Louis, cédant aux
+suggestions d'un membre de la famille Bonaparte et croyant être
+agréable à son oncle, lui envoya le bâton de maréchal de France. À
+la formation du Sénat, il eut la présidence de ce premier corps de
+l'État.</p>
+
+<p>Ainsi, de roi, Jérôme était devenu général, maréchal, sénateur.
+Singulières transformations pour une tête couronnée!</p>
+
+<p>Marié régulièrement à une noble Florentine, la marquise Bartholini,
+qui vint habiter avec lui en France, il se trouvait avoir eu trois
+femmes, dont deux existaient encore.</p>
+
+<p>Lorsque le prince Louis mit la couronne sur sa tête, Jérôme devint
+prince impérial et fut placé sur les marches du trône. Il reçut à
+Paris son fils et son petit-fils Messieurs Patterson Bonaparte, que
+l'empereur Napoléon III avait appelés en France et dont le dernier,
+<span class="pagenum"><a id="page486" name="page486"></a>(p. 486)</span> beau et brillant jeune homme, entra dans notre armée où il
+ne tarda pas à se distinguer.</p>
+
+<p>Enfin, avant sa mort, Jérôme fit un voyage en Bretagne, revit la
+baie de Concarneau, dîna dans la ville de pêcheurs, ayant à ses
+côtés la mère du matelot (Furic) qui avait sauvé le vaisseau <i>le
+Vétéran</i>, à laquelle il assura une pension sur sa cassette
+particulière. Il put assister au mariage de l'empereur, à la
+naissance du prince impérial et à l'union de son fils avec la
+vertueuse princesse Marie-Clotilde.</p>
+
+<p>Enfin, dernier bonheur, il put voir la France impériale redevenue la
+puissance prépondérante du monde, après les guerres d'Orient et
+d'Italie, et il échappa à la douleur d'assister à ses défaites de
+1870 ainsi qu'à la chute de sa dynastie par la mort de Napoléon III
+et du jeune prince impérial.</p>
+
+<p>Certes, nous le répétons, jamais destinée ne fut plus singulière que
+celle de cet homme dont le caractère offre un si étrange mélange de
+défauts et de qualités, et qui, malgré ses fautes, montra en mainte
+occasion un caractère fier et chevaleresque.</p>
+
+
+
+
+<h2><span class="pagenum"><a id="pageib" name="pageib"></a>(p. i)</span> APPENDICE<br>
+
+
+<span class="smaller">CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE<br>
+
+RELATIVE À LA HOLLANDE<br>
+
+PENDANT LE RÈGNE DU ROI LOUIS<br>
+
+De juin 1806 à juillet 1810.</span></h2>
+
+
+<h3><span class="smcap">Année 1806.</span></h3>
+
+<p>Cette correspondance étant très volumineuse, nous l'avons analysée
+en partie, principalement celle de 1806 à 1808, ne donnant <i>in
+extenso</i> que les pièces importantes. Cette correspondance eut lieu
+entre M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des affaires
+étrangères de France, le général Dupont-Chaumont, puis le comte de
+la Rochefoucauld, tous deux ministres de famille de l'empereur
+auprès du roi Louis; l'amiral Werhuell, ambassadeur du roi de
+Hollande à Paris; M. de Roëll, ministre des affaires étrangères de
+Hollande, et en 1810 avec le maréchal duc de Reggio, commandant
+l'armée du Nord.</p>
+
+<p>Dans sa première lettre, datée du 15 juin 1806, Dupont-Chaumont fait
+part au duc de Cadore des dispositions bienveillantes, pour le roi
+Louis et la reine Hortense, du corps diplomatique. «L'esprit public,
+dit-il, un peu étonné d'abord de la promptitude des événements,
+commence à revenir, la population vit en bonne intelligence avec le
+soldat français. Une garde d'honneur s'organise pour recevoir Leurs
+Majestés.» Le 23 juin, Dupont envoie des détails sur cette
+réception. Bientôt l'ambassadeur ayant obtenu un congé pour <span class="pagenum"><a id="pageiib" name="pageiib"></a>(p. ii)</span>
+venir en France, M. Serrurier, chargé d'affaires, prend l'intérim.
+Le 29 juillet, l'empereur écrit de Paris à son frère la première
+lettre de reproche ci-dessous.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Saint-Cloud, 29 juillet 1806.</p>
+<p class="adresse">Au roi de Hollande.</p>
+
+<p>Je lis dans les journaux que vous suspendez toute exécution à mort
+ dans votre royaume. Si cela est, vous avez fait une grande faute. Du
+ droit de faire grâce ne dérive pas la nécessité de reviser tous les
+ procès. C'est une manie d'humanité déplacée. Le premier devoir des
+ rois, c'est la justice.</p>
+</div>
+
+<p>Dans une lettre du 10 août, Serrurier fait connaître au ministre le
+désir des Hollandais d'un accroissement de territoire, et, dans une
+autre en date du 14, il raconte la tentative d'insoumission d'un
+bâtiment de la flotte hollandaise, lorsque le serment de fidélité au
+nouveau roi a été exigé des matelots. Le 17 septembre, le duc de
+Cadore reçoit une note sur la composition de l'armée hollandaise,
+forte de 12 à 15,000 combattants disponibles. Le roi semble décidé à
+porter à 25,000 hommes l'effectif de ses troupes, mais par des
+enrôlements volontaires. Il ne veut pas entendre parler de la
+conscription comme le désirerait l'empereur. Cet usage est
+antipathique à la Hollande.</p>
+
+<p>Le 13 décembre, Dupont-Chaumont rend compte au duc de Cadore d'une
+conversation qu'il vient d'avoir avec le roi et dont voici la
+substance: Le roi, écrit-il, se plaint de l'opinion de l'empereur
+qui semble l'accuser de montrer peu de zèle pour le succès de ses
+armées.&mdash;La grande plaie est le mauvais état des finances.&mdash;Son
+gouvernement est ruiné par les dépenses antérieures, les
+anticipations d'impôts. On lui conseille de suspendre le paiement
+des rentes; mais il désapprouve ce moyen, d'ailleurs inefficace. Il
+voudrait que l'empereur envoyât en Hollande un financier expérimenté
+qui prît connaissance des choses et en rendit compte. Il espère
+porter l'armée à 25,000 hommes, c'est-à-dire 18,000 prêts à
+combattre; mais c'est à peine suffisant pour défendre le pays contre
+une invasion anglaise.</p>
+
+<p>Le 14 décembre, Dupont transmet à Cadore une plainte portée contre
+les douaniers français qui, sans ordres, ont franchi la frontière
+batave, pillé une maison, chassé les habitants à coups de fusil. Le
+roi est affecté de ces désordres. Dupont déclare qu'il est temps de
+faire un exemple pour mettre fin à ces exactions. Le duc de Cadore,
+<span class="pagenum"><a id="pageiiib" name="pageiiib"></a>(p. iii)</span> par ordre de l'empereur, répond que les plaintes du
+gouvernement hollandais <i>ne sont pas fondées</i>.</p>
+
+<p>Cependant, le décret sur le blocus continental ne tarde pas à être
+connu en Hollande.</p>
+
+<p>L'empereur en recommande la stricte application. Le 28 décembre,
+Dupont fait connaître: que les Hollandais mettent beaucoup
+d'hésitation à le faire exécuter; que les villes maritimes sont
+plongées dans le désespoir; que le roi est dans le plus grand
+embarras; que le parti anglais se remue et intrigue; que le frère de
+l'empereur est souffrant.</p>
+
+<p>Ici commence réellement la mésintelligence entre l'empereur et le
+roi Louis. Nul doute que sans le blocus continental, les deux
+souverains eussent vécu à peu près d'accord, malgré les exigences
+politiques de Napoléon.</p>
+
+<p>À la fin du même mois de décembre 1806, le 29, Dupont transmet de
+nouveau à Cadore des plaintes du gouvernement hollandais
+relativement à des fraudes nombreuses qui ont lieu à Flessingue, au
+préjudice du trésor, sous le couvert de la marine française. Il fait
+connaître également les ennuis que cause au roi la question de la
+<i>défense de Flessingue</i> et le peu d'accord qui existe entre les
+généraux français. L'empereur, décidé à donner tort à son frère, à
+ne pas accueillir ses représentations, commence à songer au
+remplacement du général Dupont-Chaumont, qui lui paraît beaucoup
+trop dans les intérêts du gouvernement de Louis.</p>
+
+
+<h3><span class="smcap">Année 1807.</span></h3>
+
+<p>Le 8 janvier 1807, le ministre de Hollande se plaint de nouveau des
+douaniers français qui ne cessent de violer le territoire batave. Le
+22, Dupont atteste que la situation des esprits s'améliore et
+annonce que le roi va écrire à l'empereur, relativement à la
+question du blocus. Le 26, Werhuell mande à Cadore qu'une députation
+va être envoyée à l'empereur en Prusse. Dupont annonce le 5 février
+1807 le retour de la reine à La Haye, le bon effet produit par sa
+présence. Le lendemain 6, Cadore engage le gouvernement hollandais à
+envoyer la députation par Varsovie ou Berlin à Clarke, qui lui
+donnera les moyens d'arriver jusqu'à l'empereur à Feinkestein.</p>
+
+<p>Le 14 avril, Dupont déclare à Cadore que la majorité du conseil
+<span class="pagenum"><a id="pageiv" name="pageiv"></a>(p. iv)</span> des ministres paraissait tenir pour le parti anglais et
+s'efforçait de faire admettre au roi que la Hollande avait intérêt à
+se détacher de l'alliance française. Le 26, il écrit qu'en l'absence
+du roi le conseil a supprimé la <i>Gazette française</i> pour que le
+résultat des conférences eût moins de retentissement en France, et
+qu'on élaborait secrètement un projet de régence. Le 7 mai,
+l'ambassadeur fait connaître la mort du prince royal et le départ du
+roi et de la reine. Quatre jours plus tard, il déclare qu'en
+l'absence de Sa Majesté, la France ne saurait compter sur les
+ministres de Hollande.</p>
+
+<p>Le 9 juin, il annonce que la reddition de Dantzig met fin aux
+inquiétudes du roi, lequel est estimé de tous les partis. Le 23, le
+ministre de France fait connaître qu'une escadre anglaise paraît
+vouloir menacer Stralsund, et que le maréchal Brune en a reçu avis.
+Le 12 juillet, Cadore écrit à Dupont de faire connaître au
+gouvernement hollandais que tout navire de la marine française
+entrant à Flessingue devra faire connaître à la douane son
+chargement. Le 8 août, le cabinet français presse Dupont d'obtenir
+de la Hollande de faire terminer <i>à ses frais</i> les travaux de
+Flessingue. Le 10 août, l'ambassadeur de France prévient que
+plusieurs divisions anglaises sont sorties du 20 au 26, que d'autres
+sont prêtes également à quitter les ports de la Grande-Bretagne, que
+la totalité de ces forces est évaluée à 40,000 hommes et que les
+troupes hollandaises se sont rapprochées de Brune. Le 14 août,
+l'empereur fait écrire à Dupont qu'il est informé que des
+communications fréquentes ont lieu entre la Hollande et
+l'Angleterre, qu'il fasse connaître aux ministres du roi que si
+toute relation de commerce et de correspondance ne cesse pas entre
+les deux pays, des troupes françaises entreront en Hollande. Le
+gouvernement du roi Louis, à cette menace, demande une note écrite;
+Dupont la refuse. Les ministres déclarent que si des infractions aux
+ordres du roi concernant l'Angleterre ont existé, cela ne pouvait
+avoir eu lieu que par surprise; que les pouvoirs des ministres
+n'allant pas au-delà de l'exécution des lois existantes, il allait
+être expédié un courrier à Sa Majesté, absente, pour prendre ses
+ordres. Le 19 août, Cadore écrit de nouveau à Dupont que les
+plaintes contre les douaniers français ne paraissent nullement
+fondées. Ainsi, d'une part, menaces de l'empereur et refus de ses
+ministres d'admettre les griefs de la Hollande contre les agents
+français; d'autre part, assurance que l'on fait tout ce que l'on
+peut faire pour l'exécution du blocus. Les plaintes de la France
+continuent. <span class="pagenum"><a id="pagev" name="pagev"></a>(p. v)</span> Le gouvernement du roi Louis y répond en
+imposant les bâtiments français qui remontent l'Escaut à destination
+d'Anvers. L'empereur, furieux, ordonne le remboursement des droits
+perçus et défend d'en payer à l'avenir. Nouvelle note des ministres
+hollandais pareille à la première (24 août). Le 31 août, le chargé
+d'affaires écrit à Cadore que le roi a appris avec douleur les
+plaintes de son frère, et qu'il rend un décret pour une surveillance
+plus sévère; le même jour on annonce que les finances sont dans le
+plus mauvais état. Le 4 septembre, Dupont fait connaître la
+publication du décret royal contre le commerce avec l'Angleterre et
+déclare que toute la responsabilité doit tomber sur M. Goguel,
+ministre des finances.</p>
+
+<p>Cette correspondance acerbe continue entre les agents des deux
+gouvernements.</p>
+
+<p>La question du blocus paraissant terminée, le ministre de France en
+soulève une nouvelle. Il écrit à l'ambassadeur de Hollande:
+«L'empereur a éprouvé un vif mécontentement, en apprenant que les
+malades français avaient été renvoyés des hôpitaux de la Hollande
+sous prétexte d'économie; il ne peut voir dans cette mesure qu'une
+man&oelig;uvre du parti anglais, et si malgré la bonne volonté du roi
+les fonctionnaires hollandais continuaient à agir de la sorte,
+l'empereur, <i>usant du droit de conquête</i>, sera contraint de faire
+régir la Hollande par une administration française.» M. de Cadore ne
+dit pas que les finances de la Hollande sont obérées par les
+exigences de la France, par l'entretien des troupes françaises; que
+l'empereur ne rembourse aucune avance et ruine les États dont il a
+imposé la royauté à son malheureux frère.</p>
+
+<p>Aux plaintes injustes de l'empereur, le gouvernement batave répond:
+qu'on a admis dans les hôpitaux autant de malades que ces
+établissements en pouvaient contenir; qu'à Middelbourg on a établi
+un nouvel hôpital; qu'à Flessingue, qu'à Walcheren on a fourni aux
+troupes tous les objets nécessaires; que, vu l'obération des
+finances, on n'avait pu créer de nouveaux établissements; que depuis
+les plaintes du gouvernement impérial, le roi avait donné l'ordre de
+fournir aux soldats et marins français malades tout ce dont ils
+auraient besoin; que les hospices hollandais, dans cette saison, ne
+pouvaient suffire aux malades nationaux. Bientôt le gouvernement
+français adresse, par l'entremise de Dupont, de nouveaux reproches à
+la Hollande. «Les facilités qu'on accorde au commerce anglais, écrit
+M. de Cadore à l'ambassadeur, ont accru le mécontentement de
+<span class="pagenum"><a id="pagevi" name="pagevi"></a>(p. vi)</span> l'empereur, qui trouve cette condescendance honteuse au
+moment où les Anglais brûlent les bâtiments hollandais à Batavia.
+Vous devez insister pour que sans délai il soit mis un terme à cet
+état de choses, et déclarer qu'au besoin l'empereur enverra 30,000
+hommes en Hollande pour en garder les côtes.» Il est permis de
+croire que l'empereur en voulait venir là d'abord, puis à
+l'annexion. Le 24, Dupont fit connaître la réponse des ministres à
+sa note. «Le conseil déclarait que déjà il avait été répondu que les
+infractions aux lois prohibitives de tout commerce avec l'Angleterre
+ne pouvaient être attribuées qu'à un défaut de surveillance des
+employés, dont plusieurs avaient été déjà incarcérés.» C'était
+donner un prétexte à l'empereur pour faire exercer la surveillance
+par ses propres agents. Cela ne devait pas tarder à avoir lieu. Le 6
+octobre, Cadore fait dire au ministre de Hollande que la frontière
+du côté de la France étant un foyer de contrebande et donnant un
+débouché aux marchandises anglaises, l'empereur prend des mesures
+sévères pour y mettre fin. Le 16, il fait savoir à ce même ministre
+que l'empereur, informé que des marchandises anglaises sont reçues
+par l'Elbe et le Weser, a donné l'ordre de visiter tout bâtiment
+naviguant sur ces fleuves, et veut que des mesures analogues soient
+prises en Hollande. Le 26, Cadore apprend que le roi a rendu un
+décret prohibant toute navigation le long des côtes depuis le
+Dollart jusqu'au Weser, étant bien résolu à prendre toutes les
+mesures de réciprocité avec la France.</p>
+
+<h3><span class="smcap">Année 1808.</span></h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Dupont.</p>
+<p class="date">Paris, 14 janvier.</p>
+
+<p>Monsieur, Sa Majesté l'empereur et roi vient d'apprendre avec autant
+ de mécontentement que de surprise, que l'on reçoit dans les ports de
+ Hollande des bâtiments suédois, chargés de marchandises que l'on
+ tente de faire passer en France, et que pour expliquer des procédés
+ aussi étranges on allègue une raison bien plus étrange encore,
+ savoir que la Hollande et la Suède ne sont point en guerre. Sa
+ Majesté n'a pu comprendre que des relations de paix continuées
+ jusqu'à présent entre la Hollande et la Suède, aient pu paraître une
+ chose si naturelle et si simple que vous ayez négligé d'en rendre
+ compte. Quand bien même l'alliance qui subsiste entre la France et
+ la Hollande, quand les liens <span class="pagenum"><a id="pagevii" name="pagevii"></a>(p. vii)</span> plus étroits qui unissent les
+ deux états auraient pu permettre à la Hollande de considérer comme
+ amie une puissance ennemie de la France, le continent tout entier
+ n'est-il pas uni aujourd'hui dans un même v&oelig;u, dans un même
+ intérêt, dans une même cause? La Suède n'est-elle pas seule exceptée
+ de ce concert général? N'est-elle pas la seule alliée de
+ l'Angleterre? N'est-elle pas en cette qualité l'ennemie du
+ continent? Et la Hollande a-t-elle pu la regarder comme amie, sans
+ abandonner en quelque sorte la cause commune? L'intention de Sa
+ Majesté est que: dans les vingt-quatre heures qui suivront la
+ réception de cette lettre, la Hollande <i>déclare la guerre</i> à la
+ Suède et traite les Suédois et leur commerce comme ennemis. Sa
+ Majesté vous charge d'en faire la demande dans les termes les plus
+ précis et d'insister sur une réponse immédiate et catégorique. Vous
+ voudrez bien m'informer sur le champ de cette réponse.</p>
+
+<p>P. S.&mdash;L'empereur, Monsieur, se rappelle que les troupes
+ hollandaises se sont battues à Stralsund contre les Suédois, et
+ n'admet point cet état de paix de la Hollande avec la Suède. Il vous
+ ordonne en conséquence de requérir l'arrestation des bâtiments
+ suédois qui sont dans les ports de Hollande et le séquestre des
+ marchandises qu'ils ont apportées. Son intention est aussi que les
+ Suédois soient arrêtés comme prisonniers de guerre et que les agents
+ de cette nation soient renvoyés. Dans le cas où la Hollande
+ refuserait de se mettre en guerre contre la Suède, l'empereur vous
+ ordonne de quitter La Haye.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Dupont.</p>
+<p class="date">Paris, 16 janvier.</p>
+
+<p>Monsieur, le 4 décembre dernier, un convoi de cinq bâtiments
+ hollandais, escorté par trois chaloupes canonnières de Sa Majesté le
+ roi de Hollande, a mouillé à l'embouchure du Weser. Le 5 au matin,
+ le convoi ayant appareillé, il fut tiré de la batterie de Carlestadt
+ deux coups de canon à poudre pour indiquer que le convoi ne pouvait
+ la dépasser sans avoir arraisonné. Les canonnières assurèrent leur
+ pavillon, mais le convoi n'en continua pas moins sa route. Alors la
+ batterie tira à boulets et ce ne fut qu'au huitième coup que les
+ bâtiments mouillèrent. Au même instant quatre autres navires de la
+ même nation, qui entraient dans le fleuve escortés pareillement par
+ une canonnière, jetèrent l'ancre auprès du premier convoi. Le
+ capitaine de l'une des deux canonnières descendit à terre pour se
+ plaindre du procédé du commandant de la batterie. La réponse du
+ commandant fut qu'il n'agissait que conformément à ses instructions,
+ d'après lesquelles tout bâtiment, sans exception, devait être
+ assujetti à la visite. Le capitaine hollandais demanda cette
+ déclaration <span class="pagenum"><a id="pageviii" name="pageviii"></a>(p. viii)</span> par écrit. On la lui donna et il retourna à
+ bord après avoir donné sa parole qu'il ne mettrait point à la voile
+ sans avoir rempli les formalités requises; mais dix minutes après il
+ leva l'ancre et se rendit à Brolke. On lui écrivit pour se plaindre
+ de sa conduite et pour réclamer les bâtiments qui étaient montés à
+ la faveur de son escorte en forçant le passage. Il répondit qu'il
+ n'avait fait que suivre très scrupuleusement les instructions qui
+ lui avaient été données d'après les ordres de Sa Majesté le roi de
+ Hollande.</p>
+
+<p>Le 6 du même mois, un autre convoi hollandais escorté par des
+ canonnières, descendit le Weser et mouilla à l'embouchure du fleuve.
+ Le mauvais temps empêcha d'aller à bord. Le 7 au matin, il
+ appareilla et partit malgré le feu de la batterie. Ces faits, dont
+ il a été rendu compte à Sa Majesté l'empereur, ont excité son
+ mécontentement. Elle vous charge d'en porter plainte au gouvernement
+ hollandais et de demander que les capitaines et officiers de la
+ marine marchande soient tenus de se conformer à toutes les
+ ordonnances de police maritime rendues dans les pays occupés par les
+ armées françaises. S'il en était autrement, Sa Majesté se verrait
+ dans la nécessité de faire punir les personnes qui chercheraient à
+ enfreindre ses ordres.</p>
+
+<p>Vous voudrez bien me faire connaître, Monsieur, l'effet que
+ produiront les représentations que vous êtes chargé d'adresser à cet
+ égard au gouvernement près duquel vous êtes accrédité.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 25 janvier.</p>
+
+<p>Je m'empresse, par suite des ordres de ma cour, de répondre à la
+ note que V. Excellence a adressée à mon prédécesseur M. le ministre
+ Brantven, en date du 5 janvier dernier, et par laquelle elle l'a
+ honoré de la communication des mesures que Sa Majesté l'empereur et
+ roi avait prescrites dans son décret du 19 décembre concernant le
+ blocus de l'Angleterre et des îles de la Grande-Bretagne.</p>
+
+<p>Déjà, avant la réception de cette note, le ministre de France
+ résidant à La Haye avait officiellement communiqué les dispositions
+ dudit décret, et Sa Majesté s'était aussitôt déterminée à adopter de
+ pareilles mesures. Elle chargea, par un ordre de cabinet du 8 de ce
+ mois, son ministre des finances de considérer comme propriété
+ anglaise et de déclarer par cela même de bonne prise tout vaisseau
+ ou bâtiment quelconque <i>sans exception</i>, qui, après avoir été visité
+ par des bâtiments de guerre anglais, ou avoir été dans un port
+ anglais, ou avoir payé le moindre droit au gouvernement anglais,
+ serait pris par des vaisseaux de <span class="pagenum"><a id="pageix" name="pageix"></a>(p. ix)</span> guerre ou des corsaires
+ hollandais, et le même ordre rendit le ministre des finances
+ responsable de la stricte exécution de cette mesure.</p>
+
+<p>Ces dispositions convaincront V. Excellence combien le roi est
+ pénétré de la nécessité de s'opposer avec la plus grande énergie aux
+ vexations toujours croissantes des ministres britanniques, et
+ combien il désire de seconder de toutes ses forces les mesures que
+ son très auguste frère l'empereur croit devoir prendre pour les
+ combattre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 30 janvier.</p>
+
+<p>Par suite des ordres que je viens de recevoir de ma cour, je
+ m'empresse de communiquer à V. Excellence les nouvelles mesures que
+ le roi a ordonnées pour empêcher toute relation entre son pays et la
+ Suède.</p>
+
+<p>Elles sont contenues dans le décret du roi, en date du 18 de ce
+ mois, dont ci-joint la copie.</p>
+
+<p>En priant V. Excellence de porter ces dispositions sous les yeux de
+ l'empereur et roi, j'ose me flatter que Sa Majesté y verra une
+ nouvelle preuve que le roi mon maître est plus que jamais disposé à
+ traiter en ennemis tous les états qui seraient en guerre avec la
+ France, et à concourir de tous ses moyens au succès des vastes
+ projets que son auguste frère médite pour les forcer à accepter à la
+ fin des conditions de paix compatibles avec la sûreté et l'honneur
+ des puissances de l'Europe.</p>
+
+<p class="center">Décret du roi de Hollande daté d'Utrecht, 18 janvier.</p>
+
+<p>Louis Napoléon, par la grâce de Dieu et la constitution du royaume,
+ roi de Hollande, connétable de France.</p>
+
+<p>Sur les informations que les mesures ordonnées pour le blocus des
+ Îles Britanniques ne seraient pas suivies avec la même rigueur par
+ rapport à quelques bâtiments suédois, et considérant que la guerre
+ existe entre ce pays et la Suède comme avec l'Angleterre;</p>
+
+<p>Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:</p>
+
+<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p>
+
+<p>Tout bâtiment suédois qui pourrait s'être introduit dans les ports
+ du royaume sera sequestré immédiatement, de même que toute
+ marchandise appartenant à cette nation.</p>
+
+<p class="center">Article 2.</p>
+
+<p>Tout Suédois qui aurait rempli précédemment des fonctions
+ diplomatiques ou d'agent commercial, et qui pourrait se trouver
+ encore dans <span class="pagenum"><a id="pagex" name="pagex"></a>(p. x)</span> ce royaume, sera tenu d'en sortir immédiatement
+ après la publication du présent décret.</p>
+
+<p class="center">Article 3.</p>
+
+<p>Tous les Suédois qui pourraient se trouver dans les ports ou
+ quelques autres endroits du royaume, seront arrêtés immédiatement et
+ traités comme prisonniers de guerre.</p>
+
+<p class="center">Article 4.</p>
+
+<p>Les mesures actuellement en vigueur pour le blocus des Îles
+ Britanniques seront également et sans exception applicables à la
+ Suède.</p>
+
+<p class="center">Article 5.</p>
+
+<p>Nos ministres des finances et de la justice et police sont chargés
+ de l'exécution du présent décret qui sera publié partout où besoin
+ sera.</p>
+
+<p>Donné à Utrecht le 18 janvier de l'an 1808, de notre règne le
+ troisième.</p>
+
+<p class="sig smcap">Louis.</p>
+</div>
+
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 2 février.</p>
+
+<p>Je suis expressément chargé de communiquer officiellement le décret
+ ci-joint à V. Excellence et de l'inviter à vouloir bien en donner
+ immédiatement connaissance à Sa Majesté impériale et royale. Sa
+ Majesté le roi de Hollande se flatte que son auguste frère verra
+ dans les dispositions de ce décret une éclatante preuve de son
+ invariable volonté de concourir de tous ses moyens aux mesures qui
+ peuvent hâter le moment si désiré de la paix, et un touchant
+ témoignage de son amour pour sa personne, de sa confiance absolue
+ dans sa haute sagesse. Je ne m'attacherai point à faire valoir
+ l'étendue des nouveaux sacrifices que ce rigoureux décret impose à
+ mon pays. On sent facilement qu'il entraînerait sa ruine totale si
+ la guerre était prolongée. Dans des circonstances aussi impérieuses,
+ Sa Majesté, irrévocablement déterminée à rendre impossible toute
+ communication de ses sujets avec l'ennemi, vient de prohiber le
+ commerce que les habitants de la Zélande faisaient sur les côtes
+ anglaises, quoique par sa nature ce commerce, tout à l'avantage de
+ la Hollande, fût extrêmement nuisible à l'Angleterre. Sa Majesté a
+ voulu que son peuple renonçât à des bénéfices qui ne pouvaient se
+ concilier avec le système actuel de la guerre. Il n'échappera pas
+ sans doute à V. Excellence que les mesures adoptées ne laissent aux
+ Anglais aucun moyen possible de communiquer avec la Hollande,
+ puisque le roi a également ordonné de séquestrer même les navires
+ qui, quoique non visités, auraient abordé dans un port britannique.</p>
+
+<p>Sa Majesté a cru que la nation, pour qui la paix devenait le
+ premier, <span class="pagenum"><a id="pagexi" name="pagexi"></a>(p. xi)</span> le plus pressant des besoins, devait l'acheter par
+ les plus rigoureux sacrifices, bien convaincue que le génie de son
+ illustre frère y mettra bientôt un terme, et que sa justice et sa
+ générosité sauront honorablement dédommager la Hollande de ses
+ privations et de ses pertes.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Dupont à Cadore.</p>
+<p class="date">La Haye, 8 février.</p>
+
+<p>Les travaux se poursuivent à Amsterdam pour la réception du roi.
+ L'occupation de l'hôtel de ville, où se trouvent la banque et tous
+ les grands dépôts, a étonné d'abord et fait baisser les fonds, parce
+ que le moment a été mal choisi. Mais on peut attendre pour l'avenir
+ d'heureux résultats, s'il résiste aux difficultés que lui attire le
+ passage du gouvernement par Utrecht, et la contrariété dans les
+ habitudes, si puissantes dans ce pays.</p>
+
+<p>La sévérité du blocus a éprouvé de légères atteintes; des bâtiments
+ chargés de poisson salé se sont présentés à Amsterdam et y ont été
+ refusés. Ils sont entrés à Anvers où ils ont vendu leur cargaison
+ parce qu'ils étaient en règle; mais des Américains chargés de
+ marchandises ou peut-être de denrées coloniales et appartenant à des
+ Hollandais, ont ému la sensibilité du gouvernement et obtenu
+ l'entrée des ports. Vraisemblablement ils n'étaient pas chargés de
+ marchandises prohibées. Aussi ne cité-je ces faits que pour répondre
+ à l'observation officielle qui m'a été faite par Son Excellence le
+ ministre des affaires étrangères, que son gouvernement avait été au
+ delà des mesures prises par la France, en fermant ses ports à toute
+ espèce de navires.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Dupont à Cadore.</p>
+<p class="date">La Haye, 13 février.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de vous écrire par un retour de courrier qui m'a été
+ dépêché par S. Excellence le vice-amiral Decros, avec une lettre de
+ l'empereur pour Sa Majesté le roi de Hollande.</p>
+
+<p>Le gouvernement hollandais s'est depuis quelques jours
+ ostensiblement relâché de la sévérité du décret du 23 janvier, en
+ ordonnant aux commandants militaires de ne plus repousser les
+ bâtiments qui se présenteraient dans les rades et les ports; d'y
+ placer des sauvegardes et d'attendre des ordres.</p>
+
+<p>Il y a encore de l'humeur et du mécontentement à Amsterdam. On
+ l'attribue à la transformation de la maison de ville en palais
+ royal; mais la stagnation des affaires et un peu de misère dans la
+ classe des <span class="pagenum"><a id="pagexii" name="pagexii"></a>(p. xii)</span> ouvriers en est peut-être la véritable cause.
+ Toujours faut-il convenir que le roi n'est aidé ni servi par
+ personne dans son projet de changer sa résidence. Ce qui fait naître
+ des difficultés sans nombre et propage les murmures de la multitude.
+ La demande que vient de faire l'empereur arrive à propos pour
+ occuper les oisifs et imprimer un mouvement utile dans les ports.
+ J'avais, dans mes conversations non officielles, l'année dernière,
+ observé aux ministres du roi que l'on négligeait bien la marine, et
+ surtout à l'époque du dernier licenciement des marins: on objectait
+ la pénurie des finances. Aujourd'hui que les matelots ont été
+ dispersés par la misère, et qu'il y en a beaucoup d'enlevés par
+ l'Angleterre, il serait difficile de compléter les équipages, s'il
+ est nécessaire d'armer un certain nombre de vaisseaux.</p>
+</div>
+
+<p>Ici doivent prendre place deux longues lettres de l'amiral Werhuell
+et dont nous allons donner la substance. Dans la première, l'amiral,
+au nom du roi, demande que l'artillerie de la ville de Flessingue
+soit rendue à la Hollande, puisque la ville a été cédée à la France
+le 6 février. L'empereur s'y oppose et fait dire qu'il comptera avec
+la Hollande.</p>
+
+<p>Dans la seconde lettre, le roi fait rappeler à l'empereur
+l'engagement du gouvernement français de rembourser à la Hollande le
+prix des frais d'équipement des recrues hollandaises appelées à
+faire partie de la grande armée. L'empereur se borne à répondre que
+ce déboursé doit rester à la charge de la Hollande (singulier
+exemple de bonne foi!).</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld<a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a><a href="#footnote148" title="Lien vers la note 148"><span class="smaller">[148]</span></a>.</p>
+<p class="date">Paris, 16 mars.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de vous faire part d'une décision de Sa Majesté
+ impériale relativement aux Français qui se trouvent actuellement au
+ service de S. M. le roi de Hollande.</p>
+
+<p>Tous les sujets de S. M. impériale actuellement au service de S. M.
+ le roi de Hollande et qui auront prêté serment comme sujets du roi,
+ cesseront d'être considérés comme Français, et pourront demeurer
+ <span class="pagenum"><a id="pagexiii" name="pagexiii"></a>(p. xiii)</span> au service du roi en se munissant d'une autorisation
+ spéciale de S. M. l'empereur.</p>
+
+<p>Vous voudrez bien informer de cette décision le gouvernement près
+ duquel vous êtes accrédité.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a><a href="#footnote149" title="Lien vers la note 149"><span class="smaller">[149]</span></a> à Cadore.</p>
+<p class="date">La Haye, 17 mars.</p>
+
+<p>Ce serait peut-être ici la place de tracer à V. Excellence un
+ tableau succinct de l'état où je retrouve les affaires au moment de
+ mon retour en Hollande; mais l'ambassadeur, que j'apprends être
+ arrivé à deux ou trois journées de La Haye, remplira à cet égard les
+ vues de V. Excellence beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Je me
+ bornerai à lui annoncer que le roi est fort occupé en ce moment des
+ moyens de remplir les vues de son auguste frère relativement à la
+ marine. M. Roëll, dans une assez longue conversation où le hasard
+ nous engagea hier, s'exprima à cet égard de la façon la plus
+ satisfaisante. Il paraît que le roi veut pousser ses préparatifs
+ dans le silence, et réserve une surprise générale à l'empereur. Je
+ trahis un peu Sa Majesté et M. Roëll, par cet avis, mais c'est mon
+ métier et l'on devra me le pardonner.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 21 mars.</p>
+
+<p>Depuis quelque temps le commerce que la Hollande fait par les
+ rivières le Weser et l'Elbe avec le nord de l'Allemagne et les pays
+ avoisinants, éprouve de fortes entraves de la part des douaniers
+ français établis à l'embouchure de ces rivières et sur les côtes.</p>
+
+<p>Ces douaniers empêchent le passage des productions des fabriques
+ hollandaises en se fondant sur les dispositions de l'article 2 du
+ décret impérial du 2 août dernier, qui assimile aux marchandises
+ anglaises toute marchandise quelconque de la nature de celles que
+ l'Angleterre peut produire ou fournir, à moins qu'elles ne viennent
+ de la France. Comme c'est presque l'unique commerce que la Hollande
+ a conservé depuis que ses ports sont entièrement fermés, le roi, mon
+ maître, m'a chargé de porter cet objet à la connaissance de V.
+ Excellence, en la priant de le mettre sous les yeux de S. M.
+ impériale.</p>
+
+<p>Le roi se plaît à croire que son très auguste frère daignera
+ ordonner <span class="pagenum"><a id="pagexiv" name="pagexiv"></a>(p. xiv)</span> que les dispositions du décret susdit, évidemment
+ rendu dans l'intention de nuire à l'ennemi commun, ne soient pas
+ applicables aux marchandises hollandaises; mais que celles-ci
+ puissent entrer sans obstacle, toutesfois qu'elles seront duement
+ munies de certificats d'origine, délivrés par les magistrats des
+ lieux où elles auront été fabriquées, ou d'où elles auront été
+ expédiées, ou moyennant telles autres mesures de précaution que S.
+ M. impériale jugera convenable d'admettre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Paris, 31 mars.</p>
+
+<p>Sa Majesté l'empereur et roi est informée qu'il est arrivé à
+ Amsterdam deux bâtiments américains chargés de denrées coloniales et
+ venant d'Angleterre. Sa Majesté est pareillement informée que cent
+ cinquante autres bâtiments américains sont maintenant en chargement
+ à Londres où ils prennent aussi des denrées coloniales dans le
+ dessein de les transporter en Hollande. En conséquence, Sa Majesté
+ vous charge, M. l'ambassadeur, de redoubler d'attention et de
+ vigilance, de prendre toutes les précautions et de faire toutes les
+ démarches nécessaires, pour que des bâtiments américains ainsi
+ chargés de contrebande, ne pénètrent point en Hollande, ou n'y
+ pénètrent pas du moins impunément. Vous devez partir de ce principe
+ que tout bâtiment américain chargé de denrées coloniales est
+ suspect, ces dernières ne pouvant pas être apportées des États-Unis,
+ puisqu'il existe un embargo général et qu'aucun bâtiment n'en peut
+ sortir.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 13 mai.</p>
+
+<p>Avant-hier soir, il y eut cercle à la cour, et dans une longue
+ conversation que j'eus avec le ministre des affaires étrangères, je
+ lui observai que c'était à regret que je ne voyais pas ici dans la
+ direction générale des affaires l'esprit que je désirais y trouver,
+ que ce n'était pas assez pour la Hollande de prendre les mesures qui
+ lui étaient demandées pour l'intérêt commun, mais qu'il fallait les
+ faire exécuter avec le zèle qui en assurait le succès. Je lui citai
+ plusieurs preuves de mon assertion, en lui démontrant l'inconvenance
+ et appuyant sur le mal que la Hollande se ferait, si les choses ne
+ changeaient pas entièrement de face. Le ministre me parut abonder
+ dans mon sens et m'a parlé comme regardant le sort de la Hollande
+ dans les mains de l'empereur, et comme <span class="pagenum"><a id="pagexv" name="pagexv"></a>(p. xv)</span> n'attendant que de
+ lui le bonheur de sa patrie. J'ignore si M. Roëll rendit compte au
+ roi de notre conversation, mais hier Sa Majesté me fit prier de
+ venir lui parler.</p>
+
+<p>Je me rendis au palais à quatre heures, et restai avec S. M. jusqu'à
+ six heures. Le roi m'engagea de lui parler franchement sur tout ce
+ que je voyais, en me priant même de ne rien lui cacher. J'eus donc
+ l'honneur de lui répéter tout ce que j'avais dit la veille au
+ ministre. J'allai même plus loin, en communiquant au roi des faits
+ dont j'avais trouvé plus convenable de ne pas parler à M. Roëll.
+ J'observai à S. Majesté que l'attachement qu'on lui portait pouvait
+ beaucoup lui servir pour diriger l'opinion publique; que lorsqu'on
+ verrait que sa conduite est véritablement française, et qu'il est
+ mécontent de celui qui n'en a pas une prononcée dans le même sens,
+ alors en peu de temps le gouvernement prendrait la même direction;
+ qu'il ne m'appartenait pas de me mêler du choix de ses agents, que
+ je ne devais connaître que le résultat de leurs travaux; mais
+ qu'avec les moyens personnels qu'il avait, il me paraissait
+ impossible que Sa Majesté ne distinguât pas, quand elle le voudrait,
+ celui qui la sert dans l'une ou l'autre ligne.</p>
+
+<p>Le roi eut la bonté de me traiter avec toute sorte d'indulgence en
+ me promettant de lui parler aussi franchement; il se plaignit de sa
+ position, des peines qu'il était obligé de se donner pour arriver
+ malheureusement à de bien petits résultats. Il me répéta combien le
+ peuple qu'il gouvernait était à plaindre, et en même temps combien
+ il était difficile de le diriger, puisque n'étant pas susceptible
+ d'enthousiasme, les chiffres devenaient la seule base de leur
+ opinion. Cependant, le roi me demanda ce qu'il devait faire. Il me
+ répéta que son désir était de deviner, s'il était possible, les
+ désirs de l'empereur, et il m'autorisa non-seulement à le prévenir
+ de ce qui pourrait se faire de répréhensible, mais même encore me
+ promit de faire généralement tout ce que je pourrais croire utile
+ aux vues de l'empereur. C'est maintenant à votre Excellence de me
+ faire connaître les ordres de S. M. impériale et royale. Je ne puis
+ douter de la vérité des intentions que le roi m'a manifestées; mais
+ il dépend de l'empereur d'en acquérir la certitude. Je tous promets
+ de porter dans ma mission l'&oelig;il le plus vigilant, et de tout
+ faire pour opérer ici un changement de système. J'aime à me flatter
+ qu'aidé du roi, j'y parviendrai. V. Excellence sait ce qu'il y a à
+ faire. Moi je n'envisage que le plaisir, en faisant mon devoir,
+ d'être utile à l'empereur. Je suis en mesure d'exécuter ses ordres,
+ soit qu'ils portent sur les choses ou les personnes. J'attends donc
+ avec impatience la réponse de V. Excellence. Je ne puis finir ma
+ dépêche sans vous répéter à quel point j'ai été content de ce que le
+ roi m'a fait l'honneur de me dire.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagexvi" name="pagexvi"></a>(p. xvi)</span> <p class="center smcap">Roëll à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 19 mai.</p>
+
+<p>J'ai mis sous les yeux du roi mon maître la lettre que V. Excellence
+ m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui au sujet de quelques
+ vaisseaux nouvellement entrés dans les ports de ce royaume malgré
+ les lois prohibitives à cet égard.</p>
+
+<p>Sa Majesté n'a pu voir qu'avec peine se renouveler une plainte
+ qu'elle se flattait d'avoir entièrement écartée par les dispositions
+ prises relativement à la fermeture des ports. Cependant, n'ayant
+ point de raisons suffisantes pour révoquer en doute la véracité des
+ informations parvenues à V. Excellence au sujet des bâtiments
+ susdits, elle s'est empressée d'expédier aussitôt un courrier
+ extraordinaire pour se faire rendre un compte exact sur cette
+ affaire, et, sans attendre le résultat des recherches, elle a décidé
+ que non-seulement les bâtiments indiqués par V. Excellence devront
+ se remettre en mer sans aucun délai, mais aussi que la clôture des
+ ports, précédemment décrétée, sera maintenue avec la plus grande
+ rigueur, et l'entrée défendue à tout bâtiment marchand, quels que
+ soient son pavillon et sa cargaison, et sans avoir égard à d'autres
+ considérations quelconques, si ce n'est celle du gros temps, à
+ l'exception cependant d'un seul, parti d'ici depuis dix-huit mois
+ pour Canton, avec la promesse positive de S. Majesté de ne trouver
+ aucun empêchement pour la rentrée dans nos ports, et au sujet duquel
+ elle se propose d'entretenir verbalement V. Excellence, en vous
+ faisant part de cette détermination du roi, par laquelle il se
+ flatte d'avoir détruit jusqu'à la' possibilité de tout abus
+ ultérieur. Je suis chargé particulièrement de vous communiquer en
+ même temps que si, d'un côté, S. Majesté n'a pu voir qu'à regret une
+ plainte quelconque faite de la part de son auguste frère, elle a su,
+ d'un autre côté, apprécier la nouvelle preuve de franchise et de
+ loyauté que V. Excellence vient de donner dans la manière dont elle
+ a dirigé la démarche à laquelle les informations reçues l'ont
+ obligée.</p>
+
+<p>S. Majesté est si éloignée de se plaindre de la démarche même
+ qu'elle désire au contraire, que si, contre son gré, il y avait
+ encore à l'avenir quelque chose qui puisse être désagréable à son
+ auguste frère, et qu'il soit en son pouvoir de prévenir ou de faire
+ cesser, V. Excellence veuille, sans délai et sans réserve, faire
+ parvenir par mon organe ses informations à cet égard à la
+ connaissance de S. Majesté, laquelle, tout pénible que soit dans ce
+ moment pour ses sujets l'état où son royaume se trouve, est trop
+ convaincue que les sacrifices actuels sont le seul moyen <span class="pagenum"><a id="pagexvii" name="pagexvii"></a>(p. xvii)</span>
+ de voir renaître les avantages d'une paix prompte et durable, pour
+ ne pas persévérer avec une constance inébranlable dans toutes les
+ mesures dont ils sont la conséquence.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 23 mai.</p>
+
+<p>Le roi m'entretint l'autre jour de la décision de S. M. impériale et
+ royale sur les Français qui étaient à son service. Il me dit qu'il
+ ne voulait parler à aucun de cet objet, qu'il lui suffirait de leur
+ avoir fait écrire une lettre pour connaître le parti qu'ils
+ voulaient prendre. Sa Majesté me parut très froide, ayant même peu
+ d'intérêt pour eux. Les Français sont de leur côté mécontents;
+ plusieurs m'en ont parlé dans des ternies très convenables; et
+ maintenant qu'il s'agit de prendre un parti définitif, presque tous
+ ne voudraient pas perdre leur véritable patrie pour en adopter une
+ nouvelle. La gloire et l'attachement pour l'empereur les appellent;
+ la reconnaissance et le devoir les retiennent. Ils craignent d'être
+ mal vus de l'empereur s'ils quittent le service de la Hollande, et
+ cependant plusieurs ne peuvent se décider à signer qu'ils consentent
+ à n'être plus Français. Ce qui me paraît certain, c'est que
+ plusieurs de ces messieurs ont cru obéir à S. M. impériale et royale
+ en venant ici et n'ont jamais imaginé s'éloigner entièrement de la
+ France. V. Excellence conçoit bien que je n'ai rien répondu de
+ positif et que je me suis borné à leur dire qu'il m'était impossible
+ de les conseiller dans une circonstance aussi délicate. Les
+ Hollandais, jaloux des Français, cherchent à leur donner
+ continuellement des désagréments et ceux-ci ne sont pas soutenus par
+ le roi. Dans cette position je voudrais connaître le désir de
+ l'empereur afin de leur faire prendre la ligne qu'il ordonnera. Le
+ général Demarçay, qui commandait l'artillerie, vient encore de
+ quitter le service de la Hollande, n'y pouvant plus tenir.</p>
+
+<p>Ayant une occasion sûre pour faire passer cette dépêche en France,
+ j'en profite pour parler à V. Excellence de la contrebande qui se
+ fait en Zélande. Il paraît que l'île de Walcheren est principalement
+ le point sur lequel se dirigent les contrebandiers. À mon passage à
+ Anvers, on m'en parla déjà, et l'on ne me cacha point que par
+ l'Escaut il s'introduisait beaucoup de marchandises anglaises, mais
+ que l'on accusait davantage les autorités hollandaises qui
+ paraissaient se prêter à ce commerce illicite. Depuis que je suis en
+ Hollande, les principaux agents du gouvernement avouent la
+ difficulté et presque l'impossibilité d'empêcher entièrement ce
+ genre de commerce en Zélande, mais aussi les mêmes agents prétendent
+ que les douaniers et même les autorités françaises favorisent ceux
+ qui leur font partager les bénéfices de ce <span class="pagenum"><a id="pagexviii" name="pagexviii"></a>(p. xviii)</span> commerce. Le
+ résultat me paraît être une impossibilité reconnue de guérir ce mal.
+ Ne serait-il pas possible qu'en coupant le n&oelig;ud de la difficulté
+ l'empereur y remédiât en réunissant l'île de Walcheren à la France,
+ et Sa Majesté ne pourrait-elle pas porter cette réunion jusqu'à la
+ Meuse? Alors la frontière deviendrait telle qu'il serait facile de
+ la garder, et le Brabant hollandais, habité par des catholiques, se
+ trouverait heureux d'être réuni à l'empire français. Votre
+ Excellence sait, à quel point l'intolérance est portée dans ce pays:
+ ce qui ne paraît point devoir diminuer, le roi venant de placer
+ l'ex-ministre de l'intérieur, M. Mollerus, à la tête des cultes.
+ Cette intolérance fera donc toujours Français tous les catholiques
+ hollandais. Quant à une indemnité à donner à la Hollande, l'empereur
+ peut à cet égard être aussi généreux qu'il lui conviendra. Je
+ soumets ces observations à V. Excellence comme le moyen que je
+ croirais le plus sûr d'aplanir les difficultés qui surviennent tous
+ les jours et qui tiennent à la position de la frontière.</p>
+
+<p>Au sujet de la contrebande, le roi vient dans l'instant de m'envoyer
+ un secrétaire du cabinet pour me communiquer une liste que S. M.
+ impériale et royale lui a envoyée d'une certaine quantité de maisons
+ ou d'individus hollandais accusés de faire la contrebande. S.
+ Majesté y a fait joindre la réponse du ministre des finances avec
+ copie de l'interrogation que l'on a fait subir aux prévenus. Il en
+ résulte qu'un d'eux est mort depuis un an, deux autres sont aux
+ galères depuis quatre ans et tous les autres sont innocents. Quant à
+ cette dernière partie, je ne puis m'empêcher d'observer à V.
+ Excellence que l'interrogatoire peut être très exact, mais qu'il est
+ fait de manière à ne trouver aucun coupable, puisque tous ces
+ individus ont été appelés et que l'on s'est contenté de leur
+ demander ce qu'ils avaient fait, et d'envoyer ensuite leur réponse.
+ Il est cependant possible que d'autres recherches aient été faites;
+ c'est ce que je tâcherai d'apprendre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 9 juin.</p>
+
+<p>D'après ce que j'apprends par MM. les consuls, il y a encore une
+ communication avec l'Angleterre, mais elle paraît peu considérable
+ et vient des petits ports qui ne sont pas surveillés. C'est
+ principalement par la Zélande que l'on suppose que les passagers
+ peuvent s'embarquer pour l'Angleterre et s'introduire en Hollande.
+ Il est certain que le comte de Bentinck a été arrêté au moment où il
+ s'embarquait à Cathvyck, et qu'il n'a été relâché que sur
+ l'exhibition d'un ordre du roi; il a fait un voyage en Angleterre et
+ en est revenu il y a deux jours. On dit qu'il était envoyé pour
+ faire un arrangement qui permît à une certaine quantité <span class="pagenum"><a id="pagexix" name="pagexix"></a>(p. xix)</span> de
+ bateaux hollandais de pêcher le hareng. J'en ai parlé à M. Roëll qui
+ m'a assuré n'en être pas instruit. Ce M. de Bentinck doit, dit-on,
+ être grand écuyer.</p>
+
+<p>Le ministre des affaires étrangères a envoyé hier et avant-hier la
+ circulaire à tous les Français au service de la Hollande, pour
+ connaître le parti décisif qu'ils voulaient prendre. Cette liste est
+ d'environ 500 personnes dont il paraît que la plus grande partie
+ réclamera les bontés de l'empereur pour rentrer au service du roi,
+ sans perdre leur qualité de Français. L'autorisation donnée par S.
+ Majesté pour la sortie des beurres et fromages n'a pas atteint son
+ but. Aucun négociant n'a voulu donner la caution exigée. J'ai
+ appris, de mon côté, aux maisons qui se sont adressées à moi que
+ j'ignorais absolument les motifs qui avaient décidé le roi à prendre
+ cette mesure. Il me semble que, par son effet, elle doit être
+ regardée comme nulle.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Berthier.</p>
+<p class="date">Bayonne, 22 juin.</p>
+
+<p>S. M. impériale voulant donner au commerce de la Hollande toutes les
+ facilités compatibles avec l'exécution des grandes mesures adoptées
+ contre l'Angleterre, a consenti à autoriser le commerce de cabotage
+ sur les côtes de l'Allemagne septentrionale depuis l'embouchure de
+ l'Ems jusqu'au canal de Holstein. Les bâtiments destinés à ce
+ commerce suivront la côte, escortés par des chaloupes canonnières de
+ la marine hollandaise. Ils ne pourront transporter aucune espèce de
+ denrées coloniales, bien moins encore des marchandises anglaises.</p>
+
+<p>Cette navigation a pour objet d'établir par le canal de Holstein une
+ communication avec la Baltique, d'où la Hollande pourra tirer des
+ bois de construction, des chanvres et autres approvisionnements
+ nécessaires à sa marine.</p>
+
+<p>V. A. S. jugera sans doute convenable d'instruire les généraux
+ français commandant dans le nord de l'Allemagne des intentions de S.
+ M. pour qu'ils ne mettent point d'obstacle à une navigation
+ autorisée par elle.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Paris, 9 juillet.</p>
+
+<p>Monsieur l'ambassadeur, j'ai reçu vos deux dépêches numérotées 13 et
+ 14. Il m'en est parvenu d'autres qui sont encore dans le
+ portefeuille de S. Majesté et auxquelles je répondrai plus tard.</p>
+
+<p>Je dois aujourd'hui vous recommander, d'après les ordres de
+ l'empereur, <span class="pagenum"><a id="pagexx" name="pagexx"></a>(p. xx)</span> de ne point perdre de vue les instructions qui
+ vous ont été données et de veiller avec un soin constant à
+ l'exécution des mesures du blocus. Vous ne cesserez de faire sentir
+ au gouvernement hollandais, au roi même, quand vous en trouverez
+ l'occasion, combien il importe de ne laisser à l'Angleterre aucun
+ débouché pour ses marchandises sur le continent. Il faut attaquer
+ son commerce, puisque son commerce est la source de ses revenus,
+ puisque c'est là qu'elle puise les moyens de prolonger la guerre.
+ Toutes les puissances de l'Europe se sont réunies dans le même but,
+ et le succès des mesures qu'elles ont prises ne peut être douteux,
+ si partout on les fait exécuter avec persévérance et sévérité.</p>
+
+<p>S. M. impériale a été informée que des smoggleurs, sortant
+ journellement des ports de la Hollande, entretiennent des
+ communications avec les Anglais qu'ils instruisent de tout ce qui se
+ passe à Flessingue et dans l'Escaut. Vous appellerez l'attention du
+ gouvernement hollandais sur ces man&oelig;uvres qui peuvent avoir des
+ conséquences dangereuses et qu'il importe de prévenir. Les
+ smoggleurs qui communiquent avec les Anglais doivent être considérés
+ et traités comme espions.</p>
+
+<p>Il est un autre objet que S. Majesté recommande à vos soins, c'est
+ de faire en sorte que les Français de l'âge de la conscription qui
+ cherchent à se réfugier en Hollande ne puissent y être admis, et que
+ ceux qui y seront trouvés soient immédiatement anotés et remis aux
+ autorités françaises. Vous voudrez bien m'instruire du résultat des
+ démarches que vous aurez faites dans le terme des directions que je
+ suis chargé de vous transmettre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Werhuell.</p>
+<p class="date">Bayonne, 12 juillet.</p>
+
+<p>Lorsque S. Majesté, usant d'un juste droit de représailles, eut
+ déclaré les îles Britanniques et leurs colonies en état de blocus,
+ la presque totalité des puissances du continent, également blessées
+ par les prétentions exagérées de l'Angleterre, se réunirent
+ successivement à S. Majesté et résolurent, d'un commun accord, de
+ suspendre toute communication entre leurs États et les îles
+ Britanniques. Votre gouvernement adopta le premier les mesures qui
+ avaient été prises par l'empereur.</p>
+
+<p>Aujourd'hui l'Angleterre ne compte plus qu'une puissance amie sur le
+ continent. Tous les ports de l'Europe, à l'exception des ports de
+ Suède, sont fermés à son commerce. Les États-Unis d'Amérique ont
+ renoncé à toute communication commerciale avec elle, et il ne lui
+ reste plus de débouchés pour ses marchandises, de moyens
+ d'approvisionnement pour sa marine que dans ses propres colonies et
+ dans le Brésil, qui ne lui offre que de bien faibles ressources.
+ Plus son commerce est gêné, plus <span class="pagenum"><a id="pagexxi" name="pagexxi"></a>(p. xxi)</span> elle met d'activité, de
+ soin et d'adresse pour verser sur le continent, par le moyen de la
+ contrebande, ses marchandises et les denrées coloniales dont ses
+ magasins sont encombrés. Simulation de pavillon, papiers faux,
+ certificats d'origine publiquement contrefaits, tout est employé;
+ et, sans une surveillance active et continuelle de la part de toutes
+ les puissances du continent, les grandes mesures qu'elles ont
+ adoptées n'étant qu'imparfaitement exécutées n'obtiendront point
+ tout l'effet qu'on devait en attendre. Il ne suffit pas de fermer
+ tout débouché au commerce de l'Angleterre, et puisqu'elle est
+ séparée des autres puissances du continent en refusant de
+ reconnaître les principes du droit maritime qui les régit, il faut
+ maintenir l'interdiction qu'elle a prononcée elle-même, et que le
+ continent rompe toute communication avec elle. S. Majesté, en me
+ chargeant d'appeler l'attention de votre gouvernement sur ces deux
+ objets, se persuade que le roi son frère se fera un plaisir de
+ seconder ses vues et prendre les mesures les plus propres à déjouer
+ les tentatives de la contrebande, et à empêcher toute communication
+ quelconque entre ses sujets et les Anglais.</p>
+
+<p>Je prie V. Excellence de vouloir bien porter à la connaissance de sa
+ cour les communications que j'ai l'honneur de lui adresser
+ aujourd'hui.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Bayonne, 19 juillet.</p>
+
+<p>Dans une de vos dernières dépêches, vous avez énoncé une idée qui a
+ fixé l'attention de S. Majesté. Vous parliez de la difficulté de
+ prévenir le versement des marchandises de contrebande de Hollande en
+ France, difficulté qui tenait principalement à la nature des
+ frontières actuelles entre les deux États, et qui ne cesserait que
+ lorsque la frontière de l'Europe française aurait été portée jusqu'à
+ la Meuse. Sa Majesté n'a point méconnu la justesse de vos
+ observations, et elle entrevoit volontiers un arrangement avec le
+ roi son frère pour parvenir à une rectification de frontières qui
+ faciliterait l'action des douanes et aurait le grand avantage de
+ donner à la France une ligne non interrompue de limites naturelles.
+ Il est loin des idées de S. M. de demander des cessions gratuites à
+ la Hollande; elle ne veut même faire aucune proposition d'échange
+ avant de savoir si elle pourrait convenir au roi.</p>
+
+<p>Je vous invite en conséquence, Monsieur l'ambassadeur, à vouloir
+ bien sonder l'opinion du gouvernement hollandais à cet égard, vous
+ vous attacherez surtout à connaître quelles indemnités la Hollande
+ désirerait, dans la supposition où elle nous céderait soit les
+ territoires à la gauche de la Meuse, soit même tout ce qui est à la
+ gauche du Vaal. Le plus important pour la France est d'obtenir une
+ frontière fixe <span class="pagenum"><a id="pagexxii" name="pagexxii"></a>(p. xxii)</span> et bien définie, ce qu'elle trouve dans la
+ Meuse et encore plus dans le Vaal, soit que la Zélande fasse ou ne
+ fasse point partie de la cession.</p>
+
+<p>La Hollande peut trouver une compensation dans les pays d'Allemagne
+ qui sont encore à la disposition de Sa Majesté. Le grand-duc de Berg
+ est dans cette classe. Les souverains des petits États qui touchent
+ à la Hollande pourraient, au moyen d'arrangements particuliers, être
+ transportés ailleurs. Je ne vous en dis point davantage, Monsieur
+ l'ambassadeur, j'attends que vous m'ayez fait connaître les
+ dispositions dans lesquelles vous aurez trouvé le ministère
+ hollandais. Votre premier soin doit être de découvrir ses vues, de
+ savoir ce qui peut être à sa convenance, et, lorsque vous m'en aurez
+ instruit, j'aurai l'honneur de prendre et de vous faire connaître
+ les intentions de Sa Majesté; mais ne faites aucune proposition
+ directe.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 20 juillet.</p>
+
+<p>Les circonstances actuelles de l'Europe et les liens étroits qui
+ unissent la Hollande à la France, joints à la haute bienveillance
+ dont Sa Majesté l'empereur honore son auguste frère le roi, mon
+ maître, ont naturellement fait naître dans le c&oelig;ur de tout bon
+ Hollandais le désir de voir son pays partager les nouveaux liens qui
+ rapprochent d'autres États encore plus intimement de la France.
+ Lorsque la Hollande confia ses destinées au monarque chéri qui la
+ gouverne, elle voulut, en croyant assurer par là son intégrité, son
+ indépendance et son bonheur, prouver à la fois d'une manière
+ éclatante sa vive affection pour la France et son profond respect
+ pour le plus magnanime des monarques de l'univers. Constamment
+ animée de ces sentiments et fortement pénétrée de tout ce qu'elle
+ doit à l'alliance sacrée qui l'unit au peuple français, la Hollande
+ serait flattée d'en resserrer encore les liens, et l'on se persuade
+ d'atteindre ce but, si S. M. impériale et royale daignait regarder
+ comme un nouvel hommage de dévouement à son auguste personne le
+ désir de voir le royaume de la Hollande admis dans la confédération
+ du Rhin.</p>
+
+<p>Le poste éminent et honorable que Votre Excellence occupe auprès de
+ Sa Majesté la met plus que personne à même de savoir si l'expression
+ officielle de ce v&oelig;u de mon souverain ne déplairait point à
+ l'empereur. J'attacherais beaucoup de prix à être instruit par Votre
+ Excellence des intentions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi
+ à cet égard, et je m'estimerais très heureux si j'avais l'honneur
+ d'être choisi par mon souverain pour être auprès du magnanime
+ protecteur de la Confédération rhénane l'organe d'une demande
+ inspirée par le respect, la reconnaissance et un amour sans bornes.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagexxiii" name="pagexxiii"></a>(p. xxiii)</span> Me reposant sur la noblesse de caractère qui illustre
+ Votre Excellence et qui m'a inspiré depuis longtemps une confiance
+ illimitée, j'ose la prier de regarder ma demande comme n'ayant pas
+ été faite, si elle croit qu'elle ne serait pas agréable à S. M.
+ l'empereur.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 8 août.</p>
+
+<p>J'ai pu enfin m'acquitter jeudi dernier des ordres de l'empereur. Je
+ suis parvenu, après bien de vaines tentatives, à rejoindre M. Roëll
+ qui était au Loo depuis huit jours. J'ai parlé au ministre de l'idée
+ d'échanger le Brabant jusqu'à la rive gauche de la Meuse, et plus
+ encore du Vaal, contre des pays en Allemagne qui restaient à la
+ disposition de S. M. impériale et royale, en y comprenant le
+ grand-duché de Berg. J'ai fait sentir au ministre combien le système
+ des douanes souffrait de la mauvaise frontière qui existait
+ maintenant entre la Hollande et la France, combien nos agents
+ avaient rejeté souvent sur les autorités hollandaises les atteintes
+ portées aux lois françaises, et combien les deux gouvernements
+ avaient d'exemples du résultat désagréable de ce genre de
+ discussion; que l'empereur, en se donnant de ce côté une frontière
+ naturelle, ne voulait rien faire qui fût contre les intérêts du
+ royaume de Hollande; que c'était dans cette idée que Sa Majesté ne
+ fixait pas un échange, mais désirait avant tout savoir ce que le roi
+ de Hollande jugerait équivaloir à la partie de son royaume qu'il
+ devait céder. M. Roëll commença par me dire qu'il lui était
+ impossible de répondre à une proposition aussi inattendue, que le
+ roi pouvait seul donner une décision dans cette circonstance. Il me
+ laissa cependant entendre qu'il était personnellement contre cette
+ idée, et son opinion me parut basée sur cinq points principaux:</p>
+
+<p>Le 1<sup>er</sup> était la difficulté ou presque l'impossibilité de s'entendre
+ sur les travaux de mer indispensables dans les îles pour garantir le
+ midi de la province de Hollande, travaux sur lesquels les ingénieurs
+ d'un même gouvernement avaient déjà bien de la peine à être du même
+ avis, et sans lesquels la Hollande courrait les plus grands dangers.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Le ministre regarde le cours des rivières comme la seule
+ richesse de ce pays, et par conséquent le tharvlweg du Vaal comme
+ ruineux pour la Hollande.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Il estime le revenu du Brabant à cinq millions de florins, et
+ regarde que ce revenu augmente journellement.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> Son opinion est que pour pouvoir sauver sa patrie il est
+ nécessaire que le revenu territorial soit augmenté de cinq à six
+ millions, ou au moins de moitié, et qu'un échange amènerait
+ difficilement cet avantage; <span class="pagenum"><a id="pagexxiv" name="pagexxiv"></a>(p. xxiv)</span> qu'il verrait donc avec peine
+ le roi perdre d'anciens sujets sans acquérir la certitude que la
+ Hollande y gagnerait une existence stable et indépendante.</p>
+
+<p>5<sup>o</sup> Enfin M. Roëll m'a fait sentir qu'il y avait eu de grandes
+ discussions lorsqu'il s'agit, l'année dernière, de l'échange de
+ Flessingue, et qu'il ne savait pas jusqu'à quel point le roi
+ pourrait même traiter seul cet objet.</p>
+
+<p>Je répondis à ces observations:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Que l'on pourrait laisser à la Hollande les îles; que par
+ conséquent les travaux de mer resteraient dans ses mains.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Que le cours de la petite Meuse serait seul perdu pour la
+ Hollande, et que ses deux ports principaux, Amsterdam et Rotterdam,
+ lui resteraient toujours ainsi que sa navigation intérieure.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Que je regardais le revenu du Brabant comme très exagéré; qu'au
+ surplus ceci était une affaire de détail à laquelle je n'avais pas à
+ répondre puisqu'il ne s'agissait que d'asseoir le principe
+ d'échange, mais nullement de discuter la valeur des objets proposés.</p>
+
+<p>4<sup>o</sup> Que je venais de répondre à sa quatrième observation, et
+ qu'enfin la cinquième me paraissait d'autant moins fondée qu'une
+ fois la chose arrêtée du commun accord des deux parties et à leur
+ avantage réciproque, l'on prendrait la forme que l'empereur jugerait
+ nécessaire.</p>
+
+<p>Votre Excellence sentira que cette conversation nous mena très loin.
+ Le ministre rappela les sacrifices de la Hollande, en me faisant
+ entendre que le roi s'attendrait dans cette circonstance à une
+ augmentation de territoire, et que Sa Majesté préférerait un moins
+ grand avantage à un échange qui lui assurerait des revenus plus
+ considérables. Je suis tombé d'accord avec le ministre sur la
+ position malheureuse de ce pays, qui souffrait plus que le reste du
+ continent des mesures nécessitées par les circonstances; mais en
+ même temps je lui ai rappelé que le gouvernement n'avait rien fait
+ pour mériter les bontés particulières de l'empereur, puisque son
+ esprit était mauvais, sa direction habituellement vicieuse, et que
+ ce n'était qu'en insistant et par la crainte que l'on pouvait
+ l'amener à des mesures et à une conduite dont il cherchait à
+ s'écarter dans toutes les occasions; que j'en étais habituellement
+ témoin, et que certainement ce n'était pas ainsi que l'on acquerrait
+ le droit d'attendre une existence indépendante du souverain qui
+ pouvait tout; que le gouvernement hollandais était d'autant plus
+ répréhensible que c'était de lui seul que venaient les torts,
+ puisque le pays était bon et souffrait avec une résignation qui lui
+ faisait le plus grand honneur. M. Roëll m'a répété qu'il me priait
+ de regarder comme une simple conversation ce qu'il venait de me
+ dire, attendant les ordres du roi pour me communiquer sa réponse. Il
+ m'a témoigné son embarras d'en parler à Sa Majesté et m'a demandé
+ quelque chose par écrit: ce que j'ai refusé. <span class="pagenum"><a id="pagexxv" name="pagexxv"></a>(p. xxv)</span> On annonce
+ l'arrivée du roi pour jeudi. J'imagine qu'alors j'aurai l'honneur de
+ le voir et de savoir la détermination de Sa Majesté. On dit que le
+ roi donnera des fêtes pour le jour de saint Napoléon. Rien n'est
+ cependant encore connu. Je verrai M. Roëll aujourd'hui et pourrai
+ peut-être rendre compte à Votre Excellence de ce qu'il m'aura dit à
+ ce sujet.</p>
+
+<p>La côte est bien gardée. On a arrêté dernièrement plusieurs
+ passagers venant d'Angleterre. Il n'entre pas de marchandises. Nous
+ avons cependant assez régulièrement les nouvelles de Londres, et les
+ journaux du 28 sont en ville. Les nouvelles qu'ils contiennent sont
+ bien tristes sur l'Espagne. J'aime à les croire fausses. Je ne doute
+ pas que l'empereur reçoive tous ces journaux. Si Sa Majesté les
+ désirait, je puis les avoir sans me compromettre.</p>
+
+<p>Votre Excellence sait combien je surveille la fermeture des ports,
+ et elle doit supposer combien les mesures prises et exécutées
+ doivent être contraires à la majeure partie des habitants
+ d'Amsterdam. C'est donc avec une véritable peine que j'apprends que
+ les mêmes mesures ne sont pas exécutées partout avec la même
+ sévérité. J'ai la certitude positive qu'il entre à Brême une énorme
+ quantité de marchandises anglaises et que l'on ne fait rien pour
+ l'empêcher. Les négociants hollandais se plaignent alors d'un poids
+ qu'ils supportent seuls. Je ne puis rien répondre aux preuves qu'ils
+ me présentent et ma position devient désagréable. Je suis aussi
+ fâché de voir dans les journaux français l'arrivée dans nos ports de
+ navires américains chargés de denrées coloniales. Le prétexte qu'ils
+ ne sont pas entrés en Angleterre n'en est pas un admis ici, et l'on
+ a la certitude que beaucoup de navires ont des journaux doubles, et
+ que l'on imite si bien en Angleterre les signatures et les papiers
+ que les prétendus signataires ne peuvent pas même les reconnaître.</p>
+
+<p>J'apprends à l'instant que M. Roëll est encore à Utrecht. Je ne puis
+ donc rien mander de plus à Votre Excellence.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 11 août.</p>
+
+<p>J'arrive dans l'instant de chez le roi qui est à Amsterdam depuis
+ hier soir. Sa Majesté m'a fait écrire par son ministre des affaires
+ étrangères de me rendre à son palais, à deux heures. J'ai exécuté
+ cet ordre et n'ai pas été peu étonné en entrant dans le cabinet du
+ roi d'y trouver M. Roëll, ce qui n'était jamais arrivé depuis que je
+ suis en Hollande, Sa Majesté m'ayant entretenu toujours seul. J'ai
+ donc pensé qu'il s'agissait d'une réponse officielle à l'ouverture
+ que j'avais été chargé de faire <span class="pagenum"><a id="pagexxvi" name="pagexxvi"></a>(p. xxvi)</span> au sujet de l'échange
+ proposé par l'empereur comme rectification des frontières, et je ne
+ me suis pas trompé dans mon pressentiment. Le roi m'a répété
+ absolument tout ce que M. Roëll m'avait dit il y a quelques jours,
+ m'a déclaré son éloignement pour la cession proposée par l'empereur.
+ Sa Majesté m'a annoncé que, dans son opinion, cette proposition
+ était aussi désavantageuse pour lui personnellement que pour le pays
+ qu'il gouverne; qu'il serait perdu aux yeux des Hollandais;
+ qu'ainsi, s'il en était le maître, il ne pouvait l'accepter; qu'il
+ ne pouvait renoncer à d'anciens sujets; qu'enfin il m'enverrait une
+ réponse par écrit qui développerait plus en détail les différents
+ points de vue sous lesquels il envisageait cette affaire. J'ai eu
+ l'honneur d'observer au roi que l'avantage de la Hollande consistait
+ dans l'échange qui serait fait; qu'ainsi il paraissait difficile à
+ Sa Majesté de prévoir qu'il serait désavantageux à son royaume
+ puisqu'il n'était pas connu; que, quant à lui personnellement, il me
+ semblait que dans la position où étaient les finances de l'État, il
+ ne pouvait lui être préjudiciable d'admettre un principe qui aurait
+ pour but de les améliorer et de sauver son pays qui, de son propre
+ aveu, marchait journellement à sa ruine. J'ai eu la douleur
+ d'entendre le roi me tenir un langage d'indépendance absolument
+ nouveau. J'imagine que S. M. s'y est crue obligée en présence de son
+ ministre. J'ai répondu avec la dignité que j'ai cru qui convenait à
+ l'ambassadeur de l'empereur, mais en même temps avec tout le respect
+ que je dois à tant d'égards au frère de mon souverain. Je n'ai dit
+ que ce que je voulais dire; mais j'ai fait sentir au roi que d'aller
+ au devant d'une idée qui paraissait agréable à l'empereur ne me
+ paraissait pas devoir être si éloigné de sa pensée, surtout
+ lorsqu'elle était présentée par ma cour avec une modération qui
+ prouvait son intention de ne faire aucun tort à la Hollande. Je n'ai
+ voulu entrer dans aucun autre développement. M. Roëll était présent,
+ c'était une raison de plus de ne pas aller plus loin. J'aurai donc
+ l'honneur d'adresser à Votre Excellence la réponse du roi, si elle
+ me parvient avant le départ du courrier. Je n'étais pas heureux
+ aujourd'hui, car il m'est survenu un autre objet sur lequel je n'ai
+ pu tomber d'accord avec le roi. Il a été question des soldats de sa
+ garde que Sa Majesté a licenciés et de la pension que l'empereur
+ exige qui soit faite à ces soldats. Le roi m'a dit que ces
+ militaires étaient partis parce qu'ils ne voulaient plus rester à
+ son service; qu'ainsi il n'était tenu à leur donner aucune pension;
+ qu'il leur avait fait demander s'ils avaient de quoi vivre en
+ France; qu'ils avaient répondu affirmativement et avaient ajouté
+ qu'ils étaient très contents. J'ai eu l'honneur d'observer au roi
+ qu'ils avaient tenu un autre langage dans ma chancellerie où ils
+ s'étaient plaints de leur licenciement, en disant qu'ils ne
+ partaient que parce qu'ils ne voulaient pas devenir Hollandais. Sa
+ Majesté me dit les avoir fait parler, et me cita le général de Brac,
+ grand maréchal du palais, <span class="pagenum"><a id="pagexxvii" name="pagexxvii"></a>(p. xxvii)</span> comme ayant été chargé de
+ s'assurer qu'ils partaient entièrement de leur consentement. Le roi
+ sonna aussitôt, fit appeler M. de Brac qui dit qu'ils avaient tous
+ répondu qu'ils quittaient à regret le service du roi; mais que dès
+ qu'ils devaient devenir Hollandais pour y rester, ils préféraient
+ retourner dans leur patrie. J'ajoutai alors que cette réponse
+ cadrait parfaitement avec le dire des soldats, puisqu'ils n'avaient
+ quitté le service du roi que pour obéir à l'option qui leur avait
+ été faite. J'eus l'honneur de prendre congé de Sa Majesté, qui reste
+ encore quelques jours dans sa capitale, et qui donnera lundi, jour
+ de saint Napoléon, un concert et un bal. Le même jour j'ai engagé
+ dans un grand dîner les ministres du pays et étrangers, ainsi que
+ les chefs des autorités civiles et militaires.</p>
+
+<p>P. S. Le roi ne m'ayant rien envoyé, je suis obligé de fermer ma
+ dépêche. J'imagine que Sa Majesté expédiera un courrier à
+ l'empereur.</p>
+
+<p>P. S. J'ouvre ma dépêche pour envoyer à Votre Excellence la note de
+ M. Roëll.</p>
+</div>
+
+<p>Le duc de Cadore remit cette lettre à l'empereur après l'avoir fait
+suivre de la note ci-dessous:</p>
+
+<p class="lettre">Je renouvelle au sujet de cette lettre l'observation déjà faite que
+ M. de Larochefoucauld a été au delà de ses instructions lorsqu'il a
+ fait la proposition directe d'un échange sur lequel il était
+ seulement chargé de connaître les dispositions du gouvernement
+ hollandais.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 15 août.</p>
+
+<p>Je n'ai que le temps, avant le départ du dernier courrier, d'envoyer
+ à Votre Excellence la réponse officielle du roi transmise par M.
+ Roëll. Je l'ai déjà trouvée plus mesurée que ce que j'avais entendu
+ quelques heures auparavant, et j'ai su que le roi avait senti la
+ position fausse dans laquelle il s'était placé, ainsi que moi,
+ lorsqu'il me parla devant son ministre. J'ai eu l'honneur de revoir
+ Sa Majesté avec laquelle j'eus une longue conférence, et je dois à
+ la vérité d'assurer à Votre Excellence que je l'ai trouvée
+ absolument différente dans son opinion, du moins dans la manière de
+ l'exprimer. Le roi m'a dit que son idée, en rendant M. Roëll témoin
+ de sa réponse, était, dans une affaire aussi majeure, qu'elle fût
+ connue de son ministre. Je lui ai observé que ceci ne me paraissait
+ pas être le meilleur moyen d'atteindre son but; car son ministre
+ pouvait me répondre s'il ne s'agissait uniquement que de me faire
+ connaître sa détermination; mais que, me faisant l'honneur de
+ m'appeler, je devais supposer que Sa Majesté voulait discuter la
+ <span class="pagenum"><a id="pagexxviii" name="pagexxviii"></a>(p. xxviii)</span> proposition, ce qui devenait inutile dès que sa réponse
+ était concertée d'avance. Nous avons repris l'objet en question;
+ nous en avons discuté les avantages pour la Hollande ainsi que les
+ désavantages, et j'ai vu que la répugnance du roi à cet échange
+ tenait plutôt à l'impossibilité où il se croyait de céder une partie
+ de ses sujets, et au doute qu'il avait que cette proposition plût ou
+ convînt à la nation qu'à aucune autre raison; qu'ainsi il ne pouvait
+ pas le demander, mais qu'il ne s'y opposerait pas et en serait
+ peut-être bien aise, si le résultat était un avantage dont ce pays
+ ne peut se passer. Le roi m'a dit avoir écrit à l'empereur. Je puis
+ ajouter à Votre Excellence que plusieurs personnes m'ont parlé de
+ cette affaire, quelques-unes comme la désirant, regardant que leur
+ patrie a besoin de possessions en Allemagne pour se soutenir pendant
+ la guerre; d'autres comme espérant de la générosité de l'empereur un
+ avantage pour ce pays; enfin d'autres comme jugeant nécessaire de
+ faire une cession qui convenait à l'empereur, et par cela mériter
+ ses bontés et échanger l'opinion que l'on suppose à S. M. impériale
+ et royale sur la Hollande. Enfin, comme j'ai eu l'honneur de vous le
+ mander dans une de mes dépêches précédentes, l'on commence à sentir
+ que l'on ne peut plus rien attendre que de la France. Le résumé de
+ cette dépêche est donc que l'empereur peut faire l'échange s'il le
+ désire, et que Sa Majesté attirera à elle tout ce pays-ci si elle
+ juge devoir l'aider à sortir de la crise où la stagnation du
+ commerce le met. Le roi m'a traité avec beaucoup de bonté la
+ dernière fois que j'ai eu l'honneur de le voir. Je lui ai rappelé
+ différents griefs pour telle ou telle affaire particulière que
+ j'avais eu à traiter. Sa Majesté a eu la bonté de m'en éclaircir
+ plusieurs. J'espère, dans ce voyage, avoir fait quelques pas vers le
+ but que je me propose; il y a certainement du mieux. Il n'entre pas
+ de bâtiments, et c'est beaucoup. Je désire pouvoir bientôt mander à
+ Votre Excellence que ce mieux est devenu un bien. Je n'épargne rien
+ pour y parvenir. Je vais aller au <i>Te Deum</i> que le roi fait chanter
+ à sa chapelle.</p>
+
+<p>Dans mon premier numéro j'aurai l'honneur de vous rendre compte de
+ la manière dont la journée se sera passée<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a><a href="#footnote150" title="Lien vers la note 150"><span class="smaller">[150]</span></a>.</p>
+
+<p>M. le général Brunot, aide de camp du roi, vient d'être nommé grand
+ écuyer.</p>
+
+<p>M. le comte de Turkheim Montmartin, ministre de la cour de
+ Wurtemberg, vient d'obtenir son rappel, M. de Munch, son secrétaire
+ de légation, vient d'arriver. Il restera chargé d'affaires, en
+ attendant une nouvelle nomination.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagexxix" name="pagexxix"></a>(p. xxix)</span> <p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 18 août.</p>
+
+<p>Je me suis rendu le 15 de ce mois à la chapelle du roi où j'ai
+ entendu la messe et ensuite le <i>Te Deum</i> chanté pour la fête de
+ l'empereur. Le roi y a assisté; mais la cour n'était pas en grande
+ cérémonie, et le service ordinaire était simplement présent. Le roi
+ a travaillé avec ses ministres dans la matinée. J'ai ensuite donné
+ un grand dîner à tous les ministres du roi, aux grands officiers du
+ royaume et du palais, aux premiers fonctionnaires publics, civils et
+ militaires, et à tout le corps diplomatique. De toutes les personnes
+ qui entourent le roi, M. le maréchal de Brac et M. de Heckeren,
+ grand veneur, se sont seuls rendus à mon invitation. Au dessert, le
+ ministre des affaires étrangères a, d'après l'offre que je lui en ai
+ faite, porté le toast de l'empereur et y a joint l'expression de son
+ désir que S. M. impériale et royale veuille bien penser au bonheur
+ de sa patrie. Tout le monde était obligé de se rendre de très bonne
+ heure à la cour, ce qui m'a forcé de réunir en un seul toast: au
+ roi, à la paix maritime et au bonheur de la Hollande.</p>
+
+<p>Quant aux gazettes anglaises, je n'avais pas été plus loin avant
+ d'avoir la réponse de Votre Excellence; mais hier j'ai pris de plus
+ amples informations. On m'offre les papiers, les notes des
+ ministères, les ordres donnés dans les différents ministères, etc.;
+ mais pour cela l'on demande près de 3,000 fr. par mois; pour les
+ gazettes seulement moitié, ou un peu plus. Alors deux fois par
+ semaine vous pourriez les recevoir, et je les enverrais par exprès
+ jusqu'à Anvers, pour que cette correspondance fût à l'insu du
+ gouvernement hollandais qui pourrait bien l'empêcher. Je ne
+ paraîtrais nullement, et Votre Excellence peut s'en rapporter à ma
+ prudence et être sûre que je ne ferais rien qui puisse blesser le
+ moins du monde le système général. Répondez-moi, je vous en prie, le
+ plus promptement possible en m'indiquant la latitude que je puis
+ prendre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Paris, 26 août.</p>
+
+<p>J'ai reçu votre dépêche du 18 août, n<sup>o</sup> 27. Je vois avec
+ satisfaction que vous avez heureusement terminé l'affaire des deux
+ prises conduites à Helvoët-Huyr, et avec regret que le roi ait
+ l'intention d'insister désormais sur le principe même qui avait fait
+ naître la difficulté. Je sens bien tout l'inconvénient qu'il y
+ aurait à admettre ce principe et c'est ce que vous devez vous garder
+ de faire. Mais il y a de plus pour le combattre des raisons solides.
+ Si la Hollande était neutre, elle aurait en <span class="pagenum"><a id="pagexxx" name="pagexxx"></a>(p. xxx)</span> cette qualité
+ des obligations pour lesquelles le droit qu'elle réclame lui
+ pourrait être nécessaire. Mais elle est alliée de la France et son
+ alliée à perpétuité, son alliée envers et contre tous. Non seulement
+ les deux pays ont les mêmes amis et les mêmes ennemis, mais dans
+ l'un et l'autre les règlements concernant la navigation des neutres
+ sont entièrement et parfaitement les mêmes. La nature des choses
+ veut donc que lorsqu'il s'agit, soit de poursuivre l'ennemi commun,
+ soit d'empêcher les prévarications des neutres, les deux
+ territoires, quoique distincts, soient considérés comme un seul et
+ même; et, comme il ne peut être dans l'intention du gouvernement de
+ Hollande de protéger ses propres ennemis, il est évident qu'il ne
+ peut empêcher les opérations des armateurs français et vouloir les
+ enlever à leurs juges naturels, sans aller lui-même contre ses vues
+ autant que contre son intérêt. Telles sont les considérations que
+ vous aurez à faire valoir lorsque l'occasion s'en présentera.</p>
+
+<p>Des deux offres qui ont été faites relativement aux papiers anglais,
+ je n'accepte que celles qui regardent les gazettes. Je vous prie de
+ vouloir bien donner vos soins à me les procurer avec exactitude.
+ Vous pouvez, comme vous le proposez et si vous le jugez utile, les
+ envoyer par exprès à Anvers. Toutes les avances que vous aurez
+ faites pour cet objet vous seront remboursées à votre première
+ demande.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore au ministre de la marine.</p>
+<p class="date">Paris, 26 août.</p>
+
+<p>Au moment où je recevais la lettre que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois, il m'en parvenait une de M.
+ de Larochefoucauld où il m'annonce qu'il a terminé, selon vos désirs
+ et les siens, l'affaire des deux prises conduites par des corsaires
+ français à Helvoët-Huyr. Le roi a passé sur la violation du
+ territoire hollandais reprochée aux deux corsaires, mais en
+ déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères,
+ que, si dans cette occasion il se désistait de son juste droit,
+ c'était uniquement pour donner une nouvelle preuve de sa constante
+ déférence à ce que paraissait désirer S. M. l'empereur, son auguste
+ frère; mais que cette condescendance ne pourrait jamais tirer à
+ conséquence et qu'à l'avenir tous les cas de même nature seront
+ décidés suivant les statuts et les lois du royaume.</p>
+
+<p>Les Hollandais ont constamment soutenu et soutiennent que tout
+ étranger, même d'un pays leur allié, qui fait des prises dans leurs
+ eaux, viole leur territoire, ou, ce qui est la même chose, attente à
+ leur souveraineté et commet un délit dont la connaissance appartient
+ exclusivement au souverain offensé et dont la première conséquence
+ est de <span class="pagenum"><a id="pagexxxi" name="pagexxxi"></a>(p. xxxi)</span> rendre la prise illégale et nulle. Il faut
+ l'avouer, ce ne sont pas les Hollandais seuls qui ont professé cette
+ doctrine. Elle a été celle de toutes les puissances maritimes dans
+ les dernières guerres. Elle me semble admise par nos propres
+ ordonnances, et c'est en vertu de ce principe que nous-mêmes nous
+ avons exigé et obtenu de diverses cours, et naguère encore du
+ Danemarck, des indemnités pour des bâtiments français pris dans
+ leurs eaux.</p>
+
+<p>Sa Majesté le roi de Hollande, se montrant jaloux de son droit et
+ annonçant la résolution de ne s'en point désister à l'avenir, il me
+ paraîtrait désirable, pour éviter désormais des discussions
+ désagréables, qu'il fût enjoint aux corsaires de ne saisir dans les
+ eaux de la Hollande, à une distance des rivages moindre que la
+ portée du canon, aucun bâtiment sous pavillon neutre (car pour les
+ prises sous pavillon ennemi, il ne s'élèverait, je présume, aucune
+ difficulté, ou elles seraient aisément aplanies), ou du moins de ne
+ pas conduire dans les ports hollandais les bâtiments saisis à une
+ moindre distance, et cela sous peine d'être privés de l'intervention
+ et de l'appui du gouvernement français.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 août.</p>
+
+<p>J'ai eu l'honneur, dans un de mes numéros, d'informer Votre
+ Excellence que j'avais un moyen d'envoyer en Angleterre une personne
+ qui pourrait me rendre compte de la véritable situation de ce pays
+ et sonder ses intentions. Je prie Votre Excellence de me mander
+ simplement si S. M. impériale et royale désire que je conserve ce
+ moyen ou si elle veut que je l'abandonne. Ne voulant pas
+ compromettre ma cour, je retarde de donner une réponse, prétextant
+ mon désir de voir l'issue de quelques événements avant de ne rien
+ entreprendre; mais ceci a ses bornes, et je craindrais que la
+ personne regardât ce retard prolongé comme une manière de se jouer
+ d'elle; ce qui me priverait d'un agent qui est bon et m'a déjà été
+ souvent utile. Je demande donc simplement à Votre Excellence un oui
+ ou un non sur cet article.</p>
+
+<p>On a attendu ici le roi le 1<sup>er</sup> septembre; Sa Majesté donnera le 2
+ un grand bal pour son jour de naissance. Le ministre des affaires
+ étrangères a invité le corps diplomatique à un grand dîner pour le
+ même jour.</p>
+
+<p>Il y a quelques jours que les Anglais vinrent à Zandvoort, près de
+ la côte, à quatre lieues d'ici, demander du poisson. Sur le refus
+ que l'on fit de leur en donner, ils tirèrent sur ce village environ
+ 80 coups de canon. Le dommage, que l'on avait dit être très
+ considérable, est presque nul.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagexxxii" name="pagexxxii"></a>(p. xxxii)</span> Je viens d'être informé que le roi venait d'accorder la
+ libre sortie de tous les produits de la Hollande. Le ministre Roëll,
+ qui sort de chez moi et à qui j'en ai parlé, m'a assuré l'avoir
+ aussi entendu dire, mais n'en rien savoir positivement. Il m'a
+ simplement informé qu'il savait que l'on s'était adressé au roi pour
+ l'engager à donner un écoulement à la garance et aux avoines qui
+ étaient tombées en baisse par la quantité prodigieuse qu'il y en
+ avait dans le pays. Je ne doute pas que le roi n'ait mis des bornes
+ à cette permission, qui paraîtrait bien vague et dangereuse quant à
+ ses conséquences.</p>
+
+<p>On commence à organiser le commerce de cabotage le long de la côte
+ du Nord. On est informé ici que l'on charge des bâtiments en Russie
+ pour la Hollande, et le commerce espère dans ce nouvel essai
+ éprouver quelques adoucissements à la triste position dans laquelle
+ il se trouve réduit.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Roëll à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 28 septembre.</p>
+
+<p>J'avais l'honneur de m'adresser il y a peu de jours à Votre
+ Excellence pour la solliciter de se servir de toute son influence
+ auprès de S. M. impériale et royale afin d'obtenir à ce royaume un
+ accroissement de territoire, en dédommagement des sacrifices énormes
+ que les habitants ont déjà faits depuis longtemps et font encore
+ pour la cause commune. J'osais me flatter alors que S. M. impériale
+ et royale serait convaincue elle-même, d'un côté, de la nécessité
+ absolue de cet agrandissement, sinon pour nous tirer d'affaire, au
+ moins pour nous soulager dans l'état pénible où nous nous trouvons;
+ et que, d'un autre côté, elle serait si intimement persuadée de la
+ stricte observation du système de blocus dans ce royaume, que
+ lorsque l'occasion s'en présenterait, elle daignerait manifester son
+ contentement à ce sujet, comme elle l'a déjà fait une fois, il y a
+ quelques semaines, à l'ambassadeur Werhuell par l'organe de Votre
+ Excellence.</p>
+
+<p>J'étais donc loin de prévoir alors que, si peu de temps après, je
+ serais dans le cas de m'adresser à Votre Excellence sur le coup si
+ terrible qui vient de nous frapper dans le décret impérial du 16 de
+ ce mois, contenant une prohibition de faire entrer en France des
+ denrées coloniales venant de l'Espagne ou de la Hollande, et une
+ confiscation de tous les bâtiments qui entreraient dans la Suède;
+ décret qui, en supposant une facilité d'introduction de ces denrées
+ dans ce royaume et par là même une communication commerciale avec
+ l'ennemi, a fait la sensation la plus pénible parmi les habitants,
+ et a presque entièrement détruit l'espoir qu'ils avaient de trouver
+ dans les dispositions bienveillantes de <span class="pagenum"><a id="pagexxxiii" name="pagexxxiii"></a>(p. xxxiii)</span> S. M.
+ l'empereur et roi envers leur patrie une garantie puissante du prix
+ qu'ils recevraient un jour des sacrifices auxquels ils se sont
+ assujettis avec tant de résignation.</p>
+
+<p>En effet, que faut-il de plus pour succomber entièrement sous le
+ triste sentiment de sa destruction que de se voir assimilé sous
+ certains rapports à une nation qui, au lieu de reconnaître ce grand
+ et salutaire but de l'empereur et roi dans la part qu'il prend à
+ l'amélioration de leur existence, pousse l'ingratitude et
+ l'aveuglement assez loin pour se déclarer son ennemi ouvert, et de
+ s'y voir assimilé non seulement dans une communication de
+ gouvernement à gouvernement, mais dans une pièce qui, par sa nature
+ même, devait être publique, et par là à la face de l'Europe entière.</p>
+
+<p>Et, si tel est l'effet de ce décret sur la nation, quel ne doit donc
+ pas être celui qui en résulte auprès de l'auguste frère du souverain
+ qui l'a rendu? Que V. Excellence veuille juger elle-même. Avoir
+ satisfait à toutes les demandes qui ont été faites de la part de S.
+ M. impériale et royale, avoir été même au delà de ses désirs en
+ allant encore plus loin qu'en France même, et être dénoncée après
+ cela indirectement, comme manquant de bonne foi, à l'univers entier,
+ voilà des choses dont l'effet peut bien se sentir mais ne pas se
+ décrire.</p>
+
+<p>Comme le roi mon maître écrit lui-même à S. M. impériale et royale,
+ je crois ne devoir pas occuper plus longtemps l'attention de V.
+ Excellence sur l'effet que le décret dont il s'agit vient de
+ produire ni sur les observations à faire sur son contenu, puisque M.
+ le chevalier Bourdeaux, qui aura l'honneur de remettre cette lettre
+ à V. Excellence, est chargé de faire des représentations à ce sujet.
+ Je me borne donc à la prier qu'elle veuille bien les recevoir comme
+ officielles, et qu'ajoutant foi à tout ce que pourra lui dire M.
+ Bourdeaux sur la manière dont le blocus s'observe dans ce royaume,
+ elle veuille bien intercéder auprès de S. M. impériale et royale
+ pour que le décret soit modifié de manière à ce qu'il n'en reste
+ aucune impression désavantageuse ni pour le roi ni pour ses sujets,
+ ou que du moins il plaise à S. Majesté de faire voir par un
+ témoignage public de son contentement et de sa bienveillance à notre
+ égard, que le but du décret n'a rien qui doive inspirer de la peine
+ ou de l'inquiétude aux habitants de ce royaume.</p>
+
+<p>Qu'avant de finir V. Excellence me permette de lui transmettre
+ encore une seule réflexion particulière: c'est que, d'après ma
+ manière de voir, un sentiment pareil à celui dont j'ai parlé
+ ci-dessus ne saurait manquer d'être toujours mis à profit par
+ l'ennemi pour faire naître un mauvais esprit là où il n'existe pas,
+ et que c'est même une raison de plus pour ceux qui ont de bonnes
+ dispositions de souhaiter de voir écarter tout ce qui peut produire
+ un effet si peu désirable.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagexxxiv" name="pagexxxiv"></a>(p. xxxiv)</span> <p class="center smcap">Cadore à Roëll.</p>
+<p class="date">Erfurth, 12 octobre.</p>
+
+<p>M. le chevalier Bourdeaux m'a remis la lettre que vous m'avez fait
+ l'honneur de m'écrire. Je lui ai procuré sans délai une audience de
+ l'empereur, et il a eu l'honneur de remettre à S. Majesté la lettre
+ de S. Majesté le roi de Hollande. J'avais précédemment entretenu S.
+ M. l'empereur du sujet de la mission de M. le chevalier Bourdeaux et
+ je lui avais lu la lettre que vous m'avez adressée. Je suis autorisé
+ à vous déclarer que rien ne serait plus mal fondé que la supposition
+ qu'on aurait voulu comparer et mettre sur la même ligne les peuples
+ de la Hollande et de l'Espagne, un peuple patient, soumis, éclairé,
+ qui supporte avec courage de grands sacrifices, et des hommes
+ aveugles, égarés par l'ignorance et la violence de leurs passions,
+ et qui repoussent dans leur délire le bien qui leur est offert. Le
+ décret qui vous a donné lieu de faire cette supposition est tout à
+ fait étranger aux affaires politiques. Il a été proposé par le
+ ministre des finances, discuté au conseil d'État; c'est un décret
+ d'administration intérieure dicté par les intérêts de cette
+ administration. L'empereur en a plus particulièrement fait connaître
+ les motifs au chevalier Bourdeaux. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit
+ Sa Majesté, M. Bourdeaux en rendra compte au roi. J'ajoute seulement
+ que, dans le moment où nous cherchons à établir par des bâtiments
+ qu'on a appelés <i>aventuriers</i> des relations directes avec nos
+ colonies, on ne doit pas être étonné que nous cherchions à
+ décourager les importations des denrées coloniales qui sont faites
+ par les étrangers. Sa Majesté l'empereur m'a annoncé l'intention de
+ répondre à Sa Majesté le roi et de charger M. le chevalier Bourdeaux
+ de cette réponse<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a><a href="#footnote151" title="Lien vers la note 151"><span class="smaller">[151]</span></a>.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 décembre.</p>
+
+<p>J'avais été surpris d'apprendre que Sa Majesté avait terminé
+ l'affaire de la prise de <i>l'America</i> au moment même où je recevais
+ la réponse de V. Excellence et avant que ma dernière note ait pu
+ parvenir au ministre; mais m'étant aperçu depuis longtemps que
+ toutes les dépêches de <span class="pagenum"><a id="pagexxxv" name="pagexxxv"></a>(p. xxxv)</span> V. Excellence étaient ouvertes
+ avant de m'être remises, je me suis assuré que celle-ci avait eu le
+ même sort. Il devient donc plus que probable que les ministres
+ hollandais auront craint de continuer une opposition devenue inutile
+ et auront engagé le roi à prendre une décision conforme au désir de
+ l'empereur. Au reste, V. Excellence n'entendra plus parler de cette
+ affaire, le vice-consul ayant touché les fonds.</p>
+</div>
+
+<p>Nous terminerons cette curieuse correspondance diplomatique relative
+aux affaires de la Hollande en 1808, par deux lettres, écrites les 3
+et 24 septembre d'Amsterdam par le prince Dolgorouki, ministre de
+Russie en Hollande, à M. le comte de Romanzoff, ministre des
+relations extérieures de Russie; toutes deux avaient été copiées à
+la poste. Ainsi, M. de Larochefoucauld avait trouvé moyen d'obtenir
+des copies de dépêches étrangères importantes. On a vu, par la
+lettre précédente, que le gouvernement hollandais agissait du reste
+de la même manière à l'égard de la France.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Avant-hier le roi de Hollande arriva vers les huit heures du soir à
+ Amsterdam et y fut reçu aux plus vives acclamations d'une foule de
+ peuple immense. Des inquiétudes sur l'état de sa santé, le bruit
+ qu'on s'était plu à répandre qu'il avait été mandé à Paris pour
+ assister à une réunion de famille, et plus que cela, un passage mal
+ rédigé du programme de la fête à célébrer le 2 de ce mois, avaient
+ fait craindre qu'il n'y viendrait pas, et cette crainte redoubla
+ l'expression de la joie qu'on a éprouvée à le revoir. La journée
+ d'hier lui a prouvé à quel point il était aimé; des gens de
+ différents partis et d'opinions opposées se sont empressés de se
+ rendre à la cour, et l'on a remarqué qu'il y avait au moins deux
+ fois plus de monde qu'à la fête du 15 août. Ce jour-là le roi
+ portait l'ordre de Hollande et celui de la Toison d'or; mais hier il
+ n'était décoré que du seul ordre de Saint-André. S. Majesté me dit
+ au cercle diplomatique: «Monsieur le prince Dolgorouki, j'aurai bien
+ des choses à vous dire la première fois que nous causerons ensemble.
+ Mon ministre m'a transmis tout ce que l'empereur Alexandre lui a dit
+ à mon sujet, et j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance; je
+ n'ai pu aussi qu'être très flatté de la manière dont S. M.
+ l'empereur a bien voulu distribuer les cordons de Hollande que
+ j'avais mis à sa disposition; aussi, pour célébrer ma fête, je n'ai
+ pas cru pouvoir mieux faire que de me décorer de l'ordre de mon
+ frère Alexandre. J'ai un secret pressentiment que c'est à lui que
+ nous devons la paix générale. C'est le plus beau rôle à jouer que
+ celui de pacificateur du monde, et ce rôle lui est réservé. Je fais
+ continuellement des v&oelig;ux pour qu'il éloigne de nous toute idée de
+ guerre.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagexxxvi" name="pagexxxvi"></a>(p. xxxvi)</span> M. Roëll me souffla à l'oreille que M. de Six<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a><a href="#footnote152" title="Lien vers la note 152"><span class="smaller">[152]</span></a> avait
+ dîné chez l'empereur, mon maître; qu'il avait apprécié cette
+ distinction, qu'il en était tout glorieux et qu'on avait été
+ enchanté ici de ses dernières dépêches.</p>
+
+<p>Le roi revint ensuite à moi pour m'annoncer que le bataillon de
+ Gorcum serait prêt dans quatre jours. Il m'engagea à être indulgent,
+ ajoutant qu'il aurait voulu faire davantage, mais que le temps
+ manquait et qu'il avait pensé qu'il serait plus utile d'en presser
+ le départ avant la mauvaise saison.</p>
+
+<p>Le ministre de la guerre, faute de logement, a donné hier un grand
+ dîner dans une auberge. M. Roëll, moins mal logé, a invité chez lui
+ le corps diplomatique. Les envoyés de Danemark et de Bavière, tous
+ deux très malades, n'y sont pas venus. S. Majesté voulait dîner avec
+ les ministres de famille, mais le baron de Munchhausen, envoyé de
+ Westphalie, eut seul cet honneur, dont l'ambassadeur de France n'a
+ pas pu profiter, étant attaqué d'une inflammation de la vessie.</p>
+
+<p>Le bal de la cour a été très nombreux et très brillant; les quatre
+ nouvelles dames du palais ont été présentées. Le roi a paru très
+ gai, très bien portant et a fort bien supporté les fatigues de cette
+ journée qui a été terminée par un souper de quatre cents couverts,
+ auquel cependant il n'assista point. Ma femme et moi nous fûmes
+ placés à la table de S. Majesté, dont le grand maréchal fit les
+ honneurs. Le palais, ainsi que les principaux édifices de la ville,
+ ont été illuminés; les théâtres furent ouverts gratis et 20,000
+ florins furent distribués aux pauvres.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Deuxième lettre.</p>
+
+<p>Le <i>Moniteur</i> du 13 septembre nous rapporte le discours du comte
+ Regnault de Saint-Jean-d'Angély relatif à la conscription de 1810.
+ Déjà, y est-il dit, les côtes de France, de Russie, d'Italie,
+ d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-Bretagne.</p>
+</div>
+
+<p>Comme dans ce passage il n'est pas fait mention des côtes de la
+Hollande, on ignore si cette omission provient de ce que les côtes
+hollandaises sont censées appartenir à la France, ou bien qu'on ne
+les croit pas entièrement interdites à la Grande-Bretagne. Cette
+dernière supposition acquiert un plus haut degré de probabilité par
+un nouveau décret de l'empereur, qui défend d'introduire en France
+les denrées coloniales qu'on pourrait vouloir y faire passer
+d'Espagne, de Portugal ou de Hollande. Les bons Hollandais,
+scrupuleux observateurs des lois et des ordonnances de leur pays,
+voient avec douleur <span class="pagenum"><a id="pagexxxvii" name="pagexxxvii"></a>(p. xxxvii)</span> que l'empereur les assimile ainsi
+aux Espagnols et aux Portugais, avec lesquels ils n'ont rien de
+commun. Car il est bien certain qu'il n'y a aucun rapport ni aucune
+relation entre la Hollande et l'Angleterre, à moins qu'on ne regarde
+comme tels l'arrivée ou le départ de quelques individus qui, de
+temps à autre, parviennent, au risque de leur vie, à se soustraire à
+la vigilance des douaniers et des gardes-côtes, ce qui est très rare
+et ne pourra jamais être empêché par des mesures plus strictes que
+celles qu'on emploie maintenant. Il y a quelque temps qu'un
+particulier s'étant jeté dans une nacelle à Sendvaart pour passer en
+Angleterre, fut tué d'un coup de fusil par un douanier hollandais.
+Un autre particulier, plus heureux, après s'être tranquillement
+promené le long des dunes de Schvesingen, s'est précipité à la mer
+et a gagné un cutter anglais à la nage. Ces faits prouvent bien à
+quel point est poussée la surveillance, puisqu'on est obligé de
+recourir à des moyens si violents pour s'y soustraire. Enfin, comme
+je l'ai déjà dit, il n'y a ici ni marchandises ni gazettes
+anglaises, sinon de loin en loin, et par pièces et morceaux, et le
+plus souvent arrivant par Anvers.</p>
+
+<p>L'existence de la Hollande paraît à tous égards péricliter de plus
+en plus. Onze cent millions de dettes qui absorbent annuellement
+quarante millions d'intérêt, et les fortes impositions que le défaut
+de commerce met dans l'impuissance d'acquitter, doivent
+nécessairement amener dans peu une banqueroute générale. Le manque
+de numéraire commence déjà à se faire sentir, ainsi que celui des
+lingots d'or et d'argent regardés comme marchandises.</p>
+
+<h3><span class="smcap">Année 1809.</span></h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">De Larochefoucauld au duc de Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 23 janvier 1809.</p>
+
+<p>Monsieur, j'ai l'honneur d'accuser réception à V. Excellence de la
+ lettre par laquelle elle m'enjoint de notifier à la cour de Hollande
+ l'intention de S. M. impériale et royale que le roi son auguste
+ frère imite son exemple en ne recevant pas, de la cour de Rome, les
+ cierges bénits qu'elle est dans l'usage d'envoyer aux différentes
+ cours catholiques.</p>
+
+<p>J'ai exécuté à cet égard les ordres de V. Excellence, et j'aurai
+ l'honneur <span class="pagenum"><a id="pagexxxviii" name="pagexxxviii"></a>(p. xxxviii)</span> de lui transmettre la réponse que je
+ recevrai du gouvernement hollandais.</p>
+</div>
+
+<p>Le 13 février, le ministre de Hollande prévient le ministre de
+France que le roi ne recevrait pas les cierges bénits, se plaint de
+la froideur polie du roi à son égard et ajoute:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Il est vrai qu'ignorant les intentions de l'empereur j'ai cru devoir
+ me mettre en mesure d'exécuter tels ordres qu'il plairait à ma cour
+ de me donner; j'ai donc désabusé le commerce et presque la totalité
+ des Hollandais de la fausse idée que l'empereur était la cause de
+ leurs malheurs et voulait leur ruine.</p>
+
+<p>J'ai séparé ce que l'on devait attribuer à la force des événements
+ de ce qui tenait à la conduite blâmable du gouvernement hollandais;
+ j'ai assuré que la multiplicité des décrets dont on se plaignait
+ n'était pas ordonnée par l'empereur, comme on cherchait à le faire
+ croire; enfin j'ai prouvé à la saine partie de la nation que son
+ véritable intérêt était d'être attachée à mon souverain, la Hollande
+ ne pouvant attendre de salut que des bontés de l'empereur. Je crois
+ pouvoir assurer à V. Excellence que j'ai pleinement réussi.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 6 février.</p>
+
+<p>Monsieur, nos occupations sont maintenant bien tristes en Hollande.
+ La plus grande partie des provinces méridionales de ce royaume est
+ submergée et les détails qui nous arrivent journellement sont loin
+ d'être rassurants, etc.</p>
+
+<p>Le roi qui, comme j'ai eu l'honneur de le mander à V. Excellence,
+ est parti il y a près de quinze jours, après s'être arrêté 24 heures
+ à Utrecht, a été jusqu'à la ville de Gorcum. Il paraît que dans
+ cette dernière ville S. Majesté a couru de grands dangers et que les
+ ordres qu'elle a donnés, ainsi que le courage, que la présence du
+ souverain impose toujours, ont fortement contribué à garantir de
+ l'inondation la partie de la ville de Gorcum située dans la province
+ de Hollande. La partie gueldroise de cette ville était déjà sous
+ l'eau, et ce n'est qu'à force de monde qu'on a pu préserver la digue
+ qui sépare les deux parties de cette même ville. Je regrette
+ qu'après avoir terminé ce voyage, qui fait d'autant plus d'honneur
+ au roi que sa santé est délicate, S. Majesté n'ait pas cru devoir
+ revenir dans sa capitale. Le roi est resté à Utrecht où il est
+ depuis plusieurs jours et où il a fait venir une grande partie de sa
+ maison. Tous les ministres ont été appelés avant-hier. D'un autre
+ <span class="pagenum"><a id="pagexxxix" name="pagexxxix"></a>(p. xxxix)</span> côté, la prorogation des séances du Corps législatif,
+ qui retient à Amsterdam les plus riches propriétaires, ne leur avait
+ fait aucun plaisir, et l'absence du roi leur fait craindre que
+ l'époque fixée au 15 mars ne soit encore insuffisante...</p>
+
+<p>Il existe donc un mécontentement qui balance les justes éloges que
+ l'on se plaît à rendre à la conduite personnelle du roi.</p>
+</div>
+
+<p>Le ministre terminait cette lettre en se plaignant de ce que le roi
+avait voulu recevoir un Français alors en Hollande, M. Faypault,
+ancien préfet, sans qu'il soit présenté à son audience par lui,
+comte de Larochefoucauld, ministre de France. L'empereur fit
+répondre, le 24 février, que le roi son frère pouvait, à cet égard,
+agir comme bon lui semblait<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a><a href="#footnote153" title="Lien vers la note 153"><span class="smaller">[153]</span></a>.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center">Dépêche secrète.</p>
+<p class="center smcap">Werhuell à Roëll.</p>
+<p class="date">Paris, 3 février 1809.</p>
+
+<p>La situation déplorable de la Hollande est connue et appréciée à
+ Paris.&mdash;On voudrait y porter remède pourvu qu'on n'enfreignit pas le
+ système du blocus.&mdash;Il y a d'ailleurs défaut de confiance dans le
+ gouvernement hollandais. Il faudrait demander quelles sont les
+ intentions précises de l'empereur sur le blocus.&mdash;En se bornant aux
+ mesures prises en France, on obtiendrait une amélioration réelle. Ce
+ qu'on a fait en plus a paru illusoire et suspect.&mdash;Une convention
+ fixe devrait stipuler les moyens de surveillance. Il ne pense pas
+ qu'on se contente d'une surveillance purement hollandaise. On
+ voudrait y adjoindre sans doute temporairement une inspection
+ française; à ce prix on pourrait obtenir l'abaissement des tarifs
+ sur divers objets et faciliter l'échange entre les deux pays.&mdash;Le
+ cabotage pourrait se faire sous protection de bateaux armés.&mdash;Il
+ faudrait dresser une liste d'objets sur lesquels porterait
+ l'abaissement des tarifs, pour les présenter dans un mémoire étendu
+ sur la situation de la Hollande.&mdash;Le point délicat est l'inspection
+ française de la surveillance; mais il croit qu'il n'y a rien à faire
+ sans cela.</p>
+</div>
+
+<p>Cette dépêche étant parvenue au roi par l'entremise de son ministre
+des affaires étrangères, Sa Majesté écrivit au-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagexl" name="pagexl"></a>(p. xl)</span> <p class="date">Amsterdam, 20 février 1809.</p>
+
+<p>Nous renvoyons le rapport ci-joint à notre ministre des affaires
+ étrangères pour répondre au maréchal Werhuell de donner la note
+ diplomatique d'après laquelle il a fait sa dépêche, parce qu'il
+ m'est impossible de croire que le maréchal soit assez jeune homme
+ pour ne pas sentir que ce n'est pas dans ce sens qu'on doit écrire.
+ Quelle que soit son opinion, c'est la nôtre qu'il doit embrasser.</p>
+
+<p>Il est là pour la faire valoir et la défendre, et pour ne jamais
+ donner tort à son pays, quelque chose qui s'y fasse. Notre ministre
+ susdit lui fera connaître de plus que nous avons particulièrement
+ marqué la phrase: <i>Car Sa Majesté l'empereur ne souffrira pas qu'on
+ se serve, etc.</i>, phrase qui peut appartenir au ministre de
+ l'empereur de dire, mais qui n'appartient à qui que ce soit d'autre
+ de nous adresser, et principalement à un Hollandais, quand cela
+ vient de notre ambassadeur, cela nous paraît tout à fait
+ incompréhensible.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 13 février.</p>
+
+<p>Sa Majesté est arrivée hier d'Utrecht à 7 heures du matin. On
+ m'assure que le roi n'est pas incommodé des fatigues qu'il a
+ souffertes dans ses différentes courses. Enfin il est pénible de
+ voir que, lorsque le pays est si bien disposé, le gouvernement le
+ soit aussi peu à rendre justice aux Français, ce qui m'oblige à
+ réclamer très souvent pour des objets qui ne devraient pas faire la
+ moindre difficulté. Le gouvernement hollandais est inquiet; mille
+ choses me le prouvent. Non seulement l'on m'a fait plusieurs
+ questions, mais encore l'on s'est adressé à d'autres personnes que
+ l'on supposait instruites. L'ambassadeur n'écrit rien et son silence
+ étonne et afflige.&mdash;Si le gouvernement attend avec impatience et
+ crainte ce que l'empereur décidera, les vrais Hollandais ne sont pas
+ moins tourmentés de l'incertitude de leur situation politique. Les
+ têtes sages regardent l'absence de la reine comme une preuve de
+ l'instabilité de leur position. Plusieurs personnes marquantes m'en
+ ont parlé souvent dans ce sens. Elles craignent pour leur patrie
+ tant que leur souveraine n'est pas au milieu d'eux, comme un gage
+ des bontés de Sa Majesté impériale et royale pour la Hollande. Cette
+ opinion est générale, elle occupe tous les amis de l'indépendance de
+ ce pays-ci, qui savent et reconnaissent qu'ils ne peuvent avoir
+ d'autre système politique que celui de la France et qui voient à
+ regret que leur gouvernement dépasse souvent les hautes conceptions
+ de l'empereur sans jamais en atteindre le but.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagexli" name="pagexli"></a>(p. xli)</span> Décret de l'empereur (3 mars) cédant en toute souveraineté
+au prince Napoléon-Louis, fils aîné du roi de Hollande, le
+grand-duché de Berg et Clèves, qui lui était rétrocédé par Murat par
+suite du traité de Bayonne du 15 juillet 1808<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a><a href="#footnote154" title="Lien vers la note 154"><span class="smaller">[154]</span></a>.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 28 février.</p>
+
+<p>Votre Excellence connaît tout l'empressement que le roi mon maître a
+ mis à concourir aux mesures du blocus des Îles Britanniques
+ décrétées par S. M. impériale et royale. Elle sait également que Sa
+ Majesté n'a pas borné ses dispositions à celles qui existaient à ce
+ sujet en France, mais que, pour ôter à ses sujets jusqu'à la
+ possibilité même d'entretenir des relations de commerce avec
+ l'ennemi, elle a cru devoir fermer pendant quelque temps ses ports à
+ toute espèce de navigation et suspendre l'exportation des produits
+ du sol et de l'industrie nationale, même pour les ports neutres et
+ amis.</p>
+
+<p>En imposant à son peuple des sacrifices dont l'histoire n'offre
+ guère d'exemple, Sa Majesté a donné la plus éclatante preuve de la
+ pureté de ses intentions et de son dévouement à la personne de S. M.
+ impériale et royale. Mais un système qui ôte à un peuple commerçant
+ tous les moyens de faire le commerce ne saurait être suivi que
+ pendant un très court espace de temps, et Sa Majesté est maintenant
+ convaincue de l'impossibilité d'y persister davantage sans que la
+ ruine d'un très grand nombre de ses sujets n'en soit le résultat
+ inévitable.</p>
+
+<p>N'ayant cependant et ne pouvant même avoir d'autre volonté que celle
+ d'entrer dans les mesures que son auguste frère a conçues pour le
+ continent, Sa Majesté a réfléchi sur les moyens de concilier les
+ dispositions du blocus avec les besoins de son peuple, et elle s'est
+ déterminée à adopter pour son pays toutes les mesures que le
+ gouvernement français a prises ou pourrait prendre encore durant
+ cette guerre à l'effet d'empêcher les communications avec
+ l'Angleterre et avec les possessions britanniques dans les deux
+ Indes, mais à accorder aussi à ses nationaux les mêmes avantages que
+ S. M. impériale et royale laisse au commerce français.</p>
+
+<p>Chargé d'avoir l'honneur d'informer V. Excellence des dispositions
+ <span class="pagenum"><a id="pagexlii" name="pagexlii"></a>(p. xlii)</span> que Sa Majesté compte introduire avec le commencement du
+ mois prochain, je m'en acquitte par la présente et profite en même
+ temps de l'occasion pour lui exprimer de nouveau les v&oelig;ux de ma
+ cour, qu'il plaise à S. M. impériale et royale de supprimer le
+ décret du 16 septembre dernier et de rétablir les relations du
+ commerce entre les deux pays sur le même pied où elles étaient avant
+ cette époque. Le roi m'a autorisé à donner les assurances les plus
+ positives qu'il emploierait tous les moyens qui sont en son pouvoir
+ à surveiller la stricte exécution des mesures adoptées pour empêcher
+ toute communication avec l'ennemi. L'organisation actuelle des
+ douanes hollandaises, au sujet de laquelle V. Excellence m'a demandé
+ quelques renseignements que j'ai l'honneur de lui adresser
+ ci-joints, offre à cet effet bien des ressources. Sa Majesté les
+ augmentera de toute manière et elle recevra avec reconnaissance les
+ projets d'amélioration que le gouvernement français voudra bien lui
+ soumettre.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 6 mars.</p>
+
+<p>On a reçu plusieurs fois des nouvelles du roi. Sa Majesté, le jour
+ même de son départ, a été au Loo, d'où elle a fait quelques petites
+ excursions. Elle est partie trois jours après pour Zvol et l'on
+ suppose qu'elle continuera sa tournée pour l'Over-Yssel et que
+ peut-être elle reviendra par le Brabant. Le roi voyage avec le
+ ministre de l'intérieur et celui des cultes. Sa Majesté est en outre
+ accompagnée des officiers de sa maison que j'ai eu l'honneur de
+ désigner à V. Excellence dans mon dernier numéro. On assure que le
+ roi est bien portant et content de son voyage. Le ministre de
+ Wesphalie a reçu un courrier du roi Jérôme. Il est en conséquence
+ parti sur-le-champ pour rejoindre Sa Majesté le roi de Hollande. Les
+ communications entre ces deux cours sont très fréquentes. V.
+ Excellence sait mieux que personne que Varel<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a><a href="#footnote155" title="Lien vers la note 155"><span class="smaller">[155]</span></a> est rendu à S. A.
+ le duc d'Oldenbourg; M. Berger, qui était chargé ici de suivre cette
+ négociation, est sur le point de repartir. Il doit remettre
+ aujourd'hui à M. Roëll une boîte avec le portrait du duc. Je
+ rappellerai à V. Excellence la nécessité d'empêcher que cette
+ restitution ne nuise à l'ensemble des mesures prises pour empêcher
+ la contrebande. Varel peut devenir très nuisible s'il n'est pas bien
+ gardé. On m'a assuré qu'il serait occupé par des troupes françaises:
+ de cette manière, tout est bien. <span class="pagenum"><a id="pagexliii" name="pagexliii"></a>(p. xliii)</span> Dans le cas contraire,
+ il deviendrait indispensable de surveiller la communication entre
+ Varel et Helgoland. On s'occupe ici d'un nouveau cérémonial,
+ malheureusement les grands officiers de la couronne qui sont chargés
+ de ce travail sont peu propres à remplir sur cet objet les
+ intentions du roi. Aucun n'a connu les cours étrangères et, par
+ conséquent, ne peut juger du bien ou des inconvénients de telles ou
+ telles étiquettes. Au reste nous avons grand besoin d'un changement,
+ car rien n'est fixé. Il y a quelques jours, le corps diplomatique
+ avait été invité au bal du roi par le chambellan de service, et l'on
+ apprit par le ministre des affaires étrangères, à 6 heures du soir,
+ que le bal n'aurait pas lieu le même jour, à 8 heures; et la note
+ officielle qui annonçait ce changement prévenait aussi qu'une
+ audience diplomatique qui devait précéder le bal était ajournée,
+ tandis que personne n'avait connaissance de cette audience.</p>
+
+<p>Je regrette de n'avoir pu remplir les ordres de V. Excellence,
+ relativement à l'article qu'elle m'avait chargé de faire insérer
+ dans la gazette hollandaise la plus répandue; mais il avait paru
+ dans la <i>Gazette royale</i>, deux jours auparavant, un article que j'ai
+ l'honneur de vous envoyer. Il avait été publié par ordre du roi,
+ d'après, ce que l'on assure, les informations venues à Sa Majesté
+ par M. Jacobson, son ministre près S. A. I. le prince Primat. Les
+ différents rédacteurs ont eu peur que l'on ne regardât cet article
+ comme une réfutation de celui de la <i>Gazette royale</i>, et, comme ils
+ sont sujets à une censure sévère, ils ont demandé qu'on les garantît
+ de ce qu'on pourrait leur dire à ce sujet. J'ai pensé que cela ne
+ remplissait pas le but de V. Excellence, et je me suis contenté de
+ faire passer, par une main sûre, ce même article à Hambourg, où il
+ sera rendu public et d'où il reviendra en Hollande sans que l'on
+ puisse soupçonner qu'il vienne de moi. Au surplus, j'ai employé des
+ personnes si sûres, que je puis répondre que personne n'a
+ connaissance de ce que j'ai fait et voulu faire.</p>
+
+<p>On répandait hier en ville que la véritable raison du départ du roi
+ était une entrevue que Sa Majesté devait avoir avec le roi de
+ Westphalie. On disait aussi que le baron de Münchhausen n'était
+ parti que pour rejoindre son souverain.</p>
+
+<p>On croit ici à la guerre. Les lettres de Paris et celles de Vienne
+ en contiennent l'assurance. On ne peut plus placer aucun papier sur
+ cette dernière place, à quel taux que ce soit. On parle aussi d'une
+ expédition du Danemark contre la Suède, et l'on assure qu'une
+ immense quantité de marchandises anglaises et coloniales trouve un
+ débouché en Russie. Au reste, toutes ces nouvelles sont des <i>on dit</i>
+ que V. Excellence peut apprécier mieux que personne. Ce qui n'est
+ pas une chose incertaine, c'est la position affreuse de la Hollande
+ et la nécessité de s'occuper de <span class="pagenum"><a id="pagexliv" name="pagexliv"></a>(p. xliv)</span> son sort. Toute la ville
+ assure que le retour de la reine est très prochain, et cette idée
+ plaît généralement.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">23 mars.</p>
+
+<p>Le dernier décret de l'empereur au sujet du grand-duché de Berg a
+ été l'objet de toutes les conversations et chacun s'est permis d'en
+ tirer des conséquences. On aurait désiré que la Hollande retirât
+ quelques avantages présents de cette donation.</p>
+
+<p>Je n'ai pas à me plaindre maintenant de la marche des affaires,
+ elles se traitent mieux qu'elles ne le faisaient anciennement, et,
+ depuis quelque temps, je crois que la contrebande continue et
+ qu'aucun bâtiment n'est admis dans les ports; mais cette situation
+ ne peut durer longtemps. Le besoin d'exportation se fait sentir tous
+ les jours davantage, et on me parle souvent du décret qui empêche
+ l'entrée en France des denrées coloniales et autres. Je rappelle
+ souvent cet objet à Votre Excellence, mais j'y suis forcé, étant
+ continuellement pressé de solliciter les bontés de l'empereur à ce
+ sujet.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">30 mars.</p>
+
+<p>... Le roi m'a paru peiné d'avoir appris que l'empereur croyait que
+ les communications de la Hollande avec l'Angleterre étaient
+ rétablies. Il me dit que faisant autant, il était fâché de voir la
+ même opinion subsister encore. Il me fit ensuite l'honneur de
+ m'annoncer que S. M. impériale et royale n'ayant pas répondu à son
+ projet d'exportation, elle regardait ce silence comme une
+ approbation et donnait des ordres en conséquence.&mdash;Je dois avoir
+ l'honneur d'affirmer à Votre Excellence que, quoique j'exerce la
+ plus grande surveillance sur ce qui se passe dans les ports de la
+ Hollande, je ne me suis aperçu d'aucune entrée de bâtiments chargés
+ de marchandises prohibées; que certainement il se fait quelque
+ contrebande surtout par la Frise et Helgoland, mais que cette
+ introduction est si peu considérable que tous les articles défendus
+ n'éprouvent aucune baisse à la bourse. Enfin je ne puis que répéter
+ la satisfaction que j'ai éprouvée de trouver le roi dans de bonnes
+ dispositions et de m'être aperçu que Sa Majesté paraissait sentir
+ que les choses n'avaient pas été jusqu'à présent comme nous avions
+ lieu de le désirer et qu'il était dans l'intention de changer ce qui
+ pouvait avoir déplu à l'empereur. Il est possible que je me flatte
+ et que cette bonne direction <span class="pagenum"><a id="pagexlv" name="pagexlv"></a>(p. xlv)</span> ne soit pas de longue durée.
+ J'espère le contraire et ferai mon possible pour entretenir le roi
+ dans cette nouvelle marche.&mdash;Votre Excellence aura vu, dans les
+ papiers anglais, la défense de laisser en Angleterre les beurres,
+ les fromages et les genièvres venant de Hollande. Ceci me paraîtrait
+ prouver que les mesures contre l'introduction des marchandises
+ anglaises sont bien exécutées dans ce pays-ci.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 11 avril.</p>
+
+<p>J'ai reçu les ordres les plus pressants du roi mon maître, de
+ communiquer confidentiellement à Votre Excellence les inquiétudes
+ dans lesquelles Sa Majesté se trouve au sujet des préparatifs
+ secrets qui se font actuellement dans les ports de l'Angleterre et
+ qui pourraient bien être dirigés contre les côtes de la Hollande.</p>
+
+<p>Ce qui paraît autoriser cette idée, c'est que depuis quelque temps
+ les Anglais prennent et amènent nos pêcheurs, qu'ils s'approchent
+ plus constamment et plus près des côtes, qu'enfin, depuis quelques
+ jours, ils reconnaissent les côtes et sont occupés à sonder partout
+ où elles présentent des facilités pour un débarquement.</p>
+
+<p>Les forces que le roi a de disponibles pour s'opposer à un projet de
+ débarquement quelconque sont extrêmement faibles; il ne reste à Sa
+ Majesté que ses gardes et deux bataillons qu'elle a donné l'ordre de
+ concentrer et de faire camper pour en tirer le meilleur parti en cas
+ de besoin. Elle fait armer en même temps la garde nationale, mais
+ elle ne se dissimule pas combien peu elle doit se reposer sur ces
+ deux ressources, et que son pays serait essentiellement exposé si
+ elle ne peut pas augmenter son corps d'armée, n'ayant d'ailleurs
+ pour la garde des côtes que quelques canonniers et quelques hussards
+ de distance en distance.</p>
+
+<p>Je prie Votre Excellence de mettre cet état de choses sous les yeux
+ de S. M. l'empereur, qui saisira d'un coup d'&oelig;il tous les dangers
+ de la Hollande, et accueillera, je l'espère, les sollicitations du
+ roi pour que les troupes hollandaises, actuellement dans le nord de
+ l'Allemagne, puissent rejoindre le pays et contribuer à sa défense.
+ Le roi m'a chargé de demander cette faveur avec d'autant plus
+ d'instance qu'elle regarde que la réunion de ces troupes à celles
+ qui lui restent lui donnera à peine les forces suffisantes pour
+ faire une résistance convenable à une attaque éventuelle<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a><a href="#footnote156" title="Lien vers la note 156"><span class="smaller">[156]</span></a>.</p>
+
+<p>Le roi mon maître, en me donnant les ordres ci-dessus énoncés, m'a
+ envoyé en même temps deux lettres pour son très auguste frère, et
+ m'a <span class="pagenum"><a id="pagexlvi" name="pagexlvi"></a>(p. xlvi)</span> enjoint de solliciter une audience particulière de Sa
+ Majesté pour avoir l'honneur de les lui remettre. Je serais très
+ flatté si Votre Excellence voudrait en faire part à S. M. impériale
+ et royale et m'obtenir cette grâce.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 23 mai.</p>
+
+<p>Les nouvelles entraves qu'éprouve de toutes parts le commerce
+ hollandais m'imposent le devoir de renouveler à Votre Excellence
+ avec les plus vives instances les démarches que j'ai déjà eu
+ l'honneur de faire plus d'une fois pour obtenir de S. M. l'empereur
+ et roi que les relations commerciales entre la France et la Hollande
+ soient rétablies sur le même pied où elles étaient avant les mesures
+ prohibitives émanées de France dans le mois de septembre dernier.</p>
+
+<p>Votre Excellence sait que l'implacable ennemi de la prospérité
+ hollandaise vient de déclarer de nouveau en état de blocus tous les
+ ports de la Hollande. Il empêche également la sortie des bâtiments
+ neutres chargés de productions hollandaises, et comme la saison où
+ nous sommes entrés permet à ses nombreuses croisières d'observer
+ toute l'étendue de nos côtes d'un bout à l'autre, le peu de commerce
+ qui restait encore à ce pays est par là entièrement détruit.</p>
+
+<p>L'inimitié entre les deux nations est à son comble, et si
+ l'Angleterre pouvait anéantir aujourd'hui toute la Hollande, elle y
+ emploierait tous ses moyens et regarderait la destruction de son
+ ancienne rivale comme la plus grande conquête remportée sur
+ l'industrie des autres nations.</p>
+
+<p>Il paraît que ce nouvel acharnement est une suite de la sévérité
+ avec laquelle le roi a fait exécuter dans les ports de son royaume
+ les mesures du blocus. Les Anglais ont cru devoir s'en venger. Mais
+ le peuple hollandais, habitué depuis longtemps aux plus grands
+ sacrifices, toujours ferme et inébranlable dans ses principes, ne
+ ralentira pas ses efforts pour la cause commune. Il aime à nourrir
+ l'espoir qu'il trouvera dans ses relations avec la France une
+ compensation à ses pertes.</p>
+
+<p>Le roi mon maître, plaçant dans cet état de choses, comme toujours,
+ sa confiance entière dans l'amitié de son très auguste frère, se
+ flatte que S. M. impériale et royale voudra bien prendre en
+ considération qu'il est impossible que la Hollande reste entre deux
+ prohibitions, et désire vivement qu'elle accorde la suppression du
+ décret du 16 septembre dernier qui pèse si fâcheusement sur les
+ liaisons commerciales entre les deux pays et est si nuisible à leurs
+ intérêts réciproques.</p>
+
+<p>Votre Excellence connaît particulièrement la fâcheuse impression et
+ les funestes résultats que ce décret a produits en Hollande; je la
+ prie <span class="pagenum"><a id="pagexlvii" name="pagexlvii"></a>(p. xlvii)</span> donc instamment de vouloir profiter de la première
+ occasion favorable pour mettre le contenu de cette lettre sous les
+ yeux de S. M. impériale et royale et d'honorer ma demande de son
+ appui.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 30 avril.</p>
+
+<p>Les affaires continuent à suivre une bonne direction, et je commence
+ à croire que véritablement l'intention du gouvernement hollandais
+ est changée. Le roi envoya hier à son ministre des affaires
+ étrangères le décret relatif à la sortie et à l'entrée des
+ marchandises indiquées dans ce décret. Il lui enjoignait de me le
+ communiquer; une fois le principe admis, je crois que la rédaction
+ des articles doit prévenir tous les abus.</p>
+
+<p>N'ayant reçu aucune réponse de Votre Excellence au sujet de ce
+ décret, je dois supposer que S. M. impériale et royale y donne son
+ assentiment. Je n'ai donc pas cru devoir discuter le principe, mais
+ prendre simplement toutes les précautions possibles pour que le
+ système général de l'empereur ne souffre aucune atteinte. J'ai lieu
+ d'espérer que le gouvernement hollandais sera sévère, qu'il punira
+ de la manière la plus forte toute espèce de fraude. Je lui ai fait
+ entendre qu'il était indispensable pour le bien du commerce que
+ cette sévérité ne souffrît aucune exception, et je crois l'avoir
+ persuadé.</p>
+
+<p>Le roi, par un décret du 2 de ce mois, vient de séparer
+ l'administration des douanes du ministère des finances.</p>
+
+<p>Sa Majesté a nommé M. Van Meuwen, conseiller d'État dans la section
+ des finances, son administrateur général des douanes. M. Van Meuwen
+ est du Brabant. L'opinion générale me paraît être qu'il mettra du
+ zèle et de l'exactitude dans ses fonctions. Quant à ses moyens, ils
+ sont peu connus, du moins des personnes à qui j'en ai parlé. Je sais
+ de la manière la plus positive que ce décret du roi a été pris dans
+ l'intention d'entrer dans les vues de l'empereur et que Sa Majesté
+ l'a décidé sans en parler à ses ministres; celui des finances n'en
+ ayant été informé que lorsque le nouveau directeur général des
+ douanes est venu lui porter la lettre du roi qui lui annonçait sa
+ nomination.</p>
+
+<p>Sa Majesté est attendue aujourd'hui pour dîner. Demain, il y a bal à
+ la cour, et, dans peu de jours, je crois que le roi ira en Zélande
+ et retournera à Utrecht.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 8 mai.</p>
+
+<p>Je prie Votre Excellence de vouloir bien, lorsque l'occasion s'en
+ présentera, <span class="pagenum"><a id="pagexlviii" name="pagexlviii"></a>(p. xlviii)</span> parler à l'empereur du décret du 16 octobre
+ qui interdit en France l'entrée de toutes les denrées coloniales
+ venant de la Hollande. Ce décret, indépendamment qu'il affecte
+ beaucoup le roi, nuit essentiellement au commerce de ce pays, qui ne
+ trouve pas de débouché pour les objets qu'il a encore en magasin. Il
+ a de plus l'inconvénient d'habituer les Hollandais à un commerce de
+ contrebande qui s'établit du côté du grand-duché de Berg.</p>
+
+<p>J'ai de plus la certitude qu'il serait très agréable au roi que
+ l'empereur reconnût, et, plus encore, portât, ne fût-ce qu'un
+ instant, l'ordre que Sa Majesté a fondé. Si Votre Excellence pouvait
+ être autorisée à m'écrire quelques mots à ce sujet, je crois que
+ cela ferait grand plaisir au roi.</p>
+
+<p>Le roi s'occupe maintenant à mettre la Zélande en état de défense.
+ Sa Majesté avait donné ordre que l'on désarmât l'île de Gorée; mais
+ sur les représentations qui ont été faites au roi, Sa Majesté a
+ rapporté cette décision, et la batterie de Borschin, jugée une des
+ plus importantes de la Zélande, vient d'être augmentée. Le colonel
+ Domrat, aide-de-camp du roi, commande le génie dans cette partie de
+ la Hollande.</p>
+
+<p>Les camps ne sont pas encore établis. Les troupes sont cantonnées
+ dans les environs de Naarden et de Wesesp, c'est-à-dire très près
+ d'Amsterdam. Le général Tarayre est toujours destiné à commander le
+ camp qui doit être de 25,000 hommes. La division hollandaise qui
+ était à Brême, Hambourg, etc., est en marche pour se rendre à
+ G&oelig;ttingue. Elle n'a laissé qu'environ 3,000 hommes pour garder
+ les positions qu'elle occupait.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 12 mai.</p>
+
+<p>Le roi est arrivé avant-hier à 4 heures du matin. J'ai eu l'honneur
+ de voir Sa Majesté le même jour. Je l'ai trouvée en parfaite santé
+ et point fatiguée de ses voyages, malgré la chaleur étouffante qu'il
+ fait ici depuis trois semaines. Il paraît que le projet du roi est
+ de rester peu de jours à Amsterdam. Sa Majesté doit aller à
+ Southdeck et au Loo, mais elle reviendra souvent dans sa résidence
+ où sa présence ne peut produire qu'un bon effet. Le roi a été à
+ Flessingue. Il me semble que Sa Majesté m'a dit qu'elle avait écrit
+ à l'empereur. Elle a admiré notre flotte qui est maintenant composée
+ de dix vaisseaux de ligne; mais elle n'a pas été contente ni de
+ l'état dans lequel elle a trouvé la place ni de l'attitude de notre
+ amiral qui, à ce que j'ai appris, n'a rendu au roi que les honneurs
+ de prince français, mais pas ceux dus à son rang, ce qui m'a fait
+ d'autant plus de peine que, dans les circonstances présentes, le roi
+ <span class="pagenum"><a id="pagexlix" name="pagexlix"></a>(p. xlix)</span> marchant franchement au même but que l'empereur, il est
+ utile et nécessaire d'entourer Sa Majesté d'une force d'opinion dont
+ elle a besoin pour maintenir la tranquillité qui règne dans son
+ royaume, et que la bonne intelligence entre les deux cours et la
+ grande déférence pour le roi est l'arme la plus forte que l'on
+ puisse mettre dans les mains de Sa Majesté. J'ai donc soin de
+ rejeter et d'oublier tout ce qui s'est passé, même ce qui pourrait
+ encore me blesser, pour défendre le roi, dès que l'on cherche à
+ attaquer quelques-unes de ses actions. J'ai rendu compte à Votre
+ Excellence des pamphlets et des libelles qui ont circulé ici. De
+ très mauvais propos ont été dits et répétés à Amsterdam et des
+ lettres anonymes ont été écrites au roi. Sa Majesté a méprisé toutes
+ ces attaques indirectes. Une seule femme qui répandait ces libelles
+ a été arrêtée et est encore maintenant dans les mains de ta justice.
+ L'exemple de la Westphalie a, je crois, fait une grande impression
+ sur le roi. J'ai eu l'honneur de causer longtemps avec Sa Majesté,
+ sur ce sujet; je l'ai trouvée telle que je pouvais le désirer, et
+ bien franchement le frère de l'empereur. Le point sur lequel le
+ gouvernement hollandais doit avoir les yeux le plus ouverts est
+ l'Ost-Frise où il règne le plus mauvais esprit. Heureusement les
+ Anglais ne cherchent pas à y débarquer, car il est triste de penser
+ qu'ils y seraient reçus à bras ouverts. Plusieurs propositions
+ d'actes de sévérité ont été faites au roi, mais S. M. les a très
+ sagement écartées. Elle ne se fait pas illusion sur la position de
+ l'Ost-Frise et sur la contrebande qui s'y fait depuis cet hiver.
+ Mais ce malheur momentané, et qui n'a pas de grandes conséquences,
+ ne peut pas entrer en comparaison avec le danger d'exciter des
+ troubles, qu'il serait peut-être ensuite difficile d'apaiser. La
+ Hollande est dépourvue de troupes. La formation de la garde
+ nationale a souffert de grandes difficultés. Il deviendrait donc
+ impossible d'employer de grands moyens de répression dans un pays où
+ il n'y a plus d'esprit public. Le roi se contente de diminuer le mal
+ autant que possible, en attendant une époque plus heureuse pour
+ l'extirper entièrement. Les finances sont toujours l'objet de la
+ plus grande sollicitude; le commerce diminue, les moyens
+ s'affaiblissent, et j'ignore comment l'on fera ici si cet état de
+ choses doit durer longtemps. Nous aurions besoin en Hollande d'une
+ preuve d'approbation de l'empereur, et d'un de ces mots que S. M.
+ impériale et royale sait dire si à propos pour donner du courage et
+ de la force aux gouvernements et de l'espérance aux habitants. V.
+ Excellence ne doute pas que l'espoir de nos ennemis soit dans le peu
+ de confiance qu'ils croient que nous devons avoir dans la Russie. Il
+ est donc malheureux que nous n'ayons pas ici un ministre de cette
+ nation plus prononcé. Le prince Dolgorouki, sans tenir ouvertement
+ une conduite opposée à notre cour, n'est pas tel que je pourrais le
+ désirer, et sa manière de partager nos succès équivaut à un regret
+ d'être forcé de <span class="pagenum"><a id="pagel" name="pagel"></a>(p. l)</span> les admirer. Il élève habituellement des
+ doutes sur le résultat de la campagne. Maintenant ses prétendues
+ inquiétudes sont portées sur Schill, qu'il regarde comme pouvant
+ détruire l'armée française. Heureusement, comme je crois déjà avoir
+ eu l'honneur de vous le mander, il ne jouit ici d'aucune espèce de
+ crédit. Ainsi ses paroles ont peu de poids; mais le petit effet
+ qu'elles produisent est mauvais. Il a déjà reçu, je crois, une forte
+ réprimande de sa cour: une seconde serait très bien placée.</p>
+
+<p>Les troupes hollandaises sont maintenant campées à quelques lieues
+ d'ici. Les camps d'Harlem et de La Haye sont regardés comme
+ l'avant-garde de celui qui couvre Amsterdam. Tous sont sous le
+ commandement du général Tarrane, capitaine des gardes. Un autre
+ capitaine des gardes commande la cavalerie.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 13 mai.</p>
+
+<p>Je profite de l'occasion de M. de Vaux, qui est appelé au quartier
+ général de S. M. impériale et royale, pour faire parvenir cette
+ dépêche à Votre Excellence.</p>
+
+<p>Depuis quelques jours il s'est répandu ici plusieurs pamphlets
+ écrits dans un très mauvais esprit: ils ont été saisis par la
+ police. Celui que l'on répandait avec la plus grande profusion était
+ une espèce de manifeste du prince d'Orange qui, rappelant aux
+ Hollandais leur ancienne splendeur et le bonheur dont ils
+ jouissaient sous son gouvernement, les invitait à le rappeler au
+ milieu d'eux, promettant d'y venir sur le champ et de les défendre,
+ aidé par les Anglais, contre les dangers qu'ils pourraient redouter.
+ Ces pamphlets n'ont produit aucune fermentation; mais l'opinion
+ publique est bien molle et l'absence du roi fait un bien mauvais
+ effet. On est étonné et fâché de voir le voyage du roi se prolonger
+ dans des circonstances aussi importantes. Le roi perd dans l'opinion
+ publique, et je crains que les personnes qui entourent Sa Majesté ne
+ l'engagent à s'éloigner de sa capitale que pour lui nuire et le
+ perdre. J'ai de fortes raisons de croire qu'ils me craignent, et ils
+ caressent les anciennes idées du roi, en ne lui faisant voir
+ d'indépendance que lorsqu'il est éloigné des Français. Je me fais
+ rendre compte de tout ce qui se passe, et si je voyais le moindre
+ danger, je me rendrais sur le champ auprès du roi pour déjouer les
+ mauvais esprits qui l'entourent. Tout est tranquille ici. La
+ garnison d'Amsterdam est au camp de Naarden. La garde du roi est
+ même partie, et le palais, ainsi que la ville, n'a plus qu'un
+ bataillon de vétérans qui occupent tous les postes. Le ministère est
+ dans de très bonnes dispositions et je l'y maintiendrai. <span class="pagenum"><a id="pageli" name="pageli"></a>(p. li)</span> V.
+ Excellence peut donc être bien tranquille; je lui écris aujourd'hui
+ à la hâte et aurai l'honneur de lui rendre un compte plus détaillé
+ au premier moment.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 mai.</p>
+
+<p>Malheureusement, malgré toutes les peines que je prends et tout le
+ désir que j'ai de voir régner une bonne harmonie entre le
+ gouvernement hollandais et ma cour, je me trouve forcé de rendre
+ compte à V. Excellence d'un nouvel incident qui fait suite à ceux de
+ même nature que j'ai supportés depuis quinze mois et dont je n'ai
+ pas parlé; mais celui-ci devient plus grave par la grandeur de
+ l'événement auquel il a rapport et par l'effronterie que l'on a eue
+ d'en faire un article de la Gazette royale d'aujourd'hui.</p>
+
+<p>V. Excellence sait peut-être que le dimanche est en Hollande le jour
+ que l'on passe ordinairement à la campagne, comme le seul dont les
+ négociants puissent disposer. J'étais invité dans les environs de la
+ ville et je devais partir samedi soir. Ayant appris qu'il devait y
+ avoir un <i>Te Deum</i> à la cour, j'écrivis samedi à M. Roëll qu'ayant
+ des projets de campagne, je désirais savoir si le Corps diplomatique
+ était invité au <i>Te Deum</i>, pour régler ma marche d'après sa réponse.
+ Le ministre me répondit d'abord qu'il allait s'en informer
+ positivement. Deux heures après il m'écrivit un billet par lequel il
+ me prévenait que M. le baron de Pallandt, chambellan de service,
+ venait de lui mander que mon invitation était déjà expédiée. Je
+ restai donc en ville, ignorant si le <i>Te Deum</i> aurait lieu le matin
+ ou le soir, et ne voulant pas en aucun cas y manquer. La matinée se
+ passa sans recevoir aucune lettre de la cour, enfin à une heure et
+ demie M. de Pallandt m'envoya un valet de chambre pour me prévenir
+ que le <i>Te Deum</i> venait d'être chanté, et pour me demander si je
+ n'avais pas reçu d'invitation. Je répondis au valet de chambre que
+ je n'avais rien reçu, et que probablement elle n'avait pas été
+ expédiée. J'écrivis ensuite à M. Roëll pour me plaindre d'un pareil
+ oubli, et de la manière leste et peu convenante dont il avait été
+ réparé. Le ministre me répondit une lettre d'excuse dans laquelle il
+ s'efforça de m'assurer qu'il n'y avait eu aucune intention de me
+ manquer, mais un simple oubli. Le roi me fit appeler à la cour. Je
+ me rendis aux ordres de Sa Majesté. Elle voulut bien me témoigner
+ ses regrets, me dit des choses obligeantes, m'assura avoir fortement
+ réprimandé les auteurs de cette faute, et quoique j'aie trouvé le
+ roi enclin à prendre le parti de son chambellan, je n'ai pas eu à me
+ plaindre. Je rappelai seulement à Sa Majesté combien j'avais
+ supporté de petites <span class="pagenum"><a id="pagelii" name="pagelii"></a>(p. lii)</span> choses de ce genre, et combien il me
+ paraissait nécessaire qu'elle voulût bien y mettre ordre. Le roi
+ partait ce matin. J'eus donc l'honneur de prendre congé de Sa
+ Majesté. Ma conférence se termina en parlant au roi de plusieurs
+ affaires qui se traitaient à présent et après avoir renouvelé à Sa
+ Majesté l'assurance de mon zèle à faire valoir la marche nouvelle
+ qu'elle avait prise, et je ne parlai plus de l'affaire du matin.
+ Mais tout à l'heure, en lisant la Gazette royale, je lis: «Il a été
+ chanté hier dans la chapelle royale, en présence de toute la cour,
+ un <i>Te Deum</i> en l'honneur des étonnantes victoires de l'armée
+ française. Son Excellence l'ambassadeur de France devait y assister,
+ mais une indisposition l'en empêcha.»</p>
+
+<p>J'écrivis sur le champ au ministre des affaires étrangères la lettre
+ dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. Excellence, et j'aurai
+ celui de vous faire part de la réponse du ministre dès qu'elle me
+ sera parvenue. Je me décidai ensuite à démentir le fait inséré dans
+ la Gazette. V. Excellence trouvera bon, j'espère, que je sois
+ fortement blessé d'être ainsi récompensé de la conduite plus que
+ modérée que je tiens en Hollande, elle approuvera que je n'aie pas
+ laissé croire aux Hollandais, qui me voient journellement, que je
+ n'aie pas voulu assister au <i>Te Deum</i> chanté pour des événements
+ aussi marquants et qui intéressent aussi directement mon souverain
+ et mon pays. Je prendrai cette occasion d'avoir l'honneur de vous
+ assurer que tout ce qui est fait ici en l'honneur de nos victoires
+ l'est d'une manière peu conforme à la grandeur des événements. Le
+ canon fut tiré il y a trois jours pour notre entrée à Vienne, mais
+ personne n'en fut informé que par la gazette. Car les ordres furent
+ donnés de le tirer à six heures du matin et absolument à une
+ extrémité de la ville. Il n'y eut aucune fête à la cour, aucune
+ audience extraordinaire; enfin le <i>Te Deum</i> fut chanté hier
+ simplement à la chapelle du roi. Il n'y avait que deux ou trois
+ dames du palais et les personnes qui tiennent au service personnel
+ du roi. Le Corps diplomatique n'y était même pas invité. Je devais
+ être le seul admis à faire ma cour au roi dans cette circonstance
+ marquante. Que V. Excellence veuille bien ajouter à ceci que les
+ bulletins de notre armée ne sont pas publiés en Hollande tels qu'ils
+ sont réellement, mais que l'on en donne uniquement un extrait, ayant
+ soin d'en ôter tout ce qu'ils contiennent de réflexions politiques.
+ Quant à M. de Pallandt, dont je viens d'avoir l'honneur de vous
+ parler, ce chambellan est une des personnes qui professent les
+ opinions les plus opposées à la France et à l'empereur. Il se vante
+ d'influencer le roi et de le diriger d'après ses opinions. Tous les
+ Français en sont et en ont toujours été mécontents. Enfin il serait
+ trop long de répéter à V. Excellence tous les propos qu'il a tenus
+ dans toutes les circonstances qui se sont présentées.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pageliii" name="pageliii"></a>(p. liii)</span> Les justes observations faites à l'empereur sur le triste
+sort de la Hollande, non seulement par les agents de ce malheureux
+pays, mais par ceux de la France, finirent par être écoutées.
+Napoléon, par un décret daté d'Ebersdorf, 4 juin 1809, rapporta
+celui du 16 septembre 1808. En voici la teneur:</p>
+
+<p class="lettre">Les relations commerciales entre la France et la Hollande seront
+ rétablies sur le même pied qu'avant notre décret du 16 septembre
+ 1808.</p>
+
+<p>Cette nouvelle, parvenue à Amsterdam le 16 juin 1809, répandit la
+joie dans le royaume. Le duc de Cadore l'annonça à Larochefoucauld
+par la lettre suivante, du 5 juin:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>M. l'amiral Werhuell m'avait adressé au nom de sa cour de nouvelles
+ instances pour la révocation du décret du 16 septembre. J'ai
+ entretenu Sa Majesté de cet objet et elle a bien voulu rétablir les
+ relations entre les deux pays sur le pied où elles étaient
+ antérieurement.</p>
+
+<p>Je n'ai point laissé ignorer à M. Werhuell que l'empereur avait été
+ déterminé par ce que vous avez mandé de l'exactitude avec laquelle
+ les mesures contre le commerce anglais étaient exécutées depuis un
+ certain temps. Sa Majesté a été très surprise et même peu satisfaite
+ d'apprendre que M. Janssins, l'un des ministres du roi, ait été
+ chargé d'une mission (sans doute publique) auprès de S. A. S. Madame
+ la grande-duchesse de Toscane, qui n'est point <i>souveraine</i>.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 6 juillet.</p>
+
+<p>J'ai eu l'honneur de mander à V. Excellence que les bâtiments
+ américains continuaient à entrer dans les ports de la Hollande. Le
+ roi n'a pas encore pris de résolution formelle à cet égard, mais on
+ assure que le décret qui autorise l'arrivée de ces bâtiments est
+ déjà rendu et qu'il sera bientôt public.</p>
+
+<p>Il y a trois jours qu'une scène fort désagréable arriva au Texel. Un
+ corsaire français s'empara de deux navires américains. Les
+ stationnaires hollandais se rendirent sur les prises, en arrachèrent
+ le pavillon français et empêchèrent le capitaine du corsaire de
+ communiquer avec ses prises. V. Excellence verra par le rapport
+ ci-joint les détails de cet événement. Comme je n'ai pas encore de
+ réponse de V. Excellence à ma dépêche du 19 juin, je me suis borné à
+ écrire à M. Roëll la lettre dont je joins une copie. Je n'ai pas
+ voulu aller plus loin, mais il est pénible de voir mes espérances
+ s'évanouir chaque jour davantage. Les <span class="pagenum"><a id="pageliv" name="pageliv"></a>(p. liv)</span> affaires, au lieu de
+ prendre une tournure satisfaisante, empirent à chaque instant. La
+ contrebande augmente d'une manière effrayante. La mauvaise marche du
+ gouvernement reprend un nouvel essor, et l'on dirait que l'acte de
+ bonté de l'empereur n'a servi qu'à réveiller une conduite aussi
+ blâmable qu'insensée. Le commerce souffre beaucoup et désapprouve
+ tout ce qui se passe maintenant. De fortes représentations ont été
+ faites, mais malheureusement tout est inutile, et nous sommes
+ retombés dans la même position que l'été dernier.</p>
+
+<p>Le roi est au Loo. Sa Majesté voit ses ministres tous les 15 jours
+ ou toutes les trois semaines. Elle est entourée des dames du palais
+ et des officiers de sa maison, et s'occupe dans la matinée des
+ affaires et de l'arrangement de ses jardins. Le soir, il y a concert
+ ou spectacle. Personne n'est admis au Loo que les Hollandais qui y
+ sont invités, et je regarde ces voyages prolongés comme une des
+ causes de ce dont j'avais à me plaindre. Le roi y est livré à
+ quelques personnes qui abusent de sa bonté. Les ministres mêmes ne
+ sont pas là pour faire des observations à Sa Majesté, et les
+ affaires y sont décidées sans cet ensemble qui est indispensable
+ dans la direction d'un gouvernement.</p>
+
+<p>Des nouvelles que je reçois dans le moment me forcent à reparler à
+ V. Excellence de l'affaire arrivée dernièrement au Texel. Un second
+ corsaire français vient d'adresser au consul général un rapport qui
+ est absolument conforme à celui que j'envoie à V. Excellence; mais
+ des lettres d'un des armateurs, qui est au Helder, ajoutent que les
+ Hollandais maltraitent les Français qui sont à bord des prises,
+ qu'ils les empêchent de venir à terre, tandis qu'ils accordent cette
+ permission aux Américains; qu'enfin les papiers de ces prises
+ viennent d'être envoyés au directeur général des douanes ou au
+ ministre de la marine; qu'ainsi il deviendra très difficile de
+ réfuter l'objection qui sera faite que ces navires ont été pris dans
+ les eaux du royaume de Hollande. Il est au reste prouvé que ces
+ bâtiments ont été visités par les Anglais, et constant que tous les
+ Américains sont escortés par des bricks anglais jusqu'à la passe du
+ Texel. M. le général Knobelsdorff, ministre de Prusse, sort de chez
+ moi. Il est venu m'apporter une lettre que son souverain lui écrit
+ au sujet de l'emprunt; par cette lettre le roi, croyant très
+ difficile de l'effectuer, me prie de certifier à l'empereur
+ l'impossibilité de trouver cette ressource en Hollande. J'ai répondu
+ au ministre que M. de Nieburg, chargé de cet emprunt, m'avait assuré
+ qu'il avait contracté un engagement avec une maison de commerce
+ d'Amsterdam, que cet engagement était soumis à l'approbation de la
+ cour de Prusse et à l'autorisation du roi de Hollande; que depuis
+ cette époque je n'avais plus entendu parler de cette affaire, et que
+ j'attendais, pour témoigner au roi le désir de l'empereur que cet
+ emprunt s'effectuât, que M. de Nieburg m'eût assuré que cette
+ opération était prête, sauf cet agrément. <span class="pagenum"><a id="pagelv" name="pagelv"></a>(p. lv)</span> Je priai donc M.
+ de Knobelsdorff de répondre à S. M. le roi de Prusse que je ne
+ pouvais écrire à S. M. impériale et royale dans le sens qu'il
+ désirait, que dans le cas où le roi de Hollande refuserait de
+ permettre cet emprunt, ce que je suis loin de supposer.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 6 juillet.</p>
+
+<p>J'annonçais à Votre Excellence, par le dernier courrier, que j'étais
+ informé que S. M. le roi de Hollande avait pris une résolution qui
+ permettrait l'entrée des ports de son royaume aux navires
+ américains. V. Excellence en trouvera ci-joint la traduction, ainsi
+ que celle d'une seconde résolution prise le même jour, 30 juin, qui
+ augmente de six articles ceux autorisés par le décret du 31 mars
+ dernier. Ces deux résolutions ont été sanctionnées à mon insu, et
+ jusqu'à ce moment elles ne me sont pas parvenues officiellement. Le
+ ministre ne m'en a même jamais parlé; probablement il ne les
+ connaissait pas lui-même. Quant à la première de ces résolutions, je
+ l'ai passée sous silence, ayant voulu attendre les ordres de
+ l'empereur avant d'agir, et, ne m'étant pas formellement opposé à
+ l'entrée des navires américains, il eût été inconséquent, avant
+ d'avoir reçu de nouvelles instructions, de faire une levée de
+ boucliers contre un décret qui admet ces bâtiments. J'ai été plus
+ embarrassé sur le second objet. Si S. M. le roi de Hollande n'eût
+ pas été le frère de l'empereur, ma conduite eût été si ferme et si
+ positive, que le décret eut été rapporté. Mais les circonstances
+ m'ont paru mériter des ménagements, et le respect pour tout ce qui
+ tient à l'empereur m'a retenu. Je me suis donc contenté de demander
+ un rendez-vous au ministre par la lettre dont copie est ci-jointe,
+ et lui ai donné trois jours pour qu'il puisse me répondre et qu'il
+ ait le temps de prévenir le roi de cette conférence. Le but
+ principal de cet entretien est de savoir si le roi a consulté S. M.
+ impériale et royale, ce dont je doute beaucoup. Si cependant je me
+ trompe, et que l'empereur ait trouvé bon l'introduction des sucres,
+ cafés et cotons, dès ce moment je n'ai plus rien à dire; mais dans
+ le cas contraire, il me paraît impossible de permettre l'entrée en
+ France de ces denrées coloniales avant d'y être autorisé. Je viens
+ donc provisoirement de prescrire aux consuls de ne délivrer aucun
+ certificat d'origine pour les six nouveaux articles, avant le jour
+ où je dois avoir une explication avec M. Roëll. Le prétendu serment
+ exigé du capitaine américain est un article de forme qui ne sert à
+ rien, car quel peut être le capitaine qui fasse saisir son bâtiment,
+ pour ne pas affirmer qu'il n'a pas été en Angleterre et qu'il n'a
+ été visité par aucun bâtiment de cette nation? Je ne puis pas non
+ plus me fier au <span class="pagenum"><a id="pagelvi" name="pagelvi"></a>(p. lvi)</span> gouvernement hollandais, car j'ai de
+ fortes raisons de croire que des navires avec licences anglaises ont
+ été admis, et j'ai acquis la certitude que des bricks anglais
+ escortaient tous les américains qui sont entrés en Hollande dans le
+ mois dernier. Ce fait est tellement avéré que tout le commerce et la
+ marine en sont informés.</p>
+
+<p>Pour me rendre raison de cette nouvelle mesure prise par le roi, je
+ suppose que les Hollandais auront renouvelé leurs plaintes de voir
+ les productions de leurs colonies vendues à vil prix en Angleterre,
+ et qu'ils auront obtenu de Sa Majesté cette dernière résolution qui
+ va inonder la France et l'Allemagne de ces articles, surtout depuis
+ que S. M. impériale et royale a rapporté le décret du 16 septembre,
+ car avec la meilleure volonté, il est très difficile aux consuls de
+ n'être pas souvent trompés sur l'origine des articles qui leur sont
+ présentés, et en outre, ces derniers objets étant autorisés par le
+ roi, il leur sera impossible de les refuser. C'est pour couper court
+ à ces inconvénients que je me suis décidé à enjoindre aux consuls de
+ n'autoriser l'entrée en France d'aucun des objets qui me paraissent
+ en entière opposition avec les intentions de l'empereur, et qui le
+ sont avec mes anciennes instructions qui m'enjoignent d'empêcher
+ l'entrée en Hollande de navires américains chargés de denrées
+ coloniales, et même de déclarer que je quitterais le royaume si le
+ gouvernement hollandais persistait dans cette conduite.</p>
+
+<p>Si S. M. impériale et royale eût été à Paris, je ne me serais pas
+ porté à cette mesure, qui a quelque chose de désagréable pour le
+ roi, mais d'un autre côté j'ignore ce qui s'est passé en Autriche
+ depuis dix jours. L'empereur est peut-être encore plus éloigné de
+ nous, et avant que je ne puisse recevoir les ordres de V.
+ Excellence, les magasins d'Anvers seront remplis de denrées
+ coloniales. Il me paraît difficile ensuite de remédier à cet
+ inconvénient, tandis qu'en conservant les choses en <i>statu quo</i>,
+ l'empereur peut décider, et si je n'ai pas agi conformément à ses
+ instructions, le tort ne retombe que sur moi, et les affaires
+ reprennent leur marche ordinaire. J'envoie cette dépêche par
+ estafette à M. le comte Beugnot, afin qu'elle parvienne plus
+ promptement à V. Excellence.</p>
+
+<p>La bourse d'Amsterdam est dans une grande agitation. Ces nouvelles
+ résolutions donnent beaucoup d'inquiétude. Quelques propriétaires ou
+ consignataires des bâtiments américains sont contents, mais la
+ grande majorité des négociants fera de grandes pertes si l'admission
+ des Américains est maintenue. Hier on ne pouvait rien vendre; les
+ denrées sont à vil prix.</p>
+
+<p>Quant à la contrebande, V. Excellence verra par un rapport de M.
+ Sadet, que le gouvernement hollandais ne la surveille que très
+ faiblement. En tout les affaires prennent une marche bien
+ désagréable et qui, je vous assure, m'afflige beaucoup. Le roi est
+ parti de Loo le 3 de <span class="pagenum"><a id="pagelvii" name="pagelvii"></a>(p. lvii)</span> ce mois, il a été à Harlem, a dîné
+ chez le préfet, a acheté à la foire de cette ville une quantité de
+ marchandises, a paru à un bal qu'une des personnes les plus riches
+ de la ville donnait, et est reparti le lendemain matin pour Loo. Je
+ devais être à ce bal; mais des affaires m'ayant appelé ici, je n'ai
+ pu y assister. Pour me résumer, j'ai donc l'honneur de prévenir V.
+ Excellence que si j'apprends que l'empereur n'a aucune connaissance
+ des dernières résolutions du roi, je ferai suspendre la délivrance
+ des certificats d'origine pour les articles compris dans la dernière
+ décision, jusqu'à ce que je reçoive les ordres de S. M. impériale et
+ royale, et j'en informerai M. Roëll.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Vienne, 17 juillet.</p>
+
+<p>Monsieur l'ambassadeur, le décret par lequel le roi de Hollande a
+ ouvert les ports de son royaume aux navires et aux productions des
+ États-Unis a causé à S. M. l'empereur un vif déplaisir.</p>
+
+<p>C'est pour ainsi dire au moment même où la Hollande obtenait de Sa
+ Majesté une faveur qu'elle avait ardemment désirée, qu'elle a pris
+ elle-même une mesure contraire aux vues et aux intérêts de la
+ France, autant qu'elle est favorable aux desseins de l'ennemi.</p>
+
+<p>Sa Majesté vous charge de demander la révocation instante, immédiate
+ de ce décret. Elle vous charge de faire connaître que la Hollande ne
+ doit pas se flatter de pouvoir tenir en fait de commerce maritime
+ une ligne de conduite qui ne soit pas entièrement conforme à celle
+ de la France et du reste du continent; qu'elle doit être
+ indissolublement unie à la France, partager son sort, sa bonne et sa
+ mauvaise fortune, n'avoir d'autre système que celui de la France, le
+ suivre sans déviation; qu'autrement, si elle veut séparer sa cause
+ du continent, l'empereur, à son tour, se séparera d'elle.</p>
+
+<p>Sa Majesté veut que vous mettiez la plus grande énergie dans votre
+ langage, ce que vous saurez faire en gardant tous les égards que
+ vous avez pour le roi et que vous lui devez. Mais il faut que tous
+ les ministres et tous ceux qui ont la confiance du roi sentent que
+ non seulement un refus, mais de simples hésitations, pourraient
+ avoir les conséquences les plus sérieuses. Vous iriez même s'il le
+ fallait (mais je suppose que cela ne sera pas nécessaire), vous
+ iriez, dis-je, jusqu'à déclarer que si la Hollande ne se remet pas
+ sur le champ sur le même pied que la France, et ne rentre pas dans
+ son système pleinement et sans réserve, vous ne pouvez pas garantir
+ qu'elle ne cessera pas d'être considérée comme alliée et comme amie,
+ ni répondre de la continuation de l'état de paix.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagelviii" name="pagelviii"></a>(p. lviii)</span> <i>P. S.</i>&mdash;Cette lettre écrite, j'ai reçu celle que vous
+ m'avez adressée le 6 de ce mois. J'en ai rendu compte à Sa Majesté,
+ qui approuve la mesure que vous avez prise de défendre aux consuls
+ français de donner des certificats d'origine pour les objets dont le
+ roi de Hollande vient de permettre l'introduction.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Roëll à Larochefoucauld.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 8 août.</p>
+
+<p>Je me suis fait un devoir de mettre sous les yeux du roi les
+ différentes réclamations que V. Excellence m'a fait l'honneur de
+ m'adresser au sujet de plusieurs navires capturés par des corsaires
+ français; je me suis également empressé de soumettre à Sa Majesté
+ les observations contenues dans la lettre de V. Excellence du 31
+ juillet, relativement à la marche adoptée depuis quelque temps en
+ Hollande de renvoyer sur un simple ordre du roi l'équipage français
+ des prises qu'on regarde comme irrégulières.</p>
+
+<p>La mesure contre laquelle V. Excellence a cru devoir réclamer a été
+ provoquée par les excès des corsaires qui, se comportant en vrais
+ pirates, s'arrogent le droit de s'emparer de tous les navires sans
+ distinction, à l'embouchure de nos rivières et dans les eaux mêmes
+ de la Hollande, sans aucun respect pour la souveraineté
+ territoriale. C'est ainsi que le 1<sup>er</sup> du mois passé, le corsaire <i>le
+ Furet</i> s'est emparé d'un navire popembourgeois, de <i>Trree
+ Gebroeders</i>, capitaine <i>Jennis Pieters</i>, chargé de sel, venant de la
+ Norvège; les déclarations unanimes des gardes-signaux des côtes ne
+ laissent aucun doute que cette prise n'ait été faite dans les
+ limites du royaume. Le lendemain, les corsaires <i>l'Hébé et la
+ Revanche</i> ont conduit au Texel cinq autres bâtiments sous pavillon
+ neutre, chargés de sel et destinés pour des ports hollandais. Les
+ prises ont été également faites à l'embouchure de nos rivières.</p>
+
+<p>Quelque extension que l'on veuille donner aux droits de la guerre,
+ ils ne pourront jamais servir à justifier la violation des droits
+ sacrés d'une puissance amie et alliée, et toutes les fois que des
+ armateurs se permettent des voies de fait dans l'enceinte de la
+ juridiction maritime d'un état, le souverain territorial a le droit
+ de punir et de réprimer leurs excès.</p>
+
+<p>Leurs prises étant par elles-mêmes des actes d'hostilité, ils ne
+ peuvent plus invoquer la protection des formes légales, mais ils
+ doivent être soumis à l'action immédiate du gouvernement qui peut
+ sans aucune forme de procédure leur faire lâcher prise. De même
+ lorsque les corsaires s'avisent de surprendre des bâtiments sortants
+ ou entrants <span class="pagenum"><a id="pagelix" name="pagelix"></a>(p. lix)</span> avec permission, le pouvoir exécutif a
+ également le droit de connaître administrativement de ces prises.</p>
+
+<p>D'après ces principes avérés par les publicistes les plus éclairés,
+ c'est donc à tort que les corsaires français se plaignent d'une
+ mesure que leurs propres désordres ont provoquée. Aussi Sa Majesté
+ a-t-elle décidé qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le passé ni de
+ soumettre les affaires déjà terminées à un nouvel examen.</p>
+
+<p>Cependant, pour donner une nouvelle preuve de se rendre autant que
+ dépendra d'elle aux v&oelig;ux de V. Excellence, Sa Majesté a bien
+ voulu ordonner qu'à l'avenir la discussion sur la validité des
+ prises conduites dans les ports de Hollande sera portée au Conseil
+ pour les affaires maritimes et de commerce (Raad van Indication), et
+ que même dans le cas où les corsaires viendront à être accusés
+ d'avoir violé le territoire du royaume, la prise ne sera adjugée que
+ sur une décision motivée du dit Conseil, qui déclare la prise bonne
+ et légitime, ou qui condamne le corsaire, après avoir mis les
+ intéressés à même de faire valoir leurs droits.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 23 août.</p>
+
+<p>Par ma lettre particulière du 19 de ce mois, j'ai eu l'honneur de
+ prévenir V. Excellence que Sa Majesté est arrivée le 17 ici. Depuis
+ cette époque le roi n'a vu personne. On dit que la santé de Sa
+ Majesté est un peu altérée. Elle s'occupe journellement de la
+ défense du pays. Quinze cents soldats de la garde, après être restés
+ vingt-quatre heures à Amsterdam, sont retournés au camp où ils
+ étaient lorsqu'ils furent envoyés à Berg-op-Zoom. On attend au même
+ camp la division du général Gratien qui doit maintenant être entrée
+ en Hollande, en revenant d'Hanovre.</p>
+
+<p>Les gardes nationales s'organisent ainsi que quelques corps de
+ volontaires; mais les bourgeois hollandais ont de la peine à devenir
+ soldats. Demain douze compagnies de 100 hommes chacune doivent
+ sortir de la ville pour aller aux lignes. Cet essai donnera une idée
+ de la possibilité d'utiliser cette milice. On se plaint de la
+ manière dont ces compagnies ont été formées. Les officiers ont
+ choisi les hommes sans aucun égard pour leur famille ni pour leur
+ âge, mais uniquement en consultant leur passion. Il y a donc une
+ foule de réclamations dont plusieurs ont été écoutées.</p>
+
+<p>On parle d'un décret que le roi doit prendre, par lequel Sa Majesté
+ recevra tous les navires américains en faisant recharger les
+ marchandises déposées dans les magasins royaux. Mais V. Excellence
+ sera <span class="pagenum"><a id="pagelx" name="pagelx"></a>(p. lx)</span> surprise d'apprendre que les magasins sont vides, que
+ tout a été rendu aux propriétaires ou consignataires; qu'ainsi cette
+ décision, qui paraît être très forte, n'aura aucun but réel. Les
+ cafés et les sucres qui ont été apportés par des bâtiments
+ américains ont probablement été tous reconnus production de l'île de
+ Java. La ligne de douaniers français qui cerne dans ce moment la
+ Hollande a fait un grand effet en bourse. Les marchandises ont
+ beaucoup baissé. Les premières qualités de café de 3 et 4 sont
+ tombées à 50 c. Les cotons ont éprouvé la même baisse. Il devient
+ impossible d'exporter aucune denrée coloniale, même en Allemagne, et
+ le commerce est dans une crise fâcheuse.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 17 septembre.</p>
+
+<p>Rien ne finit, et malgré les demandes que j'ai faites au ministre de
+ me donner une réponse, je ne puis en obtenir. Le roi a, dit-on,
+ envoyé un courrier à l'empereur. J'ignore si la lettre de Sa Majesté
+ est relative aux objets dont je suis chargé, car cette démarche du
+ roi ne m'a pas été annoncée officiellement. Je ne puis donc avoir
+ rien de nouveau à transmettre à V. Excellence; il m'est pénible de
+ ne pas pouvoir exécuter les ordres de l'empereur. Il est vrai que
+ dans les circonstances présentes qui servent de prétexte à la
+ mauvaise volonté du gouvernement hollandais, je ne le presse pas
+ autant que je l'eusse fait dans un autre moment. Cependant la
+ Hollande paraît ne plus rien avoir à craindre, et les nombreux
+ changements qui se font dans l'organisation militaire ne tiennent
+ pas à la défense du pays, mais à la volonté du roi. Depuis la
+ descente des Anglais, l'on a formé la garde nationale dans les
+ principales villes du royaume. La levée des deux régiments a été
+ décrétée, mais les moyens de défense sont bien peu de chose et la
+ volonté bien faible. En tout je ne vois pas de possibilité que la
+ Hollande reste comme elle est maintenant. Il n'y a aucun ensemble
+ dans le gouvernement et aucune tenue dans aucun système suivi. Il
+ n'existe donc qu'un amour-propre mal placé qui l'empêche de devenir
+ français.</p>
+
+<p>Dans une des dernières conférences que j'eus avec M. Roëll, lorsque
+ je lui parlais du système du gouvernement hollandais, je lui dis que
+ je voyais d'autant moins d'espoir de le ramener à une marche plus
+ raisonnable, que jusqu'à présent je ne pouvais pas deviner la base
+ du principe qui le faisait agir avec aussi peu de mesure, puisque
+ continuellement il nuisait à ses plus chers intérêts. Pressé de
+ s'expliquer, ce ministre me répondit qu'étant ministre, il ne lui
+ était pas permis de satisfaire à ma demande, mais que le jour où il
+ ne le serait plus il me <span class="pagenum"><a id="pagelxi" name="pagelxi"></a>(p. lxi)</span> dirait le mot de l'énigme. Je
+ désirerais donc que M. Roëll quittât le ministère, car il me semble
+ que ce changement procurerait plus de lumières que nous n'en avons
+ obtenu pendant tout le temps de son administration.</p>
+
+<p>M. le comte d'Hunebourg vient d'envoyer au roi le chef de bataillon
+ Leclerc. Il est encore à Harlem et il se chargera de cette dépêche.
+ Je ne doute pas qu'il ne rapporte des assurances faites pour plaire.
+ Mais les faits jusqu'à présent répondent bien faiblement aux
+ paroles.</p>
+
+<p>M. le baron de Gilsa, récemment nommé envoyé extraordinaire de S. M.
+ le roi de Westphalie, a eu l'honneur de remettre au roi ses lettres
+ de créance. C'est un homme entièrement nouveau dans la carrière
+ diplomatique.</p>
+
+<p>Espérons que je serai dans quelque temps assez heureux pour pouvoir
+ adresser à V. Excellence un rapport satisfaisant. Croyez, je vous
+ prie, que je le désire vivement, mais que je doute d'en venir à ce
+ point avant que l'empereur n'ait jeté un regard sur la Hollande, et
+ que S. M. impériale et royale n'ait trouvé un moyen de tarir la
+ source du mal.</p>
+
+<p>Il paraît que Sa Majesté rappelle le maréchal Dumonceau et que le
+ général Brune commandera les troupes hollandaises en Zélande. On
+ assure que le roi ne veut pas que ce maréchal serve sous les ordres
+ du prince de Ponte-Corvo. Il doit y avoir en Zélande environ 10,000
+ hommes. Dans le reste du royaume il y a peut-être de 3 à 4,000
+ hommes. Mais depuis que le général Krayenhoff est ministre, Sa
+ Majesté fait de nombreuses promotions. L'état-major de l'armée et le
+ corps d'officiers ne sont pas en proportion des hommes. Je crois que
+ l'on pourrait cependant porter l'armée à 20,000 hommes; mais il
+ serait difficile d'aller plus loin, le recrutement se faisant avec
+ beaucoup de peine.</p>
+
+<p>Le ministre de la marine est dans une position moins bonne, car à
+ l'exception des chaloupes canonnières il n'y a pas d'armement. Les
+ équipages ont été licenciés. Cependant la Hollande pourrait en trois
+ mois armer neuf ou dix vaisseaux de ligne, mais il n'y a pas
+ d'argent. Enfin, soit par une cause, soit par une autre, il en
+ résulte que la Hollande n'a sous les armes qu'environ 14,000 hommes,
+ quelques gardes nationales non exercées, deux vaisseaux de ligne ou
+ trois, en comptant le <i>Chatam</i>, qui est en rivière de Meuse,
+ quelques bricks, goëlettes et des chaloupes canonnières. Il en reste
+ en outre les douaniers et gardes-chasse.</p>
+
+<p>Je reçois à l'instant la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur
+ de m'écrire d'Altenbourg le 4 de ce mois.</p>
+
+<p>Je vais notifier à M. de l'Angle le décret de S. M. Impériale et
+ royale.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagelxii" name="pagelxii"></a>(p. lxii)</span> <p class="center smcap">Larochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 28 octobre.</p>
+
+<p>J'arrive de Loo où je devais aller parler au roi, comme j'ai eu
+ l'honneur d'en prévenir V. Excellence. J'ai communiqué à Sa Majesté
+ les intentions formelles de l'empereur. J'ai dit au roi que son
+ auguste frère demandait que la division hollandaise fût portée dans
+ l'île de Sud-Beveland à 16,000 hommes, et que 200 chaloupes
+ canonnières, péniches, etc., fussent dirigées vers le même point
+ pour employer ces forces à agir dans l'île de Walkeren et en chasser
+ les Anglais. Sa Majesté m'a répondu que le corps de troupes
+ hollandaises, maintenant sous les ordres de M. le maréchal
+ Dumonceau, était sur le papier de beaucoup de plus de 16,000 hommes,
+ mais que les maladies régnaient tellement dans l'armée, que presque
+ la moitié des régiments se trouvait dans les hôpitaux; que toutes
+ ses troupes étaient aux ordres de l'empereur, qu'il n'avait par
+ conséquent qu'à indiquer les postes qu'elles devaient occuper: que
+ si dans l'île de Sud-Beveland il ne se trouvait que 3,000 hommes,
+ cela venait uniquement de l'intention du roi de diminuer, par ce
+ moyen, le nombre des maladies, mais que les troupes étaient si près
+ de ce point, qu'en peu de jours elles pouvaient y être portées. Le
+ roi ajoute que les deux seuls régiments qui avaient été distraits de
+ ce corps d'armée avaient été envoyés, l'un en Ost-Frise pour y
+ réprimer la contrebande, et l'autre en Nord-Hollande pour que ce
+ point intéressant ne fût pas entièrement dégarni; qu'ainsi Sa
+ Majesté allait donner ses ordres pour que 10,000 hommes effectifs,
+ commandés par M. le maréchal Dumonceau, se dirigeassent et agissent
+ conformément aux ordres qu'ils recevraient de M. le maréchal duc
+ d'Istrie.</p>
+
+<p>Que, quant aux chaloupes canonnières, etc., ce n'étaient pas autant
+ les bâtiments qui manquaient que les marins qui étaient impossibles
+ à trouver; que le roi ne pouvait donc porter en Zélande que 100
+ petits bâtiments qui y seraient rendus sous peu de jours, Sa Majesté
+ venant de donner des ordres positifs pour remplir à cet égard les
+ intentions de l'empereur.</p>
+
+<p>Nous en vînmes ensuite à la seconde dépêche de V. Excellence, dont
+ je dis le contenu au roi, en observant à Sa Majesté que j'étais
+ chargé d'insister formellement sur la demande que la question des
+ eaux ne fût plus mise en avant, que tous les navires capturés par
+ des corsaires français fussent jugés par les tribunaux français; que
+ toutes les prises trouvées en contravention aux décrets de
+ l'empereur fussent reconnues bonnes et valables; enfin j'ajoutai que
+ la contrebande était portée à un <span class="pagenum"><a id="pagelxiii" name="pagelxiii"></a>(p. lxiii)</span> point qui avait fixé
+ les regards de S. M. impériale et royale, que l'empereur prétendait
+ qu'elle fût réprimée par des moyens efficaces, et qu'il avertissait
+ que si les choses ne changeaient pas, il se verrait forcé non
+ seulement de faire occuper les passes par ses troupes, mais même de
+ faire saisir par elles les denrées coloniales qui, entrées en
+ contrebande, se trouvaient déposées dans les magasins d'Amsterdam.</p>
+
+<p>Je passai ensuite au système général, à la conduite des ministres du
+ roi, à l'inexécution des décrets de Sa Majesté, enfin à la manière
+ extrêmement opposée à la France dont toutes les affaires se
+ traitaient en Hollande; j'observai au roi la nécessité de changer
+ entièrement de marche et de revenir à des principes qui seuls
+ pouvaient sauver la Hollande. Pour donner plus de force à ce que je
+ venais de dire, je crus devoir lire à Sa Majesté une partie de la
+ dépêche de V. Excellence; alors elle sentit que loin d'ajouter aux
+ ordres de l'empereur, je cherchais toujours les moyens de les lui
+ rendre moins sévèrement.</p>
+
+<p>Le roi me répondit que quant à la question du territoire, il serait
+ perdu aux yeux de son peuple s'il l'admettait; que l'empereur
+ n'aurait pas dû lui faire une demande à laquelle il ne pouvait pas
+ accéder, et que celle-ci était de ce nombre. Je répondis au roi que
+ Sa Majesté ne devait pas perdre de vue que les demandes de
+ l'empereur n'étaient que le résultat de tout ce qui avait été fait à
+ l'égard de nos corsaires et de leurs prises; qu'ainsi ce n'était pas
+ seulement comme question de droit qu'il fallait l'envisager, mais
+ encore comme question de fait, et que, sous ce dernier point de vue,
+ Sa Majesté ne pouvait pas se dissimuler, et m'avait avoué elle-même,
+ que l'on avait ici commis de grandes fautes. Le roi ne put nier ce
+ point, mais il revenait toujours sur l'impossibilité d'accéder au
+ désir de l'empereur, sur la manière dont ce serait trahir ses
+ devoirs que d'abandonner une partie des droits de son peuple, enfin
+ sur la décision récente du Conseil d'État.</p>
+
+<p>Quant à la contrebande, Sa Majesté me dit qu'elle espérait beaucoup
+ des nouveaux ordres donnés par elle à ce sujet, et qu'elle prendrait
+ encore de nouvelles mesures si celles-ci n'étaient pas suffisantes;
+ qu'elle exigerait des certificats d'origine pour les denrées
+ coloniales venant d'Ost-Frise, et qu'elle tirerait même une ligne de
+ douanes qui séparerait l'Ost-Frise du reste de la Hollande, si la
+ chose devenait indispensable. Sa Majesté se récria fortement contre
+ l'idée de faire exécuter en Hollande les décrets de l'empereur,
+ contre celle de voir des troupes françaises venir faire la police à
+ Amsterdam, enfin contre la volonté d'influencer et de diriger même
+ la conduite de ses ministres. Elle me dit qu'elle voyait bien que
+ tout ceci lui était personnellement adressé, que ses ministres
+ n'étaient que ses agents et qu'ils ne faisaient que ce qu'elle
+ voulait (je citai à cette occasion quelques exemples du <span class="pagenum"><a id="pagelxiv" name="pagelxiv"></a>(p. lxiv)</span>
+ contraire qui embarrassèrent le roi), qu'ainsi c'était l'attaquer
+ directement que de parler d'eux; que si l'empereur voulait réunir la
+ Hollande, il n'avait qu'à le dire sur le champ, parce qu'il voyait
+ parfaitement bien que c'était là le but de toutes les demandes qui
+ lui étaient faites. Enfin, dans la chaleur de la discussion, le mot
+ d'abdication sortit de la bouche du roi. J'observai à Sa Majesté que
+ dans tout ce que j'avais eu l'honneur de lui dire, il n'avait été
+ nullement question de réunion, mais seulement de précaution pour
+ empêcher les abus qui s'étaient trop souvent reproduits. La
+ conférence fut longue, mais à la fin le roi sentant, je crois, la
+ force de mes observations et l'impossibilité de m'éloigner du
+ véritable but de la question, me pria simplement de ne pas exiger
+ une réponse officielle et positive avant qu'il eût écrit à
+ l'empereur. Je crus devoir consentir à la demande de Sa Majesté, et
+ la priai simplement de me remettre sa lettre qui servirait de preuve
+ que j'avais exécuté les ordres qui m'avaient été donnés. J'ai donc
+ l'honneur, Monsieur le comte, de vous expédier en courrier M.
+ Amelin, attaché à mon ambassade, qui rapportera la réponse de
+ l'empereur et les ordres de V. Excellence.</p>
+
+<p>Dans cette conversation, ce que j'ai observé plus particulièrement,
+ et ce que le roi ne m'a pas caché, est sa crainte qu'en Hollande on
+ le croie Français, et qu'on le regarde uniquement comme un agent de
+ l'empereur. J'ai cherché à en venir à persuader à Sa Majesté que
+ c'était sa qualité de frère de l'empereur d'où dépendait le maintien
+ de sa couronne et l'obéissance de ses peuples; que toute sa force ne
+ venait que de son auguste frère; que le bonheur de la Hollande était
+ attaché à la manière dont il était personnellement avec l'empereur,
+ de qui seul elle pouvait attendre son existence; que j'étais si loin
+ d'admettre la crainte d'être accusé de partialité envers la France,
+ que je savais au contraire que la saine partie de ses entours, de
+ ses ministres et de son peuple voyait avec peine tout ce qui se
+ faisait contre les intentions de l'empereur, calculant que la
+ Hollande marchait ainsi à sa ruine; et que Sa Majesté se tromperait
+ fortement si elle voulait juger de l'opinion publique sur celle de
+ quelques personnes placées près d'elle, dont la seule idée et le
+ seul désir étaient de lui plaire, et qui, par cette raison,
+ abondaient dans les assertions qu'elles croyaient lui être
+ agréables. Je finis par dire au roi que je croyais bien connaître la
+ Hollande et l'esprit de ses habitants, et que j'étais certain que
+ les mêmes personnes qui le flattaient aujourd'hui, seraient demain
+ contre lui, si l'empereur n'était pas aussi puissant. Le roi ne me
+ répondit rien, mais son système m'a paru enraciné et difficile à
+ détruire. V. Excellence en sentira facilement toutes les
+ conséquences. Au surplus, je désirerais que cette dernière partie de
+ ma dépêche ne fût pas regardée comme officielle, le <span class="pagenum"><a id="pagelxv" name="pagelxv"></a>(p. lxv)</span> roi
+ m'ayant parlé confidentiellement de ses idées et de son système.
+ J'ai l'honneur d'en rendre compte à Votre Excellence, comme le
+ croyant nécessaire au bien de la mission dont je suis chargé.</p>
+
+<p>Au reste, j'ai parlé aux différents ministres, que j'ai trouvés tous
+ au Loo; mais, en abondant dans le système français, ils m'ont fait
+ observer qu'ils ne pouvaient qu'obéir aux ordres et aux décrets du
+ roi, dont ils exécutaient la teneur avec toute l'exactitude
+ possible, et il fut répondu à toutes mes observations et à mes
+ avertissements par des assurances de redoubler de zèle. J'ai parlé
+ fortement et ne leur ai rien caché.</p>
+
+<p>Le ministre de la marine m'a dit que les contrôles de son ministère
+ ne montaient qu'à 5,000 hommes employés à la marine, et qui, par
+ conséquent, ne formaient même pas les équipages de 200 petits
+ bâtiments demandés par l'empereur, dont chacun devait être monté par
+ 28 hommes, car il faut déduire des contrôles les malades, les
+ employés aux chantiers, etc. Maintenant, il n'existe pas, en
+ Hollande, un seul vaisseau de ligne en armement, et les magasins
+ sont dépourvus de fer et de goudron. Votre Excellence a vu, dans une
+ dépêche précédente, l'état du ministère de la guerre. L'intérieur
+ souffre beaucoup, puisque les finances sont au-dessous de zéro. Il
+ est sûr que les lignes de douanes nuisent au commerce et aux
+ ressources du gouvernement, mais je croirais que le rapport des
+ décrets de l'empereur ne doit pas être un encouragement, mais une
+ récompense.</p>
+
+<p>Lorsque je pris congé du roi, Sa Majesté ne me cacha pas sa grande
+ inquiétude et son impatience de recevoir la réponse de l'empereur;
+ elle me pria même de la lui porter au Loo, pour en causer avec elle.
+ J'ai donc l'honneur de vous prier, monsieur le comte, de me
+ réexpédier M. Amelin le plus tôt possible.</p>
+
+<p>J'ai laissé le roi encore un peu faible, mais bien rétabli. La
+ fièvre a quitté Sa Majesté depuis cinq jours.</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur n'accepta pas le compromis offert par l'ambassadeur au
+sujet de la juridiction des prises, et fit donner l'ordre à
+Larochefoucauld de revenir à sa première proposition.</p>
+
+<p>La lettre de Cadore en date du 12 octobre se termine ainsi:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>Vous déclarerez que la volonté de Sa Majesté est que tout bâtiment
+ qui sera trouvé avoir contrevenu à ses décrets soit déclaré de bonne
+ prise, et que si l'on ne pourvoit pas efficacement, en Hollande, à
+ la répression de la contrebande, non seulement elle fera occuper les
+ passages des troupes, mais encore, elle enverra des colonnes mobiles
+ saisir jusque dans Amsterdam les marchandises anglaises.</p>
+
+<p>Sa Majesté y est, en effet, bien déterminée. Elle est décidée à ne
+ point <span class="pagenum"><a id="pagelxvi" name="pagelxvi"></a>(p. lxvi)</span> souffrir que la Hollande trahisse la cause commune.
+ Il serait, m'écrit-elle, préférable de voir la Hollande en alliance
+ ouverte avec l'Angleterre que de la voir favoriser sourdement son
+ commerce et la guerre qu'elle fait contre nous.</p>
+
+<p>Sa Majesté rend toute justice aux intentions du roi son frère. Elle
+ sait que ses intentions sont droites; mais elle reproche à ceux qui
+ devraient les seconder de tout leur pouvoir de n'être occupés qu'à
+ les rendre vaines, de la sorte que si elle devait en juger par la
+ marche du gouvernement, elle en prendrait une idée tout opposée. Les
+ ministres ne lui semblent pas prévoir quel doit être le résultat
+ final de leur conduite. Elle veut que vous les avertissiez et que
+ vous leur fassiez comprendre que ce résultat sera la perte de leur
+ existence.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 23 novembre.</p>
+
+<p>Hier, il y eut cercle diplomatique au palais. Le roi m'y parla de
+ quelques affaires particulières, et Sa Majesté m'engagea à revenir
+ le soir pour causer avec elle sur des objets plus importants. Elle
+ me prévint en même temps qu'elle venait de recevoir des lettres de
+ M. le duc de Feltre.</p>
+
+<p>En sortant de l'audience, je rencontrai M. le colonel Leclerc,
+ aide-de-camp de M. le ministre de la guerre, et c'est par lui que
+ j'ai l'honneur d'envoyer cette lettre à Votre Excellence.</p>
+
+<p>Je me rendis chez le roi à sept heures, et fus, sur-le-champ,
+ introduit dans le cabinet de Sa Majesté, avec laquelle je restai
+ près de trois heures. Le roi me dit qu'on lui demandait une
+ augmentation de troupes et de bâtiments pour l'expédition de
+ Walcheren, mais qu'il lui était impossible de fournir un contingent
+ plus considérable; que, d'après l'état des situations reçu le matin
+ de Mauchaunu, Dumonceau et Dewinter, les forces de terre sous les
+ ordres du premier étaient de 10,000 hommes, en y comprenant les
+ corps et les renforts qui sont en marche, et que le second mandait
+ avoir sous les yeux 100 chaloupes ou bateaux canonniers, qu'il en
+ attendait encore quelques-uns, indépendamment des 300 petits
+ bâtiments armés dont il est question dans la réponse de M. Roëll. Le
+ roi m'assura qu'il lui était impossible de faire davantage; que,
+ sans de graves inconvénients, il ne pouvait dégarnir la côte, qui
+ était à peine défendue, et que, quant à sa garde, elle était
+ nécessaire à Amsterdam, dont elle composait la garnison; que Sa
+ Majesté se trouvait dans une position bien fâcheuse, sa capitale
+ étant remplie de gens sans emploi et sans pain, l'hiver étant au
+ moment d'augmenter la misère, et le roi obligé de doubler les impôts
+ pour combler le déficit; <span class="pagenum"><a id="pagelxvii" name="pagelxvii"></a>(p. lxvii)</span> qu'à ce tableau alarmant, il
+ fallait ajouter que les rentiers n'étaient pas payés, et qu'il
+ n'avait pas le premier sou pour faire face aux dépenses courantes;
+ que je devais donc en sentir que s'il dégarnissait Amsterdam du peu
+ de troupes qui y étaient maintenant, sa personne ne serait pas en
+ sûreté, qu'il existait un grand mécontentement dont il était fort
+ inquiet.</p>
+
+<p>Je répondis au roi que ce n'était pas le moment de revenir sur les
+ causes de son malheur, mais plutôt de chercher les moyens d'y
+ remédier; que l'empereur était mécontent du système général de la
+ Hollande, du peu de ressources qu'elle offrait, et de la mauvaise
+ volonté que l'on mettait à coopérer à l'expédition projetée; que le
+ maréchal Dumonceau, sous prétexte d'être obligé de demander des
+ ordres, ajournait l'exécution de ceux qu'il recevait; qu'il
+ annonçait souvent avoir fait ce que, deux jours après, il écrivait
+ n'avoir pu exécuter, et que Sa Majesté devait sentir combien il
+ était indispensable de donner à ce maréchal des ordres assez
+ illimités pour qu'il fût autorisé à obéir sur-le-champ à M. le
+ maréchal duc d'Istrie. Après une longue discussion, le roi m'assura
+ qu'il allait donner de nouveaux ordres et que j'y pouvais compter.</p>
+
+<p>Nous en vînmes ensuite à une augmentation de troupes, et, tout en
+ entrant dans les inquiétudes du roi, je lui dis cependant qu'il
+ fallait faire quelque chose, et qu'il ne pouvait pas renvoyer
+ l'aide-de-camp du ministre de la guerre avec un refus. Nous
+ entrâmes, à ce sujet, dans des discussions trop longues pour être
+ répétées à Votre Excellence, et, après de grands efforts, je parvins
+ à décider le roi à mettre aux ordres de l'empereur, si Sa Majesté
+ l'exigeait, un bataillon qui gardera la côte. Le roi me dit qu'il
+ ferait remplacer ce bataillon par une partie de sa garde; que, quant
+ au corps d'élite, il ne consentirait jamais à le diviser, et que je
+ devais sentir l'impossibilité que Sa Majesté restât à Amsterdam à la
+ merci de la populace. Enfin, le roi me témoigna le désir de voir
+ l'empereur et l'empressement qu'il aurait eu d'aller à Anvers si Sa
+ Majesté Impériale et Royale y était venue, mais qu'il craignait de
+ se trouver dans la même ville que la reine. Autorisé par cette
+ phrase, je crus pouvoir revenir sur ce sujet, dont j'avais déjà
+ parlé au roi l'année dernière, et je cherchai à le ramener à une
+ conduite plus convenable pour lui et plus avantageuse pour la
+ Hollande; mais je perdis mon temps et mes paroles. Sans répondre aux
+ vérités que je lui disais, Sa Majesté se contenta de me répondre
+ qu'elle irait plutôt au bout du monde que de se rapprocher de la
+ reine, que jamais il ne voulait en entendre parler, qu'il ferait à
+ la Hollande tous les sacrifices excepté celui-là, etc., etc. Enfin,
+ après avoir parlé longtemps sur ce sujet, le roi persista dans son
+ désir de voir l'empereur, désir que Sa Majesté doit exprimer dans la
+ lettre qu'elle écrit à son auguste frère.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagelxviii" name="pagelxviii"></a>(p. lxviii)</span> Le reste de la conférence fut employé en plaintes de Sa
+ Majesté sur son affreuse position, sur son désir de quitter la
+ Hollande, s'il ne parvenait pas à regagner l'amitié de l'empereur;
+ sur son opinion prononcée qu'il devait être Hollandais, et que, tant
+ qu'il serait roi, il devrait défendre ses sujets; sur l'idée qu'on
+ l'accusait d'être Français, et qu'il devait ne pas le paraître;
+ enfin, sur l'échafaudage d'un système faux et désastreux, mais
+ tellement enraciné dans la tête de Sa Majesté que je crois qu'il
+ n'existe, peut-être, que l'empereur qui puisse l'en faire revenir. À
+ cette malheureuse opinion, j'ai trouvé mêlé un grand attachement à
+ l'empereur; l'intention, si Sa Majesté quittait la Hollande, d'aller
+ trouver son auguste frère, de faire tout ce qu'il voudrait et de
+ demeurer le plus fidèle de ses sujets. J'ai pu facilement pénétrer
+ que le roi exprimait ce qu'il pensait, et que Sa Majesté était
+ vraiment malheureuse. J'ai cherché à détruire le système du roi; je
+ lui ai représenté ses entours comme autant d'intrigants qui avaient
+ surpris sa religion; qui, n'osant pas lui dire d'être anti-Français,
+ avaient su lui persuader qu'il devait être Hollandais, pour parvenir
+ au même but. J'ai répété au roi que, couronné par l'empereur, il
+ devait suivre le système politique et commercial de la France; que,
+ sans les bontés de Sa Majesté Impériale et Royale, la Hollande
+ périssait au milieu de son opulence et de ses richesses; que jamais
+ gouvernement n'avait été dans une position plus alarmante par le
+ tableau même que Sa Majesté venait de me faire, et que, d'après son
+ opinion, l'empereur ne pourrait sauver la Hollande que lorsqu'il
+ serait assuré que ce gouvernement lui serait utile au lieu de
+ contrecarrer continuellement toutes ses dispositions. Le roi
+ m'écouta avec bonté, et j'oserai même dire avec amitié. Il ne nia
+ pas les faits que j'avançais ni les accusations que je portais; mais
+ il en revenait à son premier principe: qu'il serait perdu s'il avait
+ l'air d'être l'agent et l'instrument de l'empereur.</p>
+
+<p>Sa Majesté me témoigna une grande peine de ne pas recevoir de
+ réponse de l'empereur, une grande inquiétude sur sa position et une
+ grande peine de la suite des événements qui se préparaient.</p>
+
+<p>Maintenant, Votre Excellence est bien au fait de la cause de tout ce
+ qui arrive dans ce pays-ci. Depuis longtemps, j'ai eu l'honneur de
+ vous les faire pressentir. Il fallait la position présente et l'aveu
+ du roi pour que j'osasse vous le dire plus clairement. Quant au
+ remède, l'empereur peut seul le trouver, et il ne m'appartient pas
+ d'émettre mon opinion à cet égard. Dans le cas où le roi irait à
+ Paris et où Sa Majesté me demanderait de l'accompagner, je prierais
+ Votre Excellence de me mander ce que je dois faire.</p>
+
+<p>Lorsque la conférence fut terminée, le roi me prévint qu'il avait
+ été informé que l'empereur admettait en France les bâtiments
+ américains chargés de coton; qu'ainsi, il avait annoncé au commerce
+ que, lorsqu'il <span class="pagenum"><a id="pagelxix" name="pagelxix"></a>(p. lxix)</span> lui serait prouvé que l'empereur avait
+ donné une telle permission, il en permettrait l'entrée en Hollande,
+ pourvu que les marins prouvassent qu'ils n'ont pas été en
+ Angleterre, et l'origine des cotons. Je prie Votre Excellence de me
+ donner des nouvelles à cet égard.</p>
+
+<p>Le roi m'a demandé plusieurs fois si M. Amelin était de retour, et
+ m'a paru très inquiet de ce retard.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">25 novembre.</p>
+
+<p>Le maréchal Werhuell, arrivé à Amsterdam depuis trois jours, a eu
+ avec le roi une longue conférence, dans laquelle rien n'a été
+ décidé.&mdash;Son but était de rendre compte de l'audience particulière
+ que l'empereur lui avait accordée, et d'engager le roi à venir à
+ Paris.&mdash;L'ambassadeur l'a mis au courant de la situation des
+ choses.&mdash;On prépare les voitures de voyage du roi.&mdash;La contrebande
+ diminue un peu, depuis que le roi a défendu que l'on délivrât des
+ passeports d'intérieur pour toutes les marchandises qui viennent
+ d'Ost-Frise; mais les magasins d'Amsterdam sont pleins de denrées
+ coloniales et de marchandises anglaises. La communication avec
+ l'Angleterre est très fréquente, et des passagers viennent
+ habituellement de l'autre côté du Rhin. Les derniers arrivés disent
+ que l'on peut compter sur l'évacuation de l'île de Walcherem, les
+ Anglais n'ayant pas 2,000 hommes en état de se battre.</p>
+
+<p>Le roi se plaint de la conduite des corsaires français, qui ont pris
+ deux bûcherons en dedans des limites.</p>
+
+<p>Je n'ai rien pu répondre à Sa Majesté, mais je n'ai pas blâmé les
+ corsaires, les dernières instructions de Votre Excellence
+ m'enjoignant de ne plus reconnaître de limites en dedans desquelles
+ les corsaires ne devaient pas exercer une police sévère contre les
+ navires chargés de marchandises prohibées.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">27 novembre.</p>
+
+<p>Le roi est revenu hier d'Harlem, a reçu le Corps législatif, a
+ annoncé officiellement son départ pour Paris.</p>
+
+<p>Il a eu une dernière entrevue avec le roi, qui lui a dit qu'il
+ s'était décidé à partir sur ce que le maréchal Werhuell lui avait
+ annoncé le désir que l'empereur avait témoigné de le voir; qu'il
+ n'avait été arrêté dans ce voyage que par la peine de se rendre dans
+ la ville que la <span class="pagenum"><a id="pagelxx" name="pagelxx"></a>(p. lxx)</span> reine habitait, et que son intention
+ première était d'aller loger chez Madame-Mère.</p>
+
+<p>J'observai au roi combien cette démarche me paraissait
+ précipitamment adoptée, et je pris la liberté d'en dire les
+ inconvénients à Sa Majesté, qui me parut décidée à aller à
+ Saint-Leu.</p>
+
+<p>Le roi trouve qu'il ne peut revenir sans apporter une preuve
+ éclatante de son rapprochement avec l'empereur.</p>
+
+<p>&mdash;Il emmène M. Roëll, qui se dit malade d'avance.</p>
+
+<p>&mdash;M. Mollerus, homme d'esprit, très prononcé dans un système opposé
+ à la France, ce qui est connu depuis longtemps. M. Roëll est nommé
+ président du conseil des ministres, et chargé du portefeuille des
+ affaires étrangères.</p>
+
+<p>On est généralement fâché, dans le gouvernement, du départ du roi.
+ On craint que Sa Majesté ne change de marche; mais la généralité des
+ habitants d'Amsterdam espère beaucoup des résultats de ce voyage.</p>
+
+<p>Le roi lui-même est parti tourmenté. La position de Sa Majesté est
+ certainement pénible. La Hollande souffre, et l'esprit public n'est
+ pas aussi bon qu'il pourrait l'être. Je vois cependant de grandes
+ ressources si la cause est complète, mais de nouveaux malheurs si
+ elle n'était pas entière.</p>
+
+<p>Le 5 décembre 1809, le ministre duc de Cadore écrit à La
+ Rochefoucauld en lui envoyant le discours de l'empereur au Corps
+ législatif, annonçant d'autres destinées pour la Hollande.&mdash;Il
+ prescrit à l'ambassadeur d'observer l'effet produit sur les diverses
+ classes de la population, et d'en rendre un compte impartial à
+ l'empereur, en indiquant les mesures à prendre pour satisfaire aux
+ v&oelig;ux légitimes des Hollandais.</p>
+
+<p>&mdash;Quels avantages ils désirent voir assurer à leur pays; de quels
+ maux ils souhaitent d'être garantis? Quel est enfin l'arrangement
+ auquel ils sont prêts à souscrire?</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Rapport du duc de Cadore à S. M. l'Empereur et Roi.</p>
+<p class="date">6 décembre 1809.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande a fait appeler ce matin le ministre des
+ relations. Il lui a témoigné sa profonde douleur de la communication
+ que venait de lui faire Sa Majesté l'empereur de ses vues sur la
+ Hollande et de l'ordre déjà donné à 40,000 hommes de troupes
+ françaises d'y entrer pour en opérer la réunion avec le grand
+ empire. Sa Majesté le roi paraissait, en effet, dans un abattement
+ voisin du désespoir. Ce n'était pas son propre sort qu'elle
+ déplorait. Elle avait éprouvé sur le trône tous les soucis et les
+ inquiétudes de la royauté, et le mal non moindre <span class="pagenum"><a id="pagelxxi" name="pagelxxi"></a>(p. lxxi)</span> de son
+ isolement loin de son auguste frère, de sa famille, de la France, et
+ dans un pays contraire à sa santé. À la voix de son frère, elle
+ descendrait volontiers du trône, et elle demandait même avec
+ instance que l'empereur y plaçât ou la reine ou toute autre personne
+ investie de sa confiance. Ce n'était donc que pour l'intérêt de la
+ France, pour l'intérêt de l'empereur, que le roi de Hollande
+ réclamait la conservation de l'indépendance nominale qui avait été
+ laissée jusqu'à ce jour à ce pays. Elle est l'objet de tous les
+ v&oelig;ux des Hollandais; pour la conserver, ils feraient les plus
+ grands sacrifices, et c'est pour elle qu'ils paient, en imposition,
+ les trois quarts de leurs revenus. La réunion, opérée contre leur
+ v&oelig;u, excitera un mécontentement général. Sans doute, les
+ Hollandais se soumettront à la force; mais l'action de cette force
+ sera continuellement nécessaire pour les maintenir dans la
+ soumission. Il faudra, désormais, qu'une armée française réside dans
+ le pays. La confiance perdue éloignera les capitaux, anéantira
+ l'esprit d'industrie qui a donné à ce pays une existence presque
+ miraculeuse. Il deviendra à la charge de la France, loin de lui être
+ utile, et l'Angleterre profitera de toutes les pertes que fera la
+ Hollande.</p>
+
+<p>Le roi voudrait, au prix de tout son sang, détourner tant de maux.
+ Il accédera, si l'intention de l'empereur est qu'il règne encore, à
+ un arrangement propre à donner à son auguste frère l'assurance que
+ la Hollande marchera désormais dans le système de la France. Il
+ propose de céder à la France tout ce qui est sur la rive gauche de
+ la Meuse, espérant que l'empereur voudrait le dédommager par
+ quelques concessions en Allemagne, et il indique le grand duché de
+ Berg. Il consentirait à avoir auprès de lui un agent de l'empereur,
+ sans caractère ou revêtu d'un titre propre à déguiser ses véritables
+ fonctions, lequel agent serait chargé de l'avertir des actes de son
+ administration qui pourraient être contraires aux intentions de
+ l'empereur, et il se conformerait aux indications de cet agent.
+ Enfin, il offre d'annuler, dès ce moment, les modifications
+ apportées au tarif de ses douanes, de rapporter ses décrets sur la
+ noblesse; enfin, de révoquer d'autres actes de son administration
+ qui auraient pu blesser l'empereur. Mais il croit ne pouvoir étendre
+ sa condescendance jusqu'à <i>prononcer la banqueroute et
+ l'établissement de la conscription</i>. Il offre de faire faire par la
+ Hollande les recrutements qui pourront lui être demandés.</p>
+
+<p>Ces propositions doivent être faites au ministre des relations par
+ le ministre et l'ambassadeur du roi de Hollande; elles seraient même
+ rédigées par écrit. Les idées énoncées dans ce rapport ne sont qu'un
+ premier jet; il est possible que quelques heures de méditation les
+ étendent ou les modifient.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+ <span class="pagenum"><a id="pagelxxii" name="pagelxxii"></a>(p. lxxii)</span> <p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 12 décembre.</p>
+
+<p>J'ai eu l'honneur d'expédier hier à Votre Excellence le courrier
+ Lourdet avec la réponse aux demandes qu'elle m'a adressées. Le peu
+ de temps que j'ai eu pour la rédiger ne m'a pas donné la possibilité
+ d'entrer dans le détail des moyens d'exécution qui n'ont pu qu'être
+ indiqués, ni de parler des ressources immenses que présente ce pays;
+ elles sont tellement considérables que, la confiance une fois
+ rétablie, et malgré la dette, il peut encore offrir à la France de
+ grands avantages, et lui fournir même du numéraire si l'empereur le
+ désirait; mais je crois qu'il faut le rassurer, principalement sur
+ son incorporation, car les fonds que l'on réalise iront en
+ Angleterre; le change est déjà monté de 3% et le papier anglais est
+ recherché.</p>
+
+<p>Votre Excellence sait peut-être déjà que quelques feuilles
+ hollandaises ont osé retrancher du discours de l'empereur l'article
+ qui regarde ce pays, et que celles qui ont rendu compte fidèlement
+ de tout le discours sont défendues. Cet ordre a été donné par le
+ ministre de la justice et de la police. M. de Styrum, préfet du
+ département, a ordonné que la <i>Gazette de Harlem</i> laissât l'article
+ en blanc.</p>
+
+<p>L'inquiétude est grande; les fonds de tous les pays baissent. Tous
+ les yeux sont tournés vers moi, et tous les esprits se livrent à des
+ conjectures qui sont loin de les rassurer.</p>
+
+<p>Le 15 décembre 1809, l'amiral Werhuell écrit au duc de Cadore que
+ c'est avec une véritable douleur que le roi a vu l'empereur et son
+ ministre parler au Corps législatif de changements prochains en
+ Hollande. Sa Majesté espère que l'empereur n'a en vue que des
+ changements propres à consolider un trône qui est son ouvrage.&mdash;Il
+ aime à croire, d'ailleurs, que l'empereur fera connaître promptement
+ tous les changements projetés.</p>
+</div>
+
+<p>Le 16 décembre, Larochefoucauld résume en quatre questions et
+réponses la lettre du ministre en date du 5 décembre:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Quels sont les v&oelig;ux des Hollandais?</p>
+
+<p>Maintenir leur nationalité; éviter les banqueroutes des deux tiers,
+la conscription et l'occupation française.</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Quels avantages désirent-ils?</p>
+
+<p>Le duché de Berg en échange de la Zélande et du Brabant.</p>
+
+<p>3<sup>o</sup> Quels maux veulent-ils éviter?</p>
+
+<p>Tout système qui serait en opposition avec celui de la France.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagelxxiii" name="pagelxxiii"></a>(p. lxxiii)</span> 4<sup>o</sup> À quel arrangement souscriraient-ils?</p>
+
+<p>À voir différer un tiers et plus de la dette, et à tous ceux qui
+conviendraient à l'empereur s'ils obtenaient les trois points
+indiqués plus haut.</p>
+
+
+<h3><span class="smcap">Année 1810.</span></h3>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Napoléon à Clarke.</p>
+<p class="date">Paris, 5 janvier.</p>
+
+<p>Donnez l'ordre au maréchal Oudinot de se rendre à Anvers, pour
+ prendre le commandement de l'armée du Nord.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p>
+<p class="date">Paris, 20 janvier.</p>
+
+<p>Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la lettre
+ que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 courant,
+ et Sa Majesté m'a chargé de vous témoigner qu'elle n'était pas
+ satisfaite d'apprendre que vous eussiez fait revenir sur territoire
+ français les troupes que vous aviez envoyées à Bréda et à
+ Berg-op-Zoom. L'empereur me charge, à cette occasion, de vous
+ réitérer les observations que je vous ai faites, par ma lettre du
+ 11, sur les mesures que vous aviez prises, relativement à ces deux
+ places. Sa Majesté pense que Votre Excellence aurait dû commencer
+ par y faire entrer ses troupes et en prendre possession après;
+ c'était la meilleure manière de parvenir à votre but. Quant aux
+ moyens à employer pour réussir, Votre Excellence doit comprendre que
+ c'est au général en chef, qui est sur les lieux, à faire les
+ dispositions convenables pour bien remplir les vues du gouvernement,
+ et qu'on ne peut lui prescrire des mesures de détail qu'il est dans
+ ses attributions de combiner et de faire exécuter de la manière la
+ plus propre à en assurer le succès.</p>
+
+<p>Relativement aux gardes nationales, je vois, par la lettre de Votre
+ Excellence, qu'elle n'a fait revenir que la division Gouvion, et que
+ deux bataillons ont été placés à Malines et à Bruxelles. L'intention
+ de l'empereur est que Votre Excellence dispose de toutes les gardes
+ nationales de l'armée du Nord, même de celles qui sont à Bruxelles,
+ pour les placer en entier sur le territoire hollandais, où vous
+ devez aussi <span class="pagenum"><a id="pagelxxiv" name="pagelxxiv"></a>(p. lxxiv)</span> porter votre quartier général. Vous voudrez
+ donc bien donner vos ordres en conséquence, et vous occuper de
+ remplir avec activité les intentions de l'empereur. Votre Excellence
+ verra, d'ailleurs, que ces dispositions ne changent rien aux mesures
+ prescrites par ma lettre du 18, dont je vous confirme le contenu en
+ son entier, en vous invitant à ne rien négliger pour en assurer
+ l'exécution.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke au Roi de Hollande.</p>
+<p class="date">Paris, 20 janvier.</p>
+
+<p>Sire, Sa Majesté l'empereur et roi m'a chargé de faire connaître de
+ nouveau à Votre Majesté la peine que lui a causée la manière dont
+ les choses se sont passées en Hollande, relativement à l'entrée
+ demandée pour ses troupes dans les places de Bréda et de
+ Berg-op-Zoom. Le mauvais effet que produit en Hollande et en France
+ un pareil éclat ne peut échapper à Votre Majesté, et je dois croire
+ qu'elle en souffre autant que l'empereur. Il est malheureusement
+ devenu le résultat inévitable des ordres de Votre Majesté aux
+ commandants de place, et cette mesure ne pouvait produire, dans
+ aucun cas, un bon effet.&mdash;La lettre close qui a été présentée à
+ Berg-op-Zoom, au général Maison, contenant un ordre particulier de
+ Votre Majesté de ne remettre la place à qui que ce fût sans un ordre
+ du ministre de la guerre ou du roi lui-même, a dû nécessairement
+ frapper l'empereur, en annonçant que Votre Majesté s'était depuis
+ longtemps décidée à opposer de la résistance à l'exécution des
+ mesures que Sa Majesté Impériale pourrait avoir à prendre au sujet
+ de ces villes. J'espère, toutefois, que Votre Majesté aura pris
+ enfin le parti que la sagesse et la réflexion ont dû lui dicter, en
+ révoquant les ordres qu'elle avait donnés, pour éviter une
+ résistance inutile. Elle sentira que l'empereur ne peut revenir sur
+ des dispositions arrêtées après mûres réflexions, et fondées sur de
+ grandes vues politiques, dont l'accomplissement est nécessaire au
+ repos de l'Europe. Les maux qu'une résistance plus longtemps
+ prononcée causerait à la Hollande elle-même doivent être, aux yeux
+ de Votre Majesté, un motif déterminant pour l'engager à fléchir en
+ cette matière. Le seul parti, aujourd'hui, est de prendre les
+ mesures les plus précises pour éviter les fâcheux résultats que ses
+ premiers ordres ont dû produire, et terminer promptement une lutte
+ aussi inégale qu'elle serait nécessairement désastreuse pour les
+ États de Votre Majesté.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p>
+<p class="date">Paris, 25 janvier.</p>
+
+<p>Votre Majesté trouvera ci-joint, en original, la dépêche que je
+ reçois <span class="pagenum"><a id="pagelxxv" name="pagelxxv"></a>(p. lxxv)</span> à l'instant du maréchal duc de Reggio, en date du
+ 28. Elle répond à la mienne du 20, qui lui avait transmis les
+ derniers ordres de Votre Majesté. Le maréchal a pris toutes les
+ mesures nécessaires pour les exécuter, et a dû se rendre, le 24, de
+ sa personne à Berg-op-Zoom. Il envoie une copie de l'ordre du roi de
+ Hollande, adressé au gouverneur de Berg-op-Zoom, dont il résulte que
+ l'entrée de nos troupes ne souffrira pas de difficultés, mais que
+ les dispositions ultérieures ordonnées par Votre Majesté pourront
+ éprouver des obstacles. Le duc de Reggio assure, d'ailleurs, qu'il
+ les lèvera tous. Cependant, il attendra de nouveaux ordres pour la
+ prise de possession et le serment à exiger des autorités. Il doit
+ les attendre à Breda, où il se rendra en sortant de Berg-op-Zoom;
+ mais il pense qu'il devrait revenir ensuite à Anvers, dont la
+ position est la plus centrale pour pouvoir diriger les opérations le
+ long de la Meuse. Votre Majesté remarquera, parmi les dispositions
+ prises par le duc de Reggio pour la répartition de ses troupes,
+ qu'il a disposé de la division Lamarque en entier et d'un bataillon
+ de la division Chambarland, quoique ces sept bataillons fussent
+ compris dans le décret du 22, qui ordonne leur licenciement. Je
+ supplie Votre Majesté de vouloir bien me faire connaître ses
+ intentions à cet égard, de même que sur les autres objets de la
+ lettre du maréchal duc de Reggio qui exigent une décision.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p>
+<p class="date">27 janvier.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté, en original, la
+ dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, datée
+ de Berg-op-Zoom, le 24 courant, par laquelle il annonce son arrivée
+ dans cette ville de même que l'entrée du général du Roure à Breda.
+ Votre Majesté remarquera que le général hollandais qui commande à
+ Berg-op-Zoom a refusé de laisser prendre possession de la place, en
+ alléguant les ordres du roi. Le duc de Reggio n'en a pas moins fait
+ toutes ses dispositions pour exécuter les premiers ordres de Votre
+ Majesté; mais il en attend encore avant d'effectuer la prise
+ définitive de possession, et, d'ici à l'époque où il pourra les
+ recevoir, il aura réuni les troupes dont il a besoin pour consommer
+ cette entreprise.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p>
+<p class="date">28 janvier.</p>
+
+<p>Monsieur le maréchal. Vous trouverez ci-joint une copie du décret de
+ Sa Majesté l'empereur, daté des Tuileries, le 20 janvier, et que Sa
+ <span class="pagenum"><a id="pagelxxvi" name="pagelxxvi"></a>(p. lxxvi)</span> Majesté vient de me faire connaître. L'intention de
+ l'empereur est que vous fassiez une proclamation, pour faire
+ connaître que vous prenez possession militaire des pays situés entre
+ la Meuse et l'Escaut; que les troupes hollandaises, de même que les
+ troupes françaises, ne devront obéir qu'à vos ordres, et que telle
+ est la volonté de l'empereur.</p>
+
+<p>Vous devez parler très haut aux militaires hollandais et savoir ce
+ qu'ils prétendent faire. La mise des places en état de siège
+ annulera, par le fait, la possibilité de tout acte inconsidéré de la
+ part des autorités civiles. L'empereur veut que vous vous empariez
+ des magasins à poudre et des munitions de guerre et de bouche. Votre
+ Excellence annoncera l'arrivée prochaine de 60,000 Français et fera
+ former des magasins pour leur subsistance.</p>
+
+<p>Sans rien écrire à ce sujet, Votre Excellence fera entendre que la
+ sûreté des frontières de France obligera peut-être l'empereur à
+ réunir définitivement à la France la partie de la Hollande située
+ entre la Meuse et l'Escaut, et qu'en attendant, il est de l'intérêt
+ des habitants de bien se comporter.</p>
+
+<p>L'empereur permet, monsieur le maréchal, que je vous confie, sous le
+ secret, qu'en réalité, son intention est de faire prendre d'abord
+ <i>possession militaire</i> des pays en question, et d'en faire prendre
+ après <i>possession civile</i>, ce qui, toutefois, ne pourra avoir lieu
+ avant que vous receviez de nouveaux ordres. Sa Majesté a arrêté
+ irrévocablement dans sa pensée <i>la réunion à la France des pays
+ compris entre la Meuse et l'Escaut</i>; mais, en ce moment, elle veut
+ que vous vous borniez à en prendre la possession militaire entière
+ et absolue.</p>
+
+<p>Vous devez avoir l'&oelig;il sur les magasins de marchandises anglaises
+ et de denrées coloniales, afin que la saisie puisse s'en effectuer
+ au premier ordre et à la fois; il faudra marcher contre les
+ rassemblements de contrebandiers hollandais et leur donner des coups
+ de fusil, s'il en est besoin.</p>
+
+<p>Le 7 février, une division française du 4<sup>e</sup> corps de l'armée
+ d'Allemagne doit arriver à Dusseldorf et doit continuer
+ immédiatement sa route pour être sous vos ordres. Vous devez laisser
+ peu de monde à Anvers et sur la rive gauche de l'Escaut, et, dès que
+ les chaloupes et bateaux canonniers français qui sont dans nos
+ canaux pourront servir, vous les ferez venir et vous vous en
+ servirez. Enfin vous ferez, monsieur le maréchal, des règlements
+ sévères pour tous les objets qui en sont susceptibles. Vous ne
+ parlerez jamais de réunion d'une manière absolue, mais seulement de
+ possession militaire. Vous ferez publier et afficher partout le
+ décret ci-joint.</p>
+
+<p>Un de vos premiers soins sera de mettre garnison dans toutes les
+ places où il doit y en avoir. Vous notifierez aux généraux
+ hollandais que leurs troupes font partie de l'armée de l'empereur,
+ et vous donnerez <span class="pagenum"><a id="pagelxxvii" name="pagelxxvii"></a>(p. lxxvii)</span> la plus grande attention à les placer
+ dans des endroits où elles ne puissent pas nuire. Vous veillerez
+ surtout à ce qu'elles ne repassent pas en Hollande, et, au moindre
+ soupçon, vous les ferez désarmer. Vous ferez ces notifications aux
+ maréchaux hollandais, que vous appellerez à votre quartier général.</p>
+
+<p>L'intention de l'empereur est que toutes les gardes nationales de
+ l'armée du Nord et les autres troupes qui en dépendent se dirigent
+ sur votre quartier général. L'empereur m'ordonne de vous réitérer
+ l'ordre de tenir toutes vos troupes réunies, en vous conformant,
+ d'ailleurs, à ce qui vous est prescrit par mes dépêches de ce jour.</p>
+
+<p>Le général Vandamme reçoit l'ordre de se rendre sans délai à
+ Berg-op-Zoom, pour servir sous vos ordres dans l'armée du Brabant.</p>
+
+<p><i>P.-S.</i>&mdash;M. le capitaine Markey, mon aide-de-camp, est chargé de
+ remettre mes dépêches à Votre Altesse.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Palais des Tuileries, 20 janvier 1810.</p>
+<p class="center smcap">Décret.</p>
+
+<p>Voulant pourvoir à la sûreté des frontières du nord de notre empire,
+ et mettre à l'abri de tout événement nos chantiers et arsenaux
+ d'Anvers;</p>
+
+<p>Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:</p>
+
+<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p>
+
+<p>Il sera formé une armée sous le nom d'<i>Armée de Brabant</i>.</p>
+
+<p class="center">Art. 2.</p>
+
+<p>Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et l'Océan formeront
+ le territoire de la dite armée.</p>
+
+<p class="center">Art. 3.</p>
+
+<p>Toutes les troupes françaises et alliées, de terre et de mer, qui se
+ trouvent dans cet arrondissement, feront partie de l'armée de
+ Brabant.</p>
+
+<p class="center">Art. 4.</p>
+
+<p>Les places de guerre situées entre la Meuse et l'Escaut seront mises
+ en état de siège.</p>
+
+<p class="center">Art. 5.</p>
+
+<p>Les commandants militaires et les autorités françaises et
+ hollandaises se conformeront aux présentes dispositions.</p>
+
+<p class="center">Art. 6.</p>
+
+<p>Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent
+ décret.</p>
+
+<p class="sig"><span class="pagenum"><a id="pagelxxviii" name="pagelxxviii"></a>(p. lxxviii)</span> <span class="smcap">Napoléon</span>, etc., etc.</p>
+
+<p class="center">Article 1<sup>er</sup>.</p>
+
+<p>Toutes les marchandises anglaises existant dans les villes et places
+ situées entre la Meuse et l'Escaut sont confisquées.</p>
+
+<p class="center">Art. 2.</p>
+
+<p>Le produit de la vente de ces marchandises sera employé moitié à
+ réparer les dégâts faits à Flessingue, et moitié à indemniser les
+ habitants des pertes qu'ils ont essuyées par le bombardement.</p>
+
+<p class="center">Art. 3.</p>
+
+<p>Toutes les marchandises coloniales seront mises sous séquestre.</p>
+
+<p class="center">Art. 4.</p>
+
+<p>Nos ministres de la police et des finances sont chargés de
+ l'exécution du présent décret.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+
+<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p>
+<p class="date">29 janvier.</p>
+
+<p>Votre Majesté trouvera ci-joint une lettre du maréchal duc de
+ Reggio, du 26 courant, datée de Berg-op-Zoom, par laquelle il rend
+ compte de l'opposition toujours soutenue du gouvernement hollandais,
+ qui a refusé de laisser prendre connaissance des magasins de la
+ place: le duc de Reggio, après avoir fait sortir les troupes qui
+ appartenaient au corps du maréchal Dumonceau, a dû, dès le
+ lendemain, déposséder le gouverneur et s'emparer des magasins.</p>
+
+<p>En attendant que cette opération fût consommée, le maréchal duc de
+ Reggio a fait faire une reconnaissance de la place qui lui a procuré
+ quelques renseignements. 240 bouches à feu se trouvent dans la
+ place, et, en approvisionnements de siège, de quoi nourrir 2,000
+ hommes pendant six semaines. Du reste, il n'y a ni manutention, ni
+ hôpitaux, ni casernes, ni fournitures, et le duc de Reggio pense
+ qu'il est instant de régler sans délai tout ce qui tient aux
+ administrations, ainsi que d'assurer tous les services de l'armée
+ qui sera en Hollande.</p>
+
+<p>À cette lettre est joint un croquis de la place de Berg-op-Zoom,
+ avec un précis de ce qu'on a pu voir de cette place, les ingénieurs
+ hollandais ayant refusé toute espèce de renseignements.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Napoléon.</p>
+<p class="date">31 janvier.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre du duc de
+ Reggio, datée de Breda, le 28 janvier. Il rend compte qu'à
+ Berg-op-Zoom comme à Breda, la prise de possession des magasins
+ d'artillerie, du <span class="pagenum"><a id="pagelxxix" name="pagelxxix"></a>(p. lxxix)</span> génie et des subsistances a eu lieu le
+ 27, comme il l'avait annoncé. Les gouverneurs de ces places ont
+ persisté dans leur opposition jusqu'au dernier moment; ils n'ont
+ cédé qu'à la force. Ils ont ensuite refusé tous deux de remplir
+ aucune fonction et attendent une nouvelle destination de la part de
+ leur souverain.</p>
+
+<p>Le duc de Reggio demande maintenant des instructions positives,
+ relativement aux autorités du pays et aux habitants; le décret que
+ je lui ai envoyé le 28 lèvera les obstacles qu'il craint de
+ rencontrer de leur part.</p>
+
+<p>Le maréchal fait observer que les bataillons de gardes nationales
+ qui font sa principale force sont diminués par la désertion et fort
+ éloignés de l'instruction et de la discipline que la circonstance
+ exigerait. En outre, ils sont presque nus, ce qui contribue à les
+ décourager. Les démarches faites à ce sujet au ministre directeur
+ n'ont pas même obtenu de réponse. Le duc de Reggio insiste avec
+ force sur la nécessité d'apporter un prompt remède à cet état de
+ choses, dont la fâcheuse influence ne saurait échapper à la sagesse
+ de Votre Majesté.</p>
+
+<p>Une autre lettre du même, en date du 26, rend compte de la désertion
+ qui a eu lieu à Namur dans les bataillons de la Meurthe et de la
+ Moselle, dont il a été déjà rendu compte à Votre Majesté. Le
+ maréchal ajoute que le départ pour Lille de la majeure partie des
+ officiers a désorganisé ces bataillons, et qu'on doit peu compter
+ sur eux dans une circonstance difficile.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p>
+<p class="date">1<sup>er</sup> février.</p>
+
+<p>Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre
+ Excellence, par une dépêche du 28 janvier, dont le capitaine Markey,
+ mon aide-de-camp, a été porteur, les intentions de l'empereur
+ relativement à la prise de possession des places hollandaises
+ situées entre la Meuse et l'Escaut. Aujourd'hui, je suis chargé par
+ Sa Majesté de vous envoyer l'ordre de prendre possession militaire
+ de toutes les places situées entre le Rhin et l'Escaut. Pour cet
+ effet, il sera nécessaire que Votre Excellence commence par
+ s'assurer des points qui couvrent sa gauche: ce sont les forts de
+ Steenbergen, de Wilehelmstadt, de Klundoert et les villes de
+ Gertruydenberg et Heusden, qu'il faudra faire occuper par des
+ détachements. Bois-le-Duc et le fort de Crèvec&oelig;ur doivent être
+ pris en même temps, et cette mesure préliminaire étant consommée,
+ l'arrivée prochaine de la division du 4<sup>e</sup> corps destinée à passer
+ sous vos ordres vous permettra de suivre votre opération par la
+ droite. Cette division, qui sera à Dusseldorf, doit être dirigée de
+ Dusseldorf sur Venloo, <span class="pagenum"><a id="pagelxxx" name="pagelxxx"></a>(p. lxxx)</span> d'où elle marchera directement sur
+ Grave et de là sur Nimègue, qui doivent être pareillement occupés,
+ de même que le fort de Schenk. Quand vous aurez, par là, votre
+ droite et votre, gauche assurées, vous pourrez continuer votre
+ marche en avant, pour aller occuper, sur votre gauche, la Zeelande
+ ainsi que les îles de Josée et de Worms, ce qui vous conduira à
+ prendre possession de Zérickée, de la Brille, d'Helvoest-Lyns et de
+ Dordrecht. Vous aurez alors, en avant de votre route, le
+ Bommel-Waard et la place de Garcum à occuper, au moyen de quoi votre
+ grand mouvement se trouvera terminé, et vous aurez votre droite au
+ fort de Schenk près du Rhin et votre gauche à l'île de Gorée. Il
+ sera nécessaire de procéder, dans ces différentes places, de la même
+ manière qu'à Breda et à Berg-op-Zoom, en y nommant un commandant
+ militaire français et en renvoyant les troupes hollandaises qui
+ pourraient s'y trouver en garnison dans des endroits où elles ne
+ puissent pas nuire. Il faudra aussi s'emparer des magasins
+ d'artillerie et des subsistances, et déclarer les places en état de
+ siège pour annuler entièrement l'action des autorités civiles.
+ Toutes ces opérations doivent être consommées successivement, mais
+ avec beaucoup d'ensemble et de célérité pour en faciliter
+ l'exécution, et je prie Votre Excellence de vouloir bien m'informer
+ sans délai des mesures que vous aurez prises pour remplir, à cet
+ égard, les intentions de l'empereur.</p>
+</div>
+
+<p>Le 2 février 1810, en présence des exigences du duc de Reggio
+exécutant les ordres de l'empereur, un conseiller d'État du roi
+Louis, le chevalier Elout, adressa au maréchal la lettre ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Breda, 2 février.</p>
+
+<p>Monsieur le duc, chargé d'une mission auprès de Votre Excellence,
+ j'ai appris avec regret que Votre Excellence se trouvait à Anvers.
+ Privé d'un entretien que j'avais désiré vivement, il est toutefois
+ de mon devoir de faire connaître à Votre Excellence l'objet spécial
+ de la mission qui m'a été confiée, et dont j'ai l'honneur de
+ m'acquitter par celle-ci.</p>
+
+<p>Je n'ai pas besoin d'entrer en beaucoup de détails; mais je dois,
+ cependant, prendre la liberté de rappeler à Votre Excellence que,
+ quoique l'on n'a pas cru pouvoir accorder à sa demande d'être mise
+ en possession d'une partie du territoire hollandais, on n'a pas
+ hésité un moment, lorsque Votre Excellence a témoigné le désir d'y
+ mettre les troupes de Sa Majesté l'empereur et roi en cantonnement,
+ à recevoir ces troupes dans les places fortes de Breda et de
+ Berg-op-Zoom, comme celles d'une puissance amie et alliée, ainsi que
+ le dictaient les ordres du roi, mon maître, qui étaient connus
+ d'avance à Votre Excellence et qui doivent être la seule règle de
+ conduite pour tout fonctionnaire hollandais. Le gouvernement
+ hollandais se reposait ainsi, avec toute la confiance <span class="pagenum"><a id="pagelxxxi" name="pagelxxxi"></a>(p. lxxxi)</span>
+ possible, sur les assurances données par Votre Excellence, qu'elle
+ désirait d'être admise sur ce point que les places resteraient sous
+ les ordres de leurs gouverneurs respectifs, et que l'administration
+ civile serait intacte.</p>
+
+<p>Il vous sera donc facile, monsieur le maréchal, de sentir la vive
+ douleur qu'a dû éprouver mon gouvernement lorsqu'il a été informé
+ qu'on avait pris possession de la ville et du territoire de
+ Berg-op-Zoom au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon; qu'il avait
+ été exigé des autorités constitutives de se considérer comme sujets
+ de ce monarque; qu'il avait été interdit d'administrer la justice au
+ nom du roi, leur souverain légitime; qu'on avait enfin donné les
+ ordres les plus précis aux receveurs de ne pas disposer des deniers
+ publics sans un ordre du gouvernement français, douleur qui est
+ accrue par ce qui est arrivé à Bréda.</p>
+
+<p>La gloire de bien servir son maître est si naturelle, et tellement
+ inhérente à tout Français, que je croirais manquer à Votre
+ Excellence d'en presser le devoir; que Votre Excellence juge donc si
+ les sentiments de tout homme d'honneur ne doivent pas s'accorder
+ avec ce devoir même! Qu'ainsi, il lui est impossible de se départir
+ de la fidélité qu'il doit à son souverain, et dont ce souverain peut
+ seul le dégager.</p>
+
+<p>Votre Excellence sent profondément (j'en ai la conviction intime)
+ l'état cruel et pénible où se trouvent les bons et fidèles
+ serviteurs du roi, en se voyant pressés de violer leurs serments et
+ de manquer ainsi à leurs devoirs les plus chers et les plus sacrés
+ et se rendre par là méprisables aux yeux de tout homme de bien,
+ sentiment de mépris que partagerait Votre Excellence elle-même qui
+ est trop pénétrée, sans doute, de la noblesse des sentiments d'amour
+ et de fidélité que je viens de professer pour vouloir attribuer les
+ difficultés qu'elle aurait pu avoir rencontrées de la part de ces
+ individus à d'autre cause qu'à ses sentiments.</p>
+
+<p>«Je crois pouvoir ajouter encore avec confiance, que d'après les
+ intentions manifestées par l'empereur lui-même et les ordres les
+ plus positifs du roi, que Votre Excellence a prouvé, par sa conduite
+ antérieure, connaître à fond que l'entrée des troupes françaises sur
+ le territoire hollandais ne peut être considérée que sous un point
+ de vue militaire, mais jamais comme devant signifier la prise de
+ possession au nom de Sa Majesté l'empereur et roi, et qu'encore pour
+ cette raison aucun habitant ne doit ni ne peut se considérer comme
+ sujet de Sa Majesté l'empereur Napoléon, mais que tous sans
+ exception ne désirent respecter que les ordres qui leur seront
+ donnés de la part de Sa Majesté le roi de Hollande dans les formes
+ usitées et légitimes.</p>
+
+<p>«Je dois insister plus spécialement encore sur ce qui regarde
+ l'administration des finances. Votre Excellence doit sentir le grand
+ embarras <span class="pagenum"><a id="pagelxxxii" name="pagelxxxii"></a>(p. lxxxii)</span> et la stagnation funeste que doivent faire
+ naître les ordres donnés à ce sujet, ce dont les suites sont
+ incalculables dans ce royaume.</p>
+
+<p>«J'ose donc prier Votre Excellence qu'elle veuille se rendre aux
+ représentations que j'ai l'honneur de lui faire d'après mes
+ instructions et de donner les ordres pour que les conditions posées
+ en principe par Votre Excellence elle-même soient respectées, et
+ qu'il ne soit rien exigé d'un sujet hollandais qui serait contraire
+ à son devoir, mais qu'il lui soit permis d'attendre sur toutes
+ choses les ordres de son roi, et que Votre Excellence veuille faire
+ révoquer le plus tôt possible les ordres donnés aux receveurs
+ généraux, en un mot que tout ordre qui n'émane pas des principes
+ militaires relativement au cantonnement, soit révoqué et mis hors
+ d'effet.</p>
+
+<p>«Je viens d'exposer l'objet de ma mission, Monsieur le duc, et me
+ fondant sur votre caractère personnel autant que sur la haute
+ qualité dont Votre Excellence est investie, j'ose espérer que le
+ gouvernement hollandais ne se sera pas flatté en vain que Votre
+ Excellence se rendrait à une demande juste dans sa nature,
+ intéressante dans ses conséquences et peu faite sans doute pour
+ inspirer les moindres appréhensions.</p>
+
+<p>«Je prie Votre Excellence de m'en donner l'assurance afin que je
+ puisse communiquer à mon gouvernement un résultat qu'il attend avec
+ confiance et qui sera propre à conserver et à augmenter la bonne
+ harmonie entre les individus des deux nations intimement liées.</p>
+
+<p>«J'ai chargé Monsieur Siberg, auditeur du roi, de remettre cette
+ dépêche à Votre Excellence et de me rapporter la réponse qu'elle
+ voudra me faire parvenir. Agréez, Monsieur le duc, l'assurance de ma
+ haute considération.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le Ministre de la guerre de Hollande à Oudinot.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 3 février.</p>
+
+<p>«Monsieur le duc, les ordres que j'ai reçus du roi mon maître et que
+ M. de Byland, son aide de camp, m'a apportés, ont fait cesser en
+ effet l'obligation pénible où j'étais de lutter contre les mesures
+ de Votre Excellence, et maintenant que je me trouve autorisé à vivre
+ en harmonie avec elle, je n'aurai rien de plus à c&oelig;ur que de
+ faire de mon côté tout ce qui peut tendre à la maintenir.</p>
+
+<p>«Je sens que les troupes françaises qui vont occuper la partie du
+ royaume située entre la Meuse et l'Escaut auront besoin d'y trouver
+ des moyens de subsistance. Ce service est assuré, pour les troupes
+ hollandaises, par l'entrepreneur général des vivres, qui fournit à
+ tous leurs besoins. J'ai proposé à Sa Majesté de le charger aussi de
+ la nourriture <span class="pagenum"><a id="pagelxxxiii" name="pagelxxxiii"></a>(p. lxxxiii)</span> des troupes françaises, et j'attends les
+ ordres qu'elle voudra bien me donner à cet égard. Si, dans
+ l'intervalle, Votre Excellence juge à propos de requérir
+ l'intervention des autorités locales, j'ai l'honneur de la prévenir
+ que cette mesure serait étrangère à mon département et ressortirait
+ entièrement du ministère de l'intérieur.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">De La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 15 février 1810.</p>
+
+<p>«Croyant qu'il peut être agréable à Votre Excellence d'avoir
+ quelques détails sur l'opinion générale et sur la situation des
+ esprits en Hollande, je vais avoir l'honneur de vous faire part de
+ mes observations.</p>
+
+<p>«L'esprit public est généralement bon, c'est-à-dire que la masse de
+ la nation est susceptible de prendre telle direction qu'il plaira à
+ son gouvernement de lui donner. Le Hollandais aime sa patrie et fera
+ de grands sacrifices pour elle. Il prend donc une part très réelle à
+ ce qui intéresse la chose politique et l'honneur national.</p>
+
+<p>«Le grand penchant qui existe pour l'Angleterre ne tient qu'au
+ besoin de commerce et aux ressources avantageuses que l'on retire
+ des relations avec ces insulaires. Mais favorisez le commerce,
+ montrez de l'intérêt pour la Hollande, faites-lui entrevoir une
+ prospérité future et une protection présente, dès lors vous verrez
+ la Hollande devenir Française, car elle ne tient à l'Angleterre ni
+ de cour, ni de goût, mais uniquement d'intérêt, et parce que,
+ n'étant pas heureuse sous la direction française, elle croit que ce
+ qui lui est opposé doit être pour elle un bien. Il existe ici trois
+ opinions plus ou moins opposées les unes aux autres. Celle du
+ commerce et des gens à argent qui n'admettent et qui n'aiment que ce
+ qui leur procure un avantage; celle des propriétaires fonciers, de
+ l'ancienne noblesse et de leurs agents, qui furent attachés à la
+ maison d'Orange, qui en conservent des souvenirs, qui jusqu'à
+ présent penchaient pour l'Angleterre, en éloignant tout ce qui était
+ Français, mais que l'on peut faire revenir à des sentiments plus
+ raisonnables avec de la douceur et avec de la fermeté; enfin, celle
+ des Patriciens et de la masse du public qui suit ordinairement la
+ direction du gouvernement et dont l'on peut facilement disposer en
+ se rendant maître de leurs chefs. Le gouvernement est composé de la
+ seconde classe, d'une partie de la troisième et de quelques
+ individus de la première qui, pour obtenir des avantages personnels,
+ ont quitté la droite ligne du commerce pour devenir courtisans.
+ Cette seconde classe s'était tellement emparée de l'esprit du roi
+ que Sa Majesté croyait en avoir besoin et qu'ils avaient su se
+ rendre indispensables. Ils avaient travaillé <span class="pagenum"><a id="pagelxxxiv" name="pagelxxxiv"></a>(p. lxxxiv)</span> l'esprit
+ public, et soit par séduction, soit par peur ou par désir d'obtenir
+ des emplois, soit enfin par des grâces, des décorations, ils étaient
+ parvenus à rendre la Hollande anti-française. Les honnêtes gens
+ souffraient et même quelques voix ont osé se faire entendre, mais
+ elles ont été étouffées, et l'homme qui voulait se prononcer était
+ si maltraité qu'il ôtait à tous les autres le désir et même la
+ pensée de suivre un exemple qui le ruinait lui et les siens. Enfin,
+ l'opinion publique était altérée; on gémissait en secret des fautes
+ du gouvernement, mais il avait soin de rejeter le mal sur
+ l'empereur. Le roi passait pour une victime de son dévouement à sa
+ nouvelle patrie et pour n'être traité froidement par son auguste
+ frère que parce qu'il défendait la Hollande<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a><a href="#footnote157" title="Lien vers la note 157"><span class="smaller">[157]</span></a>. Enfin, toutes les
+ apparences étaient contre ce pays-ci, et il fallait se donner la
+ peine d'examiner le mal de bien près et avec soin pour découvrir
+ qu'il était uniquement au gouvernement, ou plutôt à quelques
+ personnes qui avaient dû faire prendre la marche qui favorisait
+ leurs intérêts particuliers. Ces vérités sont connues de tout le
+ monde, elles sont même avouées des agents du gouvernement qui ne
+ nient pas le mal, mais qui prétendent n'en être pas la cause et qui
+ la rejettent sur tel ou tel autre individu.</p>
+
+<p>«L'empereur a donc atteint un premier but bien intéressant qui est
+ celui d'avoir ouvert les yeux à tous les partis; et chacun voit à
+ présent que le mal qui les accable vient de la marche vicieuse du
+ gouvernement. On rend toute la justice qui est due aux intentions du
+ roi; mais ceux mêmes qui ont conseillé Sa Majesté sentent la faute
+ qu'ils ont commise ou plutôt ils en craignent les effets. Mais que
+ Votre Excellence me permette de lui observer combien il serait
+ dangereux de se fier trop vite à un pareil repentir. Sûrement, il ne
+ faut punir personne; mais il faut éloigner des gens trop marquants,
+ qui ne peuvent prêcher sans honte un système opposé à celui qu'ils
+ ont professé publiquement. L'éloignement peut n'être que momentané;
+ mais il est indispensable pour asseoir le gouvernement dans de bons
+ principes et pour lui faire prendre une marche dont il ne doit plus
+ s'écarter. C'est un point très intéressant; mais, je le répète, il
+ faut une certitude de stabilité. Sans cela, il n'y a plus de
+ Hollande et je prie Votre Excellence de vouloir bien en être
+ persuadée. Mais ici nous avons atteint ce point si le roi est bien
+ convaincu de l'indispensable nécessité de suivre une marche
+ invariable; si Sa Majesté s'entoure de gens de talent et de
+ conduite, qu'elle daigne accueillir avec sa bonté ordinaire toutes
+ les opinions, mais en laissant le temps à ceux qui ont professé
+ l'ancienne doctrine de se reconnaître et d'ouvrir les yeux. Enfin
+ si, à son retour, le roi se prononce <span class="pagenum"><a id="pagelxxxv" name="pagelxxxv"></a>(p. lxxxv)</span> comme celui de
+ Westphalie paraît l'avoir fait; si l'empereur est sûr que Sa Majesté
+ réunira à une pensée ferme un plan de conduite fixe; si enfin le
+ système de la France est suivi, et qu'en Hollande le plus grand
+ malheur et le plus grand désavantage ne soit plus d'être français,
+ alors ce pays peut se rétablir. L'esprit public qui est bon et qui
+ n'a été gâté que par quelques individus se remettra. Le commerce et
+ les capitalistes, voyant qu'ils ne sont plus maltraités, mais que
+ l'on assimile les premiers aux négociants français, tandis que l'on
+ protège les seconds dans leurs rapports avec les cours étrangères,
+ verront leurs intérêts se rapprocher de S. M. impériale et royale et
+ la béniront. La noblesse bien traitée, favorisée de quelques ordres
+ et titres, employée selon les preuves qu'elle donnera de son zèle et
+ de son attachement à la nouvelle direction, se verra forcée, pour
+ obtenir des avantages de la cour, de prêcher la seule doctrine qui y
+ sera admise. Enfin, les Patriciens, amis de leur pays, qui ne
+ désirent que son bien, et qui sont à présent malheureux, se
+ rallieront facilement au gouvernement quand ils verront une
+ certitude de stabilité, et ils attireront après eux la masse du
+ public qui sent son mal et qui a besoin de le voir finir. Mais que
+ Votre Excellence ne se dissimule pas à quel point ce mal est porté.
+ Chacun gémit et se plaint. Le commerce est au moment d'éprouver des
+ pertes considérables. Les propriétaires qui ont tous des rentes sur
+ l'État sont ruinés par la chute des effets publics. La saisie des
+ marchandises a jeté l'alarme dans la seconde et la troisième classe
+ du peuple. Tout ce qui tient à la cour et au gouvernement craint
+ pour son existence personnelle. Enfin, les auteurs du mal
+ s'enveloppent de la misère publique. Ils ne parlent que de la nation
+ en général, que de son affreuse position, et ils se sauvent sous le
+ nom de la Hollande, tandis qu'eux seuls sont auteurs du mal dont
+ tout le monde est puni. Je ne voudrais pas, Monsieur le duc, que
+ Votre Excellence crût qu'il entre aucune personnalité dans ce que
+ j'ai l'honneur de lui mander. Ce ne serait même pas mon opinion de
+ faire une réaction. Je la croirais nuisible, et la Hollande a besoin
+ d'être tenue, mais en même temps d'être menée doucement et sans
+ secousse. Toute inquiétude trop forte lui ôte la confiance et nuit
+ au bien général; mais il faut lui inspirer cette confiance, la bien
+ convaincre que ce qui sera établi durera, que les lois qu'on lui
+ donnera seront stables et que son gouvernement ne variera plus.
+ Enfin, il faut, pour la lui inspirer, commencer par lui en faire
+ sentir la possibilité; et jamais avec les mêmes agents on ne croira
+ à une pareille marche. On regardera toute condescendance comme une
+ feinte, et l'on sera sûr d'être en butte à de nouveaux tiraillements
+ si nuisibles à l'intérêt général. Je le répète donc, la difficulté
+ n'est pas d'obtenir tout ce que l'empereur voudra, et même de voir
+ tout le monde <span class="pagenum"><a id="pagelxxxvi" name="pagelxxxvi"></a>(p. lxxxvi)</span> l'adopter avec empressement, mais le but
+ à atteindre est de s'assurer que cela durera et que l'esprit du
+ gouvernement est changé, car sans cela la confiance ne se rétablira
+ pas, et alors les finances, objet si essentiel et question si
+ délicate à traiter, ne pourront être réglées de manière à sauver la
+ Hollande d'une banqueroute complète. Je regarde donc que l'esprit
+ est bon, qu'il est prêt à tout, que le ministère même verra son
+ éloignement sans peine, croyant la chose nécessaire, et que
+ l'empereur gagnera tous les cours et attirera la Hollande à lui, si,
+ en la traitant comme la France, il oblige son gouvernement à devenir
+ et à rester français.</p>
+
+<p>«Quant à l'opinion des individus qui composent le gouvernement, elle
+ est dans ce moment-ci toute française en apparence. Tout le monde
+ avoue qu'il n'y a pas un autre système à suivre. Tout le monde a
+ peur et est devenu souple. On ne prononce plus le nom de l'empereur
+ qu'avec respect, et chacun craint son juge; mais cet esprit du
+ gouvernement est l'effet du moment. C'est le même individu qui tient
+ publiquement un langage raisonnable et qui, comme homme public,
+ professe cette religion, parle tout différemment quand, revenu dans
+ les cercles particuliers, dans sa famille ou chez ses amis, il peut
+ émettre sa véritable opinion. Le ministère est composé de Messieurs
+ Roëll, Mollerus, Van der Heim, Cambier, Hugenpoth, Van Capellen,
+ Krayenkoff et Apellius. Le premier, Votre Excellence le connaît;
+ elle peut le juger; mais cependant je dois lui observer qu'il est
+ haineux et vindicatif, qu'il a toujours tourné en dérision tout ce
+ qui était français, et que, sans avoir une mauvaise opinion
+ prononcée, il est un de ceux qui ont nui à un changement de système.
+ Le second est fin, adroit, instruit. Il a toujours été attaché à
+ l'Angleterre, où ses enfants étaient encore employés il y a peu de
+ temps. Il se met rarement en avant, mais il fait mouvoir d'autres
+ personnes et d'autres ministres, notamment M. Roëll. Sa conversation
+ est à présent dans une bonne direction. Il regrette, je crois,
+ d'avoir peut-être contribué à la perte de son pays. C'est un chef à
+ caresser, à bien traiter, mais à éloigner du timon des affaires,
+ parce que tout le monde le regarde comme une des personnes qui a le
+ plus dirigé le roi en sachant adroitement obtenir la confiance de Sa
+ Majesté et en faire un mauvais usage. M. Van der Heim,
+ officiellement, paraît être Français; mais c'est un homme réservé,
+ ne manquant pas de moyens, n'énonçant jamais une opinion et sachant
+ obtenir par des voies indirectes ce qu'il n'oserait pas demander
+ d'une manière positive. Il fait tout en dessous et l'on ne peut s'y
+ fier. Son ministère est celui où il règne le plus mauvais esprit, et
+ je crois qu'il en est cause. Cependant on pourrait tirer parti de
+ ses talents. Il se rallierait à un gouvernement dont il se verrait
+ forcé de suivre la <span class="pagenum"><a id="pagelxxxvii" name="pagelxxxvii"></a>(p. lxxxvii)</span> marche. Monsieur Cambier est un
+ honnête homme, attaché à son pays, loyal dans son système modéré,
+ sur qui l'on pourrait compter s'il avait pris un engagement. Il
+ n'est pas Français de goût, parce qu'il est malheureux de la crise
+ où se trouve sa patrie, et qu'en convenant des torts que l'on a eus,
+ il trouve la punition forte, et, si j'ose le dire, il se plaint
+ qu'une nation tout entière souffre d'une mauvaise direction à
+ laquelle elle ne pouvait rien. Je connais peu M. Cambier, mais je le
+ regarde comme un homme estimable et bon à employer.</p>
+
+<p>«M. Hugenpoth, ministre de la police, est un jeune homme qui était
+ petit avocat à Arnheim, sortant de finir de bonnes études. Il n'est
+ donc rien en politique et étonné d'occuper un poste auquel il aurait
+ pu peut-être convenir plus tard, mais qui dans ce moment-ci est
+ au-dessus de ses moyens. Le ministre de l'intérieur, Van Capellen,
+ était préfet de l'Ost-Frize, et, en cette qualité, a protégé
+ ouvertement la fraude, la contrebande. Les plaintes devinrent si
+ fortes qu'il fut rappelé et nommé successivement aux places de
+ conseiller d'État et de ministre. Il est allié à de bonnes familles.
+ Il a des opinions peu prononcées, mais mauvaises. C'est au reste un
+ jeune homme qui est conduit et qui suit l'impulsion du reste du
+ gouvernement. M. le général Krayenkoff est un topographe instruit et
+ voilà tout. Il paraît certain qu'il a été choisi par le roi, faute
+ d'autres personnes qui professent la même opinion et qui fussent
+ propres à être ministre de la guerre. Enfin M. Appelius, qui était
+ secrétaire du cabinet, est bon financier sans avoir peut-être les
+ qualités nécessaires pour être ministre; c'est un homme à employer;
+ il avait une opinion très prononcée contre la France; mais je dois
+ dire que dans plusieurs circonstances il s'est bien conduit et
+ notamment dans l'affaire de l'emprunt de Prusse.</p>
+
+<p>«Par les détails que je viens d'avoir l'honneur de donner à Votre
+ Excellence, elle voit que le ministère est faible, et que deux ou
+ trois hommes mènent le gouvernement. Quant au conseil d'État, il est
+ composé de gens instruits et propres à remplir les places qu'ils
+ occupent. Ils sont décidés presque généralement à suivre une bonne
+ ligne, et, à quelques individus près, on peut y compter. Le Corps
+ législatif, composé de propriétaires et de nobles, est absolument de
+ l'opinion du gouvernement et du roi dont il attend honneur et
+ faveur. Ainsi, il sera ce que Sa Majesté voudra. Quant à la cour,
+ qui contribue beaucoup à établir l'opinion des sociétés, elle est
+ généralement dans le plus mauvais esprit. C'est des antichambres du
+ roi que partaient les propos les plus ridicules contre la famille de
+ leur souverain. C'était la mode de critiquer l'empereur et son
+ gouvernement, de répandre les plus mauvaises nouvelles et de s'en
+ réjouir, de tourmenter tous les Français sans exception: et encore
+ depuis le départ du roi, le même esprit a régné et il perce dans
+ toutes les occasions, mais cette classe de la société a
+ <span class="pagenum"><a id="pagelxxxviii" name="pagelxxxviii"></a>(p. lxxxviii)</span> cru plaire. Elle a tenu cette conduite par ton et
+ d'un seul mot, elle changera si elle est sûre de flatter en prenant
+ un autre système.</p>
+
+<p>«Votre Excellence voit donc que l'on peut réparer facilement tout le
+ mal, que l'on peut faire marcher le gouvernement et rétablir les
+ finances, parce que le Hollandais viendra volontairement au secours
+ de son gouvernement quand il reprendra confiance. Elle voit que
+ l'opposition tient à l'ancienne marche, qu'il n'existe pas de
+ résistance, que l'éloignement que l'on manifeste contre la France
+ tient au malaise où l'on se trouve, enfin que la Hollande est dans
+ la main de l'empereur et que Sa Majesté Impériale et Royale peut en
+ faire ce qu'elle voudra et même s'attirer l'affection d'un peuple
+ qui attend tout de sa justice et de sa bonté.</p>
+
+<p>«Avant-hier, plusieurs courriers de Paris ont ranimé la confiance.
+ On a répandu que le roi s'était promené avec l'empereur, que tout
+ était arrangé, que la Hollande restait indépendante et que le roi
+ arriverait incessamment. Les fonds ont monté en deux heures de 20 à
+ 50 p. 100; hier ils sont retombés presque au point où ils étaient
+ avant cette hausse subite. On est cependant inquiet de ce qui se
+ passe dans le Brabant où l'on se plaint de nos troupes, surtout à
+ Dorp, où l'on accuse le général français d'une sévérité qui
+ indispose, et contre lequel on m'a porté des plaintes dont je n'ai
+ pas voulu me charger. Ce qui console un peu le commerce, c'est la
+ quantité d'argent qui arrive d'Angleterre. C'est, je crois, une des
+ guerres les plus avantageuses que nous puissions faire, et je serais
+ d'avis de fermer les yeux sur l'entrée des bâtiments qui ne
+ rapportent que des guinées de Londres.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 28 février 1810.</p>
+
+<p>«Lorsque j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, dans
+ mes derniers rapports, que l'on travaillait l'esprit public, que
+ l'on cherchait à gagner les troupes, que l'on discutait dans le
+ conseil des ministres les projets les plus absurdes; quand enfin je
+ me plaignais des membres du gouvernement et surtout du ministre de
+ la guerre, j'avais déjà de forts indices du projet insensé qui avait
+ été arrêté de défendre Amsterdam contre les troupes de l'empereur.
+ Je ne pouvais cependant avancer un fait aussi extravagant avant
+ d'avoir acquis la certitude que ce n'était ni la peur ni l'esprit de
+ parti qui faisaient circuler ces bruits, mais qu'ils étaient
+ réellement fondés. Je cherchai donc à acquérir des preuves, et,
+ occupé depuis trois semaines de cet objet, ce n'est qu'hier que j'ai
+ obtenu le dernier renseignement qui m'était nécessaire. Tous les
+ ministres sont liés par serment de ne rien dire de ce qui se passe
+ <span class="pagenum"><a id="pagelxxxix" name="pagelxxxix"></a>(p. lxxxix)</span> dans les conférences. Les ministères sont composés de
+ gens discrets et qui craignent de perdre leur emploi; enfin, je n'ai
+ aucun des moyens d'argent qui m'eussent été si utiles pour lutter
+ contre des gens si mal intentionnés, et je ne pouvais me fier aux
+ propos d'un public qui adopte sans discernement tout ce qui flatte
+ ou tout ce qui est opposé à son désir ou à son intérêt. Je me
+ contentais donc de garder le plus grand secret sur mes premiers
+ renseignements, de rire d'une pareille folie sans avoir l'air de là
+ croire possible, de voir peu les ministres, de ne pas leur parler
+ d'affaires, mais de faire suivre leurs moindres démarches et d'avoir
+ un compte exact des propos qu'ils tenaient. J'appris successivement
+ les discussions qui eurent lieu, les marchés faits par les
+ ministères de la guerre et de la marine, la raison qui avait
+ déterminé l'arrivée des troupes dans la capitale; enfin, je
+ m'assurai que l'on travaillait la nuit aux fortifications des lignes
+ et ouvrages avancés, qu'avant-hier on avait encore fait venir de
+ l'artillerie et des munitions et qu'une grande quantité d'ouvriers
+ avaient été enrôlés. Alors, sûr de mon fait, je fis demander une
+ conférence à M. Mollerus, et, après lui avoir énuméré tous les
+ ordres qui avaient été donnés et lui avoir montré que j'étais au
+ fait de tout, je lui remis la lettre dont j'ai l'honneur d'envoyer
+ copie à Votre Excellence.</p>
+
+<p>«Le ministre fut visiblement déconcerté. Je lui parlai avec force,
+ je lui reprochai une conduite aussi monstrueuse, tant par son
+ inconséquence que par ses résultats; enfin je lui signifiai la
+ responsabilité du conseil des ministres et de tous ses membres, si
+ tous les préparatifs n'étaient pas sur le champ détruits et annulés.
+ Je finis par obliger M. Mollerus à me dire la vérité, et il m'avoua
+ tout ce que j'avançais en me disant qu'il ne pouvait pas me répondre
+ sans avoir assemblé ses collègues et pris leur avis. Son embarras et
+ son inquiétude prouvaient assez combien la position où il se
+ trouvait lui paraissait pénible. Il ne me cacha donc rien; mais,
+ dans ses réponses, il chercha à me faire entendre que le conseil
+ n'agissait que par des <i>ordres supérieurs</i>. Je repoussai une
+ pareille idée et je lui dis même que quand il me montrerait l'ordre
+ du roi, je croirais encore que l'on a surpris et imité la signature
+ de Sa Majesté; que la chose n'était pas possible et que je ne
+ regardais cette défense de leur conduite que comme un moyen de
+ sortir d'embarras. Alors le ministre, voyant que je le prenais sur
+ ce ton, m'assura que ce n'était pas cela qu'il voulait dire et se
+ tira de cette conférence en m'assurant qu'il allait assembler ses
+ collègues et qu'il me donnerait ce matin la réponse à la lettre que
+ je venais de lui remettre. J'aurai donc l'honneur de la joindre à
+ cette dépêche.</p>
+
+<p>«Je viens d'envoyer M. de Caraman porter la lettre ci-jointe à M. le
+ duc de Reggio, et j'expédie à Paris M. Hamelin qui aura l'honneur de
+ vous remettre ce paquet. Je le recommande ainsi que M. de Caraman
+ <span class="pagenum"><a id="pagexc" name="pagexc"></a>(p. xc)</span> aux bontés de l'empereur pour les places d'auditeurs que
+ j'ai sollicitées pour eux et auxquelles ils ont quelques droits pour
+ les services qu'ils ont déjà rendus.</p>
+
+<p>«Au reste, la plus grande tranquillité règne ici. On ne se doute pas
+ du projet de défense. Quand j'aurai la réponse des ministres, je
+ ferai circuler adroitement quelques bruits qui paralyseront les
+ projets du ministère. Mais il serait intéressant qu'au moins
+ provisoirement nous eussions un ou deux hommes sûrs qui pussent
+ combattre le mauvais esprit et qui me missent au courant de ce qui
+ se passe. Le Moniteur du 22 a été donné dans toutes les mains. Il a
+ jeté l'alarme, et le premier jour les fonds publics ont baissé, mais
+ 24 heures après on s'est rassuré, et les papiers de l'État que je
+ regarde comme le thermomètre de l'opinion publique sont maintenant
+ plus hauts qu'ils n'étaient avant cette crise.</p>
+
+<p>«Depuis que j'ai commencé cette dépêche, j'ai reçu encore une foule
+ de renseignements. On parle déjà du projet extravagant du ministre
+ de la guerre. J'attends la réponse du Conseil pour arrêter la
+ conduite que j'aurai à tenir. Peut-être si les choses vont trop loin
+ et si les préparatifs ne cessent pas malgré la promesse que l'on
+ doit m'en donner, peut-être, dis-je, sera-t-on obligé d'ôter au
+ général Krayenkoff tout moyen d'exécuter son indigne projet. Il
+ n'est pas douteux que l'on fabrique des cartouches de calibres, que
+ toute la nuit des caissons ont passé dans la ville. Mais les
+ honnêtes gens commencent à prendre une couleur et j'espère arrêter
+ le mal. Votre Excellence peut être bien sûre que je ne me laisserai
+ pas intimider. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de bien
+ remplir le poste qui m'est confié par l'empereur.</p>
+
+<p>«J'attends le bourgmestre et le commandant supérieur de la garde
+ nationale. Je vais les engager à s'assurer de l'esprit public et à
+ maintenir les mauvais sujets. Je voudrais qu'une députation partît
+ pour Paris, chargée de prévenir le roi de l'abus qu'on fait de sa
+ confiance et du crime que l'on commet en se servant de son nom pour
+ agir d'une manière aussi coupable.</p>
+
+<p>«Je viens de voir le bourgmestre d'Amsterdam. Il m'a dit ne rien
+ savoir officiellement du projet de défense; mais il m'a assuré avoir
+ fait de nombreuses réclamations contre la quantité de poudre qui
+ entre dans la ville et contre le nombre de troupes que l'on y
+ réunissait. Il porte la garnison à 3,200 hommes, dont une partie
+ logée chez les bourgeois. Le commandant supérieur de la garde
+ nationale ainsi que le bourgmestre m'ont assuré de leur dévouement à
+ leur pays et se sont engagés à calmer les esprits et à prévenir le
+ mal.</p>
+
+<p>«Voici la réponse du ministère hollandais dont vous trouverez,
+ Monsieur le duc, une copie cotée n<sup>o</sup> 3. Ils déclarent leur projet de
+ <span class="pagenum"><a id="pagexci" name="pagexci"></a>(p. xci)</span> défense, mais s'engagent à suspendre tous les travaux. Je
+ surveillerai avec soin la conduite des ministres et j'aurai
+ l'honneur de vous faire connaître la suite de cette affaire. Je vais
+ redoubler d'activité et crois pouvoir vous répondre de rendre
+ inutiles les projets de ces malveillants.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">De la Rochefoucauld au duc de Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 1<sup>er</sup> mars 1810.</p>
+
+<p>«Les travaux paraissent suspendus et les ordres ont été donnés
+ d'arrêter ceux qui allaient commencer; on avait fait abattre la nuit
+ des arbres qui gênaient la défense; les cartouches se fabriquaient
+ dans l'intérieur du palais, et il était temps d'arrêter les excès où
+ l'on paraissait vouloir se porter. Le principal instrument que l'on
+ a employé est le ministre de la guerre qui prétendait se faire un
+ nom en défendant la ville et en prenant l'Angleterre pour retraite.
+ Ses deux collègues les ministres des finances et de la police
+ appuyaient ses opinions exagérées. Il y eut dans le Conseil
+ plusieurs scènes scandaleuses où le général Krayenkoff déclara avoir
+ des ordres supérieurs et ne vouloir rien discuter avec les autres
+ ministres. Il s'absenta même pendant plusieurs jours du Conseil. M.
+ Tovent (dont j'ai oublié de parler à Votre Excellence dans mon
+ numéro 120) soutint fortement son opinion contre celle du ministre
+ de la guerre; il fut appuyé par M. Mollerus. Quant au ministre de la
+ marine, il déclara ne vouloir rien faire sans un ordre écrit de ses
+ collègues. Le ministre de la police proposa de m'inviter à sortir
+ d'Amsterdam, mais cette sotte motion fut étouffée. Enfin, on me fit
+ parvenir des avis qui devaient, d'après ces Messieurs, m'effrayer et
+ me faire partir. On parla dans le public de venir casser mes vitres
+ et mille sottises de ce genre. Je n'y ai pas pris garde; je ne
+ changeai pas de marche ni de conduite, et maintenant ces bruits sont
+ presque apaisés. Je dois dire à Votre Excellence que j'ai été fort
+ content de toutes les personnes que j'ai avec moi. J'ai trouvé du
+ zèle, du dévouement pour le service de l'empereur et de
+ l'attachement pour moi. Je désirerais que Votre Excellence voulût
+ bien saisir une occasion favorable de parler à l'empereur de M.
+ Serrurier qu'une place de maître des requêtes rendrait heureux, si
+ un avancement dans la carrière diplomatique n'était pas possible. Le
+ consul général a mis une activité au-dessus de son âge; enfin tous
+ les Français qui sont ici se sont bien conduits. J'ai trouvé aussi
+ dans les négociants et les capitalistes une masse de bonne volonté à
+ laquelle je ne m'attendais pas. Des personnes du gouvernement que je
+ ne puis nommer en ce moment se sont bien montrées. Enfin j'ai été
+ content de l'ensemble d'Amsterdam et de la <span class="pagenum"><a id="pagexcii" name="pagexcii"></a>(p. xcii)</span> Hollande, et
+ j'ai acquis la certitude que le mal ne tient qu'à quelques individus
+ et qu'en établissant ici un gouvernement sage et ferme, l'empereur
+ sera promptement convaincu des ressources que Sa Majesté Impériale
+ et Royale peut tirer de ce pays.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke au Roi de Hollande.</p>
+<p class="date">Paris, 28 avril.</p>
+
+<p>«Sire, S. M. Impériale m'a renvoyé la lettre que Votre Majesté lui a
+ adressée relativement à l'exécution du traité, et m'a chargé d'avoir
+ l'honneur de répondre aux différentes observations qu'elle contient.</p>
+
+<p>«L'empereur m'a fait connaître ses intentions d'une manière qui ne
+ peut laisser aucune incertitude. L'intention de Sa Majesté est que
+ toutes les conditions du traité soient ponctuellement exécutées, et
+ d'après cela, Votre Majesté jugera elle-même que plusieurs de ses
+ demandes ne pourront être admises.&mdash;Les embouchures des rivières
+ devant être occupées par les troupes, il en résulte nécessairement
+ qu'elles peuvent être cantonnées dans les villes de l'intérieur, à
+ portée des ports, puisque ceux-ci seraient insuffisants pour loger
+ le nombre de troupes mentionnées et qu'elles deviendraient beaucoup
+ plus à charge au pays et à ces ports même s'il fallait les réunir
+ dans un petit nombre d'endroits. Cette mesure tend donc au
+ soulagement des habitants comme à celui des troupes. Elle ne paraît
+ ne devoir contrarier en rien les vues de Votre Majesté. Quant au
+ nombre de troupes hollandaises à employer à la garde des ports de la
+ Hollande, il est hors de doute que celles qui sont en Espagne ne
+ sauraient y être comprises sans changer tout à fait l'une des
+ stipulations du traité; mais ces troupes n'en serviront pas moins à
+ assurer l'exécution des lois et la police intérieure, but pour
+ lequel elles ont été principalement créées. Les fonctions dont elles
+ sont chargées, en exécution du traité, ne peuvent préjudicier à leur
+ utilité pour l'intérieur du pays.</p>
+
+<p>«Quant à ce qui est relatif au quartier général du corps
+ d'observation de la Hollande, l'empereur permet que la désignation
+ en soit faite d'accord avec Votre Majesté, et, pourvu qu'il soit
+ placé dans un point central, c'est tout ce que le bien du service
+ exige. Ainsi l'on n'insistera nullement pour qu'il soit établi dans
+ l'un des deux lieux de la résidence de Votre Majesté, et le duc de
+ Reggio a reçu à cet égard les instructions nécessaires. Il
+ s'entendra facilement pour cela avec le ministre de la guerre de
+ Votre Majesté.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à La Rochefoucauld.</p>
+<p class="date">Paris, 7 mai 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur l'ambassadeur, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la
+ <span class="pagenum"><a id="pagexciii" name="pagexciii"></a>(p. xciii)</span> dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27
+ avril et dont M. de Caraman était porteur. Sa Majesté, d'autant plus
+ sensible aux désagréments de votre position qu'ils paraissent être
+ une suite de votre zèle même pour son service, a voulu les faire
+ cesser en vous accordant le congé que vous avez vous-même désiré.
+ Vous pouvez donc profiter de ce congé aussitôt que vous aurez fait
+ les arrangements que vos intérêts particuliers peuvent nécessiter;
+ car je dois vous prévenir que l'intention de S. M. est de ne point
+ vous faire retourner en Hollande et de ne point vous y donner de
+ successeur. Mais cela ne doit y être connu qu'après votre retour à
+ Paris. M. Serrurier restera comme chargé d'affaires, et vous voudrez
+ bien le présenter en cette qualité.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 16 avril 1810.</p>
+
+<p>«Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire
+ le 6 de ce mois, elle m'invite à lui rendre compte de l'effet que le
+ traité du 16 du mois dernier a produit ici. Tout le monde, M. le
+ duc, en a été attéré. Chacun reconnaît l'impossibilité de son
+ exécution et l'on regarde que l'on a voulu terminer la crise pénible
+ où l'on se trouvait sans calculer la suite des événements; enfin,
+ les bons Hollandais sont découragés, les faibles se taisent et les
+ intrigants se soutiennent. On avait répandu très imprudemment que le
+ traité était effectivement fort désavantageux à la Hollande, mais
+ qu'il existait des articles secrets qui atténuaient en grande partie
+ ceux rendus publics et que le roi apportait ces heureux changements
+ ainsi que l'indemnité accordée par l'empereur. Cette espérance
+ trompeuse a contribué puissamment à empêcher tout l'effet que l'on
+ pouvait espérer du retour du roi. Sa Majesté a été reçue sans aucune
+ preuve de satisfaction de la part d'aucune classe des habitants de
+ sa résidence, et le même souverain que l'on aurait regardé, il y a
+ deux mois, comme le sauveur de la patrie, a maintenant perdu cette
+ popularité qui lui serait si nécessaire. La confiance, au lieu de
+ renaître, s'éloigne du gouvernement. Les fonds publics ont baissé de
+ 15 p. 100, et le change sur l'Angleterre a éprouvé une hausse qui
+ effraie les gens sensés. On croit généralement que l'État présent
+ est un provisoire, et, comme j'ai eu souvent l'honneur de l'observer
+ à Votre Excellence, dès que l'on ne voit pas de salut, le
+ découragement augmente le mal et le gouvernement se trouve paralysé.
+ Je crois juger avec la plus grande impartialité; je fais tous mes
+ efforts pour oublier deux ans de désagréments et de dégoûts, mais je
+ ne vois rien de changé. Je n'aperçois point la moindre petite chose
+ qui dénote un retour sincère à une autre marche. Les mêmes hommes
+ entourent le <span class="pagenum"><a id="pagexciv" name="pagexciv"></a>(p. xciv)</span> roi, et c'est avec eux et par eux que Sa
+ Majesté emploie tous ses moments et tous ses moyens à chercher le
+ bien de son peuple. Je ne doute pas que l'envie de plaire à
+ l'empereur ne soit sincère; je veux même bien croire que la
+ nécessité est sentie; mais ce n'est pas assez, il faut réorganiser
+ pour rendre cette Hollande utile à la France ou, sans cela, elle est
+ nuisible. Un traité n'est rien s'il n'est pas exécuté, et, pour se
+ mettre dans le cas de remplir ses engagements, il faut que le
+ gouvernement puisse marcher. Peut-être mes moyens sont-ils mauvais;
+ mais je les abandonnerais sans regret si je voyais qu'ils fussent
+ remplacés par d'autres plus efficaces; mais si l'ancienne routine
+ recommence, tout est fini, et ce pays malheureux ne peut plus
+ supporter une nouvelle crise. Je connais trop la Hollande pour
+ n'être pas sûr que les agents qui ont négocié ou signé le traité
+ savaient très bien que leur patrie ne pouvait pas remplir les
+ engagements qu'ils contractaient.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 21 avril 1810.</p>
+
+<p>«Votre Excellence aurait de la peine à se faire une idée de la
+ manière dont les opinions changent en Hollande, depuis que l'on voit
+ ce qui se passe; chacun est intimidé du présent et effrayé de
+ l'avenir; et les mêmes hommes qui ne voulaient pas entendre parler
+ de réunion en parlent aujourd'hui comme d'une chose désirable. Je
+ suis étonné moi-même de tout ce que l'on vient de me dire, et,
+ lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence que le dégoût
+ et le découragement s'empareraient promptement des Hollandais si
+ dans les premiers moments ils n'entrevoyaient pas un but
+ tranquillisant, je n'ai fait que lui prédire une vérité qui se
+ vérifie tous les jours. Les honnêtes gens sans fortune se taisent,
+ font leur devoir sans âme et sans zèle; ceux qui ont une existence
+ indépendante du gouvernement se retirent ou cherchent à obtenir leur
+ démission, et l'on se dit tout bas que cette réunion, si effrayante
+ il y a quatre mois, peut seule sauver les débris de ce pays. J'ai eu
+ l'honneur de vous prévenir, Monsieur le duc, qu'un associé de la
+ maison Hope était parti pour l'Angleterre avec toute sa famille.
+ Hier j'ai signé les passeports de la famille Hope, dont le père est
+ déjà à Londres, et qui, sous prétexte d'aller en Suisse, est assurée
+ vouloir le rejoindre. Enfin, M. Labouchère, troisième associé de
+ cette maison, dont la femme et les enfants sont chez nos ennemis,
+ s'y rendra sûrement incessamment. Beaucoup d'argent passe en
+ Angleterre, l'on cache le reste.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagexcv" name="pagexcv"></a>(p. xcv)</span> <p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 27 avril 1810.</p>
+
+<p>«J'envoie M. de Caraman à Paris. Je le charge de remettre cette
+ dépêche à Votre Excellence et de rester à sa disposition aussi
+ longtemps, Monsieur le duc, que vous le jugerez convenable. J'ai
+ donc l'honneur de prier Votre Excellence de lui donner ses ordres.</p>
+
+<p>«M. de Caraman est chargé de prévenir sa famille que le roi vient de
+ refuser à son frère, capitaine d'artillerie au service de la
+ Hollande (qui se trouve à Paris par congé uniquement pour épouser sa
+ cousine), la permission de conclure ce mariage. Sa Majesté avait
+ cependant eu à Paris la bonté de le permettre, et ce n'était que
+ d'après cette assurance verbale que les choses avaient été aussi
+ loin. Maintenant ce jeune homme se trouve obligé, ou de perdre son
+ emploi, ou de renoncer à une alliance aussi convenable
+ qu'avantageuse. Je ne cacherai pas à Votre Excellence que la peine
+ que j'en éprouve se trouve doublée par la persuasion où je suis que
+ les soins que j'ai toujours pris de M. de Caraman contribuent à lui
+ procurer ce désagrément.</p>
+
+<p>«Ma position empire puisqu'elle se prolonge. Je n'ai pas encore vu
+ le roi ni la reine à qui cependant j'ai eu l'honneur d'écrire et qui
+ sûrement n'a pu me recevoir. Tout le corps diplomatique dit
+ hautement qu'il n'est pas admis chez le roi à cause de moi. Depuis
+ le retour du roi, aucun ministre, sans en excepter M. Roëll, n'est
+ venu chez moi et aucune personne attachée à la cour n'a osé s'y
+ présenter. Chacun assure qu'il serait disgracié s'il me voyait et
+ l'on me fuit pour ne pas en courir le risque. On répand à plaisir
+ que tout le mal de la Hollande vient de moi et l'on cherche à
+ rejeter sur mes rapports la position de ce pays, mais l'on commence
+ à voir trop clair pour que je craigne cette accusation. Je puis même
+ dire que je suis estimé ici et que l'on rend justice à ma
+ modération. Enfin, Monsieur le duc, tout le monde sait que je n'ai
+ pas été reçu chez LL. MM. Je suis l'objet de toutes les
+ conversations et l'on en tire la triste conséquence que l'empereur
+ est mal avec le roi. Je puis cependant affirmer que je n'ai pas eu
+ un tort, que j'ai une patience qui ne tient qu'à mon profond respect
+ pour l'empereur et au sentiment de mon devoir; enfin je n'ai rien
+ fait pour mériter cet étrange traitement; mais que Votre Excellence
+ ne pense pas que je ne puisse supporter ces dégoûts; j'ai un
+ caractère trop prononcé pour rien craindre tant que j'ai les bontés
+ de l'empereur; je suis donc prêt à tout et j'exécuterai dans tous
+ les temps et dans toutes les positions ce que Sa Majesté l'empereur
+ et roi m'ordonnera.</p>
+
+<p>«J'ai reçu ce matin la dépêche chiffrée de Votre Excellence
+ relativement <span class="pagenum"><a id="pagexcvi" name="pagexcvi"></a>(p. xcvi)</span> à l'emprunt de Prusse; j'entends
+ parfaitement le point que je ne dois point dépasser, mais je
+ voudrais que Votre Excellence voulût bien me mander si je puis
+ écrire soit au ministre de Prusse, soit à la maison de commerce, que
+ je suis autorisé à déclarer que l'empereur approuvera l'emprunt,
+ etc., etc., et aller jusqu'à dire que Sa Majesté l'empereur et roi,
+ dans aucun cas, ne priverait les bailleurs de fonds de leurs
+ hypothèques. On a ici la plus grande confiance dans l'empereur, et,
+ pour verser des fonds, on n'attend qu'une déclaration de ce genre
+ que je pourrais, je crois, tourner de manière à rassurer sans
+ engager ma cour. Si Votre Excellence veut m'honorer d'une prompte
+ réponse, je terminerai cet objet, car le temps presse et je
+ craindrais que cette affaire ne réussît pas si elle traîne encore
+ quinze jours. La reine a reçu le 24 les différents corps de l'État.
+ Depuis ce temps, Sa Majesté a de la fièvre et n'avait vu presque
+ personne. Au reste, tout se passe au palais de la manière la plus
+ convenable. Ce matin, M. le chevalier de Téran, ministre d'Espagne,
+ a remis au roi ses lettres de créance.</p>
+
+<p>«Le général Desaix est arrivé à la Haye avec une partie de sa
+ division.</p>
+
+<p>«On m'assure que l'amiral de Winter, un des hommes les mieux
+ pensants et que l'on aurait pu employer avec le plus de succès pour
+ l'armement de la marine, va partir pour l'Espagne.</p>
+
+<p>«Le général Vichery, le seul Français qui soit encore à la cour,
+ vient de perdre le gouvernement de la cour.</p>
+
+<p>«Les fonds baissent et sont à 23 &frac12;.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 7 mai 1810.</p>
+
+<p>«Votre Excellence sait à combien de plaintes amères la conduite que
+ tiennent les corsaires français dans les ports de la Hollande a
+ donné lieu depuis quelque temps.</p>
+
+<p>«Le roi, mon maître, ne pouvait certainement fournir une preuve plus
+ convaincante de son intérêt qu'en donnant à ces corsaires asile et
+ protection, et en déférant, comme il l'a fait, à la seule décision
+ de son très illustre frère le jugement de toutes les difficultés
+ qui, en cas de doute, naîtraient au sujet de la validité des prises
+ faites par ces corsaires sur les côtes de la Hollande.</p>
+
+<p>«Mais si le roi a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de
+ sa déférence pour son très illustre frère, il se tient aussi
+ persuadé que Sa Majesté Impériale et Royale ne permettra pas que ces
+ corsaires outrepassent les bornes du respect qu'ils doivent au
+ souverain chez lequel ils reçoivent asile et protection, en
+ commettant des faits <span class="pagenum"><a id="pagexcvii" name="pagexcvii"></a>(p. xcvii)</span> aussi révoltants que ceux que je
+ suis chargé de dénoncer à Votre Excellence.</p>
+
+<p>«J'ai déjà eu l'honneur de vous observer dans une note antérieure
+ que ce n'est point en haute mer que ces corsaires s'emparent des
+ bâtiments qu'ils conduisent dans les ports de la Hollande, mais que
+ c'est à l'entrée des mêmes ports, dans les passes de nos rivières,
+ et quand, pour la plupart du temps, ils ont déjà les pilotes à leur
+ bord. Ils ont aujourd'hui inventé un nouveau moyen de prendre ces
+ navires sans aucun risque; ils établissent les canots de leurs
+ bâtiments le long des côtes pour mettre en mer quand un navire
+ marchand approche de nos ports, dont alors ils s'emparent et le font
+ échouer. Cette man&oelig;uvre ne peut manquer d'attirer une plus grande
+ attention de l'ennemi sur nos côtes, et, si cela continue, nos
+ pauvres pêcheurs et les villages qui avoisinent la mer en
+ éprouveront les suites les plus fâcheuses.</p>
+
+<p>«D'autres se placent à l'embouchure de nos rivières comme vaisseaux
+ de garde et se permettent de visiter tous les navires qui entrent.
+ Ce ne sont donc plus des gens qui remplissent le but de la course,
+ mais qui exercent pour ainsi dire une police des côtes et des
+ postes, fonctions qui ne sont dans aucun cas de leur compétence et
+ ne peuvent certainement l'être aujourd'hui où les employés de Sa
+ Majesté Impériale et Royale concourent avec ceux du roi mon maître à
+ surveiller les mesures de blocus et l'exécution des lois
+ prohibitives. Ce qui ajoute à l'inconvenance de la conduite de ces
+ corsaires, ce sont les violences répréhensibles qui, très souvent,
+ accompagnent la visite des bâtiments. C'est ainsi que tout récemment
+ deux de ces corsaires qui s'étaient mis en station tout près de la
+ Brielle, ayant visité un navire qui entrait et n'ayant rien trouvé à
+ son bord qui pût donner lieu à la confiscation, ont extorqué au
+ capitaine tout son numéraire, au point qu'étant venu au bureau de la
+ douane, il ne put acquitter les droits ordinaires d'entrée, quoique
+ très modiques.</p>
+
+<p>«Le roi mon maître croirait faire tort aux principes justes,
+ généreux et bienveillants de son très illustre frère s'il admettait
+ les moindres doutes sur l'attente que S. M. Impériale mettra à
+ réprimer des excès qui ne peuvent jamais avoir son approbation. Je
+ prie Votre Excellence de mettre cet exposé sous les yeux de Sa
+ Majesté et de contribuer par ses bons offices à obtenir qu'il soit
+ prescrit à ces corsaires une manière de se conduire plus analogue à
+ leur mission et plus compatible avec ce qu'ils doivent à un
+ souverain qui leur accorde asile et protection.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le Major général au Ministre de la guerre.</p>
+<p class="date">Middelburg, 12 mai 1810.</p>
+
+<p>«L'empereur, Monsieur le duc, expédiant un officier en Hollande,
+ <span class="pagenum"><a id="pagexcviii" name="pagexcviii"></a>(p. xcviii)</span> m'a ordonné d'adresser moi-même, directement pour plus
+ de célérité, des instructions à M. le maréchal duc de Reggio. Je
+ prie Votre Excellence de prendre connaissance de ces instructions
+ dont je joins ici copie.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Instructions données à Monsieur le Maréchal duc de Reggio.</p>
+<p class="date">Middelburg, 12 mai 1810.</p>
+
+<p>«L'empereur m'ordonne, Monsieur le duc, de vous faire connaître que
+ vous ne devez rendre aucun compte de ses troupes à S. M. le roi de
+ Hollande ni au ministère hollandais; que les corsaires doivent vous
+ faire des rapports de tout ce qui vient à leur connaissance; que les
+ marchandises anglaises doivent être poursuivies et saisies partout,
+ même <i>dans les rades</i>; enfin, que Sa Majesté ne veut souffrir aucun
+ commerce de la Hollande avec l'Angleterre. L'intention de Sa Majesté
+ est que, dans toutes les occasions, vous vous en expliquiez dans ce
+ sens et que vous répétiez dans la conversation que, si la Hollande
+ n'arme pas au plus tôt les neuf vaisseaux qu'elle doit fournir
+ d'après le traité, elle rendra le traité nul.</p>
+
+<p>«L'empereur vous recommande, Monsieur le duc, d'écrire au ministre
+ de la guerre tous les jours sur tout ce qui parviendra à votre
+ connaissance.</p>
+
+<p>«Toute prise qui serait faite par les corsaires ou les douanes de
+ l'empereur ne doit être relâchée que par son ordre et la décision
+ doit en être soumise au jugement de Sa Majesté; l'expérience donne
+ lieu de penser à l'empereur que les bons procédés sont insuffisants
+ envers le gouvernement hollandais et qu'il est indispensable d'avoir
+ recours aux menaces pour le faire marcher.</p>
+
+<p>«Telles sont, Monsieur le maréchal, les instructions que Sa Majesté
+ m'a ordonné de vous adresser directement. J'en donne connaissance à
+ Son Excellence le ministre de la guerre.»</p>
+</div>
+
+<p>M. de La Rochefoucauld s'était rendu à Anvers lors du passage de
+l'empereur dans cette ville. Le 12 mai, une dépêche du duc de
+Bassano lui enjoignit de partir pour Amsterdam et de laisser au
+gouvernement hollandais une note pour demander: 1<sup>o</sup> La remise des
+vingt-un bâtiments américains avec leurs cargaisons, qui en
+exécution du traité appartenaient à la France; 2<sup>o</sup> L'armement
+immédiat des vaisseaux que la Hollande s'était engagée à fournir;
+3<sup>o</sup> La cessation de son commerce avec l'Angleterre; 4<sup>o</sup> Le paiement
+capital et intérêts de la dette de la Zélande comme dette
+hollandaise.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagexcix" name="pagexcix"></a>(p. xcix)</span> L'ambassadeur français avait ordre en outre de déclarer
+son départ (en vertu d'un congé) huit jours après son retour, de
+présenter M. Serrurier comme chargé d'affaires, et de prévenir les
+consuls que toutes les prises, même celles faites dans les rades,
+devaient être jugées à Paris.</p>
+
+<p>La tendance du gouvernement de l'empereur ressort assez clairement
+des dépêches qui précèdent. Il est impossible de ne pas voir que
+Napoléon est prêt à saisir le premier prétexte, ou même à en faire
+naître un, pour briser le royaume de Hollande et réunir ce pays à la
+France.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Roëll.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 13 mai 1810.</p>
+
+<p>«Une nouvelle insulte plus grave que toutes les précédentes vient
+ d'être faite à la livrée de l'ambassadeur de l'empereur.</p>
+
+<p>«Aujourd'hui, vers deux heures, le cocher de l'ambassadeur, en
+ livrée, revenant d'entendre la messe, traversait la place du Palais;
+ à l'endroit où cette place se resserre entre le palais et l'église,
+ il fut assailli par une foule de gens du peuple qui insultèrent avec
+ de fortes injures sa livrée, qu'ils déclarèrent reconnaître pour
+ celle de l'ambassadeur de France, et voulurent l'en dépouiller avec
+ force. Cette insulte n'avait été provoquée par aucune querelle, et
+ le cocher ne connaissait aucun des assaillants. Au moment où il se
+ défendait de l'attaque de l'un d'eux, il reçut d'un autre un violent
+ coup à la tête, et comme leur nombre grossissait à chaque instant,
+ dans l'impossibilité de se défendre contre tant d'assassins, cet
+ homme courut vers la sentinelle du palais, et lui demanda
+ protection; mais celle-ci, fidèle à sa consigne qui ne lui
+ permettait pas de se mêler de choses étrangères à la garde du
+ château, lui tourna le dos et refusa de l'entendre. Il s'adressa
+ alors au sergent de garde qui, sur le récit qu'il lui fit, se prêta
+ à l'accompagner jusqu'à ce que sa présence eut dissipé
+ l'attroupement.</p>
+
+<p>«Voilà, monsieur, le fait tel qu'il s'est passé, en plein jour,
+ devant le palais, et à la vue de deux cents témoins et de la garde.
+ Je m'abstiens de réflexions; elles sont assurément bien inutiles.
+ Sur un pareil événement, je ne doute pas que Votre Excellence ne
+ partage l'indignation qu'il excitera dans tous les esprits honnêtes.
+ Le droit des gens et les usages reçus dans toutes les cours vous
+ dicteront ce que vous avez à proposer à votre gouvernement dans
+ cette circonstance. Pour moi, je me borne à informer Votre
+ Excellence et à lui demander une satisfaction éclatante et telle
+ qu'elle mette fin pour jamais à de pareilles indignités.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagec" name="pagec"></a>(p. c)</span> «Je ne ferai partir qu'après-demain la dépêche par laquelle
+ je dois instruire ma cour de ce fait; et j'attacherai, Monsieur,
+ j'aime à vous le déclarer, une satisfaction toute particulière à
+ pouvoir lui dire que la punition n'a été ni moins prompte ni moins
+ éclatante que l'insulte, et que cette affaire est terminée comme il
+ convient à nos deux gouvernements.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 15 mai 1810.</p>
+
+<p>«J'ai eu l'honneur d'écrire d'Anvers à Votre Excellence, et de la
+ prévenir que Sa Majesté impériale et royale, après m'avoir permis
+ d'aller lui faire ma cour, m'avait donné ordre de la suivre à
+ Berg-op-Zoom. L'empereur n'ayant pas eu le temps de me parler
+ m'emmena dans la Zélande, d'où je suis revenu avant-hier soir. J'ai
+ rendu compte à Sa Majesté de tout ce qui se passe en Hollande, et je
+ n'ai rien caché à l'empereur sur la position où se trouve ce
+ royaume. J'ai eu la satisfaction de voir Sa Majesté impériale et
+ royale approuver ma conduite, et elle m'a donné les ordres qui ont
+ été communiqués à Votre Excellence par M. le duc de Bassano. J'ai
+ rempli dès hier les intentions de l'empereur, en demandant que la
+ totalité des cargaisons des vingt-un américains fût remise à M. le
+ directeur des douanes impériales nommé pour les recevoir.</p>
+
+<p>«J'ai porté plainte de la lenteur des armements.</p>
+
+<p>«Hier, j'ai reçu une lettre de M. Roëll qui, en m'assurant de
+ l'indignation que le roi a éprouvée en apprenant l'insulte faite à
+ ma livrée, me prévient des ordres sévères donnés par Sa Majesté pour
+ punir les coupables. Je ne donnerai plus de suite à cette affaire
+ qui, bien certainement, en restera là.</p>
+
+<p>«J'ai eu l'honneur de remettre hier au roi la lettre de l'empereur
+ que Votre Excellence m'avait envoyée. Mon audience a été très
+ courte. De là je passai dans les appartements de la reine que je
+ trouvai bien souffrante. Sa Majesté a une fièvre continue qui
+ l'affaiblit de jour en jour. Je l'ai trouvée extrêmement changée,
+ quoiqu'il n'y eût qu'un an que j'ai eu l'honneur de la voir. La
+ reine ne m'a rien dit de particulier, mais il circule dans les
+ entours de la cour des bruits qui feraient croire que Sa Majesté est
+ loin d'être heureuse.</p>
+
+<p>«Malgré les immenses ressources qui existent dans ce pays-ci,
+ l'embarras du gouvernement ne diminue pas. La commission chargée
+ depuis six semaines d'un rapport général sur la position de la
+ Hollande et sur les moyens d'y remédier n'a pas encore terminé ce
+ pénible travail. On s'attend à une réduction de moitié sur la rente.
+ Ce sera, à mon <span class="pagenum"><a id="pageci" name="pageci"></a>(p. ci)</span> opinion, une mesure indispensable; mais dans
+ l'état de choses, elle n'atteindra pas le grand but que l'on s'en
+ propose. Je persiste à croire que si cette réduction est suffisante
+ sur le papier, elle ne peut sauver la Hollande qu'autant qu'elle
+ serait jointe à un système opposé à celui que l'on suit ici. Au
+ reste le malheur agit en raison inverse du gouvernement, et chacun
+ commence à se convaincre qu'il n'y a de salut que dans l'empereur,
+ et que d'être gouverné par Sa Majesté serait le plus grand bonheur.»</p>
+</div>
+
+<p>Il est permis de supposer que l'ambassadeur avait deviné l'intention
+de l'empereur, de réunir la Hollande à la France.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Louis à Napoléon.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 16 mai.</p>
+<p class="adresse">Sire,</p>
+
+<p>La situation de ce pays s'aggrave de jour en jour; le traité n'est
+ plus suivi. Dans cette position malheureuse, je viens demander à
+ Votre Majesté impériale sa dernière volonté. Ma soumission lors du
+ traité du 16 mars lui a prouvé combien je m'en rapportais
+ entièrement à elle. Actuellement, je la supplie de croire que si je
+ ne demande qu'à voir ce pays hors des tourments et des souffrances
+ de sa position actuelle, c'est par la fin de la défaveur de Votre
+ Majesté impériale, et en connaissant précisément la volonté de Votre
+ Majesté, que j'ai dû et voulu seulement atteindre ce but. Je supplie
+ donc instamment Votre Majesté de me faire savoir ses intentions. Si,
+ au contraire, je le croyais hors d'état de pouvoir supporter les
+ conditions nouvelles qu'on exige de lui, je le dirai franchement à
+ Votre Majesté et me soumettrai sans hésitation à tout ce qu'il
+ plaira à Votre Majesté d'ordonner.</p>
+
+<p>«Je supplie Votre Majesté impériale de recevoir cette lettre; et,
+ puisqu'un accident malheureux est cause du malheur dont je suis
+ menacé de ne plus recevoir de lettres de Votre Majesté, de ne pas
+ m'ôter à moi tout moyen de faire parvenir mes plaintes à Votre
+ Majesté, et à elle-même le seul moyen d'écouter ma justification.»</p>
+</div>
+
+<p>L'empereur répondit le 20 mai; sa lettre, omise dans la
+correspondance publiée sous le second empire, est au texte de ce
+livre.</p>
+
+<p>Le lendemain du jour où l'ambassadeur de France en Hollande écrivait
+sa lettre du 18 mai à Cadore, ce dernier lui mandait: que l'empereur
+ayant appris l'insulte faite à sa livrée lui ordonnait de partir
+immédiatement sans même présenter le chargé d'affaires, lui
+annonçant que Werhuell recevait l'ordre de quitter Paris, regrettant
+<span class="pagenum"><a id="pagecii" name="pagecii"></a>(p. cii)</span> que ce renvoi tombât sur l'amiral dont l'empereur
+appréciait les bons services.</p>
+
+<p>Ainsi, il devint de la dernière évidence que l'empereur saisit le
+premier prétexte pour arriver à ses fins; que ni la soumission de
+son frère, ni les concessions du gouvernement hollandais n'ont pu
+détourner, lui faire abandonner ses projets de réunion du pays à la
+France. Depuis longtemps, Napoléon cherche à son frère Louis une
+querelle d'Allemand, et il est permis de se demander si Lucien n'a
+pas été le mieux inspiré des frères Bonaparte, en se faisant une
+existence en dehors de celle imposée par l'empereur aux membres de
+sa famille. Il nous paraît très positif que l'insulte faite à la
+livrée de l'ambassadeur de France par un homme du peuple ne saurait
+entrer en ligne de compte pour la retraite d'un ambassadeur, surtout
+lorsque toute satisfaction est offerte.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Berthier à Oudinot.</p>
+<p class="date">Lille, 23 mai 1810.</p>
+
+<p>«L'empereur m'ordonne de vous faire connaître, Monsieur le maréchal,
+ qu'il est fort mécontent de la conduite des habitants d'Amsterdam et
+ qu'il se verra forcé, d'ici à fort peu de temps, de faire entrer de
+ nouvelles troupes en Hollande. Sa Majesté vous recommande d'avoir
+ les yeux sur tout ce qui se passe à Amsterdam et dans le pays; son
+ intention est que vous n'ayez aucune relation avec le peuple et que
+ vous ne souffriez pas qu'aucun officier de votre armée en ait.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">La Rochefoucauld à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 25 mai 1810.</p>
+
+<p>«Votre Excellence sera sûrement étonnée que ce soit encore moi qui
+ lui écrive, mais depuis quatre jours j'attends une réponse du
+ ministre pour savoir si le roi me recevra à Harlem, où Sa Majesté
+ est maintenant. J'ai cru que, dans les circonstances présentes, plus
+ peut-être que dans toute autre, je devais ne pas partir sans avoir
+ pris les ordres du roi, qu'une irrégularité de formes aurait un air
+ de légèreté qui ne conviendrait pas; mais si la journée
+ d'aujourd'hui se passe dans le même silence, je préviendrai M. Roëll
+ que devant me trouver à Paris à l'époque où S. M. impériale et
+ royale y arrivera, je me vois forcé de quitter la Hollande sans
+ avoir eu l'honneur de faire ma cour au roi. Il est donc plus que
+ probable que je partirai après-demain. Je verrai en passant M. le
+ duc de Reggio qui est à Utrech.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pageciii" name="pageciii"></a>(p. ciii)</span> «D'après un rapport que je reçois de M. Gohier, il paraît
+ qu'un de nos corsaires vient de faire une prise importante, par la
+ nature des papiers trouvés à bord, qui prouvent les intelligences
+ suivies qui existent entre les côtes et les Anglais. Je ne doute pas
+ que ce ne soit à l'insu de la police. Le seul reproche à lui faire
+ est de l'avoir ignoré depuis si longtemps qu'elle en est avertie. M.
+ Serrurier vous rendra compte de la suite de cette affaire.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i> J'apprends à l'instant qu'il y a eu du bruit à Rotterdam,
+ que nos troupes ont été insultées, mais qu'elles se sont conduites
+ avec la plus grande sagesse. J'envoie à Votre Excellence la
+ proclamation du bourgmestre. Ceci est, comme le reste, l'effet des
+ mauvais propos que l'on souffre, et même que l'on protège. Cet
+ esprit du gouvernement se cache sous des notes et des paroles, mais
+ agit en dessous, car je réponds que le pays n'est pas mauvais, et
+ que, bien dirigé, l'empereur en serait parfaitement content.</p>
+
+<p>«Je suis aussi informé par M. le consul général que cette prise, si
+ intéressante par les renseignements qu'elle donnera, est retenue au
+ Texel, malgré les demandes formelles qui ont été faites. Je vais
+ écrire à M. Roëll pour l'engager à prier le roi d'ordonner que sous
+ aucun prétexte l'on arrête les prises faites par les corsaires
+ français.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p>
+<p class="date">Utrecht, 26 mai 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, j'ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence de tout
+ ce qui s'est passé en Hollande depuis que j'y suis; mais ma position
+ devient tous les jours plus délicate, tant vis-à-vis du roi que
+ vis-à-vis du pays, si Votre Excellence ne me donne pas très
+ promptement une règle de conduite fixe pour ce qui concerne les
+ marchandises anglaises ou denrées coloniales existant chez le
+ particulier.</p>
+
+<p>«Je ne suis point embarrassé pour celles qui seront arrêtées
+ cherchant à s'introduire dans le pays.</p>
+
+<p>«Plusieurs bâtiments hollandais, chargés de marchandises anglaises
+ ou denrées coloniales, ont été arrêtés par les douaniers français à
+ Harting, en Frise; mais les douanes hollandaises ont de suite
+ réclamé ces marchandises comme ayant été saisies, il y a plusieurs
+ mois, par les douaniers hollandais et qu'on dit appartenir au roi.</p>
+
+<p>«Des négociants d'Amsterdam se présentent journellement à ces
+ magasins pour y acheter ces marchandises, d'après les règlements du
+ royaume.</p>
+
+<p>«Enfin, les marchandises anglaises ou denrées coloniales, vendues
+ précédemment et légalement, circulent dans l'intérieur de la
+ Hollande, <span class="pagenum"><a id="pageciv" name="pageciv"></a>(p. civ)</span> et comme rien ne les signale des marchandises
+ achetées par contrebande, il doit en résulter beaucoup d'abus qu'il
+ n'est pas facile de distinguer.</p>
+
+<p>«Les rapports que je reçois journellement me font connaître que la
+ contrebande se faisait dans ce pays avec la plus grande facilité, et
+ je suis même porté à croire (sans cependant l'assurer) que les
+ douaniers hollandais ne sont point étrangers à ce brigandage; aussi
+ j'exerce une grande surveillance sur leur conduite.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Werhuell à Cadore.</p>
+<p class="date">Paris, 27 mai 1810.</p>
+
+<p>«J'ai été profondément affligé de la communication que Votre
+ Excellence a bien voulu me faire par son office du 26 de ce mois. Je
+ ne tâcherai pas d'excuser un fait qui, s'il a eu lieu, mérite la
+ plus sévère punition, et j'ose d'avance assurer Votre Excellence que
+ le roi, mon maître, ne reposera pas jusqu'à ce qu'on ait trouvé les
+ moteurs de cette fâcheuse affaire, pour leur faire éprouver tout ce
+ que la sévérité des lois inflige en pareil cas, afin de montrer à
+ tout l'univers combien Sa Majesté est éloignée de souffrir qu'on
+ fasse les moindres insultes, dans ses États, aux sujets de son
+ auguste frère et surtout aux personnes attachées à son ambassadeur.</p>
+
+<p>«Il me paraît cependant que le récit que l'on a fait à Sa Majesté
+ impériale est considérablement exagéré. Je prie Votre Excellence de
+ permettre que je lui communique les renseignements qui me sont venus
+ de la Hollande, par voie directe, relativement à cette affaire.</p>
+
+<p>«Un des domestiques de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France se
+ trouvait devant l'église catholique. Sa grande livrée attira
+ l'attention de quelques jeunes gens de la plus basse classe du
+ peuple qui, peu habitués à une pareille magnificence, en
+ témoignèrent leur étonnement et ajoutèrent peut-être quelques
+ observations de leur genre. Le domestique se crut offensé, leur
+ imposa silence et les menaça même de les frapper; ces menaces furent
+ bientôt suivies de voies de fait auxquelles les autres ripostèrent.
+ La foule s'étant insensiblement augmentée, le domestique crut
+ prudent de se retirer; il s'adressa alors à un factionnaire pour
+ qu'il le conduisît chez lui; mais celui-ci, ne pouvant s'éloigner de
+ son poste, lui indiqua la garde qui était tout près, où il s'est
+ rendu et a trouvé tout le secours qu'il demandait, l'officier
+ commandant lui ayant donné un sous-officier pour l'accompagner à
+ l'hôtel.</p>
+
+<p>«Ces détails présentent l'affaire sous un tout autre jour; j'ai cru
+ devoir le faire connaître à Votre Excellence, et j'espère qu'elle
+ aura <span class="pagenum"><a id="pagecv" name="pagecv"></a>(p. cv)</span> bientôt elle-même la conviction que ce fait ne mérite
+ pas l'importance que l'on semble vouloir y attacher.</p>
+
+<p>«Je supplie, en attendant, Votre Excellence d'employer ses bons
+ offices auprès de Sa Majesté impériale pour que cette affaire n'ait
+ pas de suites fâcheuses, et pour que Sa Majesté suspende toute
+ mesure précipitée de vengeance qui ne pourra que jeter les plus
+ vives alarmes en Hollande, et aggraver infiniment la fâcheuse
+ position où se trouve déjà le roi, de voir attirer de nouveau, sur
+ son pays, le mécontentement de son auguste frère pour une affaire
+ qui est si loin d'être approuvée par aucune classe de la nation
+ hollandaise.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 28 mai 1810.</p>
+
+<p>«Le courrier que Votre Excellence a dépêché à M. le comte de La
+ Rochefoucauld, le 25 de ce mois, est arrivé ce matin au moment où
+ l'ambassadeur venait de monter en voiture. Après avoir pris lecture
+ de ses dépêches et m'avoir donné ses dernières instructions sur leur
+ contenu, l'ambassadeur, n'y voyant qu'un motif de plus pour
+ accélérer son départ, s'est aussitôt mis en route. Il doit être en
+ ce moment à Utrecht, chez le maréchal duc de Reggio, avec qui il
+ avait à s'aboucher; et, si ses calculs ne sont pas dérangés par des
+ accidents, il se flatte d'avoir l'honneur de saluer Votre Excellence
+ dans la journée du 2 juin.</p>
+
+<p>«En conséquence de vos ordres, Monseigneur, également en date du 25
+ de ce mois, je me suis rendu chez le ministre des affaires
+ étrangères et lui ai remis la lettre de Votre Excellence, qui
+ m'accrédite auprès du gouvernement hollandais comme chargé
+ d'affaires de S. M. impériale et royale. J'ai dit à M. Roëll que,
+ sur le compte que j'avais eu l'honneur de rendre à Votre Excellence,
+ de l'outrage fait à l'ambassadeur de l'empereur dans la personne
+ d'un de ses gens, et, d'après le retard apporté à la satisfaction
+ demandée par l'ambassade, satisfaction qui n'a été accordée dans
+ aucune circonstance analogue de cet hiver, Sa Majesté, justement
+ irritée, avait ordonné à M. le comte de La Rochefoucauld de quitter
+ sur le champ Amsterdam; que, de plus, elle avait décidé de
+ n'entretenir désormais qu'un chargé d'affaires de France en
+ Hollande, comme de n'admettre qu'un chargé d'affaires d'Hollande en
+ France. Je lui ai également fait connaître que Sa Majesté avait
+ résolu de prendre des mesures pour que les malveillants d'Amsterdam
+ ne pussent pas se flatter de l'offenser impunément; enfin, j'ai
+ demandé que l'ancien bourgmestre fût rétabli dans sa place, et que
+ tous ceux qui ont fait partie du rassemblement qui a insulté les
+ gens de l'ambassadeur fussent remis au pouvoir de Sa Majesté.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagecvi" name="pagecvi"></a>(p. cvi)</span> «À cet énoncé des instructions de l'empereur, M. Roëll a
+ paru attéré. Il a cherché à disculper son gouvernement, en me
+ rappelant la note qu'il m'avait adressée le 14 à l'ambassade, en
+ réponse à mon office du 13 à ce sujet, note, m'a-t-il dit, où il
+ n'avait pu retracer que bien faiblement la vive indignation que le
+ roi avait ressentie, et où il annonçait que la police allait faire
+ les enquêtes nécessaires. Je répondis au ministre qu'il ne
+ m'appartenait pas d'élever des doutes sur les sentiments du roi dans
+ cette circonstance; que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait,
+ mais du fait en lui-même, et que l'expression stérile de
+ l'indignation était insuffisante après tout ce que l'ambassadeur
+ avait éprouvé, dans ce genre, depuis plusieurs mois; que dans les
+ usages de toutes les cours, une injure publique, à laquelle la
+ considération du gouvernement était attachée; que l'honneur français
+ avait toujours été, sur ce point, d'une sensibilité extrême, et que
+ l'on ne pouvait pas se croire autorisé, sans doute, à redouter moins
+ à cet égard du souverain actuel de la France que de ses
+ prédécesseurs; que si la bonne volonté eût été ce qu'il annonçait,
+ le gouvernement aurait autorisé le ministre des affaires étrangères
+ à se rendre chez l'ambassadeur et à lui déclarer qu'il avait ordre
+ de s'entendre avec lui sur le genre de satisfaction qu'il pourrait
+ désirer. Je lui fis observer que, cependant, rien de semblable
+ n'avait été fait, que pas un individu n'était arrêté, pas une
+ enquête ordonnée, et que le gouvernement, qui se plaint toujours
+ d'avoir des ennemis, lui avait donné cette occasion de plus de
+ l'accuser de n'avoir de complaisance que pour les ennemis de
+ l'empereur.</p>
+
+<p>«M. Roëll m'ayant demandé mon sentiment sur ce qu'il y avait à faire
+ dans cette occasion pour apaiser l'empereur, je lui dis qu'il ne me
+ convenait pas de donner des conseils, que ce n'était point là ma
+ mission, que cette affaire avait été trop négligée pour pouvoir être
+ arrangée par la voie des négociations, et qu'il me paraissait
+ qu'elle devait désormais être traitée directement entre le roi et
+ l'empereur; que pour moi, je me bornais à lui transmettre mes
+ ordres. Toute cette discussion fut très vive; contre son ordinaire,
+ M. Roëll était extrêmement ému; je vis même un moment des larmes
+ dans ses yeux. Il me recommanda les intérêts de sa malheureuse
+ patrie, me dit que son système personnel avait toujours été de
+ s'attacher à l'empereur, et de tout placer en lui comme de tout
+ attendre de lui; mais il avoua que cette manière de voir n'était pas
+ générale dans tous les ministères, et en défendant son département,
+ il laissa fort à découvert celui de la police dont la conduite lui
+ parut à lui-même si mauvaise qu'il n'essaya pas même de la défendre.</p>
+
+<p>«M. Roëll me demanda de lui remettre mes demandes par écrit afin
+ qu'il pût les soumettre au roi. Je le fis; je le prévins que je
+ faisais repartir demain, dans la matinée, le courrier de Votre
+ Excellence, et je <span class="pagenum"><a id="pagecvii" name="pagecvii"></a>(p. cvii)</span> le priai de me mettre à même de lui
+ transmettre les déterminations où le gouvernement hollandais
+ s'arrêterait dans cette circonstance.</p>
+
+<p>«Je dois à la nation hollandaise de dire que, dans cette occasion,
+ elle a manifesté un sentiment général de révolte contre une pareille
+ infamie et que tous les honnêtes gens d'Amsterdam ont vu cet
+ événement comme on l'a pu voir à Paris. M. Roëll est revenu
+ plusieurs fois sur ce que son caractère personnel et l'esprit de son
+ département ne permettaient pas de douter sur la manière dont il
+ voyait cette affaire; et il me semblait attacher un fort grand prix
+ à ce que Votre Excellence en prit cette opinion.</p>
+
+<p>«Je crois assurément ce ministre incapable d'avoir aucune part à
+ tout ceci; le grand tort de M. Roëll, et peut-être le seul, est
+ d'être faible et de ne savoir pas s'exposer à déplaire et à perdre
+ même sa place pour servir son souverain.</p>
+
+<p>«Il est certain, Monseigneur, que M. de La Rochefoucauld ne vous a
+ rien dit de trop à cet égard, que depuis trois mois plus
+ particulièrement, l'erreur et l'inexactitude semblent présider à
+ toutes les délibérations du gouvernement hollandais; qu'il est sans
+ armée, sans marine, sans argent et sans crédit; qu'aucune
+ stipulation importante du traité ne s'exécute; que la confiance et
+ le respect des peuples s'aliènent tous les jours, et que tous les
+ espoirs se tournent vers l'heureuse France et vers son monarque; que
+ ces provinces si prospères autrefois, et maintenant si déchues,
+ n'attendent désormais que de lui seul leur salut; que le parti
+ français s'accroît de tous les hommes éclairés qui ne voient pas
+ suivant leurs passions, mais suivant leurs intérêts, et que les plus
+ opposés à la France d'inclination y sont revenus par conviction et
+ par système.</p>
+
+<p>«M. Roëll m'écrit à l'instant pour me demander de venir le voir
+ demain, à 11 heures, et pour me prier de ne point faire partir mon
+ courrier avant cette entrevue. Je ne fermerai donc ma dépêche qu'en
+ sortant de chez M. Roëll.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">Ce 29 mai, à midi.</p>
+
+<p>«Je quitte M. Roëll. Ce ministre m'a dit qu'il avait fait part au
+ roi de la lettre que Votre Excellence lui avait fait l'honneur de
+ lui adresser, des communications que je lui avais faites et de mes
+ demandes. M. Roëll m'a annoncé que le roi avait appris avec une
+ extrême douleur la manière dont Sa Majesté l'empereur, son auguste
+ frère, avait ressenti l'insulte faite à son ambassadeur; que son
+ intention avait toujours été de faire punir les coupables que toutes
+ les recherches n'avaient pu faire découvrir. L'intention du roi, m'a
+ dit le ministre, est que cette affaire soit entamée dès ce moment
+ devant le tribunal des échevins de cette ville, et poursuivie par le
+ grand bailli comme accusateur public. Demain ou après, le
+ gouvernement publiera une déclaration solennelle de son désir de
+ donner une satisfaction éclatante à l'empereur et de <span class="pagenum"><a id="pagecviii" name="pagecviii"></a>(p. cviii)</span>
+ punir exemplairement les coupables. Sa Majesté, a ajouté M. Roëll,
+ ne serait pas même éloignée d'accorder une récompense à celui qui
+ découvrirait les coupables.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Roëll à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 mai 1810.</p>
+
+<p>«Ce n'est qu'avec un sentiment de profonde douleur que le roi, mon
+ maître, a appris les motifs qui ont déterminé Sa Majesté impériale
+ et royale à rappeler auprès d'elle son ambassadeur en Hollande et à
+ déclarer qu'il n'y aurait plus d'ambassadeur de Hollande à Paris,
+ mais que les affaires seraient désormais traitées réciproquement par
+ des chargés d'affaires dans les deux pays.</p>
+
+<p>«Le roi était si éloigné de pouvoir s'imaginer que l'insulte qu'on
+ se plaint avoir été faite à un des domestiques de M. le comte de La
+ Rochefoucauld aurait pu provoquer une pareille mesure, que Sa
+ Majesté s'était au contraire flattée que le gouvernement français
+ aurait vu dans la conduite de celui de Hollande une preuve non
+ équivoque de son désir de donner toute la satisfaction que l'insulte
+ exigeait. Si l'on eût fait envisager ce qui a eu lieu sous son
+ véritable point de vue, je me tiens persuadé que Sa Majesté
+ impériale et royale, tout en insistant sur la recherche et la
+ punition des coupables, n'aurait vu dans le retard qui a eu lieu à
+ cet égard qu'une suite naturelle des circonstances et nullement un
+ manque de zèle à donner la satisfaction demandée, à laquelle au
+ contraire le gouvernement hollandais devait être porté aussi bien
+ par intérêt que par conviction.</p>
+
+<p>«Voici le cas, et que maintenant Votre Excellence juge. Dimanche 13
+ de ce mois, un des gens de l'ambassadeur passe, ce qui est dit, dans
+ le voisinage du palais. On lui demande s'il appartient à l'ambassade
+ de France, et, sur sa réponse affirmative, on lui applique des
+ coups. Un attroupement se forme aussitôt; la personne en question
+ s'adresse à la sentinelle voisine: celle-ci ne se croyant pas
+ autorisée à se mêler de l'affaire, il rentre dans le corps de garde,
+ demande du secours et l'obtient, de manière que l'attroupement se
+ disperse aussitôt.</p>
+
+<p>«Tel est, Monsieur le Duc, en peu de mots, le récit du fait tel
+ qu'il se trouve dans l'office, qui m'a été adressé le même soir par
+ M. le secrétaire de l'ambassade, en l'absence de l'ambassadeur.
+ Votre Excellence sentira que je n'ai rien de plus empressé que de
+ demander aussitôt des renseignements au ministre de la police qui,
+ n'ayant reçu aucune information sur ce qui venait de se passer,
+ selon l'office de M. Serrurier, prit sans délai toutes les mesures
+ pour avoir des renseignements nécessaires <span class="pagenum"><a id="pagecix" name="pagecix"></a>(p. cix)</span> et pour
+ atteindre, d'après cela, ceux qui se seraient trouvés suspects de
+ l'attentat.</p>
+
+<p>«Je fis part de tout ceci à M. Serrurier, le lendemain matin,
+ lorsqu'il me fit l'honneur de passer chez moi, en lui faisant sentir
+ en même temps la difficulté qu'il y aurait à trouver aussitôt qu'il
+ serait à désirer les coupables que la personne insultée elle-même
+ disait ne point connaître. Je lui observai cependant que, par le
+ concours de la légation avec le ministère de la police, je me
+ flattais qu'on finirait par en venir à bout.</p>
+
+<p>«Le même jour, j'adressai à l'ambassadeur l'office suivant que sans
+ doute il aura eu soin de porter à la connaissance de Votre
+ Excellence, et dont le contenu lui aura pu faire voir l'indignation
+ qu'éprouva le roi à la nouvelle de ce qui venait d'arriver et le
+ désir de Sa Majesté de donner aussi promptement que possible la
+ satisfaction demandée, qui était la punition des coupables. Mais
+ pour parvenir à cette punition, il fallait d'abord les atteindre;
+ pour les atteindre, il fallait les connaître, et pour les connaître,
+ il fallait l'assistance de celui qui se disait la personne lésée. À
+ cet effet, le grand bailli de la capitale, dans les attributions de
+ qui seul, et non dans celles du bourgmestre (dont les fonctions sont
+ simplement et purement administratives), est compris tout ce qui
+ regarde le maintien du bon ordre, a fait demander dès les premiers
+ jours, chez lui, la personne en question, afin d'avoir d'elle-même
+ quelques notions précises sur l'endroit et l'heure où le fait devait
+ avoir eu lieu, ainsi que sur les circonstances qui devaient l'avoir
+ accompagné. Ses instances, à cet effet, ayant été vaines, j'ai été
+ prié d'en entretenir l'ambassadeur et de demander à Son Excellence
+ s'il y avait des difficultés, de sa part, à ce que cet homme se
+ rendît chez le grand bailli à l'effet indiqué. Son Excellence
+ m'ayant assuré qu'elle ne s'y opposerait en aucune manière, et
+ connaissance de ceci ayant été donnée de ma part au grand baillif,
+ celui-ci a fait demander depuis, à différentes reprises, que la
+ personne indiquée voulût se rendre auprès de lui, mais jusqu'ici,
+ sans le moindre succès, ayant été répondu de sa part, encore hier
+ matin, qu'il se trouvait trop occupé ce jour-là pour venir, ainsi
+ qu'il constate par le procès-verbal de la personne chargée de lui
+ parler.</p>
+
+<p>«Voilà donc plus de quinze jours d'écoulés que l'ambassadeur de
+ France se plaint d'un attentat commis envers un de ses gens et dont
+ elle demande avec raison une satisfaction éclatante, sans qu'on ait
+ pu parvenir encore à obtenir que cette personne veuille fournir à
+ l'autorité compétente les notions si nécessaires pour réussir dans
+ les perquisitions.</p>
+
+<p>«Que faut-il penser, Monsieur le duc, d'une pareille conduite? Elle
+ a causé au roi un sentiment d'autant plus pénible que le retard de
+ la <span class="pagenum"><a id="pagecx" name="pagecx"></a>(p. cx)</span> satisfaction demandée devait naturellement donner lieu à
+ l'opinion qu'on n'attachait point de prix à la découverte du
+ coupable, dont cependant le contraire est prouvé par tout ce qui a
+ déjà été mis en &oelig;uvre pour y parvenir.</p>
+
+<p>«Je n'occuperai pas davantage pour le moment l'attention de Votre
+ Excellence sur cette malheureuse affaire. Je me bornerai à l'inviter
+ de mettre ce que j'ai eu l'honneur de lui communiquer sous les yeux
+ de S. M. impériale et royale, dont le roi se flatte que la religion,
+ éclairée par le vrai exposé de ce qui a eu lieu, ne voudra pas faire
+ exécuter une détermination qui ne saurait être attribuée qu'à des
+ informations moins exactes sur l'affaire dont il s'agit et à l'égard
+ de laquelle le roi se flatte que son auguste frère finira par lui
+ rendre la justice que les expressions contenues dans mon office, du
+ 15 de ce mois, à l'ambassadeur de France ne sont point de vaines
+ paroles, mais extrêmement conformes à ses sentiments.</p>
+
+<p>«En conséquence, je prie Votre Excellence de vouloir engager
+ l'empereur et roi à consentir que non seulement la légation
+ française en Hollande soit remplie de nouveau par un ministre de
+ premier rang, mais aussi que l'ambassadeur de Hollande à Paris
+ puisse continuer à y exercer provisoirement ses fonctions actuelles,
+ dans lesquelles il a eu le bonheur de se rendre, en même temps,
+ utile à son souverain et agréable à celui auprès duquel il est
+ accrédité.</p>
+
+<p>«En attendant, je me fais un plaisir d'assurer Votre Excellence que
+ la personne à laquelle Sa Majesté daignera confier les fonctions de
+ chargé d'affaires en Hollande sera toujours agréable au gouvernement
+ hollandais qui ne manquera pas d'ajouter foi et créance entière à
+ tout ce qu'elle sera dans le cas de lui dire de la part de son
+ souverain. Quant à moi, en particulier, Votre Excellence peut se
+ tenir persuadée que M. Serrurier rencontrera dans la question des
+ affaires qui lui seront demandées toutes les prévenances auxquelles
+ a droit de s'attendre l'agent d'une puissance aux intérêts de
+ laquelle ceux de ma patrie sont si intimement liés, et dont la
+ bienveillance est sans doute le plus ferme fondement de notre
+ prospérité.</p>
+
+<p>«Avant de finir cette lettre, je suis chargé de relever un passage
+ qui se trouve dans la note par laquelle Votre Excellence a fait
+ connaître à l'ambassadeur Werhuell les intentions de Sa Majesté
+ impériale, savoir, celui où il est dit que si l'on n'eût pas renvoyé
+ l'ancien bourgmestre, qui était un homme sage, l'affaire en question
+ n'aurait pas eu lieu. Sans doute, Monsieur le duc, le bourgmestre
+ Van-de-Poll est un homme éclairé et sage, dont le roi a toujours su
+ apprécier les mérites, mais ses fonctions, comme je l'ai déjà
+ observé plus haut, n'étant que purement administratives et n'ayant
+ rien de commun avec la police, il est difficile de se persuader que,
+ s'il fût resté en place, il aurait été en état de prévenir <span class="pagenum"><a id="pagecxi" name="pagecxi"></a>(p. cxi)</span>
+ des injures quelconques que des malintentionnés se seraient avisés
+ de faire. Et quant à la démission de ce magistrat, qui paraît avoir
+ été représentée à Votre Excellence comme un renvoi, il suffira
+ d'entendre le bourgmestre même pour être convaincu que, bien loin de
+ pouvoir être considérée comme telle, cette démission n'a été que la
+ suite d'instances réitérées de sa part, faites déjà avant le départ
+ du roi pour Paris, mais auxquelles le bourgmestre a renoncé alors
+ sous la condition expresse que Sa Majesté ne se refuserait pas à lui
+ accorder sa démission et son repos aussitôt qu'elle pourrait
+ entrevoir le terme de son absence, de sorte que le roi, en la lui
+ accordant à cette époque, n'a fait que remplir les engagements
+ contractés avant son départ, et je doute si aucun moyen pour engager
+ M. Van-de-Poll à reprendre ses fonctions de bourgmestre serait
+ capable de l'y déterminer.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le roi Louis à l'empereur.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 31 mai 1810.</p>
+<p class="adresse">Sire,</p>
+
+<p>Je supplie Votre Majesté de vouloir ordonner qu'on s'en tienne au
+ traité. Ce pays, exaspéré de toutes les manières, est poussé au
+ désespoir chaque jour davantage. On veut aujourd'hui que je reçoive
+ des douaniers à Diemer, à Ruysdaal et à Menden, au centre du pays,
+ et j'invoque l'assurance, que Votre Majesté m'a réitérée plusieurs
+ fois, qu'elle ne voulait pas dépasser le traité ni entraver le
+ commerce intérieur à ce point. Sous le prétexte d'ordres supérieurs,
+ enfreindre un traité si nouvellement conclu, ce n'est point servir
+ Votre Majesté impériale, quels que soient ses projets; c'est perdre
+ gratuitement un peuple au désespoir. J'ai reçu et ordonné que l'on
+ facilitât toutes les mesures de surveillance des douaniers, au
+ Helder, au Texel, sur toute la côte de Frise, comme à Katuyk, à
+ Schevelingen, l'île de Voorne, la Brille, Helvact, en un mot, toute
+ la côte sans exception; mais les villes intérieures et les canaux ne
+ peuvent y être sujets en aucune manière. Je prie instamment Votre
+ Majesté de contremander des mesures qui sont trop contraires au
+ traité qu'elle a prescrit elle-même, comme à tout motif raisonnable
+ pour pouvoir être exécuté sans les plus fâcheuses conséquences pour
+ ce pays. Votre Majesté n'a pas l'intention que ses agents soient
+ cause des plus grands malheurs, elle ne veut pas qu'un pays qui lui
+ doit l'existence soit perdu à jamais pour s'être sacrifié aux
+ conditions prescrites par le traité. Je supplie donc Votre Majesté
+ impériale d'ordonner qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un
+ gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen
+ d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes
+ et qu'il supporte <span class="pagenum"><a id="pagecxii" name="pagecxii"></a>(p. cxii)</span> patiemment un état de guerre qui le
+ ruine; mais, au contraire, Sire, veuillez calmer des esprits
+ vivement agités et leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour
+ eux, en me confiant entièrement à la parole et à la volonté de Votre
+ Majesté impériale, ne pouvait tromper leur espoir et leur
+ résignation absolue. Quelle que soit l'indisposition de Votre
+ Majesté contre son frère, je la prie de répondre au roi de Hollande
+ et de considérer que c'est dans la plus grande anxiété que le pays
+ et moi attendons la réponse de Votre Majesté.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 2 juin 1810.</p>
+
+<p>«Mes craintes se confirment: de funestes conseils prévalent dans
+ l'esprit du gouvernement et semblent prêts à l'égarer. On a déclaré
+ à gens sûrs, de qui je le tiens, qu'on se battrait si on voulait
+ mettre garnison à Amsterdam. Peut-être n'est-ce qu'un premier
+ mouvement. Les projets du général Krakuhoff sont remis sur le tapis;
+ on assure même qu'ils ont été proposés en conseil et que la majorité
+ des ministres a fait la plus forte opposition. Heureusement, ces
+ projets extravagants ne s'appuient que sur 3,000 hommes de garde mal
+ sûrs et dont les chefs y regarderont à deux fois avant de tirer
+ l'épée.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 3 juin 1810.</p>
+
+<p>«Le gouvernement hollandais paraît arrêté au projet de s'opposer à
+ l'occupation d'Amsterdam; en vain les ministres ont-ils supplié le
+ roi de ne pas livrer sa personne, sa ville et tout son peuple à une
+ perte certaine, pour satisfaire la passion de quelques furibonds,
+ ennemis de sa gloire, et qui seront les premiers à l'abandonner
+ quand ils l'auront compromis. Ces représentations sages n'ont pas
+ été écoutées, et les conseils violents ont prévalu. Heureusement,
+ cette lutte scandaleuse, s'il est impossible de l'éviter, ne peut
+ être longue, ni douteuse, ni sanglante. Le gouvernement hollandais
+ dispose au plus de 3,000 hommes de garde. Il a fait venir hier, de
+ La Haye, un bataillon du 5<sup>e</sup> régiment; voilà, avec deux escadrons de
+ cavalerie, toute son armée. Une partie couvre Harlem et l'autre
+ Naërdem et les points d'attaque du côté d'Utrecht. Il n'y a pas un
+ officier habile qui voudra prendre sur lui la responsabilité
+ horrible de couvrir sa patrie de sang et de la ruiner pour un but
+ aussi monstrueux et sans aucune espérance de succès. Le général
+ Travers commande la garde. C'est un homme plein d'honneur,
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxiii" name="pagecxiii"></a>(p. cxiii)</span> attaché à son prince par reconnaissance, mais Français
+ avant tout. Il ne peut se prononcer qu'au moment; mais sa conduite
+ n'est pas douteuse, si on lui montre des Français au bout de ses
+ baïonnettes. Le général Brunot pense de même, et je crois pouvoir
+ répondre de ces deux officiers. Le maréchal duc de Reggio se croit
+ sûr du général Dumonceau. Ainsi, point de chef capable pour cette
+ petite troupe d'enfants perdus que l'on prétend opposer à l'armée
+ française.</p>
+
+<p>«La seule chose à craindre est qu'on ne cherche parmi ce désordre à
+ remuer l'horrible populace d'Amsterdam, et qu'on ne la porte à des
+ excès qu'il serait sans doute aisé de punir, mais qui pourraient
+ entraîner de fort grands inconvénients dans une aussi grande ville.
+ Le moyen le plus sûr de les éviter paraîtrait être que la marche des
+ corps destinés à occuper Amsterdam fût tellement rapide qu'on n'eût
+ ni le temps de délibérer ni celui de remuer le peuple. Cette manière
+ aurait encore l'avantage de fixer les irrésolutions et d'aider aux
+ gens de cour, retenus par les austérités de la discipline,
+ incertains encore de ce que l'on veut d'eux et qui se prononceraient
+ dans un mouvement rapide et décidé.</p>
+
+<p>«Mais, le premier avantage sans doute de cette rapidité serait
+ d'arracher l'auguste personne qui se trouve jetée si déplorablement
+ au milieu des rebelles, aux fureurs de ces conseils, à ses propres
+ emportements, et de diminuer pour elle les dangers auxquels, dans
+ son funeste égarement, elle croirait de sa gloire de s'exposer.</p>
+
+<p>«Ce n'est pas, Monseigneur, sans un profond sentiment de douleur que
+ je traite une pareille matière, si éloignée de tout ce dont se
+ devrait composer une correspondance de famille; mais mes premiers
+ devoirs sont envers l'empereur, et quelque pénibles qu'ils soient,
+ j'ai juré de les remplir.</p>
+
+<p>«Votre Excellence concevra que je ne lui écris, comme je le fais,
+ que sur les avis positifs qui me sont venus d'Utrecht.</p>
+
+<p>«Les renseignements que je reçois à l'instant par une voie secrète
+ et sûre, du ministère de la guerre, s'accordent sur les ordres
+ donnés de défendre les lignes.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 5 juin 1810.</p>
+
+<p>«Je me suis rendu hier soir chez le roi, d'après l'invitation que
+ j'en avais reçue. J'ai trouvé Sa Majesté seule. «Je vous ai fait
+ appeler, Monsieur, me dit le roi, pour m'entretenir sur l'état
+ général de nos affaires, sur ma position, sur celle du pays que je
+ gouverne, et sur les moyens d'y porter remède, s'il en est temps
+ encore. Votre mission sera belle, Monsieur, si vous voulez et si
+ vous pouvez concourir à ce but.» <span class="pagenum"><a id="pagecxiv" name="pagecxiv"></a>(p. cxiv)</span> J'ai répondu au roi que
+ j'étais sans instructions sur les objets de discussion que Sa
+ Majesté pouvait vouloir traiter avec moi; que cette audience, où
+ elle daignait m'appeler, n'ayant pas été prévue, Sa Majesté ne
+ devait pas être étonnée de me trouver entièrement au dépourvu sur
+ les ouvertures qu'elle aurait à me faire; que jusqu'ici je n'avais
+ été autorisé qu'à transmettre des demandes que Votre Excellence
+ m'avait chargé d'adresser au ministre des affaires étrangères, et
+ que j'étais sans pouvoirs et sans direction pour tout ce qui aurait
+ le caractère d'une négociation ou même d'une discussion; mais que
+ j'écouterais avec respect et que je transmettrais avec fidélité à
+ Votre Excellence tout ce que Sa Majesté me ferait l'honneur de me
+ dire. Ces bases posées, le roi entra en matière.</p>
+
+<p>«Sa Majesté me retraça d'abord l'état dans lequel elle avait trouvé
+ le royaume à son avènement à la couronne, les sacrifices immenses
+ que ce petit pays avait faits à la cause commune, la ruine de son
+ commerce, l'épuisement de ses finances, les malheurs successifs qui
+ l'avaient frappé dans ces trois dernières années plus
+ particulièrement, les efforts qu'il avait faits pour la guerre de
+ Prusse, le dévouement de ses troupes en Poméranie et en Espagne, les
+ cessions considérables du dernier traité, et enfin la remise de
+ toute l'étendue de ses côtes et de la meilleure partie de son
+ territoire au pouvoir et à la garde de l'armée française.</p>
+
+<p>«Voilà pour mon pays, me dit le roi, et quant à moi, que veut-on de
+ plus que de remplir avec fidélité tous mes engagements envers la
+ France? Sans doute, ils sont grands ces engagements: frère de
+ l'empereur et son ouvrage, comment a-t-on pu s'imaginer que je
+ pensasse à m'en séparer par un système d'isolement impossible à
+ réaliser? et qu'aurais-je donc à attendre des ennemis de mon frère
+ que mépris et abandon? Je dois tout à ce titre; je lui dois les
+ respects de mon peuple et la considération de l'Europe, et je sais
+ que je ne puis rien que par lui. Par quelle fatalité prétend-on donc
+ toujours me classer parmi les ennemis de sa puissance; puis, que me
+ veut-on? s'écria brusquement le roi. Je n'ai pas sans doute la
+ prétention d'avoir signé un traité avec l'empereur, mais, enfin,
+ j'ai ratifié une convention qui cède à mon frère une partie de mon
+ territoire déjà si borné et remet à ses troupes la meilleure partie
+ de l'autre. Est-ce la conduite d'un rebelle? J'ai rempli, de mon
+ côté, autant que j'ai pu, toutes les conditions du traité, mais
+ quelle extension la France ne donne-t-elle pas à cette convention?
+ Un article porte que les douanes seront placées à toutes les
+ embouchures des rivières. J'ai donné l'ordre de les y recevoir; mais
+ aujourd'hui on m'annonce des douaniers à Maarchen, Muyden et jusqu'à
+ Diemen, espèce de faubourg d'Amsterdam, et l'on veut en établir,
+ aussi bien que des troupes, dans ma capitale. J'ai répondu au
+ maréchal duc de Reggio qu'il était assurément bien le maître de
+ donner de pareils <span class="pagenum"><a id="pagecxv" name="pagecxv"></a>(p. cxv)</span> ordres et d'envoyer ses douaniers, mais
+ que je ne les recevrais pas, puisque cela était contraire aux
+ stipulations de mon dernier traité. Si l'on veut plus de moi,
+ pourquoi ne pas le faire connaître par la voie des ambassadeurs
+ respectifs? C'est pour cet objet plus particulièrement, continua le
+ roi, que j'ai désiré m'entretenir avec vous, Monsieur; si mes
+ sacrifices ne suffisent pas encore, qu'on me le dise: je suis prêt à
+ signer une nouvelle convention, et l'empereur pourra en dicter les
+ conditions. Je n'ai pas la chimère de traiter d'égal à égal avec mon
+ frère; il me permettra seulement que je plaide pour mon peuple. Je
+ souscrirai tout ce qu'il voudra, mais qu'il daigne faire connaître
+ ses intentions. Une occupation militaire n'est guère compatible avec
+ la marche d'une bonne administration; l'empereur en jugera. Veut-il
+ que je montre à l'Europe que je ne rougis pas d'attacher ma couronne
+ à la sienne par un lien vassalitique ou par un tribut? Je suis prêt
+ à y souscrire pourvu que l'on conserve à cette bonne nation, que je
+ chéris, non pas son indépendance, chimère depuis longtemps
+ abandonnée, mais son administration séparée. Je ferai tout, je
+ consentirai à tout pour remettre mon peuple et moi dans les bonnes
+ grâces de l'empereur.»</p>
+
+<p>«Telle a été, Monseigneur, la substance, et autant que ma mémoire
+ est fidèle, les expressions du discours du roi. Une extrême
+ agitation se lisait sur la figure de Sa Majesté, dans ses gestes et
+ sur toute sa personne. J'écoutai le roi dans le plus profond
+ silence, et quand Sa Majesté eut cessé de parler, je lui dis que
+ j'aurais l'honneur de transmettre à Votre Excellence, avec
+ exactitude et dès ce matin, tout ce que Sa Majesté m'avait fait
+ l'honneur de me dire, que je prierais Votre Excellence de prendre à
+ cet égard les ordres de l'empereur et de me les faire connaître, et
+ que j'aurais tout l'empressement possible à lui faire part de la
+ réponse que je recevrais.</p>
+
+<p>«Je croyais mon audience finie et pensais à me retirer; mais le roi
+ voulut avoir mon opinion et mes conseils. Je répondis qu'il n'était
+ pas dans ma position de pouvoir lui offrir rien de semblable et lui
+ répétai que j'étais sans instructions. «Eh bien, me dit le roi, je
+ ne parle plus au chargé d'affaires, et je cause avec M. Serrurier
+ confidentiellement. Que pensez-vous et que croyez-vous que je doive
+ faire?» Pressé dans mon dernier retranchement, il fallut bien
+ répondre. Je dis au roi que, puisqu'il lui fallait mon opinion
+ personnelle dégagée de tout caractère officiel, je ne me refusais
+ pas à la lui donner, puisque aussi bien ce que je lui dirais,
+ n'étant pas avoué de mon gouvernement ni inspiré par lui, n'avait
+ dès lors aucune importance politique.</p>
+
+<p>«Je rappelai donc au roi que j'étais déjà en Hollande à l'époque où
+ Sa Majesté fut appelée à y régner, et que j'avais été témoin des
+ fausses routes dans lesquelles Sa Majesté avait été jetée dès les
+ premiers jours de son règne; que, dans mon opinion, Sa Majesté
+ aurait dû asseoir son <span class="pagenum"><a id="pagecxvi" name="pagecxvi"></a>(p. cxvi)</span> trône sur le parti français et
+ ensuite admettre à résipiscence et à pardon tous les gens d'honneur
+ du parti opposé, mais avec un sage tempérament, de manière à fondre
+ tous les partis dans celui qui l'avait demandé à l'empereur et lui
+ était dévoué par système et par besoin; qu'au lieu de cela, Sa
+ Majesté avait accueilli, caressé le parti opposé aux sentiments
+ secrets de son cour, aux intérêts de la France et conséquemment aux
+ siens, puisque son premier besoin est d'être bien avec elle; que de
+ là était né un système d'opposition à l'empereur, que chaque jour
+ avait développé davantage, et qu'il avait fait perdre à la Hollande
+ toute la grâce et tout le prix de ses efforts que l'on n'avait plus,
+ dès lors, dû attribuer qu'à sa position obligée; que c'était à ce
+ malheureux système d'opposition, longtemps sourde et depuis à peu
+ près ouverte, qu'il fallait attribuer le mécontentement de
+ l'empereur, la perte de ses bonnes grâces et d'une protection sans
+ laquelle il n'existe pas de Hollande; que de là étaient sorties
+ toutes les mesures de défiance et de précaution que Sa Majesté avait
+ cru devoir à la sûreté de son empire, et peut-être cette aliénation
+ des sentiments de Sa Majesté impériale pour un frère que ce titre
+ avait élevé si haut et qu'une reconnaissance éternelle devait lui
+ attacher; que jamais dans son esprit (puisque S. M. exigeait que je
+ lui exprimasse franchement mes opinions) les titres de frère de
+ l'empereur et de connétable de France n'auraient dû être séparés de
+ celui de roi de Hollande, et que c'était dans leur accord qu'il
+ aurait dû chercher le bonheur de ses sujets. Je lui rappelai toutes
+ les fausses mesures sur lesquelles l'ambassade avait eu sans cesse à
+ réclamer, l'affaire des Américains, si dommageable à ceux-là mêmes
+ qui l'avaient inspirée, la mauvaise impulsion donnée à l'esprit
+ public, et tant d'autres fautes enfin accumulées sans mesure. Je dis
+ encore à Sa Majesté que ce dernier traité, sur lequel elle
+ prétendait s'appuyer, ne s'exécutait pas dans ses stipulations les
+ plus intéressantes pour la France, la remise des cargaisons
+ américaines et l'armement des forces maritimes du royaume. Puis,
+ venant à l'état présent des affaires, je dis au roi que mon opinion
+ personnelle était qu'il ne restait plus à Sa Majesté, dans la
+ position où elle s'était placée, que de s'adresser directement à
+ l'empereur et de se jeter dans ses bras, et de remettre à sa grande
+ âme ses destinées et celles de son peuple. Le roi m'interrompit ici
+ pour me protester que c'était son v&oelig;u le plus ardent, mais qu'il
+ n'avait plus la confiance d'écrire à Sa Majesté impériale, de qui
+ ses lettres n'étaient plus reçues, et qu'il me demandait de faire
+ parvenir à Votre Excellence, et par elle à l'empereur, cette
+ expression de ses sentiments et de ses v&oelig;ux.</p>
+
+<p>«Le roi m'ayant parlé avec exaspération des douaniers qu'on lui
+ envoyait chaque jour, sans qu'il en fût prévenu, et de tous les
+ désordres qu'il prétendait être commis par eux, je demandai à Sa
+ Majesté si elle <span class="pagenum"><a id="pagecxvii" name="pagecxvii"></a>(p. cxvii)</span> faisait entrer en comparaison ces
+ dommages particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur que
+ jetait dans le public le bruit qui s'y répandait que des ordres de
+ s'opposer aux mouvements des troupes françaises fussent donnés sur
+ toute la ligne et avec les suites qu'ils pourraient entraîner. Le
+ roi nia qu'il eût donné l'ordre de tirer sur les Français dont il
+ n'oublierait jamais, me dit-il, qu'il était le connétable; mais il
+ insista cependant sur ce point qu'il ne pourrait permettre que des
+ troupes françaises entrassent dans sa capitale. Il ne pouvait pas
+ sans doute l'empêcher, mais il regarderait, par ce seul fait, le
+ gouvernement comme dissous. Sa Majesté demandait que l'empereur
+ daignât, du moins, comme déjà elle me l'avait demandé, lui faire
+ connaître ses intentions avant de les faire exécuter.</p>
+
+<p>«Enfin, le roi me dit qu'il sentait qu'il avait peu à vivre, mais
+ qu'il désirait assurer l'existence de ses enfants; que, déjà, ils
+ avaient perdu de bien beaux droits en France, et que, du moins, il
+ souhaitait leur laisser un héritage quelconque qui leur rappelât la
+ sollicitude de leur père pour eux.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 8 juin 1810.</p>
+
+<p>«Prévenu hier par le chambellan de service que le roi me recevrait
+ ce matin, à 9 heures, je me suis empressé de me rendre aux ordres de
+ Sa Majesté. Le roi m'a d'abord répété tout ce qu'il m'avait fait
+ l'honneur de me dire, quatre jours avant, sur la position de son
+ pays, sur ses sentiments personnels pour l'empereur, et sur le désir
+ qu'il avait de mettre sa personne, ses enfants et son pays entre les
+ mains de son auguste frère. Le fond des choses était à peu près le
+ même; mais la manière était beaucoup meilleure; toute trace de dépit
+ et de rigueur avait disparu; l'âme du roi, frappée des calamités
+ qu'entraînerait un système d'opposition ouverte, ébranlée par les
+ représentations que ses ministres et ses principaux sujets lui ont
+ faites, et revenue à ses sentiments naturels pour l'empereur et pour
+ la France, ne semblait occupée que du besoin de se livrer à ce
+ retour des premières affections des hommes si fortes sur les cours
+ bien nés. Le ton du roi, je le répète, disait plus encore que ses
+ paroles, et je dois déclarer avec la même franchise que j'ai mise
+ dans mes accusations, qu'il est impossible de montrer une résolution
+ plus absolue aux volontés de l'empereur que Sa Majesté n'en a fait
+ éclater devant moi dans cette circonstance.</p>
+
+<p>«Ma position était extrêmement difficile. Je savais bien ce dont il
+ était désirable, que le roi me chargeât pour Votre Excellence, pour
+ éviter des malheurs; mais je ne pouvais rien provoquer, n'ayant ni
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxviii" name="pagecxviii"></a>(p. cxviii)</span> pouvoirs ni instructions de l'empereur. Heureusement,
+ le roi, me parlant des bruits que l'on avait répandus sur un
+ prétendu projet de défense, fut naturellement amené à se prononcer à
+ cet égard; quant à ses déterminations, Sa Majesté me dit donc: «Il
+ m'est à peu près évident que la réunion sera le résultat de tout
+ ceci. Il n'est ni dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma
+ position, assurément, de m'y prêter, et l'on ne peut me blâmer de
+ désirer tout autre arrangement; mais voici, Monsieur, ma résolution
+ que je vous communique officiellement pour le cas possible, et que
+ la correspondance du duc de Reggio me fait prévoir. Si des
+ patrouilles se présentent à mes lignes, on leur dira de s'éloigner,
+ puisque le traité ne porte pas qu'il n'y aura jamais de garnison
+ française dans ma capitale. Si un corps de troupes se présente
+ hostilement, et sans que j'aie rien reçu de l'empereur mon frère, on
+ fermera les portes et les barrières; mais on ne tirera pas et on se
+ laissera forcer. Je ne puis faire qu'une résistance passive et
+ protester contre ce qui aurait lieu en pareil cas sans un
+ arrangement convenu avec mon frère.» Je tenais beaucoup,
+ Monseigneur, à avoir cette déclaration du roi, que je ne pouvais
+ demander, mais que je désirais vivement avoir à transmettre à Votre
+ Excellence.</p>
+
+<p>«Le roi revint à me dire que l'empereur ne voulant plus recevoir ses
+ lettres, il n'osait plus s'adresser directement à Sa Majesté
+ impériale; mais que la connaissance qu'il avait du caractère de
+ Votre Excellence le portait à mettre toute sa confiance en elle;
+ qu'il me priait, en conséquence, de lui expédier un courrier porteur
+ de ses déterminations dans ces circonstances. «Je suis, m'a dit le
+ roi, attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille, et
+ plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à
+ elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'empereur. Je ne
+ déserterai point un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu
+ de ce peuple; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à
+ souscrire à toute espèce d'arrangement qui me rattacherait plus
+ fortement à l'empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de
+ l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me
+ paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me parût
+ préférable, mais parce que mon frère le veut ainsi. Je ne demande
+ qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce
+ qui lui reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage
+ qu'ils doivent aux bienfaits de l'empereur. On ne peut pas en
+ conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y
+ apporter qu'une résistance morale, et je le promets.»</p>
+
+<p>«J'ai encore, Monseigneur, une bien faible connaissance des hommes
+ et il ne m'appartient pas de prétendre lire dans le c&oelig;ur des
+ rois; mais ce que je puis assurer, c'est que si jamais la vérité a
+ un caractère auquel il soit possible de la distinguer, j'ai cru la
+ reconnaître aux <span class="pagenum"><a id="pagecxix" name="pagecxix"></a>(p. cxix)</span> paroles, au ton et à toute l'expression
+ de la personne de Sa Majesté au moment où elle me parlait ainsi.</p>
+
+<p>«Le roi se mit ensuite à parcourir les différends, griefs ou
+ malentendus qui existaient entre nous. Il me dit, sur l'affaire des
+ gens de M. le comte de La Rochefoucauld, qu'il avait donné les
+ ordres les plus sévères, mais que le cocher avait toujours refusé de
+ comparaître et qu'enfin il était parti pour Paris avec les voitures
+ de son maître; que cependant il était impossible de commencer une
+ affaire de ce genre sans la présence de la partie principale et
+ lésée; qu'il désirait qu'on renvoyât cet homme et qu'aussitôt son
+ retour cette procédure serait entamée avec éclat et de façon à
+ satisfaire l'empereur.</p>
+
+<p>«On accusait, m'a-t-il dit encore, le contre-amiral Lemmers d'avoir
+ laissé prendre les quatre corsaires français; mais ils l'ont été en
+ rade ouverte et par négligence, et quand l'escadre s'est avancée au
+ secours il n'était plus temps. M. Gohier m'a confirmé le fait de la
+ négligence des corsaires.</p>
+
+<p>«Quant aux douanes, Sa Majesté désirait que leurs excès fussent
+ réprimés et qu'elles fussent placées dans les ports et embouchures
+ des rivières, mais non pas dans l'intérieur où, selon Sa Majesté,
+ elles ne causent du mal à personne du pays. Elle ne demandait pas
+ mieux que d'admettre à Amsterdam une espèce d'<i>inspecteur du blocus</i>
+ qui connaîtrait tout ce qui entre et sort des ports et à la
+ disposition de qui le roi remettrait ses propres douaniers.</p>
+
+<p>«Le roi me parlant de la patrouille française arrêtée à Harlem a
+ prétendu n'avoir fait que ce qu'un général d'une division militaire
+ fait à l'égard des troupes de sa nation qui, n'étant pas munies
+ d'ordres à sa connaissance, se présenteraient devant une de ses
+ places. Sa Majesté a saisi cette occasion pour me manifester toute
+ l'horreur que lui inspirait la pensée qu'on pût se croire autorisé
+ de ses ordres pour tirer sur un des Français. Sa Majesté s'exprima à
+ cet égard très convenablement et comme on pouvait s'attendre du
+ connétable de France.</p>
+
+<p>«Je me suis, Monseigneur, dans ce second entretien comme dans le
+ premier, borné à écouter ce que Sa Majesté m'a dit sans y prendre
+ une part que mon manque d'instructions m'interdisait. Je me permis
+ seulement d'engager le roi à envoyer lui-même un agent muni de ses
+ pleins pouvoirs à Paris; mais Sa Majesté prétendit préférer que je
+ me chargeasse de ses intérêts auprès de Votre Excellence, et,
+ d'après ses instances plusieurs fois répétées, j'ai promis au roi
+ que j'allais expédier à Votre Excellence M. de Caraman. Ce sera donc
+ lui, Monseigneur, qui aura l'honneur de vous porter cette dépêche et
+ que je prie Votre Excellence de vouloir charger de la réponse
+ qu'elle sera autorisée à y faire. J'ai promis au roi que M. de
+ Caraman serait parti dans quatre heures. L'impatience de Sa Majesté
+ est extrême et elle m'a répété plusieurs fois <span class="pagenum"><a id="pagecxx" name="pagecxx"></a>(p. cxx)</span> qu'elle ne
+ pouvait pas exister dans l'insoutenable pensée de la disgrâce de
+ l'empereur et dans la position où son pays et elle-même se
+ trouvaient placés.</p>
+
+<p>«J'écris par M. de Caraman un mot au duc de Reggio pour l'informer
+ de ce que je juge nécessaire qu'il sache de ce nouvel état de choses
+ et j'attends, Monseigneur, les ordres de l'empereur et vos
+ instructions.</p>
+
+<p>«P.-S. J'ai rempli, Monseigneur, dans cette dépêche, le devoir d'un
+ historien fidèle. Je suis garant que tout ce qu'elle renferme a été
+ dit; mais Votre Excellence concevra que ma garantie ne peut aller
+ plus loin. L'opinion continue de se prononcer et d'appeler à haute
+ voix sur ce peuple les regards et la protection de l'empereur.</p>
+
+<p>«Je ne serais pas étonné que M. Walkenaër, homme d'une grande
+ capacité, chargé de l'emprunt de Prusse et qui a joué dans le temps
+ un grand rôle en Espagne que votre ministère a cru devoir faire
+ cesser, fût envoyé demain à Paris, chargé d'une mission du roi
+ auprès de Votre Excellence.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à l'empereur.</p>
+<p class="date">Paris, 8 juin 1810.</p>
+
+<p>«Votre Majesté trouvera ci-joint sous le n<sup>o</sup> 1 une lettre du
+ maréchal duc de Reggio, du 1<sup>er</sup> juin, où il rend compte que les
+ lignes qui environnent Amsterdam sont pourvues de grosse artillerie
+ avec les munitions et les canonniers nécessaires tandis que les
+ côtes ne sont point armées sous prétexte que toute l'artillerie est
+ au pouvoir des Français. Il paraît qu'on n'a pas abandonné les
+ anciens projets de défense et que si nos troupes voulaient entrer à
+ Amsterdam il pourrait y avoir quelque soulèvement. Le duc de Reggio
+ annonce aussi l'arrestation faite sur la côte de deux individus
+ venant d'Angleterre dont il m'a envoyé l'interrogatoire; je l'ai
+ fait passer au ministre de la police générale.</p>
+
+<p>«Sous le n<sup>o</sup> 2 est une seconde lettre du duc de Reggio, du 2 juin,
+ dans laquelle il donne des détails sur l'émeute qui a eu lieu à
+ Rotterdam le 23 mai. Il paraît qu'elle a été préméditée et qu'elle
+ pourrait facilement se renouveler si quelque circonstance y donnait
+ lieu. Votre Majesté remarquera ce que mande le duc de Reggio au
+ sujet de la gendarmerie et le grand besoin qu'il en aurait. Il
+ sollicite fortement à cette occasion l'avancement du capitaine de
+ gendarmerie Linas qui est auprès de lui.</p>
+
+<p>«Enfin, sous le n<sup>o</sup> 3, Votre Majesté trouvera un rapport et résumé
+ général de la reconnaissance militaire des côtes du département
+ d'Amsterland et de partie de celles de Zélande, faite par le
+ capitaine <span class="pagenum"><a id="pagecxxi" name="pagecxxi"></a>(p. cxxi)</span> Daupias, adjoint à l'état-major général, avec
+ une analyse des observations qu'il a faites sur ces pays-là. Cette
+ pièce mérite attention par l'importance des objets qu'elle traite et
+ je supplie Votre Majesté de vouloir bien en prendre lecture d'autant
+ plus qu'elle est peu susceptible d'analyse.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p>
+<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire savoir qu'elle ne
+ songe point à faire occuper Amsterdam<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a><a href="#footnote158" title="Lien vers la note 158"><span class="smaller">[158]</span></a> par ses troupes et que ce
+ n'est pas son intention, qu'il ne faut donc pas le faire ni même le
+ laisser craindre aux Hollandais. Mais en même temps elle nous charge
+ de déclarer que si l'on faisait en Hollande les moindres préparatifs
+ guerriers, ces préparatifs ne pourraient être regardés que comme une
+ insulte à la France, que vous avez pour ce cas l'ordre éventuel de
+ demander vos passeports et de quitter la Hollande, et que toute
+ attitude hostile attentatoire à la France sera considérée par Sa
+ Majesté comme une déclaration de guerre.</p>
+
+<p>«Sa Majesté vous prescrit encore d'insister sur la réparation due
+ pour l'outrage fait à son ambassadeur, de dire qu'une satisfaction
+ incomplète ne peut lui suffire, qu'il la lui faut entière et que
+ sans cela le roi doit renoncer pour toujours à sa protection et à
+ son amitié.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p>
+<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur, Sa Majesté m'ordonne de vous faire connaître que vous
+ pouvez aller chez S. M. le roi de Hollande ou chez ses ministres
+ toutes les fois que vous y êtes appelé pour affaires. Mais vous
+ devez vous abstenir de toute audience diplomatique, prétendant les
+ jours d'audience, une indisposition et vous abstenant effectivement
+ de sortir de chez vous de tout le jour.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p>
+<p class="date">Paris, 9 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur, Sa Majesté est persuadée que vous ne rendez compte à
+ personne de ce qui se passe en Hollande et que vous n'en écrivez
+ qu'à moi seul. Vous savez trop bien que vous permettre à ce sujet la
+ moindre <span class="pagenum"><a id="pagecxxii" name="pagecxxii"></a>(p. cxxii)</span> correspondance avec tout autre serait une faute
+ capitale. Mais sans croire que vous puissiez vous écarter de l'une
+ des règles les plus essentielles que vous ayez à suivre dans la
+ carrière où sa confiance vous a placé, elle veut que je vous fasse
+ connaître qu'elle met le plus grand prix à ce que cette règle soit
+ religieusement observée.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Note pour le maréchal Oudinot.</p>
+<p class="date">12 juin.</p>
+
+<p>«Il semble qu'on ait déjà cherché à répandre des bruits à Amsterdam
+ qui puissent déplaire au bas peuple de cette ville et le préparer à
+ un soulèvement; cette partie de la population, composée de matelots,
+ de porte-faix, etc., etc., est déjà indisposée et serait furieuse si
+ l'on parvenait à les tromper assez pour les décider à se soulever.
+ Les autres habitants d'Amsterdam, qui ont des propriétés, voient
+ avec chagrin et effroi les dispositions du roi qui paraissent être
+ d'opposer de la résistance à l'occupation de cette ville par les
+ troupes françaises. Le roi, qui d'abord avait intéressé par ce qu'on
+ appelait ses malheurs, éloigne de sa personne celles qui semblaient
+ lui être les plus dévouées par ses caprices continuels et la folie
+ de sa conduite. Une grande quantité de personnes sont prêtes à se
+ dévouer à l'empereur et à s'opposer à des démarches qui n'ont jamais
+ eu leur approbation, mais elles voudraient être avouées et n'avoir
+ pas à redouter un retour de faveur du roi près l'empereur qui pût
+ les perdre pour toujours. Une grande partie des ministres seraient
+ de ce parti. Les généraux Bruneau et Travers, le premier grand
+ écuyer, le deuxième colonel général des gardes, ne peuvent oublier
+ qu'ils sont Français et que leur premier devoir est envers leur
+ patrie. Tous deux d'ailleurs sont mécontents; il y a trois jours que
+ le général Travers offrit sa démission au roi parce qu'il en avait
+ été publiquement maltraité à la man&oelig;uvre.</p>
+
+<p>«Un homme intéressant par son nom et son caractère, sensible à la
+ malheureuse position de son pays, offre, <i>toujours sous condition
+ d'être avoué</i>, de se mettre à la tête des gens honnêtes et de
+ c&oelig;ur et de contenir la populace dans un cas pressant; c'est M. de
+ Hogendorp. L'amiral de Winter, français de c&oelig;ur, estimé et chéri
+ de tous les marins, les empêcherait de se livrer aux excès qu'on en
+ pourrait redouter, et les ramènerait à des sentiments honnêtes. Son
+ caractère trop connu paraît l'avoir fait éloigner <i>avant-hier</i>
+ d'Amsterdam. Il existe fort peu d'enthousiasme pour le roi. Le
+ peuple ne le salue point et semble n'éprouver aucune satisfaction à
+ le voir. Il paraît certain qu'il y a trois jours des ordres furent
+ donnés pour s'opposer militairement à l'entrée de troupes françaises
+ sur le territoire d'Amsterdam. On désire que les douaniers ne
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxiii" name="pagecxxiii"></a>(p. cxxiii)</span> viennent dans cette ville que lorsque nous
+ l'occuperons; on craint que leur arrivée ne donne occasion, <i>saisie
+ avec empressement</i>, d'animer le peuple.</p>
+
+<p>«Les bâtiments américains doivent être escortés jusqu'à leur remise.</p>
+
+<p>«La garde du roi, toute à Amsterdam, est de 3,000 hommes.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le roi Louis à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 14 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur le duc, l'empereur ne veut point que je corresponde avec
+ lui. Je n'ai plus d'ambassadeur à Paris; il faut donc que je
+ m'adresse directement à vous lorsqu'il y a des affaires aussi
+ importantes qu'en ce moment. Je ne vous parlerai point de la
+ situation du pays, vous la connaissez sans doute assez. J'espérais
+ que l'exécution serait adoucie et, loin de là, elle s'est aggravée
+ et s'aggrave tous les jours davantage. Je ne puis me dissimuler
+ actuellement que le traité n'empêche point que l'existence de la
+ Hollande ne soit fortement menacée. L'empereur s'en prend à moi de
+ toutes les disputes et rixes qui arrivent; le nombre des troupes
+ dans le royaume augmente sans cesse; il faut pourvoir à leurs
+ besoins dans un moment où les <i>habitants</i> n'ont presque aucun moyen
+ de pourvoir à leur existence. J'ignore complètement les intentions
+ de l'empereur. Dans cette position je dois me résigner et chercher
+ seulement à éviter de nombreux malheurs dans ce pays. Veuillez me
+ dire, Monsieur le duc, s'il est un moyen de finir complètement et à
+ jamais tous les démêlés et tracasseries; s'il existe quelque chose
+ que je puisse faire pour cela, il n'y a rien que je ne fasse, si
+ j'ai la certitude que tous ces démêlés seront finis à jamais et que
+ le pays en tirera quelque avantage.</p>
+
+<p>«Le porteur est reconnu pour être ami et aimé des membres de la
+ légation française à Amsterdam; je l'ai choisi pour cette raison
+ pour vous porter cette lettre et vous demander s'il n'y aurait pas
+ quelque moyen de finir à jamais tous les démêlés et les contrariétés
+ qui semblent s'augmenter même depuis le traité.</p>
+
+<p>«Veuillez, Monsieur le duc, prendre intérêt à ma position, à celle
+ de mon fils et surtout à celle du pays, et croire que si vous pouvez
+ me faire connaître ce qui peut la rendre supportable ou la terminer
+ entièrement, ce sera le plus grand service que vous puissiez me
+ rendre. Dites-moi des choses précises à faire, et non, je vous prie,
+ des choses générales comme on l'a fait toujours. Croyez que tous les
+ différents naissent de la difficulté de ma position, et que mon
+ frère reconnaîtra, trop tard peut-être, combien on est injuste
+ envers ce pays. Je le répète, Monsieur <span class="pagenum"><a id="pagecxxiv" name="pagecxxiv"></a>(p. cxxiv)</span> le duc, je suis
+ prêt à tous les sacrifices que l'empereur désire, s'ils peuvent être
+ utiles à ce pays et éviter les maux qui le menacent encore.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Avis du ministère de la justice et de la police.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 17 juin 1810.</p>
+
+<p>«Comme tous les efforts mis en &oelig;uvre pour découvrir celui ou ceux
+ qui se sont rendus coupables d'une grave insulte faite, d'après la
+ communication officielle de la légation française, à un des
+ domestiques en livrée de Son Excellence l'ambassadeur, dans les
+ environs de l'église neuve, le 13 mai de cette année, vers les deux
+ heures après-midi, ont été jusqu'ici entièrement infructueux, et
+ qu'il est hors de doute que toutes insultes commises envers des
+ personnes appartenant à des missions étrangères sont d'autant plus
+ coupables que, non seulement elles peuvent compromettre comme toutes
+ les autres le repos public de l'endroit où elles se commettent, mais
+ qu'elles pourraient être aussi considérées comme (lésives) pour la
+ puissance à la légation de laquelle ces personnes appartiennent, et
+ avoir encore par là les suites les plus désagréables;</p>
+
+<p>«À ces causes, le ministre de la justice et de la police, à ce
+ spécialement autorisé par le roi, offre une récompense de mille
+ ducatons à celui qui fera connaître l'auteur ou les auteurs du fait
+ susdit, de manière qu'ils soient remis entre les mains de la justice
+ et convaincus du délit, le nom du délateur pouvant rester secret, au
+ cas que celui-ci le désire.</p>
+
+<p>«Le ministre susdit fait connaître en sus, par ordre exprès du roi,
+ le grand mécontentement et indignation de Sa Majesté de ce qui a eu
+ lieu, sentiments d'autant plus profonds, qu'elle attache un plus
+ grand prix à l'amitié et à la bienveillance de son auguste frère, et
+ par conséquent à prévenir tout ce qui pourrait être désagréable à Sa
+ Majesté impériale et royale. Le ministre saisit en même temps cette
+ occasion pour avertir et exhorter un chacun de s'abstenir
+ particulièrement de faire, soit par des paroles soit par des voies
+ de fait, la moindre chose qui pourrait être lésive à quelque
+ personne ou personnes appartenant à des missions étrangères, sous
+ peine d'être puni, selon l'exigence du cas d'après toute la sévérité
+ des lois.»</p>
+
+<p class="sig"><span class="min10emli"><i>Le ministre de la justice et de la police</i>,</span><br>
+ <span class="smcap">Van Hugenpoth.</span></p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p>
+<p class="date">Paris, 18 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur, S. M. impériale et royale a eu sous les yeux les dépêches
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxv" name="pagecxxv"></a>(p. cxxv)</span> que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser du 5 au 10
+ de ce mois, et par lesquelles vous rendez principalement compte des
+ entretiens que le roi a eus avec vous, des explications dans
+ lesquelles il est entré, des sentiments qu'il a manifestés et des
+ questions qu'il vous a faites.</p>
+
+<p>«Sa Majesté me charge de vous faire connaître que vous devez vous
+ borner à déclarer qu'une satisfaction suffisante, c'est-à-dire
+ complète et telle que Sa Majesté l'a demandée pour l'outrage fait à
+ son ambassadeur, doit nécessairement précéder toute discussion
+ d'affaires entre les deux gouvernements; c'est aussi la réponse que
+ je ferai à M. le chargé d'affaires de Hollande.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p>
+<p class="date">Paris, 23 juin.</p>
+
+<p>«Monsieur le maréchal, en conformité des ordres de l'empereur, j'ai
+ l'honneur de prévenir Votre Excellence que l'intention de Sa Majesté
+ est que vous fassiez sans perte de temps vos dispositions pour
+ former un camp à Utrecht, et que vous vous teniez prêt à marcher,
+ avec le 1<sup>er</sup> régiment de chasseurs et les deux autres régiments de
+ cavalerie à vos ordres (16<sup>e</sup> de chasseurs et 8<sup>e</sup> de hussards) le
+ 56<sup>e</sup>, le 93<sup>e</sup>, le 24<sup>e</sup> léger et le 18<sup>e</sup> de ligne et avec 12 pièces
+ de canons, sur Amsterdam, que l'empereur trouve nécessaire
+ d'occuper. Vous voudrez bien me faire connaître, par le retour de
+ l'officier chargé de la présente, quand vous serez prêt pour cette
+ expédition, S. M. se proposant de vous envoyer des ordres sur la
+ conduite que vous devez tenir.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 23 juin 1810.</p>
+
+<p>«Votre Excellence pourra voir, par l'office ci-joint de M. Roëll
+ dont je lui remets copie, l'inquiétude que donne au gouvernement
+ hollandais l'arrivée de nouveau corps français dans le royaume. J'ai
+ répondu à ce ministre que j'allais transmettre à Votre Excellence
+ les observations qu'il m'adressait à cet égard et que je
+ m'empresserais de lui faire connaître la réponse que je recevrais.</p>
+
+<p>«M. Roëll est venu me faire ses adieux. Il m'a dit sur la situation
+ de son pays et les déterminations du roi des choses fort touchantes
+ que je ne répartirai point à Votre Excellence, parce que je suppose
+ qu'elle les aura entendues de sa propre bouche au moment où cette
+ dépêche lui parviendra, le projet de M. Roëll étant de traverser
+ Paris pour se rendre <span class="pagenum"><a id="pagecxxvi" name="pagecxxvi"></a>(p. cxxvi)</span> aux eaux et de faire une visite à
+ son passage à Votre Excellence. M. Roëll n'est pas sans doute
+ chaudement dans le système français et il a des torts en arrière;
+ mais je lui dois cette justice que, depuis un mois, et
+ particulièrement dans les affaires de l'insulte faite à
+ l'ambassadeur et des cargaisons américaines, il a montré beaucoup de
+ rondeur et les obstacles qui les ont retardées ne sont pas venus de
+ lui. Les affections ne seront pas, de longtemps peut-être,
+ françaises en Hollande, mais la conviction et la raison nous
+ ramènent tous les jours quelques esprits.</p>
+
+<p>«Le portefeuille des affaires étrangères, dans l'absence de M.
+ Roëll, est confié à M. Van der Heim, ministre de la marine et des
+ colonies, déjà connu de Votre Excellence par la correspondance de M.
+ le comte de La Rochefoucauld. C'est un homme d'une grande
+ expérience, de beaucoup de droiture et d'honnêteté, mais chez qui
+ les inclinations, les vues et les idées sont bien anciennement
+ anglaises, et par là difficiles à déraciner. Son département a été
+ jusqu'à ce moment le plus mauvais de tous par l'esprit qui y règne.
+ Votre Excellence va pouvoir bientôt juger de ce que pourra sur son
+ esprit l'empire des circonstances. J'ai eu hier ma première
+ conversation avec M. Van der Heim. M'abandonnant à peu près le
+ passé, il s'est arrêté à l'état présent des affaires et m'a fait sa
+ profession de foi. Il ne conçoit plus qu'un système et qu'une voie
+ de salut pour la Hollande, c'est de s'abandonner sans réserve à
+ l'empereur. M. Van der Heim prétend que le roi lui paraît
+ entièrement arrêté dans cette résolution, et si je dois l'en croire,
+ la conviction du ministère à cet égard est tellement unanime, que
+ l'on ne doit plus craindre la déviation de ce nouveau système. Le
+ temps apprendra quelle confiance on peut placer dans ces
+ protestations.</p>
+
+<p>«Dans une dernière conférence avec M. Roëll, je lui avais dit qu'il
+ m'était revenu que l'on continuait à Haarlem de visiter les barques
+ pour s'assurer s'il ne s'y trouvait pas de Français. Je lui avais
+ fait sentir tout ce que ces précautions ont de ridicule et
+ d'injurieux pour Sa Majesté l'empereur, qui, s'il eût été dans ses
+ desseins d'occuper Amsterdam, y aurait fait entrer ses troupes, non
+ pas furtivement et dans des barques, mais en plein jour et par les
+ portes, et combien ces mesures étaient peu d'accord avec ce que l'on
+ m'avait chargé de transmettre. J'avais ajouté à M. Roëll que, s'il
+ devait me revenir plusieurs faits de ce genre, je serais obligé d'y
+ voir cette intention d'insulte et cette attitude hostile prévues par
+ mes instructions. Le roi, m'a dit M. Van der Heim, informé de mes
+ plaintes, a sévèrement réprimandé les ordonnateurs des visites et
+ expressément défendu qu'elles eussent lieu à l'avenir. Je
+ m'assurerai si les intentions du roi sont remplies.</p>
+
+<p>«M. Van der Heim m'a aussi parlé de son département et des efforts
+ qu'il faisait pour armer ses trois escadres, dont deux étaient à peu
+ près <span class="pagenum"><a id="pagecxxvii" name="pagecxxvii"></a>(p. cxxvii)</span> disponibles. Il me cita particulièrement celle de
+ M. l'amiral de Winter, à Helvoët, composée du <i>Royal hollandais</i> et
+ du <i>Chatam</i>. Je lui demandai s'il regardait comme en effet
+ disponibles deux vaisseaux à trois ponts qui n'avaient pas 200
+ hommes d'équipage, quand il en faudrait plus de 600 pour les faire
+ man&oelig;uvrer. Je venais d'apprendre ce fait d'un officier attaché à
+ l'état-major de l'amiral. Le ministre parut frappé de l'exactitude
+ de mes renseignements et se rejeta sur le manque d'argent et la
+ difficulté des enrôlements, à quoi j'eus encore bien des
+ observations à lui faire, et il ajouta enfin, qu'au besoin on n'y
+ mettrait des soldats.</p>
+
+<p>«M. Van der Heim me témoigna qu'il croyait au roi le désir de
+ m'entretenir sur les affaires, et m'assura que je serais reçu par Sa
+ Majesté, toutes les fois que je le souhaiterais, à Haarlem comme à
+ Amsterdam. Je me montrai extrêmement sensible à cette honorable
+ facilité qui m'était donnée. Je répétai à M. Van der Heim ce que
+ j'avais dit à M. Roëll de mon empressement à me rendre aux ordres du
+ roi, toutes les fois que Sa Majesté me ferait l'honneur de
+ m'appeler, mais je lui fis sentir qu'il y aurait de l'inconvenance à
+ ce que j'allasse déranger le roi pour les moindres affaires, et,
+ j'ajoutai que, pour l'instant, je n'avais de mon côté, rien d'assez
+ intéressant à communiquer à Sa Majesté pour m'autoriser à profiter
+ du privilège qu'elle daignait m'accorder. Je me flatte que Votre
+ Excellence approuvera ma réserve.</p>
+
+<p>«Je reçois du département des affaires étrangères des plaintes
+ continuelles contre les douanes françaises. J'ai déjà répondu, et je
+ vais insister sur ce point, que les douanes n'étant point, comme les
+ Consulats, placées sous ma surveillance, mais bien sous celle de M.
+ le Maréchal, duc de Reggio, c'est multiplier très inutilement les
+ écritures que de m'adresser des réclamations que je ne peux que
+ transmettre sans prendre aucune part aux décisions qu'elles
+ provoquent. Mais je dirai en même temps au ministère des affaires
+ étrangères, que dans les cas où l'on ne pourrait pas s'entendre
+ entre Utrecht et Amsterdam, et où l'on voudrait s'adresser
+ officiellement à Sa Majesté impériale et royale, je serai prêt à
+ transmettre ce qui me serait écrit par le gouvernement hollandais.</p>
+
+<p>«J'ai reçu hier une lettre de M. Roëll par laquelle il m'annonce
+ l'envoi d'un mandat de 2,000 florins, pour mon droit aux indemnités
+ des ministres étrangers dans cette cour, en vertu de l'article 5 du
+ règlement sur cet objet. Cette indemnité remplace les franchises
+ dont les ambassadeurs jouissent dans les autres cours, mais qui sont
+ incompatibles avec le système financier de ce pays. Le règlement
+ fixe cette indemnité à une somme une fois payée de 4,000 florins
+ pour les ambassadeurs, 2,000 pour les ministres et 1,000 pour les
+ chargés d'affaires. On s'était donc trompé en doublant cette somme
+ pour moi, et plus <span class="pagenum"><a id="pagecxxviii" name="pagecxxviii"></a>(p. cxxviii)</span> encore en oubliant que je l'ai déjà
+ reçue, il y a deux ans, à l'époque du premier intérim qui suivit le
+ règlement. Je viens donc de renvoyer au ministre son mandat, en me
+ bornant à lui rappeler les dispositions de ce même règlement dont on
+ s'autorise pour me l'offrir. J'ignore s'il y a eu, dans cette
+ libérale négligence de la caisse des affaires étrangères, des
+ intentions dont je pourrais me blesser; mais dans tous les cas, j'ai
+ trouvé plus de dignité à ne pas en montrer le soupçon.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clarke à Oudinot.</p>
+<p class="date">Paris, 25 juin.</p>
+
+<p>«M. le Maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre
+ Excellence, par ma lettre du 23 courant, les intentions de
+ l'empereur, relativement aux forces que vous devez réunir à Utrecht
+ et je vous ai prévenu que Sa Majesté se proposait de vous envoyer
+ des ordres sur la conduite que vous auriez à tenir; je viens
+ aujourd'hui vous les transmettre.</p>
+
+<p>«Aussitôt que vous aurez réuni à Utrecht assez de troupes pour
+ marcher sur Amsterdam, vous voudrez bien écrire au chargé d'affaires
+ de Sa Majesté l'empereur, que les troupes françaises ayant été
+ insultées, et les portes d'Harlem leur ayant été fermées, vous
+ demandez réparation de cette offense.</p>
+
+<p>«Que les Aigles françaises peuvent aller dans tous les pays amis et
+ alliés;</p>
+
+<p>«Que, depuis 15 ans, les troupes françaises ont constamment pu
+ parcourir toutes les parties de la Hollande;</p>
+
+<p>«Que le traité ne fait exception d'aucun point; que c'est donc un
+ outrage gratuit que les Hollandais ont fait aux troupes françaises;</p>
+
+<p>«Que l'empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles
+ forces entrassent en Hollande.</p>
+
+<p>«Vous ferez observer en outre que vos instructions ne vous
+ prescrivaient point d'occuper Amsterdam, où vous n'aviez rien à
+ faire, mais, que le défi porté aux troupes françaises, en leur
+ fermant les portes, les intrigues anglaises, tendant à armer les
+ Hollandais contre les Français, ont provoqué l'ordre que vous avez
+ reçu de vous présenter devant les portes d'Amsterdam; que c'est aux
+ Hollandais à voir s'ils veulent nous traiter en amis et alliés, ou
+ en ennemis; s'ils veulent se livrer aux conseillers perfides qui
+ s'agitent autour du roi pour perdre leur pays.</p>
+
+<p>«L'empereur veut que vous vous arrangiez de manière à être devant
+ Amsterdam deux jours après l'envoi de votre lettre au chargé
+ d'affaires de France.</p>
+
+<p>«Sa Majesté me charge encore de vous dire, qu'il n'y a qu'un moyen
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxix" name="pagecxxix"></a>(p. cxxix)</span> pour la ville d'Amsterdam de prévenir tout embarras;
+ c'est de recevoir les troupes françaises en triomphe et de leur
+ donner une fête qui fasse disparaître toutes les acrimonies;
+ l'empereur ne voulant souffrir dans aucun pays, qu'on ait l'air de
+ repousser et d'insulter les troupes françaises.</p>
+
+<p>«Vous voudrez bien me faire connaître, en réponse, les dispositions
+ que vous aurez prises pour l'exécution des ordres de Sa Majesté.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore à Serrurier.</p>
+<p class="date">Paris, 25 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur, ainsi que j'eus l'honneur de vous l'écrire le 9 de ce
+ mois, Sa Majesté n'avait point l'intention de faire occuper
+ Amsterdam et n'y avait pas même songé. Mais, une mesure qu'elle
+ avait jugée inutile, si le gouvernement de Hollande n'eût pas montré
+ un dessein formel de s'y opposer et n'eût pas fait dans cette vue
+ des préparatifs, a été rendue nécessaire par ces préparatifs
+ mêmes<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a><a href="#footnote159" title="Lien vers la note 159"><span class="smaller">[159]</span></a>. Comme chef de la ligue continentale, Sa Majesté doit
+ constater et maintenir son droit de porter des forces partout où le
+ bien de la cause commune l'exige. Elle avait d'ailleurs à venger,
+ outre l'offense faite dans Amsterdam à son ambassadeur et qui n'a
+ point été réparée, l'outrage que l'on a fait à Haarlem aux Aigles
+ Impériales, en leur refusant le passage et en menaçant de tirer sur
+ elles. L'ordre a été en conséquence donné à M. le Maréchal, duc de
+ Reggio, de se porter sur Amsterdam et d'occuper cette ville. En
+ l'annonçant au ministre du roi, vous vous attacherez bien moins à
+ combattre ou à prévenir des idées de résistance, car je ne puis
+ supposer que l'on en ait aucune de cette espèce, qu'à faire sentir
+ que le gouvernement de Hollande peut profiter de cette circonstance
+ pour réparer ses torts et recouvrer les bonnes grâces de Sa Majesté
+ impériale et royale. Si les troupes françaises arrivent à Amsterdam,
+ y sont reçues en triomphe, si la ville donne un grand repas aux
+ soldats, si le roi et la cour donnent l'exemple des prévenances et
+ des égards envers la France, nul doute que la meilleure intelligence
+ ne règne aussitôt entre les deux nations, et que l'empereur n'oublie
+ volontiers des torts <span class="pagenum"><a id="pagecxxx" name="pagecxxx"></a>(p. cxxx)</span> ainsi réparés. Mais, c'est là le
+ seul moyen de les lui faire oublier, et vous aurez soin de
+ l'insinuer aux ministres du roi.</p>
+
+<p>«Après que l'expédition de M. le Maréchal, duc de Reggio, sera
+ consommée, vous demanderez que tous les canons soit transportés sur
+ les côtes et qu'on cesse de s'occuper des lignes.</p>
+
+<p>«Tels sont, Monsieur, les ordres que Sa Majesté me charge de vous
+ transmettre.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Au roi de Hollande.</p>
+
+<p>«D'autres troupes entrent par Nimègue. L'empereur qui, par
+ ménagement pour Votre Majesté, n'avait pas voulu occuper Amsterdam,
+ s'est maintenant décidé à y faire entrer ses troupes. Il a regardé
+ comme un défi le projet de défendre cette ville et les lignes qu'on
+ a fortifiées autour de son enceinte. Rien ne l'indigne comme ce
+ projet; en vain on essaye actuellement de le désavouer. L'empereur
+ en trouve la preuve dans ce que Votre Majesté a dit au chargé
+ d'affaires de France, qu'elle ferait fermer les portes d'Amsterdam,
+ afin que les Français ne puissent y entrer que par force, quoiqu'on
+ ne pût leur opposer que cette résistance passive, qui servirait au
+ moins à constater la violence dont ils useraient; et ici, que Votre
+ Majesté me pardonne encore de lui dire des choses si pénibles.
+ L'empereur se récrie sur cette conduite inconvenable, «dit-il, de la
+ part de mon frère, d'un prince français, de celui qui devrait
+ regarder comme son premier titre de français, que j'ai élevé, que
+ j'ai fait roi. Insulter mes Aigles! fermer les barrières devant
+ elles! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande
+ jusqu'au Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Sarre, l'Aigle Impériale
+ est accueillie et honorée, et une telle injure lui serait faite par
+ la Hollande, conquise par les armes françaises, et dont
+ l'indépendance est un bienfait de la France!</p>
+
+<p>«Si cette menace, ajoutait l'empereur, avait été faite par
+ l'Autriche ou la Russie, la guerre en aurait été la suite. Si
+ c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg, qui se
+ fût porté à cette indignité, la perte de son trône en aurait été le
+ résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai
+ aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande,
+ pays malsain, mais il faut punir la folie de ceux qui ont poussé la
+ témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais
+ dans ce pays.»</p>
+
+<p>«Sire, je vous exprime d'une manière vive mais vraie l'indignation
+ de l'empereur. Je crois qu'il est encore au pouvoir de Votre Majesté
+ de l'apaiser. Que les troupes françaises soient reçues en triomphe à
+ Amsterdam; que Votre Majesté soit la première à donner l'exemple
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxxi" name="pagecxxxi"></a>(p. cxxxi)</span> d'un accueil honorable et amical; que cet exemple soit
+ suivi; que les Hollandais traitent les soldats français comme des
+ frères; ils trouveront en eux des amis.</p>
+
+<p>«Les insultes faites à Rotterdam à des officiers français n'ont pas
+ moins irrité l'empereur. Il a donné des ordres sévères à l'égard de
+ cette ville qu'il sait être habitée par des partisans des Anglais.
+ Le premier écart qu'ils se permettraient serait puni avec rigueur.</p>
+
+<p>«Tels sont, Sire, les motifs de courroux de l'empereur. Il ne
+ s'apaisera, et Sa Majesté ne recevra quelque ouverture de la
+ Hollande, que lorsque les fortifications élevées autour d'Amsterdam
+ auront été détruites, les canons transportés sur les côtes, les
+ coupables de l'insulte faite à la livrée de l'empereur punis de
+ mort, le ministre de la police renvoyé, l'ancien bourgmestre
+ rappelé. Tel est, Sire, le résumé de ce que m'a dit l'empereur.
+ J'exprime de nouveau à Votre Majesté l'extrême regret que j'éprouve
+ à lui communiquer ces douloureux détails.</p>
+
+<p>«Je dois actuellement lui parler de la mission de M. Valkenaer.</p>
+
+<p>«Il m'a dit que Votre Majesté offrait de prêter à l'empereur foi et
+ hommage, comme à son souverain. Sire, cette forme n'est plus de nos
+ jours, et quant à la dépendance qu'elle exprime, l'empereur, qui la
+ regarde comme déjà existante de droit et de fait, ne pourrait y voir
+ une concession. L'empereur, souverain du grand empire, chef de la
+ ligue continentale, et devenu par la force de ses armes et de son
+ génie l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le suzerain de
+ plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du roi
+ de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des
+ droits bien plus étendus sur ce pays, que sa position entre la
+ France et l'Angleterre rend si intéressant pour lui. L'empereur a
+ même vu dans cette offre la suite de ces fausses idées par
+ lesquelles il prétend qu'on séduit et qu'on entraîne Votre Majesté,
+ et qui tendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui
+ attribuer une indépendance incompatible avec ses devoirs et sa
+ position.</p>
+
+<p>«M. Valkenaer m'a aussi parlé du tribut auquel se soumettait Votre
+ Majesté. Sans doute, M. Valkenaer s'est trompé d'époque; il s'est
+ cru encore au temps du Directoire. L'empereur, fort d'un revenu de
+ 800 millions et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni
+ d'argent, ni de crédit, ni de papier. Ce n'est point de l'argent
+ qu'il demande à la Hollande, ce sont des vaisseaux et des soldats,
+ conformément au traité. On m'a dit que Votre. Majesté réclamait à ce
+ prix le commandement des troupes. Que Votre Majesté me pardonne si,
+ connaissant le profond mécontentement de l'empereur, je n'ai pas osé
+ placer cette demande sous ses yeux. L'empereur se plaint de ce
+ qu'aucune condition du traité <span class="pagenum"><a id="pagecxxxii" name="pagecxxxii"></a>(p. cxxxii)</span> n'est remplie. Lorsque je
+ lui ai rendu compte des progrès de vos armements, que me faisait
+ connaître votre chargé d'affaires, il m'objecta qu'il n'y avait pas
+ un équipage formé. Lorsque je lui ai soumis la liste des bâtiments
+ américains dont les cargaisons devaient être mises à sa disposition,
+ il a observé que ces cargaisons n'étaient pas complètes, que la plus
+ grande partie en avait été détournée, qu'on avait grossi la liste
+ des prises faites par nos corsaires, comme si la Hollande voulait
+ s'acquitter à leurs dépens. L'empereur exige que tout soit rendu.
+ L'empereur reproche au gouvernement hollandais d'avoir donné des
+ licences et autorisé par là un commerce interlope blâmable en
+ lui-même et contraire au traité. Tels sont les motifs des nouvelles
+ dispositions de l'empereur et de l'entrée en Hollande d'une plus
+ grande masse de troupes françaises. L'empereur dit qu'il n'a pas
+ voulu laisser égorger les 6,000 Français qu'il y avait placés. Il
+ dit encore que dans cette occasion il a dû faire taire la voix de la
+ nature et tous les sentiments de son c&oelig;ur pour n'écouter que les
+ intérêts de son peuple en maintenant tous les droits de son trône.</p>
+
+<p>«Sire, je viens de remplir une tâche pénible, la justice de Votre
+ Majesté me répond qu'elle ne méconnaîtra pas ce qu'il m'en a coûté.
+ J'aurais trahi sa confiance et celle de l'empereur si j'avais tenu
+ un autre langage; mais il m'est consolant de pouvoir ajouter qu'en
+ donnant à l'empereur la satisfaction qu'il désire, en éloignant les
+ conseils auxquels il aime encore à attribuer les erreurs et les
+ torts dont il se plaint, en soumettant à son influence
+ l'administration de la Hollande, enfin en gouvernant d'après ses
+ principes et ses v&oelig;ux, et en restant fermement attachée à son
+ système, Votre Majesté peut encore reconquérir la bienveillance de
+ son auguste frère et régner heureux et tranquille en faisant le
+ bonheur de son peuple, regardé alors comme l'ami et l'allié de la
+ nation française dont il partagerait les destinées.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p>
+<p class="date">Utrecht, 26 juin 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, si, comme S. M. l'empereur paraît l'avoir décidé, je
+ suis destiné à entrer à Amsterdam, je vous conjure de me mettre à
+ mon aise pour ma conduite envers le roi de Hollande.</p>
+
+<p>«Jusqu'alors j'ai, <i>sans m'écarter de mes devoirs et de ma
+ fidélité</i>, su respecter le sang, et je continuerai dans ces
+ principes, à moins que je n'aie un ordre contraire de la part de mon
+ souverain: enfin, désignez-moi dans cette circonstance, si
+ l'empereur lui-même ne me dicte pas ma règle de conduite.</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxxiii" name="pagecxxxiii"></a>(p. cxxxiii)</span> <p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 26 juin 1810.</p>
+
+<p>«Le roi est toujours à Haarlem, attendant le retour de mon courrier
+ et le résultat du double voyage de M. Valkenaer et de M. Roëll. On
+ dit que Sa Majesté viendra demain à Amsterdam. J'apprends que l'on
+ se flatte ici d'une prochaine dislocation des troupes destinées pour
+ la Hollande. Je désire sans doute, Monseigneur, que S. M. Impériale
+ juge pouvoir accorder les v&oelig;ux de ce pays avec les grands
+ intérêts de son empire, mais ce que j'ai pu acquérir de connaissance
+ des hommes et des choses, en Hollande, me fait souhaiter que la
+ distribution des troupes françaises dans ce royaume, et surtout dans
+ le rayon de sa frontière, n'éprouve pas de changement, jusqu'au
+ moment où les déterminations de Sa Majesté auront été arrêtées par
+ elle, mises à exécution, et les garanties données, s'il y a lieu,
+ car l'esprit du gouvernement est encore, malgré ses protestations,
+ bien loin de ce que l'on doit désirer.</p>
+
+<p>«Le roi vient de faire de grandes réformes et qui sont, suivant le
+ vieux système, tombées presque en entier sur les Français à son
+ service. On les renvoie avec toutes sortes de dégoûts. Je
+ maintiendrai en leur faveur l'article du décret par lequel S. M.
+ l'empereur, en autorisant ses sujets à rester au service de cette
+ couronne, stipule qu'ils ne pourront être renvoyés sans pension ou
+ retraite.</p>
+
+<p>«Le gouvernement est fort occupé de la formation de son budget. Ses
+ embarras sont excessifs. Le roi a diminué assez considérablement sa
+ maison, mais cette économie est peu sensible parmi les besoins
+ extrêmes du moment. L'état des finances du royaume est déplorable au
+ delà de ce qui peut se concevoir. La ressource ruineuse des arriérés
+ et des anticipations est épuisée, et l'on ne trouverait pas dix
+ millions à emprunter. Qu'est-ce, en effet, qu'un État qui n'a pas de
+ revenu et qui n'a point de crédit pour s'en procurer un artificiel?
+ ou qui l'a perdu, ce qui est pis encore. Je dis qui n'a point de
+ revenu, puisqu'il est absorbé en entier par l'intérêt de sa dette.
+ Je me réserve, Monseigneur, de développer mes opinions à cet égard à
+ Votre Excellence, lors du rapport que j'aurai l'honneur de lui faire
+ dans quelques jours sur le budget qui aura été arrêté.</p>
+
+<p>«On ne parle plus de la défense. Cependant les lignes restent
+ toujours gardées comme on pourrait faire en présence de l'ennemi. Je
+ souhaiterais des ordres à cet égard.</p>
+
+<p>«On annonce un cercle pour demain. J'aurai soin d'être indisposé.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;M. de Caraman arrive. Il m'a redit, Monseigneur, les
+ instructions verbales dont Votre Excellence l'a chargé pour moi.
+ Votre <span class="pagenum"><a id="pagecxxxiv" name="pagecxxxiv"></a>(p. cxxxiv)</span> Excellence peut être assurée que je les suivrai à
+ la lettre. J'attends demain des visites d'affaires. J'aurai
+ l'honneur d'écrire à Votre Excellence.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">M. Van-der-Heim à Serrurier.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 28 juin 1810.</p>
+
+<p>«Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous faire connaître que,
+ d'après la conversation qu'elle a eue avec vous, elle a ordonné à
+ son ministre de la police et justice de vous donner connaissance de
+ l'état de la procédure contre le malheureux qui, excité par l'appât
+ de gagner la prime promise pour la découverte de l'individu qui a
+ insulté le cocher de M. l'ambassadeur, s'est dénoncé être le
+ coupable, afin que vous puissiez être assuré de l'activité avec
+ laquelle elle se poursuit et laquelle sera encore accélérée aussitôt
+ le retour dudit cocher.</p>
+
+<p>«Sa Majesté a dû même forcer l'ancien bourgmestre à rentrer dans la
+ place qu'il n'avait quittée que sur ses instances réitérées. Elle
+ désire vivement que vous fassiez parvenir le plus promptement
+ possible à Sa Majesté impériale et royale la nouvelle assurance que,
+ se reposant entièrement sur l'équité de Sa Majesté impériale et
+ royale, le roi n'a été et n'est occupé qu'à chercher tous les moyens
+ possibles d'exécuter le traité et même de faire de plus tout ce qui
+ est en son pouvoir, qui soit agréable à l'empereur.</p>
+
+<p>«C'est dans cette intention que, malgré les difficultés des
+ finances, il a conservé toutes les troupes sous les ordres du duc de
+ Reggio et complété les 12,000 hommes. Les marchandises américaines
+ sont à la disposition des douaniers français.</p>
+
+<p>«On a mis toute l'activité possible à l'armement de l'escadre, de
+ sorte qu'à la fin de juillet six vaisseaux de ligne seront en rade;
+ les trois autres ne pourront l'être qu'au mois d'octobre; tous les
+ autres bâtiments sont prêts.</p>
+
+<p>«Le roi vous prie d'engager Mgr le duc de Cadore à faire valoir les
+ bonnes intentions et les efforts du roi et de le bien assurer que
+ son unique but est et sera à jamais d'obtenir l'amitié de Sa Majesté
+ impériale et royale.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 juin 1810.</p>
+
+<p>«On s'était trompé en m'annonçant qu'il y aurait aujourd'hui grand
+ cercle à la cour. Sa Majesté recevra, à la vérité, mais un petit
+ nombre de nationaux et point d'étrangers.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagecxxxv" name="pagecxxxv"></a>(p. cxxxv)</span> «J'avais depuis longtemps le désir d'aller rendre ma
+ visite de voisinage à M. le maréchal duc de Reggio. J'ai réalisé
+ hier matin ce projet. Après avoir déjeuné avec M. le maréchal et
+ passé quelques moments encore avec Son Excellence, je suis monté en
+ voiture et suis revenu dîner à Amsterdam.</p>
+
+<p>«Le soir, il y eut cercle chez le grand-chambellan. J'y rencontrai
+ M. Van-der-Heim qui, apprenant que M. Caraman était arrivé la
+ veille, vint me demander s'il m'avait rapporté une réponse de
+ l'empereur aux ouvertures que le roi m'avait chargé de transmettre à
+ Sa Majesté impériale et royale. Je dis à M. Van-der-Heim que M. de
+ Caraman ne m'avait rien rapporté, que seulement j'étais instruit que
+ Sa Majesté impériale et royale gardait un sentiment profond de
+ l'insulte faite à son ambassadeur et du retard apporté à la
+ satisfaction que j'avais été chargé de demander, comme aussi de
+ l'accueil hostile fait à la patrouille française devant Haarlem, et
+ que Sa Majesté attendait la satisfaction qui lui était due pour ces
+ graves outrages. M. Van-der-Heim me mit alors en avant la
+ proclamation publiée au sujet de l'insulte faite aux gens de M. de
+ La Rochefoucauld et de l'intention où l'on était de suivre cette
+ affaire aussitôt l'arrivée du cocher. Je répondis que la
+ proclamation était à la vérité une mesure convenable mais tardive et
+ surtout insuffisante, que les demandes que j'avais formées de la
+ remise des coupables et de la réintégration de l'ancien bourgmestre
+ n'avaient pas eu d'effet jusqu'ici, et que Sa Majesté impériale et
+ royale n'était satisfaite sur aucun point; comme il m'alléguait que
+ l'on avait abandonné ici toute espèce d'attitude hostile, je lui
+ demandai comment je devais donc considérer ce cercle tracé en avant
+ de l'armée française, ces redoutes, ces canons et tout cet appareil
+ qui semble annoncer qu'on est en présence d'ennemis. Je lui demandai
+ si on ferait autre chose en Hollande dans le cas d'une descente des
+ Anglais. M. Van-der-Heim me répéta ses protestations de l'intention
+ où est le gouvernement de s'en remettre entièrement à la générosité
+ de l'empereur et de renoncer à toute attitude qui pourrait offenser
+ Sa Majesté impériale et royale. Je répondis que dans ces sortes de
+ choses les paroles ne suffisaient pas et que les faits continuaient
+ d'être contre le gouvernement.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim me parla sur un ton très amer de la conduite de nos
+ corsaires qui, selon lui, ne respectaient rien, et me dit que si
+ cela devait continuer, il serait impossible d'empêcher les paysans
+ de jeter ces gens à la mer. Je répondis avec hauteur que le jour où
+ un pareil attentat serait commis serait un jour bien funeste pour la
+ Hollande et surtout pour les hommes qui, loin de chercher à adoucir
+ les aigreurs, se seraient montrés zélés à les développer; que pour
+ moi j'étais tranquille sur le sort des Français en Hollande; que Sa
+ Majesté impériale et royale trouverait le moyen de faire respecter
+ ses sujets ou de les <span class="pagenum"><a id="pagecxxxvi" name="pagecxxxvi"></a>(p. cxxxvi)</span> venger, s'ils étaient insultés,
+ et, pour montrer que je ne souffrirais pas que l'on me parlât, en
+ Hollande, sur ce ton de menaces, je quittai brusquement M.
+ Van-der-Heim et allai m'asseoir à la partie qui m'était destinée. M.
+ Van-der-Heim a de la raideur, mais j'espère lui prouver que j'en
+ sais trouver aussi, quand les formes de la politesse et de la
+ modération ne suffisent pas.</p>
+
+<p>«Plusieurs personnes, parmi lesquelles des ministres étrangers, sont
+ venues hier à moi pour me demander s'il était vrai que Sa Majesté
+ l'empereur et roi demandât à la Hollande un emprunt de cinquante
+ millions. Je vis l'intention et me hâtai de répondre que ce fait
+ n'était pas à ma connaissance et que j'avais toute raison de ne pas
+ y croire, que je savais parfaitement que ce que mon souverain avait
+ toujours demandé à la Hollande n'avait pas été de l'argent, dont Sa
+ Majesté impériale et royale n'avait assurément pas besoin, mais une
+ conduite et un système franchement français, et que jamais jusqu'ici
+ un v&oelig;u aussi raisonnable n'avait pu être rempli.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim vient de répondre à la lettre par laquelle je lui
+ avais renvoyé son mandat. Il prétend qu'il ne me l'a envoyé que
+ parce que la chambre des comptes avait jugé que cette somme m'était
+ due, comme étant de nouveau chargé d'affaires. Telle n'est point
+ certainement l'intention du règlement. Cependant, il est possible
+ qu'il n'y ait pas eu en ceci d'arrière-pensée. Mais en tout état de
+ choses, je ne regrette point le refus que j'en ai fait.</p>
+
+<p>«On me demande à l'instant chez le roi. Demain matin j'aurai
+ l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de cette nouvelle
+ audience.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 29 juin 1810.</p>
+
+<p>«Je me suis rendu hier à quatre heures chez le roi, d'après
+ l'invitation que j'en avais reçue du chambellan de service. Sa
+ Majesté m'a témoigné la douleur qu'elle avait ressentie d'apprendre
+ que M. de Caraman n'eût point apporté de réponse aux ouvertures
+ qu'elle m'avait chargé de transmettre de sa part à Votre Excellence.
+ Le roi me dit que s'étant jeté dans les bras de l'empereur et lui
+ ayant remis son sort, celui de ses enfants et de son pays, il avait
+ attendu avec confiance les résultats de sa démarche, et qu'elle
+ était profondément affligée qu'elle n'ait rien obtenu sur le c&oelig;ur
+ de son auguste frère. Je répondis au roi qu'en effet je n'avais
+ point reçu de réponse à la lettre dont j'avais chargé M. de Caraman.
+ Je répétai à Sa Majesté ce que j'avais dit à son ministre, que
+ seulement il était à ma connaissance que S. M. l'empereur était
+ toujours profondément blessé de l'outrage fait à son ambassadeur,
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxxvii" name="pagecxxxvii"></a>(p. cxxxvii)</span> outrage qui n'était point encore réparé, et de
+ l'insulte plus récente faite à ses aigles en avant de Haarlem; que
+ les protestations étaient nécessairement insuffisantes dans des
+ choses qui touchaient d'aussi près à l'honneur des gouvernements et
+ que des faits seuls et des réparations éclatantes pouvaient
+ satisfaire des souverains. Le roi me demanda quelle était donc cette
+ satisfaction éclatante que désirait l'empereur, ajoutant qu'il la
+ donnerait, quelle qu'elle pût être, étant déterminé à faire tout
+ pour apaiser son auguste frère. Je répondis à Sa Majesté qu'elle
+ trouverait ce moyen de satisfaire S. M. impériale dans les deux
+ demandes que j'avais eu précédemment l'honneur de lui faire, savoir:
+ la réintégration de M. Van-der-Poll et la remise des coupables, dans
+ l'affaire des gens de l'ambassadeur, entre les mains des autorités
+ françaises. Ici, le roi montra une profonde répugnance à la
+ réinstallation de M. Van-der-Poll, que Sa Majesté prétendit avoir
+ demandé sa démission et s'être refusé à rentrer dans sa place. Elle
+ me déclara que toute autre satisfaction lui serait moins pénible et
+ serait, dans son opinion, moins avilissante pour son autorité. Sa
+ Majesté ajouta cependant de suite que si l'empereur l'exigeait, elle
+ forcerait ce magistrat à reprendre sa place.</p>
+
+<p>«Le roi vint ensuite à l'affaire de l'ambassadeur. Sa Majesté
+ m'annonça que la procédure était entamée, que déjà un homme était
+ venu se déclarer le coupable, que c'était un malheureux dont la
+ famille était ruinée et que l'on supposait avoir fait cette démarche
+ pour avoir les mille ducatons promis; que, cependant, on allait
+ l'examiner, et qu'il serait confronté de suite avec le cocher de
+ l'ambassadeur aussitôt son arrivée; mais que la présence de cet
+ homme était indispensable pour les confrontations. Sa Majesté me
+ pria de l'envoyer au grand bailli aussitôt son retour.</p>
+
+<p>«Le roi me montra aussi le dessein de renvoyer à Paris M. l'amiral
+ Verhuell, comme simple particulier, pour porter aux pieds du trône
+ impérial l'expression de ses sentiments et de ses v&oelig;ux.</p>
+
+<p>«Le roi m'ayant parlé de ses lignes, je lui représentai combien
+ cette attitude était injurieuse pour les armes impériales et le
+ scandale qu'elle présentait à l'Europe. Sa Majesté me représenta
+ qu'elle avait renvoyé tous les canonniers qui les occupaient aux
+ batteries des côtes et qu'elles avaient entièrement perdu de vue ce
+ qu'on avait pu y voir de menaçant. Elle ajouta qu'elle n'avait
+ jamais eu la pensée d'arrêter les mouvements des troupes françaises,
+ mais que le dernier traité, ne portant pas qu'elles occuperaient
+ Amsterdam, elle se croyait obligée à ne point y donner son
+ consentement. Que, du reste, l'empereur était assurément bien le
+ maître d'en user comme Sa Majesté le jugerait convenable. Je
+ répliquai au roi qu'il était à ma connaissance que Sa Majesté
+ impériale n'avait aucunement pensé à mettre garnison dans Amsterdam
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxxviii" name="pagecxxxviii"></a>(p. cxxxviii)</span> à l'époque où l'on prit occasion de cette supposition
+ pour prendre l'attitude hostile où l'on se trouvait placé vis-à-vis
+ d'elle.</p>
+
+<p>«À la suite de cette explication, je quittai le roi, qui me
+ renouvela la demande instante de transmettre tout de suite à Votre
+ Excellence le résultat de cette audience et de la prier d'être
+ encore une fois, auprès de Sa Majesté impériale, l'interprète de ses
+ déterminations dans ces circonstances. Sa Majesté désire que Votre
+ Excellence veuille répéter à S. M. l'empereur qu'elle est prête à
+ souscrire à tous les engagements qu'elle voudra lui prescrire pour
+ rentrer dans ses bonnes grâces.</p>
+
+<p>«Je me sers, Monseigneur, autant que je le puis, comme Votre
+ Excellence peut le concevoir, des expressions mêmes du roi, sans
+ vouloir y ajouter ou y retrancher, pareilles communications ne
+ pouvant être rendues avec trop de fidélité. Je ne cacherai point à
+ Votre Excellence que ces audiences du roi me gênent extrêmement et
+ que j'aurais souhaité que mon ordre d'être indisposé se fût étendu
+ jusqu'aux jours où je suis demandé chez Sa Majesté, je sens que je
+ serais fort à l'aise et traiterais facilement avec un prince de
+ naissance et de toutes les plus puissantes maisons de l'univers;
+ mais ce titre si grand, si imposant pour un Français, de frère de
+ l'empereur, se présente toujours à ma pensée au moment où je discute
+ avec le roi de Hollande. Il détermine ces ménagements et ces égards
+ sur lesquels je sais bien que Votre Excellence ne se trompe pas,
+ mais que S. M. impériale pourrait attribuer à de la faiblesse, et si
+ je n'avais pas déjà le bonheur de pouvoir montrer à mon souverain
+ que je ne connais pas ce sentiment quand il y va de son service.</p>
+
+<p>«Le roi me fait annoncer à l'instant que, par suite de notre
+ conversation, Sa Majesté vient d'obliger l'ancien bourgmestre à
+ rentrer dans ses fonctions.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 30 juin 1810, 7 heures du matin.</p>
+
+<p>«La journée d'hier s'est passée sans communication du gouvernement.
+ M. Van-der-Heim est parti de grand matin pour Haarlem où j'ai su que
+ tous les ministres avaient été convoqués en grand conseil. Dans la
+ journée, il m'est venu de la Bourse beaucoup de gens alarmés que
+ j'ai rassurés en leur disant qu'à la vérité il se préparait des
+ événements intéressants pour leur ville, mais que l'on devait tout
+ attendre de la clémence de S. M. l'empereur, si l'on se conduisait
+ dans ces circonstances d'une manière convenable envers la France. Je
+ suis persuadé que le commerce se montrera bien et que le maréchal en
+ sera content.</p>
+
+<p>«À quatre heures m'est arrivé un aide de camp de M. le maréchal
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxxxix" name="pagecxxxix"></a>(p. cxxxix)</span> duc de Reggio qui m'apportait la demande que fait le
+ maréchal d'une satisfaction éclatante pour l'insulte faite devant
+ Haarlem à ses aigles, et m'annonçait son arrivée devant les portes
+ d'Amsterdam pour le 4. J'ai envoyé aussitôt chez M. Van-der-Heim,
+ qui n'était pas encore de retour. Craignant qu'on ne voulût gagner
+ du temps et m'échapper, j'écrivis à huit heures à M. Van-der-Heim
+ que je devais absolument le voir le soir même ou aujourd'hui de très
+ bonne heure, et que l'importance des communications que j'avais à
+ lui faire était telle que, s'il devait être retenu à Haarlem,
+ j'irais l'y trouver. Je reçus à minuit une réponse. Il m'annonçait
+ son retour et m'offrait de me recevoir le lendemain à neuf heures;
+ j'acceptai. Je ne réexpédierai l'aide de camp du maréchal qu'après
+ avoir vu M. Van-der-Heim et être convenu de tout avec lui.</p>
+
+<p>«L'inquiétude pour les fonds a dû s'augmenter parmi ces
+ circonstances, surtout dans l'ignorance où l'on était des
+ déterminations de la cour, et je n'y vois pas un très grand mal. Ils
+ sont tombés à 18, mais en général l'esprit est bon, et tout le monde
+ désire voir la fin de toutes ces mésintelligences. On demande et
+ l'on souhaite universellement que les Français soient bien reçus, et
+ chacun s'y prêtera.</p>
+
+<p>«J'ai vu hier chez moi le brave de Winter. Il allait partir pour les
+ eaux, mais sur le bruit de ce qui se préparait, il s'est décidé à
+ rester. Ce n'est pas un homme à éloigner dans un moment de crise. Je
+ l'ai engagé à se rendre à Haarlem et à aller y donner de bons
+ conseils. Il sort à l'instant de chez moi et sera chez le roi dans
+ deux heures. J'ai été on ne peut plus content de sa conversation, et
+ son noble caractère ne se dément pas. Voilà les loyales et dignes
+ inspirations auxquelles je voudrais voir l'esprit du roi livré. Je
+ ne rencontre pas depuis hier un honnête homme, un homme d'autorité
+ et de lumières, que je ne l'envoie à Haarlem combattre les mauvais
+ conseils qui pourraient être donnés au roi.</p>
+
+<p>«L'amiral souhaite que Sa Majesté l'envoie à Utrecht pour arranger
+ toutes choses avec le maréchal duc de Reggio, et je le désire avec
+ lui, car alors je suis bien sûr que les choses se feraient
+ convenablement. Je témoignerai tout à l'heure à M. Van-der-Heim que
+ ce choix me serait agréable, et je ne doute pas qu'il ne le fût à
+ Utrecht.</p>
+
+<p>«J'ai fait prévenir tous les Français militaires et civils,
+ autorisés ou non autorisés, de se bien conduire, et j'ai toute
+ raison de compter sur eux.</p>
+
+<p>«Je vais suspendre ma dépêche jusqu'au moment de ma conférence avec
+ M. Van-der-Heim.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="date">À onze heures.</p>
+
+<p>«Je sors, Monseigneur, de chez le ministre des affaires étrangères.
+ Je lui ai fait les communications dont M. le maréchal duc de Reggio
+ m'a chargé pour lui. M. Van-der-Heim m'a répondu que l'occupation
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxl" name="pagecxl"></a>(p. cxl)</span> d'Amsterdam répondait à toutes les satisfactions que je
+ pouvais exiger. J'ai demandé au ministre quelles étaient les
+ intentions du roi pour la réception des troupes. Il m'a annoncé
+ qu'elles étaient toujours telles qu'il avait été autorisé à me les
+ annoncer; que le roi recevrait les troupes françaises en connétable.
+ Je dis à M. Van-der-Heim que je désirais savoir en détail ce que Sa
+ Majesté comptait faire dans cette circonstance, et je le priai de me
+ le faire connaître. Il m'annonça alors que le roi avait chargé M. le
+ ministre de la guerre, homme parfaitement bien intentionné, de
+ régler avec M. le maréchal duc de Reggio tout ce qui concerne
+ l'entrée des troupes et leur réception. J'applaudis à cette
+ décision, mais n'en insistai pas moins pour avoir ce soir
+ communication des déterminations du roi dans cette circonstance si
+ décisive. J'excitai le zèle de M. Van-der-Heim, en lui disant que
+ j'attendais beaucoup pour le roi et pour le pays de ses conseils;
+ qu'il dépendait de lui que j'eusse un bon rapport à faire à S. M.
+ impériale et les moyens de rendre la nation et le gouvernement
+ intéressants à l'empereur. M. Van-der-Heim m'a promis de me
+ rapporter ce soir une réponse positive.</p>
+
+<p>«J'ai dit à ce ministre que j'apprenais que les canonniers étaient
+ encore aux pièces hier, malgré l'annonce que le roi m'avait faite de
+ l'ordre donné de les envoyer sur les côtes. M. Van-der-Heim me
+ répliqua qu'à la vérité Sa Majesté avait donné cet ordre, mais que
+ le ministre de la guerre lui avait observé que l'on ne pouvait
+ renvoyer les canonniers sans emmener le matériel et qu'il craignait
+ que ce mouvement ne donnât de l'ombrage au maréchal et n'inquiétât
+ le peuple; qu'on les avait laissés pour cette raison, mais que
+ toutes les sentinelles avaient été retirées, et l'ordre donné de
+ laisser tout passer; qu'hier une patrouille française avait
+ librement traversé les lignes.</p>
+
+<p>«J'ai dit à M. Van-der-Heim que si l'on jugeait ne pas devoir
+ déplacer les pièces d'artillerie, je croyais qu'il convenait au
+ moins de rappeler les canonniers en arrière et de laisser
+ provisoirement la garde des pièces au peu d'hommes d'infanterie que
+ l'on jugerait nécessaires pour cela. Il m'a promis d'en faire la
+ proposition au roi.</p>
+
+<p>«Demain matin j'espère pouvoir annoncer à Votre Excellence que tout
+ est arrangé selon les v&oelig;ux du maréchal et à mon contentement.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Cadore au roi Louis.</p>
+<p class="date">2 juillet 1810.</p>
+<p class="adresse">«Sire,</p>
+
+<p>«M. Vekenaer m'a remis la lettre que Votre Majesté m'a fait
+ l'honneur de m'adresser. Il a aussi laissé entre mes mains celle qui
+ était <span class="pagenum"><a id="pagecxli" name="pagecxli"></a>(p. cxli)</span> destinée à S. M. l'empereur. Je la lui ai
+ présentée. L'empereur m'a dit qu'il ne pouvait en prendre
+ connaissance que lorsque les outrages dont il se plaint auraient été
+ entièrement réparés. Cela me donne, Sire, une tâche pénible à
+ remplir. Je dois, pour répondre à la lettre de Votre Majesté et à la
+ confiance dont elle m'honore, lui faire connaître les sujets de
+ plaintes de l'empereur son frère. Je ne puis mieux le faire qu'en
+ empruntant ses propres expressions. Votre Majesté voudra bien se
+ souvenir que dans ce que j'aurai l'honneur de lui dire, c'est
+ l'empereur bien plus que moi qui lui parle.</p>
+
+<p>«L'empereur est profondément mécontent; il se regarde comme outragé
+ et ne veut entendre à aucun arrangement avec la Hollande et même à
+ aucun pourparler avant d'avoir eu satisfaction:</p>
+
+<p>«1<sup>o</sup> Sur l'offense faite par la populace d'Amsterdam à la livrée de
+ son ambassadeur, sans qu'aucune punition ait été infligée.
+ L'empereur regarde même comme aggravant l'insulte cette proclamation
+ tardive qui annonçait à toute l'Europe l'impunité dont avait été
+ accompagnée cette insulte publiquement faite à un souverain. Elle ne
+ peut être lavée que par le sang.</p>
+
+<p>«2<sup>o</sup> Sur le traitement fait à son chargé d'affaires la première fois
+ qu'il a paru en cette qualité à l'audience de Votre Majesté, et sur
+ le silence injurieux gardé envers lui, et cela en présence des
+ ministres de Russie, d'Autriche et de toute l'Europe que l'on
+ rendait témoin de l'humiliation du représentant de l'empereur;
+ aussi, et je dois le faire connaître à Votre Majesté, le chargé
+ d'affaires a reçu la défense de paraître désormais à l'audience de
+ Votre Majesté.</p>
+
+<p>«3<sup>o</sup> Le refus fait à une patrouille française de la laisser entrer
+ dans la ville de <i>Haarlem</i>. Du moment où l'empereur en a été
+ instruit, il a ordonné au général Molitor de se rendre avec sa
+ division de Hambourg en Hollande.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 2 juillet 1810.</p>
+
+<p>«L'amiral de Winter est descendu hier chez moi deux heures après
+ l'expédition de ma dépêche. Il arrivait d'Haarlem. Il avait trouvé
+ le roi en conseil délibérant sur les circonstances. L'âme du roi
+ paraissait livrée à la plus profonde amertume, et l'amiral entra
+ dans sa douleur pour l'adoucir et donner plus d'autorité aux
+ conseils qu'il venait offrir. Il dit donc au roi qu'il croyait que
+ l'on devait attribuer le malheur des circonstances au mauvais
+ système où le gouvernement s'était jeté dès l'origine, et qu'il s'en
+ était toujours franchement exprimé, mais qu'il <span class="pagenum"><a id="pagecxlii" name="pagecxlii"></a>(p. cxlii)</span> ne
+ s'agissait plus du passé, dont on n'était plus le maître, mais de
+ l'avenir qui nous appartenait encore; qu'en fidèle sujet il venait
+ offrir au roi sa personne, sa vie et ses loyales opinions; que, soit
+ que le gouvernement eût des torts envers l'empereur ou qu'il se crût
+ calomnié auprès de Sa Majesté, ce moment pouvait redresser toutes
+ les opinions et prouver que le roi était toujours ce qu'il devait
+ être pour son auguste frère et pour la France, que le roi devait
+ recevoir les troupes françaises en connétable, les fêter, les
+ accueillir à la tête de son peuple, de ses troupes et de toutes les
+ autorités, et que ce jour du 4, qui paraissait à quelques-uns si
+ calamiteux, pouvait de cette façon devenir un jour de réconciliation
+ entre les deux souverains et fixer sur la nation hollandaise les
+ regards bienveillants de l'empereur. L'amiral fut soutenu, à ce
+ qu'il m'a dit, avec beaucoup de force, par le général Dumonceau, que
+ le maréchal duc de Reggio venait d'envoyer au roi et dont, depuis
+ quelque temps, l'ambassade n'avait pas eu à se louer. Il paraît
+ qu'il s'est bien montré dans ce moment. Les ministres de la guerre
+ et de la marine, quoiqu'avec moins d'énergie, exprimèrent des
+ opinions raisonnables, et il n'y eut pas un conseil décidément
+ mauvais.</p>
+
+<p>«Le roi déclara à ses ministres et à ses grands officiers ce que
+ déjà il m'avait fait annoncer par le ministre de la marine, qu'il en
+ userait dans cette journée en prince français et en connétable, mais
+ quand on lui demanda le détail de ses intentions, il dit qu'il
+ prescrirait de faire les choses pour le mieux et de façon à donner à
+ l'empereur l'opinion qu'il désirait que Sa Majesté prît de son
+ peuple; et comme on lui demandait encore quelles dispositions il
+ prescrirait pour son palais et pour sa personne, il montra la
+ résolution inébranlable de rester dans son pavillon de Haarlem
+ jusqu'au retour du courrier qu'il venait d'expédier à l'empereur.
+ L'amiral fit les plus grands efforts pour ébranler cette résolution'
+ dont il prévoyait tout le mauvais effet. Le roi lui dit que la
+ fatalité l'entraînait, que rien ne pouvait désormais lui regagner le
+ c&oelig;ur de son frère, qu'il était décidé à céder à la destinée et
+ qu'il resterait à son pavillon de Haarlem jusqu'au retour de son
+ courrier. L'amiral m'ajouta que Sa Majesté s'était exprimée
+ confidentiellement sur les déterminations graves que ce courrier
+ avait dû porter au pied du trône impérial. Il fut impossible
+ d'amener le roi à se trouver à Amsterdam le jour de l'entrée des
+ troupes. Du reste, il fut décidé par le roi que le général Bruno
+ prendrait le commandement des gardes et recevrait le maréchal à leur
+ tête; que toutes les autorités seraient présentes, que le
+ bourgmestre, M. Van-der-Poll, qui venait enfin de consentir à
+ reprendre son poste, ferait toutes les dispositions pour que la
+ ville eût dans cette grande circonstance l'attitude qu'elle devait
+ avoir, et qu'enfin une fête serait donnée aux soldats par la garde
+ et par les citoyens. L'amiral se proposait en me quittant de se
+ répandre dans <span class="pagenum"><a id="pagecxliii" name="pagecxliii"></a>(p. cxliii)</span> la ville où il est fort connu et
+ d'inspirer aux citoyens de toutes les classes les sentiments que
+ l'on devait avoir et montrer dans cette occasion si intéressante.
+ Cet avis de l'amiral me fut fort utile et le soir, aussitôt que
+ j'eus appris le retour de M. Van-der-Heim, je me hâtai de me rendre
+ chez lui. Je lui dis qu'il m'était revenu que le projet du roi était
+ de rester le 4 à son pavillon de Haarlem, et que je ne pouvais
+ croire à une détermination qui ôterait à la fête projetée toute la
+ grâce qu'il était si désirable pour tout le monde de lui donner. M.
+ Van-der-Heim me répondit que personne autour du roi n'en avait pensé
+ ainsi et que dans l'état de brisement où était son âme on n'avait
+ pas cru devoir lui demander encore ce sacrifice qui ne semblait pas
+ nécessaire pour le bon accueil des troupes; que sûrement le roi s'y
+ serait déterminé s'il l'eût cru aussi convenable que je le pensais.
+ Il m'objecta d'ailleurs que le roi, frère de l'empereur et
+ connétable de France, ne pouvait habiter une ville où il ne
+ commanderait pas, qu'il y aurait à tout moment conflit d'autorité,
+ et que Sa Majesté, qui ne serait pas maîtresse de la ville, ne
+ pourrait répondre des mouvements que la malveillance pourrait
+ chercher à y faire naître. Je répondis à M. Van-der-Heim que, comme
+ déjà je le lui avais dit, l'affaire du commandement et du mot
+ d'ordre était une affaire que je croyais facile à régler entre le
+ roi et le maréchal, et qu'assurément le roi pouvait, de la part du
+ maréchal, compter sur les respects et les égards qu'il était à tant
+ de titres en droit d'en attendre; qu'à la rigueur, si cet objet
+ présentait des difficultés que je ne prévoyais pas, le roi serait
+ toujours le maître, après avoir reçu le maréchal et les troupes dont
+ il est le connétable, de retourner à son pavillon pour y suivre ses
+ desseins et attendre le retour de son courrier. Je priai M.
+ Van-der-Heim de retourner cette nuit même à Haarlem ou d'y envoyer
+ quelqu'un de ses collègues pour représenter toutes ces choses au
+ roi, représentations qui, à la vérité, venaient de moi, puisque ce
+ cas n'avait pas été prévu par mes instructions, mais qui m'étaient
+ inspirées par le désir de voir les choses s'arranger au contentement
+ général et de la manière qui pourrait rapprocher davantage Sa
+ Majesté du c&oelig;ur de son auguste frère. M. Van-der-Heim m'a promis
+ d'envoyer un courrier cette nuit. J'aurai la réponse dans la
+ journée. Je vais expédier M. de Caraman à Utrecht pour informer M.
+ le maréchal. Voici donc, Monseigneur, en résumé l'état des choses:</p>
+
+<p>«Il n'y aura point de résistance.</p>
+
+<p>«Les troupes seront reçues en triomphe par la garde, ayant le
+ général Bruno (Français) à sa tête, et par la bourgeoisie ayant à la
+ sienne son ancien bourgmestre.</p>
+
+<p>«Toutes les autorités seront présentes et en grand gala. Une fête
+ sera donnée aux troupes par la ville.</p>
+
+<p>«Je tâcherai d'obtenir plus, et surtout la présence du roi. Votre
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxliv" name="pagecxliv"></a>(p. cxliv)</span> Excellence peut être assurée que j'en sens l'extrême
+ inconvenance et que je ferai tout ce qui pourra dépendre de moi pour
+ y déterminer Sa Majesté.</p>
+
+<p>«J'ai, Monseigneur, des excuses à faire à Votre Excellence pour
+ l'extrême désordre de mes dépêches, depuis ces quinze derniers jours
+ plus particulièrement, mais je suis obligé d'écrire beaucoup et en
+ courant, de sortir et de recevoir beaucoup de monde, et c'est à
+ peine si j'ai le temps de mettre quelque ordre dans mes idées. J'ai
+ besoin de toute votre indulgence et j'ose la réclamer.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;J'apprends à l'instant un fait que l'amiral de Winter n'a
+ pas voulu me dire, c'est que la cour a d'abord fort mal accueilli la
+ chaleur de ses conseils et l'a même assez maltraité, mais que ce
+ brave homme n'en a pas moins soutenu son noble rôle et ses efforts
+ pour sauver son pays et son roi du danger des premiers mouvements et
+ des résolutions irréfléchies. J'ai aussi beaucoup à me louer de M.
+ de Lagendorp, ancien ministre de la guerre.</p>
+
+<p>«Je n'ai pas encore de certitude sur ce que feront les
+ fonctionnaires publics, mais je crois à ce que j'ai annoncé. Je
+ verrai ce soir le bourgmestre. Je joins ici la pièce oubliée de
+ l'avant-dernier numéro.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 3 juillet 1810.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, chargé du
+ portefeuille des affaires étrangères, sort à l'instant de chez moi.
+ Il était en grand costume et couvert de tous ses ordres. Ce ministre
+ est venu m'annoncer que le roi avait abdiqué en faveur de son fils
+ aîné, et que l'acte de son abdication avait été adressé par Sa
+ Majesté au Corps législatif; que par cet acte la reine était nommée
+ régente, qu'un conseil provisoire de régence était nommé, qu'il
+ était composé en grande partie du ministère et des grands officiers;
+ que deux personnes de marque avaient été dépêchées en courrier, le
+ premier pour porter cette communication à Sa Majesté l'empereur, et
+ le second à la reine.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim m'assura que tout ce qui approche la personne du
+ roi avait tout tenté pour le détourner de cette détermination et
+ pour l'engager à paraître demain à Amsterdam et à remettre son
+ projet à un moment plus convenable; mais le roi était demeuré
+ inébranlable.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim m'annonça encore que le roi était parti cette nuit
+ sans prendre congé de personne, qu'on croyait qu'il avait traversé
+ Amsterdam et qu'il était allé se jeter aux pieds de l'empereur. Ce
+ ministre finit en me disant qu'il était chargé par la régence
+ provisoire <span class="pagenum"><a id="pagecxlv" name="pagecxlv"></a>(p. cxlv)</span> de me faire part de ce grand événement et de
+ me déclarer officiellement que le gouvernement et la nation se
+ remettaient entièrement et avec un abandon absolu à Sa Majesté
+ l'empereur et roi des destinées de la patrie.</p>
+
+<p>«J'ai répondu au ministre que je ne pouvais admettre la
+ communication qu'il voulait me faire sur une détermination qui, par
+ sa nature, était aussi grave et aurait exigé, à mes yeux, le
+ concours et l'assentiment de Sa Majesté l'empereur et roi, comme
+ chef de la famille impériale. M. Van-der-Heim me quitta en
+ protestant du profond respect et du dévouement de tous les membres
+ du conseil pour Sa Majesté impériale et royale, comme de leur
+ intention de se conformer à tout ce qu'elle jugerait propre à
+ assurer la tranquillité et le bien-être du pays.</p>
+
+<p>«J'apprends à l'instant qu'une triple proclamation vient d'avoir
+ lieu. La première est l'acte même d'abdication. On m'assure qu'elle
+ est conçue dans des termes tout à fait inconvenants; mais je ne puis
+ rien affirmer jusqu'à ce que j'aie la traduction. Je ne pourrai
+ peut-être pas me la procurer avant le départ de monsieur de Caraman
+ que je vais expédier à Votre Excellence en courrier; mais je viens
+ de l'engager à sortir une seconde fois pour la relire et en prendre
+ des notes qu'il portera à Votre Excellence; demain je lui en
+ enverrai le texte. La seconde renferme les adieux du Roi à son
+ peuple et l'invite à bien recevoir les Français. La troisième est du
+ conseil de Régence provisoire et prévient de son installation.</p>
+
+<p>«Depuis cet état de choses, Monseigneur, je ne me considère plus
+ comme accrédité auprès du gouvernement hollandais, et j'interromps,
+ dès ce moment, toutes mes communications avec lui.</p>
+
+<p>«J'informe par monsieur de Caraman le maréchal duc de Reggio de tout
+ ceci, et le préviens d'être prêt à tout événement, à arriver ici
+ avec sa cavalerie, si les circonstances exigeaient qu'il brusquât
+ son entrée. J'apprends que le peuple se précipite en foule pour lire
+ la triple proclamation. Je vais faire venir le bourgmestre,
+ l'inviter à veiller sur la ville et le rendre responsable des
+ désordres qui pourraient arriver cette nuit si la malveillance
+ pouvait chercher à tirer parti de cet état de choses.</p>
+
+<p>«Demain l'autorité militaire commencera; je recevrai monsieur le
+ maréchal et vais attendre en particulier les ordres de l'empereur.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 4 juillet 1810.</p>
+
+<p>«L'armée impériale a fait aujourd'hui à trois heures son entrée
+ triomphale à Amsterdam, ayant son maréchal à sa tête. Les choses se
+ <span class="pagenum"><a id="pagecxlvi" name="pagecxlvi"></a>(p. cxlvi)</span> sont passées très convenablement. Le maréchal fait
+ partir ce soir un de ses aides-de-camp porteur de cette bonne
+ nouvelle pour le ministre de la guerre, et j'en profite pour
+ informer également Votre Excellence. Demain j'aurai l'honneur de lui
+ donner des détails.</p>
+
+<p>«J'ai reçu ce matin de M. Van-der-Heim la communication dont copie
+ ci-jointe. Je n'ai pas cru pouvoir en accuser réception, non plus y
+ répondre. Je joins également ici le numéro du courant qui renferme
+ les différentes proclamations du gouvernement. Je n'ai point le
+ temps de les faire traduire, mais je suppose qu'on le pourra faire
+ dans les bureaux de Votre Excellence, et au besoin M. de Caraman en
+ pourrait donner la traduction.</p>
+
+<p>«La cour, la ville, le gouvernement, la nation entière, tout est aux
+ pieds de Sa Majesté l'empereur et roi, et implore sa clémence et sa
+ protection; j'attends les ordres de Sa Majesté impériale et les
+ directions de Votre Excellence.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 5 juillet 1810 (au soir).</p>
+
+<p>«Monseigneur, le roi étant parti sans dire à personne où il allait,
+ il circule dans le public de cette capitale les bruits les plus
+ étranges sur le lieu qu'il doit avoir choisi pour sa retraite. Les
+ agioteurs et les malveillants ont voulu accréditer l'absurde
+ nouvelle que Sa Majesté était passée en Angleterre, et les moins
+ déraisonnables en Amérique; mais je suis, de concert avec le
+ ministre de la police, occupé à détruire cette calomnie et même à la
+ recherche de ceux qui ont répandu de tels bruits.</p>
+
+<p>«Je viens d'écrire au ministre de la police que je désirerais
+ absolument savoir où le roi s'était retiré, avoir des détails sur la
+ santé de Sa Majesté, enfin des renseignements détaillés sur tout ce
+ qui s'est passé dans cette singulière circonstance.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 6 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Sa Majesté impériale et royale a dû recevoir par M. le maréchal duc
+ de Reggio le détail de son entrée à Amsterdam, des honneurs civils
+ et militaires qui lui ont été rendus, des discours qui lui ont été
+ adressés et des dispositions généralement bonnes qui lui ont été
+ montrées. Cette circonstance vient à l'appui de ce que j'ai souvent
+ eu l'occasion de dire à Votre Excellence, que la nation est bien
+ disposée et <span class="pagenum"><a id="pagecxlvii" name="pagecxlvii"></a>(p. cxlvii)</span> facile à conduire, et que la direction
+ seule des affaires a été très mauvaise. La ville n'a jamais été plus
+ tranquille. À la première stupeur succède l'espoir que Sa Majesté
+ impériale et royale n'abandonnera plus une si bonne nation à
+ elle-même et qu'elle daignera la placer désormais sous sa protection
+ et sa direction la plus immédiate que possible. C'est le cri général
+ de toutes les classes et surtout du commerce. Si l'on rencontre
+ encore une crainte, c'est de ne pas obtenir à cet égard des
+ déterminations tout à fait définitives.</p>
+
+<p>«Le maréchal m'avait fait prévenir par son chef d'état-major de
+ l'heure où il se présenterait devant les portes. Je suis allé une
+ demi-lieue au-devant de Son Excellence, que je n'ai pas tardé à
+ apercevoir à la tête de son état-major et de sa cavalerie. Je suis
+ alors descendu de voiture, le maréchal a mis pied à terre et nous
+ sommes entrés dans une cabane de pêcheurs, au pied de la digue, où
+ nous nous sommes entretenus assez longuement sur l'état où j'avais
+ laissé la ville et celui où probablement le maréchal allait la
+ trouver, sur l'abdication et le départ du roi et l'impression que
+ cet événement avait produit, et enfin sur l'ensemble des affaires.
+ L'armée avait suspendu sa marche. Après avoir tout concerté pour le
+ mieux, le maréchal est remonté à cheval, je suis remonté en voiture,
+ et les troupes françaises ont fait leur entrée comme le portait le
+ programme. Le maréchal s'est montré particulièrement satisfait de la
+ conduite du lieutenant général Bruno et du bourgmestre.</p>
+
+<p>«L'avant-veille de son départ j'avais été averti que Sa Majesté
+ avait fait des questions sur ses voitures et que le grand écuyer lui
+ avait répondu dans une bonne intention qu'aucune n'était en état. Je
+ prévins le jour même le maréchal de cette circonstance par M. de
+ Caraman, quoique je susse que cet avis ne pouvait rien empêcher,
+ mais c'était tout ce que je pouvais. Le roi fit acheter une voiture
+ qu'il alla joindre vers une heure du matin à pied avec le général
+ Travers. La princesse Dolgorouki, qui habite une maison près du
+ château, ayant remarqué différents transports de portefeuilles, eut
+ l'éveil et vit le roi au moment où il traversait un petit fossé pour
+ aller gagner sa voiture. Personne ne sait positivement quelle route
+ a suivie Sa Majesté. On assure l'avoir vue au Gueldre, du côté
+ d'Arnheim; d'autres personnes parlent d'embarquement et d'Amérique.</p>
+
+<p>«Avant-hier une députation de la régence est allée complimenter le
+ jeune prince. M<sup>me</sup> de Boubers, sa gouvernante, dit à Son Altesse
+ royale qu'elle devait saluer, mais ne faire aucune réponse, et
+ défendit aux officiers attachés à sa personne de l'appeler autrement
+ que Monseigneur et Votre Altesse royale, jusqu'au moment où elle
+ aurait reçu des ordres de l'empereur.</p>
+
+<p>«Je prévoyais depuis quelques jours que quelque grande faute allait
+ être faite, et c'est pour la détourner qu'outre ce que je pouvais
+ faire de <span class="pagenum"><a id="pagecxlviii" name="pagecxlviii"></a>(p. cxlviii)</span> démarches officielles, j'avais envoyé à
+ Harlem l'amiral de Winter et quelques autres braves gens pour
+ combattre les mauvaises résolutions et donner de bons conseils.
+ J'avais fait plus; j'avais dit à M. Van-der-Heim, pour l'ébranler et
+ après avoir épuisé tous les moyens de persuasion, qu'il ne fallait
+ pas qu'il se fît illusion et que si des déterminations contraires à
+ la gloire du roi pouvaient prévaloir, jamais Sa Majesté l'Empereur
+ ne pourrait croire qu'elles eussent eu leur source dans le c&oelig;ur
+ de son frère et du connétable de France, et que Sa Majesté en
+ attribuerait très naturellement le blâme à ses mauvais conseillers.
+ M. Van-der-Heim me répondit qu'il voyait où allait ce langage, qu'il
+ avait tout tenté pour amener le Roi à recevoir le maréchal et à
+ faire les choses comme il convenait, mais que cela fait, il
+ obéissait à son souverain en honnête homme et sans examiner s'il y
+ avait du danger attaché à l'exercice de ses devoirs. C'est, je
+ crois, le 30 juin ou le 1<sup>er</sup> juillet que M. Van-der-Heim me répondit
+ ainsi, et le Roi partit dans la nuit du 2 au 3 juillet.</p>
+
+<p>«Le secret de sa proclamation a été gardé par les ministres, et je
+ n'en ai pu avoir connaissance que lorsque déjà elle était affichée à
+ tous les coins de rue.</p>
+
+<p>«La lettre du Roi au Corps législatif est de sept pages et renferme,
+ dit-on, des choses très fortes. Ses membres se sont engagés par
+ serment à n'en donner aucune communication. On me l'a promise pour
+ ce soir ou demain matin: je l'enverrai tout de suite à Votre
+ Excellence.</p>
+
+<p>«Je vais dîner aujourd'hui avec le maréchal chez les magistrats de
+ la ville. J'ai déclaré que j'y paraîtrais comme Français et comme
+ particulier, mais sans caractère diplomatique.</p>
+
+<p>«Quelqu'un qui arrive à l'instant de Harlem m'assure que le Roi a
+ nommé un conseil d'administration avec pouvoir illimité pour vendre
+ et aliéner le mobilier de la couronne à Utrecht, Soesdyck,
+ Harlem-le-Loo, etc. Sa Majesté a rendu aussi un décret pour liquider
+ les deux millions qu'elle a empruntés sur ses domaines de
+ l'Ost-Frise. Le décret doit être communiqué demain et daté du 30
+ juin. Je vais en prévenir M. le maréchal duc de Reggio pour que l'on
+ fasse suspendre jusqu'au retour des courriers.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;Je joins ici le numéro du courant qui renferme le détail
+ de l'entrée de nos troupes et de l'accueil qui leur a été fait. On
+ me fait craindre de ne pouvoir me procurer la copie promise de la
+ lettre du Roi. J'ai promis au maréchal de lui en donner un double si
+ je l'obtiens. On y remarque, m'assure-t-on, cette phrase: Je vais
+ mener le reste de mes jours une vie errante et fugitive. On croit
+ que Sa Majesté s'est dirigée du côté de Farmurigue. Il y a sur cette
+ côte beaucoup de navires américains.»</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagecxlix" name="pagecxlix"></a>(p. cxlix)</span> Dès que l'empereur connut l'abdication et le départ de
+son frère, il ordonna au duc de Cadore de lui préparer un projet de
+note à adresser au ministre des affaires étrangères de Hollande, le
+baron de Roëll.</p>
+
+<p>Le duc de Cadore envoya le 5 juillet à Napoléon le projet
+ci-dessous:</p>
+
+<div class="lettre">
+<p>«Dans ma note du... j'ai eu l'honneur de vous exposer quelle avait
+ été la conduite de la Hollande et combien elle avait nui à la cause
+ commune en se livrant à un commerce interlope contraire à ses
+ engagements avec la France, contraire au système que les ordres du
+ conseil d'Angleterre de novembre 1807 avaient forcé l'empereur
+ d'adopter, et je montrais à Votre Excellence comment cette suite
+ d'erreurs où la Hollande a été précipitée par l'Angleterre
+ nécessitait sa réunion à l'empire.</p>
+
+<p>«Cependant l'empereur, quoique bien convaincu que tel était l'unique
+ remède aux maux dont il se plaignait, a cédé aux v&oelig;ux de son
+ auguste frère en concluant avec lui le traité du 16 mars qui
+ conservait l'indépendance de la Hollande et ne lui occasionnait que
+ les sacrifices indispensables pour le maintien du système et
+ l'intérêt de la cause continentale. Ce traité aurait pu atteindre
+ son but si ses clauses avaient été fidèlement observées. Mais aucune
+ condition n'a été remplie, excepté celles auxquelles le gouvernement
+ hollandais ne pouvait s'opposer, comme la cession de quelques
+ provinces qu'occupaient déjà les troupes françaises. De faibles
+ efforts ont été faits pour armer l'escadre promise et elle n'a pas
+ encore d'équipage: les cargaisons américaines n'ont été livrées qu'à
+ moitié et l'on a donné à leur place les prises des corsaires
+ français. Le commerce interlope a continué; des licences ont été
+ données pour le favoriser. Le gouvernement a montré le même esprit
+ de haine et d'opposition à la France. Il a cherché à rendre cette
+ disposition populaire; la populace de quelques villes a insulté les
+ soldats français, celle d'Amsterdam a insulté l'empereur, dans sa
+ livrée portée par le cocher de son ambassadeur, et cet attentat
+ commis en plein jour est resté impuni. Le chargé d'affaires de
+ France a été l'objet d'une modification offensante pour le souverain
+ qu'il représentait. L'aigle impériale, qui dans toute l'Europe est
+ reçue en triomphe, a été repoussée d'Harlem, insulte qu'aucun
+ souverain de la terre n'aurait pu faire impunément. Si ces griefs
+ multipliés ont justement indigné l'empereur, il a encore été plus
+ touché de la déplorable situation où se trouve la Hollande. Les
+ douaniers français y sont établis et les douanes françaises sont
+ fermées au commerce hollandais. Les uns éloignent toutes les
+ importations du dehors; celles-ci repoussent toute exportation de la
+ Hollande. La misère la plus profonde doit être le résultat de cet
+ état <span class="pagenum"><a id="pagecl" name="pagecl"></a>(p. cl)</span> de choses, et cet état ne peut être changé. Pour
+ l'intérêt de la Hollande, on ne peut sacrifier la cause du
+ continent. La révocation des ordres du conseil d'Angleterre aurait
+ pu seule rendre l'indépendance de la Hollande compatible avec
+ l'intérêt de la France et de l'Europe.</p>
+
+<p>«L'empereur, lorsque cet intérêt est si violemment blessé, lorsque
+ les peuples de Hollande éprouvent par leur isolement nécessaire une
+ si grande misère, ne peut donc tarder de prendre un parti. On
+ satisfait à toutes les convenances, remédie à tous les maux, celui
+ de la réunion de la Hollande à l'empire français. Une absolue
+ nécessité en impose l'obligation. Je dois donc faire connaître à
+ Votre Excellence que Sa Majesté s'est décidée à <i>rappeler auprès
+ d'elle son auguste frère</i> à qui les circonstances ont ôté la
+ possibilité de remplir l'objet pour lequel l'empereur l'avait élevé
+ sur le trône de Hollande et qui était si bien dans son c&oelig;ur,
+ celui de faire le bonheur de la nation hollandaise, en servant les
+ intérêts de la France.»</p>
+</div>
+
+<p>Cette note résume tous les <i>prétextes</i> saisis par l'empereur pour
+expliquer l'annexion de la Hollande. Une des dernières phrases
+explique pourquoi Napoléon fit tant d'efforts pour obtenir de son
+frère qu'il revînt près de lui en France.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, le général Piré que j'ai envoyé ce matin à Harlem pour
+ présenter mes hommages au prince royal et me rapporter des nouvelles
+ de sa santé me rend compte que Son Altesse impériale jouit d'une
+ très bonne santé. Elle a beaucoup pleuré en apprenant le départ du
+ Roi, mais elle est tranquille maintenant et ne fait plus de
+ question.</p>
+
+<p>«On paraît croire à Harlem que le Roi a pris la route de Brême et
+ que son intention est de s'embarquer pour l'Amérique avec un
+ passeport anglais que Sa Majesté s'est procuré en envoyant il y a
+ quelque temps un officier à Londres.</p>
+
+<p>«Le général Travers accompagne Sa Majesté ainsi que le contre-amiral
+ Bloys avec un seul valet de chambre. On assure que le Roi a trompé
+ ces deux officiers, qu'ils ne savaient rien de ses projets avant son
+ départ.</p>
+
+<p>«Le Roi a emporté avec lui tout l'argent qu'il a trouvé dans les
+ caisses des différents services; on évalue la somme, tant en or
+ qu'en bijoux, à 600,000 florins, dont 250,000 florins en lettres de
+ changes<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a><a href="#footnote160" title="Lien vers la note 160"><span class="smaller">[160]</span></a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pagecli" name="pagecli"></a>(p. cli)</span> «Sa Majesté voyage dans une mauvaise voiture de poste du
+ pays.</p>
+
+<p>«Elle doit avoir fait, la veille de son départ, de fausses
+ confidences à presque tous les officiers de sa maison pour les
+ tromper sur les motifs de son absence, particulièrement à son grand
+ maréchal à qui elle a prescrit quelques dispositions pour sa
+ réception au palais de Loo, en lui faisant donner sa parole
+ d'honneur de n'en rien dire à personne.</p>
+
+<p>«On a reçu au palais de Loo un billet du général Travers qui
+ annonçait que Sa Majesté faisait un petit voyage et qu'elle
+ arriverait incessamment, et qu'on ne fût point inquiet. Ce billet
+ était sans date et sans désignation du lieu où il avait été écrit.</p>
+
+<p>«Le grand maréchal du palais et le grand écuyer assurent que les
+ ministres doivent avoir été prévenus la veille du départ du Roi,
+ attendu qu'un officier appelé Goty ou des Goty a remis dans la nuit
+ du 2 au 3 au ministre de la guerre et dans le conseil des ministres
+ qui était assemblé un mot du Roi ainsi conçu: «<i>Je pars, et au
+ moment où vous lisez ce billet je traverse Amsterdam.</i>» Sa Majesté
+ n'est point entrée en ville comme elle l'écrivait, mais l'a
+ seulement tournée.</p>
+
+<p>«Le Roi a été reconnu par un Juif à Naarden au moment où le général
+ Travers menaçait un postillon de le tuer s'il ne voulait doubler.</p>
+
+<p>«Il paraît que le Roi craignait d'être reconnu en relayant.</p>
+
+<p>«Un courrier venu d'Aix-la-Chapelle doit avoir été chargé par Son
+ Altesse impériale Madame Mère de dire au Roi: «<i>Dites à mon fils que
+ je ne lui écris pas parce que j'ai peur que vous ne soyez arrêté en
+ route</i>, mais que tout est prêt ici pour le recevoir et que j'espère
+ l'embrasser bientôt.»</p>
+
+<p>«Le Roi a donné ordre de vendre les propriétés qui lui appartiennent
+ et même quelques propriétés de la couronne pour payer ses dettes.
+ L'intendant de la couronne a déjà commencé ses opérations à cet
+ égard en vertu d'un décret antidaté.</p>
+
+<p>«Votre Excellence trouvera ci-joint copie de la lettre écrite par le
+ Roi au Corps législatif avant son départ.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;À l'instant où je fermais ma lettre, je reçois celle
+ incluse de M<sup>me</sup> de Boubers. Je vous prie d'assurer Sa Majesté de
+ tout mon zèle et de mes précautions en pareille circonstance. Je
+ vais même monter en voiture pour Harlem d'où j'aurai l'honneur de
+ ramener le Roi pour peu que cela me semble nécessaire. Quant à ses
+ besoins, j'y aurai pourvu de la manière qu'on doit attendre de mon
+ dévouement. Ci-joint une autre lettre du ministre de la police du
+ royaume de Hollande; c'est un Orangiste dont j'ai peine à obtenir
+ les renseignements qui me sont nécessaires.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pageclii" name="pageclii"></a>(p. clii)</span> <p class="center smcap">M<sup>me</sup> de Boubers à Oudinot.</p>
+<p class="date">Harlem, 6 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, la situation dans laquelle je me trouve est très
+ embarrassante. J'attends avec la plus grande impatience les ordres
+ de Sa Majesté l'Empereur, auquel je vous prie de vouloir faire
+ connaître la position du prince.</p>
+
+<p>«Le palais de Harlem, dans lequel il demeure, doit être vendu, ainsi
+ que toutes les maisons que le Roi son père avait. Tous les mobiliers
+ d'Amsterdam, de Loo, d'Utrecht, etc., dans peu de jours; le prince
+ peut être sans asile; je ne pense pas que l'empereur souffre cela,
+ il est très nécessaire que Sa Majesté en soit informé le plus tôt
+ possible.</p>
+
+<p>«On me laisse avec le prince, sans le moindre argent pour lui,
+ n'ayant pas de quoi envoyer un courrier si la nécessité l'exigeait.
+ On dit les coffres vides, le Roi ayant emporté tout ce qu'il a pu.
+ Personne n'est payé ici depuis trois mois, et je ne serai pas
+ étonnée que d'un moment à l'autre on refuse de fournir la maison du
+ prince.</p>
+
+<p>«Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur ordonnerait que le prince
+ revînt en France, il me serait de toute impossibilité de faire le
+ voyage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir m'indiquer le moyen de
+ me procurer les fonds qui me seront nécessaires ou de demander à Sa
+ Majesté l'Empereur ses ordres à ce sujet.</p>
+
+<p>«Je n'ai pu entrer dans ces détails avec M. Pirée<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a><a href="#footnote161" title="Lien vers la note 161"><span class="smaller">[161]</span></a> que vous avez
+ envoyé au prince. Il était entouré de plusieurs personnes de la
+ cour; ne pouvant lui parler en particulier, j'ai pris le parti de
+ vous écrire pour vous informer de la situation du prince.</p>
+
+<p>«Quant aux précautions pour sa sûreté, le général de Bruno, mon
+ beau-frère, a pris toutes celles qu'il jugeait convenables; mais
+ dans ce moment c'est une grande responsabilité dont je sens toute
+ l'importance.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, j'ai déjà eu l'honneur de rendre compte à Votre
+ Excellence des différentes versions qui circulaient ici sur la
+ retraite du Roi. Celle qui s'accrédite le plus en ce moment est que
+ Sa Majesté se rend en Amérique; je n'ai point encore de certitude à
+ ce sujet, mais je fais faire toutes les diligences nécessaires pour
+ être bientôt à même de <span class="pagenum"><a id="pagecliii" name="pagecliii"></a>(p. cliii)</span> pouvoir faire connaître à Votre
+ Excellence le lieu où Sa Majesté s'est retirée.</p>
+
+<p>«Je viens d'avoir des nouvelles du Prince Royal; Son Altesse se
+ porte très bien; j'aurai l'honneur d'adresser tous les jours à Votre
+ Excellence le bulletin de sa santé.</p>
+
+<p>«L'esprit public de la ville d'Amsterdam est bon et la meilleure
+ harmonie continue à régner entre les troupes françaises et les
+ habitants.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 7 juillet.</p>
+
+<p>«Monseigneur, au reçu de la lettre par laquelle Votre Excellence me
+ fait connaître l'intention de l'Empereur pour le désarmement des
+ lignes d'Amsterdam, j'ai de suite donné l'ordre au commandant de
+ l'artillerie de faire les dispositions nécessaires pour enlever les
+ pièces qui s'y trouvent et les conduire à Anvers.</p>
+
+<p>«D'après un état d'armement que je me suis procuré de ces lignes, il
+ se trouvait au 6 de ce mois 215 pièces de différents calibres en
+ batteries, tant en bronze qu'en fonte. Des officiers sont occupés en
+ ce moment à en faire le relevé, que j'aurai l'honneur d'adresser à
+ Votre Excellence aussitôt qu'il me sera parvenu.</p>
+
+<p>«J'ai également donné l'ordre de faire démolir tous les ouvrages qui
+ ont été élevés contre nous.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">7 juillet.</p>
+
+<p>«Monseigneur, par le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à
+ Votre Excellence pour lui annoncer mon arrivée à Amsterdam, je l'ai
+ prévenu que j'avais accepté un dîner qui m'était offert par les
+ magistrats de cette ville. Ce dîner a eu lieu hier; je me suis rendu
+ avec tous les généraux, les colonels et officiers supérieurs des
+ corps et d'état-major. Les ministres, le corps diplomatique et les
+ chefs des diverses autorités civiles et militaires y avaient été
+ invités. Le bourgmestre Van-der-Poll qui le présidait en a fait les
+ honneurs aux Français avec les égards qu'il se plaît à leur marquer
+ dans toutes les circonstances. Il a été porté un toast à Leurs
+ Majestés Impériales et Royales qui a été accueilli avec enthousiasme
+ ainsi que celui de l'armée française. J'ai cru devoir en porter un à
+ la prospérité de la ville d'Amsterdam.</p>
+
+<p>«Cette réunion où une apparente cordialité a régné ne peut
+ qu'ajouter à la bonne opinion que j'ai déjà des magistrats qui
+ administrent cette ville seulement.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pagecliv" name="pagecliv"></a>(p. cliv)</span> <p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 7 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, Votre Excellence a dû voir par toutes les lettres que
+ j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis mon entrée à Amsterdam, que
+ je n'ai qu'à me louer, jusqu'à présent, des magistrats de cette
+ ville et du bon esprit qui anime ses habitants. J'ai donc cru
+ convenable d'adopter envers eux un système de conciliation que je
+ crois dans le sens des volontés de l'Empereur; si cependant il en
+ était autrement, je prie Votre Excellence de me tracer la règle de
+ conduite que je dois suivre pour remplir les intentions de Sa
+ Majesté.»</p>
+</div>
+
+<p>Le 9 juillet, un décret impérial en douze articles ordonne la
+réunion de la Hollande à la France et nomme le duc de Plaisance
+lieutenant général de ce pays. Une circulaire dans ce sens est
+envoyée aux divers représentants à Paris des puissances étrangères
+pour leur expliquer les motifs qui ont nécessité l'annexion. Le
+surlendemain, 11 juillet, M. de Hauterive reçoit l'ordre de partir
+pour Amsterdam afin d'y prendre les papiers des relations
+extérieures, les archives, et de les rapporter à Paris.</p>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 9 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, n'ayant pu jusqu'à présent avoir aucune communication
+ officielle avec le gouvernement provisoire institué par le Roi et
+ que je n'ai pas cru devoir reconnaître avant d'avoir reçu les ordres
+ de l'Empereur, j'ai pensé que l'état de crise dans lequel cet état
+ de choses pouvait jeter la capitale exigeait que je prisse la haute
+ main sur tous les militaires de ce pays et qu'aucun mouvement de
+ troupes hollandaises ne pût avoir lieu sans mon consentement; j'ai
+ écrit dans ce sens au ministre de la guerre et au gouvernement
+ d'Amsterdam pour leur faire connaître mes intentions à cet égard, de
+ manière que je devienne responsable moi-même des événements qui
+ arriveraient en attendant la décision ultérieure de l'Empereur, que
+ j'attends ainsi que le pays avec une grande impatience. Du reste
+ tout est calme et les fonds gagnent tous les jours.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">10 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, la Hollande est toujours dans le calme dont j'ai eu
+ <span class="pagenum"><a id="pageclv" name="pageclv"></a>(p. clv)</span> l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans mes
+ précédents rapports. Ce pays attend avec une grande impatience la
+ décision de son sort. La majeure partie des habitants croit à la
+ réunion et à voir consolider la dette au taux où elle est baissée.
+ Les autres demandent le maintien du gouvernement royal et la
+ confirmation d'une régence, mais non de celle qui existe; car les
+ personnages qui la composent sont pour la plupart accusés d'avoir
+ contribué à la situation actuelle des choses.</p>
+
+<p>«J'ai eu l'honneur d'aller hier saluer le Prince Royal; je l'ai
+ laissé bien portant. J'ai consenti à ne point faire transporter Son
+ Altesse royale à Amsterdam, tant à cause des justes observations que
+ m'a faites M<sup>me</sup> de Roubers sur la santé de Son Altesse royale que
+ sur ce que je me suis assuré qu'elle est convenablement à Harlem et
+ en sûreté. J'ai de Son Altesse royale une garde d'honneur française
+ qui a son poste au palais et un de mes aides de camp qui fait le
+ service de concert avec les officiers de la maison. Enfin cela se
+ passe avec les mesures qu'il fallait apporter en pareille
+ circonstance.</p>
+
+<p>«Les fonds n'ont pas varié depuis avant-hier, quoiqu'on ait fait
+ courir plusieurs bruits plus ridicules les uns que les autres.</p>
+
+<p>«Par ma dernière dépêche, j'ai mandé à Votre Excellence que je
+ mettais un régiment à Harlem, celui qui y était destiné viendra
+ occuper les trois villes les plus près d'Amsterdam, afin d'y être en
+ masse et comme réserve pour cette ville qui, quoique tranquille, a
+ besoin de savoir que nous sommes là.</p>
+
+<p>«Quand Sa Majesté l'Empereur voudra connaître les principaux
+ contrebandiers de ce pays, il me sera facile de les signaler, car
+ outre les renseignements que je m'étais déjà procurés tant sur leur
+ nom que sur la nature et la valeur approximative des affaires qu'ils
+ ont faites, c'est à qui des bons négociants viendra les dénoncer. Je
+ crois alors qu'une bonne contribution particulière frappée sur eux
+ ne serait pas une injustice.</p>
+
+<p>«Je pense que Votre Excellence n'aura pas manqué de faire connaître
+ à l'Empereur que l'abdication, les proclamations placardées et le
+ départ du Roi ont eu lieu avant mon entrée à Amsterdam, et que Sa
+ Majesté me rend assez de justice pour penser que si je fusse arrivé
+ à temps j'aurais intervenu et peut-être empêché l'exécution de cet
+ événement extraordinaire.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Clurke à Oudinot.</p>
+<p class="date">10 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monsieur le Maréchal, j'ai déjà eu l'honneur d'informer Votre
+ Excellence par une dépêche que je lui ai adressée aujourd'hui par
+ courrier <span class="pagenum"><a id="pageclvi" name="pageclvi"></a>(p. clvi)</span> extraordinaire que, d'après un décret impérial
+ rendu à Rambouillet le 9 juillet, la Hollande se trouve dès ce
+ moment réunie à la France.</p>
+
+<p>«Je joins ici, Monsieur le Maréchal, ampliation de ce décret
+ impérial, afin de mettre Votre Excellence à portée de connaître les
+ dispositions que Sa Majesté impériale et royale a déterminées
+ provisoirement relativement à l'administration de cette portion de
+ l'empire.</p>
+
+<p>«Votre Excellence verra par l'article 5 que l'Empereur a nommé M. le
+ duc de Plaisance, architrésorier de l'empire, son lieutenant
+ général, et que Son Altesse impériale doit se rendre en cette
+ qualité à Amsterdam. Vous voudrez bien, en conséquence, Monsieur le
+ Maréchal, prendre les ordres de Son Altesse seigneuriale le prince
+ architrésorier, en sa qualité de lieutenant général de l'Empereur,
+ pour tout ce qui aura rapport au service de Sa Majesté dans
+ l'étendue de votre commandement.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Zapffel, chef de bataillon, aide de camp de Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 11 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, j'ai remis hier à dix heures du soir au maréchal duc
+ de Reggio les dépêches que Votre Excellence m'avait données pour
+ lui. Je profite du départ d'un aide de camp du maréchal pour vous
+ donner le peu de renseignements que j'ai pu me procurer jusqu'à
+ présent. Tout est tranquille en Hollande et principalement à
+ Amsterdam. Le Prince Royal est à Harlem avec une garde d'honneur
+ composée d'une compagnie d'élite du 16<sup>e</sup> de chasseurs, sous le
+ commandement d'un aide de camp du maréchal qui ne perd pas de vue
+ Son Altesse royale.</p>
+
+<p>«Le lieu de la retraite du Roi est encore inconnu. Les uns disent
+ qu'il est parti pour l'Amérique et qu'il s'est embarqué à
+ Bremen-Lech, les autres assurent qu'il est en Westphalie. Le
+ ministre de la police dit que Sa Majesté a été vue le 6 à Hanovre.
+ Le bruit court aussi que le Roi doit avoir une entrevue avec Madame
+ Mère. Il a emporté tout l'argent qui se trouvait dans les caisses
+ publiques et pour une très forte somme de lettres de change. Le
+ ministre de Krayendorf a disparu; on dit qu'il s'est embarqué pour
+ l'Angleterre. M. le Maréchal s'occupe de le trouver. Il paraît que
+ l'opinion générale de Hollande n'est pas contraire à la réunion.</p>
+
+<p>«Ce qui leur déplaît, c'est l'incertitude où ils sont sur leur sort
+ futur. Ils paraissent aussi craindre le système de la conscription;
+ ils demandent également si l'Angleterre continuera à leur payer les
+ intérêts des fonds qu'ils y ont placés et les intérêts se montent,
+ dit-on, à 40 millions de florins par an.</p>
+
+<p>«Je n'ai pas encore vu M. Serrurier. L'aide de camp du maréchal
+ <span class="pagenum"><a id="pageclvii" name="pageclvii"></a>(p. clvii)</span> part à l'instant et je n'ai que le temps de vous
+ renouveler l'assurance de mon respectueux et bien sincère
+ attachement.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 11 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, la surveillance sur la côte a été observée avec autant
+ de scrupule que Sa Majesté peut l'avoir désiré, et qui que ce soit
+ n'est allé en mer, à ma connaissance, depuis le départ du Roi, à
+ moins que ce ne soit l'ex-ministre de la guerre, Krayenhof, que je
+ cherche partout et que je ne puis découvrir, mais sur lequel je n'ai
+ d'autres indices, sinon qu'il serait depuis plusieurs semaines sur
+ les côtes pour y travailler à sa carte qu'on sait qu'il levait au
+ nom du Roi. Je n'ai tant cherché ce fonctionnaire que parce qu'il
+ passe pour un homme perfide et ennemi de la France, qu'enfin j'ai
+ toujours supposé que l'Empereur le poursuivrait un jour pour sa
+ conduite pendant son ministère; au reste, s'il est encore en
+ Hollande, je ne puis manquer de le découvrir, car j'y ai des
+ intelligences partout.</p>
+
+<p>«Ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence par mes
+ dépêches successives, le Prince Royal est en sûreté et se porte
+ bien; Son Altesse royale est traitée en prince de sa maison et à la
+ disposition exclusive de l'Empereur.</p>
+
+<p>«Je n'ai pas manqué de rassurer le pays par tous les moyens qui sont
+ en moi et qui peuvent l'amener à voir la réunion d'un &oelig;il
+ tranquille. J'ai constamment parlé dans ce sens, par conséquent dans
+ celui que vous m'ordonnez au nom de l'Empereur, j'ose même assurer
+ que ces précautions ont eu leur utilité et que <i>si ce n'est chez les
+ personnages en places, qui ont peur de les perdre, on trouvera des
+ applaudissements</i>.</p>
+
+<p>«Sa Majesté sait sûrement qu'il n'a pas dépendu de moi d'empêcher
+ que les proclamations du Roi, qui exprimaient si singulièrement ses
+ dernières volontés, ne fussent rendues publiques, puisque c'est le 3
+ qu'il les a fait lui-même placarder dans Amsterdam et mettre dans
+ les journaux, tandis que je ne suis entré que le 4, mais aussitôt
+ entré, je me suis occupé à faire arracher ce qui ne l'était pas
+ encore.</p>
+
+<p>«Les derniers renseignements que j'ai obtenus sur la marche du Roi,
+ c'est qu'il aurait traversé le 6 la ville de Hanovre, ce qui me fait
+ espérer qu'il se retire à Cassel où certains personnages d'ici
+ assurent qu'il était attendu.</p>
+
+<p>«L'embargo existe en Hollande depuis que j'y commande, je pense que
+ celui que vous m'ordonnez ne s'étend pas aux pêcheurs qui, au reste,
+ sont surveillés, mais qu'on ne pourrait, ce me semble, empêcher de
+ faire ce métier, sans un grand préjudice, à cette classe nombreuse
+ <span class="pagenum"><a id="pageclviii" name="pageclviii"></a>(p. clviii)</span> qui n'existe que par ce moyen, cependant je désire à
+ cet égard une explication de Votre Excellence. On est occupé du
+ désarmement et de l'importation des pièces; le pays n'a point donné
+ des signes de mécontentement à cet égard, seulement le ministre de
+ la guerre a réclamé, et je n'ai, bien entendu, tenu aucun compte de
+ sa protestation, qu'il ne faisait, au reste, que parce qu'il pense,
+ que la mesure est de mon invention.</p>
+
+<p>«Les fonds ont haussé d'une manière sensible à la bourse d'hier.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clurke.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 12 juillet.</p>
+
+<p>«Monseigneur, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, à midi seulement, la
+ lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser pour
+ m'annoncer que Sa Majesté l'Empereur avait nommé Son Altesse
+ seigneuriale le prince architrésorier son lieutenant général en
+ Hollande, et que l'intention de l'Empereur était que le prince
+ trouvât partout sur son passage des escortes de cavalerie, depuis
+ Nimègue jusqu'à Amsterdam. À la réception de la lettre de Votre
+ Excellence, je me suis empressé de donner des ordres pour
+ l'exécution des dispositions qu'elle m'a transmises. Comme je n'ai
+ pas de cavalerie au-delà d'Utrecht, je crains fort que les
+ détachements que j'ai fait commander ne puissent arriver à temps
+ pour escorter Son Altesse à son départ de Nimègue; cependant j'ai
+ ordonné que la troupe mît la plus grande diligence dans sa marche,
+ afin de se conformer aux désirs de Sa Majesté.</p>
+
+<p>«Votre Excellence peut être persuadée que tout sera disposé au delà
+ d'Utrecht pour rendre au prince les honneurs dus à son rang.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">12 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Si l'on en doit croire les entours du Roi, personne autre que les
+ compagnons de sa fuite n'a été dans la confidence de Sa Majesté, et
+ tout le monde prétend y avoir été trompé. Beaucoup de MM. les gens
+ de la cour qui caressaient lâchement les faibles et les erreurs du
+ Roi l'accusent aujourd'hui avec la même lâcheté, et c'est à qui
+ renchérira de détails et de chefs d'accusation: ces messieurs sont
+ fidèles à leur caractère.</p>
+
+<p>«Il est certain que le Roi avait fait de fausses confidences à ses
+ officiers, telles que son projet d'aller au Lao, où il avait fait
+ tout disposer pour le recevoir, et à Aix-la-Chapelle où il s'était
+ fait annoncer <span class="pagenum"><a id="pageclix" name="pageclix"></a>(p. clix)</span> et qu'il a exécuté son dessein avec une
+ profondeur de secret dont on n'eût pas cru Sa Majesté capable. On
+ assure que deux ou trois de ses ministres au plus ont été dans la
+ confidence; cela me paraît difficile. Mais au moins aucun
+ fonctionnaire, douteux pour la cour et surtout du parti français,
+ n'a été admis au secret. J'aurais pu être informé par eux seuls, car
+ pour les moyens d'argent, cet agent excellent pour arracher les
+ secrets de bureau n'aurait pu prendre sur des hommes de parti et sur
+ des ministres, sans doute égarés au moins, mais honnêtes gens hors
+ de là et supérieurs à de pareilles séductions. Puis la cour était à
+ Harlem, et l'on avait su, par autorité ou par peur, éloigner encore
+ une fois de moi tout ce qui aurait pu m'instruire. Cet extravagant
+ projet d'abdication sans le concours de Sa Majesté impériale et
+ royale et le scandale de la proclamation n'avaient dû ni pu entrer
+ dans la pensée de personne, et avec tous j'y ai été pris au
+ dépourvu. J'ose penser que de beaucoup plus habiles ministres
+ l'auraient été également, et je crois avoir fait dans cette
+ circonstance tout ce qui était humainement possible pour détourner
+ le Roi de mauvaises résolutions et pour lui faire inspirer celles
+ que je croyais conformes à sa gloire et à son intérêt. J'ai eu le
+ bonheur d'obtenir du reste tout ce que j'avais été chargé de
+ demander, mais l'esprit du Roi était hors de ma portée et de mon
+ pouvoir.</p>
+
+<p>«Quand j'ai été instruit, il était trop tard pour rien empêcher. Le
+ mal était fait. J'aurais inutilement montré du ressentiment et mes
+ cris d'effroi, et j'aurais compromis mon autorité sans rien arrêter.
+ J'ai préféré en laisser l'odieux à la cour, la responsabilité aux
+ ministres et me borner à déclarer froidement que mes fonctions
+ avaient cessé jusqu'au retour de mon courrier.</p>
+
+<p>«Le résultat de tant de fautes est que le mot de réunion s'articule
+ enfin tout haut à Amsterdam. C'est par le commerce que ce v&oelig;u
+ commence à se prononcer. Longtemps comprimée par le respect
+ qu'inspirait une autorité émanée du trône impérial, l'autorité
+ affranchie par le départ du Roi commence à s'énoncer avec force et
+ liberté, et, pour peu qu'elle reçoive d'encouragement, elle
+ deviendra un cri général. Ce n'est pas qu'il n'y ait en Hollande un
+ sentiment profond de la patrie et un regret amer de ne pouvoir plus
+ former une nation, mais les gens raisonnables se demandent où est
+ cette patrie? et ils ne la trouvent ni dans cette marine
+ hollandaise, jadis si puissante, aujourd'hui nulle, ni dans l'armée
+ réduite à 10,000 hommes et bientôt sans recrutement, ni dans ses
+ institutions dégénérées, ni dans ses m&oelig;urs si différentes de
+ celles des premiers confédérés d'Utrecht, ni surtout dans aucune des
+ circonstances intérieures et extérieures de cet État, et qui lui ont
+ valu, dans le passé, une épisode brillante, mais passagère, de
+ prospérité. C'est l'intérêt qui forme les sociétés politiques, et
+ c'est lui qui les dissout; et c'est parce que les Hollandais ne
+ trouvent plus dans leur parti social la sûreté, la <span class="pagenum"><a id="pageclx" name="pageclx"></a>(p. clx)</span>
+ protection et les grands avantages qu'il leur garantissait autrefois
+ qu'ils sont amenés à en désirer la dissolution et à souhaiter
+ d'entrer dans cette grande famille qui présente aujourd'hui,
+ par-dessus toutes les autres, cet attrait et cette garantie à ses
+ voisins. Beaucoup de négociants sont venus me parler dans cet
+ esprit. J'ai applaudi à leur zèle et au sentiment juste qu'ils me
+ montraient de l'état réel de leur patrie. Je leur ai répondu que
+ j'ignorais l'accueil qu'un pareil v&oelig;u recevrait de mon souverain,
+ mais que j'étais assuré que, quelque décision qui lui fût à cet
+ égard inspirée par l'intérêt de son empire, Sa Majesté impériale
+ n'apprendrait jamais sans satisfaction le nom des étrangers qui
+ plaçaient leurs espérances dans sa protection. J'attendrai pour
+ répondre plus positivement les instructions de Votre Excellence, et
+ sur toutes choses j'aurai l'honneur de me concerter avec M. le
+ maréchal duc de Reggio.</p>
+
+<p>«Je viens de dire, Monseigneur, que l'intérêt bien entendu était le
+ principe qui déterminait le sentiment d'une nation sur son
+ institution, et j'ai expliqué par là comment c'est aujourd'hui le
+ commerce qui exprime le premier ce v&oelig;u de réunion. Je n'ai pas
+ pour cela prétendu dire qu'il n'y eût pas de nobles exceptions à
+ cette loi de l'intérêt, et je n'en avais pas besoin, puisque les
+ exceptions n'ont jamais détruit un principe. Oui, sans doute, il est
+ partout des âmes privilégiées parmi les hommes qui, indépendamment
+ de tout calcul, tiennent à leur patrie par un aveugle, mais noble
+ instinct, et la Hollande, malgré son esprit mercantile, renferme
+ encore de nobles citoyens. Mon avis est qu'il faut les admirer et
+ les acquérir, mais qu'ils ne changent rien aux calculs généraux que
+ l'on doit faire sur une nation.</p>
+
+<p>«Le nivellement des lignes et l'évacuation du matériel de
+ l'artillerie sur Anvers ne rencontrent aucune difficulté. Le
+ ministre de la guerre a d'abord fait quelques représentations, mais
+ le maréchal n'a pas tardé à lui faire expédier les ordres
+ nécessaires à cette opération. Tout le monde voit avec plaisir la
+ destruction de ces lignes, source de tant de chagrins et de fautes.
+ Elles furent commencées en 1787, à l'occasion des Prussiens qu'elles
+ n'arrêtèrent pas, et il a fallu la démence de don Quichotte
+ Krayenhoff pour imaginer qu'elles dussent arrêter les aigles
+ impériales. Amsterdam ne demande qu'à rester la première banque de
+ l'Europe et à se livrer tout entière, à l'ombre d'une grande
+ puissance, à son industrie et à son commerce.</p>
+
+<p>«Les ministres s'abstiennent de tout acte de régence, et le maréchal
+ les tient en respect.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;Le ministère de la police se prétend instruit que le Roi a
+ passé à Hanovre le 6. Depuis là, la trace de Sa Majesté est
+ incertaine. Quelques-uns prétendent qu'il se rend par Lumbourg à
+ Altona où les embarquements pour l'Amérique sont faciles. Peut-être
+ en saurai-je plus demain.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pageclxi" name="pageclxi"></a>(p. clxi)</span> <p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">13 juillet 1810.</p>
+
+<p>«J'ai reçu hier à midi le courrier que Votre Excellence m'a fait
+ l'honneur de m'expédier de Rambouillet le 9 de ce mois. J'ai fait
+ part aussitôt à M. le maréchal duc de Reggio des grandes
+ dispositions que votre dépêche renferme.</p>
+
+<p>«De concert nous avons vu les principaux fonctionnaires et nous
+ sommes satisfaits de la disposition d'esprit dans laquelle le décret
+ de réunion a été reçu. Déjà comme Votre Excellence le verra par mon
+ numéro d'hier, le v&oelig;u commençait à s'exprimer hautement pour la
+ réunion, et la nouvelle en a été fort bien accueillie. La réunion
+ est aujourd'hui considérée par les esprits froids comme le port de
+ salut de la Hollande, et si l'on a un regret, c'est qu'elle n'ait
+ pas eu lieu quelques années plus tôt, mais alors les événements
+ n'étaient pas encore mûrs.</p>
+
+<p>«Je me suis présenté hier soir chez M. Van-der-Heim; j'y retournerai
+ ce matin pour concerter tout ce qui a rapport à l'arrivée de
+ monseigneur l'architrésorier. Le maréchal a donné des ordres pour la
+ réception de Son Altesse, et nous irons dans sa voiture à une
+ demi-lieue au-devant d'Elle.</p>
+
+<p>«Le bourgmestre continue de se conduire fort bien. Il a mieux reçu
+ que je ne m'y attendais la nouvelle de la réunion. Je savais qu'il
+ craignait d'en être considéré par ses compatriotes comme
+ l'instrument. Le maréchal a été également fort content de lui à
+ cette occasion. M. Van-der-Poll fait toutes ses dispositions pour
+ bien recevoir le prince. Son exemple a de l'autorité dans Amsterdam
+ et entraînera toute la magistrature. Je croirais d'un bon effet que
+ Sa Majesté impériale et royale jugeât devoir faire quelque chose
+ pour ce magistrat.</p>
+
+<p>«Le commerce est satisfait. L'article 2, qui déclare Amsterdam la
+ troisième ville de l'empire, flatte l'orgueil national et adoucit le
+ chagrin de cesser de former une nation. La mesure de 50 % sur les
+ denrées coloniales en les laissant aux propriétaires a beaucoup
+ tranquillisé le commerce et contente tout le monde. Elle donnera
+ beaucoup au fisc et personne ne s'en plaindra.</p>
+
+<p>«L'article de la rédaction blesse cruellement les propriétaires de
+ rentes, mais cette mesure était devenue inévitable. On en gémit plus
+ qu'on ne s'en plaint, et la certitude de payements réguliers aidera
+ à adoucir cette plaie. Il faut s'attendre qu'elle produira un vide
+ sensible dans les contributions à venir, mais l'intention de
+ l'Empereur étant de les réduire, cet inconvénient sera moins
+ sensible.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pageclxii" name="pageclxii"></a>(p. clxii)</span> «Les Hollandais sont également très frappés de la
+ magnifique représentation que Sa Majesté impériale leur accorde dans
+ les trois grands corps de l'État; ils ne s'attendaient pas à plus de
+ moitié. Cette disposition fait plus de bien encore qu'on n'en avoue.
+ Elle ouvre la porte à bien des ambitions et à bien des espérances
+ qui n'osent pas encore éclater parmi les regrets de la patrie, mais
+ qui germent déjà profondément.</p>
+
+<p>«En général, tout le monde s'accorde à admirer les sages
+ dispositions de ce décret de la réunion si promptement conçu et
+ arrêté.</p>
+
+<p>«Votre Excellence peut compter sur mon empressement à aider Son
+ Altesse l'architrésorier de l'empire de ce que je puis avoir acquis
+ de connaissance du pays et des personnes.</p>
+
+<p>«Je rendrai un compte journalier à Votre Excellence, comme elle le
+ demande. Je suis fort aise d'apprendre qu'une estafette va être
+ établie de Paris à Amsterdam. Elle portera à Votre Excellence un
+ bulletin de tous les jours. Jusque-là, il n'a pas dépendu de moi que
+ mes dépêches parvinssent rapidement à Votre Excellence, je ne
+ pouvais que les envoyer au quartier général et les recommander
+ fortement.</p>
+
+<p>«Le c&oelig;ur de l'amiral de Winter saigne. Ce brave homme regrette
+ que les fautes de son gouvernement aient amené la réunion de son
+ pays, et il croyait encore à la possibilité de lui conserver une
+ administration séparée et de la rattacher inséparablement à la
+ France. Du reste, c'est un intrépide soldat, un Français de système
+ déjà depuis quinze ans, admirateur enthousiaste de l'Empereur, et
+ qui sera consolé quand il verra son pays heureux sous les lois d'un
+ si grand prince. C'est un de ces hommes dont je parlais hier à Votre
+ Excellence. Le maréchal le juge comme moi.</p>
+
+<p>«Je ne réexpédierai mon courrier que ce soir à Votre Excellence. Je
+ désire pouvoir lui faire connaître les dispositions que le ministère
+ m'aura montrées, mais je ne doute pas que tant de clémence ne les
+ touche profondément.</p>
+
+<p>«J'interromps ma dépêche.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim sort de chez moi. Il était fort ému; il m'a dit
+ qu'il n'attendait que sévérité de la part de Sa Majesté impériale,
+ et que le ministère n'en éprouvait, au contraire, dans ces
+ circonstances si pénibles pour tous, que des marques de grandeur et
+ de générosité. Il n'avait pas d'expression pour me rendre combien il
+ était frappé et touché de la grandeur d'un pareil traitement. Tous
+ ses collègues partageaient ses sentiments et sa reconnaissance. Ils
+ feront tout, m'a dit M. Van-der-Heim, pour justifier l'estime que Sa
+ Majesté impériale daigne leur montrer. Tout le monde interroge M.
+ Janssens et sort charmé de ses réponses.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="pageclxiii" name="pageclxiii"></a>(p. clxiii)</span> «Le palais est préparé pour recevoir le prince
+ architrésorier, et M. Van-der-Heim m'a dit que le conseil avait
+ décidé de faire rendre à Son Altesse seigneuriale les plus grands
+ honneurs qui soient à accorder.</p>
+
+<p>«Un courrier du prince, descendu chez le maréchal, lui annonce sa
+ prochaine arrivée. Je dîne chez M. le duc, et, aussitôt que nous
+ serons avertis de l'approche de Son Altesse seigneuriale, nous
+ monterons en voiture pour aller au-devant d'elle.</p>
+
+<p>«M. Van-der-Heim m'a dit qu'il avait eu ici des nouvelles de Hanovre
+ du Roi; que sa santé était à cette époque bonne; qu'on le supposait
+ dans le voisinage; que le Roi témoignait le désir d'apprendre si les
+ Français avaient été bien reçus et si ses ordres à cet égard avaient
+ été remplis; qu'il ne croyait pas, lui ministre, à un embarquement,
+ et que Sa Majesté avait, lors de l'abdication, montré à la vérité le
+ désir d'être en Amérique, mais une juste répugnance à courir la
+ chance d'être amené en Angleterre. M. Van-der-Heim ajouta avec
+ sensibilité que le dernier v&oelig;u, mais bien ardent de ses anciens
+ sujets, était que Sa Majesté impériale pût lui pardonner et le
+ rapprocher d'elle. Il persista dans l'opinion que le Roi n'était
+ point embarqué; mais je ne pus en obtenir l'aveu qu'il connût le
+ lieu de sa retraite.</p>
+
+<p>«Je verrai ce soir et demain beaucoup de fonctionnaires, de
+ militaires et de négociants, et je remplirai les intentions de Sa
+ Majesté impériale et royale. La garde est enchantée.</p>
+
+<p>«<i>P.-S.</i>&mdash;On a répandu ici le bruit que Sa Majesté l'Empereur,
+ indigné des faux rapports qui lui avaient été faits par M. de
+ Larochefoucauld sur la Hollande, l'avait fait arrêter et conduire au
+ Temple. Je ne rends compte à Votre Excellence de ce bruit ridicule
+ que parce qu'il a occupé hier et avant-hier tout Amsterdam.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Serrurier à Cadore.</p>
+<p class="date">14 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, l'architrésorier de l'empire est arrivé ce matin; le
+ maréchal duc de Reggio a fait rendre à Son Altesse seigneuriale tous
+ les honneurs dus au lieutenant général de Sa Majesté l'Empereur et
+ Roi, et le gouvernement provisoire avait de son côté fait les
+ dispositions pour bien recevoir Son Altesse. Le bourgmestre et le
+ président des ministres l'ont complimentée. Son Altesse a paru
+ satisfaite de sa réception. Elle est descendue au palais.</p>
+
+<p>«J'ai reçu ce matin, par un courrier extraordinaire de M. le comte
+ de Lavalette, l'annonce du décret impérial du 10 de ce mois, qui
+ ordonne l'établissement d'un service journalier en estafette de
+ Paris à Amsterdam et d'Amsterdam à Paris. Ce courrier était la
+ première expédition, et désormais ce service ne souffrira plus
+ d'interruption. J'ai <span class="pagenum"><a id="pageclxiv" name="pageclxiv"></a>(p. clxiv)</span> fait parvenir sur-le-champ au
+ prince architrésorier les dépêches qu'elle m'a apportées pour lui.
+ J'ai aussi fait remettre celle qui était à l'adresse de M. le
+ maréchal duc de Reggio. L'expédition de l'estafette se fera
+ désormais de chez le prince.</p>
+
+<p>«Parmi le tumulte des premières présentations je n'ai pu encore
+ entretenir bien sérieusement le prince. Je dois ce soir me rendre
+ chez Son Altesse, après l'expédition de l'estafette, pour parler
+ affaire avec un peu plus de suite.</p>
+
+<p>«J'ai annoncé à Son Altesse l'arrivée de M. d'Auterive, chargé d'une
+ mission spéciale de Sa Majesté impériale. Je proposerai ce soir au
+ prince les moyens les plus propres à assurer le succès de son
+ opération. Si des papiers ont dû être soustraits, l'enlèvement en
+ aura été fait dans ces huit premiers jours, mais ce qui existe sera
+ conservé, et peut-être sera-t-il possible de retrouver la trace de
+ ce qui a été enlevé. Je ne puis encore rien garantir à cet égard.</p>
+
+<p>«La seule affaire importante dont j'ai trouvé le moment de parler au
+ prince a été le moyen que j'imagine le meilleur pour arriver à la
+ trace du Roi. M. de La Tour, son médecin, a reçu de M. Van-der-Heim
+ l'ordre de joindre Sa Majesté. Mais, soit scrupule envers la France,
+ soit timidité ou tout autre motif, il a refusé jusqu'ici de partir.
+ M. de La Tour a l'ordre de se rendre à un point quelconque où il
+ recevra de nouveaux ordres qui le conduisent jusqu'au roi. En
+ faisant partir le médecin et en le faisant suivre, on trouverait
+ sûrement la trace de Sa Majesté, à moins que la défiance ne l'ait
+ fait renoncer à son docteur et changer les indications données. Le
+ prince archichancelier est entré dans cette idée. Son Altesse a dit
+ à M. de La Tour que son opinion était que Sa Majesté l'empereur ne
+ trouverait pas mauvais que le médecin du roi l'attachât à ses pas,
+ et son projet est de le faire suivre.</p>
+
+<p>«J'ai causé ce matin avec les principaux personnages et les
+ ministres. Tout le monde a plus ou moins pris son parti, et toutes
+ les espérances se trouvent du côté du nouvel ordre de choses. Les
+ ministres m'ont dit que tout était facile à arranger, excepté les
+ finances. Leur opinion était que le service de ces six derniers mois
+ d'exercice provisoire présenterait les plus extrêmes embarras. Ils
+ se proposaient d'en rendre immédiatement compte au prince
+ architrésorier.</p>
+
+<p>«La ville est parfaitement tranquille, et c'est à peine si l'on
+ s'aperçoit que le pays a changé de domination. Le maréchal a donné
+ les ordres pour l'embargo et pour empêcher l'émigration.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p>
+<p class="date">14 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, le ministre de la marine, président du Conseil des
+ <span class="pagenum"><a id="pageclxv" name="pageclxv"></a>(p. clxv)</span> ministres, questionné par quelqu'un sur la retraite du
+ roi, a déclaré qu'il croyait Sa Majesté à Hanovre; sur l'observation
+ qui lui fut faite que le bruit était généralement répandu dans le
+ public que Sa Majesté s'était embarquée pour l'Amérique, il répondit
+ qu'au moment de l'abdication on avait agité dans le Conseil des
+ ministres la question de savoir où il serait convenable que Sa
+ Majesté se retirât et, qu'entre autres opinions émises à cet égard,
+ quelqu'un avait parlé de l'Amérique. Sur quoi le roi avait dit:
+ «<i>Ah! oui, je voudrais bien être en Amérique.</i>» Mais que l'idée de
+ la possibilité d'être pris en mer par les Anglais et conduit à
+ Londres l'avait empêché de s'embarquer et décidé à se retirer à Loo.
+ Un courrier, expédié au roi par le président de la Régence, s'étant
+ rendu dans ce château et n'ayant point trouvé Sa Majesté, a si bien
+ suivi la trace de sa route qu'il l'a atteint à Hanovre où il lui
+ avait remis ses dépêches. Ce courrier a rapporté que Sa Majesté se
+ portait bien, qu'elle avait demandé avec beaucoup d'intérêt des
+ nouvelles de la Hollande et des détails sur la réception des
+ Français à Amsterdam.</p>
+
+<p>«Le ministre de la marine a déclaré qu'il n'avait pas de raison de
+ croire que Sa Majesté avait quitté Hanovre.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 14 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, S. A. le prince architrésorier de l'empire est arrivé
+ ce matin en bonne santé. Elle a reçu partout les honneurs dus à son
+ rang. Elle n'a point tenu la route de Nimègue, ainsi que Votre
+ Excellence me le mandait, mais bien celle de Mardick et par Gauda.</p>
+
+<p>«On a remarqué avec satisfaction la garde nationale sous les armes
+ mêler ses témoignages à ceux des troupes françaises et
+ ex-hollandaises, ce qui signifie, ainsi que je l'ai prédit, que le
+ pays sera bientôt à l'unisson des Français. Le bourgmestre, M. Van
+ der Poll, homme essentiel dans son poste, qui n'a cessé de donner
+ des garanties sur ses sentiments pour l'empereur, n'a réaccepté son
+ emploi qu'ensuite de la promesse qu'il pourrait obtenir sa démission
+ après quinzaine. Il demande qu'on lui tienne parole, mais je compte
+ insister près du prince pour que ce magistrat respectable soit de
+ nouveau invité à continuer ses fonctions. Il établit sa demande sur
+ sa mauvaise santé. Le véritable motif est qu'il n'est pas assez
+ courageux pour résister aux apostrophes que lui font les Orangistes
+ de s'être abandonné au système français, qu'enfin il voudrait en se
+ retirant à la campagne y jouir du repos qu'il réclame.</p>
+
+<p>«Si l'empereur, dont on apprécie tous les bienfaits de son décret en
+ faveur de la Hollande, pouvait donner l'espoir d'une visite dans
+ cette nouvelle partie de son empire, cela donnerait l'élan qu'il
+ faut pour le <span class="pagenum"><a id="pageclxvi" name="pageclxvi"></a>(p. clxvi)</span> napoléoniser entièrement. Au reste, la
+ tranquillité règne et personne, je pense, n'osera la troubler.</p>
+
+<p>«M. le duc de Plaisance étant chargé de l'organisation du pays et
+ des finances, je crois qu'il serait désormais superflu de m'en
+ occuper et d'entretenir Votre Excellence d'autres choses que du
+ militaire.</p>
+
+<p>«M. le général comte de Lauriston, aide de camp de l'empereur,
+ recevra, ce matin, Son Altesse le grand-duc, qui sera ensuite
+ conduit à Amsterdam. Ce prince trouvera ici les mêmes honneurs qu'à
+ Harlem.</p>
+
+<p>«Je ne puis m'empêcher de réitérer à Votre Excellence une demande de
+ quatre généraux de brigade et deux ou trois adjudants-commandants,
+ de quelques officiers d'état-major et du génie, et enfin d'un
+ service en chef de santé, et de demander M. le général Maison pour
+ une de mes deux brigades vacantes et les adjudants-commandants
+ désignés par mes précédentes; tous sont dans leurs foyers, quand je
+ pourrais les employer ici utilement.</p>
+
+<p>«On est occupé à faire la reconnaissance des îles désignées par la
+ lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 9 de
+ ce mois. Ci-joint un mémoire sur celle de Schouren dont je vous ai
+ adressé un exemplaire dans les temps; l'auteur mérite un certain
+ crédit.</p>
+
+<p>«Demain je passe en revue la garde et le jour suivant celle de deux
+ régiments de ligne. Cette troupe prêtera le serment et d'avance je
+ garantis de l'enthousiasme.</p>
+
+<p>«Maintenant, mon cher duc, que les intentions de l'empereur seront
+ remplies relativement à ce pays, ne pourriez-vous pas solliciter en
+ ma faveur un congé de vingt à vingt-cinq jours? il m'en faudrait 10
+ pour l'aller et le retour et le reste pour arranger mes affaires qui
+ sont en si mauvais état, faire lever les scellés et enfin prendre de
+ nouveaux termes avec mes créanciers qui me persécutent et troublent
+ mon repos. Voyez, je vous prie, si vous voulez me rendre ce
+ service.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<p class="center smcap">Oudinot à Clarke.</p>
+<p class="date">14 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, M. le général Lauriston s'est rendu ce matin à Harlem,
+ près de S. A. S. le grand-duc de Berg, qui lui a été remis par M. le
+ général Bruno. Toutes les dispositions prescrites par la lettre que
+ Votre Excellence m'a fait l'honneur de vous écrire le 10 de ce mois,
+ pour faire escorter le prince jusque sur le territoire français, ont
+ été exécutées. J'ai également prévenu l'intendant-général du roi que
+ les domaines appartenant à la couronne ne devaient pas être vendus
+ et que toute disposition faite à cet égard par ordre de Sa Majesté,
+ avant l'arrivée du prince architrésorier, serait déclarée nulle, et
+ je l'ai invité à suspendre l'effet de toutes les ventes qui auraient
+ pu être faites avant cette époque.»</p>
+</div>
+
+<div class="lettre">
+<span class="pagenum"><a id="pageclxvii" name="pageclxvii"></a>(p. clxvii)</span> <p class="center smcap">Le duc de Reggio au duc de Feltre.</p>
+<p class="date">Amsterdam, 24 juillet 1810.</p>
+
+<p>«Monseigneur, je reçois à l'instant de Hambourg les renseignements
+ suivants sur la route qu'aurait tenue le roi de Hollande. Sa Majesté
+ doit avoir passé le 5 de ce mois à Osnabruck et le 12 à Dresde, se
+ rendant aux bains de T&oelig;plitz et de Carlsbaden en Bohême.»</p>
+</div>
+
+
+<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2>
+
+
+<ul class="none">
+<li>&nbsp;<span class="ralign">Pages</span></li>
+
+<li><span class="smcap">Préface</span>
+<span class="ralign"><a href="#pageI">I</a></span></li>
+
+<li>I. <span class="smcap">Le roi Joseph</span>
+<span class="ralign"><a href="#page001">1</a></span></li>
+
+<li>II. <span class="smcap">Le roi Louis</span>
+<span class="ralign"><a href="#page086">86</a></span></li>
+
+<li>III. <span class="smcap">Le roi Jérôme</span>
+<span class="ralign"><a href="#page164">164</a></span></li>
+
+<li><span class="smcap">Appendice.</span> Correspondance diplomatique relative à la Hollande
+ pendant le règne du roi Louis, de juin 1806 à
+ juillet 1810
+<span class="ralign"><a href="#pageib">i</a></span></li>
+</ul>
+
+
+<p class="p4"><a id="footnote1" name="footnote1"></a>
+<b>Note 1:</b> Trois conspirateurs que le général Bonaparte voulait que
+l'on surveillât, tout en empêchant le gouvernement du pape de les
+molester.<a href="#footnotetag1"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a>
+<b>Note 2:</b> Il y avait à Rome une commission des arts présidée par
+Monge et qui, à l'exception de son président, se montrait un peu
+encline à favoriser les projets des ennemis du gouvernement
+pontifical.<a href="#footnotetag2"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a>
+<b>Note 3:</b> C'était alors le cardinal Doria, hostile à la France.<a href="#footnotetag3"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a>
+<b>Note 4:</b> Pie VI.<a href="#footnotetag4"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a>
+<b>Note 5:</b> Albani, neveu du pape Clément XI;&mdash;Gerdil, cardinal, et
+l'un des membres les plus savants et les plus illustres du Sacré
+Collège;&mdash;Caprara, cardinal, archevêque de Milan qui, en 1805, le 28
+mai, sacra Napoléon roi d'Italie dans la cathédrale de Milan.<a href="#footnotetag5"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a>
+<b>Note 6:</b> Talleyrand.<a href="#footnotetag6"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a>
+<b>Note 7:</b> Jérôme, en effet, avait été reçu à Brest avec beaucoup
+d'éclat. Il était difficile qu'il en fût autrement. N'était-il pas le
+frère de l'empereur? Peut-être ce dernier aurait-il été fort mécontent
+si son frère n'avait pas été reçu avec les honneurs dus à son rang.<a href="#footnotetag7"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a>
+<b>Note 8:</b> Nous adoucissons l'expression de l'empereur. Celle dont
+il se servit en parlant au futur ministre de Naples ne saurait être
+écrite. Cette conversation, recueillie par Miot de Mélito au sortir de
+son audience de départ, se trouve telle quelle dans le manuscrit de
+cet homme d'État.<a href="#footnotetag8"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a>
+<b>Note 9:</b> C'était en quelque sorte un exorde à la lettre fort dure
+que l'empereur devait écrire à son frère en date du 12 novembre 1807,
+relative à la Sicile.<a href="#footnotetag9"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a>
+<b>Note 10:</b> Depuis roi de Suède.<a href="#footnotetag10"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a>
+<b>Note 11:</b> Fils aîné du roi Louis.<a href="#footnotetag11"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a>
+<b>Note 12:</b> Joseph avait envoyé à son frère plusieurs mémoires dans
+lesquels était traitée la question de l'expédition de Sicile, et où
+étaient exposées les difficultés qu'elle présentait.<a href="#footnotetag12"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a>
+<b>Note 13:</b> Le général avait été repoussé et avait subi un petit
+échec sans importance.<a href="#footnotetag13"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a>
+<b>Note 14:</b> Inutile de dire que ces lettres ne se trouvent ni dans
+la <i>Correspondance</i> de l'empereur ni dans les <i>Mémoires</i> de Joseph.<a href="#footnotetag14"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a>
+<b>Note 15:</b> Lettre du ministre Salicetti au général Miollis, datée
+de Naples le 13 mars 1808.<a href="#footnotetag15"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a>
+<b>Note 16:</b> Dans leur dernière entrevue à Bayonne, et au moment de
+se séparer de Joseph, Napoléon détacha de sa poitrine une petite croix
+d'officier de la Légion d'honneur qu'il portait sur son uniforme des
+chasseurs de sa garde, et qu'il avait pendant les campagnes de 1805,
+de 1806, de 1807, à Austerlitz, à Iéna, à Friedland. Il la donna à son
+frère qui la porta toujours et, à sa mort, la donna à son exécuteur
+testamentaire, M. Louis Maillard, auquel il ordonna de la prendre
+immédiatement après son décès; ce qui fut fait.<a href="#footnotetag16"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a>
+<b>Note 17:</b> À propos de ce qui avait été convenu à Bayonne, nous ne
+devons pas oublier de mentionner ici un article secret, le XI<sup>e</sup>, du
+traité de renonciation de Charles IV à la couronne d'Espagne; le
+voici:</p>
+
+<p>S. M. le roi Charles IV disposera <i>comme bon lui semblera</i> des
+diamants de la couronne d'Espagne qui étaient à son usage et à celui
+de la reine.<a href="#footnotetag17"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a>
+<b>Note 18:</b> <i>Mémoires du roi Joseph</i>, vol. V, p. 265.<a href="#footnotetag18"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a>
+<b>Note 19:</b> Le château et le ravissant parc de Mortefontaine, près
+Senlis, dans l'Oise, appartenaient alors à Joseph Bonaparte qui en
+aimait beaucoup le séjour. C'est là qu'habitait habituellement la
+reine Julie, sa femme.<a href="#footnotetag19"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a>
+<b>Note 20:</b> Joseph, ainsi que Louis, avait vu avec peine le divorce
+de Joséphine. L'un et l'autre, néanmoins, n'avaient pas cru pouvoir se
+dispenser d'écrire aux nouveaux époux des lettres de congratulation.<a href="#footnotetag20"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a>
+<b>Note 21:</b> Le roi avait appris que le ministre de la guerre de
+Napoléon, cédant à ses désirs motivés, lui renvoyait un des régiments
+espagnols que l'on avait fait venir en France. Il attachait avec
+raison un grand prix à cette mesure.<a href="#footnotetag21"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a>
+<b>Note 22:</b> Les mots manquants dans cette lettre et les suivantes
+ont été entièrement effacés par le temps et surtout par l'humidité,
+lorsqu'en 1814 les papiers du roi Joseph furent enterrés dans le parc
+de Prangins.<a href="#footnotetag22"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a>
+<b>Note 23:</b> Le duc de Santa-Fé, grand d'Espagne, dévoué à Joseph.<a href="#footnotetag23"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a>
+<b>Note 24:</b> Marcelle Clary, nièce de la reine Julie. Tascher épousa
+la princesse de la Ligne.<a href="#footnotetag24"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a>
+<b>Note 25:</b> Joseph ne voulait pas que la reine Julie menât de France
+des dames d'honneur, surcroît de dépenses, et ayant à lui en donner à
+Madrid.<a href="#footnotetag25"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a>
+<b>Note 26:</b> L'impératrice Joséphine.<a href="#footnotetag26"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a>
+<b>Note 27:</b> Lucien était alors prisonnier des Anglais.<a href="#footnotetag27"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a>
+<b>Note 28:</b> Un des secrétaires du roi, chargé de ses affaires
+d'intérêt et alors en France.<a href="#footnotetag28"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a>
+<b>Note 29:</b> Ce décret créait les grands gouvernements à la tête
+desquels Napoléon mettait ses généraux et humiliait complètement le
+roi.<a href="#footnotetag29"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a>
+<b>Note 30:</b> Un des aides de camp de Joseph, très dévoué à ce prince.
+Joseph redoutait la venue en Espagne de toutes les femmes des
+personnes attachées à sa maison, comprenant combien sa position était
+précaire.<a href="#footnotetag30"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a>
+<b>Note 31:</b> Cette lettre du 19 mars avait été perdue.<a href="#footnotetag31"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a>
+<b>Note 32:</b> Soult.<a href="#footnotetag32"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a>
+<b>Note 33:</b> Marmont s'était empressé de livrer bataille avant
+l'arrivée de Joseph, ne voulant pas se trouver sous les ordres du roi
+et se croyant assez fort pour battre seul l'ennemi.<a href="#footnotetag33"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a>
+<b>Note 34:</b> On trouvera un peu plus loin le récit relatif à
+l'accusation portée par Soult sur Joseph.<a href="#footnotetag34"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote35" name="footnote35"></a>
+<b>Note 35:</b> Ambassadeur de France à Madrid.<a href="#footnotetag35"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote36" name="footnote36"></a>
+<b>Note 36:</b> Lettre d'un de ses serviteurs dévoués qui lui demandait
+un peu d'argent pour subvenir à ses besoins.<a href="#footnotetag36"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote37" name="footnote37"></a>
+<b>Note 37:</b> Trésorier du roi, tué dans la retraite de Vittoria.<a href="#footnotetag37"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote38" name="footnote38"></a>
+<b>Note 38:</b> Lettre de Napoléon à Joseph, en date du 2 janvier 1814
+(<i>Mémoires du roi Joseph</i>, vol. 10<sup>e</sup>, p. 3). On a supprimé dans cette
+lettre la phrase suivante: «Vous n'êtes plus roi d'Espagne, je n'ai
+pas besoin de votre renonciation, puisque je ne veux pas de
+l'Espagne.»<a href="#footnotetag38"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote39" name="footnote39"></a>
+<b>Note 39:</b> Voyez la lettre à l'Empereur du 30 novembre 1813.<a href="#footnotetag39"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote40" name="footnote40"></a>
+<b>Note 40:</b> Cette lettre est aux <i>Mémoires de Joseph</i>, à sa date (29
+décembre 1813).<a href="#footnotetag40"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote41" name="footnote41"></a>
+<b>Note 41:</b> Cette lettre, fort écourtée aux <i>Mémoires de Joseph</i>,
+volume 10<sup>e</sup>, page 139, a été complètement supprimée à la
+correspondance de l'Empereur.<a href="#footnotetag41"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote42" name="footnote42"></a>
+<b>Note 42:</b> Que Marie-Louise pensait que Napoléon se ferait tuer.<a href="#footnotetag42"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote43" name="footnote43"></a>
+<b>Note 43:</b> Il voulait parler de Talleyrand, Fouché et autres.<a href="#footnotetag43"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote44" name="footnote44"></a>
+<b>Note 44:</b> Pièce annexée.<a href="#footnotetag44"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote45" name="footnote45"></a>
+<b>Note 45:</b> Général employé à Paris.<a href="#footnotetag45"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote46" name="footnote46"></a>
+<b>Note 46:</b> Intendant de la liste civile.<a href="#footnotetag46"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote47" name="footnote47"></a>
+<b>Note 47:</b> Joseph, comte de Survilliers.<a href="#footnotetag47"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote48" name="footnote48"></a>
+<b>Note 48:</b> Lucien avait plusieurs enfants. L'aîné, Charles, prince
+de Canino, devait épouser Zénaïde, fille du roi Joseph. Le mariage eut
+lieu en effet. Il eut un fils, le prince Joseph de Musignano, mort
+sous le second empire et de qui l'auteur des <i>Mémoires du roi Joseph</i>
+tient les documents à l'aide desquels il a fait son ouvrage. Le prince
+de Canino rendit la princesse Zénaïde sa femme fort malheureuse. C'est
+lui qui a joué un triste rôle sous la Constituante romaine, lors de
+l'assassinat du comte Rossi. Il est mort en 1857.<a href="#footnotetag48"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote49" name="footnote49"></a>
+<b>Note 49:</b> Désirée, femme de Bernadotte, était la s&oelig;ur de la
+reine Julie.<a href="#footnotetag49"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote50" name="footnote50"></a>
+<b>Note 50:</b> Le frère aîné de Napoléon III, mort dans l'insurrection
+des Romagnes, en 1831.<a href="#footnotetag50"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote51" name="footnote51"></a>
+<b>Note 51:</b> M. Paterson, qui vint en France, sous le second Empire,
+avec son fils, aujourd'hui officier dans l'armée française.<a href="#footnotetag51"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote52" name="footnote52"></a>
+<b>Note 52:</b> Une demoiselle Clary.<a href="#footnotetag52"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote53" name="footnote53"></a>
+<b>Note 53:</b> Fils de Louis Maillard.<a href="#footnotetag53"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote54" name="footnote54"></a>
+<b>Note 54:</b> Lorsque le <i>Mémorial de Sainte-Hélène</i>, dans lequel se
+trouve le portrait du roi Louis, parut, la famille Bonaparte et ses
+partisans furent loin d'approuver le livre de M. de Lascases. Le bruit
+se répandit et s'accrédita que le roi Louis XVIII n'était pas étranger
+à cet ouvrage, qui lui avait été soumis par son auteur.</p>
+
+<p>À cette époque, la reine de Westphalie, Catherine de Wurtemberg,
+écrivit de Rome à une de ses amies, le 25 juin 1823, une longue lettre
+dans laquelle on lit:</p>
+
+<p>«Le jugement que vous portez sur l'ouvrage de M. de Lascases
+m'enchante. Il est à espérer que tous les gens sensés et dénués de
+toute partialité seront de cet avis. Plus je le lis, plus je le
+médite, et moins je me rends raison du motif qui l'a engagé à le
+publier. Que de gens compromis! que de passions réveillées! que
+d'ennemis suscités! et à quelle fin tout cela? Ce qui me paraît encore
+plus maladroit de sa part, c'est la bonhomie avec laquelle il assure
+que les seuls points sur lesquels il a pu se satisfaire à son aise,
+ont été des retranchements; aussi sont-ils fort nombreux et de plus
+d'une espèce. C'est sur ce qui touche les personnes surtout qu'il a
+élagué avec profusion. Puisqu'il affirme une pareille chose, pourquoi
+ne s'est-il pas cru autorisé à taire (si toutefois l'empereur lui a
+fait de pareilles confidences) tout ce qui pouvait faire du tort à la
+mémoire de l'empereur et à sa dynastie? Mon mari me prie de vous
+envoyer la copie de sa lettre à M. de Lascases, en vous priant
+toutefois de ne la publier avant que M. de Lascases lui répondît s'il
+est dans l'intention de se rétracter. Cependant vous êtes libre de la
+faire connaître à vos amis intimes.» Il est à remarquer que le
+jugement porté sur Louis par M<sup>me</sup> de Rémusat, qui se fait l'écho des
+rancunes de la reine Hortense, s'accorde assez bien avec le jugement
+du <i>Mémorial</i>.<a href="#footnotetag54"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote55" name="footnote55"></a>
+<b>Note 55:</b> Marmont, dans ses Mémoires, parle des efforts de Louis
+pour retirer son frère du marécage, mais il omet la tentative du jeune
+officier pour s'emparer du pont.<a href="#footnotetag55"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote56" name="footnote56"></a>
+<b>Note 56:</b> Après qu'il eut abdiqué la couronne de Hollande et
+pendant son séjour à Gratz, Louis retoucha une seconde édition d'un
+roman en trois volumes que déjà il avait publié en 1800, à Paris, sous
+le titre de Marie ou les peines de l'amour. C'est un souvenir
+mélancolique de ce premier sentiment contrarié par Napoléon.<a href="#footnotetag56"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote57" name="footnote57"></a>
+<b>Note 57:</b> L'une de ces brochures était intitulée: <i>Appel au
+peuple.</i> Elle fut répandue à profusion en Hollande. Napoléon en fit
+rechercher l'auteur. C'était une femme nommée Marie Hulshorft, qui
+n'était, de fait, qu'un prête-nom.<a href="#footnotetag57"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote58" name="footnote58"></a>
+<b>Note 58:</b> Dans un voyage qu'il fit l'année suivante, Louis ayant
+dit à la population de la petite ville d'Edam, réunie autour de lui,
+qu'il espérait que les Hollandais oublieraient un jour qu'il n'était
+pas né en Hollande, un vieillard lui répondit: «Nous l'avons bien
+oublié depuis Leyde.»<a href="#footnotetag58"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote59" name="footnote59"></a>
+<b>Note 59:</b> On a souvent dit que le prince Louis-Napoléon, devenu
+l'empereur Napoléon III, n'était pas le fils du roi Louis, mais de
+l'amiral Verhuell ou de tout autre. Voici des faits positifs et des
+dates précises qui prouvent la fausseté de ces assertions:</p>
+
+<p>Le 4 mai, le roi de Hollande perdit son fils, le prince royal.
+Hortense, au désespoir, quitta le royaume et se rendit dans les
+Pyrénées, à Bagnères-de-Luchon, où son mari, aussi désolé qu'elle, la
+rejoignit le 30 du même mois. Le roi et la reine vécurent deux mois
+ensemble à Luchon. Le 20 avril 1808, c'est-à-dire neuf mois après le
+séjour des deux souverains dans les Pyrénées, naquit le prince
+Louis-Napoléon.<a href="#footnotetag59"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote60" name="footnote60"></a>
+<b>Note 60:</b> Cette lettre, si importante pour l'histoire, ne se
+trouve pas à la correspondance de l'empereur.<a href="#footnotetag60"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote61" name="footnote61"></a>
+<b>Note 61:</b> Voici un trait qui peint la bonté et l'esprit
+philosophique du roi Louis. Un jeune prêtre s'était permis contre un
+de ses actes une sortie des plus violentes, des plus ridicules et des
+plus injustes. Tout le monde demandait une punition exemplaire. Le roi
+le fit venir, exigea qu'il lui répétât les propos qu'il avait tenus,
+puis il le fit asseoir et lui exposa les motifs de la conduite de son
+gouvernement. Le jeune prêtre le quitta confus et persuadé. «Il
+m'importait plus de le convaincre que de le punir», dit le roi à ceux
+qui demandaient son châtiment.<a href="#footnotetag61"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote62" name="footnote62"></a>
+<b>Note 62:</b> L'empereur fut bientôt informé des projets du roi.<a href="#footnotetag62"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote63" name="footnote63"></a>
+<b>Note 63:</b> Lettres datées de Paris, 1<sup>er</sup> et 21 février 1810.<a href="#footnotetag63"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote64" name="footnote64"></a>
+<b>Note 64:</b> Le maréchal duc de Reggio, comme le duc de Plaisance
+plus tard, montra dans sa difficile mission un tact, une convenance,
+dont le roi et les Hollandais lui furent toujours reconnaissants.<a href="#footnotetag64"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote65" name="footnote65"></a>
+<b>Note 65:</b> Cette lettre n'est pas dans les lettres publiées sous le
+second empire, mais elle se trouve à la page 273 du livre de M.
+Rocquain (<i>Napoléon I<sup>er</sup> et le roi Louis</i>).<a href="#footnotetag65"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote66" name="footnote66"></a>
+<b>Note 66:</b> Le bruit de cette nouvelle exigence du gouvernement
+français s'était répandu déjà depuis quelque temps. Le roi avait
+demandé une explication catégorique à M. Serrurier, chargé d'affaires
+de France. M. Serrurier avait répondu le 16 juin, à M. Roëll, ministre
+des affaires étrangères de Hollande, qu'il était chargé par l'empereur
+de désavouer le dessein de mettre une garnison française à Amsterdam,
+mais que toute attitude hostile serait considérée comme une
+déclaration de guerre. Dans cette même lettre, le chargé d'affaires
+revenait sur la demande de réparation de l'outrage fait au cocher de
+l'ambassadeur.<a href="#footnotetag66"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote67" name="footnote67"></a>
+<b>Note 67:</b> Ambassadeur de France à Vienne.<a href="#footnotetag67"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote68" name="footnote68"></a>
+<b>Note 68:</b> Ce sénatus-consulte lui donnait un apanage autour de sa
+terre de Saint-Leu en dédommagement de la Hollande.<a href="#footnotetag68"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote69" name="footnote69"></a>
+<b>Note 69:</b> Dans un petit volume de poésies publié par Louis, à
+Lausanne, on trouve les adieux suivants au séjour de Gratz:</p>
+
+<p class="poem">
+ Adieu florissante contrée<br>
+ Où nul ne comprit tous mes maux,<br>
+ Mais où, l'âme triste, éplorée,<br>
+ J'ai souvent rêvé le repos...<br>
+ Mais rien n'est pour un long usage<br>
+ Dans ce monde trop incertain;<br>
+ Le temps est un bac de passage<br>
+ Où nos pas s'attachent en vain.<br>
+ Confidents d'un c&oelig;ur solitaire,<br>
+ Jeunes arbres, mes seuls amis,<br>
+ Puisse votre ombre hospitalière<br>
+ Mieux abriter d'autres proscrits.<a href="#footnotetag69"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote70" name="footnote70"></a>
+<b>Note 70:</b> C'est le roi Louis lui-même qui, dans son ouvrage sur la
+Hollande, t. III, page 324, nous fait connaître ce fait.<a href="#footnotetag70"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote71" name="footnote71"></a>
+<b>Note 71:</b> C'est à cette lettre, transmise par Joseph, que Napoléon
+répond en écrivant que Louis a l'esprit faux, etc. (Voir Joseph en
+1814).<a href="#footnotetag71"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote72" name="footnote72"></a>
+<b>Note 72:</b> Madame Thayer.<a href="#footnotetag72"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote73" name="footnote73"></a>
+<b>Note 73:</b> Nous avons eu plusieurs fois recours à ce curieux et
+intéressant ouvrage pour la rédaction de notre travail.<a href="#footnotetag73"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote74" name="footnote74"></a>
+<b>Note 74:</b> Sur ces derniers faits, voy. le 1<sup>er</sup> vol. de Jung,
+<i>Bonaparte et son temps</i>.<a href="#footnotetag74"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote75" name="footnote75"></a>
+<b>Note 75:</b> <i>L'Indivisible</i>, de 80 canons, vaisseau amiral; <i>le
+Formidable</i>, de 80 (monté par le contre-amiral Linois);
+<i>l'Indomptable</i>, de 80 (capitaine Moncontu); le <i>Desaix</i>, de 74
+(capitaine de Lapallière); <i>le Dix-Août</i>, de 74 (capitaine Bergeret);
+<i>le Jean-Bart</i>, de 74 (capitaine Meyne); <i>la Constitution</i> (capitaine
+Faure); la <i>Créole</i>, frégate (capitaine de vaisseau Gourrige); <i>la
+Bravoure</i>, de 18 (capitaine de frégate Dordelin); le lougre <i>le
+Vautour</i> (le lieutenant de vaisseau Kerimel).<a href="#footnotetag75"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote76" name="footnote76"></a>
+<b>Note 76:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol. I<sup>er</sup>, p. 51.<a href="#footnotetag76"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote77" name="footnote77"></a>
+<b>Note 77:</b> Nommé enseigne le 15 janvier par Villaret-Joyeuse,
+Jérôme fut confirmé dans ce grade par le premier consul, et il prit
+rang dans les cadres à dater du jour de sa promotion.<a href="#footnotetag77"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote78" name="footnote78"></a>
+<b>Note 78:</b> Le prince Jérôme a toujours conservé pour le brave
+Bergeret, plus tard amiral et mort il y a peu d'années, une affection
+véritable et une estime profonde.<a href="#footnotetag78"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote79" name="footnote79"></a>
+<b>Note 79:</b> Le prince fit le même voyage cinquante années plus tard,
+lorsqu'il parcourut la Bretagne, désireux de revoir avant de mourir le
+petit port de Concarneau.<a href="#footnotetag79"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote80" name="footnote80"></a>
+<b>Note 80:</b> Le prince le retrouva en 1852 à Concarneau, où il vivait
+en retraite.<a href="#footnotetag80"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote81" name="footnote81"></a>
+<b>Note 81:</b> Nous devons dire que nulle part nous n'avons trouvé
+trace d'instructions secrètes données à Villaret, dans le sens de la
+nomination de Jérôme comme lieutenant de vaisseau et commandant du
+brick; mais la chose nous paraît si probable et du reste si naturelle,
+que nous croyons qu'il en a été ainsi.<a href="#footnotetag81"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote82" name="footnote82"></a>
+<b>Note 82:</b> Le contre-amiral Lacrosse était père du sénateur du
+second empire. Le prince Jérôme a rappelé bien souvent au baron
+Lacrosse cette visite à la Guadeloupe.<a href="#footnotetag82"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote83" name="footnote83"></a>
+<b>Note 83:</b> Villeneuve avait été remplacé par Villaret.<a href="#footnotetag83"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote84" name="footnote84"></a>
+<b>Note 84:</b> Jérôme avait alors près de lui M. Meyronnet, qu'il
+appelle dans toutes ses lettres son lieutenant, un secrétaire
+particulier, M. Le Camus, qui joua par la suite un certain rôle ainsi
+que Meyronnet en Westphalie, un médecin et le fils du conventionnel
+Rewbel, plus tard officier général.<a href="#footnotetag84"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote85" name="footnote85"></a>
+<b>Note 85:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, vol. I<sup>er</sup>, p. 227.<a href="#footnotetag85"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote86" name="footnote86"></a>
+<b>Note 86:</b> Georgetown, ville et port de mer des États-Unis, État de
+la Caroline du sud, était la résidence du consul général Pichon.<a href="#footnotetag86"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote87" name="footnote87"></a>
+<b>Note 87:</b> Remplacé bientôt après par Sottin.<a href="#footnotetag87"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote88" name="footnote88"></a>
+<b>Note 88:</b> Toute la correspondance Pichon, toutes les pièces et
+documents qui se trouvent au vol. I des <i>Mémoires Jérôme</i> font trop
+bien connaître cette affaire pour que nous croyions devoir entrer dans
+de plus grands développements. Récemment M<sup>me</sup> Paterson a publié
+elle-même des mémoires et des lettres qui ne sont point de nature à
+augmenter la sympathie que ses malheurs pouvaient inspirer.<a href="#footnotetag88"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote89" name="footnote89"></a>
+<b>Note 89:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, 1<sup>er</sup> volume.<a href="#footnotetag89"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote90" name="footnote90"></a>
+<b>Note 90:</b> Tiare envoyée en cadeau au pape.<a href="#footnotetag90"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote91" name="footnote91"></a>
+<b>Note 91:</b> Cette lettre du cardinal Fesch, qui ne se trouve nulle
+part, semble prouver que le pape ne voulut pas casser le mariage
+religieux de Jérôme aux États-Unis. Cet acte fut toujours refusé par
+le saint-père et cependant ce dernier, non seulement reconnut le
+mariage de Jérôme avec la princesse Catherine, mais il reçut, après
+1815, les deux époux avec une bienveillance toute particulière.<a href="#footnotetag91"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote92" name="footnote92"></a>
+<b>Note 92:</b> Le général Thurreau était alors ministre de France aux
+États-Unis d'Amérique.<a href="#footnotetag92"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote93" name="footnote93"></a>
+<b>Note 93:</b> Le ministère de la marine fait dater la nomination de
+capitaine de frégate du prince Jérôme de juin 1803; c'est une erreur
+que redresse suffisamment la correspondance officielle ainsi qu'on le
+verra.<a href="#footnotetag93"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote94" name="footnote94"></a>
+<b>Note 94:</b> L'empereur trouva fort mauvais ce qu'avait fait son
+frère et écrivit dans ce sens, au ministre de la marine Decrès, une
+lettre assez violente qui se trouve au 1<sup>er</sup> vol. des <i>Mémoires de
+Jérôme</i>, p. 360.<a href="#footnotetag94"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote95" name="footnote95"></a>
+<b>Note 95:</b> Voici le <i>post-scriptum</i> de la dépêche en date du 2
+octobre 1805 de Decrès à Willaumez (de la main du ministre): «Je vous
+informe que votre mission n'est connue de personne que de l'empereur,
+de moi, du secrétaire intime qui a transcrit les instructions de S. M.
+et de vous. Il vous est prescrit de garder le plus grand secret à cet
+égard, S. M. vous défendant toute communication à ce sujet avec
+quelque personne et sous quelque prétexte que ce puisse être.»<a href="#footnotetag95"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote96" name="footnote96"></a>
+<b>Note 96:</b> Ancienne abbaye de Bénédictins d'Allemagne, à 15 lieues
+de Minden, sur la rive gauche du Weser.<a href="#footnotetag96"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote97" name="footnote97"></a>
+<b>Note 97:</b> Le Camus, créé par le roi comte de Furstenstein, puis
+devenu ministre d'État, était un jeune créole que Jérôme avait trouvé
+dans un de ses voyages maritimes et dont il avait fait son secrétaire
+particulier. Ce Le Camus avait trois s&oelig;urs fort jolies dont l'une
+épousa le général Morio en premières noces, et en seconde, l'amiral
+Duperré, et la seconde, M. Pothau, qui joua un rôle en Westphalie. La
+chronique prétendait que Le Camus était toujours prêt à favoriser les
+velléités amoureuses de son jeune maître qu'il avait accompagné en
+Amérique et dans toutes ses courses. Il devint un des personnages du
+royaume et l'empereur, après avoir refusé longtemps à son frère la
+faveur de donner à ce ministre le grand cordon de la Légion d'honneur,
+finit par avoir la faiblesse de le lui accorder, sur les instances du
+roi.<a href="#footnotetag97"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote98" name="footnote98"></a>
+<b>Note 98:</b> Ces lettres, des 25 et 28 décembre 1807, se trouvent au
+3<sup>o</sup> volume des Mémoires du roi Jérôme; celle de Napoléon, en date du 5
+janvier 1808, manque.<a href="#footnotetag98"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote99" name="footnote99"></a>
+<b>Note 99:</b> Jérôme avait une grande antipathie pour Jollivet, parce
+qu'il voyait en lui, non sans raison, un espion de Napoléon et que
+d'ailleurs ce conseiller d'État s'était montré fort hostile à son
+frère Lucien qu'il aimait beaucoup.<a href="#footnotetag99"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote100" name="footnote100"></a>
+<b>Note 100:</b> Fils de Salha, embarqué sur le bâtiment commandé par
+Halgan.<a href="#footnotetag100"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote101" name="footnote101"></a>
+<b>Note 101:</b> Médecin du prince Jérôme sur <i>le Vétéran</i>.<a href="#footnotetag101"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote102" name="footnote102"></a>
+<b>Note 102:</b> Napoléon n'aimait pas laisser au service de ses frères
+ses bons officiers généraux, aussi ne voulut-il pas abandonner en
+Westphalie Lefebvre-Desnouettes, qu'il considérait comme un des
+meilleurs officiers de cavalerie légère. Lefebvre-Desnouettes, colonel
+des chasseurs de la garde, réfugié en Amérique après Waterloo, périt,
+le 22 avril 1822, dans le naufrage du paquebot <i>l'Albion</i>, sur lequel
+il s'était embarqué pour la Belgique.<a href="#footnotetag102"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote103" name="footnote103"></a>
+<b>Note 103:</b> Cette lettre de Napoléon nous manque. Elle était
+relative à M. de Merweld, dont l'empereur croyait avoir à se
+plaindre.<a href="#footnotetag103"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote104" name="footnote104"></a>
+<b>Note 104:</b> M. Beugnot fut remplacé au ministère des finances de
+Westphalie par M. de Bulow, qui passait pour aimer peu les Français.<a href="#footnotetag104"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote105" name="footnote105"></a>
+<b>Note 105:</b> Nous ne serions pas étonné que cette pensée des
+médailles militaires d'un revenu de 100 à 150 fr. n'ait été l'idée
+mère de la médaille créée par Napoléon III à son avènement au trône.<a href="#footnotetag105"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote106" name="footnote106"></a>
+<b>Note 106:</b> M. Hainguerlot, banquier enrichi dans les fournitures,
+était un ami de Jérôme; sa s&oelig;ur avait épousé un des aides de camp
+du jeune roi. L'empereur n'aimait ni le banquier ni sa famille et
+avait fait défense à son frère de le recevoir. Le gendre de M.
+Hainguerlot fut, par la suite, un M. de Vatry, brillant officier de
+hussards qui, en 1815, à Waterloo, était l'un des aides de camp du
+prince Jérôme, et qui ne contribua pas peu, par ses relations et ses
+démarches sous le gouvernement de juillet, à aplanir les difficultés
+pour le retour en France de la famille Jérôme Bonaparte.<a href="#footnotetag106"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote107" name="footnote107"></a>
+<b>Note 107:</b> Lettre publiée aux Mémoires.<a href="#footnotetag107"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote108" name="footnote108"></a>
+<b>Note 108:</b> Aide de camp du roi, chef de la gendarmerie.<a href="#footnotetag108"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote109" name="footnote109"></a>
+<b>Note 109:</b> Les escadrons de ce régiment, dans lequel servait le
+fameux marquis de Maubreuil, étaient alors en Espagne et son dépôt
+dans une ville de la Westphalie.<a href="#footnotetag109"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote110" name="footnote110"></a>
+<b>Note 110:</b> Publiée dans les <i>Mémoires du roi Jérôme</i>.<a href="#footnotetag110"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote111" name="footnote111"></a>
+<b>Note 111:</b> Avait remplacé Morio à la guerre.<a href="#footnotetag111"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote112" name="footnote112"></a>
+<b>Note 112:</b> Ministre de l'intérieur.<a href="#footnotetag112"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote113" name="footnote113"></a>
+<b>Note 113:</b> Mari d'une des s&oelig;urs de Le Camus.<a href="#footnotetag113"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote114" name="footnote114"></a>
+<b>Note 114:</b> Cette division était dirigée sur l'Espagne où elle
+périt presque tout entière. Le général Morio, qui la commandait, ne
+reconquit pas la faveur impériale, car on assure que ce malheureux
+officier s'étant présenté aux Tuileries, à son retour de la Péninsule,
+Napoléon lui dit brusquement: «Qui êtes-vous?&mdash;Le général Morio.&mdash;Vous
+général? Dans mon armée vous ne seriez pas caporal.»<a href="#footnotetag114"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote115" name="footnote115"></a>
+<b>Note 115:</b> Premier secrétaire remplaçant M. Reinhard en cas
+d'absence.<a href="#footnotetag115"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote116" name="footnote116"></a>
+<b>Note 116:</b> Chef de la légion de gendarmerie.<a href="#footnotetag116"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote117" name="footnote117"></a>
+<b>Note 117:</b> C'était le brusque départ de Schill pour son
+expédition.<a href="#footnotetag117"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote118" name="footnote118"></a>
+<b>Note 118:</b> Une petite mésintelligence s'était élevée, à la suite
+de la course de Schill, entre Jérôme et Louis, le second ayant pris
+parti pour Gratien, le premier pour d'Albignac accusé, non sans
+raison, de lenteur et de mauvais vouloir par le général hollandais.<a href="#footnotetag118"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote119" name="footnote119"></a>
+<b>Note 119:</b> Deux pièces sans nulle importance.<a href="#footnotetag119"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote120" name="footnote120"></a>
+<b>Note 120:</b> Reinhard avait vu juste.<a href="#footnotetag120"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote121" name="footnote121"></a>
+<b>Note 121:</b> C'est précisément ce qui arriva quelques jours plus
+tard.<a href="#footnotetag121"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote122" name="footnote122"></a>
+<b>Note 122:</b> Cela était vrai.<a href="#footnotetag122"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote123" name="footnote123"></a>
+<b>Note 123:</b> Le général d'Albignac.<a href="#footnotetag123"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote124" name="footnote124"></a>
+<b>Note 124:</b> Mission auprès de l'empereur à Paris.<a href="#footnotetag124"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote125" name="footnote125"></a>
+<b>Note 125:</b> S&oelig;ur du fournisseur et banquier Hainguerlot que
+l'empereur n'aimait pas et qui était un des amis du roi Jérôme.<a href="#footnotetag125"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote126" name="footnote126"></a>
+<b>Note 126:</b> Le même qui se trouvait consul général aux États-Unis
+d'Amérique lors du mariage Paterson.<a href="#footnotetag126"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote127" name="footnote127"></a>
+<b>Note 127:</b> L'auteur de l'<i>Histoire de Napoléon</i>.<a href="#footnotetag127"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote128" name="footnote128"></a>
+<b>Note 128:</b> Reinhard était dans l'erreur ou ne disait pas ce qu'il
+pensait.<a href="#footnotetag128"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote129" name="footnote129"></a>
+<b>Note 129:</b> C'était une petite maison près Cassel.<a href="#footnotetag129"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote130" name="footnote130"></a>
+<b>Note 130:</b> Très jolie personne, femme d'un préfet du palais.<a href="#footnotetag130"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote131" name="footnote131"></a>
+<b>Note 131:</b> Femme du général de Launay, fille de Siméon.<a href="#footnotetag131"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote132" name="footnote132"></a>
+<b>Note 132:</b> C'était la vérité.<a href="#footnotetag132"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote133" name="footnote133"></a>
+<b>Note 133:</b> Jérôme et la reine se trouvaient alors en France.<a href="#footnotetag133"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote134" name="footnote134"></a>
+<b>Note 134:</b> C'est-à-dire que l'empereur laissait purement et
+simplement les charges à la Westphalie.<a href="#footnotetag134"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote135" name="footnote135"></a>
+<b>Note 135:</b> Lettre du 30 octobre. <i>Mémoires de Jérôme</i>, vol. IV, p.
+497.<a href="#footnotetag135"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote136" name="footnote136"></a>
+<b>Note 136:</b> Il avait été invité à venir avec la Reine assister au
+baptême du Roi de Rome.<a href="#footnotetag136"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote137" name="footnote137"></a>
+<b>Note 137:</b> On l'envoya plus tard préfet à Magdebourg.<a href="#footnotetag137"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote138" name="footnote138"></a>
+<b>Note 138:</b> Lanfrey en cite un fragment au dernier vol. de son
+<i>Histoire de Napoléon</i>, V, 502.<a href="#footnotetag138"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote139" name="footnote139"></a>
+<b>Note 139:</b> P. 356.<a href="#footnotetag139"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote140" name="footnote140"></a>
+<b>Note 140:</b> Jérôme avait prié Berthier de solliciter pour lui de
+l'empereur un commandement.<a href="#footnotetag140"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote141" name="footnote141"></a>
+<b>Note 141:</b> Cette somme était due en effet par la France à la
+Westphalie.<a href="#footnotetag141"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote142" name="footnote142"></a>
+<b>Note 142:</b> Cette importante dépêche ayant été interceptée par
+l'ennemi et publiée dans un journal autrichien donna sans doute à
+Tchernicheff la pensée de marcher sur Cassel.<a href="#footnotetag142"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote143" name="footnote143"></a>
+<b>Note 143:</b> <i>Mémoires du roi Jérôme</i>, 6<sup>e</sup> vol., p. 215.<a href="#footnotetag143"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote144" name="footnote144"></a>
+<b>Note 144:</b> Donc aucune proposition n'avait pu être faite au roi
+pour conserver sa couronne.<a href="#footnotetag144"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote145" name="footnote145"></a>
+<b>Note 145:</b> Le roi a prétendu plus tard avoir reçu des propositions
+pour rester dans ses états et avoir répondu entre autres choses:
+<i>Quand le tronc est mort les branches tombent.</i> Nous avons fait
+connaître plus haut pourquoi nous n'admettons pas que ces propositions
+aient été faites, et d'ailleurs le roi n'en parle dans aucune de ses
+lettres à l'empereur.<a href="#footnotetag145"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote146" name="footnote146"></a>
+<b>Note 146:</b> L'inverse eût été vrai.<a href="#footnotetag146"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote147" name="footnote147"></a>
+<b>Note 147:</b> Ce fut le général Wolff.<a href="#footnotetag147"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote148" name="footnote148"></a>
+<b>Note 148:</b> M. de la Rochefoucauld venait d'être nommé ministre
+plénipotentiaire en Hollande en remplacement du général
+Dupont-Chaumont, des services duquel l'empereur n'était pas satisfait,
+le trouvant trop dans les eaux de son frère. M. de la Rochefoucauld
+arriva à son poste le 19 avril.<a href="#footnotetag148"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote149" name="footnote149"></a>
+<b>Note 149:</b> M. Serrurier faisait pour la seconde fois l'intérim, en
+l'absence de l'ambassadeur Chaumont parti pour Paris.<a href="#footnotetag149"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote150" name="footnote150"></a>
+<b>Note 150:</b> Les ambassadeurs français accrédités auprès des rois
+frères de l'empereur prenaient le nom d'ambassadeurs de famille, et
+avaient mission de faire connaître à Napoléon toute la conduite privée
+et publique des souverains.<a href="#footnotetag150"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote151" name="footnote151"></a>
+<b>Note 151:</b> En effet, M. Bourdeaux rapporta au roi une lettre de
+l'empereur datée d'Erfurth, 12 octobre, lettre toute de persiflage et
+frisant l'impertinence, contenant le refus de remplacer près de lui
+l'ambassadeur comte de Larochefoucauld. Les relations entre les deux
+souverains ne pouvaient être plus tendues.<a href="#footnotetag151"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote152" name="footnote152"></a>
+<b>Note 152:</b> L'ambassadeur de Hollande à Saint-Pétersbourg.<a href="#footnotetag152"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote153" name="footnote153"></a>
+<b>Note 153:</b> On voit, d'après cela, qu'il y avait pique entre le roi
+et le ministre de France.<a href="#footnotetag153"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote154" name="footnote154"></a>
+<b>Note 154:</b> Ce prince Napoléon-Louis était le second fils du roi.
+Le premier était mort l'année précédente; le second, celui-ci, mourut
+en 1831, de la rougeole, à Forli, ou empoisonné pendant l'insurrection
+des Romagnes, où il avait pris parti contre le pape avec son frère,
+plus tard l'empereur Napoléon III.<a href="#footnotetag154"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote155" name="footnote155"></a>
+<b>Note 155:</b> Varel, ville située près des embouchures du Vezer, à 30
+kil. nord d'Oldenbourg.<a href="#footnotetag155"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote156" name="footnote156"></a>
+<b>Note 156:</b> L'empereur refusa de rendre les troupes hollandaises.<a href="#footnotetag156"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote157" name="footnote157"></a>
+<b>Note 157:</b> De fait, l'opinion publique était dans le vrai.<a href="#footnotetag157"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote158" name="footnote158"></a>
+<b>Note 158:</b> Voir les lettres des 23 et 25 du même mois.<a href="#footnotetag158"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote159" name="footnote159"></a>
+<b>Note 159:</b> Après cette lettre le doute n'est plus permis sur les
+intentions de l'empereur d'occuper Amsterdam, d'annexer la Hollande,
+de forcer son frère à abandonner la partie. Napoléon, on le voit,
+profite des moindres causes pour en faire des prétextes à
+envahissements. En vain le roi en passe par toutes ses volontés. Une
+exigence satisfaite en amène une autre et le gouvernement français ne
+craint pas, pour envahir la Hollande, de s'appuyer sur la ridicule
+affaire du cocher de l'ambassadeur.<a href="#footnotetag159"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote160" name="footnote160"></a>
+<b>Note 160:</b> Ceci était faux; Louis n'avait emporté que mille
+florins lui appartenant.<a href="#footnotetag160"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+<p><a id="footnote161" name="footnote161"></a>
+<b>Note 161:</b> Le général Pirée.<a href="#footnotetag161"><span class="small">[Retour au texte principal]</span></a></p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Les Rois Frères de Napoléon Ier, by Baron Du Casse
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROIS FRÈRES DE NAPOLÉON IER ***
+
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
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+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+
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+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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